Rencontres Avec La Poésie - Un Guide Pratique Por La Lecture Et L'analyse Du Poème PDF
Rencontres Avec La Poésie - Un Guide Pratique Por La Lecture Et L'analyse Du Poème PDF
Rencontres Avec La Poésie - Un Guide Pratique Por La Lecture Et L'analyse Du Poème PDF
la poesie
un guide pratique
pour la lecture et 1'analyse
du poeme
Catherine M. Grise
www.cspi.org
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"J'ai trace dans ma vie un grand canal" by Henri Michaux was previously published in Epreuves,
exorcismes. Copyright 1945 by Editions Gallimard. All rights reserved. Reprinted with permis-
sion.
"Quete de corps et de mots" by France Theoret was previously published in Une Mouche au
fond de 1'oeil. Copyright 1998 by Editions Les Herbes Rouges. All rights reserved. Reprinted
with permission.
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Grise, Catherine M.
Rencontres avec la poesie : un guide pratique pour la lecture et
1'analyse du poeme / Catherine M. Grise.
02 03 04 05 06 07 7 6 5 4 3 2 1
Avant-propos v
Introduction 1
I. Debut de 1'analyse 3
1. La Lecture attentive du poeme
2. Le Theme principal et le sentiment dominant
3. La Voix et la situation d'enonciation
4. Le Ton
5. La Structure et 1'organisation
Exercices
II. La Versification: le metre 13
1. Le Vers et le metre
2. Le Probleme de 1'e muet
3. Dierese et synerese
4. Les Noms des metres
5. Vers libres et poesie moderne
Exercices
III. La Versification: la rime 23
1. L'Alternance des rimes: rimes masculines et rimes feminines
2. La Qualite des rimes
3. La Disposition des rimes
Exercices
IV. La Versification: strophes et poemes a
formes fixes 31
1. La Strophe
2. Poemes a forme fixe
Exercices
V. Le Lexique, la syntaxe et les precedes
grammaticaux 39
1. Le Vocabulaire
2. La Syntaxe et les precedes grammaticaux
Exercices
VIII. Le Rythme 67
1. L'Accent essentiel: 1'accent metrique
2. Les Rythmes secondaires
3. Effets de discordance
4. A la recherche de rythmes nouveaux
Exercices
IX. Applications 77
1. «Ode a Cassandre» (Pierre de Ronsard): Analyse par Sophie
Bernard
2. «La Pipe» (Antoine Girard de Saint-Amant): Commentaire par
Jacqueline Millner
3. «Le Pot de fleurs» (Theophile Gautier): Analyse par Frank
Giordano
4. «Harmonie du soir» (Charles Baudelaire): Commentaire par
Caroline Tolton
5. «Le Jardin» (Jacques Prevert): Analyse par Jan Chan
X. Textes 103
XI. Reponses aux exercices 117
Bibliographic 127
Index des noms 129
Index des notions 131
Avant-propos
Debut de 1'analyse
notre propos. L'expression «il ecrit» denote une action precise; mais si on
ajoute le suffixe -aille, la connotation du mot ajoute un sens pejoratif: «il
ecrivaille». Dans le diagramme suivant, illustrant le mot «ecrivaille», le
sens denote est bien clair—encadre dans son rectangle aux lignes rigides;
le sens connote qui entoure la notion indique des nuances subjectives aux
contours moins precis parce qu'elles appartiennent a 1'ordre affectif.
4. Le Ton
Chaque texte possede un ton (une attitude envers les themes ou
envers le destinataire). Si 1'auteur envisage le sujet d'un oeil appreciatif,
il emploie un vocabulaire melioratif; la connotation est euphorique. Mais
si, au contraire, il adopte un vocabulaire pejoratif, c'est pour creer un
ton depreciatif ou dysphorique; la connotation est alors dysphorique.
Le ton peut etre realiste, fantastique, lyrique, epique, tragique, comique,
pathetique, satirique, ou ironique. Le ton lyrique, par exemple, s'exprime
a travers un locuteur qui parle a la premiere personne et le plus souvent
se signale par un vocabulaire affectif et familier, par des interjections et
des hyperboles (exagerations) et par la personnification de la nature. On
peut caracteriser le ton epique, par ailleurs, par un niveau de langue
eleve, par la longueur des vers, par des comparaisons soutenues et par
1'emploi dramatique des deictiques. Le ton satirique se distingue le plus
souvent par son emploi de mots ayant un sens pejoratif et par 1'emploi
de superlatifs et d'antitheses (oppositions de deux expressions) qui tendent
a rendre ridicule le destinataire ou 1'objet vise par la satire. I1 est tres
important de relever les indices du ton afin de bien interpreter le poeme.
Le poete quebecois Blanche Lamontagne-Beauregard adopte un ton
lyrique dans ce sonnet intitule «Voiles blanches»:
5. La Structure et 1'organisation
Les modes de construction du poeme varient d'une epoque a 1'autre.
Avant la periode romantique, une construction logique etait la norme.
Depuis la fin du XIXe siecle, d'autres principes entrent souvent en jeu. La
structure va varier aussi selon la forme du discours: s'agit-il d'un mono-
logue, d'un dialogue, d'une situation dramatique, d'une narration, d'une
description? La premiere demarche a suivre en determinant le principe
d'organisation est de trouver les differentes parties du poeme, tout en
pensant au theme principal. Commencez par les structures les plus
grandest 1'introduction, le developpement, la conclusion. I1 faut toujours
lier cette etude de la structure a la disposition du poeme en strophes et
en groupes de vers. Les strophes, sont-elles autonomes et forment-elles
des phrases completes? Notez les signes de ponctuation, s'il y en a, pour
trouver des indices de la structure.
Etudiez le deroulement du poeme: la succession des arguments,
des emotions, des faits, 1'evolution des sentiments, la structure associa-
tive (des champs lexicaux ou des figures de style, par exemple). Notez
1'ordrc dans lequel ces elements sont presentes: ordre chronologique,
ordre logique, ordre narratif, ou ordre dramatique. Le poeme, passe-t-il
d'une idee generale a une idee specifique? Relevez les transitions en-
tre les parties—sont-elles logiques, emotives, temporelles, spatiales? Ou
bien, si le poeme n'a pas d'ordre logique, est-il bati autour d'un symbole,
d'une allusion mythologique, d'une accumulation de metaphores? Nous
verrons dans les chapitres qui suivent que le poeme moderne se deroule
souvent moins logiquement que le poeme classique et se regie sur d'autres
principes d'organisation.
La structure, est-elle claire et ordonnee ou y a-t-il des ruptures qui
creent une structure desequilibree? Relevez les oppositions, c'est-a-dire,
les structures antithetiques. Relevez aussi les parallelismes, c'est-a-dire
le rapprochement de phrases ou de propositions possedant une structure
grammaticale semblable.
Quant a la conclusion, donne-t-elle 1'impression d'une fin satisfaisante,
de ce qu'on appelle la cloture? Ou bien, a-t-on 1'impression de revenir
aux idees ou aux sentiments du debut—ce qui donnerait un mouvement
circulaire au poeme?
Debut de 1'analyse 9
Exercices
Derniers vers
2. Voici les deux dernieres strophes d'un sonnet par Sylvain Garneau.
Identifiez le theme principal et le sentiment dominant en relevant les
significations denotees et les marqueurs de connotation.
4. Quelle est la situation discursive dans les vers qui suivent? Indiquez qui
parle, qui est le destinataire, et s'il y a des marqueurs indiquant le temps
ou le lieu.
7. Dans les vers suivants de Victor Hugo, est-ce que le ton est pathetique,
epique, ou satirique? Justifiez votre reponse en citant les elements du
texte sur lesquels vous vous appuyez.
Tant Pis
La Versification:
le metre
1. Le Vers et le metre
Un poeme est compose de vers [attention: ce ne sont pas «des lignes»].
Le vers traditionnel—avant le vers libre du XIXe siecle—est lie meme
dans son etymologie (versus, en latin) a la notion d'un retour, c'est-a-dire,
la disposition en lignes et le retour d'elements identiques, de mesures
regulieres et de rimes. La versification est done 1'acte de «faire des vers»
(facere + versus).
Comme la musique, le vers est mesure. L'unite de mesure dans la
poesie francaise est la syllabe. C'est pourquoi on doit eviter le terme
«pied» qui s'applique au vers latin ou au vers anglais.
Le metre est le nombre de syllabes prononcees dans un vers.
Comprendre la metrique syllabique, c'est done d'abord savoir compter
les syllabes. On peut rencontrer quatre types de syllabes: consonne-voyelle
(me, si); consonne-voyelle-consonne (coq, pour); voyelle (a, on); voyelle-
consonne (or, art). Chaque syllabe n'a qu'une voyelle prononcee. Chaque
syllabe commence, si possible, par une consonne. A I'interieur d'un vers
on fait la liaison—sauf a la cesure (une pause au milieu d'un vers); ainsi,
une consonne a la fin d'un mot se lie avec la voyelle du mot suivant pour
faire une syllabe (sauf dans le cas d'une liaison interdite, comme un h
aspire):
3. Dierese et synerese
La poesie francaise classique essayait d'eviter 1'hiatus, c'est a dire,
la rencontre de deux voyelles prononcees—«I1 alia a sa maison». Francois
Malherbe, au debut du XVIIe siecle, a proscrit 1'hiatus. Neanmoins, au
XIXe siecle, les poetes ont enleve ce tabou en decouvrant les effets
stylistiques de la dierese. Ce procede est base sur le fait que dans la
poesie certaines voyelles qui sont normalement prononcees en une syllabe
peuvent se prononcer en deux syllabes. La dierese est donc la separation
en deux syllabes de deux voyelles qui se suivent (Won, pi/ed). La synerese
est la prononciation de ces memes voyelles en une seule syllabe. Si dans
un poeme ou tous les autres vers sont de douze syllabes, vous en trouvez
un de onze syllabes, relisez le vers en cherchant un mot avec une
combinaison de voyelles telle que ui, ieu, oue, et plus souvent io ou ie.
La dierese s'emploie pour mettre en valeur certains mots et idees. Dans
le vers suivant le poete a choisi d'etendre 1'articulation du mot «expan-
sion» pour lui donner quatre syllabes au lieu de trois, renforcant ainsi le
sens du mot.
La
gondole spectre que hala
la mort sous les pots de pierre en ogive,
illuminant son bord brode
de-
rive.
(Les Minutes de sable memorial, 1894)
Parmi les differentes experiences qui ont ete tentees, on peut noter
aussi celle qui consiste a allonger le vers. Louis Aragon, par exemple,
compose des vers de dix-sept syllabes dans Le Fou d'Elsa (1963):
Pluie sur la ville qui s'ebroue, ses chevaux de pierre aux fontaines,
sabots, crinieres, beaux griffons, fument les rues mouilles, roulent les
quais rouilles,
Le poeme en prose est un genre qui pousse encore plus loin les
limites de la poesie et qui lance en effet un plus grand defi a la distinction
traditionnelle entre la prose et la poesie. Charles Baudelaire vise dans
ses Petits poemes en prose la creation «d'une prose poetique, musicale
sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurte pour s'adapter
aux mouvements de 1'ame, aux ondulations de la reverie, aux soubresauts
de la conscience". D'autres poetes ont suivi ce chemin, parmi lesquels:
Arthur Rimbaud, Francis Jammes, Pierre Reverdy, Rene Char, Henri
Michaux, Claude Esteban et France Theoret. C'est ainsi qu'au XXe siecle
les marqueurs de la specif icite poetique sont devenus beaucoup plus flous.
Le poeme en prose substitue a la rime et au metre des recherches
rythmiques et phoniques:
II faut etre toujours ivre. Tout est la: c'est 1'unique question. Pour
ne pas sentir 1'horrible fardeau du Temps qui brise vos epaules et
vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans treve.
Mais de quoi? De vin, de poesie ou de vertu, a votre guise. Mais
enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur 1'herbe verte
d'un fosse, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous
reveillez, 1'ivresse deja diminuee ou disparue, demandez au vent, a la
vague, a 1'etoile, a 1'oiseau, a 1'horloge, a tout ce qui fuit, a tout ce
qui gemit, a tout ce qui roule, a tout ce qui chante, a tout ce qui
parle, demandez quelle heure il est; et le vent, la vague, 1'etoile,
18 Rencontres avec la poesie
Le monde succombe
Aux mains des egorgeurs
En carcan de haine
Qui deciment les corps innocents
(Par-dela les mots, 1995)
Exercices
3. Indiquez si les syllabes en gras dans les vers suivants sont a lire avec
dierese ou synerese:
La Versification:
la rime
Deux mots riment quand au moins leur derniere voyelle sonore est
identique. La rime, etant un marqueur de la fin des vers, etablit un
parallelisme d'un vers a 1'autre. C'est ainsi qu'elle joue souvent un role
semantique, mettant en valeur les oppositions ou les equivalences entre
les mots qui riment. On doit prendre en compte la rime comme un procede
poetique qui joue un role considerable dans 1'organisation du poeme,
dans sa musicalite et dans la creation de ses rythmes.
Les vers suivants par Robert Desnos sont ecrits en rimes embrassees
(abba):
Dans bien des cas la rime est tout simplement supprimee. Voici un
poeme par le poete quebecois Suzanne Paradis:
Exercices
La Versification:
strophes et poemes
a forme fixe
1. La Strophe
Un groupement de vers dans un poeme s'appelle une strophe. Un
poeme classique est normalement construit de plusieurs strophes, chacune
composee d'une suite de vers egaux en nombre de syllabes. Une strophe de
deux vers s'appelle un distique. Une strophe de trois vers s'appelle un
tercet. Ensuite nous avons le quatrain (4 vers), le quintil (5 vers), le sizain
(6 vers), le septain (7 vers), le huitain (8 vers), le neuvain (9 vers), le
dizain (10 vers), le onzain (11 vers), et le douzain (12 vers). Ces strophes
sont repetees a travers un poeme et elles contiennent d'habitude les memes
rimes et les memes metres. Et pourtant, des le XVIIe siecle quelques poetes,
et notamment Jean de La Fontaine, ont construit des poemes ayant des
strophes de longueurs inegales. C'est encore La Fontaine qui a mis a la
mode au milieu du XVIIe siecle des strophes ecrites en vers meles ou
heterometriques; ces strophes combinent des vers de plusieurs metres
dans la meme strophe. Voici un exemple du XIXe siecle:
Exercices
1. Identifiez les genres de poeme a forme fixe representes par les exemples
suivants:
c) D'un avocat
Ci-git qui ne cessa d'etourdir les humains
Et qui, dans le barreau, n'eut relache ni pause:
Le meilleur droit du monde eut peri dans ses mains.
Aussi, contre la mort, perdit-il pas sa cause?
(Isaac de Benserade, Oeuures 1697)
38 Rencontres avec la poesie
Le Lexique, la syntaxe
et les precedes
grammaticaux
1. Le Vocabulaire
Considerations lexicales
Le lexique de la langue poetique etait restreint dans la poesie classique.
Depuis les Romantiques, le vocabulaire des poetes s'est effectivement ouvert
pour comprendre aussi des mots de la vie quotidienne. La poesie semble
pourtant favoriser des mots qui paraissent etranges en eux-memes ou tout
simplement par leur contexte. C'est pourquoi il faut preter attention aux
neologismes, aux archaismes, aux mots etrangers et aux mots techniques.
Le vocabulaire est-il familier, noble, exotique? Y a-t-il des mots pejoratifs
ou des mots melioratifs? Y a-t-il des neologismes? des archaismes? des mots
techniques? des mots empruntes a des langues etrangeres? Notez aussi
1'emploi des suffixes (des diminutifs, par exemple) et des prefixes (revoir).
Voici quelques vers par Aime Cesaire, poete francophone de la
Martinique:
Considerations semantiqucs
Afin de cerner le theme principal du poeme, il faudra relever les mots
qui appartiennent a certains champs lexicaux. On appelle champ lexical
40 Rencontres avec la poesie
Y a-t-il des mots ou des expressions relies a des sensations tactiles (le
toucher), visuelles (la vue), auditives (1'ou'ie), olfactives (1'odorat), gustatives
(le gout)? La presence ou 1'absence de ces elements fournira des indices sur
le degre de concretisation ou d'abstraction. Voici, par exemple, la premiere
strophe d'un poeme intitule «Harmonie pour un soir grec» par le poete
quebecois Paul Morin. C'est un paysage voluptueux qu'il evoque
concretement par des allusions aux sensations visuelles («pourpre», «blanc»,
«violettes»), olf actives («parfume de laurier, de miel, de violettes») et tactiles
(«la fratcheur»):
Quelles categories de mots predominent: les verbes, les noms (style nomi-
nal), les adjectifs, les adverbes? Dans le cas des verbes quels sont les temps
et les modes employes? Quant a 1'adjectif, est-il place avant ou apres le
nom? Les adverbes et les prepositions indiquent des relations spatiales (ici,
la-bas, sous) et des relations temporelles (hier, demain, avant, apres). Notez
1'emploi du singulier ou du pluriel des noms. Le genre des noms est-il
significatif? Relevez les determinants (articles definis, articles indefinis, adjectifs
possessifs, adjectifs demonstratifs).
Les groupements binaires presentent des oppositions ou des
parallelismes plus ou moins symetriques de deux elements (adjectifs, verbes,
noms, etc). Ainsi, Victor Hugo emploie 1'antithese pour renforcer sa pensee:
ainsi dans ces vers de Jean de La Fontaine ou le poete parle aux amants
pour leur dire qu'ils n'ont pas besoin de voyager pour trouver le bonheur:
Exercices
1. Quelle est la fonction des noms propres dans ces vers de Blaise Cendrars
tires d'un poeme intitule «La Prose du Transsiberien»:
Le toit de 1'allegresse
Est tisse de safran
Le toit de la tristesse
44 Rencontres avec la poesie
5. Dans son poeme elegiaque, «La Jeune Tarentine», Andre Chenier utilise
quelques inversions syntaxiques. Relevez ces inversions et commentez sur
1'effet stylistique:
a) Ni
Le marin, ni
Le poisson qu'un autre poisson a manger
Entraine, mais la chose meme et tout le tonneau et la veine
vive,
Et 1'eau meme, et 1'element meme, je joue, je resplendis! Je
partage la liberte de la mer omnipresente!
(Paul Claudel, Cinq grandes odes, 1910)
Tropes et figures
1. Les Tropes
Les figures operant un changement dans le sens des mots sont done
des tropes. Les trois tropes essentiels sont: la metaphore, la metonymie
et la synecdoque. La comparaison est une figure liee a la metaphore,
mais ce n'est pas strictement un trope parce qu'elle n'opere aucun
detournement de sens.
Afin de mieux cerner le fonctionnement de ces tropes, il faut tout
d'abord comprendre la distinction entre le compare, ou theme, et le
comparant, parfois appele le phore. Dans 1'expression «cet homme est
courageux comme un lion», c'est «cet homme» qui est le compare; le
48 Rencontres avec la poesie
La Comparaison
Cette figure consiste «a envisager ensemble (deux ou plusieurs objets
de pensee) pour en chercher les differences ou les ressemblances» (Le
Nouveau Petit Robert). Une comparaison est consideree comme une
figure quand le compare et le comparant n'appartiennent pas au meme
champ semantique. La comparaison de deux chiens, «Un chien comme le
chien de mon ami», n'est pas une figure de rhetorique. Dans la
comparaison les deux objets (le compare et le comparant) doivent
appartenir a deux champs semantiques differents et restent done distincts
et independents. La presence d'un outil de comparaison est obligatoire
dans la comparaison.
LA COMPARAISON
Compare: terre
Comparant: orange
Point de comparaison: ronde
Outil de comparaison: comme
La Metaphore
Figure ancienne, louee par Aristote comme marque du genie, la
metaphore est tres importante dans la litterature moderne. Comme
la comparaison, elle est basee sur la perception d'une analogie entre le
compare et le comparant, tous deux appartenant a des champs
Tropes et figures 49
LA METAPHORE IN PRAESENTIA
Compare: pensees
Comparant: chauve-sourient
Points de comparaison (implicites): sinistres, noires
50 Rencontres avec la poesie
LA METAPHORE IN ABSENTIA
La Metonymie
La metonymie est fondee sur une contiguite, ou une association spatiale
ou temporelle, entre un terme employe et son referent ou, pour utiliser un
vocabulaire plus technique, entre le signifiant et le signifie. On utilise,
par exemple, le contenant (signifiant) pour designer le contenu (signifie):
«boire un verre»; 1'instrument (signifiant) pour la personne (signifie): «la plume
est plus puissante que l'epee»; le lieu (signifiant) pour ceux qui y vivent
(signifie): "Montreal est jalouse de Paris»; 1'effet (signifiant) pour la cause
(signifie): «boire la mort». Dans tous ces exemples on observe une associa-
tion entre le terme employe et son referent—un rapport de contiguite spatiale
dans les trois premiers et d'association temporelle dans le dernier ou «la
mort» (1'effet) signifie le poison (la cause).
Tropes et figures 51
LA METONYMIE
Signific: 1'ecrivain
Signifiant: la plume
Rapport: contiguite / association (instrument)
La Synecdoque
La synecdoque est fondee sur un rapport d'inclusion. «C'est une
metonymie specialisee qui consists a donner a un mot un sens plus large
ou plus restreint que son sens habituel» (Lexique des figures de style).
Ce n'est pas seulement un rapport de contiguite (la metonymie), mais
aussi un rapport d'inclusion. On emploie, par exemple, la partie pour
designer le tout: «/es voiles [les bateaux] sur la mer»; le genre pour 1'espece:
«notre pain [la nourriture] quotidien», la matiere pour 1'objet: «il est mort
par le fer [l'epee]», le singulier pour le pluriel: «se mefier du loup». Notez
bien que la metonymie et la synecdoque ne sont pas synonymes. Toutes
les synecdoques sont des metonymies; toutes les metonymies ne sont pas
des synecdoques. Pour distinguer la synecdoque, la question a se poser
est: est-ce qu'un de ces deux elements fait partie de 1'autre?
LA SYNECDOQUE
Signifie: bateaux
Signifiant: voiles
Rapport: inclusion (la partie pour le tout)
Exercices
1. Identifiez dans les vers suivants deux comparaisons, une alliance de
mots, une antithese, deux metaphores, une synecdoque, une hyperbole,
un zeugme, une periphrase, une synesthesie.
j) J'ecoute le gris
A parfum de diese
Je touche une odeur de vanille
(Cecile Cloutier)
56 Rencontres avec la poesie
2. Trouvez les tropes dans les vers suivants; ensuite, identifiez et notez
quels sont les signifies ou compares, les signifiants ou comparants, les
points de comparaison, les outils de comparaison et le type de rapport
sur lequel est fonde le trope.
c) Ses agneaux
Bondissent, et chacun, au soleil s'empourprant,
Laisse aux buissons, a qui la bise le reprend,
Un peu de sa toison, comme un flocon d'ecume.
(Victor Hugo, Les Contemplations, 1856)
3. Voici quelques metaphores. Vous allez distinguez celles qui sont des
metaphores in praesentia de celles qui sont des metaphores in absentia:
b) Dans ces vers d'un poeme intitule «La Guerre», Jacques Prevert
semble a premiere vue lamenter la destruction de la foret:
Vous deboisez
imbeciles
vous deboisez
Tous les jeunes arbres avec la vieille hache
vous les enlevez . . .
(Paroles, 1946)
Tropes et figures 57
4. Dans les vers de Paul Eluard qui suivent vous allez trouver au moins
huit differents types de tropes ou de figures de rhetorique:
1. L'Assonance
L'assonance au sens strict du terme est la repetition de la meme
voyelle dans la derniere syllabe des mots:
A la fin des vers, cette repetition des voyelles constitue une rime. La
rime interieure (parfois appelee 1'homeoteleute) s'ajoute parfois a la
rime finale:
Ni vu ni connu
Le temps d'un sein nu. (Paul Valery)
2. L'Alliteration
Les consonnes aussi se repetent par des jeux de parallelisme et de
symetrie.
L'alliteration au sens strict du terme est la repetition d'une consonne
en tete de mots:
3. Jeux phoniques
L'harmonic suggestive
Quand une voyelle ou une consonne est repetee et renforce le sens
d'un texte, il s'agit d'harmonie suggestive. Paul Verlaine semble motiver
1'alliteration en [/] afin de rendre plus sensible I'atmosphere calme et
pure d'un paysage nocturne:
5. Le Volume du mot
Parfois meme la longueur d'un mot est expressive:
nu
1'essentiel est de sentir nu
de penser nu
(Moi, laminaire, 1982)
Les Effets sonores et la musicalite 63
Exercices
5. Par quels jeux phoniques 1'unite sonore des passages suivants est-elle
assuree?
Le Rythme
Parmi les elements qui composent le poeme, le rythme est une partie
essentielle, jouant un role dans la structuration proprement poetique du
texte. II faut comprendre tout d'abord le systeme classique sur lequel est
base non seulement la poesie traditionnelle, mais meme, a un certain
degre, la poesie contemporaine. Le rythme de la poesie traditionnelle
est base sur 1'accentuation et les coupes syllabiques. Dans la poesie
francaise on trouve plusieurs types d'accentuation.
Voici une strophe d'un poeme par Pierre Emmanuel ou chaque vers a
trois accents. La coupe tombe apres la quatrieme syllabe; 1'accent de
relais est done a une place fixe sur la quatrieme syllabe a travers ce
poeme:
Dans les octosyllabes et dans les vers de six syllabes les accents sont
tous mobiles. On remarque pourtant une tendance a avoir toujours le
meme nombre d'accents dans chaque vers d'un poeme. Voici un principe
a suivre dans la determination des accents mobiles: les accents doivent
coincider avec les accents toniques et syntaxiques de la langue. Il est
pourtant vrai que chez les poetes moins traditionnels meme ce principe
n'opere plus!
Pour analyser le rythme metrique d'un vers, il faut le diviser en syllabes
et noter les accents fixes et les accents mobiles. Ensuite, en comptant le
nombre de syllabes dans chaque mesure, on arrive a trouver le schema
du vers. Prenons 1'exemple du vers de Paul Valery deja cite:
2 + 4 // 4 + 2
3. Effets de discordance
A la fin d'un vers (parfois aussi a la cesure) si le sens n'est pas complet
et si la fin du vers separe deux mots tres lies par le sens et par la
grammaire, il y a un enjambcment. Cette discordance entre la syntaxe
et le metre est souvent marquee par 1'absence de ponctuation a la fin du
vers:
Pareil a la
Feuille morte.
L'accent metrique a la fin des vers et 1'alinea separent les mots et les
groupes de mots mettant en relief certaines notions de temps («plus de
semaine») et d'espace («et qui tourne roule roule»). Ces vers sans
ponctuation miment le sujet evoque («cette longue journee»), car le temps
Le Rythme 73
qui s'ecoule sans etre marque par des pauses ressemblent a ces vers qui
debordent et enjambent sur les espaces du poeme.
Dans ces vers de Max Jacob, les rirnes interieures («derniere» / «hiver» /
«decouvert» / «vert») aussi bien que la repetition de la nasale («en» / «vent»
/ «en» / «printemps» / «vent») donnent une configuration ryhmique au
poeme.
Certains poemes epousent un rythme d'images fonde sur une suite
ou une accumulation de metaphores, de comparaisons, ou de notations
descriptives, disposee de fagon a creer sa propre dynamique et a generer
ainsi son propre sens.
Exerciccs
1. Dans les vers suivants decoupez les syllabes. Notez le nombre de syllabes
dans chaque vers. Identifiez le metre. Indiquez le rythme des accents
metriques.
Exemple: «Com/me on/ voit/ sur/ la/ hran//che au/ mois/ de/
mai/ la/_rose» —12 syllabes. C'est un alexandrin. Le rythme: 3 + 3 /
/ 4 +2
2. Indiquez pour les vers suivants s'il s'agit d'un simple enjambement,
d'un rejet, ou d'un contre-rejet:
4. Dans cet extrait du poeme intitule «La Marche» etudiez comment France
Theoret organise les rythmes d'un long verset:
Applications
Chaque poeme est unique. C'est pourquoi il n' y a pas de recettes toutes
faites pour I'etude du texte poetique. On ne peut ni lire ni etudier
exactement de la meme fagon un sonnet de Baudelaire, charge de tropes
et d'images, un poeme satirique de Mathurin Regnier, et un poeme
moderne d'Anne Hebert. De plus, chaque lectrice et chaque lecteur a sa
propre perspective. Et pourtant, certaines approches stylistiques se
pratiquent et sont conseillees aux etudiant(e)s qui veulent apprendre a
mieux lire et a mieux exprimer leurs experiences comme lecteurs ou
lectrices de la poesie. Les methodes proposees dans les pages qui suivent
ne sont pas prescriptives, c'est-a-dire qu'elles sont envisagees plutot
comme tremplins pour lancer l'etudiant(e) a la recherche de sa propre
methode.
L'explication de texte, exercice dans lequel on etudie un poeme
en faisant un commentaire vers par vers et strophe par strophe, peut
etre utile comme etape preliminaire. Quand elle est bien faite,
I'explication de texte est une pratique enrichissante. Neanmoins, il est
parfois difficile d'eviter le piege de la paraphrase et de fournir une vue
globale du poeme. On a souvent tendance a mettre dans ses propres
mots chaque vers sans vraiment entrer dans I'analyse proprement dite.
C'est pourquoi I'explication de texte ne figure pas parmi les methodes
preconisees ici comme methode d'approche a I'etude du poeme.
Nous aliens plutot, dans les pages suivantes, recommander deux
methodes, Tune analytique et I'autre synthetique. La premiere methode,
I'analyse du poeme, consiste en I'etude de chaque aspect du texte I'un
apres I'autre (suivant en gros les rubriques indiquees dans les pages
precedentes). La deuxieme, le commentaire du poeme, offre une
approche plus globale, plus synthetique; c'est une methode par laquelle
on organise I'etude du poeme autour de deux ou trois grands axes
d'interpretation.
78 Rencontres avec la poesie
1. La Structure et 1'organisation
2. Le Lexique et les aspects grammaticaux
3. Les Tropes et les figures de rhetorique
4. Les Effets sonores
5. Le Rythme
6. La Conclusion: un paragraphe qui fait la synthese des aspects les
plus importants et qui analyse la portee du texte.
On verra dans les exemples qui suivent que l'etudiant(e) peut diviser
explicitement son analyse a partir de ces rubriques ou eventuellemet
adopter un style un peu plus libre (comme dans 1'analyse du poeme par
Jacques Prevert, «Le Jardin»).
EXEMPLES
Tcxtc 1
Ode a Cassandre
Analyse
Voici une petite ode horatienne composee par le poete francais Pierre
de Ronsard, le plus illustre membre de La Pleiade. Ronsard avait vu une
jeune fille qui s'appelait Cassandre a un bal a Blois en avril 1545. On ne
sait pas si le poete est vraiment tombe amoureux d'elle. En tout cas,
dans ses deux premiers recueils de poesies amoureuses (Les Amours
1552-1553), c'est a «Cassandre»—prenom evoquant une legende
grecque—que s'adresse le poete. «L'Ode a Cassandre» est tiree de 1'edition
de 1553. En analysant de pres la versification, le style et les divers
precedes poetiques utilises par Ronsard, nous comprendrons mieux
pourquoi elle est reconnue dans la litterature francaise comme un petit
chef-d'oeuvre.
Le theme principal est 1'amour et I'empressement de 1'amant qui
veut convaincre la femme de partager son amour. Un ton lyrique rempli
Applications 81
1. La Structure et 1'organisation
Les trois strophes obeissent a deux principes d'organisation : la logique
d'un argument persuasif et la progression temporelle et spatiale de la
promenade. Neanmoins, c'est la comparaison entre la jeune femme et la
rose qui motive le deroulement de 1'argument et de la promenade et qui
constitue ainsi 1'element qui au plan figuratif unifie la trame du poeme.
La premiere strophe est une invitation; la deuxieme est une constatation
que la la rose a perdu sa beaute; la troisieme est une imprecation:
«Cueillez, cueillez votre jeunesse». Les deux premieres strophes presentent
un petit drame. L'action se passe dans un jardin le soir. Les deux amants
ne savent pas au debut du poeme (w. 1-6) si la rose a perdu sa beaute;
ils arrivent devant la fleur dans la deuxieme strophe et c'est alors qu'arrive
le denouement: «elle a dessus la place, / Las, las! ses beautes laisse
cheoir»).
82 Rencontres avec la poesie
5. Le Rythme
Les cadences des octosyllabes sont mesurees en groupes rythmiques;
la plupart des vers ont deux accents metriques. Pourtant, il y en a quatre
qui possedent trois accents. C'est le cas des vers qui commencent chaque
strophe, ce qui est en effet une position forte. Notons, par exemple, le
premier vers: «Mignonne, aliens voir si la rose» (2 + 3 + 3) ou les mesures
de trois syllabes declenchent, pour ainsi dire, le mouvement du poeme;
le mouvement continue par des enjambements et ne trouve pas de pause
syntaxique avant la virgule du quatrieme vers. Les deux vers ayant trois
accents metriques dans la deuxieme strophe sont perturbes dans leur
rythme par la force des emotions; tous deux commencent par 1'exclamation
«Las». Le premier vers de la derniere strophe est fortement marque
semantiquement par la conjonction logique qui 1'introduit: «Donc, si vous
me croyez, mignonne» (1 + 5 + 2). Les accents d'intensite sont plus
subjectifs, mais on serait tente d'ajouter aux accents metriques («fleur»,
«dure») du vers 11 un leger accent secondaire sur «telle», et d'en faire
autant au debut du vers 17 ou «Comme», reprenant 1'alliteration de la
consonne occlusive [k] du vers precedent ( «Cueillez, cueillez»), souligne la
notion de similitude entre la femme et la rose. La premiere strophe a
beaucoup de fluidite dans son mouvement, n'etant interrompue
84 Rencontres avec la poesie
syntaxiquement par la ponctuation que quatre fois. Par centre, les quatre
premiers vers de la strophe suivante, refletant la grande deception devant
le spectacle de la rose fletrie, sont sept fois interrompus par la
ponctuation. L'empressement du locuteur se traduit aussi dans les derniers
vers par des coupes plus fortement marquees: «Cueillez, cueillez votre
jeunesse».
Pendant la Renaissance les poetes francais ont subi 1'influence des auteurs
grecs et latins. Cette ode horatienne, «L'Ode a Cassandre», est 1'expression
d'une philosophie epicurienne, c'est-a-dire d'une morale fondee sur le
plaisir. Ronsard met en oeuvre les ressources stylistiques de la langue et
de la versification pour creer un poeme dans lequel la rose devient le
symbole de la nature ephemere de la beaute et des plaisirs humains.
—Sophie Bernard (etudiante de troisieme annee, premier cycle)
Applications 85
Texte 2
La Pipe
Commentaire
Poete baroque de la premiere moitie du dix-septieme siecle, Saint-
Amant en incorpore les paradoxes. C'est une grande periode d'invention
et d'aventure, mais aussi de guerre et d'affrontement de croyances, une
epoque de stabilite croissante pour certains et de detresse pour d'autres.
Saint-Amant, actif et contemplatif, interroge les idees regues sur la vie,
la mort, 1'amour et 1'espoir dans une poesie qui se questionne elle-meme.
Le sonnet que nous etudions, «La Pipe», publie dans ses Oeuures de 1629,
illustre cette mise en doute des donnees de la vie. C'est un sonnet de
forme reguliere ecrit a la premiere personne, ce qui cree un effet de
rapprochement entre le poete et le lecteur. Le je qui parle represente la
voix personnelle du poete qui devoile son etat interieur—ses pensees et
ses sentiments a un destinataire qui reste anonyme. Le lecteur est done
invite a assister au processus d'introspection du narrateur.
La metaphore centrale du poeme est celle de la fumee de la pipe, a
laquelle le je poetique compare 1'esperance. Est-ce une perplexite a
propos de la vie, ou uniquement une interrogation sur les vains espoirs
86 Rencontres avec la poesie
Nous sommes done passes d'une lamentation sur les hauts (faux) et
les bas de la melancolie, a un bilan poetique sur la vie et sur la creativite
humaine. En participant aux mouvements de 1'espoir, le sujet se perd
dans 1'ephemere. Mais en se regardant et en depeignant ses doutes, il
peut vaincre la piperie des espoirs faux. II capte le moment et le rend
immortel par la creation poetique.
Jacqueline Millner
(etudiante de 4eme annee, premier cycle)
Applications 89
Tcxtc 3
Le Pot de fleurs
Analyse
Theophile Gautier, poete du dix-neuvieme siecle, a subi 1'influence
du mouvement romantique et ensuite s'est devoue a un culte de 1'art
pour 1'art. Dans le poeme «Le Pot de fleurs» qui a paru dans les Poesies
diverses de 1838, le locuteur parle de 1'amour qui fait souffrir. Get objet,
le pot de fleurs, devient le symbole de son experience personnelle avec
1'amour. La structure, le lexique, les tropes et les figures de rhetorique,
ainsi que les effets sonores et le rythme du poeme, mettent en evidence
le theme de la rencontre malheureuse avec 1'amour et un sentiment amer
de desenchantement.
II s'agit d'un poeme compose de quatre quatrains en alexandrins.
Chaque strophe est construite avec des rimes croisees et une alternance
de rimes feminines et masculines. La plupart des rimes sont riches; les
autres sont suffisantes.
La situation discursive dans ces vers semble d'abord presenter la voix
d'un locuteur impersonnel qui raconte une histoire; c'est dans le dernier
90 Rencontres avec la poesie
quatrain que paratt enfin la voix personnelle avec le pronom «je» (v. 14).
La comparaison entre I'evenement raconte dans les trois premiers qua-
trains devient alors explicite: «Ainsi germa 1'amour dans mon ame sur-
prise" (v. 13).
1. La Structure et 1'organisation
Gautier construit son poeme d'une fagon logique. Les trois premieres
strophes presentent le comparant (!'experience du garcon) et la derniere
evoque explicitement le compare (1'experience du locuteur). Les pre-
miers quatrains suivent un developpement dramatique. Dans 1'introduction
(w.1-4), 1'enfant trouve une graine et il la plante. Dans la partie centrale,
le personnage principal est la plante dont la racine brise le pot de fleurs.
Le denouement presente le retour de 1'enfant, sa reaction de surprise, et
son experience douloureuse: «ses doigt s'ensanglantent» (v. 12). Avec la
quatrieme strophe le locuteur passe logiquement a appliquer le petit
drame du garcon a son experience personnelle. Le poeme est done bati
autour d'une comparaison frappante.
un pot de fleurs. Presque chaque mot trouve son echo dans les vers
precedents («germer»-«graine; «surprise»-«surpris»; «semer»-«planter»; «fleur»-
«fleurit»; «grand»-«grasse»; «racine»-«pied chevelu»; «brise»-«eclater»).
L'adjectif «eclatants» reprend le verbe «eclater» du vers 8, mais cette fois
ce sont les dessins de I'amant qui sont «eclatants». On voit ainsi que le
poeme est bien unifie par son vocabulaire.
Les indications temporelles sont tres importantes ici. Le premier mot,
«parfois», est un adverbe qui annonce que 1'histoire qui sera racontee
n'est pas un evenement singulier. Ce mot donne des le debut 1'idee que
le lecteur doit comprendre le petit drame de 1'enfant sur un plan
atemporel. Les verbes sont d'ailleurs tous au present dans les trois pre-
miers quatrains, ce qui renforce 1'aspect d'un temps irreel. La derniere
strophe est une rupture abrupte. Les verbes sont tout d'un coup au passe
pour traduire la deception de I'amant. L'amour n'existe plus; le poete
emploie le passe defini: «germa» (v. 13).
5. Le Rythme
Le rythme des alexandrins est assez regulier avec quatre accents
metriques dans chaque vers. Pourtant les cesures sont parfois affaiblies
par des pauses syntaxiques. Dans le vers 5, par exemple, apres la
troisieme syllabe, il y a un point qui termine la courte phrase «I1 s'en va».
Au vers 9 un point virgule interrompt le rythme normal apres la quatrieme
syllabe: «L'enfant revient». Dans les deux cas ce qui est souligne est un
acte important de 1'enfant. Un autre effet de rythme remarquable est la
mesure a la fin du vers 7 («plonge») ne contenant qu'une seule syllabe, ce
qui rend dramatique le sens de ce mot. Quelques enjambements (w. 3-4;
7-8; 9-10; 15-16) renforcent la fluidite sonore des vers.
* * *
Tcxte 4
Harmonic du soir
Commentaire
«Harmonie du soir» de Charles Baudelaire fait partie de son recueil
de poemes, Les Fleurs du ma/, publie en 1857. C'est un poeme dans
lequel le poete recree un moment du soir plein de tristesse et de beaute.
Ainsi, dans ces quatre strophes Baudelaire associe sa propre souffranee
a une evocation mystique du soir. Apres avoir determine le genre du
poeme, la situation discursive et les principes qui 1'organisent, nous
examinerons la musicalite du poeme et ensuite son atmosphere nostalgique
et mystique.
Ce poeme est un pantoum, genre de poeme ou les vers 2 et 4
deviennent les vers 1 et 3 du quatrain suivant; la rime est embrassee
(abba). Cette repetition de vers identiques structure la progression du
poeme, et, par la reprise de formules quasi magiques, produit un effet
incantatoire. Les quatre strophes sont composees d'alexandrins. Baudelaire
suit la tradition classique en pratiquant 1'alternance des rimes masculines
et feminines. Les rimes en -oir [waR] sont riches; les rimes en -ige [iz] sont
suffisantes—sauf dans la premiere strophe ou la rime «tige» / «vertige»
est riche.
94 Rencontres avec la poesie
La Musicalite du poeme
L'aspect le plus important de ce genre de poeme, le pantoum, est la
reprise de certains mots. Cette forme incantatoire a un effet hypnotique
qui fait appel dans ce poeme au rituel d'une nature occulte et magique.
La repetition des vers unifie le poeme et etablit un rythme ensorcelant
qui souligne ainsi la fascination obsessionnelle du souvenir qui hante le
poete.
Les alexandrins sont reguliers ayant une cesure apres la sixieme
syllabe. La coupe reguliere etablit un rythme d'incantation, mettant en
valeur les mots—surtout des verbes—places juste avant (e.g. «s'evapore»—
v. 2) ou apres («tournent»—v. 3) la cesure. Le rythme du premier vers (4
+ 2 // 3 + 3) fait ressortir la mesure de 2 syllabes au milieu du vers
soulignant ainsi des le premier vers le motif du «temps». Dans le quatrieme
vers le rythme du premier hemistiche (1 + 5 // 4 + 2) met en valeur le
mot «valse».
Applications 95
Texte 5
Le Jardin
Analyse
Jacques Prevert, poete humoristique et sentimental, a subi l'influence
des surrealistes et en a retenu une vive appreciation pour le quotidien,
les choses et les etres qui 1'entouraient. C'est ainsi qu'il celebre dans ce
poeme un plaisir tout simple en 1'agrandissant par le charme de sa poesie.
«Le Jardin» figure dans son recueil de poemes intitule Paroles (1946). Le
titre du poeme evoque soit la tradition du jardin biblique ou ont lieu des
evenements eternellement significatifs, soit la tradition du jardin de la
poesie pastorale (le locus amoenus) ou regne la beaute d'un cadre naturel
et ou peut s'exprimer un amour simple et sincere. Jacques Prevert reussit
ici a meler ces deux traditions pour creer un jardin original et moderne.
Dans ce poeme de onze vers, le locuteur / poete s'adresse a une
certaine femme («tu» dans le vers 5) d'un evenement pour lui (pour eux?)
tres special, le moment ou elle et lui se sont embrasses un matin d'hiver
dans le parc Montsouris a Paris. Quant a la forme du poeme, on doit
noter d'abord que les onze vers sont centres sur la page, ce qui suggere
tout de suite la centralite de ce baiser parmi ses souvenirs et dans sa vie.
Sans ponctuation, avec des vers qui varient en longueur (de deux syllabes
jusqu'a onze syllabes), le poeme n'est en realite qu'une seule longue
phrase. Les idees et les images du poeme coulent aussi librement que ses
vers libres, sans meme la cloture offerte d'ordinaire par un point final a
la fin du dernier vers. Le souvenir de ce moment ne va s'arreter ni la ni
ailleurs.
Les quatre premiers vers forment la proposition principale de la
phrase, suivie des sept autres vers dans la forme grammaticale de deux
100 Rencontres avec la poesie
Tcxtes
104 Rencontres avec la poesie
A des cimetieres
Le Mendiant
La Musique
Automne malade
Pauvre automne
5 Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits murs
Au fond du ciel
Des eperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
10 Qui n'ont jamais aime
L'Abeille
Saison apre
Cercle apres cercle
quand les deserts nous auront un a un tendu tous leurs
miroirs
vainement les nuits ayant sur la tiedeur des terres etire
5 leur cou de chameau fatigue
les jours repartiront sans fantome a la poursuite de purs
lacs non ephemeres
et les nuits au sortir les croiseront titubants
d'un reve long absurde de graminees
La Route
Le Tamis du temps
Entremeles d'enfants
Hommes et femmes tombaient
Tombaient comme on respire
A travers le tamis du temps
5 Bientot apparus
Bientot disparus
Ils deroulaient leur vie
Sur les treteaux du monde
Puis roulaient vers le vide
10 En milliards de facons
Reponses
aux exercices
Chapitre I
8. Le theme principal du poeme est le suivant: tant pis pour ceux qui
n'aiment pas les chiens. Ce poeme qui semble d'abord assez
desorganise parce qu'il n'a pas de ponctuation est pourtant organise
selon un ordre logique. L'argument est appuye par de nombreuses
repetitions de mots et de groupes de mots. Les dix premiers vers
presentent le probleme et le sentiment du locuteur. C'est un homme
qui meprise ceux qui n'aiment pas les chiens et qui le montrent en ne
les laissant pas entrer dans la maison.
La deuxieme partie du poeme (vv. 10-14) commence a presenter
1'argument contre ces gens qui ne veulent pas faire entrer les chiens
couverts de boue. Le locuteur declare, suivant son propre logique,
que ces personnes ont tort parce qu'on peut laver les chiens et l'eau,
mais on ne peut pas laver ceux qui n'aiment pas les chiens. Ici on
commence a voir qu'il faut comprendre 1'erreur de ceux qui n'aiment
pas les chiens comme une sorte de boue sur leur ame, une faute ou
une tache qu'on ne peut pas rendre propre. On ne peut pas les
pardonner. «Tant pis»—c'est le titre du poeme.
Reponses aux exercices 119
Chapitre II
1. a) Que ces vains ornements, que ces voiles me pes(ent)!
Quell(e) importune main, en formant tous ces noeuds,
A pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux?
Tout m'afflig(e) et me nuit, et conspir(e) a me nuir(e).
—Alexandrins
Chapitre III
1. a) i) sang / puissant (M) ii) algue / vague (F)
iii) corps / dort (M) iv) deplaire / legere (F)
v) danger / loger (M) vi) grippee / coupee (F)
Reponses aux exercices 121
4. La disposition des rimes est tres libre. Deux rimes (a, b) sont suivies de
rimes croisees (cdcd). Les quatre derniers vers (baca) riment avec les
rimes des vers 1 et 2 en ajoutant une rime utilisee dans les vers 3 et 5.
Chapitre IV
1. a) un pantoum b) un rondeau c) une epitaphe
Chapitre V
1. Les noms propres font rever aux longues distances parcourues par le
locuteur. L'allusion a la Patagonie, repetee trois fois dans un tres long
vers, evoque un exotisme et une aspiration vers un inconnu qui ne
sera jamais atteint.
122 Rencontres avec la poesie
4. Les mots «tatran» et «toutance» sont des neologismes. Leur creation est
en partie un jeu qui apporte une note de fantaisie au poeme. On
pourrait aussi chercher un sens derriere ces inventions; ce serait peut-
etre l'impossibilite d'exprimer par les mots des emotions comme
l'allegresse et la tristesse.
6. a) C'est la mer qui est le champ lexical. Les mots associes a la mer
sont: «le marin», «le poisson», «l'eau», «la mer».
b) Les deux champs lexicaux sont le pay sage et l'affection pour cette
terre. Les mots associes a cette affection pour le pays natal sont:
«paternels», «natale», et «j'aime». Les mots associes au paysage sont:
«charmilles», «paturage», «eaux», «chevre», «roseaux», et «terre».
Chapitre VI
1. a) une metaphore («temple») b) une periphrase («jus de la treille») c) un
zeugme d) une hyperbole («mille») e) une synecdoque («une tete») f) une
Reponses aux exercices 123
4. La gradation: «Je vous le dis vous le crie vous le chante» (v. 1).
La repetition: «mille» (vv. 5, 6, 9, 10)
La metonymie: «la neige mortelle» (v. 2)
La metaphore: «les fruits pour miroir» (v. 4)
L' hyperbole: «J'ai mille amis»; «J'ai mille amours» (vv. 5 et 6)
La synecdoque: «le coeur» (v. 6)
L'anaphore: «Un rire» (vv. 2-3); «J'ai mille» (vv. 5-6); «Mille» (vv. 9-10)
L'antithese: «mourir» / «vivre» (vv. 11-12)
L'assonance: [u] —«vous», «vous», «court», «sous» (vv. 1-2)
L'hypallage: «un sang rebelle» (v. 13)
Chapitre VII
1. Deux phonemes: [u] et [ o ] .
3. a) Les mots «pas» et «foule» sont repris dans le deuxieme vers par «font
nos pas sur le pave», un groupe de mots ou se repetent les consonnes
[p] et [f] et le mot «pas». Cette repetition renforce l'idee exprimee
dans les vers ou on parle d'un effet d'echo.
b) Dans ces vers il y a des alliterations, surtout des consonnes [l] et [m\.
Des assonances sont a noter aussi, surtout les [y] du premier vers et
les rime interieures—dans le deuxieme vers («Miroir» / «gloires»/
«emoi») et dans le troisieme vers («dort» / «mort»). Les deux derniers
vers sont remplis d'assonances en [ ]. C'est un tour de force musi-
cal qui evoque un paysage tranquille et harmonieux; l'harmonie
remarquable des phonemes contribue a cette evocation.
c) La repetition de la voyelle nasale [a] sept fois dans ces vers mime le
mouvement de l'animal qui bondit a travers champs.
Chapitre VIII
1. a) C'est/ l'heu/re ex/qui/se et/ ma/ti/nalc
Que/ rou/gi/t un/ so/lcil/ sou/dain
A/ tra/vers/ la/ bru/me au/tom/nale
Tom/bent/ les/ feui/lles/ du/ jar/din
Des octosyllabes (8 syllabes). Le rythme: 2 + 2 + 4 ; 3 + 3 + 2 ; 3 + 2 + 3;
1 + 3 + 4.
c) Ce/s a/to/mes/ de/ feu //, qui/ sur/ la/ Nei/ge/ brillent.
Ce/s e/tin/ccl/les/ d'or //, d'a/zu/r, et/ de/ cris/tal,
Dont/ l'Hi/ve/r, au/ So/leil //, d'un/ lus/tre o/ri/en/tal
Pa/re/ ses/ Che/veux/ blancs // que/ les/ Vent/s e/par/pillent.
Des alexandrins (12 syllabes). Le rythme: 3 + 3 / / 4 + 2;4 + 2
// 2 + 4; 3 + 3 // 2 + 4; 1 + 5 // 3 + 3.