Nothing Special   »   [go: up one dir, main page]

Academia.eduAcademia.edu

"L'islam au Mozambique après l'indépendance: Histoire d'une montée en puissance" in Christian Coulon (ed.), L'Afrique politique 2002 : Islams d'Afrique: entre le local et le global, Paris: Karthala, 2002. p. 123-146

2002

Éric Morier-Genoud, L’Afrique politique 2002 : pp. 123-146 L’islam au Mozambique après l’indépendance Histoire d’une montée en puissance* L ’islam au Mozambique est devenu très visible publiquement et très important politiquement durant la dernière décennie. De nombreuses mosquées ont été construites dans les villes et les campagnes et le Président de la République, catholique, s’est mis à se vêtir d’habits musulmans pour visiter les zones du pays à prédominance musulmane et même lors de son propre anniversaire. Les partis politiques se sont mis à courtiser assidûment cette religion et, mutatis mutandis, les musulmans sont devenus des acteurs importants dans les affaires nationales. Or, tel n’a pas toujours été le cas, loin s’en faut. Bien que numériquement important, les musulmans ont en effet été marginalisés, si ce n’est combattus par le pouvoir colonial portugais et ils ont été censurés et même réprimés après l’indépendance nationale par le nouveau pouvoir “ marxiste ”. Autrement dit, il s’est opéré durant les années 1980-1990 un retournement du positionnement de l’islam dans la société mozambicaine. Une série de questions se pose en conséquence. Tout d’abord quelle est la nature exacte de ce retournement ? Quand est-il arrivé et comment s’est-il produit ? Ensuite, quelles en sont les causes ? Est-ce le fruit de facteurs internes ou externes au pays ? Est-ce le résultat de changements au sein de l’islam ou au sein du pouvoir politique ? Enfin, quelle est la situation politico-religieuse dans le pays aujourd’hui après ce retournement ? Que peut-on prévoir ou imaginer, sur cette base, comme scénario pour l’avenir ? Voilà quelques-unes des questions qui ont motivé cet article et auxquelles ce dernier prétend répondre. Il existe peu d’écrits sur l’islam au Mozambique et encore moins concernant la période postcoloniale. Ce manque est en partie lié à l’hégémonie intellectuelle chrétienne liée à la colonisation portugaise procatholique. Il est dû également à la politique antireligieuse du premier gouvernement indépendant et à l’hégémonie “ matérialiste ” qui a dominé les études mozambicaines jusque dans le milieu des années 1980. À cela on peut ajouter la difficulté de la langue arabe ou swahili, • Une première version de ce texte a été présentée au XIVe Congrès de l’Association française des études du monde arabe et musulman (AFEMAM) au Centre d’Étude Afrique Noire (CEAN)/Institut d’Études Politiques (IEP) de l’Université de Bordeaux, 6-8 juillet 2000. Je tiens à remercier ici les critiques et l’aide précieuse de Yussuf Adam, Liazzat Bonate, Teresa Cruz e Silva, Sandra Ferreira, Michel Cahen et Christian Coulon. La recherche au Portugal a été menée grâce à une gé néreuse bourse de la Fondation luso-américaine pour le Développement (FLAD) – Instituto Nacional dos Arquivos Nacionais/Torre de Tombo (IAN/TT). La responsabilité du texte et des opinions émises n’engage que l’auteur. 124 Éric Morier-Genoud barrière que presque aucun chercheur n’a franchie au Mozambique. Quoi qu’il en soit, il y a donc un vide certain dans l’historiographie de l’islam au Mozambique. Il nous faut le combler afin d’améliorer notre compréhension de l’histoire du Mozambique contemporain mais aussi d’enrichir notre compréhension de l’islam en Afrique, particulièrement en Afrique de l’Est. En effet, s’il y a eu peu d’études sur l’islam au Mozambique, il n’y a évidemment quasiment aucune comparaison possible entre le cas du Mozambique et celui de ses voisins. Or, il est important d’évaluer les différences et similitudes d’attitudes et de politiques religieuses entre les pouvoirs coloniaux, anglais et portugais, les régimes post-coloniaux, nationalistes et marxisant, et l’orientation libérale, voire néolibérale, des politiques religieuses des gouvernements actuels. Il est aussi nécessaire de pouvoir comparer le développement des différents courants de l’islam dans ces pays (soufisme, wahhabisme, déobandisme, etc.) et de pouvoir évaluer la pénétration respective de nouvelles organisations islamiques, telle l’Africa Muslim Agency, la World Muslim League ou l’Appel islamique. Ce travail repose sur une recherche de terrain et d’archives, suivant une méthode alliant les outils de l’ethnographie et de l’histoire. Il se base d’une part sur un travail dans les archives de la Direction nationale des affaires religieuses (DNAR) à Maputo qui possède des documents allant de 1978 à aujourd’hui, et dont l’accès presque intégral m’a été généreusement accordé par son directeur, Job Chambal. Un travail moins systématique, mais plus large, a été mené également dans les archives de l’État mozambicain à Maputo (AHM) et de l’État colonial portugais à Lisbonne (IAN/TT). D’autre part, une série d’entrevues a été menée par l’auteur avec différents leaders musulmans, sunnites et soufis, dans les provinces de Maputo, Manica, Sofala et Nampula en 2000 et 2001 ainsi que des interviews de dirigeants politiques dans les mêmes provinces. Enfin, ce travail a utilisé toutes les ressources de la littérature secondaire et grise ainsi que des médias, particulièrement des médias écrits. Sur cette base, l’article qui suit est organisé en cinq parties. La première présente l’islam au Mozambique avant l’indépendance – le nombre de croyants, les divisions au sein de cette religion et une esquisse historique. La deuxième partie explique la politique de l’État après l’indépendance, sous un régime marxiste. La troisième partie discute des transformations au sein de l’islam avant et après 1981. La quatrième partie parle de la politisation de cette religion après 1989. Et une cinquième partie présente quelques évolutions actuelles de l’islam au Mozambique. La conclusion tentera une synthèse des changements et de leur raison et elle s’essaiera à diverses spéculations sur l’avenir. L’islam colonial L’islam au Mozambique est le fruit d’une longue histoire liée à la présence arabe et asiatique sur la côte de l’océan Indien, à l’image des autres pays est-africains. Comme tous les observateurs l’ont remarqué (et comme il en va d’ailleurs pour le christianisme), cette religion avait une présence faible et limitée au littoral du continent jusqu’à la fin du XIXe siècle. Elle concernait principalement les commerçants arabes et indiens opérant dans la région de l’océan Indien (ClarenceSmith 1989b : 18-21 ; Pearson 1999 : 37-59). Ce n’est qu’après l’émergence de Zanzibar comme pôle politique et économique régional durant la deuxième moitié du XIXe siècle et l’expansion conséquente et subséquente du soufisme que l’islam va vraiment commencer à gagner du terrain (Martin 1976 ; Nimtz 1980). Une première L’islam au Mozambique après l’indépendance 125 période de croissance s’opère ainsi au Mozambique entre la période des guerres de colonisation et la première guerre mondiale durant laquelle sont présents plusieurs milliers de soldats musulmans de l’Empire britannique. Une seconde période d’expansion se déroule, paradoxalement vu la nature catholique du Portugal, avec la colonisation effective du Mozambique, à savoir avec la construction du chemin de fer de Nampula qui emploie des Indiens et avec l’établissement de commerçants asiatiques dans l’intérieur du pays (ils seront quelques milliers dans les années cinquante) (Hafkin 1973 ; Alpers 1999 : 302-325). La troisième et dernière période d’expansion s’effectue, elle, non pas grâce à la guerre de libération, mais suite à l’ouverture religieuse que le Portugal opère dans les années 1960 et 1970 pour tenter de prévenir, puis contrer, la guerre de libération1 . Arrivé à l’indépendance en 1975, le Mozambique se retrouvera ainsi avec plus d’un million de musulmans, soit environ 15 % de la population totale2 . Le gros million de musulmans mozambicains se divisait avant 1975 de multiples manières – par vague d’arrivée ou de conversion, par race et couleur, par courants religieux et écoles de droit et par classe sociale. Premièrement et principalement, on peut distinguer un islam africain et un islam de matrice asiatique. Le premier, un islam chafite, était dominé par les confréries soufies (Cadria, Shadulia et Rifa’iyya)3 et il était présent principalement dans le Nord du pays et plus particulièrement parmi les peuples Yao et Makua. Il était présent aussi dans une moindre mesure dans le Centre du pays où se trouve un sanctuaire soufi, le sanctuaire de Sofala (dont l’histoire reste encore à faire) et dans le Sud parmi les communautés d’émigrés du Nord. L’islam de matrice asiatique, hanafite ou shi’ite (duodécimain et ismaélien), avait lui une assise plus côtière et urbaine, avec une certaine concentration dans le Sud du Mozambique, notamment dans les villes de Lourenço-Marques et Inhambane. Les musulmans africains, presque tous adeptes de l’école chafite, dominaient par le nombre (plus d’un million en 1960), mais ils étaient beaucoup plus pauvres que les “ Asiatiques ” (quelques vingt mille personnes) presque tous hanafites 4 . Ces derniers étaient majoritairement dans le commerce ; les métis se retrouvaient principalement comme employés de commerce ou artisans ; les Africains étaient dans l’agriculture, l’artisanat et le commerce “ informel ”. Notons encore qu’à la fin des années 1950, de nouveaux courants islamiques sont apparus au Mozambique. Les premiers missionnaires de la confrérie Ahmadiyya (de la famille des ordres Idrisi) arrivèrent de Tanzanie5 ; de même le courant wahhabite commença à se développer au sein de l’islam de matrice asiatique, métis en 1. La nuance peut paraître sémantique, mais elle ne l’est pas. L’islam ne gagnera pas de terrain parce qu’il est une force de résistance ou de libération au Mozambique, mais bien au contraire parce qu’il se laisse coopter par le pouvoir colonial qui lui reconnaît en échange un statut quasi-officiel et lui permet de s’étendre géographiquement (comme pour les autres religions non catholiques d’ailleurs). 2. Le recensement portugais de 1960 donnait 18 % de musulmans, donc près de 1,2 million de personnes. Voir “ III e Recenseamento general da população (1960) ” 1995. Pour une discussion de la quantification des musulmans au Mozambique, voir F. CONSTANTIN et al. 1983 : 87-88. 3. J’adopte ici et par la suite l’orthographe mozambicaine. La Cadria est normalement “ Qadiriyya ” et la Shadulia “ Shadhiliyya ”. 4. On peut penser que les adeptes de l’islam de matrice asiatique devaient être au moins 20 000. Cette estimation grossière est basée sur le fait qu’en 1960 il y avait 17 241 indiens et 31 455 métis au Mozambique dont on peut imaginer que la moitié était musulmane. La seule communauté ismaeli (nizari) représentait déjà 2 250 personnes en 1968. Voir Annuário Estatístico 1972 : 31. À propos des Ismaeli, voir D. REBELO 1961 : 83-89 et Inauguração do edificio S. A. Real Aga Khan da Comunidade Xi’ia -Muçulmano-Ismaelita , Lourenço Marques, 30 de Novembro de 1968. 5. Instituto nacional dos arquivos nacionais da Torre de Tombo (IAN/TT), Serviço de centralização e coordenação da informação de Moçambique (SCCIM), Caisse n° 47, Relatório das conversações havidas em Porto Amélia, de segunda-feira 01jun64 a 07jun64, entre um dos adjuntos dos SCCI e Yussuf Arabe; Caisse n° 71, Elementos recebidos da região militar a título particular em Setembro 67 ; F.J. P EIRONE 1967 : 123-125. 126 Éric Morier-Genoud particulier. Après l’indépendance, ce dernier courant s’accroîtra de façon significative. Toutes ces divisions au sein de la communauté islamique mozambicaine produisirent une multiplicité d’organisations religieuses ainsi que des tensions. Dans la majeure partie des villes, les Indiens se regroupaient en associations “ musulmanes ” ou “ mahométanes ”. Dans le Nord du pays, neuf confréries dominaient le panorama religieux en 1968, divisées en deux grands groupes, les Shadulia (Liaxuri, Madhania, Itifaque) et les Cadria (Sadate, Bagdad, Jailane, Saliquina e Macherepa) plus une confrérie plus informelle, la Rifa’iyya (De Carvalho 1988 : 59-66 ; Medeiros 1999 : 70-85 ; Bonate 2000). Moins organisés mais pas moins puissants subsistaient aussi au nord du pays des structures d’anciens sultanats et émirats, notamment celui d’Angoche, dont l’importance et le rayonnement ne sont pas à négliger. Au sud du pays, les principales organisations étaient d’une part, la Comunidade Mahometana Indiana (fondée en 1935 et qui s’appela Comunidade Paquistanese après l’invasion de Goa en 1961)6 , l’Associação Annuaril Isslamo (association de métis indo-africains, sous contrôle financier de la Comunidade Mahometana) et une confrérie, la Bezme Tabligh Isslamo Cadrya Sunni (liée à l’Annuaril). D’autre part, il existait l’Associação Afro-Mahometana (créée par des métis chafites originaires d’Inhambane), l’Associação Comoriana (fondée par la diaspora des îles à Lourenço-Marques) et des délégations de confréries du Nord7 . Sans surprise, cette diversité de l’islam et cette multiplicité d’organisations amenèrent des tensions et des conflits. Des luttes se développèrent d’une part au sein des organisations et des confréries, conduisant souvent à la fondation de nouvelles organisations ou loges soufies (de deux turuq en 1905, à huit en 1968) et, d’autre part, entre différentes confréries ou organisations, conflits en général autour de la race, des rites et des finances. Le plus grand conflit fut, et reste encore, celui entre un islam soufi du nord du pays et un islam de matrice asiatique, ce conflit superposant en effet des différences de races et de classes à des divergences de rites et de droit. Historiquement, l’État colonial portugais a eu une attitude hostile à l’islam, et ce jusqu’au début des années 1960. Cela était le résultat de l’identité qu’il y avait entre nationalisme portugais et catholicisme symbolisée par le Concordat signé par le Vatican et le Portugal en 1940. Cet accord établissait en effet une alliance stratégique entre Lisbonne et l’Église catholique. Il stipulait d’une part, que l’État aidait l’Église dans les colonies, et d’autre part qu’il lui donnait le monopole de l’éducation des Africains. Cela força les gouvernements coloniaux au Mozambique à marginaliser les autres religions afin d’asseoir le pouvoir des catholiques et d’assurer le succès de leurs écoles. L’État mena alors une “ politique de tracasserie ” envers l’Islam (et les autre religions) comme l’appelle Michel Cahen (2000a : 317). Les administrateurs cherchaient à fermer les écoles coraniques, à se saisir des livres religieux et à forcer les enfants à fréquenter les missions. Cette politique ne se fit évidemment pas sans problèmes pratiques ni sans résistances de la part des populations et de certains administrateurs (João 2000). Il n’en reste pas moins que l’islam eut à souffrir de l’opposition du colonialisme portugais et que ce n’est qu’avec la perspective de la guerre de libération que l’État portugais changea d’attitude. Afin d’éviter que les musulmans ne passent à l’ennemi, l’administration 6. Après 1961, les Indiens qui ne furent pas expulsés du Mozambique par les Portugais sortirent de la Comunidade Mahometana et créèrent l’Associação Mahometana. Cette dernière fut fermée à l’indépendance et les Gujerati reintégrèrent alors la Communidade, qui s’appela à nouveau Comunidade Mahometana. 7. Pour l’islam au sud du Mozambique, M.J. CORREIA DE LEMOS 1988 : 49-58 ; R. HONWANA 1988 : 94-96 ; V. ZAMPARONI 2000 : 191-222. L’islam au Mozambique après l’indépendance 127 portugaise fit tout pour coopter les leaders musulmans et paraître moins répressive. Des dizaines de haj furent payés par l’État, des mosquées furent réhabilitées et les principaux centres musulmans furent visités par le gouverneur général. Hormis l’adhésion de quelques jeunes à des mouvements nationalistes et la dissidence d’une poignée de chefs musulmans au nord du pays, immédiatement arrêtés puis exécutés, il semble que le Portugal ait réussi à coopter, ou du moins à neutraliser politiquement, la majorité des musulmans mozambicains jusqu’à la fin de l’ère coloniale (Monteiro 1993a ; Alpers 1998 ; Cahen 2000c). Notons que pour des raisons qui restent à étudier le Frelimo ne fit guère d’effort pour développer un répertoire musulman et gagner ainsi un soutien islamique dans le pays8 . Marx et Mahomet Les premières années d’indépendance au Mozambique furent marquées par un laï cisme militant puis par une lutte ouverte entre l’État et les confessions religieuses du pays. Le Frelimo, arrivé au pouvoir après une longue lutte de libération, se lança en effet dans la construction d’un État socialiste et laï que ce qui, vu le legs colonial d’une certaine instrumentalisation des religions par le pouvoir, ne pouvait pas aller, et n’alla pas, sans accrocs. À son arrivé au pouvoir en 1975, le Frelimo n’adopta pas de politique antireligieuse et, plus particulièrement, pas de politique antimusulmane. Il y eut certes la répression de quelques Églises et l’arrestation de certains chefs religieux, mais ceci resta très circonscrit et spécifique à des cas de collaboration avec la police politique coloniale ou avec l’impérialisme9 . En effet, le parti cherchait encore ses marques et les seules actions mises en œuvre à l'encontre de la religion avaient pour buts de restreindre le pouvoir des organisations religieuses (et non point de la religion) et, mutatis mutandis, d’établir le pouvoir du nouvel État. Ainsi le Frelimo commença par nationaliser toutes les œuvres sociales religieuses dont une majorité était entre les mains de l’Église catholique. Ensuite, il interdit une série d’associations dont plusieurs musulmanes 10 . Enfin, le parti mit en place une série de contrôles du déplacement des personnes et il tenta de circonscrire les activités religieuses dans les églises et les mosquées (vs. dans les écoles, lieux publics, etc.). Le tout fut évidemment accompagné d’un discours critique envers les organisations religieuses, mais une fois encore, le but semble bien avoir été de diminuer le pouvoir 8. Monteiro et Alpers soutiennent que le socialisme du Frelimo explique ce manque d’intérêt. Je pense personnellement qu’un autre facteur sociologique est plus déterminant. D’une part, l’élite musulmane au sein du Frelimo, minoritaire au sein du parti, représentait un courant particulièrement minoritaire au sein de l’islam. D’autre part, la hiérarchie militaire du Frelimo au Nord était principalement d’ethnie maconde, un peuple non islamisé mais fortement christianisé pendant les années 1960 et qui renforçait ainsi l’hégémonie chrétienne au sein du Frelimo et son ignorance des réalités musulmanes. Une autre piste explicative pourrait avoir trait aux relations internationales. 9. Ainsi le Frelimo arrêta une série de pasteurs évangéliques suspectés de collaboration avec la CIA et l’impérialisme américain à l’automne 1975. De même, il déporta à la même époque les Témoins de Jéhovah au nord du pays d’une part parce qu’ils refusaient de reconnaître les autorités et d’autre part parce qu’ils s’étaient laissés utiliser par les militaires portugais contre la guérilla indépendantiste. 10. Le Frelimo interdit définitivement, entre autres, l’Associação Indo-Portuguesa, Mútuo Auxilio da Associação de Indianos, l’Associação Maometana da Lourenço Marques et l’Associação Muçulmana Portuguesa da Zambézia . Voir A.M.S. CARVALHO 1999 : 314. Il interdit également l’Associação Afro-Mahometana, avant de l’autoriser à nouveau. Pour l’Afro-Mahometana, Y. ADAM (communication personnelle), Maputo, 1er septembre 2000 et C.I. BIN HAGY, entrevue, Maputo, 30 août 2000. 128 Éric Morier-Genoud des organisations religieuses plutôt que d’attaquer la foi ou, comme le disait le Frelimo lui-même, de restreindre la religion au domaine individuel et privé 11 . La réaction des musulmans face à l’indépendance et l’arrivée du Frelimo au pouvoir fut contrastée. Les Ismaéli, au nombre de quelques milliers, ont quitté le pays en 1975 sur ordre de l’Agha Kan suite à des soulèvements dans le centre du pays qui prenaient une tournure anti-asiatique12 . Pour ce qui est des autres musulmans asiatiques, une partie quitta le pays, laissant un ou des membres de leur famille pour garder les biens et les entreprises. Une autre partie resta au Mozambique, semblant apprécier l’arrivée de l’indépendance dans la mesure où elle amenait le départ en masse des Portugais, donc l’élimination de son principal concurrent et la possibilité d’une certaine promotion sociale (Carvalho 1999 : 235248). Pour ce qui est de la masse musulmane africaine, et plus particulièrement de l’islam des confréries, il est difficile de savoir précisément quelles furent en 1975 leurs réactions. D’un côté, les chefs confrériques ayant largement bénéficié de la politique de cooptation du pouvoir portugais durant les dix dernières années du colonialisme étaient – on peut l’imaginer – pour le moins suspicieux du changement. Un chef de confrérie nous a d’ailleurs affirmé qu’il n’avait eu d’autre choix que d’aller avec la marée une fois le Frelimo au pouvoir13 . D’un autre côté, la masse africaine a bien dû, elle, malgré les positions de ses chefs soufis, voir favorablement la venue de l’indépendance dans la mesure où celle-ci impliquait la fin de leur discrimination raciale et économique. Peut-être plus juste, la majorité des musulmans (africains) était certainement dans l’attente de voir ce qui allait se passer. Or, si la situation était raisonnable après 1975, les choses allaient changer deux ans après l’indépendance. En 1977, lors de son IIIe Congrès (le premier après l’indépendance), le Frelimo abandonna son ambition de restreindre uniquement le rôle des organisations religieuses. Le parti adopta en effet à l'occasion le “ marxisme-léninisme ” comme idéologie officielle et il se décida à passer à la construction pleine et effective d'une société “ socialiste ” au Mozambique. Pour cela, il se posa comme parti d'avantgarde, opta pour une économie planifiée et centralisée, et adopta une politique antireligieuse. Le but de cette dernière était de promouvoir au sein de la population le marxisme et l’athéisme, en substitution de la religion. En reprenant l’expression d’Achille Mbembe, on peut dire que l’État mozambicain se donnait avec cette nouvelle orientation une “ prétention théologique ” (1988). La nouvelle politique antireligieuse du parti-État fut organisée et coordonnée par les secteurs liés à la religion du parti, de l’agence d’information, du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Sécurité (autrement dit les services secrets, le SNASP)14 . Elle eut deux versants. D’un côté, le parti-État commença à diffuser des programmes de propagande athéiste à la radio nationale, programmes qui traitaient à l’occasion de la religion, et il organisa des campagnes afin de “ diminuer l’influence religieuse dans 11. Voir le discours du président Samora Machel lors de la proclamation de l’indépendance au stade de Machava, Notícias (Lourenço Marques), 25 juin 1975. Pour plus de détails sur la période, voir É. MORIER-GENOUD 1996a. 12. Notícias (Lourenço-Marques), 18 août 1974 et Y. ADAM (communication personnelle), Maputo, 1 er septembre 2000. 13. Cheikh A. Amuri BIN JIMBA , entrevue, Ilha de Moçambique, 21 août 2000. 14. Ministério da Justiça (MJ), Direcção Nacional dos Assuntos Religiosos (DNAR) : Departamento dos Assuntos Religiosos (DAR), Síntese da reunião de analise da implementação das recomendacções traçadas após a reunião de 6 de Dezembro de 1978 com o Episcopado Católico Moçambicano em 30 de Dezembro de 1978, 3 janvier 1979 ; DAR, Proposta sobre a participação de elementos do ministério do Interior ao seminário nacional sobre questões religiosas, 28 novembre 1979. [la références est celle du document uniquement, les archives n’étant pas classées]. L’islam au Mozambique après l’indépendance 129 tous les secteurs de [la] société ”15 . De l’autre côté, le parti-État interdit l’enseignement du Coran aux enfants, prohiba le port du cofio dans les villes, districts et sièges de parti, et mit fin aux pèlerinages à La Mecque qui avaient encore vu 180 personnes voyager en Arabie Saoudite en 197716 . Il ferma aussi des mosquées et des madrassa dans plusieurs provinces, notamment à Inhambane et au Niassa – officiellement les institutions proches des centres sociaux ou situées dans les anciennes “ zones libérées ”17 . Dans certains cas, la police ou l’administrateur en profitèrent pour saisir et brûler la littérature religieuse trouvée dans les lieux de prière18 . Deux éléments doivent être spécifiés quant à cette politique antireligieuse du Frelimo. D’abord, elle ne fut pas appliquée uniformément. La politique existait certes officiellement et son application fut même coordonnée par radio depuis Maputo. Mais il n’y en eut pas moins des nuances régionales (des mosquées ne furent pas fermées dans toutes les provinces) et il y eut même des tendances contraires (variations humaines ou tactique politique) comme par exemple l’autorisation de réaliser un Congrès islamique à Tete en 1980 avec la présence de délégués des provinces et de pas moins de 140 représentants étrangers19 . Ensuite, si cette politique n’avait pas l’intention de toucher l’islam plus qu’une autre religion, la formation chrétienne de la majorité des dirigeants du parti-État, et plus particulièrement de ceux qui eurent à faire avec la religion, rendit cette politique plus dure pour les musulmans. Pour donner quelques exemples, l’interdit de manger du porc n’était pas compris, voire pris pour une hypocrisie, par certains détenteurs du pouvoir (Président inclus), avec la conséquence que les soldats furent forcés de manger cette viande et que des porcheries furent imposées dans des zones ou des quartiers musulmans (Marques da Silva 1991 : 70-73)20 . De même, lorsque le gouverneur de Maputo tenta en 1982 d’empêcher une fois encore la fermeture des établissements commerciaux lors de l’Ide Ul-Adha et que des chefs musulmans vinrent protester auprès du Président, ce dernier répondit en demandant si les commerçants ne pouvaient pas “ simplement ” déplacer cette fête au dimanche, le jour de congé officiel au Mozambique21 ! Finalement, notons que le département des Affaires religieuses (héritier du Service des Affaires associatives et religieuses) ne pensera, ou ne se décidera, à engager un employé musulman pour traiter des affaires musulmanes qu’en 1989. La politique antireligieuse du Frelimo a évidemment eu des conséquences désastreuses. Dans la province de Cabo Delgado, au nord du pays, des révoltes ont éclaté, comme à Mocimba da Praia en 1980 à la suite de l’interdiction d’enseigner le 15. MJ/DNAR : Ministério do Interior, Circular, 25 août 1979. Pour les programmes radiophoniques, voir Échos d'Outre-Mer (Lausanne), n° 4, 1977 : 8 et Directeur du DAR au ministre de la Justice, note n° 8/DAR/MJ/86, 31 janvier 1986. 16. Pour les pélerinages à la Mecque, voir F. CONSTANTIN & al 1983 : 92 et MJ/DNAR : DAR, Actas das conversações tidas com o SG da Liga mundial islâmica, 11 mai 1984. Pour le reste, voir la section “ erreurs commises ” citées dans DAR, Síntese do I seminário nacional sobre questões religiosas, 28 juin 1980. 17. MJ/DNAR : SAAR-Inhambane, Relatório, 6 octobre 1980 ; SAAR-Niassa, Relatório, 17 juin 1980 et SAAR-Niassa au directeur national, note n° 10/SPAAR/18-4/83. 18. MJ/DNAR : DAR, Síntese do I seminário nacional sobre questões religiosas, 4 juillet1980 et SAARNiassa, Relátorio, 17 juin 1980. 19. Tempo, 13 avril 1980 : 14-15 ; MJ/DNAR : SAAR-Tete à SAAR-National, Note n° 6/SAART/80, 21 avril 1980. 20. Une porcherie fut par exemple installée au début des années 1980 dans la zone musulmane de la ville de Maxixe (Inhambane). Pour des accusations similaires voir J. RAMALHO 1979, “ Frelimo grinds down on Muslims ”, To the Point, 23 mars : 44. Voir aussi le discours de Samora Machel à Angoche en janvier 1979 dans Intercambio (Breda, Hollande), 19, mars 1979 : 17. 21. MJ/DNAR : DAR, Acta da audiência concedida a uma representação do Congresso islâmico encabeçada pelos Senhores Cassamo Suleman e Hassan Makdá, août 1983. 130 Éric Morier-Genoud Coran et à Pemba, la même année, face à l’interdiction de danses musulmanes 22 . Plus généralement, la politique du gouvernement aliéna les musulmans et créa une opposition religieuse, ouverte ou latente, au régime. En 1979, la Renamo (le mouvement, alors naissant, de résistance armée lancé par la Rhodésie) dénonçait par la voix d’Issufo Moamed (futur général et futur chef du département des Affaires religieuses de la guérilla) la destruction de mosquées, l’interdiction de pratiquer la religion et l’obligation faite aux musulmans de manger du singe (sic)23 . De même en 1980, les étudiants mozambicains de l’université de Dar-es-Salaam dénonçaient la répression de l’islam au Mozambique (Alpers 1999a : 319). Plus grave, la guérilla et ses soutiens rhodésiens exploitèrent la dimension antireligieuse, et plus particulièrement antimusulmane, de la politique du Frelimo. En 1978 déjà, ils envoyaient un émissaire dans les monarchies du Golfe afin d’y obtenir des soutiens (Cabrita 2000 : 152)24 . On ne connaît toujours pas le détail des appuis musulmans que la Renamo obtint que ce soit au niveau international ou interne. On a toutefois des indications que la Renamo a eu sa progression militaire facilitée dans les régions islamiques du pays grâce à la politique du Frelimo (Geffray & Pedersen 1988 : 2840 ; Clarence-Smith 1989a : 10 ; Vines 1991 : 110-111 ; Wilson 1992 : 540). De même on sait que des soutiens matériels et financiers furent obtenus d’Oman, d’Arabie Saoudite, des Comores ainsi que d’éléments de la communauté musulmane de Lisbonne (Oliveira 1989 : 57 ; Vines 1991 : 67-68; Finnegan 1992 : 33-34 ; Cabrita 2000 : 152)25 . On sait enfin que le Frelimo eut beaucoup de peine les années suivantes à inverser les effets de sa politique religieuse et à regagner la confiance des pays arabes et islamiques. Mais, avant d’envisager le changement de politique religieuse du Frelimo, il faut analyser l’évolution de l’islam au Mozambique jusqu’en 1980 afin de pouvoir mieux comprendre ensuite le retournement du Frelimo et ses conséquences. La montée du “ wahhabisme ” Les premiers signes connus de réformisme au sein de l’islam au Mozambique datent de la fin du XIXe siècle. Des débats eurent alors lieu à propos des rites funéraires, les réformistes prônant le silence lors des enterrements en accord avec la sunna alors que la pratique des adeptes des confréries était de chanter, battre tambours et défiler avec des drapeaux. Ces débats tournèrent à plus d’une occasion en controverse, si ce n’est au conflit. En 1949, el gouvernement anglais dû intervenir au Malawi (la communauté musulmane Yao chevauchant la frontière) et en 1972 le gouvernement portugais avait similairement demandé de l’aide à un important cheikh afin de résoudre le conflit par une fatwa (Thorold 1993 : 79-90 ; Alpers 1999 : 313-314 ; Bonate 1999 : 2-3). Dans les années 1950, le réformisme au Mozambique a pris un nouvel essor avec l’émergence d’une nouvelle ‘ulama (communauté des éduqués) constituée de cheikhs africains formés à l’étranger. Ces 22. MJ/DNAR : Serviço de actividades associativas e religiosas (SAAR), Serviço de Cabo Delgado, note n° 6/SPAAR/CD/80, 5 août 1980. 23. J. RAMALHO 1979, “ Frelimo grinds down on Muslims ”, To the Point, 23 mars : 44. 24. Voir également B. T. MUIANGA , “ Respondendo à Albino Magaia ”, Savana, 29 décembre 1995 : 6 et J. AUGUSTO (directeur du département des Affaires étrangères, section Europe et EUA, de la Renamo), entrevue, Maputo 13 mai 1994. 25. Voir également Jeune Afrique (Paris), n° 1355-1356, 24 et 3 décembre 1986 : 44. Des rumeurs ont couru également à propos du Yémen et de l’Irak (après le début de sa guerre avec l’Iran, pays avec lequel le Frelimo s’aligna). L’islam au Mozambique après l’indépendance 131 derniers étaient pleinement formés à l’Ilm (connaissance) islamique et avaient établi des contacts avec les grands centres islamiques internationaux, ce qui leur donna un pouvoir significatif. Le premier cheikh mozambicain réformiste de la nouvelle génération semble avoir été Cassamo Tayob, un métis (indo-africain de rite hanafite) de la capitale, à l’extrême sud du pays. Il avait étudié plus de 16 ans en Inde, notamment à Déoband, un grand centre mondial de l’islam réformiste (Metcalf 1982 ; Introvigne 2001)26 . À son retour en 1951, Tayob commença à travailler à Lourenço Marques comme maulana (maître religieux) de la mosquée de l’Annuaril Isslamo. Ses enseignements étaient nouveaux et des conflits émergèrent rapidement autour de sa personnalité et ses prédications. Ainsi, en 1957, Nuro Amade Dulá, fils du fondateur de l’Annuaril et de la confrérie Bezme Tabligh Isslamo Cadrya Sunni, l’accusa de tenter d’utiliser de vieux conflits pour y “ infiltrer la secte de Déobandi, qui est une secte subversive ”27 . Malgré les résistances, l’ascension de Cassamo Tayob et de son courant, prônant la primauté de l’‘ulamaa sur les particularismes des mosquées et le syncrétisme, fut fulgurante. En 1966, il était déjà considéré par de nombreux imams et maulana du sud du pays comme la référence religieuse maximale au Mozambique28 . À la fin 1960, apparut un autre cheikh de la nouvelle génération qui allait être encore plus important. Il s’agit de cheikh Abubacar Hagy Mussa Ismael, communément appelé maulana ou cheikh “ Mágira ”. Il avait été formé au Pakistan, puis en droit islamique à l’université de Médine en Arabie Saoudite (Monteiro 1993a : 85-107). À son retour, il avait travaillé dans une petite mosquée de la périphérie de la capitale d’où il prit rapidement la direction du courant réformiste mozambicain. Aidé spirituellement et matériellement par des réformistes sudafricains, notamment la famille Miya du Transvaal (Tayob 1995 : 66)29 , et allié à plusieurs imams et maulana de la jeune génération, il entra lui aussi rapidement en opposition avec les musulmans soufis ou prosoufis. À la fin 1971, lors d’une réunion à l’Annuaril, en la présence de 800 délégués musulmans, dont plusieurs leaders de confréries du nord du pays, le maulana Mágira n’hésita pas à attaquer la pratique dominante du maulide (la célébration de l’anniversaire du Prophète) et à dénoncer le populaire sanctuaire de Sofala au centre du pays. Son discours fut très mal reçu, suscitant de vives réactions. Plusieurs chefs soufis écrivirent immédiatement au Gouverneur général de la colonie afin de se plaindre. Ils affirmaient que le cheikh Mágira et ses compères déstabilisaient la communauté musulmane. Selon eux, ces derniers amenaient une “ confusion et des contradictions jamais vues au sein de la communauté ” avec leurs “ insinuations tendancieuses et leurs innovations en relation aux principes […] établis il y a plusieurs siècles ” (Monteiro 1993a : 92)30 . Ne s’arrêtant pas pour si peu, le cheikh Mágira continua son œuvre et en 1973 il envoya ainsi une pétition au gouvernement portugais demandant l’autorisation de construire et ouvrir un collège et une école islamiques. Selon lui, il n’y avait que peu d’écoles islamiques dans la capitale et la majeure partie était sous la direction d’associations et de confréries dont les dirigeants “ ne sont pas tous habilités à 26. IAN/TT : SCCIM, Caisse n° 395 : Administração do Concelho de Lourenço Marques, “ Respostas ao questionário a que se refere a nota 164 de 24/2/66 do extinto Gabinete de Zona do Serviço de Acção Psicossocial de Lourenço Marques ”. 27. MJ/DNAR : Lettre de Nuro Amade Dulá à Cassamo Tayob, 25 mars 1957. Cette traduction, comme celle des documents suivants, sont de l’auteur (E.M.-G.). 28. IAN/TT : SCCIM, Caisse n° 221 : divers, et Caisse n° 395 : divers. 29. La famille Miya avait un de leur membre qui vivait dans la capitale mozambicaine où il tenait le Bazar Mayet. 30. Voir aussi IAN/TT : Policia Internacional e de Defesa do Estado (PIDE)/Direcção Geral de Segurança (DGS), Processo 6037-CI(2) “ Unitários ou Wahhabitas ”. 132 Éric Morier-Genoud prendre des décisions justes et correctes en matière de religion islamique ” (Monteiro 1993b : 411). Malgré les résistances, le nouveau courant réformiste se dissémina avec succès dans la région Sud du pays, nommément dans les provinces de Maputo, Gaza et Inhambane. Au-delà, sa progression se heurtait aux masses soufies. Ces dernières n’acceptaient pas ce courant islamique qui allait, d’une part, à l’encontre de leur tradition et, d’autre part, essayait de les soumettre au pouvoir d’une ‘ulamaa qu’ils ne domineraient pas. Certaines associations musulmanes indiennes craignaient de plus un possible racisme de la part de ces cheikhs africains31 . En conséquence, le nouveau courant réformiste resta minoritaire et limité régionalement au sud du pays jusqu’à l’indépendance en 1975. Le niveau de formation et le prestige de ses chefs amenèrent néanmoins le gouvernement colonial à prendre en considération ces hommes et à chercher à les coopter dans les années 1960. Cette politique fut menée de la même manière, et avec des résultats similaires, qu’avec les chefs des confréries du nord du pays. Il y eut des réformistes qui travaillèrent en faveur du nationalisme, mais dans leur ensemble les musulmans antisoufis restèrent neutres ou silencieux à l’instar des chefs des turuq et ils ne retournèrent pas les masses du sud du pays contre le pouvoir colonial32 . Après l’indépendance, le wahhabisme ne progressa pas plus. Comme on l’a vu, le Frelimo empêcha tout prosélytisme et réprima même les pratiques religieuses après 1977. Ceci dit, les conflits latents et ouverts entre soufisme et antisoufisme continuèrent, souvent reformulés, notamment le conflit autour de l’Annuaril Isslamo que les réformistes essayaient de contrôler. En effet, en 1979, plusieurs musulmans créèrent, sans trop de scrupules, un “ Comité révolutionnaire de l’islamique de l’Annuaril ” (sic) au nom duquel ils écrivirent au gouvernement pour demander le changement de la direction de l’organisation. Selon eux, cela était nécessaire car certains dirigeants de cette dernière s’étaient compromis avec le pouvoir colonial et même avec le mouvement antiindépendantiste durant la transition politique de 1974-7533 . Comme on l’a mentionné, en 1980 le Frelimo se rendit à l’évidence que sa politique antireligieuse posait non seulement des problèmes, mais était aussi contreproductive dans la mesure où elle servait les intérêts de la “ réaction ” et de la guérilla naissante. En conséquence, le gouvernement décida à la fin de l’année 1980 d’abandonner sa politique antireligieuse et de lui substituer une politique d’encadrement des confessions. Cette nouvelle politique consistait notamment à instituer des organisations religieuses nationales qui fédéreraient toutes les Églises protestantes, toutes les Églises indépendantes et toutes les organisations musulmanes, l’Église catholique restant, elle, telle quelle. Ces organisations devraient se mettre sous la tutelle d’un département des Affaires religieuses (DAR) que le gouvernement se préparait à créer et elles devaient faire la liaison avec les organismes religieux internationaux et mondiaux. L’idée d’union des institutions religieuses préexistait au changement de politique du Frelimo, que ce soit du côté des organisations cultuelles ou du gouvernement, mais sa mise en œuvre forcée ne 31. I. SHARFUDIN, entrevue, Beira, 15 août 2001. Carvalho parle aussi de différences de caste entre certains réformistes et les indiens des associations mahométanes, les premiers étant Surdi et les seconds Memam. Voir A.M.S. CARVALHO 1999 : 317-318. 32. Pour ce qui est du nationalisme, notons qu’une partie du réseau clandestin du Frelimo au sud du pays (la IVe région) reposait sur certains responsables musulmans réformistes de la capitale. De même, on peut noter que le maulana Cassimo Tayob défendit au tribunal un jeune nationaliste musulman qu’il réussit à faire libérer, suite à quoi ce dernier s’enfuit à l’étranger pour rejoindre le Frelimo. Cheikh Issufo BIN HAGY , entrevue, Maputo, 30 août 2000 ; T. CRUZ E SILVA 1986 : 91-92 ; et IAN/TT : SCCIM, Caisse n° 47, Oficio nº 2023, Chefe interino SCCIM (Ivens-Ferraz) ào Governador do Distrito de Lourenço Marques, 24 Junho de 1963, confidencial. 33. MJ/DNAR : Pétition au gouvernement du 13 avril 1979 signée par dix personnes. L’islam au Mozambique après l’indépendance 133 se fit qu’en 1981. À la fin du mois de janvier, le gouvernement se réunit, pour commencer, avec un groupe d’imams de la capitale. Il leur demanda de former un Conseil islamique du Mozambique et leur offrit le siège de l’organisation Annuaril Isslamo pour s’y installer34 . La constitution d’une association musulmane nationale avait visiblement été discutée, de part et d’autre, avec une délégation de la Ligue mondiale islamique et du gouvernement saoudien six mois plus tôt. Du coup, les imams de la réunion, majoritairement de tendance réformiste, formèrent non seulement une commission fondatrice dans les vingt jours suivants, sans consulter leurs collègues dans le pays, mais ils “ proposèrent ” aussi comme coordinateur le cheikh Mágira. Par la même occasion, ils lancèrent une “ feuille informative ” qui, annonçant la naissance de l’organisation dans son premier numéro, en profita pour dénoncer agressivement les “ confréries fantoches ” infestées d’anciens agents de la police politique coloniale et créées pour diviser les musulmans35 . Face à ce qu’ils percevaient sans surprise comme une organisation contrôlée par des wahhabites, plusieurs cheikhs, imams et musulmans influents de Maputo, membres de la nouvelle ‘ulamaa mais favorables au soufisme, décidèrent de lancer une autre organisation nationale qu’ils appelèrent le Congrès islamique du Mozambique (sunnite). L’organisation fut fondée en janvier 1983 suite à la réunion “ historique ” entre le gouvernement et toutes les confessions religieuses du pays – réunion qui devait marquer officiellement, et plus encore publiquement, le changement d’attitude du pouvoir en relation à la religion36 . À son lancement, les promoteurs du Congrès affirmèrent répondre aux appels du gouvernement afin d’établir une organisation musulmane nationale. Selon eux, il n’y avait eu en effet jusqu’à présent que des tentatives ratées pour cause “ d’imposition d’intérêts étrangers à la majorité par une minorité utilisant toutes les formes possibles ”37 . Le Congrès était originellement dominé, à l’instar du Conseil islamique, par des éléments musulmans vivant au sud du pays. Néanmoins son orientation lui garantit un succès considérable et rapide. Nombre de communautés, mosquées et confréries, du Sud comme du Centre et du Nord, s’affilièrent immédiatement et des musulmans importants du Centre et du Nord y prirent rapidement des positions de pouvoir. Le Congrès eut dès lors un succès que l’on peut qualifier de fulgurant et le gouvernement se retrouva ainsi non seulement avec deux organisations islamiques nationales, mais aussi dans la situation d’avoir sanctionné le Conseil islamique alors que le Congrès émergeait pour se révéler beaucoup plus représentatif38 . Face à une telle situation, le gouvernement n’eut guère le choix. Il fut obligé, d’une part, d’abandonner sa prétention à une organisation musulmane nationale unique (ce qui eut comme effet collatéral d’éviter l’extinction des associations mahométanes indopakistanaises) et d’autre part, de reconnaître, traiter et compter avec le Congrès islamique. Les années suivantes furent celles d’une compétition acharnée entre le Conseil islamique et le Congrès islamique. Au niveau interne, le Conseil bénéficiait de la préférence du gouvernement 39 , mais le Congrès avait un soutien populaire 34. La faction opposée aux réformistes dans l’Annuaril dut alors se rabattre sur l’organisation et la mosquée Afro-Mahometana. M. ARRUNE, communication personnelle, Maputo, 27 août 2000. 35. MJ/DNAR : Conselho islâmico (em formação), Folha Informativa, n° 1, s.d. 36. Pour les actes de la réunion, voir “ Consolidemos aquilo que nos une ”. Reunião da Direcção do Partido e do Estado com os representantes das confissões religiosas, 14 à 17 de Dezembro 1982, Instituto nacional do livro e do disco, Maputo, 1983, 100 p. (“ Unidade Nacional ”). 37. MJ/DNAR : C. SULEMANE , Breve histórial do Congresso Islâmico de Moçambique (SUNNI), 5 p., 30 avril 1984. 38. MJ/DNAR : DAR, Balanco das actividades do DAR desde a sua criação, 4 avril 1984. 39. MJ/DNAR : Directeur du DAR au ministre de la Justice, lettre 41/DAR/MJ/89, 24 avril 1989 ; C. SULEMANE , Breve histórial do Congresso Islâmico de Moçambique (SUNNI), 30 avril 1984, 5 p. 134 Éric Morier-Genoud incomparable. En 1984, soit une année après sa fondation, le Congrès comptait déjà 239 mosquées, associations et confréries affiliées alors qu’à la même date, soit trois ans après sa fondation, le Conseil n’en comptait guère que trois hors de la capitale40 . La compétition entre les deux organisations se concentra en conséquence sur les relations avec les gouvernements étrangers et les organisations humanitaires internationales. Là, le Conseil avait l’avantage d’être apparu plus tôt, d’être soutenu par le gouvernement et d’avoir de bons contacts internationaux. Ainsi, en 1983, le Conseil avait déjà établi des contacts avec la Ligue mondiale islamique (Rabitat) et il avait déjà signé un accord de coopération avec l’organisation libyenne Jamaat Daawa (l’Appel Islamique)41 . Avec la création du Congrès en 1984 (qui s’affiliera, lui, rapidement à la World Federation of Islamic Missions et au World Muslim Congress, tous deux basés au Pakistan), le Conseil redoubla d’activisme. Il se dépêcha de poser sa candidature d’affiliation à la Rabitat et, lorsque l’organisation koweï tienne Africa Muslim Agency (AMA) vint s’installer au Mozambique, il tenta non seulement d’occulter le Congrès, mais essaya aussi d’exiger que cette dernière ne traite qu’avec lui au Mozambique42 . L’AMA n’apprécia pas le jeu du Conseil et, tout comme la Rabitat, elle refusa d’être partiale dans ses relations avec les organisations musulmanes mozambicaines 43 . S’ensuivit alors un difficile jeu d’équilibre pour l’AMA et la Rabitat dans leur distribution d’aide humanitaire, de bourses d’études et de subsides pour aller (à nouveau) à La Mecque. Les conflits avec les communautés locales furent nombreux et en 1988 l’Africa Muslim Agency se plaignait amèrement auprès du gouvernement qu’elle rencontrait une “ forte opposition ” dans le pays du fait de sa volonté de travailler indépendamment 44 . Le gouvernement n’était évidemment pas neutre dans ces luttes entre organisations musulmanes. Toutes les organisations religieuses étaient profondément liées à l’État par le biais du DAR qui délivrait les autorisations de voyager, permettait l’ouverture de comptes bancaires et aidait à obtenir les suppléments de produits rationnés. Or, si le DAR avait officiellement pour mission de faire la liaison et de travailler avec les organisations religieuses, sa tâche était aussi, plus cyniquement, de traiter avec les institutions religieuses “ pour que ces dernières présentent une image correcte de la République populaire du Mozambique à l’extérieur et qu’elles obtiennent diplomatiquement des appuis auprès de leurs consœurs ”45 . En ce qui concerne les organisations musulmanes, le but du DAR était encore plus spécifiquement qu’elles “ pénètrent les monarchies réactionnaires du Moyen-Orient ” qui continuaient à avoir une image négative du pays et qui soutenaient, on l’a vu, la guérilla de la Renamo 46 . Quelque peu naï vement, le gouvernement avait pensé originellement que la création du Conseil islamique suffirait à atteindre ce but. L’apparition du Conseil compliqua passablement les choses et le gouvernement devait jouer avec deux institutions, voire, à l’occasion, 40. 41. 42. 43. 44. 45. 46. et DAR, Síntese do encontro havido entre Sua Excia. o Ministro da Jutiça e elementos do Congresso islâmico de Moçambique, 9 septembre 1984. MJ/DNAR : DAR, Informação n° 08/2 a.S/DAR/MJ/84, 13 septembre 1984. MJ/DNAR : Conselho islâmico, Folha Informativa, n° 3, déc. 1983. Respectivement MJ/DNAR : Conselho islâmico de Moçambique, Circular n° 2/1983, août 1984 et MJ/DNAR : Directeur du DAR au secrétaire général de l’African Muslim Comitee, note n° 565/DAR/MJ/84, 13 juillet 1984 ; Directeur du DAR au ministre de la Justice, note n° 27/DAR/MJ/84, 11 août 1984. MJ/DNAR : Directeur du DAR au SG, de l’AMA, note n° 565/DAR/KJ/84, 13 juillet 1984; Directeur du DAR au ministre de la Justice, note n° 27/DAR/MJ/84, 11.08.1984; DAR, Actas das conversações tidas com o SG da Liga Mundial Islâmica, 11 mai 1984. MJ/DNAR : Directeur du DAR au ministre de la Justice, note n° 107/DAR/MJ/88, s.d. MJ/DNAR : DAR, Relatório das actividades de 1985, 3 décembre 1985 : 4. MJ/DNAR : DAR, Situação no seio da comunidade muçulmana, note n° 4/DAR/MJ/89, 24 avril 1989. En relation avec la Renamo, voir supra : 37. L’islam au Mozambique après l’indépendance 135 jouer l’une contre l’autre. Malgré les interventions et l’entrisme du gouvernement tant au sein du Conseil que du Congrès, les résultats de cette politique furent finalement des plus faibles. L’image religieuse du Mozambique dans les pays musulmans ne s’améliora guère durant la décennie et, surtout, l’aide des pays musulmans resta extrêmement modeste alors même que la guerre s’intensifiait 47 . Face à cela, le directeur du DAR en arriva en 1989 à parler à son ministre de “ fiasco ” de la politique musulmane du Frelimo 48 . En effet, le gouvernement avait redonné une certaine influence sociale et politique aux musulmans, mais n’y avait presque rien gagné. La politisation de l’islam La décennie 1980 vit une dégradation importante de la situation économique, politique et militaire du Mozambique. L’économie s’était écroulée suite au départ des Portugais, aux problèmes de la gestion socialiste et du fait des effets de la guerre. La situation sociopolitique était “ militarisée ” en raison d’une guérilla qui avait envahi après 1984 presque tout le pays malgré l’arrêt de la majeure partie des soutiens sud-africains (héritiers des Rhodésiens), suite à un accord entre les gouvernements mozambicain et sud-africain (Accord d’Incomati). De même les concessions faites aux pays occidentaux ne donnaient pas (encore) de second souffle au régime (Cahen 1987). Face à une telle situation, le Frelimo choisit de faire le grand saut et de changer une fois pour toutes ses options politiques et ses alliances internationales. En 1989, lors de son Ve Congrès, le parti-État abandonna toute référence, au marxisme et adopta un modèle économique et politique libéral, voire même néolibéral (Hall & Young 1997 : 199-205). En ce qui concerne la religion, il passa à un modèle dit “ pluraliste ”, qu’il serait plus juste d’appeler “ libre marché religieux ” (Finke 1990 : 609-626 ; Robertson 1992 : 147-157 ; Iannaccone 1998 : 1465-1496). Le Frelimo attribua une liberté quasi absolue aux organisations religieuses (liberté d’établissement, de prosélytisme et de travail dans l’éducation et la santé) et il n’établit aucunes limites formelles. Les institutions cultuelles devaient certes toujours s’inscrire auprès du DAR, ainsi devenu une institution de tutelle et de contrôle49 . Il n’empêche, la liberté était très grande et ouvrait une nouvelle phase dans la relation entre l’État et les confessions et entre les confessions elles-mêmes – d’autant plus, d’ailleurs, qu’en 1992 des accords entre le Frelimo et la Renamo allaient enfin rétablir la paix au Mozambique. La nouvelle politique religieuse du Frelimo amena tout d’abord, et comme prévu, une reconnaissance internationale accrue pour le Mozambique. Pour ne parler que de l’islam, le ministre de la Justice mozambicain put ainsi participer pour la première fois en 1990 à une réunion de l’Organisation de la conférence islamique (OIC) au cours de laquelle il demanda l’adhésion du Mozambique. En attendant son admission, le pays reçut un statut d’observateur et l’OIC commença à envoyer pour la première fois de la viande sacrificielle au Mozambique pour la saison du Haj 47. Ainsi en 1988 le Mozambique ne reçut, aux dires du DAR, que deux millions de dollars de tous les pays musulmans. Voir MJ/DNAR : DAR, “ Situação no seio da Comunidade Muçulmana ”, note n° 4/DAR/MJ/89 (directeur du DAR au ministre de la Justice), 24 avril 1989. 48. MJ/DNAR : DAR : “ Balanço das actividades do DAR desde a sua criação ”, 04.07.1984 et DAR, “ Situação no seio da Comunidade Muçulmana ”, note n° 4/DAR/MJ/89 (directeur du DAR au ministre de la Justice), 24.04.1989. 49. Les seules obligations pour être enregistré auprès du DAR étaient d’avoir cinq cents croyants et de déposer ses statuts et une listes des biens matériels possédés. Voir MJ/DNAR : DAR, “ Requisitos necessários para o registo das instituições religiosas ”, s.d, 3 p. 136 Éric Morier-Genoud (2 600 carcasses)50 . En 1992, la Ligue mondiale islamique signa enfin un accord de coopération avec le Mozambique après huit ans de discussion, et elle ouvrit l’année suivante une représentation à Maputo dont le titulaire ne fut autre que le conseiller aux affaires musulmanes du DAR51 . En 1994, le Mozambique est devenu membre à part entière de l’OIC et, l’année suivante, de la Banque islamique de développement (BID)52 . Durant toutes ces années, il chercha aussi, et réussit, à établir des relations diplomatiques avec plusieurs pays musulmans, notamment les Émirats Arabes Unis, Oman et l’Indonésie. Il va sans dire qu’avec cette nouvelle reconnaissance internationale, la quantité de projets économiques sociaux et religieux “ musulmans ” au Mozambique explosa. Pour ne parler que d’elle, l’aide de la BID passa de quelques millions de dollars à la fin des années 1980 à des dizaines de millions en 199953 . Si l’on renverse la perspective, regardant sous l’angle des musulmans mozambicains, il est clair d’une part que la dimension islamique du Mozambique fut non seulement reconnue, mais aussi promue. Il est clair, d’autre part, que les musulmans gagnèrent une importance et un rôle qu’ils n’avaient jamais eu auparavant dans cette région du monde. La nouvelle politique du Frelimo favorisa aussi une explosion générale de la religion, une reprise de la compétition entre organisations cultuelles et, du coup, une augmentation des tensions et conflits relatifs au sacré. En effet, une fois la liberté retrouvée et, plus encore, une fois la guerre terminée en 1992, les religions reprirent leur travail d’expansion et de conversion. Une série de nouvelles organisations religieuses, chrétiennes et musulmanes, furent fondées ou entrèrent dans le pays, une quantité d’églises et de mosquées réhabilitées ou construites, et de nombreuses personnes converties. Le prosélytisme conduisait la plupart des religions ou courants religieux en des terres auparavant inaccédées et inaccessibles — le pouvoir colonial avait, on l’a vu, réussit à restreindre globalement l’islam au nord du pays et le protestantisme au sud, ce que la politique du Frelimo n’avait pas changé après l’indépendance. Du coup, de nombreuses tensions et même des conflits religieux ouverts émergèrent. Les chrétiens par exemple perçurent l’avancée des musulmans dans le sud du pays comme représentatif d’une croissance numérique nationale de ces derniers (que les dernières statistiques ne confirment pas) (Morier-Genoud 2000 : 414) 54 ainsi qu’une montée politique de cette religion. Et il ne leur fallut pas longtemps avant de crier au loup et au fondamentalisme musulman. De leur côté, les musulmans commencèrent à se faire du souci au début des années 1990 face à la rapide croissance des Églises évangéliques et pentecôtistes, tout particulièrement dans le centre et le nord du pays et, pour s’opposer à ces dernières, ils allèrent jusqu’à établir en 1994 une alliance avec l’Église catholique qui partageait ces 50. Notícias (Maputo), 28 juillet 1990 ; InformÁfrica (Lisbonne), n° 17, 28 juillet 1990 : 2. Pour les donations de viande sacrificielle, voir le site internet de l’OIC (http:<//www.oic-oci.org>). 51. Notícias, 2 juillet 1992 ; Crescente (Maputo), 17 mars 1995 : 12. 52. Xinhua News Agency, 15 décembre 1994 et The Muslim World League Journal, XXV (2), June 1997 : 16. 53. À la mi-1999, la BID promettait 80 millions de dollars pour les trois années qui suivaient. En décembre 1999, elle signait un protocole d’accord de crédit de 10 millions de dollars. En contraste, en 1988, le DAR se plaignait, comme on l’a vu, que le Mozambique n’avait reçu cette année-làque 2 millions de dollars de tous les pays musulmans. Voir respectivement : “ Islamic Bank Pledges US $ 80 million to Mozambique ”, African Eye New Service (http:<//www.africanews.org>), 7 juillet 1999, “ Comunicados de imprensa do Conselho de Ministros ”, 6 décembre 1999, Masoko (http:<//www.mozambique.mz/governo/masoko/communi11.htm>) et MJ/DNAR : DAR, “ Situação no seio da Comunidade Muçulmana ”, note n° 4/DAR/MJ/89 (directeur du DAR au ministre de la Justice), 24 avril 1989. 54. Les dernières statistiques officielles, de 1997, sont très contestées (et contestables) quant à leurs résultats sur la religion. Ceci dit, elles n’indiquent pas d’augmentation significative du pourcentage des musulmans (qui atteindrait 17,8 %). L’islam au Mozambique après l’indépendance 137 préoccupations55 . Plus interne, des luttes ont ré-émergé entre différentes organisations islamiques, les lignes de conflits principales étant, comme toujours, entre le réformisme et le soufisme et entre les musulmans indo-pakistanais et les Africains. Les conflits se sont superposés et les alliances sont devenues variables. Le Congrès islamique contestait et tentait de contrer l’expansion de la tendance wahhabite du Conseil islamique (on vit même des escarmouches, avec blessés et arrestations)56 , mais à certaines occasions ces deux organisations s’allièrent pour contrer soit les églises chrétiennes, soit la domination (de nature financière) de la communauté musulmane indo-pakistanaise57 . Troisième conséquence de la nouvelle politique religieuse du Frelimo, on vit après 1989 une politisation claire et nouvelle de la religion. Cette politisation est le résultat de trois facteurs. Le premier a trait au fait que l’État, à force de manipuler les organisations religieuses dans les années 1980, avait passé des alliances politiques avec certaines institutions et donné ainsi une image religieuse de luimême qui n’était plus très claire. L’État était certes toujours officiellement laï que, mais le gouvernement favorisait régulièrement une organisation ou religion. Ceci brouilla les cartes et les accusations de fondamentalisme et de prétention à rendre l’État soit chrétien soit islamique explosèrent entre la fin des années 1980 et la fin des années 199058 . La seconde raison de la politisation de l’islam est que, si le gouvernement avait établi une liberté religieuse absolue, il avait aussi instauré un système de contrôle des institutions religieuses de type patrimonial, système qui incitait les organisations religieuses à entrer en politique. En effet, les organisations cultuelles n’avaient pas de reconnaissance juridique et elles étaient obligées de passer par le DAR pour toute opération légale. Or ce dernier faisait de la politique, cherchant à optimiser les dividendes pour le régime en place, et il était du coup sensible aux pressions et jeux politiques. L’Église catholique, de par son poids, avait ainsi plusieurs facilités (que ce soit pour l’importation de matériel ou un statut protocolaire à l’aéroport). L’Église néo-pentecôtiste IURD (Igreja Universal do Reino de Deus) reçut un soutien sans égal de la part de l’État pour son installation dans le pays, car elle comptait soutenir le parti au pouvoir pour les élections de 1994 (Morier-Genoud 1996b ; 2000 : 425). Le troisième et dernier facteur qui explique la politisation de l’islam est lié à l’ampleur sociale gagnée par cette religion, comme on l’a vu ; la communauté indo-pakistanaise profitait pleinement de la libéralisation économique, devenant un important acteur économique national (Carvalho 1999 ; Pereira Leite 2000 : 295-332). Or, cela donna des velléités politiques à certains musulmans, en même temps que cette religion devenait une ressource électorale et économique importante à capter pour les partis politiques. La politisation de l’islam commença à être clairement perceptible après 1989, lorsque des musulmans commencèrent à poser des exigences au gouvernement au nom de leur religion, notamment à demander l’augmentation de leur représentation dans les institutions de l’État. Appelés tard pour la médiation des négociations de paix (à la fin de l’année 1989), les musulmans refusèrent d’y participer (Cahen 1990 : 40)59 . Ils exigèrent cependant peu après la direction de plusieurs commissions résultant des Accords généraux de paix de 1992, ce qu’ils obtinrent 60 . En 1993 55. 56. 57. 58. Indian Ocean Newsletter (Paris), 695, 25 octobre 1995 : 3. Ainsi dans le district de Memba dans la province de Nampula, voir Notícias, 21 octobre 1993. Voir par exemple Notícias, 10 mars 1995. Voir par exemple les débats et accusations dans MediaFax (Maputo), 568, 10 août 1994 : 3 et dans Savana (Maputo), 6 janvier 1995 : 1-4. Voir aussi infra l’affaire de l’officialisation des Ides (jours fériés) de 1996. 59. Mozambiquefile, 158, sept. 1989 : 18. 60. Notmoc (Maputo), 37, 8 mars 1995 ; Notmoc, 75, 31 mars 1996. 138 Éric Morier-Genoud plusieurs entrepreneurs musulmans de la capitale créèrent un parti politique musulman en vue des premières élections multipartisanes l’année suivante, le Parti indépendant du Mozambique (Pimo). La création du Pimo fit beaucoup de bruit à l’époque car la Constitution interdisait la création de partis religieux (ou ethniques) et que les chefs dudit parti entretenaient volontairement et publiquement l’ambiguï té, le mot “ indépendant ” étant régulièrement substitué par “ islamique ”61 . En 1993 toujours, les deux grands partis du Frelimo et de la Renamo ont commencé à se concurrencer afin d’obtenir le soutien des musulmans en vue des élections de 1994. Outre les discours et les déclarations, le Frelimo inclut dans ses listes électorales des membres influents ou directeurs des principales organisations musulmanes, nommément du Conseil et du Congrès islamique, de la Communauté mahométane de Maputo et de la Ligue musulmane de Zambézie. La Renamo, elle, inclut dans ses listes le chef de la Communauté islamique du Niassa et plusieurs cheikhs de la province de Nampula62 . Dans la mesure où l’on peut parler d’un vote musulman, les résultats des élections révélèrent que, si le Frelimo gagna globalement, la Renamo remporta une majorité confortable dans de nombreuses zones islamiques du nord du pays, et ce malgré les alliances locales passées par le Frelimo (De Brito 1995 : 473-499 ; 2000)63 . Pour ce qui est du Pimo, ce fut l’échec, le parti atteignant un tout petit 1 % que ce soit à la présidentielle ou aux législatives 64 . Il n’empêche, avec ces élections, les musulmans réussirent à entrer au Parlement en tant que musulmans et le Frelimo dut inclure cette variable dans la constitution de son nouveau gouvernement. Entre autres, il attribua à José Abudo la tête du ministère de la Justice, ministère responsable des Affaires religieuses 65 . La politisation de l’islam ne se fit évidemment pas qu’en relation aux élections ou au gouvernement. Des musulmans commencèrent dans les années 1990 à réclamer aussi, plus généralement et plus fondamentalement, une altération de certaines pratiques ou institutions de l’État mozambicain. En 1995, des députés musulmans proposèrent un projet de loi pour faire des deux principaux jours religieux islamiques, les Ides, des jours fériés nationaux, à l’image de Noël (techniquement et officiellement un jour férié car “ jour de la famille ”). Le projet fut voté au parlement au début 1996 et la loi acceptée à la majorité. Cela créa immédiatement une violente controverse dans le pays, controverse qui allait voir de nombreuses accusations de fondamentalisme (musulman et chrétien) ainsi que des accusations d’électoralisme (de la part du parti au pouvoir). Après deux ans de controverse, le Tribunal suprême déclara finalement que la loi était inconstitutionnelle et le Président de la République la renvoya alors à l’Assemblée de la République pour annulation ou reformulation (Morier-Genoud 2000)66 . En l’an 2000, une autre controverse est apparue, cette fois en relation à un préprojet de loi de la famille. Le préprojet a été soumis à la discussion publique en mars et a suscité immédiatement de fortes réactions de la part des musulmans. Ceux-ci n’appréciaient 61. Au vu de la non-réaction des autorités, plusieurs analystes estiment que le Frelimo a joué un rôle dans la création du parti et qu’il l’utilisait pour affaiblir la base sociale (musulmane) de la Renamo. 62. Secretariado técnico de administração eleitoral (STAE), liste électorale définitive des candidats au Parlement, 22 septembre 1994; Voir aussi Quem é quem na Assembleia da República de Moçambique, Assembleia da República & AWEPA, Maputo, 1996. 63. Voir aussi les déclarations du chef de la Renamo, Afonso Dhlakama, dans Marchés Tropicaux, 1118, 31 mai 1996. 64. Le résultat des élections amena une crise profonde au sein du parti qui se divisa, puis se scinda, dans un processus haut en couleurs. Aujourd’hui le parti continue d’exister, mais seules les déclarations farfelues ou volontairement polémiques de son président le font encore remarquer. 65. José Abudo est un musulman de la famille régnante koti d’Angoche. Ayant passé plusieurs années à Beira, il est lié aux éléments pro-soufi du centre du pays. Voir sa biographie dans Quem é quem no Governo de Moçambique 2000 : 7-8 ou dans Mozambique. 100 Men in Power 1996 : 24. 66. La loi ne fut ni annulée ni reformulée. Elle fut suspendue et sa rediscussion reportée sine die. L’islam au Mozambique après l’indépendance 139 pas la conception de la famille à la base du projet, conception qui était “ catholique romaine ” à leur avis puisqu’elle présentait la famille comme devant être monogame et ne reconnaissait en conséquence que les mariages religieux monogamiques, autrement dit chrétiens, et non les mariages polygames courants, tant parmi les adeptes de la religion traditionnelle que parmi les adeptes de l’islam67 . Là encore, des accusations de fondamentalisme émergèrent rapidement, les milieux chrétiens et laï ques disant craindre que les musulmans cherchent à imposer la charia dans le pays, les musulmans disant qu’on allait leur imposer des principes religieux qui ne sont pas les leurs68 . À la mi-2002, le projet de loi était toujours au Parlement en attente d’être discuté et voté. Il ne semble pas que des altérations ait été faites au projet de loi suite aux protestations des musulmans. Il n’est dès lors pas à exclure que l’affaire revienne hanter sous peu le devant de la scène politique mozambicaine bien que l’habileté politique du Frelimo n’exclut pas non plus quelque autre retournement inattendu, voire l’abandon du projet comme cela a été le cas avec un précédent projet au début des années 198069 . À l’aube du XXIe siècle Plusieurs tendances générales doivent être notées, à la fin du XXe siècle, relativement à l’islam au Mozambique. Tout d’abord, et généralement, on peut dire que la présence islamique internationale dans le pays a continué de croître avec, d’une part, la venue de nouvelles organisations (ainsi la Munamuzamat du Soudan, Muslim Hands des États-Unis ou l’Aga Khan Development Network) et, d’autre part, avec un investissement toujours plus grand des organisations déjà présentes. L’Africa Muslim Agency, par exemple, construit ou rénove des centaines de mosquées, d’écoles et de puits dans le sud et le nord du pays, des mosquées qui portent toutes son nom et qui changent lentement mais sûrement le paysage du pays70 . La compétition religieuse continue, elle aussi, et les conflits ne diminuent pas, que ce soit avec les chrétiens ou entre les différentes organisations musulmanes. Ainsi à la fin 1999, un conflit a été prévenu au dernier moment suite à l’entrée d’évangélistes américains dans une mosquée de la capitale, au milieu du Ramadan à l’heure de la prière, pour y faire du prosélytisme71 . Plus interne, un débat peu diplomatique se déroula toute l’année 2000 dans les pages des journaux Domingo et Savana (et en dehors) suite à un éloge funèbre au cheikh Mágira par le nouveau chef de file des réformistes, cheikh Aminuddin, éloge qui dénigrait le soufisme, la pratique du maulide et le “ pseudo sanctuaire ” de Sofala72 . En 2000 toujours, un 67. “ Nova lei da família não deve discriminar a mulher ”, Diário de Notícias (Lisbonne), 13 avril 2000. 68. M. MOSSE , “ Nova lei de matrimónio. A Charia para Moçambique? ”, Público (Lisbonne), 9 mai 2000. 69. Pour une discussion du sujet et du projet de loi de 1984, voir B. I SAACMAN & J. STEPHEN 1984 : chap. 3 ; S. ARNFRED 2001. 70. Notons ici, car c’est un sujet de débat actuel, que l’AMA n’a pas choisi de donner son nom aux mosquées qu’elle construit ou rénove par simple volonté “ impérialiste ”, mais plutôt parce qu’àune époque, ce fut le seul moyen de mettre fin aux luttes incessantes entre Conseil islamique et Congrès islamique qui, tous deux, cherchaient à s’approprier et donner leur nom aux dites mosquées ; MJ/DNAR : Transcription d’une lettre du secrétaire-général de l’AMA à son délégué au Mozambique, réf. AMA/120/0488, 19 avril 1988. 71. “ American Christian Missionaries Invade Maputo Mosque ”, Panafrican News Agency, 8 janvier 2000 et “ Christian Missionaries Invade Maputo Mosque ”, Islam Voice, fév. 2000 (dépêche en circulation sur la liste internet <dunia-islam@egroups.com>). 72. Voir Savana, 7 avril 2000 et Domingo (Maputo), 18 juin 2000, 23 juillet 2000 et 30 juillet, 2000, 13 et 20 août 2000, 3, 10 et 17 septembre 2000, 1, 8, 15 et 22 octobre 2000. Le débat déborda les pages des journaux, certains auteurs prosoufis se cachant derrière des pseudonymes et les réformistes 140 Éric Morier-Genoud conflit autour d’enterrements dégénérait à l’Île de Moçambique, les réformistes du Conseil islamique tentant en effet, et une fois de plus, d’empêcher les soufis de chanter leurs morts au cimetière de la ville. Le cimetière de l’Île, originellement propriété des Ismaéliens, venait d’être donné par la communauté ismaélienne de Lisbonne au Conseil islamique qui s’estimait pour cela désormais légitimé à imposer ses règles à la communauté musulmane dans son ensemble alors que l’usage avait toujours été différent 73 . Sur le plan organisationnel, on peut noter d’une part que la situation entre le Congrès islamique et le Conseil islamique reste identique. Les rivalités continuent et le rapport des forces reste globalement le même. Le Congrès continue à dominer numériquement (en 1992, il rassemblait 5 000 institutions alors que le Conseil n’en comptait qu’un peu plus de 100), mais le Conseil l’emporte toujours financièrement et publiquement, bénéficiant de la richesse et du niveau d’éducation de ses membres – la majorité des jeunes musulmans ayant étudié au Soudan, en Arabie Saoudite ou en Égypte adhérant en effet généralement au Conseil à leur retour (Siefert 1994). Globalement toutefois, l’hégémonie du Congrès islamique et du Conseil islamique commence aussi à décliner. Suite à la libéralisation religieuse du gouvernement, d’anciennes organisations ont resurgi (ainsi l’Annuaril Isslamo qui a été rendue à ses “ légitimes ” propriétaires, à savoir la famille Dulá), des nouvelles sont apparues (ainsi le Forum islamique ou l’Assoçiação Muçulmana de Angoche qui affirme vouloir dépasser les divisions entre le Conseil islamique et le Congrès islamique) et les confréries ont resserré leurs liens en créant un Conseil des Confréries. Plus encore, des scissions sont apparues au sein du Congrès islamique et du Conseil islamique. En 1992, plusieurs membres du Congrès ont créé un Centre de formation islamique (CFI) à Beira dont le président ne fut autre jusqu’en 1994 que… le ministre de la Justice. Le CFI est, semble-t-il, lié au Mouvement islamique qui s’est organisé la même année et dont le but est d’organiser un lobby musulman au Parlement. Le CFI est aussi derrière le lancement en l’an 2000 de la première université islamique du Mozambique, l’Université Mussa Ben Bique à Nampula74 . Du côté du Conseil islamique, une scission est apparue en 1998 lorsque, n’acceptant plus les compromissions des chefs du Conseil avec la tradition et la politique, plusieurs cheikhs ont décidé de lancer leur propre organisation. Cette dernière, plus stricte, s’appelle l’Ansar al-Sunna et, en 2000, elle attendait encore sa reconnaissance légale par le DAR (Bonate 2000 : 19-20)75 . En résumé, les nouvelles organisations qui ont émergé dérobent au Congrès et au Conseil, jusqu’alors hégémoniques, une partie de leur influence sociale et politique. En conséquence, en 2001 le Congrès semblait moribond alors que la rumeur disait que certains membres du Conseil pensaient fonder un parti politique pour reprendre l’initiative. Sur le plan politique justement, quelques évolutions ont eu lieu lors des deuxièmes élections nationales multipartisanes en 1999. Premièrement le Frelimo a modifié, pour l’occasion, ses alliances religieuses. D’une part, il a évincé (ou mis tout en bas) des listes électorales les musulmans qu’il avait cooptés en 1994 (contrairement à la Renamo) et les a remplacés par un ou deux éléments moins cherchant à les débusquer et les faire taire. À propos de cheikh Aminuddin, voir L.J.K. BONATE 1999. 73. Cheikh I. A. SUALE , entrevue, Ilha de Moçambique, 23 août 2000 et A. ZAINA , entrevue, Ilha de Moçambique, 23 août 2000. M. Zaina est député de l’Assemblée municipale et il fut le chef du département des Affaires religieuses (aboli en 2000) de la même Assemblée. Il m’a montré plusieurs documents à propos de cette affaire. 74. Notmoc (Maputo), 27, 24 juillet 2000 ; Noticias, 31 octobre 1996 ; cheikh I. BIN HAGY, entrevue, Maputo, 30 août 2000 et M. ARRUNE, communication personnelle, Maputo, 27 août 2000. 75. Pour le déclin du Congrès, voir R. I SMAIL, entrevue, Beira, 11 septembre 2001 et cheikh I. BIN HAGY , entrevue, Maputo, 30 août 2000. L’islam au Mozambique après l’indépendance 141 connus. De même, il a intensifié sa cour aux confréries, réussissant à coopter deux chefs de tariqa (sur les huit), dont le chef le plus prestigieux du moment, le cheikh Abdurrahmane Amuri bin Jimba76 . D’autre part, le Frelimo a donné des coups peu clairs mais violents dans sa relation aux grands capitalistes indo-pakistanais et avec la communauté mahométane de Maputo. Ces coups sont survenus lors d’une sombre histoire de “ tête humaine coupée ” découverte dans une des principales mosquées de la capitale. Le cheikh de l’endroit a été incarcéré sur la base des seules accusations du criminel qui avait coupé et apporté la tête à la mosquée77 . S’ensuivit une série d’articles peu amènes envers les Indo-Pakistanais dans plusieurs journaux contrôlés par le Frelimo. On parla d’une campagne antimusulmane et l’intensité de la controverse a même conduit certains à soulever le spectre d’Idi Amin Dada78 . Quoi qu’il en soit, ces changements d’alliance avec les musulmans ne donnèrent guère de résultats au Frelimo. Si le parti gagna de nouveau les élections de 1999, la Renamo enleva une fois encore la majorité des voix dans plusieurs régions musulmanes du Nord du pays. Notons finalement à ce propos que les résultats des élections furent durement contestés par l’opposition — non sans raison — durant toute l’année 2000. En conséquence, le nouveau gouvernement du Frelimo dut faire face à un manque de légitimité79 . Or, pour tenter de résoudre ce problème (ainsi qu’un régionalisme croissant), le Président de la République décida en septembre 2000 d’organiser pour la première fois de l’histoire postcoloniale du Mozambique une réunion du gouvernement hors de la capitale. De manière des plus intéressantes, il choisit d’aller pour cela ni plus ni moins qu’à Angoche, sur les terres musulmanes de son ministre de la Justice80 . Il faut, enfin, évoquer les attaques terroristes contre les États-Unis le 11 septembre 2001, et leurs conséquences au Mozambique. La première question à ce propos est celle de la réaction des Mozambicains face à l’événement. Or, il faut dire que si les Mozambicains condamnaient sans ambages les attentats dans les jours suivants et que les principaux dirigeants d’organisations islamiques ont rapidement fait des déclarations publiques en ce sens, nombreux étaient aussi ceux estimant que les États-Unis “ l’avaient bien cherché ”. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est même un type de commentaire que j’ai entendu dans des milieux catholiques du Mozambique et même dans la bouche de personnes ayant des responsabilités dans l’Église. Ensuite, il faut souligner que, comme dans beaucoup de pays, l’événement a engendré des réactions très contrastées, voire même des controverses. Ainsi, peu après l’annonce par les Américains d’attaques contre l’Afghanistan, une manifestation a été organisée par les musulmans de la capitale contre le terrorisme. Le défilé dans les rues s’est passé sans accrocs, mais des slogans anti-américains et protalibans ont fait néanmoins leur apparition. Or ceci a suscité une réaction violente 76. Cela n’implique évidemment en rien que les adeptes des confréries suivent leur chef. Mais c’est déjà un début. Voir cheikh Abdurrahmane AMURI BIN JIMBA , entrevue, Ilha de Moçambique, 21 août 2000 et cheikh M. ANIFO , entrevue, Ilha de Moçambique, 24 août 2000. 77. L’histoire de cette affaire est en résumé la suivante : un criminel va dans une mosquée de la capitale et dit avoir un paquet pour le cheikh dont il ne sait pas le nom. Le responsable de la mosquée flaire quelque chose, va chercher la police et celle-ci découvre dans le paquet… une tête humaine. S’ensuit l’arrestation du criminel mais aussi celle du cheikh car le criminel affirme que le cheikh lui avait commandé la tête. Après avoir été libéré conditionnellement, puis remis en prison, le cheikh sera lavé de tout soupçon par la Cours suprême au début 2000. 78. Pour les principaux articles, voir Metical (Maputo), 5 mars 1999, 30 avril 1999, 3 mai 1999 et Savana, 5 mars 1999, 23 et 30 avril 1999. 79. Les élections furent contestées durant toute l’année 2000 par la Renamo, avec des manifestations au mois de novembre qui furent réprimées dans le sang. Il semble que la Renamo ait partiellement raison dans sa contestation des résultats, plusieurs diplomates et journalistes reconnaissant qu’il y a eu fraude et que cela aurait permis à Joaquim Chissano (pas au Frelimo) de gagner. Sur les élections et leurs suites, voir M. CAHEN 2000b : 111-135. 80. Savana, 1 septembre 2000. Sur le ministre, voir la note 65. 142 Éric Morier-Genoud de la part de certains journalistes et lecteurs, quelques-uns allant jusqu’à exiger l’arrestation des manifestants anti-américains81 . Finalement, notons qu’après les attentats, les États-Unis se sont mis immédiatement à la recherche de cellules d’AlQuaï da au Mozambique avec l’aide des services secrets mozambicains. Plusieurs maisons de change, plusieurs commerçants, l’ancien président de la Communauté mahométane de Maputo et même l’Africa Muslim Agency ont été mis en cause par les Américains et ont fait l’objet d’enquêtes. Mais aucune cellule d’Al-Quaï da ne semble avoir été trouvée et aucune arrestation opérée82 . * * * Entre 1975 et 2000, un retournement de la position de l’islam s’est produit au sein de la société mozambicaine. Avant l’indépendance, et même jusqu’en 1979, cette religion était marginalisée voire même combattue par le pouvoir en place. Aujourd’hui, l’islam a une position publique saillante et revendicative. Cette nouvelle posture est normale si l’on prend en compte le nombre de musulmans dans le pays (au moins 20 %). Il n’en reste pas moins que c’est une situation nouvelle et inverse à celle qui prédominait durant quasiment tout le XXe siècle. Quand ce retournement du positionnement public de l’islam a-t-il eu lieu ? Une première date que l’on peut avancer est 1980, lorsque le pouvoir a mis fin à sa politique antireligieuse. En effet, une nouvelle période s’ouvre alors, durant laquelle les musulmans vont, au travers d’organisations nationales, retrouver un certain activisme social et politique grâce à l’appui d’organisations musulmanes internationales et l’encouragement du gouvernement. Une deuxième date que l’on peut identifier est 1989. Cette année-là, le Frelimo changea de politique religieuse, adoptant une politique de “ libre marché ”. Cette politique a favorisé une expansion et une politisation des religions : s’ouvre ainsi une nouvelle phase durant laquelle les musulmans vont être encore plus visibles et actifs socialement et politiquement. Une troisième date qu’il convient de mettre en avant est 1994, l’année des premières élections nationales pluralistes. Grâce aux élections, les musulmans vont en effet prendre place au sein du Parlement et du gouvernement en tant que musulmans. S’ouvre alors une nouvelle période, l’actuelle, durant laquelle les musulmans vont pour la première fois présenter des revendications quant à la nature et la forme de l’État mozambicain. On peut dire que le retournement est alors complet : l’islam est passé du silence aux revendications fondamentales. À quoi ce retournement de la position de l’islam au Mozambique est-il dû ? À des facteurs internes ou externes ? À un changement au sein de l’islam ou du pouvoir politique ? La réponse est évidemment double, les changements au sein de l’islam faisant corps avec les changements au sein du pouvoir. Cinq grandes causes peuvent être distinguées. Une première a trait à la répression de la religion menée par le Frelimo entre 1978 et 1980. Cette répression a aliéné les musulmans et certains sont passés, au Mozambique comme à l’étranger, à la résistance latente ou ouverte, chose qui força le Frelimo à altérer sa politique religieuse. Une deuxième cause est relative au fait que le gouvernement du Frelimo n’a pas bien compris les musulmans du Mozambique et ne paraît pas avoir réussi sa tentative de récupération lorsqu’il s’est décidé à changer de politique. Il a accepté de nombreuses concessions 81. Voir les articles et le débat dans Metical, octobre et novembre 2001. 82. Domingo, 7 octobre 2001, Metical, 3 octobre 2001 et Savana 9 novembre 2001 L’islam au Mozambique après l’indépendance 143 après 1980, mais n’en a pas retiré grand-chose. On l’a vu, à la fin de la décade, le chef du département des Affaires religieuses estimait que la politique musulmane du Frelimo avait été un “ fiasco ”. Une troisième cause de ce retournement est le résultat de changements au sein de l’islam. Le développement du courant réformiste, wahhabite, et la constitution du Conseil islamique ont engendré le développement symétrique d’un mouvement soufi ou prosoufi “ moderne ”, le Congrès islamique. Or ces deux mouvements, même dans leur désaccord, sont des agents de première classe pour faire la liaison avec le gouvernement et poser des exigences. Une quatrième cause du retournement de la position de l’islam tient évidemment au pouvoir (ou parti au pouvoir), obligé dans un premier temps de changer de politique religieuse afin de sauvegarder le régime, puis conduit à intégrer dans un deuxième temps des musulmans en son sein. Finalement, une dernière cause est liée aux relations internationales. Les pays musulmans et les organisations mondiales musulmanes ont activement soutenu les organisations nationales mozambicaines et ont exercé une pression sur le gouvernement, visiblement avec un certain succès. Quelle est la situation de l’islam au Mozambique aujourd’hui et que peut-on voir, ou prévoir, pour l’avenir ? Tout d’abord, il faut constater que le mouvement réformiste continue de gagner du terrain en se développant avec l’appui d’organisations internationales, avançant particulièrement grâce (ou parmi) les jeunes qui étudient à l’étranger. Jusqu’à présent le réformisme ou wahhabisme, s’est propagé quasiment uniquement au travers du Conseil islamique. Cependant, un nouveau mouvement est apparu (l’Ansar Al-Suna) et on peut penser, qu’une fois le monopole du Conseil cassé, de nouvelles organisations surgiront. Du coup, le réformisme sera probablement plus diversifié et multiforme à l’avenir. Ceci ne veut pas dire que la montée du wahhabisme est inévitable ou irréversible. On l’a vu, les soufis ou prosoufis, ont su s’organiser avec efficacité et se sont modernisés avec succès dans un passé récent. On l’a constaté avec la création du Congrès islamique, la fondation du CFI, avec leur intégration au sein du gouvernement et la création d’un Conseil des confréries (dont le succès n’est pas garanti, mais qui démontre la vitalité et la combativité du soufisme). Ensuite, il faut noter, sur le plan politique, qu’il existe aujourd’hui un certain militantisme de la part des musulmans en relation à l’État mozambicain. Les adeptes de l’islam ont exigé en 1996, sans succès, que les Ides soient déclarés jours fériés et ont contesté, sans que l’on sache encore avec quels résultats, le préprojet de loi de la famille en 2000. On peut penser que ce genre de revendications va continuer, voire même s’accroître, dans la mesure où l’islam maintient une assise sociale et politique importante et où nombre des aspects de l’État postcolonial restent encore “ chrétiens ” et font peu de cas des musulmans. Finalement, au niveau de la politique “ politicienne ”, notons d’une part que le Pimo, premier parti musulman du Mozambique, s’est littéralement “ cassé les dents ” aux élections de 1994 et, d’autre part, que les musulmans ont plutôt privilégié la formule de leur représentation au sein des grands partis (et au sein de l’État). Ceci est sans aucun doute le reflet et la conséquence de la division des musulmans mozambicains. Constatant que ces divisions vont continuer et que les organisations musulmanes se multiplient, on peut imaginer, dès lors, que cette manière de faire de la politique ne changera pas dans un avenir proche. Éric Morier-Genoud State University of New York at Binghamton (États-Unis) et Université de Bâle (Suisse) 144 Éric Morier-Genoud BIBLIOGRAPHIE Ouvrages et articles ALPERS , E. A. 1999a, “ East Central Africa ” : 302-325, in N. LEVTZION & R. POUWELL , eds., History of Islam in Africa, Athens, Ohio University Press. ––– 1999b, “ Islam in the Service of Colonialism ? Portuguese Strategy During the Armed Liberation Struggle in Mozambique ”, Lusotopie 1999 (Paris, Karthala) : 165-184. Annuário Estatístico 1972, Maputo, Instituto nacional de estatística, Delegação de Moçambique, Direcção provincial dos Serviços de estatísticas. ARNFRED, S. 2001, Family Forms and Gender Policy in Revolutionary Mozambique (19751985), Bordeaux, CEAN (“ Travaux et Documents ”, 68-69). BONATE , L. J. K. 1999, “ Islamic Reform in Mozambique (A critical evaluation of the “ Demolidora dos Prazeres ” by Shaykh ‘Aminuddin Muhammad) ”, Maputo, multigr. ––– 2000, “ Muslim Personal Law Among the Koti of Nothern Mozambique ”, Maputo, multigr. (présentation à la conférence “ Islamic Law in Africa ”, 21-23 juillet 2000, Dares-Salaam). BRITO , L. DE 1995, “ O comportamento eleitoral nas primeiras eleições multipartidárias em Moçambique ” in B. M AZULA, ed., Eleições, Democracia e Desenvolvimento, Maputo. ––– 2000, Cartografia eleitoral de Moçambique - 1994, Maputo, Livraria Universitária. CABRITA , J. M. 2000, Mozambique. The tortuous road to democracy, Londres, Palgrave. CAHEN , M. 1987, La Révolution implosée. Études sur 12 ans d’indépendance (1975-1987), Paris, Karthala. ––– 1990, Mozambique : Analyse politique de conjo ncture, Paris, Indigo Publications. ––– 2000a, “ L’État nouveau et la diversification religieuse au Mozambique, 1930-1974. I. Le résistible essor de la portugalisation catholique (1930-1961) ”, Cahiers d’Études Africaines, 158, XL (2) ––– 2000b, “ Mozambique : l’instabilité comme gouvernance ? ”, Politique Africaine (80), décembre : 111-135. ––– 2000c, “ L’État nouveau et la diversification religieuse au Mozambique, 1930-1974. II. La portugalisation désespérée (1959-1974) ”, Cahiers d’Études Africaines, 159, XL (3) : 551592. CARVALHO, Á. DE 1998, “ Notas para a história das confrarias islâmica na Ilha de Moçambique ”, Arquivo (Maputo) (4), octobre : 59-66. CARVALHO, A. M. S. 1999, O empresariado islâmico em Moçambique no período póscolonial : 1974-1994, (Th. : Économie et Gestion : Instituto superior de economia e gestão, Universidade Técnica de Lisboa). CLARENCE -SMITH , G. 1989a, “ The Roots of the Mozambican Counter-Revolution ”, Southern African Review of Books, avril-mai. ––– 1989b, “Indian business communities in the Western Indian Ocean in the Nineteenth Century”, Indian Ocean Review, vol.2, n°4, p.18-21. “ Consolidemos aquilo que nos une ”. Reunião da Direcção do Partido e do Estado com os representantes das confissões religiosas, 14 à 17 de Dezembro 1982 1983, Maputo, Instituto nacional do livro e do disco, 100 p. (“ Unidade Nacional ”). CONSTANTIN, F., BONE , D. S. & M ANDIVENGA, E. H. 1983, Les Communautés musulmanes d’Afrique orientale, Pau, Centre de recherche et d’études sur les pays d’Afrique orientale, Université de Pau et des Pays de l’Adour (“ Travaux et Document ” du Crepao, 1). CORREIA DE LEMOS, M. J. 1988, “ Reviver a Ilha, na Mafalala ”, Arquivo (Maputo) (4), octobre : 49-58. CRUZ E SILVA , T. 1986, A rede clandestina da Frelimo em Lourenço Marques (1960-1974), Maputo, Université Eduardo Mondlane (thèse de liciencatura). L’islam au Mozambique après l’indépendance 145 FINKE , R. 1990, “ Religious Deregulation : Origins and Consequences ”, Journal of Church and State, XXXII : 609-626. FINNEGAN , W. 1992, A Complicated War. The Harrowing of Mozambique, Berkeley – Los Angeles, University of California Press. GEFFRAY, C. & PEDERSEN, M. 1988, “ Nampula en guerre ”, Politique Africaine (Paris) (29) : 28-40. HAFKIN, N. 1973, Trade, Society and Politics in N orthern Mozambique, c. 1753-1913, Boston, Boston University (Thèse de Doctorat). HALL , M. & YOUNG , T. 1997, Confronting the Leviathan. Mozambique since Independence, Londres, Hurst & Co. HONWANA , R. 1988, The life history of Raúl Honwana. An inside view of Mozambique from Colonialism to Independence, 1905-1975, Boulder – Londres, Lynne Rienner Publishers. IANNACCONE , L. 1998, “ Introduction to the Economics of Religion ”, Journal of Economic Litterature, XXXVI, Septembre : 1465-1496 INTROVIGNE, M. 2001, “ Tra fondamentalismo e conservatorismo islamico : nota sui Deobandi ”, Center for Studies on New Religions (http:<//www.cesnur.org/ 2001/mi_dic04.htm>,. ISAACMAN, B. & STEPHEN , J. 1984, A mulher moçambicana no processo de libertação , Maputo, INLD. JOÃO , B. B. 2000, Abdul Kamal e a história de Chiúre nos séculos XIX-XX, Maputo, Arquivos históricos de Moçambique, (Coll. Estudos, n° 17) M ARQUES DA SILVA , M. A. 1991, Escritos Islâmicos, Lisbonne, Al Furquán. M ARTIN, B. G. 1976, Muslim Bortherhoods in XIXth Century Africa, Cambridge, Cambridge University Press. M BEMBE , A. 1988, Afriques indociles. Christianisme, Pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Karthala. M EDEIROS, E. 1999, “ Irmandades muçulmanas de Moçambique ”, I Libri di Afriche e Orienti (Bologne) (1) : 70-85. M ETCALF, B. D. 1982, Islamic Revival in British India, 1860-1960, Princeton, Princeton University Press. M ONTEIRO , O. 1993a, “ Sobre a actuação da corrente "wahhabitta" no Islão moçambicano : algumas notas relativas ao período 1964-1974 ”, Africana (Porto) (12), mars : 85-107. ––– 1993b, O Islão, o poder e a guerra (Moçambique 1964-1974), Porto, Universidade Portucalense. M ORIER-GENOUD , É. 1996a, “ Of God and Caesar. The Relation between Christian Churches and the State in Postcolonial Mozambique, 1974-1981 ”, Le Fait Missionnaire (Lausanne) (3). ––– 1996b, “ The Politics of Church and Religion in the First Multi-Party Elections of Mozambique ”, Internet Journal of African Studies (1), avril (http:<//www.bradford. ac.uk/research/ ijas/ijasnol.htm>). ––– 2000, “ The 1996 "Muslim Holiday" Affair. Religious Competition and State Mediation in Contemporary Mozambique ”, Journal of Southern African Studies, XXVI (3), septembre. Mozambique. 100 Men in Power 1996, Paris, Indigo Publications. NIMTZ, A. H. 1980, Islam and Politics in East Africa. The Sufi Order in Tanzania, Minneapolis, University of Minnesota Press. OLIVEIRA , P. 1989, Os donos da Renamo , manuscrit, s/l. [Maputo ?]. PEARSON, M. N. 1999, “ The Indian Ocean and the Red Sea ” : 37-59, in N. LEVTZION & R. POUWELL , eds., History of Islam in Africa, Athens, Ohio University Press. PEIRONE, F. J. 1967, A tribo Ajaua do Alto Niassa (Moçambique) e alguns aspectos da sua problemática neo-islâmica, Lisbonne, Junta da Investigação de Ultramar, Centro de Estudos Missionários. PEREIRA LEITE , J. 2000, “ A guerra do caju e as relações Moçambique-Índia na época póscolonial ”, Lusotopie 2000 (Paris, Karthala) : 295-332. Quem é quem na Assembleia da República de Moçambique 1996, Maputo, Assembleia da República & AWEPA. Quem é quem no Governo de Moçambique 2000, Maputo, Bureau de informação pública. 146 Éric Morier-Genoud REBELO , D. 1961, “ Breves apontamentos sobre um grupo de indianos em Moçambique (A comunidade ismaília maometana) ”, Boletim da Sociedade de Estudos da Colónia de Moçambique (128) : 83-89. ROBERTSON, R. 1992, “ The Economization of Religion ? Reflections on the Promise and Limitations of the Economic Approach ”, Social Compass, XXXIX (1) : 147-157. SIEFERT, S. 1994, Muslime in Mosambik – Versuch einer Bestandsaufnahme, (Forschungsprogamm Entwicklungspolitik : Handeungsbedingungen und Handlungsspielräume für Entwicklungspolitik n° 36), Université de Bielefeld, décembre. T AYOB, A. K. 1995, Islamic Resurgence in South Africa. The Muslim Youth Movement, Cape Town, University of Cape Town Press. T HOROLD , A. 1993, “ Metamorphoses of the Yao Muslims ” : 79-90, in L. BRENNER, ed., Muslim identity and social change in sub-Saharan Africa, Londres, Hurst & Co. VINES, A. 1991, Renamo : Terrorism in Mozambique, Londres, James Currey. WILSON, K. B. 1992, “ Cults of violence and counter-violence in Mozambique ”, Journal of Southern African Studies, XVIII (3), septembre : 540 sq. Z AMPARONI , V. 2000, “ Monhés, Baneanes, Chinas e Afro-Maometanos. Colonialismo e racismo em Lourenço Marques, Moçambique, 1890-1940 ”, Lusotopie 2000 (Paris, Karthala) : 191-222. “ III Recenseamento geral da população (1960) ”, in Moçambique : Panorama demográfico e sócio-económico, Maputo, Direcção nacional de estatística, avril 1995. Archives et fonds documentaires - MJ/DAR (Ministério da Justiça/Direcção Nacional dos Assuntos Religiosos). - IAN/TT (Instituto nacional dos arquivos nacionais da Torre de Tombo) : Fond des SCCIM (Serviço de centralização e coordenação da informação de Moçambique) et fond de la PIDE/DGS (Policia Internacional e de Defesa do Estado/Direcção Geral de Segurança). - AHM (Arquivos Históricos de Moçambique) : Fond de l’Administração civil.