Pourquoi lire Guillaume Apollinaire aujourd’hui ?
Considéré comme l’un des plus grands poètes français du début du XXe siècle, Guillaume Apollinaire se place, par son oeuvre comme par sa personnalité, au carrefour des principales tendances esthétiques qui traversent son siècle. Ami des peintres, ce poète, romancier et critique d’art sensible à la nouveauté, incarne la transition qui s’est opérée dans la poésie française entre 1900 et 1920, du symbolisme au surréalisme.
Guillaume Apollinaris de Kosrtowizky, naît à Rome le 26 août 1880, d’une mère polonaise et d’un père inconnu. Le secret de cette naissance pèse sur la vie du jeune homme, qui transforme en vertu créatrice cette incertitude qui l’habite dès la naissance. Quelques années plus tard, la mère de Guillaume décide de s’installer avec ses deux fils à Monaco, où les jeunes garçons font leurs études. Le jeune homme s’avère être un excellent élève qui s’intéresse déjà au dessin ainsi qu’à l’écriture. Tout comme dans sa poésie adulte et notamment ses célèbres calligrammes, Apollinaire adolescent ne sépare pas véritablement ces deux formes d’expression artistique et dessine tout en écrivant. Au lycée, il s’affirme par ailleurs dreyfusard et anarchiste, ce dont plusieurs poèmes de jeunesse témoignent. Très vite, l’étudiant développe un goût prononcé pour l’écriture journalistique et au lycée, il sait déjà qu’il en fera son métier. Pendant l’été 1899, Guillaume et son frère sont envoyés en pension dans une bourgade wallonne qui marque durablement l’imaginaire du futur poète, et dont il garde des souvenirs festifs et bucoliques. On retrouve notamment des emprunts au dialecte wallon dans son poème
Marie, paru en 1912 ainsi que de nombreuses évocations du paysage belge dans plusieurs de ses écrits poétiques.
En 1901, le jeune poète s’installe en Allemagne afin d’y devenir précepteur. Cette année s’avère décisive dans l’élaboration de son univers poétique : séduit par la région, il l’est également par la gouvernante anglaise de son élève, Annie. Econduit par la jeunette, c’est profondément désemparé qu’il rentre en France l’année suivante. Marquante, cette triste expérience amoureuse provoque chez le jeune homme une forte poussée créatrice, teintée d’amertume, un thème qui ne le quittera quasiment plus.
L`Hérésiarque et Compagnie, son premier conte, paraît cette année là, signé du pseudonyme Guillaume Apollinaire, inspiré du prénom de son grand-père paternel.
De retour à Paris, Apollinaire commence à fréquenter les milieux littéraires et picturaux, se liant notamment d’amitié avec Max Jacob et un certain Picasso. En 1903, avec quelques-uns de ses amis, il fonde sa première revue, Le Festin d’Esope, qui ne paraît que pendant une année. Têtu et surtout très amoureux, l’écrivain effectue à cette période deux voyages à Londres dans le but de reconquérir Annie. Malheureusement pour lui, après ces deux tentatives, la jeune femme préfère traverser l’Atlantique et rompre définitivement tout contact avec Guillaume, le laissant dans un profond désespoir. La chanson du mal-aimé, publiée en 1909, exprime le chagrin du poète, provoqué par cette mésaventure.
Pour qu’il oublie la gouvernante anglaise, il faut attendre 1907, année où Guillaume croise la route de Marie Laurencin. Cette rencontre provoque chez lui une véritable renaissance poétique, marquée par l’écriture de pièces comme
Onirocritique,
Le Brasier ou encore
Les Fiançailles. C’est également l’année de parution de son premier livre illustré :
L`Enchanteur pourrissant, suivi de `Les Mamelles de Tirésias.... Cette oeuvre de jeunesse constitue une composition à la fois lyrique et narrative qui mêle les thèmes fondateurs de la poésie d’Apollinaire, comme le temps, la vanité de l’amour ou la condition humaine, entre autres. Lancé, le jeune homme décide d’abandonner son emploi à la banque pour se consacrer entièrement à son art. 1910 est l’année du faste pour Apollinaire, devenu critique d’art pour la revue
L’Intransigeant, pendant que son roman
L`Hérésiarque et Compagnie, passe à quelques voix du Prix Goncourt. Préface de catalogues d’exposition, articles biographiques : c’est là que débute véritablement l’histoire publique de l’homme de lettres et bien qu’il ne soit technicien du domaine artistique, il pressent, avec quelques autres, l’évolution marquante que subit la peinture à cette époque.
La renommée d’Apollinaire se serait peut-être fait moins attendre s’il n’avait pas, en 1911, fait un détour par la prison de la Santé, inculpé pour recel. Mis hors de cause au bout d’une semaine, l’écrivain en sort bouleversé. Les malheurs ne survenant jamais seuls, Marie Laurencin l’abandonne quelques mois plus tard. Persuadé d’être maudit, l’écrivain quitte Arcueil où il vivait avec sa bien-aimée pour s’installer boulevard Saint-Germain, à Paris. Dès 1912, il apparaît comme le défenseur de l’avant-garde en peinture comme en poésie. Il publie l’année suivante son premier recueil de poésie :
Alcools, ainsi qu’un ouvrage de critique d’art à propos du cubisme. Cette période de création intense est cependant perturbée par un événement majeur qui marque pour toujours la plume de l’écrivain : la guerre.
Volontaire, Apollinaire tente de s’engager dans l’armée française et entame une procédure de naturalisation en vue d’obtenir la nationalité française. En 1915, il se retrouve sur le front de Champagne et si la violence des combats avait pu entacher son lyrisme, sa situation ne l’empêche pas de s’éprendre de la jeune Louise de Coligny, surnommée Lou dans ses textes, qui lui accorde ses faveurs avant de très vite les lui reprendre. Malgré la relative brièveté de leur relation, une correspondance fournie naît de leur badinage, dont sont extraits les poèmes qui constituent aujourd’hui le recueil
Poèmes à Lou. Si elle semble marginale, cette anecdote reflète pourtant l’état d’esprit de l’écrivain au combat. En effet, aucun de ses textes écrits pendant la guerre ne traduisent l’horreur du combat ; face à la violence, Apollinaire préfère se replonger dans l’enfance et rédiger des poèmes d’amour. Aussitôt célibataire, le poète, bien décidé à trouver l’âme soeur, débute une correspondance avec une jeune femme rencontrée dans le train quelques mois plus tôt, Madeleine Pagès. Très vite intimes, les deux amants se fiancent la même année. Si l’amour semble enfin au rendez-vous pour le poète maudit, la chance abandonne Apollinaire, qui, en mars 1916, est blessé à la tempe par un éclat d’obus, alors qu’il lisait dans sa tranchée. Une trépanation suivie d’une longue convalescence ont finalement raison de son mal, mais aussi de son attachement pour Madeleine, qu’il délaisse alors qu’il rentre du front.
A son retour, l’écrivain est célébré par la jeune génération de poètes parisiens, qui voient en lui en guide et dont certains se réclament même de sa poésie. Parmi eux, on trouve par exemple
Blaise Cendrars,
Jean Cocteau ou encore
André Breton et
Louis Aragon. A l’hiver, paraît
Le poète assassiné. En 1917, Apollinaire emploie pour la première fois le terme de surréalisme, dans une de ses lettres à
Paul Dermée, suivie par sa première production du genre nouvellement créé par l’écrivain :
Les mamelles de Tirésias. En 1918, il rencontre sa dernière compagne, Jacqueline Kolb, la “jolie rousse” nommée dans de nombreuses publications posthumes. Enfin heureux, l’écrivain voue corps et âme à l’écriture, qu’il pratique pour le ministère de la Guerre, auprès des Colonies, ainsi que pour plusieurs journaux. Son activité littéraire est plus intense que jamais, lorsque, six mois plus tard, la grippe espagnole, qui ravage l’Europe depuis des mois, l’emporte le 9 novembre 1918.
Fuite du temps, échec de l’amour, quête de soi : alors que les thèmes de sa poésie semblent être ceux d’un romantique, Apollinaire réussit à chambouler l’univers artistique de son époque, en élargissant conséquemment l’éventail des possibles pour les écrivains. Avec son goût du mot rare, son sens de l’incantation verbale, sa capacité à s’affranchir des cadres et sa vision quasi picturale des mots, Apollinaire apparaît comme l'un des précurseurs de la révolution littéraire de la première moitié du XXe siècle, la faisant entrer dans une nouvelle phase de modernité;
Le saviez-vous ?
• Guillaume Apollinaire a été poète et critique d'art, mais aussi conteur, essayiste et chroniqueur
• Son célèbre recueil
Alcool aurait dû s’appeler
Eau de vie
• L’écrivain a échoué au baccalauréat et ne s’est jamais représenté
• Il a été incarcéré à la prison de la Santé, accusé de complicité de vol
• S’il n’a pas inventé le concept du calligramme il est en revanche à l’origine du mot
• Dimitri Chostakovitch a mis six de ses poèmes en musique dans sa symphonie no 14
• A sa mort, Apollinaire laisse un opéra-bouffe, une pièce, un recueil de chroniques, un roman et un manuscrit, inachevés
• Picasso a été le témoin du dernier mariage du poète
Chronologie
25/08/1880 : Apollinaire naît à Rome
1887 : Sa famille s’installe à Monaco dans des conditions difficiles
1900 : Apollinaire déménage à Paris et vie de petits emplois
1903 : Il fonde sa propre revue Festin d’Esope et devient employé de banque
1906 : Il rédige Les onze mille Verges, publié l’année suivante
1908 : Apollinaire décide de vivre de sa plume et commence à se faire connaître en tant que critique d’art
1910 : Il publie L’Hérésiarque, qui manque de peu le prix Goncourt
1912 : Il écrit Le Pont Mirabeau et fonde une nouvelle revue, Les Soirées de Paris. Son recueil Alcools, sera publié l’année suivante
1916 : Apollinaire est blessé au front et publie le Poète assassiné
9/11/1918 : L’écrivain est emporté par la grippe espagnole dont l’épidémie ravage l’Europe
Influences et héritiers
Doté d’une personnalité curieuse, Apollinaire s’intéresse à toutes les formes d’art, de la poésie au théâtre. Il est notamment l’un des acteurs de la découverte de l’Afrique comme monde artistique ou encore celui qui fait entrer le terme d’orphisme au dictionnaire de la peinture. Jeune, le poète se nourrit des textes des poètes symbolistes comme
Stéphane Mallarmé ou
Charles Baudelaire. Très vite, grâce à son éclectisme, Apollinaire révèle une forte originalité qui l’affranchit de toute école de pensée, et fait de lui l’un des précurseurs de la révolution littéraire du XXe siècle. En effet, la poésie d’Apollinaire n’est fondée sur aucune théorie, mais simplement sur un principe : la création doit provenir de l’imagination pour se rapprocher au plus près de la vie, mais surtout ne pas imiter la nature. L’écrivain, selon Apollinaire, fait finalement apparaître la nature selon son propre regard et ne doit pas chercher à la reproduire.
S’il s’est intéressé à plusieurs formes d’art et a pu travailler à l’évolution théorique de certaines d’entre elles, l’un de ses principaux apports demeure celui de la définition du surréalisme, terme qu’il nomme pour la première fois dans son roman
Les mamelles de Tirésias, en 1917. Ce mouvement littéraire élargit de façon conséquente l’éventail des procédés créatifs des écrivains, leur permettant par exemple de considérer l’inconscient ou le rêve comme source légitime d’inspiration. Attention, cette idée du surréalisme est bien éloignée de celle qu’en propose
André Breton, en 1924, dans son
Manifestes du surréalisme et leurs différends à ce sujet aboutissent à une scission entre les deux écoles.
Apollinaire a fait entrer un second terme au dictionnaire littéraire de son époque : le calligramme. Bien qu’il ne soit pas l’inventeur du concept, c’est en effet bien lui qui nomme pour la première fois ces poèmes dont la disposition graphique forme un dessin en rapport avec le sujet du texte.
Poète mélancolique, Guillaume Apollinaire a véritablement chamboulé le monde artistique et notamment celui de la littérature, grâce à ses apports théoriques ainsi qu’à sa conception très novatrice de la poésie.
Ils ont dit de Guillaume Apollinaire
Dan Franck : “Jusqu’à la guerre, les peintres de la Ruche ne croisaient pas leurs couleurs avec celles des artistes du Bateau-Lavoir. Un fleuve séparait les deux mondes. Quand la bande de Picasso traversait la Seine, c’était surtout pour rencontrer des hommes de plume amis de Guillaume Apollinaire. Car Montparnasse bruissait du murmure des poètes. Les rimailleurs étaient toujours les rois de l’endroit, et les gribouilleurs encore à leurs basques.”
Tristan Tzara : “Pour ce poète la vie est un jeu tournant et sérieux de farces, de tristesse, de bonhomie, de naïveté, de modernisme tour à tour. Le doigt visse dans tous les chairs jusqu'à l'intérieur qui crie et vibre, où il devient fleur et rit.”