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Thèse de doctorat/ PhD Thesis
Citation APA:
Gillet, O. (1995). L'Eglise orthodoxe et l'Etat communiste roumain, 1948-1989: étude de l'idéologie de l'Eglise orthodoxe : entre traditions byzantines et
national-communisme (Unpublished doctoral dissertation). Université libre de Bruxelles, Faculté de Philosophie et Lettres – Philosophie et Sciences des
religions, Bruxelles.
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Université Libre de Bruxelles
Faculté de Philosophie et Lettres
Institut d’Etude des Religions et de la Laïcité
année académique
1994-1995
^EGLISE ORTHODOXE
ET L’ETAT COMMUNISTE
ROUMAIN
( 1948 - 1989 )
Etude de l’idéologie de l’Eglise
orthodoxe :
e n tre tra d itio n s b y z a n tin e s
e t n a tio n a l-c o m m u n is m e
Volume I
Olivier GILLET
Université Libre de Bruxelles
Faculté de Philosophie et Lettres
Institut d’Ëtude des Religions et de la Laïcité
année académique
1994-1995
L’EGLISE ORTHODOXE
ET L’ETAT COMMUNISTE
ROUMAIN
( 1948 - 1989 )
Etude de l’idéologie de l’Eglise
orthodoxe :
e n tre tra d itio n s b y z a n tin e s
e t n a tio n a l-c o m m u n is m e
Volume I
Olivier GILLET
\o.
D issertation originale présentée en vue de l’obtention du grade de docteur en
P hilosophie et Lettres (H istoire)
sous la direction de M onsieur le P rofesseur H ervé H a s
q u in
<< A p a trec e , p ie tre le ra m â n » ( l’e au c o u le, re s te n t le s
p ie rre s ) « S ta tu l trec e , B is e ric a ra m â n » (L ’E ta t
p a sse , re ste l’E g lis e )
I
AVANT-PROPOS
Lorsque j'ai entamé ces recherches sur la Roumanie contemporaine, de
nombreuses questions m'ont été posées sur mes origines. Intéressé par l'histoire
byzantine et post-byzantine, et plus particulièrement par l'histoire des Balkans,
j'ai eu le plaisir de me consacrer entièrement à ce qui n'était pour moi qu'une
passion pour un pan de l'histoire et qui s'ouvre désormais aux chercheurs
occidentaux depuis la chute du communisme.
Cette entreprise n'était pas sans comporter certains risques et certaines
difficultés. Si elle put susciter l'étonnement, celui-ci fut beaucoup plus important
encore de la part des Roumains habitués à des décennies d'autarcie culturelle, de
repli sur leur pays. Comment un étranger, non roumain et non orthodoxe,
pouvait-il comprendre les réalités et les subtilités de « l'âme roumaine », s u fle tu l
ro m â n e s c
?
Comme le lecteur pourra s'en rendre compte, s'immiscer dans les affaires
intérieures d'un Etat qui sort du totalitarisme et de la dictature, sur un sujet aussi
brûlant que celui de l'Eglise sous le communisme, était une tâche difficile et
même suspecte pour les personnes concernées, voire même pour le simple
croyant. Dans un milieu où « l'objectivité » est une impossibilité, où le parti pris
idéologique, qu'il soit philosophique ou religieux, est exploité par la propagande,
dans ce climat de dénonciation post-révolutionnaire, la délation et les campagnes
de manipulation de l'information font partie du quotidien. Lorsqu'on évoque les
II
simples mots de « minorité » et de « nationalisme » on court le risque d'être pris
comme l'exemple de l'occidental incapable de comprendre la
« Vérité
»
historique et les réalités du pays. Aborder ainsi l'historiographie et les problèmes
du pays suscite la méfiance. Accusé d'accointance avec une confession ou une
autre
alors
qu'il
s'agit
simplement
d'exposer
des
faits,
ou
plutôt
des
interrogations, il ne me restait parfois qu'à me faire passer pour un historien
venu d'Occident étudier les monuments et l'architecture byzantine roumaine
médiévale.
Au commencement de la recherche, il me semblait que la situation avait
radicalement changé à l'Est, grâce à la liberté d'expression revenue. La guerre
yougoslave n'en était qu'à ses débuts et le conflit entre la Bessarabie et la
Transnistrie, république de Tiraspole indépendante auto-proclamée, débutait.
Cette liberté d'expression semblait être devenue une nouvelle légitimité qui
permettait aux plus radicaux et ultra-nationalistes, parfois tout à fait respectables
dans les milieux universitaires, intellectuels et politiques, de laisser libre cours
aux propos les plus intolérants et extrémistes.
Trois ans plus tard, cette « liberté de parole » permet la résurgence d'un
révisionnisme historique des plus surprenants, notamment à propos du régime
du maréchal Ion Antonescu et du mouvement légionnaire que les nouveaux
adeptes « gardistes » tentent de restaurer sur l'échiquier politique profitant par le
biais d'un renouveau mystique, spirituel et politique, d'un vide idéologique et
d'une situation économique et sociale désastreuse. Cela ne devait pas faciliter,
pour le moins, l'établissement d'un climat serein, propice à la recherche et à une
véritable discussion scientifique.
Les idées qui, pour l'Occident, relèveraient du mythe historique, revêtent
pour
beaucoup
de
Roumains
une
véracité
irréductible,
une
vérité
« axiomatique ». L'histoire est idéologisée, avec une intention politique qui
devient de plus en plus évidente au fil des investigations. Les Roumains, privés
III
de leur vérité sur la « Révolution », frustrés de véritables débats sur les
événements du passé, même récent, en sont souvent réduits à profiter du débat
historique pour reconstituer leur « mémoire » et lui faire justice. Ainsi combien
de colloques et de rencontres ne deviennent-ils pas, et on peut le comprendre, des
« tribunaux populaires » plutôt que des véritables échanges scientifiques ?
Si
les embûches n'ont pas manqué, il n'en reste pas moins que les difficultés
mêmes ont pu susciter un intérêt qui fut grandissant tout au long de mon travail.
Cela m'a permis de découvrir, en plus de l'aspect purement scientifique et
intellectuel, un monde qui m'était incormu. Cette approche de la Roumanie, fûtelle brève et malgré tout encore trop superficielle, me permit de comprendre de
nombreux phénomènes politiques, sociaux, culturels et même économiques de
cette période de « guerre froide ». Elle me permit aussi d'aborder des questions à
mon sens parmi les plus fondamentales : comment le parti communiste
roumain qui ne comptait au lendemain de la guerre que quelques centaines de
membres, cas particulier pour les pays de l'Est, put-il instaurer une dictature si
profonde, durable et parmi les plus sanglantes du bloc communiste ; une
dictature qui a trouvé assise au sein d'une population qui, au départ, aurait pu à
première vue présenter le plus d'opposition à une idéologie marxiste-léniniste ?
De même, comment cette dictature ne laisse pas la place à une démocratie
retrouvée, mais tente de s'accrocher, dans la crainte de la vindicte populaire ou
de l'autocritique, puisque sans vainqueur ni vaincu, il n'y eut ni Marshall ni
Nuremberg ?
Je soulignerai le plaisir de travailler en Roumanie près de chercheurs qui
sont devenus pour moi des amis ; souvent frustrés d'une jeunesse où « tout
espoir devait être puni », privés des « années volées » où seule « l'évasion
silencieuse » était la perspective ou l'échappatoire, dans un pays devenu une
prison à l'échelle d'un Etat, ils m'ont accueilli sans réserve, manifestant un
IV
enthousiasme inégalé envers les nouveaux horizons de la recherche scientifique,
désormais libre, et ses futures perspectives européennes. Ils m'ont fait connaître
leur pays, ses côtés chatoyants, invitant au voyage de part et d'autre des Carpates,
aux confins de l'Europe centrale, orientale et balkanique, mais aussi ses plaies, ses
meurtrissures et ses paradoxes. Ils m'ont initié aux subtilités de la langue et aux
richesses culturelles et littéraires roumaines ; ils m'ont fait comprendre les
tréfonds des expressions, des habitudes et des coutumes.
Si je ne peux prétendre leur avoir apporté grand chose, je puis affirmer que
je leur dois beaucoup...
R o m â n ia e ste o ta ra tris ta , p lîn a d e h u m o r...
(L a R o u m a n ie e s t u n p a ys tris te , p le in d 'h u m o u r)
(Caragiale)
V
A u m o m e n t d e d é p o s e r ce tte th è se , je v o u dra is re m e rc ie r p a rtic u liè re m e n t M o n s ie u r
le P ro fe s s e u r H e rv é H a s q u in , p o u r s a d ire c tio n v ig ila n te e t p o u r le s c o n d itio n s
e x c e p tio n n e lle s d e tra v a il q u ’il m ’a o ffe rte s d a n s le c a d re d u p ro je t d e re c h erc h e
I.R .E .N .E ., l’In s titu t d e R e c h e rc h e s u r le s E ta ts e t N a tio n s e n E u ro p e .
Je re m e rc ie é g a le m e n t M e s s ie u rs le s P ro fe s s eu rs J e a n -M a rie S a n s te rre e t A la in
D ie rk e n s q u i m ’o n t s o u te n u e t a id é d a n s m o n tra v a il,
le F o n d s d e la R e c h e rc h e F o n d a m e n ta le C o lle c tiv e , le F o n d s N a tio n a l d e la
R e c h e rc h e S c ie n tifiq u e d e B e lg iq u e e t l’In s titu t d ’E tu d e d e s R e lig io n s e t d e la
L a ïc ité ,
p o u r le s c o n ta c ts s u r p la c e e n R o u m a n ie sa ns le s q u e ls ce tra v a il a u ra it é té
irré a lis a b le . M e s s ie u rs e t M e s da m es O v id iu e t M a ria G h itta , T o a d e r e t E le n a
N ic o a rd , M a d a m e L ia n a R â scu e t M essie u rs L iv iu M a lita e t O vid iu P e ciccm ,
p o u r le u rs c o lla b o ra tio n s d iv e rs e s e n R o u m a n ie , M e s s ie u rs le s P ro fe s s e u rs L iv iu
M a io r, M in is tre d e l’E n s e ig n e m e n t d e la R é p u b liq u e d e R o u m a n ie e t P ré s id e n t d u
C e ntre d ’E tu d e s T ra n s ylv a in e s ; N ic o la e B o csa n , D o y e n d e la F a c u lté d ’H is to ire ;
A le x a n d re D u tu , m e m b re d e l’A c a d é m ie d e R o u m a n ie e t P ré s id e n t d u C e ntre
d ’E tu d e s S u d -E s t e u ro p é e n n e s ; P o m p iliu T e o d o r, m e m b re c o rre s p o n d a n t d e
l’A c a d é m ie d e R o u m a n ie e t P ré s id e n t d u C e n tre d ’E tu de s C e n tra le s E u rop é e n n e s ;
D o ru R a d osa v, D ire c te u r d e la B ib lioth èq u e C e ntra le U n iv e rsita ire d e C lu j-N a p o c a ;
lo a n L u m p e rd e a n e t G e o rg e C ip d ia n u,
d e m a n iè re g é n é ra le le C e n tre d ’E tu d e s T ra ns y lv ain es d e C lu j-N a p o c a , la F o n d a tio n
C u ltu re lle R o u m a in e , l’In s titu t d ’H is to ire d e C lu j, l’In s titu t d ’E tu d e s C e n tra le s
E u ro p é e n n e s d e C lu j, la B ib lio th è q u e C e n tra le U n iv e rs ita ire « L u c ia n B la g a » d e
l’U n iv e rs ité d e C lu j, l’In s titu t T h é o lo g iq u e d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e d e
VI
C lu j, la B ib lio th è q u e filia le d e l’A c a d é m ie d e R o u m a n ie d e C lu j e t le C e n tre
d ’E tu d e s S u d -E s t E u rop é e n n e s d e B u c a re s t, le s C e n tre s C u ltu re ls F ra n ç a is d es
v ille s d e C lu j e t d e la s j, a in s i q u e le s revu es Tribuna, sapûmînal de cultura d e C lu j,
e t Vatra, d e T îrg u M u re s ,
le s A m b a s s a d e s d e R o u m a n ie p rè s le R o y au m e d e B e lg iq u e , d u R o y a u m e d e
B e lg iq u e e t d e la R é p u b liq u e d e F ra nc e p rè s la R é p u b liq u e d e R o u m a n ie ,
e t e n B e lg iq u e , le s a m is q u i m ’o n t so ute nu , p a rtic u liè re m e n t M o n s ie u r E m ile V a n
B a lb e rg h e d e la « C e llu le fin d e S iè cle », R e p ré s e n ta nt d e la C o m m u n a u té F ra n ç a is e
d e B e lg iq u e e n R o u m a n ie , m es a m is h isto rie n s e t p h ilo s o p h e s ...,
p o u r le s re n s e ign e m en ts e t c o n trib u tio n s p ratiq u e s . M e s s ie u rs le s p ro fe s s e u rs M a rc
D o m in ic y , S im on P e te rm a n n e t M ih a i N a sta,
e t u ne a tte n tio n p a rtic u liè re p o u r le se rvice d e s D o n s e t E c h a n g e s In te rn a tio n a u x de
l’U n iv e rs ité lib re d e B ru x e lle s , M o n s ie u r R e n é F a y t e t M a d a m e C o le tte D e
S c h u tte r, a in s i q u e le p e rs o n n e l d e s B ib lio th è q u e s d e l’U n iv e rs ité L ib re d e
B ru x e lle s e t p a rtic u liè re m e n t M a d a m e A n n e L e fe v re d u s e rv ic e d e s p rê ts in te r
b ib lio th è q u e s , d o n t le s s e rv ic e s m ’o n t é té e x trê m e m en t p ré c ie u x p o u r l’a c c ès a u x
b ib lio th è q u e s e u ro p ée n ne s.
M e s d a m e s N e va B a u d o u x , A lin e G o ose ns e t A n n ie P illo y , a in s i q u e l’e ns e m ble d u
p e rs o n n e l d e l’In s titu t d ’E tu d e d e s R e lig io n s e t d e la L a ïc ité q u i m ’o n t a id é e t
e n co u ra g é,
e t to u t p a rtic u liè re m e n t, p o u r le s lo n g u e s d is c u s s io n s s u r la R o u m a n ie , so n
h is to ire , p o u r la p é rio d e d ’a v a n t-g u e rre e t d e ce s q u a ra n te a n s d e c o m m u n is m e .
M o n s ie u r le P ro fe s s e u r M irc e a Z a c iu d o n t le té m o ig n a g e a é té u n e s o u rc e
d ’e n ric h is s e m e n t e x tra o rd in a ire e t d o n t l’e x p é rie n c e a é té p o u r m o i l’o rig in e d e
n o m b re u x é c lairc iss e m e n ts e t q u estio n s.
A in s i
que
M a d e m o is e lle
M u rie lle
W a ute le t
qui
s u iv it
ré g u liè re m e n t
m es
« a v e n tu re s » ro um a in es , q u a n d e lle n ’y p a rtic ip a , e t m ’e n c o u ra g e a to u t a u lo n g de
m o n tra v a il,
e t F ré d é riq u e L o n g ré e , p o u r sa p a tie n c e e t so n so utien .
VII
TABLE DES MATIERES
VOLUME I
Pages
INTRODUCTION.........................................................................1
I. Introduction générale
1. Préliminaires
. . . . .. . .
2
. . . . . .. . .
2
2. Présentation du sujet
. . . . .. . .
3. Traditions byzantines : une hypothèse
.
.
7
.17
4. Le choix de la Roumanie comme aire d’investigation et limites géographiques .
23
5. Le choix de l’époque communiste et ses limites chronologiques : 1948-1989
.
29
6. La toile de fond : les minorités et l’Etat-Nation
.
.
.
.35
7. Une histoire au caractère polémique inévitable ?
.
.
.
.40
II. Remarques préliminaires concernant
l’historiographie roumaine
.
.
1. La fracture historiographique de l’Europe
.
.
.
.
2. L’impact de l’historiographie roumaine marxiste-léniniste
.
.44
.
.44
.
.47
3. Domination de l’histoire nationale et « nationaliste » :
la th è se d e la c o n tin u ité d a c o -ro m a in e d u p e u p le ro u m a in e t la « fa ls ific a tio n
v o lo n ta ire » d e l’h is to ire h o n g ro is e d e la R o um a n ie
.
.
.
.51
.
.
.
.59
4. Remarques sur l’historiographie actuelle depuis 1989 :
n o u v e lle s o rie n ta tio n s e t ré v is ion n is m e
III. Méthodologie et sources
1.
.
.
......
Remarques préliminaires sur les « traditions byzantines »
VIII
.
.62
.
.62
A. « Byzantinisme » et relations « constantiniennes »
.
B. Remarques sur l’évolution du « byzantinisme » en Roumanie .
2. Méthodologie et problématique des sources
.
.62
.
67
.
.73
A. Les sources : publications officielles de l’Egüse Orthodoxe Roumaine .
73
B. Critique des sources : statuts et interprétations
.
.
.
.77
C. Limites du travail . . . .
.
.
.
.80
.
.
.
.82
3. Les problèmes linguistiques :
re m a rq u e s s u r l’é v o lu tio n de la la ng u e ro u m a in e .
IV. Conclusion
P re m iè re
. . .. . .. . ..
p a rtie
89
. . . . . . . . . 92
EGLISE ORTHODOXE ET « APOSTOLAT SOCIAL ».
TRADITION ET RENOUVEAU :
A D A P T A T IO N D E L ’E G L IS E A L A N O U V E L L E S O C IE T E C O M M U N IS T E
Chapitre I : CONCEPTION GENERALE DE L’EGLISE DES RAPPORTS EGLISE / ETAT ;
l’A p o s to la t s o c ia l, « fid é lité e t re no uve a u » (fidelitate si innoire j e t
u n e E g lis e « s e rva n te » (o B is tn c a s lu jïto a ie )
.
.
.
.
.93
.
.
.107
.
.
.107
.
.
.119
.
Chapitre H : LE STATUT DE L'EGLISE ORTHODOXE ROUMAINE DANS
L’ETAT COMMUNISTE ;
p ré s e n ta tio n o rth od o x e d u c a dre lé g a l d e l’E g lis e d an s l’E ta t c o m m u n is te
1.
L'Apostolat social et les directives de l'Etat
.
.
n. La loi pour le Régime Général des Cultes Religieux et le statut
de l'Eglise Orthodoxe Roumanie .
.
.
CO NCLUSIO N............................................................................................................ 132
1. L é g itim a tio n d e la lé g is la tio n d e l’E ta t e n m a tiè re re lig ie u se : le « n o m o c a n o n is m e »
ftraditia pravilnicaj
.
.
.
.
.132
. . . . .. . .
.136
2. L é g itim a tio n d e l’a d a p ta tio n d e la tra d itio n p a r le « p rin c ip e d ’é c o n om ie »
('principiul iconomieij
3 . L ’A p o s to la t s o c ia l : u n e « in fé o d a tio n » d e l’E g lis e p a r l’E ta t
IX
.
.
.
.140
D e u x iè m e
p a rtie
.....
.145
EGLISE ORTHODOXE ET « PATRIOTISME ».
SOUMISSION DE L’ORTHODOXIE A L’ETAT :
L E G IT IM A T IO N D E L A
AVEC LA
C O L L A B O R A T IO N D E U E G L IS E
N O U V E L L E D E M O C R A T IE P O P U L A IR E D E R O U M A N IE
Chapitre I : LE « PATRIOTISME » ORTHODOXE SELON L’IDEOLOGIE
MARXISTE-LENINISTE..................................................................................................146
Chapitre n : LE « PATRIOTISME » SELON LES PRECEPTES EVANGELIQUES ;
/ 'a m o u r d u p ro c h a in , la re c he rc he d e la p a ix e t le « re n de z à C é sar... »
I.
La patrie et l'Eglise Orthodoxe Roumaine
II. Le sens social du patriotisme chrétien
.
.
.154
.
....
.
.
.
.154
.
.160
EU. Le respect chrétien de l’égalité des citoyens garanti par la Constitution
de laR.P.R............................................................................................................ 165
rv. La soumission du chrétien face à l’Etat .
A. Le « rendez à César...»
.
.
.
.
B. Le « Que tout homme soit soumis aux autorités...
»
.169
.
.
.171
.
.
.174
Chapitre EQ : LE PATRIOTISME SELON LES PRECEPTES PATRISTIQUES :
/ 'E g lis e O rth o d o x e R o um a in e d a n s la tra d itio n o rie n ta le d e s p è re s d e l'E g lis e
.180
.
Chapitre EV : L’ORTHODOXIE ET LE PATRIOTISME « SOCIAL » :
la lé g itim ité h is to riq u e , u n e E g lis e « c o m b a tta nte » fo Biserica luptatoarej .
I.
Un « sergianisme » roumain
.
.
.
.
.
.
.189
.189
U. La contribution de l’Eglise orthodoxe à l’émancipation sociale et au progrès :
une Eglise « populaire » (o Bwerica popn/ara)
.
.
.
.194
CO NCLUSIO N............................................................................................................. 199
1. U n e s o u m is s io n d o c trin a le à l'E ta t, q u e lle q ue s o it sa n a tu re
.
.
.
.199
2. L e p a trio tis m e c h ré tie n , fo n d e m e n t d e l’A p o s to la t s o c ia l : s o u m is s io n a u p o u v o ir
e t c o n trib u tio n à l’é d ific a tio n d u s o c ialis m e .
.
.
.
.
.201
3. P re m ie r a rg u m e n t « s y llo g is tiq u e » : u n e E g lis e « p o p u la ire » e t u ne d é m o c ra tie
« popn/a/re » fo Biserica popularaj
.....
X
.
.205
T ro is iè m e
p a rtie
. . . . .. . .
.208
EGLISE ORTHODOXE ET « NATION » ROUMAINE.
FUSION ENTRE ORTHODOXIE ET ROUMANITE ;
L E G IT IM A T IO N D E L A
AVEC
C O L L A B O R A T IO N D E L ’E G L IS E
L ’E T A T S O C IA L IS T E R O U M A IN
Chapitre I : L’EGLISE ORTHODOXE ET LA THESE DE LA CONTINUrTE
DACOROMAINE :
P a ra llé lism e e t c o n v e rg e n c e e ntre l’h is to ire d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e e t
c e lle d e l’E ta t . . . . . . . . . .
I. Préliminaires
.209
. . . . . .. .
.209
n. « Bimillénarisme », « autochtonisme », « dacisme » et « isolationnisme »
orthodoxe roumain ;
d e D é c é b ale à C e au sescu
?
.
.
.
.
.
.
.216
ni. Quelques remarques sur l’ambiguité entre la latinité de l’Eglise orthodoxe
et son caractère slavisant ; entre latinité et « pravoslavnicisme »
{o B is e ric d o rto d o x a o u p ra v o s la v n ic â )
.....
.242
Chapitre H: L’EGLISE ORTHODOXE ET L’AUTOCEPHALIE :
l’« e th n ic ité » d e l’E g lis e o rth od o x e : fu s io n e n tre o rth o d o x ie e t n a tio n ro u m a in e
I.
.
.246
Remarques sur le lien entre l’Eglise orthodoxe et l’ethnicité roumaine
avant la seconde guerre mondiale
.....
n. L’ethnicité de l’Eglise ; fondements doctrinaux
in. Ethnicité, autocéphalie et patriarcat . .
....
rV. L’ethnicité et la « loi des ancêtres » (/egea
.246
.250
.
.
.255
.
.
.260
V. L’ethnicité, un fondement de l’exclusion et la tentation du « phylétisme » ?
.263
Chapitre m : UNITE DE LA FOI, DE LA NATION ET DE L’ETAT :
la « ré in té g ra tio n » freîntregireaj d e l’E g lis e g ré c o -c a th o liq u e
à l’E g lis e m è re o rie n ta le e n 1 9 48
. . . . . ..
I.
Remarques sur l’histoire de r« uniatisme » roumain
n.
La suppression de l’Eghse gréco-cathoüque roumaine par
le régime communiste
ni.
. . . . .. .
L'argumentation de l’Eglise orthodoxe
XI
.....
.269
.269
.274
.280
Chapitre V ; L’EGLISE ORTHODOXE ET LES PROBLEMES NATIONAUX
/ ’« œ c u m é n ism e lo c a l » e t le s « n a tio n a lité s c o h a b ita n te s »
.291
CO NCLUSION................................................................................................
.297
1. U n « g lis s e m e n t s é m a n tiq u e » e t a m b ig u ïté e n tre « patria »,
« natiunea », « popor » e t « neam . . . . . . .
2. D e u x iè m e a rg u m e n t « s y llo g is tiq u e » : u n e E g lis e n a tio n a le fo Biserica nalionalaj
.297
.301
VOLUME II
Q u a triè m e p a rtie
........
.304
EGLISE ORTHODOXE ET « INTERNATIONALISME ».
FRONT ORTHODOXE DE LA PAIX :
L E G IT IM A T IO N P A R L ’E G L IS E D E L A
« IN T E R -O R T H O D O X E »
U N « PAC TE D E
AVEC
LES
C O L L A B O R A T IO N
R E G IM E S
C O M M U N IS T E S .
V A R S O V IE » E C C L E S IA S T IQ U E ?
Chapitre I: L’« INTERNATIONALISME », LE MOUVEMENT DE LA PAIX
ET LE « PANSLAVISME » SOUS G. GHEORGHIU DEJ :
le fro n t o rth o d o x e « c o m m u n is te » (¥ to n i\x \ O tio d o x iti)
.
.
.
.
.305
Chapitre II : L’ŒCUMENISME, LA LUTTE POUR LA PAIX SOUS CEAUSESCU :
l’E g lis e o rth o d o x e , u n e E g lis e d e la P a ix ( o Biserica a Paciij.
.314
CO NCLUSIO N................................................................................................
.327
A n tiv a tic a n is m e e t a n ti-o c c id e n ta lis m e : p re u v e d ’u n e o p po s itio n s é c u la ire e n tre
O c c id e n t la tin e t O rie n t o rtho d o x e ?
.327
.
XII
CONCLUSION
.330
L’« ETHIQUE » ORTHODOXE, UN FREIN AU
PLURALISM E DEMOCRATIQUE ?
I. D’autres pistes de recherche ;
«■ c a té g o rie s » o rth o d o x e s e t « th é o p h a n ie »
.
.331
....
.344
.
.
.
IL L’Eglise orthodoxe depuis la chute du communisme
en décembre 1989 :
a ttitu d e s a c tu e lle s e t p e rs p e c tiv e s d ’a v e n ir
1. Remarques préliminaires concernant la situation politique depuis 1989 .
.344
2. Attitudes « politiques » de l’Eglise orthodoxe :
la te n ta tio n u ltra -n a tio n a lis te e t « lé g io n n a ire »
A. Généralités
.
.
.
.
.355
. . . . . ..
B. Le « légionnarisme » orthodoxe
.....
C. La « réintégration » (reî/în-gg/rea) de la Bessarabie
D. La question de r« uniatisme »
.
.
.....
.355
.358
.362
.365
3. Orthodoxie et roumanisme post-communistes
P o u r u n e n o u v e lle re lig io n d ’E ta t ?
in. Conclusions générales
.
.
.
.
.
. . . . . ..
.371
.376
1. Byzantinisme et national-communisme : Une symphonie « déséquilibrée »
et une « instrumentalisation » de l’Eglise par l’Etat ?
.
2. L’Eglise orthodoxe, une Eglise fondamentalement opposée au pluralisme ?
.376
.382
A N N E X ES ............................................................................................................. 384
Ta b l
e
. . . . .. .
DES ANNEXES
An n e x e s
.
.
.
.
.
.
.
.
.385
.3 8 8
BIBLIO G R APH IE ................................................................................................ 412
XIII
A vertissem ents
Par souci de clarté et afin de faciliter la lecture,
nous n'avons pas eu recours aux abréviations
pour les revues, les périodiques et l'ensemble de la
bibliographie faisant appel à des titres peu connus
hors Roumanie et Europe orientale.
Pour les citations, nous laissons les traductions
françaises faites par les auteurs roumains telles
quelles.
En raison de la spécificité du travail, nous avons,
dans l'appareil critique, accordé une importance
particulière aux auteurs roumains.
XIV
INTRODUCTION
1
I. INTRODUCTION GENERALE
1. Préliminaires
S’il y a bien un événement qui marquera la fin de ce siècle, c’est la chute des régimes
communistes dans les pays de l’Est et dans ce que l’on appelait l’U.R.S.S. Si l’effondrement
des totalitarismes en Europe centrale et orientale a provoqué une avalanche d’études et de
commentaires depuis 1989, que ce soit le fait d’historiens, de sociologues, de politologues ou
de journalistes, voire d’observateurs de formations les plus diverses qui se sont rendus sur
place, il est clair que de nombreux aspects de ce qu’on a appelé, cet « étrange post
communisme » sont encore à étudier ou à approfondir et impliquent souvent une « re-vision »
de la période communiste proprement dite. En effet si la situation actuelle, tant politique que
sociologique, religieuse et économique, pose de nombreux problèmes, c’est en partie parce que
la période précédente mérite à bien des égards un réexamen. Cette « re-vision » concernerait
2
surtout la question des Eglises et, plus largement, le statut des religions dans les sociétés de
l’Europe centi'ale et orientale^.
Les régimes communistes ont été un terrain d’étude particulièrement développé et prisé
par les politologues depuis la seconde guerre mondiale. Cependant le contexte de la guerre
froide a engendré nombre de problèmes inhérents à la logique de confrontation entre les blocs,
et ce pour des raisons politiques. On sait combien la politique a été prépondérante en matière de
méthodologie historique. Les perspectives qu’offrent la libéralisation et la « transition »
actuelles permettent une nouvelle approche de cette période, même si le recul fait défaut pour
aborder ces problèmes de la manière la plus satisfaisante possible. Cependant, la proximité des
événements autorise aujourd’hui une connaissance plus approfondie des phénomènes qui se
sont déroulés il y a quelques années encore et qui influent dii'ectement sur une actualité riche en
bouleversements. La « contemporanéité » des témoignages et des sources nous permet une telle
étude dans la mesure où les langues se délient peu à peu et où les ouvrages peuvent encore être
disponibles, pour autant qu’ils aient été épargnés par l’autodafé révolutionnaire ou qu’ils ne
soient jalousement gardés afin de ne pas dévoiler une réalité inavouable.
On soulignera d’emblée que le fait d’être « étranger » aux événements, fait souvent
critiqué à l’endroit de celui qui s’intéresse de près aux problèmes roumains, surtout lorsqu’il y a
matière à polémique, offre des possibilités non négligeables. Dans l’imbroglio des minorités,
des tensions entre « ex-communistes » et membres de l’« opposition », des rivalités
interconfessionnelles entre catholiques, uniates et orthodoxes, le fait de ne pas être impliqué
directement par ses origines ou son parti pris idéologique et religieux permet, indépendamment
des soupçons parfois exprimés, un abord de la question plus « objectif », pour autant que ce
soit possible. La question des religions et de la situation des Eglises sous le communisme était
un sujet « tabou ». Aujourd’hui, une analyse extérieure permet une approche encore à peu près
inédite en Roumanie, tant les idéologies dominantes sont encore présentes et ont valeur de
1 On verra particulièrement le livre récent de Patrick MICHEL, P o litiq u e e t re lig io n : L a g ra n d e
m u ta tio n . Bibliothèque Albin Michel,
coll.« Idées », Ed. Albin Michel, Paris, 1994. L e s
R e lig io n s à l'E s t, dir. Patrick Michel, Ed. du Cerf, Paris, 1992.
3
dogmes scientifiques et politiques. De plus, dans le contexte de révision, voire du
« révisionnisme », de l’histoire dans ces pays — nous reviendrons abondamment sur cette
évolution récente — , évoquer ces questions en établissant des comparaisons avec la période
d’avant le communisme et la situation post-révolutionnaire actuelle n’est pas sans susciter des
difficultés. La reconsidération de l’histoire et des événements récents provoque des débats
enflammés et susceptibles de provoquer de graves polémiques.
Dans ce contexte, l’histoire des religions dans les pays de l’Est reste à faire. Si l’histoire
ancienne fut du ressort de l’histoire byzantine, pour l’histoire dite post-byzanüne, depuis la
chute de Byzance et l’occupation turque ottomane dans les Balkans, l’historiographie a
largement souffert des nationalismes du XIXe siècle, des régimes totalitaires de l’entre-deuxguen-es et des dictatures communistes. Les obstacles méthodologiques et linguistiques ont
également contribué aux lacunes de l’historiographie occidentale concernant ces pays.
Aujourd’hui, le communisme s’est effondré, entraînant avec lui les idéologies déterministes
marxistes devenues destructrices de toute critique historique. La littérature post-communiste
actuelle et les tentations nationalistes et « révisionnistes » n’ont cependant pas encore permis
d’aborder ces sujets en toute sérénité. Les difficultés issues non seulement de la compréhension
de problématiques nouvelles, mais surtout le manque de références, d’instruments de travail et
d’outils fiables, ainsi que la situation chaotique de la recherche scientifique actuelle née des
perversions engendrées par plus d’un demi siècle de totalitarisme, restent les principales pierres
d’achoppement, que ce soit pour les recherches faites en Roumanie ou celles effectuées en
Occident.
Avant d’aborder plus avant l’objet de ce travail, il faut préciser que si la Roumanie offre
des facilités sur le plan linguistique comme pays de langue latine et par sa position de pays
« latin » dans un monde orthodoxe et un environnement culturel et géographique slave, ce pays
se trouve exclu des sentiers de la recherche en général. U échappe naturellement à la slavistique
par sa langue romane et à l’histoire byzantine ou post-byzantine en raison du « silence » des
4
sources et de son caractère périphérique dans l’histoire de l’empire chrétien d’Orient. Mais il
est trop souvent mis à l’écart des études romanes en raison de son caractère oriental, orthodoxe,
balkanique et « slavisant ». Ceci n’est pas sans ajouter de nombreuses difficultés pour
l’historien étranger qui s’intéresse à l’histoire de la Roumanie. La carence de centres de
recherche et de bibliothèques spécialisées est à ce point de vue déterminante.
La Roumanie subit aujourd’hui une situation que l’on pourrait qualifier de paradoxale.
Cette situation nous semble d’ailleurs préjudiciable pour l’avenir de ce pays. S’il y a un pays de
l’ex-bloc communiste qui fut apprécié en son temps en Occident pour des raisons précises que
nous évoquerons, ce fut bien la Roumanie. Mais ce pays souffre aujourd’hui de la méfiance
occidentale, pour des raisons tout à fait explicables auxquelles les événements troublants de la
« Révolution » de 1989, les émeutes de Tîrgu-Mures de 1990 et les « minériades » de 1990 et
1991 ne sont pas étrangers. Cette situation n’est d’ailleurs pas sans conséquence pour l’image
de la Roumanie en général, de son histoire et de la recherche. Marqués par la dictature d’un
homme et d’un système sans doute parmi les plus répressifs de l’après-guerre, les a p rio ri
relatifs à l’histoire du pays, a p rio ri notamment influencés par la légende du comte Dracula
imaginée par l’écrivain anglais Bram Stocker au XIXe siècle, ont souvent tendance à masquer la
richesse culturelle et le patrimoine historique roumains. Si cette histoire est glorifiée, voire
mythifiée ou même « sanctifiée » par une historiographie apologétique, elle est, si pas
méconnue, parfois dénigrée, et mériterait en quelque sorte une « réhabilitation » ou du moins
une nouvelle approche dans la littérature occidentale.
Il faut également souligner un autre paradoxe. La Roumanie, à la frontière des mondes
russe, austro-hongrois, hellénique, turque et slave, offre une aire d’investigation extrêmement
riche. Sa situation de confluence politique et culturelle qui engendre une histoire jalonnée de
contradictions — nous aurons l’occasion de le constater —, rendent souvent les chemins de la
recherche des plus escarpés. Par contre, l’historiographie roumaine a une nette tendance à
l’homogénéisation, voire à ce que l’on pourrait appeller une « purification ethno-historique »
dans un but politique et même « stratégique ». Alors que l’histoire roumaine est conditionnée
par sa situation géographique, point de rencontre de diverses influences culturelles, son
5
historiographie est déterminée par des idéologies déterministes nationalistes ou marxistes
réductionnistes. Cette constatation montre d’emblée la difficulté d’aborder l’histoire de ce pays
considéré déjà comme un pays balkanique alors que les Carpates le rattachent plus à l’Europe
centrale. Ce paradoxe est à l’origine de nombreux problèmes historiographiques et illustre
combien 1’ « Histoire » en Roumanie a trop souffert des contingences politiques, nationalistes et
confessionnelles. Il s’agit d’un lourd héritage que doivent supporter aujourd’hui les nouvelles
générations d’historiens roumains et dont il faut tenir compte lorsqu’on aborde l’histoire des
« pays roumains ».
Au-delà des difficultés qui se présentent à l’historien, l’histoire roumaine constitue un
domaine d’investigation riche en surprises et qui donne matière à réflexions : elle induit un
questionnement qui renouvelle sans cesse les étapes de la recherche.
6
2. Présentation du sujet
L’histoire récente des pays de l’ex-glacis soviétique — ce que l’on appelle aussi la
« transition démocratique » ou dans certains cas le « post-communisme » — , interpelle les
observateurs et analystes depuis l’effondrement du rideau de fer en 1989. Ces événements et
leurs conséquences immédiates ne cessent de poser de nombreuses questions aux instances
politiques, humanitaires, culturelles et religieuses en Occident. Trop content de voir s’effondrer
un bloc qu’il croyait pour toujours soumis au totalitarisme communiste et qui a constitué aussi
une alternative à la pensée capitaliste libérale, l’Occident s’est révélé impuissant face à des
mentalités politiques, morales, religieuses et philosophiques considérées comme figées dans
l’histoire. L’Occident s’est retrouvé confronté au « renouveau » nationaliste ou à la
« renaissance » du phénomène religieux et des fondamentalismes qui engendrent la violence,
l’intolérance et son train de conflits et de guerres régionales, sources de tensions prêtes à faire
vaciller le nouvel équilibre mondial et la paix en gestation.
Il est clair que parmi toutes les approches méthodologiques scientifiques possibles, une
des manières pour aborder ces civilisations, leurs histoires et mentalités respectives, est sans
aucun doute l’étude des phénomènes religieux car ils sont les témoins des mentalités et les
révélateurs des comportements politiques au sens large du terme. Et nous l’avons dit, cette
histoire reste à faire et suscite les plus vives passions : il s’agit d’aborder un domaine de la
société qui, en fin de compte, touche inévitablement au plus profond des convictions et des
7
seules valeurs qui semblent demeurer stables : le sentiment d’appartenance identitaire et le
phénomène de la croyance.
Le monde orthodoxe dominant dans les pays communistes reste pour l’histoire moderne
et contemporaine un domaine à étudier. On verra le nombre limité d’études et d’ouvrages
monographiques sur cette partie pourtant fondamentale de l’histoire du christianisme. Le cas de
la Roumanie est, à ce point de vue, révélateur. Le problème de l’orthodoxie dans un pays tel
que la Roumanie, religion dominante en nombre (±80%), est une question centrale dans l’abord
de l’histoire roumaine et de son passé immédiat, voire même pour l’histoire de la Roumanie
post-communiste. Les problèmes des minorités « ethniques » confessionnelles et leur
corollaire, celui des nationalismes, sont intimement liés à cette question du statut de l’Eglise.
Ces aspects sont même fondamentaux pour la géopolitique internationale, à savoir la stabilité
des frontières. Mais cette approche est également essentielle pour la question qui touche au plus
profond des mentalités de la population, l’identité, qu’elle soit « ethnique », culturelle ou
religieuse ; ce que les Roumains appellent parfois un peu rapidement, l’« âme roumaine »
{s u fle tu l ro in â n e s c ).
Il faut souligner
que depuis la « Révolution » de décembre
1989, Révolution
« confisquée » ou « coup d’Etat masqué » selon les interprétations. Révolution que nous
appellerions plutôt « événéments » de décembre 1989, la religion ou l’« Eglise » a repris une
place qu’elle avait perdue, mais non sans meurtrissures. Dans la mesure où la « spiritualité »
semble rester l’unique référence idéologique, l’unique point de repère pour une population
sortant du totalitarisme idéologique — la doctrine marxiste-léniniste ayant non seulement été
reléguée dans l’histoire, mais aussi « refoulée » dans l’inconscient— , le phénomène
religieux a repris ses droits. Reste encore à préciser les conditions et les modalités de cette
« renaissance ». Cependant cette « spiritualité » n’en reste pas moins meurtrie dans la mesure
où les fondements « identitaires » religieux furent également pervertis par quarante ans de
totalitarisme, ce qui n’est pas sans ajouter un caractère tragique à cette « transition »
démocratique.
8
Le rôle de l’Eglise, sa légitimité dans la société contemporaine roumaine et son impact sur
les mentalités sont donc des aspects primordiaux pour comprendre la société actuelle. Cet aspect
peut apporter un élément de compréhension, une pierre à l’édifice de ce qui pose un des
problèmes les plus captivants de l’actualité à l’Est ; les problèmes du renouveau religieux et du
fondamentalisme dans la société roumaine et leurs liens avec le nationalisme.
Le sujet étant extrêment vaste, nous nous intéresserons ici particulièrement aux relations
de l’Eglise orthodoxe avec la société roumaine, plus exactement avec l’Etat communiste depuis
1948. Ces rapports sont révélateurs de la conception de l’orthodoxie contemporaine, sujet
concernant non seulement l’histoire des mentalités, mais également ce qu’on appelle parfois la
« géopolitique » de l’Orthodoxie^. Plus précisément, nous nous intéresserons à l’idéologie de
l’Eglise relative à l’Etat, c’est-à-dire de son statut dans la société contemporaine.
La place de la religion dans les sociétés communistes a assurément fait l’objet de
nombreuses analyses durant la guerre froide. On constate cependant que cette question fut
souvent tributaire de la propagande à l’Est, comme en Occident. La propagande communiste et
orthodoxe montrait que les cultes jouissaient d’une totale liberté et la littérature
« confessionnelle » occidentale dénonçait la situation des Eglises à l’Est et l’univers athée
marxiste, rouleau compresseur destructeur de la foi et du message divin. Dans les années
quatre-vingt on a souvent parlé du renouveau religieux dans le bloc de l’Est à la faveur de la
« Perestroïka » et fait allusion aux tentatives de conciliation entre les confessions religieuses et
les Etats, notamment en raison des relations rétablies entre l’U.R.S.S. et le Vatican. Mais ce fut
également le « renouveau » des nationalismes et de l’exacerbation des sentiments religieux. Les
événements de Yougoslavie, mais aussi en Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie et au sein même de
la nouvelle Fédération de Russie ont montré les dangers de cette « nouvelle » dérive.
Aujourd’hui
on
n’hésite
pas
à
parler
de « fondamentalisme » religieux comme le
montrent les tendances ultra-nationalistes, voire « fascisantes », de mouvements religieux,
2 François THUAL, G é o p o litiq u e d e l’O rth o d o x ie , Ed. DUNOD (Institut de Relations
Internationales et Stratégique), Paris, 1993.
9
notamment orthodoxes. L'appui de membres des hiérarchies orthodoxes aux le a d e rs ultra
nationalistes, que ce soit en Roumanie avec le soutien d’hiérarques au renouveau légionnaire,
en Russie avec le soutien d’orthodoxes au nationaliste Jirinovsky, en Serbie, ou encore en
Grèce — la question macédonienne pour laquelle l’Eglise orthodoxe s’est mobilisée — , est à
ce point de vue révélateur.
Une étude de l’époque communiste sur le plan de la « religion » et de ses rapports avec
l’Etat et avec tout ce que recouvrent les notions de « nation », d’histoire « nationale » et
implicitement avec les problèmes des minorités « nationales » ou « cohabitantes », permet
d’expliciter les événements récents et d’établir ce que nous appellerions une « grille de lecture »,
même s’il est évident que chaque cas doit être envisagé de manière particulière et que toute
extrapolation doit être avant tout soumise à une analyse spécifique et locale.
Une telle étude permet de montrer combien la période communiste ne doit pas être
envisagée comme une période de mise entre parenthèses durant laquelle l’histoire se serait
arrêtée, mais bien dans une continuité historique. Cependant, s’il est évident que le
communisme n’est pas à la source des nationalismes, ce régime politique y contribua du moins
dans son application et ses effets.
Le désaiToi devant lequel se sont trouvés les observateurs de l’après-communisme illustre
la vision schématique que l’on avait du bloc communiste. C’est notamment le cas de la
redécouverte de la mosaïque des minorités et des peuples de l’Est considérés jusqu’alors de
manière monolithique et celui des persécutions religieuses opérées par les Etats matérialistes.
De la même manière, on redécouvrit la diversité des nations, minorités et confessions
religieuses en Europe centrale et du Sud-Est après la chute du mur de Berlin et en U.R.S.S.
après la chute de l’Union en 1991. On entendit les révélations les plus étonnantes au sujet de la
situation des Eglises à l’époque communiste. En Russie les archives furent ouvertes, et comme
provoquées par l’ouverture de la boîte de Pandore, les accusations les plus folles fusèrent de
tous côtés au sujet du rôle ambigu des Eglises et de leurs principaux hiérai'ques.
10
Présentées habituellement comme le fer de lance de l’opposition, la conviction des
croyants ayant été déterminante dans la mise en échec de l’utopie communiste^, les Eglises
furent pourtant mises en accusation pour leur collaboration active au sein des organes centraux
du pouvoir politique. Certaines Eglises avaient largement soutenu les pouvoirs communistes et
la tutelle soviétique. Parfois même elles collaborèrent activement au sein des services de sûreté
de l’Etat. L’ouverture des archives du K.G.B. à Moscou semble avoir permis de montrer que
les plus hautes instances hiérarchiques de l’Eglise orthodoxe russe figuraient au sein de ces
services^. Ce fut le cas de l’Eglise orthodoxe en Ukraine et en Bulgarie où ces événements ont
provoqué de vives tensions à l’intérieur même des Saints Synodes nationaux où l’on a vu
s’opposer des responsables ecclésiastiques « réformateurs » et des dignitaires considérés
comme « communistes »^. Les autres Eglises ne semblent pas avoir été épargnées : on a cité
3 On verra par exemple l’ouvrage récent de René La u RENTIN, L e s c h ré tie n s d é to n a te u rs d es
lib é ra tio n s à l’E s t : L ’irré s is tib le a c tio n d e D ie u s u r tro is a x e s c o n v e rg e n ts , éducation
européenne, OEIL, Paris, 1991. II suffit également de voir les nombreux articles dans la
D o cu m e n ta tio n C a th o liq u e
sur les religions à l’Est, ou l’hebdomadaire officiel de la cité du
Vatican, l’O s s e rv a tore ro m an o .
^ André MARTIN, L e s c ro y a n ts e n U R S S , l’E g lis e o rth o d o xe o ffic ie lle c o n te s té e . P e rs é c u tio n s
e t p ro c è s d e s c ro y a n ts , Fayard, Paris, 1970 ; Kathy ROUSSELET, « L’Eglise orthodoxe russe et
la politique », dans P ro b lè m e s P o litiq u e s e t S o cia u x, n°687, 18 sept. 1992 (La documentation
française). En raison de la proximité de ces événements récents, nous ne disposons
malheureusement pas encore d’études à caractère scientifique sur le rôle effectif des Eglises au
sein des organes des pouvoirs communistes. Nous citerons donc ici à titre d’information dans
le cadre de cette introduction quelques articles parus dans la presse à ce sujet : B. LECOMTE,
« Les grands prêtres du KGB », dans L e V if-E x p re s s , 8 mai 1992, pp. 82-84 ; G. JARCZYK,
« Le patriarcat était infiltré par le K.G.B. », dans L a C ro ix l’E v é ne m e n t, 26 févr. 1992, p. 16 ;
ID., « Le désaiToi de l’Eglise orthodoxe russe », Ib id ., 11 juin 1992, p. 2 ; ID., « Une religion
d’Etat », Ib id ., p. 3 ; ID., « Les compromissions de la hiérarchie », Ib id ., 12 juin 1992, p. 5 ;
ID., « Le “christianisme ouvert”, un formidable défi », Ib id ., 13 juin 1992, p. 5 ; M. KUBLER,
« L’espoir orthodoxe de la Russie », Ib id ., 23 et 24 août 1992, pp. 2-3 ; on notera déjà en
1980 : U n M o
s c o v it e
13 juin 1980, p. 2.
, « Réponse au plaidoyer pour l’Eglise orthodoxe russe », Ib id .,
l’Eglise réformée d’Allemagne de l’Est^, voire même l’Eglise catholique de Pologne^ et
l’Eglise catholique romaine de Roumanie^. Le rôle ambigu de l’institution catholique
occidentale C a rita s C a th o lic a a souvent été évoqué et certains auteurs ont parlé à propos des
ecclésiastiques catholiques de Roumanie de la « chque » de Bucarest^.
Dans le climat de dénonciation généralisée de l’après 1989, la prudence reste toutefois de
rigueur et nous ne nous prononcerons pas sur ce sujet en particulier, étant donné qu’il s’agit là
d’une question pour laquelle s’imposerait une étude des archives locales, ce qui est
inimaginable dans les circonstances actuelles en Roumanie. Il faudrait pour cela avoir accès aux
archives du Ministère de l’intérieur et de la célèbre S e c u rita te pour autant qu’elles existent
encore. Nous pensons en ouü’e que ce travail répondrait plus, dans le contexte actuel roumain, à
une procédure judiciaire, tel un « procès de Nuremberg » roumain.
Les Eglises dans les pays communistes auraient, contrairement à certaines idées reçues,
joué un rôle fondamentalement différent de celui qu’on leur a souvent attribué. A tout le moins,
le cliché des Eglises persécutées, fermées définitivement et réduites à la clandestinité doit être
nuancé, non seulement selon les confessions, mais à l’intérieur même de chaque Eglise.
L’exemple russe d’une Eglise orthodoxe officielle utilisée par l’Etat soviétique pendant la
seconde guerre mondiale et durant la guen'e froide contraste avec le sort des égüses orthodoxes
^ G. J a r C Z IK , « Tensions autour de l’Eglise d’Ukraine », dans L a C ro ix l’E v é n e m en t, 19 et
20 avril 1992, p. 20 ; ID ., « Philarète fonde une nouvelle Eglise », Ib id ., 8 juil. 1992, p. 16 ;
cfr. aussi pour la Bulgaiie : « L’Eglise orthodoxe menacée », Ib id ., 27 mai 1992, p. 16.
^ H. D E BRESSO N, « L’Eglise évangélique est-allemande en accusation », dans L e M o n d e , 12
mai 1992, p. 9.
^ G. J a r C Z Y K , « Pologne ; Fautes avouées... », dans L a C ro ix V E v é n e m e n t, 17 juin 1992,
p. 15.
^ On citera principalement les deux livres principaux pams ces dix dernières années : Cicerone
lO N ITO IU , L e m a rty re d e l’E glis e en R o u m a n ie (Le Conseil National Roumain), Ed. Résiac,
Montsûrs, 1986 ; Sergiu G RO SSU, L e c a lv a ire d e la R o um an ie c h ré tie n n e , Ed. France-Empire,
Paris, 1987.
9 C icerone lO NITO IU , o p . c it. et Sergiu Gr o SSU, o p . c it.
qui étaient encore jusqu’à une époque récente systématiquement fermées dans les campagnes et
les vüles de province.
La Roumanie est en ce domaine un exemple éloquent. Nous avons évoqué le cas des
catholiques. L’Eglise orthodoxe a été la proie de nombreuses accusations depuis la Révolution.
Le patriarche Teoctist fut dénoncé par certains révolutionnaires lors des événements de
décembre 1989. On entendit le slogan « Teoctist, Antéchrist ! » dans les rues de Bucarest^^.
Les institutions orthodoxes avaient largement soutenu le régime^^ du moins officiellement, et
des accusations semblables à celles proférées à l’encontre de l’Eglise russe des dignitaires du
Saint Synode, ont été lancées depuis 1989 dans la presse roumaine^^ Déjà avant la chute du
Nous n’avons pas pu avoir de confirmation écrite de cet événement, nous nous basons là
sur les témoignages oraux informels, mais le fait même que l’on raconte cet épisode de la
Révolution est révélateur.
11 On citera déjà ici quelques documents éloquents des dernières années du régime ;
notamment du patriarche lustin MOISESCU, « La troisième assemblée des cultes de Roumanie
pour le désarmement et la paix », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 34, pp. 9-21 ; ID ., « Réélection de Monsieur Nicolae Ceausescu à la fonction suprême de
président de la République socialiste de Roumanie, acte de volonté de toute la nation », Ib id .,
1985, 1, pp. 3-6 ; « Télégramme à son Excellence Monsieur Nicolae Ceausescu, la 49e
conférence théologique interconfessionnelle », Ib id ., XVIIe an., 1987, 2, pp. 22-27 ;
« Hommage au président de la Roumanie », Ib id ., XVIIIe an., 1988, 1, pp. 3-8 ;
« Télégramme
à
son
Excellence
Monsieur
Nicolae
Ceausescu,
la
conférence
interconfessionnelle solennelle dédiée au 45e anniversaire de la fête nationale », Ib id ., XIXe
an., 1989, 4, pp. 8-15 ; cfr. les écrits du patriarche TEOCTIST, « A son excellence Monsieur
Nicolae Ceausescu ... », Ib id ., XVlle an., 1987, 5, pp. 7-9, et ses discours : P e tre p te le
s lu jirii c re s tin e , 3 vol, Bucuresti, 1989, passim.
12 Un des premiers journaux roumains à dénoncer ce phénomène fut R o m â n ia L ib é ra . On
verra principalement les réponses et démentis à ces accusations de la part des autorités
ecclésiastiques de la patriarchie : LE PATRIARCAT R O UM AIN , « L’Eglise orthodoxe condamne
le communisme », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., 1990, 5-6, p. 8 ;
LE S a i n t S y n o
de de l
’E g
l is e o r t h o d o x e r o u m a in e ,
« L’Heure de Vérité : lettre irénique
de l’Eglise orthodoxe roumaine aux Eglises, aux organisations chrétiennes internationales et à
tous nos frères roumains hors du pays », Ib id ., XIXe an., 1989, 6, pp. 3-5 ; A. M a n O L A C H E ,
régime de Ceausescu, le lieutenant général de la S e c u rita te Ion Mihai Pacepa, ancien
responsable passé à l’Ouest du D.l.E. « D é p a rte m e n ta l d e In fo rm a n e e x te rn e » (Département
d’information extérieure), affirmait en 1987 que le régime avait fait de l’Eglise Orthodoxe
Roumaine une « cinquième colonne » composée de prêtres, agents du D.l.E. ou de la
S e c u rita te ^^ .
On notera qu’au lendemain de l’instauration de la démocratie populaire roumaine après
r« abdication » du roi Mihai (1927-1930 ; 1940-1947)^^, des voix tentèrent de se faire
entendre en Occident pour montrer combien le nouveau patriarche Justinian Marina (19481977) était à la solde du nouveau pouvoir. Déjà à ce moment on parla dans le cas roumain de
« prêtres rouges » et les accusations les plus incroyables aux yeux des Roumains tentèrent de
démontrer que l’ancien patriarche avait été assassiné en 1948 pour mettre au sommet du Saint
« Points de vue : Au moins le juste jugement sinon le jugement juste », Ib id ., XXe an., 1990,
2, pp. 12-14. On veiTa aussi la virulence des répliques orthodoxes soulignant les pérsécutions
de l’Eglise orthodoxe par le régime communiste : lOASAF (le moine) « Témoignages : sacrifices
chrétiens au temps du régime communiste », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e ,
XXe an., 1991, 3-4, pp. 12-13 ; D. S t
a n il o a e
, « Témoignages : La persécution de l’Eglise
orthodoxe roumaine sous le régime communiste », Ib id .,
XXe an., 1990, 1, pp. 8-11 ;
I. MIHALTAN CRISANUL, « Biserica ortodoxà a fost compromisà ? », dans T e le g ra fu l R o m â n ,
fo a ie e d ita ta d e a rh ie p is c o p ia o rto d o x à ro m â n a a S ib iu lu i, Sibiu, an. CXXXVin, 1 oct. 1990,
37-38, pp. 1 et 3 ; cfr aussi l’écho de ces événements dans la D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e :
« Roumanie ; après la chute de Ceausescu », n°2000,72e an., t. 87, fév. 1990, n°4, pp. 177179 ; « Roumanie : N o us a u rio n s p u fa ire p lu s » , Ib id ., n°2003, 72e an., t. 87, avr. 1990, n°7,
pp. 364-367.
Ion M. P a c
epa
, H o riz o n s ro u g e s (Ed.orig. Red Horizons, 1987), Ed. franç.. Presses de
la Cité, 1988, réed.. Presses Pocket, Paris, 1990, p. 298. Bien que ce livre ne soit que le
témoignage d’un « repenti », il n’en est pas moins intéressant pour les informations qu’il
présentait en 1987 (son édition roumaine après 1989 provoqua de très nombreuses réactions,
notamment dans la presse nationaliste roumaine).
1'^ La régence du roi Michel précéda le règne de son père Carol en 1927-1930. Michel régna
en 1940 sous la dictature d’Antonescu jusqu’au coup d’Etat communiste du 28 décembre 1947,
lorsque le roi fut contraint d’abdiquer.
14
Synode un patriarche inféodé aux communistes^^. Pai‘ la suite, le second patriarche de l’époque
communiste, Justin Moisescu (1977-1986), fut également considéré par certains auteurs
roumains en exil comme l’artisan avec Ceausescu de la destruction de l’Eglise et du peuple
roumains*^. Enfin, lorsque le régime tomba en 1989, on a vu le troisième patriarche Teoctist
Arapasu (1986- ) démissionner « pour problème de santé » et remonter sur le trône patriarcal
six mois plus tard, sa démission ayant été jugée anticanonique et injustifiée, lorsque le F.S.N.,
le Front de Salut national {F ro n ta l d e S a lv a re n a tio n a l) d’Iliescu et le nouveau pouvoir furent
suffisamment bien implantés*^. Depuis lors, la littérature orthodoxe, qui naguère louait le
régime communiste, clame haut et fort avoir toujours été contre le communisme, laissant parfois
apparaître des contradictions, on le vema, évidentes.
Cette question est aujourd’hui d’une actualité brûlante et suscite dans le contexte de la
« transition » démocratique les passions les plus vives en Roumanie La véhémence de la
littéramre orthodoxe depuis 1989 qui se défend contre toutes les attaques, illustre combien cette
question est à l’ordre du jour et ce d’autant plus que réapparaissent aujourd’hui les problèmes
qui lui sont liés, ceux des minorités confessionnelles et du nationalisme. La littérature antiuniate en est l’exemple le plus frappant. Ce sujet fut mis sur la place publique après décembre
Pierre G h e r
ma n
, L ’â m e ro u m a in e é c a rte lé e ; fa its e t d oc u m en ts ,
Ed. du Cèdre, Paris,
1955 ; cfr. la réponse à ces accusations de George RACOVEANU, « Die rumanische orthodoxe
Kirche wàhrend der kommunistischen Herrschaft », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 4, 1955, 1,
pp. 61-75 ; cfr. aussi ; H. MONDEEL, « Patriarch Justinian van Roemenië », dans H e t
C h ris te lijk O o s te n , Nimègue, t. 30, 1978, pp. 3-14.
Sergiu GROSSU, op. c it. ; cfr. aussi sur les persécutions de l’Eglise catholique en
Roumanie, le témoignage paru récemment : Helena D a n u b i a , Ils o n t v o u lu tu e r l’H o m m e , Ed.
Saint-Paul, Paris-Fribourg, 1992.
O n veiTa aussi à propos de tous ces événem ents récents et révélations les articles suivants
parus dans la presse : LE S A IN T SYN O DE DE L’EG LISE O R TH O D OXE R O U M AIN E, « La
renaissance de l’E glise orthodoxe », dans L a C ro ix l’E v é n e m en t, 15 janv. 1990, p. 2 ;
V . H U G EU X, « A près la dém ission du patriai'che Teoctist ; L ’Eglise onhodoxe roum aine relève
la tête », Ib id ., 22 janv. 1990 ; G. J a r
c zy k
, « R oum anie et B ulgarie, des responsables
religieux liés à la police com m uniste », Ib id ., 20 m ars 1992, p. 12. P our la situation politique
post-révolutionnaire, cfr. le point II dans la conclusion de ce travail.
15
1989 et constitue une question taboue car il remettrait en question de nombreux points
concernant le régime communiste et les événements qui y mirent un terme. U faudrait là mettre
en cause le plus profond de ce qui reste à la communauté des croyants orthodoxes dans le vide
idéologique actuel ; ce que les Roumains appellent l’« âme roumaine » ou plus simplement les
consciences.
La remise en question ou simplement la discussion de ces problèmes entraîne, en raison
des incidences politiques et identitaires, un ensemble de questions litigieuses fondamentales sur
la société, que le contexte actuel de transition ne semble pas pouvoir encore assumer. A cause
du caractère encore mouvant et flou de la situation politique et du manque de clarté sur le passé
communiste, apparemment volontairement entretenu par le nouveau pouvoir, ces questions ne
sont pas à l’ordre du jour du débat public. On ne citerait par exemple que le problème de la
restitution des biens ecclésiastiques nationalisés, des grandes propriétés et plus simplement
encore le problème de la hiérarchie ecclésiastique qui dans bien des cas n’a pas changé lors du
renversement du communisme.
D’emblée, il est nécessaire d’insister sur le fait que notre étude sera limitée, par ses
dimensions et ses impératifs matériels, à l’analyse de la situation de l’Eglise officielle
orthodoxe, et non aux questions relatives aux problèmes de la croyance orthodoxe, des
croyants et de la façon dont fut vécu le sentiment religieux sous le communisme. Ces problèmes
mériteraient, il est vrai, d’auü'es études et nécessiteraient certainement une méthodologie tout à
fait adéquate basée plutôt sur des enquêtes systématiques d’ordre sociologique, ce qui aurait
dépassé totalement le cadre de ce travail.
3. Traditions byzantines : une hypothèse
De nombreux historiens et politologues ont invoqué le caractère propre de l’Eglise
orthodoxe et ses traditions ancestrales pour montrer que dans les pays où la rehgion orthodoxe
est dominante, le processus de démocratisation se trouve entravé. L’attitude de l’Eglise serait
conditionnée par une habitude séculaire de soumission à l’Etat, ou de collaboration étroite, en
référence aux liens qui unissaient l’Eglise et l’Etat, le patriarche et l’empereur à Byzance.
Certains ont invoqué une continuité entre la situation byzantine, la situation de
l’orthodoxie dans les Balkans sous la domination ottomane, et la position de l’Eglise orthodoxe
sous le communisme, et ont montré la permanence dans les mentalités d’une alliance
traditionnelle de l’Eglise et de l’Etat, cai’actérisée par une soumission de l’Eglise à des pouvoirs
forts ou autoritaires, voire totalitaires. L’historien hongrois H. Bogdan souligne en 1990 dans
sa grande synthèse sur l’histoire des pays de l’Est la différence de culture politique entre les
mondes marqués par le catholicisme et le protestantisme, d’une part, et l’orthodoxie, d’autre
part : « Là où l’Eglise romaine a réussi à s’implanter chez les peuples “ barbares ” , elle a facilité
la formation d’Etats durables et indépendants de l’Empire germanique. Là au contraire où a
dominé l’influence de l’Eglise d’Orient, l’association étroite entre l’Eglise et l’Empire byzantin a
entravé, et pour longtemps encore, la formation d’Etats slaves indépendants. Byzance a utilisé
l’Eglise grecque — et l’Eglise grecque s’est laissé volontiers utiliser — comme moyen de
domination politique, tout comme plus tard à l’époque ottomane, l’Eglise grecque sera le
meilleur agent de l’oppression turque sur les Slaves des Balkans
Ainsi, si l’Eglise et l’Etat restent fondamentalement liés, une laïcisation de la société et
une séparation des pouvoirs spirituels et temporels ne peuvent être réalisées. Alors que nos
régions ont connu une laïcisation lente de la société, les auteurs font remarquer l’absence de
cette évolution dans les pays où l’orthodoxie est dominante, et ce en raison de la persistance de
la notion d’« harmonie » ou de « symphonie » entre les deux pouvoirs. L’Eglise orthodoxe
aurait toujours été un frein au processus de démocratisation de l’Etat et au pluralisme garanti par
un Etat laïque^^. Comme le souligne entre autres J. Kotek, « l’histoire religieuse de l’Occident
(et donc du centre-est européen) chrétien a abouti mès rapidement à la séparation du spirituel et
du temporel. Comme le soulignent à souhait les intellectuels hongrois, polonais ou tchèques,
cette séparation, qui est à l’origine même du pluralisme, est absente du modèle byzantin ou
russe, caractérisé par le Césaro-papisme, c’est-à-dire par la fusion forcée du spirituel et du
temporel, bref de l’idéologie et de la politique. D’où la longue tradition de soumission de
l’Eglise orthodoxe à l’Etat russe (ou encore serbe ou roumaine) et son refus de s’ériger en force
sociale, à opposer à la formidable résistance des Eglises catholiques et protestantes d’Europe
centrale au cours des quarante dernières années, de Pologne, de R.D.A. mais aussi de
Slovénie, d’Ukraine et de Lituanie
Henry BO G D AN, H is to ire d e s p a y s d e l’E s t d e s o rig in e s à n o s jo u rs , Paris, 1990, p. 55.
Sur la question de la laïcité en Europe occidentale on verra essentiellement : H is to ire d e la
la ïc ité , p rin c ip a le m e n t e n B e lg iq u e e t e n F ra n c e , dir. Hervé H ASQ U IN , La Renaissance du
Livre, Bruxelles, 1979 ; Emile POOL AT, L ib e rté , L a ïc ité , L a g u e rre d e s d e u x F ra n c e e t le
p rin c ip e d e la m o d e rn ité ,
coll. « Ethique et société », Ed. du Cerf, Paris, 1987. Cfr. les
articles publiés dans le tout récent volume P lu ra lis m e re lig ie u x e t la ïc ité s d a n s l’u n io n
e u ro p é e n n e . P ro b lè m e s d ’H is to ire d e s R e lig io n s , 5, 1994, édit. Alain Dierkens, Ed. de
l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1994.
Joël KO TEK, L a n o u v e lle E u ro p e c e n tra le : h is to ire d e l’E u ro p e k id n a p p é e , a c tu a lité d e
l’E u ro p e lib é ré e , Bruxelles, 1990 (ULB, Centre d’Etude des Relations Internationales et
Stratégiques), p. 8.
Les traditions orthodoxes d’une part, catholiques et protestantes de l’autre, expliqueraient
le clivage entre deux zones distinctes en Europe centrale et du Sud-Est, l’une influencée par une
culture byzantine, grecque et orientale, l’autre essentiellement latine^L Comme l’affirme H.
Hasquin, « Comment ne pas s’interroger sur le fait que les Etats, sans parler de l’U.R.S.S.,
qui éprouvent quelque mal à s’insérer dans le processus démocratique enclenché en 1989, sont
des pays où domine cette confession (orthodoxe) : la Bulgarie (83, 2 %), la Roumanie (80 %),
la Yougoslavie (34, 6 %) mais avec un poids considérable en Serbie ? »22.
Ainsi, les liens étroits établis entre les pouvoirs spirituel et temporel, l’Eglise orthodoxe et
l’empereur byzantin, auraient survécu à la chute de l’empire chrétien d’Orient lors de la période
post-byzantine, mais aussi à l’époque contemporaine. L’idéologie byzantine conditionnerait
encore aujourd’hui les traditions politiques et culturelles des pays balkaniques de l’ancien
« c o m m o n w e a lth » byzantin. T. Beeson par exemple, dans son livre P ru d e n c e e t c o u ra g e , la
s itu a tio n re lig ie u s e e n R u ssie e t e n E u ro p e d e l’E st, décrivant les relations entre le métropolite
de Minsk Nicodème et l’Etat soviétique, affirmait en 1975 : « Ce serait sans doute une erreur
que de le comprendre en dehors de la tradition byzantine de 1’“ harmonie ” entre l’Eglise et
l’Etat »23.
Pour un aperçu général de la question ; J. SZUCS, L e s T ro is E u ro p e s , préface de
F. Br a u d e l , Essai l’Harmattan, Paris, 1986 ; Paul MOJZES, C h u rc h a n d S ta te in p o s tw a r
e a s te rn E u ro p e , a b ib lio g ra p h ic a l su rve y, Greenwood Press, Londres, 1987 (Bibliographies
and Indexes in Religions Studies, n°ll), pp. 3-26 ;
cfr. notamment l’article récent :
S. FISCHER-Ga l a t I, « Relations between Church and State in contemporary Romania », dans
T h e B y z a n tin e L e g a c y in E a s te rn E u ro pe , édit L.
Cl
u CAS (East European Monographs, 230)
Colombia University Press, New York, 1988, pp. 283-295 ; cfr. aussi : Nicolae lO R G A, L e
c a ra c tè re c o m m u n d e s in s titu tio n s d u S u d -E s t d e l’E u ro p e , Paris, 1929 ; S. R U N C IM AN , T h e
b y z a n tin e in h e rita n c e in S o u th -E a s te m E u ro p e , Oxford-Clarendon Press, 1948.
22 Hervé HASQUIN, « Les libertés et les nouveaux défis religieux », dans L ib é ra lis m e ,
1991/6, Bruxelles, p. 34.
23 Trevor BEESON, P ru d e n c e e t c o u rag e , la s itu a tio n re lig ie u s e e n R u s s ie e t e n E u ro p e d e
l’E s t, Ed. du Seuil, Paris, 1975, p. 44.
A.
Ducellier affirmait en 1990, quelques mois à peine après la Révolution roumaine, lors
d’un colloque organisé à fUniversité Libre de Bruxelles sur le thème L e s o u v e ra in à B y z a n c e e t
e n O c c id e n t, d u V ille a u X e s iè c le : « L’idéal autocratique romain reste, du XVe siècle à nos
jours, profondément ancré dans l’esprit et guidant la conduite des princes successeurs, russes
ou roumains, dont les sujets y avaient été dès longtemps rompus sous la tutelle byzantine, et les
despotes d’Europe orientale, qui ne viennent qu’aujourd’hui de faire place nette, et peut-être
seulement en apparence, en ont tiré une constance leçon
D’emblée on soulignera que l’hypothèse d’une survivance du « byzantinisme » à l’époque
contemporaine, si l’on devait la radicaliser, devrait en toute logique montrer que le clergé
orthodoxe, indépendamment de l’évolution politique contemporaine des pays roumains, serait
resté ancré dans ses traditions ancestrales jusqu’à implicitement assimiler sur le plan théorique le
régime communiste au pouvoir byzantin ou post-byzantin. Celui-ci étant le représentant de Dieu
sur terre selon les fondements théologiques de l’Eglise orientale, on comprend le paradoxe
qu’engendre pareille thèse et tous les problèmes qu’elle pose dans le contexte contemporain.
En réalité, cela pose inévitablement le problème de la coexistence d’une conception
chrétienne de la société et de l’athéisme d’Etat imposé par le régime. Les détracteurs de cette
hypothèse mettent en exergue cette incompatibilité, cette inadéquation entre deux visions de la
société totalement opposées^^. Cette problématique nous montrera les problèmes de la distance
entre la Constitution, la politique du Parti communiste et la position de l’Eglise, ainsi que
l’attitude de ses hiérarques. Il faut en effet différencier la haute hiérarchie et l’« élite »
intellectuelle orthodoxe des fidèles et des croyants.
De multiples aspects pouixaient être traités et ces quelques lignes montrent combien les
questions sont nombreuses et complexes, dans la mesure où l’on cerne rapidement l’enjeu de la
Alain D U C E LLIE R , « Idéologie autocratique, Byzance et notre temps : quelques
réflexions », dans L e s o u v e ra in à B yza nce e t e n O c c id en t, d u V ille a u X e s iè c le , Edit. Alain
D IERKEN S, Jean-Marie Sa n STERRE, B y z a n tio n , t. 61, 1991, 1, p. 311.
25 George Ra COVEANU, « Die rumânische orthodoxe Kirche wâhrend der kommunistischen
Heirschaft », dans O s tk irc h lic h e S tu d ien , t. 4, 1955, n° 1, pp. 61-75.
20
problématique historique. Lorsque les aspects religieux et politiques s’entremêlent, l’analyse
des relations de cause à effet devient extrêmement complexe.
Nous envisagerons cependant dans cette étude la thèse suivante :
« Dans quelle mesure les traditions de l’Eglise orthodoxe, héritières d’un modèle byzantin
imprégné de “ césaropapisme ” qui ignorait la séparation des pouvoirs temporel et spirituel,
ont-elles influencé les comportements démocratiques dans les pays d’Europe où cette Eglise est
dominante ? Le cas particulier de la Roumanie depuis 1948. »
Nous nous interrogerons sur ce qui peut être attribué aux « traditions »
byzantines
proprement dites et ce qui peut l’être au « communisme » , ou plus exactement à son application
en Roumanie en tant que totalitarisme ou pouvoir dictatorial. Il s’agira donc de mesurer la
validité de ce que l’on pourrait appeler un « modèle » byzantin imprégné de césaropapisme,
qui implique une absence de séparation des pouvoirs, et ce dans le cadre particulier de la
Roumanie.
Nous tenons cependant à souligner d’emblée que s’il s’agit de montrer les relations
étroites possibles entre l’Eglise et l’Etat, ce ne pourrait être interprété comme une tentation
« révisionniste » de notre part qui viserait à nier l’horreur de la persécution de l’Eglise par l’Etat
et de la tentative de suppression et de destruction de la religion par la négation de la liberté
véritable de conscience^^. Nous étudions la manière dont l’Eglise orthodoxe s’est laissée
asservir par l’Etat ; par quelle idéologie elle s’est maintenue sous la dictature ; comment elle a
légitimé son adaptation au régime communiste ; pourquoi elle s’est laissé tenter par un
26 Nombreux sont les ouvrages sur les persécutions communistes. On verra cependant outre
ceux déjà cités, l’article d’Hervé HASQUIN sur le problème de : « La liberté religieuse en régime
communiste », dans E g lis e s e t so ciété s d ’a u jo u rd ’h u i, coll. Laïcité, série Actualités, n°4, Ed. de
l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1986, pp. 11-27.
21
opportunisme de circonstance ou par la volonté de rester ancrée dans sa tradition du respect de
l’Etat.
22
4. Le choix de la Roumanie comme aire d’investigation et limites
géographiques
Plusieurs pays poun'aient faire l’objet d’une telle enquête et une étude compai’ative avec
d’autres régions orthodoxes d’Europe orientale serait d’ailleurs indispensable pour tirer des
conclusions plus définitives. En effet, le cas russe, qui pourrait constituer un « modèle » en
quelque sorte, offrirait l’exemple peut-être le plus révélateur. Mais on pourrait citer aussi
rUkxaine, pays où l’Eglise orthodoxe connaît, depuis l’indépendance du pays au sein de la
C.E.I., maintes vicissitudes en raison de son passé communiste, de ses velléités d’accession à
l’autocéphalie et au rang de patriarcal, mais aussi de l’existence de l’Eglise uniate ukrainienne.
Pour les Balkans, il faudrait étudier les cas de la Bulgarie, de la Serbie, ou du Monténégro et de
la Macédoine, deux régions où les Eglises orthodoxes, à l’instar de l’Ukraine, désirent le titre
de patriarcat ; et dans d’autres conditions, mais certainement avec un grand intérêt, le cas de la
Grèce, peut-être plus classique dans la mesure où elle ne fut pas intégrée dans le glacis
soviétique, mais où l’orthodoxie reste une des composantes tout à fait fondamentale de la
société et des mentalités. Le poids de l’Eglise orthodoxe grecque actuellement s’est fait
durement ressentir dans l’affaire de la carte d’identité européenne, mais aussi dans le conflit
macédonien qui ont fait de la Grèce un cas tout à fait particulier au sein de la Communauté
européenne. L’exemple grec pourrait assurément constituer un second « modèle » fort différent
du cas russe et faù'e l’objet d’une étude similaire.
23
En outre, l’étude de pays catholiques, voire même protestants, pour le cas de l’époque
communiste serait intéressante dans la mesure où le rôle de ces Eglises fut également ambigu
sous les dictatures marxistes. Une telle étude remettrait vraisemblablement en question les
clichés largement répandus par l’Eglise catholique, à savoir l’opposition des Eglises catholiques
aux totalitarismes mai'xistes^^.
La Roumanie, comme l’ex-Yougoslavie, est un pays qui compte une grande diversité de
confessions, mais qui surtout ne fut unifié qu’en 1918, alors qu’avant la première guerre une
partie occidentale, la Transylvanie, était tournée vers l’Occident depuis le moyen âge, l’autre,
orientale, la Moldavie et la Valachie, vers Byzance et l’empire ottoman.
Plus précisément, la Roumanie, « Etat national unitaire » depuis les Traités de Versailles
de 1918, est à l’instar de la Yougoslavie un pays qui se trouve sur la ligne de démarcation
établie par les analystes entre les deux zones citées plus haut^^.
27 O n verra l’exem ple de la H ongrie : Paul G . BO ZSO KY et Laszlo LU KACS, D e l’o p p re ss io n
à la lib e rté . L ’E g lis e e n H o n g rie 1 9 4 5 -1 9 9 2 . C h ro n iq u e d e s é v é n e m e nts o rd in a ire s e t
e x tra o rd in a ire s : té m o in s e t té ino ign a g e s , coll. « P olitique & C hrétiens », Beauchesne E diteur,
P aris, 1993.
28 On précisera qu’il n’existe, à ce jour, aucune grande monographie récente sur l’histoire de
la Roumanie qui ne soit imprégnée de l’idéologie marxiste-léniniste ou nationaliste. On
signalera cependant l’historien français, G. C a s t
el l an
, A h is to ry o fth e R o m a n ia n s , trad. de
N. BRADLEY (East european monographs n° 257), Boulder, dist. Columbia University Press,
New York, 1989 ; ID., H is to ire d e la R o u m a n ie , Presses universitaires de France, coll. « Que
sais-je ? », Paris, 1984, et l’ouvrage ancien de R.W. S E T O N -W a t S O N , A h is to ry o f th e
R o u m a n ia n s : F ro m ro m a n tim es îo th e c o m p le tio n o f u n ity . Cambridge, England : The
University Press, 1934 ; on veiTa aussi le récent ouvrage de Catherine DURANDIN, H is to ire d e
la n a tio n ro u m a in e , coll. « Questions au XXe siècle », Ed. Complexe, 1994. Cfr. la récente
réédition augmentée de Vlad G e o r G E S C U , T h e R o m an ian s . A H is to ry , Ohio State University
Press, Columbus, 1991, rééd. de Is to ria R o m â n ilo r d e la o rig in i p în a în z ile le n o a s tre ,
American Romanian Academy of Arts and Sciences, Los Angeles, Munich, 1984, et édité en
Roumanie sous ce titre, dans la coll. « Historia Magistra Vitae », Ed. Humanitas, Bucuresti,
1992. De manière plus générale : Georges C a s t
el l an
,
d es B a lk a n s , X lV e -X X e
s iè c le s . Fayard, 1991, et l’ouvrage suivant pour son approche socio-politique pour l’époque
contemporaine : M. SHAFIR, R o m a n ia : p o litic s , é c o n o m ie s a n s d s o c ie ty : p o litic a l s ta g n a tio n
24
La Transylvanie, la région occidentale du pays, fut en effet jusqu’au début du siècle dans
ce que l’on pourrait appeler l’orbite latine. Elle fut partie intégrante du royaume hongrois dès
l’anivée des Magyars en Europe au moyen âge aux IXe et Xe siècles, sous statut spécial lors de
la défaite de Mohâcz en 1526 devant les Ottomans ; elle fut placée sous l’administration de
Vienne en 169P9, hongroise en 1848-1849, et définitivement dépendante de Budapest en 1867
sous le dualisme austro-hongrois^®
Transylvanie est appelée généralement par les Hongrois
la « Hongrie historique ». Elle est l’objet du litige frontalier entre Hongrois et Roumains, ces
derniers revendiquant la thèse de la continuité daco-romaine du peuple roumain, aspect sur
lequel nous reviendrons abondamment dans le cadre de la « récupération » orthodoxe de cette
thèse.
a n d s im u la te d c h a n g e (Marxist Régimes), Londres 1985, ainsi que l’ouvrage récent sur
révolution constitutionnelle de la Roumanie : E. FO C SEN EAN U , Is to ria c o n s titu tio n a ld a
R o m â n ie i, 1 8 5 9 -1 9 9 1 ,
Humanitas, Bucuresti, 1992. Cfr. au point II/2 de cette introduction,
relatif à l’idéologie marxiste dans l’historiographie roumaine, les ouvrages de référence sur
l’histoire roumaine générale, édités en Roumanie sous le communisme.
29 L’appartenance de la totalité de la Transylvanie (Transylvanie s tric to se n su , mais aussi
Banat, Oltenie, Crisana, Maramures) à la couronne des Habsbourg se fit en plusieurs temps.
Elle débuta à la diète de Fagaras en 1688 qui mit fin à la domination ottomane, la date de 1691,
date du Diplôme léopoldien, est retenue en général par les Roumains. En 1687 à la diète de
Presbourg les Etats accordent la couronne de Hongrie à la maison des Habsbourg, et 1699 fut
confirmé au traité de Carlowitz la fin du pouvoir des ottomans de Transylvanie (reconnaissance
ottomane). C’est en 1718 par le traité de Passarovitz que la domination habsbourgeoise est
confirmée, notamment par la possession de l’Olténie et du Banat.
30 Les ouvrages roumains sur la Transylvanie sont très nombreux. Nous les citerons au point
II/3 relatif à la thèse de la continuité daco-romaine. On verra néanmoins le livre hongrois de
Bêla KÔPECZI, E rd é ly tô rté n e te , 3 vol., Akadémiai Kiado, Budapest, 1986, réédité en français
très récemment en un volume, H is to ire d e la T ra n s y lv a n ie , Akadémiai Kiado, Budapest, 1992
; cfr aussi un ouvrage roum ain en français ; C. Da ICOVICIU, M. CONSTANTINESCU, B rè v e
h is to ire d e la T ra n s y lv a n ie
(B ibliotheca H istorica R om aniae, M onographies III), B ucuresti,
1965, résum é des deux volum es D in is to ria T ra n s ilv a n ie i, vol. 1, C. DAICOVICIU, S. PASCU,
V. CHERESTESIU,
s.
IMREH,
a . N E A M TU , T. M O R A RIU , V ol. 2, V . C H ERESTESIU, C.
B O D E A , B. S U R D U , C . M U RE S A N , V . N U TU, A . EG YED , V . C U RTIC A PE A N U, A .R .P .R .,
B ucuresti, 1961.
25
Les principautés valaque et moldave à majorité orthodoxe ont été créées aux Xnie et XlVe
siècles. Elle sont considérées comme dépositaires de Byzance dans l’empire ottoman par
certains auteurs comme le célèbre historien roumain N. lorga. Les deux principautés sont
qualifiées par la formule devenue célèbre en Roumanie : « Byzance après Byzance ». Le
Règlement organique les mit sous protectorat russe en 1831 tout en maintenant la suzeraineté
turque. Elle furent réunies en 1859 sous le prince Alexandre Ion Cuza et restèrent sous
suzeraineté turque jusqu’à la guerre russo-turque de 1877-1878^^ appelée par les Roumains,
« guerre d’indépendance ». Leur indépendance fut proclamée en 1878 au traité de San Stefano
et confirmée au Congrès International de Berlin la même année. Elles devinrent un royaume, le
« R e g a t », ou l’« Ancien Royaume », lorsque Carol de Hohenzollem-Sigmaringen, devenu
prince des Principautés Unies en 1866, fut couronné roi en 1881. Depuis la Grande Union de
1918 proclamée à Alba luHa en Transylvanie, l’histoire des trois principautés est traitée par les
Roumains de manière « nationale » unitaire. Le destin de ce peuple était tracé dans le cadre de
l’ethnogenèse du peuple roumain depuis l’antiquité, ou plus exactement depuis le bas-empire.
Ce pays offre donc une excellente aire d’investigation puisqu’on peut y analyser des
traditions culturelles différentes. De la même manière que la Yougoslavie est divisée jusqu’en
1918 entre la Croatie catholique et la Serbie orthodoxe, avec la Bosnie-Herzégovine comme
point de rencontre, la Roumanie est également partagée sur le plan confessionnel. Le problème
uniate en Transylvanie, ou du « gréco-catholicisme » ou de l’« Eglise catholique roumaine de
rite byzantin »^^, pont confessionnel entre le catholicisme et l’orthodoxie orientale grecque.
La Valachie et la Moldavie avaient un statut particulier à l’époque turque. L’administration,
les voïvodes restèrent roumains, sauf à l’époque phanariote, 1711-1821, lorsque les
principautés étaient gouvernées par des hospodars grecs du Phanar à Constantinople.
32 Les ouvrages sur l’uniatisme seront cités dans le chapitre consacré à ce sujet dans la
troisième pailie. On veira cependant de manière générale les chapitres consacrés à l’uniatisme
dans l’Europe de l’Est dans : Wilhelm D E V r
ie s
, R o m u n d d ie P a tria rc h a te d e s O ste ns, Verlag
Karl Alber Freiburg, München, 1963 (Orbis Academicus, Bd. III/4) et l’article récent de S.
KELEHER, « Church in the Middle: Greek-Catholics in Central and Eastem Europe », dans
R e lig io n , S ta te a n d S o c iety , vol. 20, f 3-4, 1992, The Keston Journal, pp. 289-302.
26
permet des analyses intéressantes. Aux confins de la Slovaquie, de la Pologne et de l’Ukraine,
on constate également cette fracture entre des minorités catholiques uniates, protestantes et
orthodoxes dans les pays appelés parfois « ruthènes ». La confession uniate eut en Pologne et
en Ukraine après l’Union de Brest-Litovsk en 1596, en Slovaquie après celle de Uzhorod en
1646^3^ en Transylvanie par l’Union d’Alba Iulia en 1699-170P^, un rôle prépondérant sur le
plan des contacts avec le monde latin, les Lumières et la naissance des nationalismes. Cette
question « uniate » sera également un des points centraux de ce travail, dans la mesure où il
figure en contrepoint de l’idéologie orthodoxe depuis 1948.
Alors que la Roumanie figurait parmi les plus dictatoriaux des pays de l’Est, la religion
orthodoxe semblait y être une des Eglises les plus favorisées de l’Europe communiste. En
outre, la dictature de Ceausescu semble bien illustrer cette convergence entre un régime
cenüaliste unitaire influencé par l’Occident et un despotisme oriental influencé par l’Orient.
En réalité, la Roumanie, aux confins de la latinité et de l’hellénisme, de la zone
d’influence de Rome et de Constantinople, des marches de l’empire occidental médiéval et de
l’empire byzantin, des empires austro-hongrois, russe et ottoman à l’époque moderne et
contemporaine, offre une excellente aire d’investigation et permet une comparaison avec les
régions appelées dans la chancellerie hongroise « au delà des forêts », la Transylvanie,
T ra n s ilv a n ia en latin, E rd é ly en hongrois, et les « pays » transearpatiques, les pays roumains
3 3 M . S . J. L a C K O , « Die Union von Uzhorod (1646) », dans Wilhelm DE V r
ie s
, R om und
d ie P a tria rc h a te d e s O s te n s o p . c it., pp. 114-131 ; ID., « Die Uzhoroder Union », dans
O s tk irc h lic h e
S tu d ie n , t. 8, 1959, f. 1, pp. 3-30 ; ID., ü n io ü z h o ro d e n s is
R u th e n o ru m
C a rp a tic o ru m c u m e c c le s ia c a th o lic a , Rome, 1955 (Orientalia Chrisüana Analecta, 143).
34 On ven-a principalement les travaux de Silviu DRAGOMIR, « Romînii din Transilvania si
unirea eu Biserica Romei », dans S tu d ii s i m a te ria le d e is to rie m e d ie , vol. 3, 1959, pp. 323337 ; ID., R o m în ii d in T ra n s y lv a n ia sJ u n ire a e u B is e ric a R o m e i. D o c u m e n te a p o c rife p riv ito a e
la în c e p u tu rile iin irii e u c a to lic is m u l ro n m n (1 6 9 7 -1 7 0 1 ), Bucuresti, 1963, rééd. à Cluj, 1990.
27
nord-danubiens35.
35 Pour la géographie de la Roumanie on verra essentiellement : E n c ic lo p e d ia g e o g ra fic d a
R o m â n ie i, Ed. Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti, 1982 ; Emmanuel DE
Ma r
t o NNE,
« Europe centrale », dans G é o g ra p h ie u n ive rs e lle , publ. P. VIDAL DE LA BLACHE ET L.
Ga l
l o is , t. 4, 2e partie, Paris, 1931 (Roumanie, pp. 699-810) ; ID., L a V a la c h ie . E s s a i d e
m o n o g ra p h ie g é o g ra p h iq u e . Librairie Armand Colin, Paris, 1902. Pour les noms de lieux et de
villes en Transylvanie, on verra le dictionnaire de correspondance entre les toponymies
roumaine, hongroise, allemand : Szabo M. ATTILA, Szabo M. ERZSEBET, D ic tio n a r d e
lo c a litd ti d in T ra n s ilv a n ia . E rd é ly i h elysé gn évszô târ. O rts n a m e n v e rz e ic h n is fu r S ie b e n b ü rg e n ,
Kriterion, 1992. Pour la géographie du XIXe siècle on verra : G.I. La h o VARI, M a re le
d ic tio n a r g e o g ra fic a l R o m â n ie i, 5 vol., Bucuresti, SOCEC, 1898-1902.
28
5.
Le choix de l’époque communiste et ses limites chronologiques :
1948-1989
Idéalementi il faudrait étudier nombre de moments clefs de l’histoire moderne roumaine,
les étapes de transition ; le passage d’une société d’ancien régime au XVille siècle à
l’établissement de l’Etat national unitaire en 1918 ; la montée du fascisme dans les années trente
et l’instauration du régime communiste depuis 1944.
Il faudrait s’intéresser aux événements qui dans l’histoire de l’Etat roumain
ont
concerné les Eglises, leurs statuts, leurs organisations et les problèmes des libertés religieuses.
On citera par exemple le début du XVIIIe siècle avec l’apparition de l’uniatisme, les problèmes
liés à la calvinisation de l’orthodoxie — ce que le D ic tio n n a ire d e th é o lo g ie c a th o liq u e appelle
« un vrai monstre : Eglise orientale dans les formes extérieures, calviniste au fond
— , les
réformes de Joseph II et leur impact dans le processus de l’émancipation des Roumains^^, les
révolutions de 1821 en Valachie et Moldavie et l’instauration du régime « réglementaire »
plaçant les principautés « vassales » de la Porte ottomane sous protectorat russe, les
36 J. RIVIERE, « Roumanie », dans D ic tio n n a ire d e th é o lo g ie c a th o liq u e , dir. A. VACANT et
E. M a n g
eno t
, t. 14, 1ère partie, Ed. Letouzey et Ané, Paris, 1939, col. 18.
37 Alexandre Dunj, « Pouvoir des Habsbourg et peuple roumain au XVIIIe s. », dans E tu d e s
s u r le X V IIIe s., U n ité e t d iv e rs ité d e l’e m p ire d es H a b s b o u rg à la fin d u X V IIIe s iè c le , édit.
Roland MORTIER et Hervé HASQUIN, Université Libre de Bruxelles, t. 15, 1988, pp. 83-92.
29
événements de 1848 / 1849 en Transylvanie, l’union des principautés danubiennes en 1859
sous le prince Alexandru loan Cuza et les grandes réformes en matière de sécularisation et le
remplacement du droit byzantin pai- le droit occidental en 186438, la fondation du royaume de
Roumanie en 1881 avec l’acquisition officielle de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe en 1885,
la création de la Grande Roumanie en 1918 et l’érection en patriarcat de l’Eglise orthodoxe en
1925, ses implications pour les différentes Eglises durant l’entre-deux-guerres et la montée du
fascisme roumain. On signalera enfin, les premières années de l’instauration du régime
communiste de 1944 à 1948, du « coup d’Etat » opéré par le roi Michel pour destituer le
maréchal I. Antonescu^^ à la proclamation de la République Populaire Roumaine'^O, années qui
virent la mise en place progressive du nouveau régime soviétique avec la confrontation entre le
christianisme et l’athéisme.
Des études semblables à celle-ci seraient indispensables pour montrer l’évolution, les
changements et les permanences dans l’Eglise orthodoxe, ancrée dans sa tradition, par rapport
aux changements de l’Etat. Celui-ci, encore dans une forme q u a s i médiévale au XVille siècle,
connut une modernisation institutionnelle extrêmement rapide au cours du XIXe siècle, et au
lendemain de la première guerre mondiale, que ce soit sur le plan institutionnel, mais aussi
économique, social et culturel^!. Une analyse de la littérature orthodoxe depuis les années 1850
montrerait bien cette évolution et permettrait assurément des conclusions plus complètes sur
cette problématique.
On constate que l’historiographie a été conditionnée par plus de 70 ans de dictature, sous
la « dictature royale » de Carol II depuis 1938, militaire de I. Antonescu depuis 1940 et
communiste depuis 1948 avec G. Gheorghiu Dej. Elle a donc largement souffert des idéologies
Cfr. in fra .
C’est dans la nuit du 23 août que Antonescu fut destitué. C’est le 24 août qui est la date de
l’entrée des troupes de « libération » soviétique avec la proclamation de l’état de guerre avec
l’Allemagne par la Roumanie.
C’est le 30 décembre 1944 que fut proclamée l’abdication du roi et la république populaire.
41 Cfr. la bibliographie en début de la 1ère partie.
30
fasciste et marxiste-léniniste, ce qui n’est actuellement pas sans conséquences pour la recherche
scientifique.
Nous avons cependant choisi d’étudier la période d’après 1948 pour les raisons
suivantes.
En premier lieu, la Roumanie communiste est un des exemples le plus marquant de ce que
furent les dictatures communistes instaurées après la seconde guerre mondiale, sous le régime
de Gheorghiu Dej ou des Ceausescu. De plus, les Eglises y ont connu un sort particulier : ce
que l’on appelle parfois la solution « à la roumaine
42 Trevor BEESON, P ru d e n c e e t c o u ra g e, la s itu a tio n re lig ie u s e e n R u s s ie e t e n E u ro p e d e
l’E s t, Ed. du Seuil, Paris, 1975 (1er Ed. en angl. 1974), pp. 280-299. Pour la bibliographie
concernant l’Eglise et l’Etat en Roumanie, on verra : D.C. AMZAR, « Partei, Staat und Kirche
im heutigen Rumanen », dans O s tk irc h lich e S tu die n, t. 14, 1965, pp. 419-506; E. ClUREA,
« Religions life », dans C a p tiv e R u m a nia , a d e c a de o f S o v ie t ru le , édit. A. CRETZIANU,
Atlantic Press, New York, London, 1956, pp. 165-203 ; D. G h
e r m a n i,
« Die lage der
Kirche in Rumaenien », dans R e lig io n s fre ih e it u n d M e n s c h e n re c h te , édit. LENDVAI, 1983, pp.
203-214 ; G. PODSKALSKY, « Kirche und Staat in Rumânien », dans S tim m e n d e r Z e it, t. 185,
1970, pp. 198-207; E.A. POPE, « The contemporary religions situation in Romania », dans
O c c a s io n a l p a p e rs o n re lig io n in E a s te rn E u ro p e , t. 9, 1989, pp. 39-41; ID., « Church-State
relations in Romania », dans K y rk o h is to ris k A rs s k rift, 1977, pp. 290-297; G. ROSU, M.
V a S IL IU et G . C r
is
A N , « Church and State in Romania », dans C h u rc h a n d S ta te b e h in d th e
Iro n C u rta in , édit. V. GSOVSKI, New York, F. A. Praeger, 1955, pp. 253-299; Les différents
articles de ; E.C. SUTTNER, dans B e itra g e z u r K irch e n g e s ch ic h te d e r R u m a n e n , VienneMunich, éd. Herold, 1978 ; et la bibliographie de ; P. MOJZES, C h u rc h a n d S ta te in P o s tw a r
E a s te m E u ro p e , A B ib lio g ra p h ic a l S u rve y , Londres, Greenwood Press, 1987 (Bibliographies
and Indexes in Religions Studies, n°ll), pp. 3-26, et pp. 78-81. Pour les rapports entre
l’Eglise orthodoxe et l’Etat communiste on verra : K. HITCHINS, « The romanian orthodox
church and the State », dans R e lig io n a n d a th e is m in th e U S S R , éd. BOCIURKIW, MacMillan
Press, 1975, pp. 314-327 ; F. POPAN, « Die Rumanisch-orthodoxe Kirche in ihrer jüngsten
Entwicklung, 1944-1964 », dans K irc h e im O s te n , t. 9, 1966, pp. 67-82 ; S. Fischer-Galati,
« Relations between Church and State in contemporary Romania : Orthodoxy, Nationalism,
and Communism », dans T h e b y z a n tin e le g a cy in E a s tern E u ro p e , édit. L. CLUCAS, New
York, 1988, pp. 283-295.
31
L’époque communiste est certainement celle qui, du point de vue qui nous occupe, offre
le plus de paradoxes. De prime abord, le nouveau régime aurait dû être en complète lupture avec
le passé. Le ministre des cultes Stanciu Stoian en 1948 proclamait la fin définitive du
byzantinisme et des Eglises orthodoxes « p ra v o s la v n ic e s ti
L’Etat allait se déclarer, d’après
l’idéologie dominante du Parti Communiste Roumain, laïque et même athée. Les principes de
base de la Constitution de 1948 en matière religieuse garantissaient la liberté de conscience et
l’égalité des cultes. A p o s te rio ri, on s’inten'oge maintenant sur la conception « laïque » du
pouvoir communiste, sur l’application du principe marxiste-léniniste selon lequel les questions
religieuses doivent relever uniquement de la vie privée du citoyen dans un Etat séparé de
l’Eglise, comme le prévoit la Constitution soviétique du 23 janvier 1918"^^ .
Les difficultés de la transition démocratique depuis 1989 depuis l’instauration du nouveau
régime de la République de Roumanie sous I. Iliescu peuvent en partie être expliquées par ces
problèmes, sur le plan idéologique, politique ou économiques^. La permanence des structures
de l’ancien régime et l’attitude des Eglises ainsi que les problèmes liés aux minoriés
confessionnelles et « ethniques » permet un certain nombre d’analyses.
Sur le plan des sources et de l’accessibilité de l’historiographie, cette période offre
également de nombreux avantages. Outre le problème linguistique sur lequel nous reviendrons
dans cette introduction, on notera que si les publications d’avant 1948 sont rares en Occident,
on profite de la propagande communiste pour l’Etranger après 1948, même si les ouvrages
émanant des institutions ecclésiastiques sont peu nombreux dans les bibliothèques occidentales.
On notera cependant la destruction de nombreux ouvrages communistes en raison de l’autodafé
43 Ce mot d’origine slavonne signifie « orthodoxe », mais avec les connotations anciennes
traditionnelles de l’orthodoxie liées à l’Etat et au passé médiéval. On verra les remarques à ce
sujet en cours de travail.
44 V. G SO VSKl, S é p a ra tio n o f C h u rc h fro n t S ta te in th e S o v ie t U n io n , dans C h iirc h a n d S ta te
b e h in d th e Ira n C u rta in , édit. V. G SO VSKl, Frederick A. Praeger, New York, 1955, xi-xiii.
45 On verra toutes les références à ce sujet dans la conclusion, le point II consacré à la
situation actuelle.
32
lors de la Révolution de 1989. Le cas du livre O in a g iu P re s e d in te lu i N ic o la e C e a us e s c ii offert
en hommage à N. Ceausescu'*^, est devenu un ouvrage de collection. Il n’est cependant pas
sans intérêt pour l’analyse de l’idéologie totalitaire roumaine des années quatre-vingt.
Bien que la période communiste commence en réalité le 23 août 1944 lors de l’entrée des
troupes de « libération » soviétiques après le coup d’Etat qui mit fin au régime du maréchal Ion
Antonescu‘^ ^, nous gardons comme repère chronologique la date de janvier 1948, plus
exactement, du 29 décembre 1947, date de l’abdication forcée du roi Michel de Roumanie et du
30 décembre, proclamation officielle de la R.P.R., la République Populaire de Roumanie^^ En
effet, la période de transition 1944-1947, avec instauration du gouvernement présidé par Petru
Groza en 1945, les premières élections en 1946 depuis la guerre « prélude de l’élimination
définitive de la vie politique » des partis historiques roumains, le Parti National Paysan et le
Parti National Libéral, devrait être l’objet d’une étude particulière afin de montrer 1’éümination
progressive de la classe intellectuelle roumaine, la suppression progressive des idéologies
d’avant guerre et des oppositions au nouveau régime qui se mettait en place.
Le choix de la période 1948-1989 aura des conséquences sur le plan géographique
puisque les frontières actuelles, héritées de la seconde guerre mondiale, sont différentes de
celles de la Grande Roumanie de 1918. En effet, 1918 fut la date l’union au Grand Conseil
National à Alba Iulia de la Transylvanie avec l’Ancien Royaume, mais aussi celle de l’union de
la Bessarabie, occupée par les Russes depuis 1812 pour sa pai'tie septentrionale et depuis 1878
46 II existe de nombreuses versions consacrées à l’« Hommage au président de la
République», le plus fameux étant le volume in fo lio : O m a g iu P re s e d in te lu i N ic o la e
C e a u s e s c u , Ed. Politica, Bucuresti, 1978 (nombreuses rééditions). On verra aussi ; L u p ta
în trg u lu i p o p o r. O m a g iu c a m a n d a n tu lu i n o s tru s u pre m (Revista româna de istorie miütara n°l,
15), 1988.
47 Date du coup d’Etat du roi Mihai, considéré pai' les communistes comme le soulèvement
des « forces patriotiques » et de la libération par la « coalition antihitlérienne » sous l’égide des
années soviétiques
48 Cette dénomination sera changée en 1965 par R.S.R., République Socialiste de Roumanie,
lors de l’accession au pouvoir de N. Ceausescu, quand il devint Secrétaire général du Parti. Il
ne devint président qu’en 1974.
33
pour sa partie méridionale, à la Moldavie roumaine, et celle de la récupération de la Bucovine,
autrichienne depuis 1775. Les Traités de Versailles confirmèrent l’annexion opérée en 1913 de
la Dobroudja bulgare, le « Quadrilatère », à la Roumanie. La Roumanie de l’entre-deux-guerres
connut donc un doublement de sa surface et de sa population avec une multitude de minorités et
de confessions nouvelles. Les problèmes « nationaux » provoqués par l’annexion à la Grande
Roumanie de ces territoires expliquent en partie le contexte politique de T entre-deux-guerres.
C’est depuis la fondation de la Grande Roumanie que ce pose le problème de l’« irrédentisme »
hongrois. La littérature communiste des années quatre-vingt dénonçait la « falsification » de
l’histoire par les Hongrois. On remarquera cependant qu’elle ne fit jamais mention des
problèmes frontaliers pour les autres régions, la Bucovine septentrionale et la Bessarabie,
annexée à l’U.R.S.S. par le pacte Molotov-Ribbentrop de 1939, reprise par le maréchal
I. Antonescu lors de la « guerre sainte de la réintégration » en 1941, et reprise par Staline en
1944.
Nous fixerons comme limite chronologique la chute de Ceausescu en décembre 1989. En
conclusion nous évoquerons le débat qui secoue l’Eglise aujourd’hui dans le cadre de la
« transition ». En effet, si la problématique de l’Eglise orthodoxe sous le communisme peut être
envisagée de manière globale, de par le caractère centralisé et dictatorial du régime, il en va tout
autrement pour la période post-communiste, caractérisée par une « atomisation » de la vie
politique et un éclatement des forces en présence qui influent sur la complexité de l’attitude de
l’Eglise.
34
6. La toile de fond : les minorités et l’Etat-Nation
S’agissant des problèmes religieux dans les pays de l’Est, et a fo rtio ri lorsqu’on compai'e
les différentes confessions d’un même pays, on se retrouve immédiatement confronté aux
questions relatives aux minorités ethniques et confessionnelles. On ne peut parler de
l’orthodoxie en Roumanie sous le régime communiste sans aborder les problèmes de
l’uniatisme, ceux des minorités hongroises protestantes et catholiques, saxonnes luthériennes,
et les problèmes du « sectarisme néo-protestant ». Si l’Etat communiste reconnaissait
officiellement quatorze religions'^^, la Grande Roumanie en comptait davantage, ne fût-ce qu’en
raison de la « réintégration » de la Bessarabie en 1918, incorporant dans la Roumanie de
nouvelles populations et minorités. Les liens entre confessions, nations et ethnies sont si étroits
en Europe centrale et orientale que l’on ne peut ignorer cet aspect fondamental de l’histoire du
Sud-Est européen.
Il faut souligner que la question des minorités et de la conception même de l’Etat roumain,
exemple par excellence d’un Etat unitaire national centralisé, est aujourd’hui à l’ordre du jour,
tant en raison du problème hongrois que de la « réintégration » de la Moldavie ex-soviétique
(Moldova) membre de la C.E.I. En effet une des grandes questions qui hante le jeu politique
roumain, en relation avec la question des minorités, est ce débat entre une conception centralisée
de l’Etat-Nation, héritier de la conception jacobine de l’Etat, défendue par la majorité des partis
49 Cfr. les documents annexes.
35
roumains et une vision fédéraliste de l’Etat comme le défendent les Hongrois, notamment par le
biais de l’Union Démocratique des Magyars de Roumanie, l’U.D.M.R. {V n iu n e a D e in o c ra tic a
a M a g h ia rilo r d in R o m â n id )^ ^ . Lors des élections présidentielles et législatives de l’automne
1992 cette question fut débatue par I. lüescu et le candidat de la Convention Démocratique, I.
Constantinescu, dont l’U.D.M.R. faisait partie. Constantinescu avait fait des déclarations,
considérées comme inacceptables pour des « unitaristes », selon lesquelles la Roumanie est un
Etat « multinational », l’encontre du principe fondamental constitutionnel déclarant la Roumanie
« Etat national unitaire »^L
Depuis 1989 cette question de la conception de l’Etat fait l’objet de nombreux travaux
dans le cadre de l’intégration à l’Europe des pays de l’Est. Depuis l’effondrement des
communismes à l’Est, depuis la Perestroïka de la fin des années 1980, la chute du Mur de
Berlin, la nouvelle donne dans ce que l’on appelle dorénavant l’« Europe du Milieu »,
r« Europe du Centre », les « Trois Europes »5^, a provoqué des bouleversements qui ont vu
naître notamment et en quelques mois le démantellement de la Tchécoslovaquie, l’implosion de
l’U.R.S.S. et sa transformation en C.E.I., et la guene en Yougoslavie qui donna naissance à 5
Etats nouveaux, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie-Monténégro et la
Macédoine^^ Louvoyant entre le principe des accords de l’Acte final d’Helsinki de 1975
garantissant le maintien des frontières et le principe du respect des minorités, les pays concernés
se sont retrouvés devant le phénomène du « réveil » des nationalités devenu ingérable dans des
50 On verra également la conclusion pour le contexte politique post-communiste.
51 C’est pourquoi ce travail s’inscrit dans le cadre du projet I.R.E.N.E.,
création d’un
Institut de Recherche sur les Etats et les Nations en Europe.
52 Pour la reconsidération de l’Europe orientale depuis les événements de l’automne 1989 et la
chute du mur de Berlin, outre les nombreux ouvrages cités dans ce travail on verra
principalement : L ’E u ro p e d u C e ntre , 5 0 a nn ée s ré v o lu e s ?, dir. N. B Â R D O S -F e l
t
O R O N Y I et
M. SUTTON, Bruxelles, 1991 ; L ’E u ro pe d u m ilie u . A cte s d u c o llo q u e o rg a n is é p a r le G ro u p e
d e re ch e rc h e s u r l’E u ro p e c e n tra le d e l’U n iv e rs ité d e N a n c y II, s e p te m b re 1 9 8 9 , dir.
MASLOWSKI, Presses Universitaires de Nancy, 1991.
53 Jacques RUPNIK, L ’a u tre E u ro p e , C ris e e t fin d u c o m m u n is m e , 1er éd. The Other Europe,
1988, rééd. Odile Jacob, coll. « Points », 1993.
36
Etats-Nations conçus de manière jacobine^**. En effet si l’Etat-Nation fut la solution adoptée au
XIXe siècle pour garantir à chaque nation ou peuple son Etat, il montra ses limites en raison de
son centralisme ignorant les particularismes des minorités ethniques et confessionnelles. Si cette
conception de l’Etat jacobin hérité du XVIEIe siècle et de la Révolution française a montré ses
limites au XXe, la conception alternative fédéraliste de l’Etat est considérée souvent comme une
tentative de résurgence nationaliste masquée, visant à l’éclatement des frontières et à l’instabUité
en Europe. La confrontation en Transylvanie entre les partis ultra-nationalistes roumains comme
le P.U.N.R., le Parti de l’Unité Nationale de Roumanie (P a rtid u l U n itd tii n a tio n a le d in
R o m â n ia ), le P.R.M., le Parti de la Grande Roumanie {P a rtid u l R o m â n ia
M a re ), et
TU.D.M.R., le parti magyar, révèle fondamentalement cette différence de conception de l’Etat,
les Roumains accusant les Hongrois de vouloir restaurer un empire multinational austrohongrois.
C’est dans dans ce contexte que l’on citera les tentatives du « Pacte stabilité » lancé par le
premier ministre français Balladur en 1994. Mais on connaît les réticences pour l’intégration à
l’Europe fonnulées par certains partis de l’Est et surtout de la part des Eglises orthodoxes^^.
Ainsi cette problématique constituera aussi un élément fondamental corollaire à la question des
minorités et restera également en toile de fond dans la mesure où l’argumentation de l’Eglise
orthodoxe encore aujourd’hui se fonde essentiellement sur un refus de la notion de
fédéralisation de l’Etat, à l’opposé de sa conception chrétienne orthodoxe unitariste de l’Etat et
basée sur l’« ethnicité » de l’Eglise.
Nous serons donc amenés dans les conclusions à aborder cette question qui en réalité
demeure aujourd’hui la question prépondérante sur le plan géopolitique de la politique
internationale de ces cinq dernières années.
En plus de la bibliographie que nous citerons pour les questions des minorités en
Roumanie, on vena de manière générale : L es m in o rité s e n E u ro p e . D ro its lin g u is tiq u e s e t
D ro its d e l’H o m m e , dir. Henri GlORDAN, Ed. Kimé, Paris, 1992.
Cfr. P e rsp e c tiv e s d ’a v e n ir dans la conclusion.
37
On constatera que la bibliographie concernant les minorités en Europe centrale, et en Roumanie
en particulier, est abondante^^. En effet, liée à ce problème des minorités, la question du
nationalisme au sens large a fait l’objet de nombreuses publications, surtout dans le cadre de
l’assimilation des nations cohabitantes. Le problème de la minorité hongroise en Roumanie fut
avant la chute du régime un des thèmes qui focalisa l’attention de l’Occident. La bibliographie
traite, de manière générale, du statut des minorités^^, de la question des libertés religieuses^^.
J.
BLAHA, « Regards sur les minorités nationales d’Europe centrale », dans P ro b lè m e s
p o litiq u e s e t s o c ia u x , n°439, L a d o c um e n ta tio n fra n ç a is e , Paris 1982 ; J. B l
ah
A , E. LHOMEL,
T. SCHREIBER et M. TOMPA, « Les principales minorités nationales en Europe de l’Est », dans
L a d o cu m e n ta tio n fra n ç a is e . N o te s e t é tud es d o c u m e n ta ire s , n° 4793, 1985, pp. 41-79 (URSS
et Europe de l’Est, 18) ; S.M. HORAK, E a s te rn E u ro p e a n N a tio n a l M in o ritie s 1 9 1 9 -1 9 8 0 : a
H a n d b o o k , Libraries Unlimited, Littleton 1985 ; cfr aussi tous les ouvrages concernant les
conséquences sur ce point de la désagrégation de l’empire austro-hongrois : On ne soulignera
pas bien sûr le foisonnement d’ouvrages parus depuis la chute du communisme sur ce sujet :
N a tio n s , E ta t e t te rrito ire e n E u ro pe d e l’E s t e t e n U R S S , coord. M. ROUX, coll. « Pays de
l’Est », l’Harmattan, Paris, 1992 ; L ’E urop e c e n tra le e t se s m in o rité s : v e rs u n e s o lu tio n
e u ro p é e n n e ? dir. A. Liebich , A. Reszler (publications de l’Institut universitaire des Hautes
Etudes internationales), Genève, Presses Universitaires de France, Paris, 1993. On notera
notamment que le dernier ouvrage important général sur les minorités sous la direction d’H.
GIORDAN, L e s m in o rité s e n E u ro pe . D ro its lin g u is tiq u e s e t d ro its d e l’h om m e, éd. Kimé,
Paris, 1992, ne traite pas des minorités en Roumanie.
G . N E U M AN , « Les minorités en Transylvanie. Aspects d’un problème national dans un
Etat socialiste », dans R e v ue d e s P a ys d e l’E st, 1971, n°l-2, pp. 195-236 ; Trond G ILBER G ,
« Ethnie minorities in Romania under socialism », dans E a s t E u ro p e a n Q u a rte rly , vol. 7, 1974,
n°4, pp. 435-464 ; G . S. N. B a r
bu t a
, « Les Roumains et les minorités nationales en
Roumanie », dans R e v ue d e s P a y s de l’E s t, n°l, 1977, pp. 19-28, et n°2, 1977, pp. 15-34 ;
N. D a S C A L U , « Le statut des nationalités cohabitantes depuis le parachèvement de l’unité
d’état des Roumains (1918) jusqu’au second diktat de Vienne (1940) », dans R e vu e R o u m a in e
d ’H is to ire ,
t. XVII, 1978, f. 4, pp. 709-727 ; G . A R A N Y O SS Y , « Une politique
d’anéantissement », dans E s p rit, mars 1978, f. 3, pp. 68-80 ; G . SCHÔ PFIN, L e s H o n g ro is d e
R o u m a n ie , ra p p o rt d u m in o rity rig h ts g ro u p , 1979 ; E. ILLYES, N a tio n a le M in d e rh e ite n in
R u m a n ie n : S ie b e n b ü rg e n im W a n d e l, Ed. W. Braumüller, Vienne, 1981 ; A. KIN G , « Religion
and Rights ; A dissenting minority as a social movement in Romania », dans S o c ia l C o m p ass,
28, n°l, 1981, pp. 113-119 ; « Modemization, Human Rights and Nationalism : the case of
38
ou encore du problèm e souvent évoqué de la coexistence entre m arxism e et religion59. C es
études privilégient de m anière générale l’aspect socio-politique. N ous nous intéresserons
essentiellem ent quant à nous à la doctrine de l’Eglise orthodoxe en ces m atières.
Romania », dans T h e p o litic s o f E th n ic ity in E a s te rn E u ro p e (East European Monographs),
Boulder, Columbia University Press, New York 1981, pp. 185-214 ; D.E. ARNOLD, Le 5
p ro b lè m e s n a tio n a u x e n R o u m a n ie , Paris, 1983 ; M. BERINDEI, « Les minorités nationales en
Roumanie », dans R o u m a n ie : c ris e e t ré p re s s io n , l’Alternative, supplément au n°20, janv.
1983, pp. 56-66 ; J. SCHULTZ, « Le problème des nations en Transylvanie », dans N a tio n s ,
E ta t e t te rrito ire e n E u ro p e d e l’E s t e t e n U R S S , coord. M. ROUX, coll. « Pays de l’Est »,
l’Harmattan, Paris, 1992, pp. 163-174.
J.H. C O C K .B U R N , R e lig io n s F re e d o m in E a s tern E u ro p e , Richmond UA : John Knose
Press, 1953 ; P. ANDERSON, « Religions Liberty under Communism », dans J o u rn a l o f
C h u rc h a n d S ta te, t. 6, 1964, pp. 169-177 ; Thomes SCHREIBER, « Les problèmes religieux en
Europe orientale 1945-1970 », dans N o te s e t E tu d e s D o c u m e n ta ire s , Paris 1971 ; R.R. KiNG,
« Tenitorial autonomy and cultural rights : Romania », dans M in o ritie s u n d e r c o m m u n is m ,
Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 1973, pp. 146-149 ; T o lé ra n c e a n d
M o v e m e n ts o f R e lig io n s D is s e n t in e a ste rn E u ro pe , édit. B. KIRALY, Boulder-East European
Quarterly, New York, 1975 ; R. B a C S V A R Y , « Les minorités nationales et l’Eglise catholique
romaine en Roumanie », dans C o n c ilium , n°174, avril, 1982, pp. 45-55.
Ce thème a été développé dans le cadre des minorités confessionnelles à l’Est par différents
courants idéologiques et politiques pour des raisons les plus diverses, on veira notamment les
nombreuses études c o m v c itV a rie tie s o f c h ris tia n -m a rx is t d ia lo g u e , édit. Paul MOJZES,
Philadelphia ; The Ecumenical Press, 1978 ; P. MOJZES, « Christian-Marxist dialogue in
eastern Europe : 1945-1980 », dans O c c a s io n a l P a p e rs o n R e lig io n in E a s te rn E u ro p e , t. 4,
n°4, 1984, pp. 13-53 ; ID., C h u rc h a n d S ta te in p o s tw a r e a s te rn E u ro p e , a b ib lio g ra p h ic a l
s u rv e y , Londres, Greenwood Press, 1987 (Bibliographies and Indexes in Religions Studies,
n°ll) ; ID., « Impact of the eastern european Churches upon their own societies », dans
O c c a s io n a l p a p e rs o n R e lig io n in E a s te rn E u ro p e , t. 2, n°7, nov. 1982, pp. 1-25 ; ID., «
Marxism and religion in the West », dans M o v e m en ts a n d is s ue s in w o rld re lig io n s , a
s o u rc e b o o k a n d a n a ly s is o f d e v e lo p m e n ts s in c e 1 9 45 , R e lig io n , id e o lo g y a n d p o litic s , éd.,
Wei-hsun fu Ch., G.E. S p i e g
l er
, Greenwood Press, New York, Westport, Connecticut,
Londres, 1987, pp. 311-331 ; M a rx is m a n d R e lig io n in e a s te rn E u ro p e , p a p e rs p re s e n te d a t th e
B a n ff In te rn a tio n a l S la v ic c o n fé re n c e , se p t. 4 -7 , 1 9 74 , éd. R. DE GEORGE, J.P. SCANLAN,
Sovietica, D. Reidel, Dordrecht-Holland and Boston, 1976.
39
7.
Une histoire au caractère polémique inévitable ?
Le sujet de cette recherche suscite la polémique. La proximité des événements étudiés peut
l’expliquer en premier lieu. L’ensemble de la période communiste et les événements qui y sont
rattachés suscitent bien des débats souvent passionnés en fonction des options politiques et de
l’appartenance confessionnelle ou nationale des chercheurs.
Ce caractère polémique est renforcé, tant les prémisses — comme le lien entre laïcité et
démocratisation— , reposent sur une option politique qui ne fait pas l’unanimité, tant le
« jugement » qu’elles impliquent est complexe. En effet, si l’historien ne doit se contenter que
d’une exposition des faits et des données, il est contraint, dans un cas comme celui-ci, à porter
en fin de compte un « jugement » sur l’évolution démocratique et les fondements culturels
déterminants de la société. La presse roumaine s’est fait l’écho du caractère inacceptable du
jugement occidental sur la démocratie roumaine et le rôle qu’y occupe l’Eglise orthodoxe. On le
verra, la littérature orthodoxe excelle par son caractère polémique à l’époque communiste, et
aujourd’hui ce caractère atteint parfois des paroxysmes inégalés accusant les commentateurs
étrangers d’avoir une démarche à peine « journalistique », et malhonnête^® On verra la
60 On verra le texte en annexe de la revue O rth o d o x C h iirc h N e w s.
40
radicalisation de la position de l’Eglise orthodoxe à propos de l’Eglise uniate depuis 1989 par
exemple.
En outre, une « séparation » — mais encore faut-il s’entendre sur ce concept de
séparation, nous verrons à ce sujet la contre-argumentation orthodoxe — , entre l’Eglise et
l’Etat peut constituer, à l’inverse de la thèse énoncée dans ce travail, un frein au processus de
démocratisation de l’Etat. On verra toute l’ambiguité depuis 1989 des concepts de « renaissance
spirituelle » et de « démocratie chrétienne », indispensables pour une « remoralisation » de la
société et jugés nécessaire à la démocratisation de l’Etat. Se pose en réalité toute la question de
l’application d’un modèle occidental de « laïcité » dans une société qui conçoit ces rapports avec
le religieux en d’autres termes.
De plus, aborder les problèmes liés à la religion orthodoxe et au nationalisme entraîne
inévitablement la réticence des mouvements nationalistes roumains, et on sait combien ceux-ci
sont présents en Roumanie, et surtout à Cluj en Transylvanie. Dans un contexte où des partis
ultra-nationalistes tels le P.U.N.R., le P.R.M., et l’Union V a tra ro m â n e a s ca (le « foyer » ou
l’« âtre » roumain), trouvent un certain écho dans l’orthodoxie actuelle, où le maréchal pro
fasciste Ion Antonescu fait figure de héros national parce qu’il sauva la Roumanie d’une
invasion hitlérienne et reconquit la Bessarabie en 1941 par la « guerre de la réintégration »
(R a z b o iu l p e n tru re în tre g ire a ), aborder les questions qui concernent les totalitarismes et
l’im plication des E glises dans les dictatures est une opération dangereuse. A lors que le
com m unism e im posa une vision stéréotypée et dogm atique de l’histoire, les tendances actuelles
sont à la source d’un nouveau révisionnism e, surtout pour l’histoire récente et l’entre-deuxgueiTes.
Il n’est donc pas étonnant que l’on trouve dans un journal comme C o tid ia n u l, un organe
de presse officiel, une dénonciation virulente du livre de H. Bogdan, H is to ire d e s p a y s d e l’E st.
Le journaliste dans un article F a ls u ri is to ric e, c a lo m n ii p o litic e , citant l’affirmation d’H. Bogdan
relative à la fracture entre l’Occident latin et l’Orient grec, catholique et protestant d’une part,
orthodoxe d’autre part, sur le plan de la démocratisation de l’Etat, relève « les attaques
41
perverses à l’adresse des Roumains
Le journaliste soulève évidemment la question de
savoir si dans ce cas la Transylvanie devrait devenir un Etat indépendant. On comprend par ce
simple exemple qu’une question relevant au dépait de problèmes doctrinaux et idéologiques
religieux implique inévitablement de graves conséquences pour la survie de l’Etat et l’intégrité
des « identités ».
Ainsi, dans un contexte mouvant et émotionnel tel que le climat post-révolutionnaire en
Roumanie, où tous les fondements de la société sont remis en cause, structurellement,
économiquement ou idéologiquement, évoquer comme nous l’avons déjà souligné le problème
religieux et l’histoire de l’Eglise, restée seule référence et fondement de l’« identité nationale »,
provoque des réactions légitimes de défense, a fo rtio ri vis-à-vis d’un historien extérieur
occidental.
Etudier « du dehors » un phénomène conçu comme « intérieur », catégories que nous
relèverons dans la conception orthodoxe^^, provoque des réticences d’autant plus grandes qu’il
existe un courant anti-occidental et anti-catholique, largement diffusé par une certaine presse,
dont la presse orthodoxe officielle, mais aussi des mouvements fondamentalistes ou politiques
d’extrême droite.
On constatera également qu’il existe des dénonciations inverses relatives à l’attitude des
catholiques par rapport à la notion d’Etat ; l’attitude du Vatican accusé de « césaropapisme », les
démonstrations montrant qu’en réalité l’Eglise orthodoxe a toujours été autonome par rapport à
la structure de l’Etat, alors que le catholicisme offre avec le Vatican l’exemple type d’une Eglise
confondant spirituel et temporel. Le pape ayant collaboré avec le nazisme, le fascisme et le
franquisme, agent de l’impérialisme américain, devenait l’incarnation de l’alliance du trône et de
l’autel, des «deux glaives» — «sophistication catholique» pour les orthodoxes du
césaropapisme romain — , véritable frein à la démocratie. L’Eglise Orthodoxe Roumaine fidèle
Constanta MUNTEANU, « Falsuri istorice, calomnii politice », dans C o tid ia n u l, an. IV,
n°191, 16 août 1994, p. 2.
62 Cfr. la conclusion, point I.
42
aux thèses soviétiques, était par son organisation fondamentalement « démocratique et
populaire
Dans ce contexte, la sérénité doit être de mise et on comprend que le parcours soit plus
que jamais jalonné d’embûches, d’autant que ce type d’idéologie et de propagande a largement
survécu après 1989, bien que dans d’autres termes.
63 On verra par exemple un ouvrage de référence sur le plan de la propagande soviétique
comme le livre de M. C h
Moscou, s. d.
e in m a n
, L e V a tic a n c o n te m p o ra in , éd. en langues étrangères,
II. REMARQUES PRELIMINAIRES CONCERNANT
L’HISTORIOGRAPHIE ROUMAINE
1. La fracture historiographique de l’Europe
Le poids du rideau de fer sur l’historiographie est une évidence. L’inexistence de relation
sérieuse entre l’Occident et l’Orient pour la recherche scientifique a été extrêmement
préjudiciable. La méconnaissance des histoires nationales de l’Est en Occident est à ce point de
vue révélateur.
L’historiographie et la bibhographie occidentales concernant les religions dans les pays de
l’Est sont importantes^. Le climat de guerre froide a contribué à une prolifération de travaux à
ce sujet. Cependant, ces études sont souvent dictées par les impératifs politiques de la tension.
Nous verrons en outre que pour la littérature de l’Est, l’histoire des religions fut exploitée de
64 Cfr ce qui a déjà été dit pour la bibliographie relative aux minorités et aux Eglises à l’Est.
44
manière systématique sur le plan de la propagande, mais que de manière générale, elle reste à
faire^^.
Dans le cas des religions dans les Balkans, la situation est légèrement différente. Les pays
où la religion catholique est dominante, ont focalisé l’attention. Pour l’orthodoxie, c’est le cas
exemplaire de l’Union soviétique. Ainsi, la bibliographie pour les pays aux marches de la
latinité et de la Russie, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie, sont souvent beaucoup
plus traités que les pays du Sud-Est de l’Europe.
Le cas de Balkans est par contre plus complexe. Si l’on s’intéresse aux époques plus
anciennes, on constate que l’historiographie des Balkans se résume souvent à une vision
monolithique de la période ottomane. Alors que les pays de l’Est « occidentaux », inclus par le
passé dans les empires occidentaux, ont fait l’objet d’études plus nombreuses, on se rend
compte que pour la période post-byzantine, les pays des Balkans semblent tomber dans l’oubli.
Cette situation est due principalement a des causes méthodologiques, et sans doute à un
intérêt particulier pour les pays catholiques plus « proches » de l’Occident. Les difficultés liées
aux connaissances requises sur le plan linguistique, par exemple, lorsqu’on aborde la période
ottomane, expliquent en partie cette situation. Mais il suffit aussi d’évoquer le problème
d’accessibilité aux archives locales qui n’ont pas connu de rationalisation et de conservation
comme dans nos régions en raison des circonstances politiques et historiques. Ainsi des pays
tels que la Roumanie, mais aussi la Serbie, les autres républiques ex-yougoslaves, l’Albanie, et
la Grèce dans une moindre mesure, souffrent, pour la période moderne et contemporaine, de
cette situation.
En plus des difficultés matérielles d’accessibilité aux sources, leur approche sur le plan de
la technique historique, diplomatique, chronologique, paléographique et archivistique, se
retrouve entravée par le manque de répertoires et d’outils de travail. Cette carence a fait de
65 De manière très générale on verra les deux bibliographies suivantes : A m e ric a n
B ib lio g ra p h y o fS la v ic cm d E a s t-E u ro p e a n S tu d ies (American Association for the Advancement
of Slavic Studies) ; E u ro p e a n B ib lio g ra p h y o f S o vie t, E a s t-E u ro p e a n a n d S la v o n ie S tu die s, éd.
de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Institut d’Etudes Slaves, Paris, 1975-1981.
45
l’histoire des Balkans le parent pauvre de l’historiographie moderne en Europe. La complexité
des langues, mais aussi des usages paléographiques — comme par exemple l’utilisation du
cyrillique en roumain jusqu’au XIXe siècle, avec toutes ses particularités régionales et l’usage
du calendrier julien jusqu’en 1923 —, et les problèmes dus aux confluences culturelles, à
l’origine de problèmes dans le domaine des sciences auxiliaires de l’histoire, sont des obstacles
importants pour l’historien occidental.
Pour l’historien « local », les totalitarismes des régimes fascistes d’entre-deux-guerres,
puis communistes empêchèrent également le développement d’une recherche scientifique
sereine et entravèrent en tous les cas sa diffusion en Europe occidentale.
Si la présence du rideau de fer marque de manière caricaturale la fracture entre les « deux
Europes » sur le plan de l’historiographie, c’est plus profondément l’originalité et les richesses
de l’histoire de l’« Autre Europe », souvent éloignée des préoccupations scientifiques
occidentales, qui déterminent les difficultés méthodologiques et idéologiques. Le cas de
l’histoire des religions en est évidemment un exemple parmi les plus significatifs.
46
2. L’impact de Thistoriographie roumaine marxiste-léniniste
L’impact de l’historiographie soviétique est certainement la première chose qui frappe
celui qui s’intéresse à l’histoire des pays de l’Est, c’est une lapalissade. Cependant, il est
important d’insister sur le fait qu’en réalité il s’agit d’un problème relativement mineur. En
effet, les prérequis en la matière ont le mérite d’être simples et clairs. La subdivision matérialiste
dialectique de l’histoire pai' les historiens roumains^^ en périodes « commune primitive »,
« esclavagiste », « féodale », « bourgeoise » et « socialiste » présente un schéma clair,
relativement aisé à décoder^^.
La périodisation de l’histoire de la Roumanie est donc la suivante®^ : la commune
primitive pour la préhistoire, esclavagiste pour l’antiquité daco-romaine, la période féodale
66 On veiTa outre la bibliographie (cfr. in fra ) : E n c ic lo p e d ia is to rio g ra fie i ro m â n e s fi, Ed.
A.R.S.R., Bucuresti, 1978 ; Robert DEUTSCH, Is to ric ii sf s jiin ta is to ric d d in R o in â n ia , 1 9 4 4 1 9 69 , Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1970.
67
c.,
« Die sowjetische Umdeutung der rumânischen Geschichte », dans S a e c u lu m , t. 11,
1960, f. 3, pp. 220-246 ; cfr. aussi : P. SIMIONESCU, H. PAPDIOU, « Comment le musée
national de Bucarest racontait l’histoire », dans A l’E st, la m é m o ire re tro u v é e , dir. A.
BROSSAT, S. COMBE, J.Y. POTEL, J.C. SZUREK, Ed. La Découverte, Paris, 1990, pp. 212228.
68 Sur le plan bibliographique pour l’histoire de la Roumanie on verra principalement en
premier lieu ; L e s é tu de s s u d -e s t e urop ée nn es e n R o um an ie, g u id e d e d o c u m e n ta tio n a v e c u n e
jusqu’à la chute du régime phanariote en 1821 qui mit fin à la domination des Grecs du quartier
du Phanar de Constantinople assujettis aux Sultans de la Sublime Porte. A ce moment
commence l’époque moderne et bourgeoise et en 1918, l’histoire contemporaine, avec la
création de la Grande Roumanie. La période socialiste commence, elle, le jour de l’entrée des
troupes de « libération » soviétiques le 23 août 1944 en Roumanie annonçant l’instauration du
régime populaire le 30 décembre 1947. On verra le retour aujourd’hui à de nouvelles
in tro d u c tio n p a r V . C â n d e a (le congrès international d’études balkaniques et sud-est
européennes, Sofia, 26 août-le septembre 1966), Comité national roumain d’Etudes du sud-est
européen, Bucarest, 1966 ; Is to ria R o m â n ie i, G h id b ib lio g ra fic . C u v în t în a in te d e M irc e a
Tom escu,
Universitatea Bucuresti, Bucuresti, 1968. P. SiMIONESCU, « Un guide
bibliographique pour l’histoire du moyen âge et des temps modernes de la Roumanie », dans
R u m a n ia n
Cr
a c h in
S tu d ie s , t. 1, 1970, pp. 173-225 ; B ib lio g ra fia
is to ric a a R o m â n ie i, dir. I.
, S P a s C U , 6 vol., Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1970-1980 ; B ib lio g ra fia lu c rà rilo r
s tiin tific e a le c a d re lo r d id a c tic e , Universitatea Bucuresti, S é ria is to rie , édit. L. RAUS et R.
CALCAN, vol. 1-2, Biblioteca centrala Universitarà, Bucuresti, 1970 (29). R. DEUTSCH,
Is to ric ii s i s tiin ta is to ric a d in R o m â n ia 1 9 44 -1 9 6 9, Ed. Stiintificâ, Bucuresti, 1970 ; P.
CERNOVODEANU, P. SIMIONESCU, « Essai de bibliographie sélective concernant l’histoire de
la Roumanie », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. IV, 1965, pp. 641-663, et t. V, 1966, pp.
547-572. C. BÀLAN « Nouvelles recherches dans le domaine des disciplines auxiliaires de
l’histoire », dans R e v ue R o u m a in e d ’H is to ire , t. II, 1963, 2, , pp. 387-408. On verra aussi :
B.P. HASDEU, Is to ria c ritic d a R o m â n ilo r, Ed. Minerva, Bucuresti, 1984. Pour l’histoire de la
Roumanie on consultera en premier lieu l’oeuvre monumentale suivante, bien que communiste
elle n’en reste pas moins très utile ; Is to ria R o m în ie i, 4 vol., Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 19611964 ; M. C O N S T A N T IN E S C U , C . D a i c
o v ic iu
, S PASCU, Is to ria R o m â n ie i, Bucuresti, 1968,
traduction française. H is to ire d e la R o u m a n ie d e s o rig in e s à n o s jo u rs , éd. franç. dir.
G. CASTELLAN, Harvart et Sirey, Paris, 1970 ; Is to ria p o p o ru lu i ro m â n , dir. A. OlETEA,
Ed. Stiintificâ, Bucuresti, 1970, version anglaise \T h e h is to ry o fth e R o m a n ia n p e o p le , New
York, 1975. On verra également la monographie suivante, qui bien que dans les éditions
modernes accessibles, elle ait été également « revue et corrigée » : C.C. GlURESCU, D.C.
GlURESCU, Is to ria R o m â n ilo r, d in ce le m a i v e c hi tim p u ri p în a a s ta z i, 2e éd., Ed. Albatros,
Bucuresti, 1975. Cfr. pour les ouvrages de l’entre-deux-guerres bien sûr les travaux de Nicolae
lORGA : H is to ire d e s R o u m a in s e t d e la ro m a n ité o rie n ta le , 10 vol., Bucarest, 1937-1945, éd.
roumaine, Is to ria R o m â n ilo r în ze ce vo lum e , le éd., 10 vol., Bucuresti, 1936-1939, tip. Datina
româneascâ (en cours de réédition).
48
subdivisions inspirées des classifications anciennes^^. On ne retrouve pas la classification telle
qu’on la connaît dans nos régions. Il s’agit en fait de subdivisions qui peuvent varier selon les
auteurs, comme dans le dernier ouvrage sur l’histoire de la Roumanie de V. Georgescu :
l’antiquité dure jusqu’au XlVe siècle lorsque commence le moyen âge ; le moyen âge comprend
la période du XlVe siècle au début du XVnie siècle ; le XVnie siècle est celui du despotisme et
de « l’illuminisme » (1716-1831) ; la renaissance (1831-1918) ; l’époque contemporaine
commence en 1918. En réalité, on constate que les historiens qui n’entrent pas dans le cadre
marxiste-léniniste adoptent des classifications plus ou moins fluctuantes inspirées des anciennes
classifications d’avant 1948 comme celle de l’historien A. D. Xenopol ; le moyen âge est
envisagé comme la période de slavisation, XlVe siècle - XVIIe siècle ; l’époque moderne est
celle de l’influence grecque, XVIIe - 1821 ; l’époque contemporaine, c’est l’époque du
« roumanisme
Quant à N. lorga, il prend les critères de subdivision suivants : les
périodes de « slavisme », d’« hellénisme » et de « roumanisme ». Pour notre point de vue, cet
aspect devait être souligné pour monü'er combien la perception de l’histoire, les critères et le
cadre de l’évolution, sont en Roumanie différents de ce que nous connaissons, et nous devrons
en tenir compte^
On signalera aussi le problème des rééditions d’ouvrages anciens à l’époque communiste.
Les rééditions ont fait l’objet de révisions complètes, de transformations parfois en profondeur.
On citera l’exemple de l’ouvrage de C. C. Giurescu paru en 1935-1940, réédité sous différentes
69 Vlad GEORGESCU, Is to ria R o m à n ilo r d e la o rig in i p in d în z ile le n o a s tre , 3e éd, le éd.
American-Romanian Academy of Arts and Sciences, 1984., coll. « Historia Magistra Vitae »,
Humanitas, Bucuresti, 1992 ; on verra la réédition récente en anglais, T h e R o m a n ia n s . A
H is to ry , Ohio State University Press, Columbus, 1991.
A.D. XENOPOL, H is to ire d e s R o u m a in s d e la D a c ie tra ja n e d e p u is le s o rig in e s ju s q u ’à
T u n io n d e s P rin c ip a u té s e n 1 9 5 9 , 2 vol., Paris, 1896.
71 Cfr. les trois volumes de E. LOVINESCU, récemment réédités, Is to ria c iv iliz a tie i ro m a n e
m o d e rn e , vol. 1 ; F o rte le re v o lu tio n a re , vol. 2 ; F o rte le re a c tio n a re , vol. 3 : L e g ile fo rm a tie i
c iv iliz a tie i ro m a n e , Biblioteca pentru toti, Ed. Minerva, Bucuresti, 1992.
formes après 1948, dont la partie sur le communisme constitue une véritable apologie du
régime^^. Ceci n’est pas sans poser de nombreuses difficultés sur le plan de l’approche de la
littérature roumaine, et doit inciter une fois de plus à une extrême prudence.
S’il est évident que l’histoire socio-économique, celle des réformes agraires, de
l’industrialisation, de la « féodalité », des révoltes populaires, est l’apanage de cette
historiographie au détriment de l’histoire des cultures, des religions en l’occurence, la lecture de
l’historiographie reste relativement compréhensible. Cependant, le caractère « nationalcommuniste », surtout déclaré depuis la déstalinisation qui engendra une histoire « nationale »,
avec toutes ses complexités est par contre la principale pierre d’achoppement de
l’historiographie.
C.C. GlURESCU, Is to ria ro m â n ilo r, 3 vol. Bucuresti, 1935-1940, 2 vol. 1946 ; réed. en 1
vol. en allemand : C.C. GlURESCU, D.C. GlURESCU, G e s c h ic h te d e r R u m â n e n , Bucarest,
1980 ; en roumain : ID., Is to ria R o m â n ilo r, d in c e le m a i v e c h i tim p u ri p în d a s td z i, 2e éd., Ed.
Albatros, Bucuresti, 1975.
50
3. Domination de l’histoire nationale et « nationaliste » :
la
th è s e
de
« fa ls ific a tio n
la
c o n tin u ité
v o lo n ta ire
d a c o -ro m a in e
du
p e u p le
» d e l’h is to ire h o n g ro is e d e
ro u m a in
et
la
la R o u m a n ie
Comme nous allons le voir pour la Roumanie, l’histoire des pays balkaniques est
dominée par des histoires nationales^^. En effet, dans la tourmente des nationalismes, de la
naissance, somme toute récente au regard de l’histoire, de pays qui se sont libérés de la tutelle
ottomane, les historiens se sont attelés à défendre des thèses qui devaient justifier l’identité
culturelle des pays nouvellement créés à la fin du XIXe siècle, ainsi que leur intégrité
territoriale. Ce problème se pose de manière différente sous les régimes communistes, mais
toutefois non sans continuité. Si l’intégrité territoriale ne devait en théorie plus faire de doute
"73 On verra la collection d’articles d’auteurs de l’entre-deux-guerres réédités en 1993 :
P re le g e ri u n iv e rs ita re in a u g u ra le . U n s e c o l d e g în d ire is to rio g ra fic a ro m â n e a s c d (1 8 4 3 -1 9 4 3 ),
Ed. Universitatii « Al. L. Cuza », lasi, 1993 et le livre de Pompiliu TEODOR, Is to ric i ro m â n i sJ
p ro b lè m e is to ric e , Fundatia culturala « Cele trei crisuri », Oradea, 1993. On verra par ex. :
L ’a ffirm a tio n d e s E ta ts n a tio n a u x in d é p e n d a n ts e t u n ita ire s d u c e n tre e t d u s u d -e s t d e l’E u ro p e
(1 8 2 1 -1 9 2 3 ), coord. V . M O IS U C , I. C a l
62), Ed. A.R.S.R., Bucarest, 1980.
af
ETEANU
(Bibliotheca Historica Româniae, Etudes
dans le cadre du Pacte de Varsovie, l’idéologie nationale-communiste roumaine reprit la thèse
de la continuité daco-romaine à partir des années soixante-dix surtout.
La thèse de la continuité daco-romaine du peuple roumain constitue l’épine dorsale de
toute
l’historiographie
roumaine contemporaine^^. Elle présente un canevas pour
l’argumentation historique et constitue l’arrière-fond des problématiques envisagées. Elle
On ne compte plus les ouvrages à ce sujet, on citera en plus des ouvrages généraux sur la
Roumanie dont la thèse de la continuité est l’enjeu principal, les plus importants, outre les
ouvrages panas depuis 1989 dans le contexte de la légitimation historique post-révolutionnaire
cités dans la conclusion au point II. : la réédition du livre de G. I.BRATIANU, O e n ig m a sJ u n
m ira c o l is to ric : P o p o ru l ro in â n , 2e éd., Bucuresti, 1988, version franç. :U n e é n ig m e e t u n
m ira c le h is to riq u e : L e p e u p le ro u m a in , Bucarest, 1937.1.1. RUSSU, E th n o g e n e z a R o m â n ilo r.
F o n d u l a u to h to n tra c o -d a c ic sJ c o m p o n e n ta la tin o -ro m a n ic d , Ed. Stiintifica si enciclopedica,
Bucuresti, 1989 ; Mircea MuSAT, Ion ARDELEANU, D e la s ta tu l G e to -d a c la s ta tu l ro m a n
u n ita r, Ed. Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti, 1983. A. ARMBRUSTER, L a ro m a n ité d e s
R o u m a in s , h is to ire d ’u n e id é e (Bibliotheca Historica Romaniae, Monographies, XVII), Ed.
A.R.S.R., Bucarest, 1977 ; U n ita te sJ c o n tin u ita te în is to ria p o p o ru lu i ro m â n , dir. D. BERCIU,
A.R.S.R., Bucuresti,
1968 ; Constantin C. GlURESCU, L a fo rm a tio n d e l’E ta t n a tio n a l
u n ita ire ro u m a in , 2e éd., Ed. Meridiane, Bucarest, 1975 ; Vasile NETEA, C o n s ü in ta o rig in ii
c o m u n e s f a u n itd n i n a tio n a le în is to ria p o p o ru lu i ro m â n , Ed. Albatros, Bucuresti, 1980. On
citera le fascicule suivant, exemplatif de la polémique et de la propagande : J.C. D r
a
G AN , Les
R o u m a in s , p e u p le m u ltim illé n a ire d e l’E u ro p e (Centre europeo di richerche storiche di
Venezia), Ed. Europe, Rome, 1983 (cfr. conclusion) et l’ouvrage paru en Occident : Platon
CHIRNOAGA, Is to ria D a c ie i s f c o n tin u ita te a d a c o -ro m a n a , Ed. Traian Popescu, Madrid, 1971 ;
on verra aussi comme exemple le livre du général-lieutenant Ilie CEAUSESCU, L a T ra n s y lv a n ie ,
a n c ie n n e te rre ro u m a in e , Ed. Militaires, Bucarest, 1983. On verra dans l’historiographie
roumaine d’avant l’instauration du communisme, les deux volumes suivants ; L a T ra n s y lv a n ie ,
Institut d’Histoire Nationale de Cluj, Académie Roumaine, II, Bucarest, 1938 ; L a
T ra n s y lv a n ie , Université Roumaine de Cluj, Centi^ d’Etudes et de Recherches Relatives à la
Transylvanie, Ed. Boivin et Cie, Paris, 1946 et S. MEHEDINTI, « Ce este Transilvania ? »,
dans B ib lio te c a re v is te i is to ric e ro m a n e , IV, imprimeria nationala, Bucuresti, 1940. On verra de
manière générale pour l’histoire de la Transylvanie avant la seconde guerre mondiale :
1. CRACIUN, « Bibliographie de la Transylvanie roumaine, 1916-1936 », dans R e v u e d e
T ra n s y lv a n ie , t. 3, 1937, n°4 (Cluj).
constitue en fin de compte un véritable dogme historique, une sorte de « vérité axiomatique »,
pour reprendre une expression couramment utilisée en Roumanie, qu’il est dangereux de
remettre en cause, ses implications étant d’une importance capitale, aussi bien sur le plan
politique que sti'atégique. Le cas de la Transylvanie en est l’exemple^^. U s’agit en réalité d’une
thèse qui connut son essor au XVIIIe siècle à l’époque de la S c o a la a rd e le a n a , l’« Ecole
transylvaine », aussi dénommée l’« Ecole latine ». Cette thèse fut développée au XVIIIe siècle
en Transylvanie d’abord, afin de montrer l’originalité des Roumains de cette région dominée
par les « trois nations » médiévales, les Magyars, les Saxons et les Sicules, selon le principe de
V U n io triu m n a tio n w n .
Les Roumains, descendants des Daces, peuple thrace, romanisés et latinisés par les
légions de Trajan au Ile siècle, sont de langue latine. Es occupaient ainsi la Dacie antique, soit à
peu près la Roumanie actuelle. Ainsi, bien qu’ayant connu des invasions multiples, le
« miracle » roumain veut que les habitants actuels de la Roumanie soient les héritiers directs de
ces Daco-romains, les « ancêtres du peuple roumain
Le problème est le suivant. D’abord, il n’existe aucune source écrite concernant les
Roumains de la fin du bas-empire jusqu’au bas moyen âge lors de la formation des premiers
F.
FEJTO, « Une province disputée : la Transylvanie », dans E s p rit,
mars 1978, f. 3, pp.
64-67. C. C. GruRESCU, T ra n s y lv a n ia in th e h is to ry o f R o m a n ia , Gamstone Press, Londres,
1967.
C’est ce qui explique l’intérêt extraordinaire de l’historiographie roumaine pour l’antiquité
dace et l’archéologie, seule science historique capable de pallier au « silence des sources » pour
le haut moyen âge roumain, et l’intérêt pour les témoignages étrangers de la latinité ou romanité
des Roumains. On verra notamment le livre de Mircea MUSAT, historien ultra-nationaliste après
1989, mais officiel sous Ceausescu, S o u rc e s e t té m o ig n a g e s é tra n g e rs s u r le s a n c ê tre s d u
p e u p le ro u m a in . R e c u e il d e te x te s , Ed. A.R.S.R., Bucarest, 1980. Pour l’archéologie on verra
en plus des revues D a d a , R e v u e d ’a rc h é o lo g ie e t d ’h is to ire a n c ie n n e , et T h ra c o -D a c ic a de
l’Institutul de tracologie de l’Académie roumaine. Dan Gh. TEODOR, T e rito riu l e s t-c a rp a tic în
v e a c u rile V -X I e .n . C o n trib u tii a rh e o lo g ic e s j is to ric e la p ro b le m a fo rm a rii p o p o ru lu i ro m â n ,
Ed. Junimea, lasi, 1978.
53
Etats roumains, c’est ce que l’on appelle le « millénaire obscur
Deuxièmement, les
Magyars qui se sont installés en Europe au IXe siècle ont occupé la Transylvanie dès leur
arrivée. L’historiographie hongroise montre qu’à cette époque la Transylvanie était un pays
« désert », ainsi que les autres principautés, et que les Roumains sont en réalité des pasteurs
venant du sud du Danube qui ont immigré dans l’espace carpatique nord-danubien plus tard, à
partir du Xle siècle. Ainsi leur langue, en réalité une langue illyro-balkanique parente de
l’albanais, nous y reviendrons à propos de la langue roumaine, ne se serait latinisée que bien
plus tard au XVIIIe siècle à l’époque de l’Ecole transylvaine ou « Ecole latine ». Le mythe de la
continuité ne serait alors qu’un prétexte à une revendication territoriale pour l’union des
principautés en 1859^^ et surtout la Grande Union de la Transylvanie avec la Moldavie et la
Valachie en 1918^^.
Dans sa vocation unitaire nationale, le symbole de la Roumanie devenait naturellement la
colonne Trajane de Rome, relatant la conquête de la Dacie par les légions romaines.
L’ethnogenèse du peuple roumain fut caractérisée par la symbiose entre la latinité romaine et le
77
BREZEANU, « Les Roumains et le “ silence des sources ”, dans le “ millénaire
obscur ” », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XXI, 1982, juil.-déc., f. 3-4, pp. 387-403.
78 Stelian NEAGOE, Is to ria u n irii R o m â n ilo r. D e la în c e p u tu ri la C u z a V o d a , Ed. Stiintifica si
Enciclopedica, Bucuresti, 1986. Cfr. aussi S tu d ii p riv in d u n ire a p rin c ip a te lo r, Ed. A.R.P.R.,
Bucuresti, 1960.
79 On verra principalement Pompiliu TEODOR, « Istoriografia unirii Transilvaniei eu
România », dans Is to ric i ro m â n i..., o p . c it., pp. 182-192.1. LUPAS, Is to ria u n irii R o m â n ilo r,
2e. éd., Ed. Scripta, Bucuresti, 1993 (rééd. de 1938). On verra deux exemples d’ouvrages
particulièrement révélateurs de l’historiographie communiste : D e s d v îrs ire a u n ifie d rii S ta tu lu i
n a tio n a l ro m â n . U n ire a T ra n s ilv a n ie i e u v e c h e a R o m â n ie , réd. Miron CONSTANTINESCU,
Stefan P a s C U , Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1968, comme celui d’un des historiens qui compte
parmi les plus officiels du régime communiste ; Stefan PASCU, M a re a a d u n a re n a tio n a lâ d e la
A lb a Iu lia . In c u n u n a re a id e ii, a te n d in te lo r s i a lu p te lo r d e u n ita te a p o p o ru lu i ro m â n ,
Universitatea « Babes-Bolyai » din Cluj, Cluj, 1968. En français, on verra : Vasile N e t
R é u n io n d e la T ra n s y lv a n ie à la R o u m a n ie , Ed. Meridiane, Bucarest, 1968.
54
ea
,
peuple dace multimillénaire présent dans ce qui devait devenir la Roumanie, comme la
Transylvanie, « le coeur de l’espace ethnique roumain
Nous reviendrons plus en détail sur cette question dans le chapitre concernant l’Eglise
orthodoxe et la nation roumaine. Il est important d’avoir déjà ces notions à l’esprit : sur ce
schéma se construit toutes les argumentations, en matière religieuse, démographique,
linguistique, sü'atégique, militaire, étymologique, e tc . Cette thèse conditionne aussi le choix des
sujets traités, et on ne peut s’étonner de voir une prolifération d’études sur l’antiquité et la
Dacie, la permanence de la romanité ou de la roumanité dans les deux voïvodats nord-danubiens
et en Transylvanie. On ne s’étonnera pas de voir dès lors la littérature marquée pai’ des notions
« anachroniques » pour des périodes anciennes, du haut moyen âge jusqu’aux temps modernes,
comme « lutte nationale », « émancipation du peuple », « conscience nationale », « Etat »,
« Nation », e tc . La thèse de la continuité daco-romaine avait pour objectif au XVIIIe siècle de
montrer l’antériorité des Roumains sur le sol de l’ancienne Dacie, par rapport aux Hongrois,
mais aussi aux peuples slaves des Balkans. Cette théorie historique fut exploitée au XIXe siècle
dans le cadre des luttes nationales qui menèrent à l’unification de tous les Roumains en 1918.
Elle servit entre-deux-guerres à légitimer la Grande Roumanie. Le « dacisme » fut repris sous
Ceausescu dans le cadre de l’isolationnisme de la Roumanie, avec le slogan devenu célèbre « la
Roumanie, une île latine dans un océan slave ». Les années quatre-vingt virent son exploitation
dans le cadre de ce que l’on appelle l’« autochtonisme » ou le « protochronisme », montrant les
origines thraces du peuple roumain. Cette thèse doit en fait montrer l’antériorité des Roumains
par rapport à tous les peuples voisins.
L’historiographie communiste privilégia l’histoire de l’antiquité, et l’on constate dans
l’historiographie des « trous » dans l’histoire, des domaines ignorés entravant en fait la notion
de continuité roumaine, par exemple toute la question des apports slaves et bulgares dans les
principautés roumaines lors de l’empire valaco-bulgare.
80 Comme le souligne I. LUPAS, L a T ra n s ylv a n ie , c o e u r d e la v ie ro u m a in e , Bucarest, 1942,
p. 5.
55
Cependant, il faut souligner que si cette fameuse thèse comporte un caractère très « XIXe
siècle » — on songera aux argumentations et thèses belges concernant la légitimité de la
création de l’Etat belge après 1830 —, elle repose sur une certaine logique, et dénudée de son
caractère revendicatif et polémique, elle n’est pas sans fondement. Il est évident que cette thèse
est devenue un véritable dogme. C’est un exemple de l’idéologisation de l’histoire pour
légitimer l’existence d’une nation, idéologisation qui relève du mythe historique fondateur.
L’argumentation hongroise montre que le retrait complet des colons romains au nie siècle, le
« retrait aurélien », après la suppression totale de la population dace a laissé un pays désert.
Les Roumains ne seraient issus que de migrations aux Xe, Xle, Xüe et XHIe siècles. Mais si le
vocabulaire roumain, nous y reviendrons, fut effectivement fortement influencé par les langues
voisines, la structure même de la langue est bien latine, et il semble difficilement envisageable
que la langue se soit à ce point modifiée à une époque si récente sur le plan syntaxique et
morphologique, bien que l’on constate effectivement une très forte latinisation impulsée au
XVnie siècle par l’Ecole transylvaine. Comme nous le verrons dans le cadre de la récupération
de cette thèse par l’Eglise Orthodoxe Roumaine, le problème provient de la projection de
notions modernes dans le passé et de la volonté d’établir une filiation ethnique directe entre
l’antiquité et l’époque contemporaine.
Le litige provient essentiellement du caractère politique de l’histoire dans ces conditions et
de la radicalisation des deux versions, hongroise et roumaine. Lorsqu’en 1940 l’Arbitrage de
Vienne décerna au maréchal Horthy une partie de la Transylvanie avec l’autorisation de Hitler et
Mussolini — ce qui précipita la chute de Carol II au profit de l’Etat légionnaire du Général
I. Antonescu —, c’était la victoire de l’« irrédentisme » hongrois dû à la « falsification » de
l’histoire.
Il n’en reste pas moins vrai que cette question empoisonna et empoisonne toujours les
relations roumano-hongroises^L En 1986 paraissaient les trois volumes de l’histoire de la
81 Cfr. pour la période de la guerre 40 à l’époque de l’arbitrage de Vienne : L. TAMÀS, « Die
Vorgeschichte der Entwicklung des rumanischen Volkes und seiner Sprache », dans D ie
56
Transylvanie de B. Kopeczi^^ qyj enflammèrent la critique roumaine et provoquèrent la colère
du gouvernement roumain et de N. Ceau^scu. Le peuple roumain « multimillénaire » se devait
de réagir à la « falsification consciente et volontaire des historiens irrédentistes hongrois
Aujourd’hui, on comprend toute l’acuité de cette question lorsqu’on songe au contentieux
transylvain et à la tentation de révision des frontières fixées par le traité de Trianon de 1919*^.
S ie b e n b ü rg is c h e F ra g e S tu d ie n a u s d e r V e rg a n g e n h e it u n d g e g e n w a rt S ie b e n b ü rg e n s , dir. E.
LUKINICH, (Etudes sur l’Europe centre-orientale, n°24), Budapest, 1940, pp. 1-19.
Cfr. la réédition récente en français Bêla Kôpeczi, H is to ire d e la T ra n s y lv a n ie , Akadémiai
Kiadô, Budapest, 1992, cfr. s u p ra .
S. P a s c
u
, M. Mu
s a
T,
F. CONSTANTINO, « La falsification consciente de l’histoire sous
l’égide de l’Académie hongroise des sciences », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. 26, 1987,
f. 3, pp. 259-279 ; S. PASCU, S STEFANESCU, J o c u l p e ric u lo s a l fa ls ific d rii is to rie i, C u le g e re
d e s tu d ii sJ a rtic o le , Ed. Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti, 1986.
84 On verra aussi les deux derniers articles de synthèse de B. B O R S I-K a l
ma n
,
« Bref aperçu
de l’histoire des frustrations des Roumains de Transylvanie », dans L ’E u ro p e c e n tra le e t se s
m in o rité s : v e rs u n e s o lu tio n e u ro p é e n n e ? dir. A. LIEBICH, A. RESZLER, Publications de
l’Institut universitaire des Hautes Etudes internationales, Genève, Presses Universitaires de
France, Paris, 1993, pp.135-144 ; ID., « L’histoire du différend hungaro-roumain du XVIIIe
au XXe siècles. Quelques points de repère », dans L ’E u ro p e d u m ilie u , A c te s d u c o llo q u e
o rg a n is é p a r le G ro u p e d e R e c h e rc h e s u r l’E u ro p e C e n tra le d e l’U n iv e rs ité d e N a n c y II,
s e p te m b re 1 9 8 9 ,
dir. Michel M a S L O W S K I, Presse Universitaires de Nancy, 1991, pp.243-
250. On verra aussi les publications du Centre d’Etudes transylvaines de la Fondation
Culturelle Roumaine, fondé après 1989 à Cluj-Napoca comme la reprise de la R e v u e d e
T ra n s y lv a n ie , t. 1, n°l, 1991, édité à partir de 1992 sous le titre T ra n s y lv a n ia n R e v ie w . On
verra notamment David PRODAN, T ra n s y lv a n ia a n d a g a in T ra n s y lv a n ia . A H is to ric a l E x p o s é ,
Center for Transylvanian Studies, The Romanian Cultural Foundation, Cluj-Napoca, 1992
(trad. de T ra n s ilv a n ia sJ ia r T ra n s ilv a n ia . C o n s id e ra tii is to rice , Ed. Enciclopedica, Bucuresti,
1992) ; C. S a s S U , R o m a n ia n s a n d H u n g a ria n s . H is to ric a l P re m is e s (Bibliotheca Rerum
Transsilvaniae, IV), Center for Transylvanian Studies, The Romanian Cultural Foundation,
Cluj-Napoca, 1993. Cfr. aussi l’excellent volume de l’Association des historiens de
Transylvanie et du Banat, S tu d ii d e Is to rie a T ra n s ilv a n ie i. S p é c ifie ré g io n a l sJ d e s c h id e re
e u ro p e a n d , coord. Sorin MITU, Florin GOGALTAN, Asociatia Istoricilor din Transilvania si
Banat, Cluj, 1994.
57
Aujourd’hui la situation dans les Balkans présente plus que jamais une nouvelle instabilité
qui justifie à nouveau un retour en force des thèses nationalistes. La thèse de la continuité dacoromaine est largement diffusée pour faire face aux nouvelles velléités hongroises motivées par
le « révisionnisme austro-hongrois
Après la chute du communisme, on s’aperçoit que si les références à l’idéologie marxisteléniniste ont rapidement cédé la place, les thèses nationalistes sont d’autant plus présentes
qu’elles restent les seules références possibles, cadre et canevas de la démarche historique.
L’Albanie offre également des caractéristiques tout à fait semblables, où l’on trouve la mise en
exergue de la continuité illyro-albanaise pour se différencier de l’environnement slave^®.
A l’« époque Ceausescu », l’historiographie déterministe nationaliste, montrant le destin
multiséculaii'e du peuple roumain qui devait l’amener à former un Etat national unitaire au XXe
siècle s’est combiné avec le déterminisme matérialiste qui mena le peuple au parachèvement du
socialisme. Il y a donc deux niveaux de lecture basés sur une logique déterministe, l’un
nationaliste, l’autre marxiste. La lutte du peuple roumain depuis son ethnogenèse pour former
un Etat unitaire indépendant s’inscrit dans la lutte des classes contre l’exploitation bourgeoise.
Nous montrerons que l’Eglise orthodoxe intègre un troisième « déterminisme », visant, depuis
la christianisation lors de l’ethnogenèse du peuple, à la constitution d’une Eglise nationale
autocéphale, parallèlement à l’édification de l’Etat roumain indépendant.
Cfr. les références en conclusion, point II.
Alain DUCELLIER, « Les études historiques en République populaire d’Albanie (19451966) », dans ID., L ’A lb a n ie e n tre B y z a n c e e t V e n is e , X e -X V e s iè c le s , Variorum Reprints,
Londres, 1987, I, pp. 124-144 {R e v u e h is to riq u e , t. 237, f. 481, Paris 1967, pp. 124-144).
58
4. Remarques sur l’historiographie actuelle depuis 1989
n o u v e lle s
o rie n ta tio n s
e t ré v is io n n is m e
Depuis la chute du communisme, on constate que, dans un souci de rétablir la « vérité »
historique « falsifiée » et conditionnée par l’idéologie communiste, les auteurs s’efforcent de
reconsidérer l’histoire et de réhabiliter ce que l’idéologie dominante avait par tous les moyens
gommé de l’histoire du pays. Mais on comprend, dans le contexte mouvant actuel et en fonction
d’un « retour de balancier », parallèlement à la remontée des nationalismes, que
l’historiographie roumaine post-révolutionnaire a tendance à réhabiliter les périodes que le
régime communiste avait exécrée et voulu ignoré : l’entre-deux-guerres, la période de l’Etat
National Légionnaire (1940-1941) et celle de la dictature Antonescu (1941-1944)87.
Contrairement à l’époque précédente, les Roumains ont tendance à idéaliser ces années en
tentant d’ignorer son caractère fasciste. Le Maréchal Antonescu, fait actuellement figure, au
La question du révisionnisme est un des aspects les plus importants de la conclusion, point
II, sur la situation actuelle de l’Eglise orthodoxe dans le cadre politique de l’après 1989. Cfr.
l’ensemble des références pour cette question dans la conclusion. En 1940 Antonescu prit le
pouvoir avec les légionnaires dirigés par Horia Sima. En janvier 1941 la rébellion légionnaire
fut réprimée et Antonescu dirigea le pays.
59
travers de nombreux volumes qui lui sont consacrés, de héros national dans la mesure où il
épargna à la Roumanie l’invasion des années allemandes et les honeurs d’une occupation pure
et simple. Ainsi, on monti'e combien cet homme épargna aux Juifs la déportation vers les camps
d’extermination nazis, et combien il préserva au mieux l’intégrité territoriale du pays. C’est
également Antonescu qui mena la guerre « sainte » contre le bolchévisme. C’est à cette époque,
lors de l’entrée des troupes roumaines en Union soviétique, que la Roumanie annexa les trois
districts de Transnistrie où furent installés les camps de déportation des Juifs de Roumanie. La
Roumanie fut d’ailleurs agrandie vers l’Est par l’annexion de terres ukrainiennes jusqu’à
Odessa sur le Dniepr. Antonescu est ainsi considéré comme celui qui prit le pouvoir pour
sauver la Roumanie des agressions extérieures. La Roumanie était prise entre deux feux : d’une
part la Hongrie avait annexé une partie de la Transylvanie avec l’arbitrage de Vienne de 1940,
d’autre part le pays avait perdu la Bessarabie avec le pacte Molotov-Ribbentrop de 1939.
Le révisionnisme concerne de nombreux aspects politiques et culturels des années trente.
C’est le cas pour l’histoire du mouvement légionnaire fondé par C. Z. Codreanu, et pour les
mouvements philosophiques ou théologiques qui défendaient des thèses proches des thèses
fascistes. On citera la revue G â n d ire a (La Pensée), et des auteurs tels que Nichifor Crainic qui
prônait l’ethnocratie roumaine, contre le parlementarisme magyar et le sectarisme occidental
protestant, et privilégiait le « roumanisme », symbiose entre la notion de peuple roumain uni par
le sang multimillénaire et l’orthodoxie roumaine, fondement mystique et « christique » de la
« Nation ».
Ainsi, les thèses extrémistes qui s’étaient développées en Occident parmi les exilés de
1941 après la tentative de coup d’Etat légionnaire matée par Antonescu, mais aussi en 1948,
trouvent maintenant un large écho en Roumanie dans ce qu’on appelle l’« histoire interdite ».
Les artisans de l’« agonie » de la Roumanie étaient en réalité, Staline, Churchill et Roosevelt,
puis Tmman. La Roumanie vendue par les Occidentaux aux soviétiques tomba dans l’escarcelle
60
communiste. Les causes du désastre actuel du pays doivent être cherchées dans les conditions
infamantes des traités de Yalta et de Potsdam qui « cmcifièrent » la Roumanie^^.
Sur le plan de la littérature orthodoxe, nous y reviendrons, il faut déjà signaler que,
« ayant toujours combattu le communisme », les orthodoxes ne remettent pas en cause le rôle de
l’Eglise sous le régime communiste, comme d’ailleurs, l’Eglise, à l’époque communiste, ne
remit jamais en cause son rôle sous la dictature fasciste.
Ce contexte révisionniste et ces tendances « anarchiques » dans l’historiographie
contemporaine roumaine ajoutent à l’abord de son historiographie de nombreuses difficultés ;
les tendances actuelles, et le discours officiel surtout, semblent avoir pour but, même si ce n’est
pas toujours conscient, de semer le trouble et de rendre les choses encore plus floues et
incertaines. De plus, on peut affirmer de manière générale que ce discours de « confusion » et
d’amalgames, notamment sur la question de la guerre et du roi Michel, cible des nationalistes et
du pouvoir actuel, n’est pas innocent. On doit en effet y déceler en filigrane une propagande à
but politique évident, à mettre en liaison directe avec les enjeux actuels.
Ce révisionnisme est intéressant à plus d’un titre : par la réédition de nombreux ouvrages
d’entre-deux-gueires, on a la possibilité de connaître des ouvrages devenus introuvables. Pour
l’histoire de l’Eglise orthodoxe, on peut désormais avoir accès à des revues et des livres de cette
période, sources historiques primordiales pour l’idéologie de cette époque et le sujet qui nous
occupe. C’est le cas de la revue G â n d ire a , mais aussi des ouvrages des théologiens de cette
époque. D faut bien sûr être extrêmement prudent par rapport à ces rééditions dans la mesure où
elles sont parfois « censurées » des connotations fascistes de l’époque.
Cfr. conclusion.
61
III. METHODOLOGIE ET SOURCES
1. Remarques préliminaires sur les « traditions byzantines »
A. « Byzantinisme » et relations « constantiniennes »
Avant d’entamer cette recherche, il convient de préciser les termes de la thèse de départ et
d’énoncer au préalable quelques remarques. On doit en effet voir dans l’énoncé de la thèse trois
questions différentes.
Premièrement, quelles sont les traditions byzantines relatives aux rapports entre l’Eglise et
l’Etat en Roumanie à l’époque contemporaine, et quelles en sont les termes ? Pour traiter cette
question, il conviendra d’analyser en premier lieu quelle est l’idéologie de l’Eglise orthodoxe
concernant l’Etat en général d’abord, l’Etat communiste ensuite. Deuxièmement, peut-on
considérer que ces éléments « byzantins » ont influé sur le phénomène de collaboration et de
soumission au pouvoir de l’Eglise orthodoxe à l’époque contemporaine, en l’occurence
62
l’époque communiste, ou doit-on invoquer d’autres arguments, prépondérants ou non. La
question finale sera alors de savoir si le caractère particulier de l’Eglise orthodoxe pose un frein
à la démocratisation de l’Etat ?
Sur le plan méthodologique, avant d’exposer la démarche que nous nous sommes fixée, il
importe de déterminer ce que l’on peut entendre par « byzantinisme » ; ensuite de voir dans la
bibliographie jusqu’à quelle époque ces liens byzantins sont restés en vigueur en Roumanie et
de quelle manière. Enfin nous pounons déteminer les termes de notre analyse pour l’époque
communiste en fonction des hypothèses énoncées ; la collaboration entre l’Eglise et l’Etat estelle conditionnée par ces « traditions » byzantines ou motivées par l’opportunisme des
hiérarques sous une dictature ?
Des expressions ou notions telles que « traditions byzantines » ou « relations
constantiniennes » méritent d’être précisées pour éviter toute confusion. En effet, on a parlé de
tradition séculaire de soumission au pouvoir, de césaropapisme, de collaboration, et ce à propos
de pays somme toute aussi différents que la Russie, la Serbie, la Roumanie ou la Grèce
contemporaine. On connaît par ailleurs les difficultés de l’utilisation de termes tels que
« théocratie », « césaropapisme » ou « papocésarisme ». En réalité, il s’agit de l’étemelle
question de la place de l’Etat dans l’Eglise et de l’Eglise dans l’Etat. De plus, peut-on se
contenter de considérer comme « byzantines » des relations Eglise / Etat basées sur un simple
soutien mutuel ? Une aide fmancière de l’Etat à l’Eglise et une contribution politique de l’Eglise
à l’Etat — comme la participation du clergé aux instances politiques par exemple ou un
assujetissement de l’Eglise par l’Etat—, constitueraient-ils des éléments suffisants pour être
qualifiés de « byzantins » ? Ne s’agit-il pas, en fin de compte, d’aspects de la société que l’on
pouiTait trouver sous d’autres latitudes et à d’autres époques dans des pays étrangers à toute
conception byzantine ?
C’est donc sur le plan idéologique et du discours de l’Eglise que nous axerons notre
travail, et principalement du discours de légitimation de l’Eghse dans la nouvelle société.
63
Selon les auteurs, on trouve plusieurs acceptions et conceptions de ce qu’étaient les
rapports entre l’Eglise orthodoxe et l’Etat à Byzance. Sans entrer dans les détails — ce sujet
demanderait à lui seul une thèse historiographique —, il convient de faire une distinction entre
plusieurs conceptions courantes. Par tradition byzantine on entend généralement trois, voire
quatre significations différentes^^.
On a utilisé le terme de « césaropapisme » pour décrire la situation à Byzance à propos
des liens entre l’empereur et le patriarche. Bien que ce terme soit un « anachronisme » et soit en
réalité impropre, les auteurs veulent y voir une primauté de l’empereur sur l’Eglise, une
domination du pouvoir civil sur le religieux. Or, si cette situation a pu se produire à certaines
époques à Byzance, ce ne sont en réalité que des exceptions. On pensera par exemple aux
Pour l’idéologie politique à Byzance on verra principalement : Hélène AHRWEILER,
L ’id é o lo g ie p o litiq u e d e l ’E m p ire b y z a n tin , coll. « L’Historien », PUF, Paris, 1975, cfr. chap.
L e s p rin c ip e s fo n d a m e n ta u x d e la p e n s é e p o litiq u e à B y z a n c e , pp. 129-147 ; Agostino
PERTUSI, Il p e n s ie ro p o litic o b iz a n tin o (Il mondo medievale, studi di storia e storiografia,
sezione di storia bizantina e slava, dir. A. Carile), Bologne 1990. Pour les rapports entre
l’Eglise et l’empereur ; D.J. GEANOKOPLOS, B y z a n tin e e a s t a n d la tin w e s t : tw o w o rld s o f
c h ris te n d o m in m id d le â g e s a n d re n a iss a n c e, s tu d ie s in e c c le s ia stic a l a n d c u ltu ra l h is to ry, Basil
blackwell. Oxford, 1966 ; T h e C a m b rid g e M é d ié v a l H is to ry . v o l. 4 , th e b y z a n tin e e m p ire ,
p a rt. 2 , G o v e rn m e n t, C h u rc h a n d C iv ilis a tio n , édit. J.M. HUSSEY, Cambridge University
Press, 1967, pp. 105-134 ; J.M. HUSSEY, T h e o rth o d o x C h u rc h in th e B y z a n tin e e m p ire .
Oxford 1986 ; R. JENKINS, B y z a n tiu m a n d B y z a n tin is m , Cincinnati, 1963 ; D. O b O L E N S K Y ,
T h e b y z a n tin e c o m m o n w e a lth , Londres, 1971 (réed. 1984) ; ID., T h e b y z a n tin e in h e rita n c e o f
e a s te rn E u ro p e , Londres 1986 ; S. RUNCIMAN, T h e b y z a n tin e T h e o c ra c y , Cambridge, 1977 ;
S. RUNCIMAN, T h e o rth o d o x C h u rc h e s a n d th e S e c u la r S ta te, Auckland : Auckland University
Press, Oxford University Press, 1971 ; A. DUCELLIER, L ’E g lis e b y z a n tin e , e n tre p o u v o ir e t
e s p rit (3 1 9 -1 2 0 4 ), (Bibliothèque d’Histoire du Christianisme, n°21), Desclée, Paris, 1990 ;
lD .,L e d ra m e d e B y z a n c e , id é a l e t é c h e c d ’u n e s o c ié té c h ré tie n n e . Hachette, 1976 ; J.
Gau
d e me t
, L ’E g lis e d a n s l’e m p ire ro m a in (IV e -V e s iè c le )
(Histoire du droit et des institutions
de l’Eglise en Occident), dir. G. Le BRAS, 1958, éd. mise à Jours, Sirey, 1989. Pour une
version orthodoxe on verra A. SCHMEMANN, « La théocratie byzantine et l’Eglise
orthodoxe », dans D ie u v iv a n t, t. 25, 1953, pp. 36-53 ; Pour une version roumaine, D.
Ba
r bu
,
« Monde byzantin ou monde orthodoxe ? », dans R e v u e d e s E tu d e s S u d -E s t
E u ro p é e n n e s , t. 27, n°3, pp. 260-271.
64
tentatives des empereurs iconoclastes, comme Léon III l’Isaurien, au Ville siècle. Le terme
« théocratie » byzantine impliquerait une domination de l’Eglise ou du pouvoir religieux sur la
société civile : on songera aux tentatives du patriarche Michel CéruUaire au Xle siècle, profitant
de la faiblesse du pouvoir de l’empereur de Byzance. Peut-on faire état d’une « confusion »
entre les pouvoirs, l’empereur étant lui-même le représentant de Dieu sur ten'e et en considérant
que les pouvoirs temporels et spirituels sont inextricablement liés et impliqueraient ainsi une
confusion du civil et du sacré ?
On retiendra la conception défendue notamment par H. Arweiller dans son livre.
L ’id é o lo g ie p o litiq u e à B y z a n c e , qui montre qu’en réalité les rapports entre les deux autorités
se cai’actérisent à Byzance par une complémentarité entre les deux pouvoirs, l’empereur étant le
représentant de Dieu sur terre, mais délégant ses pouvoirs religieux au patriarche. Quant au
pouvoir religieux il interfère dans les affaires civiles, dans le domaine de la justice par exemple.
Ainsi, la situation byzantine se caractériserait par un équilibre, une interaction, une
complémentarité et une interdépendance entre les deux pouvoirs bien distincts et clairement
établis. C’est ce qu’on appelle la « symphonie » ou encore l’« harmonie » byzantine entre les
deux pouvoirs.
Ainsi, alors qu’en Occident on assiste au moyen âge à une lutte entre les pouvoirs, entre
ce qui deviendra le pouvoir de Rome, le Saint Siège, et les empereurs d’Occident — on pourrait
citer les exemples de la Querelle des investitures et de la théocratie pontificale sous le pontificat
d’innocent m — , les liens entre les deux pouvoirs à Byzance sont restés en harmonie au cours
des onze siècles de l’Empire chrétien d’Orient. La lutte entre les deux pouvoirs ne pouvait se
concevoir dans l’idéologie byzantine.
Les relations « constantiniennes », terme qui caractérise les relations inaugurées par
Constantin au IVe siècle entre l’empereur et l’Eglise — c’est l’empereur qui convoque les
conciles — , n’impliquent pas une soumission du pouvoir religieux au politique, mais une
complémentarité des pouvoirs.
65
Alors qu’en Occident la Renaissance, les Lumières, le joséphisme et la Révolution
française ont été la source de nouvelles conceptions des relations entre l’Eglise et l’Etat et
qu’une lente évolution mena à une laïcisation de la société par une décléricalisation de la société
et une séparation des pouvoirs civil et religieux, en Orient la situation évolua différemment.
Après la chute de Constantinople, le patriarche œcuménique devint l’ethnarque du sultan,
incarnant le pouvoir religieux et les pouvoirs civils relevant du « millet » grec, c’est-à-dire des
populations orthodoxes de l’empire ottoman^^. Une seule personne, le patriarche, allait
dorénavant incarner les deux pouvoirs. L’Eglise de Constantinople fit de l’Eglise orthodoxe une
Eglise soumise au pouvoir islamique dans les Balkans. L’émancipation des peuples des
Balkans lors du siècle des nationalismes rompit cet ordre des choses et l’on vit se démarquer
progressivement les Eglises nationales par rapport au patriarcat œcuménique. Parallèlement à
l’émancipation des nations balkaniques vis-à-vis de la Porte ottomane, les Eglises orthodoxes
tentèrent de se libérer de la tutelle constantinopolitaine.
En Russie, véritable héritière de la civilisation byzantine, Pierre le Grand, sous l’influence
du protestantisme et du siècle des Lumières, réforma au XVille siècle les institutions et l’Eglise
et destitua le patiâarche de l’Eglise orthodoxe qui ne fut réinstallé que sous l’époque soviétique.
Il mit l’Eglise sous la tutelle de l’Etat, instaurant une sorte de symbiose entre une conception
protestante de l’Etat et l’autocratie russe^f
S. RUNCIMAN, T h e G re a t C h u rc h e in c a p tiv ity . A s tu d y o f p a tria rc h a te o f C o n s ta n tin o p le
fro m e ve o f tu rk is h c o n q u e s t to th e G re e k W a r o f In d e p e n d e n c e , Cambridge University Press,
1968 ; Livre II, T h e C h u rc h u n d e r th e o tto m a n s u lta n s , pp. 165-207 ; S. Runciman, « The
greek Church under the Turks. Problems of research », dans T h e m a te ria ls , s o u rc e s a n d
m e th o d s o f e c c le s ia s tic a l h is to iy , Oxford, 1975, pp. 223-235 ; T h e b y z a n tin e tra d itio n a fte r th e
fa ll o f C o n s ta n tin o p le , édit. J. J. YlANNIAS, University Press of Virginia, 1991.
P e te r th e G re a t c h a n g e s R u s s ia , 2e éd.de 1963., éd. M . R a e f
f
,
Columbia University,
Lexington, Massachusetts, Toronto, London, 1972. M . R a e f f , « L’Etat, le Gouvernement et
la tradition politique en Russie impériale avant 1861 », dans R e v u e d ’H is to ire M o d e rn e e t
C o n te m p o ra in e , t. 9, oct.-déc., 1962, pp. 295-307.
66
B. Remarques sur l’évolution du « byzantinisme » en Roumanie
On sait que ce fut le XVIIIe siècle, qui vit le déclin des liens traditionnels byzantins entre
l’Eglise orthodoxe et les voïvodes roumains des principautés moldave et valaque^^. Les Grecs
de Constantinople qui régnèrent à l’époque phanariote sur la Moldavie et la Valachie, le « pays
roumain » {T a ra R o m â n e a s c a ), consacrèrent la fin de la survivance de la civilisation byzantine
sur le plan politique. L’idée que la Roumanie était la « Byzance après Byzance » selon
l’expression de N. lorga, avait progressivement fait la place à de nouvelles conceptions. Au
contact des Italiens notamment, les hospodars^^ grecs phanariotes, les Mavrocordat, allaient
véhiculer dans les pays roumains un néo-hellénisme empreint des idées nouvelles du XVIIIe
siècle^^. La notion de prince roumain, successeur des empereurs de Byzance, disparut
progressivement au cours du siècle^^. On notera cependant qu’au début du XIXe siècle, sous la
92 Sur la survivance des institutions byzantines en Roumanie : V. A. G e o R G E S C U , B iz a n tu l sJ
in s titu tiile ro m â n e s ti p în a la m ijlo c u l s e c o lu lu i a l X V IIl-le a ,
A.R.S.R., Bucuresti, 1980 ;
Andrei PIPPIDI, T ra d itia p o litic d b iz a n tin d în ta rd e ro m â n e în s e c o le le X V I-X V IIl, A.R.S.R.,
Bucuresti, 1983 ; on vema aussi Dennis DELETANT, « Some Aspects of the Byzantine Tradition
in the Romanian Principalities », dans ID., S tu d ie s in ro m a n ia n h is to ry , Ed. Enciclopedica,
Bucharest, 1991, pp. 186-200.
93 Le terme hospodar et équivalent à voïvode. Il est la traduction de g o s p o d a r, = v o ie v o d
94 Radu FLORESCU, « The Fanariote régime in the Danubian principalities », dans B a lk a n
S tu d ie s , t. 9, 1968, pp., 301-318 ; V. GEORGESCU, P o litic a l id e a s a n d th e E n lig h te n m e n t in
th e ro m a n ia n p rin c ip a litie s (1 7 5 0 -1 8 3 1 ) (East European monographs, 1) Columbia University
Press, New York, 1971 ; C. KOUMARIANOU, « Tendances humanistes dans les littératures du
sud-est européen au 19e et au début du 20e siècle. La littérature néohellénique », dans R e v u e
d e s E tu d e s S u d -E s t E u ro p é e n n e s , t. 18, 1980, f. 2, pp. 215-221.
67
domination turque, l’Eglise prenait encore une part active dans les affaires de l’Etat, comme
dans la justice par exemple et que les métropolites étaient les présidents du conseil des divans,
les assemblées des boyards des principautés au XIXe siècle.
Une étude de l’évolution de l’idéologie politique de l’Eglise orthodoxe au XDCe siècle
serait nécessaire pour montrer comment l’Eglise s’est adaptée à la modernisation de l’Etat
roumain et à la transition vers des institutions de type occidental^®. On citera un exemple :
K. Hitchins dans sa monographie O rth o d o x ie e t n a tio n a lis m e , A n d re iu S a g u n a e t le s R o u m a in s
d e T ra n s y lv a n ie
parue en 1977, relève les conceptions traditionnelles byzantines de l’évêque
transylvain Andreiu Saguna concernant les relations de l’Eglise avec l’Etat. L’évêque
transylvain, artisan du rétablissement institutionnel de l’Eglise orthodoxe en Transylvanie, bien
que contestant l’attitude du pouvoir autrichien à l’égard des Roumains, la bureaucratie
autrichienne et le rôle des Etats transylvains, ne remettait nullement en question la dynastie
habsbourgeoise. Il préconisait des relations basées sur l’équilibre et la coopération entre les
deux pouvoirs selon la tradition de l’orthodoxie orientale^^. M. Pacurariu souligne dans son
Sur l’idée impériale et la notion de l’héritage byzantin : cfr d’abord le livre de Nicolae
lORGA réédité récemment ; B y z a n c e a p rè s B y z a n c e , Avant-propos d’Alexandre Paléologue,
Ed. Balland, Paris, 1992 ; P.S. N a s t
u r el
,
« Considérations sur l’idée impériale chez les
Roumains », dans B y z a n tin a , t. 5, 1973, pp. 394-413 ; V. GEORGESCU, « L’idée impériale
byzantine et les réactions des réalités roumaines, XlV-XVUIe siècles », dans B y z a n tin a , t. 3,
1971, pp. 311-339 ; A. PIPPIDI, « La résurrection de Byzance ou l’unité politique roumaine :
l’option de Michel le Brave », dans R e v u e d e s E tu d e s S u d -E s t e u ro p é e n n e s , t. 13, 1975, f. 3,
pp. 367-378 ; I. DULCEV, « L’héritage byzantin chez les slaves », dans E tu d e s H is to riq u e s
(Xlle congrès international des sciences historiques. Vienne, août-sept, 1965), t. 1, Sofia,
1965, pp. 131-147.
Cfr. in fra , les questions relatives au droit.
97 K . H i t
c h in s
, O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu
S a g u n a a n d th e R u m a n ia n s o f
T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , Harvard University Press, Londres, Cambridge, Massachusetts,
1977 (Harvard Historical Studies), pp. 2 2 5 -2 2 6 .
68
Is to ria B is e ric ii O rto d o x e R o in â n e la reprise des idées saguniennes lors de la réorganisation de
l’Eglise orthodoxe après la première guerre mondiale^^.
En tous les cas, on peut affirmer d’emblée que le sacro-saint équilibre byzantin entre les
domaines civil et spirituel, V im p e riu m et le s a c e rd o c iu m fut rompu au XVille siècle^^. Le
problème consisterait à cerner la façon dont s’est établie la coexistence entre les deux pouvoirs,
problème qui par ailleurs se pose avec autant d’acuité pour la période de la suzeraineté ottomane
musulmane que pour celle de l’athéisme, puisqu’on assiste à une situation où l’Eglise orthodoxe
se retrouve par deux fois confrontée à des Etats d’idéologie non chrétienne. On constate
d’emblée également que l’on se retrouve face à un problème fondamental, la question de la
distance possible entre la réalité effective de l’évolution historique institutionnelle d’une part et
le plan idéologique de l’Eglise d’autre part.
Un aspect qui mériterait d’être développé et capital pour le sujet qui nous occupe est
certainement la question de l’évolution du droit roumain concernant non seulement les rapports
entre l’Eglise et l’Etat, mais surtout l’ensemble des domaines qui, dans l’ancien régime,
relevaient de l’Eglise et qui furent dans nos régions sécularisés. L’ensemble des questions
relatives aux registres de naissances, mariages, divorces, enterrements, e tc ., qui témoignent de
l’état de sécularisation de la société, pourraient montrer dans le cas roumain l’évolution de la
séparation progressive des domaines spirituel et temporel. De plus, outre la question du droit
écrit, resterait aussi à envisager la notion de droit coutumier, et même l’impact du droit ancien
dans les mentalités, indépendamment de la modernisation du droit officiel sous l’influence
occidentale.
98 Mircea PACURARIU, Is to ria B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e , vol. 3, Ed. Institutul Biblic si de
Misiune, Bucuresti, 1980-1981, pp. 96-97 et 420.
99 Cfr. aussi M. MUTHU, « “ Postbizantin ” sau “ premodem ” ? » , dans C u ltu rd sJ s o c ie ta te ,
s tu d ii p riv ito a re la tre c u tu l ro m â n e s c , préf. A. ZUB, Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1991, pp. 179-
184.
69
La question de l’impact de l’évolution du droit dans les deux zones de l’Europe du SudEst nettement délimitées entre les pays connaissant le droit romain d’une part et le droit byzantin
de l’autre^^, reste posée dans toute son ampleur. Le problème de la réception du droit byzantin
dans les pays roumains sur le plan de l’Eglise et de l’Etat et l’étude de l’originalité de la
Roumanie dans ce contexte permettraient de percevoir comment les idées occidentales
s’implantèrent dans l’idéologie politique**^'. On pensera plus précisément par exemple aux
100 J lONESCU, A. GEORGESCU, « Unité et diversité des formes de la réception du droit
romain en Occident et du droit byzantin en Orient », dans R e v u e d e s E tu d e s s u d -e s t
e u ro p é e n n e s , Bucarest, t. 2., 1964, pp. 153-186. Cfr. aussi V.A. GEORGESCU, « L’originalité
du droit national des peuples du sud-est européen dans le contexte de la réception du droit
romano-byzantin jusqu’au XIXe et de la réception du droit occidental au XIXe siècle » dans.
R a p p o rt a u Ille c o n g rè s in te rn a tio n a l d e s é tu d e s d u s u d -e s t d e l’E u ro p e ,
Bucarest, 1974. De
manière générale on verra aussi A.V. SOLOVEEV, L ’in flu e n ce d u d ro it b y z a n tin d a n s le s p a y s
o rth o d o x e s (Relazioni X congresso intem. di scienze storiche. Roma, 4-11 sept 1955), vol. 6 ,
Relazioni genetali e supplément!, Florence, 1955, pp. 599-600.
G.
CRONT, « Dreptul byzantin în Tarile Române », dans S tu d ii, t. 11, 1958, f. 5, pp.
33-59 ; ID., « Dreptul byzantin în Tarile Române », dans S tu d ii, t. 13, 1960, f. 1, pp. 57-82 ;
ID., « Byzantine Juridical influence in the romanian feudal society », dans R e v u e d e s E tu d e s
S u d -E s t E u ro p é e n n e s , t. 2, 1964, f. 3-4, pp. 359-383 ; ID., « L’Eclogue des Isauriens dans les
pays roumains », dans B a lk a n S tu d ie s , t. 9, 1968, f. 2, pp. 359-374 ; ID., « Réception des
Basiliques dans les Pays Roumains », dans N o u v e lle s E tu d e s d ’H is to ire (Publiées à l’occasion
du Xlle congrès des sciences historiques. Vienne 1965), vol. 13, éd. A.R.S.R, Bucuresti,
1965, pp. 153-180 ; V.A. GEORGESCU, « Cîteva contributii la studiul recept^ii dreptului
bizantin în Tara Româneasca si Moldova (1711-1821) », dans S tu d ii, t. 18, 1965, f. 1, pp. 4973 ; ID., « Contributii la studiul receptmi dreptului bizantin în Tara Româneasca si Moldova »,
dans S tu d ii, t. 15, 1965, n°l ; ID., « La réception du droit romano-byzantin dans les
principautés roumaines », dans M é la n g e s H .L é v y -B ru h l, Paris, 1959, pp. 373-392 ; ID., « Le
rôle de la théorie romano-byzantine de la coutume dans le développement du droit féodal
roumain », dans M é la n g e s P h . M e y la n , II, Lausanne, 1963, pp. 61-87 ; ID., « Modèles
juridiques byzantins et synthèse modernisatrice en droit roumain », dans R e v u e R o u m a in e
d ’H is to ire , t. 20, 1981, oct.-déc., f. 4, pp. 681-688 ; ID., « Trâsaturile generale si izvoarele
Codului Calimach », dans S tu d ii, t. 13, 1960, f. 4, pp. 73-106 ;
V. HANGA, « Le droit
romano-byzantin a-t-il été reçu dans les principautés roumaines ? », dans R e v u e R o u m a in e
d ’H is to ire ,
t. 10, 1971, f. 2, pp. 2 3 1 -2 5 5 ; cfr. aussi pour l’évolution du droit roumain
70
écrits juridiques roumains, tels que ceux rédigés entre 1765 et 1777 par Michel Fotino,
d’origine grecque, parmi lesquels on perçoit certaines conceptions inspirées des idées nouvelles
de « laïcisation
Le droit byzantin fut remplacé en 1864 par le droit français de 1804. C’était au lendemain
de l’union des principautés et de la création de l’Etat moderne roumain conçu sur des bases
occidentales. L’historien-ethnologue B. P. Hasdeu a entamé dans ce cadre, en 1878, des
recherches fondamentales sur les survivances des droits et coutumes byzantins traditionnels, en
matière religieuse notamment, au sein de la société
r o u m a in e ^
recherches
malheureusement interrompues, mériteraient d’être poursuivies afin de mieux comprendre les
mentalités contemporaines. D est clair qu’une recherche sous cet angle pourrait apporter un autre
éclairage sur l’évolution de la société roumaine à l’époque contemporaine.
Il faut souligner le fait que le terme même de césaropapisme est un terme qui, dans les
pays communistes, avait une consonnance bien précise, utilisée de manière exclusive pour
l’Eglise catholique romaine^*^4.
jusqu’au XIXe siècle : V.A. GEORGESCU, « Les survivances du droit romano-byzantin dans
la coutume roumaine (XlV-XIXe siècles) », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. 19, 1980, 23, pp. 277-300 ; ID., « Modèles juridiques byzantins et synthèse modemisatrice en droit
roumain », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. 20, 1981, 4, pp. 681-688.
102 G CRONT, « La réception du droit romano-byzantin dans les pays roumains, l’œuvre
rédigée par Michel Fotino à Bucarest entre 1765-1777 », dans N o u v e lle s é tu d e s d ’h is to ire
(XlIIe congrès des sciences historiques, Moscou, 1970), vol. 4, Ed. A.R.S.R., Bucuresti,
1970, pp. 133-138 ; ID., « Les Basiliques dans les Pays Roumains. La synopse rédigée à
Bucarest par Michel Fotino vers 1765 », dans J a h rb u c h d e r ô s te rre ic h is c h e n B y z a n tin is tik , t.
18, 1969, pp. 221-228.
103 Y GEORGESCU, L e s s u rv iv a n c e s d u d ro it ro m a n o -b y z a n tin ...o p . c it., p.300 ; cfr. aussi
M.G. NICOLAU, « Les dispositions d’origine roumaine-byzantine dans le code civU roumain »,
dans M é la n g e s P a u l F o u rn ie r, Paris, 1929, pp. 587-597 (Société d’Histoire du Droit,
bibliothèque).
104 nous y reviendrons largement, ce point étant central pour l’antivaticanisme orthodoxe à
l’époque communiste.
Ainsi dans l’optique des thèses « inverses » que l’on trouve dans la littérature orthodoxe
roumaine de l’époque communiste, mais encore fréquentes aujourd’hui — à l’instar des thèses
de l’Eglise sœur du « grand frère » soviétique, l’Eglise orthodoxe russe — , le césaropapisme
incarne pour les orientaux une domination de la papauté sur les domaines civils et politiques,
faisant en réalité référence à une théocratie. Le pape, chef de l’Etat du Vatican, représente, selon
les orthodoxes, l’exemple même de la suprématie du religieux sur le civil, par l’alliance du trône
et de l’autel, selon la théorie des deux glaives, telle qu’elle est comprise par les catholiques
selon les auteurs orthodoxes. Ainsi, le pape est « soumis à toutes les contingences matérielles
du monde politique » et se fait l’allié du monde « impérialiste
Il s’agit en fait d’une sorte
de « papocésarisme ». Nous reviendrons sur cet aspect dans l’analyse du discours de l’Eglise
orthodoxe à propos de l’anti-occidentalisme communiste et de l’antivaticanisme soviétique
largement répandu après 1948 dans les pays orthodoxes.
On verra notamment un des livres soviétiques qui fut difusé en Roumanie :
M. CHEINMAN, L e V a tic a n c o n te m p o ra in , Ed. en langues étrangères, Moscou, s. d.
72
2. Méthodologie et problématique des sources
A. Les sources : publications officielles de l’Eglise Orthodoxe Roumaine
Nous avons montré les composantes de la thèse de départ : les traditions byzantines
relatives aux rapports entre l’Eglise et l’Etat en Roumanie à l’époque contemporaine, l’influence
de ces éléments « byzantins » sur le phénomène de collaboration et de soumission de l’Eglise
orthodoxe au pouvoir communiste, et enfin le caractère particulier de l’Eglise orthodoxe en tant
que frein à la démocratisation de l’Etat.
Comment aborder un tel sujet en dehors d’une étude systématique des institutions
officielles ? En effet, ces institutions rendraient-elles compte de cette problématique ? On sait
quelle est la dichotomie entre les textes officiels communistes et leur application, entre les textes
normatifs et la réalité, entre la propagande et la politique du parti communiste. Il faut appliquer
une méthodologie qui permette de percevoir dans des textes les survivances de traditions
byzantines dans le chef du clergé et des hautes instances de la hiérarchie.
Le problème d’une étude limitée aux institutions réside dans le fait que ces institutions,
conçues à l’époque moderne, se démarquent totalement des institutions de l’ancien régime,
particulièrement depuis la première Constitution moderne roumaine de 1866. Quant au droit
73
byzantin, il fut remplacé à la même période en 1864 par le droit français de 1804 issu de la
Révolution française. Dans un premier temps, il faudrait en conclure à une rupture totale sur le
plan « normatif » par rapport au passé. Et les nouvelles institutions communistes, entièrement
nouvelles par rapport à celles de l’entre-deux-guerres, devraient également impliquer une
rupture totale en 1948 par rapport au passé.
La notion même de survivance de traditions et de conceptions des rapports entre l’Eglise
et l’Etat, peut-être même « inconsciente » dans la hiérarchie, fait partie des aspects de l’histoire
qui échappent en général à l’historien, principalement en raison du problème des sources. Les
archives de l’époque communiste restent quasiment inaccessibles pour la Roumanie, sans parler
de celles des services secrets, la S e c u rita te . Elles apporteraient des renseignements précieux qui
permettraient de connaître les conditions exactes de la participation de l’Eglise au pouvoir. Une
étude de ces archives permettrait de quantifier l’ampleur du phénomène de la collaboration du
clergé et les motivations de ses membres, d’en connaître les conditions, la violence de la part de
l’Etat et s’il s’agissait d’une participation active ou passive.
Cependant, si cela nous permettait d’envisager les choses sur une base solide, cela ne
nous donnerait sans doute, sauf exception, aucun renseignement sur les motivations profondes
de l’Eglise et de ses représentants quant à son rôle au sein de l’Etat, sinon une argumentation
tout à fait opportuniste de collaboration dans une système totalitaire communiste, à l’instar
finalement de n’importe quelle Eglise sous une dictature, qu’elle soit communiste ou de quelque
nature comme en Amérique centrale et du Sud par exemple.
Nous avons choisi, pour pallier à cette impossibilité matérielle, une analyse de la
légitimation par l’Eglise orthodoxe de la place qu’elle doit occuper dans l’Etat et de la
légitimation du respect de l’Etat. Il s’agit d’étudier le discours de l’Eglise Orthodoxe Roumaine
relatif à l’Etat, à la « nation » et à la nouvelle société. Cette analyse devrait permettre de
comprendre comment l’Eglise orthodoxe, institution religieuse nationale et dominante par
rapport aux autres cultes minoritaires, pouvait légitimer son rôle et sa place dans un régime
politique, en théorie hostile. Ainsi on pourrait déceler si l’attitude de l’Eglise était plutôt dictée
par de simples impératifs opportunistes pour défendre des intérêts particuliers ou s’il s’agissait
pour l’Eglise de motivations plus profondes basées sur une idéologie nettement définie.
L’Eglise s’appuyait-elle sur une adaptation de sa doctrine face à la modernité et aux
contingences de la nouvelle société édifiée par le nouveau régime en place, ou se plaçait-elle
dans une certaine continuité par rapport à sa situation passée, celle d’une Eglise d’Etat en
quelque sorte ? L’Eglise orthodoxe a-t-elle gardé dans son idéologie, sa doctrine et sa
conception de l’Etat, un substrat doctrinal hérité de sa tradition ancienne « byzantine », ne fût-ce
qu’un « b a c k g ro u n d » byzantin, conditionnant ses rapports de collaboration, de soumission à
l’Etat, ou s’est-elle adaptée à une situation nouvelle ? L’Eglise légitime-t-elle l’ingérence
flagrante de l’Etat dans ses affaires, et son ingérence dans la politique, et se place-t-elle dans la
tradition historique ou l’ignore-t-elle ?
Nous étudierons comment les rapports entre l’Eglise et l’Etat ont été conçus par les
orthodoxes après 1948 et la légitimation de la collaboration avec l’Etat. Puis, nous examinerons
en quoi ces éléments pourraient s’opposer à une démocratisation de l’Etat au regard surtout de
la situation actuelle de transition.
Pour mener à bien ce travail, il faudrait idéalement faire une synthèse de toute la littérature
orthodoxe depuis 1948, ce qui constituerait un travail démesuré étant donnée la masse de
documents ; les monographies, les périodiques, représentant plusieurs dizaines de milliers
d’articles, les comptes rendus, la presse religieuse hebdomadaire, mensuelle, les ouvrages de
l’Institut Biblique et de Mission de l’Eglise Orthodoxe Roumaine {In s titu tu l B ib lic s i d e M is iu n e
a l B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e , I.B.M.B.O.R.) les publications de la patriarchie de Bucarest,
des maisons d’édition des cinq métropolies, sans compter l’ensemble de toutes les pastorales,
les feuilles de « propagande » occasionnelles, e tc.
L’Eglise Orthodoxe Roumaine se distingue effectivement, par rapport à l’ensemble des
Eglises orthodoxes de l’Est, par son extraordinaire production de publications. Toutes les
revues patriarcales et métropolitaines paraissent chaque année au rythme de 5 à 10 fascicules.
Cependant, trois revues patriarcales forment l’ensemble le plus intéressant^La revue
106 cfr aussi sur le plan bibliographique : V. NETEA, « Les périodiques historiques roumains
(1821-1970) », dans N o u v e lle s E tu d e s d ’H is to ire , (XlIIe congrès des sciences historiques.
B is e ric a
O rto d o x a R o m â n a , b u le tin u l o fic ia l a l p a tria rh ie i ro m â n e ,
est la revue de la
patriarchie ; elle reprend les textes officiels, les comptes rendus des événements importants de
l’Eglise, des articles de fonds sur la Roumanie et des articles scientifiques d’histoire,
d’archéologie, de théologie, e tc . La revue des Instituts théologiques de Roumanie, S tu d ii
T e o lo g ic e , re v is ta in s titu te lo r te o lo g ice d in p a tria rh ia ro m â n a , comme son nom l’indique
comporte d’importants travaux en matière de théologie, de doctrine, d’idéologie politique, et
enfin, la revue O rto d o x ia , re v is ta p a tria rh ie i ro m â n a , également capitale pour ses articles
scientifiques et de théologie.
Les revues des cinq métropolies sont, pour la métropolie d’Oungro-Valachie la G la s u l
B is e ric ii, G la s u l B is e ric ii, re v is ta o fic ia la a s jïn te i m itro p o lii a U n g ro v la h ie i, pour la métropolie
d’Olténie, M itro p o lia O lte n ie i, re v is ta o fic ia la a a rh ie p is c o p ie i C ra io v e i sJ e p is c o p ie i R im n ic u lu i
sJ A rg e s u lu i, du Banat, M itro p o lia B a n a tu lu i, re v is ta o fic ia la a a rh ie p is c o p ie i T im is o a re i sfi
C a ra n s e b e s u lu i s i a e p is c o p ie i A ra d u lu i, de Transylvanie, M itro p o lia A rd e a lu lu i, re v is ta o fic ia la
a a rh ie p is c o p ie i S ib iu lu i, a rh ie p isc o p ie i V a d u lu i, F e le a c u lu i fi C lu ju lu i, e p is c o p ie i A lb a lu lie i sfi
e p is c o p ie i O ra d ie i, la métropolie de Moldavie et de Suceava, M itro p o lia M o ld o v e i sJ S u c e v e i,
re v is ta o fic ia la a a rh ie p is c o p ie i la s ü o r s j a e p is c o p ie i R o m a n u lu i sJ H u s ilo r, et pour l’Etranger,
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , Q u a rte rly B u lle tin , e d ite d b y th e d e p a rtm e n t o ffo re ig n
re la tio n s o fth e ro m a n ia n p a tria rc h a te (versions anglaise et française).
Le contenu de ces revues consiste donc en bulletins d’information les plus divers, articles
sur tous les sujets concernant l’histoire de l’Eglise orthodoxe, de la Roumanie, comptes rendus
de manifestations ecclésiastiques, synodes, réunions œcuméniques, visites officielles,
restaurations d’églises, textes officiels, télégrammes, interviews, lettres iréniques et pastorales,
créations d’évêchés, anniversaires, nominations de dignitaires ecclésiastiques, pages
d’histoires, cérémonies, e tc .
Moscou 1970), Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1970, vol. 4, pp. 369-386. Cfr. aussi : I. H a n g IU ,
D ic tjo n a r a l p re s e i lite ra re ro m â n e s ti (1 7 9 0 -1 9 8 2 ), DPL, Ed. Stiintifica si Enciclopedica,
Bucuresti, 1987.
y
’
L’Eglise orthodoxe dispose d’un journal qui paraît depuis 1853, le T e le g ra fu l R o m â n ,
édité à Sibiu qui fut parfois mensuel, bi-mensuel, ou hebdomadaire, ainsi que pour la période
post-révolutionnaire de différents organes de presse comme V e s tito ru l o rto d o x , R e n a s je re a ,
e tc ...
L’Eglise orthodoxe a publié de nombreuses monographies, sur des sujets les plus divers,
depuis des codes de droit canon orthodoxe à l’histoire de l’art des monastères de Bucovine. Ces
ouvrages sont pour la plupart destinés aux instituts théologiques pour la formation des prêtres.
B, Critique des sources : statuts et interprétations
L’ensemble des articles et des textes étudiés émane d’institutions officielles centralisées,
dans un Etat lui-même centralisé à l’extrême. On peut ainsi affirmer que les tendances qui
s’affirment dans ces textes reflètent l’idéologie officielle de l’Eglise Orthodoxe Roumaine.
Le problème essentiel est de savoir quelle est la validité de cette littérature officielle et dans
quelle mesure elle peut être représentative de l’idéologie précise des auteurs, mais aussi des
convictions et des mentalités. Il faudra voir dans quelle mesure cette littérature et la
« propagande » orthodoxe sont le reflet des mentalités roumaines ou simplement l’application
pure et simple d’un modèle extérieur imposé par la force, comme on le souligne souvent en
Roumanie pour montrer l’horreur de l’instauration d’un régime venu de l’ennemi séculaire, la
Russie et plus exactement l’empire soviétique. Cela pose tout le problème de la pénétration
« intellectuelle » de l’idéologie communiste et de la distance entre la conviction des auteurs et
leurs écrits.
77
Le problème de la censure exercée par l’Etat n’est pas non plus sans susciter nombre de
problèmes majeurs. Dans quelle mesure l’idéologie que l’on peut en dégager reflète-t-elle
véritablement la conception et les convictions de leurs auteurs au sein de l’Eglise orthodoxe ?
On peut dire cependant que la littérature actuelle post-révolutionnaire nous permet de relever une
continuité entre l’idéologie orthodoxe sous le communisme et après 1989. Ainsi, si l’on peut
invoquer pour la période 1948-1989
l’imposition du totalitarisme et de la censure
communistes, cet argument ne peut être invoqué pour la période post-communiste. A c o n tra rio ,
on peut donc affirmer que pour l’essentiel, ce qui a été écrit avant 1989 — excepté les textes
d’hommage officiels —, reflète la réalité des convictions des auteurs, puisque dans le cas
contraire, on ne pourrait comprendre la littérature orthodoxe actuelle, à moins d’invoquer une
censure post-révolutionnaire.
En outre, il faut souligner que de nombreux ouvrages qui sont apparus depuis 1989,
édités par l’Eglise Orthodoxe Roumaine, reprennent des articles et des études in e x te n s o , édités
sous le communisme. Ceci montre la validité de ces travaux en dehors du problème de la
censure communiste^^^. On peut donc considérer que ces études, si elles sont toujours
considérées aujourd’hui par l’Eglise comme valables et représentatives de l’idéologie
orthodoxe, peuvent être l’objet d’une analyse fondée pour ce qui concerne la période 19481989. S’il est clair que dans le cas des textes de « circonstance », U faut faire preuve de la plus
extrême prudence, il semble évident que l’ensemble de la littérature orthodoxe éditée sous le
communisme peut représenter un c o rp u s de sources représentatif de l’idéologie orthodoxe
contemporaine.
On se rendra compte que, si ce qui relève de l’idéologie marxiste-léniniste pure constitue
finalement une couche superficielle sur l’ensemble, l’essentiel des textes montre une
C’est le cas de nombreux ouvrages disponibles aujourd’hui, contenant des études d’avant
1989 comme par ex. Nicolae CORNEANU, S tu d ii, n o te sJ c o m e n ta rii te o lo g ic e , c o ll Q u o
V a d is ?, Timisoara, 1990. On notera pour l’anegdote que des ouvrages orthodoxes contenant
des écrits mentionnant le couple présidentiel des Ceausescu et l’édification du socialisme édités
avant 1989 sont encore vendus aujourd’hui dans les librairies orthodoxes roumaine.
permanence et une continuité qui permettent de conclure à une validité de cette littérature en tant
que reflet de mentalités et de convictions paitagées par une certaine classe de la hiérarchie
ecclésiastique, voire des croyants orthodoxes, ou même des Roumains en général. On ne
pourrait manquer de poser cette autre question qui est fondamentale dans cette période de
transition post-communiste, à savoir la prégnance et la pénétration de l’idéologie officielle au
sein même de la population après ces quarante années de dogmatisme idéologique.
On notera toutefois aussi un problème, qui d’ailleurs participe à l’ensemble des paradoxes
que nous relèverons dans l’histoire roumaine contemporaine et surtout sous le régime
communiste ; celui de la diffusion de cette littérature orthodoxe. En effet, si l’on peut affirmer
que la production orthodoxe roumaine figure parmi les plus nombreuses et les plus
intéressantes des pays de l’Est communiste, sa diffusion semble avoir été en totale
disproportion. Cette littérature était surtout destinée aux instituts théologiques et ne semble pas
avoir connu de diffusion à grande échelle. Si certaines revues étaient destinées à la propagande
à l’Etranger, comme R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N ie u w s , ou N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e
ro u m a in e , éditées par le dépaitement des affaires extérieures de l’Eglise orthodoxe roumaine de
Bucarest et paraissant depuis 1972, l’ensemble des publications de l’Eglise orthodoxe roumaine
sont rares dans les bibliothèques étrangères et, selon des témoignages, ne se trouvaient pour
ainsi dire pas sur le marché.
En conclusion sur cette question, il faut cependant préciser que si cette littérature est
capitale pour comprendre le problème de l’orthodoxie roumaine, il faut la manier avec beaucoup
de prudence, surtout en ce qui concerne les textes d’allégeance au régime, les ovations avec
« un enthousiasme unanime » au C o n d u c a to r à l’occasion des événements « grandioses » ou
e p o c a le . Disons d’emblée que ces textes sont les moins intéressants et certainement les moins
révélateurs dans la mesure où ils peuvent être mis au rang de textes artificiels, communs à
toutes les Eglises de Roumanie, imposés par le régime. Nous verrons que les éléments les plus
importants doivent être décelés de manière beaucoup plus profonde dans la littérature, à propos
de thèmes plus fondamentaux concernant la société roumaine et ses éléments constitutifs. Ils ne
79
peuvent en aucun cas être considérés comme preuve de l’importance de la collaboration de
l’Eglise avec l’Etat.
C.
Limites du travail
L’ensemble de ces sources ne peut que refléter la position idéologique des hautes
instances hiérarchiques de l’Eglise. Nous n’envisagerons donc pas la position du bas clergé et
de l’opposition qui a pu exister dans les premières années du régime.
Nous n’aborderons pas non plus la question du sentiment religieux et de la « spiritualité »
roumaine, primordiale dans l’histoire des religions, mais très difficile à appréhender dans la
mesure où elle relèverait davantage de l’analyse sociologique et ethnologique^®*.
Une des difficultés de l’approche de l’histoire communiste de la Roumanie provient du
centralisme des maisons d’éditions. Quasiment toutes les publications devaient recevoir l’aval
des deux institutions suivantes, l’une dans le domaine de la recherche pluridisciplinaire,
l’Académie de la République Populaire Roumaine, l’autre en matière religieuse, l’Institut
Biblique et de Mission de l’Eglise Orthodoxe Roumaine. En effet, l’A.R.P.R. contingentait
toutes les publications scientifiques selon le principe soviétique des deux réseaux parallèles de
recherches, l’un universitaire, presque exclusivement destiné à l’enseignement, l’autre.
On verra également les références plus complètes à ce sujet dans la conclusion, point I. :
Alexandre DUTU, « Pour une histoire de la dévotion sud-est européenne. Contribution
récentes », dans R e v u e d ’E tu d e s s u d -e s t e u ro p é e n n e s , t. 29, 1991, n°3-4, pp. 241-245 ; ID.,
« Sacré et profane dans le sud-est européen, réflexions préliminaires », dans E tu d e s R o u m a in e s
e t A ro u m a in e s , Paris, Bucarest, 1990, pp. 52-53.
80
l’Académie avec ses filiales en province, exclusivement destinée à la recherche scientifique
Quant à l’Institut Biblique et de Mission de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, il régentait
l’ensemble des publications, manufactures d’œuvres d’arts, icônes, calendriers, e tc . du pays
pour l’Eglise orthodoxe. Dans ces conditions, il reste peu de place à une littérature parallèle
devenue totalement exsangue. Il est donc très difficile d’appréhender les tentatives
d’oppositions internes dans l’historiographie et il est clair que ce centralisme a conféré un
caractère fondamentalement monolithique à la recherche durant ces quarante ans de
communisme.
D.N. RUSU,/5 fon ’(3 A c a d e m ie i ro m â n e , re p e re c ro n o lo g ic e , Ed. Academiei române,
Bucuresti, 1992.
3. Les problèmes linguistiques :
re m a rq u e s s u r d é v o lu tio n d e la la n g u e ro u m a in e
L’analyse du discours sur le plan linguistique permet de montrer un certain nombre
d’aspects révélateurs et très intéressants sur le plan des subtilités du langage dans l’idéologie et
dans la propagande, dans la mesure où, par exemple, les ambiguïtés idéologiques ne peuvent
être décelées que dans le texte roumain par l’utilisation d’un champ lexical composé de mots
synonymes dont les nuances sont souvent intraduisibles en français^Et ce sera
On accordera une importance aux dictionnaires d’avant 1948, ceux-ci reprenant en
général les termes anciens d’origine slavonne, surtout en matière ecclésiastique. On verra
essentiellement le dictionnaire suivant, intéressant pour l’ancienne orthographe de la fin du
XIXe siècle : Frédéric DAME, N o u v e a u d ic tio n n a ire ro u m a in -fra n ç a is , Imprimerie de l’Etat, 2
vol, Bucarest, 1893-1894 et Const. S a i N E A N U , D ic tio n n a ire ro u m a in -fra n ç a is , Ille éd., Ed.
Cartea româneasca, S. A., Bucarest, 1909. Pour les dictionnaires communistes et encyclopédies
on verra : D ic tio ria ru l lim b ii ro m în e m o d e rn e , Ed. A.R.P.R., 1958 (Institutul de linguistica din
Bucuresti) ; D ic tio n a r e n c ic lo p e d ic ro m a n , 4 vol., Bucuresti, 1962-1966 (en cours de réédition
: D ic tio n a r e n c ic lo p e d ic , vol. 1, Ed. Enciclopedica, Bucuresti, 1993) ; D ic tio n a ru l e x p lic a tiv a l
lim b ii ro m a n e , DEX, Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1975 (Institutul de linguistica din Bucuresti) et
s u p lim e n t, DEX-S, Bucuresti, 1988 ; M ic d ic tio n a r e n c ic lo p e d ic , 3e éd., Ed. Stiintifica si
Enciclopedica, Bucuresti, 1986. Depuis 1989, on verra Vasile BREBAN, D ic tio n a r g e n e ra l a l
lim b ii ro m â n e , 2 vol., Ed. Enciclopedica, Bucuresti, 1992. Pour le roumain-français : D ic tio n a r
ro m â n -fra n c e z , Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1967 ; Gheorghina HANES, D itio n a r fra n c e z ro m a n ,
ro m â n -fra n c e z , Ed. Stiintifica si Enciclopedica Bucuresti, 1981 ; D ic tio n a r ro m â n -fra n c e z .
D ic tio n n a ire ro u m a in -fra n ç a is, Ed. Babel, Ed. L’Harmattan, Bucuresti, Paris, 1992 ; Elvira
82
particulièrement le cas pour le vocabulaire en matière d’histoire religieuse^^^. Nous serons
amenés à utiliser des néologismes inexistants en français mais dont on ne pouirait faire
l’économie pour rendre les nuances indispensables à la traduction. De plus, il est assez clair que
le roumain semble plus enclin que le français à utiliser des néologismes, en raison de la mobilité
de la langue, de son évolution en somme tiès rapide depuis le XDCe siècle.
On signalera qu’avec la fermeture des frontières, le roumain est resté une langue
marginale à l’Etranger. La carence d’ouvrages en roumain, de dictionnaires, de grammaires,
e tc ., à destination de l’Etranger est révélatrice de cette politique^
C’est en cela encore un des
paradoxes de la Roumanie contemporaine, pays qui depuis le XVIIIe siècle, mais au XDCe
siècle surtout, a entretenu des relations privilégiées avec la France
particulièrem ent^
^3^
aussi la Belgique jusque dans l’entre-deux-guerres^^^.
BALMUS, Anca-Maria CHRISTODORESCU, Zelma K a H A N E , D ic tio n a r ro m â n -fra n c e z. Ed.
Mondero, Bucuresti, 1992. On vema aussi Elena GORUNESCU, D ic tio n a r fra z e o lo g ic fra n c e z ro m â n , ro m â n -fra n c e z , Ed. Teora, Bucuresti, 1993.
m On verra en outre l’ouvrage de Ion M. STOIAN, D ic tio n a r re lig io s . T e rm e n i re lig io s i,
c re d in te p o p u la re sJ n u m e p ro p rii, Ed. Garamond, Bucuresti, 1994 et le dictionnaire de Ion
BRIA, D ic tio n a r d e T e o lo g ie o rto d o x a A -Z , Bucuresti, 1981.
112 Avant 1989, les ouvrages grammaticaux, les dictionnaires et les manuels d’enseignement
du roumain étaient rares en Occident. On veiTa I. B a C IU , P ré c is d e g ra m m a ire ro u m a in e ,
Lyon, 1978 ; Boris C a z a C U , Clara Georgeta CHIOSA, Matilda C a r
a
G IU -M a r
io
TEANU,
Valeria Gutu ROMALO, Sorina, BERCESCU, C o u rs d e la n g u e ro u m a in e . In tro d u c tio n à l’é tu d e
d u ro u m a in (à l’u s a g e d e s é tu d ia n ts é tra n g e rs ), IVe éd., Ed. Didactica si Pedagogicâ,
Bucuresti, 1981. Depuis la Révolution de nombreux ouvrages sont parus en langue française,
comme notamment : Valeriu RUSU, L e R o u m a in , L a n g u e , L itté ra tu re , C iv ilis a tio n , OPHRYS,
Paris, 1992 ; Gheorghe DOCA, Alvaro ROCCHETTI, C o m p re n d re e t p ra tiq u e r le ro u m a in , Ed.
Academiei române, C.I.R.E.R., Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris III), Bucuresti,
Paris, 1992. En langue roumaine on verra essentiellement : G ra m a tic a lim b ii ro m în e , vol. 1,
V o c a b u la ru l, fo n e tic a s i m o rfo lo g ia , vol. 2, S in ta x a , dir. Dimitrie MACREA, Ed. A.R.P.R.,
Bucuresti, 1954 ; Stefania, POPESCU, G ra m a tic a p ra c tic d a lim b ii ro m â n e . e u o c u le g e re d e
e x e rc itii, 4e éd., Ed. Didactica si pedagogica, R.A., Bucuresti, 1992.
113 On verra par ex. les très nombreux voyages faits par des occidentaux en Roumanie au
XVnie siècle, N. lORGA, Is to ria R o m â n ilo r p rin c d ld to ri, Ed. Eminescu, Bucuresti, 1981, et
les nombreux séjours des intellectuels roumains en France au XIXe siècle, notamment dans le
83
Dans cette introduction, quelques remarques concernant l’évolution du roumain doivent
être signalées dans la mesure où ce problème est intimement lié à l’évolution du pays et aux
thèses historiographiques concernant l’histoire de la Roumanie^^^
Les études linguistiques roumaines affirment l’existence de la langue roumaine depuis le
Vile siècle^
Cependant, le premier texte roumain date du début du XVIe siècle*
De plus,
il convient de souligner que jusqu’en 1864, le roumain était officiellement écrit en cyrillique,
étant donné l’évangélisation au Xe siècle et l’adoption du rite orthodoxe slavo-bulgare qui fut
contexte des mouvements révolutionnaires, cfr. par ex. Dan BERINDEI, « Préludes de la
révolution roumaine de 1848. Les sociétés secrètes », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire ,
t. XVII, 1978, juil.-sept., f. 3, pp. 427-445. On pensera aussi à l’influence du français sur la
langue roumaine : Ana GOLDIS-POALELUNGI, L ’in flu e n c e d u fra n ç a is s u r le ro u m a in
(v o c a b u la ire e t s y n ta x e ) ( Publications de l’université de Dijon, XLIV), Paris, 1973.
1 On verra par exemple le livre du comte Gaston DE LOOZ-CORSWAREM, B e lg iq u e e t
R o u m a n ie , Bruxelles, 1911, faisant l’éloge de la Roumanie, de « ses institutions les plus
libérales de l’Europe », p.
6
et reprenant la citation de Bismark, « La Roumanie est la Belgique
orientale » (en page de garde).
L’histoire de la langue roumaine est effectivement indissociable de l’histoire de la
formation de l’Etat ; on verra en par ex. ; C. DAICOVICIU, E. PETROVICI, Gh. STEFAN, L a
fo rm a tio n d u p e u p le ro u m a in e t d e sa la n g u e , Bibliotheca Historica Romaniae, L, Ed.
A.R.P.R., Bucarest, 1963 ; Constantin C, GlURESCU, L a fo rm a tio n d u p e u p le ro u m a in e t d e
s a la n g u e , Ed. Meridiane, Bucarest, 1972 ; cfr. aussi Alexandru G r a u r , L a R o m a n ité d u
R o u m a in , Bibliotheca Historica Romaniae, Etudes, 9, Ed. A.R.S.R., Bucarest, 1965.
116 Ovid DENSUSIANU, Is to ria lim b ii ro m în e , vol. 1, O rig in e le , vol. 2, S e c o lu l a l X V I-le a ,
Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1961 (rééd. de vol. 1, 1901, vol. 2, 1938) ; Is to ria lim b ii ro m â n e , 2
vol., Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 1965-1969 ; Al. GRAUR, E v o lu tia lim b ii ro m în e . P riv ire
s in te tic d , Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1963 (traduit aux éditions Meridiane, L a la n g u e ro u m a in e .
E s q u is s e h is to riq u e , Bucarest, 1963). On verra aussi les ouvrages de l’académicien Rosetti
parmi les plus célèbres pour l’histoire de la langue. Al. ROSETTI, Is to ria lim b ii ro m în e , I,
L im b a la tin d , II, L im b ile b a lc a n ic e , IB, L im b ile s la v e m é rid io n a le (se c. V I-X II), 4e éd., Ed.
Stiintifica, Bucuresti, 1964. On verra aussi la bibliographie générale : L e n o u v e a u e n
lin g u is tiq u e d a n s l’o e u v re d e A . R o s e tti (d e 1 9 2 0 à n o s jo u rs ), Ed. Univers, Bucuresti, 1985.
On verra plus précisément : P.P. PAINAITESCU, în c e p u tu rile s f b iru in ta s c ris u lu i în lim b a
ro m â n d , Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 1965.
84
déterminant quant aux influences slaves, ou slavonnes, dans la langue roumaine^
L’ensemble des textes médiévaux officiels ou ecclésiastiques de même que la littérature étaient
écrits en slavon, la langue liturgique du monde orthodoxe, à l’instar du latin en Occidentale. Il
fallut attendre l’influence importante du protestantisme aux XVIe et XVIIe siècles pour que les
Roumains adoptent pour les textes de culte leur langue vernaculaire, c’est-à-dire le roumain 1^11.
Ce ne sera qu’au XVIIIe siècle, lors d’une latinisation de la langue, sous l’influence de
l’« Ecole latine » influencée par les Lumières et l’uniatisme en Transylvanie^^i, comme nous
G. MIHAILÀ, îm p ru m iitu ri v e c h i s u d -s la v e în lim b a ro m în a . S tu d iu le x ic o -s e m a n tic
(Materiale si cercetari linguistice, VII), Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 1960 ; ID., D ic tio n a r a l
lin ib ii ro in â n e v e c h i s firs itu l se c. X în c e p u tu l se c. X V I, Bucuresti, 1974.
On verra en plus pour toute l’histoire de l’évolution de la littérature jusqu’au XVIIIe
siècle, G. C a l
in e
S C U , Is to ria lite ra tu rii ro m a n e . D e la o rig in i p în a în p re z e n t, 2e éd., Ed.
Minerva, Bucuresti, 1988 ; Al. P lR \j, L ite ra tu ra ro m â n a v e c h e , Ed. pentru literaturâ, 1961 ;
ID., L ite ra tu r a ro m în a p re m o d e rn a , Ed. pentru literatura, 1964 ; en français Mitu GROSU, L a
litté ra tu re ro u m a in e a u m o y e n â g e , Jémsalem, 1993.
120 R BOUSQUET, « Le roumain, langue liturgique », dans E c h o s d ’O rie n t, 4e an., n° 1,
1900, pp. 30-35. Cfr. aussi : G. S t
a d t m ÜLLER,
« Schriftsprache, Kirchlichkeit und
Nationwerdung im ostlichen Europa, Griechen und Rumânen als Beispiele », dans S a e c u lu m ,
t. 33, 1982/83, pp. 322-336.
121 Les Lumières sont désignées en Roumanie par le terme « Illuminisme », ilu m in is m u l,
pour lequel on verra de nombreux ouvrages dont principalement : E n lig h te n m e n t a n d R o m a n ia n
S o c ie ty , édit. Pompiliu TEODOR, Ed. Dacia, CluJ-Napoca, 1980 ; Pompiliu T e O D O R ,
In te rfe re n te ilu m in is te e u ro p e n e , Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1984 ; L a c u ltu re ro u m a in e à
l’é p o q u e d e s L u m iè re s , coord. Romul MUNTEANU, 2 vol., Ed. Univers, Bucarest, 1982 ; la
thèse de doctorat de Nicolae BOCSAN, C o n trib u tii la is to ria iliu n in is m u lu i ro m â n e sc , Ed. Fada,
Timisoara, 1986 ; L e s L u m iè re s e n H o n g rie , e n E u ro p e c e n tra le e t e n E u ro p e o rie n ta le (Actes
du Cinquième colloque de Matrafüred, 24-28 novembre 1981), Akademiai Kiadô, Ed.
C.N.R.S., Budapest, Paris, 1971 et L e s L u m iè re s e n H o n g rie , e n E u ro p e c e n tra le e t e n E u ro p e
o rie n ta le (Actes du Deuxième colloque de Matrafüred, 2-5 octobre 1972), Akademiai Kiadô,
Budapest, 1975. On verra aussi Dan BERINDEI, R o m â n ii s i E u ro p a . Is to rie , s o c ie ta te , c u ltu rd ,
vol. 1, S e c o le le X V IH -X IX , Ed. Museion, Bucuresti, 1991. Cfr. de manière plus générale :
Laszlo S Z IK L A Y , A u fk la ru n g u n d N a tio n e n im O s te n E u ro p a s , Corvina Kiadô, 1983 ;
F. RUEGG, A l’E s t, rie n d e n o u v e a u . D e la b a rb a rie à la c iv ilis a tio n , L e s in a rc h e s im p é ria le s e t
85
le veiTons, que le roumain s’est latinisé ou « relatinisé
effet, le vocabulaire était
jusqu’à cette époque largement influencé par le slave. Ce fut également à cette époque, sous le
régime phanariote, que le roumain subit l’influence du grec, du turc, de l’italien et du russe^^^
L’histoire de la langue étant intimement liée à l’histoire du pays, et surtout conditionnée
par la thèse de la continuité roumaine, on considère le roumain comme étant une langue latine,
plus exactement, daco-latine, d’origine thrace mais latinisée sous Trajan. Ainsi, le roumain
possède des accointances avec l’albanais, également une langue d’origine thrace, plus
exactement illyro-balkanique thrace qui, elle, fut influencée fortement par le slave. Ceci est
accepté par tous. Ce qui diffère, c’est la date de latinisation du roumain. Les Roumains
montrent l’antériorité latine sur la période slave, et la nature intrinsèquement latine de la langue.
L’historiographie hongroise montre que la latinisation ne s’est réalisée en réalité que plus tard.
Pour les Hongrois, les Roumains, venus du sud du Danube après le Xe siècle, possédaient une
langue effectivement parente de l’albanais, mais qui ne fut latinisée qu’au XVIIIe siècle.
Cependant cette ambiguïté de la langue reste un phénomène important jusqu’à nos jours puisque
les auteurs, suivant la tendance idéologique ou littéraire, accentuent un aspect ou l’autre de la
langue, utilisant un vocabulaii’e latin ou d’origine slavonne.
On citera l’exemple de lorga, le grand historien roumain, bien que de tendance
nationaliste, utilise un style ancien pour faire du roumain une langue littéraire, et utilise un style
que les roumains comparent souvent à l’auteur français Michelet. En plus, lors de la période
stalinienne, on reviendra en Roumanie à une slavisation de la langue. En Moldavie soviétique,
l’E u ro p e , Ed. Georg, Genève 1991, le chap.. L e s é c h o s d e «
V A u fk la e ru n g » e n M o ld a v ie e t
e n V a la c h ie , pp. 58-65.
122 Samuil MICU, Gheorghe SlNCAI, E le m e n ta lin g iiœ d a c o -ro m a n œ s iv e v a la c h ic œ (Studiu
introductiv, traducerea si note de Mircea ZDRENGHEA), Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1980. On
consultera pour ces auteurs, outre les ouvrages renseignés sur l’histoire de la littérature :
D ic tio n a ru l lite ra tu rii ro m â n e d e la o rig in i p în d la 1 9 0 0 , Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1979
(Institutul de linguistica, istorie literara si folclor al universitam « Al. I. Cuza » lasi).
123 On verra particulièrement à ce sujet le livre d’Elizabeth CLOSE, T h e D e v e lo p m e n t o f
M o d e m R u m a n ia n . L in g u is tic th e o ry a n d p ra c tic e in M u n te n ia . 1 8 2 1 -1 8 3 8 , Oxford University
Press, 1974.
86
on en reviendra à la réadoption de l’alphabet cyrillique qui ne sera abandonné qu’à la fin du
communisme. On verra le double champ lexical utilisé par l’orthodoxie, latin et slavisant.
Ainsi, on assiste à des changement dans l’orthographe, visant à slaviser ou latiniser le
vocabulaire. Dans les années cinquante, on changea l’écriture du son « â » par « î » pour
donner un caiactère plus slave à la langue. Par exemple le mot « Roumanie » s’écrit lui R o m în ia
au début de la période communiste pour redonner un caractère slave ; le « â » de R o m â n ia ,
R o m â n , ro m â n e s c , fut rétabli à la période latine sous Ceausescu. Mais pour tous les autres
mots, il fallut attendre la chute du régime communiste ; ex. « pain » : p â in e est devenu p îin e . La
conjugaisont du verbe « être » fut aussi modifiée puisqu’on substitua au « s u n t » (je suis), le
mot « s în t », impliquant dans ce cas une transformation de la prononciation. Cette réforme des
années cinquante fut supprimée par la réforme d’orthographe faite à l’automne 1992. Cette
réforme fut à l’origine d’un débat très important, les uns fidèles à l’orthographe de l’entre-deuxguerres, les autres à l’orthographe moderne.
Cette question Ulustre également jusqu’à quel point le régime communiste tenta d’imposer
des réformes qui menèrent à une « déstabilisation » intellectuelle et culturelle. Le cas de la
politique moldave communiste en est l’exemple le plus flagrant puisque non seulement on
slavisa la langue en plus de la réadoption du cyrillique, mais on y développa une
« propagande » historique à l’opposé de celle qui fut développée en Roumanie afin de montrer
l’originalité du peuple moldave, différent du peuple roumain. Aujourd’hui il n’est pas étonnant
de voir se développer des mouvements pour une Grande Moldavie, ce que l’on appelle le
« moldavisme » {tn o ld o v e n is m u lŸ ^ ^ .
Lors de l’abandon du cyrillique au XDCe siècle, on passa d’abord à un alphabet de
« transition » qui combinait le cyrillique et l’alphabet latin. On utilisa par la suite des lettres
latines avec de nombreux signes diacritiques pour respecter l’étymologie. Lors de l’abandon de
l’orthographe étymologique, on la simplifia en adoptant le principe phonétique. On a alors
abandonné des lettres, telles que le « d », le « è », le
124 çfr la conclusion.
87
«1
», « o », « u », e tc .
Ainsi, en plus des difficultés orthographiques, des difficultés dues à une sorte de double
champ linguistique slavo-latin, la langue roumaine pose un certain nombre de difficultés liées à
l’histoire du pays et aux tentatives politiques de lui donner un caractère culturel occidental ou
oriental. Nous verrons, dans cette étude, que ces points sont importants, et que cette distinction
Occident-Orient, en raison de la situation de la Roumanie, se manifeste de manière beaucoup
plus complexe.
En fait, les passions soulevées par la réforme de l’orthographe de l’automne 1992
proposée par le gouvernement pour rétablir l’orthographe de l’entre-deux-guerres provoqua des
réactions très vives au sein de l’opposition notamment. C’était une manière pour le
gouvernement d’Iliescu de marquer une rupture « psychologique » avec la période communiste,
jugée « dérisoire » par l’opposition. Les problèmes linguistiques montrent combien ces
questions ont une incidence politique et idéologique directe.
88
IV. Conclusion
Les différents points énoncés dans cette introduction suffisent à montrer la complexité
lorsqu’on aborde l’histoire de la Roumanie. L’ensemble des problèmes évoqués, même aussi
succinctement, montrent la richesse de ce terrain d’étude, propice à des investigations multiples.
Dans le cadre du présent travail, nous tâcherons de montrer dans un premier temps
l’idéologie de l’Eglise par rapport à l’Etat, d’y déceler les réminiscences byzantines ou non, de
discerner s’il y a réellement un « fond » byzantin classique ou s’il s’agit d’une adaptation due à
l’évolution de l’Eglise orthodoxe telle qu’elle s’est produite aux temps modernes et à l’époque
contemporaine. Il s’agira également de voir si l’essentiel de cette légitimation ne correspond pas
plutôt à une implication de l’Eglise dans l’histoire récente des XIXe et XXe siècles. Dans un
deuxième temps, d’après les points relevés, nous verrons dans quelle mesure l’Eglise
orthodoxe constituerait véritablement un frein à un processus démocratique dans le cas de la
Roumanie. En conclusion, une évocation de la situation actuelle de l’Eglise orthodoxe et de
l’attitude qu’elle adopte depuis les événements de 1989 sera pour cela éclairante.
Dans une première partie, nous verrons quelle est la vision générale que propose l’Eglise
Orthodoxe Roumaine des relations entre l’Eglise et l’Etat et comment elle légitime le cadre légal
89
offert par la Constitution de la R.P.R., à savoir la doctrine élaborée par le nouveau patriarche
Justinian Marina : l’Apostolat social.
La seconde partie sera consacrée à la légitimation par l’Eglise Orthodoxe Roumaine du
respect de l’Etat et de la soumission aux autorités, la République Populaire Roumaine : le
patriotisme, pierre angulaire de l’Apostolat social.
Dans la troisième partie, il sera question de l’idéologie de l’Eglise face à la notion de
« nation » et ses corollaires : l’unité de la foi avec toutes ses implications politiques et
« ecclésiales » ; la légitimation de la collaboration avec la République Socialiste Roumaine.
Enfin, la dernière partie sera consacrée au problème de la légitimation de l’Eglise
orthodoxe dans le cadre du bloc communiste, ce que l’on pourrait appeler le « panslavisme »
orthodoxe, et son évolution sous Ceausescu.
Dans les conclusions, nous évoquerons d’autres hypothèses d’ordre théologique et
sociologique relatives à l’Eglise Orthodoxe Roumaine qui pourraient également conditionner les
mentalités politiques et sociologiques roumaines dans le cadre de la problématique. Nous
évoquerons la situation actuelle depuis 1989 et les perspectives d’avenir au regard de la position
actuelle de l’Eglise orthodoxe et des différentes tendances contemporaines. Nous verrons dans
quelle mesure l’ensemble de ces éléments peuvent corroborer la thèse du « frein » à la
démocratisation.
On pounait ainsi en aniver à définir la thèse suivante, paraphrasant Max Weber au sujet
de l’éthique protestante et de l’esprit du capitalisme^^5 • existe-t-il une « éthique » orthodoxe
antinomique à un pluralisme démocratique ?
Il est évident que nous ne pouiTons dans le cadre de cette étude que poser le problème,
sans y apporter de réponse définitive, tant les facteurs sont nombreux et nécessiteraient de
nombreuses études en divers domaines. Il faudrait en réalité étudier toute l’histoire de
l’orthodoxie depuis 1948 en Roumanie, autant sur le plan événementiel que théologique et
125 Max WEBER, L ’é th iq u e p ro te s ta n te e t l’e s p rit d u c a p ita lis m e , s u iv i d e : le s s e c te s
p ro te s ta n te s e t l’e s p rit d u c a p ita lis m e , coll. « Presses Pocket », Plon, 1990.
90
dogmatique, pour dresser une « image » de l’orthodoxie contemporaine. En outre, il faudrait
faire de nombreuses comparaisons, avec les autres pays des Balkans, avec la Russie et avec la
période de l’entre-deux-guerres. Nous ne pourrions ici que jeter les bases d’une réflexion,
jalons de recherches ultérieures.
91
PREMIERE PARTIE
EGLISE ORTHODOXE ET
« APOSTOLAT SOCIAL »
TRADITION ET RENOUVEAU
A D A P T A T IO N D E L ’E G L IS E A L A
S O C IE T E C O M M U N IS T E
NO UVELLE
Chapitre
I
:
CONCEPTION
GENERALE
DE
L’EGLISE DES RAPPORTS EGLISE / ETAT :
rA p o s to la t s o c ia ly « fid é lité e t re n o u v e a u » ffidelitate
si
innoire) e t u n e E g lis e « s e rv a n te » (o
Biserica
slujitoare)
En automne 1989, quelques mois à peine avant les événements de décembre, le
métropolite de Transylvanie Antonie Plamadeala s’exprimait en ces termes ; « L’Eglise a été
fondée par notre Sauveur Jésus Christ pour les hommes de toujours et de partout, raison pour
laquelle elle ne peut pas négliger l’époque où elle vit ni les conditions d’existence des hommes,
conditions toujours soumises aux modifications qu’entraîne le développement historique et le
progrès dans tous les domaines de l’activité humaine. Quand on parle de l’Eglise et de ses
relations avec l’Etat, on ne pense pas à son aspect sacramentel, mais plutôt à son caractère de
société ou d’organisation religieuse publique qui présente un intérêt pour l’Etat et dont les
manifestations externes et sociales sont sanctionnées par la loi. La relation entre l’Eglise et l’Etat
est une question toujours actuelle, puisqu’à chaque époque de l’histoire apparaissent de
nouveaux problèmes qui concernent la vie dans son ensemble : la vie sociale, la vie de l’Etat et
la vie ecclésiastique. Par rapport à sa dimension stable, universelle, qui, dans le cas de l’Eglise
93
orthodoxe, se trouve dans les dogmes et les canons, les relations entre l’Eglise et l’Etat
acquièrent des cai'actéristiques nouvelles à chaque époque historique et selon le régime social de
chaque pays. L’élément ethnique, l’identité nationale des chrétiens ont à leur tour une influence
durable sur les relations entre l’Eglise et l’Etat. Dès le début, l’Eglise Orthodoxe Roumaine a
joint sa vie et son activité à celle du peuple roumain. Du point de vue de leurs genèse et
formation, ils sont apparus en même temps, à partir de la seconde moitié du 1er siècle après
J. Chr. et les premières décennies du Ile siècle, sur le territoire qui s’étend de la Mer Noire au
Danube et sur les deux versants des Carpathes, évoluant ensemble au long de l’histoire. C’est
ce qu’explique, d’une part, le caractère spécifique de la relation entre l’Eglise Orthodoxe
Roumaine et le peuple roumain et, d’autre part, entre le peuple roumain et l’Etat dans le passé et
aujourd’hui »126
Cette citation nous indique deux aspects fondamentaux. L’adaptation de l’Eglise, en tant
que société humaine, à l’Etat en fonction de l’évolution de l’histoire et des régimes sociaux et le
lien fondamental entre l’ethnicité roumaine et l’Eglise orthodoxe roumaine, c’est-à-dire le lien
entre nation roumaine et confession orthodoxe qui constitue, comme le dit Plàmadealâ,
« l’influence durable » et réciproque entre l’Eglise et l’Etat^^V
« A la base du type de la relation entre l’Eglise et l’Etat, continue A. Plamàdealà, se
trouvent toute une série de fondements théologiques, canoniques et juridiques. De toutes les
réalités historiques de la vie humaine, qui se trouvent en permanent changement, la plus
importante pour la vie et la mission de l’Eglise est l’Etat. Cependant, l’Eglise Orthodoxe en
général et l’Eglise Orthodoxe Roumaine en spécial (s ic ) n’ont pas formulé un credo au sujet
d’un régime social quelconque, ni une doctrine au sujet de l’Etat. Dans de telles relations, elle
126
an t o
N IE
(évêque assistant au patriarcat roumain), « Church and State in Remania »,
dans C h u rc h a n d S ta te , O p e n in g a N e w E c u m e n ic a l D is c u s s io n , édit L. ViSCHER, Genève,
World Council of Churches, 1978, pp. 90-106 ; ID., (Métropolite de Transylvanie),
« Documentaire : Eglise et Etat en Roumanie » (Exposé du Métropolite Antonie de
Transylvanie au X-ème séminaire international « Etat-Eglise en Europe », 9-14 mai 1989,
Chambésy, Suisse), dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , 19e an., 5, 1989, p. 12.
ID., « Documentaire ; Eglise et Etat en Roumanie...», o p . c it, p. 12
94
se guide, selon quelques principes tirés de l’Evangile de notre Seigneur Jésus Christ, son
fondateur et son Chef, des écrits des Saints Apôties, ainsi que de sa propre situation et activité à
une certaine époque et sur un certain territoire géographique et politique (...)- Etant donné que
le Royaume du Christ est de nature spirituelle et eschatologique, l’Eglise Orthodoxe ne s’est
jamais identifiée à une idéologie quelconque ou à un régime politique ou système quel qu’il soit.
Certes, les structures sociales et les régimes politiques de l’époque ne lui sont pas indifférents,
puisqu’elle s’est toujours préoccupée du bien-être de la communauté humaine, mais elle remplit
sa mission spirituelle dans les conditions que lui assure le mode d’organisation de la société du
point de vue social et politique
Les principes fondamentaux qui régissent les rapports Eglise / Etat sont en fait les bases
chrétiennes du patriotisme et du respect de rEtat^29 L’Eglise orthodoxe n’a donc pas
1
Ib id ., p. 13.
^29 Pour les relations entre les Eglises et l’Etat en Roumanie pour la période communiste, on
verra : E. ClUREA, « Religions life », dans C a p tive R u m a n ia , a d e c a d e o f S o v ie t ru le , Atlantic
Press, New York, London, 1956, pp. 165-203 ; Stephen F i s c
h er
-G a
l a t i,
« Religion »,
dans R o in a n ia (East-central Europe under the communists) (The mid-European Studies center
Sériés), Atlantic press, New York, London, 1957, pp. 132-147 ; Trevor BEESON, P ru d e n c e e t
c o u ra g e , la s itu a tio n re lig ie u s e e n R u s s ie e t e n E u ro p e d e l’E s t, Ed. du Seuil, Paris, 1975 (1er
Ed. en angl. 1974), pp. 280-299 ; D.C. AMZAR, « Partei, Staat und Kirche im heutigen
Rumânien », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 14, 1965, f. 2-3, pp. 162-183 ; Janice A. BROUN,
« Romania’s Churches behind the façade of Liberalism », dans A m e ric a , 150, mars, 1984, pp.
165-169 ; Earl A. POPE, «
Church-State relations in Romania », dans K y rk o h is to ris k
A rs s k rifi, 1977, pp. 291-297 ; ID., « Church-State relations in Romania », dans T h e C h u rc h in
a c h a n g in g s o c ie ty. C o n flic t, ré c o n c ilia tio n o r a d ju s tm e n t (Publications of the Swedish Society
of Church history, vol. 30), Uppsala, Almqvist et Wiksell, 1978, pp. 291-297 ; ID., « The
contemporai7 religions situation in Romania », dans O c c a s io n a lp a p e rs o n re lig io n in E a s te rn
E u ro p e , vol. 9, n°l, févr. 1989, pp. 39-41 ; Michael SHAFIR, R o m a n ia : p o litic s , é c o n o m ie s
a n s d s o c ie ty : p o litic a l s ta g n a tio n a n d s im u la te d c h a n g e (Marxist Régimes), London, 1985, pp.
150-158 ; Gerhard PODSKALSKY, « Kirche und Staat in Rumânien », dans S tim m e n d e r Z e it
(Freiburg), vol. 185, 1970, pp. 198-207 ; Ernst Chr. SUTTNER, « Kirchen und Staat », dans
S ü d o s te u ro p a -H a n d b u c h , R u m â n ie n , t. 2 , édit. Klaus-Detlev Grothusen, Ed. Vandenhoeck &
Ruprecht, Gôttingen, 1977, pp. 458-483 et le recueil d’arücles du même auteur ; B e itrà g e z u r
K irc h e n g e s c h ic h te
d e r R u m a n e n , Ed. Herold, Wien, München, 1978 ; D.C. AMZÀR,
95
d’idéologie particulière pour un Etat
p a rticu lie r^30
EUg
doit s’adapter aux conditions
historiques, et c’est sur la base de cette adaptation que le patriarche Justinian Marina, le premier
« Religionen und Konfession im heutige Rumânien, Dokumente und Berichte », dans
Ô k u m e n is c h e R u n d s c h a u , 14, 1965, pp. 243-246 ; P. DELCROY, « The Church in Romania »,
dans P ro M u n d i V ita D o s s ie rs , t. 4,1978, pp. 1-32 ; George ROSU, Mircea V a S E L IU et George
CRISAN, « Church and State in Romania », dansC/iMrc/t a n d S ta te b e h in d th e Ira n C u rta in ,
édit. V. GSOVSKI, Frederick A. Praeger, New York, 1955, pp. 257-299 ; Dionisie
« Die Lage der Kirche in Rumânien », dans R e lig io n s fre ih e it
GHERMANI,
und
M e n s c h e n re c h te , Ed. LENDVAI, Graz, Wien, Koln, 1983, pp. 203-214 ; Flaviu POPAN, «
Chrislicher Wiederstand in Rumânien. Gegen den kommunistischen Materialismus », dans D e r
E u ro p à is c h e O s te n , 77, mars, 1961, pp. 166-170 ; « Zur Situation der Chrislichen Kirchen in
Rumânien », dans H e rd e r K o rre s p o n d e n z , XXV, 7, 1971, pp. 321-325. Cfr. aussi : C h u rc h
w ith in
s o c ia lis m , C h u rc h a n d S ta te in e a s t e u ro p e a n s o c ia lis t re p u b lic s , édit. Erich
(Giovanni Barberini), Rome, I.D.O.C., Dossiers Two and Three,
WEINGÀRTNER
International, 1976, pp. 88-114 et K irc h e im S o z ia lis m u s . K irc h e u n d S ta a t in d e n
o s te u ro p â is c h e n
Ba r
b e r in i,
s o z ia lis tis c h e n R e p u b lik e n
(IDOC, Dokuraentation), édit. Giovanni
Martin STÔR, Erich WEINGÀRTNER, Ed. Otto Lembeck, Krankfurt am Main,
n.d., pp. 116-124.
130 Pour les rapports entre l’Eglise orthodoxe et l’Etat communiste en particulier : George
Ra COVEANU, «
Die rumânische Orthodoxie », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 2, 1953, f. 3,
pp. 161-198 ; ID., « Die rumânische orthodoxe Kirche wâhrend der kommunistischen
Herrschaft », dans
O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 4, 1955, f. 1, pp. 61-75 ; Keith HITCHINS,
« The Romanian Orthodox Church and the State », dans R e lig io n a n d a th e is m in th e U S S R ,
édit BOCIURKIW, MacMillan Press, 1975, pp. 314-327 ;
F. POPAN, « Die Rumânisch-
orthodoxe Kirche in ihrer jüngsten Entwicklung, 1944-1964 », dans K irc h e im O s te n , t. 9,
1966, pp. 67-82 ; Sephen F IS C H E R -G a l
a
T I,
« Relations between Church and State in
contemporary Romania ; Orthodoxy, Nationalism, and Communism », dans T h e b y z a n tin e
le g a c y
in
M. S p y r
o p
E a s te rn
O ULOS,
E u ro p e ,
édit L. CLUCAS, New York,
1988, pp. 283-295 ;
« L’Eglise Orthodoxe Roumaine, son visage actuel I », dans C o n ta cts ,
76, 1971, pp. 423-430 ; II, 77, 1972, pp. 57-69 ; III, 78-79, 1972, pp. 215-220 ; IV, 81,
1973, pp. 59-62 ; Flaviu POPAN, « Die Rumânisch orthodoxe Kirche im ihrer jüngsten
Entwicklung, 1944-1964 », dans K irc h e im O s te n , 1966, vol. 9, pp. 67-82. Earl A. POPE,
« The Orthodox Church in Romania », dans O s tk irc h lich e S tu d ie n , vol. 31, 1982, pp. 297310 ; ID., « The Romanian Oithodox Church », dans O c c a sio n a l p a p e rs o n re lig io n in E a s te rn
E u ro p e , t. 1, 3, 1981, pp. 1-17. Cfr. aussi Costantin SIMON S.I., « Ortodossi e cattolici nella
Romania socialista », dans L a C iv ilta C a tto lic a , 1989, n°3333, pp. 231-243. Cfr. aussi le
96
de la période communiste mis sur le trône patriarcal en 1948, conçut sa théorie de l’« Apostolat
social
L’Eglise et l’Etat diffèrent par leur nature, leur but et leur structure. « En tant que
communauté diaconale, l’Eglise est soumise à des renouveaux et à des transformations
permanents. Ce qui ne change pas dans l’Eglise, c’est sa doctrine de foi, les Saints Sacrements,
les règles liturgiques et ses structures sacramentelles. Son enseignement est approfondi en
permanence suite à l’étroite relation de l’Eglise avec le monde et la société en permanente
transformation et progrès (...). Après la seconde guerre mondiale, l’Eglise Orthodoxe
Roumaine s’est adaptée elle aussi aux nouvelles réalités sociales, politiques, économiques,
culturelles et spirituelles survenues en Roumanie, et elle l’a fait dans l’esprit de la tradition
séculaire de son intégration à la vie et aux aspirations du peuple
L’Apostolat social concrétise donc cette adaptation de l’Eglise à la nouvelle donne offerte
par l’instauration du communisme. Le texte de V A p o s to la t s o c ia l, p ild e sJ in d e m n u rip e n tru c le r
(Apostolat social, exemples et conseils pour le clergé) représente l’ensemble du discours
d’allégeance de l’Eglise orthodoxe au nouveau pouvoir, basé essentiellement sur le patriotisme,
et s’inspire, dans les premières années du moins, du modèle russe orthodoxe
soviétique^^S
jj
ne s’agit pas d’une théorie structurée et construite d’un christianisme social, mais d’un
ensemble de textes destinés à l’enseignement du clergé. Ce sont des recueils de discours du
nouveau livre de Gabriel ADRIANYI, D ie F ü h ru n g d e r K irc h e in d e n S o z ia lis tis c h e n S ta a te n
E u ro p a s , Johannes-Berchmans Verlag, München, 1979, pp. 125-144. Pour les institutions de
l’Etat, on consultera ; L e R é g im e e t le s in s titu tio n s d e la R o u m a n ie , jo u rn é e s d ’é tu d e d u 3 a u 5
n o v e m b re 1 9 6 4 , Université Libre de Bruxelles, Centre d’Etude des Pays de l’Est, Bruxelles,
1966.
131 On verra surtout l’article de H. MONDEEL, « Patriarch Justinian van Roemenië », o p .
c it., pp. 3-14 ; I. DOENS, « La réfoime législative du patriarche Justinien de Roumanie. Sa
réforme et sa règle monastique », dans Iré n ik o n , t. 27, 1954, pp. 51-92.
132
a n t
O N IE ,
Métropolite de Transylvanie, «
Documentaire : Eglise et Etat en
Roumanie...», o p . c it., p. 14-15.
133 Cfr. le point consacré au « sergianisme » roumain (in jra .)
97
patriarche, généralement à la gloire de la patrie, de rU.R.S.S., des instances dirigeantes, et du
travail pour l’édification de la société socialiste. Tous les auteurs orthodoxes s’en sont inspirés
pendant le régime communiste. Ce fut le cas pour le patriarche actuel Teoctist Arapasu qui
utilisa ces recueils pour rédiger ses écrits réunis sous le titre ; P e tre p te le s lu jirii c re s tin e (Sur
les marches du service chrétien), dont les trois premiers volumes ont été édités à l’époque
communiste, et qui réunissent les discours prononcés tout au long de son patriarcat^34 Lgg
auteurs orthodoxes et les théologiens s’inspireront de ces ouvrages pour en tirer une théologie
beaucoup plus élaborée : ce sont eux que nous étudierons particulièrement.
« II n’a pas été si simple d’accomplir, à travers ce quart de siècle, les choses dont on peut
si facilement parler aujourd’hui. A cette époque-là, au plus fort de la confrontation décisive
entre l’héritage d’avant et la situation d’après la seconde guerre mondiale, beaucoup militaient
pour et recommandaient des solutions radicales. Certains plaidaient pour une résistance
acharnée au neuf, d’autres conseillaient, par contie, l’intégration totale dans le “ renouveau ”,
en laissant de côté la tradition et les dogmes de l’Eglise. Aucune de ces solutions n’offrait à
l’Eglise les garanties d’une option authentique et conforme à sa mission et à ses intérêts. Sa
Béatitude, le Patriarche Justinian, a dès le début opposé aux solutions radicales une solution
d’équilibre. Il n’ignorait pas qu’il y a dans l’enseignement de la Chrétienté orthodoxe assez de
ressources qui pouvaient engager l’Eglise dans la vie de la nouvelle société de manière, non
seulement qu’elle ne trahisse aucun de ses principes dogmatiques traditionnels, mais encore
qu’elle s’oriente positivement sur la ligne de son mandat divin qui lui demande d’être une Eglise
servante, de s’identifier avec les intérêts réels des gens, de toute époque et dans toute
circonstance : “ Je me suis assujetti à tous afin d’en gagner un plus grand nombre ” (I Co, IX,
19) (...) puisque le monde se renouvelle, puisque la Roumanie se renouvelle, renouvelons nous
134 Les écrits du patriarche Teoctist sont réunis essentiellement dans ; TEOCTIST, P e tre p te le
s lu jirii c re s tin e , 6 vol, Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1980-1992. On verra aussi la version
« expurgée » de ces discours : TEOCTIST, S lu jin d A lta ru l s trd b u n , vol. 1, Ed. I.B.M.B.O.R.,
Bucuresti, 1992.
98
aussi l’Eglise. Nous ne resterons pas en arrière. Nous ne deviendrons pas anachroniques (...).
Il vous faut vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement et revêtir
l’homme nouveau (Ep. IV, 23-24) »135
L’Apostolat social est l’adaptation de la tradition pour inscrire l’Eglise orthodoxe
roumaine dans le cadre de l’évolution de la société nouvelle. Cette théorie s’inscrit ainsi dans la
continuité de la conception de l’Eglise chrétienne orientale, conçue par le nouveau patriarche de
l’Eglise orthodoxe roumaine, Justinian Marina, qui monta sur le trône patriarcal après la mort
du patriarche Nicodim Munteanu (1939-1948)^^^. Cette nouvelle idéologie de l’Eglise avait
pour but de légitimer la place de l’Eglise orthodoxe au sein du nouvel Etat. L’Apostolat social
est envisagé comme la nouvelle conception de l’Eglise orthodoxe adaptée aux « circonstances
nouvelles provoquées par la marche de la société roumaine vers une société moderne et dues
aux événements survenus après la seconde guerre mondiale, e tc. ».
U A p o s to la t s o c ia l se compose d’une série de 10 volumes écrits par Justinian Marina, de
1947 à 1971 et consiste en un ensemble de discours ou d’études sur les fondements d’une
Eglise « servante » [B is e ric a S lu jito a re ), impliquée dans l’élaboration d’une société
nouvelleJustinian Marina, né en 1901, le patriarche
135
« rouge » comme le dénonce la
Ufi quart de siècle de transformations novatrices dans la vie de l’Eglise orthodoxe
roumaine », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rch N e w s , 1974, pp. 5-6.
136 Sur l’Apostolat social dans la littérature orthodoxe, on verra particulièrement : T. M.
POPESCU, « Biserica in actualitatea soci’ala », dans O rto d o x ia , 1953, 1, pp. 34-36 ; Dumitru
RADU, « Aux sources de l’Apostolat social », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , an. XCI,
1973, n°l-2, pp. 168-178. Cfr. aussi ; Comeliu ^IRBU, « Aspectul social al Bisericii », dans
M itro p o lia M o ld o v e i sJ S u c e v e i, an. XXXIII, 1957, pp. 611-614.
137 On verra aux éditions de l’I.B.M.B.O.R. à Bucarest ; JUSTINIAN, Moldova Mitropolit,
A p o s to la t s o c ia l. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, I-II, tip. cartilor bisericesti, Bucuresti, 1948 ;
\D ., A p o s to la t S o c ia l. P ild e s j in d e m n u ri p e n tru c le r, 2ème édit., 1949 ; ID., A p o s to la t s o c ia l,
P ild e s i în d e m n u ri în liip ta p e n tru p a c e , IV, 1952 ; ID., A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta
L u m e a . P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, V, 1955 ; ID., A p o s to la t s o c ia l, P ild e
în d e m n u ri
p e n tru c le r, VI, 1958 ; ID., A p o s to la t s o c ia l, P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, VII, 1962 ; ID.,
A p o s to la t S o c ia l. P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, VIII, 1966 ; ID., A p o s to la t S o c ia l. P ild e sJ
în d e m n u ri p e n tru c le r, X, 1968 ; \D ., A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r.
99
littérature uniate^^^, était pendant la seconde guerre mondiale un proche de Gheorghiu Dej,
secrétaire général du Parti Communiste Roumain à partir de 1945 {P a rtid u l M u n c ito re s c
R o m â n ) (P.M.R.). Justinian Marina est le principal artisan de la mise sous tutelle de l’Eglise
orthodoxe par le pouvoir communiste. Encore simple prêtre de province au lendemain de la
seconde guerre mondiale, il devint métropolite de Moldavie en 1947 avant de monter sur le
P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, X, 1971. On verra notamment parmi les articles les plus
significatifs dans les premières années du patriarche : JUSTINIAN, « Cooperatia si
crestinismul », dans A p o s to la t S o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., I., pp. 97-124
; ID., « In care din societatile de crédit si économie se pot asocia preotii », dans A p o s to la t
S o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it.,
I., pp. 125-130 ; ID., « Aspecte din viata
religioasa a URSS-ului », dans A p o s to la t s o c ia l. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., II,
1948, pp. 177-191 ; ID., « Conbaterea indiferentismului asupra problemelor de asistentâ
sociala », dans A p o s to la t s o c ia l. P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., El, pp. 46-50 ; ID.,
« Conditiile prielnice pentru reconstructia tarii », dans A p o s to la t s o c ia l. P ild e s j în d e m n u ri
p e n tru c le r, o p . c it.,
n, pp.
56-61; ID., « Poziüa ap^arii patriotice în cadrul asistentei sociale
»,
ddüas, A p o s to la t s o c ia l. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., II, pp. 51-56 ; ID., « Legamânt
de credin^ catre Republica Populara Româna », dans A p o s to la t s o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri în
lu p ta p e n tru p a c e ,
o p . c it., IV, pp. 10-11; ID., « Libertatea constiintei si libertatea religioasa
sunt garantate de Stat », dans A p o s to la t s o c ia l, P ild e s j in d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , o p . c it.,
IV, pp. 50-54 ; ID., « Frontul Ortodoxiei », d a n s A p o s to la t s o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri în lu p ta
p e n tru p a c e , o p . c it.,
IV, pp. 70-75 ; ID., « Fii credinciosi al Bisericii si cetateni devotati ai
Patriei », d a n s A p o s to la t s o c ia l, P ild e s i in d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , o p . c it., EV, pp. 5054 ; ID., « Prinosul dragostei catre patrie si popor », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a
to a ta L u m e a . P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 22-30 ; ED., « în fratie si dragoste
au crescut popoarele romîn si bulgar », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a .
P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 88-85 ; ID., « M^turia devotamentului fata de
statul nostru popular », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a . P ild e sJ în d e m n u ri
p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 340-341 ; ID., « Biserica Ortodoxa Româna sprijinâ actiunile
Miscarii Mondiale pentru Pace », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a . P ild e s i
în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 344-345 ; ID., « Un mare flu al Bisericii si al Patriei :
Dr. Petru Groza », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a . P ild e sJ în d e m n u ri
p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 358-362 ; On verra en outre : ID., P a s to ra la la n a s te re a D o n v iu lu i
1 9 4 8 , Bucuresti, 1948. JUSTINIAN, Moldova Mitropolit, P a s to ra la a d re s a ta c le ru lu i s i
d re p c re d in c io s u lu i p o p o r e u p rile ju l a n u lu i n o u 1 9 4 8 , lasi, 1947.
Cfr. les références à l’uniatisme, in fra .
100
trône patriarcal en 1948 après la mort de Nicodim Munteanu^^^. Evoquant le nouveau climat de
paix et de justice sociale, le patriarche affirme ; « C’est pour ces raisons que nous pouvons
témoigner que le peuple a tout à gagner par cette collaboration sincère entre l’Eglise et les
dirigeants politiques
La doctrine de l’Apostolat social « refuse la théologie purement spéculative, mais prône
une synthèse de la théologie spéculative et de la théologie pratique. La théologie doit être jointe
à l’action, en rapport avec les réalités de la vie
« Qu’on mette la théologie au service de la
vie, au service des problèmes courants qui se posent à l’Eglise et au monde actuel et que les
études et les recherches théologiques constituent des contributions réelles et utiles de l’Eglise
aux
solutions, aussi bien de ses problèmes, que des problèmes de l’humanité
contemporaine
Cet Apostolat social est basé sur trois idées, trois « principes directeurs ». Dans un
monde nouveau, l’Eglise doit s’inscrire dans le contexte des réorientations sociales et
politiques. La théologie doit s’adapter aux conditions nouvelles, s’engager dans la lutte pour la
paix et le progrès pour faire de l’Eghse une Eglise « utile » et « servante ». Elle doit devenir une
véritable théologie morale à la place de la théologie morale classique, didactique et scolastique.
Enfin, l’Eglise doit œuvrer pour l’œcuménisme en vue de rétablir l’unité dans la lutte pour la
139 cfr la littérature uniate en troisième partie. Cfr. aussi H. MONDEEL, « Patriarch Justinian
van Roemenië », o p . c it.. Les hommages au patriarche sont nombreux, « fondateur de la vie
nouvelle » : comme par exemple : REDAOTA, « Ctitor de viata noua », dans S tu d ii T e o lo g ic e ,
ser. Il-lea, an. XV, 1963, 5-6, pp. 259-265 ; SlUDII TEOLOGICE, « în slujba culturii crestine
ortodoxe. Omagiu prea fericitului parinte patriarch Justinian », Ib id ., an. XIII, 1961, 1-2, pp.
3-12 ; loan G. COMAN, « Prinos. Prea fericitului patriarch Justinian eu prilejul primului
deceniu de patriarhat », Ib id ., an. X, 1958, 5-6, pp. 275-286.
140 JUSTINIAN, « Stânsa colaborare între Biserica si Stat », dans A p o s to la t s o c ia l, P ild e sJ
in d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , o p . c il, IV, p. 46.
141 J u s t
in ia n
,
'
50 Cia/, P ild e sJ m d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it.,
142 lu., A p o s to la t s o c ia l, o p . c it.,
X, 1971, p. 53.^,__
VII, 1962, p. 39.
justice sociale, pour la paix, contre les discriminations et le colonialisme, pour le désarmement
et doit venir en aide au tiers monde.
L’Eglise orthodoxe doit être une Eglise servante impliquée et active dans la nouvelle
République Populaire Roumaine (R.P.R.), « avec un clergé au service de la société, bons
citoyens, dévoués à l’Etat et au peuple
avec comme fondement les principes de
soumission et de respect vis-à-vis de l’autorité. Ces principes sont essentiellement basés sur le
droit ancien de l’Eglise orientale, lui-même fondé sur les arguments évangéliques qui Justifient
le patriotisme avec tous ses corollaires^^. Au fil des années et du développement du nationalcommunisme se préciseront des notions telles que « liens intrinsèques entre l’Eglise orthodoxe
et la “ nation ” roumaine », d’« Eglise populaire », avec toutes les ambiguïtés que ces termes
comprennent. Sous le régime de Ceausescu se précisera l’« ethnicité » de l’Eglise, fondement
de l’Eglise orthodoxe roumaine.
La difficulté d’analyser cette argumentation réside dans le fait que ces notions se fondent
en un tout et sont indissociables les unes des autres. En effet, les différents termes de
l’argumentation s’inscrivent dans le concept d’une Eglise au service de la patrie, du peuple et de
la nation, et par conséquent dans son caractère social, le mot « social » recouvrant l’ensemble
des caractéristiques du monde nouveau, du « nouveau régime social ».
L’Apostolat social doit être compris en réalité comme une sorte de « communisation »,
voire, au début du régime communiste, de « soviétisation » de l’Orthodoxie traditionnelle. Par
ailleurs, le fil conducteur de l’argumentation consiste en un respect du principe théologique
orthodoxe de l’économie (p rin c ip iu l ico/îom/e/j, justifiant la capacité et l’obligation de l’Eglise à
s’adapter aux circonstances nouvelles de la société depuis l’acte du 23 août 1944, basé sur la
« dialectique » « tradition et renouveau »1'^5 sj ce principe est rarement invoqué comme tel,
iD., A p o s to la t s o c ia l, o p . c it., V, 1958, p. 20.
C’est l’objet de la seconde partie.
145
0 fi-
la conclusion de cette partie. On verra notamment le livre F id e lita te sJ in n o ire .
R e a litd ti c o n te m p o ra n e d in v ia ta B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti,
1989 et la version traduite en français : F id é lité e t R e n o u v e a u . R é a lité s c o n te m p o ra in e d e la v ie
d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucarest, 1989.
102
bien qu’il le soit chez certains auteurs, tel que I. Bria, représentant de l’Eglise Orthodoxe
Roumaine au Conseil Œcuménique de Genève^'^^, il est important de souligner sa permanence
dans le discours orthodoxe.
La terminologie « Apostolat social » est un terme générique utilisé par les auteurs pour
caractériser la doctrine orthodoxe qui s’est pliée à la doctrine communiste^^^. Cette doctrine
devait servir d’exemple (p ild e ) pour les auteurs orthodoxes, à tous les membres du clergé et aux
croyants durant ces quarante ans pour apprendre aux fidèles à devenir des « serviteurs » de
l’Etat (o B is e ric a s lu jito a re ), selon la terminologie largement utilisée par le métropolite de
Transylvanie, A. Pl^adeala. L’Apostolat social est la référence idéologique de l’Eglise, une
sorte de « devise du Paiti » ou de « ligne du Parti » (s a rc in a ), que devaient suivre les auteurs
pour tous les grands problèmes de la société et du monde contemporain, que ce soit à propos de
la nation, de la paix, de l’universalisme ou de la morale chrétienne.
L’Apostolat social avait pour prétention l’adaptation de la tradition à la modernité, par une
complémentarité des principes « fidélité et renouveau » (fîd e liîa te sJ in n o ire ), alliant
constamment la tradition orthodoxe orientale et l’adaptation aux conditions nouvelles, afin que
146 cfr. in fra .
147 i.G. COMAN, « Umanismul Ortodoxiei românesti », dans O rto d o x ia , I., 1948, 1-2, pp.
37-70 ; S. COSMA, « Munca în comun si morala crestina », dans S tu d ii T e o lo g ic e , XV, 1963,
3-4, pp. 171-189 ; D. MIRON, « Atitudinea fata de bunurile obstesti dupa conceptia morale!
crestine », Ib id ., XXI, 1969, 9-10, pp. 726-734 ; C.C. P a v e L , « Temeiurile si rostul ascultarii
în viam morala a crestinului », Ib id ., XVIII, 1966, 7-8, pp. 387-407 ; G. SOARE, « Aspecte
din legislatia bizantina în legatura eu ocrotirea omului », Ib id ., XX, 1958, 1-2, pp. 38-67 ;
Emilian V a S IL E S C U , « Atitudinea Bisericii ortodoxe fata de progresul cultural », Ib id ., IV,
1952, 9-10, pp. 516-530 ; Sofron VLAD, « Atitudinea bisericii ortodoxe fata de problemele
sociale. Principii eu caracter social desprinse din sfintele evanghelii », Ib id ., VI, 1954, 3-4, pp.
158-173.
103
l’Eglise orthodoxe roumaine et toute la société chrétienne contribuent à l’édification d’une
société socialiste
L’Apostolat social devait être la seule alternative possible pour l’Eglise orthodoxe dans le
régime communisteet montrait finalement la conciliation possible entre communisme et
christianisme, entre République populaire et Eglise populaire, non pas en démontrant les
rapprochements entre christianisme et marxisme, mais entre l’orthodoxie et le communisme tel
qu’il fut instauré en Roumanie^^^
La terminologie « Eglise servante » apparaît de manière récurrente dans la littérature
orthodoxe. Elle s’inscrit dans la ligne générale de l’Apostolat social. Il s’agit du principe,
énoncé dans les Evangiles, du service de l’Eglise à Dieu et aux hommes {s lu jire a lu i D u m n e z e u
sJ s lu jire a o a m e n ib r)^ ^ ^. Le service chrétien est l’expression de la vie intérieure du chrétien et
de l’Eglise en relation avec le monde. Dans ce sens, l’orthodoxie n’a pas de doctrine du service,
mais une expérience du service^^^ L’Apostolat social doit donc être une expérience vécue du
chrétien pour œuvrer pour le bien commun, la société et le monde. C’est dans ce sens que
l’Eglise doit devenir une « Eglise sociale » {o B is e ric a s o c ia la ), par l’engagement social des
148 D.I.BELU, « Ortodoxia si activismul omului », dans S tu d ii T e o lo g ic e , 1950, f. 1-2, pp.
65-79.
^ ^ ^ L 'E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e d a n s le p a s s é e t a u jo u rd ’h u i, I.B.M.B.O.R., Bucarest,
1979. L ’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , I.B.M.O., Bucarest, \9 6 1 .R o m a n ia n o rth o d o x C h u rc h ,
a n a lb u m -m o n o g ra p h
(Institut biblique et de mission de l’Eglise orthodoxe roumaine),
Bucarest, 1987 ; T h e R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h , Bucarest, Bible and Orthodox Missionary
Institute, 1968 ; T h e R o m a n ia n O rth o d o x e C h u rc h Y e s te rd a y a n d T o d a y , Bucarest, Patriarcat,
1979.
150
Pa c
u r a r iu
et A .I.C i u r
ea
,
« L’historiographie de l’Eglise orthodoxe roumaine et
ses problèmes actuels », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n à , LXXXIX, 1971, pp. 355-381.
151 On verra particulièrement la thèse de doctorat de Antonie PLAMÂDEALA, « Biserica
Slujitoare. în sfînta scriptura, în sfînta traditie si în teologia contemporana », dans S tu d ii
T e o lo g ic e , an. XXIV, 1972, 5-8 et l’article de Grigoras AUREL, « Biserica slujitoare », dans
O rto d o x ia , an. XVIII, 2, 1966, pp. 222-245.
152 Antonie PLAMADEALA, « Biserica Slujitoare. în sfînta scriptura, în sfînta traditie si în
teologia contemporana », dans S tu d ii T e o lo g ic e , an. XXIV, 1972, 5-8, p. 583.
104
prêtres. L’ouverture au monde doit se faire par une pastorale basée sur une « attitude réaliste »,
une ouverture sur la société. C’est le principe de la « diaconie » (d ia c o n ia ), c’est-à-dire la
fonction missionnaire du prêtre dans le cadre de la vie pastorale^
Le principe du service
chrétien est à la base de toute l’idéologie de l’Apostolat social.
Si l’Apostolat social de l’Eglise orthodoxe fut le fondement de la soumission et de la
collaboration avec l’Etat communiste, on soulignera que tous les cultes légaux firent les mêmes
déclarations d’allégeance à l’Etat. Nous nous intéresserons ici aux particularités de la doctrine
orthodoxe, mais il est clair qu’une analyse semblable à celle-ci serait nécessaire pour toutes les
confessions^^^.
Cependant, nous tâcherons ici de montrer la spécificité de l’Eglise orthodoxe quant à
l’adaptation de sa doctrine sociale. En effet, de prime abord, on aurait tendance à penser que
l’Apostolat social de Justinian était, comme nous l’avons souligné, une « communisation » de
l’Eglise. Par la « socialisation » de sa mission pastorale, elle se pliait aux nouvelles directives
de l’Etat. Il est intéressant de noter, avant d’aller plus loin dans nos investigations, les
remarques de I. Bria faites à ce sujet dans un ouvrage destiné à la connaissance de l’orthodoxie
roumaine en Occident, remarques révélatrices de l’esprit dans lequel cet Apostolat social a été
conçu, ou du moins légitimé par les auteurs. « Le patriarche Justinian restera dans l’histoire de
l’Eglise roumaine pour son “ Apostolat social ” (...). Pour lui, l’Eglise roumaine est
foncièrement une institution populaire et elle joue dans la vie de la nation un rôle
complémentaire au facteur politique (...). Grâce à sa ténacité politique, il a évité un décret de
séparation explicite entre l’Etat et l’Eglise et il a renouvelé - dans des circonstances critiques un statut de “ symphonie ” entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Cette symphonie,
qui est évidente, par exemple dans les fonds assurés par l’Etat pour la rétribution partielle du
clergé, la rétribution du corps enseignant des théologiens, et pour la restauration des églises -
153
pp. 429-453.
154 « Atitudinea celorlalte culte religioase fata de regimul democratiei populare », dans C u lte le
re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la râ R o in â n â , Ed. Ministerului cultelor, Bucuresti, 1949, pp. 125-
146.
105
monuments nationaux - a donné à l’Eglise le sens de sa stabilité institutionnelle et de sa
prospérité économique (...). Vers la fin de son ministère (de Justinian), l’évolution de la société
roumaine posa à l’Eglise des problèmes fondamentaux qu’elle ne pouvait pas résoudre à partir
d’un Apostolat social, forgé en 1948, basé sur la conception byzantine d’après laquelle l’Eglise
et l’Etat forment un seul corps et qui présupposerait que l’Eglise est un partenaire de l’Etat dans
l’édification sociale. Cependant, l’Apostolat social constituait le cadre éthique dans lequel
l’Eglise a pu exercer sa coopération et sa solidarité nationale
Le patriarche Justin veut
garder encore cet élément de “ symphonie ” bien qu’il le fonde sur un autre principe, plus
biblique, à savoir la fidélité de l’Eglise envers son peuple et vice versa »155 L’auteur inscrit
donc l’Apostolat social dans la tradition byzantine « symphonique » des relations entre l’Eglise
et l’Etat. Par cette harmonie, les deux institutions ne forment qu’un seul corps, l’Eglise est un
partenaire de l’Etat et elle peut coopérer de manière complémentaire avec le politique dans
l’intérêt de la nation. Ce sont des points sur lesquels nous reviendrons. Il importe cependant de
montrer, dès à présent, que les auteurs ont inscrit la nouvelle doctrine sociale de l’Eglise dans
une tradition orthodoxe byzantine.
155 Ion BRIA,
v is a g e d e R o u m a n ie . S o n im p o rta n c e h is to riq u e e t c u ltu re lle . S e s
p ré o c c u p a tio n s th é o lo g iq u e s e t p a s to ra le s , Genève, 1981, pp. 16-19.
106
Chapitre
II
:
ORTHODOXE
LE
STATUT
ROUMAINE
DE
DANS
L’EGLISE
L’ETAT
COMMUNISTE :
p ré s e n ta tio n o rth o d o x e d u c a d re lé g a l d e rE g lis e d a n s
V E ta t c o m m u n is te
I. L’Apostolat social et les directives de l’Etat
L’objet de ce chapitre ne consiste pas en une étude des institutions de l’Eglise Orthodoxe
Roumaine et en une analyse des lois de l’Etat communiste en matière religieuse. Nous avons
par contie l’intention de montrer quelle a été la légitimation par les orthodoxes du nouveau cadre
légal dicté par l’instauration du nouveau régime et les ambiguïtés du discours de l’Eglise en la
matière.
Dans un premier temps, nous montrerons comment l’Apostolat social suivit les directives
de l’Etat en matière religieuse. Les déclarations du Ministre des cultes Stanciu Stoian faites au
107
lendemain de l’instauration de la République populaire roumaine constituent les axes piincipaux
de la nouvelle politique en matière religieuse, répercutés par l’Eglise orthodoxe^^^. De manière
générale, l’ensemble de l’argumentation est basé sur le contraste entre les nouvelles conditions
de justice sociale nées de l’abolition de la monarchie le 30 décembre 1947 et de l’instauration de
la République, et la situation de l’entre-deux-guerres. Cette période était caractérisée par une
« discrimination entre les citoyens et les confessions en raison du régime bourgeois
capitaliste ». L’Apostolat social allait suivre les directives de l’Etat et contribuer au
rétablissement de la justice sociale et interconfessionnelle comme le prévoyait la nouvelle
politique.
Un des thèmes principaux réside dans l’« injustice » provoquée par le Concordat conclu
entre le Vatican et le gouvernement roumain en 1927 et ratifié par l’Etat pontifical en 19291^^.
Cfr. Stanciu S t
o ia n
,
« Cultele religioase în Republica Populara Româna, Studiu
Introductif », dans C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la ra R o m â n a , Ed. Ministerului cultelor,
Bucuresti, 1949, pp. 7-53 ; ID., « Atitudinea regimului de démocratie populara fata de cultele
religioase », Ib id ., p. 67-104. Cfr. également : L a lib e rté d e s c u lte s d a n s la ré p u b liq u e
p o p u la ire ro u m a in e , Ed. de l’Institut roumain pour les relations culturelles avec l’Etranger,
Bucarest, 1953 .
157 Pour l’histoire des relations entre l’Eglise et l’Etat en Roumanie entre-deux-guerres, on
verra en plus de la bibliographie déjà citée : Félix WiERCINSKI, « Ein Jahrhundert
Staatskirchentum in Rumânien », dans S tim m e n d e r Z e it, an. 58, t. 12, f. 115, 1928, pp.421431 ; O. C a c
iu l a
,
« Cultele în România », dans E n c ic lo p e d ia R o m â n ie i, Ed. D. GUSTI, vol.
1, Bucuresti, 1938, pp. 417-442 ; J. RIVIERE, « Roumanie », dans D ic tio n n a ire d e th é o lo g ie
c a th o liq u e , dir., A. VACANT et E. M a N G E N O T , t. 14, 1ère partie, Ed. Letouzey et Ané, Paris,
1939, col. 17-20 ; Petre PETRINCA, « La situation des églises minoritaires roumaines de
Hongrie après la paix de Trianon », dans R e v u e d e T ra n s y lv a n ie , t. II, 1935-1936, Cluj, pp.
90-95 ; NISTOR, « Les cultes minoritaires et l’Eglise Orthodoxe Roumaine dans le nouveau
budget de la Roumanie », dans R e v u e d e T ra n sy lv a n ie , t. II, 1935-1936, Cluj, pp. 7-40 ; L a
T ra n s y lv a n ie , Université Roumaine de Cluj, Centre d’Etudes et de Recherches Relatives à la
Transylvanie, Ed. Boivin et Cie, Paris, 1946, pp. 121-142; Silviu DRAGOMIR, T h e E th n ic a l
M in o ritie s
in
T ra n s y lv a n ia , ch. IV, Genève, 1927, ch. IV,
T h e M in o rity C h u rc h e s o f
T ra n s y lv a n ia a n d th e R o u m a n ia n S ta te, pp. 56-83. Pour l’Eglise orthodoxe entre-deux-guerres
on consultera : Nicolas lORGA, « L’Eglise autocéphale de Roumanie, ses origines et son rôle
parmi les Eglises nationales d’Orient », dans L ’E u ro p e N o u v e lle , 9, 1926, pp. 264-268 ;
108
Les constitutions roumaines anciennes, source de discriminations accentuées par les
privilèges accordés aux Eglises minoritaires, étaient déjà dénoncées entre-deux-guerresLa
Constitution de 1866, avec ses modifications ultérieures de 1923, déclarait la pratique religieuse
libre et garantie par l’Etat roumain (art. 2 2 )^ ^ ^ . « Mais si les principes qui régissaient ces
Constitutions étaient d’essence bourgeoise et basés sur des fondements libéraux, leur caractère
libéral était entravé par de graves discriminations par la loi pour l’Organisation de l’Eglise
Orthodoxe Roumaine de 1925 (L e g e a p e n tru O rg a n iz a re a B is e ric ii O rto d o x e R o m a n e ) et la loi
pour le Régime Général des Cultes de 1928 {L e g e a p e n tru R e g iin u l G e n e ra l a l C u lte lo r) »^60
La Constitution de 1923 déclarait l’Eglise Orthodoxe Roumaine « Eglise dominante dans
l’Etat » {d o m in a n ta în S ta t), et l’Eglise gréco-catholique était déclarée culte national avec
« priorité sur les autres cultes » {în tâ ie ta te fa ta d e c e le la lte c u lte ). La loi de 1928 sur le Régime
Général des Cultes (art. 21) précise que, en dehors de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, les autres
George R. U r
su l
, « From Political Freedom to Regilious Independence : The Romanian
Orthodox Church, 1877 to 1925 », dans R o m a n ia b e tw e e n E a s t a n d W e s t, H is to ric a l E s s a y s
in M e m o ry o f C o n s ta n tin C . G iu re s c u , édit Stephen FISCHER-GALATI, Radu R. FLORESCU et
George R. URSUL (East european monographs) Boulder Columbia University Press, New
York, 1982, pp. 217-224. Pour l’histoire de l’orthodoxie au XIXe siècle on veira les études de
Keith Hitchins, notamment : Keith HITCHINS, O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu S a g u n a a n d
th e R u m a n ia n s o f T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , o p . c it., chap. 9 : Church and State, pp. 224-247
et pour l’Eglise catholique dans les principautés danubiennes : Romulus CÂNDEA, D e r
K a th o liz is m u s in d e n D o n a u fU rs te n tü m e rn ; s e in V e rh a ltn is z u m S ta a t u n d z u r G e s e lls c h a ft
( Beitrage zur Kultur und Universageschichte, 36), Ed. Voigtlànder R., Leipzig, 1917.
NISTOR, « Les cultes minoritaires et l’Eglise Orthodoxe Roumaine dans le nouveau
budget de la Roumanie », o p . c it., pp. 7-40.
159 cfr notamment : Eleodor FOCSENEANU, o p . c it.
160 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie popularâ fata de cultele
religioase », o p . c it.,
p. 78. Pour l’histoire orthodoxe roumaine de l’Eglise orthodoxe en
générale et l’entre-deux-guerres, on verra les monographies suivantes, la première
représentative de l’époque Gheorghiu De], la seconde de Ceausescu : Gheorghe I. MOISESCU,
Stefan LUPSA et Alexandru FELIPASCU, Is to ria B is e ric ii R o m a n e , vol. 1, -1 6 3 2 , vol. 2,1 6 3 2 1949,
Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1957-1958 ; Mircea PACURARIU, Is to ria B is e ric ii O rto d o x e
R o m â n e , 3 vol., Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1980-1981.
109
cultes sont dénommés des cultes « historiques ». Le culte roumain gréco-catholique était
« national », mais de second rang par rapport à l’Eglise orthodoxe. L’Eglise orthodoxe était en
fait la religion d’Etat du royaume roumain. Parmi les cultes historiques, on compte le culte
catholique, le culte réformé calviniste de la minorité hongroise, le culte évangélique luthérien de
la communauté saxonne, le culte hongrois unitarien, le culte arméno-grégorien, le culte
mosaïque et le culte musulman. Les autres cultes, comme les confessions néo-protestantes,
étaient considérés comme des associations religieuses
Pour la littérature communiste et orthodoxe, le Concordat favorisait l’Eglise catholique,
« avec la complicité des hommes politiques de l’époque », alors que l’Eglise orthodoxe était
légalement dominante selon la Constitution de 1923. « Le régime des cultes de l’époque était
fait de contradictions fondamentales, comme le régime social de l’époque
Pour ces
auteurs, l’Eglise Orthodoxe Roumaine, Eglise « dominante » dans l’Etat roumain, était en
réalité défavorisée par rapport aux cultes minoritaires et surtout à l’Eglise catholique de
Roumanie.
« L’Occident s’oppose ainsi au nouvel ordre social par peur de l’U.R.S.S., mettant en
avant les théologiens appréciés en Occident comme Berdiaev ou Boulgakov, des théologiens
russe de la d ia s p o ra , imprégnés d’esprit réactionnaire d’ancien régime et de christianisme
orthodoxe, « p ra v o s la v n ic » selon la terminologie slavonne^^^. Un autre danger dénoncé par le
Ministre des cultes est celui de l’œcuménisme d’origine anglicane, « compagnon de chemin »
On verra principalement ; George ROSU, Mircea V a S IL IU et George CRIS AN, « Church
and State in Romania », o p . c it., pp. 257-299.
162 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie popularâ fam de cultele
religioase », o p . c it., p. 78. On verra aussi le hvre de Valeriu ANANIA, P ro M e in o ria . A c tiu n e a
c a to lic is m u lu i în R o m â n ia in te rb e lic d , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1992.
163 Stanciu STOIAN, « Cultele religioase în Republica Populara Româna, Studiu Introductif
», o p . c it., p. 10. Nous reviendrons sur ce terme « p ra v o s la v n ic » , mot d’origine slavonne
équivalent au mot grec orthodoxe, mais dont les connotations sont nombreuses, et beaucoup
utilisé sous Ceausescu par les orthodoxes.
110
de l’impérialisme anglais, correspondant religieux du mouvement politique que constituait la
Société des Nations^^.
Devant la situation « chaotique » ancienne, il importait de rétablir l’égalité des cultes
puisque le culte orthodoxe, Eglise « nationale dominante » d’après la constitution de 1923, était
désavantagée par rapport à l’Eglise catholique jouissant des privilèges du Concordat. Les
auteurs, à l’instar du Ministre des cultes Stanciu Stoian, dénoncent l’ironie de la Constitution de
1923 et le besoin impératif de redonner à l’Eglise orthodoxe ses droits en établissant l’égalité
des cultes
« L’arme principale du Vatican fut le principe du Concordat qui trouve ses origines au
début du XIXe siècle et qui eut du succès parmi les capitalistes. L’ensemble des pays qui ont
contracté des Concordats avec le Vatican sont des pays périphériques à l’Union soviétique,
notamment le grand Reich allemand. Le Vatican voulait par là créer un “ cordon sanitaire ”
antisoviétique, politique, économique de nature idéologique réactionnaire »166
a
ce « cordon
sanitaire » catholique devra s’opposer un « front » orthodoxe des démocraties populaires^
Un autre thème largemement exploité dans les premières années du régime est la question
du lien entre le fascisme et l’ancien régime capitaliste. « Une des armes de la politique capitaliste
fut l’antisémitisme organisé en deux organisations, le « cuzisme » et le « légionnarisme »,
soutenu en Roumanie par l’Etranger^^^.
Le gouvernement « réactionnaire » de Roumanie qui s’inspirait des méthodes hitlériennes
combattit aussi les « sectes » religieuses, présentées comme ennemies de la nation et de l’Etat
roumain et cause des désordres politiques, économiques et sociaux. Sous Antonescu, par un
164
165 jijid
166
P 11
167 (2 fr la troisième partie. Cfr. aussi ; Justinian, « Frontul Ortodoxiei », o p . c it., pp. 70-75.
168 Nous verrons le problème du fascisme roumain dans la troisième partie et dans le point II
des conclusions. On veiTa cependant : Alain COLIGNON, « Les droites radicales en Roumanie,
1918-1941 », dans T ra n s itio n , e x -re v u e d e s p a y s d e l’E s t, 1993, n° 1, Université Libre de
Bruxelles, pp. 143-174.
décret de juillet 1943, toutes les sectes religieuses furent interditesLe terme « secte » en
Roumanie comprend les « associations religieuses », c’est-à-dire les confessions néo
protestantes, comme les baptistes, adventistes, pentecôtistes, e tc.
L’ensemble du discours communiste des années 1950 concernant la situation des cultes
en Roumanie décrit une situation apocalyptique. « Nous sommes en vérité en pleine atmosphère
médiévale, sinon pire, caractérisée par une évolution de 1923 à 1944 révélatrice de la
recrudescence du mysticisme et du bigotisme obscurantiste qui culmina par l’absurde croisade
antisoviétique pati'onnée par Hitler
En résumé, avant le 23 août 1944, la politique utilisait la religion pour asseoir sa
domination bourgeoise capitaliste, dont le point culminant fut la période fasciste, la dictature
royale de Carol II (1930 / 1938-1940) et le régime Antonescu (1940-1944).
En 1944, le « régime hitlérien » d’Antonescu fut aboli par le « soulèvement patriotique de
toute la nation ». L’appellation communiste du régime d’Antonescu, comme étant un régime
« hitlérien », explique en partie le « révisionnisme » depuis 1989. Par opposition à la
propagande communiste, le régime d’Antonescu est actuellement considéré comme un régime
d’exception pour protéger la Roumanie des agressions fasciste et bolchévique^^^
Après le 23 août 1944, le nouveau pouvoir rétablit la Constitution de 1866 avec les
modifications de 1923. Il s’agissait de supprimer la Constitution royale « carhste » de 1938. Le
nouveau régime abolit aussi les lois légionnaires et celles d’Antonescu. Dès lors, tous les cultes
de Roumanie furent de nouveau reconnus. Après l’abolition de la monarchie et l’instauration de
169 On verra le chapitre consacré à l’« ethnicité », dans la seconde partie. Cfr. par ex.
Dumitru STANILOAE, « Pericul sectelor », dans T e le g ra fu l ro m â n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c ,
in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g u n a , Sibiu, an. LXXXVI, n°10, 1938, p. 1 ;
B ib lio g ra fia s u b ie c te lo r tra ta te în S e m in a ru l d e S e c to lo g ie d e s u b d ire c tiu n e a d -lu i P ro fe s o r D r.
V. C h . Is p ir p e a n ii 1 9 3 2 / 1 9 3 3 , 1 9 3 3 / 1 9 3 4 sJ 1 9 3 4 / 1 9 3 5 (Facultatea de Teologie din
Bucuresti. Biblioteca Seminarului de îndrumâri Misionare si Sectologie), Ed. Ziarului
Universul, Bucuresti, 1935.
170 Stanciu STOIAN, « Cultele religioase în Republica Populara Româna », o p . c it., p. 15.
171 Cfr. la conclusion.
la République Populaire de Roumanie, le nouveau régime « a apporté de nouvelles
modifications en matière religieuse » dans la Constitution de 1948, notamment par l’article 27.
L’article 27 de la Constitution de 1948 (art. 84 de la Constitution de 1952), stipule que la
« liberté de conscience et la liberté religieuse sont garanties par l’Etat
« Tous les cultes
sont libres et égaux devant la loi ». Cependant, quatorze cultes furent reconnus de manière
légale. Il faut bien insister sur le fait que lorsqu’un culte n’est pas reconnu légalement, il entre
dans l’illégalité, au risque de toutes les persécutions. Ce fut le cas de l’Eglise gréco-catholique,
mais aussi des Témoins de Jéhovah. Ces derniers étaient accusés d’avoir une idéologie proche
de l’idéologie « légionnaire théocratique et anti-chrétienne ». En fait, au nom de la liberté des
cultes instaurée par la Constitution de 1948, tout culte accusé d’attenter à cette liberté devait être
exclu de la légalité. C’est ce qui s’est passé avec l’Eglise gréco-catholique et l’Eglise arménocatholique qui ne sont plus reprises parmi les quatorze cultes reconnus. L’Eglise arménocatholique était également une Eglise arménienne soumise à Rome à l’instar des « uniates ».
L’Eglise arméno-grégorienne fut la seule Eglise arménienne « légale ».
Pour que l’Eglise contribue au nouveau régime social, elle doit donc contribuer au
rétablissement des droits et à l’égalité des cultes garantis dorénavant par l’Etat populaire.
« Contrairement à la propagande le l’Ouest, le Parti Communiste Roumain, le P.M.R., suit la
politique de Lénine concernant le respect des croyances de chacun »1^3 « sj
religion a
toujours été en concordance avec le peuple comme instrument de paix, elle est devenue un
moyen de discrimination inventé par les classes bourgeoises exploiteuses. La religion est
Ta lib e rté d e s c u lte s d a n s la ré p u b liq u e p o p u la ire ro u m a in e , o p . c it. On verra tous les
articles consacrés à ce sujet dans la littérature orthodoxe : Vintila POPESCU, « Biserica si viata.
Libertatea cultelor religioase în Republica Populara Romîna », dans O rto d o x ia , an. V, n°l,
1953, pp. 159-168 ; JUSTINIAN, « Libertatea constiintei si libertatea religioasa sunt garantate de
Stat », o p . c it. ; A.C. R a d u l
es c u
,
« Libertatea religioasa în Republica populara româna »,
dans O rto d o x ia , an. I, n. 2-3, 1949, pp. 3-56 ; Emil NEDELESCU, « Regimul de démocratie
populara si libertatile religioase », d a n s M itro p o lia O lte n ie i, an. VI, 1954, 7-8, pp. 297-305.
173 Stanciu S t
o ia n
,
« Cultele religioase în Republica Populara Româna », o p . c it., p. 49.
113
devenue une arme de domination dans les régimes bourgeois en détournant l’attention des
paysans de la lutte pour la ten-e. La religion comme elle était conçue est la cause essentielle de
l’antisémitisme. La politique religieuse doit être juste et consacrer les énergies du peuple dans
tous les domaines, exclusivement pour le travail constructif et la lutte pour la paix
Comme l’affirme Petru Groza, président du Conseil des Ministres, à propos du rôle de l’Eglise
et des croyants dans le nouvel ordre de 1948 installé grâce à l’aide de TUnion soviétique, «
l’Eglise ne doit pas être une institution statique, mais contribuer à la nouvelle société
L’Eglise doit suivre l’exemple de l’Eglise orthodoxe russe « qui a abandonné son “ b a lla s t ”
anachronique pour se transformer en une Eglise nouvelle, en une Eglise vivante »176
« Pour le succès de la nouvelle société, l’Eglise orthodoxe roumaine. Eglise de la majorité
de la population, doit collaborer avec l’Etat au service de la paix et des libertés. C’est la
véritable mission des représentants de l’Eglise, d’après le commandement du Christ
« Le
christianisme d’aujourd’hui, s’il veut s’inscrire dans la ligne du développement historique, doit
revêtir les vêtements de nos temps. Nous ne lui demandons pas de prêcher des idéaux et des
principes étrangers à l’esprit de l’Evangile, mais son intérêt est d’entrer de plain-pied dans notre
époque »178
« L’Eglise orthodoxe doit rester inscrite dans sa tradition, c’est-à-dire sa mémoire vive de
la communauté, dans la lignée de son rôle progressiste. Elle fut effectivement toujours une
Eglise proche du peuple et le nouveau patriarche Justinian Marina doit être non seulement le
patriarche de l’Eglise, mais aussi du peuple et de ses aspirations d’aujourd’hui en soutenant le
régime de démocratie et sa souveraineté nationale »179 L’Eglise orthodoxe doit offrir, selon
174
p.
50-51.
175 Petru GROZA, « Biserica nu trebue sa fie staticâ », dans C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a
P o p u la ra R o m â n a , o p . c it., p. 57.
176 Ib id ., p. 60.
177
ih id .,
p.
66.
178 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie populara fata de cultele
religioase », o p . c it., p. 82.
179 Ib id ., pp. 83-85.
114
Stanciu Stoian, un « exemple et un enseignement » {p ild â s J în d re p ta r)^ ^ ^ . Ce sont les mots
clefs utilisés par le patriarche Justinian comme sous-titre de son A p o s to la t s o c ia l, e x e m p le e t
e n s e ig n e m e n t p o u r le c le rg é ^ ^^ .
On constate donc que l’Apostolat social s’inscrit dans la ligne et les directives du
gouvernement communiste. Le nouveau patriarche Justinian Marina s’exprimait lors des débats
sur la nouvelle constitution de la R.P.R. au sujet de l’Eglise orthodoxe en ces termes ;
« Considérant que le ti'avail est le facteur de base de la vie économique de l’Etat et que l’Etat
accorde son soutien à tous ceux qui travaillent (...), le projet de Constitution inscrit pour la
première fois dans notre pays, dans le pacte fondamental de l’Etat, le principe formulé par notre
Sauveur Jésus Christ : « le travailleur mérite son salaire » {y re d n ic e ste lu c rd to ru l d e p la ta lu i)
(Le., X, 7)
Force est de constater que le patriarche démontre que le respect de la R.P.R.
s’inspire des préceptes évangéliques. On verra que dans la première période du régime
communiste, cet aspect du travail commun pour le développement et la prospérité de l’Etat
constitue le point central de l’Apostolat social. L’obligation du respect des croyants vis-à-vis
des nouvelles institutions est un devoir chrétien. « Soumettez-vous pour recevoir la loi du
Christ » affiiTne Justinian Marina en 1949^^^.
Le patriarche salue donc le nouveau régime mis en place. « Le nouveau pouvoir promet
de nouveaux horizons, une situation où la totale liberté est proclamée dans la Constitution de
1948
p.
85.
181 Cfr. s u p ra .
182 « Noua constitutie si Biserica ortodoxa româna », dans A p o s to la t S o c ia l, P ild e sJ
in d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it.,
183 J u
s t in ia n
,
I., 1948, pp. 180-181.
« Atitudinea Bisericü Ortodoxe Române fatâ de regimul démocratie!
populare », dans C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la rd R o m â n a , o p . c it., p. 108.
184 « Noua constitutie si Biserica ortodoxa româna », o p . c it., pp. 180-181 ; REDACTIA,
« Misiunea Bisericü Crestine », dans O rto d o x ia , 1953, f. 4, p. 660 ; REDACTIA, « ProiectuI
de Constitutie a Republicii Populare Romîne. Atitudinea Bisericü Ortodoxe Romîne fata de
115
Tout comme Paul, l’apôtre « des Peuples » (N e a m u rilo r), il demande aux croyants le
renouveau des connaissances évangéliques : « sont venus le temps et l’heure de sortir de son
sommeil (...). La nuit est avancée, le jour est tout proche. Rejetons donc les oeuvres des
ténèbres et revêtons les armes de la lumière » (a v e n it v re m e a s i c e a s u l s a n e d e s te p tâ m d in
s o m n . N o a p te a a tre c u t s i s ’a a p ro p ia t z iu a . S a le p â d a m d a rd lu c ru rile în tu n e re c u lu i sJ s a n e
îm b rd c d m în v e s tm â n tu l lu m in ii) (Rm., XIII, 1 1-12)185 Autrement dit, dans le contexte précis
de la citation, l’ancien régime capitaliste bourgeois appartient aux ténèbres, le communisme
représente la lumière...
« S’il est vrai, affirme le patriarche, que la conception du matérialisme dialectique et
historique sur le problème de l’origine du monde, l’origine de la vie, des causes des divers
phénomènes de la nature et de la société, est différente de la conception religieuse, comme le
souligne le Parti communiste roumain, la pénétration de cette conception dans le peuple ne se
fait absolument pas au détriment de la liberté de conscience et de la liberté religieuse »i86
Ainsi, l’autorité orthodoxe contourne toute difficulté puisque l’Etat offre toute les garanties de
liberté religieuse et de conscience, et la conception matérialiste du Parti communiste roumain
respecte ces libertés. Ce principe constitutionel permet aux auteurs orthodoxes de montrer qu’il
n’y a aucune contradiction entre le régime et l’Eglise. C’est l’exemple le plus significatif de la
distance qui sépare l’idéologie de la réalité, l’idéal prôné par les textes normatifs et les
persécutions « ignorées » par la littérature jusqu’en 1989.
Il importera donc que les serviteurs de l’Eglise guident les croyants et les familles selon
l’enseignement de la sainte croyance et les conscientisent de leurs rôles social et moral dans le
nouveau régime social.
proectul noii Constitutii a Statului nostru democrat-popular », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d ,
1952, 6 -8 , pp. 390-399.
185 JuSTINIAN, « Atitudinea Bisericii Ortodoxe Române fata de regimul démocratie!
populare », o p . c it., p. 117.
186
p.
122.
116
Le régime communiste et les Eglises, en particulier l’Eglise orthodoxe, ont contracté une
sorte de « pacte » comprenant un respect de la liberté de culte de la part de l’Etat et un respect
des lois de la part de l’Eglise. Cela donne toute liberté à l’Etat de restreindre cette liberté en
fonction du non respect du nouveau cadre légal par l’Eglise. Comme le dit l’organe officiel du
Parti, S c â n te a
en 1949, « contrairement à l’exemple des catholiques comme le cardinal
Mindszenty, liés à certains membres du clergé catholique roumain et hongrois de Roumanie, et
assujetis au Vatican et aux services d’espionnage américains, meneurs d’une politique
réactionnaire, les croyants ne peuvent être des ennemis de la patrie et du régime démocratique
qui ne peut admettre une activité criminelle. Le clergé doit s’inspirer de leurs frères d’Union
soviétique qui se sont battus contre les ennemis de la patrie, les fascistes, et du clergé russe qui
a soutenu le gouvernement soviétique et le Parti communiste bolchévique pour mener à bien la
victoire contre l’Allemagne hitlérienne. Celui qui s’opposera au “ cimentage ” de l’unité
politico-morale du peuple travailleur et des hommes travaillant pour la construction du
socialisme deviendra un ennemi
L’Apostolat social a donc été une adaptation orthodoxe de la politique communiste. Pour
l’Etat communiste, l’Eglise devait contribuer à l’édification de la nouvelle société, pour l’Eglise,
l’Etat devait assurer un cadre légal garantissant la liberté de culte. L’Eglise avait intérêt à
collaborer avec l’Etat pour assurer sa place dans la vie nationale et l’Etat avait tout à gagner en
obtenant les faveurs de l’Eglise orthodoxe qui constituait une institution dominante dans l’Etat.
L’Eglise orthodoxe relaya la politique et la propagande de l’Etat, et l’Etat put compter sur
l’Eglise pour obtenir un soutien considérable pour sa politique anti-occidentale et notamment
l’abolition du Concordat en 1948. L’anti-occidentalisme de l’Etat et de l’Eglise, qui voit dans
l’Occident catholique l’« ennemi » commun, constitue un point de rapprochement entre les
orthodoxes et les communistes. Ce sera le cas pour toute la littérature, jusque dans les années
soixante-dix.
« în chestiunea libertatii religioase », dans S c â n te ia , n°1357, 22 févr. 1949, cité dans
C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la ra R o m â n a , o p . c it., p. 153-154.
117
L’Eglise orthodoxe enseignera aux citoyens le respect de l’autorité par un patriotisme
chrétien qui assurera l’Etat de la soumission des chrétiens orthodoxes.
La loyauté de l’Eglise vis-à-vis de l’Etat est la condition s in e q u a n o n de sa liberté. On
comprend toute l’ambiguïté et la caducité de la notion de liberté de conscience comprise dans
ces termes et dans ce contexte. L’Eglise n’avait que deux possibilités dans cette situation :
accepter ou se mettre dans l’illégalité.
IL La loi pour le Régime Général des Cultes Religieux et le statut
de l’Eglise Orthodoxe Roumaine.
Nous avons cité I. Bria relevant que « grâce à sa ténacité politique », Justinian, a évité un
décret de séparation explicite entre l’Etat et l’Eglise et il a renouvelé - dans des circonstances
critiques - un statut de “ symphonie ” entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel^*^.
Effectivement, nous l’avons souligné, aucun article de loi ne stipule de manière formelle la
séparation, même si certains auteurs considèrent l’Etat communiste comme un Etat « laïque ».
Nous citerons ici des exemples de la loi pour le Régime Général des Cultes Religieux et
du statut de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, commentés par les auteurs orthodoxes, pour
montrer qu’ils entretiennent une ambiguïté entre les principes de séparation et de collaboration
entre l’Eglise et l’Etat.
Le Régime Général des Cultes Religieux fut énoncé le 4 août 1948 selon les principes de
l’article 27 de la Constitution d’avril 1948 concernant la liberté de
Ion BRIA,
c o n s c ie nc e ^ L g
v is a g e d e R o u m a n ie , o p . c it., p. 16.
On verra, outre la bibliographie déjà citée, lorgu IVAN, « Statutele de organizare ale
cultelor religioase din Republica Popularâ Românà », dans S tu d ii T e o lo g ic e , IV, 1952, pp.
216-240.
119
Concordat avec le Vatican fut abrogé le 17 juillet 1948^^0. En octobre 1948 eut lieu la
« réintégration » de l’Eglise uniate au sein de l’orthodoxie
Dès le début du régime communiste, l’ensemble de la littérature orthodoxe roumaine
montre, à l’instar de la littérature officielle, la « perversité » des régimes capitalistes dont le seul
Dieu est le « DoUai' », dans des régimes dont le seul intérêt attribué pour la religion consiste en
l’exploitation de l’homme par la religion et la domination universelle. Comme le dit L. Stan,
s’ériger en défenseur des libertés religieuses est un moyen pour créer et maintenir les conditions
les plus propices à l’exploitation et aux conquêtes impérialistes. {O a m e n i c a ri n ’a u n ic iu n in te re s
p e n tru p ro b le m a re lig io a s a , d e c â t a c e la d e a -s i a s ig u ra p rin re lig ie u n in s tru m e n t d e e x p lo a ta re s i
d e d o m in a tie u n iv e rs a la , s a u u n m ijlo c s p re a c re ia sJ a m e n tin e c e le m a i p ro p ic e c o n d itiu n i
p e n tru e x p lo a ta re sJ d e c i, p e n tru c u c e riri im p é ria lis te , se e rije a z a în a p a rd to ri a i lib e rtâ tilo r
re lig io a s e )^ ^ ^ . On oppose donc la conception capitaliste de la religion, vue sous l’angle
marxiste, et la nouvelle place accordée aux cultes par la R.P.R.
La Constitution de la R.P.R. définit la question religieuse dans les termes suivants : « La
liberté de conscience est garantie à tous les citoyens de la R.P.R. Les cultes religieux sont libres
de s’organiser et peuvent fonctionner librement. La liberté de l’exercice des cultes est garantie à
tous les citoyens de la R.P.R. L’école est séparée de l’Eglise. Aucune confession, congrégation
ou communauté religieuse ne peut ouvrir ou entretenir des institutions d’enseignement général.
190 On verra les articles de lois importants dans C o m m u n is m a n d th e C h u rc h e s ; A
d o c u m e n ta tio n ,
édit. J. B . B a r
r o
N
, H. M. WADDAMS, Morehouse-Gorham Company,
New York, 1950.
191 Cfr. la troisième partie, le chapitre consacré à la « réintégration » de l’Eglise uniate au sein
de r« Eglise mère ».
192 Liviu S t
an
,
« Legea cultelor », dans S tu d ii T e o lo g ic e ,
1949, 9-10, p. 839 ; cfr. aussi
ID., L e g e a c u lte lo r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1950. Cfr. aussi Vintila POPESCU, « Biserica si
viata. Libertatea cultelor reügioase în Republica Populara Romîna », dans O rto d o x ia , an. V, 1,
1953, pp. 159-168.
120
mais seulement des écoles spéciales pour la préparation du personnel du culte. Le mode
d’organisation et de fonctionnement des cultes religieux est réglementé par la loi. » (art. 84)1^3
Quatorze cultes sont reconnus dans la R.P.R., et pour être légal et libre, un culte doit être
reconnu par un décret du Présidium de la Grande Assemblée Nationale, donné à l’approbation
du gouvernement à la suite d’une recommandation du ministère des cultes (art. 13).
« La liberté de conscience se traduit par la liberté illimitée pour chacun de penser et de
croire, d’accepter ou de refuser toute vérité, toute idée, toute conviction ou croyance de quelque
nature. Mais cette liberté se distingue des régimes bourgeois si elle est garantie par un régime
socialiste où a disparu l’exploitation de l’homme. Mais il y a une distinction entre la liberté de
conscience et la liberté religieuse, la liberté de conscience étant strictement personnelle, la liberté
religieuse étant garantie seulement dans le cas où elle n’entrave pas l’ordre public et ne
contrevient pas aux bonnes moeurs
La liberté religieuse est le second principe garanti par l’article 27 de la constitution. Elle
comprend la liberté d’avoir une croyance religieuse ou non. Mais cette liberté religieuse est
garantie par l’Etat « si son exercice ne s’oppose pas à la Constitution, à la sécurité et l’ordre
public ou aux bonnes moeurs » (art. 1, alin. 2 de la loi des cultes). L’article 3 prévoit que
personne ne peut être poursuivi pour sa croyance religieuse ou sa non croyance, ce qui implique
qu’il n’existe aucun privilège en fonction de la religion. L’article 4 stipule que personne ne peut
être contraint de participer aux services religieux d’un culte, et l’article 2 , que chaque limitation
de la liberté d’un culte par un autre constitue un délit punissable conformément à la loi. Le
troisième principe de la loi des cultes est l’égalité religieuse garantissant les droits de tous les
citoyens et le quatrième est l’égalité des cultes devant la loi. Le cinquième principe de la loi des
193 L e g iu rile B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e s u b in a lt p re a s fin titu l p a tria rh J u s tin ia n , 1 9 4 8 1 9 5 3 , Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1953, p. Vn.
194 lorgu I v
an
,
« Statutele de organizare ale cultelor religioase din Republica Populara
Româna », o p . c it., p.218.
121
cultes est « l’autonomie des cultes qui assure la pleine séparation entre les cultes et l’Etat,
assurant la séparation du politique et du religieux, dans le cadre d’un Etat laïc
Comme le rappelle constamment cette littérature : « Toutes ces dispositions légales ont été
permises par les grandes transformations révolutionnaires depuis le 23 août 1944 ».
En réalité, même si des auteurs orthodoxes comme L. Stan, spécialiste orthodoxe des
institutions de l’Eglise, mentionnent la séparation de l’Eglise et de l’Etat, il faut noter que nulle
part, dans les lois ou la Constitution, la séparation nette entre l’Eglise et l’Etat n’est stipulée
comme telle. Seule la séparation de l’Ecole et de l’Eglise est mentionnée. La loi ne permet que
les séminaires religieux pour la formation des prêtres. Ce sera toute l’ambiguïté entre
l’autonomie ecclésiastique vis-à-vis de l’Etat et le principe de collaboration avec la Démocratie
populaire, plus tard de la fusion avec la nation.
L’article 40 limite les relations des cultes avec l’Etranger, ces rapports ne pouvant être que
de nature strictement religieuse. L’article 10 prévoit que « les croyants des tous les cultes
religieux sont obligés de se soumettre aux loi du pays ». Ainsi tout culte doit avoir un chef qui
soit citoyen du pays et qui prête “ serment d’allégeance ” à la R.P.R. »196
L’article 40 oblige les cultes et leurs représentants à se soumettre à l’approbation du
ministère des cultes pour toute relation externe, et ces relations doivent se faire par
l’intermédiaire du ministère des affaires étrangères. L’article 41 interdit toute juridiction
religieuse en dehors des frontières de la R.P.R. et toute juridiction des cultes étrangers dans les
frontières de l’Etat roumain. Ceci garantit la souveraineté de l’Etat et la « souveraineté » des
cultes menacée par des Etats étrangers. C’est dans ces conditions que l’on explique l’abolition
du Concordat de 1929 en 1948, car il soumettait la souveraineté de l’Etat roumain à la tutelle
« de la souveraineté de l’Etat papal du Vatican, la Roumanie étant devenue une sorte de
d o m in io n {s ic ) du Vatican, un simulacre d’Etat », conférant des privilèges au culte catholique
par rapport aux autres cultesl^^.
195 Liviu S t
an
, L e g e a c u lte lo r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1950, p. 14.
196 Stanciu S t O IA N , C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la rd R o m â n a , o p . c it. p. 33.
197 Liviu S t
an
, L e g e a c u lte lo r, o p . c it. p. 17.
122
Ainsi, par rapport aux anciennes constitutions, celle de la R.P.R. est la plus juste et
conforme aux droits et intérêts de l’Etat roumain ainsi qu’aux droits de tous les cultes.
En ce qui concerne les rapports des cultes avec l’Etat, l’article 16 prévoit l’interdiction
d’organiser des partis politiques sur base confessionnelle, conformément à la séparation des
domaines de « préoccupation » entre l’Eglise et l’Etat. Par « séparation des domaines de
préoccupation », les auteurs sous-entendent la différence fondamentale de nature entre l’Eglise
et l’Etat, mais pas la séparation constitutionnelle entre les deux institutions. C’est un thème sur
lequel les auteurs insistent pour montrer la différence essentielle entre les deux institutions tout
au long de l’histoire. L’exemple du Vatican qui condamna le communisme et le progrès social
sous Pie
Xn, «
attentat contre la liberté de conscience », montre bien le caractère bourgeois et
réactionnaire de la confessionalisation de la politique. L’article 51 sur l’organisation de
l’enseignement sous contrôle didactique et administratif du ministère des cultes garantissant un
enseignement laïc dans l’école publique est motivé par les mêmes principes.
D’après le chapitre III, article 23, les cultes ne peuvent avoir de réunions ou d’assemblées
que dans le cadre de leur culte. Quant au chapitre IV, il concerne le problème du patrimoine de
l’Eglise, qui dans la situation actuelle pose de nombreuses difficultés d’analyse dans la mesure
où sa solution nécessiterait une étude approfondie sur la nationalisation et sur la collectivisation
des biens ecclésiastiques depuis 1948. Selon la nouvelle loi, les cultes reconnus ont le statut de
personne juridique et ont le droit d’avoir leurs budgets propres. Mais les cultes jouissent de
subventions importantes de la part de l’Etat, tout en ayant le droit de jouissance de la
contribution des croyants (art. 28-32). L’article 33 prévoit que toute contravention à la loi en ce
qui concerne l’ordre démocratique de la R.P.R. peut provoquer le retrait des subventions
accordées aux cultes par l’Etat. L’article 22 est également intéressant à ce propos : « Les cultes
religieux, avec leurs organisations épiscopales, peuvent avoir un nombre d’éparchies en rapport
avec le nombre global des croyants », parce que, nous dit L. Stan, spécialiste des institutions de
l’Eglise Orthodoxe Roumaine, « ces cultes ont été prévus dans le budget général de l’Etat, avec
123
des subventions importantes
Autrement dit, l’organisation de la répartition du budget est
en fait tributaire des données statistiques et des relevés de population. Ceci pose problème
puisque ces données doivent être prises avec prudence pour l’époque communiste. Ce principe
permettait également de réduire considérablement le nombre d’évêchés catholiques,
« contrairement à la situation d’entre-deux-guerres non équitable ». En outre, alors que les
auteurs orthodoxes mentionnent les subventions de l’Etat pour les cultes, il est extrêmement
difficile de connaître la réalité de cette aide financière. En tous les cas, cela montre qu’il n’y a
pas de séparation entre l’Eglise et l’Etat. Par ce moyen, l’Etat pouvait également exercer un
pouvoir de pression. Les lois assujetissaient l’Eglise par l’obligation, pour tout acte « non
religieux », d’obtenir l’approbation du ministère des cultes.
Stanciu Stoian affirme que si dans la majorité des pays du monde moderne, l’Eglise est
séparée de l’Etat, les cultes dans la R.P.R. figurent dans le budget de l’Etat. Ceux-ci sont des
contribuables de l’Etat et doivent donc être payés au même titre qu’une autre institution de
l’Etat. Mais cela signifie que les cultes, comme tous les contribuables de l’Etat, ne peuvent
avoir une « attitude contraire » à la R.P.R.
D ne s’agit pas ici d’établir une analyse de la Constitution roumaine en matière religieuse.
Mais il importe de souligner que les auteurs orthodoxes ont relayé l’idéologie de l’Etat à tel
point qu’il est impossible de différencier les points de vue officiels, tels que celui du ministre
des cultes de 1948, de ceux des orthodoxes, tant ceux-ci se sont pliés au nouveau régime. Mais
s’il y a convergence entre les deux types de discours, les intentions sont différentes. Pour l’Etat
il s’agissait d’imposer un contrôle absolu sur les Eglises, pour les orthodoxes il fallait parvenir
à englober les nouvelles directives dans la tradition orthodoxe.
Si la Constitution garantissait la liberté de conscience et de culte, les lois concernant
l’activité des cultes soumettait les Eglises au Ministère des cultes. L’exemple du chapitre V qui
prévoit dans son article 38 le libre passage d’un culte à l’autre, moyennant une « simple
198 Stanciu STOIAN, C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la ra R o m â m , o p . c it., p. 34.
199 Ib id ., p. 36.
124
déclaration », est également révélateur de l’absence totale de liberté : un changement de
confession entraîne une procédure administrative officielle.
On peut donc affirmer qu’il n’y a pas de séparation entre l’Eglise et l’Etat, même
institutionnellement. La question reste cependant de voir comment l’Eglise orthodoxe va
légitimer cette adaptation sur le plan dogmatique ; cette question fera l’objet des chapitres sur le
patriotisme et l’ethnicité de l’Eglise. L’Eglise orthodoxe parviendra cependant à légitimer cette
intrusion de l’Etat dans les affaires religieuses par le principe de l’autonomie ecclésiastique.
Un des auteurs les plus intéressants sur le plan de l’histoire institutionnelle de l’Eglise
Orthodoxe Roumaine est sans aucun doute le professeur L. Stan, auteur de très nombreux
articles sur les problèmes institutionnels. Juridiques et canoniques de l’Eglise orthodoxe à
l’époque contemporaine, et représentatif de la période « stalinienne »200
Selon le théologien L. Stan, l’histoire des rapports entre l’Eglise et l’Etat ne concerne
que l’aspect de l’Eglise de société « visible » et non son aspect de « grâce » (a s p e c tu l e i d e
s o c ie ta te v d z u td sJ n u la a s p e c tu l e i h a ric Ÿ '^ ^ . Cependant l’Eglise ne peut être dissociée de la vie
terrestre des croyants et des conditions matérielles. Le Christ existant en dehors du temps a
parlé par les Saintes Ecritures et sa parole {c u v â n tu l S d u )
vaut pour toutes les époques.
Toutefois, l’Eglise ne peut agir que dans sa dimension historique, dans les conditions offertes
200 Liviu S t
an
,
« Relatiile dintre Biserica si Stat. Studiu istorico-juridic », dans O rto d o x ia ,
an. IV, 1952, 3-4, p. 353-461. Cfr. aussi : ID., « Biserica si cuit în Dreptul international »,
dans O rto d o x ia ,
an. VII, 4, 1955, pp. 558-592. Pour les relations Eglise orthodoxe / Etat
socialiste, on ven-a aussi les auteurs orthodoxes récents suivants ; Ion BRIA, A u tre v is a g e d e
R o u m a n ie , o p ; c it. ; \D .,C re d in ta p e c a re o m d rtu ris m , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1987,
3, A u to rita te a p u b lic d c iv ild , pp. 297-301 ; ID., D e s tin u l o rto d o x ie i, Ed. I.B.M.B.O.R.,
Bucuresti, 1989. loan N. FLOCA , D re p t c a n o n ic o rto d o x . L e g is la tie sJ a d m in is tra tie
b is e ric e a s c d , vol 2, Bucuresti, I.B.M.B.O.R., 1990, pp. 279-307. L. P a d
u r ean u
,
« Veac
nou în Biserica ortodoxa romîna », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , 1950, pp. 575-587 ;
Dumitru R a d
u
, în d ru m a ri m is io n a re ,
I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1986, chap. B is e ric a s i
lu m e a , 2 , B is e ric a sJ S ta t, pp. 436-488.
201 Liviu S t
an
, « Relatiile dintre Biserica si Stat. Studiu istorico-juridic », o p . c it., p. 355.
125
par la société. L’Eglise évolue dans ces réalités historiques de la vie humaine en continuelle
transformation, à savoir l’Etat Ainsi, l’Eglise n’a jamais formulé une doctrine sur telle ou telle
époque ni fixé un enseignement sur tel ou tel Etat. Elle n’a aucun « axiome dogmatique » sur
l’Etat, mais suit uniquement des principes qui découlent de la situation donnée. Il s’agit en fait
d’une idée qui restera un des grands principes de l’Eglise, à savoir qu’elle évolue dans l’histoire
à côté de régimes politiques différents sans prendre parti pour un système politique ou un autre.
Ses principes généraux de respect et de participation avec l’Etat restent valides pour tout Etat,
quelle que soit sa nature. L’Eglise est donc une organisation socio-religieuse, basée sur la
croyance religieuse chrétienne. On peut donc étudier l’histoire de cette Eglise, en tant
qu’institution sociale en devenir, et l’histoire de ses rapports avec l’Etat ne peut être envisagée
que sous cet angle.
Dans ce cadre, l’Eglise est également appelée « culte », mot utilisé dans le langage
Juridique de droit public. On comprend dans cette notion de culte les quatre éléments suivants :
« Une profession de foi religieuse, publique, unitaire, précise et stable, et non occulte et
« labile » (p u b lic a , u n ita ra , p ré c is a s i s ta to rn ic a , ia r n u u n a o c u ltà s i la b ila ), un cérémonial
religieux qui se pratique, comme expression de la croyance respective, en mode public, unitaire
et stable, une organisation socio-juridique correspondant à la croyance religieuse et à son
extériorisation cérémoniale, une organisation publique, unitaire et stable, dans laquelle se reflète
la structure intérieure de la société religieuse : les catégories de membres, les dispositions, la
hiérarchie, le groupement dans les unités locales territoriales et centrales des croyants, le
personnel de direction et la forme de direction, et un but religieux, stable, qui la différencie des
autres sociétés, se servant de moyens définis en mode public et précis »^02
Ainsi, grâce à cette spécificité religieuse, cette société ne peut être confondue avec l’Etat,
dans la mesure où les buts de ces deux institutions sont différents. Dans le cas contraire,
l’Eglise serait une institution « parastatale ». Ainsi, aucune institution religieuse ne peut se
202
^ PP
356-357.
126
confondre avec une institution politique de l’Etat, parce qu’il existe une différence de nature, de
but et de moyens.
L’Eglise orthodoxe, ou « culte chrétien orthodoxe oriental », entre dans ces catégories, et
diffère des autres cultes sur le plan doctrinal, cérémonial, des buts chrétiens et des moyens qui
correspondent à sa doctrine. En tant que culte, l’Eglise chrétienne est née après l’Etat. L’Eglise
est née dans le cadre de l’Etat romain, mais non à son initiative. L’Eglise n’est pas une création
de l’Etat, l’Etat n’est pas une création de l’Eglise^®^.
Quant à l’Etat, il se définit de la manière suivante : un territoire délimité, une population
qui vit sur ce teiritoire, et des organes visant à conduire la vie de la population, qui forment
l’appareil de l’Etat. A cela s’ajoute l’ensemble des moyens juridiques, militaires et techniques.
Son apparition est à mettre en rapport avec la structuration de la société en classes, selon la
doctrine marxiste, dans les sociétés esclavagiste, féodale, capitaliste et socialiste. Les origines
de l’Etat sont donc également différentes de celles de l’Eglise.
Apparue dans le cadre de l’Etat et coexistant avec l’Etat, les « tangentes » (ta n g e n te le )
entre la vie religieuse et l’Etat ont été multiples, déterminées essentiellement par les conditions
des régimes sociaux et les intérêts communs aux deux organisations. Les limites entre les deux
domaines d’activités ont été tantôt vagues, tantôt précises, déterminant ainsi la collaboration
entre l’Eglise et l’Etat^O^
Ce sont les transformations de la société qui, dans cette conception, conditionnent les
rapports entre l’Eglise et l’Etat. L’Eglise en tant que « culte » est tributaire des changements et
des transformations continues de la société, alors que ce qui ne change pas dans l’Eglise, c’est
l’enseignement de la croyance. Les principes issus de l’élément divin restent inaltérables, tandis
que ce qui relève de l’homme se transforme, sans affecter l’essentiel. Ainsi, ce sont les
éléments extérieurs à l’Eglise qui transforment celle-ci, dans son organisation et son attitude.
203
204
p.
358.
^ p. 362.
127
L’Eglise ne peut se tenir à l’écart de la vie de l’Etat et rester dans un « traditionalisme
anachronique »205
Sur le plan des principes, il n’existe aucune doctrine, aucun dogme ou article de
croyance, ni à propos de l’Etat, ni sur les rapports entre les deux institutions, que ce soit dans
les Saintes Ecritures, la sainte tradition ou les saints canons. On soulignera ici la nuance
extrêmement importante entre des principes vis-à-vis d’un Etat ou d’un régime politique
déterminé, et des principes vis-à-vis de l’Etat, au sens général du terme. En effet, les auteurs
montrent bien que les saintes écritures n’envisagent pas un type particulier d’Etat, mais
seulement l’autorité que représente l’Etat en général et l’attitude que doivent avoir les croyants
vis-à-vis de cette autorité. C’est pourquoi, alors qu’après la Révolution d’octobre il y a eu des
conflits importants entre l’Eglise et l’Etat en raison d’une séparation « inamicale » {n e
p rie te n e a s c a ), l’Etat socialiste respecte aujourd’hui la croyance et la liberté religieuse. Si l’Etat
est de nature laïque, l’Eglise a adopté une position dogmatique et traditionnelle de loyauté vis-àvis de l’Etat^*^^.
« L’Eglise n’est donc ni une institution publique, ni privée. Elle a une personnalité
juridique et est en fait une institution d’intérêt public
C’est dans le cadre de cette collaboration due aux « tangentes » entre l’Eglise et l’Etat que
l’Eglise Orthodoxe Roumaine a conservé ses principes institutionnels fondamentaux. Ces
principes constituent les trois püiers de la conception ecclésiale de l’Eglise dans le Statut pour
l’Organisation et le Fonctionnement de l’Eglise Orthodoxe Roumaine de 1948 {S ta tu tu lp e n tru
O rg a n iz a re a sJ F u n c tio n a re a B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e Ÿ ^^ : l’autocéphalie {a u to c e fa lie ),
l’autonomie (a u to n o m ie ) et la synodalité (s in o d a lita te ou s o b o m ic ita te )^ ^.
205
p.
363.
206 jh id „
p.
447.
207 Liviu STAN, « Statutul Bisericii ortodoxe romîne », dans S tu d ii T e o lo g ic e , I, 1949, 7-8,
pp. 636-661.
208 Dans la littérature occidentale on verra en plus de la bibliographie déjà citée ; I. DOENS,
« La réforme législative du patriarche Justinien de Roumanie. Sa réforme et sa règle
monastique », dans Iré n ik o n , t. 27, 1954, pp. 51-92 ; Dans la littérature roumaine on verra
128
Par l’article 2 du statut de l’Eglise orthodoxe, l’Eglise est autocéphale, et ce depuis 1885,
indépendante et organisée dans les frontières d’un Etat unitaire^lO. Elle est patriarcale depuis
essentiellement le livre suivant : L e g iu rile B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e s u b in a lt p re a s fm titiil
p a tria rh J u s tin ia n , 1 9 4 8 -1 9 5 3 , Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1953 ; « Statutul pentru organizarea si
functionarea Bisericii Ortodoxe Române », Bucuresti, 1949.« Statutul pentru organizarea si
functionarea Bisericii Ortodoxe Române », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , an. LXVn, n° 12, 1949, pp. 1-48 (suppl). « Statutul pentru organizarea si functionarea Bisericii Ortodoxe
Române », dans T e le g ra fid R o m â n , o rg a n m tio n a l b is e ric e s c, in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l
1949, 18-19, p. 1. Les études de Liviu S t
A n d re iu S a g u n a ,
an
, « Legea cultelor », dans S tu d ii
T e o lo g ic e , 1949, 9-10, pp. 838-871 ; ID., « Statutul Bisericii ortodoxe romîne », dans S tu d ii
T e o lo g ic e ,
I, 1949, 7-8, pp. 636-661 ; ID., « Legislatia bisericeasca a I.P.S. Patriarh
Justinian », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , LXXI, 1953, f. 5-6, pp. 503-516 ; ID.,
« Legislatia Bisericii ortodoxe române în timpul arhipastoriii prea fericitului parinte patriarh
Justinian », dans O rto d o x ia , XX, 1968, pp. 276-296 ; lorgu IVAN, « Legiuirile Bisericii
Ortodoxe Romîne sub Inalt Prea Sfîntul Patriarh Justinian », dans B is e ric a o rto d o x a R o m â n d ,
1954, f. 1, pp. 88-110 ; ID., « Regulamentul pentru organizarea vietii monahale », dans
B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , 1953, pp. 1159-1185 ; ID., « Statutele de organizare ale cultelor
religioase din Republica populara româna », dans S tu d ii T e o lo g ic e , IV, 1952, pp.216-240 ;
1.1. I v a n , « Organizarea si administrarea Bisericii ortodoxe române în ultimi 50 de ani, 19251975 », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , XCIII, 1975, pp. 1406-1420 ; G. SOARE ,
« Temeiuri canonice pentim prerogativele patriarhului înscrise în Statutul Bisericii Ortodoxe
Romîne », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , 1949, pp. 6-15 ; G.I. SOARE, « Insemnari asupra
noului Statut de organizare al Bisericii Ortodoxe Române », dans G la s u l B is e ric ii, 5-6, 1949,
pp. 65-73 ; ID., « Legislatia bisericeasca sub I.P.S. Justinian », dans B is e ric a O rto d o x a
R o m â n a , n°3-5, 1951, pp. 173-204 ; I. G a g
iu
,
« Importante hotarîri luate de Sfîntul Sinod în
sesiunea din iunie 1952 », dans B is e ric a O rto d o x d R o m â n d , 1952, pp. 609-619. On verra
également les études sur des aspects particuliers, comme surtout ; Liviu STAN, « Despre
autonomia bisericeasca », dans S tu d ii T e o lo g ic e , X, 1958, 5-6, pp. 376-393 ; ID., « Despre
sinodalitate », dans S tu d ii T e o lo g ic e , XXI, 1969, 3-4, pp. 155-163 ; ID., « Jus ecclesisticum
dreptul în viata bisericii », dans S tu d ii T e o lo g ic e , 12, 1960, 7-8, pp. 467-483 ; ID., « Pozitia
laicilor în biserica ortodoxa », dans S tu d ii T e o lo g ic e , XX, 1968, 3-4, pp. 195-203 ; ID.,
« Problème de ecclesiologie », dans S tu d ii T e o lo g ice , an VI, 1954, f. 5-6, pp. 295-315.
209 Cgs trois principes ne seront qu’évoqués ici tant ils reviendront de manière récurrente
dans ce travail.
210 Liviu S t
an
,
« Obîrsia autocefaliei si autonomiei - Teze noi » dans M itro p o lia O lte n ie i,
XIII, 1961, 1-4, pp. 80-113.
129
1925^^^ L’autocéphalie s’inscrit dans le cadre de la conception nationale de l’Eglise. C’est ce
qui constitue la grande différence ecclésiale entre l’orthodoxie et le
catholicisme212
Ce sera le
fondement du nationalisme de l’Eglise orthodoxe sous Ceausescu.
Par l’article 3, l’Eglise orthodoxe est autonome par rapport à l’Etat. Il s’agit donc d’une
indépendance juridique et d’une capactité de légiférer seule, en raison de la nature propre de
l’Eglise. Le contrôle de l’Etat ne peut donc se faire qu’à propos des manifestations externes de
l’Eglise, et non sur ses manifestations internes, de nature
sp iritu e lle ^i^
Le l’autonomie qui
garantit la séparation « canonique » de l’Eglise et de l’Etat, basée sur le principe sagunien du
XIXe siècle214^ garantit en théorie la séparation du politique et du religieux. Ce principe
figurait dans les statuts de l’Eglise orthodoxe en 1925 et est révélateur de la complémentarité et
de l’indépendance des pouvoirs civils et religieux. Cette séparation est due aux attributions
différentes qui incombent aux deux institutions, les matières religieuses et sociales,
économiques, mais elle ne peut contrecarrer la collaboration entre les deux pouvoirs. Le
contrôle de l’Etat est intégré dans l’autonomie si ce contrôle se fait pour des matières qui le
concernent, c’est à dire les « manifestations extérieures » de l’Eglise^^^ Comme le dit Keith
Hitchins, déjà Saguna, lorsqu’il établit le statut de l’autonomie de l’Eglise orthodoxe de
211 Erich C. SUTTNER, « 50 Jahre rumânisches Patriarchat. Seine Geschichte und die
Entwicklung seines Kirchenrechts », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 24, 1975, 2-3, 136-175 ; t.
25, 1976, f. 2-3, 105-137.
212 On verra en plus de la bibliographie déjà citée : Erich Chr. SUTTNER, « Zur
ekklesiologischen Bewertung der Autokephalie in der Rumànischen Orthodoxie », dans
O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 30, 1981, 3-4, 255-282.
213 Constantin I^IRVU, « Autocefalia Bisericii ortodoxe romîne », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser.
Il-lea, an. VI, 1954, f. 9-10, pp. 511-529.
214 Keith HITCHINS, O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu S a g u n a a n d th e R u m a n ia n s o f
T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , o p . c it., pp. 224-247.
215 Constantin BiRVU, « Autocefalia... », o p . c it., pp. 512-513.
130
Transylvanie au XIXe siècle, s’inspirait des Saintes Ecritures pour établir une bonne
collaboration entre l’Eglise et l’Etat^^^.
On notera toute l’ambiguïté de la notion d’autonomie dans une citation de I. Bria.
« Certes, dans le passage d’une situation de “ symphonie ” plus ou moins constantinienne à une
situation de séparation institutionnelle et idéologique sont apparus des problèmes pai'ticuliers
ainsi que des problèmes communs à toutes les Eglises qui vivent dans un monde en voie de
sécularisation de plus en plus profonde : reprise d’un nouveau départ dans la continuité de la
tradition ; le rapport explicite et implicite avec l’Etat
L’autonomie n’est donc pas un « isolement
de l’Eglise par rapport à l’Etat. L’Eglise
jouissant de la rétribution de l’Etat « conserve encore des traces d’une époque
“ constantinienne ”
Par le troisième principe compris dans l’article 3, l’Eglise est fondée sur la synodalité.
C’est
le principe du fonctionnement démocratique d’auto-gouvemement de l’Eglise,
s’opposant fondamentalement au « Führersystem »220^ comme le disent les auteurs à propos de
l’Eglise catholique. Il s’agit d’un « Constitutionalisme démocratique ecclésiastique »221. La
synodalité ou « sobornicité » seront les points fondamentaux de l’argumentation du
nationalisme et de rintemationalisme 222
Il est intéressant de noter l’analogie dans la terminologie entre les institutions de l’Etat et
celles de l’Eglise. Le centralisme institutionnel opéré par Justinian Marina devait permettre une
restructuration des institutions conformes aux exigences de l’Etat communiste.
216 Keith HITCHINS, O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu S a g u n a a n d th e R iim a n ia n s o f
T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , o p . c it.,
217
b r ia
p. 227.
. Ion, A u tre v is a g e d e R o u m a n ie , o p . c it.,
p. 27.
218 Ib id .
219 Ib id .
220 Liviu STAN, « Statutul Bisericii ortodoxe romîne », o p . c it., p. 644.
221 Ib id .
222 cfr. aussi
V. Ion P a r
a
S C H IV ,
« Sobornicitatea (catolocitatea) Bisericii, problemâ
centrala în teologia contemporana », dans M itro p o lia O lte n ie i, XXn, 3-4, 1970, pp. 245-256.
131
CONCLUSION
1. L é g itim a tio n d e la lé g is la tio n d e V E ta t e n m a tiè re
re lig ie u s e : le n o m o c a n o n is m e ftraditia praviinica)
Les auteurs justifient l’intrusion de l’Etat communiste dans la législation religieuse par la
tradition nomocanonique byzantine, à savoir la législation impériale en matière religieuse223.
« Les lois de l’Eglise, la tradition canonique de l’Eglise s’inscrivent dans le temporel,
dans la vie profane ou laïque des Etats. L’osmose entre les lois juridiques de l’Eglise et celles
de la société civile apparaît comme un processus naturel »224
223 cfr. surtout Liviu STAN, « Traditia praviinica a bisericii, însemnatatea si folosul
cunoasterii legilor dupa care se conduce biserica », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XII,
I960, 5-6, pp. 339-368.
224
p. 340.
132
D’après les auteurs, cette évolution s’inscrit dans les suites de l’Edit de Milan de
Constantin en 313.
« A partir de ce moment les lois de l’Etat furent édictées en osmose avec
celles de l’Eglise et ce processus s’est accentué avec le second Concüe œcuménique de 380 qui
proclama le christianisme religion d’Etat. A paitir de ce moment le pouvoir de l’Etat trouva une
base légale pour légiférer en matière ecclésiastique »225.
Les deux premiers codes qui légiféraient en la matière furent le C o d e x T h e o d o s ia n u s et le
C o rp u s J u ris C iv ilis de Justinien. Cette époque vit l’origine des lois nomocanoniques, c’est-à-
dire des lois (canons) ecclésiastiques unies avec les lois de l’Etat
(nom ai)226
Cet aspect est intéressant dans la mesure où l’auteur établit une continuité entre la situation
sous Justinien et l’époque actuelle. Cette tradition nomocanonique est restée « ininterrompue
jusqu’à aujourd’hui et s’est imposée comme un régime orthodoxe authentique en ce qui
concerne son organisation et sa direction »227 Aujourd’hui, c’est la raison pour laquelle
l’Eglise doit respecter les lois de l’Etat en ce qui concerne les matières religieuses. C’est une
tradition romano-byzantine qui s’est perdue en Occident228.
« Dans l’Eglise orthodoxe, cette tradition nomocanonique, restée à la base de l’attitude de
l’Eglise face aux lois de l’Etat en général et à celles qui concernent les devoirs religieux, a
connu de nombreux changements d’ordre matériel, mais pas dans son contenu fondamental.
Ces changements, liés au développement de la société, au caractère de l’Etat et aux conditions
objectives, ne font que confirmer la stabilité et la validité essentielle de la tradition
nomocanonique »229
« Les lois de l’Etat en matières ecclésiastiques déterminent aujourd’hui essentiellement le
contenu juridique laïc de la tradition nomocanonique (p ra v iln ic d ) de notre Eglise »230 n y a un
effort de symétrie entre les lois de l’Etat et les lois ecclésiastiques. Le principe nomocanonique
Ib id .
226 iijid .
227
p.
343.
229 ijy id .,
p.
344.
jjy id .,
p.
348.
J ijid .,
228 J ijid .
230
133
allie l’autonomie de l’Eglise avec la souveraineté de l’Etat. Le principe de territorialité découle
du principe nomocanonique, du parallélisme entre territorialité administrative ecclésiastique et
administration de l’Etat. Depuis 1948, la connaissance de cette tradition implique un devoir
pour les citoyens ( o în d a to rire c e tà te n e a s c a ) à respecter les lois de l’Etat231.
Depuis l’accession au trône patriarcal de Justinian Marina en 1948, l’Eglise Orthodoxe
Roumaine a fait connaître par l’Apostolat social les devoirs juridiques des fidèles imposés par
l’Etat232.
Il est donc intéressant de constater que les auteurs tentent de légitimer le régime
communiste en le plaçant dans la continuité historique roumaine, mais aussi orientale
orthodoxe. En d’autres termes, l’attitude de l’Eglise orthodoxe depuis 1948 doit s’inscrire dans
la perspective de la tradition législative byzantine, constantinienne et justinienne.
Il faut également souligner que l’Eglise inscrit cette tradition dans l’histoire roumaine,
créant une continuité entre le nomocanonisme et les p ra v ila , c’est-à-dire les codes législatifs
roumains, selon la terminologie slavonne^^^
Il faut donc remarquer que l’Apostolat social et le cadre législatif du nouvel Etat
communiste sont intégrés, dans la littérature, dans la tradition orthodoxe et byzantine. Cet
231 Ib id ., p. 347.
232 Ib id .,
p.
348.
233 Pour l’histoire institutionnelle de l’Eglise, on verra aussi : E. COPACIANU, « Biserica
ortodoxa Româna în vremea lui Ion Cuza », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, XIII, 1973, pp. 223230 ; C. DRAGUSIN, « Legile bisericesti ale lui Cuza Voda si lupta pentru canonicitate », dans
S tu d ii T e o lo g ic e ,
ser. Il-lea, IX, 1957, 1-2, pp. 86-103 ; Sever BUZAN, « Regulamentele
organice si insemnatatea lor pentru desvoltarea organizatiei bisericii ortodoxe romîne », Ib id .,
VIII, 1956, 5-6, pp. 363-375 ; Adrian N. POPESCU, « Situatia crestinilor ortodocsi în imperiul
otoman în secolul XIX », Ib id ., VII, 1955, 7-8, pp. 454-468 ; Liviu STAN , « Jus
ecclesiasticum. Dreptul în viata Bisericii », Ib id ., XII, 1960, 7-8, pp. 467-483 ; B. FLORIN,
« Contributii la dezvoltarea dreptului bisericesc romîn în veacul XX », Ib id ., XI, , 1959, 910, pp. 556-574.
134
aspect est révélateur de la volonté des orthodoxes de placer l’Apostolat social dans le cadre de la
Tradition et du Renouveau, afin de le légitimer comme une nouvelle orientation de l’Eglise.
135
2. L é g itim a tio n d e V a d a p ta tio n d e la tra d itio n p a r le
« p rin c ip e d *é c o n o m ie » fprincipiul iconomiei)
Si on constate que l’Eglise orthodoxe a développé une théorie, l’Apostolat social, qui
devait dicter sa position depuis 1948 jusqu’à la fin du régime, on s’interrogera aussi sur les
motivations profondes de la légitimation de cette « adaptation » au monde contemporain
caractérisé par les « nouvelles opportunités offertes par l’acte révolutionnaire du 23 août
1944 ».
Autrement dit, cet opportunisme était-il simplement un opportunisme visant à sauvegarder
les intérêts de l’Eglise et de sa hiérarchie - selon un réflexe commun et compréhensible sous une
dictature -, ou existe-t-il une légitimation plus fondamentale en plus de toute la question du
patriotisme et du caractère national et ethnique de l’Eglise ?
I. Bria dans un de ces derniers livres, D e s tin a i O rto d o x ie i, évoque le principe de
l’économie, (p rin c ip iu l ic o n o m ie i, ic o n o m ia O rto d o x ie i), à propos du rapport entre tradition et
innovation {tra d itie sJ în n o ire )^ ^^ . « L’innovation n’est pas un simple problème théorique. Pour
interpréter et évaluer l’expérience actuelle du Christ, les catégories laissées par les siècles passés
ne sont pas suffisantes. Si l’Eglise a une structure immuable, elle s’adapte au monde. Si les
canons de l’Eglise restent immuables, leur interprétation peut
234 jQn B r
235
ia
p.
, D e s tin a i o rto d o x ie i, o p . c it., pp.
356.
136
355-360.
évoluer^35
C’est dans ce
contexte que l’auteur évoque la pensée sociale et l’éthique sociale orthodoxe : « les options
sociales et politiques que les orthodoxes ont préférées depuis la seconde guerre mondiale, non
seulement dans le cadre de 1 ’“ économie politique ”, mais aussi dans le mode de fonctionnement
et d’organisation de la société, ainsi que les nouvelles exigences missionnaires et pastorales de
l’Eglise en dehors de la “ symphonie ” byzantine habituelle (...)• Les Eglises orthodoxes vivent
aujourd’hui dans un contexte social et des systèmes politiques dans lesquels la “ symphonie ”
est soit appliquée, soit tolérée, soit contestée. Les Eglises orthodoxes sont aujourd’hui
soumises à de plus grandes exigences : elles doivent se prononcer, dans leur totalité, pour des
problèmes communs, la paix, le racisme, la violence, l’armement nucléaire, la justice
économique et sociale. Elles ne doivent pas inventer un message social, mais l’établir sur
l’expérience réelle, historique de tous leurs croyants ; le passage de la coexistence
“ symphonique ” du modèle “ constantinien ”, byzantin, au témoignage prophétique ne peut
attendre ni être imposé. Sans imposer une doctrine sociale immuable, l’Orthodoxie va devoir
encourager la liberté de chaque Eglise locale à trouver un modus vivendi, dans l’esprit de
l’Evangile, qui doit lui donner la possibilité d’être “ dans le monde, pas du monde, mais pour le
monde ”. La symphonie de jadis, de type byzantin, est partout en continuelle évolution et
renouvellement. Il appartient à chaque peuple orthodoxe le droit et la faculté de choisir les
chemins et les moyens de cette symphonie (...). L’attitude sociale et politique de l’Orthodoxie
se base sur l’amour et le service évangélique et pas sur la contestation et la lutte contre le
pouvoir »236
Le principe d’économie orthodoxe est donc fondamental pour la possibilité de l’Eglise
orthodoxe d’adapter sa symphonie byzantine en fonction des circonstances historiques. Les
notions d’ordre et d’économie sont fondamentales dans la gestion des rapports Eglise / Etat à
Byzance237. La notion d’ordre relève d’une origine politique et sociale, celle de l’économie est
236
p. 357.
237 On verra principalement : Hélène AHRWEILER, o p . c il, L e s p rin c ip e s fo n d a m e n ta u x d e la
p e n s é e p o litiq u e à B y z a n c e , I, O rd re (T a x is ) e t é c o n o m ie (O ik o n o m ia ) e t le u rs ra p p o rts a v e c
l’a u to rité te m p o re lle e t s p iritu e lle , pp. 129-147.
137
d’origine intellectuelle et spirituelle. Ces notions, comme celles des autorités temporelles et
spirituelles, sont complémentaires et interdépendantes. L’économie est le principe qui régit
l’action dans le monde, c’est à dire que par économie, p rin ic o n o m ia , l’Eglise s’adapte au
monde. Par économie, elle s’adapte progressivement à des réalités nouvelles, sans jamais abolir
brusquement les réalités passées. C’est l’adaptation au présent sans pour autant rompre avec la
tradition238
L’économie permet ainsi pour I. Bria d’adapter la symphonie byzantine tout en
restant ancré dans la tradition. C’est dans ce cadre que doit se comprendre cette « dialectique »
fondamentale de la tradition et du renouveau.
La recherche de stabilité et le refus systématique de l’« anarchie sociale », à la base du
patriotisme, doivent également être compris dans ce sens. Le pouvoir civil est voulu par Dieu, il
ne peut donc souffrir d’instabilité^^^.
Pour I. Bria, la « polyphonie » orthodoxe s’inscrit également dans le cadre de
l’économie. Il s’agit de la conciliarité, synodalité pan-orthodoxe, seule dépositaire de
l’infaillibilité e x c o n s e n s u e c c le s ia e . C’est une des divergences de vue fondamentale avec
l’Eglise catholique, pour laquelle l’infaillibilité ne réside dans les mains que d’une seule
personne, le pape^'^O.
En réalité, comme le dit T. M. Popescu, l’Eglise s’inscrit dans la traditionnel, à savoir la
continuation par l’institution ecclésiale de la parole de Dieu, transmise par le Christ, les Pères de
l’Eglise, et perpétuée par l’Eglise au travers des siècles. Pour garantir cette pérennité et la parole
divine incarnée dans le Christ, il s’agit de perpétuer la « Tradition » par la succession
apostolique^^n
238
p.
Par économie, affirme N. Streza, l’Eglise est capable de déclarer ce qui est
142.
239 cfi* la seconde partie sur les fondements évangéliques du patriotisme
240 (;;fr la quatrième partie surtout.
241 VASILE (évêque d’Oradea), « Le caractère de la Tradition dans l’Orthodoxie », dans
M itro p o lia A rd e a lu lu i, XVII, 1972, 9-10, pp. 708-715.
242 isidor TODORAN , « Principiul iconomiei din punct de vedere dogmatic », dans S tu d ii
T e o lo g ic e , VII, 1955, 3-4, pp. 142-143. On verra L a T ra d itio n . L a p e n s é e o rth o d o x e (Travaux
de l’Institut de Théologie Onhodoxe Saint-Serge, n°XVlI / 5), Ed. L’Age d’Homme, 1992.
138
confomie et ce qui ne l’est pas afin d’assurer la pérennité de l’institution par le renouveau243
Comme le dit D. Staniloae, considéré comme le plus grand théologien orthodoxe roumain,
après la chute du régime communiste : « on oublie le fait que ces éloges (au régime
communiste), prononcés mais non pensés, étaient exprimés en vertu de la certitude que de cela
dépendait l’activité de l’Eglise tout entière dont ils (les hiérarques) sont en premier lieu
responsables. On oublie qu’en général l’Eglise, au prix de ces rares et brèves paroles
d’hommage, a pu continuer au long de toutes ces 45 années son œuvre liturgique et spirituelle,
comme n’ont pas pu le faire les Eglises de Bulgarie, d’Albanie et en quelque mesure même en
Yougoslavie. Le peuple roumain a pu ainsi garder, par son Eglise, la continuité fondamentale
de sa spiritualité...»244
Dans les faits, ce principe d’économie consiste en la faculté d’adaptation de l’Eglise au
monde dans lequel elle évolue.
On peut affirmer que tout le discours de l’Eglise relatif à l’Apostolat social est empreint de
cette complémentarité entre tradition et renouveau et est une application du principe d’économie.
Toute contestation est donc un élément perturbateur de cette « stabilité »245 On verra qu’après
1989, 1. Bria qualifiera la symphonie sous le communisme par l’expression : « symphonie
déséquilibrée ». De la part de l’Eglise il y a une volonté d’adaptation, de la collaboration
traditionnelle dans l’esprit de l’« harmonie », de la part de l’Etat il s’agissait d’une domination
de l’Etat, d’un césaropapisme.
243 cfr. aussi : Nicolae STREZA, « Identitate si înnoire în traditia ortodoxâ », dans
O rto d o x ia , XXIX, 1977, 2, pp. 258-265.
244 Dumitru STANILOAE, « Témoignages : La persécution de l’Eglise orthodoxe roumaine
sous le régime communiste », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., n°l,
1990, pp. 8-11.
245 isidor TODORAN , « Principiul iconomiei din punct de vedere dogmatic », o p . c it., pp.
139-149 ; Chesarie G h E O R G H E S C U , « Despre iconomia divina si cea bisericeasca în teologia
ortodoxâ », dans G la s u l B is e ric ii, XXXV, 9-12, 1976, pp. 891-901.
139
3. U A p o s to la t s o c ia l : u n e « in fé o d a tio n » d e V E g lis e
p a r V E ta t
Ce qui frappe avant tout dans le discours de l’Eglise orthodoxe, c’est la dichotomie entre
son idéologie et la réalité. Présentant l’Etat roumain comme l’aboutissement de l’histoire
roumaine qui a créé les conditions maximales pour la pleine liberté de conscience et l’égalité de
tous les citoyens grâce à une Constitution et à des statuts supérieurs à toutes les époques
antérieures, l’Eglise orthodoxe s’est faite le pone parole de la propagande communiste.
A propos de la question uniate, le gouvernement communiste, qui a imposé son
éradication, a pu compter sur le soutien orthodoxe^^^. En faisant l’apologie de l’Epoque d’or
246 « Calvarul Bisericii Unité », dans B is e ric a R o m â n à U n itâ , Madrid, 1952 ; J. GOIA, « La
création d’un “ comité de salut de l’Eglise roumaine unie ” », dans Is tin a , t. 23, 1978, 2-3,
Paris, pp. 328-336 ; S. GROSSU, T h e C h u rch in to d a y ’s C a ta c o m b s , New Rochelle, NY
Arlington House Publishers, 1975 ; L ’E g lis e ro u m a in e u n ie : 1 0 a n s d e p e rs é c u tio n , Ed. du
Cèdre, Paris, 1958 ;
« L’Eglise roumaine unie : 30 ans de persécution (1946-1975) », dans
C h ré tie n s d e l ’E s t, n° 8, 1975 ;
LE COMITE DE SAUVETAGE DE L’EGLISE CATHOLIQUE
ROUMAINE, « Appel du “ Comité de sauvetage de l’Eglise catholique roumaine de rite oriental
”
à la conférence de Belgrade », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , n° 1736, 60e an., t. 75,
f. 4, févr. 1978 ; L ib e rté re lig ie u s e e t d é fe n se d e s d ro its d e l’h o m m e , IV , e n U R S S e t e n
R o u m a n ie
(Centre d’Etudes Istina), 23, f. 2-3, Paris, 1978 ; I. RATIU, « The communist
attack on the catholic and orthodox cherches in Remania », dans T h e E a s te rn C h u rc h e s
Q u a rte rly , Londres, vol. 8, n°3 juillet-sept. 1949, pp. 163-197 ; UN GROUPE DE CHRETIENS
140
de Ceau^scu elle a glorifié sa politique et ses réalisations, comme les camps de concentration
du Canal Danube / Mer noire^^?
L’adaptation du clergé aux nouvelles conditions se traduisit par la répression des prêtres
réfractaires. Les cours de « recyclage » pour la théologie vivante et utile n’étaient en fait que
des cours de marxisme donnés dans les instituts théologiques. La littérature orthodoxe n’en
parle jamais, pas plus qu’elle ne parle de soumission au communisme, mais toujours à l’Etat ou
aux « nouvelles conditions sociales » auxquelles il fallait se plier^^S
La littérature orthodoxe qui fait une apologie du régime communiste passe sous silence de
nombreux problèmes qui ont été déterminants pour l’histoire des religions en Roumanie. On
citera deux exemples, le monachisme et la « translation » des Eglises.
Dans les instituts de théologie, on donnait des cours de marxisme, appelés « formation de
recyclage »249
DE
l
’E g
l is e u n ie
C a th o liq u e ,
transforma les monastères en « véritables coopératives artisanales »250
,
« L’appel au secours des chrétiens de Roumanie », dans Lm D o c u m e n ta tio n
n°1779, 62e a., t. 77, f. 3, fév. 1980, pp. 147-148.
247 TEOCTIST, « Rodiri îmbelsugate », dans P e tre p te le s lu jirii c re s tin e , vol. 3, Ed.
I.B.M.B.O.R., 1989, p. 100. On verra à propos de ce canal, outre les témoignages des
persécutions à l’époque communiste : W. TOMCZAK, « La Roumanie vient d’inaugurer le canal
Danube / mer Noire (Cernavoda / Constantza) », dans R e v u e d e la n a v ig a tio n flu v ia le
e u ro p é e n n e , p o rts e t in d u s trie s ( aménagement du territoire de Strasbourg), 13, 1984, pp. 391-
395.
24^ On verra notamment Le moine lOASAF, « Témoignages : Sacrifices chrétiens au temps du
régime communiste », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., 1991, 3-4,
pp. 12-13.
249 cfr pour la formation des prêtres sous le régime communiste : Flaviu POPAN, « Der
Priester in der orthodoxen Kirche Rumâniens », dans S tim m e n d e r Z e it, t. 167, 1961, f. 4, pp.
272-287.
250 Pour le monachisme en Roumanie on verra essentiellement outre le « Regulamentul
pentru organizarea vietii monahale », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , 1960, 1-2. pp. 11591185 ; J. FLOREA, « Organizarea muncii în mînastiri. Cooperativele mestesugaresti », dans
G la s u l B is e ric ii, 1952, 8-10, pp. 230-256.1. D U M IT R IU -S n
a
GOV,
« EU. Vita monastica e p. in
un paese socialista : la Romania », dans d iz io n a rio d e g li is titu ti d i p e rfe z io n e , dir. G.
PELLICCIA et G. ROCCA, vol. 7, Rome, 1983, col. 365-367 ; Sr Eileen MARY, « Orthodox
141
faisant des moines des ouvriers, afin, comme le dit I. Goïa, « d’empêcher le développement
d’une pensée religieuse, indésirable, et exploiter ces masses humaines au profit de la prospérité
socialiste »251. Le monachisme roumain occupe une place très importante dans l’histoire de la
spiritualité roumaine, notamment comme lieu de traduction en roumain des livres slavons. La
Bucovine, célèbre pour ses monuments appartenant au patrimoine mondial protégé par
rUNESCO, est un lieu particulièrement
im portant252.
Le monachisme roumain incarnait donc
ainsi par excellence le principe de l’Apostolat social, puisque les moines contemplatifs avaient
dû se transformer en travailleurs pour la cause du nouveau régime social.
Quant à la destruction des églises médiévales de Bucarest, opérée pour la construction de
la nouvelle ville autour de la Maison du Peuple et du Boulevard de l’Edification du
Socialisme253^ elle fut considérée comme une œuvre de « restauration, de conservation et de
mise en valeur » dans « le cadre du programme de systématisation pour la réalisation d’un
nouvel ordre civique »254 Le déplacement à Bucarest des édifices religieux tels que le Palais
du Saint-Synode, la bibliothèque patriarcale, se fit lors des « cérémonies » de la « translation »
Monasticism in Romania Today », dans R e lig io n in C o m m u n is t L a n d s , 8, n° 1, 1980, pp. 2227.
251 Ion GOIA, « L’Orthodoxie roumaine et le mouvement oecuménique, Attitudes récentes »,
dans Is tin a , 1957, n°l, p. 58.
252 On verra notamment : Ernst Christoph SUTTNER, « Kloster Neamt als Vermittler
byzantinischer Literatur an der Wende vom 18 zum 19 Jahrundert », dans O s tk irc h e lic h e
S tu d ie n , t. 23, 1974, 2-4, pp. 311-317. On verra aussi Antonie PLAMADEALA, « L’obéissance
dans la Tradition orthodoxe, hier et aujourd’hui », dans V ie C o n s a c ré e (Heverlee), XLFV, n.
4, 1972, pp. 193-214.
253 ofj- surtout : Dinu C. GlURESCU, T/te ra z in g o f R o m a n ia ’s p a s t (International
préservation report), A project of the Kress Foundation Préservation Program of the World
Monuments Fund (New York), Washington, United States Committee International Council on
Monuments and Sites (US/ICOMOS), 1989.
254 cfr. par ex. B is e ric a O rto d o x a R o m â n d . M o n o g ra fie -A lb u m , Ed. I.B.M.B.O.R.,
Bucuresti, 1987, pp. 347-364.
142
de l’édifice de culte^^S Le fait de cette destruction et de la « translation » des Eglises, anihilant
toute la valeur historique archéologique des édifices, est certainement l’exemple le plus
marquant de la soumission de l’Eglise sous le totalitarisme des années quatre-vingt, et du
langage apologétique de l’Eglise sur l’aide de l’Etat dans les affaires religieuses.
L’Eglise orthodoxe doit donc être une institution fidèle, « servante », (o B is e ric a
s lu jito a re Ÿ '^ ^, dans le cadre de
la « Tradition » orthodoxe et de la doctrine « sociale » de
l’Eglise, l ’A p o s to la t S o c ia l, développé par le patriarche Justinian Marina. Les thèmes du
patriotisme et de la nation constituent la justification principale des rapports de collaboration et
de soumission de l’Eglise à l’Etat communiste. Il reste néanmoins qu’il faudrait analyser
l’ensemble de la problématique, approfondir la question théologique de V ic o n o m ia orthodoxe,
fondamentale pour la perpétuation de la succession apostolique et l’adaptation de l’Eglise en tant
que prolongation de la volonté de Dieu^^^.
En tous les cas, l’Eglise allait devenir l’instrument servile de l’Etat afin de relayer sa
propagande et sa politique^^S. Comme le dit I. Doens, le clergé devint dans certains cas « une
gendarmerie spirituelle au service du régime »259 Comme l’a dit Petru Groza en 1948,
« L’Eglise est une institution constamment bénéfique pour la vie de la nation. Elle participe de
255 cfr par ex. « Monuments ecclésiastiques. L’Eglise “ Michel-Voivode ” de Bucarest »,
dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s, XVe an., 1985, 3-4, pp. 102-105.
256 Antonie PLAMADEALA, « Biserica Slujitoare. în sfinta scriptura, în sfînta traditie si în
teologia contemporana », o p . c it. ; cfr. plus particulièrement pp. 598-601. Cfr. aussi Grigoras
AUREL, « Biserica slujitoare », dans O rto d o x ia , XVIII, n° 2, 1966, pp. 222-245.
257 isidor TODORAN, « Principiul iconomiei din punct de vedere dogmatic », o p . c it., pp.
139-149, cfr. p. 148 ; Cfr. Ion BRIA, D e s tin a i o rto d o x ie i, o p . c it., pp. 355-360.
258 On soulignera en plus du relais de l’idéologie officielle et des « hommages » au régime
communiste, les articles concernant la prospérité de la patrie socialiste ; Mihai H a u ,
« Minunatele perspective ale anului 1985 », dans G la s u l B is e ric ii, XLIV, 1-2, 1985, pp. 2326.
259 I DOENS, « La réforme législative du patriarche Justinien de Roumanie. Sa réforme et sa
règle monastique », dans Iré n ik o n , t. 27, 1954, p. 91.
143
l’Etat et, en tant que telle, elle cherche à demeurer en synchronisme avec l’esprit de
l’époque »260
Nous verrons que les fondements du patriotisme visent à démontrer l’obligation du
croyant à respecter l’Etat, quelle que soit la nature du régime politique. Evoquant l’époque
« post-constantinienne », I. Bria affirme : « il y a, bien entendu, un désaccord fondamental
entre l’Eglise et l’Etat dans la façon d’envisager le principe de la vie religieuse. Mais en dépit de
cette tension idéologique il n’existe pas de tension politique. On pourrait expliquer cela par le
fait que l’Etat, en admettant l’autonomie du domaine religieux, a reconnu l’intégration culturelle
de l’Eglise comme une réalité historique irréfutable. L’Eglise, de son côté, a compris que
l’intérêt de la société socialiste pour l’homme dans son contexte historique et pour les structures
qui garantissent la justice et la liberté sociale, sont légitimes également du point de vue chrétien.
L’Eglise a admis qu’il lui fallait renoncer à un faux triomphalisme et l’Etat a assuré la défense
de la liberté de la foi chrétienne, qui a modelé la culture roumaine traditionnelle »^^L
Cité par Trevor BEESON, P ru d e n c e e t c o u ra g e ..., o p . c it., p. 287.
Ion B r
ia
,
Awrre v is a g e d e R o u m a n ie ..., o p . c it.,
pp. 27-28. A propos du désaccord
« idéologique » entre l’Eglise et l’Etat, on notera que la littérature anti-religieuse de l’Etat
n’attaque pas l’Eglise orthodoxe, mais la « religion », comme le montre l’exemple de
l’ouvrage suivant : Em. lAROSLAVSKI, B ib lia p e n tru c re d in c io s i sJ n e c re d in c io s i, Ed. Politica,
Bucuresti, 1960.
144
SECONDE PARTIE
EGLISE ORTHODOXE ET
« PATRIOTISME »
SOUMISSION DE L’ORTHODOXIE
A L’ETAT
L E G IT IM A T IO N D E L A
C O L L A B O R A T IO N D E
L ^ E G L IS E A V E C L A N O U V E L L E
D E M O C R A T IE P O P U L A IR E D E R O U M A N IE
145
Hunedoara («na s a fie ), et Vlad Tepes (T ra n s y lv a n ia e t T a ra ro m â n e a s c a , o s in g u ra ta ra ). C’est
l’époque glorieuse de Stefan cel Mare (Etienne le Grand). C’était la grande idée (m a re id e e a ) de
l’unité et de la solidarité des pays roumains
Ainsi il est révélateur que les auteurs utilisent, à l’instar des autres pays balkaniques, cette
expression « grande idée », expression qui était le fondement du nationalisme grec orthodoxe,
comme principe fondateur de l’unité et de la conscience nationale roumaine, appliqué au XVe
siècle. Il faut aussi noter l’expression u n a sa fie , utilisée ici à propos de l’unité des principautés,
et qui sera invoquée également pour l’unité de l’orthodoxie roumaine, en faisant référence à
I. Co. XII, 13 (C à to ti s a fie u n a ). Ce précepte fut utilisé à propos du contentieux avec les
gréco-catholiques, l’Eglise catholique roumaine de rite byzantin de Transylvanie, pour montrer
la nécessité de l’unité de l’orthodoxie orientale roumaine. D n’est pas innocent que l’on utilise la
formulation u n a s a fie , « qu’elle soit une », à propos de l’unité des trois « sœurs » et de
l’orthodoxie roumaine^^^.
L’époque de Michel le Brave (M ih a i V ite a z u l), créateur de l’unification politique des pays
roumains, est l’étape clef de l’édification de l’Etat unitaire^^^. C’est la première fois dans
l’histoire féodale que les trois principautés, la Moldavie, la Valachie et la Transylvanie, sont
réunies sous une seule couronne. Michel le Brave se constituait ainsi en défenseur de la
chrétienté (a p à ra to ru l c re s fin a tà tii) devant le péril turC^^^. La réunification des principautés
roumaines sous Michel le Brave, « héros national de l’unité roumaine », est un exemple parmi
474
p.
75.
475 cfr in fra .
476 JuSTINlAN, «...Pentru unitatea spirituala si statala, pentru libertatea si fericirea poporului
nostru », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru
c le r, Ed. I. B. M.O., Bucuresti, 1971, p. 136.
477
NiCOLAE, « Continuitate si unitate », op. cit., p. 76. On verra notamment pour
l’histoire de l’unification des trois principautés, l’article de Andrei PIPPIDI, « La résurrection de
Byzance ou l’unité politique roumaine : l’option de Michel le Brave », dans R e v u e d e s E tu d e s
S u d -E s t e u ro p é e n n e s , t. XIII, 1975, 3, pp. 367-378.
231
Chapitre I : LE « PATRIOTISME » ORTHODOXE
SELON L’IDEOLOGIE MARXISTE-LENINISTE
Cette seconde partie est surtout consacrée, à l’instar de la première sur l’Apostolat social,
à l’époque Gheorgtiiu Dej, c’est-à-dire le début de la guerre froide et l’instauration du
communisme « soviétique » roumain. Il s’agira ici du patriotisme au sens marxiste dans la
littérature orthodoxe et de l’interprétation faite par les auteurs des relations Eglise / Etat dans ce
contexte. Quant à l’époque Ceausescu, elle sera étudiée dans la troisième partie. Elle
représentera la période nationale-communiste par excellence avec le développement du
nationalisme, et son corollaire dans l’Eglise Orthodoxe Roumaine, l’ethnicité de l’Eglise.
Le patriotisme est le premier aspect fondamental qui justifie tant les devoirs du chrétien
vis-à-vis de l’Etat que la collaboration de l’Eglise avec l’Etat. Comme le dit E. Vasilescu,
« chaque personne qui a lu les volumes de V A p o s to la t s o c ia l publiés par le Patriarche Justinian
Marina a pu constater qu’il n’existe pas une page dans ces volumes où il ne se trouve un mot,
une phrase, une expression, directe ou indirecte, concernant l’amour, le respect et le service de
146
la Patrie »262 « Lg patriotisme est aujourd’hui une nécessité pour la défense de la liberté,
l’indépendance nationale et la souveraineté de l’Etat »263
Dans les premières années du régime communiste, ce thème est particulièrement
développé dans le cadre du respect de l’Etat selon les principes marxistes-léninistes, mais aussi
évangéliques et patristiques. L’Etat est identifié à la patrie au sens large. Il s’agit en réalité du
point central de l’argumentation concernant la soumission du citoyen à la République Populaire
de Roumanie, et ce dès son instauration en 1948. Les devoirs du citoyen seront légitimés par la
tradition orthodoxe chrétienne s’intégrant dans le nouvel Apostolat social. Les préceptes
chrétiens Justifient les devoirs sociaux du citoyen pour créer l’« homme nouveau ». « La
mission de l’Eghse est l’homme. L’homme est le fondement de la patrie et de la société. C’est la
formation d’un homme nouveau, d’un homme conscient de son sens sur la terre
Ainsi le devoir de « soumission » chrétienne à l’Etat est synonyme de respect de la patrie,
de civisme et de loyauté vis-à-vis de l’Etat.
C’est particulièrement dans les premières années du régime communiste que la littérature
orthodoxe a exploité les notions de « nation » ou de « patrie » dans un sens marxiste. Il est
révélateur qu’à cette époque on trouve, dans la bibliographie des auteurs, des références aux
auteurs russes révolutionnaires ou roumains de « la première heure ». Les études de
Gh. I. Moisescu — qui deviendra patriarche en 1977 — , comme P ro b le m a n a tio n a la s i
re z o lv a re a e i d e m o c ra tic a în R e p u b lic a P o p u la rd R o m â n à . R o lu l B is e ric ii în lu p ta c o n tra
262 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser.
Il-lea, Vn, 1955, n° 5-6, p. 382.
263 M CHIALDA, « Crestinism si patriotism », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, V, 1953,
1-2, p. 51.
264 Sofron VLAD, « Atitudinea bisericii ortodoxe faû de problemele sociale. Principii eu
caracter social desprinse din sfintele evanghelii », dans S tu d ii T e o lo g ice , ser. Il-lea, VI, 3-4,
1954, p. 172.
147
s o v in is m u lu i, a n tis e m itis m u lu i 5 / a n tis o v ie tis m u lu P -^ ^ sont, à ce point de vue, révélatrices.
Moisescu, comme le théologien P. Rezus266^ cite abondamment des auteurs tels que
Staline267_ Lénine^^S Vychinski269^ Frantev^^O Bellu^^l, ainsi que Gheorghiu-Dej, le
fondateur de la République Populaire de Roumanie. Ces années sont caractérisées par
rantigermanisme, parallèlement à l’anti-occidentalisme. En effet, le nouveau régime doit lutter
contre la « propagande nationaliste chauvine, l’hooliganisme antisémite et antisoviétique ». Le
national-socialisme « teuton » a mené à l’éclatement de la Transylvanie par le dictât de Vienne
de 1940, véritable catastrophe pour la Roumanie puisqu’il concrétisait « les velléités de
l’in'édentisme hongrois fasciste ». Il serait inutile de reprendre l’ensemble du discours connu,
sur le rôle « des partis nationaux-déraocratiques au service de la bourgeoisie capitaliste, dressés
contre le droit des peuples à la liberté, au bonheur, contre la lutte des peuples à la souveraineté
et pour leur indépendance, partis au service de l’espionnage des pouvoirs étrangers
impérialistes anglo-américains et du Vatican, e tc » .
Il est cependant plus intéressant de voir comment l’orthodoxie définit, dans les années
cinquante, le nationalisme et le concept de nation d’après le marxisme. Le nationalisme d’après
la dialectique marxiste est « la conception bourgeoise, de classe, sur les problèmes nationaux,
qui s’inspire de l’idée et du désir d’assurer pour la bourgeoisie le droit exclusif de l’exploitation
265 Gh. lustin MOISESCU, « Problema nationala si rezolvarea ei democratica în Republica
Popularâ româna. Rolul Bisericii în lupta contra sovinismului, antisemitismului si
antisovietismului », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, I, 7-8, 1949, pp. 669-690.
266 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea,
IV, 1952, pp. 108-112.
267 I V. STALIN, M a rx is m u l s i c h e s tiu n e a n a tio n a la , Ed. III, Bucuresti, 1948 ; ID., C u m
în te le g e s o c ia l-d e n io c ra tia p ro b le m a n a tio n a la , Bucuresti, 1948.
268
v.I. LENIN, N o te
c ritic e în c h e s tiu n e a n a tio n a la , Bucuresti, 1949.
269 A..I. VÂSINSCHI, în v a ta tu ra lu i L e n in -S ta lin d e s p re re v o lu tia p ro le ta ra sJ d e s p re S ta t,
Bucuresti, 1949 ;
cfr. aussi les références à R e z o lu tia B iro u lu ip o litic a l C .C . a l. P .M .R ., în
c h e s tiu n e a n a tio n a la , Decembrie, 1948.
270 I FRANTEV, N a tio n a lis m u l, a rm a re a c tiu n ii im p é ria lis te , Bucuresti, 1948.
271 Niculae B E L L U , N a n o n a lis m u l b u rg h e z sJ in te rn a tio n a lis m u l p ro le ta r. C e e s te
n a tio n a lis m u l ?, Bucuresti, 1949.
148
des richesses nationales et la population nationale »272
nation est « une communauté
d’hommes, formée historiquement, sans distinction de race ou de peuple. La nation roumaine
est composée de Daces, Romains et Slaves »^73 Cette définition est intéressante dans la
mesure où elle sera à la source de l’ambiguïté qui sera cultivée particulièrement à l’époque
Ceausescu. En effet, le mot nation, n a tiu n e a est distingué du mot n e a m u l , le « peuple »,
porteur de connotations ethniques qui seront développées sous Ceausescu et qui limiteront le
mot « nation » au sens ethnique de « peuple » roumain {n e a m u l ro m â n e s c )^'^ ^ . Au début du
régime communiste, la « nation » comprend donc l’ensemble des populations, des « nationalités
cohabitantes » {n a tio n a lita tile c o n lo c u ito a re ), qui vivent sur le territoire de la Roumanie. C’est
cette définition de la nation qui sera reprise dans l’ensemble de la littérature de cette époque.
La nation doit cependant, pour être une nation, avoir aussi un caractère « stable ». C’est
donc une communauté stable d’hommes, formée historiquement, dont la langue et le territoire
sont des éléments constitutifs, ainsi qu’une communauté de vie économique. Cependant, ces
nations se distinguent entre elles par la physionomie spirituelle ou le « psychique spécifique
commun », qui s’exprime dans les particularités de la culture nationale, par la religion, l’art,
e tc . « La nation est donc une communauté stable, historique, constituée d’une langue, d’un
territoire, d’une vie économique et d’un psychique spécifique, qui se manifeste dans la
communauté de la culture »^75
Moisescu précise bien à cette époque qu’il n’y a aucune ambiguïté possible entre n a tiu n e a ,
qui est une catégorie historique, et n e a m u l qui est une catégorie « ethnografique » (S ic ). De
même que le mot nation a été utilisé par la classe dominante, le mot patrie est également utilisé
abusivement afin de soutenir le nationalisme. Il faut noter que les auteurs font une distinction
entre les acceptions du mot patrie dans les idéologies capitalistes bourgeoises et marxiste. Le
patriotisme est « un manteau avec lequel s’habille la politique d’exploitation ». Le véritable
Gh lustin MOISESCU, « Problema naüonala... », o p . c it., p. 672.
273
274 Gfr. la troisième partie.
275 Gh. lustin MOISESCU, « Problema nationala... », o p . c it., p. 673.
149
patriotisme du peuple (p o p o ru l) travailleur oblige le prolétariat à s’élever contre la propriété
individuelle des moyens de productions et doit contribuer à la lutte des classes contre le
capitalisme, avec la nouvelle forme de propriété collective socialiste. C’est ce qu’on appelle le
patriotisme de classe du prolétariat qui doit élever la lutte héroïque pour la défense des intérêts
rééls, effectifs et matériels du peuple travailleur {p o p o ru l m u n c ito re s c Ÿ ^^ .
Ce patriotisme n’est donc pas nationaliste, mais internationaliste, selon la doctrine
soviétique de l’intérêt prolétarien. Cet internationalisme ne peut être confondu avec le
« nihilisme » national, ou avec le « cosmopolitisme apatride », ce dernier ayant comme
implication le renoncement à la culture nationale, à l’indépendance et à la souveraineté nationale
par l’institution d’une « patrie mondiale » et d’une « citoyenneté du monde », qui masque
l’intérêt capitaliste de l’exploitation des masses populaires... L’internationalisme enseigne
l’amour de la patrie, pour le peuple, la culture et la souveraineté d’Etat, dans respect de
l’indépendance des peuples^^^
Comme l’affirment les auteurs, « le cosmopolitisme est une conception réactionnaire,
visant à une domination mondiale de l’impérialisme capitaliste. Ainsi la nation doit abandonner
ses spécificités, économiques, politiques, culturelles et religieuses. La nation doit renoncer à
son passé, ses moeurs et ses traditions, pour une illusion, la “ citoyenneté du monde ” »278 Lg
cosmopolitisme est devenu « le moyen pour justifier et masquer la politique de domination et
d’assei'vissement des peuples. Sous le prétexte de créer une culture mondiale, commune à toute
l’humanité, le cosmopolitisme, sous la forme d’Etat mondial, gouvernement mondial,
fédération européenne, citoyenneté du monde, propage la domination du régime capitaliste sur
tous les intérêts nationaux, l’indépendance et la souveraineté d’Etat des peuples »^79
Le Comité Central du Parti Communiste Roumain a résolu dans ce cadre le problème
national en 1948 selon les principes de l’égalité en droit sur le plan économique, politique,
276
jijid ,
277 jijid ., p. 674.
278 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 109.
279 ]vi C h
ia l d a
,
« Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 55.
150
culturel et confessionnel de toutes les nationalités cohabitantes, contre les tentatives chauvines et
révisionnistes soutenues par la bourgeoisie. Toutes les formes de discrimination nationale et
raciale entre les nationalités cohabitantes et le peuple roumain on été ainsi aboües^^O.
Il faut noter Tutilisation du mot « citoyen », terme qui englobe tous les habitants du pays,
indépendamment des nationalités. En effet, dans la Constitution de la R.P.R. sont garantis tous
les droits égaux pour tous les citoyens, sans distinction de sexe, nationalité, race, religion ou
niveau de culture. Cette égalité est garantie par les lois et l’organisation de l’Etat et le
développement planifié de l’économie nationale. On notera l’expression ; « to ti c e ta te n ii, fa ra
d e o s e b ire d e n a tio n a lita te », « tous les citoyens sans distinction de nationalité », problème sur
lequel nous reviendrons dans la mesure où il est capital de prendre en considération cette
distinction nette faite entre citoyenneté et nationalité, concepts qui en Europe occidentale sont
synonymes.
En conclusion, la nation ou la patrie est l’ensemble des travailleurs qui doivent oeuvrer
pour l’édification du socialisme dans la R.P.R., dans le cadre du nouveau régime instauré en
1948. L’amour de la patrie, l’amour pour la cause du bien-être et de la prospérité du peuple, tel
que le définit l’A p o s to la t S o c ia l du patriarche Justinian Marina, devait amener le peuple des
travailleurs à créer une vie meilleure, à contribuer à l’édification de la société communiste et à
promouvoir la défense de la paix^Sl. La notion de patriotisme est opposée au nationalisme et
l’internationalisme au cosmopolitisme^^^. La littérature, prônant l’amour de la patrie ainsi
280 Gh. lustin MOISESCU, « Problema naüonalâ... », o p . c it., p. 674.
281 On verra aussi les écrits de JUSTINIAN, « Prinosul dragostei catre patrie si popor », dans
A p o s to la t S o c ia l, p e n trii p a c e a a to a td lu m e a . P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r,
Ed. I.B.M.O.,
Bucuresti, 1955, pp. 22-30 ; ID., « ... A lucra împreuna eu poporul la ridicarea si prosperitatea
patriei noastre », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u s i o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u ri
p e n tru c le r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp. 56-58 ; ID., «...pentru împletirea trebuintelor
duhovnicesti ale credinciosilor eu îndatoririle lor patriotice si cetatenesti », Ib id ., pp. 343-345 ;
ID., « Plinind în chip armonios nevoile si interesele Bisericii eu aspiratiile si preocuparile
Statului... », Ib id ., pp. 41-46.
282 Q
lustin MOISESCU, « Problema nationalâ... », o p . c it., pp. 669-690. Cfr. aussi
JUSTINIAN, Moldova Mitropolit, « Aspecte din viata religioasa a URSS-ului », o p . c it., pp.
151
définie, attaquait de manière virulente la conception supranationale hégémonique du Vatican,
caractéristique de l’impérialisme occidental et prête à provoquer une nouvelle catastrophe
nucléaire^^^.
Ainsi le sens de « patriotisme » à cette époque, comme le souligne aussi F. Popan dans
son article. E g lis e u n iv e rs e lle e t E g lis e n a tio n a le s e lo n la th é o lo g ie ro u m a in e d ’a u jo u rd ’h u i,
publié en 1959, « c’est l’adhésion complète et inconditionnée à toutes les mesures prises par le
gouvernement communiste pour le travail et les réalisations du peuple »^84 jj f^ut noter
d’ailleurs que jusqu’à la fin du régime communiste, l’Eglise orthodoxe utilisera soit le mot
patrie dans cette acception, en tant que République Socialiste de Roumanie ou Patrie
socialiste285^ soit les termes « nation » ou « patrie » socialiste, recouvrant également tous les
177-191 ; Sorin COSMA, « Despre dragostea de patrie (patriotism) », dans M itro p o lia O lte n ie i,
XXXIX, 1987, 3, pp. 83-89.
Cfr. par ex. ; Olimp N. CXciULA, « Ura de rasa pacat strigator la cer », dans O rto d o x ia ,
IV, 3-4, 1952, pp. 238-352 ; Orest BUCEVSCHI, « Pacea. Obiectiv al misiune Bisericii
ortodoxe în lume », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, IV, 1952, pp. 3-7.
Flaviu POPAN, « Eglise universelle et Eglise nationale selon la théologie roumaine
d’aujourd’hui », dans L a p e n s é e c a th o liq u e , c a h ie rs d e s y n th è s e , t. 64, 1959, pp. 70-79. On
verra les nombreux article de cet auteur comme ; « Die neue Richtung der Théologie in der
rumânischen Volkdemokratie », dans A c ta S o c ie ta tis A c a d e m ic a e D a c o -R o m a n a e , Sériés
Theologica et philosophica, t.l, Rome, 1958, pp. 113-148 ; « Chrislicher Wiederstand in
Rumânien. Gegen den kommunistischen Materialismus », dans D e r E u ro p à is c h e O s te n , 77,
mars 1961, pp. 166-170 ; «
Der Priester in der orthodoxen Kirche Rumàniens », dans
S tim m e n d e r Z e it, t. 167, 1961, f. 4, pp. 272-287, et l’ouvrage F. POPAN, C. DRASKOVIC,
O rth o d o x ie h e u te
B ew egung,
in R u m â n ie n u n d J u g o s la w ie n ,
re lig iô s e s L e b e n u n d th e o lo g is c h e
Ed. Seelsorger Herder, Vienne, 1960.
285 Qn verra notamment les nombreux textes de propagande pour la « patrie » socialiste
présidée par Ceausescu comme ; REDACnA, « Cunoasterea istoriei-Nesecat izvor de educatie
patriotica » dans G la s u l B is e ric ii, XLVI, 1988, 2, pp. 5-13 ; lUSTIN (patriarche de l’Eglise
orthodoxe roumaine), « Réélection de Monsieur Nicolae Ceausescu à la fonction suprême de
président de la République Socialiste de Roumanie, acte de volonté de toute la nation », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVe an., 1985, 1, pp. 5-6.
152
travailleurs indépendamment de leurs « nationalités »286 La patrie, ou la communauté des
citoyens, ne se limite pas au concept de « nation » tel qu’il sera développé dans les années
soixante-dix et quatre-vingt. La patrie englobe l’ensemble des nations — dans le sens de
« nationalités » — , dans un concept bien plus lai*ge287. On comprend déjà toute l’ambiguïté de
ces notions, et cette ambiguïté s’accusera sous Ceausescu. En réalité, on assistera après 1965 à
une juxtaposition de la notion de nation au sens large, marxiste, avec le concept de nation au
sens ethnique de l’entre-deux-guerres.
Ce premier aspect montre combien la littérature orthodoxe du début de l’instauration du
communisme a relayé la propagande et l’idéologie de l’Etat en reprenant l’idéologie marxiste
telle qu’elle était développée par le nouvel Etat
286 R e d a C T IA ,
« Omagiu Presedintelui Republicii Socialiste România » dans G la s u l
B is e ric ii, XLVII, 1988, 1, pp. 9-15.
287
CHIALDA , « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 54.
153
Chapitre II : LE PATRIOTISME
PRECEPTES EVANGELIQUES
U a m o u r d u p ro c h a in , la re c h e rc h e
le
de
SELON
la
LES
p a ix ,
et
« re n d e z à C é s a r,,, »
L La patrie et l’Eglise Orthodoxe Roumaine
Un des aspects les plus intéressants du patriotisme des années cinquante est l’application
par les orthodoxes des principes doctrinaux évangéliques justifiant la soumission aux autorités
de l’Etat^SS Cet aspect est complémentaire de la conception marxiste et montre en réalité la
288 On verra surtout pour ce chapitre ; Sofron VLAD, « Atitudinea Bisericii Ortodoxe fata de
problemele sociale. Principii eu caracter social desprinse din sfintele evanghelii », o p . c it., pp.
158-173 ;
N. I. NICOLAESCU, « îndatoriri sociale dupa Noul Testament », dans S tu d ii
T e o lo g ic e , ser. Il-a, VI, 1954, 7-8, pp. 347-356 ; N. NEAGA, « Conceptia Vechiului
Testament despre Stat », dans M itro p o lia O lte n ie i, 1964, 7-8, 334-356 ; Costica A. POPA ,
« Principiul loialitâtii fata de Stat la apologetii crestini », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea,
1975, 1-2, pp. 52-63 ; Dumitru R a d
u
,
« Supunerea fata de ocîrmuire, porunca
dumnezeiascâ », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XXXIV, 9-10, 1982, pp. 613-616 ;
Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste si respecta legile tarii », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser.
Il-lea, 1986, n° 6, pp. 5-14. Cfr. aussi ; C.C. PAVEE, « Temeiurile si rostul ascultarii în viata
154
possibilité de superposition, voire de complémentarité, des deux conceptions, celle du
patriotisme marxiste et celle du patriotisme chrétien dans son interprétation
contem poraine289
Il est révélateur que les auteurs, comme Gh. I. Moisescu, envisagent le patriotisme selon les
nouveaux principes marxistes et selon les préceptes chrétiens de manière complémentaire.
Il n’est pas étonnant de constater que la critique du cosmopolitisme marxiste opposé à
l’internationalisme correspond à l’opposition entre la conception hégémonique du Vatican et
celle de l’œcuménicité orthodoxe englobant le principe d’Eglise nationale selon le principe de la
« sobomicité », c’est-à-dire la catholicité
orthodoxe^^O
De même le respect de la patrie selon
l’orthodoxie s’inscrit-il dans la tradition orientale garantissant les identités nationales, opposé au
cosmopolitisme catholique, destructeur des identités par sa politique hégémonique. Nous
citerons ici particulièrement ce que l’on pourrait appeler les exégètes orthodoxes de l’Apostolat
social.
« Dans le cadre du nouvel Apostolat social, l’Eglise ne peut se désintéresser de la manière
avec laquelle s’organise le nouvel ordre social. En réalité, le bon chrétien se doit d’être un bon
morala a crestinului », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XVIII, 1966, 7-8, pp. 387-407. On
verra de manière plus générale tous les articles sur le patriotisme orthodoxe : REDACTIA,
« Dragostea de Patrie », dans G la s u l B is e ric ii, XLVI, 1987, 5, pp. 5-6 ; ID., « Misiunea
Bisericii Crestine », dans O rto d o x ia , V, 1953, 4, pp. 651- 660 ; ID., « Cunoasterea istoriei.
Nesecat izvor de educatie patrioticâ », dans G la s u l B is e ric ii, XLVI, 1988, 2, pp. 5-13 ;
NICOLAE, Mitropolitul Ardealului, « în slujba patriei si a Bisericii strabune », dans M itro p o lia
A rd e a lu lu i, XXIV, 1979, 7-9, pp. 581-583 ; Sorin COSMA, « Despre dragostea de patrie
(patriotism) », dans M itro p o lia O lte n ie i, XXXIX, 1987, 3, pp. 83-89.
289 On verra pour les Evangiles : Rudolf BULTMANN, T h e H is to ry o fth e S y n o p tic T ra d itio n ,
Basil Blackwell, Oxford, 1972. On verra aussi : H is to ire d e l’E g lis e d e p u is le s o rig in e s ju s q u ’à
n o s jo u rs , dir. Augustin FLICHE et Victor MARTIN, Bloud et Gay, vol. 1, J. BRETON et
Jacques ZEILLER, L ’E g lis e p rim itiv e , 1941, vol. 2, D e la fin d u 2 è m e s iè c le à la p a ix
c o n s ta n tin ie n n e , 1946, vol. 3, J.-R. P a l A N Q U E , G. BARDY et P. DE LABRIOLLE, D e la p a ix
c o n s ta n tin ie n n e à la m o rt d e T h é o d o s e , 1945.
290 ofr la troisième partie.
155
patriote »291.
m.
Chialda définit la notion de patrie comme le territoire sur lequel vécurent les
ancêtres d’un peuple {s tra m o s ü u n u ip o p o r), territoire sur lequel ils ont travaillé, et qu’ils ont
défendu avec leur sang. Ainsi la patrie revêt un caractère social. Il en résulte qu’elle est
délimitée territorialement de la même manière que l’Etat, et est composée d’hommes libres
« sous une direction unitaire », qui ont un but commun, sont soumis aux lois et sont égaux en
droits et en devoirs. La patrie est donc le territoire, la collectivité, organisée pour que le peuple
vive et travaille dans un régime social particulier choisi par lui, et ce pour le bien commun292
Mais il importe que des liens étroits se tissent entre les citoyens, ce que garantit la R.P.R.
Ainsi, le patriotisme ne se limite pas à la défense de la patrie contre les agressions externes,
mais embrasse toutes les activités des citoyens de la patrie afin d’amener le peuple au progrès
social visant l’exploitation de toutes les forces créatrices. Cependant, il importe d’accepter la
notion de sacrifice du citoyen pour assurer cet idéal, par le renoncement individuel pour l’intérêt
général^93
Il est intéressant de noter déjà la distinction faite par Chialda entre « patrie » et « nation ».
La nation est caractérisée par son historicité, sa langue, sa culture, et la patrie est l’ensemble des
citoyens indépendamment de leurs nationalités, de leurs religions et de leurs cultures^^^.
L’utilisation d’une terminologie telle que « ancêtres » (s tra m o s ji, s trà b u n i, B is e ric a
s trâ m o s e a s c a ) sera particulièrement courante dans les années quatre-vingt, et surtout depuis
1989 dans le contexte du nationalisme.
« L’enseignement du Christ est basé sur l’amour du prochain et sur le respect des
individus et des peuples, sans aucune discrimination. Ceci doit contrecarrer le cosmopolitisme,
avec toutes ses conséquences ». C’est cet aspect chrétien dans le cadre de la société communiste
qui doit s’opposer à tout ce qui caractérise l’Occident capitaliste. Il s’agit en fait d’un paradoxe.
Le nationalisme chauvin est une conception réactionnaire contre la religion chrétienne et est le
291 M. C h
ia l d a
,
« Crestinism si patriotism », op. cit., p. 51.
292 ji)i^ (Cfr le chapitre précédent).
293
p.
53.
294
156
fait du capitalisme occidental. L’Occident est donc en opposition au christianisme, alors que le
régime socialiste garantit son intégrité. On constate donc, et ceci est un thème récurrent, que
c’est le communisme qui est la seule garantie de l’authenticité chrétienne contrairement à la
« perversion » bourgeoise capitaliste catholique. Nous verrons que l’Eglise catholique est
qualifiée d’anti-chrétienne, parce qu’elle est devenu une institution politique hégémonique, non
respectueuse des particularismes nationaux et ethniques. Aujourd’hui la conception d’une
Eglise catholique centraliste opposée aux identités nationales reste présente chez les auteurs et
constitue un des points fondamentaux de l’« anti-occidentalisme » dans le chef des nationalistes
roumains^^^. On citera la déclaration du métropolite A. Plamadeala selon laquelle le
catholicisme est une création de 1054, à l’instar du protestantisme au XVIe siècle^^^.
Le message du Christ est un message universaliste, mais n’exclut pas l’existence des
peuples, des nations, des Etats, et donc n’exclut pas la notion de l’amour de la patrie. Il n’est
pas étonnant que parallèlement au refus du cosmopolitisme, le christianisme soit universaliste,
parallèlement à l’universalisme prolétarien. La morale chrétienne est basée sur l’amour du
prochain, selon la parabole du Bon Samaritain. Le christianisme a prôné l’égalité des hommes,
indépendamment de la race, du peuple {n e a m ) et de la religion. Les hommes sont donc égaux en
droit et en liberté, sans privilège aucun. Le parallélisme entre les fondements du christianisme et
les fondements de la Constitution communiste permet ainsi de montrer d’emblée la possibilité
de rapprochement entre les deux « idéologies », jugées compatibles. Le thème de l’égalité des
hommes indépendamment des races et des nationalités disparaîtra sous Ceausescu au profit du
respect inter-confessionnel, chaque confession étant alors liée à un peuple dans le sens du mot
n e a m , c’est-à-dire avec la signification ethnique du terme. L’universalisme chrétien, orthodoxe,
répondra à la dialectique entre les concepts de catholicité {s o b o m icita te ) et d’ethnicité, l’un étant
complémentaire de l’auti'e.
C’est dans le cadre de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe que doit se comprendre le
patriotisme du chrétien. L’autocéphalie, un des trois principes fondamentaux de l’orthodoxie, à
295 cfi- la conclusion.
296 cfr conclusion, point. IL
157
côté de l’autonomie et de la synodalité, fait de l’Eglise Orthodoxe Roumaine une Eglise
nationale. Elle est à la base de l’identification entre l’Eglise et la nation, entre l’Eglise et l’Etat.
Cette conception sera surtout développée sous Ceausescu, dans le sens de l’ethnicité. Sous la
R.P.R., l’accession de l’Eglise à l’autocéphalie concrétise la lutte patriotique du XIXe siècle. A
la lutte sociale du peuple dont la fondation de l’Etat roumain, indépendant de la Porte ottomane,
est l’aboutissement, con-espond la lutte sociale de l’Eglise, dont l’autocéphalie consacre
l’indépendance de l’Eglise face au Phanar. Le principe de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe
est opposé à la conception vaticane centralisatrice et « impérialiste ».
L’Eglise orthodoxe s’inscrit par le principe de l’autocéphalie lié à la sobomicité dans la
reconnaissance de peuple et reconnaît tout à la fois l’unité
œ cum énique^^?.
Toutes les Eglises
orthodoxes autocéphales sont organisées dans le cadre des différents Etats. Le principe de
l’autocéphalie contribue donc au « ciment du sentiment patriotique dans chaque pays »
{B is e ric a (...) p rin o rg a n iz a re a s a n a tio n a la , e a c o n trib u e (...) la c im e n ta re a s e n tim e n tu lu i
p a trio tic în fie c a re ta ra Ÿ ^^ . D s’agit là du point central de l’argumentation anti-catholique et
anti-occidendale ; le catholicisme ignore la conception nationale des Eglises par une organisation
« supra-nationale ». L’autocéphalie liée à l’unité du peuple, dans le sens ethnique sera
largement développé sous Ceausescu.
L’Eglise orthodoxe contribue donc non seulement au sentiment patiiotique mais aussi au
sentiment national de chaque peuple. Ce patriotisme concerne donc la défense de la patrie contre
les attaques externes et les domaines d’activité de la collectivité. On constate que chacun des
297 M CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 62. Cfr. JUSTINIAN, «...Unitatea
bisericeasca ne va ajuta sa facem mai strînsà si indestructibilà unitatea noastrà nationala... »,
dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, Ed.
I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp. 107-111 ; ID., Patriarhul Bisericii Ortodoxe Romîne, « Una,
Sfinta, Soborniceascà si Apostoleascâ Biserica », dans O rto d o x ia , VI, 1954, 2-3,1-VIII ;
Teodor M. POPESCU, « Cezaropapismul romano-catolic de ieri si de azi », dans O rto d o x ia , III,
1951, 4, pp.495-538 ; ID., « Ortodoxie si catolicism », dans O rto d o x ia , IV, 1952, 3-4, pp.
462-487. Cfr. la troisième partie.
298 jvi. CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 62.
158
éléments énoncés se situe toujours en porte-à-faux avec les conceptions occidentales. Le
principe de l’autocéphalie, c’est à dire d’une Eglise indépendante nationale devient ainsi
complémentaire avec l’anti-cosmopolitisme^^^. Il est intéressant de noter que l’Occident, et le
catholicisme en particulier, sert, dans l’argumentation orthodoxe, de « repoussoir » pour faire
valoir les caractéristiques propres de l’orthodoxie.
299 cfi' aussi : Liviu STAN, « Prijinirea luptei de independenta a poporului român prin lupta
bisericii pentru autocefalei », dans O n o d o x ia , XX, 1968, pp. 611-618.
159
II. Le sens social du patriotisme chrétien
L’homme a été créé par Dieu et est d’essence « sociale » ; « Il n’est pas bon pour
l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée » (N u e b in e s a fie o m u l
s in g u r, s a -ifa c e m a ju to r p o triv it p e n tru e t) (Gn., II, 18). « Les hommes se sont organisés en
peuples et nations ». Les citations faites par les théologiens orthodoxes, tirées des Evangiles,
sont nombreuses^^. On citera surtout : « Car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé face
à tous les peuples » (c a c i v a z u râ o c h ii m e i m â n tu ire a T a , p e c a re a i g a tit-o în fa ta tu tu ro r
p o p o a re lo r) (Le., II, 30-31) ; « Allez enseigner à toutes les nations » (M e rg â n d în v d ta ti to a te
n e a m u rile ) (Mt. XXVIII, 19) ; « on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés
à toutes les nations à commencer par Jérusalem » (P o e d in ta sJ ie rta re a p d c a te lo r la to a te
n e a m u rile , în e e p â n d d e là le ru s a lim ) (Le., XXIV, 47) ; « Moi..., j’ai reçu la grâce d’annoncer
aux nations l’impénétrable richesse du Christ » (M ie ... m i s ’a d a t h a ru l a c e s ta d e a b in e v e s ti
în tre n e a m u ri b o g d tia lu i H ris to s ) (Ep., III, 8) ; « Par lui nous avons reçu la grâce d’être apôtres
pour conduire à l’obéissance de la foi, à la gloire de son nom, toutes les nations » (P rin c a re
a m lu a t h a ru l sJ a p o s to lia , s p re a s c u lta re a c re d in te i la to a te n e a m u rile , p e n tru n u m e le L u i) (Rm.,
I, 5). Les mots « nations »
sont généralement désignés par le mot n e a m u ri . On verra
300 cfr. la bibliographie en début de chapitre.
160
rutilisation de ces préceptes pour prouver l’ethnicité de l’Eglise sous Ceausescu. Ainsi le
christianisme s’adresse à tous les peuples et nations, n’excluant pas l’existence de peuples
différents, pour autant qu’ils soient organisés en pays et Etats différents. « Ainsi d’après
l’enseignement du Christ, aucune nation n’a le droit de s’arroger le pouvoir de domination sur
une autre nation et son enseignement est contraire à l’esprit cosmopolite des classes dominantes
des pays capitalistes d’oppression culturelle, économique, politique et sociale »301.
Le christianisme contribue donc par son enseignement au raffermissement des liens entre
les citoyens et le sentiment
patriotique^O ^
La morale sociale est basée sur le principe du
commandement suivant : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Sa iubesti pe domnul
Dumnezeul tau... Sa iubesti pe aproapele tau ca pe tine însuti) (Mt.., XXII, 37-38). Le
christianisme est donc intimement lié à la vie terrestre de l’homme et à la société dans laquelle il
vit. Il ne peut se désintéresser du mode sur lequel cette société est organisée. L’Eglise
chrétienne ne peut rester passive face au nouvel ordre social tel qu’il se construit aujourd’hui,
c’est à dire avec l’instauration de la R.P.R.^O^ Comme l’affirme Justinian de manière
récurrente dans l’Apostolat social, l’Eglise chrétienne ne peut donc rester passive au nouvel
ordre social qui se contruit et rester anachronique. « Il est une vérité axiomatique qu’il n’y a rien
dans le christianisme qui puisse s’opposer aux revendications sociales, aux idéaux d’égalité, de
liberté et de droit social, idéaux qui voient leurs réalisations avec le nouveau régime de la
société, qui se réalise sous nos yeux grâce au régime démocrate populaire dans notre
pays »304 Ainsi donc le christianisme doit soutenir le nouveau régime, mais qui plus est, la
doctrine chrétienne ne pourrait nullement s’opposer à la nouvelle société. En outre le
christianisme doit avoir une action terrestre sociale. Dans ce sens, les devoirs du croyants sont
complémentaires avec ceux du citoyen dans la R.P.R.
301 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 110.
302 ]y[ CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 59.
303
p.
60.
304
p. 60.
161
L’amour de Dieu et du prochain, commandement suprême pour le chrétien, devient la
source fondamentale des devoirs du citoyen face à la société dans laquelle il vit. La préférence
du Christ pour la patrie et la collectivité est énoncée chez Matthieu : « allez plutôt vers les brebis
perdues de la maison d’Israël » (C i m a i v â rto s m e rg e ti c a tre a ile p ie rd u te a le c a s e i lu i Is ra ë l)
(Mt. X, 6) (XV, 24). Son amour pour le peuple est énoncé comme suit : « Jérusalem,
Jérusalem, ... que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses
poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu. » (le ru s a lim e , le ru s a lim e ...D e c â te o ri a m
v ru t s a a d u n p e fiii ta i, c u m a d u n a c lo s c a p u ii s â i s u b a rip i sJ n ’a ti v ru t) (Mt., XXIII, 37). Le
travail pour la patrie et la collectivité est donc un commandement (p o ru n c a ) du Christ^OS
On trouve également chez saint Paul la notion d’amour pour la patrie : « j’ai été contraint
de faire appel à César, sans avoir pour autant l’intention de mettre en cause ma nation » (A m
fo s t s ilit s a c e r a fi ju d e c a t d e C e z a ru l, n u c d a s a v e a d e a d u s v re o în v in u ire n e a m u lu i m e u ) (Ac.
XXVIII, 19). Ainsi cet amour pour la patrie, à travers le « prisme » du christianisme, n’est en
réalité que l’amour du prochain, et donc de la collectivité. « C’est une prolongation de l’amour
du prochain qui arrive dans l’ordre naturel au plan de la vie commune dans le cadre de la
patrie
On notera aussi l’importance du renoncement (je rrfd ), du sacrifice de l’homme pour le
bien commun de la collectivité ; « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui même
et prenne sa croix, et qu’il me suive » (O ric in e v o ie s te s a v in d d u p a M in e , s a se le p e d e d e s in e ,
s d -s j ia c ru c e a s j s d -M i u rn ie z e ) (Mt., XVI, 24). « Rien n’est plus admirable que ce
renoncement de l’homme qui est toujours prêt à sacrifier non seulement ses intérêts personnels,
mais aussi sa vie corporelle au profit du bien commun » (N im ic n u e s te m a i a d m ira i d e c â t
a c e a s ta re n u n ta re a o m u lu i, c a re e ste to td e a u n a g a ta s d -s j je rtfe a s c d n u n u m a i in te re s e le
p e rso n a le , d a r c h ia r s j v ia ta tru p e a s c d p e n tru sJ în fo lo s u l b in e lu i o b s te s c ). On comprend toute
la portée d’un tel verset dans une dictature telle que celle mise en place en Roumanie en 1948.
En effet, non seulement l’Eglise enseigne le respect de la patrie par une légitimation chrétienne.
305
p. 61.
306 jh id .
162
mais exhorte en plus au sacrifice, au renoncement pour le bien commun. Autrement dit, elle
interdit toute forme d’opposition à la dictature, au bénéfice du sacrifice chrétien.
La notion de patrie est donc considérée comme une réalité ancienne chrétienne, compatible
avec la conception politique contemporaine « du nouveau régime social ». Elle revêt un
caractère social. Le patriotisme est donc le fondement chrétien et politique de l’Apostolat
social^O^.
Le progrès et la patrie en tant qu’organisme social ne peuvent se développer sans la paix.
Le thème de la paix est l’un des thèmes particulièrement développés, notamment dans le
contexte de la participation de l’Eglise orthodoxe roumaine aux mouvements de la paix initiés
par Moscou, ce que l’Eglise appelait, le « front des Eglises orthodoxes des démocraties
populaires »308. pius tard, à l’époque Ceausescu, et dès la participation de l’Eglise Orthodoxe
Roumaine au Conseil Œcuménique des Eglises en 1961, cet aspect sera un des thèmes
principaux dans la propagande de l’Est pour l’Occident, mais dans un autre contexte, celui de la
coexistence pacifique et de l’image de la Roumanie que voulut donner Ceausescu dans les
années soixante-dix.
Selon les auteurs, la paix interne dans la patrie est indispensable pour son développement.
« Que la paix soit dans tes murs et amène prospérité chez toi » {P a c e a s a d o m n e a s c a în tre
z id u rile ta ie s i în c a s e le ta ie p ro p d s ire a ) (Ps. CXXI, 8). « Quel bonheur et quel plaisir de se
retrouver entre frères en union » {C â t e ste d e b in e 5 / c â t e ste d e fru m o s , s a lo c u ia s c d fra tii în
u n ire ) (Ps. CXXXII, 1). Le progrès social a également besoin de la paix entre les peuples, sur
le plan externe. « Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances ils feront des
307 cfr notamment JUSTINIAN, « Prinosul dragostei catre patrie si popor », o p . c it.
308 cfr. surtout ; Orest BUCEVSCHl, « Pacea. Obiectiv al misiune Bisericii ortodoxe în
lume », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, IV, 1952, pp. 3-7 ; Petru REZUS,« Pozitia Bisericii
ortodoxe române fata de lupta pentru pace. Sarcinile preotimii în aceasta problema », dans
S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, IV, 1952, pp. 8-14 ; N. NEAGA, « Ideea de pace si dreptate în
scrierile P.F. Patriarch Justinian 1945-1955 », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, VII, 1955,
9-10, pp. 627-639.
163
serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on ne fera plus la guerre » {V o rp ré fa c é
s â b iile în fia re d e p lu g u ri s f id n c ile lo r în s e c e ri. N ic iu m n e a m n u v a m a i rid ic a s a b ia îm p o triv a
a ltu ia s i n u v o r m a i fa c e rd z b o ia e ) (Es., H, 4). « Alors le fruit de la justice sera la paix, la justice
produira le calme et l’espérance (...) alors mon peuple s’établira dans un lieu de paix » (A tu n c i
p a c e a v a fi lu c ru l d re p ta tii, ro a d a d re p ta tii va fi lin is te a sJ n a d e jd e a ...a tu n c i p o p o ru l m e u v a
lo c u i în tr’u n lo c d e p a c e ) (Es., XXXII, 17-18). « Gloire à Dieu au plus haut des deux, et paix
sur la terre aux hommes de bonne volonté »
(S la v d în tru c e i d e s u s lu i D u m n e z e u s f p e
p à m â n t, în tre o a m e n i b u n d v o ire ) (Le, H, 14). « Va en paix » {M e rg i în p a c e ) (Mc., V, 34 ;
Le., Vni, 48). « Je vous laisse la paix, je vous donne Ma paix » {P a c e v a la s v o u a , p a c e a M e a
O
d a u v o u a ) (Jn., XIV, 27). « S’il est possible, pour autant que cela dépend de vous, vivez en
paix avec tous les hommes » {D a c d se p o a te , p e c â t s td în p u te re a v o a s trd , tra in în b u n d p a c e e u
to ti o a m e n iï) (Rm., XII, 18). « Recherchez la paix avec tous, et la sanctification sans laquelle
personne ne verra le Seigneur » {C d u ta ti p a c e a e u to a td lu m e a s f s fin te n ia , fd rd d e c a re n im e n i
n u v a v e d e a p e D o m n u t) (He., XII, 14). « Que règne en vos coeurs la paix du Christ, à laquelle
vous avez été appelés tous en un seul corps » {S f p a c e a lu i H ris to s în tru c a re a tifo s t c h e m a ti c a
s d fin u n s in g u r tru p , s d s td p â n e a s c d în in im ile v o a s tre ) (Col. III, 15). Le citoyen, chrétien, qui
suit ces préceptes et répand ainsi la paix autour de lui, suit non seulement le Testament du
Seigneur mais est également un bon patriote en rendant ses devoirs à la Nation^O^.
La lutte contre l’antisoviétisme est capital comme facteur de progrès, l’U.R.S.S. étant
pour la paix entre les peuples et pour le progrès social. Par le biais des mouvements de la paix
auxquels sont appelés les orthodoxes, les Eglises doivent ainsi collaborer à la politique
soviétique et lutter contre les « fauteurs » de guerres. La paix est liée au progrès social de la
patrie et de l’humanité. Le patriotisme inclut donc la collaboration à la recherche de la paix dans
le pays et dans le monde et revêt en cela un caractère social. L’Eglise doit ainsi coopérer à la
politique sociale de l’Etat. Il y a donc convergence entre les commandements du Christ et la
politique de l’Etat.
309 CHIALDA, M., « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 66.
164
III. Le
respect chrétien de l’égalité des citoyens
garanti par la
Constitution de la R.P.R.
Les auteurs monti'ent qu’il y a une convergence entre le respect de l’égalité des citoyens
selon les préceptes chrétiens et celle garantie par l’article 81 de la Constitution de la R.P.R. De
cette manière, il est impératif de respecter la Constitution pour être un bon chrétien afin de
contribuer à l’édification de la nouvelle société.
Le développement social ne peut se faire que dans un climat d’harmonie, de paix et
d’égalité sociale. La R.P.R. garantit, par l’article 81 de sa Constitution, l’égalité entre les
citoyens, indépendamment de la nationalité {n e a m ), de la religion, de l’âge et du sexe. « Il y a
donc convergence entre la justice sociale et l’enseignement chrétien
Moisescu dans son article sur la résolution des problèmes nationaux s’exprime en ces
termes : « l’enseignement du Christ a un caractère démocratique universel, basé sur l’égalité de
tous les hommes, sur l’amour du prochain, le salut de tous, e tc ., sans distinction de race, de
peuple {n e a m ), de classe sociale ou de sexe. Il s’adresse à tous, et appelle au salut de tous les
peuples {n e a m u rile ), mort sur sa croix pour le rachat des péchés de tous les hommes^H.
Le principe fondamental utilisé en premier lieu est évidemment le lien entre l’amour du
prochain et l’amour de la patrie ainsi définie : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton
coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est là le grand, le premier commandement. Un
310 Gh. lustin MOISESCU, « Problema nationalâ... », op. cit., p. 685.
311 Ib id .
165
second est aussi important : tu aimeras ton prochain comme toi-même ». De ces deux
commandements dépendent toute la loi et les prophètes » (S a iu b e s ti p e D o m n u l D u n m e z e u l ta u
e u to a ta in im a ta , e u tô t s u fle tu l ta u sJ e u tô t e u g e tu l ta u . A e e a s ta e ste m a re s i e e a d in tâ iu
p o ru n e d . la r a d o u a la fe l e u a e e a s ta : sa iu b e s ti p e a p ro a p e le ta u e a p e tin e în s u ti. In a e este d o u a
p o ru n e i a tâ rn d to a ta le g e a sJ p ro ro e iï) (Mt., XXII, 37-40). « Aimez-vous les uns les autres
comme je vous ai aimé » (S a v a iu b iti u n u lp re a ltu l, e u m v ’a m iu b it E u ) (Jn., XIII, 34). Il est
clair que pour la propagande le rapport entre l’égalité de tous les hommes, ici la classe des
travailleurs, prônée par le discours marxiste, et l’égalité de tous les hommes dans la doctrine
chrétienne est évident. On doit cependant noter, et Moisescu le précise, que cette égalité est
effective devant Dieu, « face à Dieu il n’existe pas de peuple privilégié et exploité, de race
supérieure ni inférieure ».
Le Christ demanda aux apôtres d’aller enseigner à toutes les nations (Mt. XXVIII, 19),
« M e rg â n d , m v d ta ti to a te n e a m u rile ». L’auteur insiste bien ici sur ce que l’on doit comprendre
par « n e a m u rile » , tous les peuples du monde (la to a te p o p o a re le ), sans distinction de peuple
(n e a m ), de race ou de classe sociale. Dans les années Ceausescu, ce verset sera utilisé pour
montrer « l’ethnicité » de l’Eglise. Cependant d’après P. Rezus, dès 1952, le Christ respectait
déjà les identités de chaque peuple, les langues, les traditions, les territoires, « dans leur
spécificité ethnique »
(în s p e e ifie u l lo r e tn ie )^ ^ ^ . « Les peuples (n e a m u rile ) christianisés
restaient distincts dans la communauté des autres peuples, et c’est resté ainsi jusqu’à nos
jours »313
Cependant, il importe que l’Eglise soit « une », conformément à I Co., I, 12 ; « Moi
j’appartiens à Paul, moi à Apollos, moi à Céphas, moi à Christ », et (I Co. XII, 13) : « Car
nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour être un seul corps, Juifs ou Grecs,
esclaves ou hommes hbres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit » (n o i to ti în tr’u n
D u h n e -a m b o te z a t, e a s a fim u n s in g u r tru p .fie lu d e U fie E lin i,fie ro b i,fie s lo b o z i sJ to ti la u n
s in g u r D u h n e -a m a d a p a t). Sans distinction aucune, la communauté chrétienne doit être unie :
312 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . e it., p. 108.
313 Ib id ..
166
« En effet, le coq)s est un, et pourtant il y a plusieurs membres ; mais tous les membres du
coips, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps » {p re c u m tru p u l u n u l e ste , d e s i a re
m d d u la re m id te , ia r to a te m d d u la re le tru p u lu i, e u to a td m u ltim e a lo r a lc a tu e sc u n s in g u r tru p ) (I
Co. XII, 12). « Il n’y a plus ni Juifs, ni Grecs ; il n’y a plus ni esclaves, ni hommes libres, il
n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » {N u m a i e ste
lu d e u , n ic i E lin ; n u m a i e ste ro b n ic i s lo b o d ; n u m a i e ste p a rte b d rb d te a s c d , n ic i fe m e ia s c d ,
p e n tru c d v o i to n u n a s u n te ti în tru H ris to s lis u s ) (Ga. El, 28). D n’y a pas de différence entre
« païen ou juif, barbare ou scythe et esclave ou homme libre » ip d g â n s a u lu d e u , în tre b a rb a r
s a u s c it s i n ic i în tre ro b s a u s lo b o d ) (Col. III, 11). Par ces versets, on montre qu’il y a unité
dans l’Eglise ainsi qu’une égalité entre les membres de la communauté. L’amour des chrétiens
doit conduire à l’amour de son frère, de son semblable, de chaque homme, de son prochain
{C in e iu b e s je p e D u m n e ze u , s a iu b e a s c d sJ p e fra te le s a u ) (I.Jn. IV, 21). Celui qui aime Dieu,
qu’il aime aussi son frère. Ce principe de l’unicité de l’Eglise sera également l’argument
fondamental pour l’unicité de l’orthodoxie, argument en opposition complète avec l’existence
de l’uniatisme, comme nous le verrons dans le chapitre consacré à la « réintégration » de
l’uniatisme dans l’orthodoxie. En effet, l’Eglise orthodoxe doit être une ( c d to n s d fie u n a )
(I Co, XII, 13), ce qui implique, selon les orthoxes, que l’existence d’une Eglise
« orthodoxe » catholique roumaine soit un obstacle à l’œcuménisme et surtout un obstacle à
l’unité de l’« orthodoxie » roumaine.
L’homme vivant en société dans sa vie terrestre ne peut donc s’opposer à la « hiérarchie
sociale » ni se soustraire à l’obligation de se soumettre aux autorités, et doit contribuer comme
n’importe quel citoyen à la bonne marche des devoirs publics^l^. Les hommes étant égaux
entre eux doivent se soumettre à l’autorité, la « hiérarchie sociale » qui détermine les rapports
entre lui et ses semblables^L’Eglise a donc toujours lutté contre toute forme d’esclavage,
contre le paupérisme, contre l’exploitation de l’homme par l’homme, contre les haines raciales.
314 Qh. lustin MOISESCU, « Problema nationala... », o p . c it., p. 686.
315 Ib id .
167
Comme la Démocratie populaire lutte pour les mêmes causes, l’Eglise et l’Etat doivent
coopérer.
Ainsi l’amour chrétien du prochain est un bienfait social ; « Si un frère ou une soeur n’ont
rien à se mettre et pas de quoi manger tous les jours, et que l’un de vous leur dise ; Allez en
paix, mettez-vous au chaud et bon appétit, sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi
bon ? De même, la foi qui n’aurait pas d’œuvres est morte dans son isolement » (Cac/ d e v o rfi
fra te le s a u s o ra g o i sJ lip s iti d e h ra n a d e to a te z ile le , sJ le v a z ic e c in e v a d in v o i : m e rg e ti în p a c e ,
în c a lz iti-v â sJ v a s a tu ra ti, sJ n u le -a r d a c e le d e tre b u in m tru p u lu i, ce fo lo s a r fi ? A s a fi c re d in ta ,
d a c a n u a re fa p te , e ste n w a rta în e a In s a s i) (Je., II, 15-17).
Ce point de l’argumentation montre combien le respect de l’Etat selon les évangiles est
basé sur une socialisation, voire une « communisation » des écrits néo-testamentaires. Alors
que ces textes doivent se comprendre dans une perspective eschatologique, ils sont utilisés pour
montrer explicitement le caractère « terrestre » (viata pamînteasca) des préceptes chrétiens et
pour montrer la corrélation entre les idéaux communistes et chrétiens.
168
IV. La soumission du chrétien face à l’Etat
En conséquence des principes ainsi énoncés, on comprend que dans le cadre de la
dimension sociale du chrétien, celui-ci doive se soumettre à l’Etat communiste créé depuis
1948.
C’est chez saint Paul que l’on trouve la notion d’Eglise servante qui sera largement
développée, notamment par le métropolite de Transylvanie A. Pl^adeala. « L’un a-t-il le don
du service, qu’il serve. L’autre celui d’enseigner ? qu’il enseigne; tel autre celui d’exhorter ?
Qu’il exhorte. Que celui qui donne le fasse sans calcul, celui qui préside, avec zèle, celui qui
exerce la miséricorde, avec joie » {D a c a a v e m s lu jb a : sa s ta ru im în s lu jb â ; d a c a u n u l în v a td : sa
se s â rg u ia s c d în în v â td tu rà ; d a c a în d e a m n a : sa fie la în d e m n a re ; d a c a im p a rte a lto ra : sa îm p a rtd
e u fire a s c d n e v in o v d tie ; d a c a s td în fru n te : s a fie e u tra g e re d e in im d ; d a c a m ilu e s te : sa
m ilu ia s c d e u b u n d v o ie ) (Rm. XII, 7-8). « Mais toi cependant sois sobre en tout (...), fais le
service avec tout ton zèle » ijn s d tu fii tre a z în to a te (...)fii e u to a td in im a la s lu jb a ta ) (II Tm.
IV, 5). Le sentiment patriotique s’exprime donc par la soumission et l’obéissance au régime du
pays, face aux lois et face à ses chefs (c o n d u c a to rii). Le patriotisme signifie donc la dévotion
169
face au régime social du pays^^6 « c’est pourquoi il est nécessaire de se soumettre, non
seulement par crainte de la colère, mais encore par motif de conscience » {D e a c e e a , n e v o ie e ste
s a v a s u p u n e ti, n u n u m a i d e fric a p e d e p s e i, d a r s i p e n tru c u g e tu l v o s tru ) (Rm, XIII, 5).
« Rappelle à tous qu’ils doivent êtie soumis aux magistrats et aux autorités, qu’ils doivent
obéir, être prêts à toute oeuvre bonne, n’injurier personne, éviter les querelles, se montrer
bienveillants, faire preuve d’une continuelle douceur envers tous les hommes » (a d u -le a m in te
s a se s u p u n a s ta p â n irilo r sJ d re g à to rilo r, s a a s c u lte , s a fie g a ta s p re o ric e lu c ru b u n , s a n u
d e fa im e p e n im e n i, s a n u se g â lc e v e a s c a e u n im e n i, s a fie lin is fiti, s a a ra te c a tre to ti o a m e n ii
d e p lin â b lâ n d e te ) fTt., III, 1-2).
L’Eglise se doit donc de développer le sens patriotique des citoyens, le respect vis-à-vis
du pays, de la R.P.R. Or, puisque la direction de l’Etat représente la garantie du développement
du bien commun, l’Eglise chrétienne, conformément à sa tradition (p o triv it tra d itie i s a le ), prie
pour l’autorité de l’Etat {în a ltâ la a lta r ru g a c iu n ip e n tru a u to rita te a d e S ta t)^ ^'!. « L’Eglise prie
pour la direction de la patrie et pour son peuple, pour se protéger des ennemis, et elle le fait
depuis des siècles dans la tradition chrétienne, conformément à la demande de l’apôtre Paul à
son disciple Timothée »318 ; « jg recommande donc, avant tout, que l’on fasse des demandes,
des prières, des supplications, des actions de grâce, pour tous les hommes, pour les chefs et
tous ceux qui détiennent l’autorité, afin que nous menions une vie calme et paisible » {V a
în d e m n , d e c i m a in te d e to a te , s a fa c e ti c e re ri, ru g a c iu n e , m ijlo c iri, m u ltu m ite , p e n tru to ti
o a m e n i, p e n tru c o n d u c a to ri sJ p e n tru to ti c a re s u n t în în a lte d re g a to rii, c a s a p e tre c e m v ia ta lin a
sJ tih n itâ ) (I Tm.,
n,
1-2).
Ainsi le véritable patriotisme chrétien devient une obligation morale, qui doit se faire en
double qualité, celle de chrétien et celle de citoyen. Le commandement de l’Eglise chrétienne est
inextricablement lié à l’obligation de citoyen de la patrie. On peut donc affirmer qu’il y a une
corrélation, voire une osmose entre les devoirs du croyant et du citoyen.
316
m
. CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 63.
317 Ib id ..
318 Ib id ., pp. 63-64.
170
A.
Le « rendez à César... »
« Notre sainte Eglise toute puissante nous invite et nous oblige impérativement à nous
soumettre à l’autorité de l’Etat, et ce dans tous les domaines de son activité
La société, et donc la patrie, a besoin pour se développer de biens matériels, donc du
soutien matériel de la part des citoyens. Cette obligation est clairement énoncée dans les Saintes
Ecritures du Sauveur lui-même par le « donnez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à
Dieu »
{D a ti d e c i C e z a ru lu i, c e le s u n t a le C e z a ru lu i s i lu i D u m n e z e u c e le s u n t a le lu i
D u m n e z e u ) ("Mt.., XXII, 21 ; Le. XX, 25 ; Mc XII, 17). Par ce précepte, le devoir du chrétien
est énoncé en sa double qualité de citoyen et de croyant de l’Eglise, c’est-à-dire ses obligations
face à la patrie, dans laquelle il vit, et face à Dieu. Cette parole confirme la légitimité des
doubles obligations de chaque chrétien, obligations qui ne sont pas en « collusion » {o b lig a tii
c a re n u s u n t în c o liz iu n e )^ ^ ^. Tant que le chrétien se trouve dans la vie terrestre et vit dans une
société qui assure une vie heureuse et de progrès, il ne peut se soustraire pour aucun motif, de
quelque nature qu’il pourrait être, de ses plus hautes obligations qu’il a en sa qualité de citoyen
de « notre Etat de démocratie populaire
On verra aussi le précepte suivant qui confirme
les devoirs du croyant : « Rendez à chacun ce qui lui est dû : l’impôt, les taxes, la crainte, le
respect, à chacun ce que vous lui devez » {D a ti tu tu ro r ce s u n te ti d a to ri s a d a ti : c u i d a to ra ti
319 Grigorie MARCU, « Hristos si Cezarul sau Statul si Biserica în lumina Noului Testament
», dans M itro p o lia A rd e a lu lu i , XXII, 1977, 7-9, p. 485.
320 M C h i a L D A , « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 66.
321 Ib id .
171
b iru l, d a ti-i b iru l; c u i d a to ra ti v a m a , d a ti-i v a n ta ; c u i d a to ra ti a s c u lta re , d a ti-i a s c u lta re ; ia r
d a to ra ti c in s tire , d a ti-i c in s tire . N im a n u i e u n im ic s a fiti d a to ri) (Rm. XIII, 7-8).
Donc, outre la définition du double devoir du citoyen, en tant que citoyen de l’Etat et du
croyant en Dieu, le précepte du « rendez à César... » signifie que « l’Eglise orthodoxe a
compris qu’elle devait collaborer de manière étroite avec l’Etat » {B is e ric a O rto d o x a a în te le s sa
c o la b o re z e în m o d s trîn s e u S ta tu lŸ ^ ^.
Les auteurs évitent d’utiliser l’expression « séparation entre l’Eglise et l’Etat », mais
emploient plutôt la formule « les droits de Dieu sont séparés de ceux de César ». Autrement dit,
chez les orthodoxes, le citoyen doit reconnaître les deux domaines, celui de Dieu et celui de
l’Etat, doit se soumettre à l’Etat, et par conséquent doit collaborer avec l’Etat. Il y a donc
séparation sur le plan des attributions respectives, mais collaboration entre l’Eglise et l’Etat.
Plus exactement, G. Marcu affirme qu’il n’y a pas deux pouvoirs. La conception des deux
pouvoirs est « hétérodoxe », parce que cette conception implique un esprit de concurrence
« anti-irénique »^23 Lg Christ ne fait pas de différence entre deux pouvoirs, comme s’ils
existaient de manière séparée, par la volonté de Dieu, mais il se limite à proclamer l’obligation
de remplir simultanément « ses devoirs de citoyen et de croyant »^24 Cette obligation vis-à-vis
des deux « devoirs » est religieuse. Nous le verrons au point suivant, l’Etat est voulu par Dieu.
Ainsi, cet auteur confirme bien que malgré toute séparation formelle et normative,
constitutionnelle, de l’Eglise et de l’Etat, la conception chrétienne ne pourrait admettre une telle
situation. De plus, cet auteur s’inspirant de Matthieu (XVIII, 18) montre que « tout pouvoir est
de Dieu » {T o a tâ p u te re a e îta e x is ta p e lu m e e a lu i D u m n e ze u )^ ^^ . Ce point est donc central et
est la clef de voûte de toute l’argumentation orthodoxe sous le communisme. En effet, il est
capital de noter que l’Eglise orthodoxe a donc utilisé son argumentation traditionnelle selon
322 Sofron V l
ad
,
« Atitudinea bisericii ortodoxe fata de problemele sociale... », op. cit., p.
171.
323 Grigorie MARCU, « Hristos si Cezarul... », o p . e it., p. 491.
324 jh id
325 Ib id ., p. 492.
172
laquelle le pouvoir est voulu par Dieu, confirmé dans l’épître aux Romains, ch. XIII, pour
montrer la pennanence de la « symphonie » byzantine. Le pouvoir communiste est donc, en
conséquence, voulu par Dieu. « L’exercice des droits et des devoirs religieux ainsi que ceux de
citoyen se font simultanément et de manière “ symphonique ”326 « Lgg opposer ou les déclarer
séparables, si l’on est chrétien, n’est pas une pensée chrétienne ni une attitude approuvée par
Dieu »327
conséquence, on peut en déduire que les catholiques qui n’envisagent pas les
relations Eglise / Etat de cette manière ne sont pas de vrais chrétiens.
La soumission du citoyen passe d’abord par le respect de l’impôt ; « rembourse leur
l’argent, pour toi et pour moi » {la b a n u l sJ d a -li-l lo r, p e n tru m in e s J p e n tru tin e ) (Mt. XVIII,
27). Cet impôt, et donc la soumission à l’Etat, est indispensable pour le salut de l’économie
nationale et l’équilibre entre la campagne et la ville : « En cette occasion, ce que vous avez en
trop compense ce qu’ils ont en moins, pour qu’un jour ce qu’ils auront en trop compense ce
que vous aurez en moins, pour que cela fasse l’égalité, comme il est écrit : Qui avait beaucoup
recueilli n’a rien eu de trop, qui avait peu recueilli n’a manqué de rien » {C i, c a s a fie p o triv ire :
p ris o s in u i v o a s tra s a îm p lin e a s c a a c u m lip s a a c e lo ra , p e n tru c a sJ p ris o s in ta lo r s a îm p lin e a s c a
lip s a v o a s trfi s p re a fi p o triv ire , p re c u m e ste s c ris : C e lu i e u m u ltn u i-a p ris o s its i c e lu i e u p u tin
n u i-a lip s it) (Il Co. VIII, 14-15). Ainsi « le peuple maudit l’accapareur de blé, mais bénit celui
qui le met sur le mai'ché » {C e l ce tin e g ra u l e b le s te m a t d e p o p o r, ia r b in e c u v â n ta re a p e s te
c a p u l c e lu i c e v in d e ) (Pr. XI, 26).
Le patriotisme s’inscrit donc dans la tradition chrétienne et signifie une dévotion et une
soumission face à l’Etat et l’autorité, et le vrai chrétien ne peut exister sans être un vrai
patriote^^^. Bien plus, personne ne peut interdire à un chrétien de se soumettre parce qu’il
serait ainsi en opposition avec sa foi329.
326 Ib id ., p. 492.
327 Ib id ., p. 492.
328 jyi CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 67.
329 Ib id ., p. 67.
173
B. Le « Que tout homme soit soumis aux autorités... »
Le chapitre XIII de l’épître au Romains de saint Paul est également à la base de la
légitimation du respect de l’Etat et complémentaire de ce qui précède. « Que tout homme soit
soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui
existent sont établies par lui. Ainsi, celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu
par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes. En effet, les magistrats ne
sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas avoir à
craindre l’autorité ? Fais le bien et tu recevras ses éloges, car elle est au service de Dieu pour
t’inciter au bien. Mais si tu fais le mal, alors crains. Car ce n’est pas en vain qu’elle porte le
glaive : en punissant, elle est au service de Dieu pour manifester sa colère envers le malfaiteur.
C’est pourquoi il est nécessaire de se soumettre, non seulement par crainte de la colère, mais
encore par motif de conscience. C’est encore la raison pour laquelle vous payez des impôts :
ceux qui les perçoivent sont chargés par Dieu de s’appliquer à cet office. Rendez à chacun ce
qui lui est dû : l’impôt, les taxes, la crainte, le respect, à chacun ce que vous lui devez » {T ô t
s u fle tu l s a se s u p u n a în a lte lo r s ta p în iri, c a c i n u e ste s ta p în ire d e c ît d e la D u m n e z e u ; ia r c e le ce
s în t, d e D u m n e z e u s în t rîn d u ite . P e n tru a c e e a, c e l ce se îm p o triv e s te s td p în irii se îm p o triv e s te
rîn d u ie lii lu i D u m n e z e u . Ia r c e i ce se îm p o triv e s c îs i v o r lu a o s în d a . C a d d re g â to rii n u s în tfric d
p e n tru fa p ta b u n d , c i p e n tru c e a re a . V o ie s ti, d e c i, sa n u -ti fie fric d d e s ta p în ire ? F a b in e le s i v e i
a v e a la u d à d e la e a . C a d e a e ste s lu jito a re a lu i D u m n e z e u s p re b in e le ta u . Ia r d a c a fa d rd u ,
te m e -te ; c a c i n u în z a d a r p o a rtd s a b ia ; p e n tru c d e a e ste s lu jito a re a lu i D u m n e z e u d rd z b u n d to a re
a m în ie i L u i, a s u p ra c e lu i ce s a v îrse s te rd u l. D e a c e e a e ste n e v o ie s a v d s u p u n e ti, n u n u m a i
p e n tru m în ie , c i d p e n tru c o n s tiin td . C d p e n tru a c e a s ta p ld titi sJ d d ri. c d c i (d re g d to rii) s în t
174
s lu jito rii lu i D u m n e z e u , s tâ ru in d în a c e a s td s lu jire n e în c e ta t. D a ti d e c i tu tu ro r c e le c e s în te ti
d a to ri : c e lu i e u d a re a , d a re a ; c e lu i e u v a m a , v a m a ; c e lu i e u te a m a , te a m d , c e lu i e u c in s te a ,
c in s te ) (Rm. XIII, 1-7). Saint Paul y décrit les devoirs du chrétien. Le pouvoir de l’Etat a pour
origine la volonté de Dieu (v o in ta lu i D u m n e z e u ). L’homme n’a pas en soi le pouvoir de
dominer les autres hommes, puisqu’ils sont tous égaux et libres. Tous les pouvoirs qui existent
sont installés par Dieu. Donc celui qui s’oppose à l’autorité, souffrira la sanction de Dieu qui a
institué l’autorité de l’Etat et des instances exécutives de celle-ci. L’Etat doit donc punir ceux
qui lui veulent du mal, récompenser ceux qui lui veulent du bien, accordant une protection
contre les premiers. Cela signifie que ceux qui exercent les prérogatives du pouvoir de l’Etat
sont des collaborateurs (c o la b o ra to rii) de Dieu, en combattant le mal et promouvant le bien^^O.
L.
Stan fait également référence au principe énoncé dans Romains Xin (1-7) montrant
que l’autorité ou l’Etat sont voulus par Dieu. Mais il convient ici de souligner les nuances qu’il
apporte contrairement à la majorité des auteurs. En effet, d’après lui, l’Etat ne serait pas créé ou
fondé par Dieu (în te m e ia t) , mais concédé, consenti (c i e u în g d d u in ta ) par Dieu après la chute de
Thomme dans le pêché originel, en tant que forme d’imperfection qui a suivit la chute. Ainsi, il
n’y a pas de relation de cause à effet avec le péché originel, mais l’Etat est un « dérivé » du
péché ou une forme de péché. Cet aspect est intéressant dans la mesure où ultérieurement le
terme în te m e ia t, « concédé », sera remplacé par « la volonté » (voia) de Dieu, c’est à dire non
pas « în te m e ia t e u în g â d u in ta », mais est « v o in ta » ou « v o ia lu i D u m n e z e u », la volonté de
Dieu ou voulu par Dieu.
De manière générale, pour bien distinguer la différence entre l’Eglise et l’Etat, les auteurs
reprennent la citation de saint Jean (Jn., XVIII, 36) ; « Mon royaume n’est pas de ce monde »
pour montrer que l’Eglise en tant que société ne peut remplacer l’Etat sur terre, mais que son
but appartient au royaume des cieux. Donc, l’Eglise ne peut s’opposer à l’Etat ni le
concurrencer. Ainsi, l’Eglise orthodoxe n’a pas cherché à se superposer à l’Etat ou à remplacer
l’Etat, comme l’a fait l’Eglise catholique occidentale qui est devenue « un Etat supranational
330 Grigorie M a r C U , « Hristos si Cezarul... », op. cit., pp. 493.
175
universel à prétention de souveraineté mondiale ». En effet, l’Eglise catholique par l’existence
même du Vatican en tant qu’Etat pontifical s’oppose en réalité à cette conception, à la
conception chrétienne véritable.
Donc, les chrétiens sont obligés de respecter l’Etat et ses lois, de ne pas s’opposer à lui,
ni de soumettre l’Etat à l’Eglise. La seule chose que l’Eglise demande à l’Etat, c’est la liberté de
croyance et liberté religieuse, ce que garantit la Constitution communiste. Ce point est
systématiquement repris dans la littérature pour bien montrer qu’il n’y a pas de contradiction
entre la « symphonie » et l’Etat communiste puisque celui-ci garantit la liberté de conscience.
Selon G. Marcu, Saint Paul a une conception supérieure de l’autorité, considérant que
l’Etat a une fonction religieuse. Ainsi le chrétien doit se soumettre pai' conviction « intérieure »
(là u n tric à )^ ^ ^ ,
et non par peur332 Cette soumission doit se faire par une obéissance active
{a u s c u lta re a c tiv a ).
On citera encore parmi les préceptes utilisés par les auteurs ; « Rappelle à
tous qu’ils doivent être soumis aux magistrats, aux autorités, qu’ils doivent obéir, être prêts à
toute oeuvre bonne... » (A d u -le a in in te s a se s u p u n a s ta p în ito rilo r sJ d re g a to rilo r, s a a s c u lte , s a
fie g a ta la o ric e lu c ru b u n )
(Tt. III, 1). « Soyez soumis à toute institution humaine, à cause du
Seigneur : soit à l’empereur, en sa qualité de souverain, soit aux gouverneurs, délégués par lui
pour punir les malfaiteurs et louer les gens de bien. Car c’est la volonté de Dieu qu’en faisant le
bien vous réduisiez au silence l’ignorance des insensés »
(S u p u n e tJ -v â , p e n tru D o m n u l,
o ric a re i o rîn d u iri o m e n e s ti, fie îm p a ra tu lu i, c a în a lt s ta p în ito r. F ie d re g a to rilo r, c a u n o ra ce s în t
trim is i d e e l, s p re p e d e p s ire a fd c d to rilo r d e re le sJ s p re la u d a fd c d to rilo r d e b in e ; C a d a s a e ste
v o ia lu i D u m n e z e u , c a v o i, p rin fa p te le v o a s tre c e le b u n e , s a în c h id e ti g u ra o a m e n ilo r fa rd m im e
s jfd rd c u n o s tin td )
(1 P. II, 13-15). En fait. Dieu est le fondateur de la société humaine et celui
qui institue l’autorité {in s titu ito ru l a u to ritd tii).
331 On vena en conclusion l’utihsation fréquente de la notion id u n tric
332 Grigorie MARCU, « Hristos si Cezarul... », o p . c it., p. 494.
176
On citera encore cette allusion à saint Augustin333 citée par Marcu : « Celui qui a donné
l’autorité au chrétien Constantin, le même l’a donné à Julien l’apostat » {Q u i d é d it im p e riu m
C o n s ta n tin o c h ris tia n o , ip s e e tia m a p o s ta ta e J u lia n o )^^ ^ .
Cette citation est intéressante. Cela
pourrait être interprété comme une allusion assez subtile au régime communiste, comme mise en
exergue de la contradiction du discours orthodoxe avec la réalité du régime communiste. Cela
signifie aussi qu’en dépit de la politique du pouvoir communiste, l’Eglise doit de toute manière
se soumettre à l’Etat, ce qui d’une certaine manière rend caduque la précaution oratoire utilisée
par les auteurs orthodoxes qui, de manière générale, contournent la difficulté en citant les
articles de la Constitution montrant ses bienfaits pour la prospérité du pays, pour la liberté de
conscience et « l’élaboration du bien commun » {fa u rire a b in e lu i o b s te s c ).
On verra aussi les préceptes suivants qui montrent que non seulement il faut se soumettre,
mais également prier pour l’Etat Conformément à sa tradition (p o triv it tra d itie i s a le ), l’Eglise
prie pour l’autorité de l’Etat (în a lta la a lta r ru g d c iu n i p e n tru a u to rita te a d e S ta t)^ ^ ^, ce qui se
faisait effectivement sous le régime communiste dans les Eglises en Roumanie : « Je
recommande donc, avant tout, que l’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des
actions de grâce, pour tous les hommes, pour les empereurs et tous ceux qui détiennent
l’autorité, afin que nous menions une vie calme et paisible en toute piété et dignité » (V a în d e m n
d e c i, în a in te d e to a te , s a fa c e ti c e re ri, ru g a c iu n i, m ijlo c iri, m u ltu m iri, p e n tru to ti o a m e n ii, p e n tru
îm p d ra ti sJ p e n tru to ti c a re s în t în în a lte d re g a to rii, c a sa p e tre c e m v ia td p a s n ic a s i lin is tita în tru
to a ta c u v io s ia sJ b u n a -c u v iin ta )
( I Tm II, 1-2).
Cette conception du pouvoir s’inscrit donc dans la continuité de l’idéologie d’avantguerre^^^, et est restée identique pendant tout le régime communiste et également depuis 1989.
^33 Pour l’influence d’Augustin dans la théologie orthodoxe roumaine : Flaviu POPAN, « Le
caractère occidental de la théologie roumaine d’aujourd’hui », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , 8,
1959, 3-4, pp.169-183.
334 Grigorie
335 jvi
Ch
M a RCU,
ia l d a
,
« Hristos si Cezarul... », o p . c it., p. 497.
« Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 63.
336 Romulus CANDEA, « Biserica ortodoxa si traditia nationala », dans P ro b lè m e a c tu a le în
B is e ric a sJ S ta t,
Ed. « Cartilor Bisericesti », 1935, pp. 59-78.
177
On remarque que dans le second volume du D re p t c a n o n ic o rto d o x , le g is la tie sJ a d m in is tra tie
b is e ric e a s c d
paru en 1990, de I. N. Floca, cette conception reste prépondérante pour ce qui
concerne les rapports de l’Eglise avec l’Etat337 n y a donc de ce point de vue une continuité
dans l’argumentation de l’Eglise, qui inscrit toujours actuellement sa conception de ses rapports
avec l’Etat dans la tradition byzantine orthodoxe. Et si l’Eglise s’inspire des sources chrétiennes
communes avec le catholicisme, elle tient à montrer l’originalité de son interprétation par rapport
aux catholiques.
Ce qui différencie l’Eglise orthodoxe et l’Eglise catholique, c’est non seulement la notion
de l’internationalisme et du cosmopolitisme, mais aussi l’interprétation de ces préceptes
évangéliques. En effet, « dans l’Eglise orthodoxe en général et dans notre Eglise “ des
ancêtres ” (s tra m o s e a sc a ) n’a jamais existé de tendance de la part de l’Eglise à se superposer à
l’Etat voire de soumettre l’Etat comme dans l’Eglise catholique »^38 « Aucun patriarche ou
métropolite n’a jamais eu les deux couronnes comme le pape qui comme les pontifes romains
ont en main le pouvoir politique et religieux »339 « C’est la fausse et périlleuse théorie des
deux glaives que les romano-catholiques utilisent, comme étant fondée par les Saintes Ecritures,
mais qui n’est au fond qu’une sophistication (s ic ) ayant pour but de soutenir le césaropapisme
romano-catholique »340 u est intéressant de constater que l’Eglise orthodoxe considère que
l’alliance du trône et de l’autel est le fait de l’Occident catholique^^^. D’autre part sur le plan du
patriotisme, le Vatican, par sa volonté de domination politique des Etats, se retrouve aux
337 loan N. FLOCA, D re p t c a n o n ic o rto d o x . L e g is la tie sJ a d m in is tra tie b is e ric e a s c â , vol 2,
Ed. I. B.M.B.O.R., Bucuresti, 1990, pp. 279-286. Cfr. aussi : în d ru m a ri m is io n a re , coord D.
R a d u , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1986, chap. B is e ric a s i lu m e a , 2, B is e ric â sJ S ta t, pp.
436-450 et 3, P a trio tis m u l, pp. 451459 ; Ion BRI A, C re d in ta p e c a re o in a rtu ris m , Ed.
I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1987, 3 , A u to rita te a p u b lic â c iv ilâ , pp. 297-301.
338 Sofron VLAD, « Atitudinea bisericii ortodoxe fata de problemele sociale... », op. cit., p.
172.
339
p.
172.
340 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p. 387.
341 On verra aussi : Teodor M. POPESCU, « Cezaropapismul romano-catolic... », o p . c it.,
pp.495-538.
178
antipodes d’une conception patriotique. « Le pape se considérant, par usurpation, comme le
vicaire du Christ sur ten-e et ayant son siège dans la cité des Césars romains, s’est arrogé sans
aucune crainte le droit de s’immiscer dans la vie interne de tous les Etats
Ainsi la papauté
s’est organisée en Etat avec une aristocratie, la curie, et a organisé des guerres, opposant les
peuples contre les autres, semant la discorde entre les peuples, dans la lignée du chauvinisme
bourgeois. Le Vatican s’est opposé à l’union des peuples et à la création des Etats unitaires
comme l’Italie et a par son prosélytisme voulu asservir les peuples en usant de théories
réactionnaires impérialistes et
cosm opolites^'^^
On constate donc qu’au-delà de ce que l’on
appellerait le « verbiage » communiste anti-capitaliste se trouve un « b a c k g ro u n d » argumenté
correspondant à la vision orthodoxe de l’Occident D n’est dès lors pas étonnant que ce discours
ait perduré depuis les événements de 1989.
Comme cela apparaîtra de manière encore plus claire dans la troisième partie, on constate
que si l’on fait abstraction du discours communiste et des aspects inhérents à la guerre froide,
l’orthodoxie tient à montrer constamment ses différences doctrinales avec l’Occident Ceci
montre aussi qu’il est peu aisé de distinguer ce qui relève de la pensée orthodoxe sous le
communisme, et ce qui relève du communisme dans les pays orthodoxes.
342 M CHIALDA, « Crestinism si patriotism », dans S tu d ii T e o lo g ic e , a. 5, 1953, f. 1-2, p.
69.
343 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., pp. 110-111.
179
Chapitre III. LEGITIMATION PATRISTIQUE DU
PATRIOTISME :
V E g lis e
O rth o d o x e
R o u m a in e
dans
la
tra d itio n
o rie n ta le d e s P è re s d e P E g lis e
En plus de l’argumentation évangélique du patriotisme légitimant le respect et la
soumission à l’Etat, les auteurs utilisent les sources patristiques pour montrer le caractère
oriental de la tradition canonique orthodoxe relative au patriotisme344
E.
Vasilescu, en particulier, montre quelles sont les sources patristiques qui établissent les
liens entre orthodoxie et patriotisme, citant essentiellement Augustin, Jean Chrysostome,
Grégoire de Naziance, Maxime le Confesseur, Origène et TertuUien^^S
Les auteurs citent les Pères de l’Eglise pour légitimer l’existence de la « patrie » depuis les
origines, et la nécessité de l’amour de la patrie, corroborant ainsi les thèses énoncées dans le
344 On verra surtout : Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it.,
pp. 382-399 ; Costica A. POPA, « Principiul loialitatii fata de stat la apologetii crestini », dans
S tu d ii T e o lo g ic e ,
ser. Il-lea, 1975,1-2, pp. 52-63 ; Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste
si respecta legile tarii », o p . c it., pp. 5-14.
345 On verra surtout D iz io n a rio p a tris tic o e d i a n tic h ità c ris tia n e , dir. Angelo Di BERARDINO
(Institutum patristicum augustininum Roma), 2 vol., Ed., Marietti, Casale Monferrato, 19831984 ; Otto
M a z a l , H a n d b u c h d e r B y z a n tin is tik ,
180
Ed. Akademische Druck-u., Graz, 1989.
chapitre précédent. « La cité à laquelle nous appartenons est notre patrie, et elle est comme notre
mère » (C e ta te a c a rd a U a p a rtin e m este p a tria n o a s tra , e a e ste c a s i m a rn a n o a s tra ) (Augustin, D e
lib é ra a rb itrio ,
lib. I, c. XV, n. 32, Migne, P. L., XXXII, col. 238). Saint Jean Chrysostome
commentant Matthieu (XIII, 57) : « un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans sa
maison » {n u e s te p ro o ro c d is p re tu it d e c ît în p a tria s a s i în c a s a s a ), considère Caphamaiim
comme la patrie du Sauveur, parce qu’il y a séjourné longtemps (Jean Chiysostome, H o m é lie s
s u r s a in t J e a n l ’é v a n g é lis te ,
XXXV, 2, Migne, P. G., LIX, col. 200)^^^. Saint Basile le
Grand montre le lien entre l’amour de la patrie et des parents : « Il honore sa patrie de la même
manière qu’il aime ses parents » {c in s te a p a tria la fe l c u m ts i c in s te s te p e p d rin tti s d i) (Migne, P.
G., XXXII, col. 492). Selon saint Grégoire de Nazianze, « Chaque mère est différente, mais la
mère commune est la patrie » {M a rn a fie c a ru ia e ste d e o s e b itâ , d a r m a rn a c o m u n à e s te p a tria )
(Migne, P.G., XXXVII, col. 77), et les auteurs citent saint Jean Chrysostome : « il n’y a rien
de plus plaisant que la patrie » {N im ic n u e ste m a i p la c u t d e c ît p a tria ) (Jean Chrysostome,
E x p lic a tio n d e s p s a u m e s ,
Migne, P. G., XLIX, col. 35) et saint Basile le Grand, « ...il le
reçoit donc comme un patriote » {...p rim e s te -l d e c i c a p e u n p a trio t) (Basile le Grand, E p is to la ,
CXIII, Migne, P.G., XXXII, col. 1065).
La patrie est donc une réalité reconnue depuis l’époque patristique. L’enseignement des
Pères de l’Eglise doit donc montrer que le respect de la patrie roumaine est un commandement
chrétien orthodoxe {o p o ru n c a c re s tiim ).
D’après des auteurs, comme E. Vasilescu, Isidore de Péluse considère la mort pour la
patrie comme une mort « pour les droits de la nature » {p e n tru d re p tu rile firiï) et la guerre pour
la défense de la patrie comme un droit nécessaire et légitime (Isidore de Péluse, L iv re III,
E p is to la
exVI, Migne, P. G., LXXVIII, col. 320, 321; L iv re V , E p is to la
CCCLXXXVI,
Migne, P. G., LXXVIII, col. 1557). Saint Augustin approuve la guerre pour la défense de la
patrie et de la justice, affirmant que Dieu aide celui qui lutte pour la patrie : « mais il y a une plus
grande gloire à “ tuer la guerre par la parole ”, que d’assassiner des hommes par le sabre, et de
346 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p. 384.
181
gagner la paix par la paix, et non par la guerre » {e s te m a i m a re g lo rie s a u c iz i ra z b o iu l e u
c u v în tu l, d e c ît s a o m o ri o a m e n i e u s a b ia , s i s a e îs tig i p a e e a p rin p a e e , n u p rin rd z b o i)
(Augustin, E p is to la , CCXXIX, Migne, P. L„ XXXIII, col. 1019).
Les auteurs chrétiens des origines auraient été de « bons patriotes » envers leurs pays,
comme par' exemple Prudence ou saint Ambroise et saint Augustin envers l’empire romain
menacé par les Goths et les envahisseurs du Ve siècle347 Les Pères de l’Eglise étaient des
patriotes, non seulement par conviction de citoyen de l’empire, mais par leur croyance
chrétienne^^^.
Les auteurs patristiques faisaient la différence entre leurs devoirs « purement » religieux et
patriotiques, différence qui ne se faisait pas chez les païens, où l’empereur, représentant du
pouvoir politique était « en même temps “ dieu ”
gj les chrétiens ne faisaient pas les
sacrifices aux dieux païens, ce n’était pas par anti-patriotisme, mais parce qu’il s’agissait de
pratiques contraires à l’enseignement de leur Dieu. Ainsi de la même manière que les chrétiens
étaient de bons patriotes envers l’empire romain païen, il en découle que le bon chrétien
orthodoxe roumain doit être patriote pour l’Etat communiste athée, même si certaines de ses
pratiques étaient contraires à celles de l’Etat.
Pour les Pères de l’Eglise, par le « rendez à César, e te . » , les droits de Dieu sont sépai'és
de ceux de César. Cependant l’autorité de l’Etat est voulue et établie {v o ità s j s ta b ilita d e
D u m n e z e u ),
par Dieu pour le bien des hommes.
Donc, suivant l’exemple du Christ qui s’est soumis à l’autorité de l’Etat, les Pères de
l’Eglise ont prêché la soumission à l’Etat, l’obéissance et les devoirs patriotiques de citoyens.
« La littérature patristique est pleine d’autres conseils de soumission face à l’autorité de l’Etat et
aux devoirs patriotiques »350 Comme le disent les C o n s titu tio n s a p o s to liq u e s : « honore le
chef de l’Etat et ses gouverneurs comme des serviteurs de Dieu, parce qu’ils “ dédommagent ”
347
jiy id .,
348
p.
385.
p.
387.
p.
388.
349 jb id ..
350
Ib id ,,
182
de toute injustice, et ainsi paye l’impôt et toute contribution avec reconnaissance » (S a c in s te s ti
p e c o n d u c a to ru l s ta tu lu i s i p e d re g a to rii lu i c a p e n is te s lu jito ri a i lu i D u m n e z e u , c d c i e i s în t
rd s p ld tito rii o ric d re i n e d re p ta ti, c d ro ra s a p lâ te s ti d a jd ie s i o ric e c o n trib u tie e u re c u n o s tin td )
(C o n s titu tio n s a p o s to liq u e s ,
Migne, P. G., I., col. 1010).
Saint Justin le Martyr qui faisait la même distinction entre les droits de Dieu et de l’Etat
témoigne également de la soumission face à l’Etat à propos du « rendez à César... » ; « Nous
n’adorons qu’un seul Dieu, mais pour le reste nous nous soumettons à vous, vous
reconnaissant comme maîtres et chefs des peuples... » (N o i n u a d o ra m d e c ît p e D u m n e z e u
s in g u r, d a r p e n tru re s t n o i n e s u p u n e m v o u a , re c u n o s c în d u -v a c a s td p în i s i c o n d u c a to ri a i
p o p o a re lo r...)
(Justin, A p o lo g ie s , I., XVII, Migne, P. G., VI, col. 353).
Origène défend également les chrétiens contre les attaques des païens qui les accusent de
manque de patriotisme. « Nous, nous luttons pour ceux qui mènent la guerre juste et pour ceux
qui gouvernent avec justice » (N o i, n e lu p td m p e n tru c e i ce d u c rd z b o a ie d re p te sJ p e n tru c e i ce
s td p â n e s c e u d re p ta te )
(Origène, C o n tre C e ls e , VIII, 73, Migne, P.G., XI, col. 1628). De
même, Origène montre à Celse, « adversaire du christianisme » comme le dit E. Vasilescu,
que, par leurs prières pour le chef de l’Etat et leur attitude correcte, les chrétiens apportent de
réels services à l’Etat romain et contribuent ainsi à son développement^^!.
Tertullien montre également aux païens que les chrétiens sont les citoyens les plus loyaux
de l’empire romain parce que même s’ils n’exécutent pas les sacrifices aux dieux païens ni ne
considèrent les empereurs comme des dieux, ils honorent l’administration de l’Etat et se
conforment aux devoirs légaux du citoyen (Tertullien, A p o lo g e tic u m , XLII, 9).
Saint Grégoire de Naziance dit à propos de l’Etat, souligne E. Vasilescu^^^ :
« soumettons-nous à Dieu, les uns les autres, et aussi aux chefs sur terre ; à Dieu parce que
tout nous invite à le faire, les uns les autres pour l’amour fraternel, et aux gouvernants pour le
bon ordre ... » (S a n e s u p u n e m lu i D u m n e z e u , u n ii a lto ra s i c o n d u c a to rilo r d e p e p a m în t; lu i
D u m n e z e u p e n tru c a to tu l n e in v ita la a c e a s ta , u n ii a lto ra p e n tru iu b ire a frd te a s c d , ia r
351 Ib id .
352
p.
389.
183
c o n d u c a to rilo r p e n tru b u n a o rd in e ...)
(Grégoire de Naziance, D is c o u rs , XVI, 6, Migne, P. G.,
XXXV, col. 172).
Saint Maxime le Confesseur affirme à propos de l’autorité et du pouvoir : « Donc les
règles de vie données par les chefs de l’Etat, considère-les avec une véritable application ; elles
ont beaucoup de légalité... » {D e c i re g u lile d e v ia td d a te d e c o n d u c a to rii s ta tu lu i c o n s id e rd -le e u
a d e v a ra t v re d n ic e d e a c e a s td n u m ire ; e le a u m u ltd le g a lita te ...)
(Maxime le Confesseur, Migne,
P.G., XXXV, col. 172). « L’absence d’ordre est caractéristique de l’anarchie, et l’ordre
montre qui conduit » {L ip s a d e o rd in e e ste c a ra c te ris tic a a n a rh ie i, ia r o rd in e a a ra ta p e c e l c a re
c o n d u c e ) (Ib id .,
col. 717). On comprend ainsi les conclusions de N. V. Dura : « nous avons
l’ordre divin de combattre l’anarchie civique, la désobéissance à l’Etat ainsi que toute tendance
au désordre social »353
« Ainsi d’après les saints Pères, la soumission à l’autorité de l’Etat a aussi une base plus
profonde que le simple avantage matériel et spirituel qu’elle procure. Pour eux, l’autorité de
l’Etat était conçue pour le bien des hommes et par là, quand les chrétiens se soumettent à cette
autorité, ils remplissent la volonté de Dieu » {...e i îm p lin e s c v o ia lu i D u m n e z e u )^ ^^ . Mais Dieu
n’a pas conçu un gouvernement précis et n’a pas mis au pouvoir un monarque précis, auquel il
faudrait se soumettre à tout prix. Il n’a conçu qu’une autorité et une obéissance à cette autorité
(c d D u m n e z e u a rîn d u it s a fie a u to rita te d e s ta t, n u u n a n u m it c o n d u c a to r)^ ^ ^.
Les chrétiens qui
se soumettent donc au pouvoir communiste remplissent la volonté de Dieu. Ce qui compte ce
n’est pas la nature du régime, mais le principe même du respect à l’autorité. Donc, d’après la
doctrine orthodoxe de l’Etat, l’Eglise doit se soumettre quelle que soit la nature du régime
politique en place. E. Vasilescu reprend à ce propos la citation de saint Jean Chrysostome : «
en ce sens, quelqu’un écrivait autrefois : “ La femme a été créée par Dieu pour l’homme ” (Pr.
IX, 14). Cela signifie que Dieu est l’auteur du maiiage en général et non des différentes unions
qui se contractent ; nous voyons en vérité une multitude d’unions qui ne sont pas légitimes, qui
353 Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste si respecta legile t^ », o p . c it., p. 14.
354 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it, p. 389.
355
jjjîd
184
n’ont rien en commun avec le mariage, et pour lesquelles nous ne pourrions y voir Dieu comme
leur auteur » {In a c e la s i se n s, c in e v a d in v e c h im e s c ria : “ F e m e ia a fo s t c re a td d e D u m n e z e u
p e n tru b à rb a t” . C e e a c e în s e a m n d c d D u m n e z e u e ste a u to ru l c d s d to rie i în g e n e ra l s j n u a l
d ife rite lo r u n irii c a re se c o n tra cte a z d ; n o i v e d e m , în tr-a d e va r, o m u ltim e d e u n iri c a re n u s în t
lé g itim é , c a re n u a u n im ic c o m u n e u c d s a to ria , s i p e n tru c a re n o i n e fe rim s a v e d e m în
D u m n e z e u a u to ru l lo r)
(Jean Chrysostome, H o m é lie s à l’é p ître a u x ro m a in s . H o m é lie , XXIII,
I, Migne, P.G., LX, col. 615). « Bien plus — ajoute-t-il —, les Pères ajoutent une raison
supplémentaire au patriotisme et aux avantages réels que procure l’ordre de l’Etat car il ne faut
pas oublier que Dieu lui même aime {iu b e s te ) l’existence d’un ordre d’Etat {o rd in e a d e S ta t)
pour le bien commun (la société socialiste)
« Regardez l’ordre que le pouvoir d’Etat
nous procure et vous ne voyez la sagesse de Celui qui, depuis le début, a posé les fondements
de cet état de choses » {A ru n c a ti o p riv ire a s u p ra o rd in e i p e c a re p u te re a d e s ta t n e -o p ro c u ra sJ
n u v e ti p u te a s a n u re c u n o a s te ti în te le p c iu n e a C e lu i c a re , în c d d e la în c e p u t, a p u s te m e liile
a c e s te i s td ri d e lu c ru ri)
(Jean Chrisostome, H o m é lie à l’é p ître a u x ro m a in s . H o m é lie , XXIII, 1,
Migne, P. G., LX, col. 618). Le chrétien doit voir dans l’ordre d’Etat une « oeuvre de la
sagesse de Dieu » {o p é ra a în te le p c iu n ii lu i D u m n e z e u ), conçue pour que le monde ne tombe
pas dans le désordre (Isidore de Péluse, L e ttre s , II, 216, Migne, P. G., LXXVni, col. 657.).
Cet auteur affirme qu’« autant la direction de l’Eglise que celle de l’Etat concernent un seul but,
le salut de ceux qui se soumettent » {c a re s o c o te a c d a tît c o n d u c e re a B is e ric ii c ît sJ a c e e a a
s ta tu lu i c d tre u n s in g u r s c o p p riv e s c , c d tre m în tu ire a s u p u s ü o r)
(ID., L e ttre s , III, 1249, Migne,
P. G., LXXVII, col. 928). Selon saint Ephrem le Syrien ; « de l’autorité de l’Etat émanent les
lois, de l’Eglise le rachat des pêchés (...). L’une dirige avec énérgie, l’autre avec douceur, dans
la compréhension et la sagesse s’unissent la crainte et la douceur » {D e la a u to rita te a d e s ta t
e m a n d le g ile , d e la B is e rie d îm p d e a re a ... U n a c o n d u c e e u e n e rg ie , a lta e u b lîn d e te , în în te le g e re
s i în te le p c iu n e se u n e s je te a m a e u b lîn d e te a )
356
^
p.
(Ephrem le Syrien, C h a n ts d e N is ib e , 21).
390.
185
Les saint Pères et les croyants de l’époque patristique « ont rempli correctement leurs
devoirs patriotiques et ont contribué à la croissance de l’Etat romain », et donc « par leur service
envers la patrie on servit Dieu »^^^. D’après saint Augustin « le crime contre la patrie contient
en lui-même tous les autres » {C rim a îm p o triv a p a trie i c o n tin e în e a s in g u ra p e to u te c e le la lte )
(Augustin, C o n tra A c a d e m ic o s , libr. III, c. XVI, n°36)^^^.
Les Pères ont lutté pour tous les aspects du patriotisme : lutte pour la justice, pour le droit
au travail, pour la liberté des citoyens et pour la paix. Ils ont recommandé aux chrétiens par
leurs écrits d’« honorer » l’autorité et les chefs de l’Etat ainsi que de faire des prières pour eux
(s d fa c d ru g d c iu n ip e n tru e i [c o n d u c a to rii s ta tu lu i
] (...), la collaboration loyale avec l’autorité de
l’Etat, le paiement de l’impôt, le travail pour le bien commun, la défense de la patrie en cas de
danger, même au sacrifice de la vie, dans le cas où les intérêts supérieurs de la défense de la
patrie le
d e m a n de n t35 9
loyauté envers l’Etat se traduit donc par l’impôt, le travail, le
sacrifice et la défense de la patrie.
Un article de N. Dura est l’exemple type de l’application de cette argumentation. Il s’agit
d’un texte concernant les devoirs du citoyen de respecter la légalité socialiste et les institutions
socialistes sur base de ces préceptes ; « Toute personne qui proférerait des insultes au chef de
l’Etat, fomenterait une conspiration ou trahirait les intérêts de l’Etat serait puni conformément
aux règlements disciplinaires de l’Eglise en conformité avec l’art. 3 concernant la conjuration
contre les autorités légales et la trahison des intérêts de la R.S.R. » (Règlement de procédure
des instances disciplinaire et de justice de l’Eglise orthodoxe roumaine)^^^. Il est donc clair que
les auteurs orthodoxes montrent par cette argumentation évangélique et patristique l’obligation
du citoyen de se soumettre à la dictature communiste. Dans le cas contraire, ils encourraient le
risque de s’opposer à Dieu et à « l’ordre » qu’U a « voulu ».
357 ji/id .
358 J ]y ic l_
359 jb id ., p. 391.
360 Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste si respecta legile tarii », op. cit., p. 12.
186
« La discipline de travail dans tous les domaines d’activité et le respect avec sévérité de la
légalité sont élévés dans notre Etat au rang d’obligations avec “ un caractère axiomatique ”
(...)• Le travail entier de l’Eglise et l’attitude des “ servants ” doit s’encadrer dans l’esprit de la
discipline et de la légalité, évitant l’alternative contraire et donnant en permanence l’exemple
pour les croyants en ce domaine »361.
Le respect des lois, ainsi que leur divulgation parmi les citoyens, a donc un caractère
patriotique et civique. L’opposition et l’insoumission à l’autorité légale, aux lois édictées par
elle, sont donc contraires à la volonté de Dieu, et punissables par la loi divine. « En
conséquence, la conscience de la responsabilité civique du chrétien a aussi une motivation
religieuse »362 « D’après l’enseignement de notre Eglise, l’Etat et l’autorité de l’Etat sont
voulus par Dieu, et le chrétien a le devoir sacré de se soumettre, parce que l’Etat représente le
principe de l’ordre du monde (o rd in ii în lu m e ) »363_ « Nous avons un commandement divin
particulier, d’après le Christ, de combattre l’anarchie civique, la désobéissance à l’Etat ainsi que
toute tendance au désordre social. Le Sauveur lui-même a payé l’impôt pour lui et pour son
disciple Pierre »364 (Mt. XVII, 27). De même, comme le déclare Ceausescu, personne n’a le
droit de se soustraire aux lois du pays^^^. En réalité, il y a fusion entre les lois civiles et
religieuses. Les devoirs religieux ne sont pas en contradiction avec les devoirs civils du
chrétien. « Le respect de ces lois a un caractère moral en plus du caractère civique puisqu’il
s’agit d’une loi divine »366
Les sources chrétiennes sont donc utilisées par les auteurs pour montrer la légitimité
chrétienne du respect dû à l’Etat communiste. Cela permet d’inscrire dans la tradition orthodoxe
l’Apostolat social qui devient ainsi un commandement divin (o p o ru n c d d u m n e z e ia sc d ).
S’opposer aux lois du pays édictées par le pouvoir communiste est donc un acte immoral qui
361 Ib id ., p. 13.
362 Ib id .
363 Ib id .
364
^ p. 14.
365 Ib id .
366 jb id .
187
s’oppose aux valeurs du christianisme. Non seulement l’autorité politique est la volonté de
Dieu, mais les lois édictés par elle revêtent donc un caractère divin. Le respect des lois est donc
un devoir du citoyen, mais dans le cas du chrétien, il s’agit d’une motivation religieuse {sJ o
m o ttv a tie re lig io a s â ).
Autrement dit, le fait d’être chrétien permet de respecter d’autant mieux les
lois qu’il s’agit en fait d’inscrire ce civisme dans le cadre des commandements divins.
S’opposer à l’anarchie, pour respecter l’« ordre du monde », est inscrit également dans les
commandements du Christ. Le véritable patriotisme est donc chrétien, puisqu’il donne une
dimension spirituelle à la soumission. Comme le souligne E. Vasilescu, s’inspirant d’Origène,
les chrétiens ne sont-ils pas les citoyens les plus loyaux de l’empire romain puisqu’ils honorent
l’Etat en tant que citoyens, alors qu’ils ne croient pas aux dieux des païens. En d’autres termes,
les chrétiens ne sont-ils pas les plus respectueux de l’Etat puisqu’ils se soumettent aux autorités
tout en ne reconnaissant pas l’idéologie du Parti Communiste en matière religieuse, c’est-à-dire
l’athéisme. Cette position n’est pas sans paradoxe dans le contexte communiste, mais elle
explique la dévotion inconditionnelle de l’Egüse, du moins dans l’idéologie.
188
Chapitre
IV
:
L’ORTHODOXIE
ET
LE
PATRIOTISME « SOCIAL » :
la
lé g itim ité
h is to riq u e ,
u n e E g lis e
« c o m b a tta n te
»
(o Biserica luptatoare)
I. Un « sergianisme » roumain
Un des points importants de la légitimation du patriotisme, et donc de la collaboration de
l’Eglise avec l’Etat est sans aucun doute le problème de la légitimité historique du patriotisme.
Nous avons vu la légitimation marxiste, évangélique et patristique du respect de l’Etat et de la
contribution au nouveau régime social. L’Eglise orthodoxe montre également comment dans
l’histoire, depuis le XIXe siècle surtout, elle a contribué à l’émancipation sociale de l’Etat. Ce
discours se développera particulièrement sous Ceausescu, non plus sur le plan exclusivement «
social », mais surtout sur le plan de l’émancipation « nationale », et ce depuis l’antiquité à
l’époque dace.
189
Dans un premier temps, il s’agissait, dans le cadre de la nouvelle démocratie populaire,
de montrer le rôle social patriotique de l’Eglise dans l’histoire à l’instar du rôle de l’Eglise
orthodoxe russe au XXe siècle. Dans un second temps, à partir des années soixante, l’Eglise
montrera la corrélation entre l’histoire de l’Eglise orthodoxe et celle du peuple roumain depuis
l’ethnogenèse au bas-empire. Cette vision historique sera développée à partir des années
soixante-dix, et non sans incidences sur les plans « nationaliste » et de l’« ethnicité » de
l’Eglise.
En d’autres termes, au début du régime communiste, il s’est agi d’aligner l’Eglise
Orthodoxe Roumaine sur le patriotisme de l’Eglise russe « soviétique », s’inspirant de ce que
l’on appelle le « sergianisme », depuis la déclaration de 1927 du métropolite Serge, le lo c u m
te n e n s
du patriarcat de Moscou. L’Eglise orthodoxe de Russie avait contribué à la mobilisation
des « masses » contre le fascisme pendant la seconde guerre mondiale et avait montré l’exemple
à suivre pour les Eglises orthodoxes des démocraties populaires. Au synode de Moscou en
1948, les autorités des Eglises orthodoxes des démocraties populaires furent réunies sous
l’égide du patriarche Alexis I de Moscou. Les Eglises orthodoxes des régimes populaires y
reçurent les directives en matière politique et religieuse.
Les références au patriotisme de l’Eglise russe disparaîtront progressivement au cours de
la « désoviétisation » de la Roumanie pendant les années soixante et laisseront la place sous
Ceausescu aux relations « inter-orthodoxes ». Le patriotisme soviétique est le premier aspect
sur lequel se fonde l’essentiel de l’Apostolat social dans les premières années du communisme.
L’Eglise russe, depuis la déclaration de Serge de 1927, unissant l’Eglise orthodoxe russe
au destin de la patrie soviétique, s’est mise au service de l’Etat en prêtant allégeance à l’Etat
soviétique. Cette soumission publique et officielle mit fin aux luttes entre le nouvel Etat
soviétique et les différents mouvements orthodoxes russes, les uns opposés au régime
soviétique, les autres favorables à une alliance^^^. Pendant la guerre contre le fascisme,
367 On verra principalement le livre de Nikita STRUVE, L e s C h ré tie n s e n U R S S , Ed. du
Seuil, Paris, 1963, pp. 38-45, et les études réunies par Kathy ROUSSELET, « L’Eglise
190
l’Eglise orthodoxe mobilisa les « forces patriotiques » contre l’envahisseur allemand fasciste et
fut récompensée par Staline au cours de la guerre. Le patriarcat fut rétabli et Serge fut élu
patriarche en 1943368.
En 1948, le patriarcat de Moscou organisa une conférence ecclésiastique à Moscou où fut
établi la politique à suivre dans les nouvelles démocraties populaii-es. Ceci explique que dans les
premières années du régime communiste la littérature orthodoxe roumaine glorifia l’Eglise
« mère ». L’Eglise orthodoxe russe était l’exemple à suivre369 « L’exemple le plus éloquant
concernant la collaboration harmonique et fraternelle entre les nations nous vient de l’Eglise
orthodoxe de la Russie dont l’attitude lors de la glorieuse guerre de défense de la patrie peut
constituer une exemple pour toutes les nations favorables à la paix dans le monde »370
Alors que « l’Eglise orthodoxe avait été soumise à l’Etat et avait perdu sa totale liberté
depuis 1721 avec les réformes de Pieixe le Grand, l’Etat soviétique avait rétabli sa liberté par le
décret du 23 janvier 1918 garantissant les libertés religieuses et la séparation de l’Eglise et de
orthodoxe russe et la politique », dans P ro b lè m e s P o litiq u e s e t S o c ia u x , n°687, 18 sept. 1992
(La documentation française). On verra en outre B. DUPUY, « Appel du Synode épiscopal de
Russie aux hiérarques, pasteurs et fidèles de l’Eglise orthodoxe russe concernant la
“ Déclaration de loyauté » du métropolite Serge (25-27 octobre 1990) », dans Is tin a , XXXVI,
1991, n° 4, pp. 399-417 et le numéro consacré à ce problème dans Istina, comme ISTINA,
« Les risques de “ religion d’Etat ” et les séquelles du “ sergianisme ” dans Is tin a , R u s s ie :
l’E g lis e e t l’E ta t,
XXXVII, 1992, n° 4, pp. 336-344. Cfr aussi : 9 8 8 -1 9 8 8 : u n m illé n a ire . L a
c h ris tia n is a tio n d e la R u s s ie a n c ie n n e ,
textes révisés par Yves
Ha
m ANT,
UNESCO, pub. par
l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, Paris, 1989.
E. FOUILLOUX, « Les chrétiens d’Orient menacés », dans H is to ire d u c h ris tia n is m e d e s
o rig in e s à n o s jo u rs ,
dir. J.-M. MAYEUR, Ch. PlETRI, A.
G u e rre s m o n d ia le s e t to ta lita ris m e (1 9 1 4 -1 9 5 8 ),
Va UCHEZ
et M. VENARD, t. 12,
Desclée / Fayard, Paris, 1990, troisième
partie, pp. 745-831. Cfr. aussi : V. KOUROIEDOV, L ’E g lis e e t la re lig io n e n U R S S , Ed. du
Progrès, Moscou, 1979.
369 Cfr. notamment ; JUSTINIAN (Moldova Mitropolit), « Aspecte din viata religioasa a
URSS-ului », op. cit., pp. 177-191 et le volume O rto d o x ia à l’occasion de la mort de Staline ;
REDACTIA, « Roadele adevaratei libertati religioase », dans O rto d o x ia , V, 1953, 1, pp. 5- 26.
370 petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 111.
191
l’Etat »371. C’est donc 1918 qui représente la libération de l’Eglise orthodoxe russe de la
domination de l’Etat !
Les auteurs roumain du début des années cinquante citent la déclaration orthodoxe russe
d’allégeance à l’U.R.S.S. de 1927 ; « Nous voulons être orthodoxes et en même temps, nous
sommes conscients que l’Union Soviétique est notre patrie, e tc . (N o i v re m s a fim o rto d o c s i si
to ta d a ta , n o i s u n te m c o n s tie n ti c d U n iu n e a S o v ie tic d e ste p a tria n o a s trd
...)372 « Pendant la
guerre, l’Eglise orthodoxe, ayant lutté contre le fascisme, participe aujourd’hui aux
mouvements de la paix, sainte lutte pour la défense de la paix, encourage les croyants à soutenir
toutes les mesures prises par l’Etat soviétique, dans le but de consolider la paix dans le monde
entier (...), la défense de la paix étant pour le chrétien un commandement divin, (lu p ta s fâ n td
p e n tru a p d ra re a P a c ii, îs j în d e a m n a c re d in c io s ji s a s p rijin e to a te m d s u rile lu a te d e S ta tu l
S o v ie tic , în s c o p u l c o n s o lid d rii p a c ii în lu m e a în tre a g d (...) a p d ra re a P d c ii fiin d p e n tru c re s tin o
p o ru n c d d u m n e z e e a s c d )^'^^.
Comme le dit le patriarche Justinian en 1948 ; « A l’instar du métropolite Serge, il faut
combattre le fascisme païen qui a voulu éradiquer la croix chrétienne, et soutenir le Parti
Communiste Roumain qui défendra les intérêts des Eglises »^24
On peut donc affirmer qu’au départ, l’Apostolat social du patriarche Justinian Marina
s’est largement inspiré du « modèle » orthodoxe russe. Cela correspond à la période soviétique
de la Roumanie. Ce fut également l’époque de la constitution du « front orthodoxe des
démocraties populaires » pour lutter contre le « cordon sanitaire » imposé par le Vatican contre
le communisme. La question du patriotisme fut donc liée à la défense, non seulement de la
patrie contre le cosmopolitisme impérialiste, mais également à la justice sociale et à la paix. Le
patriotisme devait s’opposer à toutes les tendances occidentales « fascistes ». L’orthodoxie sous
371 R e d
5- 26.
372
a
C T IA ,
p.
« Roadele adevaratei libertati religioase », dans O rto d o x ia , V, 1953, 1, pp.
18.
373 jt)id ., pp. 18-19.
374
Ju
s t in ia n
,
« Aspecte din viata religioasa a URSS-ului », o p . c it., p. 187.
192
le communisme devait ainsi s’intégrer dans le cadre du Front Mondial de la Paix^^S On peut
donc qualifier V A p o s to la t s o c ia l, dans les premières années de sa rédaction par Justinian Marina
de « sergianisme » roumain, dans le sens de soutien inconditionnel au pouvoir communiste
roumain, à l’instai’ de Serge, mais aussi en tant qu’alignement sur les thèses de Moscou et de
l’Eglise orthodoxe russe. Ceci montre également combien il importe d’être pmdent quant aux
époques considérées, puisqu’il est clair que cette appellation « sergianisme roumain » n’est
valable, pour ce qui concerne l’alignement sur les thèses de Moscou, que pour les années
cinquantes. Conformément à la politique du pays dans les années soixante, et avec
l’isolationnisme de Ceausescu, cette terminologie ne pourra plus être utilisée, en raison de ses
connotations russes et de l’abandon, du moins formel, des liens politiques avec l’orthodoxie
russe.
375 Cfr. la quatrième partie
193
II. La contribution de l’Eglise orthodoxe à l’émancipation sociale
et au progrès : une Eglise « populaire » (o B is e ric a p o p u la ra )
Le caractère populaire de l’Eglise orthodoxe est le point corollaire du précédent, le
fondement du sergianisme roumain. Les auteurs soulignent le rôle des prêtres et des moines
« pour la lutte du peuple roumain travailleur pour la liberté, pour les droits du citoyen et pour le
progrès »376
376 On verra les études consacrées à la morale chrétienne et au travail en commun pour la
nouvelle société, corrolaire du patriotisme : Sorin COSMA, « Munca în comun si morala
crestinâ », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XV, 1963, 3-4, pp. 171-189 ; Dan MIRON,
« Atitudinea fata de bunurile obstesti dupa conceptia morale! crestine », dans S tu d ii T e o lo g ic e ,
ser. Il-lea, XXI, 1969, 9-10, pp. 726-734 ; Sofron VLAD, « Atitudinea Bisericii ortodoxe faû
de problemele sociale... », o p . c it., pp. 158-173 ; Teodor M.POPESCU, « Biserica în
actualitatea socialâ », dans O rto d o x ia , V, 1953, 1, pp. 27-45 ; Constantin C. PAVEL,
« Temeiurile si rostul ascultarii în viata morala a crestinului », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. IIlea, XVIII, 1966, 7-8, pp. 387-407 ; N. NiCOLAESCU, « Misiunea sociala a Bisericii, în
lumina Sfintei Scripturi », dans O rto d o x ia , ni, 1951, 1-2, pp. 35-53 ; ID., « Indatoriri sociale
dupa Noul Testament », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-a, VI, 1954, 7-8, sep-oct, pp. 347356.
194
On citera quelques exemples. Lors de la révolte de Gh. Doja de 1514 en Transylvanie, le
pope Laurence a mené la révolte jusque dans lé Maramures. De même, lors des révoltes de
Horia, Closca et Crisan de 1784 en Transylvanie, l’Eglise orthodoxe a eu un rôle important.
« Des prêtres se sont sacrifiés pour la cause des serfs
On citera également les exemples
donnés par E. Vasilescu : la lutte du métropolite Veniamin Costache « figure lumineuse » du
clergé moldave, contre les courants réactionnaires représenté par Mihail Sturza et le rôle du
métropolite Meletie de Moldavie pendant les événements de 1848 ; le métropolite Sofronie
Miclescu et son rôle pour l’union des principautés roumaines en 1859^^^. C’est pourquoi les
auteurs considèrent que de nombreux prêtres ont été des « prêtres révolutionnaires » (F ig u rile
p re o tilo r re v o lu tio n a ri)^ ^^ .
« D est donc normal que depuis la libération de la Roumanie du joug
fasciste et l’instauration d’un régime de pleine liberté garanti par la constitution de la R.P.R
avec l’aide de TU.R.S.S., l’Eglise orthodoxe roumaine et tous les croyants soutiennent le
nouveau régime social, économique, culturel et politique »380 L’Eglise orthodoxe a toujours
été une Eglise « populaire »381. Elle a lutté lors des révoltes de Horia, celle de Tudor
Vladimirescu à Bucarest en 1821, en Moldavie en 1948, en Muntenie et Transylvanie et a
participé à la révolte paysanne de 1907 qui fut durement réprimée^^^
Cfr. notamment Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p.
394-395.
Ib id .
379 Sofron
Vl
,
ad
« Atitudinea bisericii ortodoxe fata de problemele sociale... » o p . c il., p.
171.
380
M. Ch
ia l d a
,
« Crestinism si patriotism », o p . c il., p. 73.
381 Al. I. ClUREA, « Preoti ortodocsi romîni în revolutiile taranesti, eu speciala privire
asupra r^coalei din 1907 », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-a, V, 1953, 9-10, pp. 689-692 ;
G.
N a G H I,
« Rascoala din 1907 în revistele teologice », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, XXVII,
1977, pp. 33-41.
382 On verra à ce sujet les livres suivants ; M a re a R a s c o a la a td ra n ilo r d in 1 9 0 7 , Ed.
A.R.S.R., Bucuresti, 1967 et T h e G re a t R o m a n ia n P e a s a n t R e v o it o f 1 9 0 7 ,
(Bibliotheca
Historica Romaniae, Studies, 72), édit. Ion ILINCIOIU, Ed. Academiei Române, Bucarest,
1991.
195
L’Eglise a toujours eu un rôle social et patriotique dans le passé et a défendu le sens de la
justice dans la société. Presque tout ce qui concerne le code civil, pénal, commercial entrait dans
les compétences de l’Eglise orthodoxe roumaine. C’était « une vieille tradition, attestée dans les
C o n s titu tio n s a p o s to liq u e s ,
que les tribunaux ecclésiastiques aient des compétences pour les
délits des croyants laïcs, mais aussi dans de nombreuses affaires de nature civile et cela était de
loin préféré par les justiciables
Cet état des choses existait depuis le FVe siècle et a existé
dans l’empire byzantin et après la chute de Constantinople et sous la domination turque cette
tradition a perduré jusqu’au XIXe siècle en Roumanie^^'^. « Ainsi le lien étroit entre les fidèles
et l’Eglise a impliqué qu’au cours de l’histoire il n’y a jamais eu d’anticléricalisme. Le clergé a
toujours souffert avec les paysans. L’Eglise a été par son travail et son sacrifice une « Eglise
du peuple »385
Ainsi, non seulement l’Eglise a toujours été proche des revendications sociales du peuple,
mais par son rôle dans la société civile, comme la justice, elle est inextricablement liée au peuple
et à son destin. Par conséquent, comme le dit E. Vasilescu, il n’y a aucune raison pour que la
société roumaine suscite un anticléricalisme, contrairement à l’Eglise catholique, qui, par sa
cléricalisation de la société suscite un rejet du clergé. « Nous, serviteurs de l’Eglise, avons été
liés de manière indissoluble {le g a ti in d is o lu b il), pour le meilleur et pour le pire, au sort qu’a dû
endurer notre peuple »386
L’Eglise orthodoxe se présente toujours comme une Eglise « populaire », « à côté du
peuple » {a lâ tu ri d e p o p o r), par analogie à la démocratie populaire. Comme l’affirme le ministre
des cultes, Stanciu Stoian ; « dans un Etat avec une démocratie de type nouveau, populaire, une
383 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p. 396.
384 Ibid.
385 Ib id ., pp. 397-398. cfr. aussi Adrian N. POPESCU, « Situatia crestinilor ortodocsi în
imperiul otoman în secolul XIX », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, VII, 1955, 7-8, pp. 454468.
386 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p.398.
196
Eglise de type nouveau, une Eglise populaire » (o B is e ric a a p o p o ru lu i)^ ^ ^ . « L’Eglise a
toujours été populaire et les persécutions religieuses n’ont jamais été le fait du peuple mais bien
celui des exploiteurs »388
On notera l’ambiguïté de la notion de « peuple » ou de celle d’Eglise « populaire ».
L’évolution des termes « peuple » et « nation » restreindra, à l’époque Ceausescu, leurs
significations à la notion de roumanité, comme c’était le cas entre-deux-guerres. Déjà à
l’origine, en 1948, le ministre des cultes lui-même profitait de l’ambiguïté du mot
« populaire ». Il affirme que
le peuple roumain a toujours été lié à l’Eglise orthodoxe
roumaine et à l’Eglise de l’Orient389 L ç
« populaire » ou « peuple » peut être compris en
tant que référence à la classe sociale, face aux classes dirigeantes selon la classification
marxiste, mais aussi en tant que peuple dans son acception historique, voire plus tard ethnique.
Depuis 1989, les auteurs ont tendance à éviter dans la littérature le terme « Eglise populaire »
pour l’Eglise orthodoxe en raison du poids idéologique qu’il véhicule.
On notera également que la citation de Tudor Vladimirescu, chef de file des
révolutionnaires de 1821, est récupérée dans le contexte communiste cité par les orthodoxes. La
citation suivante, prise dans le contexte de la patrie socialiste par opposition au capitalisme
bourgeois, prend un autre sens que celui du XIXe siècle : P a tria se s c h ia m a n o ro d u l, ia r n u
ta g n rn je fu ito rilo r ,
« le peuple s’appelle la patrie, mais pas la clique des pilleurs ». Comme le
dit M. Chialda, « Vladimirescu considérait que la bourgeoisie concevait la patrie comme une
exploitation par la bourgeoisie »390 Lg peuple, n o ro d u l, « doit pouvoir jouir des biens du
pays par un travail fructueux, et non la bourgeoisie qui dans le cadre du nationalisme chauvin
s’assure le droit d’exploiter les richesses du pays ainsi que la population »391. En réalité il
387 Stanciu
St
o
IA N ,
« Atitudinea regimului de démocratie popularâ fatâ de cultele
religioase », o p . c it., p. 72.
388
p.
389
390 M
88.
p. 92.
Ch
ia l d a
, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 55 ; cfr. aussi Petru REZUS,
« Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 109.
391 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 109.
197
s’agissait de la lutte nationaliste, et non d’un principe « socialiste » marxiste. Cette citation avait
sa valeur dans le contexte du siècle des nationalismes en tant qu’expression de la volonté
d’indépendance des peuples, mais est reprise par les auteurs pour montrer le caractère
« populaire » des luttes sociales d’émancipation des classes exploitées auxquelles s’est jointe
l’Eglise Orthodoxe Roumaine.
Non seulement le chrétien doit se soumettre à l’Etat en fonction des préceptes
évangéliques, mais il doit également, en fonction des commandements du Christ, travailler pour
le « bien commun ». Le discours orthodoxe se caractérise par une récupération communiste des
principes évangéliques pour justifier le rôle du chrétien en tant que participant à l’élaboration de
la nouvelle société. « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (C in e
n u m u n c e ste s a n u m â n a n c e )
e s te lu c ra to ru l d e p la ta lu i)
(II Th.,
ni,
10)392
« Le travailleur mérite son salaire »
(y re d n ic
(Le., X, 7; Mt., X, 10)393.
L’Eglise doit dans ces conditions devenir une Eglise « combattante » (lu p td to a re ), pour la
cause du nouveau régime. Il faut noter que l’expression te o lo g ia lu p td to a re , ou B is e ric a
lu p ta to a re ,
théologie combattante ou Eglise combattante existait déjà avant le régime
communiste, mais dans un sens différent, propre au contexte des années trente394.
392 JuSTINIAN, « Atitudinea Bisericii Ortodoxe Române fatâ de regimul democratiei
populare », o p . c it., p. 108.
393 « Noua constituée si Biserica ortodoxa româna », dans A p o s to la t S o c ia l, P ild e s i
in d e m n u ri p e n tru c le r,
I., tip. c^tilor bisericesti, Bucure^i, 1948, pp. 180-181 ; JUSTINIAN,
« Atitudinea Bisericii Ortodoxe Române fata de regimul democratiei populare », o p . c it., p.
109.
394 (2fr. par ex. Dumitru STANILOAE, « Biserica luptatoare », dans T e le g ra fu l R o m â n ,
o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c , in te m e ia tîn 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g u n a ,
34- 35, p. 1.
198
Sibiu, XCI, 1943,
CONCLUSION
1. U n e s o u m is s io n d o c trin a le à V E ta t q u e lle q u e s o it
s a n a tu re
D’après l’enseignement des Evangiles et des Pères de l’Eglise, l’Eglise et le chrétien
doivent se soumettre à l’Etat par patriotisme quelle que soit la nature de l’Etat, sauf si celui-ci
est hostile à la doctrine chrétienne. Ce dernier terme est une précaution oratoire dans le cas
présent puisque la Constitution garantit la liberté de conscience.
Les sources utilisées, néo-testamentaires et patristiques, montrent combien l’Eglise se
légitime d’après la tradition orthodoxe. Les préceptes relatifs à la soumission aux autorités sont
semblables pour la période de l’entre-deux-guerres, la période communiste et la période
actuelle. C’est ce que l’Eglise appelle « les fondements canoniques relatifs à ses relations avec
l’Etat ». L’Apostolat social constitue la clef de l’interprétation communiste de ces sources.
On constate donc que dans un premier temps, l’Eglise orthodoxe utilise une
argumentation concernant l’Etat sans faire référence à la nature de cet Etat. Comme le dit
199
A. Plamadeala, l’Eglise n’a pas défini de doctrine pour un Etat déterminé, mais bien pour la
notion d’Etat en général^^^. Dans un deuxième temps, c’est la notion d’« Eglise populaire »
qui précise les devoirs du croyant, et donc du citoyen. Nous avons là le fondement du véritable
patriotisme orthodoxe.
D faut remarquer que l’ensemble du discours se caractérise par une complémentarité entre
l’indépendance de l’Eglise par rapport à l’Etat d’une part, et le devoir de collaboration et de
soumission à cet Etat d’autre part. Nous avons noté dans les conclusions de la première partie
que, si l’Etat légifère dans le cadre de la tradition « nomocanonique » en matière religieuse,
c’est en raison de la tradition canonique (p ra v ila ) byzantine et roumaine. On peut donc affirmer
qu’il y a une volonté de montrer l’indépendance de deux institutions complémentaires, avec la
notion de collaboration, conforme à la tradition byzantine. Le pouvoir est considéré, quelle que
soit la nature de son régime, comme « voulu » par Dieu, à l’instar de la tradition canonique
orthodoxe. Le pouvoir communiste, sur le plan théorique, voire théologique, est donc la
volonté de Dieu et réalise l’ordre du monde. Il ne peut y avoir d’« anarchie sociale » et le
monde doit rester « stable ». La récurrence de ce mot dans le discours est révélatrice. En outre,
l’Eglise tient à se démarquer de la conception catholique des deux glaives, qui, pour les
orthodoxes, consiste à faire de l’Eglise catholique un Etat « césaropapiste », « papocésariste »
devrait-on dire. Comme le disent les auteurs, il n’y a pas deux pouvoirs nettement séparés, il y
a seulement l’obligation pour le citoyen de remplir les devoirs qui reviennent au citoyen et au
croyant, et ce « simultanément » ou « symphoniquement ». On peut donc en conclure que,
dans la conception orthodoxe sous le régime communiste, la conception byzantine n’est pas une
survivance « inconsciente », mais est affirmée, du moins sur le plan théorique, et surtout
différenciée de la conception cathohque occidentale.
395 ANTONIE, Métropolite de Transylvanie, « Documentaire : Eglise et Etat en Roumanie »,
o p . c il.,
p. 12.
200
2. L e p a trio tis m e c h ré tie n , fo n d e m e n t d e V A p o s to la t
s o c ia l
:
s o u m is s io n
ré d ific a tio n
au
p o u v o ir
et
c o n trib u tio n
à
d u s o c ia lis m e
L’Eglise orthodoxe a donc adapté son discours en fonction du nouveau régime social de
1948 et comme le dit le théologien orthodoxe S. Vlad, « l’Eglise orthodoxe est souvent accusée
d’être sclérosée dans ses dogmes, dans son traditionalisme et son ritualisme, et de ne pas
comprendre les problèmes sociaux
« Le Clergé de notre Eglise doit ainsi faire preuve de patriotisme par sa loyauté, son
soutien et sa collaboration avec notre régime démocrate populaire
Par sa loyauté, c’est-à-
dire son acceptation de toutes les décisions de la direction de l’Etat, le prêtre est appelé en
pratique à appliquer dans la vie publique sociale toutes les mesures prises par l’Etat et à les faire
appliquer par les croyants. Il doit être un exemple pour les fidèles. Actif dans les Comités de
lutte pour la paix, il doit être un exemple de patriotisme, selon l’exemple du patriarche Justinian
Marina, guide de l’Apostolat social, « sur le chemin de la tradition chrétienne >>^98
Le patriarche Justinian s’adressait en 1952 à G. Gheorghiu-Dej, président du Conseil des
ministres : « Le Saint Synode de l’Eglise orthodoxe roumaine vous assure, votre Excellence, le
396 Sofron
Vl
,
ad
« Atitudinea bisericii ortodoxe fatà de problemele sociale », o p . c it., p.
158.
397 jy4.
398
Ch
ia l d a
p.
,
« Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 73.
74.
201
bien-aimé “ c o n d u c a to r ” de notre peuple, que pour l’avenir une activité de plus en plus
effective sera déployée pour que chaque croyant et ministre du culte de l’Eglise Orthodoxe
Roumaine devienne un fils dévoué à la Patrie, un citoyen loyal de l’Etat et un fervent combattant
pour la défense de la paix, qui est maintenant menacée par les ennemis de la liberté des peuples,
les impérialistes américano-anglais
Après avoir passé en revue l’histoire des rapports entre l’Eglise et l’Etat pour chaque
période — esclavagiste, féodale et capitaliste —, L. Stan, achève sa démonstration par
l’accomplissement de l’histoire dans l’époque socialiste, caractérisée par une « noningérence » de l’Etat dans les affaires de l’Eglise, et de l’Eglise dans celle de l’Etat. L’Eglise
revenue à son but premier, le religieux, adopte une attitude traditionnelle et dogmatique de
loyauté vis-à-vis de l’Etat, et accepte le contrôle de l’Etat en ce qui concerne les affaires « non
religieuses » de l’Eglise. L’Etat socialiste étant nettement supérieur sur les plans de l’éthique et
du régime social, l’Eglise se doit, sur le plan chrétien, de soutenir cet Etat afin de lutter contre
les tares héritées de l’époque bourgeoise : l’exploitation, le racisme, le chauvinisme et toutes les
caractéristiques de la société bourgeoise capitaliste, et réaliser le progrès social. « Par sa loyauté
à l’Etat, l’Eglise doit lutter pour la défense de la patrie contre les ennemis cherchant la
guerre »490
On constate que si l’Eglise reste ancrée dans la tradition orthodoxe, la « fidélité », elle
doit s’adapter aux circonstances historiques, le « renouveau »,
en se maintenant dans
l’actualité.
En réalité, deux qualités fondamentales sont nécessaires pour le vrai chrétien : être
convaincu de sa foi chrétienne, et faire acte de patriotisme, donc de soutien à l’Etat. On ne peut
donc être un vrai chrétien sans soutenir l’Etat communiste roumain. Le patriotisme et les
devoirs du citoyen doivent se traduire, selon « l’enseignement de la croyance chrétienne
399 Marina JUSTINIAN, A p o s to la t s o c ia l. P ild e sJ în d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , Bucuresti,
1952, p. 504.
400 Liviu
St
an
,
« Relatiile dintre Biserica si Stat. Studiu istorico-juridic », o p . c it., pp. 358-
461.
202
orthodoxe » par l’amour de la patrie et du peuple, dont le chrétien fait partie, par la soumission
et l’obéissance à l’administration et aux lois de l’Etat {s u p u n e re a sJ a s c u lta re a d e o c îrm u ito rii
S ta tu lu i s i d e le g ile lu i).
L’Eglise doit contribuer au progrès social par une activité intense et
consciencieuse de travail productif pour le bien commun, par l’accomplissement de la prière
pour la santé et l’édification des autorités du pays (S d v îrs jre a d e ru g d c iu n i p e n tru s d n d ta te a s i
lu m in a re a o c îrm u ito rilo r td rii),
pour le développement et la défense du pays, au péril de sa vie.
Tout enseignement de l’Eglise exprime la volonté et le commandement de Dieu {p o ru n c a
d u m n e z e e a s c a )^ ^ ^ .E n
conséquence, Dieu a voulu que l’Eglise collabore avec le régime
communiste. Comme l’affirme Nicolae V. Dura, « nous avons l’ordre divin de combattre
l’anarchie civique, la désobéissance à l’Etat ainsi que toute tendance au désordre social >>^02 jj
faut donc que les chrétiens combattent les ennemis du communisme, que ce soit à l’extérieur,
mais aussi dans le pays. Dans le contexte roumain entre 1948 et 1989, on comprend toutes les
implications d’une telle affirmation. On comprend également comment, depuis la chute du
communisme, aucun bouleversement, considéré comme une manifestation d’hostilité à la
transition et au pouvoir et comme une « anarchie sociale » ne peut être soutenu par l’Eglise,
puisque la soumission est un commandement divin.
En d’autres termes, il est évident que si l’Eglise n’a pas défini de doctrine vis-à-vis d’un
Etat en particulier, en fonction de son « régime social », elle montre par son discours combien
l’Etat nouveau est le meilleur type d’Etat dans le monde contemporain. En cela, on peut affirmer
que non seulement cette littérature justifie une soumission à l’Etat, mais qu’elle manifeste aussi
une nécessité de collaboration et de relais idéologique de la propagande de l’Etat. En définitive,
il apparaît qu’il est peu aisé de faire la distinction entre ce qui appartient à l’Eglise et ce qui
appartient à l’Etat dans l’ensemble du discours. Cette difficulté est révélatrice de la
complémentarité récurrente entre l’Eglise et l’Etat
401 Grigorie MARCU, « Hristos si Cezarul sau Statul... », o p . c it., p. 485.
402 Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste si respecta legile tarii », o p . c it., p. 14.
203
Ce thème de la patrie sera utilisé jusqu’aux dernières années du régime, et se confondra
alors avec la question nationale de l’Eglise. La patrie devint alors la « Patrie, la République
Socialiste de Roumanie
403 Stefan BUCHIU, « La Métropolie de Banat », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e
ro u m a in e ,
XIXe an., 1989, 3, pp. 54-56.
204
3. P re m ie r a rg u m e n t « s y llo g is tiq u e » : u n e E g lis e
« p o p u la ire » e t u n e d é m o c ra tie « p o p u la ire » fo
Biserica populara)
La littérature orthodoxe évite systématiquement d’utiliser l’expression de collaboration ou
de soumission à l’Etat « communiste », et ce sera vrai pendant tout le régime communiste
jusqu’en 1989. L’Eglise utilise des notions telles que l’«Etat», la «patrie», les
« autorités », les « gouvernants », les « dirigeants », ou le « nouveau régime social », les
« nouvelles conditions nées du 23 août 1944 », e tc. Cependant il est clair que le discours est
constamment basé sur des ambiguïtés, des analogies et des syllogismes.
L’utüisation du terme « populaire » en est l’exemple le plus marquant. Comme la nouvelle
démocratie populaire, l’Eglise se doit d’être populaire, et il n’y a pas d’équivoque sur le sens du
terme populaire dans ce contexte. L’Eglise orthodoxe est l’Eglise du peuple comme l’a montré
son histoire {o B is e ric a a la tu ri d e p o p o r). Or le peuple est l’Etat. L’Etat est l’émanation du
peuple ; comme le dit le ministre des cultes, Stanciu Stoian, « le gouvernement et le peuple sont
aujourd’hui “ un ” » {G u v e rn sJ p o p o r s u n t a s td z i u n a )^ ^ ^. Donc, l’Eglise et l’Etat sont
intimement liés puisqu’il s’agit d’un syllogisme dont le moyen terme est le « peuple ». Le
caractère populaire de l’Eglise orthodoxe détermine donc de manière péremptoire la
collaboration de l’Eglise avec l’Etat. On pourrait même affirmer que, dans ces conditions,
l’Eglise doit collaborer exclusivement avec un Etat populaire, c’est-à-dii’e avec un régime social
404 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie populara fatâ de cultele
religioase », o p . c it. p. 77.
205
déterminé, le régime communiste. Donc l’Eglise orthodoxe doit s’opposer, par sa nature
populaire, aux régimes capitalistes.
Lorsque le mot p o p o r se restreindra sous Ceausescu à la notion de « nation » en tant que
nationalité ethnique, le sens du lien avec l’Etat se précisera également : il s’agira d’un lien
ethnique. L’Eglise « roumaine » devra collaborer avec l’Etat « roumain », les deux institutions
s’enracinant dans l’identité ethnique roumaine.
Nous l’avons souligné, l’ambiguïté du terme « populaire » est à la base de
l’argumentation. Selon E. Vasilescu, « comme l’affirme un protestant, qui n’est pas soumis aux
préjugés impérialistes du romano-catholicisme, dans l’Eglise orthodoxe, les liens étroits entre
Eglise et nation ne sont pas seulement une question politique ou d’idéologie politique. Ils sont
en même temps le résultat naturel de la conception orthodoxe du monde. L’Eglise orthodoxe est
une Eglise populaire, dans le sens qu’elle reste proche de la vie des homme du bas {d e
jo s )
»'^05 On notera aussi les remarques à ce sujet de I. Bria : « l’Apostolat social de l’Eglise a
été fondé sur ce que N. lorga a nommé le caractère populaire de l’Orthodoxie roumaine. Le
clergé orthodoxe, animé par cette idée du grand érudit roumain, a voulu refaire l’image d’une
vraie Eglise du peuple qui reste au service de son peuple. C’est précisément ce caractère
populaire qui lui a donné un éthos profond, humain et communautaire, et qui l’a écartée de
l’esprit de la théocratie »^®^. I. Bria attribue donc une légitimité populaire de l’Eglise en citant
N. lorga, l’historien le plus célèbre de la Roumanie entre-deux-guerres. On constate une fois de
plus la volonté des auteurs orthodoxes d’inscrire l’idéologie sous le communisme dans la
tradition orthodoxe. On comprend aussi pourquoi l’utilisation du terme « Eglise populaire » par
les orthodoxes depuis 1989 est de manière générale évitée, en raison des connotations
communistes'^*^^.
405 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p. 393.
406 Ion BRIA, A u tre v is a g e d e R o u m a n ie ..., o p . c it., p. 27.
407 Comme le dit le métropolite Nicolae du Banat ; « puisque vous parlez de l’Eglise
Orthodoxe Roumaine comme d’une Eglise “ du peuple ”, je dois commencer par vous dire que
l’expression a été trop souvent utilisée par le passé et que je préfère ne plus l’utiliser».
206
A partir des années soixante-dix, on verra apparaître un second syllogisme entre l’Eglise
orthodoxe et l’Etat communiste, dont le moyen terme sera cette fois la « nation ».
« Interview : Le rôle de l’Eglise aujourd’hui, interview accordée par le Métropolite Nicolae de
Banat », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXIe an., 1991, 1, p. 7.
207
TROISIEME PARTIE
EGLISE ORTHODOXE ET
« NATION » ROUMAINE
FUSION ENTRE ORTHODOXIE ET
ROUMANITE
L E G IT IM A T IO N D E L A
C O L L A B O R A T IO N D E
L ^ E G L IS E A V E C
L ^ E T A T S O C IA L IS T E R O U M A IN
208
Chapitre I : L’EGLISE ORTHODOXE ET LA THESE
DE LA CONTINUITE DACO-ROMAINE
P a ra llé lis m e
et
c o n v e rg e n c e
e n tre
V h is to ire
de
V E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e e t c e lle d e P E ta t
I. Préliminaires
Le problème du lien établi entre l’orthodoxie et la nation roumaine est certainement le
point central de ce travail dans la mesure où il s’agit de l’aspect qui, dans l’idéologie, constitue
la base de l’argumentation légitimant la collaboration de l’Eglise avec l’Etat.
Cette question est d’autant plus intéressante qu’elle témoigne de la continuité entre la
période de l’entre-deux-guerres, l’époque communiste et celle de la « transition », le post
communisme. Le lien entre Eglise orthodoxe et nation et les problèmes liés à l’ethnicité de
l’orthodoxie, ce que l’on appelait avant l’instauration du communisme dans les années trente, le
209
« roumanisme » (ro m â n is m u l)^ ^^ , fondent en réalité l’essentiel de l’argumentation justifiant
les rapports de l’Eglise avec l’Etat. Il s’agit du problème connu, mais souvent peu analysé pour
les pays de l’Europe orientale et balkanique, du lien, voire de l’osmose, établi entre confession
et nationalité, celui de la fusion entre l’orthodoxie et la roumanité.
Si cet aspect était la pierre angulaire de l’idéologie d’avant guerre, il le restera, avec des
nuances cependant, pour la période communiste. On soulignera que, depuis 1989, des auteurs
sont tentés de revenir à la conception des années trente et on ne peut ignorer l’évolution de cette
conception pendant les quarante ans du régime communiste pour bien comprendre la situation
actuelle. On assiste en quelque sorte aujourd’hui à ce que l’on pourrait appeler une synthèse des
deux visions idéologiques.
Il est clair que le problème du lien entre « nation », voire « nationalisme », et « Eglise
orthodoxe », n’est pas propre au cas roumain. Une étude de chaque cas dans les Balkans, mais
aussi en Europe orientale et centrale, serait indispensable pour comprendre comment depuis le
XIXe siècle essentiellement, la confession orthodoxe a été mêlée de manière inextricable avec
l’identité nationale, culturelle et ethnique. Le rôle de l’Eglise orthodoxe en Serbie, en Bulgarie,
où elle semble avoir été prépondérante quant à l’idée de la formation de l’Etat bulgare
contemporain, en Macédoine et en Ukraine, mériterait une analyse approfondie. Les
historiographies respectives ont tendance à exagérer le rôle de l’orthodoxie durant le siècle des
nationalités. Si le cas bulgare semble devoir être mis à part, on peut mettre en exergue le cas de
l’Eglise grecque qui à l’origine ne se montra pas favorable à la création d’un Etat grec
indépendant, en dépit de son argumentation postérieure et actuelle^^^. On soulignera aussi à ce
408 Constantin
G.A.
Ca z a n ,
R a d U L E S C U -M O T R U , R o m â n is tn u l, c a te h is m u l u n e i n o i s p iritu a lita ti,
édit.
coll. « Ideea româneasca », Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1992.
409 C’est tout le problème actuel de l’attitude du clergé orthodoxe dans le contexte de la
guerre yougoslave. On verra pour la Grèce : l’article de ; V.N. MAKRIDES, « Orthodoxy as a
conditio sine qua non ; Religion and State / Politics in Modem Greece from a socio-historical
perspective », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 40, 1991, 4, pp. 281-305. Pour la Yougoslavie ;
S.
Al
ex an d r e
, C h u rc h a n d S ta te in Y o u g o s la v ia s in c e 1 9 4 5 ,
210
Cambridge University Press,
point de vue la situation russe, où l’identité orthodoxe est intimement liée avec des problèmes
qui posent des difficultés d’analyse, le « russisme » et l’idée « impériale » russe^^i®.
L’essentiel de l’argumentation concernant l’identité nationale est basé sur la question de la
continuité historique daco-romaine du peuple roumain'^lf On remarquera que, sur ce point, le
cas albanais peut être comparé avec la Roumanie dans la mesure où l’historiographie albanaise
sous le régime communiste a également exploité la thèse de la « continuité » historique tracoillyrienne^^2 Lgg « peuples » de ces deux pays ont effectivement un point commun, celui de
vouloir à tout prix démontrer leur « autochtonisme », leur présence depuis les origines de
l’histoire, et surtout l’antériorité de leur installation par rapport aux grandes migrations, ou
« invasions » survenues au haut moyen âge. Il s’agit surtout de montrer leur légitimité par
rapports aux peuples slaves établis dans les Balkans.
Les origines de la liaison faite entre orthodoxie et nation, voire de l’osmose entre
orthodoxie et nationalité, pourraient être trouvées à Byzance dans la mesure où la citoyenneté
byzantine ne se concevait pas sans l’appartenance à l’orthodoxie, et où l’orthodoxie impliquait
d e fa c to
la citoyenneté byzantine, même extra-muros, aux frontières de l’Empire, provoquant
une confusion entre sacré et profane^Dans toute l’oecumène « le nom chrétien est synonyme
Cambridge, London, New York, Melbourne, 1979, et la Bulgarie : N. ANTONOFF et M.V.
PUNDEFF, B u lg a ria : C h u rch e s a n d R e lig io n , Library of Congress, Washington D.C. 1951.
Cfr. les études réunies dans ; Kathy ROUSSELET, « L’Eglise orthodoxe russe et la
politique », o p . c it. On verra également le volume récent : D ie O rth o d o x e K irc h e in R u fila n d ,
D o k u m e n te ih re r G e s c h ic h te (8 6 0 -1 9 8 0 ),
dir. Peter HAUPTMANN et Gerd
St
r ic
KER,
Vandenhoeck & Ruprecht, Gôttingen, 1988.
411 Cfr. introduction, la thèse de la continuité daco-romaine.
412 On verra notamment ; H is to ire d e l’A lb a n ie d e s o rig in e s à n o s jo u rs , dir. Stefanaq POLLO
et Arben PUTO, coll. « Histoire des Nations européennes », Ed. Horvath, Roanne, 1974.
413 Cfr. notamment : Alain DUCELLIER, L ’E g lis e b y z a n tin e , e n tre p o u v o ir e t e s p rit (3 1 9 1 2 0 4 ), o p . c it.,
pp. 100-109.
211
de citoyen
Si cet aspect peut constituer un élément d’interprétation, il doit cependant, à
notre sens, être pris avec prudence, notamment dans la mesure où l’historiographie orthodoxe
contemporaine a tendance à projeter la conception du nationalisme moderne sur la situation
médiévale.
On a souvent montré que l’Eglise orthodoxe avait été le conservatoire de l’identité durant
l’occupation ottomane^^^. Ainsi, l’idée d’hellénisme put être conservée, ainsi que l’identité
chrétienne byzantine et les particularismes respectifs des différents Etats d’Europe orientale et
balkanique. Au XIXe siècle apparurent les idées de serbisme et de roumanisme, la Grande Idée
ou le Grand Projet'**^. Il faut cependant souligner que l’on ne peut comparer le cas de l’Eglise
orthodoxe grecque, ou le cas de l’Eglise constantinopolitaine, siège de l’ethnarque orthodoxe,
le patriarche de Constantinople, auprès du Sultan, avec l’ensemble des Eglises du monde
orthodoxe. Les Eglises orthodoxes « nationales » au XIXe siècle ont contribué à
l’émancipation nationale des peuples dans les Balkans. C’est ce que l’idéologie orthodoxe tente
de prouver, non sans exagération, comme le souligne S. Fischer-Galati^^^. Il est clair que le
rôle de l’Eglise a été au XIXe siècle largement influencé par la politique des Etats balkaniques
dans le contexte de la lutte d’indépendance par rapport à la Porte ottomane. C’est l’idéologie du
siècle des nationalités qui dans une certaine mesure reste présente aujourd’hui dans l’orthodoxie
\D ., L e d ra m e d e B y z a n c e , id é a l e t é c h e c d ’u n e s o c ié té c h ré tie n n e ,
coll. « le temps et les
hommes », Hachette, 1976, p. 110.
Astéries ARGYRIOU, « Nationalisme et supranationalisme dans l’Eglise orthodoxe à
l’époque turque », dans A s p e c ts d e l’o rth o d o x ie (Actes du colloque de novembre 1978 du
Centre d’Etudes Supérieures Spécialisé d’Histoire des Religions de Strasbourg), PUF, Paris,
1981, pp.135-152.
4 1 6 t H U A L , François, G é o p o litiq u e d e l’O rth o d o x ie , o p . c it.
417 On verra pour le cas roumain : Stephen FISCHER-GALATI, « Relations between Church
and State in contemporary Romania », dans T h e B y z a n tin e L e g a c y in E a s te rn E u ro p e , édit.
L.
Cl
u
CAS,
(East European Monographs, 230) Colombia University Press, New York,
1988, pp. 283-295 ; ID., « Autocracy, Orthodoxy, Nationality, in the twentieth century : The
case of Romania », dans E a s t E u ro p e a n Q u a rte rly ,
Michel
D io
n
t. 18, 1, 1984, pp. 25-34. Cfr. aussi
, E g lis e s , E ta t e t id e n tité n a tio n a le d a n s la R o u m a n ie m o d e rn e (n o tic e
b ib lio g ra p h iq u e c o m m e n té e ),
GSR / IRESCO / CNRS, 1992.
212
contemporaine. Mais il serait dangereux de projeter, comme le font les auteurs orthodoxes, cette
conception pour les époques antérieures au XIXe siècle.
L’attribution de pouvoirs civils à l’ethnarque orthodoxe auprès du Sultan, c’est-à-dire le
patriarche de Constantinople, pour les populations qui appartenaient à ce que l’on appelle le
« millet » grec, comprenant les populations de l’Eglise orthodoxe, peut également constituer
une piste de recherche quant à la confusion tardive du spirituel et du temporel.
Le problème du « nationalisme » de l’Eglise orthodoxe est un aspect parmi les plus
révélateurs du communisme roumain. Le communisme, qui ne pouvait plus se légitimer
uniquement par les théories marxistes et soviétiques, réutilisa le nationalisme comme fondement
principal de son idéologie et utilisa notamment l’Eglise orthodoxe pour montrer sa légitimité
historique dans le cadre de l’histoire roumaine'^*^. Autrement dit, il s’agissait de montrer le
caractère essentiellement « roumain » d’un régime communiste instauré par un pouvoir
étranger, l’U.R.S.S. Aujourd’hui, l’instauration du système politique communiste est interprété
comme l’implantation d’une idéologie totalement étrangère au caractère de la Roumanie et à son
histoire. C’est une des raisons pour lesquelles le problème du nationalisme orthodoxe sous
Ceausescu reste un sujet tabou.
Si le post-communisme depuis 1989 pose la question du retour du nationalisme, il est
légitime de se demander dans quelle mesure ce renouveau n’est pas lui aussi inscrit dans une
continuité avec les régimes précédents, en l’occuiTence le régime communiste. On remarque que
l’argumentation orthodoxe, excepté son caractère « socialiste », reste inchangée depuis les
événements de décembre 1989. Au contraire, on assiste à la persistence de la conception
nationale de l’Eglise orthodoxe. La survivance de la classe politique et intellectuelle, mais aussi
de la hiérarchie orthodoxe peut expliquer en partie ce phénomène. On comprend dans ces
conditions qu’il est difficile d’appliquer aux tendances politiques actuelles des qualificatifs tels
On verra surtout l’article de Trond GiLBERG, « Religion and Nationalism in Romania »,
dans R e lig io n a n d N a tio n a lis m in S o v ie t a n d E a s t E u ro p e a n P o litic s , édit. P. RAMET, Durham,
1984, pp. 170-186.
213
que « néocommuniste », « ultranationaliste », voire « fasciste » ou « légionnaire » dans la
mesure où les thèmes développés sont à certains points de vue semblables, articulés sur
l’exaltation de la nation roumaine, l’« autochtonisme », le « protochronisme » ou le « dacisme
», pierres angulaires des théories « nationales-communistes » du « Ceausisme », d’une part, ou
du mouvement légionnaire et du maréchal Antonescu, d’autre part. On notera aussi que cette
question est d’autant plus polémique en Roumanie que l’anticommunisme actuel, rejetant le
régime dictatorial précédent, refuse d’envisager la continuité idéologique entre la période
communiste et celle du retour de la démocratie depuis 1989. De la même manière, on refuse en
général en Roumanie d’admettre toute continuité entre l’entre-deux-guerres et la république
populaire, en raison surtout de l’éradication totale de la classe intellectuelle depuis 1945 et de la
fracture idéologique issue de l’instauration de la R.P.R. en 1948^^^.
La question de la contribution de l’Eglise Orthodoxe Roumaine au nationalisme roumain
de l’époque du « ceausisme » est certes très complexe. Nous tâcherons surtout de montrer
comment l’Eglise a cultivé, à l’instar du régime, les ambiguïtés attribuées à des concepts tels
que « nation », « patrie », « nationalité », « citoyenneté » , « peuple », « ethnicité » pour
légitimer une idéologie nationaliste sous le communisme. Les vocables utilisés en roumain
pour désigner ces notions sont, à ce point de vue, très importants. Les termes choisis
comportent des connotations, souvent intraduisibles comme telles en français.
Nous avons vu que l’Eglise orthodoxe, sous G. Gheorghiu Dej principalement, a montré
combien elle a lutté au XIXe siècle pour la lutte sociale et l’unité des Roumains. Cette troisième
partie est consacrée particulièrement à la seconde époque, 1965-1989, l’époque Ceausescu, qui
419 On commence à étudier ces problèmes en Roumanie, mais ils soulèvent les passions tant
la question de la Transition 1944-1948, avec les fameux maquisarts des Carpates, considérés
par les uns comme des légendes, par les autres une réalité de la résistance anti-communiste,
reste brûlante, surtout en raison des acteurs qui vivent toujours actuellement. On verra
notamment ; Ana SELEJAN, R o m â n ia în tim p u l p rim u lu i ra z b o i c u ltu ra l (1 9 4 4 -1 9 4 8 ), vol. 1 :
T ra d a re a in te le c tu a lilo r,
Ed. Transpres, Sibiu, 1992.
214
deviendra dans les années quatre-vingt « l’époque d’or Ceausescu », caractéristique du
raffermissement du national-communisme roumain. Il est cependant clair que, dans l’ensemble,
les caractéristiques relatives au patriotisme et à la légitimation du respect de l’Etat des quinze
premières aimées restent valables pour l’époque envisagée dans cette partie.
215
11.
«
Bimillénarisme
« isolationnisme
»,
«
autochtonisme
»,
«
dacisme
»
et
» orthodoxe roumain :
d e D é c é b a le à C e a u s9 e sc u
Le lien établi entre Eglise orthodoxe et nation roumaine est capital pour toute
l’argumentation telle qu’elle va être développée à partir des années soixante, et amplement
exploitée par le régime de Ceausescu des années quatre-vingt. En effet, le « bimiUénarisme »,
l’« autochtonisme », l’« isolationnisme » et le « dacisme » sont les caractéristiques de
l’historiographie communiste roumaine, mais aussi et surtout de l’idéologie politique des vingtcinq dernières années^^®. Les principes fondamentaux relatifs à la thèse de la continuité dacoromaine restent présents depuis 1989 et sont surtout exploités par les partis nationalistes'^^L
Il est révélateur que ces éléments ne se limitent pas aujourd’hui à de simples thèses
idéologiques historiques et politiques, mais constituent la base d’une véritable « mythification »
420 Qfj verra surtout : Trond GILBERG, N a tio n a lis m a n d C o m m u n is m in R o m a n ia . T h e R is e
a n d F a it o f C e a u s e s c u ’s P e rs o n a l D ic ta to rs h ip ,
Westview Press, Boulder, San Francisco, &
Oxford, 1990 et Katherine VERDERY, N a tio n a l Id e o lo g y . Id e n tity a n d C u ltu ra l P o litic s in
C e a u s e s c u ’s
Romania, University of Cahfomia Press, Berkeley, Lo Angeles, Oxford, 1991.
421 cfr. par ex. les publication sur la Transylvanie publiées depuis 1989, cfr. la conclusion,
point II.
216
ou « mythographie » de Thistoire, largement répandue parmi les cercles intellectuels et
politiques. Ce « mythe fondateur » est passé dans les mentalités roumaines et constitue une
« vérité axiomatique » indiscutable. Il s’agit d’un dogme historique ou d’une idéologisation de
l’histoire afm de légitimer l’identité culturelle et « ethnique » roumaine.
Il s’agit d’une question qui entre dans ce que l’on appelle la « géopolitique » de
l’orthodoxie, dans la mesure où des concepts tels que unité de la foi, unité ecclésiastique,
ethnique, politique et territoriale sont intimement mêlés et liés afin de démontrer non seulement
le rôle prépondérant de l’Eglise orthodoxe dans l’Etat au cours de l’histoire, mais aussi l’unité,
l’indépendance et la souveraineté même de l’Etat. La thèse de la continuité constitue également
le fondement de l’exclusion, en jetant les bases de l’identité ethnique. Cette idéologie définit en
fin de compte les termes de la ségrégation entre l’ethnie majoritaire et les minorités nationales.
Cela peut se traduire par une descrimination « implicite », puisqu’une définition de l’identité
nationale et de ses caractéristiques implique automatiquement une différence par rapport à toute
autre identité.
On trouve dans la littérature des années quatre-vingt, de manière récurrente, le thème du
« protochronisme » (p ro to c ro n is m u l), c’est-à-dire l’idée de l’antériorité roumaine par rapport à
toutes les autres populations sur le territoire du pays^^2 Cette notion est corollaire de
r« autochtonisme » (a u to h to n is m u l), à savoir la conception selon laquelle le peuple roumain
est originaire de l’espace carpato-danubien, et non le descendant d’un peuple migrateur venu
des Balkans^^^.
Il n’est pas étonnant de constater que l’historiographie roumaine fait une distinction
fondamentale entre le nomadisme et la transhumance. Le nomadisme fait allusion à l’installation
422 On verra un bel exemple avec le livre de losif Constantin DRÀGAN, M o i, T ra c ii. Is to ria
m u ltim ile n a ra a n e a m u lu i ro m â n e s c , S c ris u l R o m â n e s c ,
Craiova, 1976.
423 On ven-a également le livre de Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie
d e C e a u s e s c u , E s s a i,
Ed. Guy Epaud, 1988, pp. 149-154 ; Catherine DURANDIN, Mco/ae
C e a u s e s c u . V é rité s e t m e n s o n g e s d ’u n ro i c o m m u n is te ,
Ed. Albin Michel, Paris, 1990. Cfr
aussi Julien WEVERBERGH, N a c h t in R o e m e n ië , Ed. de Prom, 1990 ; ID., T e ru g n a a r
R o e m e n i'é . R e la a s v a n e e n m a n ip u la tie ,
Ed. de Prom, 1990.
217
d’un peuple de pasteurs venu du sud des Balkans comme l’affirme la thèse hongroise opposée,
la transhumance est la terminologie utilisée par les Roumains pour montrer le mouvement de la
population autochtone de la plaine de Valachie vers les montagnes des Carpates et inversement,
suite aux dangers d’agressions extérieures.
Quant au « dacisme », notion qui constitue un des fondements de 1’ « isolationnisme »
sous Ceausescu, il s’agit de la reprise par l’Etat de l’idéologie de la continuité daco-romaine du
peuple roumain pour montrer l’originalité de la Roumanie au sein du bloc de l’Est, surtout après
la répression du printemps de Prague par les armées du Pacte de Varsovie en 1968. Le dacisme
devait permettre de montrer à l’Occident l’indépendance de la Roumanie au sein du bloc
communiste. C’est à cette époque que l’Eglise orthodoxe a exploité le thème de l’Eglise latine,
parallèlement à la latinité du peuple roumain née de l’ethnogenèse du peuple lors de la symbiose
entre l’apport romain sous Trajan et l’identité dace. C’est à partir des années soixante-dix que
Ceausescu va développer son slogan « isolationniste » : « la Roumanie, une île latine dans un
océan slave ».
Depuis la chute du régime, si les intentions politiques de la récupération de cette thèse ont
disparu, cette « propagande » ou idéologie historique est toujours utilisée par les mouvements
nationalistes roumains comme fondement du discours nationaliste. Il s’agit d’une théorie
d’autant plus insidieuse qu’elle implique par essence un discours d’exclusion.
Dans les années cinquante, on utilisait essentiellement le sens marxiste-léniniste de la
nation en tant que peuple des travailleurs de l’Etat, sans distinction de race, de religion, e tc .,
nation au service de l’Etat. A partir des années soixante, le thème de la continuité daco-romaine
du peuple roumain^^4
^ l’orthodoxie, développé surtout après 1965, tente de faire de
424 cfj- notamment sur le sujet : U n ita te s i c o n tin u ita te în is to ria p o p o ru lu i ro m â n , Ed.
Academiei, Bucuresti, 1968 ; A. ARMBRUSTER, L a ro m a n ité d e s R o u m a in s , h is to ire d ’u n e
id é e ,
Ed. A.R.S.R., Bucarest, 1977 (Bibliotheca Historica Romaniae, monographies, 28) ;
Mircea MUSAT, Ion ARDELEANU, D e la s ta tu t G e to -d a c la s ta tu t ro m â n u n ita r, Bucuresti,
1983 ; Stelian NEAGOE, Is to ria u ttirii R o m â n ilo r, d e la în c e p u tu ri la C u z a V o d â , Ed. Stiintifica
si Enciclopedicâ, Bucuresti, 1986. Cfr aussi G.I. BRÂTIANU, O e n ig m a sJ u n m ira c o l is to ric :
218
l’Eglise orthodoxe une Eglise nationale dominante, voire même « d’Etat » d e fa c to .
Contrairement à la Constitution de 1948 plaçant les quatorze religions reconnues sur un pied
d’égalité, l’Eglise orthodoxe, d’après les auteurs de cette époque, redevient l’Eglise nationale
par excellence. On assiste d’une certaine manière à un retour à la conception du patriotisme et de
la nation telle qu’elle était développée avant l’instauration du communisme. On observe ainsi un
glissement sémantique du terme nation, du sens « internationaliste » au sens « ethnique » du
terme. En 1956 déjà, C. Sîrbu affirmait : « la vie orthodoxe est la fusion organique ou la
complète synthèse de l’Orthodoxie et de la Nation »^25
On constate une ambiguïté à propos du terme « nation », en tant que nation roumaine
envisagée comme « citoyenneté » et « nationalité », distinction essentielle dans les pays
d’Europe centrale et balkanique. L’Eglise orthodoxe à « l’époque Ceausescu », et ceci s’est
radicalisé pendant les dix dernières années du régime, a non seulement reconsacré le lien entre
Eglise orthodoxe et nation roumaine, mais a considérablement réduit l’acception du terme
« nation » au sens de nation « roumaine », dans le sens ethnique du terme. La thèse de la
continuité daco-romaine légitimant l’unité de la foi, de la langue, de l’Eglise orthodoxe et de
l’Etat national unitaire roumain limite l’acception du terme « nation », désormais compris dans
son sens historique roumain.
L’Eglise orthodoxe montre sa continuité depuis l’époque dace jusqu’à nos jours et sa
contribution à toutes les étapes importantes de l’histoire roumaine comme contribution à
l’édification de l’Etat unitaire contemporain. Elle est née, selon les auteurs orthodoxes, en
même temps que le peuple proto-roumain, lors de la latinisation de l’époque trajane, de
P o p o ru l ro m â n ,
2e éd. (le éd., 1942), Ed. stiintifica si enciclopedicâ, Bucuresti, 1988 ;
Nicolae STOIŒSCU, « O fa ls d p ro b le m d is to ric a -d is c o n tin u ita te a p o p o ru lu i ro m â n p e te rito riu l
s trd m o s e s c » ,
Ed. « Fundatiei Culturale Române », Bucuresti, 1993. Cfr. aussi le livre paru
en Occident ; Platon CHIRNOAGA, Is to ria D a c ie i s f c o n tin u ita te a d a c o -ro m a n a , Ed. « Traian
Popescu », Madrid, 1971.
Comeliu SiRBU, « Adevarul si frumusetile ortodoxiei », dans O rto d o x ia , IV, 1956, p.
591.
219
l’évangélisation de la Dacie au siècle « apostolique » et aux nie et IVe siècles surtout. Elle est
présentée comme l’Eglise par excellence du peuple roumain^^ô. Son destin bimillénaire comme
celui du peuple roumain ainsi formé devait conduire à l’édification de l’Etat national unitaire en
1918'^^^. Ayant participé à cette évolution au cours de l’histoire, comme en 1600 lors de
l’union des trois principautés par Michel le Brave, en 1859 lors de l’union des principautés par
Alexandre I. Cuza, en 1877-1878 lors de la gueiTe d’indépendance'^28^ en 1918 lors de la
Grande Union avec la Transylvanie'^29^ l’Eglise orthodoxe montre par son historiographie son
426 On verra notamment : JUSTINIAN, « Biserica Ortodoxa Româna...a fost în tôt timpul
legata de nazuintele poporului, o Biserica Româneasca », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i
D u m n e z e u s i o a m e n ilo r. P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r,
196-200 ; ID., «
Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp.
Bisericile Ortodoxe, fiind Biserici nationale, îsi însusesc nazuintele
popoarelor lor », Ib id ., pp. 190-192 ; Mircea
P a C U R A R IU ,
« Pages de l’histoire de l’Eglise
orthodoxe roumaine. Les débuts de la vie chrétienne chez les Roumains », dans R o m a n ia n
o rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVIIe an., 1987, 5, pp. 58-61 ; XVIIIe an., 1988, n°l, pp. 36-46,
XVIIIe an. , 1988, 3, pp. 32-37 ; Emilian POPESCU, « Pages du passé de l’Eglise orthodoxe
roumaine. Aperçu sur le christianisme en Roumanie jusqu’au Vile siècle à la lumière des
nouvelles recherches », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rch N e w s , XVIIe an., 1987, 3, pp. 3846, XVIIe an., 4, 1987, pp. 46-53.
427 NicOLAE (Mitropolitul Ardealului), « Continuitate si unitate », dans M itro p o lia
A rd e a lu lu i,
XXII, 1-3, 1977, pp. 37-96 ; loan MURGU, « Lupta pentru libertate si
independentâ a poporului român de-a lungul bimilenarei sale istorii, eu prilejul anivers^ii
împlinirii a 1900 de ani de la urcarea pe tronul Daciei a lui Decebal (87-1987) », dans
M itro p o lia O lte n ie i,
XXXVIII, 1987, 2, pp. 33-40.
428 ]y[ CHIALDA, « Contributia Bisericii ortodoxe Române la cucerirea independentei de Stat
a României 1877-1878 », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XXIX, 1977, pp. 387-406 ;
I.
D. SUCIU, « Biserica ortodoxa româna din Banat si razboiul de independentâ », dans
M itro p o lia B a n a tu lu i,
XXVII, 1977, pp. 272-281 ; Nestor VORNICESCU, C o n trib u tio n s
a p p o rté e s p a r le c le rg é o rto d o x e à la c o n q u ê te d e l’in d é p e n d a n c e d e l’E ta t ro u m a in a u c o u rs d e s
a n n é e s 1 8 7 7 -1 8 7 8 ,
Evêché d’Olténie, Craiova, 1978 ; G.
V a s IL E S C U ,
« Contributia clerului
ortodox la infëptuirea unirii principatelor », dans O rto d o x ia , XXXI, 1979, pp. 7-11.
429 « Cu prilejul sarbatoririi semicentenarului unirii Transilvaniei eu România. Contributia
Bisericii ortodoxe române la unitatea poporului român », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea,
an. XX, n° 9-10, 1968, pp. 623-635 ; M. SESAN, « Unificarea bisericeasca din 1918 intru
asrijinira unitatii Statului român », dans M itro p o lia A rd e a lu lu i, XIII, 1968, pp. 830-843 ;
220
implication dans l’édification de l’Etat national unitaire populaire de 1948, créé après l’acte du
23 août 1944^30 Après avoir lutté pour son indépendance en Transylvanie, l’Eglise orthodoxe
permit l’émancipation du peuple roumain vis-à-vis du dualisme austro-hongrois. Dans l’ancien
royaume, le vieux « Regat », l’Eglise orthodoxe acquit en 1885 l’autocéphalie qui consacra
son caractère national après la guerre d’indépendance de 1877-1878^3^. Parallèlement à la
création de la Grande Roumanie, Etat national unitaire, l’Eglise orthodoxe s’unifia et devint
patriarcale en 1925. Le concept d’autocéphalie illustre bien le lien, voire l’osmose entre
G. LITIU, « Contributia clerului Aradean la lupta pentru libertatea si unitatea naüonalâ a
poporului român », dans M itro p o lia O lte n ie i, XXVIII, 1978, pp. 619-626 ; Mircea
PÂCURARIU, « Contributia Bisericii la reaüzarea actului unirii de la 1 decembrie 1918 », dans
B is e ric a O rto d o x a R o m â n à ,
« Editorial :
CXVl, 1978, 11-12, pp. 1250-1263 ; Nestor VORNICESCU,
Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie à la Roumanie », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVIIIe an., 6, 1988, pp. 5-9 ; Gheorghe
V a S IL E S C U ,
« 70 de ani de la faurirea statului national unitar român », dans G la s u l B is e ric ii, XLVII, 6,
1988, pp. 3-21.
La littérature concernant l’apport de l’Eglise orthodoxe roumaine au développement de la
nation roumaine et relative à l’osmose entre la continuité daco-romaine et l’orthodoxie roumaine
depuis le bas-empire est abondante. On verra principalement pamii les ouvrages plus récents :
Nestor VORNICESCU, D e s â v îrs ire a u n itd tii n o a s trd n a tio n a le , fu n d a m e n t a l u n itd tii b is e ric ii
s trà b u n e ,
Ed. Mitropoliei Olteniei, Craiova, 1988 ; Antonie PLÀMÂDEALA, R o m a n ita te ,
c o n tin u ita te , U n ita te (p o rn in d d e la u n iz v o r n a ra tiv d in 1 6 6 6 ),
Sibiu, 1988 ; Constantin
VOICU, B is e ric a s tra m o s e a s c a d in T ra n s ilv a n ia tn lu p ta p e n tru u n ita te a s p iritu a la s i n a tto n a la a
p o p o ru lu i ro m â n ,
Ed. tipografiei eparhiei Sibiu, Sibiu, 1989. On verra aussi l’ensemble des
apologies au régime de 1948, lors notamment des cérémonies d’anniversaire de la « grande
fête nationale du peuple roumain », le 23 août 1944 : « Editorial, le 23 août 1944-Grande fête
nationale du peuple roumain », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e , XVIIl,
1988, 4, pp. 3-7 ; on verra aussi l’exemple de Gheorghe VASILESCU, « Unitate si continuitate
pe p^înt românesc », dans G la s u l B is e ric ii, an. XLVI, n° 2, 1987, pp. 5-17.
431 Cfr. principalement le volume de commémoration : C e n te n a ru l a u to c e fa lie i B is e ric ii
O rto d o x e R o m â n e ,
tip. eu binecuvîntarea Prea Fericitului Parinte Teoctist, Patriarhul Bisericii
Ortodoxe Române, Ed. I.B.M.B.O.R., 1987 ; Mircea PÂCURARIU, « 100 de ani de la
reconoasterea autocefaliei Bisericii ortodoxe române. Qteva consideratii privind vechimea
“ autocefaliei ” Bisericii ortodoxe române », d a n s M itro p o lia A rd e a lu lu i, XXX, 5-6, 1985, pp.
275-287.
221
confession et nation'^^^ Comme le dit N. Vomicescu, « les Eglises orthodoxes autocéphales se
sont constituées chacune dans les limites d’un certain territoire, un rôle important revenant aux
éléments spécifiques ethniques de chaque nation
« Dès les origines, l’idée de l’unité nationale étatique, comme celles de l’indépendance et
de la souveraineté nationale, ont toujours été permanentes. Il y a toujours eu dans l’espace
ethno-géographique carpato-danubien une unité de langue, de croyance et de tradition. C’est
pour cette raison que le peuple roumain a lutté dans les trois pays roumains de la Dacie trajane
pour cette unité. L’Eglise orthodoxe a lutté ainsi à côté du peuple et tous les événements
fondamentaux de l’histoire roumaine qui ont mené vers l’unification de 1918 font partie
intégrante de la vie de l’Eglise orthodoxe. Elle a défendu l’unité de croyance du peuple et
contribua à la défense de l’essence du peuple et à l’accomphssement de l’unité nationale. Ainsi
les deux entités saintes, l’Eglise et la Patrie ne peuvent être séparées
« Les ancêtres ont su
se présenter devant Dieu et le monde, sans distinguer les aspirations et idéaux de l’Eglise des
aspirations et des idéaux du peuple roumain »^35 L’Eglise orthodoxe de Transylvanie fut en
réalité le « bastion de défense de l’essence nationale » des Roumains de Transylvanie‘^36
432 lorgu
Iv
an
,
« Etnosul - nearaul - temei divin si principiu fondamental canonic al
autocefaliei bisericesti », dans O rto d o x ia ro m â n e a s c d , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1992,
pp. 100-111. « Le cinquantenaire du patriarcat roumain 1925-1975. Le 90e anniversaire de la
reconnaissance de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe roumaine (1885-1975) », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
Ve an., 1975, 4 ; Mircea PÂCURARIU, « Autocéphalie et
patriarcat roumain », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 2, pp. 25-29 ;
N.
Se r
b
ÀNESCU,
I.
Mar
es
et V.L. LEB, « 60 de ani de la înfiintarea Patriarhiei Române,
1925-1985 », dans B is e ric a O rto d o x a R o m a n d , CEII, 9-12, 1985, pp. 835-852.
433 Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine »,
dans N o u v e lle s d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e , XXe an., 1988, 3-4, p. 7.
434 Nestor VORNICESCU, D e s d v îrs ire a u n itd tii n o a s tra n a tio n a le , fu n d a m e n t a l u n itd tii
b is e ric ii s tra b u n e , o p . c it.,
p. 10.
435 iiy id ,
436 Constantin VOICU, B is e ric a s trd m o s e a s c d d in T ra n s ilv a n ia în lu p ta p e n tru u n ita te a
s p irin ia ld s i n a tio n a la a p o p o ru lu i ro m a n , o p . c it.,
222
p. 5.
On pourrait multiplier les références sur la continuité daco-romaine et l’évangélisation
chrétienne à l’époque géto-dace et daco-romaine"^^^. Comme l’affirme E. Popescu, « les
recherches sur les origines du christianisme chez les Roumains ont constitué une préoccupation
permanente de nos historiens tant laïques (s ic ) qu’ecclésiastiques, en raison du rapport étroit qui
existe entre ces recherches et la démonstration de la continuité ethnique des Roumains sur le
territoire où ils sont actuellement établis
« C’est devenu chez nous une question
primordiale, pour ne pas dire un devoir national, que de prouver la continuité ininterrompue de
la population autochtone durant la période de la migration des peuples, dès lors que des
historiens hongrois, slavophiles ou allemands de l’ancien empire des Habsbourg ont cru
pouvoir soutenir que le territoire de la Roumanie a été “ vidé ” de sa population autochtone (...)
et que ce vide ethnique a été rempli par les Slaves, les Avars, les Huns et autres peuplades, puis
plus tard par des Hongrois et des Allemands »^39
« Lorsqu’au Ille siècle avant notre ère les Celtes passèrent sur le territoire de notre patrie,
l’unité culturelle des géto-daces n’a pas été affaiblie, le peuple géto-dace ayant comme fond
ethno-culturel une origine thrace
Le point culminant de cette période fut l’époque des rois
daces, Burebista et Décébale, caractérisée, selon les auteurs, par une unité sur le plan
économique, militaire, culturel, artistique et spirituel. A cette période s’est manifestée une
culture unitaire, résultat d’une culture multimillénaire. Une influence celte, héllénique et
romaine a donc dans l’antiquité été assimilée par la culture géto-dace dans la région carpatodanubienne. L’apport romain dû à la conquête trajane au Hé siècle fit en sorte que naquit de ce
peuple dace le peuple roumain. « De la fusion des deux éléments ethniques, dacique et romain,
437 On verra notamment en plus des auteurs orthodoxe cités (cfr. s u p ra ) : M. RUSU
« Paleocrestinismul nord-dunarean si ethnogeneza Românilor », d a n s A n u a ru l In s titu tu lu i d e
Is to rie s i A rh e o lo g ie d in C lu j,
t. 26, 1983-1984, pp. 35-84.
438 Emilian POPESCU, « Pages du passé de l’Eglise orthodoxe roumaine. Aperçu sur le
christianisme en Roumanie jusqu’au Vile siècle à la lumière des nouvelles recherches », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
439 jb id „
p.
XVIIIe an., 1987, n° 3, p. 38.
38.
440 NicOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 37.
223
prit naissance un peuple nouveau, le peuple roumain
Autrement dit, « le christianisme a
pénétré chez le peuple roumain depuis l’époque de son ethnogenèse, c’est-à-dire depuis les
premiers siècles de l’ère chrétienne, quand ce peuple est issu de la symbiose des Géto-Daces et
des Romains >>'^‘^2
La période daco-romaine est celle de la Dacie trajane, ou de la « D a d a fe lix », de
l’invasion de Trajan jusqu’au retrait des troupes romaines par Aurélien en 271. C’est de la lutte
entre Trajan et Décébale qu’est apparu le peuple roumain. C’est la convergence entre la romanité
et l’identité dace qui fut à la base de l’ethnogenèse du peuple roumain. Le point stratégique de
cette argumentation consiste dans le fait qu’à cette époque l’Etat daco-romain comprenait la
Transylvanie, le Banat, l’Olténie, la Munténie et la Moldavie occidentale. L’influence romaine à
ainsi atteint le nord de la Transylvanie, c’est-à-dire le Crisana, et l’Est de la Moldavie. On
comprend toute l’importance symbolique de la colonne trajane dans l’histoire roumaine et de
l’iconographie relative au bas-empire dans les ouvrages
orthodoxes'^'*^
Ainsi, « la force divine de la croyance chrétienne transmise par les apôtres, les armées et
colons romains a jeté les bases des liens entre les deux groupes de croyants de la Dacie
romaine, les autochtones et les colons, a établi les contacts entre eux et a déterminé les affinités
spirituelles, les menant à la conviction qu’üs allaient ainsi créer un peuple nouveau »^.
La Transylvanie constitue un des principaux enjeux de cette thèse. Lorsque parut
l’histoire de la Transylvanie à Budapest en 1986, ce fut le tollé général en Roumanie^^^. A
441 Ib id .,
p. 97.
442 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le rôle de l’Eglise orthodoxe roumaine dans la
sauvegarde et l’affirmation de la culture du peuple roumain », o p . d t., p. 3.
443 On verra notamment Nestor VORNICESCU, D e s a v îrs ire a u n ita tii n o a s tra n a tio n a le ,
fu n d a m e n t a l u n ita tii b is e rid i s tra b im e , o p . d t., cfr. les planches 1 et 2.
444 iiie MOLDOVAN, « Etnicitate si autonomie bisericeasca. Consideratii de ordin teologicmoral eu ocazia aniversarii autocefaliei Bisericii ortodoxe române », dans C e n te n a ru l
a u to c e fa lie i B is e rid i O rto d o x e R o m â n e ,
tip. eu binecuvîntarea Prea Fericitului Parinte Teoctist,
Patriarhul Bisericii Ortodoxe Române, 1987, p. 256.
445 ofr l’introduction.
224
cette occasion le métropolite A. Plamadeala de Transylvanie réagit à l’instar du gouvernement et
des historiens officiels du régime. « Foyer dace depuis des temps immémoriaux, la terre que
nous habitons, et dont le centre se trouve au coeur de la Transylvanie, a été le berceau de la
formation du peuple roumain, issu des Daces et des Romains (...). Ici, dans ce foyer, les
Roumains ont formé et ont défini leur personnalité ethnique, partout étonnamment identique
(...) en l’exprimant par la même sensibilité, la même langue et la même foi
Lorsqu’à eu
lieu « la terrible confrontation entre les deux géants du temps, les Daces et les Romains, nous
étions Roumains, nous parlions tous roumain et nous étions orthodoxes. Comme nous le
sommes encore aujourd’hui
Ceci confirme de manière catégorique l’idée de continuité et
l’expression chère aux auteurs ; les Roumains sont nés chrétiens.
Le fondement de la thèse daco-romaine orthodoxe est l’ancienneté du christianisme en
Roumanie‘^ 48 Mais si les auteurs affirment qu’il y avait une organisation ecclésiastique déjà
aux Ille et IVe siècles, le christianisme était déjà connu dans l’espace carpato-danubien depuis
le 1er siècle. Déjà dans la seconde moitié du 1er siècle, le chrisitanisme est apparu dans l’espace
carpato-danubien de manière « sporadique » lorsque saint André a prêché dans les ten-es situées
entre le Danube et la Dobroudja, en « Scythie
« Grâce à la prédication du Saint apôtre
446 Antonie PLÀMÀDEALÀ, « Editorial. Transylvanie : Vérités du passé, vérités
d’aujourd’hui », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an., 1987, 1, p. 3.
447
448 Mircea
P a C U R A R IU ,
« Pages de l’histoire de l’Eglise orthodoxe roumaine. Les débuts de
la vie chrétienne chez les Roumains (I) », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an.,
1987, 5, pp. 58-61 ; ID., (II), Ib id , XVIIIe an., n°l, 1988, pp. 36-46 ; ID„ (III), Ib id .,
XVIIIe an., n°3, 1988, pp. 32-37. ; Antonie PLAMADEALA, R o m a n ita te , c o n tin u ita te , U n ita te ,
o p . c it.
; Dumitru
St
a n il o a e
,
« Rolul Ortodoxiei în formarea si pàstrarea fiintei poporului
român si a unitatii nationale », dans O rto d o x ia , XXX, 1978, 4, p. 599.
449 Ernilian POPESCU, « Pages du passé de l’Eglise orthodoxe roumaine. Aperçu sur le
christianisme en Roumanie jusqu’au Vll-e siècle à la lumière des nouvelles recherches », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVIIe an., 1987, 3, pp. 38-46 ; ID., (suite), Ib id , XVIIe
an., 1987, 4, pp. 46-53 ;
225
André dans cette terre danubienne bénie, dans les régions orientales de notre pays, notre Eglise
est une Eglise apostolique dans le plus authentique sens du mot
C’est parce que saint
André a ordonné des évêques en Dobroudja, que s’explique l’importance de Tomis, l’actuelle
Constanta, comme centre épiscopaH^^ Le christianisme est donc en Roumanie d’« origine
apostolique
On remarquera l’importance de la Dobroudja, territoire qui fait l’objet d’un
litige frontalier avec la Bulgarie jusqu’aux guen-es balkaniques des années 1912-1913. Mais les
autres régions de l’actuelle Roumanie, le Banat, la Transylvanie, l’Olténie et la Valachie, ont
connu également l’évangélisation à cette époque. « Elle fut apportée, dans la province
nouvellement créée, par les colonistes (s ic ) venus de tout l’empire romain (...) où la foi
chrétienne était connue depuis le “ siècle apostolique ” par l’intermédiaire des soldats de l’armée
romaine venus en Dacie (...), des esclaves des familles aisées, des marchands venus en Dacie
avec des affaires de commerce
Le développement du christianisme s’est fait au nord du
Danube au IVe siècle. En 330, la Dacie entra dans la sphère économique de Constantinople,
avec le « déménagement de la capitale de l’Empire à Constantinople
Ce qui explique,
pour les auteurs, le caractère oriental de la Dacie sur le plan chrétien, bien que le christianisme y
soit véhiculé en langue latine. En réalité, « l’ethnogenèse du peuple roumain allait de pair avec
sa conversion au christianisme par le prêche de saint André, en Dobroudja, par la parole des
colons, des soldats ou des marchands établis au Nord du Danube
A la fin du Ille siècle
existait un évêché daco-romain à Tomis et beaucoup d’autres sur la rive nordique du Danube.
Des Daco-Romains connurent le martyre. Il en résulte que « le peuple roumain naquit en
450 NESTOR, « A l’anniversaire des 75 années de sa béatitude lustin, patriarche de l’Eglise
orthodoxe roumaine », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rch N e w s , XVe an., 1985, 1, p.l4.
451 Mircea
P a C U R A R IU ,
« Pages de l’histoire de l’Eglise orthodoxe roumaine. Les débuts de
la vie chrétienne chez les Roumains », o p . c it., p. 60.
452
453 jjy id ., p. 61.
454 NICOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 96.
455 jb id ,, p. 97.
226
chrétien
Mais si cette évangélisation est latine, comme en témoigne le vocabulaire
roumain'^^^, « les provinces romaines danubiennes n’ont jamais été soumises au siège de
Rome, mais seulement au siège de Constantinople
Ce n’est donc pas une évangélisation « populaire » comme l’affirment les auteurs, mais
bien une évangélisation structurée en « éparchies » ecclésiastiques, dès les origines. La
participation de l’évêque de Tomis au Concile de Nicée en 325 atteste l’existence de
circonscriptions ecclésiastiques. « Un évêque scythe (dace) portant un nom aujourd’hui
inconnu a même pris part au 1er Concile œcuménique en l’an 325
M.
Pacurariu, comme les autres auteurs orthodoxes roumains, conteste donc les « thèses
ridicules » selon lesquelles le christianisme ne se serait implanté dans les pays roumains qu’au
IXe siècle grâce aux Bulgares, et que le christianisme roumain du bas-empire ne serait que le
finit d’une évangélisation populaire, l’organisation canonique de l’Eglise ne datant que du XlVe
siècle, époque de la fondation des Etats féodaux de la Valachie et de la Moldavie'^^^. Il est
intéressant de constater la réfutation des auteurs orthodoxes de l’appellation « populaire » pour
l’évangélisation de la Dacie, alors que l’Eglise orthodoxe est dans les premières années du
régime communiste une Eglise « populaire ». Cette réfutation tente de démontrer que l’Eglise
était organisée en tant qu’institution structurée dès les origines, afin de prouver la permanence
de l’orthodoxie roumaine au cours des deux millénaires et l’existence d’une institution roumaine
avant l’arrivée des peuples migrateurs des siècles ultérieurs. Ceci est un élément qui souligne
456 iijid .,
p. 97.
457 (]fj- in fra , point IL
458 Mircea PACURARIU, « Pages de l’histoire de l’Eglise orthodoxe roumaine: Les débuts de
la vie chrétienne chez les Roumains (III) », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e ,
XVIIIe an., 1988, 3, p. 36.
459 L ’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e d a n s le p a s s é e t a u jo u rd ’h u i, Ed. I.B.M.B.O.R.,
Bucarest, 1979, p. 12. On verra aussi les ouvrages suivants : B is e ric a O rto d o x a R o m a n d .
M o n o g ra fie -A lb u m ,
Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1987, p. 10.
460 Mircea PACURARIU, « Pages de l’histoire de l’Eglise orthodoxe roumaine. Les débuts de
la vie chrétienne chez les Roumains », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , Q u a rte rly
XVIIe an., 1987, 5, p. 58.
227
l’ambiguïté du terme « populaire », comme nous l’avons souligné dans la deuxième partie
consacrée au patriotisme, à propos d’une Eglise qui aurait toujours été proche du peuple.
Ce lien intrinsèque entre christianisme et « proto-roumanité » est donc fondamental pour
la continuité bimillénaire. Il est intéressant de noter la remarque d’E. Popescu à propos de la
conversion des Goths et des Huns : « ils ont, du fait de leur conversion au christianisme, perdu
leur nationalité, changé de nom et été encadrés dans l’armée
Le christianisme est en
réalité une « coordonnée essentielle de l’ethnogenèse du peuple roumain (...). Il a contribué à
approfondir et à élargir le processus de la romanisation et a assuré durant la période des
migrations la continuité de la population autochtone »^^62 On constate donc qu’il y a un
parallélisme entre romanisation, latinisation et christianisation des populations daces. C’est le
fondement de la constitution de l’identité proto-roumaine.
La période des migrations des peuples et du passage sur le territoire de l’ancienne Dacie
des populations venues de l’Est, les Slaves essentiellement, pose pour l’histoire de la Roumanie
un problème fondamental. C’est ce que l’on appelle le millénaire « obscur » en raison de
l’absence de sources écrites, ou du « silence » des sources. Cette période est donc propice à
toutes les spéculations historiques à propos du contentieux entre Hongrois et Roumains sur la
Transylvanie'^^^ « Lorsque, au XVIe siècle, les premiers Etats roumains se sont organisés,
non seulement la latinité de notre langue a survécu, bien que menacée par les envahisseurs, avec
leurs langages et leurs traditions, mais la foi chrétienne initiale, orthodoxe, a également survécu
telle qu’elle avait été reçue au commencement du siècle apostolique. La conservation de la
Emilian POPESCU, « Pages du passé de l’Eglise orthodoxe roumaine. Aperçu sur le
christianisme en Roumanie jusqu’au Vll-e siècle à la lumière des nouvelles recherc/"'' '^<iuite^»,
op. du,
462
p. 46.
^
p.
52.
463 cfr introduction.
228
langue latine et de la foi chrétienne pure, orthodoxe tout au long d’un millénaire de ténèbre,
constitue un véritable miracle roumain
Après le retrait des légions romaines, ce que la littérature roumaine appelle le « retrait
d’Aurélien », on affirme qu’il existait dans les territoires carpato-danubiens, y compris la
Transylvanie, une continuité et une unité étatique de la population daco-« romane » {d a c o ro m a n ic e )
sur le territoire de la Roumanie actuelle^^^. La base ethnique roumaine est dace. La
romanisation a touché avant tout les villes, et ensuite les villages"^*^^. Les auteurs soulignent
l’importance du milieu rural qui incarne la pérennité dace, ce qui témoigne, en partie, de l’intérêt
du « village » accordé par la littérature orthodoxe, intérêt influencé par la littérature roumaine
du XIXe siècle et de l’entre-deux-guerres. Le village deviendra la cellule de base de
l’autochtonisme roumain, incarnant la vie traditionnelle, intense et conservatrice^^^.
« La conscience de l’unité, de l’origine latine de la langue et du peuple roumain, la
persistance et sa continuité sur le territoire de l’ancienne Dacie a été présente dès le début au sein
des masses populaires ». « La conscience de peuple {n e a m ) est présente dans le peuple ip o p o r)
roumain tout au long du moyen âge » (n e a m ro m â n e s c e t s e m in tie ro m â n e a s c d )^^ ^ .
D’après les auteurs, les migrations qui ont suivi le « retrait aurélien » de 271 n’ont pas
influencé la constitution ethnique de la population autochtone. Les seuls groupes migratoires
qui sont restés furent les Slaves à partir du Vile siècle et « ils furent assimilés par les
autochtones, qui avaient un niveau supérieur de civilisation spirituelle et matérielle
Vers
la fin du IXe siècle et le début du Xe siècle existaient déjà les premières formations politiques
roumaines, les « cnéziats » et les voïvodats, des institutions spécifiquement roumaines en
464
E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e d a n s le p a s s é e t a u jo u rd ’h u i,
p. 16. Ion B a r
n ea
,
« Crestinismul pe teritoriul Moldovei în socolele EH-XIII », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a ,
CVI, 1988, f. 1-2, pp. 123-142.
465 NICOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 97.
466
467 cfr. la conclusion, le point I.
468 NiCOLAE, Mitropolitul Aidealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 97.
469 jh id _^ p. 98.
229
Transylvanie et dans le Banat^^O. Par cette affirmation, les auteurs montrent l’organisation
féodale roumaine, tentant d’ignorer toute influence politique bulgare sur le territoire de la «
Roumanie ». La période qui suscite le plus de polémiques, puisque l’on ne dispose d’aucune
source roumaine pour la période des Ve au XUIe siècles, est donc envisagée dans la perspective
du « miracle » roumain de la conservation de l’identité, de la langue et de la foi roumaines. Il
est révélateur que toute la question de la domination bulgare aux IXe et Xe siècles soit passée
sous silence dans la littérature orthodoxe.
En Transylvanie existaient des « formations étatiques » au XlIIe siècle, et dans le Banat
et le Maramures, c’était également le cas au XlVe siècle. De même en Valachie au XlIIe siècle
(1247) et en Moldavie, apparaissent des Etats structurés roumains. C’est le moment de la
« fixation de l’époque féodale en Roumanie, début de la formation de la conscience nationale
roumaine
En Transylvanie, lorsque vinrent les Hongrois, il existait déjà une structure
voïvodale roumaine. La centralisation et l’unification des formations politiques au Sud des
Carpates, sous Bessarab I, la T a ra R o m â n e a sc a , se fit dans la première moitié du XFVe siècle et
dans la seconde moitié en Moldavie sous Bogdan I. « Dans les territoires intra-carpatiques, le
processus d’unification et de centralisation fut empêché par la politique envahissante du
royaume féodal hongrois envers les contrées roumaines »^^^.
La Transylvanie a joué un rôle prépondérant dans l’« affirmation de la conscience de
peuple du peuple roumain » sous la couronne hongroise qui lui refusait le titre de « nation
»^^3. C’est l’époque de l’appaiition des communautés catholiques. Comme le dit le métropolite
de Transylvanie Nicolae, « il y avait déjà l’idée de l’unité entre les trois sœurs, sous lancu de
470 On verra principalement : loan Aurel POP, In s titu ti m e d ie v a le ro m â n e s ti. A d u n a rile
c n e z ia le sJ n o b ilia re (b o ie re s ü ) în s e c o le le X IV -X V I,
471
N ic
o l ae
,
Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1991.
Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 97.
472 jjjid On verra aussi Adolf ARMBRUSTER, « Staat und Kirche zu Begin der Rumànischen
Furstentumer », dans M is c e lla n e a H is to rié e E c c le s ia s tic œ , I (Colloque de Varsovie, 27-29
octobre 1971), Louvain, 1974, pp. 354-358.
473
N ic
o l ae
,
Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 97.
230
les plus marquants de l’extrapolation de la conception nationale contemporaine pour le moyen
âge roumain.
Comme le rappellent les auteurs, « s’il y a continuité nationale, il y a continuité
institutionnelle. L’association du voïvode au gouvernement de l’Eglise, par la confirmation et
l’intronisation des chefs de celle-ci, et l’association de ses chefs au gouvernement de l’Etat par
leur présence dans le Grand Conseil du pays, garantissait le gouvernement unitaire du peuple.
En même temps, c’était aussi une garantie de l’organisation unitaire et du gouvernement
indépendant des Eglises par rapport à toute autorité étrangère au pays »478. Lors de la
cérémonie d’intronisation du patriarche Teoctist, on mentionnera la confirmation « selon une
coutume ancienne » par Ceausescu du nouveau chef de l’Eglise. L’Eglise orthodoxe légitime
notamment par cette citation sa participation au sein des organes de l’Etat communiste,
principalement à la Grande Assemblée Nationale^^^.
L’Eglise orthodoxe a donc participé à cette évolution bimillénaire depuis les daces jusqu’à
notre époque^**^. « Apparue dans l’histoire en même temps que le peuple roumain, notre Eglise
a mêlé ses destinées aux destinées du peuple, contribuant à la sauvegarde et à la consolidation
de l’unité ethnique, spirituelle et morale du peuple roumain, à son affirmation comme peuple
souverain et indépendant parmi les autres peuples du monde
478 « Centenaire de l’autocéphalie. Les festivités de Bucarest », dans R o m a n ia n O rth o d o x e
C h u rc h N e w s,
XVe an., 1985, 2, p. 35.
479 Alexandre TUDOR, « Le nouveau patriarche de l’Eglise orthodoxe roumaine, sa béatitude
Teoctist Arapasu », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIe an., 1986, 4, pp. 14-15.
480 N CORNEANU, S tu d ii, n o te sJ c o m e n ta rii te o lo g ic e , c o ll Q u o V a d is ?, Timisoara 1990,
chap. 4, O rto d o x ie s i n a tiu n e , pp. 81-83, cfr. Il, în s lu jb a u n itâ tii s p iritu a le a n e a m u lu i
ro m â n e s c ,
pp. 98-102 ;
G.L MOISESCU, « Problema nationala... », o p . c it., pp. 669-690 ;
Constantin VOICU, B is e ric a s trd m o s e a s c d d in T ra n s ilv a n ia ..., o p . c it. ; Nestor VORNICESCU,
D e s d v îrs jre a u n itd tii n o a s tra n a tio n a le , o p . c it.
; N. VORNICESCU, « Editorial, L’Eglise et la
nation dans la théologie roumaine », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe
an., 1988, 3-4, pp. 3-11 ; Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le rôle de l’Eglise orthodoxe
roumaine dans la sauvegarde et l’affirmation de la culture du peuple roumain », Ib id ., XVille
an., 1988, 3, pp. 3-8.
481 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le rôle de l’Eglise orthodoxe... », o p . c it., p. 4.
232
Ce que les auteurs appellent la « conscience nationale », fut entretenu par les
chroniqueurs et la diffusion de livres imprimés en Valachie et en Moldavie, livres adressés à
« la progéniture roumaine ». On citera quelques exemples : la Cazania de Varlaam (1643), le
Nouveau Testament de Alba Iulia du métropolite Simion Stefan (1648)'^*^ et des chroniqueurs
tels que Ureche, Miron Costin, Stolnicul Constantin Cantacuzino au XVIIe siècle, l’humaniste
Nicolaus Olahus, l’encyclopédiste Dimitrie Cantemir au XVIIIe siècle et les représentants de
l’Ecole transylvaine, Samuil Micu, Gheorghe Sincai et Petru Maior^^^
La « lutte nationale » attint son point culminant au XVIIIe siècle lors des révoltes de
Horia, Closca et Crisan de 1784. Ces révoltes témoignent de l’émancipation de la paysannerie
roumaine et de l’affirmation des Roumains comme nation. C’est l’époque de la suppression du
servage (io b a g ii). « Les prêtres propageaient les idées de libération nationale et enseignaient aux
Roumains dans les villages leurs origines romaines
On remarque que l’histoire de l’Ecole transylvaine et la « lutte » des gréco-catholiques
comme Inochentie Micu en Transylvanie, vue par les orthodoxes, ne mentionnent généralement
pas leur appartenance à l’Eglise gréco-catholique'^^^.
482 Parmi les éditions roumaines des textes bibliques, on verra les rééditions récentes des
premières traductions du XVIIème siècle : B ib lia , a d e c â d u m n e z e ia s c a s c rip tu rd a V e c h iu lu i s i
N o u lu i T e s ta m e n t, tip d ritd în û ia o a rd la 1 6 8 8 în tim p u l lu i S e rb a n V o d a C a n ta c u z in o D o m n u l
T a rii R o m â n e s ti, re tip d ritd d u p a 3 0 0 d e a n i în fa c s im il sJ tra n s c rie re e u a p ro b a re a S fîn tu lu i
S in o d s> i e u b in e c u v în ta re a P re a F e ric itu lu i P a rin te T e o c tis t P a tria rh u l B is e ric ii O rto d o x e
Rom ane,
Ed. Institutlui Biblic si de Misiune al Bisericii Ortodoxe Române, Bucuresti, 1988 ; et
le Nouveau Testament de 1648 d’Alba Iulia : N o u l T e s ta m e n t, tip â rit p e n tru p rim a d a ta în lim b a
ro m a n d la 1 6 4 8 d e c d tre S im io n S te fa n , M itro p o litu l T ra n s ilv a n ie i, ré é d itâ t d u p d 3 4 0 d e a n i d in
in itia tiv a s f p u ta re a d e g rijd a p re a s fin titu lu i E m ilia n , e p is c o p a l A lb a lu lie i,
Ed. Episcopiei
Ortodoxe Române a Alba Iulia, 1988.
483 Pour l’Ecole transylvaine, on verra le chapitre consacré à l’uniatisme. Cfr. aussi
I. MOLDOVAN, « C^ile de slujba transilvânene, factor de unitate nationalâ », dans C o n trib u a i
tra n s ilv d n e n e la te o lo g ia o rto d o x d ,
Sibiu, 1988, pp. 222-245.
484 NICOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 78.
485 ofj- le chapitre consacré à l’uniatisme (in fra ).
233
La lutte pour l’émancipation des Roumains en Transylvanie a atteint ainsi son point
culminant lors de la publication du S u p p le x L ib e llu s V a la c h o ru m en 1791, mémoire adressé à
l’empereur Joseph II pour informer Vienne de la situation désastreuse des Roumains de
Transylvanie. Le fondement des revendications des Roumains consistait en l’affirmation de la
latinité des origines de la langue roumaine et du peuple, de sa permanence, de son ancienneté,
de la continuité et de l’unité de l’identité roumaine. Il s’agissait de démontrer ce qu’avait été la
Dacie et le principe de l’« unité ethnique et politique roumaine ».
Le XIXe siècle est ainsi présenté comme l’aboutissement de la lutte pour l’émancipation
du peuple roumain, que ce soit en Transylvanie ou dans les principautés moldave et valaque
sous suzeraineté turque. Cette lutte devait mener à la formation de l’Etat en 1859 par la réunion
des principautés moldave et valaque par Alexandre I. Cuza, et à son indépendance en 1878 au
traité de San Stéfano confirmée au Congrès de Berlin la même année. L’Eglise orthodoxe
montre sa participation à la « lutte nationale », comme par exemple lors de la déclaration de
Blaj en 1948 en Transylvanie (« nous voulons nous unir avec le pays ») et par le rôle du
métropolite Andrei Saguna pour la restauration des circonscriptions ecclésiastiques orthodoxes
de Transylvanie. L’Eglise orthodoxe favorisa, d’après les auteurs, l’union des principautés de
1859486, les membres de son clergé participèrent à la guerre d’indépendance de 18771878487, et elle contribua à la lutte contre la magyarisation sous le dualisme austro-hongrois
instauré en 1867488 ainsi qu’à la guerre de 1914-1918 qui permit l’union de la Transylvanie
avec la Roumanie, confirmée au traité de Trianon en 1919489.
486
Q
V a S IL E S C U ,
O rto d o x ia ,
« Contributia clerului ortodox la infàptuirea unirii principatelor », dans
XXXI, 1979, pp. 7-11.
487 I £) SUCIU, « Biserica ortodoxa românà din Banat si razboiul de independenta », dans
M itro p o lia B a n a tu lu i,
XXVII, 1977, pp. 272-281 ; M. CHIALDA, « Contributia Bisericii
ortodoxe Române la cucerirea independentei de Stat a României 1877-1878 », dans S tu d ii
T e o lo g ic e ,
XXIX, 1977, pp. 387-406.
488 On verra particulièrement le livre de Mircea
P a C U R A R T U , P o litic a s ta tu lu i u n g a r fa td d e
B is e ric a fo m â n e a s c a d in T ra n s ilv a n ia în p e rio a d a d u a lis m u lu i. 1 8 6 7 -1 9 1 8 ,
234
Ed. I.B.M.B.O.R.,
Tous ces événements menèrent au jour du 1 décembre 1918, fête nationale depuis 1989,
symbole de l’union de tous les Roumains, qui remplace le jour du 23 août 1944, célébré sous le
communisme. A ces événements déterminants pour l’émancipation roumaine de la domination
hongroise, turque et msse, contribua le clergé de l’Eglise orthodoxe roumaine « qui s’impliqua
dans les luttes nationales
Ce fut le cas à l’assemblée nationale d’Alba Iulia qui décida
l’unification « à jamais » de la Transylvanie, « rêve séculaire de nos aïeux », « réalisé par la
volonté du peuple entier »^^^. L’unité nationale de l’Etat est « la cause sacrée pour laquelle le
peuple roumain a lutté incessamment, avec une foi inébranlable et profonde dans la légitimité et
la justesse de ses aspirations, et qui s’est concrétisée dans ce mémorable 1er décembre
Sibiu, 1986. On notera les listes de prêtres emprisonnés, morts ou « déportés » par le pouvoir
hongrois à cette époque, pp. 260-282.
489 I TOACA, « Aportul slujitorilor Bisericii Ortodoxe Române la lupta contra regimului de
occupatia pentru eliberarea pamintului strabun 1916-1918 », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a ,
XCVI, 1978, pp. 1284-1290.
490 « Cu prilejul sarbâtoririi semicentenarului unirii Transilvaniei eu România. Contributia
Bisericii ortodoxe române la unitatea popomlui român », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea,
XX, 1968, 9-10, pp. 623-635 ; 1. lONESCU, « Actiuni ale Bisericii ortodoxe române din
Transylvania pentru consolidarea actului Marii Uniri de la 1 decembrie 1918 », dans G la s u l
B is e ric ii,
XLIII, 5-6, pp. 387-401 ; Z.G. lOVA, « Episcopul loan Metianu al Aradului,
precursor al Marii Unirii », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, XXXVI, 1986, 6, pp. 95-99 ; I.V.
LEB, « Biserica ortodoxa româna din Transylvania si înfiintarea Patriarhiei române », dans
B is e ric a O rto d o x a R o m â n a ,
CIII, 1985, 9-12, pp. 856-967 ; G. LITIU, « Contributia clerului
Aradean la lupta pentru libertatea si unitatea nationala a poporului român », dans M itro p o lia
B a n a tu lu i,
XXVIII, 1978, pp. 619-626 ; G.
N a G H I,
« Preotii din Banat în evenimentele anilor
1914-1918 », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, t. XXVII, 1978, pp. 602-612 ; Mircea
P a C U R A R IU ,
« Contributia Bisericii la realizarea actului unirii de la 1 decembrie 1918 », dans B is e ric a
O rto d o x a R o m â n a ,
CXVI, 11-12, 1978, pp. 1250-1263 ; M. SESAN, « Unificarea bisericeasca
din 1918 intru asrijinira unitatii Statului român », dans M itro p o lia A rd e a lu i, XIII, 1968, pp.
830-843 ; Nestor VORNICESCU, « Editorial ; Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie
à la Roumanie », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XVEUe an., 1988, 6, pp. 5-
9.
491 NiCOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 99.
235
1918
« L’Eglise orthodoxe (...) a contribué en même temps avec sa haute autorité, à la
protection de l’être national et à l’accomplissement de l’unité nationale, au parachèvement de
celle-ci, comme ce fut le cas dans l’année de grâce 1918
L’Eglise orthodoxe est particulièrement muette quant à son rôle dans l’entre-deuxgueiTes. Cette période est d’ailleurs, dans l’ensemble de la littérature communiste, restée peu
étudiée. L’évocation du rôle de l’Eglise orthodoxe dans les années trente, à l’époque de la
montée du fascisme en Roumanie, est évitée, tant il s’agit d’une question qui aurait suscité des
polémiques inconcevables à l’époque communiste^^^.
La période communiste représente dans cette continuité le parachèvement de l’unité de
l’Etat et de l’unité nationale. Par l’acte « révolutionnaire » du 23 août 1944, fêté par l’Eglise
orthodoxe, comme d’ailleurs par les autres cultes'^^^, le peuple roumain a confirmé sa
« volonté bimillénaire » et sa « conscience » de l’unité du peuple.
« Dans les nouvelles conditions de vie de notre patrie socialiste, notre peuple, en tête avec
ses sages dirigeants, a parachevé ce que nos précurseurs ont commencé, en travaillant sans
fatigue pour son bonheur, pour forger un avenir lumineux à la patrie, pour la réalisation des
grandioses aspirations de noü'e époque, de paix, équité et fraternité entre tous les peuples
492 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie à la
Roumanie », o p . c it., p. 5.
493
p. 7.
494 On verra le chapitre relatif à l’ethnicité de l’Eglise.
495 « Editorial, le 23 août 1944-Grande fête nationale du peuple roumain », dans N o u v e lle s
de
l ’E g lis e
o rth o d o x e
ro u m a in e ,
XVIUe an., 4, 1988, pp. 3-7 ; « Editorial : Le 45e
anniversaire de la fête nationale de la Roumanie », Ib id ., XIXe an., 1989, 4, pp. 3-7 ;
REDACTIA, « 23 august 1944-23 august 1964. A dou^cea aniversare a eliberarii Romîniei »,
dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XVI, 1964, 7-8, pp. 403-407 ; « Via^ Bisericii Ortodoxe
Romîne în cei zece ani de la eliberarea Patrie! noastre », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , 1954,
pp. 806-872.
496 NiCOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 99.
236
Sous le régime communiste, la thèse de la continuité fut abondamment développée dans le
but essentiellement de se démarquer du bloc de l’Est, du moins en apparence, et également de
se rapprocher de l’Occident^^?
Lg thème de l’Eglise orthodoxe. Eglise « latine » par
opposition aux Eglises slaves qui se formeront ultérieurement dans les Balkans et en Europe
orientale, fut développé dans le cadre du slogan déjà cité, rendu célèbre par Ceausescu, et
repercuté par les orthodoxes, d’une Roumanie « île latine dans un océan slave »498
L’ancienneté de l’orthodoxie roumaine en Transylvanie doit légitimer l’appartenance de cette
région à la Roumanie, justifiant ainsi les frontières actuelles de l’Etat roumain qui recouvrent
celles de l’Etat daco-romain du bas-empire. Ainsi, l’unité de la foi orthodoxe doit correspondre
à l’unité du peuple roumain et à l’unité « statale » du pays'*^^.
L’orthodoxie roumaine participa pleinement à ce qu’on appelle « l’autochtonisme »
roumain et est conçue comme le vecteur de l’identité et des aspirations « nationales ». La
croyance des « ancêtres » est inextricablement liée à la latinité et la roumanité, comme le
soulignent encore particulièrement les livres récents de E. Norocel, P a g in i d in is to ria v e c h e a
c re s tin is m u lu i la R o m â n i. M a rtu rii a le c o n tin u itâ tii p o p o ru lu i n o s tru ^ ^^ ,
de A. Plamadeala,
497 Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie d e C e a u s e s c u , o p . c it., pp.
139-154 ; Trond GILBERG, « Religion and Nationalism in Romania », dans R e lig io n a n d
N a tio n a lis m in S o v ie t a n d E a s t E u ro p e a n P o litic s ,
édit P. RAMET, Durham, 1984, pp. 170-
186.
498 Qj, verra notamment l’interview donné par Ilie
G e o RGESCU,
« A Latin island in a Slavic
sea », dans C h u rc h w ith in s o c ia lis m : C h u rch a n d S ta te in e a s t e u ro p e a n s o c ia lis t re p u b lic s ,
Ed. Erich Weingartner (Giovanni
Ba r
b e r i n i ),
Rome, 1976, pp. 108-114.
499 Qn verra particulièrement le livre récent de Constantin VOICU, B is e ric a s tra m o s e a s c a .
o p . c it.
; JUSTINIAN, « ...Pentru unitatea spirituala si statala, pentru libertatea si fericirea
poporului nostru », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u s j o a m e n ilo r. P ild e sJ
în d e m n u ri p e n tru c le r,
Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp. 136-137 ; ID., « ...Unitatea
bisericeasca ne va ajuta sa facem mai strînsà si indestructibila unitatea noastra nationalà... »,
Ib id .,
pp. 107-111 ; ID., « Am reînnoit legàmîntul sacru de a apàra eu statomicie unitatea
noastra bisericeasca si nationalà... », Ib id ., p. 116.
500 Epifanie NOROCEL, P a g in i d in is to ria v e c h e a c re s tin is m u lu i la R o m â n i. M a rtu rii a le
c o n tin u itâ tii p o p o ru lu i n o s tru ,
Ed. Episcopiei Buzàului, 1986.
237
R o m a n ita te , c o n tin u ita te ,
U n ita te ^ ^ ^
et de N. Vomicescu, D e s a v îrs ire a u n ita tii n o a s tre
n a tio n a le , fu n d a m e n t a l u n ita tii B is e ric ii s trâ b u n e ^ ^ ^ .
Ces ouvrages constituent des exemples
parmi les plus révélateurs de l’utilisation de la thèse de la continuité daco-romaine par l’Eglise
orthodoxe afin de montrer la parfaite corrélation « entre les aspirations de l’Eglise et celles du
peuple tout entier ».
L’historiographie orthodoxe montre ainsi que le nouveau régime instauré en 1948
constitue l’aboutissement de cette évolution. L’indépendance, la souveraineté et l’unité de l’Etat
roumain sont confimiées depuis la seconde guerre mondiale et doivent être comprises dans la
perspective historique roumaine. A l’unité du royaume dace correspond l’unité nationale
roumaine contemporaine.
Cette thèse fut largement exploitée dans la réponse roumaine à l’histoire de la
Transylvanie de Budapest, considérée par N. Ceausescu comme une édition révisionniste,
révélatrice de la tradition irrédentiste hongroise^®^ Comme l’a dit Hérodote il y a 2500 ans,
citation soulignée par les auteurs orthodoxes, « les Daces qui habitaient sur le territoire de
l’actuelle Transylvanie, Moldavie et Valachie étaient les plus justes et les plus braves des
Thraces »^^^. Les affirmations qui nient ces vérités sont en réalité « les thèses horthystes,
fascistes, chauvines et révisionnistes »^^5 jj ggt intéressant de constater la violence de la
Antonie PLAMADEALA,/?o/naoita/e..., o p . c it.
502 Nestor VORNICESCU,
u n ita tii n o a s tra n a tio n a le ..,,o p . c it..
également les très nombreux articles de Dumitru
S t  N IL O A E ,
; On verra
« Rolul Ortodoxiei în formarea si
pâstrarea fîintei poporului român si a unitatii nationale », dans O rto d o x ia , XXX, 1978, 4,
p. 599. Cfr pour après 1989 : N. CORNEANU, S tu d ii, n o te ri c o m e n ta rii te o lo g ic e , o p . c it.,
chap. 4, O rto d o x ie s i n a tiu n e , pp. 81-83, \ \,In s lu jb a u n ita tii s p iritu a le a n e a m u lu i ro m â n e s c ,
pp. 98-102.
503 Antonie PLÀMÀDEALÀ, « Editorial. Transylvanie ; Vérités du passé, vérités
d’aujourd’hui », o p . c it., p. 7.
504
505
p. 8.
238
polémique entre les deux pays « frères », la Roumanie et la Hongrie, dans les années 1986 et
suivantes, confrontation qui se concrétisa après 1989 par le contentieux roumano-hongrois^^^
Ainsi, l’Eglise orthodoxe est l’Eglise du peuple roumain par son rôle actif tout au long de
l’histoire depuis l’antiquité. Comme l’affirme A. Plamâdeala « notre Eglise (orthodoxe) a
toujours été, et dans le cadre de l’Etat roumain actuel elle continue de l’être, une Eglise nationale
roumaine dans laquelle l’origine latine du peuple et le christianisme orthodoxe forment un
tout
<< Depuis deux millénaires, dans les frontières historiques originelles, a été exprimé
le sentiment national par la foi reçue au baptême. La foi s’est identifiée à notre conscience
nationale »^^^.
Comme l’affirme le patriarche Justinian à propos de l’identification de l’Eglise Orthodoxe
Roumaine avec le peuple roumain {id e n tific a re a B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e e u n e a m u l
ro m â n e s c )
: « Depuis leurs fondations, les métropolies orthodoxes roumaines ont soutenu les
pays roumains dans le cadre de leurs circonscriptions, pour le développement culturel,
économique et patriotique, contribuant à l’existence physique et spirituelle du peuple roumain.
L’Orthodoxie a contribué à la formation et au maintien de la conscience de l’unité du peuple (de
n e a m a p o p o ru lu i),
même lorsqu’il se trouvait sous domination étrangère. Elle a contribué à
l’unité de la langue et a prêché en pratique pour l’unité de croyance du peuple roumain »509
L’expression u n itd tii d e n e a m a p o p o ru lu i est intéressante puisque l’auteur combine les deux
mots synonymes, mais qui sont porteurs d’une nuance : l’un est ethnique, l’autre général, c’està-dire le « peuple » sans précision de « nationalité ».
506 On verra surtout l’article de S. P a S C U , M. MUSAT et F. CONSTANTINU, « La
falsification consciente de l’histoire sous l’égide de l’Académie hongroise des sciences », o p .
c it.
507 ANTONIE, Métropolite de Transylvanie, « Documentaire ; Eglise et Etat en Roumanie »,
o p . c it.,
p. 21.
508 ji)id .
509
Ju
s t in ia n
, A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u ri
p e n tru c le r, o p . c it.,
X, 1971, p. 23.
239
En fait, le problème de la notion de peuple est le problème fondamental de la littérature
orthodoxe sous Ceausescu^lO. L’utilisation du mot n e a m pour dénommer le peuple roumain,
n e a m u l ro in â n e s c ,
a une connotation ethnique et est fondamentalement différent du mot p o p o r,
c’est-à-dire « peuple », à comprendre dans le cadre de la patrie socialiste roumaine. La
distinction entre les mots p o p o r et n e a m est fondamentale puisque le peuple roumain, dans son
acception des années quatre-vingt surtout, réduit la notion de roumanité à sa dimension
ethnique, excluant les « nationalités » cohabitantes. Le mot n e a m , intraduisible en français,
évoque, comme le dit C. Durandin, « la race liée à la ten'e, au sol national et à la fois, la
spiritualité et la culture du peuple roumain. La culture et la spiritualité sont l’expression de ce
que le philosophe Constantin Noica appelle “ s e n tim e n tu l ro m â n e s c a l fiin te i ” (sentiment
roumain de l’être) »5H. En fait l’Eglise orthodoxe, surtout dans les années quatre-vingt, a
relayé ce que l’on appelle le « noicisme » (C. Noica, 1909-1987), l’idéologie nationaliste des
dernières années du régime communiste^
Ce « noicisme » dans le discours orthodoxe
démontre le caractère fondamentalement nationaliste, empreint des idées du roumanisme des
années trente, dans la conception orthodoxe sous le communisme. L’expression u n ità tii d e
n e a m a p o p o ru lu i
démontre non seulement que les deux termes ne sont pas équivalents, mais
surtout que l’unité du peuple roumain est une unité ethnique, indépendamment de tous les
principes des années cinquante sur la notion de patrie. De même, le terme n a tiu n e peut être
compris comme la patrie au sens large, mais également comme la nation en tant que peuple
(n e a m ).
La nation roumaine dans la perspective de la continuité daco-romaine est la nation dans
le sens de l’ethnicité du peuple roumain^^^.
Cfr. pour ce problème le point suivant consacré à l’ethnicité de l’Eglise.
5 H Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie d e C e a u se s c u , o p . c it., p.
149.
On verra particulièrement le chapitre sur ce sujet dans Katherine VERDERY, N a tio n a l
Id e o lo g y . Id e n tity a n d C u ltu ra l P o litic s in C e a u s e s c u ’s, o p . c it.,
pp. 256-293.
513 Cfr. particulièrement le livre de Eftimie LUCA, în s lu jb a B is e ric ii sJ N e a m u lu i, Ed.
Episcopiei Romanului si Husilor, Roman, 1989.
240
En d’autres termes, on constate un glissement sémantique à la fin des années soixante-dix
et surtout quatre-vingt, du terme p o p o r au terme n e a m . De la notion de peuple roumain en tant
que citoyenneté roumaine englobant toutes les nationalités, on invoque une notion qui réduit
l’acception du terme p o p o r, toujours utilisé d’ailleurs, au sens de n e a m , c’est-à-dire ethnique.
De cette manière la nation roumaine {n a tiu n e a ro m â n a ) ne comprend pas les nations
cohabitantes (n a tio n a lita tü ), c’est-à-dire principalement les minorités de Transylvanie. On
comprend toute l’importance de ces problèmes pour la question des minorités hongroises
notamment^i^. Avec la filiation ethnique daco-roumaine, la notion de peuple est inévitablement
porteuse de la notion d’ethnicité du peuple roumain.
Après 1989, la citation de Nestor Vomicescu est révélatrice de la conception orthodoxe de
la participation à l’histoire roumaine. « L’Eglise a toujours collaboré à tous les grands actes
nationaux, parfois même les initiant ou les dirigeant dii'ectement, en consacrant cela comme son
premier et son plus sacré devoir terrestre, assumant des risques et allant jusqu’au sacrifice,
toujours avec la noble devise : « La foi en Dieu et le devoir envers la Patrie
cfr. la bibliographie en introduction.
515 Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine »,
op.
c it.,
p. 8.
241
III. Quelques remarques sur l’ambiguïté entre la latinité de l’Eglise
orthodoxe
et
son
caractère
slavisant
:
entre
latinité
« pravoslavnicisme » (o B is e ric a o rto d o x a ou p ra v o s la v n ic a )
S’il y a bien un aspect qui frappe le lecteur d’une telle littérature, c’est, outre l’ambiguïté
récurrente entre nation et peuple, l’ambiguité entre latinisme et « slavisme ». Alors que l’Eglise
orthodoxe est une Eglise latine, de langue latine et de christianisation latine, « au côté » (a lâ tu ri)
d’un peuple latin, elle utilise un champ lexical slavisant, et a coutume de se dénommer
« pravoslavnica », c’est-à-dire « orthodoxe » selon la terminologie d’origine slavonne. Alors
que l’Eglise orthodoxe prouve sa latinité par un vocabulaire de base latin, elle est imprégnée du
vocabulaire slavon hérité de l’évangélisation slavo-bulgare qu’elle tente de gommer de son
histoire. C’est également le cas de la littérature officielle de l’Etat qui occulte la période slavobulgaie. Cette ambiguïté est révélatrice du « double » langage politique de l’Eglise, mais aussi
de la situation géographique et politique de la Roumanie. Alors que le pays tenta de se présenter
comme une originalité au sein du bloc de l’Est en réutilisant la thèse de la continuité dacoromaine née au XVUIe siècle, il reste ancré dans des traditions « médiévales » slavisantes.
Les mots d’origine latine dans le vocabulaire ecclésiastique sont, d’après les auteurs,
extrêmement
n o m bre u x^lô
On citera principalement ; în g e r : ange (a n g é lu s ), a lta r : autel
516 On verra principalement à ce sujet : Mircea PÀCURARIU, Is to ria B is e ric ii O rto d o x e
R o in â n e ,
Ed. Stiinta, Chisinau, 1993, pp. 23-28, et pp. 68-69.
242
et
(a lta riu m ), a b o te zja
: baptiser (b a p tiza re ), b is e ric a : église (b a s ilic a ), cer : ciel (c a e lu m ), c im itir :
cimetière (c o e m e te riu m ), c re s tin : chrétien (c h ris tia n u s ), c u m in e c a re : communier
(c o m m u n ic a re ), a c u n u n a :
(c re d e re ), c ru c e :
croix (c ru x ), D u m n e z e u : Dieu (D o m in u s -D e u s ), s d rb d to a re : fête {d ie s
s e rv a to ris ), m o rm în t :
(p a re n s ), p d g în :
s fîn t :
marier {c o ro n a re ), c re a tie : création (c re a tio ), a c re d e : croire
tombeau {m o n u m e n tu m ), p d m în t : terre (p a v im e n tu m ), p â rin te : parent
païen (p a g a n u s ), p a c a t : péché ip e c c a tu m ), ru g d c iu n e : prière (ro g a tio n e m ),
saint (s a n c tu s )^ ^ '^, d u m in ic d : dimanche {d o m in ic a ), P a s te : Pâques (P a s c a ), F lo riile : les
Rameaux (F lo m lia ), R u s a lii : Pentecôte (R o s a lia ), S fîn ta S c rip tu ra : Saintes Ecritures (S a n c ta
S c rip tu ra ).
On citera ici quelques exemples de la terminologie slave, roumanisée lors de la traduction
des livres ecclésiastiques en roumain à partir du XVIIe siècle ; m u c e n ic : martyr {m u c e n ik u ,
m ic e n ic u ), s fîn t :
m o a s fe :
saint (s v ia ti), Maica Precista : la sainte Vierge (buL m a ic a , slav. p re a c is ta ),
relique {m o s ti), D u h u l s fîn t : Esprit saint {d u h u s v îa tîî), d u h o v n ic : spirituel
(d u h o v n ik i), d u h o v n ic ita te :
sobor
spiritualité, in ire a n : laie (m ire n in u ), s ta re t : prieur ( s ta re ti, s ta rd tf),
: concile, assemblée {s d b o ru ), s o b o m ic ita te : catholicité, synodalité, conciliarité, vladica ;
évêque {v la d ik a -s td p în ), c a d e ln îta : encensoir {k a d ilm ita ), d v e rd : rideau d’autel {à v 'm ), je rtfa :
sacrifice (jra tv a ), n a d e jd e : espérance, (n a d e jd a ), o d a jd iî : vêtements sacerdotaux {o d e jd a ),
p ra p u r :
bannière (p ra p o ru ), p re s to l : autel (prestoli), m a slu : extrême-onction (m a s lo ), m o lîtv a :
prière (molitva), p ro h o d : office des morts (p ro h o d u ), p o m a n d : aumône (p o m e n u ), p o s t :
jeûne, carême (p o s tii), p ra v ild : loi, code (p ra v ilo ), p ra v o s la v n ic : orthodoxe, (p ra v o -s la v a ),
s fe s ta n îe
: aspersion (o s v ia s te n ie ), s la v d ; gloire (slava), s lu jb a : office {s lu jb à ), ta in d : mystère
(ta in a ), u tre n îe :
matines (u tre n ia ), v e c e m ie ; vêpres {v e c e m îa ), e tc.
On citera aussi le noms de fête comme, B la g o v e s te n ie : Annonciation (roum;
B u n a v e s tîre ), S tre te n ie :
la Chandeleur {În tîm p in a re a D o m n u lu i), V o v id e n ie : présentation de la
Vierge, entrée au Temple (In tra re a în B is e ric a ), P ro b o je n ie : Transfiguration {S c h im b a re a la
fa td ,
slav. p re o b ra je n ije ), p ra z n ic : grande fête d’Eglise (p ra z d n ic u ) ainsi que les verbes
517 On notera que l’origine du mot s fîn t est attribuée aussi au mot slave s v ia ti, cfr. in fra .
243
suivants ; a b la g o s lo v i : bénir (b la g o s lo v iti), a m ilu i : prendre pitié (jn ilo v a tï), a is p iti : tenter
(is p ita ti), a is p a s i
: absoudre (s u p a s iti), a iz b a v i ; sauver (iz b a v iti), a s p o v e d i : confesser
(is p o v e d a ti), a rd s tig n i
; crucifier (ra s te n g n a ti), a s fin ti : sanctifier (s v e n titi), et des termes du
slave littéraire : c a z a n ie : homélie {k a z a n iie ), c e a s lo v : bréviaire (c e a s lo vu ), m o litv e ln ic : livre de
prières {m o litv in ik u ), p re d o s lo v ie : préface (p re d is lo v ie ), p ro p o v e d a n ie : prêche, sermon
(propovedaniie), s tih : verset (s tih u ), s tih o a v n d : chant d’Eglise (s tih o v în a ), tip ic : rituel
(tip ic u ), e tc.
Il est intéressant de noter que certains mots ont une version soit latine soit slave. C’est
l’exemple typique de c a to lic ita te et s o b o rn icita te , s p iritu a lita te et d u h o v n ic ita te et o rth o d o x ia
d’origine grecque équivalent du mot slavon (Biserica) p ra v o s la v n ic a . Il est clair que l’usage
d’un mot ou d’un autre, d’origine latine ou slavonne n’est pas sans connotation. En effet, le cas
de s o b o rn ic ita te est à ce point de vue un des exemples les plus importants, puisqu’il implique la
notion de la catholicité dans le sens de la conciliarité des Eglises sœurs. Par cette nuance,
l’Eglise orthodoxe montre la différence de conception entre l’Occident catholique et l’Orient
orthodoxe, la catholicité catholique impliquant une conception
« supranationale
hégémonique », la sobomicité une conception conciliaire synodale^
De même, le terme de B is e ric a p ra v o s la v n ic a est utilisé dans la même perspective que le
terme n e a m , nation au sens ethnique, mais aussi dans le sens de son poids historique
traditionnel « médiéval » avec une connotation de « terroir ». L’Eglise p ra v o s la v n ic a , c’est
l’Eglise orthodoxe avec toutes les connotations médiévales « byzantines » liées au peuple dans
sa dimension ethnique. C’est pour cette raison que Stanciu Stoian en 1948 décalarait l’abandon
du « ballast anachronique » par l’Eglise orthodoxe^Il n’est pas étonnant que la littérature
des années cinquante ait supprimé ce qualificatif, et que celle des années Ceau^scu l’ait remis à
l’honneur dans le cadre de la continuité daco-romaine, avec le paradoxe de la mise en valeur de
l’Eglise « latine » qualifiée du terme slavon p ra v o s la v n ic a . Dans le même ordre d’idées, on a
Cfr. la quatrième partie.
519 id.
244
déjà souligné l’usage récurrent de termes tels que s tra m o s e s c , s tra b u n , e tc ., soulignant l’aspect
traditionnel ancestral de l’Eglise.
L’utilisation de cette terminologie montre l’« authenticité » de l’Eglise dans sa tradition
orthodoxe ancienne, à l’instar des autres Eglises orthodoxes, et participe à ce phénomène que
nous appellerions une « dialectique » entre l’autochtonisme prôné par l’idéologie de l’Etat et le
caractère latin original de l’orthodoxie roumaine. Cette dialectique permet de montrer
l’originalité de la Roumanie par rapport aux pays avoisinants, slaves et hongrois d’une part, et
d’autre part, son caractère orthodoxe fondamentalement original par rapport à l’Occident
catholique. Par le double champ linguistique, latin / slavon, on mesure combien la Roumanie se
retrouve partagée entre un aspect occidental latin et oriental gréco-slave. Alors que l’Eglise
orthodoxe est orientale et influencée par sa culture slavonne, elle met en exergue son caractère
latin afin de montrer son originalité fondamentale par rapport aux Eglises slaves, tout en
montrant son caractère autochtone. Cette « originalité » est basée sur l’identité de l’Eghse et du
« peuple ». Ce problème témoigne également du caractère idéologique dominant l’histoire
roumaine. La latinité de la langue ecclésiastique est toujours signalée ; son caractère slavisant
est, de manière générale, occulté à l’époque
C eausescu^^O
520 cfj- l’introduction, et les réformes de l’orthographe. On verra par ex. R o m a n ia n
O rth o d o x e C h u rc h . a n A lb u n i-M o n o g ra p h ,
Ed. The Bible and Orthodox Mission Institute
Publishing House of the Romanian Orthodox Church, Bucharest, 1987, p. 7.
245
Chapitre
II
:
L’EGLISE
ORTHODOXE
ET
L’AUTOCEPHALIE :
V e th n ic ité
de
V E g lis e ,
fu s io n
e n tre
o rth o d o x ie
et
n a tio n ro u m a in e
I.
Remarques
sur le lien entre
l’Eglise orthodoxe
et l’ethnicité
roumaine avant la seconde guerre mondiale
La notion d’ethnicité s’inscrit dans l’ensemble de l’argumentation orthodoxe et de
l’idéologie nationaliste orthodoxe. On peut affirmer que le terme de nation s’est
considérablement restreint au point de se limiter à la notion de « nation roumaine » au sens
historique du terme. C’est l’argumentation « ethnique » qui confirme cette évolution, ou, en
d’autres termes, le « retour » à une conception de l’enü'e-deux-guerres.
Il s’agit du point de liaison entre l’ancien et le nouveau régime roumain depuis 1989. Il
concrétise ce que nous avons appelé le glissement sémantique qui s’est opéré progressivement
246
et qui est dans la lignée de l’idéologie de l’entre-deux-guerres, ce que l’on appelait le
« roumanisme » (ro m â n is m u l). Une étude comparative complète avec l’idéologie de l’entredeux-guerres serait nécessaire. Nous en montrerons ici quelques éléments de base. En effet, il
s’agit d’une reprise de la doctrine de la revue G â n d ire a {L a P e n s é e ), dont Nichefor Crainic et
Dumitriu Staniloae étaient les principaux chefs de file dans l’Eglise orthodoxe. Une analyse
idéologique approfondie de cet aspect dans la littérature des années trente serait indispensable
pour montrer quels furent les thèmes repris et abandonnés sous le communisme^^i. En effet,
N. Crainic, largement réédité aujourd’hui, concevait un Etat ethnique chrétien, alors que
Ceauæscu « imposait une réécriture totalitaire d’une histoü'e de résistance et de lutte nationale
»522.
Il n’est pas étonnant que depuis 1989, on republie en fac-similé la revue G â n d ire a et les
écrits des auteurs orthodoxes de cette époque. La théorie et le mouvement G â n d ire a inspirèrent
521 On verra surtout le livre de Dumitru STANILOAE : O rto d o x ie sJ ro m â n is m , Sibiu, 1939, et
les écrits du même auteur : ID., « Biserica si Nationalismul », dans T e le g ra fu l R o m â n , o rg a n
n a tio n a l b is e ric e s c , in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g u n a ,
Sibiu, LXXXIV, 1936,
nr. 28, p. 2; ID., « Biserica si unitatea poporului », Ib id ., LXXXIX, 1941, 11, p. 1 ; ID.,
« Crestinism si nationalism », Ib id .,
LXXXVIII, 40, 1940, pp. 1-2 ; ID., « Latinitate si
ortodoxie », Ib id ., LXXXVII, 1939, 4, p. 1 ; « Latinitate si ortodoxie », Ib id ., LXXXVII,
1939, 5, p. 1 ; ID., « Latinitate si ortodoxie (românismul) », Ib id ., LXXXVII, 4, 1939, p. 1 ;
ID., « Latinitate si ortodoxie II (românismul) », Ib id ., an. LXXXVII, 5, 1939, p. 1 ; ID.,
« Nationalismul în cadrul spiritualitatii crestine », Ib id ., LXXXIV, 1936, 36, p. 1 ; ID.,
« Spatiul vital si spiritul românesc », Ib id ,
LXXXIX, 1941, 35, p. 1 ; ID., « Spre statul
român crestin », Ib id ., LXXXIV, 1936, 18, pp. 1-2 ; ID., « Ortodoxie si Etnocratie », Ib id ,
an. LXXXVI, 24, 1938, p. 1 ; ID., « Naüonalismul si morala crestina », dans P ro b lè m e s j
fa p te o rto d o x e ,
pp. 36-45 ; ID., « Naüonalismul sub aspect moral », dans G în d ire a , XVI, 9,
1937, pp. 417-425 ; ID., « Ortodoxie si latinitate », Ib id ., XVIII, 4, 1939, pp. 197-202 ;
ID., « Ortodoxie si natiune », Ib id ., XIV, 2, 1935, pp. 76-84 ; ID., « Ortodoxie si
Românism », dans
S tu d ii T e o lo g ic e ,
VII, 1938-1939, pp. 422-426 ; ID., « Românism si
ortodoxie », dans G â n d ire a , XV, 8, 1936, pp. 400-409.
522 Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie d e C e a u s e s c u , o p . d u , p.
151.
247
l’idéologie du fascisme roumain et de la Garde de Fer523. Ces faits entrent dans ce que nous
avons appelé le révisionnisme actuel.
Il est clair qu’à l’époque communiste, l’aspect « mystique » du roumanisme était ignoré.
Cet aspect est aujourd’hui remis à l’honneur par le mouvement néo-légionnaire. G â n d ire a fut à
la base de l’idéologie légionnaire des années trente et les auteurs qui ont écrit dans cette revue
sont abondamment cités dans les revues néo-légionnaires depuis 1989. Il est intéressant de
constater que la base de l’idéologie religieuse du fascisme roumain fut utilisée dans les dernières
années de Ceausescu, et on comprend d’autant mieux la « recrudescence » de ce type de
pensée. Une fois de plus, cela montre combien il y a « continuité » dans les idéologies et
combien la place de l’Eglise orthodoxe roumaine est éclairante à ce sujet. Il faut rappeler que
l’Eglise Orthodoxe Roumaine collabora avec le régime d’Antonescu et appuya la guerre sainte
contre le bolchévisme, menée par l’axe Rome / Berlin, lors de la reconquête de la Bessarabie en
1941524
Les théologiens de G â n d ire a montraient le « lien fusionnel » entre orthodoxie et
roumanité tout en légitimant le fascisme comme seule alternative nouvelle à la démocratie
capitaliste bourgeoise laïque et au communisme athée, l’un représentant la classe dominante et
l’autre la lutte contre cette classe dominante. Les écrits de Nichifor Crainic sont à ce sujet
exemplaires lorsqu’ils justifient un régime « ethnocratique » roumain, s’inspirant de la politique
de Mussolini et de la place du catholicisme en Italie^^S On citera aussi la citation de Nae
523 cfi* la conclusion. Cfr. les articles de certains prêtres orthodoxe comme Dumitru
STÀNILOAE, dans les revues néo-légionnaires ; « Ofranda adusa lui Dumnezeu de poporul
român », dans G a z e ta d e V e st, A lm a n a h 1 9 9 4 , le g iu n e a a rh a n g h e lu l M ih a i d e la tre c u t la
p re z e n t,
Ed. Gordian, 1994, p. 165.
524 « Biserica ortodoxa în noul regim », dans T e le g ra fu l ro m â n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c ,
in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d ré iu S a g u n a ,
Sibiu, LXXXVIII, 41, 1940, pp. 1-2. Cfr.
aussi Dumitru STANILOAE, « A început lupta împotriva bolsevismului », Ib id ., LXXXIX,
1941, nr. 27, p. 2 ; ID., « Biserica împotriva comunismului », Ib id ., LXXXIV, 1936, 42, p.
1 ; ID., « Biserica luptatoare », Ib id ., XCI, 1943, 34- 35, p. 1.
525 Nichifor CRAINIC, O rto d o x ie s/ e tn o c ra tie . C u o a n e x â : P ro g ra m u l S ta tu lu i e th n o c ra tic ,
Ed. Cugetai'ea, pp. 256-271. On vena aussi : ID., « Omul eroic », dans G â n d ire a , XV, 6,
248
lonescu, devenue célèbre en Roumanie, révélatrice du roumanisme ; « Nous sommes
orthodoxes, parce que nous sommes roumains, et nous sommes roumains, parce que nous
sommes orthodoxes. Peut-on devenir catholique ? Si nous le devenons, il faudrait nous
transformer alors spirituellement. Cette transformation signifierait donc : le renoncement à notre
histoire et à notre structure spirituelle. En d’autre mots ; il n’existe pas trois solutions ; ou tu
restes roumain, et alors ton catholicisme n’est pas une réalité ; ou tu deviens catholique, et alors
tu n’es plus roumain »526
On sait également qu’il y avait un litige entre la mouvance G â n d ire a et un auteur tel que
C. Radulescu-Motru, ce dernier faisant une distinction entre le roumanisme et la notion
d’orthodoxie. Ce débat fut important et témoigne à tout le moins qu’il n’y avait pas unanimité
sur la question parmi les auteurs, « philosophes » et théologiens^^^.
Il convient cependant de constater que le principe de fusion entre orthodoxie et nation
roumaine s’imposa sous le régime communiste chez les auteurs orthodoxes. Un théologien
comme D. Stoiloae écrivit dans les vingt dernières années du régime et après 1989. D n’est pas
étonnant de constater le « retour » de certains théologiens à des visions proches de celles de
l’entre-deux-guerres, et que certains orthodoxes fassent actuellement preuve de sympathies
pour le renouveau légionnaire. Des écrits dans la G a z e ta d e V e s t par exemple, revue de
Timisoara, en témoignent^^S.
1936, pp. 265-271 ; ID., « Spiritualitate si românism », Ib id ., XV, 8, 1936, pp. 377-387. Cfr.
aussi : D. NECULAES, L a tin ita te a B is e ric ii ro m â n e s ti, tip. « serafica », Sabâoani-Roman,
1940.
^26
auteur est certainement un des plus importants à ce sujet et constitue une des
personnalités parmi les plus importantes entre-deux-guerres, notamment pour son influence sur
la philosophie légionnaire. Nae lONESCU, în d re p ta r o rto d o x , coll. Lucratorul crestin, fratia
ortodoxa, Wiesbaden, 1957. Cfr. aussi ID., P re le g e ri d e filo s o fia re lig ie i, Biblioteca Apostrof,
Cluj, 1993 ; ID., R o z a v în tu rilo r, Ed. Roza vînturilor, Bucuresti, 1990.
Cfr. notamment : Michel DION, E g lis e s , E ta t e t id e n tité n a tio n a le d a n s la R o u m a n ie
m o d e rn e (n o tic e b ib lio g ra p h iq u e c o m m e n té e ),
Cfr. la conclusion.
249
GSR / IRESCO / CNRS, 1992, pp. 75-78.
IL L’ethnicité de l’Eglise : fondements doctrinaux
La nuance entre les mots p o p o r et n e a m est fondamentale pour comprendre la légitimation
de l’ethnicité de l’Eglise par les auteurs orthodoxes. C’est ce que nous avons appelé le
glissement sémantique entre la notion de « peuple », conçue dans le sens de peuple « formé des
citoyens travailleurs pour l’édificaton de la nouvelle société, indépendemment de toute
nationalité », et le sens du mot n e a m , utilisé dans le sens de peuple historique descendant des
Daces.
En ce qui concerne l’ethnicité de l’Eglise, la littérature utilise exclusivement le terme
neam .
Etant donnée la thèse de la continuité, on mesure toute l’importance de ce point de
l’argumentation.
Le fondement de l’ethnicité de l’Eglise réside dans les paroles du Christ ; « allez
enseigner à toutes les nations » {M e rg în d în v d ta ti to a te n e a m u rile ) (Mt., XVin, 19 ; Mc., XVI,
15-16).
« Les peuples sont donc appelés à entrer dans la composition de l’Egüse, à adhérer à
l’unité chrétienne comme peuple, avec leur identité distincte et spécifique »^^9 Lg problème
529 Antonie
T e o lo g ice ,
Pl
o ie s t e a n u l
,
« Zece teze despre catolicitate si etnicitate », dans S tu d ii
ser. Il-lea, XXXI, 1979, 1-4, p. 305. ANTONIE (Mitropolitul Ardealului),
« Catolicitate si etnicitate », dans O rto d o x ia ro m â n e a s c d , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1992,
250
vient de cette traduction « n e a m u rile » pour le terme latin « o m n e s g e n te s », en grec, « v d v T u
Ta
’S v T j »
chez Matthieu, « o m n i c re a tu ra e » ou « n d a r\ T ff
k t (o €i
» chez Marc.
« Le Dieu vivant, qui a créé le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, a laissé,
dans les générations passées, toutes les nations suivre leurs voies » {D u m n e z e u c e l v iu , c a re a
fd c u t c e ru l s i p d m în tu l, m a re a s i to ute c e le ce s în t în tr-în s e le , a în g a d u it, d in tim p u rile tre c u te , c a
to u te n e a m u rile s a m e a rg d p e c d ile lo r)
(Ac., XIV, 15-16)530. « Cela signifie donc que les
nations se sont maintenues dans leurs identités ethniques au sein de l’identité chrétienne
» 5 3 i.
Comme le dit Antonie Ploiesteanul, « l’identité ethnique est une réalité dans la vie des
hommes, même s’il n’y a pas de concurrence entre les peuples. L’ethnicité est un don
fondamental. L’Eglise orthodoxe est basée dès le début sur le principe de l’ethnicité
»532.
Pour appuyer cette thèse, les auteurs se fondent sur le canon apostolique 34 relatif à l’unité
territoriale ecclésiastique organisée « d’après le caractère ethnique », l’ethnicité étant fondée
essentiellement par la
la n g u e 5 3 3 .
«
n
se doit que les évêques de chaque peuple respectent le
premier d’entre eux et respectent sa direction, et rien d’important ne peut se faire sans son
accord ; et que chacun se réfère à l’évêché dont sa localité fait partie. Mais que celui-là (le
premier des évêques) ne fasse rien d’important sans l’accord de tous... »
{S e c u v in e c a
e p is c o p ii fie c d ru i n ea m s a a ib a în cin ste p e c e l d in tii d in tre e i s i s a -l s o c o te a s c d d re p t c d p e te n ie s i
n im ic m a i în s e m n a t s a n u fa c d fa ra în te le g e re e u a c e la ; s ifie c a re s à fa c d c e le c e se re fe ra la
e p is c o p ia s a s i la lo c a lita tile d in c u p rin s u l e i. D a r n id a c e la s a n u fa e â n im ic m a i în s e m n a t fa rd
în v o ire a tu tu ro r...).
Pour exprimer le caractère ethnique de l’Eglise et de son organisation
territoriale, les auteurs utilisent effectivement le \tn a t fie c a re n e a m P ^^. Comme le dit Antonie,
pp. 20-34.On verra aussi Dumitru
St
a n il o
AE,
« Universalitatea si etnicitatea Bisericii în
conceptia ortodoxà », dans O rto d o x ia , XXIX, 1977, 2, pp. 143-152.
530 Antonie PLOIESTEANUL, « Zece teze despre catolicitate si etnicitate », o p . c it., p. 305.
531 Ib id .
532
p. 306.
533 Cette opinion est toujours défendue en 1991 par loan N. FLOCA, C a n o a n e le B is e ric ii
o rto d o x e . N o te s f c o m e n ta rii,
s.l., 1991, p. 25.
534 Antonie PLOIESTEANUL, « Zece teze despre catolicitate si etnicitate », o p . c it., p. 307.
251
toute communauté se caractérise pai- la langue qui constitue le fondement d’une ethnie, et le cas
de l’Amérique est l’exception qui confirme la règle. Aux Etats-Unis toutes les ethnies réunies se
réclament cependant de leur identité ethnique originelle^En outre, le 34e canon apostolique
contient, pour les orthodoxes, les trois principes fondamentaux pour l’organisation de l’Eglise,
les principes d’ethnicité, d’autocéphalie et de synodalité.
Le principe ethnique découle du fait que les évêques sont organisés par peuples
(n e a m u ri),
celui de l’autocéphalie du fait que chaque peuple est dirigé de manière indépendante
par une hiérarchie propre. Le principe de la synodalité implique que toutes les décisions de
principe pour l’unité de l’Eglise doivent être prises avec le consentement de tous les évêques
(în v o ire a tu tu ro r),
sous la présidence du premier d’entre eux {c e lu i d in tîi).
La synodalité, ou « catholicité » orthodoxe, ne s’oppose nullement à cette ethnicité, mais
doit être comprise dans la conception de la sobornicité. « Les autres motifs sont extra
ecclésiaux »536 C’est dire que la vision catholique de l’universalisme centraliste, ignore, pour
les auteurs, ce canon et, par conséquent, néglige le principe de l’ethnicité. Et comme le
soulignent les auteurs, l’abandon du latin après Vatican II par l’Eglise catholique fut la
conséquence d’un respect de l’identité
lo ca le ^3 7
ggt vrai qu’en Roumanie le roumain a
progressivement remplacé le slavon, notamment sous l’influence du calvinisme à partir du
XVUe siècle.
Le problème fondamental de cette ethnicité de l’Eglise invoquée par les auteurs repose à
nouveau sur la conception de la nation et surtout sur l’application de la terminologie
contemporaine de l’ethnicité aux écrits testamentaires. En réalité, montre le Métropolite Maxime
de Sardes dans son ouvrage. L e p a tria rc a t o e c u m é n iq u e d a n s l ’E g lis e o rth o d o x e . E tu d e
h is to riq u e e t c a n o n iq u e ,
« il est évident que les Eglises des nations dont parle le bienheureux
Paul (Rm., XVI, 4), et qui étaient composées de païens, lesquels n’avaient ni la même race ni la
même langue, étaient appelées ainsi non pas pour déterminer à quelle nation appartenait chacune
535
536
jjjid .
p. 309-311.
537
252
d’elles, mais pour les distinguer des fidèles venus du judaïsme. (...) Il n’y a donc là aucune
allusion à la race ou à l’ethnie, mais les expressions “ Eglise de Thessalonique ”, “ Eglise de
Laodicée ” désignaient les fidèles habitant ces différentes villes, sans distinction de race et
indépendamment de leur origine ethnique »538. Le în v a ta ti to u te n e a m u rile (Mt. XXVni, 19)
qui démontre le caractère ethnique de l’Eglise orthodoxe est révélateur de rutilisation moderne,
jacobine, du terme « nation » dans son acception du XIXe siècle pour les écrits
néotestamentaires. Dans la littérature, un amalgame est ainsi créé entre les sens de « nation » du
Nouveau Testament, de « nation » en tant qu’« Etat » à la diète transylvaine au XVille siècle,
« nation roumaine » dans le sens d’« ordre » d’ancien régime, au côté des trois nations,
magyare, saxonne et sicule à la Diète, et le sens de nation en tant qu’Etat unitaire centralisé
comme se sont constitués les Etats au XIXe siècle^^^.
Le Grand Concile de Constantinople de 1872 a condamné cette déviation nationaliste des
Eglises orthodoxes des Balkans au XIXe siècle, c’est-à-dire le phylétisme. Ce caractère
nationaliste était principalement dû au contexte des luttes nationales contre la domination turque
dans les Balkans au XIXe siècle. Il est intéressant de noter que les auteurs orthodoxes refusent
d’utiliser la notion de phylétisme pour la doctrine orthodoxe contemporaine. Comme l’affirme
A. Ploiesteanul, le Concile « local » de Constantinople n’a pas condamné le caractère national
de l’Eglise, mais bien le chauvinisme et le nationalisme racistes^^®. C’est la raison pour
laquelle le principe de l’ethnicité ne s’oppose nullement à la catholicité, c’est-à-dire la
« sobomicité ». L’unité de l’Eglise doit se comprendre dans l’union synodale des Eglises
Le Métropolite MAXIME DE SARDES, L e p a tria rc a t o e c u m é n iq u e d a n s l’E g lis e
o rth o d o x e , E tu d e h is to riq u e e t c a n o n iq u e
(théologie historique n°32), Ed. Beauchesne, Paris,
1975, p. 379. cfr aussi pp. 377-387.
539 On verra pour l’évolution des concepts « nation » et « Etat » lors du mouvement
d’émancipation des Roumains de Transylvanie aux XVnie et XIXe siècles: R.R. FLORESCU,
« The uniate Church: Catalyst of rumanian national consciousness », dans T h e S la v o n ie a n d
E a s t E u ro p e a n R e v ie w ,
t. 45, 1967, pp. 324-343.
540 Antonie PLOIESTEANUL, « Zece teze despre catolicitate si etnicitate », o p . c it., p. 313.
253
locales nationales^'^^. C’est le fondement de l’universalisme « poly-national » de
rOrthodoxie^'^^
Il faut noter que L. Stan refuse l’interprétation selon laquelle le mot èôvoç ne signifierait
pas la notion d’ethnie dans le sens de n e a m , mais des « populations » non juives. Il s’agit pour
L. Stan d’un « alibi contre la reconnaissance du principe ethnique comme base de l’organisation
des Eglises autocéphales
La conception orthodoxe de la nation s’inspire donc directement du concept de l’ethnicité.
Cependant, le discours concernant la nation s’articule toujours sur la question de l’universalité.
L’ethnicité n’est pas en contradiction avec la catholicité, mais complémentaire, et l’ethnicité est
opposée au nationalisme. Le nationalisme est considéré comme la particularité de l’Occident
catholique surtout à l’époque stalinienne.
« Mais l’orthodoxie est le conservatoire de la spécificité nationale. Il y a symbiose entre
œcuménicité et ethnicité, comme un reflet de l’harmonie divine entre la nature et la grâce, entre
l’œuvre de la création et l’économie du salut. L’Eglise nationale est en conséquence le lieu saint
dans lequel parle le Seigneur. Ainsi 1’“ Eglise ancestrale ” {B is e ric a s tra m o se a s c a ) est le lieu de
la continuation de la parole du Christ. Il y a donc symbiose permanente entre l’Eglise et la
nation, entre la vie de l’Eglise et le destin de l’ethnie qui lui est propre
541 J b id .
542 Dumitru
St
a n il
OAE,
« Universalitatea si etnicitatea Bisericii în conceptia ortodoxa »,
dans O rto d o x ia , an. XXIX, 1977, 2, p. 147.
543 Liviu
St
an
,
« Autocefalia si autonomia în ortodoxie », dans M itro p o lia O lte n ie i, XIII,
1961, 5-6, p.286.
544 Nicolae CORNEANU, S tu d ii, n o te s j c o m e n ta rii te o lo g ic e ..., o p . c it., chap. 4, O rto d o x ie
s i n a tiu n e ,
p. 83.
254
ni.
Ethnicité, autocéphalie et patriarcat
Les questions de l’autonomie^'^^ ecclésiastique, de l’autocéphalie^^® et de la
patriarchie^^^ s’inscrivent dans la perspective de la thèse de la continuité daco-romaine. Si
545 On verra surtout : Liviu ST AN, « Despre autonomia bisericeasca », dans S tu d ii T e o lo g ic e ,
ser. Il-lea, X, 1958, 5-6, pp. 376-393 ; ID., « Autocefalia si autonomia în ortodoxie », dans
M itro p o lia O lte n ie i,
546 Mircea
Pa c
XIII, 1961, 5-6, pp. 278-316.
u r a r iu
,
« 100 de ani de la reconoasterea autocefaliei Bisericii ortodoxe
române. Cîteva consideratii privind vechimea “ autocefaliei ” Bisericii ortodoxe române », dans
M itro p o lia A rd e a lu lu i,
XXX, 1985, 5-6, pp. 275-287 ; ID., « L’Eglise roumaine autocéphale
(1864-1925) », dans R o u m a n ie . P a g e s d ’H is to ire , t. 10, 1985, 2, pp. 102-105 ;
« Pastorale.
A l’anniversaire du centenaire de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe roumaine », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVe an., 1985, 2, pp. 19-24 ; C. PIRVU, « Autocefalia
Bisericii Ortodoxe Romîne », o p . c it., pp. 511-529 ; Nestor VORNICESCU, « La împlinirea a
100 de ani de la recunoasterea autocefaliei Bisericii ortodoxe române », dans M itro p o lia
O lte n ie i,
XXXVII, 1985, 5-6, pp. 324-333.
547 « 50 années de patriarcat », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 34, pp. 42-56 ; On verra le volume de commémoration : « Le cinquantenaire du patriarcat
roumain 1925-1975. Le 90e anniversaire de la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Eglise
orthodoxe roumaine (1885-1975) », àdsis R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , n°4 (département
des relations ecclésiastiques extérieures du patriarcat orthodoxe roumain), Bucarest, 1975 ;
Mircea PACURARIU, « Autocéphalie et patriarcat roumain », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rch
255
l’autonomie recouvre en général le sens d’« autonomie » vis-à-vis de l’Etat, elle est aussi
considérée comme un stade préfigurant l’autocéphalie^'^^. La littérature orthodoxe établit un
parallélisme entre l’histoire de la conquête de l’indépendance de l’Etat, et celle de l’Eglise. De la
même manière que l’Etat roumain est devenu indépendant de la Porte ottomane, l’Eglise est
devenue en 1885 indépendante de Constantinople. L’autocéphalie fut acquise par le T o m u s
patriarcal œcuménique de Constantinople en 1885, mais avait déjà été proclamée unilatéralement
en 1866. L’Eglise a fêté abondamment les 100 ans de l’autocéphalie en 1985, en même temps
que les 60 ans de la proclamation du patriarcat de 1925. Le principe de l’autocéphalie est mis en
exergue par l’Eglise sous le communisme de Ceausescu pour montrer son indépendance et sa
souveraineté. Déjà au XIXe siècle, l’autocéphalie était conçue comme l’aboutissement
ecclésiastique de la lutte pour l’indépendance nationale. La connexion entre souveraineté
nationale et indépendance religeuse était déjà démontrée au XDCe siècle. C’est à partir de ce
moment que fut consacrée la symbiose entre Eglise orthodoxe et nation roumaine dans l’Etat
nouvellement formé après 1859. L’autocéphalie a consacré le caractère national de l’Eglise et a
assujetti l’Eglise à l’Etat à la fin du XKe siècle. L’Etat créé en 1859 était un Etat « roumain ».
L’article 7 de la Constitution de 1866 stipulait que tout étranger qui voulait acquérir la
nationalité roumaine devait être chrétien^'*^. Si cet article empêchait les Juifs d’acquérir la
nationalité roumaine, il est également révélateur du caractère confessionnel chrétien de l’Etat
roumain à cette époque. L’orthodoxie était la religion nationale dominante du nouvel Etat
d’après la Constitution de 1866. L’Eglise orthodoxe devint ainsi indépendante de
Constantinople et s’est identifiée à l’Etat. A l’Etat roumain correspondait l’Eglise roumaine. Ce
fut l’époque de la sécularisation des biens du clergé par A. I. Cuza, sécularisation qui permit à
N ew s,
XVe an., 1985, 2, pp. 25-29 ; N. SERBANESCU, MARES L, I.V. LEB, « 60 de ani de
la înflin^ea Patriarhiei Române, 1925-1985 », o p . c it., pp. 835-852.
548 Liviu STAN, « Despre autonomia bisericeasca », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, X,
1958, 5-6, pp. 376-393
549 Carol lANCU, L ’é m a n c ip a tio n d e s J u ifs d e R o u m a n ie ( 1 9 1 3 -1 9 1 9 ) (Centre de Recherches
et d’Etudes Juives et Hébraïques), coll. « Sem - Etudes juives et hébraïques », Montpellier,
1992.
256
l’Etat de récupérer l’ensemble des terres qui appartenaient aux monastères grecs du Mont Athos
dans les principautés. L’orthodoxie devint à ce moment la religion d’Etat de la Roumanie et fut
identifiée à la nation roumaine, sur le plan « ethnique ».
Montrer en exergue cette autocéphalie sous le communisme^^^, c’est montrer
l’indépendance de l’Eglise orthodoxe roumaine vis-à-vis non seulement du patriarcat de
Constantinople, mais également vis-à-vis du patriarcat de Moscou. L’autocéphalie est évoquée
parallèlement à l’indépendance et la souveraineté de l’Etat. Les auteurs montrent ainsi l’osmose
entre souveraineté, indépendance et Etat unitaire d’une part et autonomie, autocéphalie, et
patriarcat de l’Eglise « roumaine » de l’autre. On peut affirmer que sous Ceausescu
« isolationnisme » et autocéphalie vont de pair, dans la lignée du dacisme.
Lorsque la Transylvanie fut annexée par l’acte d’union du 1 décembre 1918, le primat de
Valachie et Moldavie fut, contrairement à la norme canonique, non pas le métropolite de
550 /{c te p riv ito a re la a u to c e fa lia B is e ric e i o rto d o x e a R o m â n ie i, 1 8 8 5 , Tipografia C^tilor
Bisericesca ; « Acte privitore la autocefalia Bisericei ortodocse a României ; Documente, acte
priviore la autocefalia, etc... », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , IX, 1885, pp. 333-354, pp.
553-557, pp. 921-933 ; « Aniversarea centenarului autocefaliei Bisericii Ortodoxe Române în
cadrul comisei române de istorie ecclesiastica comparata », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d ,
1985, pp. 384-388 ; B is e ric a O rto d o x a R o m â n d . C e n te n a ru l A u to c e fa lie i B is e ric ii O rto d o x e
Rom âne,
Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1987 ; « Centenaire de T autocéphalie. Les festivités
de Bucarest et télégramme à Monsieur Nicolae Ceausescu de lustin », dans R o m a n ia n
O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVe an., 1985, 2, pp. 30-46 ; N. DURA, « Patriarhia ecumenica si
autocefalia Bisericii noastre de-a lungul secolelor », sans S tu d ii T e o lo g ic e , XXXVIII, ser. IIlea, 1986, 3, pp. 52-81 ; I.N. FLOCA, « Faze si etape ale stârilor de independentâ de tip
autonom si autocefal în Biserica Ortodoxa Româna », dans M e tro p o lia A rd e a lu lu i, XXX,
1985, 5-6, pp. 288-298 ; I. lONESCU, « Contextul istorie al dobîndirii autocefaliei Bisericii
ortodoxe române », dans G la s u l B is e ric ii, XLIV, 1985, 5-6, pp. 314-334 ; LD. IVAN, «
Autocefalia Bisericii ortodoxe române-un veac de la recunoasterea ei », dans S tu d ii T e o lo g ic e ,
ser. Il-lea, XXXVIII, 1986, 2, pp. 14-39 ; I. MARES, « Recunoasterea autocefaliei- act de
prestigiu în istoria bisericii noastre », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d ,
Cin,
1985, f. 5-6, pp.
435-439 ; NESTOR, « L’Eglise orthodoxe roumaine. Centenaire de l’autocéphalie plénière
(1885-1985) », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 2, pp. 10-18.
257
Moldavie, mais le métropolite de Transylvanie, Miron Cristea^^^. Cette nomination consacrait
ainsi l’union de la troisième principauté à l’Etat national unitaire roumain. En 1925, après la
réorganisation de l’Eglise orthodoxe roumaine dans le nouvel Etat, l’Eglise devint patriarcale,
sur le même pied que les autres Eglises sœurs^52 Restait l’annulation de l’acte d’union d’Alba
Iulia de 1700 de l’Eglise gréco-catholique roumaine, la « re în tre g ire a », pour que l’Eglise
orthodoxe « réintègre » les frères roumains unis à Rome, dans ses dimensions et sa forme
ancienne. Autrement dit, la suppression de l’Eglise uniate devait être réalisée pour rétablir
l’union de tous les Roumains dans une seule Eglise, l’Eglise orthodoxe. Malgré les tentatives
de « réunion » des deux Eglises roumaines, il faudra attendre le coup d’Etat communiste pour
que cet acte se réalise en 1948.
Le principe d’ethnicité est, comme nous l’avons indiqué, une des bases de l’Eglise et de
l’unité territoriale. L’autocéphalie consacre ce lien intrinsèque entre ethnicité et Eglise^^^
L’Eglise est indépendante de Constantinople et est organisée sur une base ethnique. Le
parallélisme entre l’indépendance de l’Eglise et l’indépendance de l’Etat montre combien le sort
de l’Eglise est lié au sort de l’Etat. Donc, l’Eglise se doit de continuer à lutter pour la
souveraineté nationale et doit collaborer avec l’Etat sans lequel l’autocéphalie n’aurait plus de
sens. Ainsi si l’Eglise montre que l’Etat a bénéficié de l’Eglise au cours de l’histoire, il est clair
aussi que le sort de l’Eglise est lié à celui de l’Etat, que l’Eglise a besoin de l’Etat. Le lien entre
551 Mircea PACURARIU, « Commémorations : Un grand hiérarque : Le patriarche Miron
Cristea », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XDCe an., 1989, 2, pp. 24-28.
552 J R ABRUDEANU, In a lt P re a S fin û a S a P a tria rh u l R o m â n ie i, D r. M iro n C ris te a , în a lt
re g e n t, o m u l sJ fa p te le ,
Bucuresti, tip. Caitea româneasca, 1929, v. 1 (Contribuüuni la studiul
istoriei Bisericii Române Ortodoxe contemporane), chap. 37, le g is la tia b is e ric e a s c à , pp. 392401. M. BEZA, T h e R u m a n ia n C h u rc h , Londres, Society for promoting Christian Knowledge,
1943. O.
C a C IU L À ,
1, Bucuresti, 1938 ;
« Cultele în România », dans E n c ic lo p e d ia R o m â n ie i, éd. D. GUSTI, vol.
I.G . S a V IN , B is e ric a ro m a n d s i n o u a e i o rg a n iz a re ,
Bucuresti, 1925.
553 C P BELDIE , C o n trib u tia B is e ric ii o rto d o x e ro m â n e la în td rire a n a tio n a lis m u lu i, Barlad,
1940. « Biserica ortodoxa în noul regim », dans T e le g ra fu l ro m a n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c ,
in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g un a ,
258
Sibiu, an. LXXXVIII, 41, 1940, pp. 1-2.
autocéphalie et indépendance, patriarcat et souveraineté est un thème récurrent dans la
littérature.
« Le lien - nous dit 1. Moldovan - entre l’Eglise et le peuple n’est pas seulement
l’expression d’un équilibre institutionnel, conformément à l’ainsi nommée conception
symphonique byzantine, mais aussi la découverte d’une réalité religieuse morale, d’un mode
spirituel d’être, qui concentre en soi la synthèse existentielle du spirituel et de l’ethnicité, en
vertu de laquelle la vie ethnique revêt ainsi un sens divin
iiie MOLDOVAN, « Etnicitate si autonomie bisericeasca..., o p . c it., pp. 237.
259
IV. L’ethnicité et la « loi des ancêtres » (le g e a s tra m o s e a s c a )
« Notre Eglise est, avant tout, l’Eglise de la Roumanie, l’Eglise de la nation roumaine, de
toutes les générations. Elle a toujours sauvegardé l’« être national » et la « loi des ancêtres »
{le g e a s tra m o s e a s c a
ou s trà b u n ilo r) (...) Cette loi des ancêtres est entrée comme telle dans
l’Histoire en tant que précepte des préceptes. Elle est le code de conduite sociale et morale, dont
la source et les fondements se trouvaient dans la doctrine religieuse. Il s’agit d’un code non
écrit, un code de comportement dans le cadre de l’organisme social et national de la nation. La
défense de la loi des ancêtres est une devise et un argument contre ceux qui chercheraient à
transgresser les frontières ou à opprimer la nation. Cette loi représente une synthèse entre la foi
orthodoxe de l’Eglise et l’institution traditionnelle du droit et de la Justice s’intégrant dans les
valeurs éthiques suprêmes de la nation
La loi des ancêtres est une notion qui recouvre dans la littérature tout ce qui concerne
l’histoire de l’indépendance de la Roumanie et des principautés roumaines. C’est le fondement
de l’appartenance à la filiation orthodoxe « bimillénaire ». Tout orthodoxe doit s’inscrire dans
la tradition de la loi des ancêtres {le g e a s tra m o s e a s ca ou s trà b u n ilo r), qualifiée aussi de loi
« orthodoxe » ou « roumaine » {le g e a o rto d o x a ou ro m â n e a s c à ). Cette loi sera invoquée dans
Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine »,
op.
c it.,
p. 4.
260
le contexte de Tuniatisme, les gréco-catholiques l’ayant « trahie » dans le contexte orthodoxe.
Nous le signalerons à propos des gréco-catholiques : ceux-ci seront accusés d’avoir voulu
instaurer une le g e a g re c o -c a to lic â , ce qui dans le contexte de la fusion entre orthodoxie et
ethnicité est une impossibilité. Il ne peut y avoir qu’une seule le g e a propre au peuple roumain
in e a m ),
la loi roumaine et orthodoxe des ancêtres qui a sauvé l’« être national » au cours de
l’histoire (fiin ta n a tio n a la ).
Il est révélateur de lier le principe d’autonomie, compris comme autonomie face à
Constantinople, comme indépendance du peuple roumain, avec la le g e a s trâ m o s e a s c â . Dans ce
contexte, affirme I. Moldovan, « la le g e a recouvre trois sens. Un sens dogmatique qui intègre
l’ethnicité dans l’œcuménicité, un sens canonique qui scelle le principe d’ethnicité dans
l’organisation de l’Eglise orthodoxe, et un sens religieux et moral, qui relève de la
responsabilité d’un peuple quant à sa mission sur terre. Cette loi est la force vivante à l’origine
de toutes les étapes du développement du peuple et de la vie des hommes en général
« Le problème de l’ethnicité entre également dans le principe de l’économie divine. Par la
Pentecôte, l’esprit saint crée l’Eglise historique, ce qui signifie que l’Eglise devient universelle
et en même temps concrète, locale et historique, et donc ethnique. L’identité ethnique est un don
ontologique. Un peuple (n e a m ) est une réalité qui entre dans le plan éternel de la sagesse de
Dieu. Selon les Actes, XIV, 15-16 (c/r. s u p ra ), le peuple est un don de la volonté divine
créatrice. L’ethnicité n’est pas qu’une simple cohabitation de membres, une association
volontaire de type contractuel, mais une réalité unique, essentielle, une image du Logos divin.
L’apparition dans le monde d’un peuple est l’effet d’une intervention divine, du mystère avec
l’immanence {tn c o n lu c ra re ta in ic a e u im a n e n td ) »55'7. « Le territoire d’un pays doit également
être déterminé par un ordre spirituel et national, et non limité au cadre physique de l’existence
d’une nation ».
« Ainsi il n’existe pas de dualisme ontologique entre l’Eglise et le monde, enme le sacré et
le profane, le dualisme étant seulement d’ordre moral entre l’homme nouveau et ancien. Le
556 i2ie MOLDOVAN, « Etnicitate si autonomie bisericeasca..., o p . c it., p. 238.
557
Ib id .,
p.
243.
261
monde entre dans l’Eglise avec toutes les réalités de la vie humaine, la langue, la culture et la
tradition, qui toutes les trois entrent dans l’ethnicité ».
« Ainsi la conscience de la descendance daco-romaine n’est pas seulement une idée
majeure dans l’histoire du peuple roumain, mais elle est intégrée dans le trésor de la spiritualité
roumaine en tant que valeur archétypale
« L’Eglise a lutté pour son essence ethnique {fiin te i s a le e tn ic e ) et pour la défense du
pays, comme pour la défense de sa croyance chrétienne. Cette croyance a pénétré l’intérieur de
la conscience de notre peuple comme facteur d’affirmation de son unité et comme facteur
mobilisateur pour la lutte contre toute aliénation
On comprend donc l’accusation envers les gréco-catholiques de trahison à cette le g e a
s tra m o s e a s c ^
D n’y a qu’une seule le g e a , celle des Roumains orthodoxes, le g e a R o m â n ilo r, ou
la le g e a o rto d o x a , et il n’existe pas de le g ea g re c o -c a to lic a ^ ^. L’attachement à la le g e a est donc
fondamentale pour le croyant orthodoxe. Elle est un devoir de « citoyen » (c’est-à-dire de
« nationalité roumaine ») dans la perspective de l’histoire nationale du peuple roumain.
La le g e a est donc une des composantes de l’ethnicité de l’Eglise qui implique un code
moral pour le croyant orthodoxe. Ce code moral est impératif pour le respect par le citoyen de la
tradition orthodoxe roumaine et est, comme le disent les auteurs, un principe qui ignore la
séparation du sacré et du profane. L’attachement au destin de l’Etat se conjugue avec le devoir
orthodoxe. Le respect de l’Etat se fond, dans ces conditions, avec le respect de la loi des
ancêtres, c’est-à-dire avec la croyance originelle du peuple roumain, la foi orthodoxe. Et qui
plus est, cette « loi » implique une participation active à la défense de la nation, de la patrie
roumaine, c’est-à-dire de la République Socialiste de Roumanie.
558 ih id ,,
p. 260.
559 A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e
în d e m n u ri p e n trii c le r,
I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1971, p. 25.
560 cfr. infra, le point concernant la suppression de l’EgUse uniate.
262
Ed.
V.
L’ethnicité,
un
fondement de l’exclusion
et
la
tentation
du
« phylétisme » ?
L’Eglise orthodoxe a donc défendu une argumentation nationaliste basée sur l’ethnicité de
l’institution ecclésiale. Cette ethnicité est inscrite dans l’histoire de l’orthodoxie depuis les
Evangiles. L’Eglise orthodoxe roumaine montre la filiation ethnique depuis l’époque dacoromaine, depuis l’ethnogenèse du peuple roumain jusqu’à l’époque contemporaine.
L’orthodoxie est identifiée au peuple roumain. Le nationalisme roumain orthodoxe sous le
communisme ne développe pas une idéologie agressive d’exclusion, « nationaliste chauvine »
comme elle se plaît à répéter tout en soulignant qu’il s’agit d’une attitude propre à l’Occident
centraliste. Mais le principe de l’ethnicité ne porte-t-il pas en lui l’exclusion et la ségrégation au
sein même de l’Etat roumain ?
En effet, si l’on fait le lien entre une nation et une ethnie particulière, même sans
« nationalisme chauvin », il est clair que l’on instaure les termes d’une exclusion. Si l’on
considère qu’il y a une ethnie dominante dans un Etat, la Roumanie en l’occurrence, l’ethnie
roumaine multi-millénaire, et que cette ethnie est intrinsèquement liée à l’orthodoxie, il en
découle que le « citoyen » de Roumanie de « nationalité » roumaine ne peut être qu’orthodoxe,
ou inversement, être orthodoxe en Roumanie implique le fait d’appartenir à l’ethnie roumaine.
Donc l’orthodoxie est d e fa c to la religion d’Etat, et tout citoyen d’une autre religion, même
263
d’« ethnie » roumaine ne peut être un Roumain à part entière, puisqu’il s’exclut lui-même de la
filiation ainsi établie. Ainsi, le citoyen d’une autre « nationalité » et non orthodoxe ne peut être
un citoyen à part entière puisqu’il ne descend pas du « lignage » historique roumain de
l’antiquité, « autochtone », mais réside en tant que citoyen roumain en raison des aléas de
l’histoire, des migrations des peuples. C’est le cas de toutes les minorités en Roumanie,
hongroise, saxonne, e tc .
En relation avec le principe de l’autocéphalie après l’indépendance et la formation de
l’ancien royaume, ce lien s’est fait entre l’ethnicité de l’Eglise et la conception de l’Etat au sens
moderne. Pour l’entre-deux-guerres, on évoquera le parallélisme entre autocéphalie et Etat
indépendant, l’organisation de l’Eglise orthodoxe unitaire et l’Etat national roumain unitaire.
Sur la base de l’ethnicité et grâce à la thèse de la continuité, l’Eglise orthodoxe incarne l’Eglise
du peuple roumain ethniquement, la B is e ric a ro m â n e a s c a , non pas une parmi d’autres, mais la
seule possible pour le peuple roumain. On comprend alors le sens de « peuple », que ce soit
popor
ou n e a m . N’oublions pas qu’en Roumanie, et dans la littérature orthodoxe, les citoyens
non roumains sont souvent appelés « les autres ethnies de l’espace originaire dacoromain »561.
Nous avons signalé le « noicisme » développé dans les années quatre-vingt, soulignant
r«
essence nationale » du n e a n i roumain. Alors que le discours de l’Eglise du début du régime
communiste avait supprimé toute référence au sang et à la race, selon l’idéologie
internationaliste marxiste, pour marquer également la rupture avec le passé des années trente, la
littérature sous Ceausescu recommence à faire allusion à la notion de sang, complémentaire au
principe de l’ethnicité. Comme le souligne I. Georgescu, le peuple roumain est né de la fusion
du peuple dace, défenseur de la terre des ancêtres, et des Romains civilisateurs du monde
antique. « Le sang des daces et des Romains est notre levain ». Le peuple roumain a la
561 Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine », o p .
c it.,
p. 4.
264
conscience d’appartenir à un peuple choisi (u n n e a m a ie s ) et a maintenu pendant les deux mille
ans de son histoire son « essence » nationale (fiin ta n o a s tra n a tio n a la )^ ^ ^.
Dans ce cas, il est évident que, même si l’on affirme qu’il n’est nullement question de
nationalisme, condamné par le Synode de Constantinople en 1872 en tant que phylétisme, il
s’agit d’une conception intrinsèquement nationaliste et à la base de l’exclusion, qui implique
une conception ethnique de la religion et ne peut admettre une autre religion pour le peuple
roumain que l’orthodoxie. A chaque peuple doit correspondre une religion propre ou une
confession particulière. On comprend donc pourquoi l’Eglise gréco-catholique ne peut être une
Eglise roumaine « o B is e ric a ro m â n e a s câ ». Ce sera l’objet du chapitre suivant. On comprend
également pourquoi la thèse de la continuité prend toute son importance dans l’argumentation
orthodoxe pour montrer le rôle fondamental de l’Eglise lié à l’ethnie roumaine et à l’Etat
roumain. De même que l’on fait un anachronisme en utilisant la notion de « nation » comprise
comme Etat dans le sens jacobin du terme, pour la période du bas-empire jusqu’à la réalisation
de l’Etat moderne, le sens de l’ethnicité est également appliqué à l’antiquité et au moyen âge de
manière anachronique, dans son sens nationaliste du XIXe siècle.
Depuis la chute du régime communiste, cette conception n’a pas changé, et peut se
radicaliser dans des mouvements d’extrême droite tels que le mouvement néo-légionnaire, sous
la forme d’un mysticisme orthodoxe et fasciste.
On citera le métropolite d’Olténie N. Vomicescu qui après 1989, reprenant Nichifor
Crainic du mouvement G â n d ire a , montre l’inopportunité de séparer religieux et spirituel,
orthodoxie et Etat, dans une apologie de l’« ethnocratie orthodoxe ». Selon N. Crainic, cité
par N. Vomicesu, « Dans une société chrétienne organisée au sein de l’Etat, on ne peut poser
la question si l’homme appartient à l’Etat ou à l’Eglise. L’Eglise existe dans le temps et dans
l’espace. Elle est l’antichambre, vaste comme le cosmos, de l’éternité. Les nations et les Etats y
entrent. Et même s’il y avait d’autres milliers de nations ou d’Etats encore, ils auraient tous leur
place dans son contenu spirituel. Un Etat chrétien entre, avec son temps et son espace limité,
562 Qn verra notamment ; Ilie
B is e ric ii,
Ge o
r
G ESCU,
XLVI, 1987, 4, pp. 5-6.
265
« Fiinta noastra nationalâ », dans G la s u l
dans l’éternité de l’Eglise et adhérant à la destination surnaturelle de l’homme, donnera à celuici la possibilité de remplir tant ses obligations envers le César que ses obligations envers Dieu.
Dans ce cas, qui n’est rien d’autre que l’ordre du monde depuis l’avènement du Christ,
l’individu se développe dans le contexte de la profession, de l’Etat, de l’Eglise (...). La vie
dans le temporel s’organise donc en corrélation avec la vie dans l’éternité, si l’homme adhère à
sa destination d’au-delà des temps. Une fois proclamée cette adhésion, aucun homme
n’appartient plus intégralement à un autre homme, puisque tous appartiennent à Dieu, en tant
que Ses créatures
Ainsi affirme Vomicescu, « c’est dans cette polarité omnicontenante
“ Eglise-Nation ” que s’organise notre vie dans le temporel, qui doit être une préparation
proportionnelle à l’immortalité de l’au-delà
Dans la conception orthodoxe, souligne encore N. Vomicescu, « les peuples et les
nations sont des unités naturelles de la société humaine, différentes par le sang et la langue (...).
Quand on parle d’Eglise nationale ou d’Eglise du peuple, on exprime la réalité spécifiquement
orthodoxe d’existence chrétienne ; ce n’est pas particulariser par des délimitations d’essence,
mais spécifier
L’unité nationale est consacrée par les écrits néo-testamentaires, comme le
« allez enseigner à toutes les nations ». Comme l’affirme le métropolite d’Olténie
N. Vomicescu, « c’est une raison de plus pour laquelle notre théologie orthodoxe estime si
profondément le facteur national, comme faisant partie de la volonté divine même et de l’ordre
divin. De là, la lourde reponsabilité qui incombe aux ministres de l’Eglise, à sa hiérarchie »^6^.
Donc non seulement le caractère ethnique de l’Eglise doit pousser le croyant à soutenir la
nation, donc l’Etat — « de là, la lourde responsabilité qui incombe aux ministres de
l’Eglise » — mais le métropolite s’inscrit ainsi dans la lignée de G â n d ire a de l’entre-deuxguerres, attribuant finalement à l’ethnicité de l’Eglise un caractère mystique. « La foi s’est
563 Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine »,
op.
c it.,
pp. 5-6.
^64 iiy id ., p. 6.
665 jtfic l., p. 7.
666 J ijid ., p. 7.
266
identifiée à notre conscience de peuple »567 « L’Eglise est, avant tout, l’Eglise de la
Roumanie, l’Eglise de la nation roumaine, de toutes les générations
Autrement dit,
l’Eglise orthodoxe est considérée comme l’Eglise de l’Etat, historiquement et ethniquement.
Toute personne qui ne serait pas liée par le sang et la filiation daco-romaine orthodoxe ne peut
qu’être un « citoyen » roumain de second rang, de nationalité « étrangère » et de confession
« historique », dans le sens de la Constitution de 1923.
L’ethnicité de l’Eglise sous Ceausescu est d’autant plus paradoxale que, comme le
souligne C. Durandin, le nationalisme autochtoniste de la Roumanie de Ceaucescu « est
matérialiste et c’est en cela que réside son caractère dérisoire et tragique. Cet énorme effort de
mobilisation, d’endoctrinement en faveur de la promotion d’une identité nationale a vidé la
culture traditionnelle de son sens et de sa spiritualité qui était l’attachement à la foi chrétienne
orthodoxe »^^^. L’Eglise orthodoxe a donc donné à ce « renouveau » des thèses nationalistes
prônées par Ceausescu un sens religieux. Le « noicisme » a pu être relayé par l’Eglise
orthodoxe revêtu de connotations spirituelles. La collaboration de T Eglise a donc pu, sur le plan
idéologique à l’époque communiste, donner un caractère spirituel au nationalisme de l’Etat,
pour donner une légitimité au discours de l’Etat en l’inscrivant dans la continuité historique
roumaine. Ce discours était fondamentalement nationaliste et a créé une discrimination parmi les
citoyens, entre les Roumains de « sang » daco-roumain et les « nationalités cohabitantes »
d’une part, et les Roumains des autres confessions, les uniates, les néo-protestants et les
cathohques d’autre part.
Dans le contexte communiste roumain, on mesure le drame causé par le nationalcommunisme et son influence dans l’idéologie de l’Eglise orthodoxe, puisque l’identité s’est
trouvée « reconstruite » par le totalitarisme du régime. C’est une des composantes des
Ib id .,
568
p. 8.
p. 9.
569 Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie d e C e a u s e s c u , o p . c it., p.
151.
267
problèmes actuels depuis la Révolution de 1989, et on comprend mieux le « renouveau »
nationaliste post-révolutionnaire.
268
Chapitre III : UNITE DE LA FOI, DE LA NATION
ET DE L’ETAT
L a « ré in té g ra tio n » (reîntregireaj d e l’E g lis e g ré c o c a th o liq u e à l’E g lis e m è re o rie n ta le e n 1 9 4 8
1. Remarques sur l’histoire de F« uniatisme » roumain
S’il y a bien un événement qui a marqué l’histoire religieuse des pays de l’Est durant la
guerre froide, c’est la suppression pure et simple des Eglises gréco-catholiques^^®.
Sur le catholicisme en Roumanie on verra : R. B a C S V A R Y , « Les minorités nationales et
l’Eglise catholique romaine en Roumanie », dans C o n c iliu m , n°174, avril 1982, pp. 45-55 ;
J. BROUN, « The Latin-Rite Roman Catholic Church of Romania », dans R e lig io n in
C o m m u n is t L a n d s ,
vol. 12, 1984, 2, pp. 168-184 ; J. A. BROUN, « Catholics in Romania : A
269
Le problème de Tuniatisme est le point central de l’équation entre l’unité du peuple et
l’unité de croyance. C’est pour cette raison qu’il est indispensable de consacrer à ce problème
un chapitre entier tant il s’inscrit dans la problématique de la nation et du lien entre l’Eglise et
l’Etat. Comme le dit N. Cemeanu, « l’idée de l’unité du peuple {u n ita te d e n e a m ) basée sur
l’unité de croyance {u n ita te d e c re d in ta ) a constitué l’objectif de l’Eglise orthodoxe roumaine
pour lequel elle sert aujourd’hui avec conviction, remplissant ainsi la volonté de Dieu
Le problème de l’uniatisme est non seulement une question complexe, mais la question
par excellence qui suscite la polémique dans la littérature orthodoxe et dans le contexte des
relations interconfessionnelles en Roumanie, comme dans tous les pays concernés par
l’uniatisme. C’est le cas des zones frontalières enti'e le catholicisme et l’orthodoxie, c’est-à-dire
la Pologne, la Biélorussie et l’Ukraine occidentale, particulièrement la région de l’ex-U.R.S.S.
dénommée Ukraine subcarpatique ou Ruthénie ; c’est le cas de la Transylvanie, et également,
mais dans une moindre mesure, de la Bulgarie^^^.
History of survival », dans America, 150, 18, 1984, pp. 357-361 ; ID., « Romania’s Churches
behind the Façade of Liberalism », dans, A m e ric a , 150, mars, 1984, pp. 165-169. R. JANIN,
« L’Eglise catholique en Roumanie », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , 33e an., t.48,
n°1092, avril 1951, col. 423-436. Pour l’uniatisme roumain on verra surtout O.
B is e ric a ro m â n d u n ita ,
Ba r LEA,
Madrid, 1952 ; ID., « Die Union des Rumanen (1697 bis 1701) », dans
R o m u n d d ie P a tria rc h a te d e s O ste n s,
édit. W. de VRIES, Freiburg, München, 1963 (Orbis
Academicus Bd III/4), pp. 132-180 ; ID., O s tk irc h e , T ra d itio n u n d w e s tlic h e r K a th o liz ism u s .
D ie ru m à n is c h e u n ie rte K irc h e z w is c h e n 1 7 1 3 -1 7 2 7 ,
München, 1926 (Societas Acad.
Docoromana, Acta Historica, t. VI) ; B is e ric a R o m â n d U n ita . D o u a s u te c in c i z e c i d e a n i d e
is to rie ,
Madrid, Rivadenyra, 1952 ; « Deuils et ruines de l’Eglise du silence », dans L a
D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e ,
n°1156, 53e an., t. 50, sept. 1953, col. 1192-1200 ; E. IVÂNKA,
« The Rumanian Greek-Catholic Church », dans T h e E a s te rn C h u rc h e s Q u a rte rly , vol. 8,
1949, n°3, pp. 154-162 ; S. LUPSA, B is e ric a a rd e le a n a s i « u n ire a » în a n ii 1 6 9 7 -1 7 0 1 ,
Bucuresti, 1949 ; A.
B u n a V e s tire ,
M ir
c ea
,
« Octobre 1948 ou la farce du retour à l’orthodoxie », dans
vol. 14, 1975, pp. 5-8.
571 Nicolae CORNEANU, S tu d ii, n o te sJ c o m e n ta rii te o lo g ic e , o p . c it., chap. 4, O rto d o x ie sJ
n a tiu n e ,
p. 101.
572 Qn verra paiini les articles les plus récents : S. KELEHER, « Church in the Middle ;
Greek-Catholics in Central and Eastern Europe », op. cit., pp. 289-302.
270
De manière générale, Tuniatisme est né de l’avancée des latins catholiques vers l’Est de
l’Europe aux temps modernes, lorsque les Etat catholiques ont annexé à l’Est des terriroires
occupés par des populations orthodoxes. Ces Etats ont mené une politique de réunion des
chrétiens orientaux à Rome pour créer dans ces contrées une élite catholique capable de contrer
le protestantisme^^^ des pays d’Europe centrale. Dans ces conditions, l’uniatisme s’inscrit
dans une politique de Contre-Réforme. Il n’est pas étonnant que l’uniatisme incarne dans la
littérature orthodoxe par excellence le prosélytisme romain à l’Est.
Pour la Transylvanie, ce fut également le cas lorsque cette région, sous statut spécial lors
de r« occupation » ottomane, retomba aux mains des Habsbourg en 1691, domination
reconnue par la Porte ottomane au traité de Carlowitz en 1699^^^. Sous l’administration de
Vienne, la Transylvanie connut une politique de « catholicisation » menée par l’empereur
Léopold, principal artisan de l’uniatisme en Transylvanie^
L. BINDER, « Die Augsburgische Konfession in der Siebenbürgischen evangelischen
Kirche », dans Z e its c h rift fU r b a y e ris c h e K irc h e n g e s c h ic h te , vol. 49, (Nurenberg) 1980, pp.
54-85 ; ID., « Die kirchlichen und religiôsen Verhàltnisse siebenbürgens im XVI und XVn Jht
im Lichte der Toleranz », dans M is c e lla n e a , VII, Bruxelles, 1985, pp. 102-110 ; ID.,
G ru n d la g e n u n d fo rm e n d e r T o le ra n z in S ie b e n b ü rg e n b is z u r m itte d e s 1 7 J a h rh u n d e rts ,
Ed.
Bôhlau (Siebenbürgisches Archiv vol. 11), Cologne, Vienne, 1976 ; ID., « Johannes Honterus
und die Reformation im süden Siebenbürgens mit Besonderer Berücksichtigung der Schweizer
und Wittenberger, Erisflüsse », dans Z w in g lia n a , t. 13, 1973, f. 10, pp. 65-687 ; L. BiNDER
et J. SCHEERER, D ie B is c h ô fe d e r E v a n g e lis c h e n K irc h e A .B . in S ie b e n b ü rg e n , vol. 2 : D ie
B is c h ô fe d e r J a h re 1 8 6 7 -1 9 6 9
(Schriften Z. Landeskunde Siebenbürgens, vol. 4), Koln,
Bohlau, 1980 ; P. BINDER, « Johannes Honterus Karten und Beschreibungen der rumânischen
Lânder », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XII, 1973, 6, pp. 1037-1065 ; ID., « Sur les
liens de l’Eglise évangélique saxonne de Transylvanie avec Genève », dans R e v u e R o u m a in e
d ’H is to ire ,
t. XV, 1976, f. 2, pp. 323-325.
574 Câlin FELEZEU, « Juridical Stature of the Transylvanian Principality in Relation with the
Sublime Porte » (Bulletin of the Center for Transylvanian Studies), Romanian Cultural
Foundation, Cluj-Napoca, Vol. III, n° 1, 1994.
575 Pour l’uniatisme en Roumanie, on verra les livres suivants parus en Occident avant
1989 : B is e ric a R o m a n d U n itd . D o u a s u te c in c i z e c i d e a n i d e is to rie , Madrid, 1952 ; Pierre
GHERMAN, L ’â m e ro u m a in e é c a rte lé e ; o p . c it. ; ID., P e n s é e ro m a in e , p e u p le ro u m a in , coll.
271
S’il est clair que ce « retour » au catholicisme des orthodoxes aux confins des XVIIe et
XVIIIe siècles répondit sans aucun doute à des impératifs politiques liés aux événements de
cette époque, il n’est pas inintéressant de constater que les « uniates », selon la terminologie
péjorative orthodoxe, ont développé une argumentation qui devait légitimer cette réunion.
En effet, et de nombreux auteurs soutiennent cette vision des faits, l’uniatisme s’inscrit
dans la perspective des différentes unions à Rome depuis le schisme de 1054 entre orthodoxes
et catholiques. Les auteurs uniates replacent l’uniatisme dans la continuité de la politique de
réunion des deux Eglises, comme ce fut le cas au Proche-Orient à l’époque des croisades. Selon
la politique du Saint-Siège de réunion des deux Eglises dans les Etats francs du royaume de
Jérusalem, les Eglises orientales se soumirent à Rome^^^. Il était logique que lorsque les
catholiques avancèrent vers l’Est de l’Europe en « terre » orthodoxe, les Eglises orthodoxes
s’en retournent au catholicisme et se soumettent au Saint-Siège^^^. C’est pourquoi les uniates
de Transylvanie légitiment l’union accomplie entre 1699 et 1701 en l’inscrivant dans la tradition
« florentine » de l’Eglise. En effet, les uniates, dans les documents de protestation contre la
suppression de leur Eglise, appelée par les orthodoxes la « réintégration » (re în tre g ire a ), font
appel au Concile de Florence de 1439 consacrant la réunion de l’Eglise orthodoxe byzantine à
l’Eglise romaine, signée par l’empereur byzantin pour obtenir la protection des Latins devant la
menace turque ottomane. « Nous nous sommes unis à Rome pour ne pas fouler aux pieds la
parole de nos aïeux qui, à Florence en 1439, ayant, à leur tête, le métropolite de Moldavie,
La Barque de saint Pierre, SPES, Paris, 1967 ; Cicerone lONITOIU, o p . c it. ; Sergiu GROSSU,
L e c a lv a ire d e la R o u m a n ie c h ré tie n n e , o p . c it.
; Cfr. aussi les dernières publications émanant
de l’Eglise gréco-catholique parues depuis la Révolution ; Eugen POPA, L e g e a s tra m o s e a s c a s i
u n ire a e u R o m a ,
Ed. Viata crestina, Cluj-Napoca, 1992 ; loan M. BOTA et Tertulian
F iin ta s i ro lu l B is e ric ii ro m a n e u n ité (G re c o -c a to lie d ) în v ia ta p o p o ru lu i ro m a n ,
crestina, Cluj-Napoca, 1993 ; Silvestru A.
Pr
u n d u
S,
La n
g
A,
Ed. Viata
Clemente PLAIANU et Eugen S.
CUCERZAN, D e n a tu rd ri g ra v e p riv in d is to ria B is e ric ii R o m â n e U n ité (G re c o -C a to lic d ), Ed.
Viata crestina, Cluj, 1993.
J. HAJJAR, L e s c h ré tie n s u n ia te s d u p ro c h e -o rie n t, Ed. du Seuil, Paris, 1962.
577 Cfr, aussi : O.
Ha
l e c k i,
« Das problem der Kirchenunion in der osteuropàischen
Geschichte », dans Ô s te rre ic h e O s th e fte , t. 4,1962, pp. 1-5.
272
Damien, ont souscrit l’union »578_ Le§ grecs orthodoxes ont toujours été partagés sur le fait de
savoir s’il fallait se soumettre au turban turc ou à la tiare latine^^^. Les uniates s’inscrivent
donc parmi les orthodoxes favorables à la réunion avec le Saint-Siège.
Sur le plan pratique, cette réunion se concrétisait par une soumission à Rome, à l’instar de
n’importe quelle autre circonscription ecclésiastique de l’Eglise catholique. D’un point de vue
dogmatique, les uniates devaient accepter le purgatoire, le F ilio q u e et l’utilisation du pain
azyme. Pour le reste, ils gardaient leurs traditions et rites byzantins. Cette conservation des rites
orientaux explique les autres dénominations de l’Eglise uniate, à savoir « Eglise catholique
roumaine de rite byzantin », « Eglise gréco-catholique » ou « Eglise roumaine unie » (B is e rica
R o m â n a U n ita ).
On s’aperçoit donc d’emblée que ce problème est lourd de conséquences et s’enracine
dans toute la problématique historique de la rivalité entre l’Occident latin et l’Orient byzantin et
orthodoxe. Il est clair que c’est sur le problème de l’uniatisme que se focaüse tout le contentieux
entre catholiques et orthodoxes : le prosélytisme, le « centralisme » ecclésiastique et
l’infaillibilité pontificale, ces deux derniers points étant considérés par les orthodoxes comme
les éléments primordiaux de discorde entre les Eglises. Cependant la complexité est également
due, dans le cas roumain, à l’histoire même de la Transylvanie aux XVIIIe et XIXe siècles,
particulièrement au rôle des uniates parmi les « élites » intellectuelles et au processus
d’« émancipation » des Roumains de Transylvanie. En outre, la question de la conception
orthodoxe de la nation par opposition à celle du catholicisme se retrouve au centre du débat. Si,
au début du communisme, la dénonciation de l’« impérialisme » catholique avec toutes ses
connotations constituait le fond du litige, la thèse de la continuité daco-romaine joue désormais
ce rôle, depuis la période Ceausescu et surtout depuis 1989.
Cfr. la lettre de l’Episcopat gréco-catholique de 1948 dans ; Pierre
ro u m a in e é c a rte lé e ; fa its e t d o c u m e n ts , o p . c it.,
Gh
e r ma n
, L ’â m e
p. 47.
579 Cfr notamment : F. THIRIET, « Orthodoxie et nationalisme », dans A s p e c ts d e
l’o rth o d o x ie
(Actes du colloque de novembre 1978 du Centre d’Etudes Supérieures Spécialisé
d’Histoire des Religions de Strasbourg), PUF, Paris, 1981, p. 129.
273
IL
La
suppression de l’Eglise gréco-catholique
roumaine par le
régime communiste
Après la seconde guerre mondiale et l’incorporation dans rU.R.S.S. des territoires qui
appartenaient dans l’entre-deux-guerres à la Pologne, le régime communiste soviétique
convoqua un synode à Lvov en 1946 pour « régler » le problème « uniate ». En effet, Staline
après avoir « remercié » l’Eglise orthodoxe russe pour son soutien dans la lutte contre le
fascisme désira régler le problème de l’existence en U.R.S.S. de cette Eglise catholique de rite
byzantin.
Le synode, qui n’est plus reconnu actuellement tant il fut convoqué dans des
circonstances litigieuses dues à l’époque stalinienne, annula l’union de Brest-Litovsk de 1596,
c’est-à-dire l’uniatisme ukrainien occidental et biélorusse.
Dès cette époque, l’uniatisme fut progressivement éradiqué de l’Europe communiste, par
la suppression en 1948 des gréco-catholiques roumains à Alba Iulia et par l’annulation en 1949
de l’union de Uzhorod de 1646, qui avait fondé l’uniatisme des territoires frontaliers de la
Hongrie, de la Slovaquie et de l’Ukraine sub-carpatique^^®.
Pour restaurer l’unité de croyance orthodoxe, la nation roumaine devant correspondre à
une seule Eglise, l’Eglise gréco-catholique de Transylvanie dut réintégrer l’Eglise mère, l’Eglise
580 Sur la question des uniates en général on verra l’article de Serge KELEHER, o p . c it., pp.
289-302.
274
orthodoxe roumaine. L’acte de « retour » à l’orthodoxie se fit à Alba Iulia, lieu symbolique de
l’union des uniates transylvains à Rome en 1700 et de l’union de la Transylvanie à la Roumanie
en 1918.
Si cela permettait au régime communiste de se défaire de l’influence du Vatican en
Roumanie, cela permettait à l’Eglise orthodoxe d’assurer l’intégrité de son unité qui avait été
menacée depuis le XVille siècle par le prosélytisme occidental habsbourgeois et catholique^*^
et au XIXe siècle sous le dualisme austro-hongrois. La « deuxième Eglise nationale », comme
l’a définie la Constitution de 1923, était ainsi supprimée par le décret communiste n° 358. Les
prêtres et les fidèles gréco-catholiques furent obligés de revenir à l’orthodoxie des
« ancêtres », ou réduits à la clandestinité. C’est ce que l’on appellera l’Eglise des
« Catacombes ».
D’après le ministre des cultes de 1948, Stanciu Stoian, le problème se posait dans les
termes suivants : l’union avec Rome ne s’est pas faite à l’initiative du peuple roumain qui a
toujours été lié à la tradition orientale de l’Eglise orthodoxe. L’acte de 1698-1701 fut un acte
politique dont l’initiative appartient à la cour de Vienne qui a voulu installer en Transylvanie un
parti catholique pour s’opposer au calvinisme et au luthéranisme. Cette opération fut soutenue
par le clergé catholique et pai' l’ordre des Jésuites qui se sont fait un point d’honneur de ramener
l’Eglise orthodoxe roumaine sous la domination papale. Cette union n’attint pas la spiritualité et
la spécificité de la croyance, et le peuple roumain y fut opposé. Cet acte fut imposé de force et
par le haut. Les croyants se conforment à la « loi roumaine » (le g e a ro m â n e a s c a ) et non à deux
lois différentes, la « le g e a g re c o -c a to lic a » et « g re c o -o rie n ta lâ » . Il y a une seule le g e a
ro m â n e a s c a
qui témoigne de l’unité de croyance, et que l’acte d’union n’a pas détruite. Si la
haute hiérarchie s’est « catholicisée » en allant à Rome, le peuple croyant est resté
fondamentalement orthodoxe proche de la le g e a ro m â n e a s c a . Stanciu Stoian précise à propos de
cette loi roumaine : « la loi roumaine, donc orthodoxe » (le g e a ro m â n e a s c a , a d ic a o rto d o x ).
Rappelant l’histoire de l’uniatisme au XVIIIe siècle, le ministre des cultes montre que les
581 A.I. ClUREA, « Rezistenta Bisericii românesti faû de prozelitismul catolic », dans S tu d ii
T e o lo g ic e ,
ser. Il-lea, 1949, 3-4, pp. 205-225.
275
personnalités importantes gréco-catholiques de l’Ecole transylvaine, la S c o a la a rd e le a n â ,
comme Inochentie Micu-Klein, Samuel Micu-Klein, Gheorghe Sincai et Petru Maior, ont lutté
pour l’indépendance de l’Eglise unie de Transylvanie et contre son inféodation au Saint-Siège.
On verra l’exemple du « procanon » de Petru Maior, considéré par Stanciu Stoian comme une
véritable plaidoirie pour l’indépendance de l’Eglise gréco-catholique contre les tentatives
d’aliénation {în s tre in a re ) de l’Eglise unie, instiguée par le
V atican582.
L’uniatisme fut en fait un
« pillage de la croyance » (p rd d a re a c re d in te ï) ou une « méthode de zizanie ». La volonté des
gréco-catholiques fut depuis 1700 de revenir à l’orthodoxie. Après la première guerre mondiale
et l’union de la Transylvanie en 1918, l’acte d’union et la « réintégration » ne put se faire parce
que les cercles politiques sous le roi Ferdinand, les « cliques » réactionnaires, n’avaient pas
intérêt à l’union du peuple roumain, ce qui fut totalement différent après le 23 août 1944.
Comme le dit le ministre des cultes, depuis l’instauration du communisme, les Eglises
catholique et gréco-catholique ont fait de la propagande contre le « nouveau régime de
liberté ». « L’Eglise gréco-catholique s’est donc montrée anti-roumaine et anti
démocratique »^83
Contrairement aux affirmations des gréco-catholiques, selon l’argumentation
communiste, ce ne serait pas le Gouvernement et l’Eglise orthodoxe qui auraient pris l’initiative
du retour des uniates à l’orthodoxie orientale, mais bien les gréco-catholiques eux-mêmes. Si la
majorité des prêtres (431 prêtres et 87 % des paroisses) revinrent à l’orthodoxie, ceux qui
582 Cfr. aussi : G.T., Marcu, « Lupta lui Petru Maior impotriva papalitatii. însemnâri în
legatura eu actualitatea Procanonului sau », dans O rto d o x ia , IV, 1952, 3-4, pp. 488-515 ;
M. PROTASE, « Le “ procanon ” de Petru Maior, réplique sud-est européenne des attaques
antipapales du XVIIIe siècle », dans R e v u e d e s E tu d e s S u d -E s t E u ro p é e n n e s , t. XI, 1973, f.
1, pp. 39-56 ; ID., « Sensul unirii de la 1700 în “ Istoria Bisericii Românilor ” de Petru
Maior », dans M itro p o lia A rd e a lu i, Sibiu, t. XVI, 1971, f.5-6, pp. 409-415.
583 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie popularâ fatâ de cultele
religioase », o p . c it., pp. 22-31.
276
refusèrent le firent parce qu’ils n’étaient en réalité que des « catholiques, corrompus par le
Vatican impérialiste »584
Une des raisons du refus catholique, selon le ministre des cultes, se situe sur le plan
économique. L’Eglise orthodoxe (70 % de la population) avait pour toutes ses éparchies
1731,42 ha de terrains agricoles et 2519,81 ha de forêts, au total 4251,23 ha. L’Eglise grécocatholique avait 3130,42 ha de terrains arables et 3082,45 ha de forêt, donc un total de 6212,87
ha pour un nombre de croyants ne s’élevant qu’à 8% du total des croyants du pays, c’est-à-dire
14 à 15 fois plus par croyant, sans parler des richesses venues de l’étranger, e tc . « De vrais
magnats », comme l’affirme S. Stoian^SS, « Ainsi, dans un régime de liberté de culte, les
gréco-catholiques ont aujourd’hui la liberté de réintégrer leur Eglise orientale, et les catholiques,
qui ne connaissent pas ce régime parce que le Vatican n’a jamais respecté aucune forme de
liberté, s’opposent au nouveau régime de démocratie
En réalité, pour l’Etat communiste, supprimer l’Eglise gréco-catholique c’était se
débarrasser du Vatican en Roumanie, d’un pouvoir « supra-national » échappant à la direction
de l’Etat. L’Etat tenta également de rendre nationale l’Eglise catholique romaine qui garda
pendant tout le régime un statut spécial, bien que légalisée par l’Etat.
Pour supprimer l’Eglise uniate, en d’autres termes, afin que les « gréco-catholiques
puissent revenir librement à leur véritable croyance des ancêtres », il avait fallu auparavant
abroger le Concordat. Le Concordat avec le Vatican a été signé en 1929. De manière générale,
la littérature communiste considère ce Concordat comme un privilège anticonstitutionnel attribué
à l’Eglise catholique par rapport aux autres cultes. Il créait une situation telle que l’Eglise
catholique était « un Etat dans l’Etat »^^^.
Le Concordat impliquait dans la vision communiste que, même si les évêques devaient
prêter serment au roi roumain conformément à la Constitution, ils étaient nommés par un Etat
Ib id .
Ib id .
Ib id .
Ib id .
277
étranger, le Vatican. De plus, le pouvoir économique de l’Eglise catholique, en raison des
nombreuses richesses qu’elle possédait en Transylvanie, surtout du fait de l’héritage austrohongrois, échappait au contrôle de l’Etat. Ainsi les biens économiques, mais aussi la politique
et l’enseignement qui auraient dû appartenir à l’Etat roumain dépendaient d’un pouvoir étranger
incontrôlable, de surcroît « impérialiste ». La souveraineté de l’Etat roumain était donc
« gravement menacée »588
Les dispositions du Concordat incluent l’Eglise gréco-catholique. « Elle est considérée
comme une Eglise catholique en général, niant son caractère oriental. Comme le dit encore
Stanciu Stoian, alors que les croyants gréco-catholiques se considèrent croyants d’une Eglise
roumaine très proche de l’Eglise orthodoxe roumaine, « le Concordat a fait en sorte que la
hiérarchie gréco-catholique se considère catholique, presque sans différence aucune avec les
autres catholiques »^89_
Comme le soulignent les communistes, les gréco-catholiques purent être à nouveau libres,
libérés de la papauté, grâce à l’annulaüon du Concordat qui permit leur retour à l’Orthodoxie.
Alors que le peuple croyant était empreint de la le g e a w m â n e a s c à , la haute hiérarchie était
imprégnée de l’idéologie catholique. « Ainsi on comprend pourquoi — souligne Stanciu
Stoian — le retour des croyants gréco-catholiques fut réalisé sans difficulté, contrairement à
certains membres de la hiérarchie. Les prêtres gréco-catholiques réfractaires soutenus par le
Vatican, Etat bourgeois réactionnaire, ont fait des pressions sur le peuple roumain contre cette
réunion, n’annulant en fait qu’un acte politique habsbourgeois de 1700 »^^^.
Selon les affirmations de Stancu Stoian, « les seules libertés justes sont celles qui sont
populaires, contrairement aux libertés de ceux qui veulent attenter à la liberté du peuple, et les
gréco-catholiques n’ont eu la liberté de pouvoir revenir à l’orthodoxie qu’après 1948. La
suppression de l’Eglise uniate est donc un acte de liberté de la part des croyants »^^L
Ib id .
Ib id .
590 Ib id ,
591 Ib id .
278
C’est dans ce même esprit que le pouvoir communiste tenta de faire de l’Eglise catholique
romaine roumaine^^^ une Eglise nationale après la convention de Cluj, pour la soustraire au
Vatican^93
Dans ce contexte, les persécutions religieuses en Roumanie furent exti'êmement dures
pour l’Eglise catholique uniate^^"^. Les biens ecclésiastiques furent attribués aux orthodoxes et
constituent actuellement un contentieux grave entre les Eglises orthodoxe et gréco-catholique à
nouveau légalisée depuis 1989^^^.
J. B r o u n , « The Latin-Rite Roman Catholic Church of Remania », dans R e lig io n in
C o m m u n is t L a n d s ,
vol. 12, 1984, f. 2, pp. 168-184 ; J.A. BROUN, « Catholics in Remania :
A History of survival », dans Amer/ca, 150, n°18, 1984, pp. 357-361 ; ID., « Roraania’s
Cherches behind the façade of Liberalism », dans, A m e ric a , 150, mars 1984, pp. 165-169.
Pour la Moldavie : A. DESPINESCU, « L’élément catholique à l’est des Carpathes durant la
période 1500-1650 », dans M is c e lla n e a H is to ria e E c c le s ia s tic a e , VII, Congrès de Bucarest,
1980 (Bibl. Revue d’Histoire ecclésiastique), t. 71, Bruxelles, 1985, pp. 111-114.
R. JANIN, « L’Eglise catholique en Roumanie », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , 33e
an., t.48, n°1092, avril 1951, col. 423-436.
594 « Calvarul Bisericii Unité », dans B is e ric a R o m â n d U n itd , Madrid, 1952; J. GOIA, « La
création d’un “ comité de salut de l’Eglise roumaine unie ” », dans Is tin a , t. 23, 1978, n°2-3,
Paris, pp. 328-336 ; Sergiu GROSSU, L e c a lv a ire d e la R o u m a n ie c h ré tie n n e , o p . c it. ; ID.,
T h e C h u rc h in to d a y ’s C a ta co m b s ,
New Rochelle, NY Arlington House Publishers, 1975 ;
C. lONITOIU, o p . c it. ; L ’E g lis e ro u m a in e u n ie : 1 0 a n s d e p e rs é c u tio n , Ed. du Cèdre, Paris,
1958 ; « L’Eglise roumaine unie : 30 ans de persécution (1946-1975) », dans C h ré tie n s d e
l'E s t,
n° 8, 1975, pp. 1-73 ; LE COMITE DE SAUVETAGE DE L’EGLISE CATHOLIQUE
ROUMAINE, « Appel du “ Comité de sauvetage de l’Eglise catholique roumaine de rite oriental
” à la conférence de Belgrade », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , n° 1736, 60e an., t. 75, f.
4, févr. 1978 ; L ib e rté re lig ie u s e e t d é fe n s e d e s d ro its d e l’h o m m e , IV , e n U R S S e t e n
R o u m a n ie
(Centre d’Etudes Istina), 23, f. 2-3, Paris 1978 ; I. RATIU, « The communist attack
on the catholic and orthodox churches in Rumania », dans T h e E a s te m C h u rc h e s Q u a rte rly ,
Londres, vol. 8, n°3 juil.-sept. 1949, pp. 163-197 ; UN GROUPE DE CHRETIENS DE L’EGLISE
UNIE, « L’appel au secours des chrétiens de Roumanie », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e ,
n°1779, 62e a., t. 77, f. 3, fév. 1980, pp. 147-148.
595 cfj- la conclusion.
279
III. L’argumentation de l’Eglise orthodoxe
L’aigumentation de l’Eglise concernant la « réintégration » {re în tre g ire a ) de l’Eglise
gréco-catholique à l’Eglise mère est dans l’ensemble semblable à celle de l’Etat, même s’il est
bien clair que les motivations peuvent être différentes. Comme l’affirme le patriarche à propos
de l’uniatisme : « Tout pays divisé contre lui même court à la ruine » {to a ta ta ra c a re se d e s b in a
în ld u n tru l s d u , se p u s tie s te )
(Mt., XII, 25)596. En fonction de l’unité de foi et de croyance
basée sur l’unité d’une ethnie, dans le cas présent l’ethnie roumaine, l’orthodoxie orientale ne
peut souffrir l’existence pour une même ethnie de deux confessions différentes. On constate
donc qu’il y a une confluence d’intérêts entre l’Eglise orthodoxe et l’Etat roumain, l’Eglise
profitant du rétablissement de l’unité de la foi, et l’Etat de la garantie de l’unité et de la
souveraineté du pays.
JuSTINIAN, « Atitudinea Bisericii Ortodoxe Române fata de regimul democratiei
populare » o p . c it., p. 118. On remarquera ici l’utilisation du mot « tara = pays » utilisé dans la
traduction donnée par le patriarche Justinian, alors que la traduction roumaine dans la Bible non
communiste on trouve le mot « împ^aüe = empire », traduction plus correcte du mot latin
« re g n u m » (g re c ^ a a iX e ia ) cfr. Biblia sau sfînta srciptura, Ed. I.B.M.B.O.R., 1991, p.
1111 .
280
Ce problème se pose avec d’autant plus d’acuité que l’Eglise orthodoxe et l’Eglise
catholique divergent de conception sur le plan de l’idéologie politique quant à l’idée de la
nation. La symbiose entre roumanité et orthodoxie et ses implications sur le risque de
r« exclusion » montrent combien cette idéologie orthodoxe ne peut non seulement admettre la
pluralité confessionnelle sur un plan égalitaire dans un Etat-Nation, mais ne peut admettre une
autre appartenance religieuse à la « nationalité » roumaine que celle de l’Eglise Orthodoxe
Roumaine. Dans ce contexte, le gréco-catholicisme ne peut être que le fruit du prosélytisme
catholique qui sévit en Roumanie depuis le XVIIIe siècle^^^ et constituer une tentative de
déstabilisation de l’unité « nationale » ethnique. Quant aux confessions néo-protestantes qui se
sont particulièrement développées au XDCe siècle, à la fin du régime communiste et depuis
1989, il n’est pas étonnant qu’elles soient dénommées par l’Eglise orthodoxe « le sectarisme
venu de l’Etranger, principalement de l’Occident et des U.S.A. ».
Il faut d’emblée noter que le discours de l’Eglise orthodoxe contre l’uniatisme, mais aussi
contre le « sectarisme » ne s’est pas déployé uniquement sous le communisme, mais déjà entredeux-guerres^^^. Et depuis 1989, ce discours a repris toute sa
viru len ce ^9 9
597 Mircea PACURARIU, « Incercâri si reveniri de preoti si parohii unité în sînul Bisericii
str^osesti pîna în anul 1948 », dans B is e ric a O rto d o x â R o m â n a , LXXXVI, 1968, pp. 10951112.
598 On verra notamment : Dumitru
St
a n il o a e
,
« Catolicismul ; masca si unealta iridentei
maghiare, dans T e le g ra fu l R o m a n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c , in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l
A n d re iu S a g u n a ,
Sibiu, LXXX, 1932, 9-10, pp. 1-2 ; ID., « lezuitii, dascalii uniatiei », Ib id .,
LXXXIII, 1935, 3, pp. 1-2 ; ID., « Metoda uniata : minciuna si injuria personala », Ib id .,
LXXXI, 1934, nr. 53, pp. 1-2 ; ID., « Pericul sectelor », Ib id ., LXXXVI, 10, 1938, p. 1.
599 Dumitru STANILOAE, « Ce que représente du point de vue théologique le geste politique
de l’Eglise cathoüque-romaine nommé “ uniatisme ”, nous dit le Père Prof. Dumitru Staniloae :
De rUniatisme », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXIe an., 1991, 1, pp. 1112. On pourra faire la comparaison avec l’article du même auteur écrit sous le communisme ;
« L’uniatisme en Transylvanie, un phénomène définitivement disparu », dans R o m a n ia n
O rth o d o x C h u rc h ,
o rth o d o x C h u rc h
XII, 1982, 1, pp. 3-5. Cfr. aussi : ID., « On uniatism...», dans R o m a n ia n
nr. XXIe an., 1991, 1, pp. 9-11.Cfr. aussi la conclusion.
281
L’Eglise gréco-catholique n’a pas de conception ethnique de l’Eglise. Elle joua un rôle
non négligeable dans le processus d’« émancipation » des Roumains de Transylvanie, dans la
mesure où ses prêtres, comme le souligne Stanciu Stoian, ont dans bien des cas eu un
enseignement tourné vers l’Occident. Ils se rendirent à Rome dans le cadre de leurs études et
furent également en contact avec les Lumières*^.
C’est ainsi que fut fondée l’Ecole transylvaine {S c o a la a rd e le a n a ) ou Ecole latine^d^ qui
fut le fer de lance de la relatinisation du roumain au XVIIIe siècle. Des personnalités telles que
Inochentie Micu-Klein, Samuel Micu-Klein, Gheorghe Sincai et Petru Maior comptèrent parmi
les artisans les plus importants de la conscientisation de l’« originalité » de la « nation »
roumaine. Ils comptèrent paiini les initiateurs de la thèse de la continuité daco-romaine du
peuple roumain. Dans le régime de V U n io triu m n a tio n u m , l’Union des trois nations, qui
garantissait aux trois nations magyare, saxonne et sicule le droit de siéger à la diète
transylvaine, les gréco-catholiques voulurent élever la nation roumaine au rang de quatrième
nation. Il est bien entendu que cette appellation « nation » s’inscrit dans le cadre de l’Ancien
régime, en tant qu’ « Etat », et non au sens du XIXe siècle. Quatre religions, calviniste,
luthérienne, unitarienne et catholique étaient considérées comme « reçues » (re c e p ta e ) et
600 Cfj- Mathias BERNATH, H a b s b u rg u n d d ie A n fà n g e d e r R u m à n is c h e n N a tio n s b ild u n g
(Studien zur Geschichte Ost-Europas), Ed. E. J. Brill, Leiden, 1972, K irc h e u n io n : d ie
R u m a n e n a ls in s tru m e n tu m re g n i,
pp. 49-62 et l’excellent article de R. R. F l
o r e SCU,
« The
uniate Church : Catalyst of rumanian national consciousness », op. ciL, pp. 324-343.
^01 On verra à ce sujet la littérature écrite par les Roumains d’exil pour le point de vue grécocatholique. Pierre GHERMAN, L ’â m e ro u m a in e é c a rte lé e ; fa its e t d o c u m e n ts , o p . c it. ; ID.,
P e n s é e ro m a in e , p e u p le ro u m a in ,
coll. « La Barque de saint Pierre », SPES, Paris, 1967 ; On
verra par exemple le dictionnaire de S. MICU, G. SlNCAI, E le m e n ta lin g u a e d a c o -ro m a n a e s iv e
v a la c h ic a e , o p . c it..
On verra la littérature écrite en Roumanie à ce sujet, dont notamment ;
S. LEMNY, « L’école transylvaine et l’idée de patrie », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t.
XXIII, 1984, 2, pp. 157-164 ;
David PRODAN, « La lutte de Inochentie Micu pour le
relèvement politique des Roumains de Transylvanie », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. IV,
1965, pp. 477-496 ; ID., S u p p le x L ib e lla s V a la c h o ru m , Ed. Stiintifica, 1967. D.I. PRODAN,
L u p ta lu i In o c h e n tie M ic u p e n tru rid ic a re a p o litic a a R o m â n ilo r,
Bucuresti, 1964.
282
dans Is to ria R o m în ie i, t. 3,
l’orthodoxie était « tolérée ». Un des buts de Tuniatisme était de compter au XVIIIe siècle
parmi les religions « re c e p ta e » , en tant que religion catholique. En 1791, cette politique
d’émancipation mena à la rédaction du fameux mémoire de revendication écrit par les Roumains
de Transylvanie et adressé à la cour de Vienne, le S u p p le x L ib e llu s V a la c h o ru m . Il faudra
attendre l’extrême fin du XVIIIe siècle, avec la Révolution française, et 1848 surtout, pour voir
se transformer cette « lutte » pour la reconnaissance en tant que quatrième « Etat » en lutte
nationale^^^.
Alors que les uniates contribuèrent à l’émancipation roumaine en Transylvanie, les
orthodoxes luttèrent également pour la restauration de leur Eglise en Transylvanie^O^ Après
l’union d’Alba Iulia de 1700, les orthodoxes qui ne s’étaient pas unis à Rome furent mis sous la
juridiction du patriarcat orthodoxe serbe de Carlowitz. Ce fut Andrei Saguna qui mena au XDCe
siècle la lutte pour la restauration de l’Eglise orthodoxe transylvaine^O^. En 1864, Saguna
devint « archevêque indépendant des Roumains orthodoxes de Hongrie et de Transylvanie » et
rédigea en 1869 les Statuts Organiques fondés sur le principe d’autonomie par rapport à l’Etat
habsbourgeois, principe à la base des statuts de l’Eglise orthodoxe de 1925. C’est ce que l’on
appelle la théorie « sagunienne » qui inspirera l’Eglise orthodoxe pour l’élaboration de ses
statuts en 1925.
Ainsi, alors que l’Eglise orthodoxe se présente comme le fer de lance de l’émancipation
du peuple roumain et montre sa fusion bimillénaire avec la nation roumaine, elle ne peut
602
Mathias BERNATH, H a b s b u rg u n d d ie A n fà n g e d e r R u m a n is c h e n N a tio n s b ild u n g , o p .
c it.,
pp. 49-62.
603 Alexandre DUTU, « Pouvoir des Habsbourg et peuple roumain au XVIIIe s. », o p . c it.,
pp. 83-92.
604 Qn verra particuliuèrement les études de Keith HiTCHINS, « Andreiu Saguna and the
Rumanians of Transylvania during the decade of absolutism 1849-1859 », dans S ü d o s t
F o rs c h u n g ,
t. 25, 1966, pp. 120-149 ; ID., O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu S a g u n a a n d
th e R u m a n ia n s o f T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , o p . c it.
; ID., T h e n a tio n a lity p ro b le m in A u s tria -
H u n g a ry , th e re p o rts o f A le x a n d e r V a id a to a rc h d iik e F ra n z F e rd in a n d ’s C h a n c e lle ry ,
(Etudes
d’Histoire de l’Europe Orientale) Ed. Brill E.J., Leiden 1974 ; ID., T h e ru m a n ia n n a tio n a l
m o v e m e n t in T ra n s y lv a n ia 1 7 8 0 -1 8 4 9 ,
Oxford University Press, London, 1969.
283
envisager qu’une autre Eglise roumaine « usurpe » ce droit et cette légitimité. Il y a en quelque
sorte une rivalité entre les deux Eglises quant à l’exclusivité de la lutte « nationale ».
Le jour du 21 octobre 1948 constitue pour l’Eglise Orthodoxe Roumaine « le grand acte
historique de la réintégration de l’Eglise Orthodoxe Roumaine par le retour au sein de l’Eglise
mère des frères qui durant deux siècles et demi ont été soumis à la Rome papale
Par cet
acte « les frères “ unis ” » sont revenus dans l’« âtre de la croyance ancestrale » {la v a tra
c re d in te i s trd b u n e ),
ro m â n e a s ca )
eux qui étaient toujours restés fidèles à l’ancienne loi roumaine {v e c h e a le g e
alors qu’ils ont dû souffrir, contre leur volonté, la « domination despotique du
Vatican »^06 Celle-ci avait pour mission de distraire les croyants des commandements du
Sauveur, de les mener « sur la route de la trahison de la patrie et du peuple » {p e c a le a tra d a rii
d e p a trie s i d e p o p o r)^^ ^.
L’acte de 1700 est révélateur de l’esprit « anti-chrétien et politique »
du Vatican et cristallise à lui seul toute la politique catholique dans les pays orthodoxes aux
temps modernes.
Les prêtres gréco-catholiques sont ainsi accusés par les orthodoxes d’avoir été utilisés par
le Vatican dans la réaction contre l’acte de 1948, comme « agents de l’impérialisme pour
détruire le patriotisme orthodoxe »^®^. On retrouve là l’argumentation semblable à celle qui
justifia la suppression de l’uniatisme au Concile de Lvov en 1946, les uniates ukrainiens étant
considérés comme des fascistes à la solde de l’Occident.
605
Re d
a
C T IA ,
« Cinci ani de la reîntregirea Bisericii Ortodoxe Române », dans O rto d o x ia ,
V, 4, 1953, p. 503.
606 jb id .
607
^ p. 504.
608 ji)id ., p. 509, et passim.
284
A l’instar du gouvernement communiste, l’Eglise condamne également le Concordat avec
le Vatican. Son annulation permit en 1948 la suppression de l’Eglise uniate, mais aussi
r« abolition des privilèges catholiques
Comme l’affirme le patriarche Justinian, la réintégration de l’Eglise orthodoxe de
Transylvanie a été un acte impératif pour l’Etat, en tant que réalisation de l’unité nationale, dans
toutes les parties du pays^^®. « Nous sommes ainsi persuadés que notre unité ecclésiastique va
nous aider à rendre notre unité nationale indestructible
« Le retour à la source de
l’Orthodoxie {la m a tc a O rto d o x ie ï) a consolidé notre unité religieuse et a ouvert de larges
perspectives pour les liens amicaux avec les autres confessions cohabitantes
Alors que la Constitution de 1923 attribuait à l’Eglise gréco-catholique le rang de seconde
Eglise nationale, des tentatives eurent lieu pour supprimer cette union avec Rome. Considérée
comme un « accident » historique déjà entre les deux guerres, la question uniate devait être
résolue definitivement. Ce fut le cas en 1948, et selon les orthodoxes cette question aurait dû
rester close. « La réintégration de l’Eglise Orthodoxe Roumaine de Transylvanie est un acte
définitif, un acte irréversible, parce qu’il a été accompli avec la volonté de Dieu et avec le désir
et la décision de notre peuple entier
Qn verra notamment : « Abrogarea concordatului », dans T e le g ra fu l R o m â n , o rg a n
n a tio n a l b is e ric e s c, in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g u n a ,
Sibiu, XCVI, 1948, 17-
18, p. 1.
A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u im e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u rip e n tru c le r,
Ed.
I.B.M.O., Bucuresti, 1971, p. 25.
611 Ib id .
612
r ed ac
T IA ,
« Cinci ani de la reîntregirea Bisericii Ortodoxe Romane », o p . c it., p. 509.
On remarquera le terme c o n fe s iu n i c o n lo c u ito a re , confessions cohabitantes, à la place de
nationalités cohabitantes.
6 1 3 Ju
s t in ia n
,
«...Unitatea bisericeasca ne va ajuta sa facem mai strînsa si indestructibila
unitatea noastra nafionala... », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u s j o a m e n ilo r.
P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r,
Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, p. 110.
285
Alors que depuis 1885 la politique de l’Eglise fut de pai’achever son unité, confirmée en
1925 par l’obtention du titre de patriarcat, l’acte de 1948 représente « l’union de tous les frères
roumains orthodoxes chrétiens » qui aujourd’hui « font partie du point de vue administratifecclésiastique de la même Eglise, l’Eglise orthodoxe roumaine
Hormis la question de la nation, l’Eglise orthodoxe dénonce également le rôle de l’Eglise
gréco-catholique comme frein ou obstacle à l’union des Eglises, à l’œcuménisme. Qualifiée de
« tampon », l’Eglise gréco-catholique, par son caractère « hybride », doit donc être
supprimée^^^. Il n’est pas étonnant que l’on entende actuellement l’expression de « Cheval de
Troie » du Vatican pour cette Eglise catholique. En effet, dans le contexte des mouvements
œcuméniques, et des tentatives de rapprochement entre les Eglises orthodoxe et catholique,
l’Eglise uniate est une ingérence politique du Vatican dans l’orthodoxie, puisqu’il s’agit en fait
d’une « intrusion étrangère au sein de l’ethnie roumaine ».
La suppression de l’uniatisme en 1948 dans un pays où la confession est liée à l’ethnicité
ou à la nation, apparaît comme un événement extrêmement important puisqu’il relève d’un
sentiment d’appartenance et d’une identité culturelle. Dans ces conditions, la religion ainsi
comprise, supprimer une Eglise revient à éradiquer une identité culturelle. Comme le dit le
gréco-catholique P. Gherman : « Mais le nationalisme de l’Eglise orthodoxe roumaine
s’explique aussi par le désir de s’affirmer comme unique Eglise au service du peuple roumain.
On prétendait même que l’universalisme de l’Eglise catholique la rendait étrangère aux
aspirations des peuples ; il fallait donc à la Roumanie une Eglise nationale qui ne pouvait être
que l’Eglise orthodoxe roumaine. La hiérarchie orthodoxe voulait prouver aussi, par son
nationalisme, qu’elle était toujours au service de la nation dans le dessein, peut-être, de justifier
614 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie à la
Roumanie », o p . c it., p. 8.
616 JUSTINIAN, « Dialogul eu romano-catolicii nu va putea începe cît timp va exista
“ tamponul ” Bisericilor greco-catolice », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u s i
o a m e n ilo r. P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r,
Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp. 313-317.
286
une certaine éclipse de son rôle au cours de certaines périodes de l’histoire, durant lesquelles
elle a dû subir l’influence étrangère gréco-slave. Dans cette perspective nationaliste on ne voyait
pas non plus une différence entre l’Etat comme institution juridique et la nation comme réalité
ethnique, d’où un autre risque pour l’Eglise de s’identifier avec les deux à la fois, ce qui
explique certaines attitudes ultérieures, même sous le régime actuel »616 On comprend
pourquoi depuis la relégalisation de l’Eglise gréco-catholique après la chute du communisme,
cette Eglise du « Silence » fait preuve de prosélytisme et de publicité afin de restaurer ses droits
et ses valeurs.
Dans la société post-communiste d’aujourd’hui^'^, la question uniate se pose avec une
acuité accrue non seulement parce que le nationalisme roumain, même si l’idéologie marxisteléniniste a disparu, reste d’actualité, mais parce que la réapparition d’une « autre » Eglise
roumaine, l’Eglise uniate sortie des « catacombes », menace l’intégrité de l’Eglise orthodoxe
dans son unité^'S. Cette réapparition est associée à l’instabilité due à la chute du communisme
et aux tentatives de déstabilisation des frontières en Transylvanie. La politique d’expansion de
l’Eglise catholique dans les pays de l’Est et dans les Balkans semble provoquer un repli
« national » et la résurgence de l’idée d’une menace « impérialiste » occidentale semble trouver
un large écho dans la littérature orthodoxe qui dénonce le prosélytisme catholique. Celui-ci est
considéré comme une des causes de l’exacerbation des revendications des minorités
confessionnelles et ethniques^Outre les publications sur la question uniate parues dans les
616 Pierre GHERMAN, P e n s é e ro m a in e , p e u p le ro u m a in , o p . c it., p. 294.
617 Cfr. notamment : R o m a n ia a fte r ty ra n n y , édit Daniel N. NELSON, Westview Press,
Boulder, San Francisco, Oxford, 1992. Cfr. les rérérences dans la conclusion, point II.
618 Dumitru STÂNILOAE , « Ce que représente du point de vue théologique le geste politique
de l’Eglise catholique-romaine nommé
“ uniatisme ” , nous dit le Père Prof. Dumitru
Staniloae : De l’Uniatisme », o p . c it., pp. 11-12 ; Mircea P a C U R A R IU , P a g in i d in is to ria
B is e ric ii ro m â n e s ti. C o n s id e ra tii în le g d tu rd e u u n ia tia în T ra n s ilv a n ia ,
Ed. A.O.R. de Vad,
Feleac et Cluj, Cluj-Napoca, 1991.
619 Cfr. par ex. ; Ion BRI A, « Uniatismul în România : anacronic si antiecumenic », dans
B is e ric a
O rto d o x a R o m â n d ,
CIX, n° 1-3, 1991, pp. 29-32 ; Gheorghe I. DRAGULIN,
287
revues de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, on verra les mises en garde sévères et révélatrices de
l’archevêque de Cluj, V. Anania, dans son ouvrage, P ro m e m o ria , A c tiu n e a c a to lic is m u lu i în
paru en 1992^20^ accusant l’Eglise catholique de prosélytisme magyar
R o m â n ia in te rb e lic â
révisionniste, parallèlement à une « tentative de falsification de l’histoire nationale »
outrepassant l’abolition du Condordat en 1948. En fait la question du Concordat reste
actuellement l’objet d’un litige très important et la rediffusion d’ouvrages à ce sujet par l’Eglise
orthodoxe est révélatrice de la méfiance vis-à-vis de l’Eglise catholique. Celle-ci a nommé des
évêques en Transylvanie, sans l’avis des autorités roumaines, et a provoqué les passions les
plus vives au sein de la hiérarchie orthodoxe^^i Comme le souligne I. Bria, l’uniatisme
représente une altération anachronique de l’orthodoxie orientale, une altération de l’identité
roumaine et un danger pour la réconciliation nationale depuis 1989^^2. L’uniatisme est en fait
toujours considéré comme l’obstacle majeur du dialogue œcuménique^^S
Comme le dit encore le théologien D. Staniloae en 1991, « l’existence de l’uniatisme
implique le manque de charité et l’option en sa faveur est une décision contre la charité et contre
l’Esprit Saint, parce que l’uniatisme constitue l’hypostase vivante de la contestation d’une
Eglise par une autre Eglise sœur et parce que l’uniatisme vient contester l’action évidente de
« Uniatia ardeleana si o necesarâ reinterpretare a istoriei ei », Ib id ., pp. 32-39 ; Mircea
P a C U R A R IU ,
R o u m a in e ,
Ib id .,
620
« Vérités qui doivent être connues », dans N o u v e lle s d e l ’E g lis e O rth o d o x e
XXe an., n°2, 1990, pp. 5-11. Cfr. aussi « Points de vue : Pages d’histoire »,
XXIe an., 1991, 1, pp. 9-10.
Valeriu ANANIA, P ro M e m o ria . A c tiu n e a c a to lic is m u lu i în R o m â n ia in te rb e lic â , o p . c it.,
passim et pp. 108-110.
621 Outre le livre de Valeriu Anania, P ro M e m o ria . A c tiu n e a c a to lic is m u lu i în R o m â n ia
in te rb e lic â o p . c it.,
on verra P a tria rh ia O rto d o x â ro m â n â sJ C o n c o rd a tu l, tip. Cartilor
bisericesti, Bucuresti, 1929.
6 2 2 b r i a . Ion, « Uniatismul în România : anacronic si antiecumenic », op. cit., pp. 29-32.
Cfr. aussi ; DRÀGULIN, Gheorghe 1., « Uniatia ardeleana si o necesara reinterpretare a istoriei
ei », o p . c it., pp. 32-39.
623 D ClOBOTEA, « Points de vue ; Uniatisme ou dialogue de réconciliation ? », dans
N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e ,
XXe an., 1990, 1, pp. 33-34.
288
l’Esprii Saint manifestée dans la vie de l’autre Eglise sœur
L’uniatisme représente un
« mur » entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe. « On affirme parfois que l’uniatisme
serait une réalité produite par l’histoire et, comme tel, ne pouirait plus disparaître même si
l’Eglise Catholique-romaine le souhaitait. En fait, l’uniatisme n’est pas une réalité religieuse par
lui-même, comme l’Orthodoxie, le Catholicisme ou le Protestantisme ; il est soutenu par le
Catholicisme et, dès que le Catholicisme lui refuserait son appui, les fidèles uniates
réintégreraient tout naturellement l’Orthodoxie, à laquelle ils appartiennent en essence, tandis
que les chefs uniates s’intégreraient dans le Catholicisme auquel ils appartiennent, à leur tour en
cachette. L’uniatisme a donc une pseudoexistence, une existence apparente. (...) C’est pour
toutes ces raisons que le renoncement définitif et total à l’uniatisme constitue la condition sine
qua non du rétablissement de rapports œcuméniques et de charité entre les deux Eglises. C’est
une vérité qui déplaît probablement à quelques-uns, mais c’est l’unique à ce sujet édifiante pour
tous dans la perspective de l’avenir »625 On constate donc que le discours anti-uniate de
l’époque communiste reste valable depuis 1989. Cette idéologie existait déjà avant 1948.
Autrement dit, l’anti-uniatisme ne peut être considéré uniquement comme le fait de l’influence
communiste, mais s’inscrit dans une logique séculaire orthodoxe que le communisme a
favorisée et dont il a tiré profit.
A propos de cette question, on citera en guise de conclusion la déclaration suivante, faite à
l’époque communiste, mais certainement toujours valable aujourd’hui : « Ainsi, fidèle à la le g e a
s tra n w s e a s ca ,
les Roumains au XVIIIe siècle ont dû lutter contre la propagande catholique et
624 Dumitru STANILOAE, « Ce que représente du point de vue théologique le geste politique
de l’Eglise catholique-romaine nommé “ uniatisme ” », o p . c it., p. 11. On remarquera que cet
article s’inspire du livre de Dumitru STANILOAE, U n ia tis m u l în T ra n s y lv a n ia , în c e rc a re d e
d e z m e m b ra re a p o p o ru lu i ro m â n ,
Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1973, édité sous le régime
communiste.
625
p. 12. On verra aussi la condamnation de la politique de l’Eglise gréco-catholique
visant à impliquer le gouvernement dans les luttes religieuses, entravant la séparation de
l’Eglise et de l’Etat en Roumanie dans ; LE PATRIARCAT ROUMAIN, « L’Eglise orthodoxe
roumaine et le groupe de rite oriental de l’Eglise catholique-romaine », dans N o u v e lle s d e
l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e ,
XXIe an., 1991, 1, p. 13.
289
réformée véhiculée par Tuniatisme, pour défendre l’orthodoxie orientale et l’essence ethnique
du peuple »626
Sur le plan de l’idée de nation roumaine et d’unité de la foi, on se retrouve en fait devant
le problème de l’existence de deux Eglises, l’Eglise orthodoxe et l’Eglise gréco-catholique,
pour un seul peuple, le peuple roumain627_ Dans la perspective de l’ethnicité de l’orthodoxie et
de l’unité de la foi, corollaire à l’unité nationale et « nationale ethnique », cette situation ne peut
être conçue au sein de l’orthodoxie roumaine.
Le problème de l’uniatisme confirme les remarques que nous avons posées à propos du
problème de l’ethnicité comme fondement de l’exclusion. En réalité, a c o n tra rio , si un
orthodoxe en Roumanie ne peut être que roumain, et inversement un Roumain ne peut être
qu’orthodoxe, il est implicite qu’un gréco-catholique ne peut être un vrai Roumain. On
comprend les accusations de trahison à la patrie et à l’Eglise des « ancêtres », sous le régime
communiste.
On peut donc affirmer que la question uniate n’est pas un problème dû uniquement aux
circonstances provoquées par le régime communiste, mais s’inscrit aussi, à l’instar du problème
de l’ethnicité, dans la continuité de l’idéologie orthodoxe du XXe siècle. La question serait de
savoir si l’orthodoxie a influencé l’idéologie communiste en la matière, ou si l’idéologie
communiste a été prépondérante, quant à l’éradication du phénomène uniate. La virulence du
débat actuel témoigne en tous les cas de l’opportunité de la question.
626 iiie MOLDOVAN, « Etnicitate si autonomie bisericeasca... » o p . c it., p. 258.
627 Dumitru
S t À N IL O A E ,
« L’uniatisme en Transylvanie, un phénomène définitivement
disparu », o p . c it., pp. 3-5. Cfr. notamment aussi : REDACTIA, « Cinci ani de la reîntregirea
Bisericii Ortodoxe Române », dans O rto d o x ia , V, 4, 1953, pp. 503-513. On notera également
le rôle accordé par l’Eglise orthodoxe à l’Eglise uniate dans le domaine de l’œcuménisme :
JUSTINIAN, « Dialogul eu romano-catolicii nu va putea începe cît timp va exista “ tamponul ”
Bisericilor greco-catolice », o p . c it., pp. 313-317.
290
Chapitre IV : L’EGLISE ORTHODOXE ET LES
PROBLEMES NATIONAUX :
V « œ c u m é n is m e
lo c a l »
et
le s
« n a tio n a lité s
c o h a b ita n te s »
D faut distinguer deux éléments fondamentaux en matière d’œcuménisme et de recherche
de l’unité. D’une part, l’Eglise orthodoxe exige l’unité ecclésiastique nationale de l’orthodoxie
roumaine en raison de l’idéologie explicitée ci-dessus. D’autre part, elle désire contribuer à
l’unité de l’Eglise chrétienne ; c’est l’œcuménisme des années soixante et suivantes. On saisit
là toute l’ambiguïté de l’expression, « qu’elle soit une » (sa fie una) (I. Co., XII, 13),
puisqu’elle est invoquée tantôt pour justifier l’unité de l’orthodoxie à propos du problème avec
l’Eglise gréco-catholique, tantôt pour montrer l’unité de l’Eglise chrétienne. Par contre,
l’œcuménisme local, c’est le rapprochement interconfessionnel, mais dans le respect des
identités ethniques, c’est-à-dire le respect de l’existence d’autres confessions « nationales » sur
le territoire de la Roumanie.
Par rapport à cette unité sans cesse recherchée, l’unité de la foi, l’unité culturelle et
ethnique, se pose inévitablement la question des rapports avec les nationalités et les confessions
non « orthodoxes » « roumaines ». Autrement dit, c’est la question de la confrontation dans un
Etat-Nation entre une religion « dominante » de l’« ethnie » majoritaire avec les autres
291
« nationalités », pour lesquelles le discours orthodoxe refuse l’utilisation du terme
« minorités » par opposition à la littérature occidentale et hongroise. Il s’agit du problème des
minorités confessionnelles, les communautés calvinistes hongroises et luthériennes saxonnes
principalement pour la Transylvanie, et par conséquent des questions « ethniques » de la
Roumanie dans le cadre de l’assimilation par le pouvoir des particularismes au sein de la
République Populaire Roumaine^^®.
Le problème réside dans le fait que, une fois de plus, cet aspect est présenté par l’Eglise
orthodoxe, encore aujourd’hui, comme un problème résolu par la R.S.R. ou à résoudre dans le
cadre des institutions du régime dans un contexte de « pleine liberté ». L’œcuménisme local se
traduit par des conférences interconfessionnelles réunissant les cultes légaux du pays, et ce
depuis 1964. L’Eglise orthodoxe roumaine adhéra au Conseil Œcuménique des Eglises en 1961
à la conférence de New-Delhi629_
Le problème est toujours celui de la distance entre les textes et la propagande d’une part et
la réalité concrète d’autre part. Les textes relatifs à cet œcuménisme local sont des exemples
révélateurs de ce « meilleur des mondes » décrit dans la littérature communiste. La Roumanie a
toujours été un lieu de convergence de nombreuses confessions qui toujours se sont côtoyées
dans la « bonne entente ». La Roumanie par son pluri-confessionalisme a été, selon les
orthodoxes, un lieu de grande tolérance religieuse^^^. Lorsque l’œcuménisme n’existait pas en
628 cfj- la bibliographie en introduction relative aux minorités en Roumanie.
629 « Local Ecumenism. Inter-Theological Conférences », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h
N ew s,
Ile an., 1972, 2 pp. 51-56.
630 Q ARGESANUL, « La tolérance religieuse des Roumains dans les écrits d’un voyageur
étranger du siècle passé », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIe an., 1986, 2, pp.
62-64. Cfr aussi les écrits du prêtres orthodoxes : Ion DURA, « La tolérance religieuse en
Valachie et en Moldavie pendant la seconde moitié du XVIIe s. », dans Iré n ik o n , t. 57, 1984,
pp. 52-58 ; Ion DURA, « La tolérance religieuse en Valachie et en Moldavie pendant la seconde
moitié du XVIIe s. », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XXIV, 1985, 3, pp. 249-266. Pour
la Transylvanie : Gàbor
Ba r
t a
,
« L’intolérance dans un pays tolérant : la principauté de
Transylvanie au XVIe siècle », dans L e s fro n tiè re s re lig ie u s e s e n E u ro p e d u X V e a u X V IIe
s iè c le , a c te s d u X X X Ie c o llo q u e in te rn a tio n a l d ’é tu de s h u m a n is te s ,
292
sous la direction d’Alain
tant
que
tel,
la
Roumanie
offrait
déjà
l’exemple
de
« bonnes
relations
interconfessionnelles
Au regard des comptes rendus des sessions interconfessionnelles il s’agissait de relayer le
discours officiel de l’Etat. « Nos Eglises agissent au cadre d’un peuple qui aime la paix, connu
dans le monde entier pour sa fermeté et son unanimité avec lesquelles il affirme son désir de
paix... Profondément significatif pour cette décision de notre peuple de tout faire pour la
sauvegarde de la paix est le référendum du 23 novembre pour la réduction avec 5 % des
armements, des effectifs et des dépenses militaires... ayant comme fondement la brillante
initiative du Président de notre pays, M. Nicolae Ceausescu, grand héros de la paix..., le
référendum prouva encore une fois le démocratisme et l’humanisme de notre société
socialiste »632
Comme l’affirme le patriarche Teoctist à l’occasion de la 50e conférence
interconfessionnelle, par cet œcuménisme local, l’Eglise participe pleinement à l’édification du
socialisme : « nous unissons nos efforts pour soutenir tant la cause de la protection de la paix et
de la vie sur terre que le travail enthousiaste de notre peuple, l’épanouissement de notre chère
patrie, la République Socialiste de Roumanie. Nous nous identifions donc aux efforts de ce
peuple...»633
DUCELLIER, Janine G a r
r iSSO N
et Robert
Sa u
ze
T
(Université de Tours, Centre d’Etudes
Supérieures de la Renaissance), Etudes réunies par Robert SAUZET, Librairie Philosophique J.
Vrin, Paris, 1992 (De Pétrarque à Descartes), pp. 151-158.
631 On verra principalement les deux articles de Zoltan ALBU, « Œcuménisme local.
L’œcuménisme local en Roumanie », dans R o m a n ia n O n h o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985,
1, pp. 64-70 et dans la revue calviniste hongroise : « Ortodox és protestâns együttmükôdés
Bukarestben az ôkumenikus mazgalmakat megelôzô idôkben », dans R e fo rm a tu s S z e m le , ClujNapoca, t. 78, 1985, 1, pp. 29-33.
632 « Oecuménisme local. La 48e conférence théologique interconfessionnelle », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVIe an., 1986, 4, p. 101.
633 « Œcuménisme local. La 50e conférence théologique interconfessionnelle », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVlle an., 1987, 5, p. 11.
293
Cet œcuménisme local s’inscrit donc dans la perspective de l’Apostolat social de
Justinian. L’Eglise doit oeuvrer pour la paix, la justice sociale, la collaboration fraternelle et
l’amour chrétien. Elle doit contribuer à l’édification de la nouvelle société qui mit fin au
fascisme et à la monarchie, sources des inégalités du passé^34
On sait combien le problème du respect des minorités en Roumanie souleva les passions
dans les dix dernières années du régime communiste. Les analystes occidentaux et hongrois
l’ont suffisamment soulevé. « Cependant, toujours actuellement, la vérité sur ce problème reste
occultée, et il est peu aisé de savoir exactement dans quelle mesure le rôle de l’Eglise orthodoxe
fut déterminant dans le dialogue entre les communautés
Le problème est d’autant plus complexe qu’au sein des hiérarchies ecclésiastiques des
autres confessions, le phénomène d’asservissement des dignitaires fut semblable à celui
rencontré dans l’orthodoxie. Comme le dit le patriarche Teoctist lors de l’inauguration de la 48e
conférence théologique interconfessionnelle, « tous ensemble, nous n’épargnerons aucun effort
pour appuyer les initiatives de la haute autorité d’Etat vouées à la collaboration et la fraternité
entre hommes et peuples »636
Ces conférences semblent donc avoir été de grandes cérémonies d’allégeance des cultes
de Roumanie au pouvoir. On constate que chaque intervention des différents dignitaires
ecclésiastiques des confessions respectives était une affirmation du soutien de l’Eglise au
pouvoir. « Gardons ce que nous avons gagné dans les 40 années de république. Faisons preuve
^34 Qn verra l’allocution d’ouverture du patriarche Teoctist dans : « Œcuménisme local. La
50e conférence théologique interconfessionnelle », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVIIe an., 1987, 5, pp. 10-15.
Zoltan ALBU, « Œcuménisme local. L’œcuménisme local en Roumanie », o p . c it., pp.
64-70 ; V. lONITA, « Convietuirea si conlucrarea frateasca de veacuridintre poporul român si
nafionalitatile conlocuitoare - temei al ecumenismului local din patria noastra », dans S tu d ii
T e o lo g ic e ,
ser. Il-lea, XXXIX, 1987, 5, p. 97 ; « Oecuménisme local, La 50e conférence
théologique interconfessionnelle », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an., 5,
1987, pp. 10-33.
636 « Œcuménisme local. La 48e conférence théologique interconfessionnelle », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVIe an., 1986, 4, p. 100.
294
de loyauté et d’ouverture à l’égard de tout ce qui se réalise de nouveau dans notre pays. C’est
un devoir pour nous tous d’implanter ces idées dans les âmes de nos fidèles » concluait Teoctist
lors de la 50e conférence en 1987^^^.
Il faut remarquer cependant le rôle dominant de l’Eglise orthodoxe à propos de
l’œcuménisme local. Dans un Etat nationaliste roumain totalitaire, où la religion orthodoxe est
dominante, il est légitime de poser la question de l’efficacité d’un tel dialogue, surtout en raison
de la discrimination « implicite » de l’idéologie roumaine orthodoxe, comme nous l’avons
souligné. Il est révélateur que l’objet de ces conférences soit notamment : « la coexistence et la
coopération fraternelle entre le peuple roumain et les nationalités cohabitantes, fondement de
l’œcuménisme local de notre patrie
L’Eglise orthodoxe relayait ainsi la politique de
Ceausescu relative aux minorités. On doit relever dans cette citation que le « peuple » roumain
est le « peuple » orthodoxe, et les nationalités cohabitantes sont des minorités ethniques
confessionnelles qui n’en font pas partie. Ceci confirme les constatations que nous avons faites
à propos de la conception ethnique et nationale de l’orthodoxie. L’œcuménisme local aurait
ainsi pour but de concilier les nationalités, qui de toute manière ne font pas partie du peuple
roumain, dans le sens n e a m u l ro m â n e s c .
On constate que l’ouverture vers les autres confessions reconnues devait montrer que la
politique roumaine œuvrait pour le respect des identités nationales des populations « nonroumaines ». Cet œcuménisme local permit, dans le cadre de la propagande à l’étranger, de
montrer à l’Occident le souci de dialogue de l’Eglise orthodoxe, et donc de l’Etat, avec les
autres confessions du pays, et par conséquent de relayer la propagande de l’Etat communiste
relative au respect des minorités^39
637 « Œcuménisme local. La 50e conférence théologique interconfessionnelle », dans
R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s ,
XVIIe an., 1987, 5, p. 25.
638 jiy id ,, p. 27.
639 On verra notamment tous les ouvrages de Ceausescu sur ces problèmes comme : Nicolae
Ce a u
s es c u
, T h e s o lv in g o f th e n a tio n a l q u e s tio n in R o m a n ia ,
295
Bucharest, 1980.
Par cet œcuménisme local, l’Eglise orthodoxe s’inscrit dans le cadre de l’Apostolat social
et légitime sa collaboration avec l’Etat. Si l’Etat contribue à la « fraternité entre les peuples » du
pays, l’Eglise doit y contribuer dans le cadre de l’Apostolat social et de l’Eglise « servante ».
296
CONCLUSION
1. U n « g lis s e m e n t s é m a n tiq u e » e t u n e a m b ig u ïté
e n tre
« patria », « natiunea », « popor » e t « neam »
Alors que le discours de l’Eglise orthodoxe sur la question du patriotisme et de l’Eglise
populaire se basait sur la notion de nation au sens large dans les années cinquante, on s’aperçoit
que ce sens s’est considérablement resü'eint pendant le régime communiste pour se limiter à une
conception ethnique de la nation, incarnée par le principe de l’ethnicité de l’Eglise. C’est de
cette ethnicité que découle toute l’argumentation relative à l’« idéologie politique » générale de
l’orthodoxie roumaine.
L’argument théologique et les fondements évangéliques justifient le respect de l’autorité et
légitiment la séparation des pouvoirs spirituel et temporel, c’est-à-dire le principe de
r« autonomie », tout en montrant la complémentarité entre les deux pouvoirs, leur
« interdépendance ». Dans le cadre de la thèse de la continuité daco-romaine, le thème de la
nation est utilisé comme argumentation justifiant la collaboration de l’Eglise avec l’Etat de
297
manière beaucoup plus précise que dans le sens de « patriotisme », tel qu’il était développé dans
les premières années de l’Apostolat social. Le lien, voire l’osmose, entre l’Eglise orthodoxe et
la nation roumaine depuis l’ethnogenèse du peuple roumain jusqu’à l’édification de l’Etat
socialiste, aboutissement ultime de l’évolution de la société, implique une collaboration mutuelle
entre les deux institutions. « A tous ces moments, les hiérarques et le clergé ont compris avec
une lucidité parfaite et ont agi en conséquence, que les deux entités, l’Eglise et la Patrie, ne
sauraient être séparées (...) sans séparer les idéaux de l’Eglise des idéaux du peuple, mais en
les considérant unis tout comme ils le sont encore de nos jours au sein du Front de la
Démocratie et de l’Unité socialistes »^®.
L’utilisation anachronique des notions touchant au peuple et à la nation est significative de
l’idéologie orthodoxe. Les orthodoxes utilisent le terme « ethnie » avec la connotation du sang,
voire de la « race », bien que ce terme ne soit jamais utilisé sous le communisme, et le terme
« nation » dans le sens du XIXe siècle d’entité ethnique ou de « nation » dans le sens jacobin,
en tant qu’Etat centralisé. Ils envisagent le mot « nation » dans le sens contemporain, non
seulement pour les écrits néo-testamentaires dans le sens ethnique (n e a m ), alors qu’il s’agit
d’un sens bien particulier, à savoir de « nation » non juive, et pour l’Ancien régime, dans le
sens de « nation » en tant qu’« Etat » à la diète transylvaine. Autrement dit, il y a non
seulement ambiguïté dans les acceptions actuelles, puisque l’Eglise joue sur l’équivoque entre
« nation » et « patrie socialiste », mais projette également dans le passé des notions modernes
et contemporaines inapplicables pour les périodes envisagées.
La conception de la nation doit se comprendre dans le discours orthodoxe de manière « atemporelle ». C’est la généralisation de l’anachronisme qui constitue la base du discours
déterministe, historique et nationaliste. « Continuant au long de notre histoire une aspiration
^■40 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie à la
Roumanie », dans N o u v e lle s d e l’E g lise o rth o d o xe ro u m a in e , XVIIIe an., 1988, 6, p. 9. On
verra la quatrième partie pour la participation de l’Eglise orthodoxe avec le Front de la
Démocratie et de l’Unité Socialistes.
298
juste et sacrée, l’idée de l’unité nationale-statale (s ic ) ainsi que celle de l’indépendance et de la
souveraineté nationale s’est exprimée de manière évidente comme une permanence de
programme et de réalisation
L’utilisation d’un champ lexical particulier est à ce point de
vue révélateur. On citera la « conscience permanente », le « désir d’unité nationale », e tc .
«
Les raisons du désidératum d’unité nationale, nourri pendant des siècles par nos ancêtres,
habitants permanents des provinces roumaines (...) ont trouvé toujours leurs fondements
légitimes dans l’héritage commun que nous ont légué les Géto-Daco-Romains, le même espace
ethno-géographique, l’unité de langue, de foi, de tradition et d’aspirations
Il faut également souligner, à propos du nationalisme roumain, son caractère non
conquérant II s’agit d’un nationalisme de défense, un rempart contre les agressions extérieures.
Les Roumains, par leur autochtonisme, ne descendent pas d’un peuple conquérant, comme les
peuples slaves par exemple. Es ont une idéologie basée sur la défensive. On notera à ce propos
l’expression « nous sommes au carrefour de toutes les méchancetés (...). Quelle intelligence,
quelle habileté, queUe force spirituelle vinrent doubler leur force physique pour qu’au plus fort
des luttes de défense ils ne perdent ni leur identité, ni la possession de leur terre ! »643 C’est
également dans ce contexte que doit se comprendre le concept de le g e a s trâ m o s e a s c â , comme
code moral visant à défendre l’intégrité de la foi et ethnique.
Alors que toute la littérature orthodoxe montre que la conception de l’orthodoxie nationale
n’est pas « nationaliste », elle affirme que le nationalisme est issu du monde catholique romain.
En réalité, l’idéologie nationale roumaine orthodoxe des années quatre-vingt est un nationalisme
qui non seulement refuse son nom, mais qui en plus le nie de manière permanente. Il n’est pas
étonnant que les auteurs fassent systématiquement allusion au phylétisme — tout en le niant
dans le cas de l’orthodoxie roumaine—, condamné par l’Eglise de Constantinople et
641 Ib id ., p. 5.
642 Ib id .
643 Antonie PLAMÀDEALA, « Editorial. Transylvanie : Vérités du passé, vérités
d’aujourd’hui », o p . c it., p. 3.
299
condamné encore à Athènes récemment par des orthodoxes eux-mêmes. Même si l’Eglise
orthodoxe se défend de tout nationalisme, ayant notamment proscrit du discours le mot « race »
communément utilisé entre-deux-guerres, il est clair que son idéologie est intrinsèquement
nationaliste. Elle ne tient pas un discours agressif contre l’« Autre », mais en définissant les
limites de l’identité roumaine nationale, jusqu’à invoquer l’argument de l’ethnicité de l’Eglise,
elle implique le mécanisme de l’exclusion. En cela on peut affirmer que la littérature orthodoxe
sous le communisme, dès les années soixante, véhicule une idéologie de l’exclusion où
ethnicité et sobomicité deviennent des notions utilisées de manière dialectique, dans le sens
d’une réalité ecclésiale supérieure issue de deux concepts apparemment contradictoires^.
644 On verra surtout à ce propos la quatrième partie sur le problème de l’œcuménisme
300
2. D e u x iè m e a rg u m e n t « s y llo g is tiq u e
n a tio n a le (o Bisericâ nationala)
»
.• u n e E g lis e
Le premier argument syllogistique que nous avons relevé concernait le patriotisme défini
par l’Apostolat social des années cinquante, correspondant à la période de Gheorghiu Dej.
L’Eglise orthodoxe était l’Eglise du peuple, le peuple était l’Etat, l’Eglise et l’Etat sont donc
intimement liés et doivent collaborer entre eux. C’était un des éléments de la « symphonie »
entre les deux institutions, hormis la question des relations constantiniennes basées sur la
conception évangélique et patiistique de l’Etat dans la tradition orthodoxe. Sous Ceausescu, un
second syllogisme va s’établir entre les deux institutions, dont le moyen terme sera cette fois,
non plus le peuple ou la patrie au sens marxiste, mais la nation au sens ethnique, nationaliste.
L’Eglise orthodoxe a participé à la pérennité de l’identité roumaine, a contribué à
l’indépendance et au progrès social et national de la « nation », doit collaborer avec l’Etat qui
est lui-même l’expression de la nation. L’Eglise orthodoxe est l’Eglise de la nation roumaine ;
la nation, c’est l’Etat roumain ; l’Eghse « nationale » doit par conséquent collaborer avec l’Etat
communistes^. Il s’agit d’une argumentation basée sur un syllogisme dont le moyen terme est
la « nation » ou le « peuple » roumain, mais dans le sens de l’ethnicité roumaine et orthodoxe.
L’Eglise orthodoxe n’a pas développé de doctrine vis-à-vis d’un Etat en particulier, elle reste
fidèle aux principes justifiant sa place dans un Etat, indépendamment de la nature du régime et
ANTONIE (évêque assistant au patriarcat roumain), « Church and State in Romania », o p .
c it.,
pp. 90-106 ; ID., « Documentaire ; Eglise et Etat en Roumanie », o p . c it., pp. 12-22.
301
de son idéologie. C’était l’argumentation des premières années du régime. Elle reste valable
sous Ceausescu. Par la superposition du devoir patriotique et du lien national « bimillénaire »
entre orthodoxie et roumanité, l’Eglise doit collaborer avec l’Etat. « Les hommes d’Eglise,
hiérarques, prêtres, moines, qui ont contribué à la sauvegarde et à l’affirmation de la culture du
peuple roumain, outre leur mission sacrée, ont fait preuve de responsabilité patriotique,
remplissant leur devoir de fils de l’EgHse orthodoxe roumaine et de fils de cette nation »646
Le patriarche lustin Moisescu s’exprimait ainsi lors de son intronisation en 1977 : «
Nous ressentons que nous sommes roumains et orthodoxes. La conscience de notre Orthodoxie
est fusionnée (c o n to p ita ) avec notre conscience nationale
Cest pourquoi, I. Bria évoque
non seulement la symphonie avec l’Etat, mais également la « symphonie nationale entre l’Eglise
et le peuple » {s im fo n ia n a tio n a la )^ ^^ . L’Eglise étant liée au destin de la nation, et la nation
étant l’Etat, l’Eglise doit collaborer avec l’Etat.
On comprend mieux ainsi les affirmations du moine loasaf en 1990 : « L’Eglise fut donc
sans cesse présente pendant ces temps de régime communiste et a payé par des milliers de
sacrifices humains. Mais, à la différence d’autres cultes minoritaires de noti'e pays, la direction
de l’Eglise orthodoxe n’a pas pu risquer de s’opposer ouvertement au pouvoir séculier, vu
aussi qu’en principe était garantie la liberté du culte. Toute opposition aurait entraîné la
liquidation totale de toute hiérarchie et d’une grande partie du clergé, nous retrouvant dans la
situation de l’Albanie. L’Eglise sans hiérarques aurait été comme inexistante. Les cultes
chrétiens non-oithodoxes, notamment les cultes néo-protestants auraient définitivement déformé
l’image chrétienne de la nation. Tandis que les communistes athées attaquaient l’Orthodoxie du
dehors, les sectes ou les autres fractions chrétiennes l’auraient attaquée de l’intérieur. Or on sait
que c’est plus facile de lutter contre l’ennemi qui attaque aux frontières que contre les rebelles
646 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le rôle de l’Eglise orthodoxe roumaine dans la
sauvegarde et l’affirmation de la culture du peuple roumain », op. cit., p. 6.
647 « p)in Cuvîntarea Prea Fericitului Parinte Patriarh lustin, eu ocazia întronizarii Sale »,
o p . c it., p .
649.
648 Ion BRIA, « Teologia fata în fata eu Biserica de azi », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea,
XLVII, 1990, 1, p. 3.
302
de rintérieur... »649, L’Eglise dut collaborer pour défendre la nation, c’est-à-dire l’identité
roumaine, des attaques de « l’intérieur». Comme le dit un responsable de l’Eglise
Transylvaine : « Nous (les responsables de l’Eglise) avons eu le courage de ne pas être des
martyrs »650
Nous l’avons vu, l’argumentation orthodoxe à propos de l’uniatisme, dénommé parfois
depuis la chute du communisme, « le cheval de Troie de l’Eglise catholique », est en cela
l’exemple le plus frappant des conséquences de ce nationalisme orthodoxe, ne pouvant
admettre, on dirait presque « ontologiquement », l’existence d’une autre confession qui soit «
roumaine », sans l’accuser de trahison à la « loi des ancêtres », à tout ce qui caractérise
l’essence nationale (fiin m n a tio n a la ) et spirituelle.
LE MOINE lOASAF, « Témoignages : Sacrifices chrétiens au temps du régime
communiste », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., 1991, 3-4, p. 13.
Bernard PAQUETEAU, « La société contre elle-même. Choses vues en Roumanie », dans
C o m m e n ta ire ,
n°59, Paris, automne , 1992, p. 624.
303
J