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Le confinement que nous avons vécu jette une lumière étrange sur ces moments où la vie bascule de la liberté à l'enfermement, où tout peut vous être ôté sans votre consentement. C'est très exactement le sujet du passionnant premier roman de Victoria Mas.
« le bal des folles » , de Victoria Mas, est publié chez Albin Michel.
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Il existe peu de sentiments plus douloureux que de voir ses parents vieillir. Constater que cette force, jadis incarnée par ces figures que l’on pensait immortelles, vient d’être remplacée par une fragilité irréversible.
Entre l’asile et la prison, on mettait à la Salpêtrière ce que Paris ne savait pas gérer : les malades et les femmes.
Libres ou enfermées, en fin de compte, les femmes n'étaient en sécurité nulle part.
La maladie déshumanise ; elle fait de ces femmes des marionnettes à la merci de symptômes grotesques, des poupées molles entre les mains de médecins qui les manipulent et les examinent sous tous les plis de leur peau, des bêtes curieuses qui ne suscitent qu’un intérêt clinique.
... la folie des hommes n'est pas comparable à celles des femmes : les hommes l'exercent sur les autres ; les femmes, sur elles-mêmes.
Pour ces bourgeois fascinés par les malades qu’ils ont l’occasion, une fois dans l’année, de côtoyer de près, ce bal vaut toutes les pièces de théâtre, toutes les soirées mondaines auxquelles ils assistent habituellement. Le temps d’un soir, la Salpêtrière fait se rejoindre deux mondes, deux classes, qui, sans ce prétexte, n’auraient jamais de raison, ni d’envie, de s’approcher.
Entre ces murs où l’on attend d’être vue par un médecin, le temps est l’ennemi fondamental. Il fait jaillir les pensées refoulées, rameute les souvenirs, soulève les angoisses, appelle les regrets – et ce temps, dont on ignore s’il prendra un jour fin, est plus redouté que les maux mêmes dont on souffre.
Oui, il ne faut pas avoir de convictions : il faut pouvoir douter , de tout, des choses, de soi-même. Douter.
Elle avait commencé à se laisser tomber dans une torpeur profonde qui menaçait de l'emmener loin, car l'espérance n'est pas une ressource inépuisable et doit bien, à un moment, se fonder sur quelque chose.
L'ancienne petite fille catholique, traînée de force à l'église chaque dimanche de son enfance, a toujours récité la prière avec dédain. Aussi loin qu'elle s'en souvienne, tout ce qui touchait de près ou de loin à ce lieu lui faisait horreur - les rudes bancs en bois, le Christ mourant sur sa croix, l'hostie qu'on forçait sur sa langue, les têtes baissées des fidèles en prière, les phrases moralisatrices qu'on distillait dans les esprits comme une poudre bienfaisante ; on écoutait cet homme qui, parce qu'il arborait une toque et se tenait à l'autel, avait toute autorité sur les gens de la ville ; on pleurait un crucifié et on priait son père, identité abstraite qui jugeait les hommes sur terre. Le concept était grotesque. L'absurdité de ces parades la faisait gronder en silence.