Journal des anthropologues
Association française des anthropologues
80-81 | 2000
Questions d’optiques
Une illusion photographique
Esquisse des relations entre la photographie et l’anthropologie en France
au XIXe siècle
A Photographic Illusion. An Approach of the Relations Between Photography and
Anthropolgy in France at the 19th Century
Pierre-Jérôme Jehel
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/jda/3139
DOI : 10.4000/jda.3139
ISSN : 2114-2203
Éditeur
Association française des anthropologues
Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2000
Pagination : 47-70
ISSN : 1156-0428
Référence électronique
Pierre-Jérôme Jehel, « Une illusion photographique », Journal des anthropologues [En ligne],
80-81 | 2000, mis en ligne le 01 juin 2001, consulté le 05 mai 2019. URL : http://
journals.openedition.org/jda/3139 ; DOI : 10.4000/jda.3139
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Journal des anthropologues
Une illusion photographique
Une illusion photographique
Esquisse des relations entre la photographie et l’anthropologie en France
au XIXe siècle
A Photographic Illusion. An Approach of the Relations Between Photography and
Anthropolgy in France at the 19th Century
Pierre-Jérôme Jehel
1
Un article intitulé « La photographie et l’anthropologie », publié par Ernest Conduché
dans le journal La Lumière daté du 31 mars 1855, affirmait : « Il faut nécessairement que la
photographie vienne au secours de l’anthropologie, sans cela elle restera longtemps ce
qu’elle est aujourd’hui »1. Selon l’auteur, l’anthropologie, après des avancées
prometteuses, se trouvait alors dans une impasse. Seule une alliance avec la photographie
pourrait lui donner un nouvel élan. Ce discours, partisan s’il en est, est significatif des
possibilités que semblait alors offrir l’image photographique à l’anthropologie. La
production photographique des anthropologues au XIXe siècle fut d’ailleurs
particulièrement conséquente et concerne essentiellement une approche « physique » de
l’Autre. Nous nous proposons d’aborder ici ce corpus de photographies à travers quelques
cas exemplaires des relations instables entre « la photographie » et « l’anthropologie » de
cette époque2.
Contexte et enjeux des débuts de l’anthropologie
2
L’affirmation de la « science anthropologique » comme discipline indépendante, proche
de « l’anthropologie physique », s’est faite au XIXe siècle notamment à travers la création
de nombreuses sociétés savantes. La coïncidence des dates de création de ces sociétés
avec quelques événements cruciaux de l’histoire de la photographie, vient souligner
l’ancienneté des liens entre les deux pratiques.
3
En 1839, alors que la photographie est « donnée au monde » par la France par
l’intermédiaire de François Arago, le physiologiste William Frederic Edwards3 fonde la
Société ethnologique de Paris. Son approche, fortement pluridisciplinaire, réunit
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1
Une illusion photographique
naturalistes, géographes, historiens, archéologues et explorateurs en vue de constituer
« les véritables bases de la science de l’ethnologie »4.
4
En 1859, alors que la photographie est admise aux côtés de la peinture au Salon des
Beaux-Arts, l’orientaliste Léon de Rosny fonde la Société d’ethnographie de Paris.
Organisée en différents comités géographiques, son action consiste essentiellement à
réunir des documents sur les populations du monde.
5
La même année, Paul Broca, chirurgien anatomiste réputé, crée la Société d’anthropologie
de Paris dont la tendance est totalement contraire. Broca et ses coéquipiers, dix-neuf
membres fondateurs issus en grande partie de la Société de biologie, refusent toute
spéculation d’ordre philosophique ou politique ; ils entendent aborder l’étude de l’homme
par des faits tangibles, en partant de l’observation matérielle du corps pour remonter à la
compréhension du comportement.
6
L’ampleur prise par la Société d’anthropologie reflète la tendance résolument médicale
des anthropologues à cette époque. Cette anthropologie de laboratoire se conjugue avec
un intense développement des voyages d’exploration. Les « expéditions scientifiques »
sont encouragées par l’Etat, en particulier par le ministère de l’Instruction publique dès
1842 et surtout à partir de 1874, après la création de la « Commission des missions »,
composée de personnalités scientifiques et politiques, qui avait le pouvoir de soutenir
financièrement des projets d’expédition à caractère scientifique. Du fait de cette
implication politique, le réseau d’information qui se tisse à travers le monde est
fortement lié à la conquête coloniale, commencée en 1830 avec l’Algérie, puis sous le
Second Empire avec la Nouvelle-Calédonie (1853), le Sénégal (1854), la Cochinchine
(1862-1867), le Cambodge (1863) et, sous la Troisième République, Djibouti et la Côte des
Somalis (1884-1892), ou encore le Soudan et le Niger (1888-1895). Ainsi, les militaires
deviennent des pourvoyeurs assidus d’informations ethnographiques, à la fois écrites et
photographiques5.
7
Dans ce grand élan de voyage et d’exploration, il faut souligner l’action de la Société de
géographie, première société de ce genre en Europe. Fondée en 1821, elle fut à son apogée
dans les années 1880. Encourageant activement les missions à l’étranger, elle accumulait
des quantités de documents sur les pays et les ethnies visités. Son bibliothécaire James
Jackson, qui intervenait régulièrement à la Société française de photographie (fondée en
1854 sur les cendres de la Société héliographique), est à l’origine d’une imposante
collection de photographies. Conservée aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France,
elle comporte environ 50 000 plaques de verre qui étaient destinées à être projetées lors
de conférences et plus de 90 000 tirages qui étaient notamment exposés à l’occasion des
réunions de la société.
8
Outre ces sociétés savantes, une autre institution, beaucoup plus ancienne, se préoccupe
d’anthropologie. Le Muséum d’histoire naturelle, fondé en 1793, développe au XIXe siècle
de nouveaux enseignements et laboratoires pour étudier l’homme6. On y expérimente les
premières applications spécifiquement anthropologiques de la photographie. En 1907,
Ernest-Théodore Hamy rapporte que, dès 1839, Etienne Serres qui venait d’être chargé de
la nouvelle chaire « d’histoire naturelle de l’homme » – future « chaire
d’anthropologie » – fit acheter, un « appareil de Daguerre » pour réaliser les premiers
« portraits ethniques »7. Sans que l’on ait de trace de ces « portraits ethniques », l’intérêt
de Serres pour la photographie était certain. En 1844, lors d’une intervention devant
l’Académie des sciences où il présenta « cinq portraits représentant deux naturels de
l’Amérique du Sud (Botocudes) », il suggéra l’idée d’une « collection des diverses races
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humaines reproduites par ce procédé (le daguerréotype) »8. Ces portraits daguerréotypés,
réalisés au Portugal par E. Thiesson et conservés aujourd’hui à la photothèque du musée
de l’Homme, comptent parmi les premières photographies anthropologiques9.
Représentation et histoire naturelle
9
La photographie entre dans le domaine des sciences naturelles, avec un peu de retard sur
la technique du moulage en plâtre. Les moulages réalisés au cours de l’expédition au pôle
Sud de Jules Dumont d’Urville, entre 1837 et 1840, connaissent un grand succès dans le
milieu scientifique. Serres les juge « sans déguisement et sans art, tels enfin que les
réclament les besoins de l’anthropologie »10. La nature analogue d’empreinte indicielle de
ces deux techniques va rapidement les rendre concurrentes, mais la difficulté de mise en
œuvre du moulage donnera un avantage certain à la photographie.
10
C’est plutôt dans la tradition de précision du dessin d’histoire naturelle – avec
notamment l’antécédent des « vélins du roi »11– que s’inscrit l’emploi de la photographie
en anthropologie. Dès 1840, le dessinateur et botaniste Jean-François Turpin, qui peignit
pour le Muséum plus de 6 000 aquarelles de plantes, relève l’extrême précision du
daguerréotype. Emerveillé après une visite dans l’atelier de Daguerre, il rapporte devant
l’Académie des sciences : « Nos compositions de dessins, de peinture et de sculpture les
plus parfaites, celles où l’artiste s’est le plus assujetti à copier servilement les objets de la
nature, sont toujours excessivement fautives, elles fourmillent d’impossibilités dans tous
leurs détails et par conséquent dans leur ensemble [...]. Au daguerréotype seul appartient
la possibilité de la perfection absolue dans la représentation des corps »12. Turpin se
montre ensuite assez critique vis‑à‑vis du daguerréotype dont la représentation est alors
encore imparfaite, mais toute son intervention traduit le choc que provoqua sa
confrontation directe à ces nouvelles images : « Nous sortîmes de l’atelier presque
magique de M. Daguerre fortement préoccupé de tout ce que nous venions de voir […] ».
Cet argument de la précision des détails est très fréquemment repris par les défenseurs
de la photographie appliquée à l’histoire naturelle. Henri Milne Edwards, professeur de
zoologie au Muséum et membre de l’Académie des sciences, écrit par exemple en 1853 :
« Lorsqu’on vient à examiner ces planches (photographiques) à l’aide d’une loupe, on y
voit tous les détails que cet instrument ferait voir dans l’objet lui même […] »13.
11
Ainsi Louis Rousseau, aide-naturaliste au laboratoire des invertébrés marins, commence à
l’employer pour représenter ces animaux transparents très délicats à dessiner. Louis
Rousseau est surtout connu pour son ouvrage de photographies zoologiques, composé
avec Achille Devéria (peintre et lithographe à la Bibliothèque impériale), qui constitue la
première tentative de publication de photographies par un procédé photomécanique et
qui lui a valu de participer à la fondation de la Société française de photographie en 1854 14
. Mais il collabore aussi à des missions scientifiques, en particulier en Islande en 1856,
d’où il rapporte des portraits d’esquimaux. Puis il photographie différents indigènes de
passage à Paris. Ces photographies, qui reprennent en général le principe de la
combinaison face/profil, déjà utilisé pour les dessins, sont cependant peu systématiques
et assez marginales dans sa production photographique (voir illustration n° 1).
12
A partir de 1860, un autre employé du Muséum, Philippe‑Jacques Potteau, prend la relève.
Il commence lui aussi par photographier les collections, puis engage un projet de grande
ampleur : photographier les délégations étrangères en visite à Paris (voir illustration n°
2). Il reprend alors le style du portrait del’époque : éclairage soigné, accessoires, rideaux.
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Puis il établit progressivement une normalisation de plus en plus stricte : le face/profil
devient systématique, le fond est blanc, l’éclairage perd tout modelé et les sujets posent
de plus en plus souvent nus.
13
Ce durcissement des principe de prise de vue se met en accord avec ceux qui vont diriger
les démarches anthropologiques du XIXe siècle, dont l’objectif essentiel sera la mise à jour
systématique des différents « types humains ».
1. Louis Rousseau, « Abdul-Herim-Fadé, Nubien. Nubien qui a amené l’hippopotame femelle en
1855 »
Paris, 1855 (Photothèque du musée de l’Homme).
2. Jacques-Philippe Potteau, « Huang Indrmontry. 46 ans Officier pour le recouvrement des impôts
[...] chargé des cadeaux royaux envoyés à S.M. l’empereur des Français, né d’un père chinois et
d’une mère siamoise »
Paris, 1861 (Photothèque du musée de l’Homme).
A la recherche des « types »
14
L’approche du statisticien et astronome belge Adolphe Quételet donne une bonne idée de
ce qui était entendu par « type humain ». Dans son livre Sur l’homme et le développement de
ses facultés, il présente sa théorie de la « physique sociale » qui permet de mettre à jour
« les causes soit naturelles, soit perturbatrices qui agissent sur le développement de
l’homme »15. Pour simplifier sa tâche il invente un objet plus simple à appréhender que
l’infinie diversité des comportements humains, celui « d’homme moyen » : « un être fictif
pour qui toutes les choses se passeront conformément aux résultats moyens obtenus par
la société »16. Sans entrer dans le détail, considérons que cette notion « d’homme moyen »
représente alors ce que les anthropologues entendent par « type humain ». Paul Topinard
par exemple, alors secrétaire général de la Société d’anthropologie17, définit le type
comme « un ensemble de caractères se répétant sur un grand nombre de sujets, ce qui
laisse supposer un certain lien, une communauté quelconque de sang »18. Deux méthodes
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se joignent donc à la mise en évidence des types : d’une part une approche statistique,
d’autre part un repérage des caractères « typiques ».
15
La méthode anthropométrique développée par Broca va permettre une quantification du
corps humain, afin de définir ces caractères. Son application photographique la plus
poussée reste celle d’Alphonse Bertillon. Celui‑ci entre à la Société d’anthropologie en
1880 et crée deux ans plus tard le service d’identification à la Préfecture de Paris,
reprenant à la fois les méthodes anthropométriques de Broca et les théories statistiques
de Quételet. Il tente aussi une incursion en anthropologie en publiant un ouvrage de
vulgarisation inventoriant les peuplades lointaines des plus « primitives » jusqu’au plus
« évoluées »19. Il revendique d’ailleurs la valeur anthropologique de sa méthode qui était
en fait un détournement vers l’anthropologie criminelle des principes de Broca. Dans La
photographie judiciaire, il suggère par exemple : « Les photographes amateurs qui font des
collections de types ethniques, auront tout avantage à adopter nos formats, poses et
échelles pour obtenir le maximum d’effet utile » 20. Nous ne nous attarderons pas sur une
présentation approfondie du système de Bertillon, qui a fait l’objet de nombreux travaux
(notamment PHELINE, 1985, et SEKULA, 1989). Il convient cependant de rappeler qu’il
existe une certaine proximité entre cette démarche et celle des anthropologues de
l’époque dans leur recherche des « types ». Cependant, si Bertillon est aussi insistant à
faire reconnaître « l’analogie de moyens qui existe entre les recherches ethnographiques
et (ses) études d’identification scientifique et particulièrement anthropométrique »21 par
les anthropologues de la Société d’anthropologie, c’est en fait parce que ceux‑ci vont
rester assez méfiants à son égard.
16
Dans un premier temps, la quête des « types » a donc conduit au développement de
l’anthropométrie et à la détermination de critères « numériques » indiscutables
permettant de caractériser les corps. Quant aux applications photographiques, d’autres
propositions que celle de Bertillon, moins systématiques, sont aussi faites auprès de la
Société d’anthropologie. En 1881 par exemple, Gustave Le Bon22 réalise des photographies
d’un groupe d’Indiens de la Terre de Feu23 « exposés » au Jardin d’acclimatation 24, en
appliquant sur le corps même des indigènes, une échelle de référence25. Il explique devant
la Société d’anthropologie : « Les sujets sont reproduits de face et de profil et portent sur
le bras une échelle constituée par une bande de un décimètre de longueur, ce qui permet
de reconstituer les dimensions de toutes les parties du corps et d’effectuer par
conséquent sur ces photographies les mêmes mensurations que l’on pourrait effectuer
sur le vivant »26. L’image photographique vient donc ici au service de l’anthropométrie
selon un principe « ontologique » qui traverse tout le XIXe siècle : la représentation
photographique semble pouvoir se substituer au sujet représenté. Cette conviction, qui
était déjà présente dans la remarque de Milne Edwards citée précédemment, donne aussi
à l’image photographique une valeur de preuve irréfutable par rapport au dessin.
17
L’argument anthropométrique est d’autre part avancé pour faire figurer à côté des
indigènes une personne « civilisée » de taille connue. Dans les Conseils aux voyageurs
naturalistes publiés à l’occasion des cours du Muséum pour préparer les naturalistes qui
s’apprêtent à partir en mission, on lit par exemple qu’« on ne doit pas manquer de placer
au milieu des indigènes un sujet de taille connue, autant que possible un Européen, afin
d’obtenir un terme de comparaison »27. Ici, la référence n’est pas seulement une question
de taille. La présence de la redingote et du haut de forme à côté de « l’accoutrement
caractéristique de la tribu », pour reprendre une expression de l’époque (voir P. Broca
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plus bas), apparaît comme une métaphore des conceptions évolutionnistes qui font de
l’Européen la norme de toute humanité (voir illustration n° 3).
La photographie face à l’anthropométrie
18
A travers ces propositions, conseils et autres recommandations rapportés dans les
instructions destinées aux voyageurs, les bulletins des sociétés savantes ou les ouvrages
d’anthropologie, il apparaît, en fait, que les méthodes photographiques pour représenter
les « types humains » ne sont pas très homogènes. Les principes de Bertillon, établis de
manière définitive en 189328, bien qu’employés et préconisés par certains anthropologues
29
, ne coupent pas court à d’autres propositions. Cette insatisfaction semble s’inscrire
dans une remise en cause plus générale de l’approche strictement anthropométrique.
19
Le procédé rencontre en effet de sérieuses limites au cours des expéditions scientifiques.
Muni des directives des savants restés à Paris, le voyageur observe, prélève et mesure les
corps. Cette méthode consistant à confier les observations à des non spécialistes est
comparable aux principes de Claude Bernard en physiologie expérimentale30. En séparant
l’observateur et l’expérimentateur, il s’agit de garantir l’objectivité des observations ( DIAS
, 1994 : 45).
3. Roland Bonaparte, photographie extraite de « Collection anthropologique du Prince Roland
Bonaparte, groupe de Bushmen photographié sur la scène des Folies-Bergères »
Paris, 1886 (Photothèque du musée de l’Homme).
20
Mais le passage de l’univers contrôlé du laboratoire à la réalité du terrain d’exploration
conduit à une sévère mise à l’épreuve des théories. Sur le terrain, l’observateur se heurte
aux difficultés pratiques, et précisément aux réticences des populations face aux
instructions anthropométriques, comme si le décalage entre la conception théorique du
« type humain » et sa réalité d’être humain n’avait pas été envisagé par les « savants ».
Ainsi parviennent devant la Société d’anthropologie des témoignages d’explorateurs
dépités comme celui‑ci : « Je n’ai pas été plus heureux dans mes essais de mensuration
sur le vivant ; malgré mes complaisances pour les Somalis, malgré mes soins apportés aux
malades, malgré promesses et cadeaux, aucun n’a voulu se laisser toucher »31.
21
Une dizaine d’années plus tard, l’anthropologue Ernest Chantre, sous‑directeur du
Muséum d’histoire naturelle de Lyon, met en cause ouvertement l’usage de
l’anthropométrie sur le terrain. A son retour d’une mission en Arménie, en 1892, il
rapporte : « J’ai remplacé par l’emploi méthodique de la photographie une partie de ces
mesures préconisées par des savants qui ont rarement l’occasion de pratiquer en dehors
de leur laboratoire. Ces mesures se compliquent d’opérations toujours trop longues pour
les peuples difficilement abordables »32. L’image photographique qui, dans un premier
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temps, servait l’anthropométrie, devient donc progressivement une méthode
concurrente. Dans son ouvrage La photographie appliquée à l’histoire naturelle, Eugène
Trutat, directeur du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, mais également
photographe amateur et membre de la Société photographique de Toulouse, défend lui
aussi un usage de la photographie à l’encontre du systématique « tout
anthropométrique » qu’exige en particulier la Société d’anthropologie : « Pour ces
savants, l’anthropologie semble se réduire à un tableau de chiffres », alors que pour lui,
« l’étude des caractères distinctifs de l’homme, ainsi ramenée à une méthode purement
mathématique, perd une partie de sa valeur pour le véritable naturaliste »33. S’il
revendique une approche visuelle des types, il exige cependant le moyen de
représentation le plus précis possible, la photographie, mettant en cause « l’inexactitude
des dessins destinés à représenter les diverses races »34, reprenant ici un argument
toujours efficace en faveur de la photographie.
22
A son tour, Paul Topinard défend cette approche qui tend à regarder les corps avant de
les mesurer. Sans réfuter l’apport de l’anthropométrie, dont son maître Paul Broca fut le
promoteur, il constate que certains caractères physiques lui échappent. Les cheveux en
particulier, qu’il définit comme « d’ordre essentiellement descriptif »35, ne peuvent être
appréciés par des mesures anthropométriques. En 1881, alors qu’il présente devant la
Société d’anthropologie ses observations menées sur les indigènes au cours d’un voyage
en Algérie, il n’hésite pas à déclarer qu’il a effectué ses recherches sans aucun instrument
de mesure et qu’il cherche à présent une méthode mieux adaptée que l'anthropométrie à
la réalité du travail sur le terrain. S'attachant à déterminer les différents « types » à
partir du visage, il affirme que ce caractère « s'apprécie mieux, dans l'état de la science,
par la vue que par les mensurations »36. Mais il soutient que cette approche n’est pas une
solution de facilité car elle nécessite un coup d’œil exercé qui permette de traduire par
des mots l’apparence d’un corps, et en particulier d’un visage.
23
Son intervention déclenche une levée de boucliers. Les autres membres y voient un
reniement des méthodes anthropométriques, risquant de mettre en péril le crédit
scientifique de leur discipline au profit d’une tendance « pittoresque », voire
« sentimentale ». Topinard se défend pourtant d'un quelconque penchant artistique. Il
fait d’ailleurs état de sa méfiance à l'égard de la photographie, qui peut amener à des
considérations d’ordre esthétique plus que scientifique : « Je fais remarquer que le type
kabyle n'est pas beau, et que c'est pour cette raison qu'on n'en trouve pas de
photographies »37. Quelques mois plus tard, il manifeste à nouveau son scepticisme face à
l'utilisation de la photographie, dans une réponse catégorique à Le Bon : « La
photographie la plus correcte prise suivant les règles scientifiques voulues ne saurait
donner jamais qu'une projection centrale avec toutes ses illusions »38. Topinard renvoie
donc dos à dos l’approche anthropométrique et ses applications photographiques. Pour
discréditer la photographie aux yeux des scientifiques, il s’en prend à sa valeur de preuve
irréfutable en rappelant que l’image photographique est avant tout une représentation
fondée sur l’illusion de la perspective conique. Par la suite, Topinard va plutôt chercher à
développer une méthode descriptive par des mots pour dégager les « caractères
descriptifs » du type.
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L’image photographique, mémoire de la diversité
humaine
24
Au sein de la Société d’anthropologie, Topinard se signale aussi par sa mise en cause d’une
recherche systématique des « races pures ». Pour lui, « la race pure caractérisée par un
type unique, actuellement palpable, sans analyse, est un mythe »39. En effet, dans cette
volonté généralisée de mise à jour des types, la question de leur mélange pose un
problème ardu. Elle fut très tôt une préoccupation des scientifiques et restera leur
hantise. En 1841 déjà, la Société ethnologique de Paris avait remarqué : « Il y a toujours
chez une nation plusieurs races ; il faut donc chercher à distinguer les types purs du
produit des mélanges »40. La crainte d’une évolution unificatrice est un thème récurrent
dans le discours anthropologique du XIXe siècle, puisqu’elle met en péril l’objet même de
la « nouvelle science ». Topinard, à nouveau en opposition avec le mouvement général,
considère que la « race pure » ne peut être mise à jour sans un travail d’analyse dont il ne
reconnaît pas la photographie capable. Alors que, pour la plupart de ses collègues, l’image
photographique se présente précisément comme un moyen de résoudre cette difficulté en
venant fixer les différences et freiner une évolution qui tend à brouiller les différents
types. « Où est le point vital de la science anthropologique ? » écrivait Conduché dès 1855.
« C’est précisément de savoir débrouiller, au milieu de ces mélanges ce qui appartient à
une race et ce qui appartient à une autre »41. Il ajouta plus tard, emporté par un esprit
partisan et idéaliste : « La science des races humaines se compose d’une multitude
d’éléments fugaces, insaisissables ; tous ces éléments viennent se fixer d’eux-mêmes sur
le papier par la photographie. »42 Le nouvel argument avancé ici ne concerne plus la
précision de l’image photographique, sa faculté de normaliser le regard sur les corps ou
encore son caractère de preuve irréfutable, mais plutôt sa capacité à distinguer une
organisation dans une situation désordonnée, à rendre visible ce qui paraît confus.
25
Avec la même conviction, la Société d’anthropologie encourage la récolte de
photographies et lance un appel urgent lors de sa participation à l’Exposition universelle
de 1889 : « Il faut réunir les portraits des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards,
des adultes surtout, avec les costumes, les détails intérieurs [...] Il faut se hâter car
l’unification marche à grands pas »43. La validité scientifique de la photographie appliquée
à l’anthropologie s’appuie alors sur la quantité de photographies que l’anthropologue
peut rassembler. On rejoint ici l’approche statistique de Quételet qui considère d’ailleurs
que, comparée à la peinture, « la photographie est du côté de la science »44. Ces principes
statistiques conduisent en effet à de gigantesques projets photographiques au cours de la
seconde moitié du XIXe siècle.
26
Dès 1865, la Société d’ethnographie proposait à travers sa Collection ethnographique un
panorama de la diversité humaine (voir illustration n° 4)45. Cet album, réalisé par le studio
de Bayard et Bertall, présentait un ensemble « de types de races humaines photographiés
d’après nature, nus et sous trois aspects différents : face, dos, profil ». Le projet d’une telle
collection préfigure les albums-atlas à caractère ethnologique, tel celui de l’Allemand Carl
Dammann dont la première publication date de 187346. Constituées à partir des années
1880, les Collections anthropologiques de Roland Bonaparte relèvent de cette volonté
classificatrice et leur validité repose à nouveau sur une logique du nombre. A son arrivée
à la présidence de la Société française de photographie en 1919, on signale en effet « plus
de 7 000 clichés pris par lui en Amérique et aux Indes pour fixer le caractère de peuplades
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encore mal connues »47. Aujourd’hui encore, la collection du musée de l’Homme compte
des milliers de photographies portant sa signature.
27
Roland Bonaparte, petit-neveu de Napoléon Ier, s’était tourné, après un début de carrière
militaire, vers l’étude des sciences, d’abord la géographie, puis l’anthropologie et la
botanique. Membre assidu de la Société d’anthropologie depuis 1884, il fréquente l’Ecole
d’anthropologie à partir de 1886. Sa notoriété lui vaudra de présider de nombreuses
sociétés savantes. Il se reconnaît pour seul maître en anthropologie Paul Broca qui, dans
ses Instructions générales sur l’anthropologie, avait établi ce que devaient contenir les
« collections anthropologiques » : relevés chiffrés, échantillons en tout genre, moulages
en plâtres et photographies. Sur ce dernier point, il stipulait : « On reproduira par la
photographie : 1°) les têtes nues qui devront toujours, sans exception, être prises
exactement de face, ou exactement de profil, les autres points de vue ne pouvant être
d’aucune utilité ; 2°) des portraits en pied, pris exactement de face, le sujet debout, nu
autant que possible, et les bras pendant de chaque côté du corps. Toutefois, les portraits
en pied avec l’accoutrement caractéristique de la tribu ont aussi leur importance » (
BROCA, 1865 : 6).
4. Studio de Bayard et Bertall (s.d.). Photographies extraites de Hervey de Saint-Denys, 1865-1867.
Collection ethnographique photographiée sous les auspices de la Société d’ethnographie, Paris,
Société d’ethnographie (Bibliothèque Nationale de France). En haut à gauche « Nègre », à droite
« Koulougli » ; en bas à gauche « Juive allemande », à droite médaille placée sur la couverture de
l’album.
28
Respectant les principes de Broca, Bonaparte entreprend donc la réalisation d’une vaste
« collection anthropologique », dans laquelle s’inscrivent ses albums photographiques
(voir illustration n° 5). Chaque album devra rassembler le maximum de clichés de face et
de profil des membres du même groupe ethnique – jusqu’à une centaine de planches.
Ainsi il photographie ou fait photographier, au cours de voyages ou d’expositions en
Europe, des « Peaux‑rouges » (COUTANCIER, 1992), « Kalmouks », « Aus-traliens »48,
« Lapons » (DELAPORTE, 1988), « Bosjesmans », « Hottentots », « Galibis » (COLLOMB, 1992).
Pourtant ce gigantesque projet tourne court, et ces albums ne seront pratiquement pas
employés par les anthropologues. En 1892, Roland Bonaparte l’abandonne pour se
consacrer à des travaux portant sur le règne minéral et végétal, en particulier une étude
sur le mouvement des glaciers alpins et un imposant herbier.
Le crépuscule d’une conviction
29
Le revirement de Roland Bonaparte vis-à-vis de la photographie n’est pas un cas isolé. Si
jusqu’au début du XXesiècle, les anthropologues continuent de travailler avec la
photographie49, de nombreux signes indiquent que le médium a déçu. On constate qu’« à
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Une illusion photographique
l’usage » s’est dissipée la conviction dans la perfection de l’outil photographique. Les
reproches sont aussi bien d’ordre technique que méthodologique.
5. Roland Bonaparte, 1884. Photographie extraite de Anthropologie lapone, Paris, pour l’auteur, 1886
(Photothèque du musée de l’Homme).
30
Le problème de la couleur par exemple, qui a semblé être un défaut passager, devient un
handicap sérieux. En effet, entre cette remarque de Turpin, datée de 1840 : « Sous le
rapport de la couleur, nous n’avons encore rien obtenu, car ce n’est pas de la coloration
que des dessins qui, capricieusement se montrent plus ou moins ardoisés, rougeâtres ou
verdâtres »50, et ce commentaire noté lors d’une discussion à la Société d’anthropologie :
« En attendant que la photographie des couleurs ait acquis tout le perfectionnement
désirable, l’on peut colorer les épreuves définitives »51, presque soixante années se sont
écoulées. Pour faire face à cette incapacité à enregistrer les couleurs, les anthropologues
vont jusqu’à suggérer de poudrer les cheveux des indigènes ou de colorer les clichés, ce
qui est un comble pour garantir la fiabilité de l’enregistrement.
31
D’autre part, l’image photographique ne semble finalement pas adaptée à figurer les
« types ». La position de Topinard est en ce sens très cohérente. Mettant en doute
qu’aucun « type » puisse réellement exister, il considère que la photographie ne peut
aider l’anthropologie à les mettre en évidence. La photographie ne réussit donc pas à
résoudre la difficulté du passage entre le particulier et le général. Ce désenchantement
vis‑à‑vis de la photographie se perçoit dans d’autres domaines et en particulier dans
l’identification judiciaire. Très rapidement, Bertillon cherche à éliminer la photographie
car « l’intervention du photographe n’a pas rendu les services qu’on attendait »52.
32
L’image photographique ne correspondait donc pas aux attentes. Il est en effet
contradictoire de chercher à la fois à reproduire parfaitement la réalité et à figurer un
concept, une notion théorique abstraite. Ce revirement général est d’abord le signe d’un
abandon des méthodes qui s’étaient saisi de cette nouvelle représentation. Il serait sans
doute excessif de penser que l’échec de la photographie provoqua les changements
radicaux qui vont s’opérer en anthropologie – délaissement de l’anthropométrie et de la
traque des « types » au profit d’une rencontre plus sensible avec l’Autre. Il est cependant
probable que cette mise à l’épreuve des théories par l’image photographique a dû
participer à cette évolution au terme de laquelle le rôle du regard et de la seule
observation du visible va devenir marginal.
NOTES
1. Fondée en 1851 par des membres de la Société héliographique, La Lumière fut la première
revue européenne consacrée à la photographie ; elle paraîtra jusqu’en 1867. Son premier
rédacteur en chef fut Ernest Lacan. Il confia à Ernest Conduché une rubrique portant sur les
applications scientifiques de la photographie.
2. Pour un panorama de ces différents fonds photographiques parisiens, voir JEHEL (1995).
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Une illusion photographique
3. Pour une présentation approfondie de ce personnage important des débuts de l’anthropologie
en France, voir Blanckaert C., 1988. « On the Origins of the French Ethnology. William Edwards
and the doctrine of Race », in Stocking G. (ed.), History of anthropology. Vol. 5 : Bones, Bodies and
Behavior. Essay on Biological Anthropology. Madison, University of Wisconsin Press : 19‑55.
4. Société ethnologique de Paris, 1841, t. 1, III.
5. Sur cette production photographique à mi‑chemin du document ethnographique et du
renseignement au service de l’Etat, les archives du Service historique de l’Armée de Terre nous
apportent une documentation très importante et peu connue. Voir également dans ce même
numéro, l’article de Gilles Boëtsch et Eric Savarese.
6. C’est à partir du Muséum d’histoire naturelle que fut créé, en 1878, le « musée d’Ethnographie
du Trocadéro », qui deviendra le musée de l’Homme en 1937.
7. Hamy E.-T., 1907. « La collection anthropologique du Muséum d’histoire naturelle »,
L’Anthropologie, t. XVIII : 267. Dans ce texte, Hamy, alors à la fin de sa carrière au musée
d’Ethnographie, retrace l’histoire des collections anthropologiques du Muséum dont il avait pris
la charge en 1878.
8. Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des Sciences, 2 septembre 1844. Paris, Mallet
Bachelier, t. XIX : 490.
9. Il fut l’auteur d’un portrait-daguerréotype célèbre de Daguerre lui‑même en 1844. Denis
Canguilhem a levé de nombreuses zones d’ombre qui entouraient ce personnage et ses
daguerréotypes. Cf. CANGUILHEM (1998 : 34‑41 et 65‑68). Je tiens à le remercier de m’avoir
communiqué de nombreuses informations à ce propos.
10. Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des Sciences, 27 septembre 1841. Paris, Mallet
Bachelier, t. XIII : 643.
11. Au Jardin du Roi, ancêtre du Muséum d’histoire naturelle, ces vélins étaient des peintures
d’une grande exactitude réalisées sur un précieux cuir de veau, le vélin. Progressivement, la
collection ne se limita plus aux plantes car les dessinateurs des premiers voyages scientifiques du
XVIIIe siècle furent chargés de représenter aussi les indigènes rencontrés.
12. Turpin J.-F., 1840. « Sur l’application du daguerréotype relativement à la représentation des
objets d’histoire naturelle », Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des Sciences, 13 avril. Paris,
Mallet Bachelier, t. X : 589.
13. La Lumière, 18 juin 1853 : 98.
14. Rousseau L. & Devéria A., 1853. Photographies zoologiques ou représentation des animaux rares des
collections du Muséum d’histoire naturelle. Procédés des plus habiles photographes, Paris, Londres,
Masson, Gambart.
15. Quételet A., 1835. Sur l’homme et le développement de ses facultés. Paris, Bachelier. Réédité chez
Fayard en 1991 : 43.
16. Ibidem : 44.
17. Sur ce personnage important de l’anthropologie française de la seconde partie du XIXe
siècle, cf. la réédition de son ouvrage L’homme dans la nature. Paris, J.-M. Place, 1991 (édition
originale, Paris, Alcan, 1891).
18. Topinard P., 1881. « Types indigènes d'Algérie », Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris,
séance du 19 mai : 457.
19. Bertillon A., 1882. Les races sauvages. Paris, Masson.
20. Bertillon A., 1890. La photographie judiciaire. Paris, Gauthier Villars : 4.
21. Bertillon A., 1890. Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, séance du 17 juillet : 583.
22. Personnage aux activités diverses, médecin, sociologue, connu en particulier pour ses
travaux sur la psychologie des foules, mais aussi grand voyageur et intéressé par la
représentation photographique de l’architecture.
23. Sur cette exposition, cf.
Revol, 1996. « Observation sur les Fuégiens : du Jardin
d’Acclimatation à la Terre de Feu », in BLANCKAERT (1996) : 243-254.
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24. Sur ces expositions, cf. COLLOMB (1992) ainsi que Gala I., s.d. Des sauvages au jardin. Les
exhibitions ethnographiques du jardin d’acclimatation de 1877 à 1912. Paris, Musée des Arts et
traditions populaires, dactyl.
25. Voir la reproduction de l’une de ces images dans CHAPMAN, BARTHE, REVOL (1995 : 35).
26. Le Bon G., 1881. « Sur les applications de la photographie à l’anthropologie... », Bulletin de la
Société d’anthropologie de Paris, séance du 17 novembre : 758.
27. Filhol H., 1894. Conseils aux voyageurs naturalistes. Paris, Imprimerie Nationale, 1894 : 49.
28. Bertillon A., 1893. Identification anthropométrique - Instructions anthropométriques. Melun,
Imprimerie Administrative.
29. Comme le montre par exemple l’étroite collaboration de Bertillon avec le Docteur Chervin
pour la préparation de la Mission française en Amérique du Sud de 1904 (voir Chervin A. &
Bertillon A., 1907. « Anthropologie bolivienne », Mission scientifique dirigée par de G. Créqui Monfort
et E. Sénéchal de la Grange. Paris, Imprimerie Nationale.)
30. Claude Bernard était professeur de physiologie générale au Muséum en 1868. Il fut membre
de la Société d’ethnographie.
31. Revoil G., 1881. Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, séance du 3 mars : 166.
32. Chantre E., 1892. « Rapport d’une mission en Arménie russe », Nouvelles archives des missions
scientifiques et littéraires, Paris, Imprimerie nationale, t. 2 : 7. On peut voir ses photographies à la
Société de géographie et au musée de l’Homme.
33. Trutat E., 1884. La photographie appliquée à l’histoire naturelle. Paris, Gauthier Villars : 3.
34. Ibidem : VII.
35. Topinard P., 1991. L’homme dans la nature, op. cit. : 75.
36. Topinard P., 1881. « Types indigènes d’Algérie », op. cit. : 457.
37. Ibidem : 459.
38. Le Bon G., 1881. « Sur les applications de la photographie à l’anthropologie... », op. cit. : 760.
39. Topinard P., 1881. Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, séance du 16 juin : 519.
40. Mémoires de la Société ethnologique de Paris, 1841. Paris, Doin‑Dupré : VI.
41. Conduché E., 1855. « La photographie et l’anthropologie », op. cit.
42. Ibidem.
43. Société d’anthropologie de Paris, 1889. Photographie ethnique . Participation à l’Exposition
universelle de 1889 de la Société d’anthropologie de Paris. Paris, Imprimerie nationale : 303.
44. Quételet A., 1871. Anthropométrie ou mesure des différentes facultés de l’homme, Bruxelles,
Muquardt : 35.
45. Hervey de Saint-Denys, 1865‑1867. Collection ethnographique photographiée sous les auspices de la
Société d’ethnographie. Paris, Société d’ethnographie.
46. Dammann C., 1873‑1874. Anthropologisch Ethnologisches album mit photographien von C. Damman
in Hamburg, Berlin, Wiegandt, Hampel und Parey. Voir à ce sujet THEYE (1989 : 70).
47. Deslandres M., 1919. « Discours de transmission de la présidence », Bulletin de la Société
Française de Photographie, 24 mai.
48. Piton N., 1999. Entre Science et spectacle, les Aborigènes aux Folies‑Bergères (Collection
anthropologique du Prince Roland Bonaparte), mémoire de maîtrise sous la dir. de Michel Poivert
(codir. Philippe Peltier). Université Paris I, dactyl.
49. On peut considérer que la mission française en Amérique du Sud menée par Georges de
Créqui Monfort en 1903 fut l’une des dernières où la photographie ait été massivement employée
en suivant les règles de Bertillon.
50. Turpin J.-F., op. cit : 594, en note.
51. Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, 1898, séance du 17 mars : 131.
52. Bertillon A., 1886. Les signalements anthropométriques. Méthode nouvelle de détermination de
l’identité individuelle, conférence au congrès pénitentiaire international de Rome. Paris, Masson :
3.
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Une illusion photographique
RÉSUMÉS
La naissance de la photographie est contemporaine de l’apparition de l’anthropologie. En France,
l’anthropologie issue d’une approche « physique » fut rapidement aux mains des médecins et
biologistes qui pratiquaient une « armchair anthropology » dans leurs laboratoires. L’image
photographique, perçue comme une amélioration du dessin et un moyen de voyager « par
procuration », entra au Muséum d’histoire naturelle dès les années 1840. Rapidement, des projets
de grande ampleur visant à mettre en évidence les « types humains » se mirent en place. Avec la
création de la Société anthropologique de Paris en 1859, l’approche médicale devint dominante et
s’orienta vers une démarche anthropométrique de plus en plus poussée, dictant ses principes à la
prise de vue photographique. Mais progressivement, la photographie apparut incapable de
satisfaire les exigences de cette anthropologie médicale, si bien que, vers la fin du XIXe siècle,
elle fut délaissée par les anthropologues. Cependant, au même moment, les méthodes strictement
médicales et anthropométriques étaient à leur tour abandonnées. Par son échec, l’image
photographique aurait‑elle donc contribué à changer radicalement les méthodes de
compréhension de l’Autre ?
The invention of photography is contemporary with the appearance of Anthropology. In France,
physicians and biologists were quickly the principal promoters practicising an « armchair
anthropology » in their laboratories. The photographic image, considered as an improvement of
drawing and a way to travel « by proxy », was introduced in the Muséum d’histoire naturelle of
Paris in 1840. Then occured a lot of important photographic projects devoted to make appear the
« human types ». With the creation of the Société anthropologique de Paris in 1859, the medical
approach became prevailing and prescribed anthropometric studies which dictated their
principles to the way of photographing. But photography appeared progressively unable to
satisfy the requirements of this medical anthropology. So, at the end of the XIXth century, it was
kept off by the anthropologists. At the same time, the strictly medical and anthropometric
methods were forsaken as well. Did photography, by its failure at that time, contribute to change
completely the methods used for understanding the Other?
INDEX
Mots-clés : histoire de la photographie, débuts de l’anthropologie, photographie, dessin, type
humain
Keywords : history of photography, beginning of anthropology, photography, drawing, human
type
AUTEUR
PIERRE-JÉRÔME JEHEL
jjehel@gobelins.fr
Journal des anthropologues, 80-81 | 2000
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