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Dépôt Institutionnel de l’Université libre de Bruxelles / Université libre de Bruxelles Institutional Repository Thèse de doctorat/ PhD Thesis Citation APA: Gillet, O. (1995). L'Eglise orthodoxe et l'Etat communiste roumain, 1948-1989: étude de l'idéologie de l'Eglise orthodoxe : entre traditions byzantines et national-communisme (Unpublished doctoral dissertation). Université libre de Bruxelles, Faculté de Philosophie et Lettres – Philosophie et Sciences des religions, Bruxelles. Disponible à / Available at permalink : https://dipot.ulb.ac.be/dspace/bitstream/2013/212518/11/fbe44582-a66a-46b4-8ae4-09cb96352a83.txt (English version below) Cette thèse de doctorat a été numérisée par l’Université libre de Bruxelles. L’auteur qui s’opposerait à sa mise en ligne dans DI-fusion est invité à prendre contact avec l’Université (di-fusion@ulb.be). Dans le cas où une version électronique native de la thèse existe, l’Université ne peut garantir que la présente version numérisée soit identique à la version électronique native, ni qu’elle soit la version officielle définitive de la thèse. DI-fusion, le Dépôt Institutionnel de l’Université libre de Bruxelles, recueille la production scientifique de l’Université, mise à disposition en libre accès autant que possible. Les œuvres accessibles dans DI-fusion sont protégées par la législation belge relative aux droits d'auteur et aux droits voisins. 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Université Libre de Bruxelles Faculté de Philosophie et Lettres Institut d’Etude des Religions et de la Laïcité année académique 1994-1995 ^EGLISE ORTHODOXE ET L’ETAT COMMUNISTE ROUMAIN ( 1948 - 1989 ) Etude de l’idéologie de l’Eglise orthodoxe : e n tre tra d itio n s b y z a n tin e s e t n a tio n a l-c o m m u n is m e Volume I Olivier GILLET Université Libre de Bruxelles Faculté de Philosophie et Lettres Institut d’Ëtude des Religions et de la Laïcité année académique 1994-1995 L’EGLISE ORTHODOXE ET L’ETAT COMMUNISTE ROUMAIN ( 1948 - 1989 ) Etude de l’idéologie de l’Eglise orthodoxe : e n tre tra d itio n s b y z a n tin e s e t n a tio n a l-c o m m u n is m e Volume I Olivier GILLET \o. D issertation originale présentée en vue de l’obtention du grade de docteur en P hilosophie et Lettres (H istoire) sous la direction de M onsieur le P rofesseur H ervé H a s q u in << A p a trec e , p ie tre le ra m â n » ( l’e au c o u le, re s te n t le s p ie rre s ) « S ta tu l trec e , B is e ric a ra m â n » (L ’E ta t p a sse , re ste l’E g lis e ) I AVANT-PROPOS Lorsque j'ai entamé ces recherches sur la Roumanie contemporaine, de nombreuses questions m'ont été posées sur mes origines. Intéressé par l'histoire byzantine et post-byzantine, et plus particulièrement par l'histoire des Balkans, j'ai eu le plaisir de me consacrer entièrement à ce qui n'était pour moi qu'une passion pour un pan de l'histoire et qui s'ouvre désormais aux chercheurs occidentaux depuis la chute du communisme. Cette entreprise n'était pas sans comporter certains risques et certaines difficultés. Si elle put susciter l'étonnement, celui-ci fut beaucoup plus important encore de la part des Roumains habitués à des décennies d'autarcie culturelle, de repli sur leur pays. Comment un étranger, non roumain et non orthodoxe, pouvait-il comprendre les réalités et les subtilités de « l'âme roumaine », s u fle tu l ro m â n e s c ? Comme le lecteur pourra s'en rendre compte, s'immiscer dans les affaires intérieures d'un Etat qui sort du totalitarisme et de la dictature, sur un sujet aussi brûlant que celui de l'Eglise sous le communisme, était une tâche difficile et même suspecte pour les personnes concernées, voire même pour le simple croyant. Dans un milieu où « l'objectivité » est une impossibilité, où le parti pris idéologique, qu'il soit philosophique ou religieux, est exploité par la propagande, dans ce climat de dénonciation post-révolutionnaire, la délation et les campagnes de manipulation de l'information font partie du quotidien. Lorsqu'on évoque les II simples mots de « minorité » et de « nationalisme » on court le risque d'être pris comme l'exemple de l'occidental incapable de comprendre la « Vérité » historique et les réalités du pays. Aborder ainsi l'historiographie et les problèmes du pays suscite la méfiance. Accusé d'accointance avec une confession ou une autre alors qu'il s'agit simplement d'exposer des faits, ou plutôt des interrogations, il ne me restait parfois qu'à me faire passer pour un historien venu d'Occident étudier les monuments et l'architecture byzantine roumaine médiévale. Au commencement de la recherche, il me semblait que la situation avait radicalement changé à l'Est, grâce à la liberté d'expression revenue. La guerre yougoslave n'en était qu'à ses débuts et le conflit entre la Bessarabie et la Transnistrie, république de Tiraspole indépendante auto-proclamée, débutait. Cette liberté d'expression semblait être devenue une nouvelle légitimité qui permettait aux plus radicaux et ultra-nationalistes, parfois tout à fait respectables dans les milieux universitaires, intellectuels et politiques, de laisser libre cours aux propos les plus intolérants et extrémistes. Trois ans plus tard, cette « liberté de parole » permet la résurgence d'un révisionnisme historique des plus surprenants, notamment à propos du régime du maréchal Ion Antonescu et du mouvement légionnaire que les nouveaux adeptes « gardistes » tentent de restaurer sur l'échiquier politique profitant par le biais d'un renouveau mystique, spirituel et politique, d'un vide idéologique et d'une situation économique et sociale désastreuse. Cela ne devait pas faciliter, pour le moins, l'établissement d'un climat serein, propice à la recherche et à une véritable discussion scientifique. Les idées qui, pour l'Occident, relèveraient du mythe historique, revêtent pour beaucoup de Roumains une véracité irréductible, une vérité « axiomatique ». L'histoire est idéologisée, avec une intention politique qui devient de plus en plus évidente au fil des investigations. Les Roumains, privés III de leur vérité sur la « Révolution », frustrés de véritables débats sur les événements du passé, même récent, en sont souvent réduits à profiter du débat historique pour reconstituer leur « mémoire » et lui faire justice. Ainsi combien de colloques et de rencontres ne deviennent-ils pas, et on peut le comprendre, des « tribunaux populaires » plutôt que des véritables échanges scientifiques ? Si les embûches n'ont pas manqué, il n'en reste pas moins que les difficultés mêmes ont pu susciter un intérêt qui fut grandissant tout au long de mon travail. Cela m'a permis de découvrir, en plus de l'aspect purement scientifique et intellectuel, un monde qui m'était incormu. Cette approche de la Roumanie, fûtelle brève et malgré tout encore trop superficielle, me permit de comprendre de nombreux phénomènes politiques, sociaux, culturels et même économiques de cette période de « guerre froide ». Elle me permit aussi d'aborder des questions à mon sens parmi les plus fondamentales : comment le parti communiste roumain qui ne comptait au lendemain de la guerre que quelques centaines de membres, cas particulier pour les pays de l'Est, put-il instaurer une dictature si profonde, durable et parmi les plus sanglantes du bloc communiste ; une dictature qui a trouvé assise au sein d'une population qui, au départ, aurait pu à première vue présenter le plus d'opposition à une idéologie marxiste-léniniste ? De même, comment cette dictature ne laisse pas la place à une démocratie retrouvée, mais tente de s'accrocher, dans la crainte de la vindicte populaire ou de l'autocritique, puisque sans vainqueur ni vaincu, il n'y eut ni Marshall ni Nuremberg ? Je soulignerai le plaisir de travailler en Roumanie près de chercheurs qui sont devenus pour moi des amis ; souvent frustrés d'une jeunesse où « tout espoir devait être puni », privés des « années volées » où seule « l'évasion silencieuse » était la perspective ou l'échappatoire, dans un pays devenu une prison à l'échelle d'un Etat, ils m'ont accueilli sans réserve, manifestant un IV enthousiasme inégalé envers les nouveaux horizons de la recherche scientifique, désormais libre, et ses futures perspectives européennes. Ils m'ont fait connaître leur pays, ses côtés chatoyants, invitant au voyage de part et d'autre des Carpates, aux confins de l'Europe centrale, orientale et balkanique, mais aussi ses plaies, ses meurtrissures et ses paradoxes. Ils m'ont initié aux subtilités de la langue et aux richesses culturelles et littéraires roumaines ; ils m'ont fait comprendre les tréfonds des expressions, des habitudes et des coutumes. Si je ne peux prétendre leur avoir apporté grand chose, je puis affirmer que je leur dois beaucoup... R o m â n ia e ste o ta ra tris ta , p lîn a d e h u m o r... (L a R o u m a n ie e s t u n p a ys tris te , p le in d 'h u m o u r) (Caragiale) V A u m o m e n t d e d é p o s e r ce tte th è se , je v o u dra is re m e rc ie r p a rtic u liè re m e n t M o n s ie u r le P ro fe s s e u r H e rv é H a s q u in , p o u r s a d ire c tio n v ig ila n te e t p o u r le s c o n d itio n s e x c e p tio n n e lle s d e tra v a il q u ’il m ’a o ffe rte s d a n s le c a d re d u p ro je t d e re c h erc h e I.R .E .N .E ., l’In s titu t d e R e c h e rc h e s u r le s E ta ts e t N a tio n s e n E u ro p e . Je re m e rc ie é g a le m e n t M e s s ie u rs le s P ro fe s s eu rs J e a n -M a rie S a n s te rre e t A la in D ie rk e n s q u i m ’o n t s o u te n u e t a id é d a n s m o n tra v a il, le F o n d s d e la R e c h e rc h e F o n d a m e n ta le C o lle c tiv e , le F o n d s N a tio n a l d e la R e c h e rc h e S c ie n tifiq u e d e B e lg iq u e e t l’In s titu t d ’E tu d e d e s R e lig io n s e t d e la L a ïc ité , p o u r le s c o n ta c ts s u r p la c e e n R o u m a n ie sa ns le s q u e ls ce tra v a il a u ra it é té irré a lis a b le . M e s s ie u rs e t M e s da m es O v id iu e t M a ria G h itta , T o a d e r e t E le n a N ic o a rd , M a d a m e L ia n a R â scu e t M essie u rs L iv iu M a lita e t O vid iu P e ciccm , p o u r le u rs c o lla b o ra tio n s d iv e rs e s e n R o u m a n ie , M e s s ie u rs le s P ro fe s s e u rs L iv iu M a io r, M in is tre d e l’E n s e ig n e m e n t d e la R é p u b liq u e d e R o u m a n ie e t P ré s id e n t d u C e ntre d ’E tu d e s T ra n s ylv a in e s ; N ic o la e B o csa n , D o y e n d e la F a c u lté d ’H is to ire ; A le x a n d re D u tu , m e m b re d e l’A c a d é m ie d e R o u m a n ie e t P ré s id e n t d u C e ntre d ’E tu d e s S u d -E s t e u ro p é e n n e s ; P o m p iliu T e o d o r, m e m b re c o rre s p o n d a n t d e l’A c a d é m ie d e R o u m a n ie e t P ré s id e n t d u C e n tre d ’E tu de s C e n tra le s E u rop é e n n e s ; D o ru R a d osa v, D ire c te u r d e la B ib lioth èq u e C e ntra le U n iv e rsita ire d e C lu j-N a p o c a ; lo a n L u m p e rd e a n e t G e o rg e C ip d ia n u, d e m a n iè re g é n é ra le le C e n tre d ’E tu d e s T ra ns y lv ain es d e C lu j-N a p o c a , la F o n d a tio n C u ltu re lle R o u m a in e , l’In s titu t d ’H is to ire d e C lu j, l’In s titu t d ’E tu d e s C e n tra le s E u ro p é e n n e s d e C lu j, la B ib lio th è q u e C e n tra le U n iv e rs ita ire « L u c ia n B la g a » d e l’U n iv e rs ité d e C lu j, l’In s titu t T h é o lo g iq u e d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e d e VI C lu j, la B ib lio th è q u e filia le d e l’A c a d é m ie d e R o u m a n ie d e C lu j e t le C e n tre d ’E tu d e s S u d -E s t E u rop é e n n e s d e B u c a re s t, le s C e n tre s C u ltu re ls F ra n ç a is d es v ille s d e C lu j e t d e la s j, a in s i q u e le s revu es Tribuna, sapûmînal de cultura d e C lu j, e t Vatra, d e T îrg u M u re s , le s A m b a s s a d e s d e R o u m a n ie p rè s le R o y au m e d e B e lg iq u e , d u R o y a u m e d e B e lg iq u e e t d e la R é p u b liq u e d e F ra nc e p rè s la R é p u b liq u e d e R o u m a n ie , e t e n B e lg iq u e , le s a m is q u i m ’o n t so ute nu , p a rtic u liè re m e n t M o n s ie u r E m ile V a n B a lb e rg h e d e la « C e llu le fin d e S iè cle », R e p ré s e n ta nt d e la C o m m u n a u té F ra n ç a is e d e B e lg iq u e e n R o u m a n ie , m es a m is h isto rie n s e t p h ilo s o p h e s ..., p o u r le s re n s e ign e m en ts e t c o n trib u tio n s p ratiq u e s . M e s s ie u rs le s p ro fe s s e u rs M a rc D o m in ic y , S im on P e te rm a n n e t M ih a i N a sta, e t u ne a tte n tio n p a rtic u liè re p o u r le se rvice d e s D o n s e t E c h a n g e s In te rn a tio n a u x de l’U n iv e rs ité lib re d e B ru x e lle s , M o n s ie u r R e n é F a y t e t M a d a m e C o le tte D e S c h u tte r, a in s i q u e le p e rs o n n e l d e s B ib lio th è q u e s d e l’U n iv e rs ité L ib re d e B ru x e lle s e t p a rtic u liè re m e n t M a d a m e A n n e L e fe v re d u s e rv ic e d e s p rê ts in te r­ b ib lio th è q u e s , d o n t le s s e rv ic e s m ’o n t é té e x trê m e m en t p ré c ie u x p o u r l’a c c ès a u x b ib lio th è q u e s e u ro p ée n ne s. M e s d a m e s N e va B a u d o u x , A lin e G o ose ns e t A n n ie P illo y , a in s i q u e l’e ns e m ble d u p e rs o n n e l d e l’In s titu t d ’E tu d e d e s R e lig io n s e t d e la L a ïc ité q u i m ’o n t a id é e t e n co u ra g é, e t to u t p a rtic u liè re m e n t, p o u r le s lo n g u e s d is c u s s io n s s u r la R o u m a n ie , so n h is to ire , p o u r la p é rio d e d ’a v a n t-g u e rre e t d e ce s q u a ra n te a n s d e c o m m u n is m e . M o n s ie u r le P ro fe s s e u r M irc e a Z a c iu d o n t le té m o ig n a g e a é té u n e s o u rc e d ’e n ric h is s e m e n t e x tra o rd in a ire e t d o n t l’e x p é rie n c e a é té p o u r m o i l’o rig in e d e n o m b re u x é c lairc iss e m e n ts e t q u estio n s. A in s i que M a d e m o is e lle M u rie lle W a ute le t qui s u iv it ré g u liè re m e n t m es « a v e n tu re s » ro um a in es , q u a n d e lle n ’y p a rtic ip a , e t m ’e n c o u ra g e a to u t a u lo n g de m o n tra v a il, e t F ré d é riq u e L o n g ré e , p o u r sa p a tie n c e e t so n so utien . VII TABLE DES MATIERES VOLUME I Pages INTRODUCTION.........................................................................1 I. Introduction générale 1. Préliminaires . . . . .. . . 2 . . . . . .. . . 2 2. Présentation du sujet . . . . .. . . 3. Traditions byzantines : une hypothèse . . 7 .17 4. Le choix de la Roumanie comme aire d’investigation et limites géographiques . 23 5. Le choix de l’époque communiste et ses limites chronologiques : 1948-1989 . 29 6. La toile de fond : les minorités et l’Etat-Nation . . . .35 7. Une histoire au caractère polémique inévitable ? . . . .40 II. Remarques préliminaires concernant l’historiographie roumaine . . 1. La fracture historiographique de l’Europe . . . . 2. L’impact de l’historiographie roumaine marxiste-léniniste . .44 . .44 . .47 3. Domination de l’histoire nationale et « nationaliste » : la th è se d e la c o n tin u ité d a c o -ro m a in e d u p e u p le ro u m a in e t la « fa ls ific a tio n v o lo n ta ire » d e l’h is to ire h o n g ro is e d e la R o um a n ie . . . .51 . . . .59 4. Remarques sur l’historiographie actuelle depuis 1989 : n o u v e lle s o rie n ta tio n s e t ré v is ion n is m e III. Méthodologie et sources 1. . . ...... Remarques préliminaires sur les « traditions byzantines » VIII . .62 . .62 A. « Byzantinisme » et relations « constantiniennes » . B. Remarques sur l’évolution du « byzantinisme » en Roumanie . 2. Méthodologie et problématique des sources . .62 . 67 . .73 A. Les sources : publications officielles de l’Egüse Orthodoxe Roumaine . 73 B. Critique des sources : statuts et interprétations . . . .77 C. Limites du travail . . . . . . . .80 . . . .82 3. Les problèmes linguistiques : re m a rq u e s s u r l’é v o lu tio n de la la ng u e ro u m a in e . IV. Conclusion P re m iè re . . .. . .. . .. p a rtie 89 . . . . . . . . . 92 EGLISE ORTHODOXE ET « APOSTOLAT SOCIAL ». TRADITION ET RENOUVEAU : A D A P T A T IO N D E L ’E G L IS E A L A N O U V E L L E S O C IE T E C O M M U N IS T E Chapitre I : CONCEPTION GENERALE DE L’EGLISE DES RAPPORTS EGLISE / ETAT ; l’A p o s to la t s o c ia l, « fid é lité e t re no uve a u » (fidelitate si innoire j e t u n e E g lis e « s e rva n te » (o B is tn c a s lu jïto a ie ) . . . . .93 . . .107 . . .107 . . .119 . Chapitre H : LE STATUT DE L'EGLISE ORTHODOXE ROUMAINE DANS L’ETAT COMMUNISTE ; p ré s e n ta tio n o rth od o x e d u c a dre lé g a l d e l’E g lis e d an s l’E ta t c o m m u n is te 1. L'Apostolat social et les directives de l'Etat . . n. La loi pour le Régime Général des Cultes Religieux et le statut de l'Eglise Orthodoxe Roumanie . . . CO NCLUSIO N............................................................................................................ 132 1. L é g itim a tio n d e la lé g is la tio n d e l’E ta t e n m a tiè re re lig ie u se : le « n o m o c a n o n is m e » ftraditia pravilnicaj . . . . .132 . . . . .. . . .136 2. L é g itim a tio n d e l’a d a p ta tio n d e la tra d itio n p a r le « p rin c ip e d ’é c o n om ie » ('principiul iconomieij 3 . L ’A p o s to la t s o c ia l : u n e « in fé o d a tio n » d e l’E g lis e p a r l’E ta t IX . . . .140 D e u x iè m e p a rtie ..... .145 EGLISE ORTHODOXE ET « PATRIOTISME ». SOUMISSION DE L’ORTHODOXIE A L’ETAT : L E G IT IM A T IO N D E L A AVEC LA C O L L A B O R A T IO N D E U E G L IS E N O U V E L L E D E M O C R A T IE P O P U L A IR E D E R O U M A N IE Chapitre I : LE « PATRIOTISME » ORTHODOXE SELON L’IDEOLOGIE MARXISTE-LENINISTE..................................................................................................146 Chapitre n : LE « PATRIOTISME » SELON LES PRECEPTES EVANGELIQUES ; / 'a m o u r d u p ro c h a in , la re c he rc he d e la p a ix e t le « re n de z à C é sar... » I. La patrie et l'Eglise Orthodoxe Roumaine II. Le sens social du patriotisme chrétien . . .154 . .... . . . .154 . .160 EU. Le respect chrétien de l’égalité des citoyens garanti par la Constitution de laR.P.R............................................................................................................ 165 rv. La soumission du chrétien face à l’Etat . A. Le « rendez à César...» . . . . B. Le « Que tout homme soit soumis aux autorités... » .169 . . .171 . . .174 Chapitre EQ : LE PATRIOTISME SELON LES PRECEPTES PATRISTIQUES : / 'E g lis e O rth o d o x e R o um a in e d a n s la tra d itio n o rie n ta le d e s p è re s d e l'E g lis e .180 . Chapitre EV : L’ORTHODOXIE ET LE PATRIOTISME « SOCIAL » : la lé g itim ité h is to riq u e , u n e E g lis e « c o m b a tta nte » fo Biserica luptatoarej . I. Un « sergianisme » roumain . . . . . . .189 .189 U. La contribution de l’Eglise orthodoxe à l’émancipation sociale et au progrès : une Eglise « populaire » (o Bwerica popn/ara) . . . .194 CO NCLUSIO N............................................................................................................. 199 1. U n e s o u m is s io n d o c trin a le à l'E ta t, q u e lle q ue s o it sa n a tu re . . . .199 2. L e p a trio tis m e c h ré tie n , fo n d e m e n t d e l’A p o s to la t s o c ia l : s o u m is s io n a u p o u v o ir e t c o n trib u tio n à l’é d ific a tio n d u s o c ialis m e . . . . . .201 3. P re m ie r a rg u m e n t « s y llo g is tiq u e » : u n e E g lis e « p o p u la ire » e t u ne d é m o c ra tie « popn/a/re » fo Biserica popularaj ..... X . .205 T ro is iè m e p a rtie . . . . .. . . .208 EGLISE ORTHODOXE ET « NATION » ROUMAINE. FUSION ENTRE ORTHODOXIE ET ROUMANITE ; L E G IT IM A T IO N D E L A AVEC C O L L A B O R A T IO N D E L ’E G L IS E L ’E T A T S O C IA L IS T E R O U M A IN Chapitre I : L’EGLISE ORTHODOXE ET LA THESE DE LA CONTINUrTE DACOROMAINE : P a ra llé lism e e t c o n v e rg e n c e e ntre l’h is to ire d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e e t c e lle d e l’E ta t . . . . . . . . . . I. Préliminaires .209 . . . . . .. . .209 n. « Bimillénarisme », « autochtonisme », « dacisme » et « isolationnisme » orthodoxe roumain ; d e D é c é b ale à C e au sescu ? . . . . . . .216 ni. Quelques remarques sur l’ambiguité entre la latinité de l’Eglise orthodoxe et son caractère slavisant ; entre latinité et « pravoslavnicisme » {o B is e ric d o rto d o x a o u p ra v o s la v n ic â ) ..... .242 Chapitre H: L’EGLISE ORTHODOXE ET L’AUTOCEPHALIE : l’« e th n ic ité » d e l’E g lis e o rth od o x e : fu s io n e n tre o rth o d o x ie e t n a tio n ro u m a in e I. . .246 Remarques sur le lien entre l’Eglise orthodoxe et l’ethnicité roumaine avant la seconde guerre mondiale ..... n. L’ethnicité de l’Eglise ; fondements doctrinaux in. Ethnicité, autocéphalie et patriarcat . . .... rV. L’ethnicité et la « loi des ancêtres » (/egea .246 .250 . . .255 . . .260 V. L’ethnicité, un fondement de l’exclusion et la tentation du « phylétisme » ? .263 Chapitre m : UNITE DE LA FOI, DE LA NATION ET DE L’ETAT : la « ré in té g ra tio n » freîntregireaj d e l’E g lis e g ré c o -c a th o liq u e à l’E g lis e m è re o rie n ta le e n 1 9 48 . . . . . .. I. Remarques sur l’histoire de r« uniatisme » roumain n. La suppression de l’Eghse gréco-cathoüque roumaine par le régime communiste ni. . . . . .. . L'argumentation de l’Eglise orthodoxe XI ..... .269 .269 .274 .280 Chapitre V ; L’EGLISE ORTHODOXE ET LES PROBLEMES NATIONAUX / ’« œ c u m é n ism e lo c a l » e t le s « n a tio n a lité s c o h a b ita n te s » .291 CO NCLUSION................................................................................................ .297 1. U n « g lis s e m e n t s é m a n tiq u e » e t a m b ig u ïté e n tre « patria », « natiunea », « popor » e t « neam . . . . . . . 2. D e u x iè m e a rg u m e n t « s y llo g is tiq u e » : u n e E g lis e n a tio n a le fo Biserica nalionalaj .297 .301 VOLUME II Q u a triè m e p a rtie ........ .304 EGLISE ORTHODOXE ET « INTERNATIONALISME ». FRONT ORTHODOXE DE LA PAIX : L E G IT IM A T IO N P A R L ’E G L IS E D E L A « IN T E R -O R T H O D O X E » U N « PAC TE D E AVEC LES C O L L A B O R A T IO N R E G IM E S C O M M U N IS T E S . V A R S O V IE » E C C L E S IA S T IQ U E ? Chapitre I: L’« INTERNATIONALISME », LE MOUVEMENT DE LA PAIX ET LE « PANSLAVISME » SOUS G. GHEORGHIU DEJ : le fro n t o rth o d o x e « c o m m u n is te » (¥ to n i\x \ O tio d o x iti) . . . . .305 Chapitre II : L’ŒCUMENISME, LA LUTTE POUR LA PAIX SOUS CEAUSESCU : l’E g lis e o rth o d o x e , u n e E g lis e d e la P a ix ( o Biserica a Paciij. .314 CO NCLUSIO N................................................................................................ .327 A n tiv a tic a n is m e e t a n ti-o c c id e n ta lis m e : p re u v e d ’u n e o p po s itio n s é c u la ire e n tre O c c id e n t la tin e t O rie n t o rtho d o x e ? .327 . XII CONCLUSION .330 L’« ETHIQUE » ORTHODOXE, UN FREIN AU PLURALISM E DEMOCRATIQUE ? I. D’autres pistes de recherche ; «■ c a té g o rie s » o rth o d o x e s e t « th é o p h a n ie » . .331 .... .344 . . . IL L’Eglise orthodoxe depuis la chute du communisme en décembre 1989 : a ttitu d e s a c tu e lle s e t p e rs p e c tiv e s d ’a v e n ir 1. Remarques préliminaires concernant la situation politique depuis 1989 . .344 2. Attitudes « politiques » de l’Eglise orthodoxe : la te n ta tio n u ltra -n a tio n a lis te e t « lé g io n n a ire » A. Généralités . . . . .355 . . . . . .. B. Le « légionnarisme » orthodoxe ..... C. La « réintégration » (reî/în-gg/rea) de la Bessarabie D. La question de r« uniatisme » . . ..... .355 .358 .362 .365 3. Orthodoxie et roumanisme post-communistes P o u r u n e n o u v e lle re lig io n d ’E ta t ? in. Conclusions générales . . . . . . . . . . .. .371 .376 1. Byzantinisme et national-communisme : Une symphonie « déséquilibrée » et une « instrumentalisation » de l’Eglise par l’Etat ? . 2. L’Eglise orthodoxe, une Eglise fondamentalement opposée au pluralisme ? .376 .382 A N N E X ES ............................................................................................................. 384 Ta b l e . . . . .. . DES ANNEXES An n e x e s . . . . . . . . .385 .3 8 8 BIBLIO G R APH IE ................................................................................................ 412 XIII A vertissem ents Par souci de clarté et afin de faciliter la lecture, nous n'avons pas eu recours aux abréviations pour les revues, les périodiques et l'ensemble de la bibliographie faisant appel à des titres peu connus hors Roumanie et Europe orientale. Pour les citations, nous laissons les traductions françaises faites par les auteurs roumains telles quelles. En raison de la spécificité du travail, nous avons, dans l'appareil critique, accordé une importance particulière aux auteurs roumains. XIV INTRODUCTION 1 I. INTRODUCTION GENERALE 1. Préliminaires S’il y a bien un événement qui marquera la fin de ce siècle, c’est la chute des régimes communistes dans les pays de l’Est et dans ce que l’on appelait l’U.R.S.S. Si l’effondrement des totalitarismes en Europe centrale et orientale a provoqué une avalanche d’études et de commentaires depuis 1989, que ce soit le fait d’historiens, de sociologues, de politologues ou de journalistes, voire d’observateurs de formations les plus diverses qui se sont rendus sur place, il est clair que de nombreux aspects de ce qu’on a appelé, cet « étrange post­ communisme » sont encore à étudier ou à approfondir et impliquent souvent une « re-vision » de la période communiste proprement dite. En effet si la situation actuelle, tant politique que sociologique, religieuse et économique, pose de nombreux problèmes, c’est en partie parce que la période précédente mérite à bien des égards un réexamen. Cette « re-vision » concernerait 2 surtout la question des Eglises et, plus largement, le statut des religions dans les sociétés de l’Europe centi'ale et orientale^. Les régimes communistes ont été un terrain d’étude particulièrement développé et prisé par les politologues depuis la seconde guerre mondiale. Cependant le contexte de la guerre froide a engendré nombre de problèmes inhérents à la logique de confrontation entre les blocs, et ce pour des raisons politiques. On sait combien la politique a été prépondérante en matière de méthodologie historique. Les perspectives qu’offrent la libéralisation et la « transition » actuelles permettent une nouvelle approche de cette période, même si le recul fait défaut pour aborder ces problèmes de la manière la plus satisfaisante possible. Cependant, la proximité des événements autorise aujourd’hui une connaissance plus approfondie des phénomènes qui se sont déroulés il y a quelques années encore et qui influent dii'ectement sur une actualité riche en bouleversements. La « contemporanéité » des témoignages et des sources nous permet une telle étude dans la mesure où les langues se délient peu à peu et où les ouvrages peuvent encore être disponibles, pour autant qu’ils aient été épargnés par l’autodafé révolutionnaire ou qu’ils ne soient jalousement gardés afin de ne pas dévoiler une réalité inavouable. On soulignera d’emblée que le fait d’être « étranger » aux événements, fait souvent critiqué à l’endroit de celui qui s’intéresse de près aux problèmes roumains, surtout lorsqu’il y a matière à polémique, offre des possibilités non négligeables. Dans l’imbroglio des minorités, des tensions entre « ex-communistes » et membres de l’« opposition », des rivalités interconfessionnelles entre catholiques, uniates et orthodoxes, le fait de ne pas être impliqué directement par ses origines ou son parti pris idéologique et religieux permet, indépendamment des soupçons parfois exprimés, un abord de la question plus « objectif », pour autant que ce soit possible. La question des religions et de la situation des Eglises sous le communisme était un sujet « tabou ». Aujourd’hui, une analyse extérieure permet une approche encore à peu près inédite en Roumanie, tant les idéologies dominantes sont encore présentes et ont valeur de 1 On verra particulièrement le livre récent de Patrick MICHEL, P o litiq u e e t re lig io n : L a g ra n d e m u ta tio n . Bibliothèque Albin Michel, coll.« Idées », Ed. Albin Michel, Paris, 1994. L e s R e lig io n s à l'E s t, dir. Patrick Michel, Ed. du Cerf, Paris, 1992. 3 dogmes scientifiques et politiques. De plus, dans le contexte de révision, voire du « révisionnisme », de l’histoire dans ces pays — nous reviendrons abondamment sur cette évolution récente — , évoquer ces questions en établissant des comparaisons avec la période d’avant le communisme et la situation post-révolutionnaire actuelle n’est pas sans susciter des difficultés. La reconsidération de l’histoire et des événements récents provoque des débats enflammés et susceptibles de provoquer de graves polémiques. Dans ce contexte, l’histoire des religions dans les pays de l’Est reste à faire. Si l’histoire ancienne fut du ressort de l’histoire byzantine, pour l’histoire dite post-byzanüne, depuis la chute de Byzance et l’occupation turque ottomane dans les Balkans, l’historiographie a largement souffert des nationalismes du XIXe siècle, des régimes totalitaires de l’entre-deuxguen-es et des dictatures communistes. Les obstacles méthodologiques et linguistiques ont également contribué aux lacunes de l’historiographie occidentale concernant ces pays. Aujourd’hui, le communisme s’est effondré, entraînant avec lui les idéologies déterministes marxistes devenues destructrices de toute critique historique. La littérature post-communiste actuelle et les tentations nationalistes et « révisionnistes » n’ont cependant pas encore permis d’aborder ces sujets en toute sérénité. Les difficultés issues non seulement de la compréhension de problématiques nouvelles, mais surtout le manque de références, d’instruments de travail et d’outils fiables, ainsi que la situation chaotique de la recherche scientifique actuelle née des perversions engendrées par plus d’un demi siècle de totalitarisme, restent les principales pierres d’achoppement, que ce soit pour les recherches faites en Roumanie ou celles effectuées en Occident. Avant d’aborder plus avant l’objet de ce travail, il faut préciser que si la Roumanie offre des facilités sur le plan linguistique comme pays de langue latine et par sa position de pays « latin » dans un monde orthodoxe et un environnement culturel et géographique slave, ce pays se trouve exclu des sentiers de la recherche en général. U échappe naturellement à la slavistique par sa langue romane et à l’histoire byzantine ou post-byzantine en raison du « silence » des 4 sources et de son caractère périphérique dans l’histoire de l’empire chrétien d’Orient. Mais il est trop souvent mis à l’écart des études romanes en raison de son caractère oriental, orthodoxe, balkanique et « slavisant ». Ceci n’est pas sans ajouter de nombreuses difficultés pour l’historien étranger qui s’intéresse à l’histoire de la Roumanie. La carence de centres de recherche et de bibliothèques spécialisées est à ce point de vue déterminante. La Roumanie subit aujourd’hui une situation que l’on pourrait qualifier de paradoxale. Cette situation nous semble d’ailleurs préjudiciable pour l’avenir de ce pays. S’il y a un pays de l’ex-bloc communiste qui fut apprécié en son temps en Occident pour des raisons précises que nous évoquerons, ce fut bien la Roumanie. Mais ce pays souffre aujourd’hui de la méfiance occidentale, pour des raisons tout à fait explicables auxquelles les événements troublants de la « Révolution » de 1989, les émeutes de Tîrgu-Mures de 1990 et les « minériades » de 1990 et 1991 ne sont pas étrangers. Cette situation n’est d’ailleurs pas sans conséquence pour l’image de la Roumanie en général, de son histoire et de la recherche. Marqués par la dictature d’un homme et d’un système sans doute parmi les plus répressifs de l’après-guerre, les a p rio ri relatifs à l’histoire du pays, a p rio ri notamment influencés par la légende du comte Dracula imaginée par l’écrivain anglais Bram Stocker au XIXe siècle, ont souvent tendance à masquer la richesse culturelle et le patrimoine historique roumains. Si cette histoire est glorifiée, voire mythifiée ou même « sanctifiée » par une historiographie apologétique, elle est, si pas méconnue, parfois dénigrée, et mériterait en quelque sorte une « réhabilitation » ou du moins une nouvelle approche dans la littérature occidentale. Il faut également souligner un autre paradoxe. La Roumanie, à la frontière des mondes russe, austro-hongrois, hellénique, turque et slave, offre une aire d’investigation extrêmement riche. Sa situation de confluence politique et culturelle qui engendre une histoire jalonnée de contradictions — nous aurons l’occasion de le constater —, rendent souvent les chemins de la recherche des plus escarpés. Par contre, l’historiographie roumaine a une nette tendance à l’homogénéisation, voire à ce que l’on pourrait appeller une « purification ethno-historique » dans un but politique et même « stratégique ». Alors que l’histoire roumaine est conditionnée par sa situation géographique, point de rencontre de diverses influences culturelles, son 5 historiographie est déterminée par des idéologies déterministes nationalistes ou marxistes réductionnistes. Cette constatation montre d’emblée la difficulté d’aborder l’histoire de ce pays considéré déjà comme un pays balkanique alors que les Carpates le rattachent plus à l’Europe centrale. Ce paradoxe est à l’origine de nombreux problèmes historiographiques et illustre combien 1’ « Histoire » en Roumanie a trop souffert des contingences politiques, nationalistes et confessionnelles. Il s’agit d’un lourd héritage que doivent supporter aujourd’hui les nouvelles générations d’historiens roumains et dont il faut tenir compte lorsqu’on aborde l’histoire des « pays roumains ». Au-delà des difficultés qui se présentent à l’historien, l’histoire roumaine constitue un domaine d’investigation riche en surprises et qui donne matière à réflexions : elle induit un questionnement qui renouvelle sans cesse les étapes de la recherche. 6 2. Présentation du sujet L’histoire récente des pays de l’ex-glacis soviétique — ce que l’on appelle aussi la « transition démocratique » ou dans certains cas le « post-communisme » — , interpelle les observateurs et analystes depuis l’effondrement du rideau de fer en 1989. Ces événements et leurs conséquences immédiates ne cessent de poser de nombreuses questions aux instances politiques, humanitaires, culturelles et religieuses en Occident. Trop content de voir s’effondrer un bloc qu’il croyait pour toujours soumis au totalitarisme communiste et qui a constitué aussi une alternative à la pensée capitaliste libérale, l’Occident s’est révélé impuissant face à des mentalités politiques, morales, religieuses et philosophiques considérées comme figées dans l’histoire. L’Occident s’est retrouvé confronté au « renouveau » nationaliste ou à la « renaissance » du phénomène religieux et des fondamentalismes qui engendrent la violence, l’intolérance et son train de conflits et de guerres régionales, sources de tensions prêtes à faire vaciller le nouvel équilibre mondial et la paix en gestation. Il est clair que parmi toutes les approches méthodologiques scientifiques possibles, une des manières pour aborder ces civilisations, leurs histoires et mentalités respectives, est sans aucun doute l’étude des phénomènes religieux car ils sont les témoins des mentalités et les révélateurs des comportements politiques au sens large du terme. Et nous l’avons dit, cette histoire reste à faire et suscite les plus vives passions : il s’agit d’aborder un domaine de la société qui, en fin de compte, touche inévitablement au plus profond des convictions et des 7 seules valeurs qui semblent demeurer stables : le sentiment d’appartenance identitaire et le phénomène de la croyance. Le monde orthodoxe dominant dans les pays communistes reste pour l’histoire moderne et contemporaine un domaine à étudier. On verra le nombre limité d’études et d’ouvrages monographiques sur cette partie pourtant fondamentale de l’histoire du christianisme. Le cas de la Roumanie est, à ce point de vue, révélateur. Le problème de l’orthodoxie dans un pays tel que la Roumanie, religion dominante en nombre (±80%), est une question centrale dans l’abord de l’histoire roumaine et de son passé immédiat, voire même pour l’histoire de la Roumanie post-communiste. Les problèmes des minorités « ethniques » confessionnelles et leur corollaire, celui des nationalismes, sont intimement liés à cette question du statut de l’Eglise. Ces aspects sont même fondamentaux pour la géopolitique internationale, à savoir la stabilité des frontières. Mais cette approche est également essentielle pour la question qui touche au plus profond des mentalités de la population, l’identité, qu’elle soit « ethnique », culturelle ou religieuse ; ce que les Roumains appellent parfois un peu rapidement, l’« âme roumaine » {s u fle tu l ro in â n e s c ). Il faut souligner que depuis la « Révolution » de décembre 1989, Révolution « confisquée » ou « coup d’Etat masqué » selon les interprétations. Révolution que nous appellerions plutôt « événéments » de décembre 1989, la religion ou l’« Eglise » a repris une place qu’elle avait perdue, mais non sans meurtrissures. Dans la mesure où la « spiritualité » semble rester l’unique référence idéologique, l’unique point de repère pour une population sortant du totalitarisme idéologique — la doctrine marxiste-léniniste ayant non seulement été reléguée dans l’histoire, mais aussi « refoulée » dans l’inconscient— , le phénomène religieux a repris ses droits. Reste encore à préciser les conditions et les modalités de cette « renaissance ». Cependant cette « spiritualité » n’en reste pas moins meurtrie dans la mesure où les fondements « identitaires » religieux furent également pervertis par quarante ans de totalitarisme, ce qui n’est pas sans ajouter un caractère tragique à cette « transition » démocratique. 8 Le rôle de l’Eglise, sa légitimité dans la société contemporaine roumaine et son impact sur les mentalités sont donc des aspects primordiaux pour comprendre la société actuelle. Cet aspect peut apporter un élément de compréhension, une pierre à l’édifice de ce qui pose un des problèmes les plus captivants de l’actualité à l’Est ; les problèmes du renouveau religieux et du fondamentalisme dans la société roumaine et leurs liens avec le nationalisme. Le sujet étant extrêment vaste, nous nous intéresserons ici particulièrement aux relations de l’Eglise orthodoxe avec la société roumaine, plus exactement avec l’Etat communiste depuis 1948. Ces rapports sont révélateurs de la conception de l’orthodoxie contemporaine, sujet concernant non seulement l’histoire des mentalités, mais également ce qu’on appelle parfois la « géopolitique » de l’Orthodoxie^. Plus précisément, nous nous intéresserons à l’idéologie de l’Eglise relative à l’Etat, c’est-à-dire de son statut dans la société contemporaine. La place de la religion dans les sociétés communistes a assurément fait l’objet de nombreuses analyses durant la guerre froide. On constate cependant que cette question fut souvent tributaire de la propagande à l’Est, comme en Occident. La propagande communiste et orthodoxe montrait que les cultes jouissaient d’une totale liberté et la littérature « confessionnelle » occidentale dénonçait la situation des Eglises à l’Est et l’univers athée marxiste, rouleau compresseur destructeur de la foi et du message divin. Dans les années quatre-vingt on a souvent parlé du renouveau religieux dans le bloc de l’Est à la faveur de la « Perestroïka » et fait allusion aux tentatives de conciliation entre les confessions religieuses et les Etats, notamment en raison des relations rétablies entre l’U.R.S.S. et le Vatican. Mais ce fut également le « renouveau » des nationalismes et de l’exacerbation des sentiments religieux. Les événements de Yougoslavie, mais aussi en Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie et au sein même de la nouvelle Fédération de Russie ont montré les dangers de cette « nouvelle » dérive. Aujourd’hui on n’hésite pas à parler de « fondamentalisme » religieux comme le montrent les tendances ultra-nationalistes, voire « fascisantes », de mouvements religieux, 2 François THUAL, G é o p o litiq u e d e l’O rth o d o x ie , Ed. DUNOD (Institut de Relations Internationales et Stratégique), Paris, 1993. 9 notamment orthodoxes. L'appui de membres des hiérarchies orthodoxes aux le a d e rs ultra­ nationalistes, que ce soit en Roumanie avec le soutien d’hiérarques au renouveau légionnaire, en Russie avec le soutien d’orthodoxes au nationaliste Jirinovsky, en Serbie, ou encore en Grèce — la question macédonienne pour laquelle l’Eglise orthodoxe s’est mobilisée — , est à ce point de vue révélateur. Une étude de l’époque communiste sur le plan de la « religion » et de ses rapports avec l’Etat et avec tout ce que recouvrent les notions de « nation », d’histoire « nationale » et implicitement avec les problèmes des minorités « nationales » ou « cohabitantes », permet d’expliciter les événements récents et d’établir ce que nous appellerions une « grille de lecture », même s’il est évident que chaque cas doit être envisagé de manière particulière et que toute extrapolation doit être avant tout soumise à une analyse spécifique et locale. Une telle étude permet de montrer combien la période communiste ne doit pas être envisagée comme une période de mise entre parenthèses durant laquelle l’histoire se serait arrêtée, mais bien dans une continuité historique. Cependant, s’il est évident que le communisme n’est pas à la source des nationalismes, ce régime politique y contribua du moins dans son application et ses effets. Le désaiToi devant lequel se sont trouvés les observateurs de l’après-communisme illustre la vision schématique que l’on avait du bloc communiste. C’est notamment le cas de la redécouverte de la mosaïque des minorités et des peuples de l’Est considérés jusqu’alors de manière monolithique et celui des persécutions religieuses opérées par les Etats matérialistes. De la même manière, on redécouvrit la diversité des nations, minorités et confessions religieuses en Europe centrale et du Sud-Est après la chute du mur de Berlin et en U.R.S.S. après la chute de l’Union en 1991. On entendit les révélations les plus étonnantes au sujet de la situation des Eglises à l’époque communiste. En Russie les archives furent ouvertes, et comme provoquées par l’ouverture de la boîte de Pandore, les accusations les plus folles fusèrent de tous côtés au sujet du rôle ambigu des Eglises et de leurs principaux hiérai'ques. 10 Présentées habituellement comme le fer de lance de l’opposition, la conviction des croyants ayant été déterminante dans la mise en échec de l’utopie communiste^, les Eglises furent pourtant mises en accusation pour leur collaboration active au sein des organes centraux du pouvoir politique. Certaines Eglises avaient largement soutenu les pouvoirs communistes et la tutelle soviétique. Parfois même elles collaborèrent activement au sein des services de sûreté de l’Etat. L’ouverture des archives du K.G.B. à Moscou semble avoir permis de montrer que les plus hautes instances hiérarchiques de l’Eglise orthodoxe russe figuraient au sein de ces services^. Ce fut le cas de l’Eglise orthodoxe en Ukraine et en Bulgarie où ces événements ont provoqué de vives tensions à l’intérieur même des Saints Synodes nationaux où l’on a vu s’opposer des responsables ecclésiastiques « réformateurs » et des dignitaires considérés comme « communistes »^. Les autres Eglises ne semblent pas avoir été épargnées : on a cité 3 On verra par exemple l’ouvrage récent de René La u RENTIN, L e s c h ré tie n s d é to n a te u rs d es lib é ra tio n s à l’E s t : L ’irré s is tib le a c tio n d e D ie u s u r tro is a x e s c o n v e rg e n ts , éducation européenne, OEIL, Paris, 1991. II suffit également de voir les nombreux articles dans la D o cu m e n ta tio n C a th o liq u e sur les religions à l’Est, ou l’hebdomadaire officiel de la cité du Vatican, l’O s s e rv a tore ro m an o . ^ André MARTIN, L e s c ro y a n ts e n U R S S , l’E g lis e o rth o d o xe o ffic ie lle c o n te s té e . P e rs é c u tio n s e t p ro c è s d e s c ro y a n ts , Fayard, Paris, 1970 ; Kathy ROUSSELET, « L’Eglise orthodoxe russe et la politique », dans P ro b lè m e s P o litiq u e s e t S o cia u x, n°687, 18 sept. 1992 (La documentation française). En raison de la proximité de ces événements récents, nous ne disposons malheureusement pas encore d’études à caractère scientifique sur le rôle effectif des Eglises au sein des organes des pouvoirs communistes. Nous citerons donc ici à titre d’information dans le cadre de cette introduction quelques articles parus dans la presse à ce sujet : B. LECOMTE, « Les grands prêtres du KGB », dans L e V if-E x p re s s , 8 mai 1992, pp. 82-84 ; G. JARCZYK, « Le patriarcat était infiltré par le K.G.B. », dans L a C ro ix l’E v é ne m e n t, 26 févr. 1992, p. 16 ; ID., « Le désaiToi de l’Eglise orthodoxe russe », Ib id ., 11 juin 1992, p. 2 ; ID., « Une religion d’Etat », Ib id ., p. 3 ; ID., « Les compromissions de la hiérarchie », Ib id ., 12 juin 1992, p. 5 ; ID., « Le “christianisme ouvert”, un formidable défi », Ib id ., 13 juin 1992, p. 5 ; M. KUBLER, « L’espoir orthodoxe de la Russie », Ib id ., 23 et 24 août 1992, pp. 2-3 ; on notera déjà en 1980 : U n M o s c o v it e 13 juin 1980, p. 2. , « Réponse au plaidoyer pour l’Eglise orthodoxe russe », Ib id ., l’Eglise réformée d’Allemagne de l’Est^, voire même l’Eglise catholique de Pologne^ et l’Eglise catholique romaine de Roumanie^. Le rôle ambigu de l’institution catholique occidentale C a rita s C a th o lic a a souvent été évoqué et certains auteurs ont parlé à propos des ecclésiastiques catholiques de Roumanie de la « chque » de Bucarest^. Dans le climat de dénonciation généralisée de l’après 1989, la prudence reste toutefois de rigueur et nous ne nous prononcerons pas sur ce sujet en particulier, étant donné qu’il s’agit là d’une question pour laquelle s’imposerait une étude des archives locales, ce qui est inimaginable dans les circonstances actuelles en Roumanie. Il faudrait pour cela avoir accès aux archives du Ministère de l’intérieur et de la célèbre S e c u rita te pour autant qu’elles existent encore. Nous pensons en ouü’e que ce travail répondrait plus, dans le contexte actuel roumain, à une procédure judiciaire, tel un « procès de Nuremberg » roumain. Les Eglises dans les pays communistes auraient, contrairement à certaines idées reçues, joué un rôle fondamentalement différent de celui qu’on leur a souvent attribué. A tout le moins, le cliché des Eglises persécutées, fermées définitivement et réduites à la clandestinité doit être nuancé, non seulement selon les confessions, mais à l’intérieur même de chaque Eglise. L’exemple russe d’une Eglise orthodoxe officielle utilisée par l’Etat soviétique pendant la seconde guerre mondiale et durant la guen'e froide contraste avec le sort des égüses orthodoxes ^ G. J a r C Z IK , « Tensions autour de l’Eglise d’Ukraine », dans L a C ro ix l’E v é n e m en t, 19 et 20 avril 1992, p. 20 ; ID ., « Philarète fonde une nouvelle Eglise », Ib id ., 8 juil. 1992, p. 16 ; cfr. aussi pour la Bulgaiie : « L’Eglise orthodoxe menacée », Ib id ., 27 mai 1992, p. 16. ^ H. D E BRESSO N, « L’Eglise évangélique est-allemande en accusation », dans L e M o n d e , 12 mai 1992, p. 9. ^ G. J a r C Z Y K , « Pologne ; Fautes avouées... », dans L a C ro ix V E v é n e m e n t, 17 juin 1992, p. 15. ^ On citera principalement les deux livres principaux pams ces dix dernières années : Cicerone lO N ITO IU , L e m a rty re d e l’E glis e en R o u m a n ie (Le Conseil National Roumain), Ed. Résiac, Montsûrs, 1986 ; Sergiu G RO SSU, L e c a lv a ire d e la R o um an ie c h ré tie n n e , Ed. France-Empire, Paris, 1987. 9 C icerone lO NITO IU , o p . c it. et Sergiu Gr o SSU, o p . c it. qui étaient encore jusqu’à une époque récente systématiquement fermées dans les campagnes et les vüles de province. La Roumanie est en ce domaine un exemple éloquent. Nous avons évoqué le cas des catholiques. L’Eglise orthodoxe a été la proie de nombreuses accusations depuis la Révolution. Le patriarche Teoctist fut dénoncé par certains révolutionnaires lors des événements de décembre 1989. On entendit le slogan « Teoctist, Antéchrist ! » dans les rues de Bucarest^^. Les institutions orthodoxes avaient largement soutenu le régime^^ du moins officiellement, et des accusations semblables à celles proférées à l’encontre de l’Eglise russe des dignitaires du Saint Synode, ont été lancées depuis 1989 dans la presse roumaine^^ Déjà avant la chute du Nous n’avons pas pu avoir de confirmation écrite de cet événement, nous nous basons là sur les témoignages oraux informels, mais le fait même que l’on raconte cet épisode de la Révolution est révélateur. 11 On citera déjà ici quelques documents éloquents des dernières années du régime ; notamment du patriarche lustin MOISESCU, « La troisième assemblée des cultes de Roumanie pour le désarmement et la paix », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 34, pp. 9-21 ; ID ., « Réélection de Monsieur Nicolae Ceausescu à la fonction suprême de président de la République socialiste de Roumanie, acte de volonté de toute la nation », Ib id ., 1985, 1, pp. 3-6 ; « Télégramme à son Excellence Monsieur Nicolae Ceausescu, la 49e conférence théologique interconfessionnelle », Ib id ., XVIIe an., 1987, 2, pp. 22-27 ; « Hommage au président de la Roumanie », Ib id ., XVIIIe an., 1988, 1, pp. 3-8 ; « Télégramme à son Excellence Monsieur Nicolae Ceausescu, la conférence interconfessionnelle solennelle dédiée au 45e anniversaire de la fête nationale », Ib id ., XIXe an., 1989, 4, pp. 8-15 ; cfr. les écrits du patriarche TEOCTIST, « A son excellence Monsieur Nicolae Ceausescu ... », Ib id ., XVlle an., 1987, 5, pp. 7-9, et ses discours : P e tre p te le s lu jirii c re s tin e , 3 vol, Bucuresti, 1989, passim. 12 Un des premiers journaux roumains à dénoncer ce phénomène fut R o m â n ia L ib é ra . On verra principalement les réponses et démentis à ces accusations de la part des autorités ecclésiastiques de la patriarchie : LE PATRIARCAT R O UM AIN , « L’Eglise orthodoxe condamne le communisme », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., 1990, 5-6, p. 8 ; LE S a i n t S y n o de de l ’E g l is e o r t h o d o x e r o u m a in e , « L’Heure de Vérité : lettre irénique de l’Eglise orthodoxe roumaine aux Eglises, aux organisations chrétiennes internationales et à tous nos frères roumains hors du pays », Ib id ., XIXe an., 1989, 6, pp. 3-5 ; A. M a n O L A C H E , régime de Ceausescu, le lieutenant général de la S e c u rita te Ion Mihai Pacepa, ancien responsable passé à l’Ouest du D.l.E. « D é p a rte m e n ta l d e In fo rm a n e e x te rn e » (Département d’information extérieure), affirmait en 1987 que le régime avait fait de l’Eglise Orthodoxe Roumaine une « cinquième colonne » composée de prêtres, agents du D.l.E. ou de la S e c u rita te ^^ . On notera qu’au lendemain de l’instauration de la démocratie populaire roumaine après r« abdication » du roi Mihai (1927-1930 ; 1940-1947)^^, des voix tentèrent de se faire entendre en Occident pour montrer combien le nouveau patriarche Justinian Marina (19481977) était à la solde du nouveau pouvoir. Déjà à ce moment on parla dans le cas roumain de « prêtres rouges » et les accusations les plus incroyables aux yeux des Roumains tentèrent de démontrer que l’ancien patriarche avait été assassiné en 1948 pour mettre au sommet du Saint « Points de vue : Au moins le juste jugement sinon le jugement juste », Ib id ., XXe an., 1990, 2, pp. 12-14. On veiTa aussi la virulence des répliques orthodoxes soulignant les pérsécutions de l’Eglise orthodoxe par le régime communiste : lOASAF (le moine) « Témoignages : sacrifices chrétiens au temps du régime communiste », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., 1991, 3-4, pp. 12-13 ; D. S t a n il o a e , « Témoignages : La persécution de l’Eglise orthodoxe roumaine sous le régime communiste », Ib id ., XXe an., 1990, 1, pp. 8-11 ; I. MIHALTAN CRISANUL, « Biserica ortodoxà a fost compromisà ? », dans T e le g ra fu l R o m â n , fo a ie e d ita ta d e a rh ie p is c o p ia o rto d o x à ro m â n a a S ib iu lu i, Sibiu, an. CXXXVin, 1 oct. 1990, 37-38, pp. 1 et 3 ; cfr aussi l’écho de ces événements dans la D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e : « Roumanie ; après la chute de Ceausescu », n°2000,72e an., t. 87, fév. 1990, n°4, pp. 177179 ; « Roumanie : N o us a u rio n s p u fa ire p lu s » , Ib id ., n°2003, 72e an., t. 87, avr. 1990, n°7, pp. 364-367. Ion M. P a c epa , H o riz o n s ro u g e s (Ed.orig. Red Horizons, 1987), Ed. franç.. Presses de la Cité, 1988, réed.. Presses Pocket, Paris, 1990, p. 298. Bien que ce livre ne soit que le témoignage d’un « repenti », il n’en est pas moins intéressant pour les informations qu’il présentait en 1987 (son édition roumaine après 1989 provoqua de très nombreuses réactions, notamment dans la presse nationaliste roumaine). 1'^ La régence du roi Michel précéda le règne de son père Carol en 1927-1930. Michel régna en 1940 sous la dictature d’Antonescu jusqu’au coup d’Etat communiste du 28 décembre 1947, lorsque le roi fut contraint d’abdiquer. 14 Synode un patriarche inféodé aux communistes^^. Pai‘ la suite, le second patriarche de l’époque communiste, Justin Moisescu (1977-1986), fut également considéré par certains auteurs roumains en exil comme l’artisan avec Ceausescu de la destruction de l’Eglise et du peuple roumains*^. Enfin, lorsque le régime tomba en 1989, on a vu le troisième patriarche Teoctist Arapasu (1986- ) démissionner « pour problème de santé » et remonter sur le trône patriarcal six mois plus tard, sa démission ayant été jugée anticanonique et injustifiée, lorsque le F.S.N., le Front de Salut national {F ro n ta l d e S a lv a re n a tio n a l) d’Iliescu et le nouveau pouvoir furent suffisamment bien implantés*^. Depuis lors, la littérature orthodoxe, qui naguère louait le régime communiste, clame haut et fort avoir toujours été contre le communisme, laissant parfois apparaître des contradictions, on le vema, évidentes. Cette question est aujourd’hui d’une actualité brûlante et suscite dans le contexte de la « transition » démocratique les passions les plus vives en Roumanie La véhémence de la littéramre orthodoxe depuis 1989 qui se défend contre toutes les attaques, illustre combien cette question est à l’ordre du jour et ce d’autant plus que réapparaissent aujourd’hui les problèmes qui lui sont liés, ceux des minorités confessionnelles et du nationalisme. La littérature antiuniate en est l’exemple le plus frappant. Ce sujet fut mis sur la place publique après décembre Pierre G h e r ma n , L ’â m e ro u m a in e é c a rte lé e ; fa its e t d oc u m en ts , Ed. du Cèdre, Paris, 1955 ; cfr. la réponse à ces accusations de George RACOVEANU, « Die rumanische orthodoxe Kirche wàhrend der kommunistischen Herrschaft », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 4, 1955, 1, pp. 61-75 ; cfr. aussi ; H. MONDEEL, « Patriarch Justinian van Roemenië », dans H e t C h ris te lijk O o s te n , Nimègue, t. 30, 1978, pp. 3-14. Sergiu GROSSU, op. c it. ; cfr. aussi sur les persécutions de l’Eglise catholique en Roumanie, le témoignage paru récemment : Helena D a n u b i a , Ils o n t v o u lu tu e r l’H o m m e , Ed. Saint-Paul, Paris-Fribourg, 1992. O n veiTa aussi à propos de tous ces événem ents récents et révélations les articles suivants parus dans la presse : LE S A IN T SYN O DE DE L’EG LISE O R TH O D OXE R O U M AIN E, « La renaissance de l’E glise orthodoxe », dans L a C ro ix l’E v é n e m en t, 15 janv. 1990, p. 2 ; V . H U G EU X, « A près la dém ission du patriai'che Teoctist ; L ’Eglise onhodoxe roum aine relève la tête », Ib id ., 22 janv. 1990 ; G. J a r c zy k , « R oum anie et B ulgarie, des responsables religieux liés à la police com m uniste », Ib id ., 20 m ars 1992, p. 12. P our la situation politique post-révolutionnaire, cfr. le point II dans la conclusion de ce travail. 15 1989 et constitue une question taboue car il remettrait en question de nombreux points concernant le régime communiste et les événements qui y mirent un terme. U faudrait là mettre en cause le plus profond de ce qui reste à la communauté des croyants orthodoxes dans le vide idéologique actuel ; ce que les Roumains appellent l’« âme roumaine » ou plus simplement les consciences. La remise en question ou simplement la discussion de ces problèmes entraîne, en raison des incidences politiques et identitaires, un ensemble de questions litigieuses fondamentales sur la société, que le contexte actuel de transition ne semble pas pouvoir encore assumer. A cause du caractère encore mouvant et flou de la situation politique et du manque de clarté sur le passé communiste, apparemment volontairement entretenu par le nouveau pouvoir, ces questions ne sont pas à l’ordre du jour du débat public. On ne citerait par exemple que le problème de la restitution des biens ecclésiastiques nationalisés, des grandes propriétés et plus simplement encore le problème de la hiérarchie ecclésiastique qui dans bien des cas n’a pas changé lors du renversement du communisme. D’emblée, il est nécessaire d’insister sur le fait que notre étude sera limitée, par ses dimensions et ses impératifs matériels, à l’analyse de la situation de l’Eglise officielle orthodoxe, et non aux questions relatives aux problèmes de la croyance orthodoxe, des croyants et de la façon dont fut vécu le sentiment religieux sous le communisme. Ces problèmes mériteraient, il est vrai, d’auü'es études et nécessiteraient certainement une méthodologie tout à fait adéquate basée plutôt sur des enquêtes systématiques d’ordre sociologique, ce qui aurait dépassé totalement le cadre de ce travail. 3. Traditions byzantines : une hypothèse De nombreux historiens et politologues ont invoqué le caractère propre de l’Eglise orthodoxe et ses traditions ancestrales pour montrer que dans les pays où la rehgion orthodoxe est dominante, le processus de démocratisation se trouve entravé. L’attitude de l’Eglise serait conditionnée par une habitude séculaire de soumission à l’Etat, ou de collaboration étroite, en référence aux liens qui unissaient l’Eglise et l’Etat, le patriarche et l’empereur à Byzance. Certains ont invoqué une continuité entre la situation byzantine, la situation de l’orthodoxie dans les Balkans sous la domination ottomane, et la position de l’Eglise orthodoxe sous le communisme, et ont montré la permanence dans les mentalités d’une alliance traditionnelle de l’Eglise et de l’Etat, cai’actérisée par une soumission de l’Eglise à des pouvoirs forts ou autoritaires, voire totalitaires. L’historien hongrois H. Bogdan souligne en 1990 dans sa grande synthèse sur l’histoire des pays de l’Est la différence de culture politique entre les mondes marqués par le catholicisme et le protestantisme, d’une part, et l’orthodoxie, d’autre part : « Là où l’Eglise romaine a réussi à s’implanter chez les peuples “ barbares ” , elle a facilité la formation d’Etats durables et indépendants de l’Empire germanique. Là au contraire où a dominé l’influence de l’Eglise d’Orient, l’association étroite entre l’Eglise et l’Empire byzantin a entravé, et pour longtemps encore, la formation d’Etats slaves indépendants. Byzance a utilisé l’Eglise grecque — et l’Eglise grecque s’est laissé volontiers utiliser — comme moyen de domination politique, tout comme plus tard à l’époque ottomane, l’Eglise grecque sera le meilleur agent de l’oppression turque sur les Slaves des Balkans Ainsi, si l’Eglise et l’Etat restent fondamentalement liés, une laïcisation de la société et une séparation des pouvoirs spirituels et temporels ne peuvent être réalisées. Alors que nos régions ont connu une laïcisation lente de la société, les auteurs font remarquer l’absence de cette évolution dans les pays où l’orthodoxie est dominante, et ce en raison de la persistance de la notion d’« harmonie » ou de « symphonie » entre les deux pouvoirs. L’Eglise orthodoxe aurait toujours été un frein au processus de démocratisation de l’Etat et au pluralisme garanti par un Etat laïque^^. Comme le souligne entre autres J. Kotek, « l’histoire religieuse de l’Occident (et donc du centre-est européen) chrétien a abouti mès rapidement à la séparation du spirituel et du temporel. Comme le soulignent à souhait les intellectuels hongrois, polonais ou tchèques, cette séparation, qui est à l’origine même du pluralisme, est absente du modèle byzantin ou russe, caractérisé par le Césaro-papisme, c’est-à-dire par la fusion forcée du spirituel et du temporel, bref de l’idéologie et de la politique. D’où la longue tradition de soumission de l’Eglise orthodoxe à l’Etat russe (ou encore serbe ou roumaine) et son refus de s’ériger en force sociale, à opposer à la formidable résistance des Eglises catholiques et protestantes d’Europe centrale au cours des quarante dernières années, de Pologne, de R.D.A. mais aussi de Slovénie, d’Ukraine et de Lituanie Henry BO G D AN, H is to ire d e s p a y s d e l’E s t d e s o rig in e s à n o s jo u rs , Paris, 1990, p. 55. Sur la question de la laïcité en Europe occidentale on verra essentiellement : H is to ire d e la la ïc ité , p rin c ip a le m e n t e n B e lg iq u e e t e n F ra n c e , dir. Hervé H ASQ U IN , La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1979 ; Emile POOL AT, L ib e rté , L a ïc ité , L a g u e rre d e s d e u x F ra n c e e t le p rin c ip e d e la m o d e rn ité , coll. « Ethique et société », Ed. du Cerf, Paris, 1987. Cfr. les articles publiés dans le tout récent volume P lu ra lis m e re lig ie u x e t la ïc ité s d a n s l’u n io n e u ro p é e n n e . P ro b lè m e s d ’H is to ire d e s R e lig io n s , 5, 1994, édit. Alain Dierkens, Ed. de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1994. Joël KO TEK, L a n o u v e lle E u ro p e c e n tra le : h is to ire d e l’E u ro p e k id n a p p é e , a c tu a lité d e l’E u ro p e lib é ré e , Bruxelles, 1990 (ULB, Centre d’Etude des Relations Internationales et Stratégiques), p. 8. Les traditions orthodoxes d’une part, catholiques et protestantes de l’autre, expliqueraient le clivage entre deux zones distinctes en Europe centrale et du Sud-Est, l’une influencée par une culture byzantine, grecque et orientale, l’autre essentiellement latine^L Comme l’affirme H. Hasquin, « Comment ne pas s’interroger sur le fait que les Etats, sans parler de l’U.R.S.S., qui éprouvent quelque mal à s’insérer dans le processus démocratique enclenché en 1989, sont des pays où domine cette confession (orthodoxe) : la Bulgarie (83, 2 %), la Roumanie (80 %), la Yougoslavie (34, 6 %) mais avec un poids considérable en Serbie ? »22. Ainsi, les liens étroits établis entre les pouvoirs spirituel et temporel, l’Eglise orthodoxe et l’empereur byzantin, auraient survécu à la chute de l’empire chrétien d’Orient lors de la période post-byzantine, mais aussi à l’époque contemporaine. L’idéologie byzantine conditionnerait encore aujourd’hui les traditions politiques et culturelles des pays balkaniques de l’ancien « c o m m o n w e a lth » byzantin. T. Beeson par exemple, dans son livre P ru d e n c e e t c o u ra g e , la s itu a tio n re lig ie u s e e n R u ssie e t e n E u ro p e d e l’E st, décrivant les relations entre le métropolite de Minsk Nicodème et l’Etat soviétique, affirmait en 1975 : « Ce serait sans doute une erreur que de le comprendre en dehors de la tradition byzantine de 1’“ harmonie ” entre l’Eglise et l’Etat »23. Pour un aperçu général de la question ; J. SZUCS, L e s T ro is E u ro p e s , préface de F. Br a u d e l , Essai l’Harmattan, Paris, 1986 ; Paul MOJZES, C h u rc h a n d S ta te in p o s tw a r e a s te rn E u ro p e , a b ib lio g ra p h ic a l su rve y, Greenwood Press, Londres, 1987 (Bibliographies and Indexes in Religions Studies, n°ll), pp. 3-26 ; cfr. notamment l’article récent : S. FISCHER-Ga l a t I, « Relations between Church and State in contemporary Romania », dans T h e B y z a n tin e L e g a c y in E a s te rn E u ro pe , édit L. Cl u CAS (East European Monographs, 230) Colombia University Press, New York, 1988, pp. 283-295 ; cfr. aussi : Nicolae lO R G A, L e c a ra c tè re c o m m u n d e s in s titu tio n s d u S u d -E s t d e l’E u ro p e , Paris, 1929 ; S. R U N C IM AN , T h e b y z a n tin e in h e rita n c e in S o u th -E a s te m E u ro p e , Oxford-Clarendon Press, 1948. 22 Hervé HASQUIN, « Les libertés et les nouveaux défis religieux », dans L ib é ra lis m e , 1991/6, Bruxelles, p. 34. 23 Trevor BEESON, P ru d e n c e e t c o u rag e , la s itu a tio n re lig ie u s e e n R u s s ie e t e n E u ro p e d e l’E s t, Ed. du Seuil, Paris, 1975, p. 44. A. Ducellier affirmait en 1990, quelques mois à peine après la Révolution roumaine, lors d’un colloque organisé à fUniversité Libre de Bruxelles sur le thème L e s o u v e ra in à B y z a n c e e t e n O c c id e n t, d u V ille a u X e s iè c le : « L’idéal autocratique romain reste, du XVe siècle à nos jours, profondément ancré dans l’esprit et guidant la conduite des princes successeurs, russes ou roumains, dont les sujets y avaient été dès longtemps rompus sous la tutelle byzantine, et les despotes d’Europe orientale, qui ne viennent qu’aujourd’hui de faire place nette, et peut-être seulement en apparence, en ont tiré une constance leçon D’emblée on soulignera que l’hypothèse d’une survivance du « byzantinisme » à l’époque contemporaine, si l’on devait la radicaliser, devrait en toute logique montrer que le clergé orthodoxe, indépendamment de l’évolution politique contemporaine des pays roumains, serait resté ancré dans ses traditions ancestrales jusqu’à implicitement assimiler sur le plan théorique le régime communiste au pouvoir byzantin ou post-byzantin. Celui-ci étant le représentant de Dieu sur terre selon les fondements théologiques de l’Eglise orientale, on comprend le paradoxe qu’engendre pareille thèse et tous les problèmes qu’elle pose dans le contexte contemporain. En réalité, cela pose inévitablement le problème de la coexistence d’une conception chrétienne de la société et de l’athéisme d’Etat imposé par le régime. Les détracteurs de cette hypothèse mettent en exergue cette incompatibilité, cette inadéquation entre deux visions de la société totalement opposées^^. Cette problématique nous montrera les problèmes de la distance entre la Constitution, la politique du Parti communiste et la position de l’Eglise, ainsi que l’attitude de ses hiérarques. Il faut en effet différencier la haute hiérarchie et l’« élite » intellectuelle orthodoxe des fidèles et des croyants. De multiples aspects pouixaient être traités et ces quelques lignes montrent combien les questions sont nombreuses et complexes, dans la mesure où l’on cerne rapidement l’enjeu de la Alain D U C E LLIE R , « Idéologie autocratique, Byzance et notre temps : quelques réflexions », dans L e s o u v e ra in à B yza nce e t e n O c c id en t, d u V ille a u X e s iè c le , Edit. Alain D IERKEN S, Jean-Marie Sa n STERRE, B y z a n tio n , t. 61, 1991, 1, p. 311. 25 George Ra COVEANU, « Die rumânische orthodoxe Kirche wâhrend der kommunistischen Heirschaft », dans O s tk irc h lic h e S tu d ien , t. 4, 1955, n° 1, pp. 61-75. 20 problématique historique. Lorsque les aspects religieux et politiques s’entremêlent, l’analyse des relations de cause à effet devient extrêmement complexe. Nous envisagerons cependant dans cette étude la thèse suivante : « Dans quelle mesure les traditions de l’Eglise orthodoxe, héritières d’un modèle byzantin imprégné de “ césaropapisme ” qui ignorait la séparation des pouvoirs temporel et spirituel, ont-elles influencé les comportements démocratiques dans les pays d’Europe où cette Eglise est dominante ? Le cas particulier de la Roumanie depuis 1948. » Nous nous interrogerons sur ce qui peut être attribué aux « traditions » byzantines proprement dites et ce qui peut l’être au « communisme » , ou plus exactement à son application en Roumanie en tant que totalitarisme ou pouvoir dictatorial. Il s’agira donc de mesurer la validité de ce que l’on pourrait appeler un « modèle » byzantin imprégné de césaropapisme, qui implique une absence de séparation des pouvoirs, et ce dans le cadre particulier de la Roumanie. Nous tenons cependant à souligner d’emblée que s’il s’agit de montrer les relations étroites possibles entre l’Eglise et l’Etat, ce ne pourrait être interprété comme une tentation « révisionniste » de notre part qui viserait à nier l’horreur de la persécution de l’Eglise par l’Etat et de la tentative de suppression et de destruction de la religion par la négation de la liberté véritable de conscience^^. Nous étudions la manière dont l’Eglise orthodoxe s’est laissée asservir par l’Etat ; par quelle idéologie elle s’est maintenue sous la dictature ; comment elle a légitimé son adaptation au régime communiste ; pourquoi elle s’est laissé tenter par un 26 Nombreux sont les ouvrages sur les persécutions communistes. On verra cependant outre ceux déjà cités, l’article d’Hervé HASQUIN sur le problème de : « La liberté religieuse en régime communiste », dans E g lis e s e t so ciété s d ’a u jo u rd ’h u i, coll. Laïcité, série Actualités, n°4, Ed. de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1986, pp. 11-27. 21 opportunisme de circonstance ou par la volonté de rester ancrée dans sa tradition du respect de l’Etat. 22 4. Le choix de la Roumanie comme aire d’investigation et limites géographiques Plusieurs pays poun'aient faire l’objet d’une telle enquête et une étude compai’ative avec d’autres régions orthodoxes d’Europe orientale serait d’ailleurs indispensable pour tirer des conclusions plus définitives. En effet, le cas russe, qui pourrait constituer un « modèle » en quelque sorte, offrirait l’exemple peut-être le plus révélateur. Mais on pourrait citer aussi rUkxaine, pays où l’Eglise orthodoxe connaît, depuis l’indépendance du pays au sein de la C.E.I., maintes vicissitudes en raison de son passé communiste, de ses velléités d’accession à l’autocéphalie et au rang de patriarcal, mais aussi de l’existence de l’Eglise uniate ukrainienne. Pour les Balkans, il faudrait étudier les cas de la Bulgarie, de la Serbie, ou du Monténégro et de la Macédoine, deux régions où les Eglises orthodoxes, à l’instar de l’Ukraine, désirent le titre de patriarcat ; et dans d’autres conditions, mais certainement avec un grand intérêt, le cas de la Grèce, peut-être plus classique dans la mesure où elle ne fut pas intégrée dans le glacis soviétique, mais où l’orthodoxie reste une des composantes tout à fait fondamentale de la société et des mentalités. Le poids de l’Eglise orthodoxe grecque actuellement s’est fait durement ressentir dans l’affaire de la carte d’identité européenne, mais aussi dans le conflit macédonien qui ont fait de la Grèce un cas tout à fait particulier au sein de la Communauté européenne. L’exemple grec pourrait assurément constituer un second « modèle » fort différent du cas russe et faù'e l’objet d’une étude similaire. 23 En outre, l’étude de pays catholiques, voire même protestants, pour le cas de l’époque communiste serait intéressante dans la mesure où le rôle de ces Eglises fut également ambigu sous les dictatures marxistes. Une telle étude remettrait vraisemblablement en question les clichés largement répandus par l’Eglise catholique, à savoir l’opposition des Eglises catholiques aux totalitarismes mai'xistes^^. La Roumanie, comme l’ex-Yougoslavie, est un pays qui compte une grande diversité de confessions, mais qui surtout ne fut unifié qu’en 1918, alors qu’avant la première guerre une partie occidentale, la Transylvanie, était tournée vers l’Occident depuis le moyen âge, l’autre, orientale, la Moldavie et la Valachie, vers Byzance et l’empire ottoman. Plus précisément, la Roumanie, « Etat national unitaire » depuis les Traités de Versailles de 1918, est à l’instar de la Yougoslavie un pays qui se trouve sur la ligne de démarcation établie par les analystes entre les deux zones citées plus haut^^. 27 O n verra l’exem ple de la H ongrie : Paul G . BO ZSO KY et Laszlo LU KACS, D e l’o p p re ss io n à la lib e rté . L ’E g lis e e n H o n g rie 1 9 4 5 -1 9 9 2 . C h ro n iq u e d e s é v é n e m e nts o rd in a ire s e t e x tra o rd in a ire s : té m o in s e t té ino ign a g e s , coll. « P olitique & C hrétiens », Beauchesne E diteur, P aris, 1993. 28 On précisera qu’il n’existe, à ce jour, aucune grande monographie récente sur l’histoire de la Roumanie qui ne soit imprégnée de l’idéologie marxiste-léniniste ou nationaliste. On signalera cependant l’historien français, G. C a s t el l an , A h is to ry o fth e R o m a n ia n s , trad. de N. BRADLEY (East european monographs n° 257), Boulder, dist. Columbia University Press, New York, 1989 ; ID., H is to ire d e la R o u m a n ie , Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », Paris, 1984, et l’ouvrage ancien de R.W. S E T O N -W a t S O N , A h is to ry o f th e R o u m a n ia n s : F ro m ro m a n tim es îo th e c o m p le tio n o f u n ity . Cambridge, England : The University Press, 1934 ; on veiTa aussi le récent ouvrage de Catherine DURANDIN, H is to ire d e la n a tio n ro u m a in e , coll. « Questions au XXe siècle », Ed. Complexe, 1994. Cfr. la récente réédition augmentée de Vlad G e o r G E S C U , T h e R o m an ian s . A H is to ry , Ohio State University Press, Columbus, 1991, rééd. de Is to ria R o m â n ilo r d e la o rig in i p în a în z ile le n o a s tre , American Romanian Academy of Arts and Sciences, Los Angeles, Munich, 1984, et édité en Roumanie sous ce titre, dans la coll. « Historia Magistra Vitae », Ed. Humanitas, Bucuresti, 1992. De manière plus générale : Georges C a s t el l an , d es B a lk a n s , X lV e -X X e s iè c le s . Fayard, 1991, et l’ouvrage suivant pour son approche socio-politique pour l’époque contemporaine : M. SHAFIR, R o m a n ia : p o litic s , é c o n o m ie s a n s d s o c ie ty : p o litic a l s ta g n a tio n 24 La Transylvanie, la région occidentale du pays, fut en effet jusqu’au début du siècle dans ce que l’on pourrait appeler l’orbite latine. Elle fut partie intégrante du royaume hongrois dès l’anivée des Magyars en Europe au moyen âge aux IXe et Xe siècles, sous statut spécial lors de la défaite de Mohâcz en 1526 devant les Ottomans ; elle fut placée sous l’administration de Vienne en 169P9, hongroise en 1848-1849, et définitivement dépendante de Budapest en 1867 sous le dualisme austro-hongrois^® Transylvanie est appelée généralement par les Hongrois la « Hongrie historique ». Elle est l’objet du litige frontalier entre Hongrois et Roumains, ces derniers revendiquant la thèse de la continuité daco-romaine du peuple roumain, aspect sur lequel nous reviendrons abondamment dans le cadre de la « récupération » orthodoxe de cette thèse. a n d s im u la te d c h a n g e (Marxist Régimes), Londres 1985, ainsi que l’ouvrage récent sur révolution constitutionnelle de la Roumanie : E. FO C SEN EAN U , Is to ria c o n s titu tio n a ld a R o m â n ie i, 1 8 5 9 -1 9 9 1 , Humanitas, Bucuresti, 1992. Cfr. au point II/2 de cette introduction, relatif à l’idéologie marxiste dans l’historiographie roumaine, les ouvrages de référence sur l’histoire roumaine générale, édités en Roumanie sous le communisme. 29 L’appartenance de la totalité de la Transylvanie (Transylvanie s tric to se n su , mais aussi Banat, Oltenie, Crisana, Maramures) à la couronne des Habsbourg se fit en plusieurs temps. Elle débuta à la diète de Fagaras en 1688 qui mit fin à la domination ottomane, la date de 1691, date du Diplôme léopoldien, est retenue en général par les Roumains. En 1687 à la diète de Presbourg les Etats accordent la couronne de Hongrie à la maison des Habsbourg, et 1699 fut confirmé au traité de Carlowitz la fin du pouvoir des ottomans de Transylvanie (reconnaissance ottomane). C’est en 1718 par le traité de Passarovitz que la domination habsbourgeoise est confirmée, notamment par la possession de l’Olténie et du Banat. 30 Les ouvrages roumains sur la Transylvanie sont très nombreux. Nous les citerons au point II/3 relatif à la thèse de la continuité daco-romaine. On verra néanmoins le livre hongrois de Bêla KÔPECZI, E rd é ly tô rté n e te , 3 vol., Akadémiai Kiado, Budapest, 1986, réédité en français très récemment en un volume, H is to ire d e la T ra n s y lv a n ie , Akadémiai Kiado, Budapest, 1992 ; cfr aussi un ouvrage roum ain en français ; C. Da ICOVICIU, M. CONSTANTINESCU, B rè v e h is to ire d e la T ra n s y lv a n ie (B ibliotheca H istorica R om aniae, M onographies III), B ucuresti, 1965, résum é des deux volum es D in is to ria T ra n s ilv a n ie i, vol. 1, C. DAICOVICIU, S. PASCU, V. CHERESTESIU, s. IMREH, a . N E A M TU , T. M O R A RIU , V ol. 2, V . C H ERESTESIU, C. B O D E A , B. S U R D U , C . M U RE S A N , V . N U TU, A . EG YED , V . C U RTIC A PE A N U, A .R .P .R ., B ucuresti, 1961. 25 Les principautés valaque et moldave à majorité orthodoxe ont été créées aux Xnie et XlVe siècles. Elle sont considérées comme dépositaires de Byzance dans l’empire ottoman par certains auteurs comme le célèbre historien roumain N. lorga. Les deux principautés sont qualifiées par la formule devenue célèbre en Roumanie : « Byzance après Byzance ». Le Règlement organique les mit sous protectorat russe en 1831 tout en maintenant la suzeraineté turque. Elle furent réunies en 1859 sous le prince Alexandre Ion Cuza et restèrent sous suzeraineté turque jusqu’à la guerre russo-turque de 1877-1878^^ appelée par les Roumains, « guerre d’indépendance ». Leur indépendance fut proclamée en 1878 au traité de San Stefano et confirmée au Congrès International de Berlin la même année. Elles devinrent un royaume, le « R e g a t », ou l’« Ancien Royaume », lorsque Carol de Hohenzollem-Sigmaringen, devenu prince des Principautés Unies en 1866, fut couronné roi en 1881. Depuis la Grande Union de 1918 proclamée à Alba luHa en Transylvanie, l’histoire des trois principautés est traitée par les Roumains de manière « nationale » unitaire. Le destin de ce peuple était tracé dans le cadre de l’ethnogenèse du peuple roumain depuis l’antiquité, ou plus exactement depuis le bas-empire. Ce pays offre donc une excellente aire d’investigation puisqu’on peut y analyser des traditions culturelles différentes. De la même manière que la Yougoslavie est divisée jusqu’en 1918 entre la Croatie catholique et la Serbie orthodoxe, avec la Bosnie-Herzégovine comme point de rencontre, la Roumanie est également partagée sur le plan confessionnel. Le problème uniate en Transylvanie, ou du « gréco-catholicisme » ou de l’« Eglise catholique roumaine de rite byzantin »^^, pont confessionnel entre le catholicisme et l’orthodoxie orientale grecque. La Valachie et la Moldavie avaient un statut particulier à l’époque turque. L’administration, les voïvodes restèrent roumains, sauf à l’époque phanariote, 1711-1821, lorsque les principautés étaient gouvernées par des hospodars grecs du Phanar à Constantinople. 32 Les ouvrages sur l’uniatisme seront cités dans le chapitre consacré à ce sujet dans la troisième pailie. On veira cependant de manière générale les chapitres consacrés à l’uniatisme dans l’Europe de l’Est dans : Wilhelm D E V r ie s , R o m u n d d ie P a tria rc h a te d e s O ste ns, Verlag Karl Alber Freiburg, München, 1963 (Orbis Academicus, Bd. III/4) et l’article récent de S. KELEHER, « Church in the Middle: Greek-Catholics in Central and Eastem Europe », dans R e lig io n , S ta te a n d S o c iety , vol. 20, f 3-4, 1992, The Keston Journal, pp. 289-302. 26 permet des analyses intéressantes. Aux confins de la Slovaquie, de la Pologne et de l’Ukraine, on constate également cette fracture entre des minorités catholiques uniates, protestantes et orthodoxes dans les pays appelés parfois « ruthènes ». La confession uniate eut en Pologne et en Ukraine après l’Union de Brest-Litovsk en 1596, en Slovaquie après celle de Uzhorod en 1646^3^ en Transylvanie par l’Union d’Alba Iulia en 1699-170P^, un rôle prépondérant sur le plan des contacts avec le monde latin, les Lumières et la naissance des nationalismes. Cette question « uniate » sera également un des points centraux de ce travail, dans la mesure où il figure en contrepoint de l’idéologie orthodoxe depuis 1948. Alors que la Roumanie figurait parmi les plus dictatoriaux des pays de l’Est, la religion orthodoxe semblait y être une des Eglises les plus favorisées de l’Europe communiste. En outre, la dictature de Ceausescu semble bien illustrer cette convergence entre un régime cenüaliste unitaire influencé par l’Occident et un despotisme oriental influencé par l’Orient. En réalité, la Roumanie, aux confins de la latinité et de l’hellénisme, de la zone d’influence de Rome et de Constantinople, des marches de l’empire occidental médiéval et de l’empire byzantin, des empires austro-hongrois, russe et ottoman à l’époque moderne et contemporaine, offre une excellente aire d’investigation et permet une comparaison avec les régions appelées dans la chancellerie hongroise « au delà des forêts », la Transylvanie, T ra n s ilv a n ia en latin, E rd é ly en hongrois, et les « pays » transearpatiques, les pays roumains 3 3 M . S . J. L a C K O , « Die Union von Uzhorod (1646) », dans Wilhelm DE V r ie s , R om und d ie P a tria rc h a te d e s O s te n s o p . c it., pp. 114-131 ; ID., « Die Uzhoroder Union », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 8, 1959, f. 1, pp. 3-30 ; ID., ü n io ü z h o ro d e n s is R u th e n o ru m C a rp a tic o ru m c u m e c c le s ia c a th o lic a , Rome, 1955 (Orientalia Chrisüana Analecta, 143). 34 On ven-a principalement les travaux de Silviu DRAGOMIR, « Romînii din Transilvania si unirea eu Biserica Romei », dans S tu d ii s i m a te ria le d e is to rie m e d ie , vol. 3, 1959, pp. 323337 ; ID., R o m în ii d in T ra n s y lv a n ia sJ u n ire a e u B is e ric a R o m e i. D o c u m e n te a p o c rife p riv ito a e la în c e p u tu rile iin irii e u c a to lic is m u l ro n m n (1 6 9 7 -1 7 0 1 ), Bucuresti, 1963, rééd. à Cluj, 1990. 27 nord-danubiens35. 35 Pour la géographie de la Roumanie on verra essentiellement : E n c ic lo p e d ia g e o g ra fic d a R o m â n ie i, Ed. Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti, 1982 ; Emmanuel DE Ma r t o NNE, « Europe centrale », dans G é o g ra p h ie u n ive rs e lle , publ. P. VIDAL DE LA BLACHE ET L. Ga l l o is , t. 4, 2e partie, Paris, 1931 (Roumanie, pp. 699-810) ; ID., L a V a la c h ie . E s s a i d e m o n o g ra p h ie g é o g ra p h iq u e . Librairie Armand Colin, Paris, 1902. Pour les noms de lieux et de villes en Transylvanie, on verra le dictionnaire de correspondance entre les toponymies roumaine, hongroise, allemand : Szabo M. ATTILA, Szabo M. ERZSEBET, D ic tio n a r d e lo c a litd ti d in T ra n s ilv a n ia . E rd é ly i h elysé gn évszô târ. O rts n a m e n v e rz e ic h n is fu r S ie b e n b ü rg e n , Kriterion, 1992. Pour la géographie du XIXe siècle on verra : G.I. La h o VARI, M a re le d ic tio n a r g e o g ra fic a l R o m â n ie i, 5 vol., Bucuresti, SOCEC, 1898-1902. 28 5. Le choix de l’époque communiste et ses limites chronologiques : 1948-1989 Idéalementi il faudrait étudier nombre de moments clefs de l’histoire moderne roumaine, les étapes de transition ; le passage d’une société d’ancien régime au XVille siècle à l’établissement de l’Etat national unitaire en 1918 ; la montée du fascisme dans les années trente et l’instauration du régime communiste depuis 1944. Il faudrait s’intéresser aux événements qui dans l’histoire de l’Etat roumain ont concerné les Eglises, leurs statuts, leurs organisations et les problèmes des libertés religieuses. On citera par exemple le début du XVIIIe siècle avec l’apparition de l’uniatisme, les problèmes liés à la calvinisation de l’orthodoxie — ce que le D ic tio n n a ire d e th é o lo g ie c a th o liq u e appelle « un vrai monstre : Eglise orientale dans les formes extérieures, calviniste au fond — , les réformes de Joseph II et leur impact dans le processus de l’émancipation des Roumains^^, les révolutions de 1821 en Valachie et Moldavie et l’instauration du régime « réglementaire » plaçant les principautés « vassales » de la Porte ottomane sous protectorat russe, les 36 J. RIVIERE, « Roumanie », dans D ic tio n n a ire d e th é o lo g ie c a th o liq u e , dir. A. VACANT et E. M a n g eno t , t. 14, 1ère partie, Ed. Letouzey et Ané, Paris, 1939, col. 18. 37 Alexandre Dunj, « Pouvoir des Habsbourg et peuple roumain au XVIIIe s. », dans E tu d e s s u r le X V IIIe s., U n ité e t d iv e rs ité d e l’e m p ire d es H a b s b o u rg à la fin d u X V IIIe s iè c le , édit. Roland MORTIER et Hervé HASQUIN, Université Libre de Bruxelles, t. 15, 1988, pp. 83-92. 29 événements de 1848 / 1849 en Transylvanie, l’union des principautés danubiennes en 1859 sous le prince Alexandru loan Cuza et les grandes réformes en matière de sécularisation et le remplacement du droit byzantin pai- le droit occidental en 186438, la fondation du royaume de Roumanie en 1881 avec l’acquisition officielle de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe en 1885, la création de la Grande Roumanie en 1918 et l’érection en patriarcat de l’Eglise orthodoxe en 1925, ses implications pour les différentes Eglises durant l’entre-deux-guerres et la montée du fascisme roumain. On signalera enfin, les premières années de l’instauration du régime communiste de 1944 à 1948, du « coup d’Etat » opéré par le roi Michel pour destituer le maréchal I. Antonescu^^ à la proclamation de la République Populaire Roumaine'^O, années qui virent la mise en place progressive du nouveau régime soviétique avec la confrontation entre le christianisme et l’athéisme. Des études semblables à celle-ci seraient indispensables pour montrer l’évolution, les changements et les permanences dans l’Eglise orthodoxe, ancrée dans sa tradition, par rapport aux changements de l’Etat. Celui-ci, encore dans une forme q u a s i médiévale au XVille siècle, connut une modernisation institutionnelle extrêmement rapide au cours du XIXe siècle, et au lendemain de la première guerre mondiale, que ce soit sur le plan institutionnel, mais aussi économique, social et culturel^!. Une analyse de la littérature orthodoxe depuis les années 1850 montrerait bien cette évolution et permettrait assurément des conclusions plus complètes sur cette problématique. On constate que l’historiographie a été conditionnée par plus de 70 ans de dictature, sous la « dictature royale » de Carol II depuis 1938, militaire de I. Antonescu depuis 1940 et communiste depuis 1948 avec G. Gheorghiu Dej. Elle a donc largement souffert des idéologies Cfr. in fra . C’est dans la nuit du 23 août que Antonescu fut destitué. C’est le 24 août qui est la date de l’entrée des troupes de « libération » soviétique avec la proclamation de l’état de guerre avec l’Allemagne par la Roumanie. C’est le 30 décembre 1944 que fut proclamée l’abdication du roi et la république populaire. 41 Cfr. la bibliographie en début de la 1ère partie. 30 fasciste et marxiste-léniniste, ce qui n’est actuellement pas sans conséquences pour la recherche scientifique. Nous avons cependant choisi d’étudier la période d’après 1948 pour les raisons suivantes. En premier lieu, la Roumanie communiste est un des exemples le plus marquant de ce que furent les dictatures communistes instaurées après la seconde guerre mondiale, sous le régime de Gheorghiu Dej ou des Ceausescu. De plus, les Eglises y ont connu un sort particulier : ce que l’on appelle parfois la solution « à la roumaine 42 Trevor BEESON, P ru d e n c e e t c o u ra g e, la s itu a tio n re lig ie u s e e n R u s s ie e t e n E u ro p e d e l’E s t, Ed. du Seuil, Paris, 1975 (1er Ed. en angl. 1974), pp. 280-299. Pour la bibliographie concernant l’Eglise et l’Etat en Roumanie, on verra : D.C. AMZAR, « Partei, Staat und Kirche im heutigen Rumanen », dans O s tk irc h lich e S tu die n, t. 14, 1965, pp. 419-506; E. ClUREA, « Religions life », dans C a p tiv e R u m a nia , a d e c a de o f S o v ie t ru le , édit. A. CRETZIANU, Atlantic Press, New York, London, 1956, pp. 165-203 ; D. G h e r m a n i, « Die lage der Kirche in Rumaenien », dans R e lig io n s fre ih e it u n d M e n s c h e n re c h te , édit. LENDVAI, 1983, pp. 203-214 ; G. PODSKALSKY, « Kirche und Staat in Rumânien », dans S tim m e n d e r Z e it, t. 185, 1970, pp. 198-207; E.A. POPE, « The contemporary religions situation in Romania », dans O c c a s io n a l p a p e rs o n re lig io n in E a s te rn E u ro p e , t. 9, 1989, pp. 39-41; ID., « Church-State relations in Romania », dans K y rk o h is to ris k A rs s k rift, 1977, pp. 290-297; G. ROSU, M. V a S IL IU et G . C r is A N , « Church and State in Romania », dans C h u rc h a n d S ta te b e h in d th e Iro n C u rta in , édit. V. GSOVSKI, New York, F. A. Praeger, 1955, pp. 253-299; Les différents articles de ; E.C. SUTTNER, dans B e itra g e z u r K irch e n g e s ch ic h te d e r R u m a n e n , VienneMunich, éd. Herold, 1978 ; et la bibliographie de ; P. MOJZES, C h u rc h a n d S ta te in P o s tw a r E a s te m E u ro p e , A B ib lio g ra p h ic a l S u rve y , Londres, Greenwood Press, 1987 (Bibliographies and Indexes in Religions Studies, n°ll), pp. 3-26, et pp. 78-81. Pour les rapports entre l’Eglise orthodoxe et l’Etat communiste on verra : K. HITCHINS, « The romanian orthodox church and the State », dans R e lig io n a n d a th e is m in th e U S S R , éd. BOCIURKIW, MacMillan Press, 1975, pp. 314-327 ; F. POPAN, « Die Rumanisch-orthodoxe Kirche in ihrer jüngsten Entwicklung, 1944-1964 », dans K irc h e im O s te n , t. 9, 1966, pp. 67-82 ; S. Fischer-Galati, « Relations between Church and State in contemporary Romania : Orthodoxy, Nationalism, and Communism », dans T h e b y z a n tin e le g a cy in E a s tern E u ro p e , édit. L. CLUCAS, New York, 1988, pp. 283-295. 31 L’époque communiste est certainement celle qui, du point de vue qui nous occupe, offre le plus de paradoxes. De prime abord, le nouveau régime aurait dû être en complète lupture avec le passé. Le ministre des cultes Stanciu Stoian en 1948 proclamait la fin définitive du byzantinisme et des Eglises orthodoxes « p ra v o s la v n ic e s ti L’Etat allait se déclarer, d’après l’idéologie dominante du Parti Communiste Roumain, laïque et même athée. Les principes de base de la Constitution de 1948 en matière religieuse garantissaient la liberté de conscience et l’égalité des cultes. A p o s te rio ri, on s’inten'oge maintenant sur la conception « laïque » du pouvoir communiste, sur l’application du principe marxiste-léniniste selon lequel les questions religieuses doivent relever uniquement de la vie privée du citoyen dans un Etat séparé de l’Eglise, comme le prévoit la Constitution soviétique du 23 janvier 1918"^^ . Les difficultés de la transition démocratique depuis 1989 depuis l’instauration du nouveau régime de la République de Roumanie sous I. Iliescu peuvent en partie être expliquées par ces problèmes, sur le plan idéologique, politique ou économiques^. La permanence des structures de l’ancien régime et l’attitude des Eglises ainsi que les problèmes liés aux minoriés confessionnelles et « ethniques » permet un certain nombre d’analyses. Sur le plan des sources et de l’accessibilité de l’historiographie, cette période offre également de nombreux avantages. Outre le problème linguistique sur lequel nous reviendrons dans cette introduction, on notera que si les publications d’avant 1948 sont rares en Occident, on profite de la propagande communiste pour l’Etranger après 1948, même si les ouvrages émanant des institutions ecclésiastiques sont peu nombreux dans les bibliothèques occidentales. On notera cependant la destruction de nombreux ouvrages communistes en raison de l’autodafé 43 Ce mot d’origine slavonne signifie « orthodoxe », mais avec les connotations anciennes traditionnelles de l’orthodoxie liées à l’Etat et au passé médiéval. On verra les remarques à ce sujet en cours de travail. 44 V. G SO VSKl, S é p a ra tio n o f C h u rc h fro n t S ta te in th e S o v ie t U n io n , dans C h iirc h a n d S ta te b e h in d th e Ira n C u rta in , édit. V. G SO VSKl, Frederick A. Praeger, New York, 1955, xi-xiii. 45 On verra toutes les références à ce sujet dans la conclusion, le point II consacré à la situation actuelle. 32 lors de la Révolution de 1989. Le cas du livre O in a g iu P re s e d in te lu i N ic o la e C e a us e s c ii offert en hommage à N. Ceausescu'*^, est devenu un ouvrage de collection. Il n’est cependant pas sans intérêt pour l’analyse de l’idéologie totalitaire roumaine des années quatre-vingt. Bien que la période communiste commence en réalité le 23 août 1944 lors de l’entrée des troupes de « libération » soviétiques après le coup d’Etat qui mit fin au régime du maréchal Ion Antonescu‘^ ^, nous gardons comme repère chronologique la date de janvier 1948, plus exactement, du 29 décembre 1947, date de l’abdication forcée du roi Michel de Roumanie et du 30 décembre, proclamation officielle de la R.P.R., la République Populaire de Roumanie^^ En effet, la période de transition 1944-1947, avec instauration du gouvernement présidé par Petru Groza en 1945, les premières élections en 1946 depuis la guerre « prélude de l’élimination définitive de la vie politique » des partis historiques roumains, le Parti National Paysan et le Parti National Libéral, devrait être l’objet d’une étude particulière afin de montrer 1’éümination progressive de la classe intellectuelle roumaine, la suppression progressive des idéologies d’avant guerre et des oppositions au nouveau régime qui se mettait en place. Le choix de la période 1948-1989 aura des conséquences sur le plan géographique puisque les frontières actuelles, héritées de la seconde guerre mondiale, sont différentes de celles de la Grande Roumanie de 1918. En effet, 1918 fut la date l’union au Grand Conseil National à Alba Iulia de la Transylvanie avec l’Ancien Royaume, mais aussi celle de l’union de la Bessarabie, occupée par les Russes depuis 1812 pour sa pai'tie septentrionale et depuis 1878 46 II existe de nombreuses versions consacrées à l’« Hommage au président de la République», le plus fameux étant le volume in fo lio : O m a g iu P re s e d in te lu i N ic o la e C e a u s e s c u , Ed. Politica, Bucuresti, 1978 (nombreuses rééditions). On verra aussi ; L u p ta în trg u lu i p o p o r. O m a g iu c a m a n d a n tu lu i n o s tru s u pre m (Revista româna de istorie miütara n°l, 15), 1988. 47 Date du coup d’Etat du roi Mihai, considéré pai' les communistes comme le soulèvement des « forces patriotiques » et de la libération par la « coalition antihitlérienne » sous l’égide des années soviétiques 48 Cette dénomination sera changée en 1965 par R.S.R., République Socialiste de Roumanie, lors de l’accession au pouvoir de N. Ceausescu, quand il devint Secrétaire général du Parti. Il ne devint président qu’en 1974. 33 pour sa partie méridionale, à la Moldavie roumaine, et celle de la récupération de la Bucovine, autrichienne depuis 1775. Les Traités de Versailles confirmèrent l’annexion opérée en 1913 de la Dobroudja bulgare, le « Quadrilatère », à la Roumanie. La Roumanie de l’entre-deux-guerres connut donc un doublement de sa surface et de sa population avec une multitude de minorités et de confessions nouvelles. Les problèmes « nationaux » provoqués par l’annexion à la Grande Roumanie de ces territoires expliquent en partie le contexte politique de T entre-deux-guerres. C’est depuis la fondation de la Grande Roumanie que ce pose le problème de l’« irrédentisme » hongrois. La littérature communiste des années quatre-vingt dénonçait la « falsification » de l’histoire par les Hongrois. On remarquera cependant qu’elle ne fit jamais mention des problèmes frontaliers pour les autres régions, la Bucovine septentrionale et la Bessarabie, annexée à l’U.R.S.S. par le pacte Molotov-Ribbentrop de 1939, reprise par le maréchal I. Antonescu lors de la « guerre sainte de la réintégration » en 1941, et reprise par Staline en 1944. Nous fixerons comme limite chronologique la chute de Ceausescu en décembre 1989. En conclusion nous évoquerons le débat qui secoue l’Eglise aujourd’hui dans le cadre de la « transition ». En effet, si la problématique de l’Eglise orthodoxe sous le communisme peut être envisagée de manière globale, de par le caractère centralisé et dictatorial du régime, il en va tout autrement pour la période post-communiste, caractérisée par une « atomisation » de la vie politique et un éclatement des forces en présence qui influent sur la complexité de l’attitude de l’Eglise. 34 6. La toile de fond : les minorités et l’Etat-Nation S’agissant des problèmes religieux dans les pays de l’Est, et a fo rtio ri lorsqu’on compai'e les différentes confessions d’un même pays, on se retrouve immédiatement confronté aux questions relatives aux minorités ethniques et confessionnelles. On ne peut parler de l’orthodoxie en Roumanie sous le régime communiste sans aborder les problèmes de l’uniatisme, ceux des minorités hongroises protestantes et catholiques, saxonnes luthériennes, et les problèmes du « sectarisme néo-protestant ». Si l’Etat communiste reconnaissait officiellement quatorze religions'^^, la Grande Roumanie en comptait davantage, ne fût-ce qu’en raison de la « réintégration » de la Bessarabie en 1918, incorporant dans la Roumanie de nouvelles populations et minorités. Les liens entre confessions, nations et ethnies sont si étroits en Europe centrale et orientale que l’on ne peut ignorer cet aspect fondamental de l’histoire du Sud-Est européen. Il faut souligner que la question des minorités et de la conception même de l’Etat roumain, exemple par excellence d’un Etat unitaire national centralisé, est aujourd’hui à l’ordre du jour, tant en raison du problème hongrois que de la « réintégration » de la Moldavie ex-soviétique (Moldova) membre de la C.E.I. En effet une des grandes questions qui hante le jeu politique roumain, en relation avec la question des minorités, est ce débat entre une conception centralisée de l’Etat-Nation, héritier de la conception jacobine de l’Etat, défendue par la majorité des partis 49 Cfr. les documents annexes. 35 roumains et une vision fédéraliste de l’Etat comme le défendent les Hongrois, notamment par le biais de l’Union Démocratique des Magyars de Roumanie, l’U.D.M.R. {V n iu n e a D e in o c ra tic a a M a g h ia rilo r d in R o m â n id )^ ^ . Lors des élections présidentielles et législatives de l’automne 1992 cette question fut débatue par I. lüescu et le candidat de la Convention Démocratique, I. Constantinescu, dont l’U.D.M.R. faisait partie. Constantinescu avait fait des déclarations, considérées comme inacceptables pour des « unitaristes », selon lesquelles la Roumanie est un Etat « multinational », l’encontre du principe fondamental constitutionnel déclarant la Roumanie « Etat national unitaire »^L Depuis 1989 cette question de la conception de l’Etat fait l’objet de nombreux travaux dans le cadre de l’intégration à l’Europe des pays de l’Est. Depuis l’effondrement des communismes à l’Est, depuis la Perestroïka de la fin des années 1980, la chute du Mur de Berlin, la nouvelle donne dans ce que l’on appelle dorénavant l’« Europe du Milieu », r« Europe du Centre », les « Trois Europes »5^, a provoqué des bouleversements qui ont vu naître notamment et en quelques mois le démantellement de la Tchécoslovaquie, l’implosion de l’U.R.S.S. et sa transformation en C.E.I., et la guene en Yougoslavie qui donna naissance à 5 Etats nouveaux, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie-Monténégro et la Macédoine^^ Louvoyant entre le principe des accords de l’Acte final d’Helsinki de 1975 garantissant le maintien des frontières et le principe du respect des minorités, les pays concernés se sont retrouvés devant le phénomène du « réveil » des nationalités devenu ingérable dans des 50 On verra également la conclusion pour le contexte politique post-communiste. 51 C’est pourquoi ce travail s’inscrit dans le cadre du projet I.R.E.N.E., création d’un Institut de Recherche sur les Etats et les Nations en Europe. 52 Pour la reconsidération de l’Europe orientale depuis les événements de l’automne 1989 et la chute du mur de Berlin, outre les nombreux ouvrages cités dans ce travail on verra principalement : L ’E u ro p e d u C e ntre , 5 0 a nn ée s ré v o lu e s ?, dir. N. B  R D O S -F e l t O R O N Y I et M. SUTTON, Bruxelles, 1991 ; L ’E u ro pe d u m ilie u . A cte s d u c o llo q u e o rg a n is é p a r le G ro u p e d e re ch e rc h e s u r l’E u ro p e c e n tra le d e l’U n iv e rs ité d e N a n c y II, s e p te m b re 1 9 8 9 , dir. MASLOWSKI, Presses Universitaires de Nancy, 1991. 53 Jacques RUPNIK, L ’a u tre E u ro p e , C ris e e t fin d u c o m m u n is m e , 1er éd. The Other Europe, 1988, rééd. Odile Jacob, coll. « Points », 1993. 36 Etats-Nations conçus de manière jacobine^**. En effet si l’Etat-Nation fut la solution adoptée au XIXe siècle pour garantir à chaque nation ou peuple son Etat, il montra ses limites en raison de son centralisme ignorant les particularismes des minorités ethniques et confessionnelles. Si cette conception de l’Etat jacobin hérité du XVIEIe siècle et de la Révolution française a montré ses limites au XXe, la conception alternative fédéraliste de l’Etat est considérée souvent comme une tentative de résurgence nationaliste masquée, visant à l’éclatement des frontières et à l’instabUité en Europe. La confrontation en Transylvanie entre les partis ultra-nationalistes roumains comme le P.U.N.R., le Parti de l’Unité Nationale de Roumanie (P a rtid u l U n itd tii n a tio n a le d in R o m â n ia ), le P.R.M., le Parti de la Grande Roumanie {P a rtid u l R o m â n ia M a re ), et TU.D.M.R., le parti magyar, révèle fondamentalement cette différence de conception de l’Etat, les Roumains accusant les Hongrois de vouloir restaurer un empire multinational austrohongrois. C’est dans dans ce contexte que l’on citera les tentatives du « Pacte stabilité » lancé par le premier ministre français Balladur en 1994. Mais on connaît les réticences pour l’intégration à l’Europe fonnulées par certains partis de l’Est et surtout de la part des Eglises orthodoxes^^. Ainsi cette problématique constituera aussi un élément fondamental corollaire à la question des minorités et restera également en toile de fond dans la mesure où l’argumentation de l’Eglise orthodoxe encore aujourd’hui se fonde essentiellement sur un refus de la notion de fédéralisation de l’Etat, à l’opposé de sa conception chrétienne orthodoxe unitariste de l’Etat et basée sur l’« ethnicité » de l’Eglise. Nous serons donc amenés dans les conclusions à aborder cette question qui en réalité demeure aujourd’hui la question prépondérante sur le plan géopolitique de la politique internationale de ces cinq dernières années. En plus de la bibliographie que nous citerons pour les questions des minorités en Roumanie, on vena de manière générale : L es m in o rité s e n E u ro p e . D ro its lin g u is tiq u e s e t D ro its d e l’H o m m e , dir. Henri GlORDAN, Ed. Kimé, Paris, 1992. Cfr. P e rsp e c tiv e s d ’a v e n ir dans la conclusion. 37 On constatera que la bibliographie concernant les minorités en Europe centrale, et en Roumanie en particulier, est abondante^^. En effet, liée à ce problème des minorités, la question du nationalisme au sens large a fait l’objet de nombreuses publications, surtout dans le cadre de l’assimilation des nations cohabitantes. Le problème de la minorité hongroise en Roumanie fut avant la chute du régime un des thèmes qui focalisa l’attention de l’Occident. La bibliographie traite, de manière générale, du statut des minorités^^, de la question des libertés religieuses^^. J. BLAHA, « Regards sur les minorités nationales d’Europe centrale », dans P ro b lè m e s p o litiq u e s e t s o c ia u x , n°439, L a d o c um e n ta tio n fra n ç a is e , Paris 1982 ; J. B l ah A , E. LHOMEL, T. SCHREIBER et M. TOMPA, « Les principales minorités nationales en Europe de l’Est », dans L a d o cu m e n ta tio n fra n ç a is e . N o te s e t é tud es d o c u m e n ta ire s , n° 4793, 1985, pp. 41-79 (URSS et Europe de l’Est, 18) ; S.M. HORAK, E a s te rn E u ro p e a n N a tio n a l M in o ritie s 1 9 1 9 -1 9 8 0 : a H a n d b o o k , Libraries Unlimited, Littleton 1985 ; cfr aussi tous les ouvrages concernant les conséquences sur ce point de la désagrégation de l’empire austro-hongrois : On ne soulignera pas bien sûr le foisonnement d’ouvrages parus depuis la chute du communisme sur ce sujet : N a tio n s , E ta t e t te rrito ire e n E u ro pe d e l’E s t e t e n U R S S , coord. M. ROUX, coll. « Pays de l’Est », l’Harmattan, Paris, 1992 ; L ’E urop e c e n tra le e t se s m in o rité s : v e rs u n e s o lu tio n e u ro p é e n n e ? dir. A. Liebich , A. Reszler (publications de l’Institut universitaire des Hautes Etudes internationales), Genève, Presses Universitaires de France, Paris, 1993. On notera notamment que le dernier ouvrage important général sur les minorités sous la direction d’H. GIORDAN, L e s m in o rité s e n E u ro pe . D ro its lin g u is tiq u e s e t d ro its d e l’h om m e, éd. Kimé, Paris, 1992, ne traite pas des minorités en Roumanie. G . N E U M AN , « Les minorités en Transylvanie. Aspects d’un problème national dans un Etat socialiste », dans R e v ue d e s P a ys d e l’E st, 1971, n°l-2, pp. 195-236 ; Trond G ILBER G , « Ethnie minorities in Romania under socialism », dans E a s t E u ro p e a n Q u a rte rly , vol. 7, 1974, n°4, pp. 435-464 ; G . S. N. B a r bu t a , « Les Roumains et les minorités nationales en Roumanie », dans R e v ue d e s P a y s de l’E s t, n°l, 1977, pp. 19-28, et n°2, 1977, pp. 15-34 ; N. D a S C A L U , « Le statut des nationalités cohabitantes depuis le parachèvement de l’unité d’état des Roumains (1918) jusqu’au second diktat de Vienne (1940) », dans R e vu e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XVII, 1978, f. 4, pp. 709-727 ; G . A R A N Y O SS Y , « Une politique d’anéantissement », dans E s p rit, mars 1978, f. 3, pp. 68-80 ; G . SCHÔ PFIN, L e s H o n g ro is d e R o u m a n ie , ra p p o rt d u m in o rity rig h ts g ro u p , 1979 ; E. ILLYES, N a tio n a le M in d e rh e ite n in R u m a n ie n : S ie b e n b ü rg e n im W a n d e l, Ed. W. Braumüller, Vienne, 1981 ; A. KIN G , « Religion and Rights ; A dissenting minority as a social movement in Romania », dans S o c ia l C o m p ass, 28, n°l, 1981, pp. 113-119 ; « Modemization, Human Rights and Nationalism : the case of 38 ou encore du problèm e souvent évoqué de la coexistence entre m arxism e et religion59. C es études privilégient de m anière générale l’aspect socio-politique. N ous nous intéresserons essentiellem ent quant à nous à la doctrine de l’Eglise orthodoxe en ces m atières. Romania », dans T h e p o litic s o f E th n ic ity in E a s te rn E u ro p e (East European Monographs), Boulder, Columbia University Press, New York 1981, pp. 185-214 ; D.E. ARNOLD, Le 5 p ro b lè m e s n a tio n a u x e n R o u m a n ie , Paris, 1983 ; M. BERINDEI, « Les minorités nationales en Roumanie », dans R o u m a n ie : c ris e e t ré p re s s io n , l’Alternative, supplément au n°20, janv. 1983, pp. 56-66 ; J. SCHULTZ, « Le problème des nations en Transylvanie », dans N a tio n s , E ta t e t te rrito ire e n E u ro p e d e l’E s t e t e n U R S S , coord. M. ROUX, coll. « Pays de l’Est », l’Harmattan, Paris, 1992, pp. 163-174. J.H. C O C K .B U R N , R e lig io n s F re e d o m in E a s tern E u ro p e , Richmond UA : John Knose Press, 1953 ; P. ANDERSON, « Religions Liberty under Communism », dans J o u rn a l o f C h u rc h a n d S ta te, t. 6, 1964, pp. 169-177 ; Thomes SCHREIBER, « Les problèmes religieux en Europe orientale 1945-1970 », dans N o te s e t E tu d e s D o c u m e n ta ire s , Paris 1971 ; R.R. KiNG, « Tenitorial autonomy and cultural rights : Romania », dans M in o ritie s u n d e r c o m m u n is m , Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 1973, pp. 146-149 ; T o lé ra n c e a n d M o v e m e n ts o f R e lig io n s D is s e n t in e a ste rn E u ro pe , édit. B. KIRALY, Boulder-East European Quarterly, New York, 1975 ; R. B a C S V A R Y , « Les minorités nationales et l’Eglise catholique romaine en Roumanie », dans C o n c ilium , n°174, avril, 1982, pp. 45-55. Ce thème a été développé dans le cadre des minorités confessionnelles à l’Est par différents courants idéologiques et politiques pour des raisons les plus diverses, on veira notamment les nombreuses études c o m v c itV a rie tie s o f c h ris tia n -m a rx is t d ia lo g u e , édit. Paul MOJZES, Philadelphia ; The Ecumenical Press, 1978 ; P. MOJZES, « Christian-Marxist dialogue in eastern Europe : 1945-1980 », dans O c c a s io n a l P a p e rs o n R e lig io n in E a s te rn E u ro p e , t. 4, n°4, 1984, pp. 13-53 ; ID., C h u rc h a n d S ta te in p o s tw a r e a s te rn E u ro p e , a b ib lio g ra p h ic a l s u rv e y , Londres, Greenwood Press, 1987 (Bibliographies and Indexes in Religions Studies, n°ll) ; ID., « Impact of the eastern european Churches upon their own societies », dans O c c a s io n a l p a p e rs o n R e lig io n in E a s te rn E u ro p e , t. 2, n°7, nov. 1982, pp. 1-25 ; ID., « Marxism and religion in the West », dans M o v e m en ts a n d is s ue s in w o rld re lig io n s , a s o u rc e b o o k a n d a n a ly s is o f d e v e lo p m e n ts s in c e 1 9 45 , R e lig io n , id e o lo g y a n d p o litic s , éd., Wei-hsun fu Ch., G.E. S p i e g l er , Greenwood Press, New York, Westport, Connecticut, Londres, 1987, pp. 311-331 ; M a rx is m a n d R e lig io n in e a s te rn E u ro p e , p a p e rs p re s e n te d a t th e B a n ff In te rn a tio n a l S la v ic c o n fé re n c e , se p t. 4 -7 , 1 9 74 , éd. R. DE GEORGE, J.P. SCANLAN, Sovietica, D. Reidel, Dordrecht-Holland and Boston, 1976. 39 7. Une histoire au caractère polémique inévitable ? Le sujet de cette recherche suscite la polémique. La proximité des événements étudiés peut l’expliquer en premier lieu. L’ensemble de la période communiste et les événements qui y sont rattachés suscitent bien des débats souvent passionnés en fonction des options politiques et de l’appartenance confessionnelle ou nationale des chercheurs. Ce caractère polémique est renforcé, tant les prémisses — comme le lien entre laïcité et démocratisation— , reposent sur une option politique qui ne fait pas l’unanimité, tant le « jugement » qu’elles impliquent est complexe. En effet, si l’historien ne doit se contenter que d’une exposition des faits et des données, il est contraint, dans un cas comme celui-ci, à porter en fin de compte un « jugement » sur l’évolution démocratique et les fondements culturels déterminants de la société. La presse roumaine s’est fait l’écho du caractère inacceptable du jugement occidental sur la démocratie roumaine et le rôle qu’y occupe l’Eglise orthodoxe. On le verra, la littérature orthodoxe excelle par son caractère polémique à l’époque communiste, et aujourd’hui ce caractère atteint parfois des paroxysmes inégalés accusant les commentateurs étrangers d’avoir une démarche à peine « journalistique », et malhonnête^® On verra la 60 On verra le texte en annexe de la revue O rth o d o x C h iirc h N e w s. 40 radicalisation de la position de l’Eglise orthodoxe à propos de l’Eglise uniate depuis 1989 par exemple. En outre, une « séparation » — mais encore faut-il s’entendre sur ce concept de séparation, nous verrons à ce sujet la contre-argumentation orthodoxe — , entre l’Eglise et l’Etat peut constituer, à l’inverse de la thèse énoncée dans ce travail, un frein au processus de démocratisation de l’Etat. On verra toute l’ambiguité depuis 1989 des concepts de « renaissance spirituelle » et de « démocratie chrétienne », indispensables pour une « remoralisation » de la société et jugés nécessaire à la démocratisation de l’Etat. Se pose en réalité toute la question de l’application d’un modèle occidental de « laïcité » dans une société qui conçoit ces rapports avec le religieux en d’autres termes. De plus, aborder les problèmes liés à la religion orthodoxe et au nationalisme entraîne inévitablement la réticence des mouvements nationalistes roumains, et on sait combien ceux-ci sont présents en Roumanie, et surtout à Cluj en Transylvanie. Dans un contexte où des partis ultra-nationalistes tels le P.U.N.R., le P.R.M., et l’Union V a tra ro m â n e a s ca (le « foyer » ou l’« âtre » roumain), trouvent un certain écho dans l’orthodoxie actuelle, où le maréchal pro­ fasciste Ion Antonescu fait figure de héros national parce qu’il sauva la Roumanie d’une invasion hitlérienne et reconquit la Bessarabie en 1941 par la « guerre de la réintégration » (R a z b o iu l p e n tru re în tre g ire a ), aborder les questions qui concernent les totalitarismes et l’im plication des E glises dans les dictatures est une opération dangereuse. A lors que le com m unism e im posa une vision stéréotypée et dogm atique de l’histoire, les tendances actuelles sont à la source d’un nouveau révisionnism e, surtout pour l’histoire récente et l’entre-deuxgueiTes. Il n’est donc pas étonnant que l’on trouve dans un journal comme C o tid ia n u l, un organe de presse officiel, une dénonciation virulente du livre de H. Bogdan, H is to ire d e s p a y s d e l’E st. Le journaliste dans un article F a ls u ri is to ric e, c a lo m n ii p o litic e , citant l’affirmation d’H. Bogdan relative à la fracture entre l’Occident latin et l’Orient grec, catholique et protestant d’une part, orthodoxe d’autre part, sur le plan de la démocratisation de l’Etat, relève « les attaques 41 perverses à l’adresse des Roumains Le journaliste soulève évidemment la question de savoir si dans ce cas la Transylvanie devrait devenir un Etat indépendant. On comprend par ce simple exemple qu’une question relevant au dépait de problèmes doctrinaux et idéologiques religieux implique inévitablement de graves conséquences pour la survie de l’Etat et l’intégrité des « identités ». Ainsi, dans un contexte mouvant et émotionnel tel que le climat post-révolutionnaire en Roumanie, où tous les fondements de la société sont remis en cause, structurellement, économiquement ou idéologiquement, évoquer comme nous l’avons déjà souligné le problème religieux et l’histoire de l’Eglise, restée seule référence et fondement de l’« identité nationale », provoque des réactions légitimes de défense, a fo rtio ri vis-à-vis d’un historien extérieur occidental. Etudier « du dehors » un phénomène conçu comme « intérieur », catégories que nous relèverons dans la conception orthodoxe^^, provoque des réticences d’autant plus grandes qu’il existe un courant anti-occidental et anti-catholique, largement diffusé par une certaine presse, dont la presse orthodoxe officielle, mais aussi des mouvements fondamentalistes ou politiques d’extrême droite. On constatera également qu’il existe des dénonciations inverses relatives à l’attitude des catholiques par rapport à la notion d’Etat ; l’attitude du Vatican accusé de « césaropapisme », les démonstrations montrant qu’en réalité l’Eglise orthodoxe a toujours été autonome par rapport à la structure de l’Etat, alors que le catholicisme offre avec le Vatican l’exemple type d’une Eglise confondant spirituel et temporel. Le pape ayant collaboré avec le nazisme, le fascisme et le franquisme, agent de l’impérialisme américain, devenait l’incarnation de l’alliance du trône et de l’autel, des «deux glaives» — «sophistication catholique» pour les orthodoxes du césaropapisme romain — , véritable frein à la démocratie. L’Eglise Orthodoxe Roumaine fidèle Constanta MUNTEANU, « Falsuri istorice, calomnii politice », dans C o tid ia n u l, an. IV, n°191, 16 août 1994, p. 2. 62 Cfr. la conclusion, point I. 42 aux thèses soviétiques, était par son organisation fondamentalement « démocratique et populaire Dans ce contexte, la sérénité doit être de mise et on comprend que le parcours soit plus que jamais jalonné d’embûches, d’autant que ce type d’idéologie et de propagande a largement survécu après 1989, bien que dans d’autres termes. 63 On verra par exemple un ouvrage de référence sur le plan de la propagande soviétique comme le livre de M. C h Moscou, s. d. e in m a n , L e V a tic a n c o n te m p o ra in , éd. en langues étrangères, II. REMARQUES PRELIMINAIRES CONCERNANT L’HISTORIOGRAPHIE ROUMAINE 1. La fracture historiographique de l’Europe Le poids du rideau de fer sur l’historiographie est une évidence. L’inexistence de relation sérieuse entre l’Occident et l’Orient pour la recherche scientifique a été extrêmement préjudiciable. La méconnaissance des histoires nationales de l’Est en Occident est à ce point de vue révélateur. L’historiographie et la bibhographie occidentales concernant les religions dans les pays de l’Est sont importantes^. Le climat de guerre froide a contribué à une prolifération de travaux à ce sujet. Cependant, ces études sont souvent dictées par les impératifs politiques de la tension. Nous verrons en outre que pour la littérature de l’Est, l’histoire des religions fut exploitée de 64 Cfr ce qui a déjà été dit pour la bibliographie relative aux minorités et aux Eglises à l’Est. 44 manière systématique sur le plan de la propagande, mais que de manière générale, elle reste à faire^^. Dans le cas des religions dans les Balkans, la situation est légèrement différente. Les pays où la religion catholique est dominante, ont focalisé l’attention. Pour l’orthodoxie, c’est le cas exemplaire de l’Union soviétique. Ainsi, la bibliographie pour les pays aux marches de la latinité et de la Russie, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie, sont souvent beaucoup plus traités que les pays du Sud-Est de l’Europe. Le cas de Balkans est par contre plus complexe. Si l’on s’intéresse aux époques plus anciennes, on constate que l’historiographie des Balkans se résume souvent à une vision monolithique de la période ottomane. Alors que les pays de l’Est « occidentaux », inclus par le passé dans les empires occidentaux, ont fait l’objet d’études plus nombreuses, on se rend compte que pour la période post-byzantine, les pays des Balkans semblent tomber dans l’oubli. Cette situation est due principalement a des causes méthodologiques, et sans doute à un intérêt particulier pour les pays catholiques plus « proches » de l’Occident. Les difficultés liées aux connaissances requises sur le plan linguistique, par exemple, lorsqu’on aborde la période ottomane, expliquent en partie cette situation. Mais il suffit aussi d’évoquer le problème d’accessibilité aux archives locales qui n’ont pas connu de rationalisation et de conservation comme dans nos régions en raison des circonstances politiques et historiques. Ainsi des pays tels que la Roumanie, mais aussi la Serbie, les autres républiques ex-yougoslaves, l’Albanie, et la Grèce dans une moindre mesure, souffrent, pour la période moderne et contemporaine, de cette situation. En plus des difficultés matérielles d’accessibilité aux sources, leur approche sur le plan de la technique historique, diplomatique, chronologique, paléographique et archivistique, se retrouve entravée par le manque de répertoires et d’outils de travail. Cette carence a fait de 65 De manière très générale on verra les deux bibliographies suivantes : A m e ric a n B ib lio g ra p h y o fS la v ic cm d E a s t-E u ro p e a n S tu d ies (American Association for the Advancement of Slavic Studies) ; E u ro p e a n B ib lio g ra p h y o f S o vie t, E a s t-E u ro p e a n a n d S la v o n ie S tu die s, éd. de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Institut d’Etudes Slaves, Paris, 1975-1981. 45 l’histoire des Balkans le parent pauvre de l’historiographie moderne en Europe. La complexité des langues, mais aussi des usages paléographiques — comme par exemple l’utilisation du cyrillique en roumain jusqu’au XIXe siècle, avec toutes ses particularités régionales et l’usage du calendrier julien jusqu’en 1923 —, et les problèmes dus aux confluences culturelles, à l’origine de problèmes dans le domaine des sciences auxiliaires de l’histoire, sont des obstacles importants pour l’historien occidental. Pour l’historien « local », les totalitarismes des régimes fascistes d’entre-deux-guerres, puis communistes empêchèrent également le développement d’une recherche scientifique sereine et entravèrent en tous les cas sa diffusion en Europe occidentale. Si la présence du rideau de fer marque de manière caricaturale la fracture entre les « deux Europes » sur le plan de l’historiographie, c’est plus profondément l’originalité et les richesses de l’histoire de l’« Autre Europe », souvent éloignée des préoccupations scientifiques occidentales, qui déterminent les difficultés méthodologiques et idéologiques. Le cas de l’histoire des religions en est évidemment un exemple parmi les plus significatifs. 46 2. L’impact de Thistoriographie roumaine marxiste-léniniste L’impact de l’historiographie soviétique est certainement la première chose qui frappe celui qui s’intéresse à l’histoire des pays de l’Est, c’est une lapalissade. Cependant, il est important d’insister sur le fait qu’en réalité il s’agit d’un problème relativement mineur. En effet, les prérequis en la matière ont le mérite d’être simples et clairs. La subdivision matérialiste dialectique de l’histoire pai' les historiens roumains^^ en périodes « commune primitive », « esclavagiste », « féodale », « bourgeoise » et « socialiste » présente un schéma clair, relativement aisé à décoder^^. La périodisation de l’histoire de la Roumanie est donc la suivante®^ : la commune primitive pour la préhistoire, esclavagiste pour l’antiquité daco-romaine, la période féodale 66 On veiTa outre la bibliographie (cfr. in fra ) : E n c ic lo p e d ia is to rio g ra fie i ro m â n e s fi, Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1978 ; Robert DEUTSCH, Is to ric ii sf s jiin ta is to ric d d in R o in â n ia , 1 9 4 4 1 9 69 , Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1970. 67 c., « Die sowjetische Umdeutung der rumânischen Geschichte », dans S a e c u lu m , t. 11, 1960, f. 3, pp. 220-246 ; cfr. aussi : P. SIMIONESCU, H. PAPDIOU, « Comment le musée national de Bucarest racontait l’histoire », dans A l’E st, la m é m o ire re tro u v é e , dir. A. BROSSAT, S. COMBE, J.Y. POTEL, J.C. SZUREK, Ed. La Découverte, Paris, 1990, pp. 212228. 68 Sur le plan bibliographique pour l’histoire de la Roumanie on verra principalement en premier lieu ; L e s é tu de s s u d -e s t e urop ée nn es e n R o um an ie, g u id e d e d o c u m e n ta tio n a v e c u n e jusqu’à la chute du régime phanariote en 1821 qui mit fin à la domination des Grecs du quartier du Phanar de Constantinople assujettis aux Sultans de la Sublime Porte. A ce moment commence l’époque moderne et bourgeoise et en 1918, l’histoire contemporaine, avec la création de la Grande Roumanie. La période socialiste commence, elle, le jour de l’entrée des troupes de « libération » soviétiques le 23 août 1944 en Roumanie annonçant l’instauration du régime populaire le 30 décembre 1947. On verra le retour aujourd’hui à de nouvelles in tro d u c tio n p a r V . C â n d e a (le congrès international d’études balkaniques et sud-est européennes, Sofia, 26 août-le septembre 1966), Comité national roumain d’Etudes du sud-est européen, Bucarest, 1966 ; Is to ria R o m â n ie i, G h id b ib lio g ra fic . C u v în t în a in te d e M irc e a Tom escu, Universitatea Bucuresti, Bucuresti, 1968. P. SiMIONESCU, « Un guide bibliographique pour l’histoire du moyen âge et des temps modernes de la Roumanie », dans R u m a n ia n Cr a c h in S tu d ie s , t. 1, 1970, pp. 173-225 ; B ib lio g ra fia is to ric a a R o m â n ie i, dir. I. , S P a s C U , 6 vol., Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1970-1980 ; B ib lio g ra fia lu c rà rilo r s tiin tific e a le c a d re lo r d id a c tic e , Universitatea Bucuresti, S é ria is to rie , édit. L. RAUS et R. CALCAN, vol. 1-2, Biblioteca centrala Universitarà, Bucuresti, 1970 (29). R. DEUTSCH, Is to ric ii s i s tiin ta is to ric a d in R o m â n ia 1 9 44 -1 9 6 9, Ed. Stiintificâ, Bucuresti, 1970 ; P. CERNOVODEANU, P. SIMIONESCU, « Essai de bibliographie sélective concernant l’histoire de la Roumanie », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. IV, 1965, pp. 641-663, et t. V, 1966, pp. 547-572. C. BÀLAN « Nouvelles recherches dans le domaine des disciplines auxiliaires de l’histoire », dans R e v ue R o u m a in e d ’H is to ire , t. II, 1963, 2, , pp. 387-408. On verra aussi : B.P. HASDEU, Is to ria c ritic d a R o m â n ilo r, Ed. Minerva, Bucuresti, 1984. Pour l’histoire de la Roumanie on consultera en premier lieu l’oeuvre monumentale suivante, bien que communiste elle n’en reste pas moins très utile ; Is to ria R o m în ie i, 4 vol., Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 19611964 ; M. C O N S T A N T IN E S C U , C . D a i c o v ic iu , S PASCU, Is to ria R o m â n ie i, Bucuresti, 1968, traduction française. H is to ire d e la R o u m a n ie d e s o rig in e s à n o s jo u rs , éd. franç. dir. G. CASTELLAN, Harvart et Sirey, Paris, 1970 ; Is to ria p o p o ru lu i ro m â n , dir. A. OlETEA, Ed. Stiintificâ, Bucuresti, 1970, version anglaise \T h e h is to ry o fth e R o m a n ia n p e o p le , New York, 1975. On verra également la monographie suivante, qui bien que dans les éditions modernes accessibles, elle ait été également « revue et corrigée » : C.C. GlURESCU, D.C. GlURESCU, Is to ria R o m â n ilo r, d in ce le m a i v e c hi tim p u ri p în a a s ta z i, 2e éd., Ed. Albatros, Bucuresti, 1975. Cfr. pour les ouvrages de l’entre-deux-guerres bien sûr les travaux de Nicolae lORGA : H is to ire d e s R o u m a in s e t d e la ro m a n ité o rie n ta le , 10 vol., Bucarest, 1937-1945, éd. roumaine, Is to ria R o m â n ilo r în ze ce vo lum e , le éd., 10 vol., Bucuresti, 1936-1939, tip. Datina româneascâ (en cours de réédition). 48 subdivisions inspirées des classifications anciennes^^. On ne retrouve pas la classification telle qu’on la connaît dans nos régions. Il s’agit en fait de subdivisions qui peuvent varier selon les auteurs, comme dans le dernier ouvrage sur l’histoire de la Roumanie de V. Georgescu : l’antiquité dure jusqu’au XlVe siècle lorsque commence le moyen âge ; le moyen âge comprend la période du XlVe siècle au début du XVnie siècle ; le XVnie siècle est celui du despotisme et de « l’illuminisme » (1716-1831) ; la renaissance (1831-1918) ; l’époque contemporaine commence en 1918. En réalité, on constate que les historiens qui n’entrent pas dans le cadre marxiste-léniniste adoptent des classifications plus ou moins fluctuantes inspirées des anciennes classifications d’avant 1948 comme celle de l’historien A. D. Xenopol ; le moyen âge est envisagé comme la période de slavisation, XlVe siècle - XVIIe siècle ; l’époque moderne est celle de l’influence grecque, XVIIe - 1821 ; l’époque contemporaine, c’est l’époque du « roumanisme Quant à N. lorga, il prend les critères de subdivision suivants : les périodes de « slavisme », d’« hellénisme » et de « roumanisme ». Pour notre point de vue, cet aspect devait être souligné pour monü'er combien la perception de l’histoire, les critères et le cadre de l’évolution, sont en Roumanie différents de ce que nous connaissons, et nous devrons en tenir compte^ On signalera aussi le problème des rééditions d’ouvrages anciens à l’époque communiste. Les rééditions ont fait l’objet de révisions complètes, de transformations parfois en profondeur. On citera l’exemple de l’ouvrage de C. C. Giurescu paru en 1935-1940, réédité sous différentes 69 Vlad GEORGESCU, Is to ria R o m à n ilo r d e la o rig in i p in d în z ile le n o a s tre , 3e éd, le éd. American-Romanian Academy of Arts and Sciences, 1984., coll. « Historia Magistra Vitae », Humanitas, Bucuresti, 1992 ; on verra la réédition récente en anglais, T h e R o m a n ia n s . A H is to ry , Ohio State University Press, Columbus, 1991. A.D. XENOPOL, H is to ire d e s R o u m a in s d e la D a c ie tra ja n e d e p u is le s o rig in e s ju s q u ’à T u n io n d e s P rin c ip a u té s e n 1 9 5 9 , 2 vol., Paris, 1896. 71 Cfr. les trois volumes de E. LOVINESCU, récemment réédités, Is to ria c iv iliz a tie i ro m a n e m o d e rn e , vol. 1 ; F o rte le re v o lu tio n a re , vol. 2 ; F o rte le re a c tio n a re , vol. 3 : L e g ile fo rm a tie i c iv iliz a tie i ro m a n e , Biblioteca pentru toti, Ed. Minerva, Bucuresti, 1992. formes après 1948, dont la partie sur le communisme constitue une véritable apologie du régime^^. Ceci n’est pas sans poser de nombreuses difficultés sur le plan de l’approche de la littérature roumaine, et doit inciter une fois de plus à une extrême prudence. S’il est évident que l’histoire socio-économique, celle des réformes agraires, de l’industrialisation, de la « féodalité », des révoltes populaires, est l’apanage de cette historiographie au détriment de l’histoire des cultures, des religions en l’occurence, la lecture de l’historiographie reste relativement compréhensible. Cependant, le caractère « nationalcommuniste », surtout déclaré depuis la déstalinisation qui engendra une histoire « nationale », avec toutes ses complexités est par contre la principale pierre d’achoppement de l’historiographie. C.C. GlURESCU, Is to ria ro m â n ilo r, 3 vol. Bucuresti, 1935-1940, 2 vol. 1946 ; réed. en 1 vol. en allemand : C.C. GlURESCU, D.C. GlURESCU, G e s c h ic h te d e r R u m â n e n , Bucarest, 1980 ; en roumain : ID., Is to ria R o m â n ilo r, d in c e le m a i v e c h i tim p u ri p în d a s td z i, 2e éd., Ed. Albatros, Bucuresti, 1975. 50 3. Domination de l’histoire nationale et « nationaliste » : la th è s e de « fa ls ific a tio n la c o n tin u ité v o lo n ta ire d a c o -ro m a in e du p e u p le » d e l’h is to ire h o n g ro is e d e ro u m a in et la la R o u m a n ie Comme nous allons le voir pour la Roumanie, l’histoire des pays balkaniques est dominée par des histoires nationales^^. En effet, dans la tourmente des nationalismes, de la naissance, somme toute récente au regard de l’histoire, de pays qui se sont libérés de la tutelle ottomane, les historiens se sont attelés à défendre des thèses qui devaient justifier l’identité culturelle des pays nouvellement créés à la fin du XIXe siècle, ainsi que leur intégrité territoriale. Ce problème se pose de manière différente sous les régimes communistes, mais toutefois non sans continuité. Si l’intégrité territoriale ne devait en théorie plus faire de doute "73 On verra la collection d’articles d’auteurs de l’entre-deux-guerres réédités en 1993 : P re le g e ri u n iv e rs ita re in a u g u ra le . U n s e c o l d e g în d ire is to rio g ra fic a ro m â n e a s c d (1 8 4 3 -1 9 4 3 ), Ed. Universitatii « Al. L. Cuza », lasi, 1993 et le livre de Pompiliu TEODOR, Is to ric i ro m â n i sJ p ro b lè m e is to ric e , Fundatia culturala « Cele trei crisuri », Oradea, 1993. On verra par ex. : L ’a ffirm a tio n d e s E ta ts n a tio n a u x in d é p e n d a n ts e t u n ita ire s d u c e n tre e t d u s u d -e s t d e l’E u ro p e (1 8 2 1 -1 9 2 3 ), coord. V . M O IS U C , I. C a l 62), Ed. A.R.S.R., Bucarest, 1980. af ETEANU (Bibliotheca Historica Româniae, Etudes dans le cadre du Pacte de Varsovie, l’idéologie nationale-communiste roumaine reprit la thèse de la continuité daco-romaine à partir des années soixante-dix surtout. La thèse de la continuité daco-romaine du peuple roumain constitue l’épine dorsale de toute l’historiographie roumaine contemporaine^^. Elle présente un canevas pour l’argumentation historique et constitue l’arrière-fond des problématiques envisagées. Elle On ne compte plus les ouvrages à ce sujet, on citera en plus des ouvrages généraux sur la Roumanie dont la thèse de la continuité est l’enjeu principal, les plus importants, outre les ouvrages panas depuis 1989 dans le contexte de la légitimation historique post-révolutionnaire cités dans la conclusion au point II. : la réédition du livre de G. I.BRATIANU, O e n ig m a sJ u n m ira c o l is to ric : P o p o ru l ro in â n , 2e éd., Bucuresti, 1988, version franç. :U n e é n ig m e e t u n m ira c le h is to riq u e : L e p e u p le ro u m a in , Bucarest, 1937.1.1. RUSSU, E th n o g e n e z a R o m â n ilo r. F o n d u l a u to h to n tra c o -d a c ic sJ c o m p o n e n ta la tin o -ro m a n ic d , Ed. Stiintifica si enciclopedica, Bucuresti, 1989 ; Mircea MuSAT, Ion ARDELEANU, D e la s ta tu l G e to -d a c la s ta tu l ro m a n u n ita r, Ed. Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti, 1983. A. ARMBRUSTER, L a ro m a n ité d e s R o u m a in s , h is to ire d ’u n e id é e (Bibliotheca Historica Romaniae, Monographies, XVII), Ed. A.R.S.R., Bucarest, 1977 ; U n ita te sJ c o n tin u ita te în is to ria p o p o ru lu i ro m â n , dir. D. BERCIU, A.R.S.R., Bucuresti, 1968 ; Constantin C. GlURESCU, L a fo rm a tio n d e l’E ta t n a tio n a l u n ita ire ro u m a in , 2e éd., Ed. Meridiane, Bucarest, 1975 ; Vasile NETEA, C o n s ü in ta o rig in ii c o m u n e s f a u n itd n i n a tio n a le în is to ria p o p o ru lu i ro m â n , Ed. Albatros, Bucuresti, 1980. On citera le fascicule suivant, exemplatif de la polémique et de la propagande : J.C. D r a G AN , Les R o u m a in s , p e u p le m u ltim illé n a ire d e l’E u ro p e (Centre europeo di richerche storiche di Venezia), Ed. Europe, Rome, 1983 (cfr. conclusion) et l’ouvrage paru en Occident : Platon CHIRNOAGA, Is to ria D a c ie i s f c o n tin u ita te a d a c o -ro m a n a , Ed. Traian Popescu, Madrid, 1971 ; on verra aussi comme exemple le livre du général-lieutenant Ilie CEAUSESCU, L a T ra n s y lv a n ie , a n c ie n n e te rre ro u m a in e , Ed. Militaires, Bucarest, 1983. On verra dans l’historiographie roumaine d’avant l’instauration du communisme, les deux volumes suivants ; L a T ra n s y lv a n ie , Institut d’Histoire Nationale de Cluj, Académie Roumaine, II, Bucarest, 1938 ; L a T ra n s y lv a n ie , Université Roumaine de Cluj, Centi^ d’Etudes et de Recherches Relatives à la Transylvanie, Ed. Boivin et Cie, Paris, 1946 et S. MEHEDINTI, « Ce este Transilvania ? », dans B ib lio te c a re v is te i is to ric e ro m a n e , IV, imprimeria nationala, Bucuresti, 1940. On verra de manière générale pour l’histoire de la Transylvanie avant la seconde guerre mondiale : 1. CRACIUN, « Bibliographie de la Transylvanie roumaine, 1916-1936 », dans R e v u e d e T ra n s y lv a n ie , t. 3, 1937, n°4 (Cluj). constitue en fin de compte un véritable dogme historique, une sorte de « vérité axiomatique », pour reprendre une expression couramment utilisée en Roumanie, qu’il est dangereux de remettre en cause, ses implications étant d’une importance capitale, aussi bien sur le plan politique que sti'atégique. Le cas de la Transylvanie en est l’exemple^^. U s’agit en réalité d’une thèse qui connut son essor au XVIIIe siècle à l’époque de la S c o a la a rd e le a n a , l’« Ecole transylvaine », aussi dénommée l’« Ecole latine ». Cette thèse fut développée au XVIIIe siècle en Transylvanie d’abord, afin de montrer l’originalité des Roumains de cette région dominée par les « trois nations » médiévales, les Magyars, les Saxons et les Sicules, selon le principe de V U n io triu m n a tio n w n . Les Roumains, descendants des Daces, peuple thrace, romanisés et latinisés par les légions de Trajan au Ile siècle, sont de langue latine. Es occupaient ainsi la Dacie antique, soit à peu près la Roumanie actuelle. Ainsi, bien qu’ayant connu des invasions multiples, le « miracle » roumain veut que les habitants actuels de la Roumanie soient les héritiers directs de ces Daco-romains, les « ancêtres du peuple roumain Le problème est le suivant. D’abord, il n’existe aucune source écrite concernant les Roumains de la fin du bas-empire jusqu’au bas moyen âge lors de la formation des premiers F. FEJTO, « Une province disputée : la Transylvanie », dans E s p rit, mars 1978, f. 3, pp. 64-67. C. C. GruRESCU, T ra n s y lv a n ia in th e h is to ry o f R o m a n ia , Gamstone Press, Londres, 1967. C’est ce qui explique l’intérêt extraordinaire de l’historiographie roumaine pour l’antiquité dace et l’archéologie, seule science historique capable de pallier au « silence des sources » pour le haut moyen âge roumain, et l’intérêt pour les témoignages étrangers de la latinité ou romanité des Roumains. On verra notamment le livre de Mircea MUSAT, historien ultra-nationaliste après 1989, mais officiel sous Ceausescu, S o u rc e s e t té m o ig n a g e s é tra n g e rs s u r le s a n c ê tre s d u p e u p le ro u m a in . R e c u e il d e te x te s , Ed. A.R.S.R., Bucarest, 1980. Pour l’archéologie on verra en plus des revues D a d a , R e v u e d ’a rc h é o lo g ie e t d ’h is to ire a n c ie n n e , et T h ra c o -D a c ic a de l’Institutul de tracologie de l’Académie roumaine. Dan Gh. TEODOR, T e rito riu l e s t-c a rp a tic în v e a c u rile V -X I e .n . C o n trib u tii a rh e o lo g ic e s j is to ric e la p ro b le m a fo rm a rii p o p o ru lu i ro m â n , Ed. Junimea, lasi, 1978. 53 Etats roumains, c’est ce que l’on appelle le « millénaire obscur Deuxièmement, les Magyars qui se sont installés en Europe au IXe siècle ont occupé la Transylvanie dès leur arrivée. L’historiographie hongroise montre qu’à cette époque la Transylvanie était un pays « désert », ainsi que les autres principautés, et que les Roumains sont en réalité des pasteurs venant du sud du Danube qui ont immigré dans l’espace carpatique nord-danubien plus tard, à partir du Xle siècle. Ainsi leur langue, en réalité une langue illyro-balkanique parente de l’albanais, nous y reviendrons à propos de la langue roumaine, ne se serait latinisée que bien plus tard au XVIIIe siècle à l’époque de l’Ecole transylvaine ou « Ecole latine ». Le mythe de la continuité ne serait alors qu’un prétexte à une revendication territoriale pour l’union des principautés en 1859^^ et surtout la Grande Union de la Transylvanie avec la Moldavie et la Valachie en 1918^^. Dans sa vocation unitaire nationale, le symbole de la Roumanie devenait naturellement la colonne Trajane de Rome, relatant la conquête de la Dacie par les légions romaines. L’ethnogenèse du peuple roumain fut caractérisée par la symbiose entre la latinité romaine et le 77 BREZEANU, « Les Roumains et le “ silence des sources ”, dans le “ millénaire obscur ” », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XXI, 1982, juil.-déc., f. 3-4, pp. 387-403. 78 Stelian NEAGOE, Is to ria u n irii R o m â n ilo r. D e la în c e p u tu ri la C u z a V o d a , Ed. Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti, 1986. Cfr. aussi S tu d ii p riv in d u n ire a p rin c ip a te lo r, Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 1960. 79 On verra principalement Pompiliu TEODOR, « Istoriografia unirii Transilvaniei eu România », dans Is to ric i ro m â n i..., o p . c it., pp. 182-192.1. LUPAS, Is to ria u n irii R o m â n ilo r, 2e. éd., Ed. Scripta, Bucuresti, 1993 (rééd. de 1938). On verra deux exemples d’ouvrages particulièrement révélateurs de l’historiographie communiste : D e s d v îrs ire a u n ifie d rii S ta tu lu i n a tio n a l ro m â n . U n ire a T ra n s ilv a n ie i e u v e c h e a R o m â n ie , réd. Miron CONSTANTINESCU, Stefan P a s C U , Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1968, comme celui d’un des historiens qui compte parmi les plus officiels du régime communiste ; Stefan PASCU, M a re a a d u n a re n a tio n a lâ d e la A lb a Iu lia . In c u n u n a re a id e ii, a te n d in te lo r s i a lu p te lo r d e u n ita te a p o p o ru lu i ro m â n , Universitatea « Babes-Bolyai » din Cluj, Cluj, 1968. En français, on verra : Vasile N e t R é u n io n d e la T ra n s y lv a n ie à la R o u m a n ie , Ed. Meridiane, Bucarest, 1968. 54 ea , peuple dace multimillénaire présent dans ce qui devait devenir la Roumanie, comme la Transylvanie, « le coeur de l’espace ethnique roumain Nous reviendrons plus en détail sur cette question dans le chapitre concernant l’Eglise orthodoxe et la nation roumaine. Il est important d’avoir déjà ces notions à l’esprit : sur ce schéma se construit toutes les argumentations, en matière religieuse, démographique, linguistique, sü'atégique, militaire, étymologique, e tc . Cette thèse conditionne aussi le choix des sujets traités, et on ne peut s’étonner de voir une prolifération d’études sur l’antiquité et la Dacie, la permanence de la romanité ou de la roumanité dans les deux voïvodats nord-danubiens et en Transylvanie. On ne s’étonnera pas de voir dès lors la littérature marquée pai’ des notions « anachroniques » pour des périodes anciennes, du haut moyen âge jusqu’aux temps modernes, comme « lutte nationale », « émancipation du peuple », « conscience nationale », « Etat », « Nation », e tc . La thèse de la continuité daco-romaine avait pour objectif au XVIIIe siècle de montrer l’antériorité des Roumains sur le sol de l’ancienne Dacie, par rapport aux Hongrois, mais aussi aux peuples slaves des Balkans. Cette théorie historique fut exploitée au XIXe siècle dans le cadre des luttes nationales qui menèrent à l’unification de tous les Roumains en 1918. Elle servit entre-deux-guerres à légitimer la Grande Roumanie. Le « dacisme » fut repris sous Ceausescu dans le cadre de l’isolationnisme de la Roumanie, avec le slogan devenu célèbre « la Roumanie, une île latine dans un océan slave ». Les années quatre-vingt virent son exploitation dans le cadre de ce que l’on appelle l’« autochtonisme » ou le « protochronisme », montrant les origines thraces du peuple roumain. Cette thèse doit en fait montrer l’antériorité des Roumains par rapport à tous les peuples voisins. L’historiographie communiste privilégia l’histoire de l’antiquité, et l’on constate dans l’historiographie des « trous » dans l’histoire, des domaines ignorés entravant en fait la notion de continuité roumaine, par exemple toute la question des apports slaves et bulgares dans les principautés roumaines lors de l’empire valaco-bulgare. 80 Comme le souligne I. LUPAS, L a T ra n s ylv a n ie , c o e u r d e la v ie ro u m a in e , Bucarest, 1942, p. 5. 55 Cependant, il faut souligner que si cette fameuse thèse comporte un caractère très « XIXe siècle » — on songera aux argumentations et thèses belges concernant la légitimité de la création de l’Etat belge après 1830 —, elle repose sur une certaine logique, et dénudée de son caractère revendicatif et polémique, elle n’est pas sans fondement. Il est évident que cette thèse est devenue un véritable dogme. C’est un exemple de l’idéologisation de l’histoire pour légitimer l’existence d’une nation, idéologisation qui relève du mythe historique fondateur. L’argumentation hongroise montre que le retrait complet des colons romains au nie siècle, le « retrait aurélien », après la suppression totale de la population dace a laissé un pays désert. Les Roumains ne seraient issus que de migrations aux Xe, Xle, Xüe et XHIe siècles. Mais si le vocabulaire roumain, nous y reviendrons, fut effectivement fortement influencé par les langues voisines, la structure même de la langue est bien latine, et il semble difficilement envisageable que la langue se soit à ce point modifiée à une époque si récente sur le plan syntaxique et morphologique, bien que l’on constate effectivement une très forte latinisation impulsée au XVnie siècle par l’Ecole transylvaine. Comme nous le verrons dans le cadre de la récupération de cette thèse par l’Eglise Orthodoxe Roumaine, le problème provient de la projection de notions modernes dans le passé et de la volonté d’établir une filiation ethnique directe entre l’antiquité et l’époque contemporaine. Le litige provient essentiellement du caractère politique de l’histoire dans ces conditions et de la radicalisation des deux versions, hongroise et roumaine. Lorsqu’en 1940 l’Arbitrage de Vienne décerna au maréchal Horthy une partie de la Transylvanie avec l’autorisation de Hitler et Mussolini — ce qui précipita la chute de Carol II au profit de l’Etat légionnaire du Général I. Antonescu —, c’était la victoire de l’« irrédentisme » hongrois dû à la « falsification » de l’histoire. Il n’en reste pas moins vrai que cette question empoisonna et empoisonne toujours les relations roumano-hongroises^L En 1986 paraissaient les trois volumes de l’histoire de la 81 Cfr. pour la période de la guerre 40 à l’époque de l’arbitrage de Vienne : L. TAMÀS, « Die Vorgeschichte der Entwicklung des rumanischen Volkes und seiner Sprache », dans D ie 56 Transylvanie de B. Kopeczi^^ qyj enflammèrent la critique roumaine et provoquèrent la colère du gouvernement roumain et de N. Ceau^scu. Le peuple roumain « multimillénaire » se devait de réagir à la « falsification consciente et volontaire des historiens irrédentistes hongrois Aujourd’hui, on comprend toute l’acuité de cette question lorsqu’on songe au contentieux transylvain et à la tentation de révision des frontières fixées par le traité de Trianon de 1919*^. S ie b e n b ü rg is c h e F ra g e S tu d ie n a u s d e r V e rg a n g e n h e it u n d g e g e n w a rt S ie b e n b ü rg e n s , dir. E. LUKINICH, (Etudes sur l’Europe centre-orientale, n°24), Budapest, 1940, pp. 1-19. Cfr. la réédition récente en français Bêla Kôpeczi, H is to ire d e la T ra n s y lv a n ie , Akadémiai Kiadô, Budapest, 1992, cfr. s u p ra . S. P a s c u , M. Mu s a T, F. CONSTANTINO, « La falsification consciente de l’histoire sous l’égide de l’Académie hongroise des sciences », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. 26, 1987, f. 3, pp. 259-279 ; S. PASCU, S STEFANESCU, J o c u l p e ric u lo s a l fa ls ific d rii is to rie i, C u le g e re d e s tu d ii sJ a rtic o le , Ed. Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti, 1986. 84 On verra aussi les deux derniers articles de synthèse de B. B O R S I-K a l ma n , « Bref aperçu de l’histoire des frustrations des Roumains de Transylvanie », dans L ’E u ro p e c e n tra le e t se s m in o rité s : v e rs u n e s o lu tio n e u ro p é e n n e ? dir. A. LIEBICH, A. RESZLER, Publications de l’Institut universitaire des Hautes Etudes internationales, Genève, Presses Universitaires de France, Paris, 1993, pp.135-144 ; ID., « L’histoire du différend hungaro-roumain du XVIIIe au XXe siècles. Quelques points de repère », dans L ’E u ro p e d u m ilie u , A c te s d u c o llo q u e o rg a n is é p a r le G ro u p e d e R e c h e rc h e s u r l’E u ro p e C e n tra le d e l’U n iv e rs ité d e N a n c y II, s e p te m b re 1 9 8 9 , dir. Michel M a S L O W S K I, Presse Universitaires de Nancy, 1991, pp.243- 250. On verra aussi les publications du Centre d’Etudes transylvaines de la Fondation Culturelle Roumaine, fondé après 1989 à Cluj-Napoca comme la reprise de la R e v u e d e T ra n s y lv a n ie , t. 1, n°l, 1991, édité à partir de 1992 sous le titre T ra n s y lv a n ia n R e v ie w . On verra notamment David PRODAN, T ra n s y lv a n ia a n d a g a in T ra n s y lv a n ia . A H is to ric a l E x p o s é , Center for Transylvanian Studies, The Romanian Cultural Foundation, Cluj-Napoca, 1992 (trad. de T ra n s ilv a n ia sJ ia r T ra n s ilv a n ia . C o n s id e ra tii is to rice , Ed. Enciclopedica, Bucuresti, 1992) ; C. S a s S U , R o m a n ia n s a n d H u n g a ria n s . H is to ric a l P re m is e s (Bibliotheca Rerum Transsilvaniae, IV), Center for Transylvanian Studies, The Romanian Cultural Foundation, Cluj-Napoca, 1993. Cfr. aussi l’excellent volume de l’Association des historiens de Transylvanie et du Banat, S tu d ii d e Is to rie a T ra n s ilv a n ie i. S p é c ifie ré g io n a l sJ d e s c h id e re e u ro p e a n d , coord. Sorin MITU, Florin GOGALTAN, Asociatia Istoricilor din Transilvania si Banat, Cluj, 1994. 57 Aujourd’hui la situation dans les Balkans présente plus que jamais une nouvelle instabilité qui justifie à nouveau un retour en force des thèses nationalistes. La thèse de la continuité dacoromaine est largement diffusée pour faire face aux nouvelles velléités hongroises motivées par le « révisionnisme austro-hongrois Après la chute du communisme, on s’aperçoit que si les références à l’idéologie marxisteléniniste ont rapidement cédé la place, les thèses nationalistes sont d’autant plus présentes qu’elles restent les seules références possibles, cadre et canevas de la démarche historique. L’Albanie offre également des caractéristiques tout à fait semblables, où l’on trouve la mise en exergue de la continuité illyro-albanaise pour se différencier de l’environnement slave^®. A l’« époque Ceausescu », l’historiographie déterministe nationaliste, montrant le destin multiséculaii'e du peuple roumain qui devait l’amener à former un Etat national unitaire au XXe siècle s’est combiné avec le déterminisme matérialiste qui mena le peuple au parachèvement du socialisme. Il y a donc deux niveaux de lecture basés sur une logique déterministe, l’un nationaliste, l’autre marxiste. La lutte du peuple roumain depuis son ethnogenèse pour former un Etat unitaire indépendant s’inscrit dans la lutte des classes contre l’exploitation bourgeoise. Nous montrerons que l’Eglise orthodoxe intègre un troisième « déterminisme », visant, depuis la christianisation lors de l’ethnogenèse du peuple, à la constitution d’une Eglise nationale autocéphale, parallèlement à l’édification de l’Etat roumain indépendant. Cfr. les références en conclusion, point II. Alain DUCELLIER, « Les études historiques en République populaire d’Albanie (19451966) », dans ID., L ’A lb a n ie e n tre B y z a n c e e t V e n is e , X e -X V e s iè c le s , Variorum Reprints, Londres, 1987, I, pp. 124-144 {R e v u e h is to riq u e , t. 237, f. 481, Paris 1967, pp. 124-144). 58 4. Remarques sur l’historiographie actuelle depuis 1989 n o u v e lle s o rie n ta tio n s e t ré v is io n n is m e Depuis la chute du communisme, on constate que, dans un souci de rétablir la « vérité » historique « falsifiée » et conditionnée par l’idéologie communiste, les auteurs s’efforcent de reconsidérer l’histoire et de réhabiliter ce que l’idéologie dominante avait par tous les moyens gommé de l’histoire du pays. Mais on comprend, dans le contexte mouvant actuel et en fonction d’un « retour de balancier », parallèlement à la remontée des nationalismes, que l’historiographie roumaine post-révolutionnaire a tendance à réhabiliter les périodes que le régime communiste avait exécrée et voulu ignoré : l’entre-deux-guerres, la période de l’Etat National Légionnaire (1940-1941) et celle de la dictature Antonescu (1941-1944)87. Contrairement à l’époque précédente, les Roumains ont tendance à idéaliser ces années en tentant d’ignorer son caractère fasciste. Le Maréchal Antonescu, fait actuellement figure, au La question du révisionnisme est un des aspects les plus importants de la conclusion, point II, sur la situation actuelle de l’Eglise orthodoxe dans le cadre politique de l’après 1989. Cfr. l’ensemble des références pour cette question dans la conclusion. En 1940 Antonescu prit le pouvoir avec les légionnaires dirigés par Horia Sima. En janvier 1941 la rébellion légionnaire fut réprimée et Antonescu dirigea le pays. 59 travers de nombreux volumes qui lui sont consacrés, de héros national dans la mesure où il épargna à la Roumanie l’invasion des années allemandes et les honeurs d’une occupation pure et simple. Ainsi, on monti'e combien cet homme épargna aux Juifs la déportation vers les camps d’extermination nazis, et combien il préserva au mieux l’intégrité territoriale du pays. C’est également Antonescu qui mena la guerre « sainte » contre le bolchévisme. C’est à cette époque, lors de l’entrée des troupes roumaines en Union soviétique, que la Roumanie annexa les trois districts de Transnistrie où furent installés les camps de déportation des Juifs de Roumanie. La Roumanie fut d’ailleurs agrandie vers l’Est par l’annexion de terres ukrainiennes jusqu’à Odessa sur le Dniepr. Antonescu est ainsi considéré comme celui qui prit le pouvoir pour sauver la Roumanie des agressions extérieures. La Roumanie était prise entre deux feux : d’une part la Hongrie avait annexé une partie de la Transylvanie avec l’arbitrage de Vienne de 1940, d’autre part le pays avait perdu la Bessarabie avec le pacte Molotov-Ribbentrop de 1939. Le révisionnisme concerne de nombreux aspects politiques et culturels des années trente. C’est le cas pour l’histoire du mouvement légionnaire fondé par C. Z. Codreanu, et pour les mouvements philosophiques ou théologiques qui défendaient des thèses proches des thèses fascistes. On citera la revue G â n d ire a (La Pensée), et des auteurs tels que Nichifor Crainic qui prônait l’ethnocratie roumaine, contre le parlementarisme magyar et le sectarisme occidental protestant, et privilégiait le « roumanisme », symbiose entre la notion de peuple roumain uni par le sang multimillénaire et l’orthodoxie roumaine, fondement mystique et « christique » de la « Nation ». Ainsi, les thèses extrémistes qui s’étaient développées en Occident parmi les exilés de 1941 après la tentative de coup d’Etat légionnaire matée par Antonescu, mais aussi en 1948, trouvent maintenant un large écho en Roumanie dans ce qu’on appelle l’« histoire interdite ». Les artisans de l’« agonie » de la Roumanie étaient en réalité, Staline, Churchill et Roosevelt, puis Tmman. La Roumanie vendue par les Occidentaux aux soviétiques tomba dans l’escarcelle 60 communiste. Les causes du désastre actuel du pays doivent être cherchées dans les conditions infamantes des traités de Yalta et de Potsdam qui « cmcifièrent » la Roumanie^^. Sur le plan de la littérature orthodoxe, nous y reviendrons, il faut déjà signaler que, « ayant toujours combattu le communisme », les orthodoxes ne remettent pas en cause le rôle de l’Eglise sous le régime communiste, comme d’ailleurs, l’Eglise, à l’époque communiste, ne remit jamais en cause son rôle sous la dictature fasciste. Ce contexte révisionniste et ces tendances « anarchiques » dans l’historiographie contemporaine roumaine ajoutent à l’abord de son historiographie de nombreuses difficultés ; les tendances actuelles, et le discours officiel surtout, semblent avoir pour but, même si ce n’est pas toujours conscient, de semer le trouble et de rendre les choses encore plus floues et incertaines. De plus, on peut affirmer de manière générale que ce discours de « confusion » et d’amalgames, notamment sur la question de la guerre et du roi Michel, cible des nationalistes et du pouvoir actuel, n’est pas innocent. On doit en effet y déceler en filigrane une propagande à but politique évident, à mettre en liaison directe avec les enjeux actuels. Ce révisionnisme est intéressant à plus d’un titre : par la réédition de nombreux ouvrages d’entre-deux-gueires, on a la possibilité de connaître des ouvrages devenus introuvables. Pour l’histoire de l’Eglise orthodoxe, on peut désormais avoir accès à des revues et des livres de cette période, sources historiques primordiales pour l’idéologie de cette époque et le sujet qui nous occupe. C’est le cas de la revue G â n d ire a , mais aussi des ouvrages des théologiens de cette époque. D faut bien sûr être extrêmement prudent par rapport à ces rééditions dans la mesure où elles sont parfois « censurées » des connotations fascistes de l’époque. Cfr. conclusion. 61 III. METHODOLOGIE ET SOURCES 1. Remarques préliminaires sur les « traditions byzantines » A. « Byzantinisme » et relations « constantiniennes » Avant d’entamer cette recherche, il convient de préciser les termes de la thèse de départ et d’énoncer au préalable quelques remarques. On doit en effet voir dans l’énoncé de la thèse trois questions différentes. Premièrement, quelles sont les traditions byzantines relatives aux rapports entre l’Eglise et l’Etat en Roumanie à l’époque contemporaine, et quelles en sont les termes ? Pour traiter cette question, il conviendra d’analyser en premier lieu quelle est l’idéologie de l’Eglise orthodoxe concernant l’Etat en général d’abord, l’Etat communiste ensuite. Deuxièmement, peut-on considérer que ces éléments « byzantins » ont influé sur le phénomène de collaboration et de soumission au pouvoir de l’Eglise orthodoxe à l’époque contemporaine, en l’occurence 62 l’époque communiste, ou doit-on invoquer d’autres arguments, prépondérants ou non. La question finale sera alors de savoir si le caractère particulier de l’Eglise orthodoxe pose un frein à la démocratisation de l’Etat ? Sur le plan méthodologique, avant d’exposer la démarche que nous nous sommes fixée, il importe de déterminer ce que l’on peut entendre par « byzantinisme » ; ensuite de voir dans la bibliographie jusqu’à quelle époque ces liens byzantins sont restés en vigueur en Roumanie et de quelle manière. Enfin nous pounons déteminer les termes de notre analyse pour l’époque communiste en fonction des hypothèses énoncées ; la collaboration entre l’Eglise et l’Etat estelle conditionnée par ces « traditions » byzantines ou motivées par l’opportunisme des hiérarques sous une dictature ? Des expressions ou notions telles que « traditions byzantines » ou « relations constantiniennes » méritent d’être précisées pour éviter toute confusion. En effet, on a parlé de tradition séculaire de soumission au pouvoir, de césaropapisme, de collaboration, et ce à propos de pays somme toute aussi différents que la Russie, la Serbie, la Roumanie ou la Grèce contemporaine. On connaît par ailleurs les difficultés de l’utilisation de termes tels que « théocratie », « césaropapisme » ou « papocésarisme ». En réalité, il s’agit de l’étemelle question de la place de l’Etat dans l’Eglise et de l’Eglise dans l’Etat. De plus, peut-on se contenter de considérer comme « byzantines » des relations Eglise / Etat basées sur un simple soutien mutuel ? Une aide fmancière de l’Etat à l’Eglise et une contribution politique de l’Eglise à l’Etat — comme la participation du clergé aux instances politiques par exemple ou un assujetissement de l’Eglise par l’Etat—, constitueraient-ils des éléments suffisants pour être qualifiés de « byzantins » ? Ne s’agit-il pas, en fin de compte, d’aspects de la société que l’on pouiTait trouver sous d’autres latitudes et à d’autres époques dans des pays étrangers à toute conception byzantine ? C’est donc sur le plan idéologique et du discours de l’Eglise que nous axerons notre travail, et principalement du discours de légitimation de l’Eghse dans la nouvelle société. 63 Selon les auteurs, on trouve plusieurs acceptions et conceptions de ce qu’étaient les rapports entre l’Eglise orthodoxe et l’Etat à Byzance. Sans entrer dans les détails — ce sujet demanderait à lui seul une thèse historiographique —, il convient de faire une distinction entre plusieurs conceptions courantes. Par tradition byzantine on entend généralement trois, voire quatre significations différentes^^. On a utilisé le terme de « césaropapisme » pour décrire la situation à Byzance à propos des liens entre l’empereur et le patriarche. Bien que ce terme soit un « anachronisme » et soit en réalité impropre, les auteurs veulent y voir une primauté de l’empereur sur l’Eglise, une domination du pouvoir civil sur le religieux. Or, si cette situation a pu se produire à certaines époques à Byzance, ce ne sont en réalité que des exceptions. On pensera par exemple aux Pour l’idéologie politique à Byzance on verra principalement : Hélène AHRWEILER, L ’id é o lo g ie p o litiq u e d e l ’E m p ire b y z a n tin , coll. « L’Historien », PUF, Paris, 1975, cfr. chap. L e s p rin c ip e s fo n d a m e n ta u x d e la p e n s é e p o litiq u e à B y z a n c e , pp. 129-147 ; Agostino PERTUSI, Il p e n s ie ro p o litic o b iz a n tin o (Il mondo medievale, studi di storia e storiografia, sezione di storia bizantina e slava, dir. A. Carile), Bologne 1990. Pour les rapports entre l’Eglise et l’empereur ; D.J. GEANOKOPLOS, B y z a n tin e e a s t a n d la tin w e s t : tw o w o rld s o f c h ris te n d o m in m id d le â g e s a n d re n a iss a n c e, s tu d ie s in e c c le s ia stic a l a n d c u ltu ra l h is to ry, Basil blackwell. Oxford, 1966 ; T h e C a m b rid g e M é d ié v a l H is to ry . v o l. 4 , th e b y z a n tin e e m p ire , p a rt. 2 , G o v e rn m e n t, C h u rc h a n d C iv ilis a tio n , édit. J.M. HUSSEY, Cambridge University Press, 1967, pp. 105-134 ; J.M. HUSSEY, T h e o rth o d o x C h u rc h in th e B y z a n tin e e m p ire . Oxford 1986 ; R. JENKINS, B y z a n tiu m a n d B y z a n tin is m , Cincinnati, 1963 ; D. O b O L E N S K Y , T h e b y z a n tin e c o m m o n w e a lth , Londres, 1971 (réed. 1984) ; ID., T h e b y z a n tin e in h e rita n c e o f e a s te rn E u ro p e , Londres 1986 ; S. RUNCIMAN, T h e b y z a n tin e T h e o c ra c y , Cambridge, 1977 ; S. RUNCIMAN, T h e o rth o d o x C h u rc h e s a n d th e S e c u la r S ta te, Auckland : Auckland University Press, Oxford University Press, 1971 ; A. DUCELLIER, L ’E g lis e b y z a n tin e , e n tre p o u v o ir e t e s p rit (3 1 9 -1 2 0 4 ), (Bibliothèque d’Histoire du Christianisme, n°21), Desclée, Paris, 1990 ; lD .,L e d ra m e d e B y z a n c e , id é a l e t é c h e c d ’u n e s o c ié té c h ré tie n n e . Hachette, 1976 ; J. Gau d e me t , L ’E g lis e d a n s l’e m p ire ro m a in (IV e -V e s iè c le ) (Histoire du droit et des institutions de l’Eglise en Occident), dir. G. Le BRAS, 1958, éd. mise à Jours, Sirey, 1989. Pour une version orthodoxe on verra A. SCHMEMANN, « La théocratie byzantine et l’Eglise orthodoxe », dans D ie u v iv a n t, t. 25, 1953, pp. 36-53 ; Pour une version roumaine, D. Ba r bu , « Monde byzantin ou monde orthodoxe ? », dans R e v u e d e s E tu d e s S u d -E s t E u ro p é e n n e s , t. 27, n°3, pp. 260-271. 64 tentatives des empereurs iconoclastes, comme Léon III l’Isaurien, au Ville siècle. Le terme « théocratie » byzantine impliquerait une domination de l’Eglise ou du pouvoir religieux sur la société civile : on songera aux tentatives du patriarche Michel CéruUaire au Xle siècle, profitant de la faiblesse du pouvoir de l’empereur de Byzance. Peut-on faire état d’une « confusion » entre les pouvoirs, l’empereur étant lui-même le représentant de Dieu sur ten'e et en considérant que les pouvoirs temporels et spirituels sont inextricablement liés et impliqueraient ainsi une confusion du civil et du sacré ? On retiendra la conception défendue notamment par H. Arweiller dans son livre. L ’id é o lo g ie p o litiq u e à B y z a n c e , qui montre qu’en réalité les rapports entre les deux autorités se cai’actérisent à Byzance par une complémentarité entre les deux pouvoirs, l’empereur étant le représentant de Dieu sur terre, mais délégant ses pouvoirs religieux au patriarche. Quant au pouvoir religieux il interfère dans les affaires civiles, dans le domaine de la justice par exemple. Ainsi, la situation byzantine se caractériserait par un équilibre, une interaction, une complémentarité et une interdépendance entre les deux pouvoirs bien distincts et clairement établis. C’est ce qu’on appelle la « symphonie » ou encore l’« harmonie » byzantine entre les deux pouvoirs. Ainsi, alors qu’en Occident on assiste au moyen âge à une lutte entre les pouvoirs, entre ce qui deviendra le pouvoir de Rome, le Saint Siège, et les empereurs d’Occident — on pourrait citer les exemples de la Querelle des investitures et de la théocratie pontificale sous le pontificat d’innocent m — , les liens entre les deux pouvoirs à Byzance sont restés en harmonie au cours des onze siècles de l’Empire chrétien d’Orient. La lutte entre les deux pouvoirs ne pouvait se concevoir dans l’idéologie byzantine. Les relations « constantiniennes », terme qui caractérise les relations inaugurées par Constantin au IVe siècle entre l’empereur et l’Eglise — c’est l’empereur qui convoque les conciles — , n’impliquent pas une soumission du pouvoir religieux au politique, mais une complémentarité des pouvoirs. 65 Alors qu’en Occident la Renaissance, les Lumières, le joséphisme et la Révolution française ont été la source de nouvelles conceptions des relations entre l’Eglise et l’Etat et qu’une lente évolution mena à une laïcisation de la société par une décléricalisation de la société et une séparation des pouvoirs civil et religieux, en Orient la situation évolua différemment. Après la chute de Constantinople, le patriarche œcuménique devint l’ethnarque du sultan, incarnant le pouvoir religieux et les pouvoirs civils relevant du « millet » grec, c’est-à-dire des populations orthodoxes de l’empire ottoman^^. Une seule personne, le patriarche, allait dorénavant incarner les deux pouvoirs. L’Eglise de Constantinople fit de l’Eglise orthodoxe une Eglise soumise au pouvoir islamique dans les Balkans. L’émancipation des peuples des Balkans lors du siècle des nationalismes rompit cet ordre des choses et l’on vit se démarquer progressivement les Eglises nationales par rapport au patriarcat œcuménique. Parallèlement à l’émancipation des nations balkaniques vis-à-vis de la Porte ottomane, les Eglises orthodoxes tentèrent de se libérer de la tutelle constantinopolitaine. En Russie, véritable héritière de la civilisation byzantine, Pierre le Grand, sous l’influence du protestantisme et du siècle des Lumières, réforma au XVille siècle les institutions et l’Eglise et destitua le patiâarche de l’Eglise orthodoxe qui ne fut réinstallé que sous l’époque soviétique. Il mit l’Eglise sous la tutelle de l’Etat, instaurant une sorte de symbiose entre une conception protestante de l’Etat et l’autocratie russe^f S. RUNCIMAN, T h e G re a t C h u rc h e in c a p tiv ity . A s tu d y o f p a tria rc h a te o f C o n s ta n tin o p le fro m e ve o f tu rk is h c o n q u e s t to th e G re e k W a r o f In d e p e n d e n c e , Cambridge University Press, 1968 ; Livre II, T h e C h u rc h u n d e r th e o tto m a n s u lta n s , pp. 165-207 ; S. Runciman, « The greek Church under the Turks. Problems of research », dans T h e m a te ria ls , s o u rc e s a n d m e th o d s o f e c c le s ia s tic a l h is to iy , Oxford, 1975, pp. 223-235 ; T h e b y z a n tin e tra d itio n a fte r th e fa ll o f C o n s ta n tin o p le , édit. J. J. YlANNIAS, University Press of Virginia, 1991. P e te r th e G re a t c h a n g e s R u s s ia , 2e éd.de 1963., éd. M . R a e f f , Columbia University, Lexington, Massachusetts, Toronto, London, 1972. M . R a e f f , « L’Etat, le Gouvernement et la tradition politique en Russie impériale avant 1861 », dans R e v u e d ’H is to ire M o d e rn e e t C o n te m p o ra in e , t. 9, oct.-déc., 1962, pp. 295-307. 66 B. Remarques sur l’évolution du « byzantinisme » en Roumanie On sait que ce fut le XVIIIe siècle, qui vit le déclin des liens traditionnels byzantins entre l’Eglise orthodoxe et les voïvodes roumains des principautés moldave et valaque^^. Les Grecs de Constantinople qui régnèrent à l’époque phanariote sur la Moldavie et la Valachie, le « pays roumain » {T a ra R o m â n e a s c a ), consacrèrent la fin de la survivance de la civilisation byzantine sur le plan politique. L’idée que la Roumanie était la « Byzance après Byzance » selon l’expression de N. lorga, avait progressivement fait la place à de nouvelles conceptions. Au contact des Italiens notamment, les hospodars^^ grecs phanariotes, les Mavrocordat, allaient véhiculer dans les pays roumains un néo-hellénisme empreint des idées nouvelles du XVIIIe siècle^^. La notion de prince roumain, successeur des empereurs de Byzance, disparut progressivement au cours du siècle^^. On notera cependant qu’au début du XIXe siècle, sous la 92 Sur la survivance des institutions byzantines en Roumanie : V. A. G e o R G E S C U , B iz a n tu l sJ in s titu tiile ro m â n e s ti p în a la m ijlo c u l s e c o lu lu i a l X V IIl-le a , A.R.S.R., Bucuresti, 1980 ; Andrei PIPPIDI, T ra d itia p o litic d b iz a n tin d în ta rd e ro m â n e în s e c o le le X V I-X V IIl, A.R.S.R., Bucuresti, 1983 ; on vema aussi Dennis DELETANT, « Some Aspects of the Byzantine Tradition in the Romanian Principalities », dans ID., S tu d ie s in ro m a n ia n h is to ry , Ed. Enciclopedica, Bucharest, 1991, pp. 186-200. 93 Le terme hospodar et équivalent à voïvode. Il est la traduction de g o s p o d a r, = v o ie v o d 94 Radu FLORESCU, « The Fanariote régime in the Danubian principalities », dans B a lk a n S tu d ie s , t. 9, 1968, pp., 301-318 ; V. GEORGESCU, P o litic a l id e a s a n d th e E n lig h te n m e n t in th e ro m a n ia n p rin c ip a litie s (1 7 5 0 -1 8 3 1 ) (East European monographs, 1) Columbia University Press, New York, 1971 ; C. KOUMARIANOU, « Tendances humanistes dans les littératures du sud-est européen au 19e et au début du 20e siècle. La littérature néohellénique », dans R e v u e d e s E tu d e s S u d -E s t E u ro p é e n n e s , t. 18, 1980, f. 2, pp. 215-221. 67 domination turque, l’Eglise prenait encore une part active dans les affaires de l’Etat, comme dans la justice par exemple et que les métropolites étaient les présidents du conseil des divans, les assemblées des boyards des principautés au XIXe siècle. Une étude de l’évolution de l’idéologie politique de l’Eglise orthodoxe au XDCe siècle serait nécessaire pour montrer comment l’Eglise s’est adaptée à la modernisation de l’Etat roumain et à la transition vers des institutions de type occidental^®. On citera un exemple : K. Hitchins dans sa monographie O rth o d o x ie e t n a tio n a lis m e , A n d re iu S a g u n a e t le s R o u m a in s d e T ra n s y lv a n ie parue en 1977, relève les conceptions traditionnelles byzantines de l’évêque transylvain Andreiu Saguna concernant les relations de l’Eglise avec l’Etat. L’évêque transylvain, artisan du rétablissement institutionnel de l’Eglise orthodoxe en Transylvanie, bien que contestant l’attitude du pouvoir autrichien à l’égard des Roumains, la bureaucratie autrichienne et le rôle des Etats transylvains, ne remettait nullement en question la dynastie habsbourgeoise. Il préconisait des relations basées sur l’équilibre et la coopération entre les deux pouvoirs selon la tradition de l’orthodoxie orientale^^. M. Pacurariu souligne dans son Sur l’idée impériale et la notion de l’héritage byzantin : cfr d’abord le livre de Nicolae lORGA réédité récemment ; B y z a n c e a p rè s B y z a n c e , Avant-propos d’Alexandre Paléologue, Ed. Balland, Paris, 1992 ; P.S. N a s t u r el , « Considérations sur l’idée impériale chez les Roumains », dans B y z a n tin a , t. 5, 1973, pp. 394-413 ; V. GEORGESCU, « L’idée impériale byzantine et les réactions des réalités roumaines, XlV-XVUIe siècles », dans B y z a n tin a , t. 3, 1971, pp. 311-339 ; A. PIPPIDI, « La résurrection de Byzance ou l’unité politique roumaine : l’option de Michel le Brave », dans R e v u e d e s E tu d e s S u d -E s t e u ro p é e n n e s , t. 13, 1975, f. 3, pp. 367-378 ; I. DULCEV, « L’héritage byzantin chez les slaves », dans E tu d e s H is to riq u e s (Xlle congrès international des sciences historiques. Vienne, août-sept, 1965), t. 1, Sofia, 1965, pp. 131-147. Cfr. in fra , les questions relatives au droit. 97 K . H i t c h in s , O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu S a g u n a a n d th e R u m a n ia n s o f T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , Harvard University Press, Londres, Cambridge, Massachusetts, 1977 (Harvard Historical Studies), pp. 2 2 5 -2 2 6 . 68 Is to ria B is e ric ii O rto d o x e R o in â n e la reprise des idées saguniennes lors de la réorganisation de l’Eglise orthodoxe après la première guerre mondiale^^. En tous les cas, on peut affirmer d’emblée que le sacro-saint équilibre byzantin entre les domaines civil et spirituel, V im p e riu m et le s a c e rd o c iu m fut rompu au XVille siècle^^. Le problème consisterait à cerner la façon dont s’est établie la coexistence entre les deux pouvoirs, problème qui par ailleurs se pose avec autant d’acuité pour la période de la suzeraineté ottomane musulmane que pour celle de l’athéisme, puisqu’on assiste à une situation où l’Eglise orthodoxe se retrouve par deux fois confrontée à des Etats d’idéologie non chrétienne. On constate d’emblée également que l’on se retrouve face à un problème fondamental, la question de la distance possible entre la réalité effective de l’évolution historique institutionnelle d’une part et le plan idéologique de l’Eglise d’autre part. Un aspect qui mériterait d’être développé et capital pour le sujet qui nous occupe est certainement la question de l’évolution du droit roumain concernant non seulement les rapports entre l’Eglise et l’Etat, mais surtout l’ensemble des domaines qui, dans l’ancien régime, relevaient de l’Eglise et qui furent dans nos régions sécularisés. L’ensemble des questions relatives aux registres de naissances, mariages, divorces, enterrements, e tc ., qui témoignent de l’état de sécularisation de la société, pourraient montrer dans le cas roumain l’évolution de la séparation progressive des domaines spirituel et temporel. De plus, outre la question du droit écrit, resterait aussi à envisager la notion de droit coutumier, et même l’impact du droit ancien dans les mentalités, indépendamment de la modernisation du droit officiel sous l’influence occidentale. 98 Mircea PACURARIU, Is to ria B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e , vol. 3, Ed. Institutul Biblic si de Misiune, Bucuresti, 1980-1981, pp. 96-97 et 420. 99 Cfr. aussi M. MUTHU, « “ Postbizantin ” sau “ premodem ” ? » , dans C u ltu rd sJ s o c ie ta te , s tu d ii p riv ito a re la tre c u tu l ro m â n e s c , préf. A. ZUB, Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1991, pp. 179- 184. 69 La question de l’impact de l’évolution du droit dans les deux zones de l’Europe du SudEst nettement délimitées entre les pays connaissant le droit romain d’une part et le droit byzantin de l’autre^^, reste posée dans toute son ampleur. Le problème de la réception du droit byzantin dans les pays roumains sur le plan de l’Eglise et de l’Etat et l’étude de l’originalité de la Roumanie dans ce contexte permettraient de percevoir comment les idées occidentales s’implantèrent dans l’idéologie politique**^'. On pensera plus précisément par exemple aux 100 J lONESCU, A. GEORGESCU, « Unité et diversité des formes de la réception du droit romain en Occident et du droit byzantin en Orient », dans R e v u e d e s E tu d e s s u d -e s t e u ro p é e n n e s , Bucarest, t. 2., 1964, pp. 153-186. Cfr. aussi V.A. GEORGESCU, « L’originalité du droit national des peuples du sud-est européen dans le contexte de la réception du droit romano-byzantin jusqu’au XIXe et de la réception du droit occidental au XIXe siècle » dans. R a p p o rt a u Ille c o n g rè s in te rn a tio n a l d e s é tu d e s d u s u d -e s t d e l’E u ro p e , Bucarest, 1974. De manière générale on verra aussi A.V. SOLOVEEV, L ’in flu e n ce d u d ro it b y z a n tin d a n s le s p a y s o rth o d o x e s (Relazioni X congresso intem. di scienze storiche. Roma, 4-11 sept 1955), vol. 6 , Relazioni genetali e supplément!, Florence, 1955, pp. 599-600. G. CRONT, « Dreptul byzantin în Tarile Române », dans S tu d ii, t. 11, 1958, f. 5, pp. 33-59 ; ID., « Dreptul byzantin în Tarile Române », dans S tu d ii, t. 13, 1960, f. 1, pp. 57-82 ; ID., « Byzantine Juridical influence in the romanian feudal society », dans R e v u e d e s E tu d e s S u d -E s t E u ro p é e n n e s , t. 2, 1964, f. 3-4, pp. 359-383 ; ID., « L’Eclogue des Isauriens dans les pays roumains », dans B a lk a n S tu d ie s , t. 9, 1968, f. 2, pp. 359-374 ; ID., « Réception des Basiliques dans les Pays Roumains », dans N o u v e lle s E tu d e s d ’H is to ire (Publiées à l’occasion du Xlle congrès des sciences historiques. Vienne 1965), vol. 13, éd. A.R.S.R, Bucuresti, 1965, pp. 153-180 ; V.A. GEORGESCU, « Cîteva contributii la studiul recept^ii dreptului bizantin în Tara Româneasca si Moldova (1711-1821) », dans S tu d ii, t. 18, 1965, f. 1, pp. 4973 ; ID., « Contributii la studiul receptmi dreptului bizantin în Tara Româneasca si Moldova », dans S tu d ii, t. 15, 1965, n°l ; ID., « La réception du droit romano-byzantin dans les principautés roumaines », dans M é la n g e s H .L é v y -B ru h l, Paris, 1959, pp. 373-392 ; ID., « Le rôle de la théorie romano-byzantine de la coutume dans le développement du droit féodal roumain », dans M é la n g e s P h . M e y la n , II, Lausanne, 1963, pp. 61-87 ; ID., « Modèles juridiques byzantins et synthèse modernisatrice en droit roumain », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. 20, 1981, oct.-déc., f. 4, pp. 681-688 ; ID., « Trâsaturile generale si izvoarele Codului Calimach », dans S tu d ii, t. 13, 1960, f. 4, pp. 73-106 ; V. HANGA, « Le droit romano-byzantin a-t-il été reçu dans les principautés roumaines ? », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. 10, 1971, f. 2, pp. 2 3 1 -2 5 5 ; cfr. aussi pour l’évolution du droit roumain 70 écrits juridiques roumains, tels que ceux rédigés entre 1765 et 1777 par Michel Fotino, d’origine grecque, parmi lesquels on perçoit certaines conceptions inspirées des idées nouvelles de « laïcisation Le droit byzantin fut remplacé en 1864 par le droit français de 1804. C’était au lendemain de l’union des principautés et de la création de l’Etat moderne roumain conçu sur des bases occidentales. L’historien-ethnologue B. P. Hasdeu a entamé dans ce cadre, en 1878, des recherches fondamentales sur les survivances des droits et coutumes byzantins traditionnels, en matière religieuse notamment, au sein de la société r o u m a in e ^ recherches malheureusement interrompues, mériteraient d’être poursuivies afin de mieux comprendre les mentalités contemporaines. D est clair qu’une recherche sous cet angle pourrait apporter un autre éclairage sur l’évolution de la société roumaine à l’époque contemporaine. Il faut souligner le fait que le terme même de césaropapisme est un terme qui, dans les pays communistes, avait une consonnance bien précise, utilisée de manière exclusive pour l’Eglise catholique romaine^*^4. jusqu’au XIXe siècle : V.A. GEORGESCU, « Les survivances du droit romano-byzantin dans la coutume roumaine (XlV-XIXe siècles) », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. 19, 1980, 23, pp. 277-300 ; ID., « Modèles juridiques byzantins et synthèse modemisatrice en droit roumain », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. 20, 1981, 4, pp. 681-688. 102 G CRONT, « La réception du droit romano-byzantin dans les pays roumains, l’œuvre rédigée par Michel Fotino à Bucarest entre 1765-1777 », dans N o u v e lle s é tu d e s d ’h is to ire (XlIIe congrès des sciences historiques, Moscou, 1970), vol. 4, Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1970, pp. 133-138 ; ID., « Les Basiliques dans les Pays Roumains. La synopse rédigée à Bucarest par Michel Fotino vers 1765 », dans J a h rb u c h d e r ô s te rre ic h is c h e n B y z a n tin is tik , t. 18, 1969, pp. 221-228. 103 Y GEORGESCU, L e s s u rv iv a n c e s d u d ro it ro m a n o -b y z a n tin ...o p . c it., p.300 ; cfr. aussi M.G. NICOLAU, « Les dispositions d’origine roumaine-byzantine dans le code civU roumain », dans M é la n g e s P a u l F o u rn ie r, Paris, 1929, pp. 587-597 (Société d’Histoire du Droit, bibliothèque). 104 nous y reviendrons largement, ce point étant central pour l’antivaticanisme orthodoxe à l’époque communiste. Ainsi dans l’optique des thèses « inverses » que l’on trouve dans la littérature orthodoxe roumaine de l’époque communiste, mais encore fréquentes aujourd’hui — à l’instar des thèses de l’Eglise sœur du « grand frère » soviétique, l’Eglise orthodoxe russe — , le césaropapisme incarne pour les orientaux une domination de la papauté sur les domaines civils et politiques, faisant en réalité référence à une théocratie. Le pape, chef de l’Etat du Vatican, représente, selon les orthodoxes, l’exemple même de la suprématie du religieux sur le civil, par l’alliance du trône et de l’autel, selon la théorie des deux glaives, telle qu’elle est comprise par les catholiques selon les auteurs orthodoxes. Ainsi, le pape est « soumis à toutes les contingences matérielles du monde politique » et se fait l’allié du monde « impérialiste Il s’agit en fait d’une sorte de « papocésarisme ». Nous reviendrons sur cet aspect dans l’analyse du discours de l’Eglise orthodoxe à propos de l’anti-occidentalisme communiste et de l’antivaticanisme soviétique largement répandu après 1948 dans les pays orthodoxes. On verra notamment un des livres soviétiques qui fut difusé en Roumanie : M. CHEINMAN, L e V a tic a n c o n te m p o ra in , Ed. en langues étrangères, Moscou, s. d. 72 2. Méthodologie et problématique des sources A. Les sources : publications officielles de l’Eglise Orthodoxe Roumaine Nous avons montré les composantes de la thèse de départ : les traditions byzantines relatives aux rapports entre l’Eglise et l’Etat en Roumanie à l’époque contemporaine, l’influence de ces éléments « byzantins » sur le phénomène de collaboration et de soumission de l’Eglise orthodoxe au pouvoir communiste, et enfin le caractère particulier de l’Eglise orthodoxe en tant que frein à la démocratisation de l’Etat. Comment aborder un tel sujet en dehors d’une étude systématique des institutions officielles ? En effet, ces institutions rendraient-elles compte de cette problématique ? On sait quelle est la dichotomie entre les textes officiels communistes et leur application, entre les textes normatifs et la réalité, entre la propagande et la politique du parti communiste. Il faut appliquer une méthodologie qui permette de percevoir dans des textes les survivances de traditions byzantines dans le chef du clergé et des hautes instances de la hiérarchie. Le problème d’une étude limitée aux institutions réside dans le fait que ces institutions, conçues à l’époque moderne, se démarquent totalement des institutions de l’ancien régime, particulièrement depuis la première Constitution moderne roumaine de 1866. Quant au droit 73 byzantin, il fut remplacé à la même période en 1864 par le droit français de 1804 issu de la Révolution française. Dans un premier temps, il faudrait en conclure à une rupture totale sur le plan « normatif » par rapport au passé. Et les nouvelles institutions communistes, entièrement nouvelles par rapport à celles de l’entre-deux-guerres, devraient également impliquer une rupture totale en 1948 par rapport au passé. La notion même de survivance de traditions et de conceptions des rapports entre l’Eglise et l’Etat, peut-être même « inconsciente » dans la hiérarchie, fait partie des aspects de l’histoire qui échappent en général à l’historien, principalement en raison du problème des sources. Les archives de l’époque communiste restent quasiment inaccessibles pour la Roumanie, sans parler de celles des services secrets, la S e c u rita te . Elles apporteraient des renseignements précieux qui permettraient de connaître les conditions exactes de la participation de l’Eglise au pouvoir. Une étude de ces archives permettrait de quantifier l’ampleur du phénomène de la collaboration du clergé et les motivations de ses membres, d’en connaître les conditions, la violence de la part de l’Etat et s’il s’agissait d’une participation active ou passive. Cependant, si cela nous permettait d’envisager les choses sur une base solide, cela ne nous donnerait sans doute, sauf exception, aucun renseignement sur les motivations profondes de l’Eglise et de ses représentants quant à son rôle au sein de l’Etat, sinon une argumentation tout à fait opportuniste de collaboration dans une système totalitaire communiste, à l’instar finalement de n’importe quelle Eglise sous une dictature, qu’elle soit communiste ou de quelque nature comme en Amérique centrale et du Sud par exemple. Nous avons choisi, pour pallier à cette impossibilité matérielle, une analyse de la légitimation par l’Eglise orthodoxe de la place qu’elle doit occuper dans l’Etat et de la légitimation du respect de l’Etat. Il s’agit d’étudier le discours de l’Eglise Orthodoxe Roumaine relatif à l’Etat, à la « nation » et à la nouvelle société. Cette analyse devrait permettre de comprendre comment l’Eglise orthodoxe, institution religieuse nationale et dominante par rapport aux autres cultes minoritaires, pouvait légitimer son rôle et sa place dans un régime politique, en théorie hostile. Ainsi on pourrait déceler si l’attitude de l’Eglise était plutôt dictée par de simples impératifs opportunistes pour défendre des intérêts particuliers ou s’il s’agissait pour l’Eglise de motivations plus profondes basées sur une idéologie nettement définie. L’Eglise s’appuyait-elle sur une adaptation de sa doctrine face à la modernité et aux contingences de la nouvelle société édifiée par le nouveau régime en place, ou se plaçait-elle dans une certaine continuité par rapport à sa situation passée, celle d’une Eglise d’Etat en quelque sorte ? L’Eglise orthodoxe a-t-elle gardé dans son idéologie, sa doctrine et sa conception de l’Etat, un substrat doctrinal hérité de sa tradition ancienne « byzantine », ne fût-ce qu’un « b a c k g ro u n d » byzantin, conditionnant ses rapports de collaboration, de soumission à l’Etat, ou s’est-elle adaptée à une situation nouvelle ? L’Eglise légitime-t-elle l’ingérence flagrante de l’Etat dans ses affaires, et son ingérence dans la politique, et se place-t-elle dans la tradition historique ou l’ignore-t-elle ? Nous étudierons comment les rapports entre l’Eglise et l’Etat ont été conçus par les orthodoxes après 1948 et la légitimation de la collaboration avec l’Etat. Puis, nous examinerons en quoi ces éléments pourraient s’opposer à une démocratisation de l’Etat au regard surtout de la situation actuelle de transition. Pour mener à bien ce travail, il faudrait idéalement faire une synthèse de toute la littérature orthodoxe depuis 1948, ce qui constituerait un travail démesuré étant donnée la masse de documents ; les monographies, les périodiques, représentant plusieurs dizaines de milliers d’articles, les comptes rendus, la presse religieuse hebdomadaire, mensuelle, les ouvrages de l’Institut Biblique et de Mission de l’Eglise Orthodoxe Roumaine {In s titu tu l B ib lic s i d e M is iu n e a l B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e , I.B.M.B.O.R.) les publications de la patriarchie de Bucarest, des maisons d’édition des cinq métropolies, sans compter l’ensemble de toutes les pastorales, les feuilles de « propagande » occasionnelles, e tc. L’Eglise Orthodoxe Roumaine se distingue effectivement, par rapport à l’ensemble des Eglises orthodoxes de l’Est, par son extraordinaire production de publications. Toutes les revues patriarcales et métropolitaines paraissent chaque année au rythme de 5 à 10 fascicules. Cependant, trois revues patriarcales forment l’ensemble le plus intéressant^La revue 106 cfr aussi sur le plan bibliographique : V. NETEA, « Les périodiques historiques roumains (1821-1970) », dans N o u v e lle s E tu d e s d ’H is to ire , (XlIIe congrès des sciences historiques. B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , b u le tin u l o fic ia l a l p a tria rh ie i ro m â n e , est la revue de la patriarchie ; elle reprend les textes officiels, les comptes rendus des événements importants de l’Eglise, des articles de fonds sur la Roumanie et des articles scientifiques d’histoire, d’archéologie, de théologie, e tc . La revue des Instituts théologiques de Roumanie, S tu d ii T e o lo g ic e , re v is ta in s titu te lo r te o lo g ice d in p a tria rh ia ro m â n a , comme son nom l’indique comporte d’importants travaux en matière de théologie, de doctrine, d’idéologie politique, et enfin, la revue O rto d o x ia , re v is ta p a tria rh ie i ro m â n a , également capitale pour ses articles scientifiques et de théologie. Les revues des cinq métropolies sont, pour la métropolie d’Oungro-Valachie la G la s u l B is e ric ii, G la s u l B is e ric ii, re v is ta o fic ia la a s jïn te i m itro p o lii a U n g ro v la h ie i, pour la métropolie d’Olténie, M itro p o lia O lte n ie i, re v is ta o fic ia la a a rh ie p is c o p ie i C ra io v e i sJ e p is c o p ie i R im n ic u lu i sJ A rg e s u lu i, du Banat, M itro p o lia B a n a tu lu i, re v is ta o fic ia la a a rh ie p is c o p ie i T im is o a re i sfi C a ra n s e b e s u lu i s i a e p is c o p ie i A ra d u lu i, de Transylvanie, M itro p o lia A rd e a lu lu i, re v is ta o fic ia la a a rh ie p is c o p ie i S ib iu lu i, a rh ie p isc o p ie i V a d u lu i, F e le a c u lu i fi C lu ju lu i, e p is c o p ie i A lb a lu lie i sfi e p is c o p ie i O ra d ie i, la métropolie de Moldavie et de Suceava, M itro p o lia M o ld o v e i sJ S u c e v e i, re v is ta o fic ia la a a rh ie p is c o p ie i la s ü o r s j a e p is c o p ie i R o m a n u lu i sJ H u s ilo r, et pour l’Etranger, R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , Q u a rte rly B u lle tin , e d ite d b y th e d e p a rtm e n t o ffo re ig n re la tio n s o fth e ro m a n ia n p a tria rc h a te (versions anglaise et française). Le contenu de ces revues consiste donc en bulletins d’information les plus divers, articles sur tous les sujets concernant l’histoire de l’Eglise orthodoxe, de la Roumanie, comptes rendus de manifestations ecclésiastiques, synodes, réunions œcuméniques, visites officielles, restaurations d’églises, textes officiels, télégrammes, interviews, lettres iréniques et pastorales, créations d’évêchés, anniversaires, nominations de dignitaires ecclésiastiques, pages d’histoires, cérémonies, e tc . Moscou 1970), Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1970, vol. 4, pp. 369-386. Cfr. aussi : I. H a n g IU , D ic tjo n a r a l p re s e i lite ra re ro m â n e s ti (1 7 9 0 -1 9 8 2 ), DPL, Ed. Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti, 1987. y ’ L’Eglise orthodoxe dispose d’un journal qui paraît depuis 1853, le T e le g ra fu l R o m â n , édité à Sibiu qui fut parfois mensuel, bi-mensuel, ou hebdomadaire, ainsi que pour la période post-révolutionnaire de différents organes de presse comme V e s tito ru l o rto d o x , R e n a s je re a , e tc ... L’Eglise orthodoxe a publié de nombreuses monographies, sur des sujets les plus divers, depuis des codes de droit canon orthodoxe à l’histoire de l’art des monastères de Bucovine. Ces ouvrages sont pour la plupart destinés aux instituts théologiques pour la formation des prêtres. B, Critique des sources : statuts et interprétations L’ensemble des articles et des textes étudiés émane d’institutions officielles centralisées, dans un Etat lui-même centralisé à l’extrême. On peut ainsi affirmer que les tendances qui s’affirment dans ces textes reflètent l’idéologie officielle de l’Eglise Orthodoxe Roumaine. Le problème essentiel est de savoir quelle est la validité de cette littérature officielle et dans quelle mesure elle peut être représentative de l’idéologie précise des auteurs, mais aussi des convictions et des mentalités. Il faudra voir dans quelle mesure cette littérature et la « propagande » orthodoxe sont le reflet des mentalités roumaines ou simplement l’application pure et simple d’un modèle extérieur imposé par la force, comme on le souligne souvent en Roumanie pour montrer l’horreur de l’instauration d’un régime venu de l’ennemi séculaire, la Russie et plus exactement l’empire soviétique. Cela pose tout le problème de la pénétration « intellectuelle » de l’idéologie communiste et de la distance entre la conviction des auteurs et leurs écrits. 77 Le problème de la censure exercée par l’Etat n’est pas non plus sans susciter nombre de problèmes majeurs. Dans quelle mesure l’idéologie que l’on peut en dégager reflète-t-elle véritablement la conception et les convictions de leurs auteurs au sein de l’Eglise orthodoxe ? On peut dire cependant que la littérature actuelle post-révolutionnaire nous permet de relever une continuité entre l’idéologie orthodoxe sous le communisme et après 1989. Ainsi, si l’on peut invoquer pour la période 1948-1989 l’imposition du totalitarisme et de la censure communistes, cet argument ne peut être invoqué pour la période post-communiste. A c o n tra rio , on peut donc affirmer que pour l’essentiel, ce qui a été écrit avant 1989 — excepté les textes d’hommage officiels —, reflète la réalité des convictions des auteurs, puisque dans le cas contraire, on ne pourrait comprendre la littérature orthodoxe actuelle, à moins d’invoquer une censure post-révolutionnaire. En outre, il faut souligner que de nombreux ouvrages qui sont apparus depuis 1989, édités par l’Eglise Orthodoxe Roumaine, reprennent des articles et des études in e x te n s o , édités sous le communisme. Ceci montre la validité de ces travaux en dehors du problème de la censure communiste^^^. On peut donc considérer que ces études, si elles sont toujours considérées aujourd’hui par l’Eglise comme valables et représentatives de l’idéologie orthodoxe, peuvent être l’objet d’une analyse fondée pour ce qui concerne la période 19481989. S’il est clair que dans le cas des textes de « circonstance », U faut faire preuve de la plus extrême prudence, il semble évident que l’ensemble de la littérature orthodoxe éditée sous le communisme peut représenter un c o rp u s de sources représentatif de l’idéologie orthodoxe contemporaine. On se rendra compte que, si ce qui relève de l’idéologie marxiste-léniniste pure constitue finalement une couche superficielle sur l’ensemble, l’essentiel des textes montre une C’est le cas de nombreux ouvrages disponibles aujourd’hui, contenant des études d’avant 1989 comme par ex. Nicolae CORNEANU, S tu d ii, n o te sJ c o m e n ta rii te o lo g ic e , c o ll Q u o V a d is ?, Timisoara, 1990. On notera pour l’anegdote que des ouvrages orthodoxes contenant des écrits mentionnant le couple présidentiel des Ceausescu et l’édification du socialisme édités avant 1989 sont encore vendus aujourd’hui dans les librairies orthodoxes roumaine. permanence et une continuité qui permettent de conclure à une validité de cette littérature en tant que reflet de mentalités et de convictions paitagées par une certaine classe de la hiérarchie ecclésiastique, voire des croyants orthodoxes, ou même des Roumains en général. On ne pourrait manquer de poser cette autre question qui est fondamentale dans cette période de transition post-communiste, à savoir la prégnance et la pénétration de l’idéologie officielle au sein même de la population après ces quarante années de dogmatisme idéologique. On notera toutefois aussi un problème, qui d’ailleurs participe à l’ensemble des paradoxes que nous relèverons dans l’histoire roumaine contemporaine et surtout sous le régime communiste ; celui de la diffusion de cette littérature orthodoxe. En effet, si l’on peut affirmer que la production orthodoxe roumaine figure parmi les plus nombreuses et les plus intéressantes des pays de l’Est communiste, sa diffusion semble avoir été en totale disproportion. Cette littérature était surtout destinée aux instituts théologiques et ne semble pas avoir connu de diffusion à grande échelle. Si certaines revues étaient destinées à la propagande à l’Etranger, comme R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N ie u w s , ou N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , éditées par le dépaitement des affaires extérieures de l’Eglise orthodoxe roumaine de Bucarest et paraissant depuis 1972, l’ensemble des publications de l’Eglise orthodoxe roumaine sont rares dans les bibliothèques étrangères et, selon des témoignages, ne se trouvaient pour ainsi dire pas sur le marché. En conclusion sur cette question, il faut cependant préciser que si cette littérature est capitale pour comprendre le problème de l’orthodoxie roumaine, il faut la manier avec beaucoup de prudence, surtout en ce qui concerne les textes d’allégeance au régime, les ovations avec « un enthousiasme unanime » au C o n d u c a to r à l’occasion des événements « grandioses » ou e p o c a le . Disons d’emblée que ces textes sont les moins intéressants et certainement les moins révélateurs dans la mesure où ils peuvent être mis au rang de textes artificiels, communs à toutes les Eglises de Roumanie, imposés par le régime. Nous verrons que les éléments les plus importants doivent être décelés de manière beaucoup plus profonde dans la littérature, à propos de thèmes plus fondamentaux concernant la société roumaine et ses éléments constitutifs. Ils ne 79 peuvent en aucun cas être considérés comme preuve de l’importance de la collaboration de l’Eglise avec l’Etat. C. Limites du travail L’ensemble de ces sources ne peut que refléter la position idéologique des hautes instances hiérarchiques de l’Eglise. Nous n’envisagerons donc pas la position du bas clergé et de l’opposition qui a pu exister dans les premières années du régime. Nous n’aborderons pas non plus la question du sentiment religieux et de la « spiritualité » roumaine, primordiale dans l’histoire des religions, mais très difficile à appréhender dans la mesure où elle relèverait davantage de l’analyse sociologique et ethnologique^®*. Une des difficultés de l’approche de l’histoire communiste de la Roumanie provient du centralisme des maisons d’éditions. Quasiment toutes les publications devaient recevoir l’aval des deux institutions suivantes, l’une dans le domaine de la recherche pluridisciplinaire, l’Académie de la République Populaire Roumaine, l’autre en matière religieuse, l’Institut Biblique et de Mission de l’Eglise Orthodoxe Roumaine. En effet, l’A.R.P.R. contingentait toutes les publications scientifiques selon le principe soviétique des deux réseaux parallèles de recherches, l’un universitaire, presque exclusivement destiné à l’enseignement, l’autre. On verra également les références plus complètes à ce sujet dans la conclusion, point I. : Alexandre DUTU, « Pour une histoire de la dévotion sud-est européenne. Contribution récentes », dans R e v u e d ’E tu d e s s u d -e s t e u ro p é e n n e s , t. 29, 1991, n°3-4, pp. 241-245 ; ID., « Sacré et profane dans le sud-est européen, réflexions préliminaires », dans E tu d e s R o u m a in e s e t A ro u m a in e s , Paris, Bucarest, 1990, pp. 52-53. 80 l’Académie avec ses filiales en province, exclusivement destinée à la recherche scientifique Quant à l’Institut Biblique et de Mission de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, il régentait l’ensemble des publications, manufactures d’œuvres d’arts, icônes, calendriers, e tc . du pays pour l’Eglise orthodoxe. Dans ces conditions, il reste peu de place à une littérature parallèle devenue totalement exsangue. Il est donc très difficile d’appréhender les tentatives d’oppositions internes dans l’historiographie et il est clair que ce centralisme a conféré un caractère fondamentalement monolithique à la recherche durant ces quarante ans de communisme. D.N. RUSU,/5 fon ’(3 A c a d e m ie i ro m â n e , re p e re c ro n o lo g ic e , Ed. Academiei române, Bucuresti, 1992. 3. Les problèmes linguistiques : re m a rq u e s s u r d é v o lu tio n d e la la n g u e ro u m a in e L’analyse du discours sur le plan linguistique permet de montrer un certain nombre d’aspects révélateurs et très intéressants sur le plan des subtilités du langage dans l’idéologie et dans la propagande, dans la mesure où, par exemple, les ambiguïtés idéologiques ne peuvent être décelées que dans le texte roumain par l’utilisation d’un champ lexical composé de mots synonymes dont les nuances sont souvent intraduisibles en français^Et ce sera On accordera une importance aux dictionnaires d’avant 1948, ceux-ci reprenant en général les termes anciens d’origine slavonne, surtout en matière ecclésiastique. On verra essentiellement le dictionnaire suivant, intéressant pour l’ancienne orthographe de la fin du XIXe siècle : Frédéric DAME, N o u v e a u d ic tio n n a ire ro u m a in -fra n ç a is , Imprimerie de l’Etat, 2 vol, Bucarest, 1893-1894 et Const. S a i N E A N U , D ic tio n n a ire ro u m a in -fra n ç a is , Ille éd., Ed. Cartea româneasca, S. A., Bucarest, 1909. Pour les dictionnaires communistes et encyclopédies on verra : D ic tio ria ru l lim b ii ro m în e m o d e rn e , Ed. A.R.P.R., 1958 (Institutul de linguistica din Bucuresti) ; D ic tio n a r e n c ic lo p e d ic ro m a n , 4 vol., Bucuresti, 1962-1966 (en cours de réédition : D ic tio n a r e n c ic lo p e d ic , vol. 1, Ed. Enciclopedica, Bucuresti, 1993) ; D ic tio n a ru l e x p lic a tiv a l lim b ii ro m a n e , DEX, Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1975 (Institutul de linguistica din Bucuresti) et s u p lim e n t, DEX-S, Bucuresti, 1988 ; M ic d ic tio n a r e n c ic lo p e d ic , 3e éd., Ed. Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti, 1986. Depuis 1989, on verra Vasile BREBAN, D ic tio n a r g e n e ra l a l lim b ii ro m â n e , 2 vol., Ed. Enciclopedica, Bucuresti, 1992. Pour le roumain-français : D ic tio n a r ro m â n -fra n c e z , Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1967 ; Gheorghina HANES, D itio n a r fra n c e z ro m a n , ro m â n -fra n c e z , Ed. Stiintifica si Enciclopedica Bucuresti, 1981 ; D ic tio n a r ro m â n -fra n c e z . D ic tio n n a ire ro u m a in -fra n ç a is, Ed. Babel, Ed. L’Harmattan, Bucuresti, Paris, 1992 ; Elvira 82 particulièrement le cas pour le vocabulaire en matière d’histoire religieuse^^^. Nous serons amenés à utiliser des néologismes inexistants en français mais dont on ne pouirait faire l’économie pour rendre les nuances indispensables à la traduction. De plus, il est assez clair que le roumain semble plus enclin que le français à utiliser des néologismes, en raison de la mobilité de la langue, de son évolution en somme tiès rapide depuis le XDCe siècle. On signalera qu’avec la fermeture des frontières, le roumain est resté une langue marginale à l’Etranger. La carence d’ouvrages en roumain, de dictionnaires, de grammaires, e tc ., à destination de l’Etranger est révélatrice de cette politique^ C’est en cela encore un des paradoxes de la Roumanie contemporaine, pays qui depuis le XVIIIe siècle, mais au XDCe siècle surtout, a entretenu des relations privilégiées avec la France particulièrem ent^ ^3^ aussi la Belgique jusque dans l’entre-deux-guerres^^^. BALMUS, Anca-Maria CHRISTODORESCU, Zelma K a H A N E , D ic tio n a r ro m â n -fra n c e z. Ed. Mondero, Bucuresti, 1992. On vema aussi Elena GORUNESCU, D ic tio n a r fra z e o lo g ic fra n c e z ro m â n , ro m â n -fra n c e z , Ed. Teora, Bucuresti, 1993. m On verra en outre l’ouvrage de Ion M. STOIAN, D ic tio n a r re lig io s . T e rm e n i re lig io s i, c re d in te p o p u la re sJ n u m e p ro p rii, Ed. Garamond, Bucuresti, 1994 et le dictionnaire de Ion BRIA, D ic tio n a r d e T e o lo g ie o rto d o x a A -Z , Bucuresti, 1981. 112 Avant 1989, les ouvrages grammaticaux, les dictionnaires et les manuels d’enseignement du roumain étaient rares en Occident. On veiTa I. B a C IU , P ré c is d e g ra m m a ire ro u m a in e , Lyon, 1978 ; Boris C a z a C U , Clara Georgeta CHIOSA, Matilda C a r a G IU -M a r io TEANU, Valeria Gutu ROMALO, Sorina, BERCESCU, C o u rs d e la n g u e ro u m a in e . In tro d u c tio n à l’é tu d e d u ro u m a in (à l’u s a g e d e s é tu d ia n ts é tra n g e rs ), IVe éd., Ed. Didactica si Pedagogicâ, Bucuresti, 1981. Depuis la Révolution de nombreux ouvrages sont parus en langue française, comme notamment : Valeriu RUSU, L e R o u m a in , L a n g u e , L itté ra tu re , C iv ilis a tio n , OPHRYS, Paris, 1992 ; Gheorghe DOCA, Alvaro ROCCHETTI, C o m p re n d re e t p ra tiq u e r le ro u m a in , Ed. Academiei române, C.I.R.E.R., Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris III), Bucuresti, Paris, 1992. En langue roumaine on verra essentiellement : G ra m a tic a lim b ii ro m în e , vol. 1, V o c a b u la ru l, fo n e tic a s i m o rfo lo g ia , vol. 2, S in ta x a , dir. Dimitrie MACREA, Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 1954 ; Stefania, POPESCU, G ra m a tic a p ra c tic d a lim b ii ro m â n e . e u o c u le g e re d e e x e rc itii, 4e éd., Ed. Didactica si pedagogica, R.A., Bucuresti, 1992. 113 On verra par ex. les très nombreux voyages faits par des occidentaux en Roumanie au XVnie siècle, N. lORGA, Is to ria R o m â n ilo r p rin c d ld to ri, Ed. Eminescu, Bucuresti, 1981, et les nombreux séjours des intellectuels roumains en France au XIXe siècle, notamment dans le 83 Dans cette introduction, quelques remarques concernant l’évolution du roumain doivent être signalées dans la mesure où ce problème est intimement lié à l’évolution du pays et aux thèses historiographiques concernant l’histoire de la Roumanie^^^ Les études linguistiques roumaines affirment l’existence de la langue roumaine depuis le Vile siècle^ Cependant, le premier texte roumain date du début du XVIe siècle* De plus, il convient de souligner que jusqu’en 1864, le roumain était officiellement écrit en cyrillique, étant donné l’évangélisation au Xe siècle et l’adoption du rite orthodoxe slavo-bulgare qui fut contexte des mouvements révolutionnaires, cfr. par ex. Dan BERINDEI, « Préludes de la révolution roumaine de 1848. Les sociétés secrètes », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XVII, 1978, juil.-sept., f. 3, pp. 427-445. On pensera aussi à l’influence du français sur la langue roumaine : Ana GOLDIS-POALELUNGI, L ’in flu e n c e d u fra n ç a is s u r le ro u m a in (v o c a b u la ire e t s y n ta x e ) ( Publications de l’université de Dijon, XLIV), Paris, 1973. 1 On verra par exemple le livre du comte Gaston DE LOOZ-CORSWAREM, B e lg iq u e e t R o u m a n ie , Bruxelles, 1911, faisant l’éloge de la Roumanie, de « ses institutions les plus libérales de l’Europe », p. 6 et reprenant la citation de Bismark, « La Roumanie est la Belgique orientale » (en page de garde). L’histoire de la langue roumaine est effectivement indissociable de l’histoire de la formation de l’Etat ; on verra en par ex. ; C. DAICOVICIU, E. PETROVICI, Gh. STEFAN, L a fo rm a tio n d u p e u p le ro u m a in e t d e sa la n g u e , Bibliotheca Historica Romaniae, L, Ed. A.R.P.R., Bucarest, 1963 ; Constantin C, GlURESCU, L a fo rm a tio n d u p e u p le ro u m a in e t d e s a la n g u e , Ed. Meridiane, Bucarest, 1972 ; cfr. aussi Alexandru G r a u r , L a R o m a n ité d u R o u m a in , Bibliotheca Historica Romaniae, Etudes, 9, Ed. A.R.S.R., Bucarest, 1965. 116 Ovid DENSUSIANU, Is to ria lim b ii ro m în e , vol. 1, O rig in e le , vol. 2, S e c o lu l a l X V I-le a , Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1961 (rééd. de vol. 1, 1901, vol. 2, 1938) ; Is to ria lim b ii ro m â n e , 2 vol., Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 1965-1969 ; Al. GRAUR, E v o lu tia lim b ii ro m în e . P riv ire s in te tic d , Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1963 (traduit aux éditions Meridiane, L a la n g u e ro u m a in e . E s q u is s e h is to riq u e , Bucarest, 1963). On verra aussi les ouvrages de l’académicien Rosetti parmi les plus célèbres pour l’histoire de la langue. Al. ROSETTI, Is to ria lim b ii ro m în e , I, L im b a la tin d , II, L im b ile b a lc a n ic e , IB, L im b ile s la v e m é rid io n a le (se c. V I-X II), 4e éd., Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1964. On verra aussi la bibliographie générale : L e n o u v e a u e n lin g u is tiq u e d a n s l’o e u v re d e A . R o s e tti (d e 1 9 2 0 à n o s jo u rs ), Ed. Univers, Bucuresti, 1985. On verra plus précisément : P.P. PAINAITESCU, în c e p u tu rile s f b iru in ta s c ris u lu i în lim b a ro m â n d , Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 1965. 84 déterminant quant aux influences slaves, ou slavonnes, dans la langue roumaine^ L’ensemble des textes médiévaux officiels ou ecclésiastiques de même que la littérature étaient écrits en slavon, la langue liturgique du monde orthodoxe, à l’instar du latin en Occidentale. Il fallut attendre l’influence importante du protestantisme aux XVIe et XVIIe siècles pour que les Roumains adoptent pour les textes de culte leur langue vernaculaire, c’est-à-dire le roumain 1^11. Ce ne sera qu’au XVIIIe siècle, lors d’une latinisation de la langue, sous l’influence de l’« Ecole latine » influencée par les Lumières et l’uniatisme en Transylvanie^^i, comme nous G. MIHAILÀ, îm p ru m iitu ri v e c h i s u d -s la v e în lim b a ro m în a . S tu d iu le x ic o -s e m a n tic (Materiale si cercetari linguistice, VII), Ed. A.R.P.R., Bucuresti, 1960 ; ID., D ic tio n a r a l lin ib ii ro in â n e v e c h i s firs itu l se c. X în c e p u tu l se c. X V I, Bucuresti, 1974. On verra en plus pour toute l’histoire de l’évolution de la littérature jusqu’au XVIIIe siècle, G. C a l in e S C U , Is to ria lite ra tu rii ro m a n e . D e la o rig in i p în a în p re z e n t, 2e éd., Ed. Minerva, Bucuresti, 1988 ; Al. P lR \j, L ite ra tu ra ro m â n a v e c h e , Ed. pentru literaturâ, 1961 ; ID., L ite ra tu r a ro m în a p re m o d e rn a , Ed. pentru literatura, 1964 ; en français Mitu GROSU, L a litté ra tu re ro u m a in e a u m o y e n â g e , Jémsalem, 1993. 120 R BOUSQUET, « Le roumain, langue liturgique », dans E c h o s d ’O rie n t, 4e an., n° 1, 1900, pp. 30-35. Cfr. aussi : G. S t a d t m ÜLLER, « Schriftsprache, Kirchlichkeit und Nationwerdung im ostlichen Europa, Griechen und Rumânen als Beispiele », dans S a e c u lu m , t. 33, 1982/83, pp. 322-336. 121 Les Lumières sont désignées en Roumanie par le terme « Illuminisme », ilu m in is m u l, pour lequel on verra de nombreux ouvrages dont principalement : E n lig h te n m e n t a n d R o m a n ia n S o c ie ty , édit. Pompiliu TEODOR, Ed. Dacia, CluJ-Napoca, 1980 ; Pompiliu T e O D O R , In te rfe re n te ilu m in is te e u ro p e n e , Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1984 ; L a c u ltu re ro u m a in e à l’é p o q u e d e s L u m iè re s , coord. Romul MUNTEANU, 2 vol., Ed. Univers, Bucarest, 1982 ; la thèse de doctorat de Nicolae BOCSAN, C o n trib u tii la is to ria iliu n in is m u lu i ro m â n e sc , Ed. Fada, Timisoara, 1986 ; L e s L u m iè re s e n H o n g rie , e n E u ro p e c e n tra le e t e n E u ro p e o rie n ta le (Actes du Cinquième colloque de Matrafüred, 24-28 novembre 1981), Akademiai Kiadô, Ed. C.N.R.S., Budapest, Paris, 1971 et L e s L u m iè re s e n H o n g rie , e n E u ro p e c e n tra le e t e n E u ro p e o rie n ta le (Actes du Deuxième colloque de Matrafüred, 2-5 octobre 1972), Akademiai Kiadô, Budapest, 1975. On verra aussi Dan BERINDEI, R o m â n ii s i E u ro p a . Is to rie , s o c ie ta te , c u ltu rd , vol. 1, S e c o le le X V IH -X IX , Ed. Museion, Bucuresti, 1991. Cfr. de manière plus générale : Laszlo S Z IK L A Y , A u fk la ru n g u n d N a tio n e n im O s te n E u ro p a s , Corvina Kiadô, 1983 ; F. RUEGG, A l’E s t, rie n d e n o u v e a u . D e la b a rb a rie à la c iv ilis a tio n , L e s in a rc h e s im p é ria le s e t 85 le veiTons, que le roumain s’est latinisé ou « relatinisé effet, le vocabulaire était jusqu’à cette époque largement influencé par le slave. Ce fut également à cette époque, sous le régime phanariote, que le roumain subit l’influence du grec, du turc, de l’italien et du russe^^^ L’histoire de la langue étant intimement liée à l’histoire du pays, et surtout conditionnée par la thèse de la continuité roumaine, on considère le roumain comme étant une langue latine, plus exactement, daco-latine, d’origine thrace mais latinisée sous Trajan. Ainsi, le roumain possède des accointances avec l’albanais, également une langue d’origine thrace, plus exactement illyro-balkanique thrace qui, elle, fut influencée fortement par le slave. Ceci est accepté par tous. Ce qui diffère, c’est la date de latinisation du roumain. Les Roumains montrent l’antériorité latine sur la période slave, et la nature intrinsèquement latine de la langue. L’historiographie hongroise montre que la latinisation ne s’est réalisée en réalité que plus tard. Pour les Hongrois, les Roumains, venus du sud du Danube après le Xe siècle, possédaient une langue effectivement parente de l’albanais, mais qui ne fut latinisée qu’au XVIIIe siècle. Cependant cette ambiguïté de la langue reste un phénomène important jusqu’à nos jours puisque les auteurs, suivant la tendance idéologique ou littéraire, accentuent un aspect ou l’autre de la langue, utilisant un vocabulaii’e latin ou d’origine slavonne. On citera l’exemple de lorga, le grand historien roumain, bien que de tendance nationaliste, utilise un style ancien pour faire du roumain une langue littéraire, et utilise un style que les roumains comparent souvent à l’auteur français Michelet. En plus, lors de la période stalinienne, on reviendra en Roumanie à une slavisation de la langue. En Moldavie soviétique, l’E u ro p e , Ed. Georg, Genève 1991, le chap.. L e s é c h o s d e « V A u fk la e ru n g » e n M o ld a v ie e t e n V a la c h ie , pp. 58-65. 122 Samuil MICU, Gheorghe SlNCAI, E le m e n ta lin g iiœ d a c o -ro m a n œ s iv e v a la c h ic œ (Studiu introductiv, traducerea si note de Mircea ZDRENGHEA), Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1980. On consultera pour ces auteurs, outre les ouvrages renseignés sur l’histoire de la littérature : D ic tio n a ru l lite ra tu rii ro m â n e d e la o rig in i p în d la 1 9 0 0 , Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1979 (Institutul de linguistica, istorie literara si folclor al universitam « Al. I. Cuza » lasi). 123 On verra particulièrement à ce sujet le livre d’Elizabeth CLOSE, T h e D e v e lo p m e n t o f M o d e m R u m a n ia n . L in g u is tic th e o ry a n d p ra c tic e in M u n te n ia . 1 8 2 1 -1 8 3 8 , Oxford University Press, 1974. 86 on en reviendra à la réadoption de l’alphabet cyrillique qui ne sera abandonné qu’à la fin du communisme. On verra le double champ lexical utilisé par l’orthodoxie, latin et slavisant. Ainsi, on assiste à des changement dans l’orthographe, visant à slaviser ou latiniser le vocabulaire. Dans les années cinquante, on changea l’écriture du son « â » par « î » pour donner un caiactère plus slave à la langue. Par exemple le mot « Roumanie » s’écrit lui R o m în ia au début de la période communiste pour redonner un caractère slave ; le « â » de R o m â n ia , R o m â n , ro m â n e s c , fut rétabli à la période latine sous Ceausescu. Mais pour tous les autres mots, il fallut attendre la chute du régime communiste ; ex. « pain » : p â in e est devenu p îin e . La conjugaisont du verbe « être » fut aussi modifiée puisqu’on substitua au « s u n t » (je suis), le mot « s în t », impliquant dans ce cas une transformation de la prononciation. Cette réforme des années cinquante fut supprimée par la réforme d’orthographe faite à l’automne 1992. Cette réforme fut à l’origine d’un débat très important, les uns fidèles à l’orthographe de l’entre-deuxguerres, les autres à l’orthographe moderne. Cette question Ulustre également jusqu’à quel point le régime communiste tenta d’imposer des réformes qui menèrent à une « déstabilisation » intellectuelle et culturelle. Le cas de la politique moldave communiste en est l’exemple le plus flagrant puisque non seulement on slavisa la langue en plus de la réadoption du cyrillique, mais on y développa une « propagande » historique à l’opposé de celle qui fut développée en Roumanie afin de montrer l’originalité du peuple moldave, différent du peuple roumain. Aujourd’hui il n’est pas étonnant de voir se développer des mouvements pour une Grande Moldavie, ce que l’on appelle le « moldavisme » {tn o ld o v e n is m u lŸ ^ ^ . Lors de l’abandon du cyrillique au XDCe siècle, on passa d’abord à un alphabet de « transition » qui combinait le cyrillique et l’alphabet latin. On utilisa par la suite des lettres latines avec de nombreux signes diacritiques pour respecter l’étymologie. Lors de l’abandon de l’orthographe étymologique, on la simplifia en adoptant le principe phonétique. On a alors abandonné des lettres, telles que le « d », le « è », le 124 çfr la conclusion. 87 «1 », « o », « u », e tc . Ainsi, en plus des difficultés orthographiques, des difficultés dues à une sorte de double champ linguistique slavo-latin, la langue roumaine pose un certain nombre de difficultés liées à l’histoire du pays et aux tentatives politiques de lui donner un caractère culturel occidental ou oriental. Nous verrons, dans cette étude, que ces points sont importants, et que cette distinction Occident-Orient, en raison de la situation de la Roumanie, se manifeste de manière beaucoup plus complexe. En fait, les passions soulevées par la réforme de l’orthographe de l’automne 1992 proposée par le gouvernement pour rétablir l’orthographe de l’entre-deux-guerres provoqua des réactions très vives au sein de l’opposition notamment. C’était une manière pour le gouvernement d’Iliescu de marquer une rupture « psychologique » avec la période communiste, jugée « dérisoire » par l’opposition. Les problèmes linguistiques montrent combien ces questions ont une incidence politique et idéologique directe. 88 IV. Conclusion Les différents points énoncés dans cette introduction suffisent à montrer la complexité lorsqu’on aborde l’histoire de la Roumanie. L’ensemble des problèmes évoqués, même aussi succinctement, montrent la richesse de ce terrain d’étude, propice à des investigations multiples. Dans le cadre du présent travail, nous tâcherons de montrer dans un premier temps l’idéologie de l’Eglise par rapport à l’Etat, d’y déceler les réminiscences byzantines ou non, de discerner s’il y a réellement un « fond » byzantin classique ou s’il s’agit d’une adaptation due à l’évolution de l’Eglise orthodoxe telle qu’elle s’est produite aux temps modernes et à l’époque contemporaine. Il s’agira également de voir si l’essentiel de cette légitimation ne correspond pas plutôt à une implication de l’Eglise dans l’histoire récente des XIXe et XXe siècles. Dans un deuxième temps, d’après les points relevés, nous verrons dans quelle mesure l’Eglise orthodoxe constituerait véritablement un frein à un processus démocratique dans le cas de la Roumanie. En conclusion, une évocation de la situation actuelle de l’Eglise orthodoxe et de l’attitude qu’elle adopte depuis les événements de 1989 sera pour cela éclairante. Dans une première partie, nous verrons quelle est la vision générale que propose l’Eglise Orthodoxe Roumaine des relations entre l’Eglise et l’Etat et comment elle légitime le cadre légal 89 offert par la Constitution de la R.P.R., à savoir la doctrine élaborée par le nouveau patriarche Justinian Marina : l’Apostolat social. La seconde partie sera consacrée à la légitimation par l’Eglise Orthodoxe Roumaine du respect de l’Etat et de la soumission aux autorités, la République Populaire Roumaine : le patriotisme, pierre angulaire de l’Apostolat social. Dans la troisième partie, il sera question de l’idéologie de l’Eglise face à la notion de « nation » et ses corollaires : l’unité de la foi avec toutes ses implications politiques et « ecclésiales » ; la légitimation de la collaboration avec la République Socialiste Roumaine. Enfin, la dernière partie sera consacrée au problème de la légitimation de l’Eglise orthodoxe dans le cadre du bloc communiste, ce que l’on pourrait appeler le « panslavisme » orthodoxe, et son évolution sous Ceausescu. Dans les conclusions, nous évoquerons d’autres hypothèses d’ordre théologique et sociologique relatives à l’Eglise Orthodoxe Roumaine qui pourraient également conditionner les mentalités politiques et sociologiques roumaines dans le cadre de la problématique. Nous évoquerons la situation actuelle depuis 1989 et les perspectives d’avenir au regard de la position actuelle de l’Eglise orthodoxe et des différentes tendances contemporaines. Nous verrons dans quelle mesure l’ensemble de ces éléments peuvent corroborer la thèse du « frein » à la démocratisation. On pounait ainsi en aniver à définir la thèse suivante, paraphrasant Max Weber au sujet de l’éthique protestante et de l’esprit du capitalisme^^5 • existe-t-il une « éthique » orthodoxe antinomique à un pluralisme démocratique ? Il est évident que nous ne pouiTons dans le cadre de cette étude que poser le problème, sans y apporter de réponse définitive, tant les facteurs sont nombreux et nécessiteraient de nombreuses études en divers domaines. Il faudrait en réalité étudier toute l’histoire de l’orthodoxie depuis 1948 en Roumanie, autant sur le plan événementiel que théologique et 125 Max WEBER, L ’é th iq u e p ro te s ta n te e t l’e s p rit d u c a p ita lis m e , s u iv i d e : le s s e c te s p ro te s ta n te s e t l’e s p rit d u c a p ita lis m e , coll. « Presses Pocket », Plon, 1990. 90 dogmatique, pour dresser une « image » de l’orthodoxie contemporaine. En outre, il faudrait faire de nombreuses comparaisons, avec les autres pays des Balkans, avec la Russie et avec la période de l’entre-deux-guerres. Nous ne pourrions ici que jeter les bases d’une réflexion, jalons de recherches ultérieures. 91 PREMIERE PARTIE EGLISE ORTHODOXE ET « APOSTOLAT SOCIAL » TRADITION ET RENOUVEAU A D A P T A T IO N D E L ’E G L IS E A L A S O C IE T E C O M M U N IS T E NO UVELLE Chapitre I : CONCEPTION GENERALE DE L’EGLISE DES RAPPORTS EGLISE / ETAT : rA p o s to la t s o c ia ly « fid é lité e t re n o u v e a u » ffidelitate si innoire) e t u n e E g lis e « s e rv a n te » (o Biserica slujitoare) En automne 1989, quelques mois à peine avant les événements de décembre, le métropolite de Transylvanie Antonie Plamadeala s’exprimait en ces termes ; « L’Eglise a été fondée par notre Sauveur Jésus Christ pour les hommes de toujours et de partout, raison pour laquelle elle ne peut pas négliger l’époque où elle vit ni les conditions d’existence des hommes, conditions toujours soumises aux modifications qu’entraîne le développement historique et le progrès dans tous les domaines de l’activité humaine. Quand on parle de l’Eglise et de ses relations avec l’Etat, on ne pense pas à son aspect sacramentel, mais plutôt à son caractère de société ou d’organisation religieuse publique qui présente un intérêt pour l’Etat et dont les manifestations externes et sociales sont sanctionnées par la loi. La relation entre l’Eglise et l’Etat est une question toujours actuelle, puisqu’à chaque époque de l’histoire apparaissent de nouveaux problèmes qui concernent la vie dans son ensemble : la vie sociale, la vie de l’Etat et la vie ecclésiastique. Par rapport à sa dimension stable, universelle, qui, dans le cas de l’Eglise 93 orthodoxe, se trouve dans les dogmes et les canons, les relations entre l’Eglise et l’Etat acquièrent des cai'actéristiques nouvelles à chaque époque historique et selon le régime social de chaque pays. L’élément ethnique, l’identité nationale des chrétiens ont à leur tour une influence durable sur les relations entre l’Eglise et l’Etat. Dès le début, l’Eglise Orthodoxe Roumaine a joint sa vie et son activité à celle du peuple roumain. Du point de vue de leurs genèse et formation, ils sont apparus en même temps, à partir de la seconde moitié du 1er siècle après J. Chr. et les premières décennies du Ile siècle, sur le territoire qui s’étend de la Mer Noire au Danube et sur les deux versants des Carpathes, évoluant ensemble au long de l’histoire. C’est ce qu’explique, d’une part, le caractère spécifique de la relation entre l’Eglise Orthodoxe Roumaine et le peuple roumain et, d’autre part, entre le peuple roumain et l’Etat dans le passé et aujourd’hui »126 Cette citation nous indique deux aspects fondamentaux. L’adaptation de l’Eglise, en tant que société humaine, à l’Etat en fonction de l’évolution de l’histoire et des régimes sociaux et le lien fondamental entre l’ethnicité roumaine et l’Eglise orthodoxe roumaine, c’est-à-dire le lien entre nation roumaine et confession orthodoxe qui constitue, comme le dit Plàmadealâ, « l’influence durable » et réciproque entre l’Eglise et l’Etat^^V « A la base du type de la relation entre l’Eglise et l’Etat, continue A. Plamàdealà, se trouvent toute une série de fondements théologiques, canoniques et juridiques. De toutes les réalités historiques de la vie humaine, qui se trouvent en permanent changement, la plus importante pour la vie et la mission de l’Eglise est l’Etat. Cependant, l’Eglise Orthodoxe en général et l’Eglise Orthodoxe Roumaine en spécial (s ic ) n’ont pas formulé un credo au sujet d’un régime social quelconque, ni une doctrine au sujet de l’Etat. Dans de telles relations, elle 126 an t o N IE (évêque assistant au patriarcat roumain), « Church and State in Remania », dans C h u rc h a n d S ta te , O p e n in g a N e w E c u m e n ic a l D is c u s s io n , édit L. ViSCHER, Genève, World Council of Churches, 1978, pp. 90-106 ; ID., (Métropolite de Transylvanie), « Documentaire : Eglise et Etat en Roumanie » (Exposé du Métropolite Antonie de Transylvanie au X-ème séminaire international « Etat-Eglise en Europe », 9-14 mai 1989, Chambésy, Suisse), dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , 19e an., 5, 1989, p. 12. ID., « Documentaire ; Eglise et Etat en Roumanie...», o p . c it, p. 12 94 se guide, selon quelques principes tirés de l’Evangile de notre Seigneur Jésus Christ, son fondateur et son Chef, des écrits des Saints Apôties, ainsi que de sa propre situation et activité à une certaine époque et sur un certain territoire géographique et politique (...)- Etant donné que le Royaume du Christ est de nature spirituelle et eschatologique, l’Eglise Orthodoxe ne s’est jamais identifiée à une idéologie quelconque ou à un régime politique ou système quel qu’il soit. Certes, les structures sociales et les régimes politiques de l’époque ne lui sont pas indifférents, puisqu’elle s’est toujours préoccupée du bien-être de la communauté humaine, mais elle remplit sa mission spirituelle dans les conditions que lui assure le mode d’organisation de la société du point de vue social et politique Les principes fondamentaux qui régissent les rapports Eglise / Etat sont en fait les bases chrétiennes du patriotisme et du respect de rEtat^29 L’Eglise orthodoxe n’a donc pas 1 Ib id ., p. 13. ^29 Pour les relations entre les Eglises et l’Etat en Roumanie pour la période communiste, on verra : E. ClUREA, « Religions life », dans C a p tive R u m a n ia , a d e c a d e o f S o v ie t ru le , Atlantic Press, New York, London, 1956, pp. 165-203 ; Stephen F i s c h er -G a l a t i, « Religion », dans R o in a n ia (East-central Europe under the communists) (The mid-European Studies center Sériés), Atlantic press, New York, London, 1957, pp. 132-147 ; Trevor BEESON, P ru d e n c e e t c o u ra g e , la s itu a tio n re lig ie u s e e n R u s s ie e t e n E u ro p e d e l’E s t, Ed. du Seuil, Paris, 1975 (1er Ed. en angl. 1974), pp. 280-299 ; D.C. AMZAR, « Partei, Staat und Kirche im heutigen Rumânien », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 14, 1965, f. 2-3, pp. 162-183 ; Janice A. BROUN, « Romania’s Churches behind the façade of Liberalism », dans A m e ric a , 150, mars, 1984, pp. 165-169 ; Earl A. POPE, « Church-State relations in Romania », dans K y rk o h is to ris k A rs s k rifi, 1977, pp. 291-297 ; ID., « Church-State relations in Romania », dans T h e C h u rc h in a c h a n g in g s o c ie ty. C o n flic t, ré c o n c ilia tio n o r a d ju s tm e n t (Publications of the Swedish Society of Church history, vol. 30), Uppsala, Almqvist et Wiksell, 1978, pp. 291-297 ; ID., « The contemporai7 religions situation in Romania », dans O c c a s io n a lp a p e rs o n re lig io n in E a s te rn E u ro p e , vol. 9, n°l, févr. 1989, pp. 39-41 ; Michael SHAFIR, R o m a n ia : p o litic s , é c o n o m ie s a n s d s o c ie ty : p o litic a l s ta g n a tio n a n d s im u la te d c h a n g e (Marxist Régimes), London, 1985, pp. 150-158 ; Gerhard PODSKALSKY, « Kirche und Staat in Rumânien », dans S tim m e n d e r Z e it (Freiburg), vol. 185, 1970, pp. 198-207 ; Ernst Chr. SUTTNER, « Kirchen und Staat », dans S ü d o s te u ro p a -H a n d b u c h , R u m â n ie n , t. 2 , édit. Klaus-Detlev Grothusen, Ed. Vandenhoeck & Ruprecht, Gôttingen, 1977, pp. 458-483 et le recueil d’arücles du même auteur ; B e itrà g e z u r K irc h e n g e s c h ic h te d e r R u m a n e n , Ed. Herold, Wien, München, 1978 ; D.C. AMZÀR, 95 d’idéologie particulière pour un Etat p a rticu lie r^30 EUg doit s’adapter aux conditions historiques, et c’est sur la base de cette adaptation que le patriarche Justinian Marina, le premier « Religionen und Konfession im heutige Rumânien, Dokumente und Berichte », dans Ô k u m e n is c h e R u n d s c h a u , 14, 1965, pp. 243-246 ; P. DELCROY, « The Church in Romania », dans P ro M u n d i V ita D o s s ie rs , t. 4,1978, pp. 1-32 ; George ROSU, Mircea V a S E L IU et George CRISAN, « Church and State in Romania », dansC/iMrc/t a n d S ta te b e h in d th e Ira n C u rta in , édit. V. GSOVSKI, Frederick A. Praeger, New York, 1955, pp. 257-299 ; Dionisie « Die Lage der Kirche in Rumânien », dans R e lig io n s fre ih e it GHERMANI, und M e n s c h e n re c h te , Ed. LENDVAI, Graz, Wien, Koln, 1983, pp. 203-214 ; Flaviu POPAN, « Chrislicher Wiederstand in Rumânien. Gegen den kommunistischen Materialismus », dans D e r E u ro p à is c h e O s te n , 77, mars, 1961, pp. 166-170 ; « Zur Situation der Chrislichen Kirchen in Rumânien », dans H e rd e r K o rre s p o n d e n z , XXV, 7, 1971, pp. 321-325. Cfr. aussi : C h u rc h w ith in s o c ia lis m , C h u rc h a n d S ta te in e a s t e u ro p e a n s o c ia lis t re p u b lic s , édit. Erich (Giovanni Barberini), Rome, I.D.O.C., Dossiers Two and Three, WEINGÀRTNER International, 1976, pp. 88-114 et K irc h e im S o z ia lis m u s . K irc h e u n d S ta a t in d e n o s te u ro p â is c h e n Ba r b e r in i, s o z ia lis tis c h e n R e p u b lik e n (IDOC, Dokuraentation), édit. Giovanni Martin STÔR, Erich WEINGÀRTNER, Ed. Otto Lembeck, Krankfurt am Main, n.d., pp. 116-124. 130 Pour les rapports entre l’Eglise orthodoxe et l’Etat communiste en particulier : George Ra COVEANU, « Die rumânische Orthodoxie », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 2, 1953, f. 3, pp. 161-198 ; ID., « Die rumânische orthodoxe Kirche wâhrend der kommunistischen Herrschaft », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 4, 1955, f. 1, pp. 61-75 ; Keith HITCHINS, « The Romanian Orthodox Church and the State », dans R e lig io n a n d a th e is m in th e U S S R , édit BOCIURKIW, MacMillan Press, 1975, pp. 314-327 ; F. POPAN, « Die Rumânisch- orthodoxe Kirche in ihrer jüngsten Entwicklung, 1944-1964 », dans K irc h e im O s te n , t. 9, 1966, pp. 67-82 ; Sephen F IS C H E R -G a l a T I, « Relations between Church and State in contemporary Romania ; Orthodoxy, Nationalism, and Communism », dans T h e b y z a n tin e le g a c y in M. S p y r o p E a s te rn O ULOS, E u ro p e , édit L. CLUCAS, New York, 1988, pp. 283-295 ; « L’Eglise Orthodoxe Roumaine, son visage actuel I », dans C o n ta cts , 76, 1971, pp. 423-430 ; II, 77, 1972, pp. 57-69 ; III, 78-79, 1972, pp. 215-220 ; IV, 81, 1973, pp. 59-62 ; Flaviu POPAN, « Die Rumânisch orthodoxe Kirche im ihrer jüngsten Entwicklung, 1944-1964 », dans K irc h e im O s te n , 1966, vol. 9, pp. 67-82. Earl A. POPE, « The Orthodox Church in Romania », dans O s tk irc h lich e S tu d ie n , vol. 31, 1982, pp. 297310 ; ID., « The Romanian Oithodox Church », dans O c c a sio n a l p a p e rs o n re lig io n in E a s te rn E u ro p e , t. 1, 3, 1981, pp. 1-17. Cfr. aussi Costantin SIMON S.I., « Ortodossi e cattolici nella Romania socialista », dans L a C iv ilta C a tto lic a , 1989, n°3333, pp. 231-243. Cfr. aussi le 96 de la période communiste mis sur le trône patriarcal en 1948, conçut sa théorie de l’« Apostolat social L’Eglise et l’Etat diffèrent par leur nature, leur but et leur structure. « En tant que communauté diaconale, l’Eglise est soumise à des renouveaux et à des transformations permanents. Ce qui ne change pas dans l’Eglise, c’est sa doctrine de foi, les Saints Sacrements, les règles liturgiques et ses structures sacramentelles. Son enseignement est approfondi en permanence suite à l’étroite relation de l’Eglise avec le monde et la société en permanente transformation et progrès (...). Après la seconde guerre mondiale, l’Eglise Orthodoxe Roumaine s’est adaptée elle aussi aux nouvelles réalités sociales, politiques, économiques, culturelles et spirituelles survenues en Roumanie, et elle l’a fait dans l’esprit de la tradition séculaire de son intégration à la vie et aux aspirations du peuple L’Apostolat social concrétise donc cette adaptation de l’Eglise à la nouvelle donne offerte par l’instauration du communisme. Le texte de V A p o s to la t s o c ia l, p ild e sJ in d e m n u rip e n tru c le r (Apostolat social, exemples et conseils pour le clergé) représente l’ensemble du discours d’allégeance de l’Eglise orthodoxe au nouveau pouvoir, basé essentiellement sur le patriotisme, et s’inspire, dans les premières années du moins, du modèle russe orthodoxe soviétique^^S jj ne s’agit pas d’une théorie structurée et construite d’un christianisme social, mais d’un ensemble de textes destinés à l’enseignement du clergé. Ce sont des recueils de discours du nouveau livre de Gabriel ADRIANYI, D ie F ü h ru n g d e r K irc h e in d e n S o z ia lis tis c h e n S ta a te n E u ro p a s , Johannes-Berchmans Verlag, München, 1979, pp. 125-144. Pour les institutions de l’Etat, on consultera ; L e R é g im e e t le s in s titu tio n s d e la R o u m a n ie , jo u rn é e s d ’é tu d e d u 3 a u 5 n o v e m b re 1 9 6 4 , Université Libre de Bruxelles, Centre d’Etude des Pays de l’Est, Bruxelles, 1966. 131 On verra surtout l’article de H. MONDEEL, « Patriarch Justinian van Roemenië », o p . c it., pp. 3-14 ; I. DOENS, « La réfoime législative du patriarche Justinien de Roumanie. Sa réforme et sa règle monastique », dans Iré n ik o n , t. 27, 1954, pp. 51-92. 132 a n t O N IE , Métropolite de Transylvanie, « Documentaire : Eglise et Etat en Roumanie...», o p . c it., p. 14-15. 133 Cfr. le point consacré au « sergianisme » roumain (in jra .) 97 patriarche, généralement à la gloire de la patrie, de rU.R.S.S., des instances dirigeantes, et du travail pour l’édification de la société socialiste. Tous les auteurs orthodoxes s’en sont inspirés pendant le régime communiste. Ce fut le cas pour le patriarche actuel Teoctist Arapasu qui utilisa ces recueils pour rédiger ses écrits réunis sous le titre ; P e tre p te le s lu jirii c re s tin e (Sur les marches du service chrétien), dont les trois premiers volumes ont été édités à l’époque communiste, et qui réunissent les discours prononcés tout au long de son patriarcat^34 Lgg auteurs orthodoxes et les théologiens s’inspireront de ces ouvrages pour en tirer une théologie beaucoup plus élaborée : ce sont eux que nous étudierons particulièrement. « II n’a pas été si simple d’accomplir, à travers ce quart de siècle, les choses dont on peut si facilement parler aujourd’hui. A cette époque-là, au plus fort de la confrontation décisive entre l’héritage d’avant et la situation d’après la seconde guerre mondiale, beaucoup militaient pour et recommandaient des solutions radicales. Certains plaidaient pour une résistance acharnée au neuf, d’autres conseillaient, par contie, l’intégration totale dans le “ renouveau ”, en laissant de côté la tradition et les dogmes de l’Eglise. Aucune de ces solutions n’offrait à l’Eglise les garanties d’une option authentique et conforme à sa mission et à ses intérêts. Sa Béatitude, le Patriarche Justinian, a dès le début opposé aux solutions radicales une solution d’équilibre. Il n’ignorait pas qu’il y a dans l’enseignement de la Chrétienté orthodoxe assez de ressources qui pouvaient engager l’Eglise dans la vie de la nouvelle société de manière, non seulement qu’elle ne trahisse aucun de ses principes dogmatiques traditionnels, mais encore qu’elle s’oriente positivement sur la ligne de son mandat divin qui lui demande d’être une Eglise servante, de s’identifier avec les intérêts réels des gens, de toute époque et dans toute circonstance : “ Je me suis assujetti à tous afin d’en gagner un plus grand nombre ” (I Co, IX, 19) (...) puisque le monde se renouvelle, puisque la Roumanie se renouvelle, renouvelons nous 134 Les écrits du patriarche Teoctist sont réunis essentiellement dans ; TEOCTIST, P e tre p te le s lu jirii c re s tin e , 6 vol, Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1980-1992. On verra aussi la version « expurgée » de ces discours : TEOCTIST, S lu jin d A lta ru l s trd b u n , vol. 1, Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1992. 98 aussi l’Eglise. Nous ne resterons pas en arrière. Nous ne deviendrons pas anachroniques (...). Il vous faut vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement et revêtir l’homme nouveau (Ep. IV, 23-24) »135 L’Apostolat social est l’adaptation de la tradition pour inscrire l’Eglise orthodoxe roumaine dans le cadre de l’évolution de la société nouvelle. Cette théorie s’inscrit ainsi dans la continuité de la conception de l’Eglise chrétienne orientale, conçue par le nouveau patriarche de l’Eglise orthodoxe roumaine, Justinian Marina, qui monta sur le trône patriarcal après la mort du patriarche Nicodim Munteanu (1939-1948)^^^. Cette nouvelle idéologie de l’Eglise avait pour but de légitimer la place de l’Eglise orthodoxe au sein du nouvel Etat. L’Apostolat social est envisagé comme la nouvelle conception de l’Eglise orthodoxe adaptée aux « circonstances nouvelles provoquées par la marche de la société roumaine vers une société moderne et dues aux événements survenus après la seconde guerre mondiale, e tc. ». U A p o s to la t s o c ia l se compose d’une série de 10 volumes écrits par Justinian Marina, de 1947 à 1971 et consiste en un ensemble de discours ou d’études sur les fondements d’une Eglise « servante » [B is e ric a S lu jito a re ), impliquée dans l’élaboration d’une société nouvelleJustinian Marina, né en 1901, le patriarche 135 « rouge » comme le dénonce la Ufi quart de siècle de transformations novatrices dans la vie de l’Eglise orthodoxe roumaine », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rch N e w s , 1974, pp. 5-6. 136 Sur l’Apostolat social dans la littérature orthodoxe, on verra particulièrement : T. M. POPESCU, « Biserica in actualitatea soci’ala », dans O rto d o x ia , 1953, 1, pp. 34-36 ; Dumitru RADU, « Aux sources de l’Apostolat social », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , an. XCI, 1973, n°l-2, pp. 168-178. Cfr. aussi ; Comeliu ^IRBU, « Aspectul social al Bisericii », dans M itro p o lia M o ld o v e i sJ S u c e v e i, an. XXXIII, 1957, pp. 611-614. 137 On verra aux éditions de l’I.B.M.B.O.R. à Bucarest ; JUSTINIAN, Moldova Mitropolit, A p o s to la t s o c ia l. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, I-II, tip. cartilor bisericesti, Bucuresti, 1948 ; \D ., A p o s to la t S o c ia l. P ild e s j in d e m n u ri p e n tru c le r, 2ème édit., 1949 ; ID., A p o s to la t s o c ia l, P ild e s i în d e m n u ri în liip ta p e n tru p a c e , IV, 1952 ; ID., A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a . P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, V, 1955 ; ID., A p o s to la t s o c ia l, P ild e în d e m n u ri p e n tru c le r, VI, 1958 ; ID., A p o s to la t s o c ia l, P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, VII, 1962 ; ID., A p o s to la t S o c ia l. P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, VIII, 1966 ; ID., A p o s to la t S o c ia l. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, X, 1968 ; \D ., A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r. 99 littérature uniate^^^, était pendant la seconde guerre mondiale un proche de Gheorghiu Dej, secrétaire général du Parti Communiste Roumain à partir de 1945 {P a rtid u l M u n c ito re s c R o m â n ) (P.M.R.). Justinian Marina est le principal artisan de la mise sous tutelle de l’Eglise orthodoxe par le pouvoir communiste. Encore simple prêtre de province au lendemain de la seconde guerre mondiale, il devint métropolite de Moldavie en 1947 avant de monter sur le P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, X, 1971. On verra notamment parmi les articles les plus significatifs dans les premières années du patriarche : JUSTINIAN, « Cooperatia si crestinismul », dans A p o s to la t S o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., I., pp. 97-124 ; ID., « In care din societatile de crédit si économie se pot asocia preotii », dans A p o s to la t S o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., I., pp. 125-130 ; ID., « Aspecte din viata religioasa a URSS-ului », dans A p o s to la t s o c ia l. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., II, 1948, pp. 177-191 ; ID., « Conbaterea indiferentismului asupra problemelor de asistentâ sociala », dans A p o s to la t s o c ia l. P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., El, pp. 46-50 ; ID., « Conditiile prielnice pentru reconstructia tarii », dans A p o s to la t s o c ia l. P ild e s j în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., n, pp. 56-61; ID., « Poziüa ap^arii patriotice în cadrul asistentei sociale », ddüas, A p o s to la t s o c ia l. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., II, pp. 51-56 ; ID., « Legamânt de credin^ catre Republica Populara Româna », dans A p o s to la t s o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , o p . c it., IV, pp. 10-11; ID., « Libertatea constiintei si libertatea religioasa sunt garantate de Stat », dans A p o s to la t s o c ia l, P ild e s j in d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , o p . c it., IV, pp. 50-54 ; ID., « Frontul Ortodoxiei », d a n s A p o s to la t s o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , o p . c it., IV, pp. 70-75 ; ID., « Fii credinciosi al Bisericii si cetateni devotati ai Patriei », d a n s A p o s to la t s o c ia l, P ild e s i in d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , o p . c it., EV, pp. 5054 ; ID., « Prinosul dragostei catre patrie si popor », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a . P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 22-30 ; ED., « în fratie si dragoste au crescut popoarele romîn si bulgar », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a . P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 88-85 ; ID., « M^turia devotamentului fata de statul nostru popular », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a . P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 340-341 ; ID., « Biserica Ortodoxa Româna sprijinâ actiunile Miscarii Mondiale pentru Pace », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a . P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 344-345 ; ID., « Un mare flu al Bisericii si al Patriei : Dr. Petru Groza », dans A p o s to la t s o c ia l : P e n tru p a c e a a to a ta L u m e a . P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., V, pp. 358-362 ; On verra en outre : ID., P a s to ra la la n a s te re a D o n v iu lu i 1 9 4 8 , Bucuresti, 1948. JUSTINIAN, Moldova Mitropolit, P a s to ra la a d re s a ta c le ru lu i s i d re p c re d in c io s u lu i p o p o r e u p rile ju l a n u lu i n o u 1 9 4 8 , lasi, 1947. Cfr. les références à l’uniatisme, in fra . 100 trône patriarcal en 1948 après la mort de Nicodim Munteanu^^^. Evoquant le nouveau climat de paix et de justice sociale, le patriarche affirme ; « C’est pour ces raisons que nous pouvons témoigner que le peuple a tout à gagner par cette collaboration sincère entre l’Eglise et les dirigeants politiques La doctrine de l’Apostolat social « refuse la théologie purement spéculative, mais prône une synthèse de la théologie spéculative et de la théologie pratique. La théologie doit être jointe à l’action, en rapport avec les réalités de la vie « Qu’on mette la théologie au service de la vie, au service des problèmes courants qui se posent à l’Eglise et au monde actuel et que les études et les recherches théologiques constituent des contributions réelles et utiles de l’Eglise aux solutions, aussi bien de ses problèmes, que des problèmes de l’humanité contemporaine Cet Apostolat social est basé sur trois idées, trois « principes directeurs ». Dans un monde nouveau, l’Eglise doit s’inscrire dans le contexte des réorientations sociales et politiques. La théologie doit s’adapter aux conditions nouvelles, s’engager dans la lutte pour la paix et le progrès pour faire de l’Eghse une Eglise « utile » et « servante ». Elle doit devenir une véritable théologie morale à la place de la théologie morale classique, didactique et scolastique. Enfin, l’Eglise doit œuvrer pour l’œcuménisme en vue de rétablir l’unité dans la lutte pour la 139 cfr la littérature uniate en troisième partie. Cfr. aussi H. MONDEEL, « Patriarch Justinian van Roemenië », o p . c it.. Les hommages au patriarche sont nombreux, « fondateur de la vie nouvelle » : comme par exemple : REDAOTA, « Ctitor de viata noua », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, an. XV, 1963, 5-6, pp. 259-265 ; SlUDII TEOLOGICE, « în slujba culturii crestine ortodoxe. Omagiu prea fericitului parinte patriarch Justinian », Ib id ., an. XIII, 1961, 1-2, pp. 3-12 ; loan G. COMAN, « Prinos. Prea fericitului patriarch Justinian eu prilejul primului deceniu de patriarhat », Ib id ., an. X, 1958, 5-6, pp. 275-286. 140 JUSTINIAN, « Stânsa colaborare între Biserica si Stat », dans A p o s to la t s o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , o p . c il, IV, p. 46. 141 J u s t in ia n , ' 50 Cia/, P ild e sJ m d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., 142 lu., A p o s to la t s o c ia l, o p . c it., X, 1971, p. 53.^,__ VII, 1962, p. 39. justice sociale, pour la paix, contre les discriminations et le colonialisme, pour le désarmement et doit venir en aide au tiers monde. L’Eglise orthodoxe doit être une Eglise servante impliquée et active dans la nouvelle République Populaire Roumaine (R.P.R.), « avec un clergé au service de la société, bons citoyens, dévoués à l’Etat et au peuple avec comme fondement les principes de soumission et de respect vis-à-vis de l’autorité. Ces principes sont essentiellement basés sur le droit ancien de l’Eglise orientale, lui-même fondé sur les arguments évangéliques qui Justifient le patriotisme avec tous ses corollaires^^. Au fil des années et du développement du nationalcommunisme se préciseront des notions telles que « liens intrinsèques entre l’Eglise orthodoxe et la “ nation ” roumaine », d’« Eglise populaire », avec toutes les ambiguïtés que ces termes comprennent. Sous le régime de Ceausescu se précisera l’« ethnicité » de l’Eglise, fondement de l’Eglise orthodoxe roumaine. La difficulté d’analyser cette argumentation réside dans le fait que ces notions se fondent en un tout et sont indissociables les unes des autres. En effet, les différents termes de l’argumentation s’inscrivent dans le concept d’une Eglise au service de la patrie, du peuple et de la nation, et par conséquent dans son caractère social, le mot « social » recouvrant l’ensemble des caractéristiques du monde nouveau, du « nouveau régime social ». L’Apostolat social doit être compris en réalité comme une sorte de « communisation », voire, au début du régime communiste, de « soviétisation » de l’Orthodoxie traditionnelle. Par ailleurs, le fil conducteur de l’argumentation consiste en un respect du principe théologique orthodoxe de l’économie (p rin c ip iu l ico/îom/e/j, justifiant la capacité et l’obligation de l’Eglise à s’adapter aux circonstances nouvelles de la société depuis l’acte du 23 août 1944, basé sur la « dialectique » « tradition et renouveau »1'^5 sj ce principe est rarement invoqué comme tel, iD., A p o s to la t s o c ia l, o p . c it., V, 1958, p. 20. C’est l’objet de la seconde partie. 145 0 fi- la conclusion de cette partie. On verra notamment le livre F id e lita te sJ in n o ire . R e a litd ti c o n te m p o ra n e d in v ia ta B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1989 et la version traduite en français : F id é lité e t R e n o u v e a u . R é a lité s c o n te m p o ra in e d e la v ie d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucarest, 1989. 102 bien qu’il le soit chez certains auteurs, tel que I. Bria, représentant de l’Eglise Orthodoxe Roumaine au Conseil Œcuménique de Genève^'^^, il est important de souligner sa permanence dans le discours orthodoxe. La terminologie « Apostolat social » est un terme générique utilisé par les auteurs pour caractériser la doctrine orthodoxe qui s’est pliée à la doctrine communiste^^^. Cette doctrine devait servir d’exemple (p ild e ) pour les auteurs orthodoxes, à tous les membres du clergé et aux croyants durant ces quarante ans pour apprendre aux fidèles à devenir des « serviteurs » de l’Etat (o B is e ric a s lu jito a re ), selon la terminologie largement utilisée par le métropolite de Transylvanie, A. Pl^adeala. L’Apostolat social est la référence idéologique de l’Eglise, une sorte de « devise du Paiti » ou de « ligne du Parti » (s a rc in a ), que devaient suivre les auteurs pour tous les grands problèmes de la société et du monde contemporain, que ce soit à propos de la nation, de la paix, de l’universalisme ou de la morale chrétienne. L’Apostolat social avait pour prétention l’adaptation de la tradition à la modernité, par une complémentarité des principes « fidélité et renouveau » (fîd e liîa te sJ in n o ire ), alliant constamment la tradition orthodoxe orientale et l’adaptation aux conditions nouvelles, afin que 146 cfr. in fra . 147 i.G. COMAN, « Umanismul Ortodoxiei românesti », dans O rto d o x ia , I., 1948, 1-2, pp. 37-70 ; S. COSMA, « Munca în comun si morala crestina », dans S tu d ii T e o lo g ic e , XV, 1963, 3-4, pp. 171-189 ; D. MIRON, « Atitudinea fata de bunurile obstesti dupa conceptia morale! crestine », Ib id ., XXI, 1969, 9-10, pp. 726-734 ; C.C. P a v e L , « Temeiurile si rostul ascultarii în viam morala a crestinului », Ib id ., XVIII, 1966, 7-8, pp. 387-407 ; G. SOARE, « Aspecte din legislatia bizantina în legatura eu ocrotirea omului », Ib id ., XX, 1958, 1-2, pp. 38-67 ; Emilian V a S IL E S C U , « Atitudinea Bisericii ortodoxe fata de progresul cultural », Ib id ., IV, 1952, 9-10, pp. 516-530 ; Sofron VLAD, « Atitudinea bisericii ortodoxe fata de problemele sociale. Principii eu caracter social desprinse din sfintele evanghelii », Ib id ., VI, 1954, 3-4, pp. 158-173. 103 l’Eglise orthodoxe roumaine et toute la société chrétienne contribuent à l’édification d’une société socialiste L’Apostolat social devait être la seule alternative possible pour l’Eglise orthodoxe dans le régime communisteet montrait finalement la conciliation possible entre communisme et christianisme, entre République populaire et Eglise populaire, non pas en démontrant les rapprochements entre christianisme et marxisme, mais entre l’orthodoxie et le communisme tel qu’il fut instauré en Roumanie^^^ La terminologie « Eglise servante » apparaît de manière récurrente dans la littérature orthodoxe. Elle s’inscrit dans la ligne générale de l’Apostolat social. Il s’agit du principe, énoncé dans les Evangiles, du service de l’Eglise à Dieu et aux hommes {s lu jire a lu i D u m n e z e u sJ s lu jire a o a m e n ib r)^ ^ ^. Le service chrétien est l’expression de la vie intérieure du chrétien et de l’Eglise en relation avec le monde. Dans ce sens, l’orthodoxie n’a pas de doctrine du service, mais une expérience du service^^^ L’Apostolat social doit donc être une expérience vécue du chrétien pour œuvrer pour le bien commun, la société et le monde. C’est dans ce sens que l’Eglise doit devenir une « Eglise sociale » {o B is e ric a s o c ia la ), par l’engagement social des 148 D.I.BELU, « Ortodoxia si activismul omului », dans S tu d ii T e o lo g ic e , 1950, f. 1-2, pp. 65-79. ^ ^ ^ L 'E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e d a n s le p a s s é e t a u jo u rd ’h u i, I.B.M.B.O.R., Bucarest, 1979. L ’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , I.B.M.O., Bucarest, \9 6 1 .R o m a n ia n o rth o d o x C h u rc h , a n a lb u m -m o n o g ra p h (Institut biblique et de mission de l’Eglise orthodoxe roumaine), Bucarest, 1987 ; T h e R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h , Bucarest, Bible and Orthodox Missionary Institute, 1968 ; T h e R o m a n ia n O rth o d o x e C h u rc h Y e s te rd a y a n d T o d a y , Bucarest, Patriarcat, 1979. 150 Pa c u r a r iu et A .I.C i u r ea , « L’historiographie de l’Eglise orthodoxe roumaine et ses problèmes actuels », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n à , LXXXIX, 1971, pp. 355-381. 151 On verra particulièrement la thèse de doctorat de Antonie PLAMÂDEALA, « Biserica Slujitoare. în sfînta scriptura, în sfînta traditie si în teologia contemporana », dans S tu d ii T e o lo g ic e , an. XXIV, 1972, 5-8 et l’article de Grigoras AUREL, « Biserica slujitoare », dans O rto d o x ia , an. XVIII, 2, 1966, pp. 222-245. 152 Antonie PLAMADEALA, « Biserica Slujitoare. în sfînta scriptura, în sfînta traditie si în teologia contemporana », dans S tu d ii T e o lo g ic e , an. XXIV, 1972, 5-8, p. 583. 104 prêtres. L’ouverture au monde doit se faire par une pastorale basée sur une « attitude réaliste », une ouverture sur la société. C’est le principe de la « diaconie » (d ia c o n ia ), c’est-à-dire la fonction missionnaire du prêtre dans le cadre de la vie pastorale^ Le principe du service chrétien est à la base de toute l’idéologie de l’Apostolat social. Si l’Apostolat social de l’Eglise orthodoxe fut le fondement de la soumission et de la collaboration avec l’Etat communiste, on soulignera que tous les cultes légaux firent les mêmes déclarations d’allégeance à l’Etat. Nous nous intéresserons ici aux particularités de la doctrine orthodoxe, mais il est clair qu’une analyse semblable à celle-ci serait nécessaire pour toutes les confessions^^^. Cependant, nous tâcherons ici de montrer la spécificité de l’Eglise orthodoxe quant à l’adaptation de sa doctrine sociale. En effet, de prime abord, on aurait tendance à penser que l’Apostolat social de Justinian était, comme nous l’avons souligné, une « communisation » de l’Eglise. Par la « socialisation » de sa mission pastorale, elle se pliait aux nouvelles directives de l’Etat. Il est intéressant de noter, avant d’aller plus loin dans nos investigations, les remarques de I. Bria faites à ce sujet dans un ouvrage destiné à la connaissance de l’orthodoxie roumaine en Occident, remarques révélatrices de l’esprit dans lequel cet Apostolat social a été conçu, ou du moins légitimé par les auteurs. « Le patriarche Justinian restera dans l’histoire de l’Eglise roumaine pour son “ Apostolat social ” (...). Pour lui, l’Eglise roumaine est foncièrement une institution populaire et elle joue dans la vie de la nation un rôle complémentaire au facteur politique (...). Grâce à sa ténacité politique, il a évité un décret de séparation explicite entre l’Etat et l’Eglise et il a renouvelé - dans des circonstances critiques un statut de “ symphonie ” entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Cette symphonie, qui est évidente, par exemple dans les fonds assurés par l’Etat pour la rétribution partielle du clergé, la rétribution du corps enseignant des théologiens, et pour la restauration des églises - 153 pp. 429-453. 154 « Atitudinea celorlalte culte religioase fata de regimul democratiei populare », dans C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la râ R o in â n â , Ed. Ministerului cultelor, Bucuresti, 1949, pp. 125- 146. 105 monuments nationaux - a donné à l’Eglise le sens de sa stabilité institutionnelle et de sa prospérité économique (...). Vers la fin de son ministère (de Justinian), l’évolution de la société roumaine posa à l’Eglise des problèmes fondamentaux qu’elle ne pouvait pas résoudre à partir d’un Apostolat social, forgé en 1948, basé sur la conception byzantine d’après laquelle l’Eglise et l’Etat forment un seul corps et qui présupposerait que l’Eglise est un partenaire de l’Etat dans l’édification sociale. Cependant, l’Apostolat social constituait le cadre éthique dans lequel l’Eglise a pu exercer sa coopération et sa solidarité nationale Le patriarche Justin veut garder encore cet élément de “ symphonie ” bien qu’il le fonde sur un autre principe, plus biblique, à savoir la fidélité de l’Eglise envers son peuple et vice versa »155 L’auteur inscrit donc l’Apostolat social dans la tradition byzantine « symphonique » des relations entre l’Eglise et l’Etat. Par cette harmonie, les deux institutions ne forment qu’un seul corps, l’Eglise est un partenaire de l’Etat et elle peut coopérer de manière complémentaire avec le politique dans l’intérêt de la nation. Ce sont des points sur lesquels nous reviendrons. Il importe cependant de montrer, dès à présent, que les auteurs ont inscrit la nouvelle doctrine sociale de l’Eglise dans une tradition orthodoxe byzantine. 155 Ion BRIA, v is a g e d e R o u m a n ie . S o n im p o rta n c e h is to riq u e e t c u ltu re lle . S e s p ré o c c u p a tio n s th é o lo g iq u e s e t p a s to ra le s , Genève, 1981, pp. 16-19. 106 Chapitre II : ORTHODOXE LE STATUT ROUMAINE DE DANS L’EGLISE L’ETAT COMMUNISTE : p ré s e n ta tio n o rth o d o x e d u c a d re lé g a l d e rE g lis e d a n s V E ta t c o m m u n is te I. L’Apostolat social et les directives de l’Etat L’objet de ce chapitre ne consiste pas en une étude des institutions de l’Eglise Orthodoxe Roumaine et en une analyse des lois de l’Etat communiste en matière religieuse. Nous avons par contie l’intention de montrer quelle a été la légitimation par les orthodoxes du nouveau cadre légal dicté par l’instauration du nouveau régime et les ambiguïtés du discours de l’Eglise en la matière. Dans un premier temps, nous montrerons comment l’Apostolat social suivit les directives de l’Etat en matière religieuse. Les déclarations du Ministre des cultes Stanciu Stoian faites au 107 lendemain de l’instauration de la République populaire roumaine constituent les axes piincipaux de la nouvelle politique en matière religieuse, répercutés par l’Eglise orthodoxe^^^. De manière générale, l’ensemble de l’argumentation est basé sur le contraste entre les nouvelles conditions de justice sociale nées de l’abolition de la monarchie le 30 décembre 1947 et de l’instauration de la République, et la situation de l’entre-deux-guerres. Cette période était caractérisée par une « discrimination entre les citoyens et les confessions en raison du régime bourgeois capitaliste ». L’Apostolat social allait suivre les directives de l’Etat et contribuer au rétablissement de la justice sociale et interconfessionnelle comme le prévoyait la nouvelle politique. Un des thèmes principaux réside dans l’« injustice » provoquée par le Concordat conclu entre le Vatican et le gouvernement roumain en 1927 et ratifié par l’Etat pontifical en 19291^^. Cfr. Stanciu S t o ia n , « Cultele religioase în Republica Populara Româna, Studiu Introductif », dans C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la ra R o m â n a , Ed. Ministerului cultelor, Bucuresti, 1949, pp. 7-53 ; ID., « Atitudinea regimului de démocratie populara fata de cultele religioase », Ib id ., p. 67-104. Cfr. également : L a lib e rté d e s c u lte s d a n s la ré p u b liq u e p o p u la ire ro u m a in e , Ed. de l’Institut roumain pour les relations culturelles avec l’Etranger, Bucarest, 1953 . 157 Pour l’histoire des relations entre l’Eglise et l’Etat en Roumanie entre-deux-guerres, on verra en plus de la bibliographie déjà citée : Félix WiERCINSKI, « Ein Jahrhundert Staatskirchentum in Rumânien », dans S tim m e n d e r Z e it, an. 58, t. 12, f. 115, 1928, pp.421431 ; O. C a c iu l a , « Cultele în România », dans E n c ic lo p e d ia R o m â n ie i, Ed. D. GUSTI, vol. 1, Bucuresti, 1938, pp. 417-442 ; J. RIVIERE, « Roumanie », dans D ic tio n n a ire d e th é o lo g ie c a th o liq u e , dir., A. VACANT et E. M a N G E N O T , t. 14, 1ère partie, Ed. Letouzey et Ané, Paris, 1939, col. 17-20 ; Petre PETRINCA, « La situation des églises minoritaires roumaines de Hongrie après la paix de Trianon », dans R e v u e d e T ra n s y lv a n ie , t. II, 1935-1936, Cluj, pp. 90-95 ; NISTOR, « Les cultes minoritaires et l’Eglise Orthodoxe Roumaine dans le nouveau budget de la Roumanie », dans R e v u e d e T ra n sy lv a n ie , t. II, 1935-1936, Cluj, pp. 7-40 ; L a T ra n s y lv a n ie , Université Roumaine de Cluj, Centre d’Etudes et de Recherches Relatives à la Transylvanie, Ed. Boivin et Cie, Paris, 1946, pp. 121-142; Silviu DRAGOMIR, T h e E th n ic a l M in o ritie s in T ra n s y lv a n ia , ch. IV, Genève, 1927, ch. IV, T h e M in o rity C h u rc h e s o f T ra n s y lv a n ia a n d th e R o u m a n ia n S ta te, pp. 56-83. Pour l’Eglise orthodoxe entre-deux-guerres on consultera : Nicolas lORGA, « L’Eglise autocéphale de Roumanie, ses origines et son rôle parmi les Eglises nationales d’Orient », dans L ’E u ro p e N o u v e lle , 9, 1926, pp. 264-268 ; 108 Les constitutions roumaines anciennes, source de discriminations accentuées par les privilèges accordés aux Eglises minoritaires, étaient déjà dénoncées entre-deux-guerresLa Constitution de 1866, avec ses modifications ultérieures de 1923, déclarait la pratique religieuse libre et garantie par l’Etat roumain (art. 2 2 )^ ^ ^ . « Mais si les principes qui régissaient ces Constitutions étaient d’essence bourgeoise et basés sur des fondements libéraux, leur caractère libéral était entravé par de graves discriminations par la loi pour l’Organisation de l’Eglise Orthodoxe Roumaine de 1925 (L e g e a p e n tru O rg a n iz a re a B is e ric ii O rto d o x e R o m a n e ) et la loi pour le Régime Général des Cultes de 1928 {L e g e a p e n tru R e g iin u l G e n e ra l a l C u lte lo r) »^60 La Constitution de 1923 déclarait l’Eglise Orthodoxe Roumaine « Eglise dominante dans l’Etat » {d o m in a n ta în S ta t), et l’Eglise gréco-catholique était déclarée culte national avec « priorité sur les autres cultes » {în tâ ie ta te fa ta d e c e le la lte c u lte ). La loi de 1928 sur le Régime Général des Cultes (art. 21) précise que, en dehors de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, les autres George R. U r su l , « From Political Freedom to Regilious Independence : The Romanian Orthodox Church, 1877 to 1925 », dans R o m a n ia b e tw e e n E a s t a n d W e s t, H is to ric a l E s s a y s in M e m o ry o f C o n s ta n tin C . G iu re s c u , édit Stephen FISCHER-GALATI, Radu R. FLORESCU et George R. URSUL (East european monographs) Boulder Columbia University Press, New York, 1982, pp. 217-224. Pour l’histoire de l’orthodoxie au XIXe siècle on veira les études de Keith Hitchins, notamment : Keith HITCHINS, O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu S a g u n a a n d th e R u m a n ia n s o f T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , o p . c it., chap. 9 : Church and State, pp. 224-247 et pour l’Eglise catholique dans les principautés danubiennes : Romulus CÂNDEA, D e r K a th o liz is m u s in d e n D o n a u fU rs te n tü m e rn ; s e in V e rh a ltn is z u m S ta a t u n d z u r G e s e lls c h a ft ( Beitrage zur Kultur und Universageschichte, 36), Ed. Voigtlànder R., Leipzig, 1917. NISTOR, « Les cultes minoritaires et l’Eglise Orthodoxe Roumaine dans le nouveau budget de la Roumanie », o p . c it., pp. 7-40. 159 cfr notamment : Eleodor FOCSENEANU, o p . c it. 160 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie popularâ fata de cultele religioase », o p . c it., p. 78. Pour l’histoire orthodoxe roumaine de l’Eglise orthodoxe en générale et l’entre-deux-guerres, on verra les monographies suivantes, la première représentative de l’époque Gheorghiu De], la seconde de Ceausescu : Gheorghe I. MOISESCU, Stefan LUPSA et Alexandru FELIPASCU, Is to ria B is e ric ii R o m a n e , vol. 1, -1 6 3 2 , vol. 2,1 6 3 2 1949, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1957-1958 ; Mircea PACURARIU, Is to ria B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e , 3 vol., Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1980-1981. 109 cultes sont dénommés des cultes « historiques ». Le culte roumain gréco-catholique était « national », mais de second rang par rapport à l’Eglise orthodoxe. L’Eglise orthodoxe était en fait la religion d’Etat du royaume roumain. Parmi les cultes historiques, on compte le culte catholique, le culte réformé calviniste de la minorité hongroise, le culte évangélique luthérien de la communauté saxonne, le culte hongrois unitarien, le culte arméno-grégorien, le culte mosaïque et le culte musulman. Les autres cultes, comme les confessions néo-protestantes, étaient considérés comme des associations religieuses Pour la littérature communiste et orthodoxe, le Concordat favorisait l’Eglise catholique, « avec la complicité des hommes politiques de l’époque », alors que l’Eglise orthodoxe était légalement dominante selon la Constitution de 1923. « Le régime des cultes de l’époque était fait de contradictions fondamentales, comme le régime social de l’époque Pour ces auteurs, l’Eglise Orthodoxe Roumaine, Eglise « dominante » dans l’Etat roumain, était en réalité défavorisée par rapport aux cultes minoritaires et surtout à l’Eglise catholique de Roumanie. « L’Occident s’oppose ainsi au nouvel ordre social par peur de l’U.R.S.S., mettant en avant les théologiens appréciés en Occident comme Berdiaev ou Boulgakov, des théologiens russe de la d ia s p o ra , imprégnés d’esprit réactionnaire d’ancien régime et de christianisme orthodoxe, « p ra v o s la v n ic » selon la terminologie slavonne^^^. Un autre danger dénoncé par le Ministre des cultes est celui de l’œcuménisme d’origine anglicane, « compagnon de chemin » On verra principalement ; George ROSU, Mircea V a S IL IU et George CRIS AN, « Church and State in Romania », o p . c it., pp. 257-299. 162 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie popularâ fam de cultele religioase », o p . c it., p. 78. On verra aussi le hvre de Valeriu ANANIA, P ro M e in o ria . A c tiu n e a c a to lic is m u lu i în R o m â n ia in te rb e lic d , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1992. 163 Stanciu STOIAN, « Cultele religioase în Republica Populara Româna, Studiu Introductif », o p . c it., p. 10. Nous reviendrons sur ce terme « p ra v o s la v n ic » , mot d’origine slavonne équivalent au mot grec orthodoxe, mais dont les connotations sont nombreuses, et beaucoup utilisé sous Ceausescu par les orthodoxes. 110 de l’impérialisme anglais, correspondant religieux du mouvement politique que constituait la Société des Nations^^. Devant la situation « chaotique » ancienne, il importait de rétablir l’égalité des cultes puisque le culte orthodoxe, Eglise « nationale dominante » d’après la constitution de 1923, était désavantagée par rapport à l’Eglise catholique jouissant des privilèges du Concordat. Les auteurs, à l’instar du Ministre des cultes Stanciu Stoian, dénoncent l’ironie de la Constitution de 1923 et le besoin impératif de redonner à l’Eglise orthodoxe ses droits en établissant l’égalité des cultes « L’arme principale du Vatican fut le principe du Concordat qui trouve ses origines au début du XIXe siècle et qui eut du succès parmi les capitalistes. L’ensemble des pays qui ont contracté des Concordats avec le Vatican sont des pays périphériques à l’Union soviétique, notamment le grand Reich allemand. Le Vatican voulait par là créer un “ cordon sanitaire ” antisoviétique, politique, économique de nature idéologique réactionnaire »166 a ce « cordon sanitaire » catholique devra s’opposer un « front » orthodoxe des démocraties populaires^ Un autre thème largemement exploité dans les premières années du régime est la question du lien entre le fascisme et l’ancien régime capitaliste. « Une des armes de la politique capitaliste fut l’antisémitisme organisé en deux organisations, le « cuzisme » et le « légionnarisme », soutenu en Roumanie par l’Etranger^^^. Le gouvernement « réactionnaire » de Roumanie qui s’inspirait des méthodes hitlériennes combattit aussi les « sectes » religieuses, présentées comme ennemies de la nation et de l’Etat roumain et cause des désordres politiques, économiques et sociaux. Sous Antonescu, par un 164 165 jijid 166 P 11 167 (2 fr la troisième partie. Cfr. aussi ; Justinian, « Frontul Ortodoxiei », o p . c it., pp. 70-75. 168 Nous verrons le problème du fascisme roumain dans la troisième partie et dans le point II des conclusions. On veiTa cependant : Alain COLIGNON, « Les droites radicales en Roumanie, 1918-1941 », dans T ra n s itio n , e x -re v u e d e s p a y s d e l’E s t, 1993, n° 1, Université Libre de Bruxelles, pp. 143-174. décret de juillet 1943, toutes les sectes religieuses furent interditesLe terme « secte » en Roumanie comprend les « associations religieuses », c’est-à-dire les confessions néo­ protestantes, comme les baptistes, adventistes, pentecôtistes, e tc. L’ensemble du discours communiste des années 1950 concernant la situation des cultes en Roumanie décrit une situation apocalyptique. « Nous sommes en vérité en pleine atmosphère médiévale, sinon pire, caractérisée par une évolution de 1923 à 1944 révélatrice de la recrudescence du mysticisme et du bigotisme obscurantiste qui culmina par l’absurde croisade antisoviétique pati'onnée par Hitler En résumé, avant le 23 août 1944, la politique utilisait la religion pour asseoir sa domination bourgeoise capitaliste, dont le point culminant fut la période fasciste, la dictature royale de Carol II (1930 / 1938-1940) et le régime Antonescu (1940-1944). En 1944, le « régime hitlérien » d’Antonescu fut aboli par le « soulèvement patriotique de toute la nation ». L’appellation communiste du régime d’Antonescu, comme étant un régime « hitlérien », explique en partie le « révisionnisme » depuis 1989. Par opposition à la propagande communiste, le régime d’Antonescu est actuellement considéré comme un régime d’exception pour protéger la Roumanie des agressions fasciste et bolchévique^^^ Après le 23 août 1944, le nouveau pouvoir rétablit la Constitution de 1866 avec les modifications de 1923. Il s’agissait de supprimer la Constitution royale « carhste » de 1938. Le nouveau régime abolit aussi les lois légionnaires et celles d’Antonescu. Dès lors, tous les cultes de Roumanie furent de nouveau reconnus. Après l’abolition de la monarchie et l’instauration de 169 On verra le chapitre consacré à l’« ethnicité », dans la seconde partie. Cfr. par ex. Dumitru STANILOAE, « Pericul sectelor », dans T e le g ra fu l ro m â n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c , in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g u n a , Sibiu, an. LXXXVI, n°10, 1938, p. 1 ; B ib lio g ra fia s u b ie c te lo r tra ta te în S e m in a ru l d e S e c to lo g ie d e s u b d ire c tiu n e a d -lu i P ro fe s o r D r. V. C h . Is p ir p e a n ii 1 9 3 2 / 1 9 3 3 , 1 9 3 3 / 1 9 3 4 sJ 1 9 3 4 / 1 9 3 5 (Facultatea de Teologie din Bucuresti. Biblioteca Seminarului de îndrumâri Misionare si Sectologie), Ed. Ziarului Universul, Bucuresti, 1935. 170 Stanciu STOIAN, « Cultele religioase în Republica Populara Româna », o p . c it., p. 15. 171 Cfr. la conclusion. la République Populaire de Roumanie, le nouveau régime « a apporté de nouvelles modifications en matière religieuse » dans la Constitution de 1948, notamment par l’article 27. L’article 27 de la Constitution de 1948 (art. 84 de la Constitution de 1952), stipule que la « liberté de conscience et la liberté religieuse sont garanties par l’Etat « Tous les cultes sont libres et égaux devant la loi ». Cependant, quatorze cultes furent reconnus de manière légale. Il faut bien insister sur le fait que lorsqu’un culte n’est pas reconnu légalement, il entre dans l’illégalité, au risque de toutes les persécutions. Ce fut le cas de l’Eglise gréco-catholique, mais aussi des Témoins de Jéhovah. Ces derniers étaient accusés d’avoir une idéologie proche de l’idéologie « légionnaire théocratique et anti-chrétienne ». En fait, au nom de la liberté des cultes instaurée par la Constitution de 1948, tout culte accusé d’attenter à cette liberté devait être exclu de la légalité. C’est ce qui s’est passé avec l’Eglise gréco-catholique et l’Eglise arménocatholique qui ne sont plus reprises parmi les quatorze cultes reconnus. L’Eglise arménocatholique était également une Eglise arménienne soumise à Rome à l’instar des « uniates ». L’Eglise arméno-grégorienne fut la seule Eglise arménienne « légale ». Pour que l’Eglise contribue au nouveau régime social, elle doit donc contribuer au rétablissement des droits et à l’égalité des cultes garantis dorénavant par l’Etat populaire. « Contrairement à la propagande le l’Ouest, le Parti Communiste Roumain, le P.M.R., suit la politique de Lénine concernant le respect des croyances de chacun »1^3 « sj religion a toujours été en concordance avec le peuple comme instrument de paix, elle est devenue un moyen de discrimination inventé par les classes bourgeoises exploiteuses. La religion est Ta lib e rté d e s c u lte s d a n s la ré p u b liq u e p o p u la ire ro u m a in e , o p . c it. On verra tous les articles consacrés à ce sujet dans la littérature orthodoxe : Vintila POPESCU, « Biserica si viata. Libertatea cultelor religioase în Republica Populara Romîna », dans O rto d o x ia , an. V, n°l, 1953, pp. 159-168 ; JUSTINIAN, « Libertatea constiintei si libertatea religioasa sunt garantate de Stat », o p . c it. ; A.C. R a d u l es c u , « Libertatea religioasa în Republica populara româna », dans O rto d o x ia , an. I, n. 2-3, 1949, pp. 3-56 ; Emil NEDELESCU, « Regimul de démocratie populara si libertatile religioase », d a n s M itro p o lia O lte n ie i, an. VI, 1954, 7-8, pp. 297-305. 173 Stanciu S t o ia n , « Cultele religioase în Republica Populara Româna », o p . c it., p. 49. 113 devenue une arme de domination dans les régimes bourgeois en détournant l’attention des paysans de la lutte pour la ten-e. La religion comme elle était conçue est la cause essentielle de l’antisémitisme. La politique religieuse doit être juste et consacrer les énergies du peuple dans tous les domaines, exclusivement pour le travail constructif et la lutte pour la paix Comme l’affirme Petru Groza, président du Conseil des Ministres, à propos du rôle de l’Eglise et des croyants dans le nouvel ordre de 1948 installé grâce à l’aide de TUnion soviétique, « l’Eglise ne doit pas être une institution statique, mais contribuer à la nouvelle société L’Eglise doit suivre l’exemple de l’Eglise orthodoxe russe « qui a abandonné son “ b a lla s t ” anachronique pour se transformer en une Eglise nouvelle, en une Eglise vivante »176 « Pour le succès de la nouvelle société, l’Eglise orthodoxe roumaine. Eglise de la majorité de la population, doit collaborer avec l’Etat au service de la paix et des libertés. C’est la véritable mission des représentants de l’Eglise, d’après le commandement du Christ « Le christianisme d’aujourd’hui, s’il veut s’inscrire dans la ligne du développement historique, doit revêtir les vêtements de nos temps. Nous ne lui demandons pas de prêcher des idéaux et des principes étrangers à l’esprit de l’Evangile, mais son intérêt est d’entrer de plain-pied dans notre époque »178 « L’Eglise orthodoxe doit rester inscrite dans sa tradition, c’est-à-dire sa mémoire vive de la communauté, dans la lignée de son rôle progressiste. Elle fut effectivement toujours une Eglise proche du peuple et le nouveau patriarche Justinian Marina doit être non seulement le patriarche de l’Eglise, mais aussi du peuple et de ses aspirations d’aujourd’hui en soutenant le régime de démocratie et sa souveraineté nationale »179 L’Eglise orthodoxe doit offrir, selon 174 p. 50-51. 175 Petru GROZA, « Biserica nu trebue sa fie staticâ », dans C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la ra R o m â n a , o p . c it., p. 57. 176 Ib id ., p. 60. 177 ih id ., p. 66. 178 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie populara fata de cultele religioase », o p . c it., p. 82. 179 Ib id ., pp. 83-85. 114 Stanciu Stoian, un « exemple et un enseignement » {p ild â s J în d re p ta r)^ ^ ^ . Ce sont les mots clefs utilisés par le patriarche Justinian comme sous-titre de son A p o s to la t s o c ia l, e x e m p le e t e n s e ig n e m e n t p o u r le c le rg é ^ ^^ . On constate donc que l’Apostolat social s’inscrit dans la ligne et les directives du gouvernement communiste. Le nouveau patriarche Justinian Marina s’exprimait lors des débats sur la nouvelle constitution de la R.P.R. au sujet de l’Eglise orthodoxe en ces termes ; « Considérant que le ti'avail est le facteur de base de la vie économique de l’Etat et que l’Etat accorde son soutien à tous ceux qui travaillent (...), le projet de Constitution inscrit pour la première fois dans notre pays, dans le pacte fondamental de l’Etat, le principe formulé par notre Sauveur Jésus Christ : « le travailleur mérite son salaire » {y re d n ic e ste lu c rd to ru l d e p la ta lu i) (Le., X, 7) Force est de constater que le patriarche démontre que le respect de la R.P.R. s’inspire des préceptes évangéliques. On verra que dans la première période du régime communiste, cet aspect du travail commun pour le développement et la prospérité de l’Etat constitue le point central de l’Apostolat social. L’obligation du respect des croyants vis-à-vis des nouvelles institutions est un devoir chrétien. « Soumettez-vous pour recevoir la loi du Christ » affiiTne Justinian Marina en 1949^^^. Le patriarche salue donc le nouveau régime mis en place. « Le nouveau pouvoir promet de nouveaux horizons, une situation où la totale liberté est proclamée dans la Constitution de 1948 p. 85. 181 Cfr. s u p ra . 182 « Noua constitutie si Biserica ortodoxa româna », dans A p o s to la t S o c ia l, P ild e sJ in d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., 183 J u s t in ia n , I., 1948, pp. 180-181. « Atitudinea Bisericü Ortodoxe Române fatâ de regimul démocratie! populare », dans C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la rd R o m â n a , o p . c it., p. 108. 184 « Noua constitutie si Biserica ortodoxa româna », o p . c it., pp. 180-181 ; REDACTIA, « Misiunea Bisericü Crestine », dans O rto d o x ia , 1953, f. 4, p. 660 ; REDACTIA, « ProiectuI de Constitutie a Republicii Populare Romîne. Atitudinea Bisericü Ortodoxe Romîne fata de 115 Tout comme Paul, l’apôtre « des Peuples » (N e a m u rilo r), il demande aux croyants le renouveau des connaissances évangéliques : « sont venus le temps et l’heure de sortir de son sommeil (...). La nuit est avancée, le jour est tout proche. Rejetons donc les oeuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière » (a v e n it v re m e a s i c e a s u l s a n e d e s te p tâ m d in s o m n . N o a p te a a tre c u t s i s ’a a p ro p ia t z iu a . S a le p â d a m d a rd lu c ru rile în tu n e re c u lu i sJ s a n e îm b rd c d m în v e s tm â n tu l lu m in ii) (Rm., XIII, 1 1-12)185 Autrement dit, dans le contexte précis de la citation, l’ancien régime capitaliste bourgeois appartient aux ténèbres, le communisme représente la lumière... « S’il est vrai, affirme le patriarche, que la conception du matérialisme dialectique et historique sur le problème de l’origine du monde, l’origine de la vie, des causes des divers phénomènes de la nature et de la société, est différente de la conception religieuse, comme le souligne le Parti communiste roumain, la pénétration de cette conception dans le peuple ne se fait absolument pas au détriment de la liberté de conscience et de la liberté religieuse »i86 Ainsi, l’autorité orthodoxe contourne toute difficulté puisque l’Etat offre toute les garanties de liberté religieuse et de conscience, et la conception matérialiste du Parti communiste roumain respecte ces libertés. Ce principe constitutionel permet aux auteurs orthodoxes de montrer qu’il n’y a aucune contradiction entre le régime et l’Eglise. C’est l’exemple le plus significatif de la distance qui sépare l’idéologie de la réalité, l’idéal prôné par les textes normatifs et les persécutions « ignorées » par la littérature jusqu’en 1989. Il importera donc que les serviteurs de l’Eglise guident les croyants et les familles selon l’enseignement de la sainte croyance et les conscientisent de leurs rôles social et moral dans le nouveau régime social. proectul noii Constitutii a Statului nostru democrat-popular », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , 1952, 6 -8 , pp. 390-399. 185 JuSTINIAN, « Atitudinea Bisericii Ortodoxe Române fata de regimul démocratie! populare », o p . c it., p. 117. 186 p. 122. 116 Le régime communiste et les Eglises, en particulier l’Eglise orthodoxe, ont contracté une sorte de « pacte » comprenant un respect de la liberté de culte de la part de l’Etat et un respect des lois de la part de l’Eglise. Cela donne toute liberté à l’Etat de restreindre cette liberté en fonction du non respect du nouveau cadre légal par l’Eglise. Comme le dit l’organe officiel du Parti, S c â n te a en 1949, « contrairement à l’exemple des catholiques comme le cardinal Mindszenty, liés à certains membres du clergé catholique roumain et hongrois de Roumanie, et assujetis au Vatican et aux services d’espionnage américains, meneurs d’une politique réactionnaire, les croyants ne peuvent être des ennemis de la patrie et du régime démocratique qui ne peut admettre une activité criminelle. Le clergé doit s’inspirer de leurs frères d’Union soviétique qui se sont battus contre les ennemis de la patrie, les fascistes, et du clergé russe qui a soutenu le gouvernement soviétique et le Parti communiste bolchévique pour mener à bien la victoire contre l’Allemagne hitlérienne. Celui qui s’opposera au “ cimentage ” de l’unité politico-morale du peuple travailleur et des hommes travaillant pour la construction du socialisme deviendra un ennemi L’Apostolat social a donc été une adaptation orthodoxe de la politique communiste. Pour l’Etat communiste, l’Eglise devait contribuer à l’édification de la nouvelle société, pour l’Eglise, l’Etat devait assurer un cadre légal garantissant la liberté de culte. L’Eglise avait intérêt à collaborer avec l’Etat pour assurer sa place dans la vie nationale et l’Etat avait tout à gagner en obtenant les faveurs de l’Eglise orthodoxe qui constituait une institution dominante dans l’Etat. L’Eglise orthodoxe relaya la politique et la propagande de l’Etat, et l’Etat put compter sur l’Eglise pour obtenir un soutien considérable pour sa politique anti-occidentale et notamment l’abolition du Concordat en 1948. L’anti-occidentalisme de l’Etat et de l’Eglise, qui voit dans l’Occident catholique l’« ennemi » commun, constitue un point de rapprochement entre les orthodoxes et les communistes. Ce sera le cas pour toute la littérature, jusque dans les années soixante-dix. « în chestiunea libertatii religioase », dans S c â n te ia , n°1357, 22 févr. 1949, cité dans C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la ra R o m â n a , o p . c it., p. 153-154. 117 L’Eglise orthodoxe enseignera aux citoyens le respect de l’autorité par un patriotisme chrétien qui assurera l’Etat de la soumission des chrétiens orthodoxes. La loyauté de l’Eglise vis-à-vis de l’Etat est la condition s in e q u a n o n de sa liberté. On comprend toute l’ambiguïté et la caducité de la notion de liberté de conscience comprise dans ces termes et dans ce contexte. L’Eglise n’avait que deux possibilités dans cette situation : accepter ou se mettre dans l’illégalité. IL La loi pour le Régime Général des Cultes Religieux et le statut de l’Eglise Orthodoxe Roumaine. Nous avons cité I. Bria relevant que « grâce à sa ténacité politique », Justinian, a évité un décret de séparation explicite entre l’Etat et l’Eglise et il a renouvelé - dans des circonstances critiques - un statut de “ symphonie ” entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel^*^. Effectivement, nous l’avons souligné, aucun article de loi ne stipule de manière formelle la séparation, même si certains auteurs considèrent l’Etat communiste comme un Etat « laïque ». Nous citerons ici des exemples de la loi pour le Régime Général des Cultes Religieux et du statut de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, commentés par les auteurs orthodoxes, pour montrer qu’ils entretiennent une ambiguïté entre les principes de séparation et de collaboration entre l’Eglise et l’Etat. Le Régime Général des Cultes Religieux fut énoncé le 4 août 1948 selon les principes de l’article 27 de la Constitution d’avril 1948 concernant la liberté de Ion BRIA, c o n s c ie nc e ^ L g v is a g e d e R o u m a n ie , o p . c it., p. 16. On verra, outre la bibliographie déjà citée, lorgu IVAN, « Statutele de organizare ale cultelor religioase din Republica Popularâ Românà », dans S tu d ii T e o lo g ic e , IV, 1952, pp. 216-240. 119 Concordat avec le Vatican fut abrogé le 17 juillet 1948^^0. En octobre 1948 eut lieu la « réintégration » de l’Eglise uniate au sein de l’orthodoxie Dès le début du régime communiste, l’ensemble de la littérature orthodoxe roumaine montre, à l’instar de la littérature officielle, la « perversité » des régimes capitalistes dont le seul Dieu est le « DoUai' », dans des régimes dont le seul intérêt attribué pour la religion consiste en l’exploitation de l’homme par la religion et la domination universelle. Comme le dit L. Stan, s’ériger en défenseur des libertés religieuses est un moyen pour créer et maintenir les conditions les plus propices à l’exploitation et aux conquêtes impérialistes. {O a m e n i c a ri n ’a u n ic iu n in te re s p e n tru p ro b le m a re lig io a s a , d e c â t a c e la d e a -s i a s ig u ra p rin re lig ie u n in s tru m e n t d e e x p lo a ta re s i d e d o m in a tie u n iv e rs a la , s a u u n m ijlo c s p re a c re ia sJ a m e n tin e c e le m a i p ro p ic e c o n d itiu n i p e n tru e x p lo a ta re sJ d e c i, p e n tru c u c e riri im p é ria lis te , se e rije a z a în a p a rd to ri a i lib e rtâ tilo r re lig io a s e )^ ^ ^ . On oppose donc la conception capitaliste de la religion, vue sous l’angle marxiste, et la nouvelle place accordée aux cultes par la R.P.R. La Constitution de la R.P.R. définit la question religieuse dans les termes suivants : « La liberté de conscience est garantie à tous les citoyens de la R.P.R. Les cultes religieux sont libres de s’organiser et peuvent fonctionner librement. La liberté de l’exercice des cultes est garantie à tous les citoyens de la R.P.R. L’école est séparée de l’Eglise. Aucune confession, congrégation ou communauté religieuse ne peut ouvrir ou entretenir des institutions d’enseignement général. 190 On verra les articles de lois importants dans C o m m u n is m a n d th e C h u rc h e s ; A d o c u m e n ta tio n , édit. J. B . B a r r o N , H. M. WADDAMS, Morehouse-Gorham Company, New York, 1950. 191 Cfr. la troisième partie, le chapitre consacré à la « réintégration » de l’Eglise uniate au sein de r« Eglise mère ». 192 Liviu S t an , « Legea cultelor », dans S tu d ii T e o lo g ic e , 1949, 9-10, p. 839 ; cfr. aussi ID., L e g e a c u lte lo r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1950. Cfr. aussi Vintila POPESCU, « Biserica si viata. Libertatea cultelor reügioase în Republica Populara Romîna », dans O rto d o x ia , an. V, 1, 1953, pp. 159-168. 120 mais seulement des écoles spéciales pour la préparation du personnel du culte. Le mode d’organisation et de fonctionnement des cultes religieux est réglementé par la loi. » (art. 84)1^3 Quatorze cultes sont reconnus dans la R.P.R., et pour être légal et libre, un culte doit être reconnu par un décret du Présidium de la Grande Assemblée Nationale, donné à l’approbation du gouvernement à la suite d’une recommandation du ministère des cultes (art. 13). « La liberté de conscience se traduit par la liberté illimitée pour chacun de penser et de croire, d’accepter ou de refuser toute vérité, toute idée, toute conviction ou croyance de quelque nature. Mais cette liberté se distingue des régimes bourgeois si elle est garantie par un régime socialiste où a disparu l’exploitation de l’homme. Mais il y a une distinction entre la liberté de conscience et la liberté religieuse, la liberté de conscience étant strictement personnelle, la liberté religieuse étant garantie seulement dans le cas où elle n’entrave pas l’ordre public et ne contrevient pas aux bonnes moeurs La liberté religieuse est le second principe garanti par l’article 27 de la constitution. Elle comprend la liberté d’avoir une croyance religieuse ou non. Mais cette liberté religieuse est garantie par l’Etat « si son exercice ne s’oppose pas à la Constitution, à la sécurité et l’ordre public ou aux bonnes moeurs » (art. 1, alin. 2 de la loi des cultes). L’article 3 prévoit que personne ne peut être poursuivi pour sa croyance religieuse ou sa non croyance, ce qui implique qu’il n’existe aucun privilège en fonction de la religion. L’article 4 stipule que personne ne peut être contraint de participer aux services religieux d’un culte, et l’article 2 , que chaque limitation de la liberté d’un culte par un autre constitue un délit punissable conformément à la loi. Le troisième principe de la loi des cultes est l’égalité religieuse garantissant les droits de tous les citoyens et le quatrième est l’égalité des cultes devant la loi. Le cinquième principe de la loi des 193 L e g iu rile B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e s u b in a lt p re a s fin titu l p a tria rh J u s tin ia n , 1 9 4 8 1 9 5 3 , Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1953, p. Vn. 194 lorgu I v an , « Statutele de organizare ale cultelor religioase din Republica Populara Româna », o p . c it., p.218. 121 cultes est « l’autonomie des cultes qui assure la pleine séparation entre les cultes et l’Etat, assurant la séparation du politique et du religieux, dans le cadre d’un Etat laïc Comme le rappelle constamment cette littérature : « Toutes ces dispositions légales ont été permises par les grandes transformations révolutionnaires depuis le 23 août 1944 ». En réalité, même si des auteurs orthodoxes comme L. Stan, spécialiste orthodoxe des institutions de l’Eglise, mentionnent la séparation de l’Eglise et de l’Etat, il faut noter que nulle part, dans les lois ou la Constitution, la séparation nette entre l’Eglise et l’Etat n’est stipulée comme telle. Seule la séparation de l’Ecole et de l’Eglise est mentionnée. La loi ne permet que les séminaires religieux pour la formation des prêtres. Ce sera toute l’ambiguïté entre l’autonomie ecclésiastique vis-à-vis de l’Etat et le principe de collaboration avec la Démocratie populaire, plus tard de la fusion avec la nation. L’article 40 limite les relations des cultes avec l’Etranger, ces rapports ne pouvant être que de nature strictement religieuse. L’article 10 prévoit que « les croyants des tous les cultes religieux sont obligés de se soumettre aux loi du pays ». Ainsi tout culte doit avoir un chef qui soit citoyen du pays et qui prête “ serment d’allégeance ” à la R.P.R. »196 L’article 40 oblige les cultes et leurs représentants à se soumettre à l’approbation du ministère des cultes pour toute relation externe, et ces relations doivent se faire par l’intermédiaire du ministère des affaires étrangères. L’article 41 interdit toute juridiction religieuse en dehors des frontières de la R.P.R. et toute juridiction des cultes étrangers dans les frontières de l’Etat roumain. Ceci garantit la souveraineté de l’Etat et la « souveraineté » des cultes menacée par des Etats étrangers. C’est dans ces conditions que l’on explique l’abolition du Concordat de 1929 en 1948, car il soumettait la souveraineté de l’Etat roumain à la tutelle « de la souveraineté de l’Etat papal du Vatican, la Roumanie étant devenue une sorte de d o m in io n {s ic ) du Vatican, un simulacre d’Etat », conférant des privilèges au culte catholique par rapport aux autres cultesl^^. 195 Liviu S t an , L e g e a c u lte lo r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1950, p. 14. 196 Stanciu S t O IA N , C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la rd R o m â n a , o p . c it. p. 33. 197 Liviu S t an , L e g e a c u lte lo r, o p . c it. p. 17. 122 Ainsi, par rapport aux anciennes constitutions, celle de la R.P.R. est la plus juste et conforme aux droits et intérêts de l’Etat roumain ainsi qu’aux droits de tous les cultes. En ce qui concerne les rapports des cultes avec l’Etat, l’article 16 prévoit l’interdiction d’organiser des partis politiques sur base confessionnelle, conformément à la séparation des domaines de « préoccupation » entre l’Eglise et l’Etat. Par « séparation des domaines de préoccupation », les auteurs sous-entendent la différence fondamentale de nature entre l’Eglise et l’Etat, mais pas la séparation constitutionnelle entre les deux institutions. C’est un thème sur lequel les auteurs insistent pour montrer la différence essentielle entre les deux institutions tout au long de l’histoire. L’exemple du Vatican qui condamna le communisme et le progrès social sous Pie Xn, « attentat contre la liberté de conscience », montre bien le caractère bourgeois et réactionnaire de la confessionalisation de la politique. L’article 51 sur l’organisation de l’enseignement sous contrôle didactique et administratif du ministère des cultes garantissant un enseignement laïc dans l’école publique est motivé par les mêmes principes. D’après le chapitre III, article 23, les cultes ne peuvent avoir de réunions ou d’assemblées que dans le cadre de leur culte. Quant au chapitre IV, il concerne le problème du patrimoine de l’Eglise, qui dans la situation actuelle pose de nombreuses difficultés d’analyse dans la mesure où sa solution nécessiterait une étude approfondie sur la nationalisation et sur la collectivisation des biens ecclésiastiques depuis 1948. Selon la nouvelle loi, les cultes reconnus ont le statut de personne juridique et ont le droit d’avoir leurs budgets propres. Mais les cultes jouissent de subventions importantes de la part de l’Etat, tout en ayant le droit de jouissance de la contribution des croyants (art. 28-32). L’article 33 prévoit que toute contravention à la loi en ce qui concerne l’ordre démocratique de la R.P.R. peut provoquer le retrait des subventions accordées aux cultes par l’Etat. L’article 22 est également intéressant à ce propos : « Les cultes religieux, avec leurs organisations épiscopales, peuvent avoir un nombre d’éparchies en rapport avec le nombre global des croyants », parce que, nous dit L. Stan, spécialiste des institutions de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, « ces cultes ont été prévus dans le budget général de l’Etat, avec 123 des subventions importantes Autrement dit, l’organisation de la répartition du budget est en fait tributaire des données statistiques et des relevés de population. Ceci pose problème puisque ces données doivent être prises avec prudence pour l’époque communiste. Ce principe permettait également de réduire considérablement le nombre d’évêchés catholiques, « contrairement à la situation d’entre-deux-guerres non équitable ». En outre, alors que les auteurs orthodoxes mentionnent les subventions de l’Etat pour les cultes, il est extrêmement difficile de connaître la réalité de cette aide financière. En tous les cas, cela montre qu’il n’y a pas de séparation entre l’Eglise et l’Etat. Par ce moyen, l’Etat pouvait également exercer un pouvoir de pression. Les lois assujetissaient l’Eglise par l’obligation, pour tout acte « non religieux », d’obtenir l’approbation du ministère des cultes. Stanciu Stoian affirme que si dans la majorité des pays du monde moderne, l’Eglise est séparée de l’Etat, les cultes dans la R.P.R. figurent dans le budget de l’Etat. Ceux-ci sont des contribuables de l’Etat et doivent donc être payés au même titre qu’une autre institution de l’Etat. Mais cela signifie que les cultes, comme tous les contribuables de l’Etat, ne peuvent avoir une « attitude contraire » à la R.P.R. D ne s’agit pas ici d’établir une analyse de la Constitution roumaine en matière religieuse. Mais il importe de souligner que les auteurs orthodoxes ont relayé l’idéologie de l’Etat à tel point qu’il est impossible de différencier les points de vue officiels, tels que celui du ministre des cultes de 1948, de ceux des orthodoxes, tant ceux-ci se sont pliés au nouveau régime. Mais s’il y a convergence entre les deux types de discours, les intentions sont différentes. Pour l’Etat il s’agissait d’imposer un contrôle absolu sur les Eglises, pour les orthodoxes il fallait parvenir à englober les nouvelles directives dans la tradition orthodoxe. Si la Constitution garantissait la liberté de conscience et de culte, les lois concernant l’activité des cultes soumettait les Eglises au Ministère des cultes. L’exemple du chapitre V qui prévoit dans son article 38 le libre passage d’un culte à l’autre, moyennant une « simple 198 Stanciu STOIAN, C u lte le re lig io a s e în R e p u b lic a P o p u la ra R o m â m , o p . c it., p. 34. 199 Ib id ., p. 36. 124 déclaration », est également révélateur de l’absence totale de liberté : un changement de confession entraîne une procédure administrative officielle. On peut donc affirmer qu’il n’y a pas de séparation entre l’Eglise et l’Etat, même institutionnellement. La question reste cependant de voir comment l’Eglise orthodoxe va légitimer cette adaptation sur le plan dogmatique ; cette question fera l’objet des chapitres sur le patriotisme et l’ethnicité de l’Eglise. L’Eglise orthodoxe parviendra cependant à légitimer cette intrusion de l’Etat dans les affaires religieuses par le principe de l’autonomie ecclésiastique. Un des auteurs les plus intéressants sur le plan de l’histoire institutionnelle de l’Eglise Orthodoxe Roumaine est sans aucun doute le professeur L. Stan, auteur de très nombreux articles sur les problèmes institutionnels. Juridiques et canoniques de l’Eglise orthodoxe à l’époque contemporaine, et représentatif de la période « stalinienne »200 Selon le théologien L. Stan, l’histoire des rapports entre l’Eglise et l’Etat ne concerne que l’aspect de l’Eglise de société « visible » et non son aspect de « grâce » (a s p e c tu l e i d e s o c ie ta te v d z u td sJ n u la a s p e c tu l e i h a ric Ÿ '^ ^ . Cependant l’Eglise ne peut être dissociée de la vie terrestre des croyants et des conditions matérielles. Le Christ existant en dehors du temps a parlé par les Saintes Ecritures et sa parole {c u v â n tu l S d u ) vaut pour toutes les époques. Toutefois, l’Eglise ne peut agir que dans sa dimension historique, dans les conditions offertes 200 Liviu S t an , « Relatiile dintre Biserica si Stat. Studiu istorico-juridic », dans O rto d o x ia , an. IV, 1952, 3-4, p. 353-461. Cfr. aussi : ID., « Biserica si cuit în Dreptul international », dans O rto d o x ia , an. VII, 4, 1955, pp. 558-592. Pour les relations Eglise orthodoxe / Etat socialiste, on ven-a aussi les auteurs orthodoxes récents suivants ; Ion BRIA, A u tre v is a g e d e R o u m a n ie , o p ; c it. ; \D .,C re d in ta p e c a re o m d rtu ris m , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1987, 3, A u to rita te a p u b lic d c iv ild , pp. 297-301 ; ID., D e s tin u l o rto d o x ie i, Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1989. loan N. FLOCA , D re p t c a n o n ic o rto d o x . L e g is la tie sJ a d m in is tra tie b is e ric e a s c d , vol 2, Bucuresti, I.B.M.B.O.R., 1990, pp. 279-307. L. P a d u r ean u , « Veac nou în Biserica ortodoxa romîna », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , 1950, pp. 575-587 ; Dumitru R a d u , în d ru m a ri m is io n a re , I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1986, chap. B is e ric a s i lu m e a , 2 , B is e ric a sJ S ta t, pp. 436-488. 201 Liviu S t an , « Relatiile dintre Biserica si Stat. Studiu istorico-juridic », o p . c it., p. 355. 125 par la société. L’Eglise évolue dans ces réalités historiques de la vie humaine en continuelle transformation, à savoir l’Etat Ainsi, l’Eglise n’a jamais formulé une doctrine sur telle ou telle époque ni fixé un enseignement sur tel ou tel Etat. Elle n’a aucun « axiome dogmatique » sur l’Etat, mais suit uniquement des principes qui découlent de la situation donnée. Il s’agit en fait d’une idée qui restera un des grands principes de l’Eglise, à savoir qu’elle évolue dans l’histoire à côté de régimes politiques différents sans prendre parti pour un système politique ou un autre. Ses principes généraux de respect et de participation avec l’Etat restent valides pour tout Etat, quelle que soit sa nature. L’Eglise est donc une organisation socio-religieuse, basée sur la croyance religieuse chrétienne. On peut donc étudier l’histoire de cette Eglise, en tant qu’institution sociale en devenir, et l’histoire de ses rapports avec l’Etat ne peut être envisagée que sous cet angle. Dans ce cadre, l’Eglise est également appelée « culte », mot utilisé dans le langage Juridique de droit public. On comprend dans cette notion de culte les quatre éléments suivants : « Une profession de foi religieuse, publique, unitaire, précise et stable, et non occulte et « labile » (p u b lic a , u n ita ra , p ré c is a s i s ta to rn ic a , ia r n u u n a o c u ltà s i la b ila ), un cérémonial religieux qui se pratique, comme expression de la croyance respective, en mode public, unitaire et stable, une organisation socio-juridique correspondant à la croyance religieuse et à son extériorisation cérémoniale, une organisation publique, unitaire et stable, dans laquelle se reflète la structure intérieure de la société religieuse : les catégories de membres, les dispositions, la hiérarchie, le groupement dans les unités locales territoriales et centrales des croyants, le personnel de direction et la forme de direction, et un but religieux, stable, qui la différencie des autres sociétés, se servant de moyens définis en mode public et précis »^02 Ainsi, grâce à cette spécificité religieuse, cette société ne peut être confondue avec l’Etat, dans la mesure où les buts de ces deux institutions sont différents. Dans le cas contraire, l’Eglise serait une institution « parastatale ». Ainsi, aucune institution religieuse ne peut se 202 ^ PP 356-357. 126 confondre avec une institution politique de l’Etat, parce qu’il existe une différence de nature, de but et de moyens. L’Eglise orthodoxe, ou « culte chrétien orthodoxe oriental », entre dans ces catégories, et diffère des autres cultes sur le plan doctrinal, cérémonial, des buts chrétiens et des moyens qui correspondent à sa doctrine. En tant que culte, l’Eglise chrétienne est née après l’Etat. L’Eglise est née dans le cadre de l’Etat romain, mais non à son initiative. L’Eglise n’est pas une création de l’Etat, l’Etat n’est pas une création de l’Eglise^®^. Quant à l’Etat, il se définit de la manière suivante : un territoire délimité, une population qui vit sur ce teiritoire, et des organes visant à conduire la vie de la population, qui forment l’appareil de l’Etat. A cela s’ajoute l’ensemble des moyens juridiques, militaires et techniques. Son apparition est à mettre en rapport avec la structuration de la société en classes, selon la doctrine marxiste, dans les sociétés esclavagiste, féodale, capitaliste et socialiste. Les origines de l’Etat sont donc également différentes de celles de l’Eglise. Apparue dans le cadre de l’Etat et coexistant avec l’Etat, les « tangentes » (ta n g e n te le ) entre la vie religieuse et l’Etat ont été multiples, déterminées essentiellement par les conditions des régimes sociaux et les intérêts communs aux deux organisations. Les limites entre les deux domaines d’activités ont été tantôt vagues, tantôt précises, déterminant ainsi la collaboration entre l’Eglise et l’Etat^O^ Ce sont les transformations de la société qui, dans cette conception, conditionnent les rapports entre l’Eglise et l’Etat. L’Eglise en tant que « culte » est tributaire des changements et des transformations continues de la société, alors que ce qui ne change pas dans l’Eglise, c’est l’enseignement de la croyance. Les principes issus de l’élément divin restent inaltérables, tandis que ce qui relève de l’homme se transforme, sans affecter l’essentiel. Ainsi, ce sont les éléments extérieurs à l’Eglise qui transforment celle-ci, dans son organisation et son attitude. 203 204 p. 358. ^ p. 362. 127 L’Eglise ne peut se tenir à l’écart de la vie de l’Etat et rester dans un « traditionalisme anachronique »205 Sur le plan des principes, il n’existe aucune doctrine, aucun dogme ou article de croyance, ni à propos de l’Etat, ni sur les rapports entre les deux institutions, que ce soit dans les Saintes Ecritures, la sainte tradition ou les saints canons. On soulignera ici la nuance extrêmement importante entre des principes vis-à-vis d’un Etat ou d’un régime politique déterminé, et des principes vis-à-vis de l’Etat, au sens général du terme. En effet, les auteurs montrent bien que les saintes écritures n’envisagent pas un type particulier d’Etat, mais seulement l’autorité que représente l’Etat en général et l’attitude que doivent avoir les croyants vis-à-vis de cette autorité. C’est pourquoi, alors qu’après la Révolution d’octobre il y a eu des conflits importants entre l’Eglise et l’Etat en raison d’une séparation « inamicale » {n e p rie te n e a s c a ), l’Etat socialiste respecte aujourd’hui la croyance et la liberté religieuse. Si l’Etat est de nature laïque, l’Eglise a adopté une position dogmatique et traditionnelle de loyauté vis-àvis de l’Etat^*^^. « L’Eglise n’est donc ni une institution publique, ni privée. Elle a une personnalité juridique et est en fait une institution d’intérêt public C’est dans le cadre de cette collaboration due aux « tangentes » entre l’Eglise et l’Etat que l’Eglise Orthodoxe Roumaine a conservé ses principes institutionnels fondamentaux. Ces principes constituent les trois püiers de la conception ecclésiale de l’Eglise dans le Statut pour l’Organisation et le Fonctionnement de l’Eglise Orthodoxe Roumaine de 1948 {S ta tu tu lp e n tru O rg a n iz a re a sJ F u n c tio n a re a B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e Ÿ ^^ : l’autocéphalie {a u to c e fa lie ), l’autonomie (a u to n o m ie ) et la synodalité (s in o d a lita te ou s o b o m ic ita te )^ ^. 205 p. 363. 206 jh id „ p. 447. 207 Liviu STAN, « Statutul Bisericii ortodoxe romîne », dans S tu d ii T e o lo g ic e , I, 1949, 7-8, pp. 636-661. 208 Dans la littérature occidentale on verra en plus de la bibliographie déjà citée ; I. DOENS, « La réforme législative du patriarche Justinien de Roumanie. Sa réforme et sa règle monastique », dans Iré n ik o n , t. 27, 1954, pp. 51-92 ; Dans la littérature roumaine on verra 128 Par l’article 2 du statut de l’Eglise orthodoxe, l’Eglise est autocéphale, et ce depuis 1885, indépendante et organisée dans les frontières d’un Etat unitaire^lO. Elle est patriarcale depuis essentiellement le livre suivant : L e g iu rile B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e s u b in a lt p re a s fm titiil p a tria rh J u s tin ia n , 1 9 4 8 -1 9 5 3 , Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1953 ; « Statutul pentru organizarea si functionarea Bisericii Ortodoxe Române », Bucuresti, 1949.« Statutul pentru organizarea si functionarea Bisericii Ortodoxe Române », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , an. LXVn, n° 12, 1949, pp. 1-48 (suppl). « Statutul pentru organizarea si functionarea Bisericii Ortodoxe Române », dans T e le g ra fid R o m â n , o rg a n m tio n a l b is e ric e s c, in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l 1949, 18-19, p. 1. Les études de Liviu S t A n d re iu S a g u n a , an , « Legea cultelor », dans S tu d ii T e o lo g ic e , 1949, 9-10, pp. 838-871 ; ID., « Statutul Bisericii ortodoxe romîne », dans S tu d ii T e o lo g ic e , I, 1949, 7-8, pp. 636-661 ; ID., « Legislatia bisericeasca a I.P.S. Patriarh Justinian », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , LXXI, 1953, f. 5-6, pp. 503-516 ; ID., « Legislatia Bisericii ortodoxe române în timpul arhipastoriii prea fericitului parinte patriarh Justinian », dans O rto d o x ia , XX, 1968, pp. 276-296 ; lorgu IVAN, « Legiuirile Bisericii Ortodoxe Romîne sub Inalt Prea Sfîntul Patriarh Justinian », dans B is e ric a o rto d o x a R o m â n d , 1954, f. 1, pp. 88-110 ; ID., « Regulamentul pentru organizarea vietii monahale », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , 1953, pp. 1159-1185 ; ID., « Statutele de organizare ale cultelor religioase din Republica populara româna », dans S tu d ii T e o lo g ic e , IV, 1952, pp.216-240 ; 1.1. I v a n , « Organizarea si administrarea Bisericii ortodoxe române în ultimi 50 de ani, 19251975 », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , XCIII, 1975, pp. 1406-1420 ; G. SOARE , « Temeiuri canonice pentim prerogativele patriarhului înscrise în Statutul Bisericii Ortodoxe Romîne », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , 1949, pp. 6-15 ; G.I. SOARE, « Insemnari asupra noului Statut de organizare al Bisericii Ortodoxe Române », dans G la s u l B is e ric ii, 5-6, 1949, pp. 65-73 ; ID., « Legislatia bisericeasca sub I.P.S. Justinian », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , n°3-5, 1951, pp. 173-204 ; I. G a g iu , « Importante hotarîri luate de Sfîntul Sinod în sesiunea din iunie 1952 », dans B is e ric a O rto d o x d R o m â n d , 1952, pp. 609-619. On verra également les études sur des aspects particuliers, comme surtout ; Liviu STAN, « Despre autonomia bisericeasca », dans S tu d ii T e o lo g ic e , X, 1958, 5-6, pp. 376-393 ; ID., « Despre sinodalitate », dans S tu d ii T e o lo g ic e , XXI, 1969, 3-4, pp. 155-163 ; ID., « Jus ecclesisticum dreptul în viata bisericii », dans S tu d ii T e o lo g ic e , 12, 1960, 7-8, pp. 467-483 ; ID., « Pozitia laicilor în biserica ortodoxa », dans S tu d ii T e o lo g ic e , XX, 1968, 3-4, pp. 195-203 ; ID., « Problème de ecclesiologie », dans S tu d ii T e o lo g ice , an VI, 1954, f. 5-6, pp. 295-315. 209 Cgs trois principes ne seront qu’évoqués ici tant ils reviendront de manière récurrente dans ce travail. 210 Liviu S t an , « Obîrsia autocefaliei si autonomiei - Teze noi » dans M itro p o lia O lte n ie i, XIII, 1961, 1-4, pp. 80-113. 129 1925^^^ L’autocéphalie s’inscrit dans le cadre de la conception nationale de l’Eglise. C’est ce qui constitue la grande différence ecclésiale entre l’orthodoxie et le catholicisme212 Ce sera le fondement du nationalisme de l’Eglise orthodoxe sous Ceausescu. Par l’article 3, l’Eglise orthodoxe est autonome par rapport à l’Etat. Il s’agit donc d’une indépendance juridique et d’une capactité de légiférer seule, en raison de la nature propre de l’Eglise. Le contrôle de l’Etat ne peut donc se faire qu’à propos des manifestations externes de l’Eglise, et non sur ses manifestations internes, de nature sp iritu e lle ^i^ Le l’autonomie qui garantit la séparation « canonique » de l’Eglise et de l’Etat, basée sur le principe sagunien du XIXe siècle214^ garantit en théorie la séparation du politique et du religieux. Ce principe figurait dans les statuts de l’Eglise orthodoxe en 1925 et est révélateur de la complémentarité et de l’indépendance des pouvoirs civils et religieux. Cette séparation est due aux attributions différentes qui incombent aux deux institutions, les matières religieuses et sociales, économiques, mais elle ne peut contrecarrer la collaboration entre les deux pouvoirs. Le contrôle de l’Etat est intégré dans l’autonomie si ce contrôle se fait pour des matières qui le concernent, c’est à dire les « manifestations extérieures » de l’Eglise^^^ Comme le dit Keith Hitchins, déjà Saguna, lorsqu’il établit le statut de l’autonomie de l’Eglise orthodoxe de 211 Erich C. SUTTNER, « 50 Jahre rumânisches Patriarchat. Seine Geschichte und die Entwicklung seines Kirchenrechts », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 24, 1975, 2-3, 136-175 ; t. 25, 1976, f. 2-3, 105-137. 212 On verra en plus de la bibliographie déjà citée : Erich Chr. SUTTNER, « Zur ekklesiologischen Bewertung der Autokephalie in der Rumànischen Orthodoxie », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 30, 1981, 3-4, 255-282. 213 Constantin I^IRVU, « Autocefalia Bisericii ortodoxe romîne », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, an. VI, 1954, f. 9-10, pp. 511-529. 214 Keith HITCHINS, O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu S a g u n a a n d th e R u m a n ia n s o f T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , o p . c it., pp. 224-247. 215 Constantin BiRVU, « Autocefalia... », o p . c it., pp. 512-513. 130 Transylvanie au XIXe siècle, s’inspirait des Saintes Ecritures pour établir une bonne collaboration entre l’Eglise et l’Etat^^^. On notera toute l’ambiguïté de la notion d’autonomie dans une citation de I. Bria. « Certes, dans le passage d’une situation de “ symphonie ” plus ou moins constantinienne à une situation de séparation institutionnelle et idéologique sont apparus des problèmes pai'ticuliers ainsi que des problèmes communs à toutes les Eglises qui vivent dans un monde en voie de sécularisation de plus en plus profonde : reprise d’un nouveau départ dans la continuité de la tradition ; le rapport explicite et implicite avec l’Etat L’autonomie n’est donc pas un « isolement de l’Eglise par rapport à l’Etat. L’Eglise jouissant de la rétribution de l’Etat « conserve encore des traces d’une époque “ constantinienne ” Par le troisième principe compris dans l’article 3, l’Eglise est fondée sur la synodalité. C’est le principe du fonctionnement démocratique d’auto-gouvemement de l’Eglise, s’opposant fondamentalement au « Führersystem »220^ comme le disent les auteurs à propos de l’Eglise catholique. Il s’agit d’un « Constitutionalisme démocratique ecclésiastique »221. La synodalité ou « sobornicité » seront les points fondamentaux de l’argumentation du nationalisme et de rintemationalisme 222 Il est intéressant de noter l’analogie dans la terminologie entre les institutions de l’Etat et celles de l’Eglise. Le centralisme institutionnel opéré par Justinian Marina devait permettre une restructuration des institutions conformes aux exigences de l’Etat communiste. 216 Keith HITCHINS, O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu S a g u n a a n d th e R iim a n ia n s o f T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , o p . c it., 217 b r ia p. 227. . Ion, A u tre v is a g e d e R o u m a n ie , o p . c it., p. 27. 218 Ib id . 219 Ib id . 220 Liviu STAN, « Statutul Bisericii ortodoxe romîne », o p . c it., p. 644. 221 Ib id . 222 cfr. aussi V. Ion P a r a S C H IV , « Sobornicitatea (catolocitatea) Bisericii, problemâ centrala în teologia contemporana », dans M itro p o lia O lte n ie i, XXn, 3-4, 1970, pp. 245-256. 131 CONCLUSION 1. L é g itim a tio n d e la lé g is la tio n d e V E ta t e n m a tiè re re lig ie u s e : le n o m o c a n o n is m e ftraditia praviinica) Les auteurs justifient l’intrusion de l’Etat communiste dans la législation religieuse par la tradition nomocanonique byzantine, à savoir la législation impériale en matière religieuse223. « Les lois de l’Eglise, la tradition canonique de l’Eglise s’inscrivent dans le temporel, dans la vie profane ou laïque des Etats. L’osmose entre les lois juridiques de l’Eglise et celles de la société civile apparaît comme un processus naturel »224 223 cfr. surtout Liviu STAN, « Traditia praviinica a bisericii, însemnatatea si folosul cunoasterii legilor dupa care se conduce biserica », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XII, I960, 5-6, pp. 339-368. 224 p. 340. 132 D’après les auteurs, cette évolution s’inscrit dans les suites de l’Edit de Milan de Constantin en 313. « A partir de ce moment les lois de l’Etat furent édictées en osmose avec celles de l’Eglise et ce processus s’est accentué avec le second Concüe œcuménique de 380 qui proclama le christianisme religion d’Etat. A paitir de ce moment le pouvoir de l’Etat trouva une base légale pour légiférer en matière ecclésiastique »225. Les deux premiers codes qui légiféraient en la matière furent le C o d e x T h e o d o s ia n u s et le C o rp u s J u ris C iv ilis de Justinien. Cette époque vit l’origine des lois nomocanoniques, c’est-à- dire des lois (canons) ecclésiastiques unies avec les lois de l’Etat (nom ai)226 Cet aspect est intéressant dans la mesure où l’auteur établit une continuité entre la situation sous Justinien et l’époque actuelle. Cette tradition nomocanonique est restée « ininterrompue jusqu’à aujourd’hui et s’est imposée comme un régime orthodoxe authentique en ce qui concerne son organisation et sa direction »227 Aujourd’hui, c’est la raison pour laquelle l’Eglise doit respecter les lois de l’Etat en ce qui concerne les matières religieuses. C’est une tradition romano-byzantine qui s’est perdue en Occident228. « Dans l’Eglise orthodoxe, cette tradition nomocanonique, restée à la base de l’attitude de l’Eglise face aux lois de l’Etat en général et à celles qui concernent les devoirs religieux, a connu de nombreux changements d’ordre matériel, mais pas dans son contenu fondamental. Ces changements, liés au développement de la société, au caractère de l’Etat et aux conditions objectives, ne font que confirmer la stabilité et la validité essentielle de la tradition nomocanonique »229 « Les lois de l’Etat en matières ecclésiastiques déterminent aujourd’hui essentiellement le contenu juridique laïc de la tradition nomocanonique (p ra v iln ic d ) de notre Eglise »230 n y a un effort de symétrie entre les lois de l’Etat et les lois ecclésiastiques. Le principe nomocanonique Ib id . 226 iijid . 227 p. 343. 229 ijy id ., p. 344. jjy id ., p. 348. J ijid ., 228 J ijid . 230 133 allie l’autonomie de l’Eglise avec la souveraineté de l’Etat. Le principe de territorialité découle du principe nomocanonique, du parallélisme entre territorialité administrative ecclésiastique et administration de l’Etat. Depuis 1948, la connaissance de cette tradition implique un devoir pour les citoyens ( o în d a to rire c e tà te n e a s c a ) à respecter les lois de l’Etat231. Depuis l’accession au trône patriarcal de Justinian Marina en 1948, l’Eglise Orthodoxe Roumaine a fait connaître par l’Apostolat social les devoirs juridiques des fidèles imposés par l’Etat232. Il est donc intéressant de constater que les auteurs tentent de légitimer le régime communiste en le plaçant dans la continuité historique roumaine, mais aussi orientale orthodoxe. En d’autres termes, l’attitude de l’Eglise orthodoxe depuis 1948 doit s’inscrire dans la perspective de la tradition législative byzantine, constantinienne et justinienne. Il faut également souligner que l’Eglise inscrit cette tradition dans l’histoire roumaine, créant une continuité entre le nomocanonisme et les p ra v ila , c’est-à-dire les codes législatifs roumains, selon la terminologie slavonne^^^ Il faut donc remarquer que l’Apostolat social et le cadre législatif du nouvel Etat communiste sont intégrés, dans la littérature, dans la tradition orthodoxe et byzantine. Cet 231 Ib id ., p. 347. 232 Ib id ., p. 348. 233 Pour l’histoire institutionnelle de l’Eglise, on verra aussi : E. COPACIANU, « Biserica ortodoxa Româna în vremea lui Ion Cuza », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, XIII, 1973, pp. 223230 ; C. DRAGUSIN, « Legile bisericesti ale lui Cuza Voda si lupta pentru canonicitate », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, IX, 1957, 1-2, pp. 86-103 ; Sever BUZAN, « Regulamentele organice si insemnatatea lor pentru desvoltarea organizatiei bisericii ortodoxe romîne », Ib id ., VIII, 1956, 5-6, pp. 363-375 ; Adrian N. POPESCU, « Situatia crestinilor ortodocsi în imperiul otoman în secolul XIX », Ib id ., VII, 1955, 7-8, pp. 454-468 ; Liviu STAN , « Jus ecclesiasticum. Dreptul în viata Bisericii », Ib id ., XII, 1960, 7-8, pp. 467-483 ; B. FLORIN, « Contributii la dezvoltarea dreptului bisericesc romîn în veacul XX », Ib id ., XI, , 1959, 910, pp. 556-574. 134 aspect est révélateur de la volonté des orthodoxes de placer l’Apostolat social dans le cadre de la Tradition et du Renouveau, afin de le légitimer comme une nouvelle orientation de l’Eglise. 135 2. L é g itim a tio n d e V a d a p ta tio n d e la tra d itio n p a r le « p rin c ip e d *é c o n o m ie » fprincipiul iconomiei) Si on constate que l’Eglise orthodoxe a développé une théorie, l’Apostolat social, qui devait dicter sa position depuis 1948 jusqu’à la fin du régime, on s’interrogera aussi sur les motivations profondes de la légitimation de cette « adaptation » au monde contemporain caractérisé par les « nouvelles opportunités offertes par l’acte révolutionnaire du 23 août 1944 ». Autrement dit, cet opportunisme était-il simplement un opportunisme visant à sauvegarder les intérêts de l’Eglise et de sa hiérarchie - selon un réflexe commun et compréhensible sous une dictature -, ou existe-t-il une légitimation plus fondamentale en plus de toute la question du patriotisme et du caractère national et ethnique de l’Eglise ? I. Bria dans un de ces derniers livres, D e s tin a i O rto d o x ie i, évoque le principe de l’économie, (p rin c ip iu l ic o n o m ie i, ic o n o m ia O rto d o x ie i), à propos du rapport entre tradition et innovation {tra d itie sJ în n o ire )^ ^^ . « L’innovation n’est pas un simple problème théorique. Pour interpréter et évaluer l’expérience actuelle du Christ, les catégories laissées par les siècles passés ne sont pas suffisantes. Si l’Eglise a une structure immuable, elle s’adapte au monde. Si les canons de l’Eglise restent immuables, leur interprétation peut 234 jQn B r 235 ia p. , D e s tin a i o rto d o x ie i, o p . c it., pp. 356. 136 355-360. évoluer^35 C’est dans ce contexte que l’auteur évoque la pensée sociale et l’éthique sociale orthodoxe : « les options sociales et politiques que les orthodoxes ont préférées depuis la seconde guerre mondiale, non seulement dans le cadre de 1 ’“ économie politique ”, mais aussi dans le mode de fonctionnement et d’organisation de la société, ainsi que les nouvelles exigences missionnaires et pastorales de l’Eglise en dehors de la “ symphonie ” byzantine habituelle (...)• Les Eglises orthodoxes vivent aujourd’hui dans un contexte social et des systèmes politiques dans lesquels la “ symphonie ” est soit appliquée, soit tolérée, soit contestée. Les Eglises orthodoxes sont aujourd’hui soumises à de plus grandes exigences : elles doivent se prononcer, dans leur totalité, pour des problèmes communs, la paix, le racisme, la violence, l’armement nucléaire, la justice économique et sociale. Elles ne doivent pas inventer un message social, mais l’établir sur l’expérience réelle, historique de tous leurs croyants ; le passage de la coexistence “ symphonique ” du modèle “ constantinien ”, byzantin, au témoignage prophétique ne peut attendre ni être imposé. Sans imposer une doctrine sociale immuable, l’Orthodoxie va devoir encourager la liberté de chaque Eglise locale à trouver un modus vivendi, dans l’esprit de l’Evangile, qui doit lui donner la possibilité d’être “ dans le monde, pas du monde, mais pour le monde ”. La symphonie de jadis, de type byzantin, est partout en continuelle évolution et renouvellement. Il appartient à chaque peuple orthodoxe le droit et la faculté de choisir les chemins et les moyens de cette symphonie (...). L’attitude sociale et politique de l’Orthodoxie se base sur l’amour et le service évangélique et pas sur la contestation et la lutte contre le pouvoir »236 Le principe d’économie orthodoxe est donc fondamental pour la possibilité de l’Eglise orthodoxe d’adapter sa symphonie byzantine en fonction des circonstances historiques. Les notions d’ordre et d’économie sont fondamentales dans la gestion des rapports Eglise / Etat à Byzance237. La notion d’ordre relève d’une origine politique et sociale, celle de l’économie est 236 p. 357. 237 On verra principalement : Hélène AHRWEILER, o p . c il, L e s p rin c ip e s fo n d a m e n ta u x d e la p e n s é e p o litiq u e à B y z a n c e , I, O rd re (T a x is ) e t é c o n o m ie (O ik o n o m ia ) e t le u rs ra p p o rts a v e c l’a u to rité te m p o re lle e t s p iritu e lle , pp. 129-147. 137 d’origine intellectuelle et spirituelle. Ces notions, comme celles des autorités temporelles et spirituelles, sont complémentaires et interdépendantes. L’économie est le principe qui régit l’action dans le monde, c’est à dire que par économie, p rin ic o n o m ia , l’Eglise s’adapte au monde. Par économie, elle s’adapte progressivement à des réalités nouvelles, sans jamais abolir brusquement les réalités passées. C’est l’adaptation au présent sans pour autant rompre avec la tradition238 L’économie permet ainsi pour I. Bria d’adapter la symphonie byzantine tout en restant ancré dans la tradition. C’est dans ce cadre que doit se comprendre cette « dialectique » fondamentale de la tradition et du renouveau. La recherche de stabilité et le refus systématique de l’« anarchie sociale », à la base du patriotisme, doivent également être compris dans ce sens. Le pouvoir civil est voulu par Dieu, il ne peut donc souffrir d’instabilité^^^. Pour I. Bria, la « polyphonie » orthodoxe s’inscrit également dans le cadre de l’économie. Il s’agit de la conciliarité, synodalité pan-orthodoxe, seule dépositaire de l’infaillibilité e x c o n s e n s u e c c le s ia e . C’est une des divergences de vue fondamentale avec l’Eglise catholique, pour laquelle l’infaillibilité ne réside dans les mains que d’une seule personne, le pape^'^O. En réalité, comme le dit T. M. Popescu, l’Eglise s’inscrit dans la traditionnel, à savoir la continuation par l’institution ecclésiale de la parole de Dieu, transmise par le Christ, les Pères de l’Eglise, et perpétuée par l’Eglise au travers des siècles. Pour garantir cette pérennité et la parole divine incarnée dans le Christ, il s’agit de perpétuer la « Tradition » par la succession apostolique^^n 238 p. Par économie, affirme N. Streza, l’Eglise est capable de déclarer ce qui est 142. 239 cfi* la seconde partie sur les fondements évangéliques du patriotisme 240 (;;fr la quatrième partie surtout. 241 VASILE (évêque d’Oradea), « Le caractère de la Tradition dans l’Orthodoxie », dans M itro p o lia A rd e a lu lu i, XVII, 1972, 9-10, pp. 708-715. 242 isidor TODORAN , « Principiul iconomiei din punct de vedere dogmatic », dans S tu d ii T e o lo g ic e , VII, 1955, 3-4, pp. 142-143. On verra L a T ra d itio n . L a p e n s é e o rth o d o x e (Travaux de l’Institut de Théologie Onhodoxe Saint-Serge, n°XVlI / 5), Ed. L’Age d’Homme, 1992. 138 confomie et ce qui ne l’est pas afin d’assurer la pérennité de l’institution par le renouveau243 Comme le dit D. Staniloae, considéré comme le plus grand théologien orthodoxe roumain, après la chute du régime communiste : « on oublie le fait que ces éloges (au régime communiste), prononcés mais non pensés, étaient exprimés en vertu de la certitude que de cela dépendait l’activité de l’Eglise tout entière dont ils (les hiérarques) sont en premier lieu responsables. On oublie qu’en général l’Eglise, au prix de ces rares et brèves paroles d’hommage, a pu continuer au long de toutes ces 45 années son œuvre liturgique et spirituelle, comme n’ont pas pu le faire les Eglises de Bulgarie, d’Albanie et en quelque mesure même en Yougoslavie. Le peuple roumain a pu ainsi garder, par son Eglise, la continuité fondamentale de sa spiritualité...»244 Dans les faits, ce principe d’économie consiste en la faculté d’adaptation de l’Eglise au monde dans lequel elle évolue. On peut affirmer que tout le discours de l’Eglise relatif à l’Apostolat social est empreint de cette complémentarité entre tradition et renouveau et est une application du principe d’économie. Toute contestation est donc un élément perturbateur de cette « stabilité »245 On verra qu’après 1989, 1. Bria qualifiera la symphonie sous le communisme par l’expression : « symphonie déséquilibrée ». De la part de l’Eglise il y a une volonté d’adaptation, de la collaboration traditionnelle dans l’esprit de l’« harmonie », de la part de l’Etat il s’agissait d’une domination de l’Etat, d’un césaropapisme. 243 cfr. aussi : Nicolae STREZA, « Identitate si înnoire în traditia ortodoxâ », dans O rto d o x ia , XXIX, 1977, 2, pp. 258-265. 244 Dumitru STANILOAE, « Témoignages : La persécution de l’Eglise orthodoxe roumaine sous le régime communiste », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., n°l, 1990, pp. 8-11. 245 isidor TODORAN , « Principiul iconomiei din punct de vedere dogmatic », o p . c it., pp. 139-149 ; Chesarie G h E O R G H E S C U , « Despre iconomia divina si cea bisericeasca în teologia ortodoxâ », dans G la s u l B is e ric ii, XXXV, 9-12, 1976, pp. 891-901. 139 3. U A p o s to la t s o c ia l : u n e « in fé o d a tio n » d e V E g lis e p a r V E ta t Ce qui frappe avant tout dans le discours de l’Eglise orthodoxe, c’est la dichotomie entre son idéologie et la réalité. Présentant l’Etat roumain comme l’aboutissement de l’histoire roumaine qui a créé les conditions maximales pour la pleine liberté de conscience et l’égalité de tous les citoyens grâce à une Constitution et à des statuts supérieurs à toutes les époques antérieures, l’Eglise orthodoxe s’est faite le pone parole de la propagande communiste. A propos de la question uniate, le gouvernement communiste, qui a imposé son éradication, a pu compter sur le soutien orthodoxe^^^. En faisant l’apologie de l’Epoque d’or 246 « Calvarul Bisericii Unité », dans B is e ric a R o m â n à U n itâ , Madrid, 1952 ; J. GOIA, « La création d’un “ comité de salut de l’Eglise roumaine unie ” », dans Is tin a , t. 23, 1978, 2-3, Paris, pp. 328-336 ; S. GROSSU, T h e C h u rch in to d a y ’s C a ta c o m b s , New Rochelle, NY Arlington House Publishers, 1975 ; L ’E g lis e ro u m a in e u n ie : 1 0 a n s d e p e rs é c u tio n , Ed. du Cèdre, Paris, 1958 ; « L’Eglise roumaine unie : 30 ans de persécution (1946-1975) », dans C h ré tie n s d e l ’E s t, n° 8, 1975 ; LE COMITE DE SAUVETAGE DE L’EGLISE CATHOLIQUE ROUMAINE, « Appel du “ Comité de sauvetage de l’Eglise catholique roumaine de rite oriental ” à la conférence de Belgrade », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , n° 1736, 60e an., t. 75, f. 4, févr. 1978 ; L ib e rté re lig ie u s e e t d é fe n se d e s d ro its d e l’h o m m e , IV , e n U R S S e t e n R o u m a n ie (Centre d’Etudes Istina), 23, f. 2-3, Paris, 1978 ; I. RATIU, « The communist attack on the catholic and orthodox cherches in Remania », dans T h e E a s te rn C h u rc h e s Q u a rte rly , Londres, vol. 8, n°3 juillet-sept. 1949, pp. 163-197 ; UN GROUPE DE CHRETIENS 140 de Ceau^scu elle a glorifié sa politique et ses réalisations, comme les camps de concentration du Canal Danube / Mer noire^^? L’adaptation du clergé aux nouvelles conditions se traduisit par la répression des prêtres réfractaires. Les cours de « recyclage » pour la théologie vivante et utile n’étaient en fait que des cours de marxisme donnés dans les instituts théologiques. La littérature orthodoxe n’en parle jamais, pas plus qu’elle ne parle de soumission au communisme, mais toujours à l’Etat ou aux « nouvelles conditions sociales » auxquelles il fallait se plier^^S La littérature orthodoxe qui fait une apologie du régime communiste passe sous silence de nombreux problèmes qui ont été déterminants pour l’histoire des religions en Roumanie. On citera deux exemples, le monachisme et la « translation » des Eglises. Dans les instituts de théologie, on donnait des cours de marxisme, appelés « formation de recyclage »249 DE l ’E g l is e u n ie C a th o liq u e , transforma les monastères en « véritables coopératives artisanales »250 , « L’appel au secours des chrétiens de Roumanie », dans Lm D o c u m e n ta tio n n°1779, 62e a., t. 77, f. 3, fév. 1980, pp. 147-148. 247 TEOCTIST, « Rodiri îmbelsugate », dans P e tre p te le s lu jirii c re s tin e , vol. 3, Ed. I.B.M.B.O.R., 1989, p. 100. On verra à propos de ce canal, outre les témoignages des persécutions à l’époque communiste : W. TOMCZAK, « La Roumanie vient d’inaugurer le canal Danube / mer Noire (Cernavoda / Constantza) », dans R e v u e d e la n a v ig a tio n flu v ia le e u ro p é e n n e , p o rts e t in d u s trie s ( aménagement du territoire de Strasbourg), 13, 1984, pp. 391- 395. 24^ On verra notamment Le moine lOASAF, « Témoignages : Sacrifices chrétiens au temps du régime communiste », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., 1991, 3-4, pp. 12-13. 249 cfr pour la formation des prêtres sous le régime communiste : Flaviu POPAN, « Der Priester in der orthodoxen Kirche Rumâniens », dans S tim m e n d e r Z e it, t. 167, 1961, f. 4, pp. 272-287. 250 Pour le monachisme en Roumanie on verra essentiellement outre le « Regulamentul pentru organizarea vietii monahale », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , 1960, 1-2. pp. 11591185 ; J. FLOREA, « Organizarea muncii în mînastiri. Cooperativele mestesugaresti », dans G la s u l B is e ric ii, 1952, 8-10, pp. 230-256.1. D U M IT R IU -S n a GOV, « EU. Vita monastica e p. in un paese socialista : la Romania », dans d iz io n a rio d e g li is titu ti d i p e rfe z io n e , dir. G. PELLICCIA et G. ROCCA, vol. 7, Rome, 1983, col. 365-367 ; Sr Eileen MARY, « Orthodox 141 faisant des moines des ouvriers, afin, comme le dit I. Goïa, « d’empêcher le développement d’une pensée religieuse, indésirable, et exploiter ces masses humaines au profit de la prospérité socialiste »251. Le monachisme roumain occupe une place très importante dans l’histoire de la spiritualité roumaine, notamment comme lieu de traduction en roumain des livres slavons. La Bucovine, célèbre pour ses monuments appartenant au patrimoine mondial protégé par rUNESCO, est un lieu particulièrement im portant252. Le monachisme roumain incarnait donc ainsi par excellence le principe de l’Apostolat social, puisque les moines contemplatifs avaient dû se transformer en travailleurs pour la cause du nouveau régime social. Quant à la destruction des églises médiévales de Bucarest, opérée pour la construction de la nouvelle ville autour de la Maison du Peuple et du Boulevard de l’Edification du Socialisme253^ elle fut considérée comme une œuvre de « restauration, de conservation et de mise en valeur » dans « le cadre du programme de systématisation pour la réalisation d’un nouvel ordre civique »254 Le déplacement à Bucarest des édifices religieux tels que le Palais du Saint-Synode, la bibliothèque patriarcale, se fit lors des « cérémonies » de la « translation » Monasticism in Romania Today », dans R e lig io n in C o m m u n is t L a n d s , 8, n° 1, 1980, pp. 2227. 251 Ion GOIA, « L’Orthodoxie roumaine et le mouvement oecuménique, Attitudes récentes », dans Is tin a , 1957, n°l, p. 58. 252 On verra notamment : Ernst Christoph SUTTNER, « Kloster Neamt als Vermittler byzantinischer Literatur an der Wende vom 18 zum 19 Jahrundert », dans O s tk irc h e lic h e S tu d ie n , t. 23, 1974, 2-4, pp. 311-317. On verra aussi Antonie PLAMADEALA, « L’obéissance dans la Tradition orthodoxe, hier et aujourd’hui », dans V ie C o n s a c ré e (Heverlee), XLFV, n. 4, 1972, pp. 193-214. 253 ofj- surtout : Dinu C. GlURESCU, T/te ra z in g o f R o m a n ia ’s p a s t (International préservation report), A project of the Kress Foundation Préservation Program of the World Monuments Fund (New York), Washington, United States Committee International Council on Monuments and Sites (US/ICOMOS), 1989. 254 cfr. par ex. B is e ric a O rto d o x a R o m â n d . M o n o g ra fie -A lb u m , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1987, pp. 347-364. 142 de l’édifice de culte^^S Le fait de cette destruction et de la « translation » des Eglises, anihilant toute la valeur historique archéologique des édifices, est certainement l’exemple le plus marquant de la soumission de l’Eglise sous le totalitarisme des années quatre-vingt, et du langage apologétique de l’Eglise sur l’aide de l’Etat dans les affaires religieuses. L’Eglise orthodoxe doit donc être une institution fidèle, « servante », (o B is e ric a s lu jito a re Ÿ '^ ^, dans le cadre de la « Tradition » orthodoxe et de la doctrine « sociale » de l’Eglise, l ’A p o s to la t S o c ia l, développé par le patriarche Justinian Marina. Les thèmes du patriotisme et de la nation constituent la justification principale des rapports de collaboration et de soumission de l’Eglise à l’Etat communiste. Il reste néanmoins qu’il faudrait analyser l’ensemble de la problématique, approfondir la question théologique de V ic o n o m ia orthodoxe, fondamentale pour la perpétuation de la succession apostolique et l’adaptation de l’Eglise en tant que prolongation de la volonté de Dieu^^^. En tous les cas, l’Eglise allait devenir l’instrument servile de l’Etat afin de relayer sa propagande et sa politique^^S. Comme le dit I. Doens, le clergé devint dans certains cas « une gendarmerie spirituelle au service du régime »259 Comme l’a dit Petru Groza en 1948, « L’Eglise est une institution constamment bénéfique pour la vie de la nation. Elle participe de 255 cfr par ex. « Monuments ecclésiastiques. L’Eglise “ Michel-Voivode ” de Bucarest », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s, XVe an., 1985, 3-4, pp. 102-105. 256 Antonie PLAMADEALA, « Biserica Slujitoare. în sfinta scriptura, în sfînta traditie si în teologia contemporana », o p . c it. ; cfr. plus particulièrement pp. 598-601. Cfr. aussi Grigoras AUREL, « Biserica slujitoare », dans O rto d o x ia , XVIII, n° 2, 1966, pp. 222-245. 257 isidor TODORAN, « Principiul iconomiei din punct de vedere dogmatic », o p . c it., pp. 139-149, cfr. p. 148 ; Cfr. Ion BRIA, D e s tin a i o rto d o x ie i, o p . c it., pp. 355-360. 258 On soulignera en plus du relais de l’idéologie officielle et des « hommages » au régime communiste, les articles concernant la prospérité de la patrie socialiste ; Mihai H a u , « Minunatele perspective ale anului 1985 », dans G la s u l B is e ric ii, XLIV, 1-2, 1985, pp. 2326. 259 I DOENS, « La réforme législative du patriarche Justinien de Roumanie. Sa réforme et sa règle monastique », dans Iré n ik o n , t. 27, 1954, p. 91. 143 l’Etat et, en tant que telle, elle cherche à demeurer en synchronisme avec l’esprit de l’époque »260 Nous verrons que les fondements du patriotisme visent à démontrer l’obligation du croyant à respecter l’Etat, quelle que soit la nature du régime politique. Evoquant l’époque « post-constantinienne », I. Bria affirme : « il y a, bien entendu, un désaccord fondamental entre l’Eglise et l’Etat dans la façon d’envisager le principe de la vie religieuse. Mais en dépit de cette tension idéologique il n’existe pas de tension politique. On pourrait expliquer cela par le fait que l’Etat, en admettant l’autonomie du domaine religieux, a reconnu l’intégration culturelle de l’Eglise comme une réalité historique irréfutable. L’Eglise, de son côté, a compris que l’intérêt de la société socialiste pour l’homme dans son contexte historique et pour les structures qui garantissent la justice et la liberté sociale, sont légitimes également du point de vue chrétien. L’Eglise a admis qu’il lui fallait renoncer à un faux triomphalisme et l’Etat a assuré la défense de la liberté de la foi chrétienne, qui a modelé la culture roumaine traditionnelle »^^L Cité par Trevor BEESON, P ru d e n c e e t c o u ra g e ..., o p . c it., p. 287. Ion B r ia , Awrre v is a g e d e R o u m a n ie ..., o p . c it., pp. 27-28. A propos du désaccord « idéologique » entre l’Eglise et l’Etat, on notera que la littérature anti-religieuse de l’Etat n’attaque pas l’Eglise orthodoxe, mais la « religion », comme le montre l’exemple de l’ouvrage suivant : Em. lAROSLAVSKI, B ib lia p e n tru c re d in c io s i sJ n e c re d in c io s i, Ed. Politica, Bucuresti, 1960. 144 SECONDE PARTIE EGLISE ORTHODOXE ET « PATRIOTISME » SOUMISSION DE L’ORTHODOXIE A L’ETAT L E G IT IM A T IO N D E L A C O L L A B O R A T IO N D E L ^ E G L IS E A V E C L A N O U V E L L E D E M O C R A T IE P O P U L A IR E D E R O U M A N IE 145 Hunedoara («na s a fie ), et Vlad Tepes (T ra n s y lv a n ia e t T a ra ro m â n e a s c a , o s in g u ra ta ra ). C’est l’époque glorieuse de Stefan cel Mare (Etienne le Grand). C’était la grande idée (m a re id e e a ) de l’unité et de la solidarité des pays roumains Ainsi il est révélateur que les auteurs utilisent, à l’instar des autres pays balkaniques, cette expression « grande idée », expression qui était le fondement du nationalisme grec orthodoxe, comme principe fondateur de l’unité et de la conscience nationale roumaine, appliqué au XVe siècle. Il faut aussi noter l’expression u n a sa fie , utilisée ici à propos de l’unité des principautés, et qui sera invoquée également pour l’unité de l’orthodoxie roumaine, en faisant référence à I. Co. XII, 13 (C à to ti s a fie u n a ). Ce précepte fut utilisé à propos du contentieux avec les gréco-catholiques, l’Eglise catholique roumaine de rite byzantin de Transylvanie, pour montrer la nécessité de l’unité de l’orthodoxie orientale roumaine. D n’est pas innocent que l’on utilise la formulation u n a s a fie , « qu’elle soit une », à propos de l’unité des trois « sœurs » et de l’orthodoxie roumaine^^^. L’époque de Michel le Brave (M ih a i V ite a z u l), créateur de l’unification politique des pays roumains, est l’étape clef de l’édification de l’Etat unitaire^^^. C’est la première fois dans l’histoire féodale que les trois principautés, la Moldavie, la Valachie et la Transylvanie, sont réunies sous une seule couronne. Michel le Brave se constituait ainsi en défenseur de la chrétienté (a p à ra to ru l c re s fin a tà tii) devant le péril turC^^^. La réunification des principautés roumaines sous Michel le Brave, « héros national de l’unité roumaine », est un exemple parmi 474 p. 75. 475 cfr in fra . 476 JuSTINlAN, «...Pentru unitatea spirituala si statala, pentru libertatea si fericirea poporului nostru », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, Ed. I. B. M.O., Bucuresti, 1971, p. 136. 477 NiCOLAE, « Continuitate si unitate », op. cit., p. 76. On verra notamment pour l’histoire de l’unification des trois principautés, l’article de Andrei PIPPIDI, « La résurrection de Byzance ou l’unité politique roumaine : l’option de Michel le Brave », dans R e v u e d e s E tu d e s S u d -E s t e u ro p é e n n e s , t. XIII, 1975, 3, pp. 367-378. 231 Chapitre I : LE « PATRIOTISME » ORTHODOXE SELON L’IDEOLOGIE MARXISTE-LENINISTE Cette seconde partie est surtout consacrée, à l’instar de la première sur l’Apostolat social, à l’époque Gheorgtiiu Dej, c’est-à-dire le début de la guerre froide et l’instauration du communisme « soviétique » roumain. Il s’agira ici du patriotisme au sens marxiste dans la littérature orthodoxe et de l’interprétation faite par les auteurs des relations Eglise / Etat dans ce contexte. Quant à l’époque Ceausescu, elle sera étudiée dans la troisième partie. Elle représentera la période nationale-communiste par excellence avec le développement du nationalisme, et son corollaire dans l’Eglise Orthodoxe Roumaine, l’ethnicité de l’Eglise. Le patriotisme est le premier aspect fondamental qui justifie tant les devoirs du chrétien vis-à-vis de l’Etat que la collaboration de l’Eglise avec l’Etat. Comme le dit E. Vasilescu, « chaque personne qui a lu les volumes de V A p o s to la t s o c ia l publiés par le Patriarche Justinian Marina a pu constater qu’il n’existe pas une page dans ces volumes où il ne se trouve un mot, une phrase, une expression, directe ou indirecte, concernant l’amour, le respect et le service de 146 la Patrie »262 « Lg patriotisme est aujourd’hui une nécessité pour la défense de la liberté, l’indépendance nationale et la souveraineté de l’Etat »263 Dans les premières années du régime communiste, ce thème est particulièrement développé dans le cadre du respect de l’Etat selon les principes marxistes-léninistes, mais aussi évangéliques et patristiques. L’Etat est identifié à la patrie au sens large. Il s’agit en réalité du point central de l’argumentation concernant la soumission du citoyen à la République Populaire de Roumanie, et ce dès son instauration en 1948. Les devoirs du citoyen seront légitimés par la tradition orthodoxe chrétienne s’intégrant dans le nouvel Apostolat social. Les préceptes chrétiens Justifient les devoirs sociaux du citoyen pour créer l’« homme nouveau ». « La mission de l’Eghse est l’homme. L’homme est le fondement de la patrie et de la société. C’est la formation d’un homme nouveau, d’un homme conscient de son sens sur la terre Ainsi le devoir de « soumission » chrétienne à l’Etat est synonyme de respect de la patrie, de civisme et de loyauté vis-à-vis de l’Etat. C’est particulièrement dans les premières années du régime communiste que la littérature orthodoxe a exploité les notions de « nation » ou de « patrie » dans un sens marxiste. Il est révélateur qu’à cette époque on trouve, dans la bibliographie des auteurs, des références aux auteurs russes révolutionnaires ou roumains de « la première heure ». Les études de Gh. I. Moisescu — qui deviendra patriarche en 1977 — , comme P ro b le m a n a tio n a la s i re z o lv a re a e i d e m o c ra tic a în R e p u b lic a P o p u la rd R o m â n à . R o lu l B is e ric ii în lu p ta c o n tra 262 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, Vn, 1955, n° 5-6, p. 382. 263 M CHIALDA, « Crestinism si patriotism », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, V, 1953, 1-2, p. 51. 264 Sofron VLAD, « Atitudinea bisericii ortodoxe faû de problemele sociale. Principii eu caracter social desprinse din sfintele evanghelii », dans S tu d ii T e o lo g ice , ser. Il-lea, VI, 3-4, 1954, p. 172. 147 s o v in is m u lu i, a n tis e m itis m u lu i 5 / a n tis o v ie tis m u lu P -^ ^ sont, à ce point de vue, révélatrices. Moisescu, comme le théologien P. Rezus266^ cite abondamment des auteurs tels que Staline267_ Lénine^^S Vychinski269^ Frantev^^O Bellu^^l, ainsi que Gheorghiu-Dej, le fondateur de la République Populaire de Roumanie. Ces années sont caractérisées par rantigermanisme, parallèlement à l’anti-occidentalisme. En effet, le nouveau régime doit lutter contre la « propagande nationaliste chauvine, l’hooliganisme antisémite et antisoviétique ». Le national-socialisme « teuton » a mené à l’éclatement de la Transylvanie par le dictât de Vienne de 1940, véritable catastrophe pour la Roumanie puisqu’il concrétisait « les velléités de l’in'édentisme hongrois fasciste ». Il serait inutile de reprendre l’ensemble du discours connu, sur le rôle « des partis nationaux-déraocratiques au service de la bourgeoisie capitaliste, dressés contre le droit des peuples à la liberté, au bonheur, contre la lutte des peuples à la souveraineté et pour leur indépendance, partis au service de l’espionnage des pouvoirs étrangers impérialistes anglo-américains et du Vatican, e tc » . Il est cependant plus intéressant de voir comment l’orthodoxie définit, dans les années cinquante, le nationalisme et le concept de nation d’après le marxisme. Le nationalisme d’après la dialectique marxiste est « la conception bourgeoise, de classe, sur les problèmes nationaux, qui s’inspire de l’idée et du désir d’assurer pour la bourgeoisie le droit exclusif de l’exploitation 265 Gh. lustin MOISESCU, « Problema nationala si rezolvarea ei democratica în Republica Popularâ româna. Rolul Bisericii în lupta contra sovinismului, antisemitismului si antisovietismului », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, I, 7-8, 1949, pp. 669-690. 266 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, IV, 1952, pp. 108-112. 267 I V. STALIN, M a rx is m u l s i c h e s tiu n e a n a tio n a la , Ed. III, Bucuresti, 1948 ; ID., C u m în te le g e s o c ia l-d e n io c ra tia p ro b le m a n a tio n a la , Bucuresti, 1948. 268 v.I. LENIN, N o te c ritic e în c h e s tiu n e a n a tio n a la , Bucuresti, 1949. 269 A..I. VÂSINSCHI, în v a ta tu ra lu i L e n in -S ta lin d e s p re re v o lu tia p ro le ta ra sJ d e s p re S ta t, Bucuresti, 1949 ; cfr. aussi les références à R e z o lu tia B iro u lu ip o litic a l C .C . a l. P .M .R ., în c h e s tiu n e a n a tio n a la , Decembrie, 1948. 270 I FRANTEV, N a tio n a lis m u l, a rm a re a c tiu n ii im p é ria lis te , Bucuresti, 1948. 271 Niculae B E L L U , N a n o n a lis m u l b u rg h e z sJ in te rn a tio n a lis m u l p ro le ta r. C e e s te n a tio n a lis m u l ?, Bucuresti, 1949. 148 des richesses nationales et la population nationale »272 nation est « une communauté d’hommes, formée historiquement, sans distinction de race ou de peuple. La nation roumaine est composée de Daces, Romains et Slaves »^73 Cette définition est intéressante dans la mesure où elle sera à la source de l’ambiguïté qui sera cultivée particulièrement à l’époque Ceausescu. En effet, le mot nation, n a tiu n e a est distingué du mot n e a m u l , le « peuple », porteur de connotations ethniques qui seront développées sous Ceausescu et qui limiteront le mot « nation » au sens ethnique de « peuple » roumain {n e a m u l ro m â n e s c )^'^ ^ . Au début du régime communiste, la « nation » comprend donc l’ensemble des populations, des « nationalités cohabitantes » {n a tio n a lita tile c o n lo c u ito a re ), qui vivent sur le territoire de la Roumanie. C’est cette définition de la nation qui sera reprise dans l’ensemble de la littérature de cette époque. La nation doit cependant, pour être une nation, avoir aussi un caractère « stable ». C’est donc une communauté stable d’hommes, formée historiquement, dont la langue et le territoire sont des éléments constitutifs, ainsi qu’une communauté de vie économique. Cependant, ces nations se distinguent entre elles par la physionomie spirituelle ou le « psychique spécifique commun », qui s’exprime dans les particularités de la culture nationale, par la religion, l’art, e tc . « La nation est donc une communauté stable, historique, constituée d’une langue, d’un territoire, d’une vie économique et d’un psychique spécifique, qui se manifeste dans la communauté de la culture »^75 Moisescu précise bien à cette époque qu’il n’y a aucune ambiguïté possible entre n a tiu n e a , qui est une catégorie historique, et n e a m u l qui est une catégorie « ethnografique » (S ic ). De même que le mot nation a été utilisé par la classe dominante, le mot patrie est également utilisé abusivement afin de soutenir le nationalisme. Il faut noter que les auteurs font une distinction entre les acceptions du mot patrie dans les idéologies capitalistes bourgeoises et marxiste. Le patriotisme est « un manteau avec lequel s’habille la politique d’exploitation ». Le véritable Gh lustin MOISESCU, « Problema naüonala... », o p . c it., p. 672. 273 274 Gfr. la troisième partie. 275 Gh. lustin MOISESCU, « Problema nationala... », o p . c it., p. 673. 149 patriotisme du peuple (p o p o ru l) travailleur oblige le prolétariat à s’élever contre la propriété individuelle des moyens de productions et doit contribuer à la lutte des classes contre le capitalisme, avec la nouvelle forme de propriété collective socialiste. C’est ce qu’on appelle le patriotisme de classe du prolétariat qui doit élever la lutte héroïque pour la défense des intérêts rééls, effectifs et matériels du peuple travailleur {p o p o ru l m u n c ito re s c Ÿ ^^ . Ce patriotisme n’est donc pas nationaliste, mais internationaliste, selon la doctrine soviétique de l’intérêt prolétarien. Cet internationalisme ne peut être confondu avec le « nihilisme » national, ou avec le « cosmopolitisme apatride », ce dernier ayant comme implication le renoncement à la culture nationale, à l’indépendance et à la souveraineté nationale par l’institution d’une « patrie mondiale » et d’une « citoyenneté du monde », qui masque l’intérêt capitaliste de l’exploitation des masses populaires... L’internationalisme enseigne l’amour de la patrie, pour le peuple, la culture et la souveraineté d’Etat, dans respect de l’indépendance des peuples^^^ Comme l’affirment les auteurs, « le cosmopolitisme est une conception réactionnaire, visant à une domination mondiale de l’impérialisme capitaliste. Ainsi la nation doit abandonner ses spécificités, économiques, politiques, culturelles et religieuses. La nation doit renoncer à son passé, ses moeurs et ses traditions, pour une illusion, la “ citoyenneté du monde ” »278 Lg cosmopolitisme est devenu « le moyen pour justifier et masquer la politique de domination et d’assei'vissement des peuples. Sous le prétexte de créer une culture mondiale, commune à toute l’humanité, le cosmopolitisme, sous la forme d’Etat mondial, gouvernement mondial, fédération européenne, citoyenneté du monde, propage la domination du régime capitaliste sur tous les intérêts nationaux, l’indépendance et la souveraineté d’Etat des peuples »^79 Le Comité Central du Parti Communiste Roumain a résolu dans ce cadre le problème national en 1948 selon les principes de l’égalité en droit sur le plan économique, politique, 276 jijid , 277 jijid ., p. 674. 278 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 109. 279 ]vi C h ia l d a , « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 55. 150 culturel et confessionnel de toutes les nationalités cohabitantes, contre les tentatives chauvines et révisionnistes soutenues par la bourgeoisie. Toutes les formes de discrimination nationale et raciale entre les nationalités cohabitantes et le peuple roumain on été ainsi aboües^^O. Il faut noter Tutilisation du mot « citoyen », terme qui englobe tous les habitants du pays, indépendamment des nationalités. En effet, dans la Constitution de la R.P.R. sont garantis tous les droits égaux pour tous les citoyens, sans distinction de sexe, nationalité, race, religion ou niveau de culture. Cette égalité est garantie par les lois et l’organisation de l’Etat et le développement planifié de l’économie nationale. On notera l’expression ; « to ti c e ta te n ii, fa ra d e o s e b ire d e n a tio n a lita te », « tous les citoyens sans distinction de nationalité », problème sur lequel nous reviendrons dans la mesure où il est capital de prendre en considération cette distinction nette faite entre citoyenneté et nationalité, concepts qui en Europe occidentale sont synonymes. En conclusion, la nation ou la patrie est l’ensemble des travailleurs qui doivent oeuvrer pour l’édification du socialisme dans la R.P.R., dans le cadre du nouveau régime instauré en 1948. L’amour de la patrie, l’amour pour la cause du bien-être et de la prospérité du peuple, tel que le définit l’A p o s to la t S o c ia l du patriarche Justinian Marina, devait amener le peuple des travailleurs à créer une vie meilleure, à contribuer à l’édification de la société communiste et à promouvoir la défense de la paix^Sl. La notion de patriotisme est opposée au nationalisme et l’internationalisme au cosmopolitisme^^^. La littérature, prônant l’amour de la patrie ainsi 280 Gh. lustin MOISESCU, « Problema naüonalâ... », o p . c it., p. 674. 281 On verra aussi les écrits de JUSTINIAN, « Prinosul dragostei catre patrie si popor », dans A p o s to la t S o c ia l, p e n trii p a c e a a to a td lu m e a . P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1955, pp. 22-30 ; ID., « ... A lucra împreuna eu poporul la ridicarea si prosperitatea patriei noastre », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u s i o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp. 56-58 ; ID., «...pentru împletirea trebuintelor duhovnicesti ale credinciosilor eu îndatoririle lor patriotice si cetatenesti », Ib id ., pp. 343-345 ; ID., « Plinind în chip armonios nevoile si interesele Bisericii eu aspiratiile si preocuparile Statului... », Ib id ., pp. 41-46. 282 Q lustin MOISESCU, « Problema nationalâ... », o p . c it., pp. 669-690. Cfr. aussi JUSTINIAN, Moldova Mitropolit, « Aspecte din viata religioasa a URSS-ului », o p . c it., pp. 151 définie, attaquait de manière virulente la conception supranationale hégémonique du Vatican, caractéristique de l’impérialisme occidental et prête à provoquer une nouvelle catastrophe nucléaire^^^. Ainsi le sens de « patriotisme » à cette époque, comme le souligne aussi F. Popan dans son article. E g lis e u n iv e rs e lle e t E g lis e n a tio n a le s e lo n la th é o lo g ie ro u m a in e d ’a u jo u rd ’h u i, publié en 1959, « c’est l’adhésion complète et inconditionnée à toutes les mesures prises par le gouvernement communiste pour le travail et les réalisations du peuple »^84 jj f^ut noter d’ailleurs que jusqu’à la fin du régime communiste, l’Eglise orthodoxe utilisera soit le mot patrie dans cette acception, en tant que République Socialiste de Roumanie ou Patrie socialiste285^ soit les termes « nation » ou « patrie » socialiste, recouvrant également tous les 177-191 ; Sorin COSMA, « Despre dragostea de patrie (patriotism) », dans M itro p o lia O lte n ie i, XXXIX, 1987, 3, pp. 83-89. Cfr. par ex. ; Olimp N. CXciULA, « Ura de rasa pacat strigator la cer », dans O rto d o x ia , IV, 3-4, 1952, pp. 238-352 ; Orest BUCEVSCHI, « Pacea. Obiectiv al misiune Bisericii ortodoxe în lume », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, IV, 1952, pp. 3-7. Flaviu POPAN, « Eglise universelle et Eglise nationale selon la théologie roumaine d’aujourd’hui », dans L a p e n s é e c a th o liq u e , c a h ie rs d e s y n th è s e , t. 64, 1959, pp. 70-79. On verra les nombreux article de cet auteur comme ; « Die neue Richtung der Théologie in der rumânischen Volkdemokratie », dans A c ta S o c ie ta tis A c a d e m ic a e D a c o -R o m a n a e , Sériés Theologica et philosophica, t.l, Rome, 1958, pp. 113-148 ; « Chrislicher Wiederstand in Rumânien. Gegen den kommunistischen Materialismus », dans D e r E u ro p à is c h e O s te n , 77, mars 1961, pp. 166-170 ; « Der Priester in der orthodoxen Kirche Rumàniens », dans S tim m e n d e r Z e it, t. 167, 1961, f. 4, pp. 272-287, et l’ouvrage F. POPAN, C. DRASKOVIC, O rth o d o x ie h e u te B ew egung, in R u m â n ie n u n d J u g o s la w ie n , re lig iô s e s L e b e n u n d th e o lo g is c h e Ed. Seelsorger Herder, Vienne, 1960. 285 Qn verra notamment les nombreux textes de propagande pour la « patrie » socialiste présidée par Ceausescu comme ; REDACnA, « Cunoasterea istoriei-Nesecat izvor de educatie patriotica » dans G la s u l B is e ric ii, XLVI, 1988, 2, pp. 5-13 ; lUSTIN (patriarche de l’Eglise orthodoxe roumaine), « Réélection de Monsieur Nicolae Ceausescu à la fonction suprême de président de la République Socialiste de Roumanie, acte de volonté de toute la nation », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 1, pp. 5-6. 152 travailleurs indépendamment de leurs « nationalités »286 La patrie, ou la communauté des citoyens, ne se limite pas au concept de « nation » tel qu’il sera développé dans les années soixante-dix et quatre-vingt. La patrie englobe l’ensemble des nations — dans le sens de « nationalités » — , dans un concept bien plus lai*ge287. On comprend déjà toute l’ambiguïté de ces notions, et cette ambiguïté s’accusera sous Ceausescu. En réalité, on assistera après 1965 à une juxtaposition de la notion de nation au sens large, marxiste, avec le concept de nation au sens ethnique de l’entre-deux-guerres. Ce premier aspect montre combien la littérature orthodoxe du début de l’instauration du communisme a relayé la propagande et l’idéologie de l’Etat en reprenant l’idéologie marxiste telle qu’elle était développée par le nouvel Etat 286 R e d a C T IA , « Omagiu Presedintelui Republicii Socialiste România » dans G la s u l B is e ric ii, XLVII, 1988, 1, pp. 9-15. 287 CHIALDA , « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 54. 153 Chapitre II : LE PATRIOTISME PRECEPTES EVANGELIQUES U a m o u r d u p ro c h a in , la re c h e rc h e le de SELON la LES p a ix , et « re n d e z à C é s a r,,, » L La patrie et l’Eglise Orthodoxe Roumaine Un des aspects les plus intéressants du patriotisme des années cinquante est l’application par les orthodoxes des principes doctrinaux évangéliques justifiant la soumission aux autorités de l’Etat^SS Cet aspect est complémentaire de la conception marxiste et montre en réalité la 288 On verra surtout pour ce chapitre ; Sofron VLAD, « Atitudinea Bisericii Ortodoxe fata de problemele sociale. Principii eu caracter social desprinse din sfintele evanghelii », o p . c it., pp. 158-173 ; N. I. NICOLAESCU, « îndatoriri sociale dupa Noul Testament », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-a, VI, 1954, 7-8, pp. 347-356 ; N. NEAGA, « Conceptia Vechiului Testament despre Stat », dans M itro p o lia O lte n ie i, 1964, 7-8, 334-356 ; Costica A. POPA , « Principiul loialitâtii fata de Stat la apologetii crestini », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, 1975, 1-2, pp. 52-63 ; Dumitru R a d u , « Supunerea fata de ocîrmuire, porunca dumnezeiascâ », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XXXIV, 9-10, 1982, pp. 613-616 ; Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste si respecta legile tarii », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, 1986, n° 6, pp. 5-14. Cfr. aussi ; C.C. PAVEE, « Temeiurile si rostul ascultarii în viata 154 possibilité de superposition, voire de complémentarité, des deux conceptions, celle du patriotisme marxiste et celle du patriotisme chrétien dans son interprétation contem poraine289 Il est révélateur que les auteurs, comme Gh. I. Moisescu, envisagent le patriotisme selon les nouveaux principes marxistes et selon les préceptes chrétiens de manière complémentaire. Il n’est pas étonnant de constater que la critique du cosmopolitisme marxiste opposé à l’internationalisme correspond à l’opposition entre la conception hégémonique du Vatican et celle de l’œcuménicité orthodoxe englobant le principe d’Eglise nationale selon le principe de la « sobomicité », c’est-à-dire la catholicité orthodoxe^^O De même le respect de la patrie selon l’orthodoxie s’inscrit-il dans la tradition orientale garantissant les identités nationales, opposé au cosmopolitisme catholique, destructeur des identités par sa politique hégémonique. Nous citerons ici particulièrement ce que l’on pourrait appeler les exégètes orthodoxes de l’Apostolat social. « Dans le cadre du nouvel Apostolat social, l’Eglise ne peut se désintéresser de la manière avec laquelle s’organise le nouvel ordre social. En réalité, le bon chrétien se doit d’être un bon morala a crestinului », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XVIII, 1966, 7-8, pp. 387-407. On verra de manière plus générale tous les articles sur le patriotisme orthodoxe : REDACTIA, « Dragostea de Patrie », dans G la s u l B is e ric ii, XLVI, 1987, 5, pp. 5-6 ; ID., « Misiunea Bisericii Crestine », dans O rto d o x ia , V, 1953, 4, pp. 651- 660 ; ID., « Cunoasterea istoriei. Nesecat izvor de educatie patrioticâ », dans G la s u l B is e ric ii, XLVI, 1988, 2, pp. 5-13 ; NICOLAE, Mitropolitul Ardealului, « în slujba patriei si a Bisericii strabune », dans M itro p o lia A rd e a lu lu i, XXIV, 1979, 7-9, pp. 581-583 ; Sorin COSMA, « Despre dragostea de patrie (patriotism) », dans M itro p o lia O lte n ie i, XXXIX, 1987, 3, pp. 83-89. 289 On verra pour les Evangiles : Rudolf BULTMANN, T h e H is to ry o fth e S y n o p tic T ra d itio n , Basil Blackwell, Oxford, 1972. On verra aussi : H is to ire d e l’E g lis e d e p u is le s o rig in e s ju s q u ’à n o s jo u rs , dir. Augustin FLICHE et Victor MARTIN, Bloud et Gay, vol. 1, J. BRETON et Jacques ZEILLER, L ’E g lis e p rim itiv e , 1941, vol. 2, D e la fin d u 2 è m e s iè c le à la p a ix c o n s ta n tin ie n n e , 1946, vol. 3, J.-R. P a l A N Q U E , G. BARDY et P. DE LABRIOLLE, D e la p a ix c o n s ta n tin ie n n e à la m o rt d e T h é o d o s e , 1945. 290 ofr la troisième partie. 155 patriote »291. m. Chialda définit la notion de patrie comme le territoire sur lequel vécurent les ancêtres d’un peuple {s tra m o s ü u n u ip o p o r), territoire sur lequel ils ont travaillé, et qu’ils ont défendu avec leur sang. Ainsi la patrie revêt un caractère social. Il en résulte qu’elle est délimitée territorialement de la même manière que l’Etat, et est composée d’hommes libres « sous une direction unitaire », qui ont un but commun, sont soumis aux lois et sont égaux en droits et en devoirs. La patrie est donc le territoire, la collectivité, organisée pour que le peuple vive et travaille dans un régime social particulier choisi par lui, et ce pour le bien commun292 Mais il importe que des liens étroits se tissent entre les citoyens, ce que garantit la R.P.R. Ainsi, le patriotisme ne se limite pas à la défense de la patrie contre les agressions externes, mais embrasse toutes les activités des citoyens de la patrie afin d’amener le peuple au progrès social visant l’exploitation de toutes les forces créatrices. Cependant, il importe d’accepter la notion de sacrifice du citoyen pour assurer cet idéal, par le renoncement individuel pour l’intérêt général^93 Il est intéressant de noter déjà la distinction faite par Chialda entre « patrie » et « nation ». La nation est caractérisée par son historicité, sa langue, sa culture, et la patrie est l’ensemble des citoyens indépendamment de leurs nationalités, de leurs religions et de leurs cultures^^^. L’utilisation d’une terminologie telle que « ancêtres » (s tra m o s ji, s trà b u n i, B is e ric a s trâ m o s e a s c a ) sera particulièrement courante dans les années quatre-vingt, et surtout depuis 1989 dans le contexte du nationalisme. « L’enseignement du Christ est basé sur l’amour du prochain et sur le respect des individus et des peuples, sans aucune discrimination. Ceci doit contrecarrer le cosmopolitisme, avec toutes ses conséquences ». C’est cet aspect chrétien dans le cadre de la société communiste qui doit s’opposer à tout ce qui caractérise l’Occident capitaliste. Il s’agit en fait d’un paradoxe. Le nationalisme chauvin est une conception réactionnaire contre la religion chrétienne et est le 291 M. C h ia l d a , « Crestinism si patriotism », op. cit., p. 51. 292 ji)i^ (Cfr le chapitre précédent). 293 p. 53. 294 156 fait du capitalisme occidental. L’Occident est donc en opposition au christianisme, alors que le régime socialiste garantit son intégrité. On constate donc, et ceci est un thème récurrent, que c’est le communisme qui est la seule garantie de l’authenticité chrétienne contrairement à la « perversion » bourgeoise capitaliste catholique. Nous verrons que l’Eglise catholique est qualifiée d’anti-chrétienne, parce qu’elle est devenu une institution politique hégémonique, non respectueuse des particularismes nationaux et ethniques. Aujourd’hui la conception d’une Eglise catholique centraliste opposée aux identités nationales reste présente chez les auteurs et constitue un des points fondamentaux de l’« anti-occidentalisme » dans le chef des nationalistes roumains^^^. On citera la déclaration du métropolite A. Plamadeala selon laquelle le catholicisme est une création de 1054, à l’instar du protestantisme au XVIe siècle^^^. Le message du Christ est un message universaliste, mais n’exclut pas l’existence des peuples, des nations, des Etats, et donc n’exclut pas la notion de l’amour de la patrie. Il n’est pas étonnant que parallèlement au refus du cosmopolitisme, le christianisme soit universaliste, parallèlement à l’universalisme prolétarien. La morale chrétienne est basée sur l’amour du prochain, selon la parabole du Bon Samaritain. Le christianisme a prôné l’égalité des hommes, indépendamment de la race, du peuple {n e a m ) et de la religion. Les hommes sont donc égaux en droit et en liberté, sans privilège aucun. Le parallélisme entre les fondements du christianisme et les fondements de la Constitution communiste permet ainsi de montrer d’emblée la possibilité de rapprochement entre les deux « idéologies », jugées compatibles. Le thème de l’égalité des hommes indépendamment des races et des nationalités disparaîtra sous Ceausescu au profit du respect inter-confessionnel, chaque confession étant alors liée à un peuple dans le sens du mot n e a m , c’est-à-dire avec la signification ethnique du terme. L’universalisme chrétien, orthodoxe, répondra à la dialectique entre les concepts de catholicité {s o b o m icita te ) et d’ethnicité, l’un étant complémentaire de l’auti'e. C’est dans le cadre de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe que doit se comprendre le patriotisme du chrétien. L’autocéphalie, un des trois principes fondamentaux de l’orthodoxie, à 295 cfi- la conclusion. 296 cfr conclusion, point. IL 157 côté de l’autonomie et de la synodalité, fait de l’Eglise Orthodoxe Roumaine une Eglise nationale. Elle est à la base de l’identification entre l’Eglise et la nation, entre l’Eglise et l’Etat. Cette conception sera surtout développée sous Ceausescu, dans le sens de l’ethnicité. Sous la R.P.R., l’accession de l’Eglise à l’autocéphalie concrétise la lutte patriotique du XIXe siècle. A la lutte sociale du peuple dont la fondation de l’Etat roumain, indépendant de la Porte ottomane, est l’aboutissement, con-espond la lutte sociale de l’Eglise, dont l’autocéphalie consacre l’indépendance de l’Eglise face au Phanar. Le principe de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe est opposé à la conception vaticane centralisatrice et « impérialiste ». L’Eglise orthodoxe s’inscrit par le principe de l’autocéphalie lié à la sobomicité dans la reconnaissance de peuple et reconnaît tout à la fois l’unité œ cum énique^^?. Toutes les Eglises orthodoxes autocéphales sont organisées dans le cadre des différents Etats. Le principe de l’autocéphalie contribue donc au « ciment du sentiment patriotique dans chaque pays » {B is e ric a (...) p rin o rg a n iz a re a s a n a tio n a la , e a c o n trib u e (...) la c im e n ta re a s e n tim e n tu lu i p a trio tic în fie c a re ta ra Ÿ ^^ . D s’agit là du point central de l’argumentation anti-catholique et anti-occidendale ; le catholicisme ignore la conception nationale des Eglises par une organisation « supra-nationale ». L’autocéphalie liée à l’unité du peuple, dans le sens ethnique sera largement développé sous Ceausescu. L’Eglise orthodoxe contribue donc non seulement au sentiment patiiotique mais aussi au sentiment national de chaque peuple. Ce patriotisme concerne donc la défense de la patrie contre les attaques externes et les domaines d’activité de la collectivité. On constate que chacun des 297 M CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 62. Cfr. JUSTINIAN, «...Unitatea bisericeasca ne va ajuta sa facem mai strînsà si indestructibilà unitatea noastrà nationala... », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp. 107-111 ; ID., Patriarhul Bisericii Ortodoxe Romîne, « Una, Sfinta, Soborniceascà si Apostoleascâ Biserica », dans O rto d o x ia , VI, 1954, 2-3,1-VIII ; Teodor M. POPESCU, « Cezaropapismul romano-catolic de ieri si de azi », dans O rto d o x ia , III, 1951, 4, pp.495-538 ; ID., « Ortodoxie si catolicism », dans O rto d o x ia , IV, 1952, 3-4, pp. 462-487. Cfr. la troisième partie. 298 jvi. CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 62. 158 éléments énoncés se situe toujours en porte-à-faux avec les conceptions occidentales. Le principe de l’autocéphalie, c’est à dire d’une Eglise indépendante nationale devient ainsi complémentaire avec l’anti-cosmopolitisme^^^. Il est intéressant de noter que l’Occident, et le catholicisme en particulier, sert, dans l’argumentation orthodoxe, de « repoussoir » pour faire valoir les caractéristiques propres de l’orthodoxie. 299 cfi' aussi : Liviu STAN, « Prijinirea luptei de independenta a poporului român prin lupta bisericii pentru autocefalei », dans O n o d o x ia , XX, 1968, pp. 611-618. 159 II. Le sens social du patriotisme chrétien L’homme a été créé par Dieu et est d’essence « sociale » ; « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée » (N u e b in e s a fie o m u l s in g u r, s a -ifa c e m a ju to r p o triv it p e n tru e t) (Gn., II, 18). « Les hommes se sont organisés en peuples et nations ». Les citations faites par les théologiens orthodoxes, tirées des Evangiles, sont nombreuses^^. On citera surtout : « Car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé face à tous les peuples » (c a c i v a z u râ o c h ii m e i m â n tu ire a T a , p e c a re a i g a tit-o în fa ta tu tu ro r p o p o a re lo r) (Le., II, 30-31) ; « Allez enseigner à toutes les nations » (M e rg â n d în v d ta ti to a te n e a m u rile ) (Mt. XXVIII, 19) ; « on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations à commencer par Jérusalem » (P o e d in ta sJ ie rta re a p d c a te lo r la to a te n e a m u rile , în e e p â n d d e là le ru s a lim ) (Le., XXIV, 47) ; « Moi..., j’ai reçu la grâce d’annoncer aux nations l’impénétrable richesse du Christ » (M ie ... m i s ’a d a t h a ru l a c e s ta d e a b in e v e s ti în tre n e a m u ri b o g d tia lu i H ris to s ) (Ep., III, 8) ; « Par lui nous avons reçu la grâce d’être apôtres pour conduire à l’obéissance de la foi, à la gloire de son nom, toutes les nations » (P rin c a re a m lu a t h a ru l sJ a p o s to lia , s p re a s c u lta re a c re d in te i la to a te n e a m u rile , p e n tru n u m e le L u i) (Rm., I, 5). Les mots « nations » sont généralement désignés par le mot n e a m u ri . On verra 300 cfr. la bibliographie en début de chapitre. 160 rutilisation de ces préceptes pour prouver l’ethnicité de l’Eglise sous Ceausescu. Ainsi le christianisme s’adresse à tous les peuples et nations, n’excluant pas l’existence de peuples différents, pour autant qu’ils soient organisés en pays et Etats différents. « Ainsi d’après l’enseignement du Christ, aucune nation n’a le droit de s’arroger le pouvoir de domination sur une autre nation et son enseignement est contraire à l’esprit cosmopolite des classes dominantes des pays capitalistes d’oppression culturelle, économique, politique et sociale »301. Le christianisme contribue donc par son enseignement au raffermissement des liens entre les citoyens et le sentiment patriotique^O ^ La morale sociale est basée sur le principe du commandement suivant : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Sa iubesti pe domnul Dumnezeul tau... Sa iubesti pe aproapele tau ca pe tine însuti) (Mt.., XXII, 37-38). Le christianisme est donc intimement lié à la vie terrestre de l’homme et à la société dans laquelle il vit. Il ne peut se désintéresser du mode sur lequel cette société est organisée. L’Eglise chrétienne ne peut rester passive face au nouvel ordre social tel qu’il se construit aujourd’hui, c’est à dire avec l’instauration de la R.P.R.^O^ Comme l’affirme Justinian de manière récurrente dans l’Apostolat social, l’Eglise chrétienne ne peut donc rester passive au nouvel ordre social qui se contruit et rester anachronique. « Il est une vérité axiomatique qu’il n’y a rien dans le christianisme qui puisse s’opposer aux revendications sociales, aux idéaux d’égalité, de liberté et de droit social, idéaux qui voient leurs réalisations avec le nouveau régime de la société, qui se réalise sous nos yeux grâce au régime démocrate populaire dans notre pays »304 Ainsi donc le christianisme doit soutenir le nouveau régime, mais qui plus est, la doctrine chrétienne ne pourrait nullement s’opposer à la nouvelle société. En outre le christianisme doit avoir une action terrestre sociale. Dans ce sens, les devoirs du croyants sont complémentaires avec ceux du citoyen dans la R.P.R. 301 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 110. 302 ]y[ CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 59. 303 p. 60. 304 p. 60. 161 L’amour de Dieu et du prochain, commandement suprême pour le chrétien, devient la source fondamentale des devoirs du citoyen face à la société dans laquelle il vit. La préférence du Christ pour la patrie et la collectivité est énoncée chez Matthieu : « allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël » (C i m a i v â rto s m e rg e ti c a tre a ile p ie rd u te a le c a s e i lu i Is ra ë l) (Mt. X, 6) (XV, 24). Son amour pour le peuple est énoncé comme suit : « Jérusalem, Jérusalem, ... que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu. » (le ru s a lim e , le ru s a lim e ...D e c â te o ri a m v ru t s a a d u n p e fiii ta i, c u m a d u n a c lo s c a p u ii s â i s u b a rip i sJ n ’a ti v ru t) (Mt., XXIII, 37). Le travail pour la patrie et la collectivité est donc un commandement (p o ru n c a ) du Christ^OS On trouve également chez saint Paul la notion d’amour pour la patrie : « j’ai été contraint de faire appel à César, sans avoir pour autant l’intention de mettre en cause ma nation » (A m fo s t s ilit s a c e r a fi ju d e c a t d e C e z a ru l, n u c d a s a v e a d e a d u s v re o în v in u ire n e a m u lu i m e u ) (Ac. XXVIII, 19). Ainsi cet amour pour la patrie, à travers le « prisme » du christianisme, n’est en réalité que l’amour du prochain, et donc de la collectivité. « C’est une prolongation de l’amour du prochain qui arrive dans l’ordre naturel au plan de la vie commune dans le cadre de la patrie On notera aussi l’importance du renoncement (je rrfd ), du sacrifice de l’homme pour le bien commun de la collectivité ; « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui même et prenne sa croix, et qu’il me suive » (O ric in e v o ie s te s a v in d d u p a M in e , s a se le p e d e d e s in e , s d -s j ia c ru c e a s j s d -M i u rn ie z e ) (Mt., XVI, 24). « Rien n’est plus admirable que ce renoncement de l’homme qui est toujours prêt à sacrifier non seulement ses intérêts personnels, mais aussi sa vie corporelle au profit du bien commun » (N im ic n u e s te m a i a d m ira i d e c â t a c e a s ta re n u n ta re a o m u lu i, c a re e ste to td e a u n a g a ta s d -s j je rtfe a s c d n u n u m a i in te re s e le p e rso n a le , d a r c h ia r s j v ia ta tru p e a s c d p e n tru sJ în fo lo s u l b in e lu i o b s te s c ). On comprend toute la portée d’un tel verset dans une dictature telle que celle mise en place en Roumanie en 1948. En effet, non seulement l’Eglise enseigne le respect de la patrie par une légitimation chrétienne. 305 p. 61. 306 jh id . 162 mais exhorte en plus au sacrifice, au renoncement pour le bien commun. Autrement dit, elle interdit toute forme d’opposition à la dictature, au bénéfice du sacrifice chrétien. La notion de patrie est donc considérée comme une réalité ancienne chrétienne, compatible avec la conception politique contemporaine « du nouveau régime social ». Elle revêt un caractère social. Le patriotisme est donc le fondement chrétien et politique de l’Apostolat social^O^. Le progrès et la patrie en tant qu’organisme social ne peuvent se développer sans la paix. Le thème de la paix est l’un des thèmes particulièrement développés, notamment dans le contexte de la participation de l’Eglise orthodoxe roumaine aux mouvements de la paix initiés par Moscou, ce que l’Eglise appelait, le « front des Eglises orthodoxes des démocraties populaires »308. pius tard, à l’époque Ceausescu, et dès la participation de l’Eglise Orthodoxe Roumaine au Conseil Œcuménique des Eglises en 1961, cet aspect sera un des thèmes principaux dans la propagande de l’Est pour l’Occident, mais dans un autre contexte, celui de la coexistence pacifique et de l’image de la Roumanie que voulut donner Ceausescu dans les années soixante-dix. Selon les auteurs, la paix interne dans la patrie est indispensable pour son développement. « Que la paix soit dans tes murs et amène prospérité chez toi » {P a c e a s a d o m n e a s c a în tre z id u rile ta ie s i în c a s e le ta ie p ro p d s ire a ) (Ps. CXXI, 8). « Quel bonheur et quel plaisir de se retrouver entre frères en union » {C â t e ste d e b in e 5 / c â t e ste d e fru m o s , s a lo c u ia s c d fra tii în u n ire ) (Ps. CXXXII, 1). Le progrès social a également besoin de la paix entre les peuples, sur le plan externe. « Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances ils feront des 307 cfr notamment JUSTINIAN, « Prinosul dragostei catre patrie si popor », o p . c it. 308 cfr. surtout ; Orest BUCEVSCHl, « Pacea. Obiectiv al misiune Bisericii ortodoxe în lume », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, IV, 1952, pp. 3-7 ; Petru REZUS,« Pozitia Bisericii ortodoxe române fata de lupta pentru pace. Sarcinile preotimii în aceasta problema », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, IV, 1952, pp. 8-14 ; N. NEAGA, « Ideea de pace si dreptate în scrierile P.F. Patriarch Justinian 1945-1955 », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, VII, 1955, 9-10, pp. 627-639. 163 serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on ne fera plus la guerre » {V o rp ré fa c é s â b iile în fia re d e p lu g u ri s f id n c ile lo r în s e c e ri. N ic iu m n e a m n u v a m a i rid ic a s a b ia îm p o triv a a ltu ia s i n u v o r m a i fa c e rd z b o ia e ) (Es., H, 4). « Alors le fruit de la justice sera la paix, la justice produira le calme et l’espérance (...) alors mon peuple s’établira dans un lieu de paix » (A tu n c i p a c e a v a fi lu c ru l d re p ta tii, ro a d a d re p ta tii va fi lin is te a sJ n a d e jd e a ...a tu n c i p o p o ru l m e u v a lo c u i în tr’u n lo c d e p a c e ) (Es., XXXII, 17-18). « Gloire à Dieu au plus haut des deux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » (S la v d în tru c e i d e s u s lu i D u m n e z e u s f p e p à m â n t, în tre o a m e n i b u n d v o ire ) (Le, H, 14). « Va en paix » {M e rg i în p a c e ) (Mc., V, 34 ; Le., Vni, 48). « Je vous laisse la paix, je vous donne Ma paix » {P a c e v a la s v o u a , p a c e a M e a O d a u v o u a ) (Jn., XIV, 27). « S’il est possible, pour autant que cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes » {D a c d se p o a te , p e c â t s td în p u te re a v o a s trd , tra in în b u n d p a c e e u to ti o a m e n iï) (Rm., XII, 18). « Recherchez la paix avec tous, et la sanctification sans laquelle personne ne verra le Seigneur » {C d u ta ti p a c e a e u to a td lu m e a s f s fin te n ia , fd rd d e c a re n im e n i n u v a v e d e a p e D o m n u t) (He., XII, 14). « Que règne en vos coeurs la paix du Christ, à laquelle vous avez été appelés tous en un seul corps » {S f p a c e a lu i H ris to s în tru c a re a tifo s t c h e m a ti c a s d fin u n s in g u r tru p , s d s td p â n e a s c d în in im ile v o a s tre ) (Col. III, 15). Le citoyen, chrétien, qui suit ces préceptes et répand ainsi la paix autour de lui, suit non seulement le Testament du Seigneur mais est également un bon patriote en rendant ses devoirs à la Nation^O^. La lutte contre l’antisoviétisme est capital comme facteur de progrès, l’U.R.S.S. étant pour la paix entre les peuples et pour le progrès social. Par le biais des mouvements de la paix auxquels sont appelés les orthodoxes, les Eglises doivent ainsi collaborer à la politique soviétique et lutter contre les « fauteurs » de guerres. La paix est liée au progrès social de la patrie et de l’humanité. Le patriotisme inclut donc la collaboration à la recherche de la paix dans le pays et dans le monde et revêt en cela un caractère social. L’Eglise doit ainsi coopérer à la politique sociale de l’Etat. Il y a donc convergence entre les commandements du Christ et la politique de l’Etat. 309 CHIALDA, M., « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 66. 164 III. Le respect chrétien de l’égalité des citoyens garanti par la Constitution de la R.P.R. Les auteurs monti'ent qu’il y a une convergence entre le respect de l’égalité des citoyens selon les préceptes chrétiens et celle garantie par l’article 81 de la Constitution de la R.P.R. De cette manière, il est impératif de respecter la Constitution pour être un bon chrétien afin de contribuer à l’édification de la nouvelle société. Le développement social ne peut se faire que dans un climat d’harmonie, de paix et d’égalité sociale. La R.P.R. garantit, par l’article 81 de sa Constitution, l’égalité entre les citoyens, indépendamment de la nationalité {n e a m ), de la religion, de l’âge et du sexe. « Il y a donc convergence entre la justice sociale et l’enseignement chrétien Moisescu dans son article sur la résolution des problèmes nationaux s’exprime en ces termes : « l’enseignement du Christ a un caractère démocratique universel, basé sur l’égalité de tous les hommes, sur l’amour du prochain, le salut de tous, e tc ., sans distinction de race, de peuple {n e a m ), de classe sociale ou de sexe. Il s’adresse à tous, et appelle au salut de tous les peuples {n e a m u rile ), mort sur sa croix pour le rachat des péchés de tous les hommes^H. Le principe fondamental utilisé en premier lieu est évidemment le lien entre l’amour du prochain et l’amour de la patrie ainsi définie : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est là le grand, le premier commandement. Un 310 Gh. lustin MOISESCU, « Problema nationalâ... », op. cit., p. 685. 311 Ib id . 165 second est aussi important : tu aimeras ton prochain comme toi-même ». De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes » (S a iu b e s ti p e D o m n u l D u n m e z e u l ta u e u to a ta in im a ta , e u tô t s u fle tu l ta u sJ e u tô t e u g e tu l ta u . A e e a s ta e ste m a re s i e e a d in tâ iu p o ru n e d . la r a d o u a la fe l e u a e e a s ta : sa iu b e s ti p e a p ro a p e le ta u e a p e tin e în s u ti. In a e este d o u a p o ru n e i a tâ rn d to a ta le g e a sJ p ro ro e iï) (Mt., XXII, 37-40). « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé » (S a v a iu b iti u n u lp re a ltu l, e u m v ’a m iu b it E u ) (Jn., XIII, 34). Il est clair que pour la propagande le rapport entre l’égalité de tous les hommes, ici la classe des travailleurs, prônée par le discours marxiste, et l’égalité de tous les hommes dans la doctrine chrétienne est évident. On doit cependant noter, et Moisescu le précise, que cette égalité est effective devant Dieu, « face à Dieu il n’existe pas de peuple privilégié et exploité, de race supérieure ni inférieure ». Le Christ demanda aux apôtres d’aller enseigner à toutes les nations (Mt. XXVIII, 19), « M e rg â n d , m v d ta ti to a te n e a m u rile ». L’auteur insiste bien ici sur ce que l’on doit comprendre par « n e a m u rile » , tous les peuples du monde (la to a te p o p o a re le ), sans distinction de peuple (n e a m ), de race ou de classe sociale. Dans les années Ceausescu, ce verset sera utilisé pour montrer « l’ethnicité » de l’Eglise. Cependant d’après P. Rezus, dès 1952, le Christ respectait déjà les identités de chaque peuple, les langues, les traditions, les territoires, « dans leur spécificité ethnique » (în s p e e ifie u l lo r e tn ie )^ ^ ^ . « Les peuples (n e a m u rile ) christianisés restaient distincts dans la communauté des autres peuples, et c’est resté ainsi jusqu’à nos jours »313 Cependant, il importe que l’Eglise soit « une », conformément à I Co., I, 12 ; « Moi j’appartiens à Paul, moi à Apollos, moi à Céphas, moi à Christ », et (I Co. XII, 13) : « Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour être un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes hbres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit » (n o i to ti în tr’u n D u h n e -a m b o te z a t, e a s a fim u n s in g u r tru p .fie lu d e U fie E lin i,fie ro b i,fie s lo b o z i sJ to ti la u n s in g u r D u h n e -a m a d a p a t). Sans distinction aucune, la communauté chrétienne doit être unie : 312 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . e it., p. 108. 313 Ib id .. 166 « En effet, le coq)s est un, et pourtant il y a plusieurs membres ; mais tous les membres du coips, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps » {p re c u m tru p u l u n u l e ste , d e s i a re m d d u la re m id te , ia r to a te m d d u la re le tru p u lu i, e u to a td m u ltim e a lo r a lc a tu e sc u n s in g u r tru p ) (I Co. XII, 12). « Il n’y a plus ni Juifs, ni Grecs ; il n’y a plus ni esclaves, ni hommes libres, il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » {N u m a i e ste lu d e u , n ic i E lin ; n u m a i e ste ro b n ic i s lo b o d ; n u m a i e ste p a rte b d rb d te a s c d , n ic i fe m e ia s c d , p e n tru c d v o i to n u n a s u n te ti în tru H ris to s lis u s ) (Ga. El, 28). D n’y a pas de différence entre « païen ou juif, barbare ou scythe et esclave ou homme libre » ip d g â n s a u lu d e u , în tre b a rb a r s a u s c it s i n ic i în tre ro b s a u s lo b o d ) (Col. III, 11). Par ces versets, on montre qu’il y a unité dans l’Eglise ainsi qu’une égalité entre les membres de la communauté. L’amour des chrétiens doit conduire à l’amour de son frère, de son semblable, de chaque homme, de son prochain {C in e iu b e s je p e D u m n e ze u , s a iu b e a s c d sJ p e fra te le s a u ) (I.Jn. IV, 21). Celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère. Ce principe de l’unicité de l’Eglise sera également l’argument fondamental pour l’unicité de l’orthodoxie, argument en opposition complète avec l’existence de l’uniatisme, comme nous le verrons dans le chapitre consacré à la « réintégration » de l’uniatisme dans l’orthodoxie. En effet, l’Eglise orthodoxe doit être une ( c d to n s d fie u n a ) (I Co, XII, 13), ce qui implique, selon les orthoxes, que l’existence d’une Eglise « orthodoxe » catholique roumaine soit un obstacle à l’œcuménisme et surtout un obstacle à l’unité de l’« orthodoxie » roumaine. L’homme vivant en société dans sa vie terrestre ne peut donc s’opposer à la « hiérarchie sociale » ni se soustraire à l’obligation de se soumettre aux autorités, et doit contribuer comme n’importe quel citoyen à la bonne marche des devoirs publics^l^. Les hommes étant égaux entre eux doivent se soumettre à l’autorité, la « hiérarchie sociale » qui détermine les rapports entre lui et ses semblables^L’Eglise a donc toujours lutté contre toute forme d’esclavage, contre le paupérisme, contre l’exploitation de l’homme par l’homme, contre les haines raciales. 314 Qh. lustin MOISESCU, « Problema nationala... », o p . c it., p. 686. 315 Ib id . 167 Comme la Démocratie populaire lutte pour les mêmes causes, l’Eglise et l’Etat doivent coopérer. Ainsi l’amour chrétien du prochain est un bienfait social ; « Si un frère ou une soeur n’ont rien à se mettre et pas de quoi manger tous les jours, et que l’un de vous leur dise ; Allez en paix, mettez-vous au chaud et bon appétit, sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi bon ? De même, la foi qui n’aurait pas d’œuvres est morte dans son isolement » (Cac/ d e v o rfi fra te le s a u s o ra g o i sJ lip s iti d e h ra n a d e to a te z ile le , sJ le v a z ic e c in e v a d in v o i : m e rg e ti în p a c e , în c a lz iti-v â sJ v a s a tu ra ti, sJ n u le -a r d a c e le d e tre b u in m tru p u lu i, ce fo lo s a r fi ? A s a fi c re d in ta , d a c a n u a re fa p te , e ste n w a rta în e a In s a s i) (Je., II, 15-17). Ce point de l’argumentation montre combien le respect de l’Etat selon les évangiles est basé sur une socialisation, voire une « communisation » des écrits néo-testamentaires. Alors que ces textes doivent se comprendre dans une perspective eschatologique, ils sont utilisés pour montrer explicitement le caractère « terrestre » (viata pamînteasca) des préceptes chrétiens et pour montrer la corrélation entre les idéaux communistes et chrétiens. 168 IV. La soumission du chrétien face à l’Etat En conséquence des principes ainsi énoncés, on comprend que dans le cadre de la dimension sociale du chrétien, celui-ci doive se soumettre à l’Etat communiste créé depuis 1948. C’est chez saint Paul que l’on trouve la notion d’Eglise servante qui sera largement développée, notamment par le métropolite de Transylvanie A. Pl^adeala. « L’un a-t-il le don du service, qu’il serve. L’autre celui d’enseigner ? qu’il enseigne; tel autre celui d’exhorter ? Qu’il exhorte. Que celui qui donne le fasse sans calcul, celui qui préside, avec zèle, celui qui exerce la miséricorde, avec joie » {D a c a a v e m s lu jb a : sa s ta ru im în s lu jb â ; d a c a u n u l în v a td : sa se s â rg u ia s c d în în v â td tu rà ; d a c a în d e a m n a : sa fie la în d e m n a re ; d a c a im p a rte a lto ra : sa îm p a rtd e u fire a s c d n e v in o v d tie ; d a c a s td în fru n te : s a fie e u tra g e re d e in im d ; d a c a m ilu e s te : sa m ilu ia s c d e u b u n d v o ie ) (Rm. XII, 7-8). « Mais toi cependant sois sobre en tout (...), fais le service avec tout ton zèle » ijn s d tu fii tre a z în to a te (...)fii e u to a td in im a la s lu jb a ta ) (II Tm. IV, 5). Le sentiment patriotique s’exprime donc par la soumission et l’obéissance au régime du pays, face aux lois et face à ses chefs (c o n d u c a to rii). Le patriotisme signifie donc la dévotion 169 face au régime social du pays^^6 « c’est pourquoi il est nécessaire de se soumettre, non seulement par crainte de la colère, mais encore par motif de conscience » {D e a c e e a , n e v o ie e ste s a v a s u p u n e ti, n u n u m a i d e fric a p e d e p s e i, d a r s i p e n tru c u g e tu l v o s tru ) (Rm, XIII, 5). « Rappelle à tous qu’ils doivent êtie soumis aux magistrats et aux autorités, qu’ils doivent obéir, être prêts à toute oeuvre bonne, n’injurier personne, éviter les querelles, se montrer bienveillants, faire preuve d’une continuelle douceur envers tous les hommes » (a d u -le a m in te s a se s u p u n a s ta p â n irilo r sJ d re g à to rilo r, s a a s c u lte , s a fie g a ta s p re o ric e lu c ru b u n , s a n u d e fa im e p e n im e n i, s a n u se g â lc e v e a s c a e u n im e n i, s a fie lin is fiti, s a a ra te c a tre to ti o a m e n ii d e p lin â b lâ n d e te ) fTt., III, 1-2). L’Eglise se doit donc de développer le sens patriotique des citoyens, le respect vis-à-vis du pays, de la R.P.R. Or, puisque la direction de l’Etat représente la garantie du développement du bien commun, l’Eglise chrétienne, conformément à sa tradition (p o triv it tra d itie i s a le ), prie pour l’autorité de l’Etat {în a ltâ la a lta r ru g a c iu n ip e n tru a u to rita te a d e S ta t)^ ^'!. « L’Eglise prie pour la direction de la patrie et pour son peuple, pour se protéger des ennemis, et elle le fait depuis des siècles dans la tradition chrétienne, conformément à la demande de l’apôtre Paul à son disciple Timothée »318 ; « jg recommande donc, avant tout, que l’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce, pour tous les hommes, pour les chefs et tous ceux qui détiennent l’autorité, afin que nous menions une vie calme et paisible » {V a în d e m n , d e c i m a in te d e to a te , s a fa c e ti c e re ri, ru g a c iu n e , m ijlo c iri, m u ltu m ite , p e n tru to ti o a m e n i, p e n tru c o n d u c a to ri sJ p e n tru to ti c a re s u n t în în a lte d re g a to rii, c a s a p e tre c e m v ia ta lin a sJ tih n itâ ) (I Tm., n, 1-2). Ainsi le véritable patriotisme chrétien devient une obligation morale, qui doit se faire en double qualité, celle de chrétien et celle de citoyen. Le commandement de l’Eglise chrétienne est inextricablement lié à l’obligation de citoyen de la patrie. On peut donc affirmer qu’il y a une corrélation, voire une osmose entre les devoirs du croyant et du citoyen. 316 m . CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 63. 317 Ib id .. 318 Ib id ., pp. 63-64. 170 A. Le « rendez à César... » « Notre sainte Eglise toute puissante nous invite et nous oblige impérativement à nous soumettre à l’autorité de l’Etat, et ce dans tous les domaines de son activité La société, et donc la patrie, a besoin pour se développer de biens matériels, donc du soutien matériel de la part des citoyens. Cette obligation est clairement énoncée dans les Saintes Ecritures du Sauveur lui-même par le « donnez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » {D a ti d e c i C e z a ru lu i, c e le s u n t a le C e z a ru lu i s i lu i D u m n e z e u c e le s u n t a le lu i D u m n e z e u ) ("Mt.., XXII, 21 ; Le. XX, 25 ; Mc XII, 17). Par ce précepte, le devoir du chrétien est énoncé en sa double qualité de citoyen et de croyant de l’Eglise, c’est-à-dire ses obligations face à la patrie, dans laquelle il vit, et face à Dieu. Cette parole confirme la légitimité des doubles obligations de chaque chrétien, obligations qui ne sont pas en « collusion » {o b lig a tii c a re n u s u n t în c o liz iu n e )^ ^ ^. Tant que le chrétien se trouve dans la vie terrestre et vit dans une société qui assure une vie heureuse et de progrès, il ne peut se soustraire pour aucun motif, de quelque nature qu’il pourrait être, de ses plus hautes obligations qu’il a en sa qualité de citoyen de « notre Etat de démocratie populaire On verra aussi le précepte suivant qui confirme les devoirs du croyant : « Rendez à chacun ce qui lui est dû : l’impôt, les taxes, la crainte, le respect, à chacun ce que vous lui devez » {D a ti tu tu ro r ce s u n te ti d a to ri s a d a ti : c u i d a to ra ti 319 Grigorie MARCU, « Hristos si Cezarul sau Statul si Biserica în lumina Noului Testament », dans M itro p o lia A rd e a lu lu i , XXII, 1977, 7-9, p. 485. 320 M C h i a L D A , « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 66. 321 Ib id . 171 b iru l, d a ti-i b iru l; c u i d a to ra ti v a m a , d a ti-i v a n ta ; c u i d a to ra ti a s c u lta re , d a ti-i a s c u lta re ; ia r d a to ra ti c in s tire , d a ti-i c in s tire . N im a n u i e u n im ic s a fiti d a to ri) (Rm. XIII, 7-8). Donc, outre la définition du double devoir du citoyen, en tant que citoyen de l’Etat et du croyant en Dieu, le précepte du « rendez à César... » signifie que « l’Eglise orthodoxe a compris qu’elle devait collaborer de manière étroite avec l’Etat » {B is e ric a O rto d o x a a în te le s sa c o la b o re z e în m o d s trîn s e u S ta tu lŸ ^ ^. Les auteurs évitent d’utiliser l’expression « séparation entre l’Eglise et l’Etat », mais emploient plutôt la formule « les droits de Dieu sont séparés de ceux de César ». Autrement dit, chez les orthodoxes, le citoyen doit reconnaître les deux domaines, celui de Dieu et celui de l’Etat, doit se soumettre à l’Etat, et par conséquent doit collaborer avec l’Etat. Il y a donc séparation sur le plan des attributions respectives, mais collaboration entre l’Eglise et l’Etat. Plus exactement, G. Marcu affirme qu’il n’y a pas deux pouvoirs. La conception des deux pouvoirs est « hétérodoxe », parce que cette conception implique un esprit de concurrence « anti-irénique »^23 Lg Christ ne fait pas de différence entre deux pouvoirs, comme s’ils existaient de manière séparée, par la volonté de Dieu, mais il se limite à proclamer l’obligation de remplir simultanément « ses devoirs de citoyen et de croyant »^24 Cette obligation vis-à-vis des deux « devoirs » est religieuse. Nous le verrons au point suivant, l’Etat est voulu par Dieu. Ainsi, cet auteur confirme bien que malgré toute séparation formelle et normative, constitutionnelle, de l’Eglise et de l’Etat, la conception chrétienne ne pourrait admettre une telle situation. De plus, cet auteur s’inspirant de Matthieu (XVIII, 18) montre que « tout pouvoir est de Dieu » {T o a tâ p u te re a e îta e x is ta p e lu m e e a lu i D u m n e ze u )^ ^^ . Ce point est donc central et est la clef de voûte de toute l’argumentation orthodoxe sous le communisme. En effet, il est capital de noter que l’Eglise orthodoxe a donc utilisé son argumentation traditionnelle selon 322 Sofron V l ad , « Atitudinea bisericii ortodoxe fata de problemele sociale... », op. cit., p. 171. 323 Grigorie MARCU, « Hristos si Cezarul... », o p . e it., p. 491. 324 jh id 325 Ib id ., p. 492. 172 laquelle le pouvoir est voulu par Dieu, confirmé dans l’épître aux Romains, ch. XIII, pour montrer la pennanence de la « symphonie » byzantine. Le pouvoir communiste est donc, en conséquence, voulu par Dieu. « L’exercice des droits et des devoirs religieux ainsi que ceux de citoyen se font simultanément et de manière “ symphonique ”326 « Lgg opposer ou les déclarer séparables, si l’on est chrétien, n’est pas une pensée chrétienne ni une attitude approuvée par Dieu »327 conséquence, on peut en déduire que les catholiques qui n’envisagent pas les relations Eglise / Etat de cette manière ne sont pas de vrais chrétiens. La soumission du citoyen passe d’abord par le respect de l’impôt ; « rembourse leur l’argent, pour toi et pour moi » {la b a n u l sJ d a -li-l lo r, p e n tru m in e s J p e n tru tin e ) (Mt. XVIII, 27). Cet impôt, et donc la soumission à l’Etat, est indispensable pour le salut de l’économie nationale et l’équilibre entre la campagne et la ville : « En cette occasion, ce que vous avez en trop compense ce qu’ils ont en moins, pour qu’un jour ce qu’ils auront en trop compense ce que vous aurez en moins, pour que cela fasse l’égalité, comme il est écrit : Qui avait beaucoup recueilli n’a rien eu de trop, qui avait peu recueilli n’a manqué de rien » {C i, c a s a fie p o triv ire : p ris o s in u i v o a s tra s a îm p lin e a s c a a c u m lip s a a c e lo ra , p e n tru c a sJ p ris o s in ta lo r s a îm p lin e a s c a lip s a v o a s trfi s p re a fi p o triv ire , p re c u m e ste s c ris : C e lu i e u m u ltn u i-a p ris o s its i c e lu i e u p u tin n u i-a lip s it) (Il Co. VIII, 14-15). Ainsi « le peuple maudit l’accapareur de blé, mais bénit celui qui le met sur le mai'ché » {C e l ce tin e g ra u l e b le s te m a t d e p o p o r, ia r b in e c u v â n ta re a p e s te c a p u l c e lu i c e v in d e ) (Pr. XI, 26). Le patriotisme s’inscrit donc dans la tradition chrétienne et signifie une dévotion et une soumission face à l’Etat et l’autorité, et le vrai chrétien ne peut exister sans être un vrai patriote^^^. Bien plus, personne ne peut interdire à un chrétien de se soumettre parce qu’il serait ainsi en opposition avec sa foi329. 326 Ib id ., p. 492. 327 Ib id ., p. 492. 328 jyi CHIALDA, « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 67. 329 Ib id ., p. 67. 173 B. Le « Que tout homme soit soumis aux autorités... » Le chapitre XIII de l’épître au Romains de saint Paul est également à la base de la légitimation du respect de l’Etat et complémentaire de ce qui précède. « Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi, celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes. En effet, les magistrats ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas avoir à craindre l’autorité ? Fais le bien et tu recevras ses éloges, car elle est au service de Dieu pour t’inciter au bien. Mais si tu fais le mal, alors crains. Car ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive : en punissant, elle est au service de Dieu pour manifester sa colère envers le malfaiteur. C’est pourquoi il est nécessaire de se soumettre, non seulement par crainte de la colère, mais encore par motif de conscience. C’est encore la raison pour laquelle vous payez des impôts : ceux qui les perçoivent sont chargés par Dieu de s’appliquer à cet office. Rendez à chacun ce qui lui est dû : l’impôt, les taxes, la crainte, le respect, à chacun ce que vous lui devez » {T ô t s u fle tu l s a se s u p u n a în a lte lo r s ta p în iri, c a c i n u e ste s ta p în ire d e c ît d e la D u m n e z e u ; ia r c e le ce s în t, d e D u m n e z e u s în t rîn d u ite . P e n tru a c e e a, c e l ce se îm p o triv e s te s td p în irii se îm p o triv e s te rîn d u ie lii lu i D u m n e z e u . Ia r c e i ce se îm p o triv e s c îs i v o r lu a o s în d a . C a d d re g â to rii n u s în tfric d p e n tru fa p ta b u n d , c i p e n tru c e a re a . V o ie s ti, d e c i, sa n u -ti fie fric d d e s ta p în ire ? F a b in e le s i v e i a v e a la u d à d e la e a . C a d e a e ste s lu jito a re a lu i D u m n e z e u s p re b in e le ta u . Ia r d a c a fa d rd u , te m e -te ; c a c i n u în z a d a r p o a rtd s a b ia ; p e n tru c d e a e ste s lu jito a re a lu i D u m n e z e u d rd z b u n d to a re a m în ie i L u i, a s u p ra c e lu i ce s a v îrse s te rd u l. D e a c e e a e ste n e v o ie s a v d s u p u n e ti, n u n u m a i p e n tru m în ie , c i d p e n tru c o n s tiin td . C d p e n tru a c e a s ta p ld titi sJ d d ri. c d c i (d re g d to rii) s în t 174 s lu jito rii lu i D u m n e z e u , s tâ ru in d în a c e a s td s lu jire n e în c e ta t. D a ti d e c i tu tu ro r c e le c e s în te ti d a to ri : c e lu i e u d a re a , d a re a ; c e lu i e u v a m a , v a m a ; c e lu i e u te a m a , te a m d , c e lu i e u c in s te a , c in s te ) (Rm. XIII, 1-7). Saint Paul y décrit les devoirs du chrétien. Le pouvoir de l’Etat a pour origine la volonté de Dieu (v o in ta lu i D u m n e z e u ). L’homme n’a pas en soi le pouvoir de dominer les autres hommes, puisqu’ils sont tous égaux et libres. Tous les pouvoirs qui existent sont installés par Dieu. Donc celui qui s’oppose à l’autorité, souffrira la sanction de Dieu qui a institué l’autorité de l’Etat et des instances exécutives de celle-ci. L’Etat doit donc punir ceux qui lui veulent du mal, récompenser ceux qui lui veulent du bien, accordant une protection contre les premiers. Cela signifie que ceux qui exercent les prérogatives du pouvoir de l’Etat sont des collaborateurs (c o la b o ra to rii) de Dieu, en combattant le mal et promouvant le bien^^O. L. Stan fait également référence au principe énoncé dans Romains Xin (1-7) montrant que l’autorité ou l’Etat sont voulus par Dieu. Mais il convient ici de souligner les nuances qu’il apporte contrairement à la majorité des auteurs. En effet, d’après lui, l’Etat ne serait pas créé ou fondé par Dieu (în te m e ia t) , mais concédé, consenti (c i e u în g d d u in ta ) par Dieu après la chute de Thomme dans le pêché originel, en tant que forme d’imperfection qui a suivit la chute. Ainsi, il n’y a pas de relation de cause à effet avec le péché originel, mais l’Etat est un « dérivé » du péché ou une forme de péché. Cet aspect est intéressant dans la mesure où ultérieurement le terme în te m e ia t, « concédé », sera remplacé par « la volonté » (voia) de Dieu, c’est à dire non pas « în te m e ia t e u în g â d u in ta », mais est « v o in ta » ou « v o ia lu i D u m n e z e u », la volonté de Dieu ou voulu par Dieu. De manière générale, pour bien distinguer la différence entre l’Eglise et l’Etat, les auteurs reprennent la citation de saint Jean (Jn., XVIII, 36) ; « Mon royaume n’est pas de ce monde » pour montrer que l’Eglise en tant que société ne peut remplacer l’Etat sur terre, mais que son but appartient au royaume des cieux. Donc, l’Eglise ne peut s’opposer à l’Etat ni le concurrencer. Ainsi, l’Eglise orthodoxe n’a pas cherché à se superposer à l’Etat ou à remplacer l’Etat, comme l’a fait l’Eglise catholique occidentale qui est devenue « un Etat supranational 330 Grigorie M a r C U , « Hristos si Cezarul... », op. cit., pp. 493. 175 universel à prétention de souveraineté mondiale ». En effet, l’Eglise catholique par l’existence même du Vatican en tant qu’Etat pontifical s’oppose en réalité à cette conception, à la conception chrétienne véritable. Donc, les chrétiens sont obligés de respecter l’Etat et ses lois, de ne pas s’opposer à lui, ni de soumettre l’Etat à l’Eglise. La seule chose que l’Eglise demande à l’Etat, c’est la liberté de croyance et liberté religieuse, ce que garantit la Constitution communiste. Ce point est systématiquement repris dans la littérature pour bien montrer qu’il n’y a pas de contradiction entre la « symphonie » et l’Etat communiste puisque celui-ci garantit la liberté de conscience. Selon G. Marcu, Saint Paul a une conception supérieure de l’autorité, considérant que l’Etat a une fonction religieuse. Ainsi le chrétien doit se soumettre pai' conviction « intérieure » (là u n tric à )^ ^ ^ , et non par peur332 Cette soumission doit se faire par une obéissance active {a u s c u lta re a c tiv a ). On citera encore parmi les préceptes utilisés par les auteurs ; « Rappelle à tous qu’ils doivent être soumis aux magistrats, aux autorités, qu’ils doivent obéir, être prêts à toute oeuvre bonne... » (A d u -le a in in te s a se s u p u n a s ta p în ito rilo r sJ d re g a to rilo r, s a a s c u lte , s a fie g a ta la o ric e lu c ru b u n ) (Tt. III, 1). « Soyez soumis à toute institution humaine, à cause du Seigneur : soit à l’empereur, en sa qualité de souverain, soit aux gouverneurs, délégués par lui pour punir les malfaiteurs et louer les gens de bien. Car c’est la volonté de Dieu qu’en faisant le bien vous réduisiez au silence l’ignorance des insensés » (S u p u n e tJ -v â , p e n tru D o m n u l, o ric a re i o rîn d u iri o m e n e s ti, fie îm p a ra tu lu i, c a în a lt s ta p în ito r. F ie d re g a to rilo r, c a u n o ra ce s în t trim is i d e e l, s p re p e d e p s ire a fd c d to rilo r d e re le sJ s p re la u d a fd c d to rilo r d e b in e ; C a d a s a e ste v o ia lu i D u m n e z e u , c a v o i, p rin fa p te le v o a s tre c e le b u n e , s a în c h id e ti g u ra o a m e n ilo r fa rd m im e s jfd rd c u n o s tin td ) (1 P. II, 13-15). En fait. Dieu est le fondateur de la société humaine et celui qui institue l’autorité {in s titu ito ru l a u to ritd tii). 331 On vena en conclusion l’utihsation fréquente de la notion id u n tric 332 Grigorie MARCU, « Hristos si Cezarul... », o p . c it., p. 494. 176 On citera encore cette allusion à saint Augustin333 citée par Marcu : « Celui qui a donné l’autorité au chrétien Constantin, le même l’a donné à Julien l’apostat » {Q u i d é d it im p e riu m C o n s ta n tin o c h ris tia n o , ip s e e tia m a p o s ta ta e J u lia n o )^^ ^ . Cette citation est intéressante. Cela pourrait être interprété comme une allusion assez subtile au régime communiste, comme mise en exergue de la contradiction du discours orthodoxe avec la réalité du régime communiste. Cela signifie aussi qu’en dépit de la politique du pouvoir communiste, l’Eglise doit de toute manière se soumettre à l’Etat, ce qui d’une certaine manière rend caduque la précaution oratoire utilisée par les auteurs orthodoxes qui, de manière générale, contournent la difficulté en citant les articles de la Constitution montrant ses bienfaits pour la prospérité du pays, pour la liberté de conscience et « l’élaboration du bien commun » {fa u rire a b in e lu i o b s te s c ). On verra aussi les préceptes suivants qui montrent que non seulement il faut se soumettre, mais également prier pour l’Etat Conformément à sa tradition (p o triv it tra d itie i s a le ), l’Eglise prie pour l’autorité de l’Etat (în a lta la a lta r ru g d c iu n i p e n tru a u to rita te a d e S ta t)^ ^ ^, ce qui se faisait effectivement sous le régime communiste dans les Eglises en Roumanie : « Je recommande donc, avant tout, que l’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce, pour tous les hommes, pour les empereurs et tous ceux qui détiennent l’autorité, afin que nous menions une vie calme et paisible en toute piété et dignité » (V a în d e m n d e c i, în a in te d e to a te , s a fa c e ti c e re ri, ru g a c iu n i, m ijlo c iri, m u ltu m iri, p e n tru to ti o a m e n ii, p e n tru îm p d ra ti sJ p e n tru to ti c a re s în t în în a lte d re g a to rii, c a sa p e tre c e m v ia td p a s n ic a s i lin is tita în tru to a ta c u v io s ia sJ b u n a -c u v iin ta ) ( I Tm II, 1-2). Cette conception du pouvoir s’inscrit donc dans la continuité de l’idéologie d’avantguerre^^^, et est restée identique pendant tout le régime communiste et également depuis 1989. ^33 Pour l’influence d’Augustin dans la théologie orthodoxe roumaine : Flaviu POPAN, « Le caractère occidental de la théologie roumaine d’aujourd’hui », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , 8, 1959, 3-4, pp.169-183. 334 Grigorie 335 jvi Ch M a RCU, ia l d a , « Hristos si Cezarul... », o p . c it., p. 497. « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 63. 336 Romulus CANDEA, « Biserica ortodoxa si traditia nationala », dans P ro b lè m e a c tu a le în B is e ric a sJ S ta t, Ed. « Cartilor Bisericesti », 1935, pp. 59-78. 177 On remarque que dans le second volume du D re p t c a n o n ic o rto d o x , le g is la tie sJ a d m in is tra tie b is e ric e a s c d paru en 1990, de I. N. Floca, cette conception reste prépondérante pour ce qui concerne les rapports de l’Eglise avec l’Etat337 n y a donc de ce point de vue une continuité dans l’argumentation de l’Eglise, qui inscrit toujours actuellement sa conception de ses rapports avec l’Etat dans la tradition byzantine orthodoxe. Et si l’Eglise s’inspire des sources chrétiennes communes avec le catholicisme, elle tient à montrer l’originalité de son interprétation par rapport aux catholiques. Ce qui différencie l’Eglise orthodoxe et l’Eglise catholique, c’est non seulement la notion de l’internationalisme et du cosmopolitisme, mais aussi l’interprétation de ces préceptes évangéliques. En effet, « dans l’Eglise orthodoxe en général et dans notre Eglise “ des ancêtres ” (s tra m o s e a sc a ) n’a jamais existé de tendance de la part de l’Eglise à se superposer à l’Etat voire de soumettre l’Etat comme dans l’Eglise catholique »^38 « Aucun patriarche ou métropolite n’a jamais eu les deux couronnes comme le pape qui comme les pontifes romains ont en main le pouvoir politique et religieux »339 « C’est la fausse et périlleuse théorie des deux glaives que les romano-catholiques utilisent, comme étant fondée par les Saintes Ecritures, mais qui n’est au fond qu’une sophistication (s ic ) ayant pour but de soutenir le césaropapisme romano-catholique »340 u est intéressant de constater que l’Eglise orthodoxe considère que l’alliance du trône et de l’autel est le fait de l’Occident catholique^^^. D’autre part sur le plan du patriotisme, le Vatican, par sa volonté de domination politique des Etats, se retrouve aux 337 loan N. FLOCA, D re p t c a n o n ic o rto d o x . L e g is la tie sJ a d m in is tra tie b is e ric e a s c â , vol 2, Ed. I. B.M.B.O.R., Bucuresti, 1990, pp. 279-286. Cfr. aussi : în d ru m a ri m is io n a re , coord D. R a d u , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1986, chap. B is e ric a s i lu m e a , 2, B is e ric â sJ S ta t, pp. 436-450 et 3, P a trio tis m u l, pp. 451459 ; Ion BRI A, C re d in ta p e c a re o in a rtu ris m , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1987, 3 , A u to rita te a p u b lic â c iv ilâ , pp. 297-301. 338 Sofron VLAD, « Atitudinea bisericii ortodoxe fata de problemele sociale... », op. cit., p. 172. 339 p. 172. 340 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p. 387. 341 On verra aussi : Teodor M. POPESCU, « Cezaropapismul romano-catolic... », o p . c it., pp.495-538. 178 antipodes d’une conception patriotique. « Le pape se considérant, par usurpation, comme le vicaire du Christ sur ten-e et ayant son siège dans la cité des Césars romains, s’est arrogé sans aucune crainte le droit de s’immiscer dans la vie interne de tous les Etats Ainsi la papauté s’est organisée en Etat avec une aristocratie, la curie, et a organisé des guerres, opposant les peuples contre les autres, semant la discorde entre les peuples, dans la lignée du chauvinisme bourgeois. Le Vatican s’est opposé à l’union des peuples et à la création des Etats unitaires comme l’Italie et a par son prosélytisme voulu asservir les peuples en usant de théories réactionnaires impérialistes et cosm opolites^'^^ On constate donc qu’au-delà de ce que l’on appellerait le « verbiage » communiste anti-capitaliste se trouve un « b a c k g ro u n d » argumenté correspondant à la vision orthodoxe de l’Occident D n’est dès lors pas étonnant que ce discours ait perduré depuis les événements de 1989. Comme cela apparaîtra de manière encore plus claire dans la troisième partie, on constate que si l’on fait abstraction du discours communiste et des aspects inhérents à la guerre froide, l’orthodoxie tient à montrer constamment ses différences doctrinales avec l’Occident Ceci montre aussi qu’il est peu aisé de distinguer ce qui relève de la pensée orthodoxe sous le communisme, et ce qui relève du communisme dans les pays orthodoxes. 342 M CHIALDA, « Crestinism si patriotism », dans S tu d ii T e o lo g ic e , a. 5, 1953, f. 1-2, p. 69. 343 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., pp. 110-111. 179 Chapitre III. LEGITIMATION PATRISTIQUE DU PATRIOTISME : V E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e dans la tra d itio n o rie n ta le d e s P è re s d e P E g lis e En plus de l’argumentation évangélique du patriotisme légitimant le respect et la soumission à l’Etat, les auteurs utilisent les sources patristiques pour montrer le caractère oriental de la tradition canonique orthodoxe relative au patriotisme344 E. Vasilescu, en particulier, montre quelles sont les sources patristiques qui établissent les liens entre orthodoxie et patriotisme, citant essentiellement Augustin, Jean Chrysostome, Grégoire de Naziance, Maxime le Confesseur, Origène et TertuUien^^S Les auteurs citent les Pères de l’Eglise pour légitimer l’existence de la « patrie » depuis les origines, et la nécessité de l’amour de la patrie, corroborant ainsi les thèses énoncées dans le 344 On verra surtout : Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., pp. 382-399 ; Costica A. POPA, « Principiul loialitatii fata de stat la apologetii crestini », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, 1975,1-2, pp. 52-63 ; Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste si respecta legile tarii », o p . c it., pp. 5-14. 345 On verra surtout D iz io n a rio p a tris tic o e d i a n tic h ità c ris tia n e , dir. Angelo Di BERARDINO (Institutum patristicum augustininum Roma), 2 vol., Ed., Marietti, Casale Monferrato, 19831984 ; Otto M a z a l , H a n d b u c h d e r B y z a n tin is tik , 180 Ed. Akademische Druck-u., Graz, 1989. chapitre précédent. « La cité à laquelle nous appartenons est notre patrie, et elle est comme notre mère » (C e ta te a c a rd a U a p a rtin e m este p a tria n o a s tra , e a e ste c a s i m a rn a n o a s tra ) (Augustin, D e lib é ra a rb itrio , lib. I, c. XV, n. 32, Migne, P. L., XXXII, col. 238). Saint Jean Chrysostome commentant Matthieu (XIII, 57) : « un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans sa maison » {n u e s te p ro o ro c d is p re tu it d e c ît în p a tria s a s i în c a s a s a ), considère Caphamaiim comme la patrie du Sauveur, parce qu’il y a séjourné longtemps (Jean Chiysostome, H o m é lie s s u r s a in t J e a n l ’é v a n g é lis te , XXXV, 2, Migne, P. G., LIX, col. 200)^^^. Saint Basile le Grand montre le lien entre l’amour de la patrie et des parents : « Il honore sa patrie de la même manière qu’il aime ses parents » {c in s te a p a tria la fe l c u m ts i c in s te s te p e p d rin tti s d i) (Migne, P. G., XXXII, col. 492). Selon saint Grégoire de Nazianze, « Chaque mère est différente, mais la mère commune est la patrie » {M a rn a fie c a ru ia e ste d e o s e b itâ , d a r m a rn a c o m u n à e s te p a tria ) (Migne, P.G., XXXVII, col. 77), et les auteurs citent saint Jean Chrysostome : « il n’y a rien de plus plaisant que la patrie » {N im ic n u e ste m a i p la c u t d e c ît p a tria ) (Jean Chrysostome, E x p lic a tio n d e s p s a u m e s , Migne, P. G., XLIX, col. 35) et saint Basile le Grand, « ...il le reçoit donc comme un patriote » {...p rim e s te -l d e c i c a p e u n p a trio t) (Basile le Grand, E p is to la , CXIII, Migne, P.G., XXXII, col. 1065). La patrie est donc une réalité reconnue depuis l’époque patristique. L’enseignement des Pères de l’Eglise doit donc montrer que le respect de la patrie roumaine est un commandement chrétien orthodoxe {o p o ru n c a c re s tiim ). D’après des auteurs, comme E. Vasilescu, Isidore de Péluse considère la mort pour la patrie comme une mort « pour les droits de la nature » {p e n tru d re p tu rile firiï) et la guerre pour la défense de la patrie comme un droit nécessaire et légitime (Isidore de Péluse, L iv re III, E p is to la exVI, Migne, P. G., LXXVIII, col. 320, 321; L iv re V , E p is to la CCCLXXXVI, Migne, P. G., LXXVIII, col. 1557). Saint Augustin approuve la guerre pour la défense de la patrie et de la justice, affirmant que Dieu aide celui qui lutte pour la patrie : « mais il y a une plus grande gloire à “ tuer la guerre par la parole ”, que d’assassiner des hommes par le sabre, et de 346 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p. 384. 181 gagner la paix par la paix, et non par la guerre » {e s te m a i m a re g lo rie s a u c iz i ra z b o iu l e u c u v în tu l, d e c ît s a o m o ri o a m e n i e u s a b ia , s i s a e îs tig i p a e e a p rin p a e e , n u p rin rd z b o i) (Augustin, E p is to la , CCXXIX, Migne, P. L„ XXXIII, col. 1019). Les auteurs chrétiens des origines auraient été de « bons patriotes » envers leurs pays, comme par' exemple Prudence ou saint Ambroise et saint Augustin envers l’empire romain menacé par les Goths et les envahisseurs du Ve siècle347 Les Pères de l’Eglise étaient des patriotes, non seulement par conviction de citoyen de l’empire, mais par leur croyance chrétienne^^^. Les auteurs patristiques faisaient la différence entre leurs devoirs « purement » religieux et patriotiques, différence qui ne se faisait pas chez les païens, où l’empereur, représentant du pouvoir politique était « en même temps “ dieu ” gj les chrétiens ne faisaient pas les sacrifices aux dieux païens, ce n’était pas par anti-patriotisme, mais parce qu’il s’agissait de pratiques contraires à l’enseignement de leur Dieu. Ainsi de la même manière que les chrétiens étaient de bons patriotes envers l’empire romain païen, il en découle que le bon chrétien orthodoxe roumain doit être patriote pour l’Etat communiste athée, même si certaines de ses pratiques étaient contraires à celles de l’Etat. Pour les Pères de l’Eglise, par le « rendez à César, e te . » , les droits de Dieu sont sépai'és de ceux de César. Cependant l’autorité de l’Etat est voulue et établie {v o ità s j s ta b ilita d e D u m n e z e u ), par Dieu pour le bien des hommes. Donc, suivant l’exemple du Christ qui s’est soumis à l’autorité de l’Etat, les Pères de l’Eglise ont prêché la soumission à l’Etat, l’obéissance et les devoirs patriotiques de citoyens. « La littérature patristique est pleine d’autres conseils de soumission face à l’autorité de l’Etat et aux devoirs patriotiques »350 Comme le disent les C o n s titu tio n s a p o s to liq u e s : « honore le chef de l’Etat et ses gouverneurs comme des serviteurs de Dieu, parce qu’ils “ dédommagent ” 347 jiy id ., 348 p. 385. p. 387. p. 388. 349 jb id .. 350 Ib id ,, 182 de toute injustice, et ainsi paye l’impôt et toute contribution avec reconnaissance » (S a c in s te s ti p e c o n d u c a to ru l s ta tu lu i s i p e d re g a to rii lu i c a p e n is te s lu jito ri a i lu i D u m n e z e u , c d c i e i s în t rd s p ld tito rii o ric d re i n e d re p ta ti, c d ro ra s a p lâ te s ti d a jd ie s i o ric e c o n trib u tie e u re c u n o s tin td ) (C o n s titu tio n s a p o s to liq u e s , Migne, P. G., I., col. 1010). Saint Justin le Martyr qui faisait la même distinction entre les droits de Dieu et de l’Etat témoigne également de la soumission face à l’Etat à propos du « rendez à César... » ; « Nous n’adorons qu’un seul Dieu, mais pour le reste nous nous soumettons à vous, vous reconnaissant comme maîtres et chefs des peuples... » (N o i n u a d o ra m d e c ît p e D u m n e z e u s in g u r, d a r p e n tru re s t n o i n e s u p u n e m v o u a , re c u n o s c în d u -v a c a s td p în i s i c o n d u c a to ri a i p o p o a re lo r...) (Justin, A p o lo g ie s , I., XVII, Migne, P. G., VI, col. 353). Origène défend également les chrétiens contre les attaques des païens qui les accusent de manque de patriotisme. « Nous, nous luttons pour ceux qui mènent la guerre juste et pour ceux qui gouvernent avec justice » (N o i, n e lu p td m p e n tru c e i ce d u c rd z b o a ie d re p te sJ p e n tru c e i ce s td p â n e s c e u d re p ta te ) (Origène, C o n tre C e ls e , VIII, 73, Migne, P.G., XI, col. 1628). De même, Origène montre à Celse, « adversaire du christianisme » comme le dit E. Vasilescu, que, par leurs prières pour le chef de l’Etat et leur attitude correcte, les chrétiens apportent de réels services à l’Etat romain et contribuent ainsi à son développement^^!. Tertullien montre également aux païens que les chrétiens sont les citoyens les plus loyaux de l’empire romain parce que même s’ils n’exécutent pas les sacrifices aux dieux païens ni ne considèrent les empereurs comme des dieux, ils honorent l’administration de l’Etat et se conforment aux devoirs légaux du citoyen (Tertullien, A p o lo g e tic u m , XLII, 9). Saint Grégoire de Naziance dit à propos de l’Etat, souligne E. Vasilescu^^^ : « soumettons-nous à Dieu, les uns les autres, et aussi aux chefs sur terre ; à Dieu parce que tout nous invite à le faire, les uns les autres pour l’amour fraternel, et aux gouvernants pour le bon ordre ... » (S a n e s u p u n e m lu i D u m n e z e u , u n ii a lto ra s i c o n d u c a to rilo r d e p e p a m în t; lu i D u m n e z e u p e n tru c a to tu l n e in v ita la a c e a s ta , u n ii a lto ra p e n tru iu b ire a frd te a s c d , ia r 351 Ib id . 352 p. 389. 183 c o n d u c a to rilo r p e n tru b u n a o rd in e ...) (Grégoire de Naziance, D is c o u rs , XVI, 6, Migne, P. G., XXXV, col. 172). Saint Maxime le Confesseur affirme à propos de l’autorité et du pouvoir : « Donc les règles de vie données par les chefs de l’Etat, considère-les avec une véritable application ; elles ont beaucoup de légalité... » {D e c i re g u lile d e v ia td d a te d e c o n d u c a to rii s ta tu lu i c o n s id e rd -le e u a d e v a ra t v re d n ic e d e a c e a s td n u m ire ; e le a u m u ltd le g a lita te ...) (Maxime le Confesseur, Migne, P.G., XXXV, col. 172). « L’absence d’ordre est caractéristique de l’anarchie, et l’ordre montre qui conduit » {L ip s a d e o rd in e e ste c a ra c te ris tic a a n a rh ie i, ia r o rd in e a a ra ta p e c e l c a re c o n d u c e ) (Ib id ., col. 717). On comprend ainsi les conclusions de N. V. Dura : « nous avons l’ordre divin de combattre l’anarchie civique, la désobéissance à l’Etat ainsi que toute tendance au désordre social »353 « Ainsi d’après les saints Pères, la soumission à l’autorité de l’Etat a aussi une base plus profonde que le simple avantage matériel et spirituel qu’elle procure. Pour eux, l’autorité de l’Etat était conçue pour le bien des hommes et par là, quand les chrétiens se soumettent à cette autorité, ils remplissent la volonté de Dieu » {...e i îm p lin e s c v o ia lu i D u m n e z e u )^ ^^ . Mais Dieu n’a pas conçu un gouvernement précis et n’a pas mis au pouvoir un monarque précis, auquel il faudrait se soumettre à tout prix. Il n’a conçu qu’une autorité et une obéissance à cette autorité (c d D u m n e z e u a rîn d u it s a fie a u to rita te d e s ta t, n u u n a n u m it c o n d u c a to r)^ ^ ^. Les chrétiens qui se soumettent donc au pouvoir communiste remplissent la volonté de Dieu. Ce qui compte ce n’est pas la nature du régime, mais le principe même du respect à l’autorité. Donc, d’après la doctrine orthodoxe de l’Etat, l’Eglise doit se soumettre quelle que soit la nature du régime politique en place. E. Vasilescu reprend à ce propos la citation de saint Jean Chrysostome : « en ce sens, quelqu’un écrivait autrefois : “ La femme a été créée par Dieu pour l’homme ” (Pr. IX, 14). Cela signifie que Dieu est l’auteur du maiiage en général et non des différentes unions qui se contractent ; nous voyons en vérité une multitude d’unions qui ne sont pas légitimes, qui 353 Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste si respecta legile t^ », o p . c it., p. 14. 354 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it, p. 389. 355 jjjîd 184 n’ont rien en commun avec le mariage, et pour lesquelles nous ne pourrions y voir Dieu comme leur auteur » {In a c e la s i se n s, c in e v a d in v e c h im e s c ria : “ F e m e ia a fo s t c re a td d e D u m n e z e u p e n tru b à rb a t” . C e e a c e în s e a m n d c d D u m n e z e u e ste a u to ru l c d s d to rie i în g e n e ra l s j n u a l d ife rite lo r u n irii c a re se c o n tra cte a z d ; n o i v e d e m , în tr-a d e va r, o m u ltim e d e u n iri c a re n u s în t lé g itim é , c a re n u a u n im ic c o m u n e u c d s a to ria , s i p e n tru c a re n o i n e fe rim s a v e d e m în D u m n e z e u a u to ru l lo r) (Jean Chrysostome, H o m é lie s à l’é p ître a u x ro m a in s . H o m é lie , XXIII, I, Migne, P.G., LX, col. 615). « Bien plus — ajoute-t-il —, les Pères ajoutent une raison supplémentaire au patriotisme et aux avantages réels que procure l’ordre de l’Etat car il ne faut pas oublier que Dieu lui même aime {iu b e s te ) l’existence d’un ordre d’Etat {o rd in e a d e S ta t) pour le bien commun (la société socialiste) « Regardez l’ordre que le pouvoir d’Etat nous procure et vous ne voyez la sagesse de Celui qui, depuis le début, a posé les fondements de cet état de choses » {A ru n c a ti o p riv ire a s u p ra o rd in e i p e c a re p u te re a d e s ta t n e -o p ro c u ra sJ n u v e ti p u te a s a n u re c u n o a s te ti în te le p c iu n e a C e lu i c a re , în c d d e la în c e p u t, a p u s te m e liile a c e s te i s td ri d e lu c ru ri) (Jean Chrisostome, H o m é lie à l’é p ître a u x ro m a in s . H o m é lie , XXIII, 1, Migne, P. G., LX, col. 618). Le chrétien doit voir dans l’ordre d’Etat une « oeuvre de la sagesse de Dieu » {o p é ra a în te le p c iu n ii lu i D u m n e z e u ), conçue pour que le monde ne tombe pas dans le désordre (Isidore de Péluse, L e ttre s , II, 216, Migne, P. G., LXXVni, col. 657.). Cet auteur affirme qu’« autant la direction de l’Eglise que celle de l’Etat concernent un seul but, le salut de ceux qui se soumettent » {c a re s o c o te a c d a tît c o n d u c e re a B is e ric ii c ît sJ a c e e a a s ta tu lu i c d tre u n s in g u r s c o p p riv e s c , c d tre m în tu ire a s u p u s ü o r) (ID., L e ttre s , III, 1249, Migne, P. G., LXXVII, col. 928). Selon saint Ephrem le Syrien ; « de l’autorité de l’Etat émanent les lois, de l’Eglise le rachat des pêchés (...). L’une dirige avec énérgie, l’autre avec douceur, dans la compréhension et la sagesse s’unissent la crainte et la douceur » {D e la a u to rita te a d e s ta t e m a n d le g ile , d e la B is e rie d îm p d e a re a ... U n a c o n d u c e e u e n e rg ie , a lta e u b lîn d e te , în în te le g e re s i în te le p c iu n e se u n e s je te a m a e u b lîn d e te a ) 356 ^ p. (Ephrem le Syrien, C h a n ts d e N is ib e , 21). 390. 185 Les saint Pères et les croyants de l’époque patristique « ont rempli correctement leurs devoirs patriotiques et ont contribué à la croissance de l’Etat romain », et donc « par leur service envers la patrie on servit Dieu »^^^. D’après saint Augustin « le crime contre la patrie contient en lui-même tous les autres » {C rim a îm p o triv a p a trie i c o n tin e în e a s in g u ra p e to u te c e le la lte ) (Augustin, C o n tra A c a d e m ic o s , libr. III, c. XVI, n°36)^^^. Les Pères ont lutté pour tous les aspects du patriotisme : lutte pour la justice, pour le droit au travail, pour la liberté des citoyens et pour la paix. Ils ont recommandé aux chrétiens par leurs écrits d’« honorer » l’autorité et les chefs de l’Etat ainsi que de faire des prières pour eux (s d fa c d ru g d c iu n ip e n tru e i [c o n d u c a to rii s ta tu lu i ] (...), la collaboration loyale avec l’autorité de l’Etat, le paiement de l’impôt, le travail pour le bien commun, la défense de la patrie en cas de danger, même au sacrifice de la vie, dans le cas où les intérêts supérieurs de la défense de la patrie le d e m a n de n t35 9 loyauté envers l’Etat se traduit donc par l’impôt, le travail, le sacrifice et la défense de la patrie. Un article de N. Dura est l’exemple type de l’application de cette argumentation. Il s’agit d’un texte concernant les devoirs du citoyen de respecter la légalité socialiste et les institutions socialistes sur base de ces préceptes ; « Toute personne qui proférerait des insultes au chef de l’Etat, fomenterait une conspiration ou trahirait les intérêts de l’Etat serait puni conformément aux règlements disciplinaires de l’Eglise en conformité avec l’art. 3 concernant la conjuration contre les autorités légales et la trahison des intérêts de la R.S.R. » (Règlement de procédure des instances disciplinaire et de justice de l’Eglise orthodoxe roumaine)^^^. Il est donc clair que les auteurs orthodoxes montrent par cette argumentation évangélique et patristique l’obligation du citoyen de se soumettre à la dictature communiste. Dans le cas contraire, ils encourraient le risque de s’opposer à Dieu et à « l’ordre » qu’U a « voulu ». 357 ji/id . 358 J ]y ic l_ 359 jb id ., p. 391. 360 Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste si respecta legile tarii », op. cit., p. 12. 186 « La discipline de travail dans tous les domaines d’activité et le respect avec sévérité de la légalité sont élévés dans notre Etat au rang d’obligations avec “ un caractère axiomatique ” (...)• Le travail entier de l’Eglise et l’attitude des “ servants ” doit s’encadrer dans l’esprit de la discipline et de la légalité, évitant l’alternative contraire et donnant en permanence l’exemple pour les croyants en ce domaine »361. Le respect des lois, ainsi que leur divulgation parmi les citoyens, a donc un caractère patriotique et civique. L’opposition et l’insoumission à l’autorité légale, aux lois édictées par elle, sont donc contraires à la volonté de Dieu, et punissables par la loi divine. « En conséquence, la conscience de la responsabilité civique du chrétien a aussi une motivation religieuse »362 « D’après l’enseignement de notre Eglise, l’Etat et l’autorité de l’Etat sont voulus par Dieu, et le chrétien a le devoir sacré de se soumettre, parce que l’Etat représente le principe de l’ordre du monde (o rd in ii în lu m e ) »363_ « Nous avons un commandement divin particulier, d’après le Christ, de combattre l’anarchie civique, la désobéissance à l’Etat ainsi que toute tendance au désordre social. Le Sauveur lui-même a payé l’impôt pour lui et pour son disciple Pierre »364 (Mt. XVII, 27). De même, comme le déclare Ceausescu, personne n’a le droit de se soustraire aux lois du pays^^^. En réalité, il y a fusion entre les lois civiles et religieuses. Les devoirs religieux ne sont pas en contradiction avec les devoirs civils du chrétien. « Le respect de ces lois a un caractère moral en plus du caractère civique puisqu’il s’agit d’une loi divine »366 Les sources chrétiennes sont donc utilisées par les auteurs pour montrer la légitimité chrétienne du respect dû à l’Etat communiste. Cela permet d’inscrire dans la tradition orthodoxe l’Apostolat social qui devient ainsi un commandement divin (o p o ru n c d d u m n e z e ia sc d ). S’opposer aux lois du pays édictées par le pouvoir communiste est donc un acte immoral qui 361 Ib id ., p. 13. 362 Ib id . 363 Ib id . 364 ^ p. 14. 365 Ib id . 366 jb id . 187 s’oppose aux valeurs du christianisme. Non seulement l’autorité politique est la volonté de Dieu, mais les lois édictés par elle revêtent donc un caractère divin. Le respect des lois est donc un devoir du citoyen, mais dans le cas du chrétien, il s’agit d’une motivation religieuse {sJ o m o ttv a tie re lig io a s â ). Autrement dit, le fait d’être chrétien permet de respecter d’autant mieux les lois qu’il s’agit en fait d’inscrire ce civisme dans le cadre des commandements divins. S’opposer à l’anarchie, pour respecter l’« ordre du monde », est inscrit également dans les commandements du Christ. Le véritable patriotisme est donc chrétien, puisqu’il donne une dimension spirituelle à la soumission. Comme le souligne E. Vasilescu, s’inspirant d’Origène, les chrétiens ne sont-ils pas les citoyens les plus loyaux de l’empire romain puisqu’ils honorent l’Etat en tant que citoyens, alors qu’ils ne croient pas aux dieux des païens. En d’autres termes, les chrétiens ne sont-ils pas les plus respectueux de l’Etat puisqu’ils se soumettent aux autorités tout en ne reconnaissant pas l’idéologie du Parti Communiste en matière religieuse, c’est-à-dire l’athéisme. Cette position n’est pas sans paradoxe dans le contexte communiste, mais elle explique la dévotion inconditionnelle de l’Egüse, du moins dans l’idéologie. 188 Chapitre IV : L’ORTHODOXIE ET LE PATRIOTISME « SOCIAL » : la lé g itim ité h is to riq u e , u n e E g lis e « c o m b a tta n te » (o Biserica luptatoare) I. Un « sergianisme » roumain Un des points importants de la légitimation du patriotisme, et donc de la collaboration de l’Eglise avec l’Etat est sans aucun doute le problème de la légitimité historique du patriotisme. Nous avons vu la légitimation marxiste, évangélique et patristique du respect de l’Etat et de la contribution au nouveau régime social. L’Eglise orthodoxe montre également comment dans l’histoire, depuis le XIXe siècle surtout, elle a contribué à l’émancipation sociale de l’Etat. Ce discours se développera particulièrement sous Ceausescu, non plus sur le plan exclusivement « social », mais surtout sur le plan de l’émancipation « nationale », et ce depuis l’antiquité à l’époque dace. 189 Dans un premier temps, il s’agissait, dans le cadre de la nouvelle démocratie populaire, de montrer le rôle social patriotique de l’Eglise dans l’histoire à l’instar du rôle de l’Eglise orthodoxe russe au XXe siècle. Dans un second temps, à partir des années soixante, l’Eglise montrera la corrélation entre l’histoire de l’Eglise orthodoxe et celle du peuple roumain depuis l’ethnogenèse au bas-empire. Cette vision historique sera développée à partir des années soixante-dix, et non sans incidences sur les plans « nationaliste » et de l’« ethnicité » de l’Eglise. En d’autres termes, au début du régime communiste, il s’est agi d’aligner l’Eglise Orthodoxe Roumaine sur le patriotisme de l’Eglise russe « soviétique », s’inspirant de ce que l’on appelle le « sergianisme », depuis la déclaration de 1927 du métropolite Serge, le lo c u m te n e n s du patriarcat de Moscou. L’Eglise orthodoxe de Russie avait contribué à la mobilisation des « masses » contre le fascisme pendant la seconde guerre mondiale et avait montré l’exemple à suivre pour les Eglises orthodoxes des démocraties populaires. Au synode de Moscou en 1948, les autorités des Eglises orthodoxes des démocraties populaires furent réunies sous l’égide du patriarche Alexis I de Moscou. Les Eglises orthodoxes des régimes populaires y reçurent les directives en matière politique et religieuse. Les références au patriotisme de l’Eglise russe disparaîtront progressivement au cours de la « désoviétisation » de la Roumanie pendant les années soixante et laisseront la place sous Ceausescu aux relations « inter-orthodoxes ». Le patriotisme soviétique est le premier aspect sur lequel se fonde l’essentiel de l’Apostolat social dans les premières années du communisme. L’Eglise russe, depuis la déclaration de Serge de 1927, unissant l’Eglise orthodoxe russe au destin de la patrie soviétique, s’est mise au service de l’Etat en prêtant allégeance à l’Etat soviétique. Cette soumission publique et officielle mit fin aux luttes entre le nouvel Etat soviétique et les différents mouvements orthodoxes russes, les uns opposés au régime soviétique, les autres favorables à une alliance^^^. Pendant la guerre contre le fascisme, 367 On verra principalement le livre de Nikita STRUVE, L e s C h ré tie n s e n U R S S , Ed. du Seuil, Paris, 1963, pp. 38-45, et les études réunies par Kathy ROUSSELET, « L’Eglise 190 l’Eglise orthodoxe mobilisa les « forces patriotiques » contre l’envahisseur allemand fasciste et fut récompensée par Staline au cours de la guerre. Le patriarcat fut rétabli et Serge fut élu patriarche en 1943368. En 1948, le patriarcat de Moscou organisa une conférence ecclésiastique à Moscou où fut établi la politique à suivre dans les nouvelles démocraties populaii-es. Ceci explique que dans les premières années du régime communiste la littérature orthodoxe roumaine glorifia l’Eglise « mère ». L’Eglise orthodoxe russe était l’exemple à suivre369 « L’exemple le plus éloquant concernant la collaboration harmonique et fraternelle entre les nations nous vient de l’Eglise orthodoxe de la Russie dont l’attitude lors de la glorieuse guerre de défense de la patrie peut constituer une exemple pour toutes les nations favorables à la paix dans le monde »370 Alors que « l’Eglise orthodoxe avait été soumise à l’Etat et avait perdu sa totale liberté depuis 1721 avec les réformes de Pieixe le Grand, l’Etat soviétique avait rétabli sa liberté par le décret du 23 janvier 1918 garantissant les libertés religieuses et la séparation de l’Eglise et de orthodoxe russe et la politique », dans P ro b lè m e s P o litiq u e s e t S o c ia u x , n°687, 18 sept. 1992 (La documentation française). On verra en outre B. DUPUY, « Appel du Synode épiscopal de Russie aux hiérarques, pasteurs et fidèles de l’Eglise orthodoxe russe concernant la “ Déclaration de loyauté » du métropolite Serge (25-27 octobre 1990) », dans Is tin a , XXXVI, 1991, n° 4, pp. 399-417 et le numéro consacré à ce problème dans Istina, comme ISTINA, « Les risques de “ religion d’Etat ” et les séquelles du “ sergianisme ” dans Is tin a , R u s s ie : l’E g lis e e t l’E ta t, XXXVII, 1992, n° 4, pp. 336-344. Cfr aussi : 9 8 8 -1 9 8 8 : u n m illé n a ire . L a c h ris tia n is a tio n d e la R u s s ie a n c ie n n e , textes révisés par Yves Ha m ANT, UNESCO, pub. par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, Paris, 1989. E. FOUILLOUX, « Les chrétiens d’Orient menacés », dans H is to ire d u c h ris tia n is m e d e s o rig in e s à n o s jo u rs , dir. J.-M. MAYEUR, Ch. PlETRI, A. G u e rre s m o n d ia le s e t to ta lita ris m e (1 9 1 4 -1 9 5 8 ), Va UCHEZ et M. VENARD, t. 12, Desclée / Fayard, Paris, 1990, troisième partie, pp. 745-831. Cfr. aussi : V. KOUROIEDOV, L ’E g lis e e t la re lig io n e n U R S S , Ed. du Progrès, Moscou, 1979. 369 Cfr. notamment ; JUSTINIAN (Moldova Mitropolit), « Aspecte din viata religioasa a URSS-ului », op. cit., pp. 177-191 et le volume O rto d o x ia à l’occasion de la mort de Staline ; REDACTIA, « Roadele adevaratei libertati religioase », dans O rto d o x ia , V, 1953, 1, pp. 5- 26. 370 petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 111. 191 l’Etat »371. C’est donc 1918 qui représente la libération de l’Eglise orthodoxe russe de la domination de l’Etat ! Les auteurs roumain du début des années cinquante citent la déclaration orthodoxe russe d’allégeance à l’U.R.S.S. de 1927 ; « Nous voulons être orthodoxes et en même temps, nous sommes conscients que l’Union Soviétique est notre patrie, e tc . (N o i v re m s a fim o rto d o c s i si to ta d a ta , n o i s u n te m c o n s tie n ti c d U n iu n e a S o v ie tic d e ste p a tria n o a s trd ...)372 « Pendant la guerre, l’Eglise orthodoxe, ayant lutté contre le fascisme, participe aujourd’hui aux mouvements de la paix, sainte lutte pour la défense de la paix, encourage les croyants à soutenir toutes les mesures prises par l’Etat soviétique, dans le but de consolider la paix dans le monde entier (...), la défense de la paix étant pour le chrétien un commandement divin, (lu p ta s fâ n td p e n tru a p d ra re a P a c ii, îs j în d e a m n a c re d in c io s ji s a s p rijin e to a te m d s u rile lu a te d e S ta tu l S o v ie tic , în s c o p u l c o n s o lid d rii p a c ii în lu m e a în tre a g d (...) a p d ra re a P d c ii fiin d p e n tru c re s tin o p o ru n c d d u m n e z e e a s c d )^'^^. Comme le dit le patriarche Justinian en 1948 ; « A l’instar du métropolite Serge, il faut combattre le fascisme païen qui a voulu éradiquer la croix chrétienne, et soutenir le Parti Communiste Roumain qui défendra les intérêts des Eglises »^24 On peut donc affirmer qu’au départ, l’Apostolat social du patriarche Justinian Marina s’est largement inspiré du « modèle » orthodoxe russe. Cela correspond à la période soviétique de la Roumanie. Ce fut également l’époque de la constitution du « front orthodoxe des démocraties populaires » pour lutter contre le « cordon sanitaire » imposé par le Vatican contre le communisme. La question du patriotisme fut donc liée à la défense, non seulement de la patrie contre le cosmopolitisme impérialiste, mais également à la justice sociale et à la paix. Le patriotisme devait s’opposer à toutes les tendances occidentales « fascistes ». L’orthodoxie sous 371 R e d 5- 26. 372 a C T IA , p. « Roadele adevaratei libertati religioase », dans O rto d o x ia , V, 1953, 1, pp. 18. 373 jt)id ., pp. 18-19. 374 Ju s t in ia n , « Aspecte din viata religioasa a URSS-ului », o p . c it., p. 187. 192 le communisme devait ainsi s’intégrer dans le cadre du Front Mondial de la Paix^^S On peut donc qualifier V A p o s to la t s o c ia l, dans les premières années de sa rédaction par Justinian Marina de « sergianisme » roumain, dans le sens de soutien inconditionnel au pouvoir communiste roumain, à l’instai’ de Serge, mais aussi en tant qu’alignement sur les thèses de Moscou et de l’Eglise orthodoxe russe. Ceci montre également combien il importe d’être pmdent quant aux époques considérées, puisqu’il est clair que cette appellation « sergianisme roumain » n’est valable, pour ce qui concerne l’alignement sur les thèses de Moscou, que pour les années cinquantes. Conformément à la politique du pays dans les années soixante, et avec l’isolationnisme de Ceausescu, cette terminologie ne pourra plus être utilisée, en raison de ses connotations russes et de l’abandon, du moins formel, des liens politiques avec l’orthodoxie russe. 375 Cfr. la quatrième partie 193 II. La contribution de l’Eglise orthodoxe à l’émancipation sociale et au progrès : une Eglise « populaire » (o B is e ric a p o p u la ra ) Le caractère populaire de l’Eglise orthodoxe est le point corollaire du précédent, le fondement du sergianisme roumain. Les auteurs soulignent le rôle des prêtres et des moines « pour la lutte du peuple roumain travailleur pour la liberté, pour les droits du citoyen et pour le progrès »376 376 On verra les études consacrées à la morale chrétienne et au travail en commun pour la nouvelle société, corrolaire du patriotisme : Sorin COSMA, « Munca în comun si morala crestinâ », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XV, 1963, 3-4, pp. 171-189 ; Dan MIRON, « Atitudinea fata de bunurile obstesti dupa conceptia morale! crestine », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XXI, 1969, 9-10, pp. 726-734 ; Sofron VLAD, « Atitudinea Bisericii ortodoxe faû de problemele sociale... », o p . c it., pp. 158-173 ; Teodor M.POPESCU, « Biserica în actualitatea socialâ », dans O rto d o x ia , V, 1953, 1, pp. 27-45 ; Constantin C. PAVEL, « Temeiurile si rostul ascultarii în viata morala a crestinului », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. IIlea, XVIII, 1966, 7-8, pp. 387-407 ; N. NiCOLAESCU, « Misiunea sociala a Bisericii, în lumina Sfintei Scripturi », dans O rto d o x ia , ni, 1951, 1-2, pp. 35-53 ; ID., « Indatoriri sociale dupa Noul Testament », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-a, VI, 1954, 7-8, sep-oct, pp. 347356. 194 On citera quelques exemples. Lors de la révolte de Gh. Doja de 1514 en Transylvanie, le pope Laurence a mené la révolte jusque dans lé Maramures. De même, lors des révoltes de Horia, Closca et Crisan de 1784 en Transylvanie, l’Eglise orthodoxe a eu un rôle important. « Des prêtres se sont sacrifiés pour la cause des serfs On citera également les exemples donnés par E. Vasilescu : la lutte du métropolite Veniamin Costache « figure lumineuse » du clergé moldave, contre les courants réactionnaires représenté par Mihail Sturza et le rôle du métropolite Meletie de Moldavie pendant les événements de 1848 ; le métropolite Sofronie Miclescu et son rôle pour l’union des principautés roumaines en 1859^^^. C’est pourquoi les auteurs considèrent que de nombreux prêtres ont été des « prêtres révolutionnaires » (F ig u rile p re o tilo r re v o lu tio n a ri)^ ^^ . « D est donc normal que depuis la libération de la Roumanie du joug fasciste et l’instauration d’un régime de pleine liberté garanti par la constitution de la R.P.R avec l’aide de TU.R.S.S., l’Eglise orthodoxe roumaine et tous les croyants soutiennent le nouveau régime social, économique, culturel et politique »380 L’Eglise orthodoxe a toujours été une Eglise « populaire »381. Elle a lutté lors des révoltes de Horia, celle de Tudor Vladimirescu à Bucarest en 1821, en Moldavie en 1948, en Muntenie et Transylvanie et a participé à la révolte paysanne de 1907 qui fut durement réprimée^^^ Cfr. notamment Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p. 394-395. Ib id . 379 Sofron Vl , ad « Atitudinea bisericii ortodoxe fata de problemele sociale... » o p . c il., p. 171. 380 M. Ch ia l d a , « Crestinism si patriotism », o p . c il., p. 73. 381 Al. I. ClUREA, « Preoti ortodocsi romîni în revolutiile taranesti, eu speciala privire asupra r^coalei din 1907 », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-a, V, 1953, 9-10, pp. 689-692 ; G. N a G H I, « Rascoala din 1907 în revistele teologice », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, XXVII, 1977, pp. 33-41. 382 On verra à ce sujet les livres suivants ; M a re a R a s c o a la a td ra n ilo r d in 1 9 0 7 , Ed. A.R.S.R., Bucuresti, 1967 et T h e G re a t R o m a n ia n P e a s a n t R e v o it o f 1 9 0 7 , (Bibliotheca Historica Romaniae, Studies, 72), édit. Ion ILINCIOIU, Ed. Academiei Române, Bucarest, 1991. 195 L’Eglise a toujours eu un rôle social et patriotique dans le passé et a défendu le sens de la justice dans la société. Presque tout ce qui concerne le code civil, pénal, commercial entrait dans les compétences de l’Eglise orthodoxe roumaine. C’était « une vieille tradition, attestée dans les C o n s titu tio n s a p o s to liq u e s , que les tribunaux ecclésiastiques aient des compétences pour les délits des croyants laïcs, mais aussi dans de nombreuses affaires de nature civile et cela était de loin préféré par les justiciables Cet état des choses existait depuis le FVe siècle et a existé dans l’empire byzantin et après la chute de Constantinople et sous la domination turque cette tradition a perduré jusqu’au XIXe siècle en Roumanie^^'^. « Ainsi le lien étroit entre les fidèles et l’Eglise a impliqué qu’au cours de l’histoire il n’y a jamais eu d’anticléricalisme. Le clergé a toujours souffert avec les paysans. L’Eglise a été par son travail et son sacrifice une « Eglise du peuple »385 Ainsi, non seulement l’Eglise a toujours été proche des revendications sociales du peuple, mais par son rôle dans la société civile, comme la justice, elle est inextricablement liée au peuple et à son destin. Par conséquent, comme le dit E. Vasilescu, il n’y a aucune raison pour que la société roumaine suscite un anticléricalisme, contrairement à l’Eglise catholique, qui, par sa cléricalisation de la société suscite un rejet du clergé. « Nous, serviteurs de l’Eglise, avons été liés de manière indissoluble {le g a ti in d is o lu b il), pour le meilleur et pour le pire, au sort qu’a dû endurer notre peuple »386 L’Eglise orthodoxe se présente toujours comme une Eglise « populaire », « à côté du peuple » {a lâ tu ri d e p o p o r), par analogie à la démocratie populaire. Comme l’affirme le ministre des cultes, Stanciu Stoian ; « dans un Etat avec une démocratie de type nouveau, populaire, une 383 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p. 396. 384 Ibid. 385 Ib id ., pp. 397-398. cfr. aussi Adrian N. POPESCU, « Situatia crestinilor ortodocsi în imperiul otoman în secolul XIX », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, VII, 1955, 7-8, pp. 454468. 386 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p.398. 196 Eglise de type nouveau, une Eglise populaire » (o B is e ric a a p o p o ru lu i)^ ^ ^ . « L’Eglise a toujours été populaire et les persécutions religieuses n’ont jamais été le fait du peuple mais bien celui des exploiteurs »388 On notera l’ambiguïté de la notion de « peuple » ou de celle d’Eglise « populaire ». L’évolution des termes « peuple » et « nation » restreindra, à l’époque Ceausescu, leurs significations à la notion de roumanité, comme c’était le cas entre-deux-guerres. Déjà à l’origine, en 1948, le ministre des cultes lui-même profitait de l’ambiguïté du mot « populaire ». Il affirme que le peuple roumain a toujours été lié à l’Eglise orthodoxe roumaine et à l’Eglise de l’Orient389 L ç « populaire » ou « peuple » peut être compris en tant que référence à la classe sociale, face aux classes dirigeantes selon la classification marxiste, mais aussi en tant que peuple dans son acception historique, voire plus tard ethnique. Depuis 1989, les auteurs ont tendance à éviter dans la littérature le terme « Eglise populaire » pour l’Eglise orthodoxe en raison du poids idéologique qu’il véhicule. On notera également que la citation de Tudor Vladimirescu, chef de file des révolutionnaires de 1821, est récupérée dans le contexte communiste cité par les orthodoxes. La citation suivante, prise dans le contexte de la patrie socialiste par opposition au capitalisme bourgeois, prend un autre sens que celui du XIXe siècle : P a tria se s c h ia m a n o ro d u l, ia r n u ta g n rn je fu ito rilo r , « le peuple s’appelle la patrie, mais pas la clique des pilleurs ». Comme le dit M. Chialda, « Vladimirescu considérait que la bourgeoisie concevait la patrie comme une exploitation par la bourgeoisie »390 Lg peuple, n o ro d u l, « doit pouvoir jouir des biens du pays par un travail fructueux, et non la bourgeoisie qui dans le cadre du nationalisme chauvin s’assure le droit d’exploiter les richesses du pays ainsi que la population »391. En réalité il 387 Stanciu St o IA N , « Atitudinea regimului de démocratie popularâ fatâ de cultele religioase », o p . c it., p. 72. 388 p. 389 390 M 88. p. 92. Ch ia l d a , « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 55 ; cfr. aussi Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 109. 391 Petru REZUS, « Crestinismul si dragostea de patrie », o p . c it., p. 109. 197 s’agissait de la lutte nationaliste, et non d’un principe « socialiste » marxiste. Cette citation avait sa valeur dans le contexte du siècle des nationalismes en tant qu’expression de la volonté d’indépendance des peuples, mais est reprise par les auteurs pour montrer le caractère « populaire » des luttes sociales d’émancipation des classes exploitées auxquelles s’est jointe l’Eglise Orthodoxe Roumaine. Non seulement le chrétien doit se soumettre à l’Etat en fonction des préceptes évangéliques, mais il doit également, en fonction des commandements du Christ, travailler pour le « bien commun ». Le discours orthodoxe se caractérise par une récupération communiste des principes évangéliques pour justifier le rôle du chrétien en tant que participant à l’élaboration de la nouvelle société. « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (C in e n u m u n c e ste s a n u m â n a n c e ) e s te lu c ra to ru l d e p la ta lu i) (II Th., ni, 10)392 « Le travailleur mérite son salaire » (y re d n ic (Le., X, 7; Mt., X, 10)393. L’Eglise doit dans ces conditions devenir une Eglise « combattante » (lu p td to a re ), pour la cause du nouveau régime. Il faut noter que l’expression te o lo g ia lu p td to a re , ou B is e ric a lu p ta to a re , théologie combattante ou Eglise combattante existait déjà avant le régime communiste, mais dans un sens différent, propre au contexte des années trente394. 392 JuSTINIAN, « Atitudinea Bisericii Ortodoxe Române fatâ de regimul democratiei populare », o p . c it., p. 108. 393 « Noua constituée si Biserica ortodoxa româna », dans A p o s to la t S o c ia l, P ild e s i in d e m n u ri p e n tru c le r, I., tip. c^tilor bisericesti, Bucure^i, 1948, pp. 180-181 ; JUSTINIAN, « Atitudinea Bisericii Ortodoxe Române fata de regimul democratiei populare », o p . c it., p. 109. 394 (2fr. par ex. Dumitru STANILOAE, « Biserica luptatoare », dans T e le g ra fu l R o m â n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c , in te m e ia tîn 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g u n a , 34- 35, p. 1. 198 Sibiu, XCI, 1943, CONCLUSION 1. U n e s o u m is s io n d o c trin a le à V E ta t q u e lle q u e s o it s a n a tu re D’après l’enseignement des Evangiles et des Pères de l’Eglise, l’Eglise et le chrétien doivent se soumettre à l’Etat par patriotisme quelle que soit la nature de l’Etat, sauf si celui-ci est hostile à la doctrine chrétienne. Ce dernier terme est une précaution oratoire dans le cas présent puisque la Constitution garantit la liberté de conscience. Les sources utilisées, néo-testamentaires et patristiques, montrent combien l’Eglise se légitime d’après la tradition orthodoxe. Les préceptes relatifs à la soumission aux autorités sont semblables pour la période de l’entre-deux-guerres, la période communiste et la période actuelle. C’est ce que l’Eglise appelle « les fondements canoniques relatifs à ses relations avec l’Etat ». L’Apostolat social constitue la clef de l’interprétation communiste de ces sources. On constate donc que dans un premier temps, l’Eglise orthodoxe utilise une argumentation concernant l’Etat sans faire référence à la nature de cet Etat. Comme le dit 199 A. Plamadeala, l’Eglise n’a pas défini de doctrine pour un Etat déterminé, mais bien pour la notion d’Etat en général^^^. Dans un deuxième temps, c’est la notion d’« Eglise populaire » qui précise les devoirs du croyant, et donc du citoyen. Nous avons là le fondement du véritable patriotisme orthodoxe. D faut remarquer que l’ensemble du discours se caractérise par une complémentarité entre l’indépendance de l’Eglise par rapport à l’Etat d’une part, et le devoir de collaboration et de soumission à cet Etat d’autre part. Nous avons noté dans les conclusions de la première partie que, si l’Etat légifère dans le cadre de la tradition « nomocanonique » en matière religieuse, c’est en raison de la tradition canonique (p ra v ila ) byzantine et roumaine. On peut donc affirmer qu’il y a une volonté de montrer l’indépendance de deux institutions complémentaires, avec la notion de collaboration, conforme à la tradition byzantine. Le pouvoir est considéré, quelle que soit la nature de son régime, comme « voulu » par Dieu, à l’instar de la tradition canonique orthodoxe. Le pouvoir communiste, sur le plan théorique, voire théologique, est donc la volonté de Dieu et réalise l’ordre du monde. Il ne peut y avoir d’« anarchie sociale » et le monde doit rester « stable ». La récurrence de ce mot dans le discours est révélatrice. En outre, l’Eglise tient à se démarquer de la conception catholique des deux glaives, qui, pour les orthodoxes, consiste à faire de l’Eglise catholique un Etat « césaropapiste », « papocésariste » devrait-on dire. Comme le disent les auteurs, il n’y a pas deux pouvoirs nettement séparés, il y a seulement l’obligation pour le citoyen de remplir les devoirs qui reviennent au citoyen et au croyant, et ce « simultanément » ou « symphoniquement ». On peut donc en conclure que, dans la conception orthodoxe sous le régime communiste, la conception byzantine n’est pas une survivance « inconsciente », mais est affirmée, du moins sur le plan théorique, et surtout différenciée de la conception cathohque occidentale. 395 ANTONIE, Métropolite de Transylvanie, « Documentaire : Eglise et Etat en Roumanie », o p . c il., p. 12. 200 2. L e p a trio tis m e c h ré tie n , fo n d e m e n t d e V A p o s to la t s o c ia l : s o u m is s io n ré d ific a tio n au p o u v o ir et c o n trib u tio n à d u s o c ia lis m e L’Eglise orthodoxe a donc adapté son discours en fonction du nouveau régime social de 1948 et comme le dit le théologien orthodoxe S. Vlad, « l’Eglise orthodoxe est souvent accusée d’être sclérosée dans ses dogmes, dans son traditionalisme et son ritualisme, et de ne pas comprendre les problèmes sociaux « Le Clergé de notre Eglise doit ainsi faire preuve de patriotisme par sa loyauté, son soutien et sa collaboration avec notre régime démocrate populaire Par sa loyauté, c’est-à- dire son acceptation de toutes les décisions de la direction de l’Etat, le prêtre est appelé en pratique à appliquer dans la vie publique sociale toutes les mesures prises par l’Etat et à les faire appliquer par les croyants. Il doit être un exemple pour les fidèles. Actif dans les Comités de lutte pour la paix, il doit être un exemple de patriotisme, selon l’exemple du patriarche Justinian Marina, guide de l’Apostolat social, « sur le chemin de la tradition chrétienne >>^98 Le patriarche Justinian s’adressait en 1952 à G. Gheorghiu-Dej, président du Conseil des ministres : « Le Saint Synode de l’Eglise orthodoxe roumaine vous assure, votre Excellence, le 396 Sofron Vl , ad « Atitudinea bisericii ortodoxe fatà de problemele sociale », o p . c it., p. 158. 397 jy4. 398 Ch ia l d a p. , « Crestinism si patriotism », o p . c it., p. 73. 74. 201 bien-aimé “ c o n d u c a to r ” de notre peuple, que pour l’avenir une activité de plus en plus effective sera déployée pour que chaque croyant et ministre du culte de l’Eglise Orthodoxe Roumaine devienne un fils dévoué à la Patrie, un citoyen loyal de l’Etat et un fervent combattant pour la défense de la paix, qui est maintenant menacée par les ennemis de la liberté des peuples, les impérialistes américano-anglais Après avoir passé en revue l’histoire des rapports entre l’Eglise et l’Etat pour chaque période — esclavagiste, féodale et capitaliste —, L. Stan, achève sa démonstration par l’accomplissement de l’histoire dans l’époque socialiste, caractérisée par une « noningérence » de l’Etat dans les affaires de l’Eglise, et de l’Eglise dans celle de l’Etat. L’Eglise revenue à son but premier, le religieux, adopte une attitude traditionnelle et dogmatique de loyauté vis-à-vis de l’Etat, et accepte le contrôle de l’Etat en ce qui concerne les affaires « non religieuses » de l’Eglise. L’Etat socialiste étant nettement supérieur sur les plans de l’éthique et du régime social, l’Eglise se doit, sur le plan chrétien, de soutenir cet Etat afin de lutter contre les tares héritées de l’époque bourgeoise : l’exploitation, le racisme, le chauvinisme et toutes les caractéristiques de la société bourgeoise capitaliste, et réaliser le progrès social. « Par sa loyauté à l’Etat, l’Eglise doit lutter pour la défense de la patrie contre les ennemis cherchant la guerre »490 On constate que si l’Eglise reste ancrée dans la tradition orthodoxe, la « fidélité », elle doit s’adapter aux circonstances historiques, le « renouveau », en se maintenant dans l’actualité. En réalité, deux qualités fondamentales sont nécessaires pour le vrai chrétien : être convaincu de sa foi chrétienne, et faire acte de patriotisme, donc de soutien à l’Etat. On ne peut donc être un vrai chrétien sans soutenir l’Etat communiste roumain. Le patriotisme et les devoirs du citoyen doivent se traduire, selon « l’enseignement de la croyance chrétienne 399 Marina JUSTINIAN, A p o s to la t s o c ia l. P ild e sJ în d e m n u ri în lu p ta p e n tru p a c e , Bucuresti, 1952, p. 504. 400 Liviu St an , « Relatiile dintre Biserica si Stat. Studiu istorico-juridic », o p . c it., pp. 358- 461. 202 orthodoxe » par l’amour de la patrie et du peuple, dont le chrétien fait partie, par la soumission et l’obéissance à l’administration et aux lois de l’Etat {s u p u n e re a sJ a s c u lta re a d e o c îrm u ito rii S ta tu lu i s i d e le g ile lu i). L’Eglise doit contribuer au progrès social par une activité intense et consciencieuse de travail productif pour le bien commun, par l’accomplissement de la prière pour la santé et l’édification des autorités du pays (S d v îrs jre a d e ru g d c iu n i p e n tru s d n d ta te a s i lu m in a re a o c îrm u ito rilo r td rii), pour le développement et la défense du pays, au péril de sa vie. Tout enseignement de l’Eglise exprime la volonté et le commandement de Dieu {p o ru n c a d u m n e z e e a s c a )^ ^ ^ .E n conséquence, Dieu a voulu que l’Eglise collabore avec le régime communiste. Comme l’affirme Nicolae V. Dura, « nous avons l’ordre divin de combattre l’anarchie civique, la désobéissance à l’Etat ainsi que toute tendance au désordre social >>^02 jj faut donc que les chrétiens combattent les ennemis du communisme, que ce soit à l’extérieur, mais aussi dans le pays. Dans le contexte roumain entre 1948 et 1989, on comprend toutes les implications d’une telle affirmation. On comprend également comment, depuis la chute du communisme, aucun bouleversement, considéré comme une manifestation d’hostilité à la transition et au pouvoir et comme une « anarchie sociale » ne peut être soutenu par l’Eglise, puisque la soumission est un commandement divin. En d’autres termes, il est évident que si l’Eglise n’a pas défini de doctrine vis-à-vis d’un Etat en particulier, en fonction de son « régime social », elle montre par son discours combien l’Etat nouveau est le meilleur type d’Etat dans le monde contemporain. En cela, on peut affirmer que non seulement cette littérature justifie une soumission à l’Etat, mais qu’elle manifeste aussi une nécessité de collaboration et de relais idéologique de la propagande de l’Etat. En définitive, il apparaît qu’il est peu aisé de faire la distinction entre ce qui appartient à l’Eglise et ce qui appartient à l’Etat dans l’ensemble du discours. Cette difficulté est révélatrice de la complémentarité récurrente entre l’Eglise et l’Etat 401 Grigorie MARCU, « Hristos si Cezarul sau Statul... », o p . c it., p. 485. 402 Nicolae V. DURA, « Datoria de a cunoaste si respecta legile tarii », o p . c it., p. 14. 203 Ce thème de la patrie sera utilisé jusqu’aux dernières années du régime, et se confondra alors avec la question nationale de l’Eglise. La patrie devint alors la « Patrie, la République Socialiste de Roumanie 403 Stefan BUCHIU, « La Métropolie de Banat », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XIXe an., 1989, 3, pp. 54-56. 204 3. P re m ie r a rg u m e n t « s y llo g is tiq u e » : u n e E g lis e « p o p u la ire » e t u n e d é m o c ra tie « p o p u la ire » fo Biserica populara) La littérature orthodoxe évite systématiquement d’utiliser l’expression de collaboration ou de soumission à l’Etat « communiste », et ce sera vrai pendant tout le régime communiste jusqu’en 1989. L’Eglise utilise des notions telles que l’«Etat», la «patrie», les « autorités », les « gouvernants », les « dirigeants », ou le « nouveau régime social », les « nouvelles conditions nées du 23 août 1944 », e tc. Cependant il est clair que le discours est constamment basé sur des ambiguïtés, des analogies et des syllogismes. L’utüisation du terme « populaire » en est l’exemple le plus marquant. Comme la nouvelle démocratie populaire, l’Eglise se doit d’être populaire, et il n’y a pas d’équivoque sur le sens du terme populaire dans ce contexte. L’Eglise orthodoxe est l’Eglise du peuple comme l’a montré son histoire {o B is e ric a a la tu ri d e p o p o r). Or le peuple est l’Etat. L’Etat est l’émanation du peuple ; comme le dit le ministre des cultes, Stanciu Stoian, « le gouvernement et le peuple sont aujourd’hui “ un ” » {G u v e rn sJ p o p o r s u n t a s td z i u n a )^ ^ ^. Donc, l’Eglise et l’Etat sont intimement liés puisqu’il s’agit d’un syllogisme dont le moyen terme est le « peuple ». Le caractère populaire de l’Eglise orthodoxe détermine donc de manière péremptoire la collaboration de l’Eglise avec l’Etat. On pourrait même affirmer que, dans ces conditions, l’Eglise doit collaborer exclusivement avec un Etat populaire, c’est-à-dii’e avec un régime social 404 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie populara fatâ de cultele religioase », o p . c it. p. 77. 205 déterminé, le régime communiste. Donc l’Eglise orthodoxe doit s’opposer, par sa nature populaire, aux régimes capitalistes. Lorsque le mot p o p o r se restreindra sous Ceausescu à la notion de « nation » en tant que nationalité ethnique, le sens du lien avec l’Etat se précisera également : il s’agira d’un lien ethnique. L’Eglise « roumaine » devra collaborer avec l’Etat « roumain », les deux institutions s’enracinant dans l’identité ethnique roumaine. Nous l’avons souligné, l’ambiguïté du terme « populaire » est à la base de l’argumentation. Selon E. Vasilescu, « comme l’affirme un protestant, qui n’est pas soumis aux préjugés impérialistes du romano-catholicisme, dans l’Eglise orthodoxe, les liens étroits entre Eglise et nation ne sont pas seulement une question politique ou d’idéologie politique. Ils sont en même temps le résultat naturel de la conception orthodoxe du monde. L’Eglise orthodoxe est une Eglise populaire, dans le sens qu’elle reste proche de la vie des homme du bas {d e jo s ) »'^05 On notera aussi les remarques à ce sujet de I. Bria : « l’Apostolat social de l’Eglise a été fondé sur ce que N. lorga a nommé le caractère populaire de l’Orthodoxie roumaine. Le clergé orthodoxe, animé par cette idée du grand érudit roumain, a voulu refaire l’image d’une vraie Eglise du peuple qui reste au service de son peuple. C’est précisément ce caractère populaire qui lui a donné un éthos profond, humain et communautaire, et qui l’a écartée de l’esprit de la théocratie »^®^. I. Bria attribue donc une légitimité populaire de l’Eglise en citant N. lorga, l’historien le plus célèbre de la Roumanie entre-deux-guerres. On constate une fois de plus la volonté des auteurs orthodoxes d’inscrire l’idéologie sous le communisme dans la tradition orthodoxe. On comprend aussi pourquoi l’utilisation du terme « Eglise populaire » par les orthodoxes depuis 1989 est de manière générale évitée, en raison des connotations communistes'^*^^. 405 Emilian VASILESCU, « Biserica ortodoxa si patriotismul », o p . c it., p. 393. 406 Ion BRIA, A u tre v is a g e d e R o u m a n ie ..., o p . c it., p. 27. 407 Comme le dit le métropolite Nicolae du Banat ; « puisque vous parlez de l’Eglise Orthodoxe Roumaine comme d’une Eglise “ du peuple ”, je dois commencer par vous dire que l’expression a été trop souvent utilisée par le passé et que je préfère ne plus l’utiliser». 206 A partir des années soixante-dix, on verra apparaître un second syllogisme entre l’Eglise orthodoxe et l’Etat communiste, dont le moyen terme sera cette fois la « nation ». « Interview : Le rôle de l’Eglise aujourd’hui, interview accordée par le Métropolite Nicolae de Banat », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXIe an., 1991, 1, p. 7. 207 TROISIEME PARTIE EGLISE ORTHODOXE ET « NATION » ROUMAINE FUSION ENTRE ORTHODOXIE ET ROUMANITE L E G IT IM A T IO N D E L A C O L L A B O R A T IO N D E L ^ E G L IS E A V E C L ^ E T A T S O C IA L IS T E R O U M A IN 208 Chapitre I : L’EGLISE ORTHODOXE ET LA THESE DE LA CONTINUITE DACO-ROMAINE P a ra llé lis m e et c o n v e rg e n c e e n tre V h is to ire de V E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e e t c e lle d e P E ta t I. Préliminaires Le problème du lien établi entre l’orthodoxie et la nation roumaine est certainement le point central de ce travail dans la mesure où il s’agit de l’aspect qui, dans l’idéologie, constitue la base de l’argumentation légitimant la collaboration de l’Eglise avec l’Etat. Cette question est d’autant plus intéressante qu’elle témoigne de la continuité entre la période de l’entre-deux-guerres, l’époque communiste et celle de la « transition », le post­ communisme. Le lien entre Eglise orthodoxe et nation et les problèmes liés à l’ethnicité de l’orthodoxie, ce que l’on appelait avant l’instauration du communisme dans les années trente, le 209 « roumanisme » (ro m â n is m u l)^ ^^ , fondent en réalité l’essentiel de l’argumentation justifiant les rapports de l’Eglise avec l’Etat. Il s’agit du problème connu, mais souvent peu analysé pour les pays de l’Europe orientale et balkanique, du lien, voire de l’osmose, établi entre confession et nationalité, celui de la fusion entre l’orthodoxie et la roumanité. Si cet aspect était la pierre angulaire de l’idéologie d’avant guerre, il le restera, avec des nuances cependant, pour la période communiste. On soulignera que, depuis 1989, des auteurs sont tentés de revenir à la conception des années trente et on ne peut ignorer l’évolution de cette conception pendant les quarante ans du régime communiste pour bien comprendre la situation actuelle. On assiste en quelque sorte aujourd’hui à ce que l’on pourrait appeler une synthèse des deux visions idéologiques. Il est clair que le problème du lien entre « nation », voire « nationalisme », et « Eglise orthodoxe », n’est pas propre au cas roumain. Une étude de chaque cas dans les Balkans, mais aussi en Europe orientale et centrale, serait indispensable pour comprendre comment depuis le XIXe siècle essentiellement, la confession orthodoxe a été mêlée de manière inextricable avec l’identité nationale, culturelle et ethnique. Le rôle de l’Eglise orthodoxe en Serbie, en Bulgarie, où elle semble avoir été prépondérante quant à l’idée de la formation de l’Etat bulgare contemporain, en Macédoine et en Ukraine, mériterait une analyse approfondie. Les historiographies respectives ont tendance à exagérer le rôle de l’orthodoxie durant le siècle des nationalités. Si le cas bulgare semble devoir être mis à part, on peut mettre en exergue le cas de l’Eglise grecque qui à l’origine ne se montra pas favorable à la création d’un Etat grec indépendant, en dépit de son argumentation postérieure et actuelle^^^. On soulignera aussi à ce 408 Constantin G.A. Ca z a n , R a d U L E S C U -M O T R U , R o m â n is tn u l, c a te h is m u l u n e i n o i s p iritu a lita ti, édit. coll. « Ideea româneasca », Ed. Stiintifica, Bucuresti, 1992. 409 C’est tout le problème actuel de l’attitude du clergé orthodoxe dans le contexte de la guerre yougoslave. On verra pour la Grèce : l’article de ; V.N. MAKRIDES, « Orthodoxy as a conditio sine qua non ; Religion and State / Politics in Modem Greece from a socio-historical perspective », dans O s tk irc h lic h e S tu d ie n , t. 40, 1991, 4, pp. 281-305. Pour la Yougoslavie ; S. Al ex an d r e , C h u rc h a n d S ta te in Y o u g o s la v ia s in c e 1 9 4 5 , 210 Cambridge University Press, point de vue la situation russe, où l’identité orthodoxe est intimement liée avec des problèmes qui posent des difficultés d’analyse, le « russisme » et l’idée « impériale » russe^^i®. L’essentiel de l’argumentation concernant l’identité nationale est basé sur la question de la continuité historique daco-romaine du peuple roumain'^lf On remarquera que, sur ce point, le cas albanais peut être comparé avec la Roumanie dans la mesure où l’historiographie albanaise sous le régime communiste a également exploité la thèse de la « continuité » historique tracoillyrienne^^2 Lgg « peuples » de ces deux pays ont effectivement un point commun, celui de vouloir à tout prix démontrer leur « autochtonisme », leur présence depuis les origines de l’histoire, et surtout l’antériorité de leur installation par rapport aux grandes migrations, ou « invasions » survenues au haut moyen âge. Il s’agit surtout de montrer leur légitimité par rapports aux peuples slaves établis dans les Balkans. Les origines de la liaison faite entre orthodoxie et nation, voire de l’osmose entre orthodoxie et nationalité, pourraient être trouvées à Byzance dans la mesure où la citoyenneté byzantine ne se concevait pas sans l’appartenance à l’orthodoxie, et où l’orthodoxie impliquait d e fa c to la citoyenneté byzantine, même extra-muros, aux frontières de l’Empire, provoquant une confusion entre sacré et profane^Dans toute l’oecumène « le nom chrétien est synonyme Cambridge, London, New York, Melbourne, 1979, et la Bulgarie : N. ANTONOFF et M.V. PUNDEFF, B u lg a ria : C h u rch e s a n d R e lig io n , Library of Congress, Washington D.C. 1951. Cfr. les études réunies dans ; Kathy ROUSSELET, « L’Eglise orthodoxe russe et la politique », o p . c it. On verra également le volume récent : D ie O rth o d o x e K irc h e in R u fila n d , D o k u m e n te ih re r G e s c h ic h te (8 6 0 -1 9 8 0 ), dir. Peter HAUPTMANN et Gerd St r ic KER, Vandenhoeck & Ruprecht, Gôttingen, 1988. 411 Cfr. introduction, la thèse de la continuité daco-romaine. 412 On verra notamment ; H is to ire d e l’A lb a n ie d e s o rig in e s à n o s jo u rs , dir. Stefanaq POLLO et Arben PUTO, coll. « Histoire des Nations européennes », Ed. Horvath, Roanne, 1974. 413 Cfr. notamment : Alain DUCELLIER, L ’E g lis e b y z a n tin e , e n tre p o u v o ir e t e s p rit (3 1 9 1 2 0 4 ), o p . c it., pp. 100-109. 211 de citoyen Si cet aspect peut constituer un élément d’interprétation, il doit cependant, à notre sens, être pris avec prudence, notamment dans la mesure où l’historiographie orthodoxe contemporaine a tendance à projeter la conception du nationalisme moderne sur la situation médiévale. On a souvent montré que l’Eglise orthodoxe avait été le conservatoire de l’identité durant l’occupation ottomane^^^. Ainsi, l’idée d’hellénisme put être conservée, ainsi que l’identité chrétienne byzantine et les particularismes respectifs des différents Etats d’Europe orientale et balkanique. Au XIXe siècle apparurent les idées de serbisme et de roumanisme, la Grande Idée ou le Grand Projet'**^. Il faut cependant souligner que l’on ne peut comparer le cas de l’Eglise orthodoxe grecque, ou le cas de l’Eglise constantinopolitaine, siège de l’ethnarque orthodoxe, le patriarche de Constantinople, auprès du Sultan, avec l’ensemble des Eglises du monde orthodoxe. Les Eglises orthodoxes « nationales » au XIXe siècle ont contribué à l’émancipation nationale des peuples dans les Balkans. C’est ce que l’idéologie orthodoxe tente de prouver, non sans exagération, comme le souligne S. Fischer-Galati^^^. Il est clair que le rôle de l’Eglise a été au XIXe siècle largement influencé par la politique des Etats balkaniques dans le contexte de la lutte d’indépendance par rapport à la Porte ottomane. C’est l’idéologie du siècle des nationalités qui dans une certaine mesure reste présente aujourd’hui dans l’orthodoxie \D ., L e d ra m e d e B y z a n c e , id é a l e t é c h e c d ’u n e s o c ié té c h ré tie n n e , coll. « le temps et les hommes », Hachette, 1976, p. 110. Astéries ARGYRIOU, « Nationalisme et supranationalisme dans l’Eglise orthodoxe à l’époque turque », dans A s p e c ts d e l’o rth o d o x ie (Actes du colloque de novembre 1978 du Centre d’Etudes Supérieures Spécialisé d’Histoire des Religions de Strasbourg), PUF, Paris, 1981, pp.135-152. 4 1 6 t H U A L , François, G é o p o litiq u e d e l’O rth o d o x ie , o p . c it. 417 On verra pour le cas roumain : Stephen FISCHER-GALATI, « Relations between Church and State in contemporary Romania », dans T h e B y z a n tin e L e g a c y in E a s te rn E u ro p e , édit. L. Cl u CAS, (East European Monographs, 230) Colombia University Press, New York, 1988, pp. 283-295 ; ID., « Autocracy, Orthodoxy, Nationality, in the twentieth century : The case of Romania », dans E a s t E u ro p e a n Q u a rte rly , Michel D io n t. 18, 1, 1984, pp. 25-34. Cfr. aussi , E g lis e s , E ta t e t id e n tité n a tio n a le d a n s la R o u m a n ie m o d e rn e (n o tic e b ib lio g ra p h iq u e c o m m e n té e ), GSR / IRESCO / CNRS, 1992. 212 contemporaine. Mais il serait dangereux de projeter, comme le font les auteurs orthodoxes, cette conception pour les époques antérieures au XIXe siècle. L’attribution de pouvoirs civils à l’ethnarque orthodoxe auprès du Sultan, c’est-à-dire le patriarche de Constantinople, pour les populations qui appartenaient à ce que l’on appelle le « millet » grec, comprenant les populations de l’Eglise orthodoxe, peut également constituer une piste de recherche quant à la confusion tardive du spirituel et du temporel. Le problème du « nationalisme » de l’Eglise orthodoxe est un aspect parmi les plus révélateurs du communisme roumain. Le communisme, qui ne pouvait plus se légitimer uniquement par les théories marxistes et soviétiques, réutilisa le nationalisme comme fondement principal de son idéologie et utilisa notamment l’Eglise orthodoxe pour montrer sa légitimité historique dans le cadre de l’histoire roumaine'^*^. Autrement dit, il s’agissait de montrer le caractère essentiellement « roumain » d’un régime communiste instauré par un pouvoir étranger, l’U.R.S.S. Aujourd’hui, l’instauration du système politique communiste est interprété comme l’implantation d’une idéologie totalement étrangère au caractère de la Roumanie et à son histoire. C’est une des raisons pour lesquelles le problème du nationalisme orthodoxe sous Ceausescu reste un sujet tabou. Si le post-communisme depuis 1989 pose la question du retour du nationalisme, il est légitime de se demander dans quelle mesure ce renouveau n’est pas lui aussi inscrit dans une continuité avec les régimes précédents, en l’occuiTence le régime communiste. On remarque que l’argumentation orthodoxe, excepté son caractère « socialiste », reste inchangée depuis les événements de décembre 1989. Au contraire, on assiste à la persistence de la conception nationale de l’Eglise orthodoxe. La survivance de la classe politique et intellectuelle, mais aussi de la hiérarchie orthodoxe peut expliquer en partie ce phénomène. On comprend dans ces conditions qu’il est difficile d’appliquer aux tendances politiques actuelles des qualificatifs tels On verra surtout l’article de Trond GiLBERG, « Religion and Nationalism in Romania », dans R e lig io n a n d N a tio n a lis m in S o v ie t a n d E a s t E u ro p e a n P o litic s , édit. P. RAMET, Durham, 1984, pp. 170-186. 213 que « néocommuniste », « ultranationaliste », voire « fasciste » ou « légionnaire » dans la mesure où les thèmes développés sont à certains points de vue semblables, articulés sur l’exaltation de la nation roumaine, l’« autochtonisme », le « protochronisme » ou le « dacisme », pierres angulaires des théories « nationales-communistes » du « Ceausisme », d’une part, ou du mouvement légionnaire et du maréchal Antonescu, d’autre part. On notera aussi que cette question est d’autant plus polémique en Roumanie que l’anticommunisme actuel, rejetant le régime dictatorial précédent, refuse d’envisager la continuité idéologique entre la période communiste et celle du retour de la démocratie depuis 1989. De la même manière, on refuse en général en Roumanie d’admettre toute continuité entre l’entre-deux-guerres et la république populaire, en raison surtout de l’éradication totale de la classe intellectuelle depuis 1945 et de la fracture idéologique issue de l’instauration de la R.P.R. en 1948^^^. La question de la contribution de l’Eglise Orthodoxe Roumaine au nationalisme roumain de l’époque du « ceausisme » est certes très complexe. Nous tâcherons surtout de montrer comment l’Eglise a cultivé, à l’instar du régime, les ambiguïtés attribuées à des concepts tels que « nation », « patrie », « nationalité », « citoyenneté » , « peuple », « ethnicité » pour légitimer une idéologie nationaliste sous le communisme. Les vocables utilisés en roumain pour désigner ces notions sont, à ce point de vue, très importants. Les termes choisis comportent des connotations, souvent intraduisibles comme telles en français. Nous avons vu que l’Eglise orthodoxe, sous G. Gheorghiu Dej principalement, a montré combien elle a lutté au XIXe siècle pour la lutte sociale et l’unité des Roumains. Cette troisième partie est consacrée particulièrement à la seconde époque, 1965-1989, l’époque Ceausescu, qui 419 On commence à étudier ces problèmes en Roumanie, mais ils soulèvent les passions tant la question de la Transition 1944-1948, avec les fameux maquisarts des Carpates, considérés par les uns comme des légendes, par les autres une réalité de la résistance anti-communiste, reste brûlante, surtout en raison des acteurs qui vivent toujours actuellement. On verra notamment ; Ana SELEJAN, R o m â n ia în tim p u l p rim u lu i ra z b o i c u ltu ra l (1 9 4 4 -1 9 4 8 ), vol. 1 : T ra d a re a in te le c tu a lilo r, Ed. Transpres, Sibiu, 1992. 214 deviendra dans les années quatre-vingt « l’époque d’or Ceausescu », caractéristique du raffermissement du national-communisme roumain. Il est cependant clair que, dans l’ensemble, les caractéristiques relatives au patriotisme et à la légitimation du respect de l’Etat des quinze premières aimées restent valables pour l’époque envisagée dans cette partie. 215 11. « Bimillénarisme « isolationnisme », « autochtonisme », « dacisme » et » orthodoxe roumain : d e D é c é b a le à C e a u s9 e sc u Le lien établi entre Eglise orthodoxe et nation roumaine est capital pour toute l’argumentation telle qu’elle va être développée à partir des années soixante, et amplement exploitée par le régime de Ceausescu des années quatre-vingt. En effet, le « bimiUénarisme », l’« autochtonisme », l’« isolationnisme » et le « dacisme » sont les caractéristiques de l’historiographie communiste roumaine, mais aussi et surtout de l’idéologie politique des vingtcinq dernières années^^®. Les principes fondamentaux relatifs à la thèse de la continuité dacoromaine restent présents depuis 1989 et sont surtout exploités par les partis nationalistes'^^L Il est révélateur que ces éléments ne se limitent pas aujourd’hui à de simples thèses idéologiques historiques et politiques, mais constituent la base d’une véritable « mythification » 420 Qfj verra surtout : Trond GILBERG, N a tio n a lis m a n d C o m m u n is m in R o m a n ia . T h e R is e a n d F a it o f C e a u s e s c u ’s P e rs o n a l D ic ta to rs h ip , Westview Press, Boulder, San Francisco, & Oxford, 1990 et Katherine VERDERY, N a tio n a l Id e o lo g y . Id e n tity a n d C u ltu ra l P o litic s in C e a u s e s c u ’s Romania, University of Cahfomia Press, Berkeley, Lo Angeles, Oxford, 1991. 421 cfr. par ex. les publication sur la Transylvanie publiées depuis 1989, cfr. la conclusion, point II. 216 ou « mythographie » de Thistoire, largement répandue parmi les cercles intellectuels et politiques. Ce « mythe fondateur » est passé dans les mentalités roumaines et constitue une « vérité axiomatique » indiscutable. Il s’agit d’un dogme historique ou d’une idéologisation de l’histoire afm de légitimer l’identité culturelle et « ethnique » roumaine. Il s’agit d’une question qui entre dans ce que l’on appelle la « géopolitique » de l’orthodoxie, dans la mesure où des concepts tels que unité de la foi, unité ecclésiastique, ethnique, politique et territoriale sont intimement mêlés et liés afin de démontrer non seulement le rôle prépondérant de l’Eglise orthodoxe dans l’Etat au cours de l’histoire, mais aussi l’unité, l’indépendance et la souveraineté même de l’Etat. La thèse de la continuité constitue également le fondement de l’exclusion, en jetant les bases de l’identité ethnique. Cette idéologie définit en fin de compte les termes de la ségrégation entre l’ethnie majoritaire et les minorités nationales. Cela peut se traduire par une descrimination « implicite », puisqu’une définition de l’identité nationale et de ses caractéristiques implique automatiquement une différence par rapport à toute autre identité. On trouve dans la littérature des années quatre-vingt, de manière récurrente, le thème du « protochronisme » (p ro to c ro n is m u l), c’est-à-dire l’idée de l’antériorité roumaine par rapport à toutes les autres populations sur le territoire du pays^^2 Cette notion est corollaire de r« autochtonisme » (a u to h to n is m u l), à savoir la conception selon laquelle le peuple roumain est originaire de l’espace carpato-danubien, et non le descendant d’un peuple migrateur venu des Balkans^^^. Il n’est pas étonnant de constater que l’historiographie roumaine fait une distinction fondamentale entre le nomadisme et la transhumance. Le nomadisme fait allusion à l’installation 422 On verra un bel exemple avec le livre de losif Constantin DRÀGAN, M o i, T ra c ii. Is to ria m u ltim ile n a ra a n e a m u lu i ro m â n e s c , S c ris u l R o m â n e s c , Craiova, 1976. 423 On ven-a également le livre de Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie d e C e a u s e s c u , E s s a i, Ed. Guy Epaud, 1988, pp. 149-154 ; Catherine DURANDIN, Mco/ae C e a u s e s c u . V é rité s e t m e n s o n g e s d ’u n ro i c o m m u n is te , Ed. Albin Michel, Paris, 1990. Cfr aussi Julien WEVERBERGH, N a c h t in R o e m e n ië , Ed. de Prom, 1990 ; ID., T e ru g n a a r R o e m e n i'é . R e la a s v a n e e n m a n ip u la tie , Ed. de Prom, 1990. 217 d’un peuple de pasteurs venu du sud des Balkans comme l’affirme la thèse hongroise opposée, la transhumance est la terminologie utilisée par les Roumains pour montrer le mouvement de la population autochtone de la plaine de Valachie vers les montagnes des Carpates et inversement, suite aux dangers d’agressions extérieures. Quant au « dacisme », notion qui constitue un des fondements de 1’ « isolationnisme » sous Ceausescu, il s’agit de la reprise par l’Etat de l’idéologie de la continuité daco-romaine du peuple roumain pour montrer l’originalité de la Roumanie au sein du bloc de l’Est, surtout après la répression du printemps de Prague par les armées du Pacte de Varsovie en 1968. Le dacisme devait permettre de montrer à l’Occident l’indépendance de la Roumanie au sein du bloc communiste. C’est à cette époque que l’Eglise orthodoxe a exploité le thème de l’Eglise latine, parallèlement à la latinité du peuple roumain née de l’ethnogenèse du peuple lors de la symbiose entre l’apport romain sous Trajan et l’identité dace. C’est à partir des années soixante-dix que Ceausescu va développer son slogan « isolationniste » : « la Roumanie, une île latine dans un océan slave ». Depuis la chute du régime, si les intentions politiques de la récupération de cette thèse ont disparu, cette « propagande » ou idéologie historique est toujours utilisée par les mouvements nationalistes roumains comme fondement du discours nationaliste. Il s’agit d’une théorie d’autant plus insidieuse qu’elle implique par essence un discours d’exclusion. Dans les années cinquante, on utilisait essentiellement le sens marxiste-léniniste de la nation en tant que peuple des travailleurs de l’Etat, sans distinction de race, de religion, e tc ., nation au service de l’Etat. A partir des années soixante, le thème de la continuité daco-romaine du peuple roumain^^4 ^ l’orthodoxie, développé surtout après 1965, tente de faire de 424 cfj- notamment sur le sujet : U n ita te s i c o n tin u ita te în is to ria p o p o ru lu i ro m â n , Ed. Academiei, Bucuresti, 1968 ; A. ARMBRUSTER, L a ro m a n ité d e s R o u m a in s , h is to ire d ’u n e id é e , Ed. A.R.S.R., Bucarest, 1977 (Bibliotheca Historica Romaniae, monographies, 28) ; Mircea MUSAT, Ion ARDELEANU, D e la s ta tu t G e to -d a c la s ta tu t ro m â n u n ita r, Bucuresti, 1983 ; Stelian NEAGOE, Is to ria u ttirii R o m â n ilo r, d e la în c e p u tu ri la C u z a V o d â , Ed. Stiintifica si Enciclopedicâ, Bucuresti, 1986. Cfr aussi G.I. BRÂTIANU, O e n ig m a sJ u n m ira c o l is to ric : 218 l’Eglise orthodoxe une Eglise nationale dominante, voire même « d’Etat » d e fa c to . Contrairement à la Constitution de 1948 plaçant les quatorze religions reconnues sur un pied d’égalité, l’Eglise orthodoxe, d’après les auteurs de cette époque, redevient l’Eglise nationale par excellence. On assiste d’une certaine manière à un retour à la conception du patriotisme et de la nation telle qu’elle était développée avant l’instauration du communisme. On observe ainsi un glissement sémantique du terme nation, du sens « internationaliste » au sens « ethnique » du terme. En 1956 déjà, C. Sîrbu affirmait : « la vie orthodoxe est la fusion organique ou la complète synthèse de l’Orthodoxie et de la Nation »^25 On constate une ambiguïté à propos du terme « nation », en tant que nation roumaine envisagée comme « citoyenneté » et « nationalité », distinction essentielle dans les pays d’Europe centrale et balkanique. L’Eglise orthodoxe à « l’époque Ceausescu », et ceci s’est radicalisé pendant les dix dernières années du régime, a non seulement reconsacré le lien entre Eglise orthodoxe et nation roumaine, mais a considérablement réduit l’acception du terme « nation » au sens de nation « roumaine », dans le sens ethnique du terme. La thèse de la continuité daco-romaine légitimant l’unité de la foi, de la langue, de l’Eglise orthodoxe et de l’Etat national unitaire roumain limite l’acception du terme « nation », désormais compris dans son sens historique roumain. L’Eglise orthodoxe montre sa continuité depuis l’époque dace jusqu’à nos jours et sa contribution à toutes les étapes importantes de l’histoire roumaine comme contribution à l’édification de l’Etat unitaire contemporain. Elle est née, selon les auteurs orthodoxes, en même temps que le peuple proto-roumain, lors de la latinisation de l’époque trajane, de P o p o ru l ro m â n , 2e éd. (le éd., 1942), Ed. stiintifica si enciclopedicâ, Bucuresti, 1988 ; Nicolae STOIŒSCU, « O fa ls d p ro b le m d is to ric a -d is c o n tin u ita te a p o p o ru lu i ro m â n p e te rito riu l s trd m o s e s c » , Ed. « Fundatiei Culturale Române », Bucuresti, 1993. Cfr. aussi le livre paru en Occident ; Platon CHIRNOAGA, Is to ria D a c ie i s f c o n tin u ita te a d a c o -ro m a n a , Ed. « Traian Popescu », Madrid, 1971. Comeliu SiRBU, « Adevarul si frumusetile ortodoxiei », dans O rto d o x ia , IV, 1956, p. 591. 219 l’évangélisation de la Dacie au siècle « apostolique » et aux nie et IVe siècles surtout. Elle est présentée comme l’Eglise par excellence du peuple roumain^^ô. Son destin bimillénaire comme celui du peuple roumain ainsi formé devait conduire à l’édification de l’Etat national unitaire en 1918'^^^. Ayant participé à cette évolution au cours de l’histoire, comme en 1600 lors de l’union des trois principautés par Michel le Brave, en 1859 lors de l’union des principautés par Alexandre I. Cuza, en 1877-1878 lors de la gueiTe d’indépendance'^28^ en 1918 lors de la Grande Union avec la Transylvanie'^29^ l’Eglise orthodoxe montre par son historiographie son 426 On verra notamment : JUSTINIAN, « Biserica Ortodoxa Româna...a fost în tôt timpul legata de nazuintele poporului, o Biserica Româneasca », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u s i o a m e n ilo r. P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, 196-200 ; ID., « Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp. Bisericile Ortodoxe, fiind Biserici nationale, îsi însusesc nazuintele popoarelor lor », Ib id ., pp. 190-192 ; Mircea P a C U R A R IU , « Pages de l’histoire de l’Eglise orthodoxe roumaine. Les débuts de la vie chrétienne chez les Roumains », dans R o m a n ia n o rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an., 1987, 5, pp. 58-61 ; XVIIIe an., 1988, n°l, pp. 36-46, XVIIIe an. , 1988, 3, pp. 32-37 ; Emilian POPESCU, « Pages du passé de l’Eglise orthodoxe roumaine. Aperçu sur le christianisme en Roumanie jusqu’au Vile siècle à la lumière des nouvelles recherches », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rch N e w s , XVIIe an., 1987, 3, pp. 3846, XVIIe an., 4, 1987, pp. 46-53. 427 NicOLAE (Mitropolitul Ardealului), « Continuitate si unitate », dans M itro p o lia A rd e a lu lu i, XXII, 1-3, 1977, pp. 37-96 ; loan MURGU, « Lupta pentru libertate si independentâ a poporului român de-a lungul bimilenarei sale istorii, eu prilejul anivers^ii împlinirii a 1900 de ani de la urcarea pe tronul Daciei a lui Decebal (87-1987) », dans M itro p o lia O lte n ie i, XXXVIII, 1987, 2, pp. 33-40. 428 ]y[ CHIALDA, « Contributia Bisericii ortodoxe Române la cucerirea independentei de Stat a României 1877-1878 », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XXIX, 1977, pp. 387-406 ; I. D. SUCIU, « Biserica ortodoxa româna din Banat si razboiul de independentâ », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, XXVII, 1977, pp. 272-281 ; Nestor VORNICESCU, C o n trib u tio n s a p p o rté e s p a r le c le rg é o rto d o x e à la c o n q u ê te d e l’in d é p e n d a n c e d e l’E ta t ro u m a in a u c o u rs d e s a n n é e s 1 8 7 7 -1 8 7 8 , Evêché d’Olténie, Craiova, 1978 ; G. V a s IL E S C U , « Contributia clerului ortodox la infëptuirea unirii principatelor », dans O rto d o x ia , XXXI, 1979, pp. 7-11. 429 « Cu prilejul sarbatoririi semicentenarului unirii Transilvaniei eu România. Contributia Bisericii ortodoxe române la unitatea poporului român », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, an. XX, n° 9-10, 1968, pp. 623-635 ; M. SESAN, « Unificarea bisericeasca din 1918 intru asrijinira unitatii Statului român », dans M itro p o lia A rd e a lu lu i, XIII, 1968, pp. 830-843 ; 220 implication dans l’édification de l’Etat national unitaire populaire de 1948, créé après l’acte du 23 août 1944^30 Après avoir lutté pour son indépendance en Transylvanie, l’Eglise orthodoxe permit l’émancipation du peuple roumain vis-à-vis du dualisme austro-hongrois. Dans l’ancien royaume, le vieux « Regat », l’Eglise orthodoxe acquit en 1885 l’autocéphalie qui consacra son caractère national après la guerre d’indépendance de 1877-1878^3^. Parallèlement à la création de la Grande Roumanie, Etat national unitaire, l’Eglise orthodoxe s’unifia et devint patriarcale en 1925. Le concept d’autocéphalie illustre bien le lien, voire l’osmose entre G. LITIU, « Contributia clerului Aradean la lupta pentru libertatea si unitatea naüonalâ a poporului român », dans M itro p o lia O lte n ie i, XXVIII, 1978, pp. 619-626 ; Mircea PÂCURARIU, « Contributia Bisericii la reaüzarea actului unirii de la 1 decembrie 1918 », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n à , « Editorial : CXVl, 1978, 11-12, pp. 1250-1263 ; Nestor VORNICESCU, Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie à la Roumanie », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIIe an., 6, 1988, pp. 5-9 ; Gheorghe V a S IL E S C U , « 70 de ani de la faurirea statului national unitar român », dans G la s u l B is e ric ii, XLVII, 6, 1988, pp. 3-21. La littérature concernant l’apport de l’Eglise orthodoxe roumaine au développement de la nation roumaine et relative à l’osmose entre la continuité daco-romaine et l’orthodoxie roumaine depuis le bas-empire est abondante. On verra principalement pamii les ouvrages plus récents : Nestor VORNICESCU, D e s â v îrs ire a u n itd tii n o a s trd n a tio n a le , fu n d a m e n t a l u n itd tii b is e ric ii s trà b u n e , Ed. Mitropoliei Olteniei, Craiova, 1988 ; Antonie PLÀMÂDEALA, R o m a n ita te , c o n tin u ita te , U n ita te (p o rn in d d e la u n iz v o r n a ra tiv d in 1 6 6 6 ), Sibiu, 1988 ; Constantin VOICU, B is e ric a s tra m o s e a s c a d in T ra n s ilv a n ia tn lu p ta p e n tru u n ita te a s p iritu a la s i n a tto n a la a p o p o ru lu i ro m â n , Ed. tipografiei eparhiei Sibiu, Sibiu, 1989. On verra aussi l’ensemble des apologies au régime de 1948, lors notamment des cérémonies d’anniversaire de la « grande fête nationale du peuple roumain », le 23 août 1944 : « Editorial, le 23 août 1944-Grande fête nationale du peuple roumain », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e , XVIIl, 1988, 4, pp. 3-7 ; on verra aussi l’exemple de Gheorghe VASILESCU, « Unitate si continuitate pe p^înt românesc », dans G la s u l B is e ric ii, an. XLVI, n° 2, 1987, pp. 5-17. 431 Cfr. principalement le volume de commémoration : C e n te n a ru l a u to c e fa lie i B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e , tip. eu binecuvîntarea Prea Fericitului Parinte Teoctist, Patriarhul Bisericii Ortodoxe Române, Ed. I.B.M.B.O.R., 1987 ; Mircea PÂCURARIU, « 100 de ani de la reconoasterea autocefaliei Bisericii ortodoxe române. Qteva consideratii privind vechimea “ autocefaliei ” Bisericii ortodoxe române », d a n s M itro p o lia A rd e a lu lu i, XXX, 5-6, 1985, pp. 275-287. 221 confession et nation'^^^ Comme le dit N. Vomicescu, « les Eglises orthodoxes autocéphales se sont constituées chacune dans les limites d’un certain territoire, un rôle important revenant aux éléments spécifiques ethniques de chaque nation « Dès les origines, l’idée de l’unité nationale étatique, comme celles de l’indépendance et de la souveraineté nationale, ont toujours été permanentes. Il y a toujours eu dans l’espace ethno-géographique carpato-danubien une unité de langue, de croyance et de tradition. C’est pour cette raison que le peuple roumain a lutté dans les trois pays roumains de la Dacie trajane pour cette unité. L’Eglise orthodoxe a lutté ainsi à côté du peuple et tous les événements fondamentaux de l’histoire roumaine qui ont mené vers l’unification de 1918 font partie intégrante de la vie de l’Eglise orthodoxe. Elle a défendu l’unité de croyance du peuple et contribua à la défense de l’essence du peuple et à l’accomphssement de l’unité nationale. Ainsi les deux entités saintes, l’Eglise et la Patrie ne peuvent être séparées « Les ancêtres ont su se présenter devant Dieu et le monde, sans distinguer les aspirations et idéaux de l’Eglise des aspirations et des idéaux du peuple roumain »^35 L’Eglise orthodoxe de Transylvanie fut en réalité le « bastion de défense de l’essence nationale » des Roumains de Transylvanie‘^36 432 lorgu Iv an , « Etnosul - nearaul - temei divin si principiu fondamental canonic al autocefaliei bisericesti », dans O rto d o x ia ro m â n e a s c d , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1992, pp. 100-111. « Le cinquantenaire du patriarcat roumain 1925-1975. Le 90e anniversaire de la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe roumaine (1885-1975) », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , Ve an., 1975, 4 ; Mircea PÂCURARIU, « Autocéphalie et patriarcat roumain », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 2, pp. 25-29 ; N. Se r b ÀNESCU, I. Mar es et V.L. LEB, « 60 de ani de la înfiintarea Patriarhiei Române, 1925-1985 », dans B is e ric a O rto d o x a R o m a n d , CEII, 9-12, 1985, pp. 835-852. 433 Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e , XXe an., 1988, 3-4, p. 7. 434 Nestor VORNICESCU, D e s d v îrs ire a u n itd tii n o a s tra n a tio n a le , fu n d a m e n t a l u n itd tii b is e ric ii s tra b u n e , o p . c it., p. 10. 435 iiy id , 436 Constantin VOICU, B is e ric a s trd m o s e a s c d d in T ra n s ilv a n ia în lu p ta p e n tru u n ita te a s p irin ia ld s i n a tio n a la a p o p o ru lu i ro m a n , o p . c it., 222 p. 5. On pourrait multiplier les références sur la continuité daco-romaine et l’évangélisation chrétienne à l’époque géto-dace et daco-romaine"^^^. Comme l’affirme E. Popescu, « les recherches sur les origines du christianisme chez les Roumains ont constitué une préoccupation permanente de nos historiens tant laïques (s ic ) qu’ecclésiastiques, en raison du rapport étroit qui existe entre ces recherches et la démonstration de la continuité ethnique des Roumains sur le territoire où ils sont actuellement établis « C’est devenu chez nous une question primordiale, pour ne pas dire un devoir national, que de prouver la continuité ininterrompue de la population autochtone durant la période de la migration des peuples, dès lors que des historiens hongrois, slavophiles ou allemands de l’ancien empire des Habsbourg ont cru pouvoir soutenir que le territoire de la Roumanie a été “ vidé ” de sa population autochtone (...) et que ce vide ethnique a été rempli par les Slaves, les Avars, les Huns et autres peuplades, puis plus tard par des Hongrois et des Allemands »^39 « Lorsqu’au Ille siècle avant notre ère les Celtes passèrent sur le territoire de notre patrie, l’unité culturelle des géto-daces n’a pas été affaiblie, le peuple géto-dace ayant comme fond ethno-culturel une origine thrace Le point culminant de cette période fut l’époque des rois daces, Burebista et Décébale, caractérisée, selon les auteurs, par une unité sur le plan économique, militaire, culturel, artistique et spirituel. A cette période s’est manifestée une culture unitaire, résultat d’une culture multimillénaire. Une influence celte, héllénique et romaine a donc dans l’antiquité été assimilée par la culture géto-dace dans la région carpatodanubienne. L’apport romain dû à la conquête trajane au Hé siècle fit en sorte que naquit de ce peuple dace le peuple roumain. « De la fusion des deux éléments ethniques, dacique et romain, 437 On verra notamment en plus des auteurs orthodoxe cités (cfr. s u p ra ) : M. RUSU « Paleocrestinismul nord-dunarean si ethnogeneza Românilor », d a n s A n u a ru l In s titu tu lu i d e Is to rie s i A rh e o lo g ie d in C lu j, t. 26, 1983-1984, pp. 35-84. 438 Emilian POPESCU, « Pages du passé de l’Eglise orthodoxe roumaine. Aperçu sur le christianisme en Roumanie jusqu’au Vile siècle à la lumière des nouvelles recherches », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , 439 jb id „ p. XVIIIe an., 1987, n° 3, p. 38. 38. 440 NicOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 37. 223 prit naissance un peuple nouveau, le peuple roumain Autrement dit, « le christianisme a pénétré chez le peuple roumain depuis l’époque de son ethnogenèse, c’est-à-dire depuis les premiers siècles de l’ère chrétienne, quand ce peuple est issu de la symbiose des Géto-Daces et des Romains >>'^‘^2 La période daco-romaine est celle de la Dacie trajane, ou de la « D a d a fe lix », de l’invasion de Trajan jusqu’au retrait des troupes romaines par Aurélien en 271. C’est de la lutte entre Trajan et Décébale qu’est apparu le peuple roumain. C’est la convergence entre la romanité et l’identité dace qui fut à la base de l’ethnogenèse du peuple roumain. Le point stratégique de cette argumentation consiste dans le fait qu’à cette époque l’Etat daco-romain comprenait la Transylvanie, le Banat, l’Olténie, la Munténie et la Moldavie occidentale. L’influence romaine à ainsi atteint le nord de la Transylvanie, c’est-à-dire le Crisana, et l’Est de la Moldavie. On comprend toute l’importance symbolique de la colonne trajane dans l’histoire roumaine et de l’iconographie relative au bas-empire dans les ouvrages orthodoxes'^'*^ Ainsi, « la force divine de la croyance chrétienne transmise par les apôtres, les armées et colons romains a jeté les bases des liens entre les deux groupes de croyants de la Dacie romaine, les autochtones et les colons, a établi les contacts entre eux et a déterminé les affinités spirituelles, les menant à la conviction qu’üs allaient ainsi créer un peuple nouveau »^. La Transylvanie constitue un des principaux enjeux de cette thèse. Lorsque parut l’histoire de la Transylvanie à Budapest en 1986, ce fut le tollé général en Roumanie^^^. A 441 Ib id ., p. 97. 442 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le rôle de l’Eglise orthodoxe roumaine dans la sauvegarde et l’affirmation de la culture du peuple roumain », o p . d t., p. 3. 443 On verra notamment Nestor VORNICESCU, D e s a v îrs ire a u n ita tii n o a s tra n a tio n a le , fu n d a m e n t a l u n ita tii b is e rid i s tra b im e , o p . d t., cfr. les planches 1 et 2. 444 iiie MOLDOVAN, « Etnicitate si autonomie bisericeasca. Consideratii de ordin teologicmoral eu ocazia aniversarii autocefaliei Bisericii ortodoxe române », dans C e n te n a ru l a u to c e fa lie i B is e rid i O rto d o x e R o m â n e , tip. eu binecuvîntarea Prea Fericitului Parinte Teoctist, Patriarhul Bisericii Ortodoxe Române, 1987, p. 256. 445 ofr l’introduction. 224 cette occasion le métropolite A. Plamadeala de Transylvanie réagit à l’instar du gouvernement et des historiens officiels du régime. « Foyer dace depuis des temps immémoriaux, la terre que nous habitons, et dont le centre se trouve au coeur de la Transylvanie, a été le berceau de la formation du peuple roumain, issu des Daces et des Romains (...). Ici, dans ce foyer, les Roumains ont formé et ont défini leur personnalité ethnique, partout étonnamment identique (...) en l’exprimant par la même sensibilité, la même langue et la même foi Lorsqu’à eu lieu « la terrible confrontation entre les deux géants du temps, les Daces et les Romains, nous étions Roumains, nous parlions tous roumain et nous étions orthodoxes. Comme nous le sommes encore aujourd’hui Ceci confirme de manière catégorique l’idée de continuité et l’expression chère aux auteurs ; les Roumains sont nés chrétiens. Le fondement de la thèse daco-romaine orthodoxe est l’ancienneté du christianisme en Roumanie‘^ 48 Mais si les auteurs affirment qu’il y avait une organisation ecclésiastique déjà aux Ille et IVe siècles, le christianisme était déjà connu dans l’espace carpato-danubien depuis le 1er siècle. Déjà dans la seconde moitié du 1er siècle, le chrisitanisme est apparu dans l’espace carpato-danubien de manière « sporadique » lorsque saint André a prêché dans les ten-es situées entre le Danube et la Dobroudja, en « Scythie « Grâce à la prédication du Saint apôtre 446 Antonie PLÀMÀDEALÀ, « Editorial. Transylvanie : Vérités du passé, vérités d’aujourd’hui », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an., 1987, 1, p. 3. 447 448 Mircea P a C U R A R IU , « Pages de l’histoire de l’Eglise orthodoxe roumaine. Les débuts de la vie chrétienne chez les Roumains (I) », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an., 1987, 5, pp. 58-61 ; ID., (II), Ib id , XVIIIe an., n°l, 1988, pp. 36-46 ; ID„ (III), Ib id ., XVIIIe an., n°3, 1988, pp. 32-37. ; Antonie PLAMADEALA, R o m a n ita te , c o n tin u ita te , U n ita te , o p . c it. ; Dumitru St a n il o a e , « Rolul Ortodoxiei în formarea si pàstrarea fiintei poporului român si a unitatii nationale », dans O rto d o x ia , XXX, 1978, 4, p. 599. 449 Ernilian POPESCU, « Pages du passé de l’Eglise orthodoxe roumaine. Aperçu sur le christianisme en Roumanie jusqu’au Vll-e siècle à la lumière des nouvelles recherches », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an., 1987, 3, pp. 38-46 ; ID., (suite), Ib id , XVIIe an., 1987, 4, pp. 46-53 ; 225 André dans cette terre danubienne bénie, dans les régions orientales de notre pays, notre Eglise est une Eglise apostolique dans le plus authentique sens du mot C’est parce que saint André a ordonné des évêques en Dobroudja, que s’explique l’importance de Tomis, l’actuelle Constanta, comme centre épiscopaH^^ Le christianisme est donc en Roumanie d’« origine apostolique On remarquera l’importance de la Dobroudja, territoire qui fait l’objet d’un litige frontalier avec la Bulgarie jusqu’aux guen-es balkaniques des années 1912-1913. Mais les autres régions de l’actuelle Roumanie, le Banat, la Transylvanie, l’Olténie et la Valachie, ont connu également l’évangélisation à cette époque. « Elle fut apportée, dans la province nouvellement créée, par les colonistes (s ic ) venus de tout l’empire romain (...) où la foi chrétienne était connue depuis le “ siècle apostolique ” par l’intermédiaire des soldats de l’armée romaine venus en Dacie (...), des esclaves des familles aisées, des marchands venus en Dacie avec des affaires de commerce Le développement du christianisme s’est fait au nord du Danube au IVe siècle. En 330, la Dacie entra dans la sphère économique de Constantinople, avec le « déménagement de la capitale de l’Empire à Constantinople Ce qui explique, pour les auteurs, le caractère oriental de la Dacie sur le plan chrétien, bien que le christianisme y soit véhiculé en langue latine. En réalité, « l’ethnogenèse du peuple roumain allait de pair avec sa conversion au christianisme par le prêche de saint André, en Dobroudja, par la parole des colons, des soldats ou des marchands établis au Nord du Danube A la fin du Ille siècle existait un évêché daco-romain à Tomis et beaucoup d’autres sur la rive nordique du Danube. Des Daco-Romains connurent le martyre. Il en résulte que « le peuple roumain naquit en 450 NESTOR, « A l’anniversaire des 75 années de sa béatitude lustin, patriarche de l’Eglise orthodoxe roumaine », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rch N e w s , XVe an., 1985, 1, p.l4. 451 Mircea P a C U R A R IU , « Pages de l’histoire de l’Eglise orthodoxe roumaine. Les débuts de la vie chrétienne chez les Roumains », o p . c it., p. 60. 452 453 jjy id ., p. 61. 454 NICOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 96. 455 jb id ,, p. 97. 226 chrétien Mais si cette évangélisation est latine, comme en témoigne le vocabulaire roumain'^^^, « les provinces romaines danubiennes n’ont jamais été soumises au siège de Rome, mais seulement au siège de Constantinople Ce n’est donc pas une évangélisation « populaire » comme l’affirment les auteurs, mais bien une évangélisation structurée en « éparchies » ecclésiastiques, dès les origines. La participation de l’évêque de Tomis au Concile de Nicée en 325 atteste l’existence de circonscriptions ecclésiastiques. « Un évêque scythe (dace) portant un nom aujourd’hui inconnu a même pris part au 1er Concile œcuménique en l’an 325 M. Pacurariu, comme les autres auteurs orthodoxes roumains, conteste donc les « thèses ridicules » selon lesquelles le christianisme ne se serait implanté dans les pays roumains qu’au IXe siècle grâce aux Bulgares, et que le christianisme roumain du bas-empire ne serait que le finit d’une évangélisation populaire, l’organisation canonique de l’Eglise ne datant que du XlVe siècle, époque de la fondation des Etats féodaux de la Valachie et de la Moldavie'^^^. Il est intéressant de constater la réfutation des auteurs orthodoxes de l’appellation « populaire » pour l’évangélisation de la Dacie, alors que l’Eglise orthodoxe est dans les premières années du régime communiste une Eglise « populaire ». Cette réfutation tente de démontrer que l’Eglise était organisée en tant qu’institution structurée dès les origines, afin de prouver la permanence de l’orthodoxie roumaine au cours des deux millénaires et l’existence d’une institution roumaine avant l’arrivée des peuples migrateurs des siècles ultérieurs. Ceci est un élément qui souligne 456 iijid ., p. 97. 457 (]fj- in fra , point IL 458 Mircea PACURARIU, « Pages de l’histoire de l’Eglise orthodoxe roumaine: Les débuts de la vie chrétienne chez les Roumains (III) », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XVIIIe an., 1988, 3, p. 36. 459 L ’E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e d a n s le p a s s é e t a u jo u rd ’h u i, Ed. I.B.M.B.O.R., Bucarest, 1979, p. 12. On verra aussi les ouvrages suivants : B is e ric a O rto d o x a R o m a n d . M o n o g ra fie -A lb u m , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1987, p. 10. 460 Mircea PACURARIU, « Pages de l’histoire de l’Eglise orthodoxe roumaine. Les débuts de la vie chrétienne chez les Roumains », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , Q u a rte rly XVIIe an., 1987, 5, p. 58. 227 l’ambiguïté du terme « populaire », comme nous l’avons souligné dans la deuxième partie consacrée au patriotisme, à propos d’une Eglise qui aurait toujours été proche du peuple. Ce lien intrinsèque entre christianisme et « proto-roumanité » est donc fondamental pour la continuité bimillénaire. Il est intéressant de noter la remarque d’E. Popescu à propos de la conversion des Goths et des Huns : « ils ont, du fait de leur conversion au christianisme, perdu leur nationalité, changé de nom et été encadrés dans l’armée Le christianisme est en réalité une « coordonnée essentielle de l’ethnogenèse du peuple roumain (...). Il a contribué à approfondir et à élargir le processus de la romanisation et a assuré durant la période des migrations la continuité de la population autochtone »^^62 On constate donc qu’il y a un parallélisme entre romanisation, latinisation et christianisation des populations daces. C’est le fondement de la constitution de l’identité proto-roumaine. La période des migrations des peuples et du passage sur le territoire de l’ancienne Dacie des populations venues de l’Est, les Slaves essentiellement, pose pour l’histoire de la Roumanie un problème fondamental. C’est ce que l’on appelle le millénaire « obscur » en raison de l’absence de sources écrites, ou du « silence » des sources. Cette période est donc propice à toutes les spéculations historiques à propos du contentieux entre Hongrois et Roumains sur la Transylvanie'^^^ « Lorsque, au XVIe siècle, les premiers Etats roumains se sont organisés, non seulement la latinité de notre langue a survécu, bien que menacée par les envahisseurs, avec leurs langages et leurs traditions, mais la foi chrétienne initiale, orthodoxe, a également survécu telle qu’elle avait été reçue au commencement du siècle apostolique. La conservation de la Emilian POPESCU, « Pages du passé de l’Eglise orthodoxe roumaine. Aperçu sur le christianisme en Roumanie jusqu’au Vll-e siècle à la lumière des nouvelles recherc/"'' '^<iuite^», op. du, 462 p. 46. ^ p. 52. 463 cfr introduction. 228 langue latine et de la foi chrétienne pure, orthodoxe tout au long d’un millénaire de ténèbre, constitue un véritable miracle roumain Après le retrait des légions romaines, ce que la littérature roumaine appelle le « retrait d’Aurélien », on affirme qu’il existait dans les territoires carpato-danubiens, y compris la Transylvanie, une continuité et une unité étatique de la population daco-« romane » {d a c o ro m a n ic e ) sur le territoire de la Roumanie actuelle^^^. La base ethnique roumaine est dace. La romanisation a touché avant tout les villes, et ensuite les villages"^*^^. Les auteurs soulignent l’importance du milieu rural qui incarne la pérennité dace, ce qui témoigne, en partie, de l’intérêt du « village » accordé par la littérature orthodoxe, intérêt influencé par la littérature roumaine du XIXe siècle et de l’entre-deux-guerres. Le village deviendra la cellule de base de l’autochtonisme roumain, incarnant la vie traditionnelle, intense et conservatrice^^^. « La conscience de l’unité, de l’origine latine de la langue et du peuple roumain, la persistance et sa continuité sur le territoire de l’ancienne Dacie a été présente dès le début au sein des masses populaires ». « La conscience de peuple {n e a m ) est présente dans le peuple ip o p o r) roumain tout au long du moyen âge » (n e a m ro m â n e s c e t s e m in tie ro m â n e a s c d )^^ ^ . D’après les auteurs, les migrations qui ont suivi le « retrait aurélien » de 271 n’ont pas influencé la constitution ethnique de la population autochtone. Les seuls groupes migratoires qui sont restés furent les Slaves à partir du Vile siècle et « ils furent assimilés par les autochtones, qui avaient un niveau supérieur de civilisation spirituelle et matérielle Vers la fin du IXe siècle et le début du Xe siècle existaient déjà les premières formations politiques roumaines, les « cnéziats » et les voïvodats, des institutions spécifiquement roumaines en 464 E g lis e O rth o d o x e R o u m a in e d a n s le p a s s é e t a u jo u rd ’h u i, p. 16. Ion B a r n ea , « Crestinismul pe teritoriul Moldovei în socolele EH-XIII », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , CVI, 1988, f. 1-2, pp. 123-142. 465 NICOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 97. 466 467 cfr. la conclusion, le point I. 468 NiCOLAE, Mitropolitul Aidealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 97. 469 jh id _^ p. 98. 229 Transylvanie et dans le Banat^^O. Par cette affirmation, les auteurs montrent l’organisation féodale roumaine, tentant d’ignorer toute influence politique bulgare sur le territoire de la « Roumanie ». La période qui suscite le plus de polémiques, puisque l’on ne dispose d’aucune source roumaine pour la période des Ve au XUIe siècles, est donc envisagée dans la perspective du « miracle » roumain de la conservation de l’identité, de la langue et de la foi roumaines. Il est révélateur que toute la question de la domination bulgare aux IXe et Xe siècles soit passée sous silence dans la littérature orthodoxe. En Transylvanie existaient des « formations étatiques » au XlIIe siècle, et dans le Banat et le Maramures, c’était également le cas au XlVe siècle. De même en Valachie au XlIIe siècle (1247) et en Moldavie, apparaissent des Etats structurés roumains. C’est le moment de la « fixation de l’époque féodale en Roumanie, début de la formation de la conscience nationale roumaine En Transylvanie, lorsque vinrent les Hongrois, il existait déjà une structure voïvodale roumaine. La centralisation et l’unification des formations politiques au Sud des Carpates, sous Bessarab I, la T a ra R o m â n e a sc a , se fit dans la première moitié du XFVe siècle et dans la seconde moitié en Moldavie sous Bogdan I. « Dans les territoires intra-carpatiques, le processus d’unification et de centralisation fut empêché par la politique envahissante du royaume féodal hongrois envers les contrées roumaines »^^^. La Transylvanie a joué un rôle prépondérant dans l’« affirmation de la conscience de peuple du peuple roumain » sous la couronne hongroise qui lui refusait le titre de « nation »^^3. C’est l’époque de l’appaiition des communautés catholiques. Comme le dit le métropolite de Transylvanie Nicolae, « il y avait déjà l’idée de l’unité entre les trois sœurs, sous lancu de 470 On verra principalement : loan Aurel POP, In s titu ti m e d ie v a le ro m â n e s ti. A d u n a rile c n e z ia le sJ n o b ilia re (b o ie re s ü ) în s e c o le le X IV -X V I, 471 N ic o l ae , Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1991. Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 97. 472 jjjid On verra aussi Adolf ARMBRUSTER, « Staat und Kirche zu Begin der Rumànischen Furstentumer », dans M is c e lla n e a H is to rié e E c c le s ia s tic œ , I (Colloque de Varsovie, 27-29 octobre 1971), Louvain, 1974, pp. 354-358. 473 N ic o l ae , Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 97. 230 les plus marquants de l’extrapolation de la conception nationale contemporaine pour le moyen âge roumain. Comme le rappellent les auteurs, « s’il y a continuité nationale, il y a continuité institutionnelle. L’association du voïvode au gouvernement de l’Eglise, par la confirmation et l’intronisation des chefs de celle-ci, et l’association de ses chefs au gouvernement de l’Etat par leur présence dans le Grand Conseil du pays, garantissait le gouvernement unitaire du peuple. En même temps, c’était aussi une garantie de l’organisation unitaire et du gouvernement indépendant des Eglises par rapport à toute autorité étrangère au pays »478. Lors de la cérémonie d’intronisation du patriarche Teoctist, on mentionnera la confirmation « selon une coutume ancienne » par Ceausescu du nouveau chef de l’Eglise. L’Eglise orthodoxe légitime notamment par cette citation sa participation au sein des organes de l’Etat communiste, principalement à la Grande Assemblée Nationale^^^. L’Eglise orthodoxe a donc participé à cette évolution bimillénaire depuis les daces jusqu’à notre époque^**^. « Apparue dans l’histoire en même temps que le peuple roumain, notre Eglise a mêlé ses destinées aux destinées du peuple, contribuant à la sauvegarde et à la consolidation de l’unité ethnique, spirituelle et morale du peuple roumain, à son affirmation comme peuple souverain et indépendant parmi les autres peuples du monde 478 « Centenaire de l’autocéphalie. Les festivités de Bucarest », dans R o m a n ia n O rth o d o x e C h u rc h N e w s, XVe an., 1985, 2, p. 35. 479 Alexandre TUDOR, « Le nouveau patriarche de l’Eglise orthodoxe roumaine, sa béatitude Teoctist Arapasu », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIe an., 1986, 4, pp. 14-15. 480 N CORNEANU, S tu d ii, n o te sJ c o m e n ta rii te o lo g ic e , c o ll Q u o V a d is ?, Timisoara 1990, chap. 4, O rto d o x ie s i n a tiu n e , pp. 81-83, cfr. Il, în s lu jb a u n itâ tii s p iritu a le a n e a m u lu i ro m â n e s c , pp. 98-102 ; G.L MOISESCU, « Problema nationala... », o p . c it., pp. 669-690 ; Constantin VOICU, B is e ric a s trd m o s e a s c d d in T ra n s ilv a n ia ..., o p . c it. ; Nestor VORNICESCU, D e s d v îrs jre a u n itd tii n o a s tra n a tio n a le , o p . c it. ; N. VORNICESCU, « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., 1988, 3-4, pp. 3-11 ; Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le rôle de l’Eglise orthodoxe roumaine dans la sauvegarde et l’affirmation de la culture du peuple roumain », Ib id ., XVille an., 1988, 3, pp. 3-8. 481 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le rôle de l’Eglise orthodoxe... », o p . c it., p. 4. 232 Ce que les auteurs appellent la « conscience nationale », fut entretenu par les chroniqueurs et la diffusion de livres imprimés en Valachie et en Moldavie, livres adressés à « la progéniture roumaine ». On citera quelques exemples : la Cazania de Varlaam (1643), le Nouveau Testament de Alba Iulia du métropolite Simion Stefan (1648)'^*^ et des chroniqueurs tels que Ureche, Miron Costin, Stolnicul Constantin Cantacuzino au XVIIe siècle, l’humaniste Nicolaus Olahus, l’encyclopédiste Dimitrie Cantemir au XVIIIe siècle et les représentants de l’Ecole transylvaine, Samuil Micu, Gheorghe Sincai et Petru Maior^^^ La « lutte nationale » attint son point culminant au XVIIIe siècle lors des révoltes de Horia, Closca et Crisan de 1784. Ces révoltes témoignent de l’émancipation de la paysannerie roumaine et de l’affirmation des Roumains comme nation. C’est l’époque de la suppression du servage (io b a g ii). « Les prêtres propageaient les idées de libération nationale et enseignaient aux Roumains dans les villages leurs origines romaines On remarque que l’histoire de l’Ecole transylvaine et la « lutte » des gréco-catholiques comme Inochentie Micu en Transylvanie, vue par les orthodoxes, ne mentionnent généralement pas leur appartenance à l’Eglise gréco-catholique'^^^. 482 Parmi les éditions roumaines des textes bibliques, on verra les rééditions récentes des premières traductions du XVIIème siècle : B ib lia , a d e c â d u m n e z e ia s c a s c rip tu rd a V e c h iu lu i s i N o u lu i T e s ta m e n t, tip d ritd în û ia o a rd la 1 6 8 8 în tim p u l lu i S e rb a n V o d a C a n ta c u z in o D o m n u l T a rii R o m â n e s ti, re tip d ritd d u p a 3 0 0 d e a n i în fa c s im il sJ tra n s c rie re e u a p ro b a re a S fîn tu lu i S in o d s> i e u b in e c u v în ta re a P re a F e ric itu lu i P a rin te T e o c tis t P a tria rh u l B is e ric ii O rto d o x e Rom ane, Ed. Institutlui Biblic si de Misiune al Bisericii Ortodoxe Române, Bucuresti, 1988 ; et le Nouveau Testament de 1648 d’Alba Iulia : N o u l T e s ta m e n t, tip â rit p e n tru p rim a d a ta în lim b a ro m a n d la 1 6 4 8 d e c d tre S im io n S te fa n , M itro p o litu l T ra n s ilv a n ie i, ré é d itâ t d u p d 3 4 0 d e a n i d in in itia tiv a s f p u ta re a d e g rijd a p re a s fin titu lu i E m ilia n , e p is c o p a l A lb a lu lie i, Ed. Episcopiei Ortodoxe Române a Alba Iulia, 1988. 483 Pour l’Ecole transylvaine, on verra le chapitre consacré à l’uniatisme. Cfr. aussi I. MOLDOVAN, « C^ile de slujba transilvânene, factor de unitate nationalâ », dans C o n trib u a i tra n s ilv d n e n e la te o lo g ia o rto d o x d , Sibiu, 1988, pp. 222-245. 484 NICOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 78. 485 ofj- le chapitre consacré à l’uniatisme (in fra ). 233 La lutte pour l’émancipation des Roumains en Transylvanie a atteint ainsi son point culminant lors de la publication du S u p p le x L ib e llu s V a la c h o ru m en 1791, mémoire adressé à l’empereur Joseph II pour informer Vienne de la situation désastreuse des Roumains de Transylvanie. Le fondement des revendications des Roumains consistait en l’affirmation de la latinité des origines de la langue roumaine et du peuple, de sa permanence, de son ancienneté, de la continuité et de l’unité de l’identité roumaine. Il s’agissait de démontrer ce qu’avait été la Dacie et le principe de l’« unité ethnique et politique roumaine ». Le XIXe siècle est ainsi présenté comme l’aboutissement de la lutte pour l’émancipation du peuple roumain, que ce soit en Transylvanie ou dans les principautés moldave et valaque sous suzeraineté turque. Cette lutte devait mener à la formation de l’Etat en 1859 par la réunion des principautés moldave et valaque par Alexandre I. Cuza, et à son indépendance en 1878 au traité de San Stéfano confirmée au Congrès de Berlin la même année. L’Eglise orthodoxe montre sa participation à la « lutte nationale », comme par exemple lors de la déclaration de Blaj en 1948 en Transylvanie (« nous voulons nous unir avec le pays ») et par le rôle du métropolite Andrei Saguna pour la restauration des circonscriptions ecclésiastiques orthodoxes de Transylvanie. L’Eglise orthodoxe favorisa, d’après les auteurs, l’union des principautés de 1859486, les membres de son clergé participèrent à la guerre d’indépendance de 18771878487, et elle contribua à la lutte contre la magyarisation sous le dualisme austro-hongrois instauré en 1867488 ainsi qu’à la guerre de 1914-1918 qui permit l’union de la Transylvanie avec la Roumanie, confirmée au traité de Trianon en 1919489. 486 Q V a S IL E S C U , O rto d o x ia , « Contributia clerului ortodox la infàptuirea unirii principatelor », dans XXXI, 1979, pp. 7-11. 487 I £) SUCIU, « Biserica ortodoxa românà din Banat si razboiul de independenta », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, XXVII, 1977, pp. 272-281 ; M. CHIALDA, « Contributia Bisericii ortodoxe Române la cucerirea independentei de Stat a României 1877-1878 », dans S tu d ii T e o lo g ic e , XXIX, 1977, pp. 387-406. 488 On verra particulièrement le livre de Mircea P a C U R A R T U , P o litic a s ta tu lu i u n g a r fa td d e B is e ric a fo m â n e a s c a d in T ra n s ilv a n ia în p e rio a d a d u a lis m u lu i. 1 8 6 7 -1 9 1 8 , 234 Ed. I.B.M.B.O.R., Tous ces événements menèrent au jour du 1 décembre 1918, fête nationale depuis 1989, symbole de l’union de tous les Roumains, qui remplace le jour du 23 août 1944, célébré sous le communisme. A ces événements déterminants pour l’émancipation roumaine de la domination hongroise, turque et msse, contribua le clergé de l’Eglise orthodoxe roumaine « qui s’impliqua dans les luttes nationales Ce fut le cas à l’assemblée nationale d’Alba Iulia qui décida l’unification « à jamais » de la Transylvanie, « rêve séculaire de nos aïeux », « réalisé par la volonté du peuple entier »^^^. L’unité nationale de l’Etat est « la cause sacrée pour laquelle le peuple roumain a lutté incessamment, avec une foi inébranlable et profonde dans la légitimité et la justesse de ses aspirations, et qui s’est concrétisée dans ce mémorable 1er décembre Sibiu, 1986. On notera les listes de prêtres emprisonnés, morts ou « déportés » par le pouvoir hongrois à cette époque, pp. 260-282. 489 I TOACA, « Aportul slujitorilor Bisericii Ortodoxe Române la lupta contra regimului de occupatia pentru eliberarea pamintului strabun 1916-1918 », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , XCVI, 1978, pp. 1284-1290. 490 « Cu prilejul sarbâtoririi semicentenarului unirii Transilvaniei eu România. Contributia Bisericii ortodoxe române la unitatea popomlui român », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XX, 1968, 9-10, pp. 623-635 ; 1. lONESCU, « Actiuni ale Bisericii ortodoxe române din Transylvania pentru consolidarea actului Marii Uniri de la 1 decembrie 1918 », dans G la s u l B is e ric ii, XLIII, 5-6, pp. 387-401 ; Z.G. lOVA, « Episcopul loan Metianu al Aradului, precursor al Marii Unirii », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, XXXVI, 1986, 6, pp. 95-99 ; I.V. LEB, « Biserica ortodoxa româna din Transylvania si înfiintarea Patriarhiei române », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , CIII, 1985, 9-12, pp. 856-967 ; G. LITIU, « Contributia clerului Aradean la lupta pentru libertatea si unitatea nationala a poporului român », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, XXVIII, 1978, pp. 619-626 ; G. N a G H I, « Preotii din Banat în evenimentele anilor 1914-1918 », dans M itro p o lia B a n a tu lu i, t. XXVII, 1978, pp. 602-612 ; Mircea P a C U R A R IU , « Contributia Bisericii la realizarea actului unirii de la 1 decembrie 1918 », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , CXVI, 11-12, 1978, pp. 1250-1263 ; M. SESAN, « Unificarea bisericeasca din 1918 intru asrijinira unitatii Statului român », dans M itro p o lia A rd e a lu i, XIII, 1968, pp. 830-843 ; Nestor VORNICESCU, « Editorial ; Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie à la Roumanie », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XVEUe an., 1988, 6, pp. 5- 9. 491 NiCOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 99. 235 1918 « L’Eglise orthodoxe (...) a contribué en même temps avec sa haute autorité, à la protection de l’être national et à l’accomplissement de l’unité nationale, au parachèvement de celle-ci, comme ce fut le cas dans l’année de grâce 1918 L’Eglise orthodoxe est particulièrement muette quant à son rôle dans l’entre-deuxgueiTes. Cette période est d’ailleurs, dans l’ensemble de la littérature communiste, restée peu étudiée. L’évocation du rôle de l’Eglise orthodoxe dans les années trente, à l’époque de la montée du fascisme en Roumanie, est évitée, tant il s’agit d’une question qui aurait suscité des polémiques inconcevables à l’époque communiste^^^. La période communiste représente dans cette continuité le parachèvement de l’unité de l’Etat et de l’unité nationale. Par l’acte « révolutionnaire » du 23 août 1944, fêté par l’Eglise orthodoxe, comme d’ailleurs par les autres cultes'^^^, le peuple roumain a confirmé sa « volonté bimillénaire » et sa « conscience » de l’unité du peuple. « Dans les nouvelles conditions de vie de notre patrie socialiste, notre peuple, en tête avec ses sages dirigeants, a parachevé ce que nos précurseurs ont commencé, en travaillant sans fatigue pour son bonheur, pour forger un avenir lumineux à la patrie, pour la réalisation des grandioses aspirations de noü'e époque, de paix, équité et fraternité entre tous les peuples 492 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie à la Roumanie », o p . c it., p. 5. 493 p. 7. 494 On verra le chapitre relatif à l’ethnicité de l’Eglise. 495 « Editorial, le 23 août 1944-Grande fête nationale du peuple roumain », dans N o u v e lle s de l ’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XVIUe an., 4, 1988, pp. 3-7 ; « Editorial : Le 45e anniversaire de la fête nationale de la Roumanie », Ib id ., XIXe an., 1989, 4, pp. 3-7 ; REDACTIA, « 23 august 1944-23 august 1964. A dou^cea aniversare a eliberarii Romîniei », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XVI, 1964, 7-8, pp. 403-407 ; « Via^ Bisericii Ortodoxe Romîne în cei zece ani de la eliberarea Patrie! noastre », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n a , 1954, pp. 806-872. 496 NiCOLAE, Mitropolitul Ardealului, « Continuitate si unitate », o p . c it., p. 99. 236 Sous le régime communiste, la thèse de la continuité fut abondamment développée dans le but essentiellement de se démarquer du bloc de l’Est, du moins en apparence, et également de se rapprocher de l’Occident^^? Lg thème de l’Eglise orthodoxe. Eglise « latine » par opposition aux Eglises slaves qui se formeront ultérieurement dans les Balkans et en Europe orientale, fut développé dans le cadre du slogan déjà cité, rendu célèbre par Ceausescu, et repercuté par les orthodoxes, d’une Roumanie « île latine dans un océan slave »498 L’ancienneté de l’orthodoxie roumaine en Transylvanie doit légitimer l’appartenance de cette région à la Roumanie, justifiant ainsi les frontières actuelles de l’Etat roumain qui recouvrent celles de l’Etat daco-romain du bas-empire. Ainsi, l’unité de la foi orthodoxe doit correspondre à l’unité du peuple roumain et à l’unité « statale » du pays'*^^. L’orthodoxie roumaine participa pleinement à ce qu’on appelle « l’autochtonisme » roumain et est conçue comme le vecteur de l’identité et des aspirations « nationales ». La croyance des « ancêtres » est inextricablement liée à la latinité et la roumanité, comme le soulignent encore particulièrement les livres récents de E. Norocel, P a g in i d in is to ria v e c h e a c re s tin is m u lu i la R o m â n i. M a rtu rii a le c o n tin u itâ tii p o p o ru lu i n o s tru ^ ^^ , de A. Plamadeala, 497 Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie d e C e a u s e s c u , o p . c it., pp. 139-154 ; Trond GILBERG, « Religion and Nationalism in Romania », dans R e lig io n a n d N a tio n a lis m in S o v ie t a n d E a s t E u ro p e a n P o litic s , édit P. RAMET, Durham, 1984, pp. 170- 186. 498 Qj, verra notamment l’interview donné par Ilie G e o RGESCU, « A Latin island in a Slavic sea », dans C h u rc h w ith in s o c ia lis m : C h u rch a n d S ta te in e a s t e u ro p e a n s o c ia lis t re p u b lic s , Ed. Erich Weingartner (Giovanni Ba r b e r i n i ), Rome, 1976, pp. 108-114. 499 Qn verra particulièrement le livre récent de Constantin VOICU, B is e ric a s tra m o s e a s c a . o p . c it. ; JUSTINIAN, « ...Pentru unitatea spirituala si statala, pentru libertatea si fericirea poporului nostru », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u s j o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp. 136-137 ; ID., « ...Unitatea bisericeasca ne va ajuta sa facem mai strînsà si indestructibila unitatea noastra nationalà... », Ib id ., pp. 107-111 ; ID., « Am reînnoit legàmîntul sacru de a apàra eu statomicie unitatea noastra bisericeasca si nationalà... », Ib id ., p. 116. 500 Epifanie NOROCEL, P a g in i d in is to ria v e c h e a c re s tin is m u lu i la R o m â n i. M a rtu rii a le c o n tin u itâ tii p o p o ru lu i n o s tru , Ed. Episcopiei Buzàului, 1986. 237 R o m a n ita te , c o n tin u ita te , U n ita te ^ ^ ^ et de N. Vomicescu, D e s a v îrs ire a u n ita tii n o a s tre n a tio n a le , fu n d a m e n t a l u n ita tii B is e ric ii s trâ b u n e ^ ^ ^ . Ces ouvrages constituent des exemples parmi les plus révélateurs de l’utilisation de la thèse de la continuité daco-romaine par l’Eglise orthodoxe afin de montrer la parfaite corrélation « entre les aspirations de l’Eglise et celles du peuple tout entier ». L’historiographie orthodoxe montre ainsi que le nouveau régime instauré en 1948 constitue l’aboutissement de cette évolution. L’indépendance, la souveraineté et l’unité de l’Etat roumain sont confimiées depuis la seconde guerre mondiale et doivent être comprises dans la perspective historique roumaine. A l’unité du royaume dace correspond l’unité nationale roumaine contemporaine. Cette thèse fut largement exploitée dans la réponse roumaine à l’histoire de la Transylvanie de Budapest, considérée par N. Ceausescu comme une édition révisionniste, révélatrice de la tradition irrédentiste hongroise^®^ Comme l’a dit Hérodote il y a 2500 ans, citation soulignée par les auteurs orthodoxes, « les Daces qui habitaient sur le territoire de l’actuelle Transylvanie, Moldavie et Valachie étaient les plus justes et les plus braves des Thraces »^^^. Les affirmations qui nient ces vérités sont en réalité « les thèses horthystes, fascistes, chauvines et révisionnistes »^^5 jj ggt intéressant de constater la violence de la Antonie PLAMADEALA,/?o/naoita/e..., o p . c it. 502 Nestor VORNICESCU, u n ita tii n o a s tra n a tio n a le ..,,o p . c it.. également les très nombreux articles de Dumitru S t  N IL O A E , ; On verra « Rolul Ortodoxiei în formarea si pâstrarea fîintei poporului român si a unitatii nationale », dans O rto d o x ia , XXX, 1978, 4, p. 599. Cfr pour après 1989 : N. CORNEANU, S tu d ii, n o te ri c o m e n ta rii te o lo g ic e , o p . c it., chap. 4, O rto d o x ie s i n a tiu n e , pp. 81-83, \ \,In s lu jb a u n ita tii s p iritu a le a n e a m u lu i ro m â n e s c , pp. 98-102. 503 Antonie PLÀMÀDEALÀ, « Editorial. Transylvanie ; Vérités du passé, vérités d’aujourd’hui », o p . c it., p. 7. 504 505 p. 8. 238 polémique entre les deux pays « frères », la Roumanie et la Hongrie, dans les années 1986 et suivantes, confrontation qui se concrétisa après 1989 par le contentieux roumano-hongrois^^^ Ainsi, l’Eglise orthodoxe est l’Eglise du peuple roumain par son rôle actif tout au long de l’histoire depuis l’antiquité. Comme l’affirme A. Plamâdeala « notre Eglise (orthodoxe) a toujours été, et dans le cadre de l’Etat roumain actuel elle continue de l’être, une Eglise nationale roumaine dans laquelle l’origine latine du peuple et le christianisme orthodoxe forment un tout << Depuis deux millénaires, dans les frontières historiques originelles, a été exprimé le sentiment national par la foi reçue au baptême. La foi s’est identifiée à notre conscience nationale »^^^. Comme l’affirme le patriarche Justinian à propos de l’identification de l’Eglise Orthodoxe Roumaine avec le peuple roumain {id e n tific a re a B is e ric ii O rto d o x e R o m â n e e u n e a m u l ro m â n e s c ) : « Depuis leurs fondations, les métropolies orthodoxes roumaines ont soutenu les pays roumains dans le cadre de leurs circonscriptions, pour le développement culturel, économique et patriotique, contribuant à l’existence physique et spirituelle du peuple roumain. L’Orthodoxie a contribué à la formation et au maintien de la conscience de l’unité du peuple (de n e a m a p o p o ru lu i), même lorsqu’il se trouvait sous domination étrangère. Elle a contribué à l’unité de la langue et a prêché en pratique pour l’unité de croyance du peuple roumain »509 L’expression u n itd tii d e n e a m a p o p o ru lu i est intéressante puisque l’auteur combine les deux mots synonymes, mais qui sont porteurs d’une nuance : l’un est ethnique, l’autre général, c’està-dire le « peuple » sans précision de « nationalité ». 506 On verra surtout l’article de S. P a S C U , M. MUSAT et F. CONSTANTINU, « La falsification consciente de l’histoire sous l’égide de l’Académie hongroise des sciences », o p . c it. 507 ANTONIE, Métropolite de Transylvanie, « Documentaire ; Eglise et Etat en Roumanie », o p . c it., p. 21. 508 ji)id . 509 Ju s t in ia n , A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u ri p e n tru c le r, o p . c it., X, 1971, p. 23. 239 En fait, le problème de la notion de peuple est le problème fondamental de la littérature orthodoxe sous Ceausescu^lO. L’utilisation du mot n e a m pour dénommer le peuple roumain, n e a m u l ro in â n e s c , a une connotation ethnique et est fondamentalement différent du mot p o p o r, c’est-à-dire « peuple », à comprendre dans le cadre de la patrie socialiste roumaine. La distinction entre les mots p o p o r et n e a m est fondamentale puisque le peuple roumain, dans son acception des années quatre-vingt surtout, réduit la notion de roumanité à sa dimension ethnique, excluant les « nationalités » cohabitantes. Le mot n e a m , intraduisible en français, évoque, comme le dit C. Durandin, « la race liée à la ten'e, au sol national et à la fois, la spiritualité et la culture du peuple roumain. La culture et la spiritualité sont l’expression de ce que le philosophe Constantin Noica appelle “ s e n tim e n tu l ro m â n e s c a l fiin te i ” (sentiment roumain de l’être) »5H. En fait l’Eglise orthodoxe, surtout dans les années quatre-vingt, a relayé ce que l’on appelle le « noicisme » (C. Noica, 1909-1987), l’idéologie nationaliste des dernières années du régime communiste^ Ce « noicisme » dans le discours orthodoxe démontre le caractère fondamentalement nationaliste, empreint des idées du roumanisme des années trente, dans la conception orthodoxe sous le communisme. L’expression u n ità tii d e n e a m a p o p o ru lu i démontre non seulement que les deux termes ne sont pas équivalents, mais surtout que l’unité du peuple roumain est une unité ethnique, indépendamment de tous les principes des années cinquante sur la notion de patrie. De même, le terme n a tiu n e peut être compris comme la patrie au sens large, mais également comme la nation en tant que peuple (n e a m ). La nation roumaine dans la perspective de la continuité daco-romaine est la nation dans le sens de l’ethnicité du peuple roumain^^^. Cfr. pour ce problème le point suivant consacré à l’ethnicité de l’Eglise. 5 H Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie d e C e a u se s c u , o p . c it., p. 149. On verra particulièrement le chapitre sur ce sujet dans Katherine VERDERY, N a tio n a l Id e o lo g y . Id e n tity a n d C u ltu ra l P o litic s in C e a u s e s c u ’s, o p . c it., pp. 256-293. 513 Cfr. particulièrement le livre de Eftimie LUCA, în s lu jb a B is e ric ii sJ N e a m u lu i, Ed. Episcopiei Romanului si Husilor, Roman, 1989. 240 En d’autres termes, on constate un glissement sémantique à la fin des années soixante-dix et surtout quatre-vingt, du terme p o p o r au terme n e a m . De la notion de peuple roumain en tant que citoyenneté roumaine englobant toutes les nationalités, on invoque une notion qui réduit l’acception du terme p o p o r, toujours utilisé d’ailleurs, au sens de n e a m , c’est-à-dire ethnique. De cette manière la nation roumaine {n a tiu n e a ro m â n a ) ne comprend pas les nations cohabitantes (n a tio n a lita tü ), c’est-à-dire principalement les minorités de Transylvanie. On comprend toute l’importance de ces problèmes pour la question des minorités hongroises notamment^i^. Avec la filiation ethnique daco-roumaine, la notion de peuple est inévitablement porteuse de la notion d’ethnicité du peuple roumain. Après 1989, la citation de Nestor Vomicescu est révélatrice de la conception orthodoxe de la participation à l’histoire roumaine. « L’Eglise a toujours collaboré à tous les grands actes nationaux, parfois même les initiant ou les dirigeant dii'ectement, en consacrant cela comme son premier et son plus sacré devoir terrestre, assumant des risques et allant jusqu’au sacrifice, toujours avec la noble devise : « La foi en Dieu et le devoir envers la Patrie cfr. la bibliographie en introduction. 515 Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine », op. c it., p. 8. 241 III. Quelques remarques sur l’ambiguïté entre la latinité de l’Eglise orthodoxe et son caractère slavisant : entre latinité « pravoslavnicisme » (o B is e ric a o rto d o x a ou p ra v o s la v n ic a ) S’il y a bien un aspect qui frappe le lecteur d’une telle littérature, c’est, outre l’ambiguïté récurrente entre nation et peuple, l’ambiguité entre latinisme et « slavisme ». Alors que l’Eglise orthodoxe est une Eglise latine, de langue latine et de christianisation latine, « au côté » (a lâ tu ri) d’un peuple latin, elle utilise un champ lexical slavisant, et a coutume de se dénommer « pravoslavnica », c’est-à-dire « orthodoxe » selon la terminologie d’origine slavonne. Alors que l’Eglise orthodoxe prouve sa latinité par un vocabulaire de base latin, elle est imprégnée du vocabulaire slavon hérité de l’évangélisation slavo-bulgare qu’elle tente de gommer de son histoire. C’est également le cas de la littérature officielle de l’Etat qui occulte la période slavobulgaie. Cette ambiguïté est révélatrice du « double » langage politique de l’Eglise, mais aussi de la situation géographique et politique de la Roumanie. Alors que le pays tenta de se présenter comme une originalité au sein du bloc de l’Est en réutilisant la thèse de la continuité dacoromaine née au XVUIe siècle, il reste ancré dans des traditions « médiévales » slavisantes. Les mots d’origine latine dans le vocabulaire ecclésiastique sont, d’après les auteurs, extrêmement n o m bre u x^lô On citera principalement ; în g e r : ange (a n g é lu s ), a lta r : autel 516 On verra principalement à ce sujet : Mircea PÀCURARIU, Is to ria B is e ric ii O rto d o x e R o in â n e , Ed. Stiinta, Chisinau, 1993, pp. 23-28, et pp. 68-69. 242 et (a lta riu m ), a b o te zja : baptiser (b a p tiza re ), b is e ric a : église (b a s ilic a ), cer : ciel (c a e lu m ), c im itir : cimetière (c o e m e te riu m ), c re s tin : chrétien (c h ris tia n u s ), c u m in e c a re : communier (c o m m u n ic a re ), a c u n u n a : (c re d e re ), c ru c e : croix (c ru x ), D u m n e z e u : Dieu (D o m in u s -D e u s ), s d rb d to a re : fête {d ie s s e rv a to ris ), m o rm în t : (p a re n s ), p d g în : s fîn t : marier {c o ro n a re ), c re a tie : création (c re a tio ), a c re d e : croire tombeau {m o n u m e n tu m ), p d m în t : terre (p a v im e n tu m ), p â rin te : parent païen (p a g a n u s ), p a c a t : péché ip e c c a tu m ), ru g d c iu n e : prière (ro g a tio n e m ), saint (s a n c tu s )^ ^ '^, d u m in ic d : dimanche {d o m in ic a ), P a s te : Pâques (P a s c a ), F lo riile : les Rameaux (F lo m lia ), R u s a lii : Pentecôte (R o s a lia ), S fîn ta S c rip tu ra : Saintes Ecritures (S a n c ta S c rip tu ra ). On citera ici quelques exemples de la terminologie slave, roumanisée lors de la traduction des livres ecclésiastiques en roumain à partir du XVIIe siècle ; m u c e n ic : martyr {m u c e n ik u , m ic e n ic u ), s fîn t : m o a s fe : saint (s v ia ti), Maica Precista : la sainte Vierge (buL m a ic a , slav. p re a c is ta ), relique {m o s ti), D u h u l s fîn t : Esprit saint {d u h u s v îa tîî), d u h o v n ic : spirituel (d u h o v n ik i), d u h o v n ic ita te : sobor spiritualité, in ire a n : laie (m ire n in u ), s ta re t : prieur ( s ta re ti, s ta rd tf), : concile, assemblée {s d b o ru ), s o b o m ic ita te : catholicité, synodalité, conciliarité, vladica ; évêque {v la d ik a -s td p în ), c a d e ln îta : encensoir {k a d ilm ita ), d v e rd : rideau d’autel {à v 'm ), je rtfa : sacrifice (jra tv a ), n a d e jd e : espérance, (n a d e jd a ), o d a jd iî : vêtements sacerdotaux {o d e jd a ), p ra p u r : bannière (p ra p o ru ), p re s to l : autel (prestoli), m a slu : extrême-onction (m a s lo ), m o lîtv a : prière (molitva), p ro h o d : office des morts (p ro h o d u ), p o m a n d : aumône (p o m e n u ), p o s t : jeûne, carême (p o s tii), p ra v ild : loi, code (p ra v ilo ), p ra v o s la v n ic : orthodoxe, (p ra v o -s la v a ), s fe s ta n îe : aspersion (o s v ia s te n ie ), s la v d ; gloire (slava), s lu jb a : office {s lu jb à ), ta in d : mystère (ta in a ), u tre n îe : matines (u tre n ia ), v e c e m ie ; vêpres {v e c e m îa ), e tc. On citera aussi le noms de fête comme, B la g o v e s te n ie : Annonciation (roum; B u n a v e s tîre ), S tre te n ie : la Chandeleur {În tîm p in a re a D o m n u lu i), V o v id e n ie : présentation de la Vierge, entrée au Temple (In tra re a în B is e ric a ), P ro b o je n ie : Transfiguration {S c h im b a re a la fa td , slav. p re o b ra je n ije ), p ra z n ic : grande fête d’Eglise (p ra z d n ic u ) ainsi que les verbes 517 On notera que l’origine du mot s fîn t est attribuée aussi au mot slave s v ia ti, cfr. in fra . 243 suivants ; a b la g o s lo v i : bénir (b la g o s lo v iti), a m ilu i : prendre pitié (jn ilo v a tï), a is p iti : tenter (is p ita ti), a is p a s i : absoudre (s u p a s iti), a iz b a v i ; sauver (iz b a v iti), a s p o v e d i : confesser (is p o v e d a ti), a rd s tig n i ; crucifier (ra s te n g n a ti), a s fin ti : sanctifier (s v e n titi), et des termes du slave littéraire : c a z a n ie : homélie {k a z a n iie ), c e a s lo v : bréviaire (c e a s lo vu ), m o litv e ln ic : livre de prières {m o litv in ik u ), p re d o s lo v ie : préface (p re d is lo v ie ), p ro p o v e d a n ie : prêche, sermon (propovedaniie), s tih : verset (s tih u ), s tih o a v n d : chant d’Eglise (s tih o v în a ), tip ic : rituel (tip ic u ), e tc. Il est intéressant de noter que certains mots ont une version soit latine soit slave. C’est l’exemple typique de c a to lic ita te et s o b o rn icita te , s p iritu a lita te et d u h o v n ic ita te et o rth o d o x ia d’origine grecque équivalent du mot slavon (Biserica) p ra v o s la v n ic a . Il est clair que l’usage d’un mot ou d’un autre, d’origine latine ou slavonne n’est pas sans connotation. En effet, le cas de s o b o rn ic ita te est à ce point de vue un des exemples les plus importants, puisqu’il implique la notion de la catholicité dans le sens de la conciliarité des Eglises sœurs. Par cette nuance, l’Eglise orthodoxe montre la différence de conception entre l’Occident catholique et l’Orient orthodoxe, la catholicité catholique impliquant une conception « supranationale hégémonique », la sobomicité une conception conciliaire synodale^ De même, le terme de B is e ric a p ra v o s la v n ic a est utilisé dans la même perspective que le terme n e a m , nation au sens ethnique, mais aussi dans le sens de son poids historique traditionnel « médiéval » avec une connotation de « terroir ». L’Eglise p ra v o s la v n ic a , c’est l’Eglise orthodoxe avec toutes les connotations médiévales « byzantines » liées au peuple dans sa dimension ethnique. C’est pour cette raison que Stanciu Stoian en 1948 décalarait l’abandon du « ballast anachronique » par l’Eglise orthodoxe^Il n’est pas étonnant que la littérature des années cinquante ait supprimé ce qualificatif, et que celle des années Ceau^scu l’ait remis à l’honneur dans le cadre de la continuité daco-romaine, avec le paradoxe de la mise en valeur de l’Eglise « latine » qualifiée du terme slavon p ra v o s la v n ic a . Dans le même ordre d’idées, on a Cfr. la quatrième partie. 519 id. 244 déjà souligné l’usage récurrent de termes tels que s tra m o s e s c , s tra b u n , e tc ., soulignant l’aspect traditionnel ancestral de l’Eglise. L’utilisation de cette terminologie montre l’« authenticité » de l’Eglise dans sa tradition orthodoxe ancienne, à l’instar des autres Eglises orthodoxes, et participe à ce phénomène que nous appellerions une « dialectique » entre l’autochtonisme prôné par l’idéologie de l’Etat et le caractère latin original de l’orthodoxie roumaine. Cette dialectique permet de montrer l’originalité de la Roumanie par rapport aux pays avoisinants, slaves et hongrois d’une part, et d’autre part, son caractère orthodoxe fondamentalement original par rapport à l’Occident catholique. Par le double champ linguistique, latin / slavon, on mesure combien la Roumanie se retrouve partagée entre un aspect occidental latin et oriental gréco-slave. Alors que l’Eglise orthodoxe est orientale et influencée par sa culture slavonne, elle met en exergue son caractère latin afin de montrer son originalité fondamentale par rapport aux Eglises slaves, tout en montrant son caractère autochtone. Cette « originalité » est basée sur l’identité de l’Eghse et du « peuple ». Ce problème témoigne également du caractère idéologique dominant l’histoire roumaine. La latinité de la langue ecclésiastique est toujours signalée ; son caractère slavisant est, de manière générale, occulté à l’époque C eausescu^^O 520 cfj- l’introduction, et les réformes de l’orthographe. On verra par ex. R o m a n ia n O rth o d o x e C h u rc h . a n A lb u n i-M o n o g ra p h , Ed. The Bible and Orthodox Mission Institute Publishing House of the Romanian Orthodox Church, Bucharest, 1987, p. 7. 245 Chapitre II : L’EGLISE ORTHODOXE ET L’AUTOCEPHALIE : V e th n ic ité de V E g lis e , fu s io n e n tre o rth o d o x ie et n a tio n ro u m a in e I. Remarques sur le lien entre l’Eglise orthodoxe et l’ethnicité roumaine avant la seconde guerre mondiale La notion d’ethnicité s’inscrit dans l’ensemble de l’argumentation orthodoxe et de l’idéologie nationaliste orthodoxe. On peut affirmer que le terme de nation s’est considérablement restreint au point de se limiter à la notion de « nation roumaine » au sens historique du terme. C’est l’argumentation « ethnique » qui confirme cette évolution, ou, en d’autres termes, le « retour » à une conception de l’enü'e-deux-guerres. Il s’agit du point de liaison entre l’ancien et le nouveau régime roumain depuis 1989. Il concrétise ce que nous avons appelé le glissement sémantique qui s’est opéré progressivement 246 et qui est dans la lignée de l’idéologie de l’entre-deux-guerres, ce que l’on appelait le « roumanisme » (ro m â n is m u l). Une étude comparative complète avec l’idéologie de l’entredeux-guerres serait nécessaire. Nous en montrerons ici quelques éléments de base. En effet, il s’agit d’une reprise de la doctrine de la revue G â n d ire a {L a P e n s é e ), dont Nichefor Crainic et Dumitriu Staniloae étaient les principaux chefs de file dans l’Eglise orthodoxe. Une analyse idéologique approfondie de cet aspect dans la littérature des années trente serait indispensable pour montrer quels furent les thèmes repris et abandonnés sous le communisme^^i. En effet, N. Crainic, largement réédité aujourd’hui, concevait un Etat ethnique chrétien, alors que Ceauæscu « imposait une réécriture totalitaire d’une histoü'e de résistance et de lutte nationale »522. Il n’est pas étonnant que depuis 1989, on republie en fac-similé la revue G â n d ire a et les écrits des auteurs orthodoxes de cette époque. La théorie et le mouvement G â n d ire a inspirèrent 521 On verra surtout le livre de Dumitru STANILOAE : O rto d o x ie sJ ro m â n is m , Sibiu, 1939, et les écrits du même auteur : ID., « Biserica si Nationalismul », dans T e le g ra fu l R o m â n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c , in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g u n a , Sibiu, LXXXIV, 1936, nr. 28, p. 2; ID., « Biserica si unitatea poporului », Ib id ., LXXXIX, 1941, 11, p. 1 ; ID., « Crestinism si nationalism », Ib id ., LXXXVIII, 40, 1940, pp. 1-2 ; ID., « Latinitate si ortodoxie », Ib id ., LXXXVII, 1939, 4, p. 1 ; « Latinitate si ortodoxie », Ib id ., LXXXVII, 1939, 5, p. 1 ; ID., « Latinitate si ortodoxie (românismul) », Ib id ., LXXXVII, 4, 1939, p. 1 ; ID., « Latinitate si ortodoxie II (românismul) », Ib id ., an. LXXXVII, 5, 1939, p. 1 ; ID., « Nationalismul în cadrul spiritualitatii crestine », Ib id ., LXXXIV, 1936, 36, p. 1 ; ID., « Spatiul vital si spiritul românesc », Ib id , LXXXIX, 1941, 35, p. 1 ; ID., « Spre statul român crestin », Ib id ., LXXXIV, 1936, 18, pp. 1-2 ; ID., « Ortodoxie si Etnocratie », Ib id , an. LXXXVI, 24, 1938, p. 1 ; ID., « Naüonalismul si morala crestina », dans P ro b lè m e s j fa p te o rto d o x e , pp. 36-45 ; ID., « Naüonalismul sub aspect moral », dans G în d ire a , XVI, 9, 1937, pp. 417-425 ; ID., « Ortodoxie si latinitate », Ib id ., XVIII, 4, 1939, pp. 197-202 ; ID., « Ortodoxie si natiune », Ib id ., XIV, 2, 1935, pp. 76-84 ; ID., « Ortodoxie si Românism », dans S tu d ii T e o lo g ic e , VII, 1938-1939, pp. 422-426 ; ID., « Românism si ortodoxie », dans G â n d ire a , XV, 8, 1936, pp. 400-409. 522 Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie d e C e a u s e s c u , o p . d u , p. 151. 247 l’idéologie du fascisme roumain et de la Garde de Fer523. Ces faits entrent dans ce que nous avons appelé le révisionnisme actuel. Il est clair qu’à l’époque communiste, l’aspect « mystique » du roumanisme était ignoré. Cet aspect est aujourd’hui remis à l’honneur par le mouvement néo-légionnaire. G â n d ire a fut à la base de l’idéologie légionnaire des années trente et les auteurs qui ont écrit dans cette revue sont abondamment cités dans les revues néo-légionnaires depuis 1989. Il est intéressant de constater que la base de l’idéologie religieuse du fascisme roumain fut utilisée dans les dernières années de Ceausescu, et on comprend d’autant mieux la « recrudescence » de ce type de pensée. Une fois de plus, cela montre combien il y a « continuité » dans les idéologies et combien la place de l’Eglise orthodoxe roumaine est éclairante à ce sujet. Il faut rappeler que l’Eglise Orthodoxe Roumaine collabora avec le régime d’Antonescu et appuya la guerre sainte contre le bolchévisme, menée par l’axe Rome / Berlin, lors de la reconquête de la Bessarabie en 1941524 Les théologiens de G â n d ire a montraient le « lien fusionnel » entre orthodoxie et roumanité tout en légitimant le fascisme comme seule alternative nouvelle à la démocratie capitaliste bourgeoise laïque et au communisme athée, l’un représentant la classe dominante et l’autre la lutte contre cette classe dominante. Les écrits de Nichifor Crainic sont à ce sujet exemplaires lorsqu’ils justifient un régime « ethnocratique » roumain, s’inspirant de la politique de Mussolini et de la place du catholicisme en Italie^^S On citera aussi la citation de Nae 523 cfi* la conclusion. Cfr. les articles de certains prêtres orthodoxe comme Dumitru STÀNILOAE, dans les revues néo-légionnaires ; « Ofranda adusa lui Dumnezeu de poporul român », dans G a z e ta d e V e st, A lm a n a h 1 9 9 4 , le g iu n e a a rh a n g h e lu l M ih a i d e la tre c u t la p re z e n t, Ed. Gordian, 1994, p. 165. 524 « Biserica ortodoxa în noul regim », dans T e le g ra fu l ro m â n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c , in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d ré iu S a g u n a , Sibiu, LXXXVIII, 41, 1940, pp. 1-2. Cfr. aussi Dumitru STANILOAE, « A început lupta împotriva bolsevismului », Ib id ., LXXXIX, 1941, nr. 27, p. 2 ; ID., « Biserica împotriva comunismului », Ib id ., LXXXIV, 1936, 42, p. 1 ; ID., « Biserica luptatoare », Ib id ., XCI, 1943, 34- 35, p. 1. 525 Nichifor CRAINIC, O rto d o x ie s/ e tn o c ra tie . C u o a n e x â : P ro g ra m u l S ta tu lu i e th n o c ra tic , Ed. Cugetai'ea, pp. 256-271. On vena aussi : ID., « Omul eroic », dans G â n d ire a , XV, 6, 248 lonescu, devenue célèbre en Roumanie, révélatrice du roumanisme ; « Nous sommes orthodoxes, parce que nous sommes roumains, et nous sommes roumains, parce que nous sommes orthodoxes. Peut-on devenir catholique ? Si nous le devenons, il faudrait nous transformer alors spirituellement. Cette transformation signifierait donc : le renoncement à notre histoire et à notre structure spirituelle. En d’autre mots ; il n’existe pas trois solutions ; ou tu restes roumain, et alors ton catholicisme n’est pas une réalité ; ou tu deviens catholique, et alors tu n’es plus roumain »526 On sait également qu’il y avait un litige entre la mouvance G â n d ire a et un auteur tel que C. Radulescu-Motru, ce dernier faisant une distinction entre le roumanisme et la notion d’orthodoxie. Ce débat fut important et témoigne à tout le moins qu’il n’y avait pas unanimité sur la question parmi les auteurs, « philosophes » et théologiens^^^. Il convient cependant de constater que le principe de fusion entre orthodoxie et nation roumaine s’imposa sous le régime communiste chez les auteurs orthodoxes. Un théologien comme D. Stoiloae écrivit dans les vingt dernières années du régime et après 1989. D n’est pas étonnant de constater le « retour » de certains théologiens à des visions proches de celles de l’entre-deux-guerres, et que certains orthodoxes fassent actuellement preuve de sympathies pour le renouveau légionnaire. Des écrits dans la G a z e ta d e V e s t par exemple, revue de Timisoara, en témoignent^^S. 1936, pp. 265-271 ; ID., « Spiritualitate si românism », Ib id ., XV, 8, 1936, pp. 377-387. Cfr. aussi : D. NECULAES, L a tin ita te a B is e ric ii ro m â n e s ti, tip. « serafica », Sabâoani-Roman, 1940. ^26 auteur est certainement un des plus importants à ce sujet et constitue une des personnalités parmi les plus importantes entre-deux-guerres, notamment pour son influence sur la philosophie légionnaire. Nae lONESCU, în d re p ta r o rto d o x , coll. Lucratorul crestin, fratia ortodoxa, Wiesbaden, 1957. Cfr. aussi ID., P re le g e ri d e filo s o fia re lig ie i, Biblioteca Apostrof, Cluj, 1993 ; ID., R o z a v în tu rilo r, Ed. Roza vînturilor, Bucuresti, 1990. Cfr. notamment : Michel DION, E g lis e s , E ta t e t id e n tité n a tio n a le d a n s la R o u m a n ie m o d e rn e (n o tic e b ib lio g ra p h iq u e c o m m e n té e ), Cfr. la conclusion. 249 GSR / IRESCO / CNRS, 1992, pp. 75-78. IL L’ethnicité de l’Eglise : fondements doctrinaux La nuance entre les mots p o p o r et n e a m est fondamentale pour comprendre la légitimation de l’ethnicité de l’Eglise par les auteurs orthodoxes. C’est ce que nous avons appelé le glissement sémantique entre la notion de « peuple », conçue dans le sens de peuple « formé des citoyens travailleurs pour l’édificaton de la nouvelle société, indépendemment de toute nationalité », et le sens du mot n e a m , utilisé dans le sens de peuple historique descendant des Daces. En ce qui concerne l’ethnicité de l’Eglise, la littérature utilise exclusivement le terme neam . Etant donnée la thèse de la continuité, on mesure toute l’importance de ce point de l’argumentation. Le fondement de l’ethnicité de l’Eglise réside dans les paroles du Christ ; « allez enseigner à toutes les nations » {M e rg în d în v d ta ti to a te n e a m u rile ) (Mt., XVin, 19 ; Mc., XVI, 15-16). « Les peuples sont donc appelés à entrer dans la composition de l’Egüse, à adhérer à l’unité chrétienne comme peuple, avec leur identité distincte et spécifique »^^9 Lg problème 529 Antonie T e o lo g ice , Pl o ie s t e a n u l , « Zece teze despre catolicitate si etnicitate », dans S tu d ii ser. Il-lea, XXXI, 1979, 1-4, p. 305. ANTONIE (Mitropolitul Ardealului), « Catolicitate si etnicitate », dans O rto d o x ia ro m â n e a s c d , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1992, 250 vient de cette traduction « n e a m u rile » pour le terme latin « o m n e s g e n te s », en grec, « v d v T u Ta ’S v T j » chez Matthieu, « o m n i c re a tu ra e » ou « n d a r\ T ff k t (o €i » chez Marc. « Le Dieu vivant, qui a créé le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, a laissé, dans les générations passées, toutes les nations suivre leurs voies » {D u m n e z e u c e l v iu , c a re a fd c u t c e ru l s i p d m în tu l, m a re a s i to ute c e le ce s în t în tr-în s e le , a în g a d u it, d in tim p u rile tre c u te , c a to u te n e a m u rile s a m e a rg d p e c d ile lo r) (Ac., XIV, 15-16)530. « Cela signifie donc que les nations se sont maintenues dans leurs identités ethniques au sein de l’identité chrétienne » 5 3 i. Comme le dit Antonie Ploiesteanul, « l’identité ethnique est une réalité dans la vie des hommes, même s’il n’y a pas de concurrence entre les peuples. L’ethnicité est un don fondamental. L’Eglise orthodoxe est basée dès le début sur le principe de l’ethnicité »532. Pour appuyer cette thèse, les auteurs se fondent sur le canon apostolique 34 relatif à l’unité territoriale ecclésiastique organisée « d’après le caractère ethnique », l’ethnicité étant fondée essentiellement par la la n g u e 5 3 3 . « n se doit que les évêques de chaque peuple respectent le premier d’entre eux et respectent sa direction, et rien d’important ne peut se faire sans son accord ; et que chacun se réfère à l’évêché dont sa localité fait partie. Mais que celui-là (le premier des évêques) ne fasse rien d’important sans l’accord de tous... » {S e c u v in e c a e p is c o p ii fie c d ru i n ea m s a a ib a în cin ste p e c e l d in tii d in tre e i s i s a -l s o c o te a s c d d re p t c d p e te n ie s i n im ic m a i în s e m n a t s a n u fa c d fa ra în te le g e re e u a c e la ; s ifie c a re s à fa c d c e le c e se re fe ra la e p is c o p ia s a s i la lo c a lita tile d in c u p rin s u l e i. D a r n id a c e la s a n u fa e â n im ic m a i în s e m n a t fa rd în v o ire a tu tu ro r...). Pour exprimer le caractère ethnique de l’Eglise et de son organisation territoriale, les auteurs utilisent effectivement le \tn a t fie c a re n e a m P ^^. Comme le dit Antonie, pp. 20-34.On verra aussi Dumitru St a n il o AE, « Universalitatea si etnicitatea Bisericii în conceptia ortodoxà », dans O rto d o x ia , XXIX, 1977, 2, pp. 143-152. 530 Antonie PLOIESTEANUL, « Zece teze despre catolicitate si etnicitate », o p . c it., p. 305. 531 Ib id . 532 p. 306. 533 Cette opinion est toujours défendue en 1991 par loan N. FLOCA, C a n o a n e le B is e ric ii o rto d o x e . N o te s f c o m e n ta rii, s.l., 1991, p. 25. 534 Antonie PLOIESTEANUL, « Zece teze despre catolicitate si etnicitate », o p . c it., p. 307. 251 toute communauté se caractérise pai- la langue qui constitue le fondement d’une ethnie, et le cas de l’Amérique est l’exception qui confirme la règle. Aux Etats-Unis toutes les ethnies réunies se réclament cependant de leur identité ethnique originelle^En outre, le 34e canon apostolique contient, pour les orthodoxes, les trois principes fondamentaux pour l’organisation de l’Eglise, les principes d’ethnicité, d’autocéphalie et de synodalité. Le principe ethnique découle du fait que les évêques sont organisés par peuples (n e a m u ri), celui de l’autocéphalie du fait que chaque peuple est dirigé de manière indépendante par une hiérarchie propre. Le principe de la synodalité implique que toutes les décisions de principe pour l’unité de l’Eglise doivent être prises avec le consentement de tous les évêques (în v o ire a tu tu ro r), sous la présidence du premier d’entre eux {c e lu i d in tîi). La synodalité, ou « catholicité » orthodoxe, ne s’oppose nullement à cette ethnicité, mais doit être comprise dans la conception de la sobornicité. « Les autres motifs sont extra­ ecclésiaux »536 C’est dire que la vision catholique de l’universalisme centraliste, ignore, pour les auteurs, ce canon et, par conséquent, néglige le principe de l’ethnicité. Et comme le soulignent les auteurs, l’abandon du latin après Vatican II par l’Eglise catholique fut la conséquence d’un respect de l’identité lo ca le ^3 7 ggt vrai qu’en Roumanie le roumain a progressivement remplacé le slavon, notamment sous l’influence du calvinisme à partir du XVUe siècle. Le problème fondamental de cette ethnicité de l’Eglise invoquée par les auteurs repose à nouveau sur la conception de la nation et surtout sur l’application de la terminologie contemporaine de l’ethnicité aux écrits testamentaires. En réalité, montre le Métropolite Maxime de Sardes dans son ouvrage. L e p a tria rc a t o e c u m é n iq u e d a n s l ’E g lis e o rth o d o x e . E tu d e h is to riq u e e t c a n o n iq u e , « il est évident que les Eglises des nations dont parle le bienheureux Paul (Rm., XVI, 4), et qui étaient composées de païens, lesquels n’avaient ni la même race ni la même langue, étaient appelées ainsi non pas pour déterminer à quelle nation appartenait chacune 535 536 jjjid . p. 309-311. 537 252 d’elles, mais pour les distinguer des fidèles venus du judaïsme. (...) Il n’y a donc là aucune allusion à la race ou à l’ethnie, mais les expressions “ Eglise de Thessalonique ”, “ Eglise de Laodicée ” désignaient les fidèles habitant ces différentes villes, sans distinction de race et indépendamment de leur origine ethnique »538. Le în v a ta ti to u te n e a m u rile (Mt. XXVni, 19) qui démontre le caractère ethnique de l’Eglise orthodoxe est révélateur de rutilisation moderne, jacobine, du terme « nation » dans son acception du XIXe siècle pour les écrits néotestamentaires. Dans la littérature, un amalgame est ainsi créé entre les sens de « nation » du Nouveau Testament, de « nation » en tant qu’« Etat » à la diète transylvaine au XVille siècle, « nation roumaine » dans le sens d’« ordre » d’ancien régime, au côté des trois nations, magyare, saxonne et sicule à la Diète, et le sens de nation en tant qu’Etat unitaire centralisé comme se sont constitués les Etats au XIXe siècle^^^. Le Grand Concile de Constantinople de 1872 a condamné cette déviation nationaliste des Eglises orthodoxes des Balkans au XIXe siècle, c’est-à-dire le phylétisme. Ce caractère nationaliste était principalement dû au contexte des luttes nationales contre la domination turque dans les Balkans au XIXe siècle. Il est intéressant de noter que les auteurs orthodoxes refusent d’utiliser la notion de phylétisme pour la doctrine orthodoxe contemporaine. Comme l’affirme A. Ploiesteanul, le Concile « local » de Constantinople n’a pas condamné le caractère national de l’Eglise, mais bien le chauvinisme et le nationalisme racistes^^®. C’est la raison pour laquelle le principe de l’ethnicité ne s’oppose nullement à la catholicité, c’est-à-dire la « sobomicité ». L’unité de l’Eglise doit se comprendre dans l’union synodale des Eglises Le Métropolite MAXIME DE SARDES, L e p a tria rc a t o e c u m é n iq u e d a n s l’E g lis e o rth o d o x e , E tu d e h is to riq u e e t c a n o n iq u e (théologie historique n°32), Ed. Beauchesne, Paris, 1975, p. 379. cfr aussi pp. 377-387. 539 On verra pour l’évolution des concepts « nation » et « Etat » lors du mouvement d’émancipation des Roumains de Transylvanie aux XVnie et XIXe siècles: R.R. FLORESCU, « The uniate Church: Catalyst of rumanian national consciousness », dans T h e S la v o n ie a n d E a s t E u ro p e a n R e v ie w , t. 45, 1967, pp. 324-343. 540 Antonie PLOIESTEANUL, « Zece teze despre catolicitate si etnicitate », o p . c it., p. 313. 253 locales nationales^'^^. C’est le fondement de l’universalisme « poly-national » de rOrthodoxie^'^^ Il faut noter que L. Stan refuse l’interprétation selon laquelle le mot èôvoç ne signifierait pas la notion d’ethnie dans le sens de n e a m , mais des « populations » non juives. Il s’agit pour L. Stan d’un « alibi contre la reconnaissance du principe ethnique comme base de l’organisation des Eglises autocéphales La conception orthodoxe de la nation s’inspire donc directement du concept de l’ethnicité. Cependant, le discours concernant la nation s’articule toujours sur la question de l’universalité. L’ethnicité n’est pas en contradiction avec la catholicité, mais complémentaire, et l’ethnicité est opposée au nationalisme. Le nationalisme est considéré comme la particularité de l’Occident catholique surtout à l’époque stalinienne. « Mais l’orthodoxie est le conservatoire de la spécificité nationale. Il y a symbiose entre œcuménicité et ethnicité, comme un reflet de l’harmonie divine entre la nature et la grâce, entre l’œuvre de la création et l’économie du salut. L’Eglise nationale est en conséquence le lieu saint dans lequel parle le Seigneur. Ainsi 1’“ Eglise ancestrale ” {B is e ric a s tra m o se a s c a ) est le lieu de la continuation de la parole du Christ. Il y a donc symbiose permanente entre l’Eglise et la nation, entre la vie de l’Eglise et le destin de l’ethnie qui lui est propre 541 J b id . 542 Dumitru St a n il OAE, « Universalitatea si etnicitatea Bisericii în conceptia ortodoxa », dans O rto d o x ia , an. XXIX, 1977, 2, p. 147. 543 Liviu St an , « Autocefalia si autonomia în ortodoxie », dans M itro p o lia O lte n ie i, XIII, 1961, 5-6, p.286. 544 Nicolae CORNEANU, S tu d ii, n o te s j c o m e n ta rii te o lo g ic e ..., o p . c it., chap. 4, O rto d o x ie s i n a tiu n e , p. 83. 254 ni. Ethnicité, autocéphalie et patriarcat Les questions de l’autonomie^'^^ ecclésiastique, de l’autocéphalie^^® et de la patriarchie^^^ s’inscrivent dans la perspective de la thèse de la continuité daco-romaine. Si 545 On verra surtout : Liviu ST AN, « Despre autonomia bisericeasca », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, X, 1958, 5-6, pp. 376-393 ; ID., « Autocefalia si autonomia în ortodoxie », dans M itro p o lia O lte n ie i, 546 Mircea Pa c XIII, 1961, 5-6, pp. 278-316. u r a r iu , « 100 de ani de la reconoasterea autocefaliei Bisericii ortodoxe române. Cîteva consideratii privind vechimea “ autocefaliei ” Bisericii ortodoxe române », dans M itro p o lia A rd e a lu lu i, XXX, 1985, 5-6, pp. 275-287 ; ID., « L’Eglise roumaine autocéphale (1864-1925) », dans R o u m a n ie . P a g e s d ’H is to ire , t. 10, 1985, 2, pp. 102-105 ; « Pastorale. A l’anniversaire du centenaire de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe roumaine », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 2, pp. 19-24 ; C. PIRVU, « Autocefalia Bisericii Ortodoxe Romîne », o p . c it., pp. 511-529 ; Nestor VORNICESCU, « La împlinirea a 100 de ani de la recunoasterea autocefaliei Bisericii ortodoxe române », dans M itro p o lia O lte n ie i, XXXVII, 1985, 5-6, pp. 324-333. 547 « 50 années de patriarcat », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 34, pp. 42-56 ; On verra le volume de commémoration : « Le cinquantenaire du patriarcat roumain 1925-1975. Le 90e anniversaire de la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Eglise orthodoxe roumaine (1885-1975) », àdsis R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , n°4 (département des relations ecclésiastiques extérieures du patriarcat orthodoxe roumain), Bucarest, 1975 ; Mircea PACURARIU, « Autocéphalie et patriarcat roumain », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rch 255 l’autonomie recouvre en général le sens d’« autonomie » vis-à-vis de l’Etat, elle est aussi considérée comme un stade préfigurant l’autocéphalie^'^^. La littérature orthodoxe établit un parallélisme entre l’histoire de la conquête de l’indépendance de l’Etat, et celle de l’Eglise. De la même manière que l’Etat roumain est devenu indépendant de la Porte ottomane, l’Eglise est devenue en 1885 indépendante de Constantinople. L’autocéphalie fut acquise par le T o m u s patriarcal œcuménique de Constantinople en 1885, mais avait déjà été proclamée unilatéralement en 1866. L’Eglise a fêté abondamment les 100 ans de l’autocéphalie en 1985, en même temps que les 60 ans de la proclamation du patriarcat de 1925. Le principe de l’autocéphalie est mis en exergue par l’Eglise sous le communisme de Ceausescu pour montrer son indépendance et sa souveraineté. Déjà au XIXe siècle, l’autocéphalie était conçue comme l’aboutissement ecclésiastique de la lutte pour l’indépendance nationale. La connexion entre souveraineté nationale et indépendance religeuse était déjà démontrée au XDCe siècle. C’est à partir de ce moment que fut consacrée la symbiose entre Eglise orthodoxe et nation roumaine dans l’Etat nouvellement formé après 1859. L’autocéphalie a consacré le caractère national de l’Eglise et a assujetti l’Eglise à l’Etat à la fin du XKe siècle. L’Etat créé en 1859 était un Etat « roumain ». L’article 7 de la Constitution de 1866 stipulait que tout étranger qui voulait acquérir la nationalité roumaine devait être chrétien^'*^. Si cet article empêchait les Juifs d’acquérir la nationalité roumaine, il est également révélateur du caractère confessionnel chrétien de l’Etat roumain à cette époque. L’orthodoxie était la religion nationale dominante du nouvel Etat d’après la Constitution de 1866. L’Eglise orthodoxe devint ainsi indépendante de Constantinople et s’est identifiée à l’Etat. A l’Etat roumain correspondait l’Eglise roumaine. Ce fut l’époque de la sécularisation des biens du clergé par A. I. Cuza, sécularisation qui permit à N ew s, XVe an., 1985, 2, pp. 25-29 ; N. SERBANESCU, MARES L, I.V. LEB, « 60 de ani de la înflin^ea Patriarhiei Române, 1925-1985 », o p . c it., pp. 835-852. 548 Liviu STAN, « Despre autonomia bisericeasca », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, X, 1958, 5-6, pp. 376-393 549 Carol lANCU, L ’é m a n c ip a tio n d e s J u ifs d e R o u m a n ie ( 1 9 1 3 -1 9 1 9 ) (Centre de Recherches et d’Etudes Juives et Hébraïques), coll. « Sem - Etudes juives et hébraïques », Montpellier, 1992. 256 l’Etat de récupérer l’ensemble des terres qui appartenaient aux monastères grecs du Mont Athos dans les principautés. L’orthodoxie devint à ce moment la religion d’Etat de la Roumanie et fut identifiée à la nation roumaine, sur le plan « ethnique ». Montrer en exergue cette autocéphalie sous le communisme^^^, c’est montrer l’indépendance de l’Eglise orthodoxe roumaine vis-à-vis non seulement du patriarcat de Constantinople, mais également vis-à-vis du patriarcat de Moscou. L’autocéphalie est évoquée parallèlement à l’indépendance et la souveraineté de l’Etat. Les auteurs montrent ainsi l’osmose entre souveraineté, indépendance et Etat unitaire d’une part et autonomie, autocéphalie, et patriarcat de l’Eglise « roumaine » de l’autre. On peut affirmer que sous Ceausescu « isolationnisme » et autocéphalie vont de pair, dans la lignée du dacisme. Lorsque la Transylvanie fut annexée par l’acte d’union du 1 décembre 1918, le primat de Valachie et Moldavie fut, contrairement à la norme canonique, non pas le métropolite de 550 /{c te p riv ito a re la a u to c e fa lia B is e ric e i o rto d o x e a R o m â n ie i, 1 8 8 5 , Tipografia C^tilor Bisericesca ; « Acte privitore la autocefalia Bisericei ortodocse a României ; Documente, acte priviore la autocefalia, etc... », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , IX, 1885, pp. 333-354, pp. 553-557, pp. 921-933 ; « Aniversarea centenarului autocefaliei Bisericii Ortodoxe Române în cadrul comisei române de istorie ecclesiastica comparata », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , 1985, pp. 384-388 ; B is e ric a O rto d o x a R o m â n d . C e n te n a ru l A u to c e fa lie i B is e ric ii O rto d o x e Rom âne, Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1987 ; « Centenaire de T autocéphalie. Les festivités de Bucarest et télégramme à Monsieur Nicolae Ceausescu de lustin », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 2, pp. 30-46 ; N. DURA, « Patriarhia ecumenica si autocefalia Bisericii noastre de-a lungul secolelor », sans S tu d ii T e o lo g ic e , XXXVIII, ser. IIlea, 1986, 3, pp. 52-81 ; I.N. FLOCA, « Faze si etape ale stârilor de independentâ de tip autonom si autocefal în Biserica Ortodoxa Româna », dans M e tro p o lia A rd e a lu lu i, XXX, 1985, 5-6, pp. 288-298 ; I. lONESCU, « Contextul istorie al dobîndirii autocefaliei Bisericii ortodoxe române », dans G la s u l B is e ric ii, XLIV, 1985, 5-6, pp. 314-334 ; LD. IVAN, « Autocefalia Bisericii ortodoxe române-un veac de la recunoasterea ei », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XXXVIII, 1986, 2, pp. 14-39 ; I. MARES, « Recunoasterea autocefaliei- act de prestigiu în istoria bisericii noastre », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , Cin, 1985, f. 5-6, pp. 435-439 ; NESTOR, « L’Eglise orthodoxe roumaine. Centenaire de l’autocéphalie plénière (1885-1985) », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 2, pp. 10-18. 257 Moldavie, mais le métropolite de Transylvanie, Miron Cristea^^^. Cette nomination consacrait ainsi l’union de la troisième principauté à l’Etat national unitaire roumain. En 1925, après la réorganisation de l’Eglise orthodoxe roumaine dans le nouvel Etat, l’Eglise devint patriarcale, sur le même pied que les autres Eglises sœurs^52 Restait l’annulation de l’acte d’union d’Alba Iulia de 1700 de l’Eglise gréco-catholique roumaine, la « re în tre g ire a », pour que l’Eglise orthodoxe « réintègre » les frères roumains unis à Rome, dans ses dimensions et sa forme ancienne. Autrement dit, la suppression de l’Eglise uniate devait être réalisée pour rétablir l’union de tous les Roumains dans une seule Eglise, l’Eglise orthodoxe. Malgré les tentatives de « réunion » des deux Eglises roumaines, il faudra attendre le coup d’Etat communiste pour que cet acte se réalise en 1948. Le principe d’ethnicité est, comme nous l’avons indiqué, une des bases de l’Eglise et de l’unité territoriale. L’autocéphalie consacre ce lien intrinsèque entre ethnicité et Eglise^^^ L’Eglise est indépendante de Constantinople et est organisée sur une base ethnique. Le parallélisme entre l’indépendance de l’Eglise et l’indépendance de l’Etat montre combien le sort de l’Eglise est lié au sort de l’Etat. Donc, l’Eglise se doit de continuer à lutter pour la souveraineté nationale et doit collaborer avec l’Etat sans lequel l’autocéphalie n’aurait plus de sens. Ainsi si l’Eglise montre que l’Etat a bénéficié de l’Eglise au cours de l’histoire, il est clair aussi que le sort de l’Eglise est lié à celui de l’Etat, que l’Eglise a besoin de l’Etat. Le lien entre 551 Mircea PACURARIU, « Commémorations : Un grand hiérarque : Le patriarche Miron Cristea », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XDCe an., 1989, 2, pp. 24-28. 552 J R ABRUDEANU, In a lt P re a S fin û a S a P a tria rh u l R o m â n ie i, D r. M iro n C ris te a , în a lt re g e n t, o m u l sJ fa p te le , Bucuresti, tip. Caitea româneasca, 1929, v. 1 (Contribuüuni la studiul istoriei Bisericii Române Ortodoxe contemporane), chap. 37, le g is la tia b is e ric e a s c à , pp. 392401. M. BEZA, T h e R u m a n ia n C h u rc h , Londres, Society for promoting Christian Knowledge, 1943. O. C a C IU L À , 1, Bucuresti, 1938 ; « Cultele în România », dans E n c ic lo p e d ia R o m â n ie i, éd. D. GUSTI, vol. I.G . S a V IN , B is e ric a ro m a n d s i n o u a e i o rg a n iz a re , Bucuresti, 1925. 553 C P BELDIE , C o n trib u tia B is e ric ii o rto d o x e ro m â n e la în td rire a n a tio n a lis m u lu i, Barlad, 1940. « Biserica ortodoxa în noul regim », dans T e le g ra fu l ro m a n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c , in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g un a , 258 Sibiu, an. LXXXVIII, 41, 1940, pp. 1-2. autocéphalie et indépendance, patriarcat et souveraineté est un thème récurrent dans la littérature. « Le lien - nous dit 1. Moldovan - entre l’Eglise et le peuple n’est pas seulement l’expression d’un équilibre institutionnel, conformément à l’ainsi nommée conception symphonique byzantine, mais aussi la découverte d’une réalité religieuse morale, d’un mode spirituel d’être, qui concentre en soi la synthèse existentielle du spirituel et de l’ethnicité, en vertu de laquelle la vie ethnique revêt ainsi un sens divin iiie MOLDOVAN, « Etnicitate si autonomie bisericeasca..., o p . c it., pp. 237. 259 IV. L’ethnicité et la « loi des ancêtres » (le g e a s tra m o s e a s c a ) « Notre Eglise est, avant tout, l’Eglise de la Roumanie, l’Eglise de la nation roumaine, de toutes les générations. Elle a toujours sauvegardé l’« être national » et la « loi des ancêtres » {le g e a s tra m o s e a s c a ou s trà b u n ilo r) (...) Cette loi des ancêtres est entrée comme telle dans l’Histoire en tant que précepte des préceptes. Elle est le code de conduite sociale et morale, dont la source et les fondements se trouvaient dans la doctrine religieuse. Il s’agit d’un code non écrit, un code de comportement dans le cadre de l’organisme social et national de la nation. La défense de la loi des ancêtres est une devise et un argument contre ceux qui chercheraient à transgresser les frontières ou à opprimer la nation. Cette loi représente une synthèse entre la foi orthodoxe de l’Eglise et l’institution traditionnelle du droit et de la Justice s’intégrant dans les valeurs éthiques suprêmes de la nation La loi des ancêtres est une notion qui recouvre dans la littérature tout ce qui concerne l’histoire de l’indépendance de la Roumanie et des principautés roumaines. C’est le fondement de l’appartenance à la filiation orthodoxe « bimillénaire ». Tout orthodoxe doit s’inscrire dans la tradition de la loi des ancêtres {le g e a s tra m o s e a s ca ou s trà b u n ilo r), qualifiée aussi de loi « orthodoxe » ou « roumaine » {le g e a o rto d o x a ou ro m â n e a s c à ). Cette loi sera invoquée dans Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine », op. c it., p. 4. 260 le contexte de Tuniatisme, les gréco-catholiques l’ayant « trahie » dans le contexte orthodoxe. Nous le signalerons à propos des gréco-catholiques : ceux-ci seront accusés d’avoir voulu instaurer une le g e a g re c o -c a to lic â , ce qui dans le contexte de la fusion entre orthodoxie et ethnicité est une impossibilité. Il ne peut y avoir qu’une seule le g e a propre au peuple roumain in e a m ), la loi roumaine et orthodoxe des ancêtres qui a sauvé l’« être national » au cours de l’histoire (fiin ta n a tio n a la ). Il est révélateur de lier le principe d’autonomie, compris comme autonomie face à Constantinople, comme indépendance du peuple roumain, avec la le g e a s trâ m o s e a s c â . Dans ce contexte, affirme I. Moldovan, « la le g e a recouvre trois sens. Un sens dogmatique qui intègre l’ethnicité dans l’œcuménicité, un sens canonique qui scelle le principe d’ethnicité dans l’organisation de l’Eglise orthodoxe, et un sens religieux et moral, qui relève de la responsabilité d’un peuple quant à sa mission sur terre. Cette loi est la force vivante à l’origine de toutes les étapes du développement du peuple et de la vie des hommes en général « Le problème de l’ethnicité entre également dans le principe de l’économie divine. Par la Pentecôte, l’esprit saint crée l’Eglise historique, ce qui signifie que l’Eglise devient universelle et en même temps concrète, locale et historique, et donc ethnique. L’identité ethnique est un don ontologique. Un peuple (n e a m ) est une réalité qui entre dans le plan éternel de la sagesse de Dieu. Selon les Actes, XIV, 15-16 (c/r. s u p ra ), le peuple est un don de la volonté divine créatrice. L’ethnicité n’est pas qu’une simple cohabitation de membres, une association volontaire de type contractuel, mais une réalité unique, essentielle, une image du Logos divin. L’apparition dans le monde d’un peuple est l’effet d’une intervention divine, du mystère avec l’immanence {tn c o n lu c ra re ta in ic a e u im a n e n td ) »55'7. « Le territoire d’un pays doit également être déterminé par un ordre spirituel et national, et non limité au cadre physique de l’existence d’une nation ». « Ainsi il n’existe pas de dualisme ontologique entre l’Eglise et le monde, enme le sacré et le profane, le dualisme étant seulement d’ordre moral entre l’homme nouveau et ancien. Le 556 i2ie MOLDOVAN, « Etnicitate si autonomie bisericeasca..., o p . c it., p. 238. 557 Ib id ., p. 243. 261 monde entre dans l’Eglise avec toutes les réalités de la vie humaine, la langue, la culture et la tradition, qui toutes les trois entrent dans l’ethnicité ». « Ainsi la conscience de la descendance daco-romaine n’est pas seulement une idée majeure dans l’histoire du peuple roumain, mais elle est intégrée dans le trésor de la spiritualité roumaine en tant que valeur archétypale « L’Eglise a lutté pour son essence ethnique {fiin te i s a le e tn ic e ) et pour la défense du pays, comme pour la défense de sa croyance chrétienne. Cette croyance a pénétré l’intérieur de la conscience de notre peuple comme facteur d’affirmation de son unité et comme facteur mobilisateur pour la lutte contre toute aliénation On comprend donc l’accusation envers les gréco-catholiques de trahison à cette le g e a s tra m o s e a s c ^ D n’y a qu’une seule le g e a , celle des Roumains orthodoxes, le g e a R o m â n ilo r, ou la le g e a o rto d o x a , et il n’existe pas de le g ea g re c o -c a to lic a ^ ^. L’attachement à la le g e a est donc fondamentale pour le croyant orthodoxe. Elle est un devoir de « citoyen » (c’est-à-dire de « nationalité roumaine ») dans la perspective de l’histoire nationale du peuple roumain. La le g e a est donc une des composantes de l’ethnicité de l’Eglise qui implique un code moral pour le croyant orthodoxe. Ce code moral est impératif pour le respect par le citoyen de la tradition orthodoxe roumaine et est, comme le disent les auteurs, un principe qui ignore la séparation du sacré et du profane. L’attachement au destin de l’Etat se conjugue avec le devoir orthodoxe. Le respect de l’Etat se fond, dans ces conditions, avec le respect de la loi des ancêtres, c’est-à-dire avec la croyance originelle du peuple roumain, la foi orthodoxe. Et qui plus est, cette « loi » implique une participation active à la défense de la nation, de la patrie roumaine, c’est-à-dire de la République Socialiste de Roumanie. 558 ih id ,, p. 260. 559 A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e în d e m n u ri p e n trii c le r, I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1971, p. 25. 560 cfr. infra, le point concernant la suppression de l’EgUse uniate. 262 Ed. V. L’ethnicité, un fondement de l’exclusion et la tentation du « phylétisme » ? L’Eglise orthodoxe a donc défendu une argumentation nationaliste basée sur l’ethnicité de l’institution ecclésiale. Cette ethnicité est inscrite dans l’histoire de l’orthodoxie depuis les Evangiles. L’Eglise orthodoxe roumaine montre la filiation ethnique depuis l’époque dacoromaine, depuis l’ethnogenèse du peuple roumain jusqu’à l’époque contemporaine. L’orthodoxie est identifiée au peuple roumain. Le nationalisme roumain orthodoxe sous le communisme ne développe pas une idéologie agressive d’exclusion, « nationaliste chauvine » comme elle se plaît à répéter tout en soulignant qu’il s’agit d’une attitude propre à l’Occident centraliste. Mais le principe de l’ethnicité ne porte-t-il pas en lui l’exclusion et la ségrégation au sein même de l’Etat roumain ? En effet, si l’on fait le lien entre une nation et une ethnie particulière, même sans « nationalisme chauvin », il est clair que l’on instaure les termes d’une exclusion. Si l’on considère qu’il y a une ethnie dominante dans un Etat, la Roumanie en l’occurrence, l’ethnie roumaine multi-millénaire, et que cette ethnie est intrinsèquement liée à l’orthodoxie, il en découle que le « citoyen » de Roumanie de « nationalité » roumaine ne peut être qu’orthodoxe, ou inversement, être orthodoxe en Roumanie implique le fait d’appartenir à l’ethnie roumaine. Donc l’orthodoxie est d e fa c to la religion d’Etat, et tout citoyen d’une autre religion, même 263 d’« ethnie » roumaine ne peut être un Roumain à part entière, puisqu’il s’exclut lui-même de la filiation ainsi établie. Ainsi, le citoyen d’une autre « nationalité » et non orthodoxe ne peut être un citoyen à part entière puisqu’il ne descend pas du « lignage » historique roumain de l’antiquité, « autochtone », mais réside en tant que citoyen roumain en raison des aléas de l’histoire, des migrations des peuples. C’est le cas de toutes les minorités en Roumanie, hongroise, saxonne, e tc . En relation avec le principe de l’autocéphalie après l’indépendance et la formation de l’ancien royaume, ce lien s’est fait entre l’ethnicité de l’Eglise et la conception de l’Etat au sens moderne. Pour l’entre-deux-guerres, on évoquera le parallélisme entre autocéphalie et Etat indépendant, l’organisation de l’Eglise orthodoxe unitaire et l’Etat national roumain unitaire. Sur la base de l’ethnicité et grâce à la thèse de la continuité, l’Eglise orthodoxe incarne l’Eglise du peuple roumain ethniquement, la B is e ric a ro m â n e a s c a , non pas une parmi d’autres, mais la seule possible pour le peuple roumain. On comprend alors le sens de « peuple », que ce soit popor ou n e a m . N’oublions pas qu’en Roumanie, et dans la littérature orthodoxe, les citoyens non roumains sont souvent appelés « les autres ethnies de l’espace originaire dacoromain »561. Nous avons signalé le « noicisme » développé dans les années quatre-vingt, soulignant r« essence nationale » du n e a n i roumain. Alors que le discours de l’Eglise du début du régime communiste avait supprimé toute référence au sang et à la race, selon l’idéologie internationaliste marxiste, pour marquer également la rupture avec le passé des années trente, la littérature sous Ceausescu recommence à faire allusion à la notion de sang, complémentaire au principe de l’ethnicité. Comme le souligne I. Georgescu, le peuple roumain est né de la fusion du peuple dace, défenseur de la terre des ancêtres, et des Romains civilisateurs du monde antique. « Le sang des daces et des Romains est notre levain ». Le peuple roumain a la 561 Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine », o p . c it., p. 4. 264 conscience d’appartenir à un peuple choisi (u n n e a m a ie s ) et a maintenu pendant les deux mille ans de son histoire son « essence » nationale (fiin ta n o a s tra n a tio n a la )^ ^ ^. Dans ce cas, il est évident que, même si l’on affirme qu’il n’est nullement question de nationalisme, condamné par le Synode de Constantinople en 1872 en tant que phylétisme, il s’agit d’une conception intrinsèquement nationaliste et à la base de l’exclusion, qui implique une conception ethnique de la religion et ne peut admettre une autre religion pour le peuple roumain que l’orthodoxie. A chaque peuple doit correspondre une religion propre ou une confession particulière. On comprend donc pourquoi l’Eglise gréco-catholique ne peut être une Eglise roumaine « o B is e ric a ro m â n e a s câ ». Ce sera l’objet du chapitre suivant. On comprend également pourquoi la thèse de la continuité prend toute son importance dans l’argumentation orthodoxe pour montrer le rôle fondamental de l’Eglise lié à l’ethnie roumaine et à l’Etat roumain. De même que l’on fait un anachronisme en utilisant la notion de « nation » comprise comme Etat dans le sens jacobin du terme, pour la période du bas-empire jusqu’à la réalisation de l’Etat moderne, le sens de l’ethnicité est également appliqué à l’antiquité et au moyen âge de manière anachronique, dans son sens nationaliste du XIXe siècle. Depuis la chute du régime communiste, cette conception n’a pas changé, et peut se radicaliser dans des mouvements d’extrême droite tels que le mouvement néo-légionnaire, sous la forme d’un mysticisme orthodoxe et fasciste. On citera le métropolite d’Olténie N. Vomicescu qui après 1989, reprenant Nichifor Crainic du mouvement G â n d ire a , montre l’inopportunité de séparer religieux et spirituel, orthodoxie et Etat, dans une apologie de l’« ethnocratie orthodoxe ». Selon N. Crainic, cité par N. Vomicesu, « Dans une société chrétienne organisée au sein de l’Etat, on ne peut poser la question si l’homme appartient à l’Etat ou à l’Eglise. L’Eglise existe dans le temps et dans l’espace. Elle est l’antichambre, vaste comme le cosmos, de l’éternité. Les nations et les Etats y entrent. Et même s’il y avait d’autres milliers de nations ou d’Etats encore, ils auraient tous leur place dans son contenu spirituel. Un Etat chrétien entre, avec son temps et son espace limité, 562 Qn verra notamment ; Ilie B is e ric ii, Ge o r G ESCU, XLVI, 1987, 4, pp. 5-6. 265 « Fiinta noastra nationalâ », dans G la s u l dans l’éternité de l’Eglise et adhérant à la destination surnaturelle de l’homme, donnera à celuici la possibilité de remplir tant ses obligations envers le César que ses obligations envers Dieu. Dans ce cas, qui n’est rien d’autre que l’ordre du monde depuis l’avènement du Christ, l’individu se développe dans le contexte de la profession, de l’Etat, de l’Eglise (...). La vie dans le temporel s’organise donc en corrélation avec la vie dans l’éternité, si l’homme adhère à sa destination d’au-delà des temps. Une fois proclamée cette adhésion, aucun homme n’appartient plus intégralement à un autre homme, puisque tous appartiennent à Dieu, en tant que Ses créatures Ainsi affirme Vomicescu, « c’est dans cette polarité omnicontenante “ Eglise-Nation ” que s’organise notre vie dans le temporel, qui doit être une préparation proportionnelle à l’immortalité de l’au-delà Dans la conception orthodoxe, souligne encore N. Vomicescu, « les peuples et les nations sont des unités naturelles de la société humaine, différentes par le sang et la langue (...). Quand on parle d’Eglise nationale ou d’Eglise du peuple, on exprime la réalité spécifiquement orthodoxe d’existence chrétienne ; ce n’est pas particulariser par des délimitations d’essence, mais spécifier L’unité nationale est consacrée par les écrits néo-testamentaires, comme le « allez enseigner à toutes les nations ». Comme l’affirme le métropolite d’Olténie N. Vomicescu, « c’est une raison de plus pour laquelle notre théologie orthodoxe estime si profondément le facteur national, comme faisant partie de la volonté divine même et de l’ordre divin. De là, la lourde reponsabilité qui incombe aux ministres de l’Eglise, à sa hiérarchie »^6^. Donc non seulement le caractère ethnique de l’Eglise doit pousser le croyant à soutenir la nation, donc l’Etat — « de là, la lourde responsabilité qui incombe aux ministres de l’Eglise » — mais le métropolite s’inscrit ainsi dans la lignée de G â n d ire a de l’entre-deuxguerres, attribuant finalement à l’ethnicité de l’Eglise un caractère mystique. « La foi s’est 563 Nestor VORNICESCU , « Editorial, L’Eglise et la nation dans la théologie roumaine », op. c it., pp. 5-6. ^64 iiy id ., p. 6. 665 jtfic l., p. 7. 666 J ijid ., p. 7. 266 identifiée à notre conscience de peuple »567 « L’Eglise est, avant tout, l’Eglise de la Roumanie, l’Eglise de la nation roumaine, de toutes les générations Autrement dit, l’Eglise orthodoxe est considérée comme l’Eglise de l’Etat, historiquement et ethniquement. Toute personne qui ne serait pas liée par le sang et la filiation daco-romaine orthodoxe ne peut qu’être un « citoyen » roumain de second rang, de nationalité « étrangère » et de confession « historique », dans le sens de la Constitution de 1923. L’ethnicité de l’Eglise sous Ceausescu est d’autant plus paradoxale que, comme le souligne C. Durandin, le nationalisme autochtoniste de la Roumanie de Ceaucescu « est matérialiste et c’est en cela que réside son caractère dérisoire et tragique. Cet énorme effort de mobilisation, d’endoctrinement en faveur de la promotion d’une identité nationale a vidé la culture traditionnelle de son sens et de sa spiritualité qui était l’attachement à la foi chrétienne orthodoxe »^^^. L’Eglise orthodoxe a donc donné à ce « renouveau » des thèses nationalistes prônées par Ceausescu un sens religieux. Le « noicisme » a pu être relayé par l’Eglise orthodoxe revêtu de connotations spirituelles. La collaboration de T Eglise a donc pu, sur le plan idéologique à l’époque communiste, donner un caractère spirituel au nationalisme de l’Etat, pour donner une légitimité au discours de l’Etat en l’inscrivant dans la continuité historique roumaine. Ce discours était fondamentalement nationaliste et a créé une discrimination parmi les citoyens, entre les Roumains de « sang » daco-roumain et les « nationalités cohabitantes » d’une part, et les Roumains des autres confessions, les uniates, les néo-protestants et les cathohques d’autre part. Dans le contexte communiste roumain, on mesure le drame causé par le nationalcommunisme et son influence dans l’idéologie de l’Eglise orthodoxe, puisque l’identité s’est trouvée « reconstruite » par le totalitarisme du régime. C’est une des composantes des Ib id ., 568 p. 8. p. 9. 569 Catherine DURANDIN et Despina TOMESCU, L a R o u m a n ie d e C e a u s e s c u , o p . c it., p. 151. 267 problèmes actuels depuis la Révolution de 1989, et on comprend mieux le « renouveau » nationaliste post-révolutionnaire. 268 Chapitre III : UNITE DE LA FOI, DE LA NATION ET DE L’ETAT L a « ré in té g ra tio n » (reîntregireaj d e l’E g lis e g ré c o c a th o liq u e à l’E g lis e m è re o rie n ta le e n 1 9 4 8 1. Remarques sur l’histoire de F« uniatisme » roumain S’il y a bien un événement qui a marqué l’histoire religieuse des pays de l’Est durant la guerre froide, c’est la suppression pure et simple des Eglises gréco-catholiques^^®. Sur le catholicisme en Roumanie on verra : R. B a C S V A R Y , « Les minorités nationales et l’Eglise catholique romaine en Roumanie », dans C o n c iliu m , n°174, avril 1982, pp. 45-55 ; J. BROUN, « The Latin-Rite Roman Catholic Church of Romania », dans R e lig io n in C o m m u n is t L a n d s , vol. 12, 1984, 2, pp. 168-184 ; J. A. BROUN, « Catholics in Romania : A 269 Le problème de Tuniatisme est le point central de l’équation entre l’unité du peuple et l’unité de croyance. C’est pour cette raison qu’il est indispensable de consacrer à ce problème un chapitre entier tant il s’inscrit dans la problématique de la nation et du lien entre l’Eglise et l’Etat. Comme le dit N. Cemeanu, « l’idée de l’unité du peuple {u n ita te d e n e a m ) basée sur l’unité de croyance {u n ita te d e c re d in ta ) a constitué l’objectif de l’Eglise orthodoxe roumaine pour lequel elle sert aujourd’hui avec conviction, remplissant ainsi la volonté de Dieu Le problème de l’uniatisme est non seulement une question complexe, mais la question par excellence qui suscite la polémique dans la littérature orthodoxe et dans le contexte des relations interconfessionnelles en Roumanie, comme dans tous les pays concernés par l’uniatisme. C’est le cas des zones frontalières enti'e le catholicisme et l’orthodoxie, c’est-à-dire la Pologne, la Biélorussie et l’Ukraine occidentale, particulièrement la région de l’ex-U.R.S.S. dénommée Ukraine subcarpatique ou Ruthénie ; c’est le cas de la Transylvanie, et également, mais dans une moindre mesure, de la Bulgarie^^^. History of survival », dans America, 150, 18, 1984, pp. 357-361 ; ID., « Romania’s Churches behind the Façade of Liberalism », dans, A m e ric a , 150, mars, 1984, pp. 165-169. R. JANIN, « L’Eglise catholique en Roumanie », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , 33e an., t.48, n°1092, avril 1951, col. 423-436. Pour l’uniatisme roumain on verra surtout O. B is e ric a ro m â n d u n ita , Ba r LEA, Madrid, 1952 ; ID., « Die Union des Rumanen (1697 bis 1701) », dans R o m u n d d ie P a tria rc h a te d e s O ste n s, édit. W. de VRIES, Freiburg, München, 1963 (Orbis Academicus Bd III/4), pp. 132-180 ; ID., O s tk irc h e , T ra d itio n u n d w e s tlic h e r K a th o liz ism u s . D ie ru m à n is c h e u n ie rte K irc h e z w is c h e n 1 7 1 3 -1 7 2 7 , München, 1926 (Societas Acad. Docoromana, Acta Historica, t. VI) ; B is e ric a R o m â n d U n ita . D o u a s u te c in c i z e c i d e a n i d e is to rie , Madrid, Rivadenyra, 1952 ; « Deuils et ruines de l’Eglise du silence », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , n°1156, 53e an., t. 50, sept. 1953, col. 1192-1200 ; E. IVÂNKA, « The Rumanian Greek-Catholic Church », dans T h e E a s te rn C h u rc h e s Q u a rte rly , vol. 8, 1949, n°3, pp. 154-162 ; S. LUPSA, B is e ric a a rd e le a n a s i « u n ire a » în a n ii 1 6 9 7 -1 7 0 1 , Bucuresti, 1949 ; A. B u n a V e s tire , M ir c ea , « Octobre 1948 ou la farce du retour à l’orthodoxie », dans vol. 14, 1975, pp. 5-8. 571 Nicolae CORNEANU, S tu d ii, n o te sJ c o m e n ta rii te o lo g ic e , o p . c it., chap. 4, O rto d o x ie sJ n a tiu n e , p. 101. 572 Qn verra paiini les articles les plus récents : S. KELEHER, « Church in the Middle ; Greek-Catholics in Central and Eastern Europe », op. cit., pp. 289-302. 270 De manière générale, Tuniatisme est né de l’avancée des latins catholiques vers l’Est de l’Europe aux temps modernes, lorsque les Etat catholiques ont annexé à l’Est des terriroires occupés par des populations orthodoxes. Ces Etats ont mené une politique de réunion des chrétiens orientaux à Rome pour créer dans ces contrées une élite catholique capable de contrer le protestantisme^^^ des pays d’Europe centrale. Dans ces conditions, l’uniatisme s’inscrit dans une politique de Contre-Réforme. Il n’est pas étonnant que l’uniatisme incarne dans la littérature orthodoxe par excellence le prosélytisme romain à l’Est. Pour la Transylvanie, ce fut également le cas lorsque cette région, sous statut spécial lors de r« occupation » ottomane, retomba aux mains des Habsbourg en 1691, domination reconnue par la Porte ottomane au traité de Carlowitz en 1699^^^. Sous l’administration de Vienne, la Transylvanie connut une politique de « catholicisation » menée par l’empereur Léopold, principal artisan de l’uniatisme en Transylvanie^ L. BINDER, « Die Augsburgische Konfession in der Siebenbürgischen evangelischen Kirche », dans Z e its c h rift fU r b a y e ris c h e K irc h e n g e s c h ic h te , vol. 49, (Nurenberg) 1980, pp. 54-85 ; ID., « Die kirchlichen und religiôsen Verhàltnisse siebenbürgens im XVI und XVn Jht im Lichte der Toleranz », dans M is c e lla n e a , VII, Bruxelles, 1985, pp. 102-110 ; ID., G ru n d la g e n u n d fo rm e n d e r T o le ra n z in S ie b e n b ü rg e n b is z u r m itte d e s 1 7 J a h rh u n d e rts , Ed. Bôhlau (Siebenbürgisches Archiv vol. 11), Cologne, Vienne, 1976 ; ID., « Johannes Honterus und die Reformation im süden Siebenbürgens mit Besonderer Berücksichtigung der Schweizer und Wittenberger, Erisflüsse », dans Z w in g lia n a , t. 13, 1973, f. 10, pp. 65-687 ; L. BiNDER et J. SCHEERER, D ie B is c h ô fe d e r E v a n g e lis c h e n K irc h e A .B . in S ie b e n b ü rg e n , vol. 2 : D ie B is c h ô fe d e r J a h re 1 8 6 7 -1 9 6 9 (Schriften Z. Landeskunde Siebenbürgens, vol. 4), Koln, Bohlau, 1980 ; P. BINDER, « Johannes Honterus Karten und Beschreibungen der rumânischen Lânder », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XII, 1973, 6, pp. 1037-1065 ; ID., « Sur les liens de l’Eglise évangélique saxonne de Transylvanie avec Genève », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XV, 1976, f. 2, pp. 323-325. 574 Câlin FELEZEU, « Juridical Stature of the Transylvanian Principality in Relation with the Sublime Porte » (Bulletin of the Center for Transylvanian Studies), Romanian Cultural Foundation, Cluj-Napoca, Vol. III, n° 1, 1994. 575 Pour l’uniatisme en Roumanie, on verra les livres suivants parus en Occident avant 1989 : B is e ric a R o m a n d U n itd . D o u a s u te c in c i z e c i d e a n i d e is to rie , Madrid, 1952 ; Pierre GHERMAN, L ’â m e ro u m a in e é c a rte lé e ; o p . c it. ; ID., P e n s é e ro m a in e , p e u p le ro u m a in , coll. 271 S’il est clair que ce « retour » au catholicisme des orthodoxes aux confins des XVIIe et XVIIIe siècles répondit sans aucun doute à des impératifs politiques liés aux événements de cette époque, il n’est pas inintéressant de constater que les « uniates », selon la terminologie péjorative orthodoxe, ont développé une argumentation qui devait légitimer cette réunion. En effet, et de nombreux auteurs soutiennent cette vision des faits, l’uniatisme s’inscrit dans la perspective des différentes unions à Rome depuis le schisme de 1054 entre orthodoxes et catholiques. Les auteurs uniates replacent l’uniatisme dans la continuité de la politique de réunion des deux Eglises, comme ce fut le cas au Proche-Orient à l’époque des croisades. Selon la politique du Saint-Siège de réunion des deux Eglises dans les Etats francs du royaume de Jérusalem, les Eglises orientales se soumirent à Rome^^^. Il était logique que lorsque les catholiques avancèrent vers l’Est de l’Europe en « terre » orthodoxe, les Eglises orthodoxes s’en retournent au catholicisme et se soumettent au Saint-Siège^^^. C’est pourquoi les uniates de Transylvanie légitiment l’union accomplie entre 1699 et 1701 en l’inscrivant dans la tradition « florentine » de l’Eglise. En effet, les uniates, dans les documents de protestation contre la suppression de leur Eglise, appelée par les orthodoxes la « réintégration » (re în tre g ire a ), font appel au Concile de Florence de 1439 consacrant la réunion de l’Eglise orthodoxe byzantine à l’Eglise romaine, signée par l’empereur byzantin pour obtenir la protection des Latins devant la menace turque ottomane. « Nous nous sommes unis à Rome pour ne pas fouler aux pieds la parole de nos aïeux qui, à Florence en 1439, ayant, à leur tête, le métropolite de Moldavie, La Barque de saint Pierre, SPES, Paris, 1967 ; Cicerone lONITOIU, o p . c it. ; Sergiu GROSSU, L e c a lv a ire d e la R o u m a n ie c h ré tie n n e , o p . c it. ; Cfr. aussi les dernières publications émanant de l’Eglise gréco-catholique parues depuis la Révolution ; Eugen POPA, L e g e a s tra m o s e a s c a s i u n ire a e u R o m a , Ed. Viata crestina, Cluj-Napoca, 1992 ; loan M. BOTA et Tertulian F iin ta s i ro lu l B is e ric ii ro m a n e u n ité (G re c o -c a to lie d ) în v ia ta p o p o ru lu i ro m a n , crestina, Cluj-Napoca, 1993 ; Silvestru A. Pr u n d u S, La n g A, Ed. Viata Clemente PLAIANU et Eugen S. CUCERZAN, D e n a tu rd ri g ra v e p riv in d is to ria B is e ric ii R o m â n e U n ité (G re c o -C a to lic d ), Ed. Viata crestina, Cluj, 1993. J. HAJJAR, L e s c h ré tie n s u n ia te s d u p ro c h e -o rie n t, Ed. du Seuil, Paris, 1962. 577 Cfr, aussi : O. Ha l e c k i, « Das problem der Kirchenunion in der osteuropàischen Geschichte », dans Ô s te rre ic h e O s th e fte , t. 4,1962, pp. 1-5. 272 Damien, ont souscrit l’union »578_ Le§ grecs orthodoxes ont toujours été partagés sur le fait de savoir s’il fallait se soumettre au turban turc ou à la tiare latine^^^. Les uniates s’inscrivent donc parmi les orthodoxes favorables à la réunion avec le Saint-Siège. Sur le plan pratique, cette réunion se concrétisait par une soumission à Rome, à l’instar de n’importe quelle autre circonscription ecclésiastique de l’Eglise catholique. D’un point de vue dogmatique, les uniates devaient accepter le purgatoire, le F ilio q u e et l’utilisation du pain azyme. Pour le reste, ils gardaient leurs traditions et rites byzantins. Cette conservation des rites orientaux explique les autres dénominations de l’Eglise uniate, à savoir « Eglise catholique roumaine de rite byzantin », « Eglise gréco-catholique » ou « Eglise roumaine unie » (B is e rica R o m â n a U n ita ). On s’aperçoit donc d’emblée que ce problème est lourd de conséquences et s’enracine dans toute la problématique historique de la rivalité entre l’Occident latin et l’Orient byzantin et orthodoxe. Il est clair que c’est sur le problème de l’uniatisme que se focaüse tout le contentieux entre catholiques et orthodoxes : le prosélytisme, le « centralisme » ecclésiastique et l’infaillibilité pontificale, ces deux derniers points étant considérés par les orthodoxes comme les éléments primordiaux de discorde entre les Eglises. Cependant la complexité est également due, dans le cas roumain, à l’histoire même de la Transylvanie aux XVIIIe et XIXe siècles, particulièrement au rôle des uniates parmi les « élites » intellectuelles et au processus d’« émancipation » des Roumains de Transylvanie. En outre, la question de la conception orthodoxe de la nation par opposition à celle du catholicisme se retrouve au centre du débat. Si, au début du communisme, la dénonciation de l’« impérialisme » catholique avec toutes ses connotations constituait le fond du litige, la thèse de la continuité daco-romaine joue désormais ce rôle, depuis la période Ceausescu et surtout depuis 1989. Cfr. la lettre de l’Episcopat gréco-catholique de 1948 dans ; Pierre ro u m a in e é c a rte lé e ; fa its e t d o c u m e n ts , o p . c it., Gh e r ma n , L ’â m e p. 47. 579 Cfr notamment : F. THIRIET, « Orthodoxie et nationalisme », dans A s p e c ts d e l’o rth o d o x ie (Actes du colloque de novembre 1978 du Centre d’Etudes Supérieures Spécialisé d’Histoire des Religions de Strasbourg), PUF, Paris, 1981, p. 129. 273 IL La suppression de l’Eglise gréco-catholique roumaine par le régime communiste Après la seconde guerre mondiale et l’incorporation dans rU.R.S.S. des territoires qui appartenaient dans l’entre-deux-guerres à la Pologne, le régime communiste soviétique convoqua un synode à Lvov en 1946 pour « régler » le problème « uniate ». En effet, Staline après avoir « remercié » l’Eglise orthodoxe russe pour son soutien dans la lutte contre le fascisme désira régler le problème de l’existence en U.R.S.S. de cette Eglise catholique de rite byzantin. Le synode, qui n’est plus reconnu actuellement tant il fut convoqué dans des circonstances litigieuses dues à l’époque stalinienne, annula l’union de Brest-Litovsk de 1596, c’est-à-dire l’uniatisme ukrainien occidental et biélorusse. Dès cette époque, l’uniatisme fut progressivement éradiqué de l’Europe communiste, par la suppression en 1948 des gréco-catholiques roumains à Alba Iulia et par l’annulation en 1949 de l’union de Uzhorod de 1646, qui avait fondé l’uniatisme des territoires frontaliers de la Hongrie, de la Slovaquie et de l’Ukraine sub-carpatique^^®. Pour restaurer l’unité de croyance orthodoxe, la nation roumaine devant correspondre à une seule Eglise, l’Eglise gréco-catholique de Transylvanie dut réintégrer l’Eglise mère, l’Eglise 580 Sur la question des uniates en général on verra l’article de Serge KELEHER, o p . c it., pp. 289-302. 274 orthodoxe roumaine. L’acte de « retour » à l’orthodoxie se fit à Alba Iulia, lieu symbolique de l’union des uniates transylvains à Rome en 1700 et de l’union de la Transylvanie à la Roumanie en 1918. Si cela permettait au régime communiste de se défaire de l’influence du Vatican en Roumanie, cela permettait à l’Eglise orthodoxe d’assurer l’intégrité de son unité qui avait été menacée depuis le XVille siècle par le prosélytisme occidental habsbourgeois et catholique^*^ et au XIXe siècle sous le dualisme austro-hongrois. La « deuxième Eglise nationale », comme l’a définie la Constitution de 1923, était ainsi supprimée par le décret communiste n° 358. Les prêtres et les fidèles gréco-catholiques furent obligés de revenir à l’orthodoxie des « ancêtres », ou réduits à la clandestinité. C’est ce que l’on appellera l’Eglise des « Catacombes ». D’après le ministre des cultes de 1948, Stanciu Stoian, le problème se posait dans les termes suivants : l’union avec Rome ne s’est pas faite à l’initiative du peuple roumain qui a toujours été lié à la tradition orientale de l’Eglise orthodoxe. L’acte de 1698-1701 fut un acte politique dont l’initiative appartient à la cour de Vienne qui a voulu installer en Transylvanie un parti catholique pour s’opposer au calvinisme et au luthéranisme. Cette opération fut soutenue par le clergé catholique et pai' l’ordre des Jésuites qui se sont fait un point d’honneur de ramener l’Eglise orthodoxe roumaine sous la domination papale. Cette union n’attint pas la spiritualité et la spécificité de la croyance, et le peuple roumain y fut opposé. Cet acte fut imposé de force et par le haut. Les croyants se conforment à la « loi roumaine » (le g e a ro m â n e a s c a ) et non à deux lois différentes, la « le g e a g re c o -c a to lic a » et « g re c o -o rie n ta lâ » . Il y a une seule le g e a ro m â n e a s c a qui témoigne de l’unité de croyance, et que l’acte d’union n’a pas détruite. Si la haute hiérarchie s’est « catholicisée » en allant à Rome, le peuple croyant est resté fondamentalement orthodoxe proche de la le g e a ro m â n e a s c a . Stanciu Stoian précise à propos de cette loi roumaine : « la loi roumaine, donc orthodoxe » (le g e a ro m â n e a s c a , a d ic a o rto d o x ). Rappelant l’histoire de l’uniatisme au XVIIIe siècle, le ministre des cultes montre que les 581 A.I. ClUREA, « Rezistenta Bisericii românesti faû de prozelitismul catolic », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, 1949, 3-4, pp. 205-225. 275 personnalités importantes gréco-catholiques de l’Ecole transylvaine, la S c o a la a rd e le a n â , comme Inochentie Micu-Klein, Samuel Micu-Klein, Gheorghe Sincai et Petru Maior, ont lutté pour l’indépendance de l’Eglise unie de Transylvanie et contre son inféodation au Saint-Siège. On verra l’exemple du « procanon » de Petru Maior, considéré par Stanciu Stoian comme une véritable plaidoirie pour l’indépendance de l’Eglise gréco-catholique contre les tentatives d’aliénation {în s tre in a re ) de l’Eglise unie, instiguée par le V atican582. L’uniatisme fut en fait un « pillage de la croyance » (p rd d a re a c re d in te ï) ou une « méthode de zizanie ». La volonté des gréco-catholiques fut depuis 1700 de revenir à l’orthodoxie. Après la première guerre mondiale et l’union de la Transylvanie en 1918, l’acte d’union et la « réintégration » ne put se faire parce que les cercles politiques sous le roi Ferdinand, les « cliques » réactionnaires, n’avaient pas intérêt à l’union du peuple roumain, ce qui fut totalement différent après le 23 août 1944. Comme le dit le ministre des cultes, depuis l’instauration du communisme, les Eglises catholique et gréco-catholique ont fait de la propagande contre le « nouveau régime de liberté ». « L’Eglise gréco-catholique s’est donc montrée anti-roumaine et anti­ démocratique »^83 Contrairement aux affirmations des gréco-catholiques, selon l’argumentation communiste, ce ne serait pas le Gouvernement et l’Eglise orthodoxe qui auraient pris l’initiative du retour des uniates à l’orthodoxie orientale, mais bien les gréco-catholiques eux-mêmes. Si la majorité des prêtres (431 prêtres et 87 % des paroisses) revinrent à l’orthodoxie, ceux qui 582 Cfr. aussi : G.T., Marcu, « Lupta lui Petru Maior impotriva papalitatii. însemnâri în legatura eu actualitatea Procanonului sau », dans O rto d o x ia , IV, 1952, 3-4, pp. 488-515 ; M. PROTASE, « Le “ procanon ” de Petru Maior, réplique sud-est européenne des attaques antipapales du XVIIIe siècle », dans R e v u e d e s E tu d e s S u d -E s t E u ro p é e n n e s , t. XI, 1973, f. 1, pp. 39-56 ; ID., « Sensul unirii de la 1700 în “ Istoria Bisericii Românilor ” de Petru Maior », dans M itro p o lia A rd e a lu i, Sibiu, t. XVI, 1971, f.5-6, pp. 409-415. 583 Stanciu STOIAN, « Atitudinea regimului de démocratie popularâ fatâ de cultele religioase », o p . c it., pp. 22-31. 276 refusèrent le firent parce qu’ils n’étaient en réalité que des « catholiques, corrompus par le Vatican impérialiste »584 Une des raisons du refus catholique, selon le ministre des cultes, se situe sur le plan économique. L’Eglise orthodoxe (70 % de la population) avait pour toutes ses éparchies 1731,42 ha de terrains agricoles et 2519,81 ha de forêts, au total 4251,23 ha. L’Eglise grécocatholique avait 3130,42 ha de terrains arables et 3082,45 ha de forêt, donc un total de 6212,87 ha pour un nombre de croyants ne s’élevant qu’à 8% du total des croyants du pays, c’est-à-dire 14 à 15 fois plus par croyant, sans parler des richesses venues de l’étranger, e tc . « De vrais magnats », comme l’affirme S. Stoian^SS, « Ainsi, dans un régime de liberté de culte, les gréco-catholiques ont aujourd’hui la liberté de réintégrer leur Eglise orientale, et les catholiques, qui ne connaissent pas ce régime parce que le Vatican n’a jamais respecté aucune forme de liberté, s’opposent au nouveau régime de démocratie En réalité, pour l’Etat communiste, supprimer l’Eglise gréco-catholique c’était se débarrasser du Vatican en Roumanie, d’un pouvoir « supra-national » échappant à la direction de l’Etat. L’Etat tenta également de rendre nationale l’Eglise catholique romaine qui garda pendant tout le régime un statut spécial, bien que légalisée par l’Etat. Pour supprimer l’Eglise uniate, en d’autres termes, afin que les « gréco-catholiques puissent revenir librement à leur véritable croyance des ancêtres », il avait fallu auparavant abroger le Concordat. Le Concordat avec le Vatican a été signé en 1929. De manière générale, la littérature communiste considère ce Concordat comme un privilège anticonstitutionnel attribué à l’Eglise catholique par rapport aux autres cultes. Il créait une situation telle que l’Eglise catholique était « un Etat dans l’Etat »^^^. Le Concordat impliquait dans la vision communiste que, même si les évêques devaient prêter serment au roi roumain conformément à la Constitution, ils étaient nommés par un Etat Ib id . Ib id . Ib id . Ib id . 277 étranger, le Vatican. De plus, le pouvoir économique de l’Eglise catholique, en raison des nombreuses richesses qu’elle possédait en Transylvanie, surtout du fait de l’héritage austrohongrois, échappait au contrôle de l’Etat. Ainsi les biens économiques, mais aussi la politique et l’enseignement qui auraient dû appartenir à l’Etat roumain dépendaient d’un pouvoir étranger incontrôlable, de surcroît « impérialiste ». La souveraineté de l’Etat roumain était donc « gravement menacée »588 Les dispositions du Concordat incluent l’Eglise gréco-catholique. « Elle est considérée comme une Eglise catholique en général, niant son caractère oriental. Comme le dit encore Stanciu Stoian, alors que les croyants gréco-catholiques se considèrent croyants d’une Eglise roumaine très proche de l’Eglise orthodoxe roumaine, « le Concordat a fait en sorte que la hiérarchie gréco-catholique se considère catholique, presque sans différence aucune avec les autres catholiques »^89_ Comme le soulignent les communistes, les gréco-catholiques purent être à nouveau libres, libérés de la papauté, grâce à l’annulaüon du Concordat qui permit leur retour à l’Orthodoxie. Alors que le peuple croyant était empreint de la le g e a w m â n e a s c à , la haute hiérarchie était imprégnée de l’idéologie catholique. « Ainsi on comprend pourquoi — souligne Stanciu Stoian — le retour des croyants gréco-catholiques fut réalisé sans difficulté, contrairement à certains membres de la hiérarchie. Les prêtres gréco-catholiques réfractaires soutenus par le Vatican, Etat bourgeois réactionnaire, ont fait des pressions sur le peuple roumain contre cette réunion, n’annulant en fait qu’un acte politique habsbourgeois de 1700 »^^^. Selon les affirmations de Stancu Stoian, « les seules libertés justes sont celles qui sont populaires, contrairement aux libertés de ceux qui veulent attenter à la liberté du peuple, et les gréco-catholiques n’ont eu la liberté de pouvoir revenir à l’orthodoxie qu’après 1948. La suppression de l’Eglise uniate est donc un acte de liberté de la part des croyants »^^L Ib id . Ib id . 590 Ib id , 591 Ib id . 278 C’est dans ce même esprit que le pouvoir communiste tenta de faire de l’Eglise catholique romaine roumaine^^^ une Eglise nationale après la convention de Cluj, pour la soustraire au Vatican^93 Dans ce contexte, les persécutions religieuses en Roumanie furent exti'êmement dures pour l’Eglise catholique uniate^^"^. Les biens ecclésiastiques furent attribués aux orthodoxes et constituent actuellement un contentieux grave entre les Eglises orthodoxe et gréco-catholique à nouveau légalisée depuis 1989^^^. J. B r o u n , « The Latin-Rite Roman Catholic Church of Remania », dans R e lig io n in C o m m u n is t L a n d s , vol. 12, 1984, f. 2, pp. 168-184 ; J.A. BROUN, « Catholics in Remania : A History of survival », dans Amer/ca, 150, n°18, 1984, pp. 357-361 ; ID., « Roraania’s Cherches behind the façade of Liberalism », dans, A m e ric a , 150, mars 1984, pp. 165-169. Pour la Moldavie : A. DESPINESCU, « L’élément catholique à l’est des Carpathes durant la période 1500-1650 », dans M is c e lla n e a H is to ria e E c c le s ia s tic a e , VII, Congrès de Bucarest, 1980 (Bibl. Revue d’Histoire ecclésiastique), t. 71, Bruxelles, 1985, pp. 111-114. R. JANIN, « L’Eglise catholique en Roumanie », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , 33e an., t.48, n°1092, avril 1951, col. 423-436. 594 « Calvarul Bisericii Unité », dans B is e ric a R o m â n d U n itd , Madrid, 1952; J. GOIA, « La création d’un “ comité de salut de l’Eglise roumaine unie ” », dans Is tin a , t. 23, 1978, n°2-3, Paris, pp. 328-336 ; Sergiu GROSSU, L e c a lv a ire d e la R o u m a n ie c h ré tie n n e , o p . c it. ; ID., T h e C h u rc h in to d a y ’s C a ta co m b s , New Rochelle, NY Arlington House Publishers, 1975 ; C. lONITOIU, o p . c it. ; L ’E g lis e ro u m a in e u n ie : 1 0 a n s d e p e rs é c u tio n , Ed. du Cèdre, Paris, 1958 ; « L’Eglise roumaine unie : 30 ans de persécution (1946-1975) », dans C h ré tie n s d e l'E s t, n° 8, 1975, pp. 1-73 ; LE COMITE DE SAUVETAGE DE L’EGLISE CATHOLIQUE ROUMAINE, « Appel du “ Comité de sauvetage de l’Eglise catholique roumaine de rite oriental ” à la conférence de Belgrade », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , n° 1736, 60e an., t. 75, f. 4, févr. 1978 ; L ib e rté re lig ie u s e e t d é fe n s e d e s d ro its d e l’h o m m e , IV , e n U R S S e t e n R o u m a n ie (Centre d’Etudes Istina), 23, f. 2-3, Paris 1978 ; I. RATIU, « The communist attack on the catholic and orthodox churches in Rumania », dans T h e E a s te m C h u rc h e s Q u a rte rly , Londres, vol. 8, n°3 juil.-sept. 1949, pp. 163-197 ; UN GROUPE DE CHRETIENS DE L’EGLISE UNIE, « L’appel au secours des chrétiens de Roumanie », dans L a D o c u m e n ta tio n C a th o liq u e , n°1779, 62e a., t. 77, f. 3, fév. 1980, pp. 147-148. 595 cfj- la conclusion. 279 III. L’argumentation de l’Eglise orthodoxe L’aigumentation de l’Eglise concernant la « réintégration » {re în tre g ire a ) de l’Eglise gréco-catholique à l’Eglise mère est dans l’ensemble semblable à celle de l’Etat, même s’il est bien clair que les motivations peuvent être différentes. Comme l’affirme le patriarche à propos de l’uniatisme : « Tout pays divisé contre lui même court à la ruine » {to a ta ta ra c a re se d e s b in a în ld u n tru l s d u , se p u s tie s te ) (Mt., XII, 25)596. En fonction de l’unité de foi et de croyance basée sur l’unité d’une ethnie, dans le cas présent l’ethnie roumaine, l’orthodoxie orientale ne peut souffrir l’existence pour une même ethnie de deux confessions différentes. On constate donc qu’il y a une confluence d’intérêts entre l’Eglise orthodoxe et l’Etat roumain, l’Eglise profitant du rétablissement de l’unité de la foi, et l’Etat de la garantie de l’unité et de la souveraineté du pays. JuSTINIAN, « Atitudinea Bisericii Ortodoxe Române fata de regimul democratiei populare » o p . c it., p. 118. On remarquera ici l’utilisation du mot « tara = pays » utilisé dans la traduction donnée par le patriarche Justinian, alors que la traduction roumaine dans la Bible non communiste on trouve le mot « împ^aüe = empire », traduction plus correcte du mot latin « re g n u m » (g re c ^ a a iX e ia ) cfr. Biblia sau sfînta srciptura, Ed. I.B.M.B.O.R., 1991, p. 1111 . 280 Ce problème se pose avec d’autant plus d’acuité que l’Eglise orthodoxe et l’Eglise catholique divergent de conception sur le plan de l’idéologie politique quant à l’idée de la nation. La symbiose entre roumanité et orthodoxie et ses implications sur le risque de r« exclusion » montrent combien cette idéologie orthodoxe ne peut non seulement admettre la pluralité confessionnelle sur un plan égalitaire dans un Etat-Nation, mais ne peut admettre une autre appartenance religieuse à la « nationalité » roumaine que celle de l’Eglise Orthodoxe Roumaine. Dans ce contexte, le gréco-catholicisme ne peut être que le fruit du prosélytisme catholique qui sévit en Roumanie depuis le XVIIIe siècle^^^ et constituer une tentative de déstabilisation de l’unité « nationale » ethnique. Quant aux confessions néo-protestantes qui se sont particulièrement développées au XDCe siècle, à la fin du régime communiste et depuis 1989, il n’est pas étonnant qu’elles soient dénommées par l’Eglise orthodoxe « le sectarisme venu de l’Etranger, principalement de l’Occident et des U.S.A. ». Il faut d’emblée noter que le discours de l’Eglise orthodoxe contre l’uniatisme, mais aussi contre le « sectarisme » ne s’est pas déployé uniquement sous le communisme, mais déjà entredeux-guerres^^^. Et depuis 1989, ce discours a repris toute sa viru len ce ^9 9 597 Mircea PACURARIU, « Incercâri si reveniri de preoti si parohii unité în sînul Bisericii str^osesti pîna în anul 1948 », dans B is e ric a O rto d o x â R o m â n a , LXXXVI, 1968, pp. 10951112. 598 On verra notamment : Dumitru St a n il o a e , « Catolicismul ; masca si unealta iridentei maghiare, dans T e le g ra fu l R o m a n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c , in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g u n a , Sibiu, LXXX, 1932, 9-10, pp. 1-2 ; ID., « lezuitii, dascalii uniatiei », Ib id ., LXXXIII, 1935, 3, pp. 1-2 ; ID., « Metoda uniata : minciuna si injuria personala », Ib id ., LXXXI, 1934, nr. 53, pp. 1-2 ; ID., « Pericul sectelor », Ib id ., LXXXVI, 10, 1938, p. 1. 599 Dumitru STANILOAE, « Ce que représente du point de vue théologique le geste politique de l’Eglise cathoüque-romaine nommé “ uniatisme ”, nous dit le Père Prof. Dumitru Staniloae : De rUniatisme », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXIe an., 1991, 1, pp. 1112. On pourra faire la comparaison avec l’article du même auteur écrit sous le communisme ; « L’uniatisme en Transylvanie, un phénomène définitivement disparu », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h , o rth o d o x C h u rc h XII, 1982, 1, pp. 3-5. Cfr. aussi : ID., « On uniatism...», dans R o m a n ia n nr. XXIe an., 1991, 1, pp. 9-11.Cfr. aussi la conclusion. 281 L’Eglise gréco-catholique n’a pas de conception ethnique de l’Eglise. Elle joua un rôle non négligeable dans le processus d’« émancipation » des Roumains de Transylvanie, dans la mesure où ses prêtres, comme le souligne Stanciu Stoian, ont dans bien des cas eu un enseignement tourné vers l’Occident. Ils se rendirent à Rome dans le cadre de leurs études et furent également en contact avec les Lumières*^. C’est ainsi que fut fondée l’Ecole transylvaine {S c o a la a rd e le a n a ) ou Ecole latine^d^ qui fut le fer de lance de la relatinisation du roumain au XVIIIe siècle. Des personnalités telles que Inochentie Micu-Klein, Samuel Micu-Klein, Gheorghe Sincai et Petru Maior comptèrent parmi les artisans les plus importants de la conscientisation de l’« originalité » de la « nation » roumaine. Ils comptèrent paiini les initiateurs de la thèse de la continuité daco-romaine du peuple roumain. Dans le régime de V U n io triu m n a tio n u m , l’Union des trois nations, qui garantissait aux trois nations magyare, saxonne et sicule le droit de siéger à la diète transylvaine, les gréco-catholiques voulurent élever la nation roumaine au rang de quatrième nation. Il est bien entendu que cette appellation « nation » s’inscrit dans le cadre de l’Ancien régime, en tant qu’ « Etat », et non au sens du XIXe siècle. Quatre religions, calviniste, luthérienne, unitarienne et catholique étaient considérées comme « reçues » (re c e p ta e ) et 600 Cfj- Mathias BERNATH, H a b s b u rg u n d d ie A n fà n g e d e r R u m à n is c h e n N a tio n s b ild u n g (Studien zur Geschichte Ost-Europas), Ed. E. J. Brill, Leiden, 1972, K irc h e u n io n : d ie R u m a n e n a ls in s tru m e n tu m re g n i, pp. 49-62 et l’excellent article de R. R. F l o r e SCU, « The uniate Church : Catalyst of rumanian national consciousness », op. ciL, pp. 324-343. ^01 On verra à ce sujet la littérature écrite par les Roumains d’exil pour le point de vue grécocatholique. Pierre GHERMAN, L ’â m e ro u m a in e é c a rte lé e ; fa its e t d o c u m e n ts , o p . c it. ; ID., P e n s é e ro m a in e , p e u p le ro u m a in , coll. « La Barque de saint Pierre », SPES, Paris, 1967 ; On verra par exemple le dictionnaire de S. MICU, G. SlNCAI, E le m e n ta lin g u a e d a c o -ro m a n a e s iv e v a la c h ic a e , o p . c it.. On verra la littérature écrite en Roumanie à ce sujet, dont notamment ; S. LEMNY, « L’école transylvaine et l’idée de patrie », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XXIII, 1984, 2, pp. 157-164 ; David PRODAN, « La lutte de Inochentie Micu pour le relèvement politique des Roumains de Transylvanie », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. IV, 1965, pp. 477-496 ; ID., S u p p le x L ib e lla s V a la c h o ru m , Ed. Stiintifica, 1967. D.I. PRODAN, L u p ta lu i In o c h e n tie M ic u p e n tru rid ic a re a p o litic a a R o m â n ilo r, Bucuresti, 1964. 282 dans Is to ria R o m în ie i, t. 3, l’orthodoxie était « tolérée ». Un des buts de Tuniatisme était de compter au XVIIIe siècle parmi les religions « re c e p ta e » , en tant que religion catholique. En 1791, cette politique d’émancipation mena à la rédaction du fameux mémoire de revendication écrit par les Roumains de Transylvanie et adressé à la cour de Vienne, le S u p p le x L ib e llu s V a la c h o ru m . Il faudra attendre l’extrême fin du XVIIIe siècle, avec la Révolution française, et 1848 surtout, pour voir se transformer cette « lutte » pour la reconnaissance en tant que quatrième « Etat » en lutte nationale^^^. Alors que les uniates contribuèrent à l’émancipation roumaine en Transylvanie, les orthodoxes luttèrent également pour la restauration de leur Eglise en Transylvanie^O^ Après l’union d’Alba Iulia de 1700, les orthodoxes qui ne s’étaient pas unis à Rome furent mis sous la juridiction du patriarcat orthodoxe serbe de Carlowitz. Ce fut Andrei Saguna qui mena au XDCe siècle la lutte pour la restauration de l’Eglise orthodoxe transylvaine^O^. En 1864, Saguna devint « archevêque indépendant des Roumains orthodoxes de Hongrie et de Transylvanie » et rédigea en 1869 les Statuts Organiques fondés sur le principe d’autonomie par rapport à l’Etat habsbourgeois, principe à la base des statuts de l’Eglise orthodoxe de 1925. C’est ce que l’on appelle la théorie « sagunienne » qui inspirera l’Eglise orthodoxe pour l’élaboration de ses statuts en 1925. Ainsi, alors que l’Eglise orthodoxe se présente comme le fer de lance de l’émancipation du peuple roumain et montre sa fusion bimillénaire avec la nation roumaine, elle ne peut 602 Mathias BERNATH, H a b s b u rg u n d d ie A n fà n g e d e r R u m a n is c h e n N a tio n s b ild u n g , o p . c it., pp. 49-62. 603 Alexandre DUTU, « Pouvoir des Habsbourg et peuple roumain au XVIIIe s. », o p . c it., pp. 83-92. 604 Qn verra particuliuèrement les études de Keith HiTCHINS, « Andreiu Saguna and the Rumanians of Transylvania during the decade of absolutism 1849-1859 », dans S ü d o s t F o rs c h u n g , t. 25, 1966, pp. 120-149 ; ID., O rth o d o x y a n d n a tio n a lity , A n d re iu S a g u n a a n d th e R u m a n ia n s o f T ra n s y lv a n ia , 1 8 4 6 -1 8 7 3 , o p . c it. ; ID., T h e n a tio n a lity p ro b le m in A u s tria - H u n g a ry , th e re p o rts o f A le x a n d e r V a id a to a rc h d iik e F ra n z F e rd in a n d ’s C h a n c e lle ry , (Etudes d’Histoire de l’Europe Orientale) Ed. Brill E.J., Leiden 1974 ; ID., T h e ru m a n ia n n a tio n a l m o v e m e n t in T ra n s y lv a n ia 1 7 8 0 -1 8 4 9 , Oxford University Press, London, 1969. 283 envisager qu’une autre Eglise roumaine « usurpe » ce droit et cette légitimité. Il y a en quelque sorte une rivalité entre les deux Eglises quant à l’exclusivité de la lutte « nationale ». Le jour du 21 octobre 1948 constitue pour l’Eglise Orthodoxe Roumaine « le grand acte historique de la réintégration de l’Eglise Orthodoxe Roumaine par le retour au sein de l’Eglise mère des frères qui durant deux siècles et demi ont été soumis à la Rome papale Par cet acte « les frères “ unis ” » sont revenus dans l’« âtre de la croyance ancestrale » {la v a tra c re d in te i s trd b u n e ), ro m â n e a s ca ) eux qui étaient toujours restés fidèles à l’ancienne loi roumaine {v e c h e a le g e alors qu’ils ont dû souffrir, contre leur volonté, la « domination despotique du Vatican »^06 Celle-ci avait pour mission de distraire les croyants des commandements du Sauveur, de les mener « sur la route de la trahison de la patrie et du peuple » {p e c a le a tra d a rii d e p a trie s i d e p o p o r)^^ ^. L’acte de 1700 est révélateur de l’esprit « anti-chrétien et politique » du Vatican et cristallise à lui seul toute la politique catholique dans les pays orthodoxes aux temps modernes. Les prêtres gréco-catholiques sont ainsi accusés par les orthodoxes d’avoir été utilisés par le Vatican dans la réaction contre l’acte de 1948, comme « agents de l’impérialisme pour détruire le patriotisme orthodoxe »^®^. On retrouve là l’argumentation semblable à celle qui justifia la suppression de l’uniatisme au Concile de Lvov en 1946, les uniates ukrainiens étant considérés comme des fascistes à la solde de l’Occident. 605 Re d a C T IA , « Cinci ani de la reîntregirea Bisericii Ortodoxe Române », dans O rto d o x ia , V, 4, 1953, p. 503. 606 jb id . 607 ^ p. 504. 608 ji)id ., p. 509, et passim. 284 A l’instar du gouvernement communiste, l’Eglise condamne également le Concordat avec le Vatican. Son annulation permit en 1948 la suppression de l’Eglise uniate, mais aussi r« abolition des privilèges catholiques Comme l’affirme le patriarche Justinian, la réintégration de l’Eglise orthodoxe de Transylvanie a été un acte impératif pour l’Etat, en tant que réalisation de l’unité nationale, dans toutes les parties du pays^^®. « Nous sommes ainsi persuadés que notre unité ecclésiastique va nous aider à rendre notre unité nationale indestructible « Le retour à la source de l’Orthodoxie {la m a tc a O rto d o x ie ï) a consolidé notre unité religieuse et a ouvert de larges perspectives pour les liens amicaux avec les autres confessions cohabitantes Alors que la Constitution de 1923 attribuait à l’Eglise gréco-catholique le rang de seconde Eglise nationale, des tentatives eurent lieu pour supprimer cette union avec Rome. Considérée comme un « accident » historique déjà entre les deux guerres, la question uniate devait être résolue definitivement. Ce fut le cas en 1948, et selon les orthodoxes cette question aurait dû rester close. « La réintégration de l’Eglise Orthodoxe Roumaine de Transylvanie est un acte définitif, un acte irréversible, parce qu’il a été accompli avec la volonté de Dieu et avec le désir et la décision de notre peuple entier Qn verra notamment : « Abrogarea concordatului », dans T e le g ra fu l R o m â n , o rg a n n a tio n a l b is e ric e s c, in te m e ia t în 1 8 5 3 d e m itro p o litu l A n d re iu S a g u n a , Sibiu, XCVI, 1948, 17- 18, p. 1. A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u im e z e u sJ o a m e n ilo r. P ild e sJ în d e m n u rip e n tru c le r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, p. 25. 611 Ib id . 612 r ed ac T IA , « Cinci ani de la reîntregirea Bisericii Ortodoxe Romane », o p . c it., p. 509. On remarquera le terme c o n fe s iu n i c o n lo c u ito a re , confessions cohabitantes, à la place de nationalités cohabitantes. 6 1 3 Ju s t in ia n , «...Unitatea bisericeasca ne va ajuta sa facem mai strînsa si indestructibila unitatea noastra nafionala... », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u s j o a m e n ilo r. P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, p. 110. 285 Alors que depuis 1885 la politique de l’Eglise fut de pai’achever son unité, confirmée en 1925 par l’obtention du titre de patriarcat, l’acte de 1948 représente « l’union de tous les frères roumains orthodoxes chrétiens » qui aujourd’hui « font partie du point de vue administratifecclésiastique de la même Eglise, l’Eglise orthodoxe roumaine Hormis la question de la nation, l’Eglise orthodoxe dénonce également le rôle de l’Eglise gréco-catholique comme frein ou obstacle à l’union des Eglises, à l’œcuménisme. Qualifiée de « tampon », l’Eglise gréco-catholique, par son caractère « hybride », doit donc être supprimée^^^. Il n’est pas étonnant que l’on entende actuellement l’expression de « Cheval de Troie » du Vatican pour cette Eglise catholique. En effet, dans le contexte des mouvements œcuméniques, et des tentatives de rapprochement entre les Eglises orthodoxe et catholique, l’Eglise uniate est une ingérence politique du Vatican dans l’orthodoxie, puisqu’il s’agit en fait d’une « intrusion étrangère au sein de l’ethnie roumaine ». La suppression de l’uniatisme en 1948 dans un pays où la confession est liée à l’ethnicité ou à la nation, apparaît comme un événement extrêmement important puisqu’il relève d’un sentiment d’appartenance et d’une identité culturelle. Dans ces conditions, la religion ainsi comprise, supprimer une Eglise revient à éradiquer une identité culturelle. Comme le dit le gréco-catholique P. Gherman : « Mais le nationalisme de l’Eglise orthodoxe roumaine s’explique aussi par le désir de s’affirmer comme unique Eglise au service du peuple roumain. On prétendait même que l’universalisme de l’Eglise catholique la rendait étrangère aux aspirations des peuples ; il fallait donc à la Roumanie une Eglise nationale qui ne pouvait être que l’Eglise orthodoxe roumaine. La hiérarchie orthodoxe voulait prouver aussi, par son nationalisme, qu’elle était toujours au service de la nation dans le dessein, peut-être, de justifier 614 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie à la Roumanie », o p . c it., p. 8. 616 JUSTINIAN, « Dialogul eu romano-catolicii nu va putea începe cît timp va exista “ tamponul ” Bisericilor greco-catolice », dans A p o s to la t S o c ia l. S lu jin d lu i D u m n e z e u s i o a m e n ilo r. P ild e s i în d e m n u ri p e n tru c le r, Ed. I.B.M.O., Bucuresti, 1971, pp. 313-317. 286 une certaine éclipse de son rôle au cours de certaines périodes de l’histoire, durant lesquelles elle a dû subir l’influence étrangère gréco-slave. Dans cette perspective nationaliste on ne voyait pas non plus une différence entre l’Etat comme institution juridique et la nation comme réalité ethnique, d’où un autre risque pour l’Eglise de s’identifier avec les deux à la fois, ce qui explique certaines attitudes ultérieures, même sous le régime actuel »616 On comprend pourquoi depuis la relégalisation de l’Eglise gréco-catholique après la chute du communisme, cette Eglise du « Silence » fait preuve de prosélytisme et de publicité afin de restaurer ses droits et ses valeurs. Dans la société post-communiste d’aujourd’hui^'^, la question uniate se pose avec une acuité accrue non seulement parce que le nationalisme roumain, même si l’idéologie marxisteléniniste a disparu, reste d’actualité, mais parce que la réapparition d’une « autre » Eglise roumaine, l’Eglise uniate sortie des « catacombes », menace l’intégrité de l’Eglise orthodoxe dans son unité^'S. Cette réapparition est associée à l’instabilité due à la chute du communisme et aux tentatives de déstabilisation des frontières en Transylvanie. La politique d’expansion de l’Eglise catholique dans les pays de l’Est et dans les Balkans semble provoquer un repli « national » et la résurgence de l’idée d’une menace « impérialiste » occidentale semble trouver un large écho dans la littérature orthodoxe qui dénonce le prosélytisme catholique. Celui-ci est considéré comme une des causes de l’exacerbation des revendications des minorités confessionnelles et ethniques^Outre les publications sur la question uniate parues dans les 616 Pierre GHERMAN, P e n s é e ro m a in e , p e u p le ro u m a in , o p . c it., p. 294. 617 Cfr. notamment : R o m a n ia a fte r ty ra n n y , édit Daniel N. NELSON, Westview Press, Boulder, San Francisco, Oxford, 1992. Cfr. les rérérences dans la conclusion, point II. 618 Dumitru STÂNILOAE , « Ce que représente du point de vue théologique le geste politique de l’Eglise catholique-romaine nommé “ uniatisme ” , nous dit le Père Prof. Dumitru Staniloae : De l’Uniatisme », o p . c it., pp. 11-12 ; Mircea P a C U R A R IU , P a g in i d in is to ria B is e ric ii ro m â n e s ti. C o n s id e ra tii în le g d tu rd e u u n ia tia în T ra n s ilv a n ia , Ed. A.O.R. de Vad, Feleac et Cluj, Cluj-Napoca, 1991. 619 Cfr. par ex. ; Ion BRI A, « Uniatismul în România : anacronic si antiecumenic », dans B is e ric a O rto d o x a R o m â n d , CIX, n° 1-3, 1991, pp. 29-32 ; Gheorghe I. DRAGULIN, 287 revues de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, on verra les mises en garde sévères et révélatrices de l’archevêque de Cluj, V. Anania, dans son ouvrage, P ro m e m o ria , A c tiu n e a c a to lic is m u lu i în paru en 1992^20^ accusant l’Eglise catholique de prosélytisme magyar R o m â n ia in te rb e lic â révisionniste, parallèlement à une « tentative de falsification de l’histoire nationale » outrepassant l’abolition du Condordat en 1948. En fait la question du Concordat reste actuellement l’objet d’un litige très important et la rediffusion d’ouvrages à ce sujet par l’Eglise orthodoxe est révélatrice de la méfiance vis-à-vis de l’Eglise catholique. Celle-ci a nommé des évêques en Transylvanie, sans l’avis des autorités roumaines, et a provoqué les passions les plus vives au sein de la hiérarchie orthodoxe^^i Comme le souligne I. Bria, l’uniatisme représente une altération anachronique de l’orthodoxie orientale, une altération de l’identité roumaine et un danger pour la réconciliation nationale depuis 1989^^2. L’uniatisme est en fait toujours considéré comme l’obstacle majeur du dialogue œcuménique^^S Comme le dit encore le théologien D. Staniloae en 1991, « l’existence de l’uniatisme implique le manque de charité et l’option en sa faveur est une décision contre la charité et contre l’Esprit Saint, parce que l’uniatisme constitue l’hypostase vivante de la contestation d’une Eglise par une autre Eglise sœur et parce que l’uniatisme vient contester l’action évidente de « Uniatia ardeleana si o necesarâ reinterpretare a istoriei ei », Ib id ., pp. 32-39 ; Mircea P a C U R A R IU , R o u m a in e , Ib id ., 620 « Vérités qui doivent être connues », dans N o u v e lle s d e l ’E g lis e O rth o d o x e XXe an., n°2, 1990, pp. 5-11. Cfr. aussi « Points de vue : Pages d’histoire », XXIe an., 1991, 1, pp. 9-10. Valeriu ANANIA, P ro M e m o ria . A c tiu n e a c a to lic is m u lu i în R o m â n ia in te rb e lic â , o p . c it., passim et pp. 108-110. 621 Outre le livre de Valeriu Anania, P ro M e m o ria . A c tiu n e a c a to lic is m u lu i în R o m â n ia in te rb e lic â o p . c it., on verra P a tria rh ia O rto d o x â ro m â n â sJ C o n c o rd a tu l, tip. Cartilor bisericesti, Bucuresti, 1929. 6 2 2 b r i a . Ion, « Uniatismul în România : anacronic si antiecumenic », op. cit., pp. 29-32. Cfr. aussi ; DRÀGULIN, Gheorghe 1., « Uniatia ardeleana si o necesara reinterpretare a istoriei ei », o p . c it., pp. 32-39. 623 D ClOBOTEA, « Points de vue ; Uniatisme ou dialogue de réconciliation ? », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., 1990, 1, pp. 33-34. 288 l’Esprii Saint manifestée dans la vie de l’autre Eglise sœur L’uniatisme représente un « mur » entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe. « On affirme parfois que l’uniatisme serait une réalité produite par l’histoire et, comme tel, ne pouirait plus disparaître même si l’Eglise Catholique-romaine le souhaitait. En fait, l’uniatisme n’est pas une réalité religieuse par lui-même, comme l’Orthodoxie, le Catholicisme ou le Protestantisme ; il est soutenu par le Catholicisme et, dès que le Catholicisme lui refuserait son appui, les fidèles uniates réintégreraient tout naturellement l’Orthodoxie, à laquelle ils appartiennent en essence, tandis que les chefs uniates s’intégreraient dans le Catholicisme auquel ils appartiennent, à leur tour en cachette. L’uniatisme a donc une pseudoexistence, une existence apparente. (...) C’est pour toutes ces raisons que le renoncement définitif et total à l’uniatisme constitue la condition sine qua non du rétablissement de rapports œcuméniques et de charité entre les deux Eglises. C’est une vérité qui déplaît probablement à quelques-uns, mais c’est l’unique à ce sujet édifiante pour tous dans la perspective de l’avenir »625 On constate donc que le discours anti-uniate de l’époque communiste reste valable depuis 1989. Cette idéologie existait déjà avant 1948. Autrement dit, l’anti-uniatisme ne peut être considéré uniquement comme le fait de l’influence communiste, mais s’inscrit dans une logique séculaire orthodoxe que le communisme a favorisée et dont il a tiré profit. A propos de cette question, on citera en guise de conclusion la déclaration suivante, faite à l’époque communiste, mais certainement toujours valable aujourd’hui : « Ainsi, fidèle à la le g e a s tra n w s e a s ca , les Roumains au XVIIIe siècle ont dû lutter contre la propagande catholique et 624 Dumitru STANILOAE, « Ce que représente du point de vue théologique le geste politique de l’Eglise catholique-romaine nommé “ uniatisme ” », o p . c it., p. 11. On remarquera que cet article s’inspire du livre de Dumitru STANILOAE, U n ia tis m u l în T ra n s y lv a n ia , în c e rc a re d e d e z m e m b ra re a p o p o ru lu i ro m â n , Ed. I.B.M.B.O.R., Bucuresti, 1973, édité sous le régime communiste. 625 p. 12. On verra aussi la condamnation de la politique de l’Eglise gréco-catholique visant à impliquer le gouvernement dans les luttes religieuses, entravant la séparation de l’Eglise et de l’Etat en Roumanie dans ; LE PATRIARCAT ROUMAIN, « L’Eglise orthodoxe roumaine et le groupe de rite oriental de l’Eglise catholique-romaine », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXIe an., 1991, 1, p. 13. 289 réformée véhiculée par Tuniatisme, pour défendre l’orthodoxie orientale et l’essence ethnique du peuple »626 Sur le plan de l’idée de nation roumaine et d’unité de la foi, on se retrouve en fait devant le problème de l’existence de deux Eglises, l’Eglise orthodoxe et l’Eglise gréco-catholique, pour un seul peuple, le peuple roumain627_ Dans la perspective de l’ethnicité de l’orthodoxie et de l’unité de la foi, corollaire à l’unité nationale et « nationale ethnique », cette situation ne peut être conçue au sein de l’orthodoxie roumaine. Le problème de l’uniatisme confirme les remarques que nous avons posées à propos du problème de l’ethnicité comme fondement de l’exclusion. En réalité, a c o n tra rio , si un orthodoxe en Roumanie ne peut être que roumain, et inversement un Roumain ne peut être qu’orthodoxe, il est implicite qu’un gréco-catholique ne peut être un vrai Roumain. On comprend les accusations de trahison à la patrie et à l’Eglise des « ancêtres », sous le régime communiste. On peut donc affirmer que la question uniate n’est pas un problème dû uniquement aux circonstances provoquées par le régime communiste, mais s’inscrit aussi, à l’instar du problème de l’ethnicité, dans la continuité de l’idéologie orthodoxe du XXe siècle. La question serait de savoir si l’orthodoxie a influencé l’idéologie communiste en la matière, ou si l’idéologie communiste a été prépondérante, quant à l’éradication du phénomène uniate. La virulence du débat actuel témoigne en tous les cas de l’opportunité de la question. 626 iiie MOLDOVAN, « Etnicitate si autonomie bisericeasca... » o p . c it., p. 258. 627 Dumitru S t À N IL O A E , « L’uniatisme en Transylvanie, un phénomène définitivement disparu », o p . c it., pp. 3-5. Cfr. notamment aussi : REDACTIA, « Cinci ani de la reîntregirea Bisericii Ortodoxe Române », dans O rto d o x ia , V, 4, 1953, pp. 503-513. On notera également le rôle accordé par l’Eglise orthodoxe à l’Eglise uniate dans le domaine de l’œcuménisme : JUSTINIAN, « Dialogul eu romano-catolicii nu va putea începe cît timp va exista “ tamponul ” Bisericilor greco-catolice », o p . c it., pp. 313-317. 290 Chapitre IV : L’EGLISE ORTHODOXE ET LES PROBLEMES NATIONAUX : V « œ c u m é n is m e lo c a l » et le s « n a tio n a lité s c o h a b ita n te s » D faut distinguer deux éléments fondamentaux en matière d’œcuménisme et de recherche de l’unité. D’une part, l’Eglise orthodoxe exige l’unité ecclésiastique nationale de l’orthodoxie roumaine en raison de l’idéologie explicitée ci-dessus. D’autre part, elle désire contribuer à l’unité de l’Eglise chrétienne ; c’est l’œcuménisme des années soixante et suivantes. On saisit là toute l’ambiguïté de l’expression, « qu’elle soit une » (sa fie una) (I. Co., XII, 13), puisqu’elle est invoquée tantôt pour justifier l’unité de l’orthodoxie à propos du problème avec l’Eglise gréco-catholique, tantôt pour montrer l’unité de l’Eglise chrétienne. Par contre, l’œcuménisme local, c’est le rapprochement interconfessionnel, mais dans le respect des identités ethniques, c’est-à-dire le respect de l’existence d’autres confessions « nationales » sur le territoire de la Roumanie. Par rapport à cette unité sans cesse recherchée, l’unité de la foi, l’unité culturelle et ethnique, se pose inévitablement la question des rapports avec les nationalités et les confessions non « orthodoxes » « roumaines ». Autrement dit, c’est la question de la confrontation dans un Etat-Nation entre une religion « dominante » de l’« ethnie » majoritaire avec les autres 291 « nationalités », pour lesquelles le discours orthodoxe refuse l’utilisation du terme « minorités » par opposition à la littérature occidentale et hongroise. Il s’agit du problème des minorités confessionnelles, les communautés calvinistes hongroises et luthériennes saxonnes principalement pour la Transylvanie, et par conséquent des questions « ethniques » de la Roumanie dans le cadre de l’assimilation par le pouvoir des particularismes au sein de la République Populaire Roumaine^^®. Le problème réside dans le fait que, une fois de plus, cet aspect est présenté par l’Eglise orthodoxe, encore aujourd’hui, comme un problème résolu par la R.S.R. ou à résoudre dans le cadre des institutions du régime dans un contexte de « pleine liberté ». L’œcuménisme local se traduit par des conférences interconfessionnelles réunissant les cultes légaux du pays, et ce depuis 1964. L’Eglise orthodoxe roumaine adhéra au Conseil Œcuménique des Eglises en 1961 à la conférence de New-Delhi629_ Le problème est toujours celui de la distance entre les textes et la propagande d’une part et la réalité concrète d’autre part. Les textes relatifs à cet œcuménisme local sont des exemples révélateurs de ce « meilleur des mondes » décrit dans la littérature communiste. La Roumanie a toujours été un lieu de convergence de nombreuses confessions qui toujours se sont côtoyées dans la « bonne entente ». La Roumanie par son pluri-confessionalisme a été, selon les orthodoxes, un lieu de grande tolérance religieuse^^^. Lorsque l’œcuménisme n’existait pas en 628 cfj- la bibliographie en introduction relative aux minorités en Roumanie. 629 « Local Ecumenism. Inter-Theological Conférences », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N ew s, Ile an., 1972, 2 pp. 51-56. 630 Q ARGESANUL, « La tolérance religieuse des Roumains dans les écrits d’un voyageur étranger du siècle passé », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIe an., 1986, 2, pp. 62-64. Cfr aussi les écrits du prêtres orthodoxes : Ion DURA, « La tolérance religieuse en Valachie et en Moldavie pendant la seconde moitié du XVIIe s. », dans Iré n ik o n , t. 57, 1984, pp. 52-58 ; Ion DURA, « La tolérance religieuse en Valachie et en Moldavie pendant la seconde moitié du XVIIe s. », dans R e v u e R o u m a in e d ’H is to ire , t. XXIV, 1985, 3, pp. 249-266. Pour la Transylvanie : Gàbor Ba r t a , « L’intolérance dans un pays tolérant : la principauté de Transylvanie au XVIe siècle », dans L e s fro n tiè re s re lig ie u s e s e n E u ro p e d u X V e a u X V IIe s iè c le , a c te s d u X X X Ie c o llo q u e in te rn a tio n a l d ’é tu de s h u m a n is te s , 292 sous la direction d’Alain tant que tel, la Roumanie offrait déjà l’exemple de « bonnes relations interconfessionnelles Au regard des comptes rendus des sessions interconfessionnelles il s’agissait de relayer le discours officiel de l’Etat. « Nos Eglises agissent au cadre d’un peuple qui aime la paix, connu dans le monde entier pour sa fermeté et son unanimité avec lesquelles il affirme son désir de paix... Profondément significatif pour cette décision de notre peuple de tout faire pour la sauvegarde de la paix est le référendum du 23 novembre pour la réduction avec 5 % des armements, des effectifs et des dépenses militaires... ayant comme fondement la brillante initiative du Président de notre pays, M. Nicolae Ceausescu, grand héros de la paix..., le référendum prouva encore une fois le démocratisme et l’humanisme de notre société socialiste »632 Comme l’affirme le patriarche Teoctist à l’occasion de la 50e conférence interconfessionnelle, par cet œcuménisme local, l’Eglise participe pleinement à l’édification du socialisme : « nous unissons nos efforts pour soutenir tant la cause de la protection de la paix et de la vie sur terre que le travail enthousiaste de notre peuple, l’épanouissement de notre chère patrie, la République Socialiste de Roumanie. Nous nous identifions donc aux efforts de ce peuple...»633 DUCELLIER, Janine G a r r iSSO N et Robert Sa u ze T (Université de Tours, Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance), Etudes réunies par Robert SAUZET, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1992 (De Pétrarque à Descartes), pp. 151-158. 631 On verra principalement les deux articles de Zoltan ALBU, « Œcuménisme local. L’œcuménisme local en Roumanie », dans R o m a n ia n O n h o d o x C h u rc h N e w s , XVe an., 1985, 1, pp. 64-70 et dans la revue calviniste hongroise : « Ortodox és protestâns együttmükôdés Bukarestben az ôkumenikus mazgalmakat megelôzô idôkben », dans R e fo rm a tu s S z e m le , ClujNapoca, t. 78, 1985, 1, pp. 29-33. 632 « Oecuménisme local. La 48e conférence théologique interconfessionnelle », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIe an., 1986, 4, p. 101. 633 « Œcuménisme local. La 50e conférence théologique interconfessionnelle », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVlle an., 1987, 5, p. 11. 293 Cet œcuménisme local s’inscrit donc dans la perspective de l’Apostolat social de Justinian. L’Eglise doit oeuvrer pour la paix, la justice sociale, la collaboration fraternelle et l’amour chrétien. Elle doit contribuer à l’édification de la nouvelle société qui mit fin au fascisme et à la monarchie, sources des inégalités du passé^34 On sait combien le problème du respect des minorités en Roumanie souleva les passions dans les dix dernières années du régime communiste. Les analystes occidentaux et hongrois l’ont suffisamment soulevé. « Cependant, toujours actuellement, la vérité sur ce problème reste occultée, et il est peu aisé de savoir exactement dans quelle mesure le rôle de l’Eglise orthodoxe fut déterminant dans le dialogue entre les communautés Le problème est d’autant plus complexe qu’au sein des hiérarchies ecclésiastiques des autres confessions, le phénomène d’asservissement des dignitaires fut semblable à celui rencontré dans l’orthodoxie. Comme le dit le patriarche Teoctist lors de l’inauguration de la 48e conférence théologique interconfessionnelle, « tous ensemble, nous n’épargnerons aucun effort pour appuyer les initiatives de la haute autorité d’Etat vouées à la collaboration et la fraternité entre hommes et peuples »636 Ces conférences semblent donc avoir été de grandes cérémonies d’allégeance des cultes de Roumanie au pouvoir. On constate que chaque intervention des différents dignitaires ecclésiastiques des confessions respectives était une affirmation du soutien de l’Eglise au pouvoir. « Gardons ce que nous avons gagné dans les 40 années de république. Faisons preuve ^34 Qn verra l’allocution d’ouverture du patriarche Teoctist dans : « Œcuménisme local. La 50e conférence théologique interconfessionnelle », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an., 1987, 5, pp. 10-15. Zoltan ALBU, « Œcuménisme local. L’œcuménisme local en Roumanie », o p . c it., pp. 64-70 ; V. lONITA, « Convietuirea si conlucrarea frateasca de veacuridintre poporul român si nafionalitatile conlocuitoare - temei al ecumenismului local din patria noastra », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XXXIX, 1987, 5, p. 97 ; « Oecuménisme local, La 50e conférence théologique interconfessionnelle », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an., 5, 1987, pp. 10-33. 636 « Œcuménisme local. La 48e conférence théologique interconfessionnelle », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIe an., 1986, 4, p. 100. 294 de loyauté et d’ouverture à l’égard de tout ce qui se réalise de nouveau dans notre pays. C’est un devoir pour nous tous d’implanter ces idées dans les âmes de nos fidèles » concluait Teoctist lors de la 50e conférence en 1987^^^. Il faut remarquer cependant le rôle dominant de l’Eglise orthodoxe à propos de l’œcuménisme local. Dans un Etat nationaliste roumain totalitaire, où la religion orthodoxe est dominante, il est légitime de poser la question de l’efficacité d’un tel dialogue, surtout en raison de la discrimination « implicite » de l’idéologie roumaine orthodoxe, comme nous l’avons souligné. Il est révélateur que l’objet de ces conférences soit notamment : « la coexistence et la coopération fraternelle entre le peuple roumain et les nationalités cohabitantes, fondement de l’œcuménisme local de notre patrie L’Eglise orthodoxe relayait ainsi la politique de Ceausescu relative aux minorités. On doit relever dans cette citation que le « peuple » roumain est le « peuple » orthodoxe, et les nationalités cohabitantes sont des minorités ethniques confessionnelles qui n’en font pas partie. Ceci confirme les constatations que nous avons faites à propos de la conception ethnique et nationale de l’orthodoxie. L’œcuménisme local aurait ainsi pour but de concilier les nationalités, qui de toute manière ne font pas partie du peuple roumain, dans le sens n e a m u l ro m â n e s c . On constate que l’ouverture vers les autres confessions reconnues devait montrer que la politique roumaine œuvrait pour le respect des identités nationales des populations « nonroumaines ». Cet œcuménisme local permit, dans le cadre de la propagande à l’étranger, de montrer à l’Occident le souci de dialogue de l’Eglise orthodoxe, et donc de l’Etat, avec les autres confessions du pays, et par conséquent de relayer la propagande de l’Etat communiste relative au respect des minorités^39 637 « Œcuménisme local. La 50e conférence théologique interconfessionnelle », dans R o m a n ia n O rth o d o x C h u rc h N e w s , XVIIe an., 1987, 5, p. 25. 638 jiy id ,, p. 27. 639 On verra notamment tous les ouvrages de Ceausescu sur ces problèmes comme : Nicolae Ce a u s es c u , T h e s o lv in g o f th e n a tio n a l q u e s tio n in R o m a n ia , 295 Bucharest, 1980. Par cet œcuménisme local, l’Eglise orthodoxe s’inscrit dans le cadre de l’Apostolat social et légitime sa collaboration avec l’Etat. Si l’Etat contribue à la « fraternité entre les peuples » du pays, l’Eglise doit y contribuer dans le cadre de l’Apostolat social et de l’Eglise « servante ». 296 CONCLUSION 1. U n « g lis s e m e n t s é m a n tiq u e » e t u n e a m b ig u ïté e n tre « patria », « natiunea », « popor » e t « neam » Alors que le discours de l’Eglise orthodoxe sur la question du patriotisme et de l’Eglise populaire se basait sur la notion de nation au sens large dans les années cinquante, on s’aperçoit que ce sens s’est considérablement resü'eint pendant le régime communiste pour se limiter à une conception ethnique de la nation, incarnée par le principe de l’ethnicité de l’Eglise. C’est de cette ethnicité que découle toute l’argumentation relative à l’« idéologie politique » générale de l’orthodoxie roumaine. L’argument théologique et les fondements évangéliques justifient le respect de l’autorité et légitiment la séparation des pouvoirs spirituel et temporel, c’est-à-dire le principe de r« autonomie », tout en montrant la complémentarité entre les deux pouvoirs, leur « interdépendance ». Dans le cadre de la thèse de la continuité daco-romaine, le thème de la nation est utilisé comme argumentation justifiant la collaboration de l’Eglise avec l’Etat de 297 manière beaucoup plus précise que dans le sens de « patriotisme », tel qu’il était développé dans les premières années de l’Apostolat social. Le lien, voire l’osmose, entre l’Eglise orthodoxe et la nation roumaine depuis l’ethnogenèse du peuple roumain jusqu’à l’édification de l’Etat socialiste, aboutissement ultime de l’évolution de la société, implique une collaboration mutuelle entre les deux institutions. « A tous ces moments, les hiérarques et le clergé ont compris avec une lucidité parfaite et ont agi en conséquence, que les deux entités, l’Eglise et la Patrie, ne sauraient être séparées (...) sans séparer les idéaux de l’Eglise des idéaux du peuple, mais en les considérant unis tout comme ils le sont encore de nos jours au sein du Front de la Démocratie et de l’Unité socialistes »^®. L’utilisation anachronique des notions touchant au peuple et à la nation est significative de l’idéologie orthodoxe. Les orthodoxes utilisent le terme « ethnie » avec la connotation du sang, voire de la « race », bien que ce terme ne soit jamais utilisé sous le communisme, et le terme « nation » dans le sens du XIXe siècle d’entité ethnique ou de « nation » dans le sens jacobin, en tant qu’Etat centralisé. Ils envisagent le mot « nation » dans le sens contemporain, non seulement pour les écrits néo-testamentaires dans le sens ethnique (n e a m ), alors qu’il s’agit d’un sens bien particulier, à savoir de « nation » non juive, et pour l’Ancien régime, dans le sens de « nation » en tant qu’« Etat » à la diète transylvaine. Autrement dit, il y a non seulement ambiguïté dans les acceptions actuelles, puisque l’Eglise joue sur l’équivoque entre « nation » et « patrie socialiste », mais projette également dans le passé des notions modernes et contemporaines inapplicables pour les périodes envisagées. La conception de la nation doit se comprendre dans le discours orthodoxe de manière « atemporelle ». C’est la généralisation de l’anachronisme qui constitue la base du discours déterministe, historique et nationaliste. « Continuant au long de notre histoire une aspiration ^■40 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le 70e anniversaire de l’union de la Transylvanie à la Roumanie », dans N o u v e lle s d e l’E g lise o rth o d o xe ro u m a in e , XVIIIe an., 1988, 6, p. 9. On verra la quatrième partie pour la participation de l’Eglise orthodoxe avec le Front de la Démocratie et de l’Unité Socialistes. 298 juste et sacrée, l’idée de l’unité nationale-statale (s ic ) ainsi que celle de l’indépendance et de la souveraineté nationale s’est exprimée de manière évidente comme une permanence de programme et de réalisation L’utilisation d’un champ lexical particulier est à ce point de vue révélateur. On citera la « conscience permanente », le « désir d’unité nationale », e tc . « Les raisons du désidératum d’unité nationale, nourri pendant des siècles par nos ancêtres, habitants permanents des provinces roumaines (...) ont trouvé toujours leurs fondements légitimes dans l’héritage commun que nous ont légué les Géto-Daco-Romains, le même espace ethno-géographique, l’unité de langue, de foi, de tradition et d’aspirations Il faut également souligner, à propos du nationalisme roumain, son caractère non conquérant II s’agit d’un nationalisme de défense, un rempart contre les agressions extérieures. Les Roumains, par leur autochtonisme, ne descendent pas d’un peuple conquérant, comme les peuples slaves par exemple. Es ont une idéologie basée sur la défensive. On notera à ce propos l’expression « nous sommes au carrefour de toutes les méchancetés (...). Quelle intelligence, quelle habileté, queUe force spirituelle vinrent doubler leur force physique pour qu’au plus fort des luttes de défense ils ne perdent ni leur identité, ni la possession de leur terre ! »643 C’est également dans ce contexte que doit se comprendre le concept de le g e a s trâ m o s e a s c â , comme code moral visant à défendre l’intégrité de la foi et ethnique. Alors que toute la littérature orthodoxe montre que la conception de l’orthodoxie nationale n’est pas « nationaliste », elle affirme que le nationalisme est issu du monde catholique romain. En réalité, l’idéologie nationale roumaine orthodoxe des années quatre-vingt est un nationalisme qui non seulement refuse son nom, mais qui en plus le nie de manière permanente. Il n’est pas étonnant que les auteurs fassent systématiquement allusion au phylétisme — tout en le niant dans le cas de l’orthodoxie roumaine—, condamné par l’Eglise de Constantinople et 641 Ib id ., p. 5. 642 Ib id . 643 Antonie PLAMÀDEALA, « Editorial. Transylvanie : Vérités du passé, vérités d’aujourd’hui », o p . c it., p. 3. 299 condamné encore à Athènes récemment par des orthodoxes eux-mêmes. Même si l’Eglise orthodoxe se défend de tout nationalisme, ayant notamment proscrit du discours le mot « race » communément utilisé entre-deux-guerres, il est clair que son idéologie est intrinsèquement nationaliste. Elle ne tient pas un discours agressif contre l’« Autre », mais en définissant les limites de l’identité roumaine nationale, jusqu’à invoquer l’argument de l’ethnicité de l’Eglise, elle implique le mécanisme de l’exclusion. En cela on peut affirmer que la littérature orthodoxe sous le communisme, dès les années soixante, véhicule une idéologie de l’exclusion où ethnicité et sobomicité deviennent des notions utilisées de manière dialectique, dans le sens d’une réalité ecclésiale supérieure issue de deux concepts apparemment contradictoires^. 644 On verra surtout à ce propos la quatrième partie sur le problème de l’œcuménisme 300 2. D e u x iè m e a rg u m e n t « s y llo g is tiq u e n a tio n a le (o Bisericâ nationala) » .• u n e E g lis e Le premier argument syllogistique que nous avons relevé concernait le patriotisme défini par l’Apostolat social des années cinquante, correspondant à la période de Gheorghiu Dej. L’Eglise orthodoxe était l’Eglise du peuple, le peuple était l’Etat, l’Eglise et l’Etat sont donc intimement liés et doivent collaborer entre eux. C’était un des éléments de la « symphonie » entre les deux institutions, hormis la question des relations constantiniennes basées sur la conception évangélique et patiistique de l’Etat dans la tradition orthodoxe. Sous Ceausescu, un second syllogisme va s’établir entre les deux institutions, dont le moyen terme sera cette fois, non plus le peuple ou la patrie au sens marxiste, mais la nation au sens ethnique, nationaliste. L’Eglise orthodoxe a participé à la pérennité de l’identité roumaine, a contribué à l’indépendance et au progrès social et national de la « nation », doit collaborer avec l’Etat qui est lui-même l’expression de la nation. L’Eglise orthodoxe est l’Eglise de la nation roumaine ; la nation, c’est l’Etat roumain ; l’Eghse « nationale » doit par conséquent collaborer avec l’Etat communistes^. Il s’agit d’une argumentation basée sur un syllogisme dont le moyen terme est la « nation » ou le « peuple » roumain, mais dans le sens de l’ethnicité roumaine et orthodoxe. L’Eglise orthodoxe n’a pas développé de doctrine vis-à-vis d’un Etat en particulier, elle reste fidèle aux principes justifiant sa place dans un Etat, indépendamment de la nature du régime et ANTONIE (évêque assistant au patriarcat roumain), « Church and State in Romania », o p . c it., pp. 90-106 ; ID., « Documentaire ; Eglise et Etat en Roumanie », o p . c it., pp. 12-22. 301 de son idéologie. C’était l’argumentation des premières années du régime. Elle reste valable sous Ceausescu. Par la superposition du devoir patriotique et du lien national « bimillénaire » entre orthodoxie et roumanité, l’Eglise doit collaborer avec l’Etat. « Les hommes d’Eglise, hiérarques, prêtres, moines, qui ont contribué à la sauvegarde et à l’affirmation de la culture du peuple roumain, outre leur mission sacrée, ont fait preuve de responsabilité patriotique, remplissant leur devoir de fils de l’EgHse orthodoxe roumaine et de fils de cette nation »646 Le patriarche lustin Moisescu s’exprimait ainsi lors de son intronisation en 1977 : « Nous ressentons que nous sommes roumains et orthodoxes. La conscience de notre Orthodoxie est fusionnée (c o n to p ita ) avec notre conscience nationale Cest pourquoi, I. Bria évoque non seulement la symphonie avec l’Etat, mais également la « symphonie nationale entre l’Eglise et le peuple » {s im fo n ia n a tio n a la )^ ^^ . L’Eglise étant liée au destin de la nation, et la nation étant l’Etat, l’Eglise doit collaborer avec l’Etat. On comprend mieux ainsi les affirmations du moine loasaf en 1990 : « L’Eglise fut donc sans cesse présente pendant ces temps de régime communiste et a payé par des milliers de sacrifices humains. Mais, à la différence d’autres cultes minoritaires de noti'e pays, la direction de l’Eglise orthodoxe n’a pas pu risquer de s’opposer ouvertement au pouvoir séculier, vu aussi qu’en principe était garantie la liberté du culte. Toute opposition aurait entraîné la liquidation totale de toute hiérarchie et d’une grande partie du clergé, nous retrouvant dans la situation de l’Albanie. L’Eglise sans hiérarques aurait été comme inexistante. Les cultes chrétiens non-oithodoxes, notamment les cultes néo-protestants auraient définitivement déformé l’image chrétienne de la nation. Tandis que les communistes athées attaquaient l’Orthodoxie du dehors, les sectes ou les autres fractions chrétiennes l’auraient attaquée de l’intérieur. Or on sait que c’est plus facile de lutter contre l’ennemi qui attaque aux frontières que contre les rebelles 646 Nestor VORNICESCU, « Editorial : Le rôle de l’Eglise orthodoxe roumaine dans la sauvegarde et l’affirmation de la culture du peuple roumain », op. cit., p. 6. 647 « p)in Cuvîntarea Prea Fericitului Parinte Patriarh lustin, eu ocazia întronizarii Sale », o p . c it., p . 649. 648 Ion BRIA, « Teologia fata în fata eu Biserica de azi », dans S tu d ii T e o lo g ic e , ser. Il-lea, XLVII, 1990, 1, p. 3. 302 de rintérieur... »649, L’Eglise dut collaborer pour défendre la nation, c’est-à-dire l’identité roumaine, des attaques de « l’intérieur». Comme le dit un responsable de l’Eglise Transylvaine : « Nous (les responsables de l’Eglise) avons eu le courage de ne pas être des martyrs »650 Nous l’avons vu, l’argumentation orthodoxe à propos de l’uniatisme, dénommé parfois depuis la chute du communisme, « le cheval de Troie de l’Eglise catholique », est en cela l’exemple le plus frappant des conséquences de ce nationalisme orthodoxe, ne pouvant admettre, on dirait presque « ontologiquement », l’existence d’une autre confession qui soit « roumaine », sans l’accuser de trahison à la « loi des ancêtres », à tout ce qui caractérise l’essence nationale (fiin m n a tio n a la ) et spirituelle. LE MOINE lOASAF, « Témoignages : Sacrifices chrétiens au temps du régime communiste », dans N o u v e lle s d e l’E g lis e o rth o d o x e ro u m a in e , XXe an., 1991, 3-4, p. 13. Bernard PAQUETEAU, « La société contre elle-même. Choses vues en Roumanie », dans C o m m e n ta ire , n°59, Paris, automne , 1992, p. 624. 303 J