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Au fil des perles, la prière comptée. Chapelets et couronnes de prières dans l'Occident chrétien

2017, Au fil des perles, la prière comptée. Chapelets et couronnes de prières dans l'Occident chrétien

Pourquoi le chapelet a-t-il cette forme ? Ce nom ? Ce nombre précis de perles ? Pourquoi répéter, en les comptant, les mêmes prières ? Quels bénéfices obtenait-on par-là ? Telles étaient mes premières questions. Je fus surpris de la difficulté d’y trouver des réponses...Médité depuis plus de 20 ans, cet ouvrage propose de découvrir ou redécouvrir l’histoire de cette dévotion fondamentale, autant pour son immense signification dans le développement de l’Occident chrétien que par ses multiples résonances anthropologiques. Il est destiné à tout lecteur curieux d’histoire, de religion, de culture, d’ethnologie et des sciences sociales.

Philippe Malgouyres Médité depuis plus de 20 ans, cet ouvrage propose de découvrir ou redécouvrir l’histoire de cette dévotion fondamentale, autant pour son immense signification dans le développement de l’Occident chrétien que par ses multiples résonances anthropologiques. Il est destiné à tout lecteur curieux d’histoire, de religion, de culture, d’ethnologie et des sciences sociales. Au fil des perles, la prière comptée Chapelets et couronnes de prières dans l’Occident chrétien Au fil des perles, la prière comptée Philippe Malgouyres est historien de l’art et conservateur du patrimoine au département des Objets d’art du musée du Louvre. Jean-Claude Schmitt est historien médiéviste, directeur d’Études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Philippe Malgouyres Pourquoi le chapelet a-t-il cette forme ? Ce nom ? Ce nombre précis de perles ? Pourquoi répéter, en les comptant, les mêmes prières ? Quels bénéfices obtenait-on par-là ? Telles étaient mes premières questions. Je fus surpris de la difficulté d’y trouver des réponses... Préface de Jean-Claude Schmitt 9782-2-7572-1295-0 22 € À mes parents, pour leur patience ces quarante dernières années. À Olga, sans qui ce livre n’existerait pas. Philippe Malgouyres Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Contribution éditoriale : Nathalie Chevalier Conception graphique : Nelly Riedel Maquette : Cassiopée Bourgine, Flore Langlade Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Au fil des perles, la prière comptée Chapelets et couronnes de prières dans l’Occident chrétien Crédits photographiques : © Philippe Malgouyres pour l’ensemble des illustrations sauf : © Harvard Art Museums/Arthur M. Sackler Museum, The Edwin Binney, 3rd Collection of Turkish Art at the Harvard Art Museums : ill. 84 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle : ill. 29 © The Walters Art Museum, Baltimore : couverture © droits réservés : ill. 9, 78, et 101 La photogravure a été réalisée par Quat’Coul (Toulouse). Cet ouvrage a été achevé d’imprimer sur les presses de PBTisk (Union européenne) en octobre 2017. © Somogy éditions d’art, Paris, 2017 ISBN 978-2-7572-1295-0 Dépôt légal : octobre 2017 Sommaire Préface de Jean-Claude Schmitt Préambule 6 10 VI. Le xixe siècle : le siècle du chapelet Toujours des nouveautés ! 92 93 e Les apparitions de la Vierge au xix siècle 97 I. Perles enfilées et prières comptées 12 II. La lente genèse du psautier de Notre Dame 20 VII. Le difficile renouveau au xxe siècle 108 21 27 30 35 40 La réforme de l’Église face à la prière répétitive 109 De nouveaux chapelets pour des temps nouveaux 118 La prolifération organique des couronnes : une nécessité anthropologique ? 119 Des cisterciens à Alain de La Roche Le système des clausules La couronne de fleurs et le rosaire Alain de La Roche, « inventeur » dominicain du rosaire Le rosaire, une arme pour l’Église III. Les chapelets et les indulgences Un accès direct au Trésor de l’Église Le chapelet, support des indulgences IV. Le rosaire pratique et sa théorie Rosaire récité, rosaire médité Méditations... et distractions Quand et avec qui réciter ? Le mot et la rose V. D’autres chapelets : donner une forme à la piété 44 L’essor des couronnes mariales VIII. Les perles enfilées, la prière matérialisée 101 126 Du plaisir et du péril de la possession 128 Le chapelet qui s’affiche, attribut du dévot et de l’hypocrite 131 Un compagnon de toute la vie 133 58 Le souvenir d’un itinéraire spirituel 137 60 64 67 71 Le chapelet brisé 140 Le chapelet, objet spirituel et objet magique 143 Illustrations 147 74 Bibliographie 156 Index 165 45 48 Le chapelet de sainte Brigitte 75 Les chapelets des douleurs et des allégresses de la Vierge 77 Les chapelets du Christ, des Cinq plaies au Jésus de Prague 81 Saint Michel et saint Joseph 88 6 Au fil des perles : la prière comptée 7 Préface opérations mentales de la prière, vocale ou muette, qui épouse le défilement rythmé des perles entre les doigts et fait se succéder au minimum dix Ave Maria pour les petites perles et un Pater Noster pour la plus grosse, sans compter l’adjonction, au fil du temps, de nouvelles prières, clausules et oraisons « jaculatoires » (qui s’adressent à la Vierge ou au Christ à la deuxième personne) ; la méditation, difficile à conduire en même temps que le décompte des perles et des prières, par exemple sur les trois fois cinq Mystères – joyeux, douloureux et glorieux – de la Sainte Vierge, ou encore sur les Cinq plaies de JésusChrist ou les Neuf chœurs angéliques ; la visualisation d’images de piété placées sous les yeux du dévot en prière ou imaginées et mémorisées en son esprit ; enfin les intentions, qui visent à puiser dans les ressources inflationnistes du Trésor de l’Église, autrement dit à acquérir par centaines, milliers et dizaines de milliers des indulgences valant, croyait-on, rémission des peines infligées en confession, ou même des péchés eux-mêmes (malgré les dénégations des théologiens), de manière à réduire, pour soi-même ou ses parents défunts, le nombre des années passées au purgatoire après le décès. En distinguant schématiquement les principaux aspects du chapelet, sans parler encore de leurs évolutions et infléchissements dans l’histoire, on devine déjà la complexité de l’objet de ce livre. Mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est l’aspect numérique et comptable du système : en priant le chapelet, le ou la fidèle compte les perles, dénombre les Ave Maria et les Pater Noster, énumère les mystères célestes, accumule les indulgences. Le chrétien est, à l’image de ces changeurs à binocles de la peinture hollandaise du xviie siècle, un comptable jaloux de ses gains spirituels, attentif au retour sur investissement de sa piété calculatrice. La chose n’est pas unique si l’on songe, comme le dit l’auteur, « au monde musulman, l’autre grande culture du chapelet », et tout aussi bien aux psalmodies des moines bouddhistes. Mais elle prend un relief particulier dans une Europe occidentale qui, après avoir usé du boulier (lequel, par sa forme, son usage et sa fonction, n’est pas sans affinité avec le chapelet), a emprunté le zéro à la culture arabe (xie siècle), promu le calcul arithmétique, développé le change monétaire et fini par légitimer le prêt à intérêt (usura), tout en imaginant des rapports de proportion L’ouvrage de Philippe Malgouyres vient occuper brillamment un angle mort de l’histoire et de l’ethnologie religieuse. Contre des approches trop souvent désincarnées des croyances ou des dogmes, l’auteur révèle en effet, dans un livre passionnant par la richesse et la précision de ses informations, l’importance cruciale de la dimension matérielle et corporelle des pratiques. L’objet de ce livre est le chapelet et sa récitation. Le lecteur peut s’étonner d’un tel choix : le chapelet n’est-il pas l’instrument dérisoire d’une piété passée de mode, l’ancien attribut de groupes de dévotes d’un âge canonique qui après vêpres s’empressaient à l’église d’ânonner leurs neuvaines ? Il y a belle lurette semble-t-il que le concile de Vatican II s’est débarrassé de ce fatras d’un autre temps. Mais bien heureusement, l’auteur ne s’est pas laissé paralyser par de tels préjugés : le livre précis, érudit et non moins élégant qu’a écrit Philippe Malgouyres, démontre amplement qu’il valait la peine d’y regarder de plus près et de tenter l’aventure d’une recherche rigoureuse et exhaustive. L’auteur est de son métier conservateur de musée. Il a aussi, chevillée au corps depuis l’enfance, une bien étrange passion qui nous vaut le bonheur de pouvoir lire aujourd’hui son bel ouvrage : celle de collectionner les chapelets. Il en possède des centaines, de toutes tailles, formes et matières, dont il aurait pu se contenter de dresser l’inventaire. Mais il a fait bien mieux, en reconstituant pas à pas l’histoire pluriséculaire de cet objet et des formes de dévotion qu’il a accompagnées depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à la première moitié du xxe siècle au moins. Ce qui fait du chapelet un objet complexe, mais d’autant plus passionnant, c’est qu’il concentre en lui toutes sortes d’aspects matériels, corporels, dévotionnels, spirituels, qui ont évolué historiquement à des rythmes différents, souvent en décalage les uns avec les autres : ce sont la matérialité de l’objet, qui consiste en des séries ordonnées de perles enfilées sur une lanière, le plus souvent par groupes de dix, séparés par une perle intercalaire plus grosse ; le geste consistant à égrener les perles du bout des doigts ; les 8 1 Jacques Le Goff, La Naissance du purgatoire, Paris, Gallimard, 1981. 2 Voir en dernier lieu MarieHélène Froeschlé-Chopard, « Les confréries du Rosaire et leurs images à l’époque moderne », dans Les Dominicains en France (XIIIe- XX e siècle), sous la dir. de Nicole Bériou, André Vauchez et Michel Zink, Paris, Académie des inscriptions et Belles lettres / Éditions du Cerf, 2017, p. 243-273. 3 Je me permets de renvoyer à mon livre, Les Rythmes au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2016. Au fil des perles : la prière comptée entre le temps terrestre et le temps du purgatoire1. Mais gardons-nous de tout réductionnisme : les phénomènes historiques sont trop complexes et riches pour n’avoir qu’une seule raison. L’auteur a donc une autre explication, qui est des plus justes et a le mérite d’enraciner l’histoire du chapelet (mentionné pour la première fois au xiie siècle) et du rosaire (sa forme la plus notable est apparue au xve siècle et fut promue par les Dominicains2) dans la tradition du décompte des psaumes : le psautier était en effet depuis les premiers siècles l’oraison par excellence des moines, qui devaient le réciter ou le chanter tout entier en une semaine, à raison de huit offices (matines, laudes, prime, tierce, sexte, nones, vêpres, complies) chaque jour. Les cent cinquante psaumes furent divisés dans les premiers temps en trois groupes de cinquante, soit trois fois cinq dizaines, exactement ce que le rosaire comptera d’Ave Maria. Réciter les cent cinquante psaumes était hors de portée des simples fidèles : aux psaumes se substitua pour eux la récitation répétitive et par cœur de cent cinquante Ave Maria et de quinze Pater Noster, les deux prières qui, avec le Credo, déterminaient depuis l’âge scolastique le « minimum de foi explicite » des laïcs. La prière chrétienne se caractérisa ainsi par ce que Philippe Malgouyres appelle « un principe rythmique primitif », fondé sur « la répétition et l’alternance d’un groupe et d’un élément isolé ». On peut parler aussi de « périodicité » : c’est bien là le fondement du rythme, lequel est la pierre angulaire du devenir des sociétés dans le temps3. L’un des fondateurs de la sociologie, Marcel Mauss, ne disait-il pas de l’homme qu’il est « un animal rythmique » ? Le rythme est une condition élémentaire de son existence ; par exemple, il commande et façonne les actes de communication des hommes entre eux et avec les puissances de l’au-delà : en témoignent la musique chorale ou instrumentale ou encore les sonneries des cloches, qui se répondaient et rivalisaient d’une église à l’autre dans le « paysage sonore » des villes au Moyen Âge et dans l’Ancien Régime ; en témoigne pareillement le rythme du chapelet et du rosaire, qui soutient la prière adressée à la Vierge ou au Christ et parfois fait sombrer le dévot dans une répétition mécanique, un psittacisme obsessionnel ou l’attente angoissée d’un effet magique, ce que les théologiens n’ont pas manqué de dénoncer. 9 Le chapelet n’a jamais accédé à la dignité d’une prière liturgique, qui aurait eu sa place par exemple dans le rituel de la messe. À l’inverse du psautier, il est toujours resté sur le bas-côté du service divin. Cela lui a sans doute permis d’évoluer plus librement, de se démultiplier en d’innombrables formules (chapelets de sainte Brigitte, des Servites de Marie, des Camaldules, ou tout récemment encore de la Miséricorde) et d’expérimenter avec plus ou moins de succès d’autres dénombrements et d’autres textes que les deux seules prières fondamentales. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? L’auteur cite André Lejeune, qui envisage que le chapelet pourrait connaître un nouveau rebond en « se livrant aux prodigieux et inépuisables logiciels bibliques ». Il y aurait là en effet de quoi enrichir et diversifier à l’infini son répertoire textuel, mais cela ne lui garantirait pas nécessairement le succès escompté. L’aspect gestuel me semble assuré d’une meilleure postérité : n’y a-t-il pas quelque similitude, en effet, entre l’égrènement des perles du chapelet de jadis et l’usage compulsionnel que nos contemporains, livrés à la solitude et à l’anonymat des transports en commun, font aujourd’hui de leur téléphone portable ? Jean-Claude Schmitt Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales 10 Au fil des perles : la prière comptée 11 Préambule Ce travail est né dans des conditions particulières dont la connaissance est utile à la bonne intelligence de ce qui suit. L’étude du phénomène de la « prière comptée » dans le catholicisme est fondée ici sur une collection de près de trois mille chapelets, rosaires, dizains et couronnes de prières, constituée entre 1977 et 1994. Intrigué par cet objet banal en pleine désaffection (en 1977, nous sommes encore dans la mouvance de Vatican II), je commençai à les collectionner ou plutôt à les collecter. Pourquoi le chapelet ordinaire avait-il cette forme ? Ce nom ? Ce nombre précis de perles ? Pourquoi répéter, en les comptant, les mêmes prières ? Quels bénéfices obtenait-on par là ? Telles furent mes premières questions. Je fus surpris de la difficulté d’y trouver des réponses. J’avais alors 12 ans et l’embryon de ma collection a été constitué de dons, qui furent vite assez nombreux : les donateurs étaient aussi surpris par cette étrange lubie que satisfaits de se débarrasser facilement de ces objets devenus inutiles sans devoir les jeter. Au même moment, j’achetai des chapelets neufs ou modernes, avec les moyens modestes de l’argent de poche d’un collégien. Ayant commencé mes études supérieures à Paris en 1983, je rencontrai un groupe de curieux collecteurs-ethnographes d’objets de piété voués à disparaître, en particulier les missels et les images pieuses. Le frère dominicain Michel Albaric, alors à la tête de la bibliothèque du Saulchoir, y constituait une magnifique collection de ces dernières. Il recevait quantité d’objets dont les gens, communautés religieuses ou autres, ne voulaient plus. Pendant une dizaine d’années, je reçus cette manne, des dizaines de kilos des chapelets les plus divers et dans tous les états. Cet approvisionnement, parallèle aux achats que je faisais par ailleurs, donne à la collection un caractère de collecte ethnographique, qui permet même des études statistiques puisqu’elle ne concentre pas les cas remarquables ou marginaux, comme le fait toute collection, mais rassemble tout ce qui s’est fait. Quels outils utiliser pour comprendre ces dévotions ? Loin des encycliques et des débats de théologiens, les feuillets qui en étaient le support ont échappé aux bibliothèques et au dépôt légal. Il faut attendre le détour d’un missel pour découvrir la méthode de la Couronne du Cœur de Marie. La seule démarche possible est d’ordre archéologique : nous en sommes souvent réduits à n’avoir pas d’autre témoignage que l’objet lui-même. Je dus m’inscrire à la Sorbonne en 1992 : je choisis de le faire dans le séminaire de Philippe Bruneau (1931-2001), dont la personnalité très originale d’archéologue et les travaux me fascinèrent. Appliquer les méthodes de « l’archéologie moderne et générale », qu’il avait fondée sur les bases de la Théorie de la médiation de Jean Gagnepain, me parut idéal pour ce sujet. Je lui proposai donc de faire un mémoire de maîtrise sous sa direction (Chapelets et couronnes de prière catholiques), idée qu’il accepta avec humour et curiosité. Ce mémoire, soutenu en 1993 (avec, pour ma honte éternelle, deux fautes d’orthographe à Bruneau sur la couverture), est resté inédit. Déposé dans diverses bibliothèques, il a été largement utilisé, et parfois pillé de manière approximative. Depuis vingt ans, les choses ont bien changé et ces dévotions oubliées qui survivaient à peine grâce à quelques brochures sauvées de la poubelle sont, sur Internet, scannées, recopiées, compilées, digérées. L’apparente profusion d’informations disponibles et contradictoires cache une énorme régression du savoir sur ces pratiques et leur histoire. Faisant fi des recherches érudites produites par les religieux eux-mêmes, on n’y trouve qu’un salmigondis de la plus mauvaise littérature de colportage, présenté avec une inquiétante candeur. Ce sont toutes ces circonstances et ces raisons qui m’ont conduit à écrire ce livre. Perles enfilées et prières comptées I perles enfilées et prières comptées 13 Quand le mot chapelet évoque encore quelque chose aujourd’hui, on pense à une dévotion mariale un peu désuète ; quant aux couronnes de prières, qui en connaît l’existence ? Pourtant, le chapelet est l’un des objets les plus communs qui soient, qui traîne au fond des tiroirs des souvenirs de famille, dans les boîtes (à chaussures), où se rassemblent les épaves laissées par l’oubli (ill. 1), mais aussi probablement encore dans la poche de beaucoup de gens (car la piété, autrefois ostensible, s’est faite d’une discrétion qui confine à la dissimulation). Cette banalité est à l’origine de notre étude : à quoi sert un chapelet ? Pourquoi en possède-t-on ? Par quelle sédimentation complexe prit-il cette forme particulière ? Que manifestent les variations de cette forme ? D’autres dévotions, d’autres usages, d’autres appropriations existent-ils ? Ce sont ces différents aspects que nous souhaitons mettre en lumière ici. Instrument de comptage avant tout (comme l’indique son nom le plus courant en espagnol ancien : cuentas, « comptes »), le chapelet n’avait pas a priori un caractère marial, qui lui fut conféré avec l’essor de la dévotion à la Vierge à la fin du Moyen Âge, et dont le point culminant est l’invention du rosaire. Mais avant de raconter cette histoire, il faut revenir à deux composantes essentielles de toute couronne de prières : le comptage et la répétition. Le premier aspect semble aller de soi : enfiler des perles (ou quoi que ce soit) sur un cordon ou un axe pour compter quelque chose est d’une banalité absolue. On peut remarquer qu’avant même toute idée de comptabilité, enfiler des éléments semblables est l’un des premiers signes de l’intelligence et de la pensée esthétique : reconnaître des objets identiques, ou les rendre tels, et créer de l’ordre et de la beauté en les associant. Les perles de pierre font parties des plus vieux objets de l’humanité qui accompagnent les morts et, d’un point de vue anthropologique, enfiler des perles, ou des fleurs ou des fruits, sur une tige est un plaisir qui semble aussi universel que spontané. L’ objet préexiste à l’idée de comptabilité, et ce caractère ornemental, ludique et précieux, des grains rythmiquement associés ou alternés appartient autant au bijou qu’au chapelet. 1. Le chapelet, comme la photographie, échappe à l’oubli grâce aux inscriptions qu’on lui ajoute. Ici, le chapelet d’une religieuse, probablement défunte, qui doit être transmis à une tierce personne. 14 2. Un anachorète disant son chapelet tel qu’on l’imaginait au XVIIe siècle. 1 Banier, 1741, p. 23. Au fil des perles : la prière comptée « A l’égard de l’usage de conter [sic] ses prières avec le secours du Chapelet, il contribue à soulager la mémoire, & à satisfaire la dévotion du peuple, trop ignorant pour faire usage des livres, & trop grossier pour se passer des prières vocales. Cet usage est plus ancien & plus général, qu’on ne croit peut-être ; car il paroit que les anciens Romains avoient une espèce de chapelet. Nous renvoions à quatre médailles qui justifient cet usage. Les Mahométans se servent aussi du chapelet dans leurs prières, ainsi que les Indiens orientaux. Quelques relations assurent qu’il étoit en usage chez les anciens Mexicains1.» L’abbé Banier avait raison de souligner le caractère largement partagé d’un outil de comptage pour prier. Il était donc facile de faire de ces perles enfilées un tel instrument, et réciproquement. Malgré la simplicité de ce passage, les historiens de ces dévotions ont tous consacré de longues pages et de graves réflexions à la possible origine de cette pratique, peut-être parce que de tels systèmes existent avant l’ère chrétienne, mais pas dans le monde méditerranéen. Les pratiques juives n’offrent aucun antécédent même lointain. Par contre, hindous et bouddhistes ont utilisé des objets directement comparables – des perles enfilées sur un cordon dont le nombre est précis et symbolique – qui permettent de comptabiliser les prières. On se plut à voir dans l’irruption du chapelet dans l’Occident chrétien un effet des contacts avec l’Orient au moment des croisades, une idée reçue depuis le xviiie siècle qui voyait en Pierre l’Ermite, prédicateur de la première croisade, l’introducteur de cette pratique. Mais les plus anciens témoignages écrits en Occident sont antérieurs aux croisades, ce qui suffit à invalider cette hypothèse. Les occasions de contact entre Orient et Occident ne sauraient se réduire à cette période. Dans les limites du sujet qui nous occupe, nous songeons par exemple au complexe problème de l’immigration copte vers l’Irlande au moment des invasions musulmanes et de la place importante que semble avoir cette île dans les premiers développements de telles pratiques de comptage. Mais est-il besoin de trouver une origine historique à une pratique frappée au coin du bon sens ? C’est la question du comptage de la prière répétitive qui doit nous intéresser plutôt que les instruments conçus pour le faire. Nous pouvons suivre une évolution propre à la Perles enfilées et prières comptées 15 chrétienté qui a sa cohérence. Les historiens du monachisme citent volontiers les dévotions en usage chez les ermites (ill. 2), notamment la récitation quotidienne des psaumes de David, pratique à l’origine du bréviaire, qui va conditionner tous les développements des patenôtres puis du rosaire. Ces auteurs considèrent que les anachorètes des premiers siècles comptabilisaient les psaumes à l’aide de petits cailloux : l’évêque Palladius d’Hélénopolis mentionne cet usage au début du v e siècle à propos de saint Paul Ermite2. Les historiens supposent qu’un souci de commodité a entraîné l’enfilage de ces cailloux sur un cordon3. C’était en tout cas plus adapté quand le religieux n’était plus un anachorète dans le désert égyptien mais un moine vivant dans un couvent. Les hindous utilisent toujours des petites pierres quand ils n’ont pas de mala pour compter les pradakshina ou circonvolutions rituelles autour du sanctuaire. C’est le principe du boulier et de tous les chapelets du monde. Cette pratique de comptabilisation des psaumes par des pierres, des grains ou des nœuds est bien attestée, ce qui ne laisse pas d’être étonnant : quel est l’intérêt d’utiliser un système répétitif quand il s’agit de compter les cent cinquante textes, tous différents, des psaumes ? Bien plus, quelle est la nécessité de les compter ? Cela reste à expliquer. Un autre usage fort répandu alors mais qui disparut des Églises d’Occident est celui des génuflexions ou proscynèses à répétition. Eusèbe, pour évoquer la vie parfaite de l’apôtre saint Jacques, nous le décrit toujours à genoux. La tradition prête la même coutume à saint Barthélémy, qui en faisait cent le jour et cent la nuit. Les vies des saints des premiers siècles sont pleines de ces pénitences, et les hagiographes s’étendent volontiers sur les dimensions extraordinaires des cals de leurs genoux (par exemple pour saint Siméon Stylite). Cette pénitence était couramment prescrite dans l’Église orientale et l’on utilisait un kombologoi pour les compter : une corde nouée (ill. 3) ou perles enfilées, l’ancêtre du komboloï, qui occupe les doigts des Grecs4. On comprend dans ce cas la nécessité de compter. Comme beaucoup de pratiques orientales, nous la retrouvons en Irlande, alors que Rome l’ignore : les livres pénitentiaux prescrivent ces proster- 3. Une ficelle nouée suffit pour former un chapelet. 2 Palladius, 1912, p. 151-153. 3 Thurston, 1913. 4 C’est un trait de la discipline érémitique (voir par exemple Isaac de Ninive, cité dans Petite Philocalie, 1979, p. 80-81). 16 4. Des perles en bois tourné enfilées : la forme la plus rudimentaire du chapelet. 5 Heinz, 1990. La répétition des psaumes, comme plus tard la répétition des prières sur le chapelet, fut critiquée (voir Grégoire le Sinaïte cité dans Petite Philocalie, 1979, p. 186-187). 6 Thurston, 1916b, p. 546-559. 7 Thurston, 1917, p. 435-445. 8 Thurston, 1916a, p. 441-452. Au fil des perles : la prière comptée nations pour accompagner la récitation des psaumes5. Par exemple, le De Virginate de saint Athanase requiert de ponctuer la récitation des psaumes de prières et de génuflexions6, pratique dont il reste un fossile dans l’inclination sur la doxologie. C’est ainsi que s’établit une connexion qui nous paraît capitale et durable : celle du psautier davidique et d’une pratique répétitive. Il convient de noter que l’accent est alors mis plus sur la pénitence corporelle que sur la prière elle-même7. Les livres pénitentiaux disparaissent vers l’an mil, mais cet usage perdure dans la prière pour les morts. Un problème dut apparaître presque simultanément : celui du remplacement des psaumes par une pratique plus aisée. En effet, la prière des psaumes pose bien des difficultés : avoir un manuscrit de grande valeur et savoir lire, ou les connaître par cœur. On proposa de n’ en mémoriser que le premier verset, ou celui qui paraissait central. Ou bien de n’apprendre qu’un psaume par cœur, par exemple le psaume 50, Miserere, que l’on répète cent cinquante fois. Ou, dernière possibilité qui est la plus intéressante pour nous, on peut remplacer les psaumes par autant de Pater Noster. Un exemple de substitution de ce type est attesté en Irlande, au milieu du xiie siècle, où cent génuflexions équivalent à cinquante Pater8. De cette manière, les Pater remplaceront les psaumes dans des contextes extrapénitentiels : psaumes pour les morts à Cluny, heures canoniales chez les Franciscains. L’usage clunisien est intéressant par sa date précoce (1096) et par son caractère de prière de suffrage pour les morts, qui sera l’un des rôles du futur rosaire. La règle des Chevaliers du Temple, rédigée vers 1128, prévoyait que les frères ne pouvant assister à l’office le remplaceraient par une série de Pater. On voit ainsi l’oraison dominicale se substituer facilement à n’importe quel autre office ou texte, la contrainte ne résidant que dans le nombre prescrit. Nous pouvons observer dès l’origine ce qui restera la pierre d’achoppement des prières répétitives : quelle valeur ajoute la répétition des mêmes mots ? Et plus grave encore, la question de leur comptage : il ne s’agit pas de la prière perpétuelle, mais d’un nombre clos, au terme duquel l’obligation est accomplie. Les ordres religieux prescrivirent ainsi la récitation du chapelet pour les frères convers, qui ne chantaient pas l’office. Ce rôle de substitution restera toujours présent : saint Vincent de Paul disait Perles enfilées et prières comptées 17 aux Filles de la Charité : « Votre chapelet, c’est votre bréviaire » (nous en donnons un exemple complet plus loin p. 102-103) et, pour bien des catholiques, le chapelet remplaça le missel pendant la messe jusqu’au concile Vatican II. L’équivalence d’un psaume pour un Pater Noster semble s’établir progressivement9. L’oraison dominicale est alors exclusivement utilisée et il n’est pas encore envisagé d’utiliser un tel système avec d’autres mots. D’où le nom de patenôtre donné aux premiers chapelets, nom qu’ils garderont longtemps : en France, la corporation des fabricants de chapelets gardera le nom de patenôtriers jusqu’à la Révolution. L’iconographie médiévale, en particulier sur les monuments funéraires, est riche de figurations de cet objet. On est d’abord surpris par la diversité de leurs formes : groupements par cinq ou dix, nombre de groupes irrégulier. En 1492, dans l’inventaire après décès de Laurent de Médicis, ces patenôtres apparaissent avec les bijoux : d’ambre, de calcédoine, de cristal et même en ivoire de licorne (c’est-à-dire de narval), elles sont composées d’un nombre variable de perles (20, 89, 52…) et scandées de plus gros éléments10. En fait, elles ne sont pas liées à une dévotion spécifique, mais servent à compter des Pater prescrits en nombre variable. Les divisions entre les groupes de cinq ou de dix n’ont d’autre fonction que de faciliter les comptes : on ne disait pas de prière sur ces grains intercalaires, qui pouvaient donc prendre n’importe quelle forme puisqu’ils ne servent qu’à marquer une interruption dans le flot continu des perles. Ces divisions sont traitées souvent comme de purs ornements, « gaudies », statuettes, perles sculptées… D’ailleurs, sans empiéter sur le chapitre suivant, remarquons que le rosaire ou psautier de la Vierge consiste avant tout en cent cinquante Ave Maria, divisés en dizaines pour plus de commodité, et rien d’autre. On comprend alors la déconcertante diversité de ces patenôtres, qui correspond à un usage de simple comptage, pas du tout théorisé. La première mention d’un tel objet semble se trouver chez Guillaume de Malmesbury11 à propos de Lady Godiva de Coventry, épouse de Leofric, comte de Mercie, morte entre 1066 et 1086. Elle utilisait 5. Ce type de chapelet aux perles en os tourné est le plus ancien et le plus permanent : attesté dans les tombes médiévales, il est toujours fabriqué. 9 Sur la division du psautier davidique en trois groupes de cinquante, voir le chapitre II. 10 Spallanzani et Gaeta Bertelà, 1992, p. 48-51 par exemple. 11 Guillaume de Malmesbury, Gesta Pontificum Anglorum, rédigé en 1125-1126, dans Thurston, 1913, p. 401 : « Circulum gemmarum, quem filo insuerat ut singulo con tactu singulas orationes incipiens numerum non praetermitterret ; hunc ergo gemmarum circulum collo imaginis sanctae Mariae appendit jussit. » 18 6. Ce dizain, muni d’un anneau pour porter au doigt, correspond également à un type de la fin du Moyen Âge, qui était aussi un accessoire de mode. 7. Page de droite : Ce grand chapelet du XVIIIe siècle correspond à ceux décrits dans la littérature dans l’attirail des moines et prédicateurs ambulants. Au fil des perles : la prière comptée un collier de pierres précieuses pour compter les prières, qu’elle offrit ensuite comme collier à une statue de la Vierge au monastère d’Evesham. Cette mention primitive de l’objet porte déjà les traits qui seront saillants dans la future dévotion du rosaire : l’hommage à la Vierge, l’offrande des prières qui composent un collier ou une couronne de pierres précieuses. Parmi les multiples mots sous lesquels nous reconnaissons ces objets dans les textes – patenôtre, patriloquium, salutationes, sertum, calculi, numeralia, computum, signacula, corona, rosarium – trois mots restèrent en usage : chapelet, couronne, rosaire. Perles enfilées et prières comptées 19 La lente genèse du psautier de Notre Dame II La lente genèse du psautier de Notre Dame 21 Des Cisterciens à Alain de La Roche De toutes les couronnes de prières, le rosaire est la plus intéressante, la plus riche et la mieux étudiée. Sa genèse est bien connue et cette dévotion a finalement assimilé ou occulté ses devancières. Bien des couronnes de prières présentées plus loin sont des variantes du rosaire ou s’inspirent de ses usages. En voici la forme en vigueur dans l’Église catholique depuis le xv e siècle : il se présente comme une couronne de prières composée de cent cinquante Ave Maria (le « Je vous salue Marie », dit aussi la Salutation angélique) divisés en quinze dizaines par autant de Pater Noster (le « Notre Père », également nommé l’Oraison dominicale). On doit accompagner la récitation de ces prières d’une méditation, et ce de la manière suivante : chaque dizaine est associée à un événement de la vie du Christ, ou « mystère ». Les quinze dizaines forment trois groupes de cinq : mystères joyeux, mystères douloureux et mystères glorieux. Le chapelet ordinaire, avec ses cinq dizaines, est en fait un rosaire coupé en trois, selon cette logique des groupes de mystères. Il faut dire, que d’un point de vue pratique, il est bien plus aisé de réciter un rosaire en trois fois sur un chapelet que de manipuler cet encombrant objet qu’est un rosaire complet (ill. 8 et 10, pl. I). « Le petit Jésus disait le rosaire / Penché sur le cœur de sa tendre mère / C’ est lui qui fit le Pater / Le divin Pater Noster / Et sa voix bénie / Saluant Marie / Disait : Ave Maria / Et puis Gloria. / Il faut donc chaque jour / Imiter ce Dieu d’amour. » Les historiens et les théologiens n’allèrent jamais jusqu’à affirmer, comme le fait cet ancien cantique de Noël, que le Christ enfant ait inventé le rosaire (ill. 9). Mais ces vers naïfs marquent combien on estimait antique et sainte l’origine de cette dévotion. L’église Santa Maria in Campitelli à Rome conserve un chapelet ayant appartenu à la Vierge. Cette relique est signalée depuis le pontificat d’Honorius III (1217). Certains auteurs des xviie et xviiie siècles, tel l’augustinien Donato Calvi (1613-1678), attribuent donc l’origine de cette pratique à la Vierge elle-même et aux apôtres12. Prospero Lambertini, le futur Benoît XIV (1675-1758), notait avec un optimisme prudent 8. Le rosaire, avec ses quinze dizaines, reste un objet encombrant même lorsque, comme ici, ses perles sont petites et serrées. 9. L’Enfant Jésus jouant avec le chapelet de sa mère. 12 Chiericato, 1716, p. 173-174. 22 10. Cet autre rosaire, dont les perles espacées permettent une récitation plus aisée, fait plus d’un mètre de long. 13 Thurston, 1900. 14 Heinz, 1990. 15 Heinz, 1990. Au fil des perles : la prière comptée que cette pars de coronae de Pater noster Virginis Mariae n’impliquait pas que la Vierge ait aussi récité la salutation angélique. Car c’est le propre du rosaire et du chapelet que d’y réciter des Ave Maria, le début de la salutation de l’archange Gabriel à la Vierge et non des Pater Noster (qui ne sont dit que sur les perles intercalaires qui, en quelque sorte, « ne comptent pas »). S’il paraissait possible que la Vierge eût répété l’oraison dominicale, il aurait été trop hardi de penser qu’elle eût elle-même récité le « Je vous salue Marie ». Cette relique, qui n’est plus proposée à l’adoration des fidèles depuis plus de cent ans, remettait en cause la plus forte des traditions sur l’origine du rosaire : sa remise par la Vierge à saint Dominique à la veille de la bataille de Muret contre les Albigeois (1213). Nous verrons plus loin ce qu’il en est de cette tradition, mais notons en passant que c’est elle qui déclencha une vive polémique autour de 1900, qui opposa Jésuites et Dominicains, polémique qui engendra une grande quantité d’études savantes sur le rosaire13. Il faut revenir un moment sur le passage des psaumes aux prières répétitives. La division ternaire du rosaire est héritée de celle des psaumes, très anciennement séparés en trois groupes. Cette pratique spécifiquement chrétienne était chargée d’un symbolisme trinitaire14 et semble remonter à Origène. Ainsi la comprenait saint Hilaire de Poitiers (mort en 367). Une telle division était spécialement vivace en Irlande, que nous retrouverons souvent dans l’histoire du rosaire. Une règle anglaise du xiv e siècle pour des reclus prescrivait la récitation privée des psaumes pour les défunts à l’aide d’un cordon portant cinquante nœuds15. Nous avons vu la substitution du Pater Noster au psaume : il faut examiner, pour comprendre le rosaire, la genèse de la prière de l’Ave Maria, le passage du Pater à l’Ave, puis le processus de superposition de l’Ave Maria à la méditation sur la vie de Jésus, et enfin le découpage en dizaines. Ces différentes opérations n’ont bien sûr pas été immédiates ni indépendantes ; elles seront envisagées séparément pour plus de clarté. Parmi toutes les prières mariales, qui sont souvent des saluts (Salve, Gaude, Ave Regina, Ave Maris Stella…), l’Ave Maria a toujours tenu la première place, comme celle qu’aime le plus la Sainte Vierge : La lente genèse du psautier de Notre Dame 23 ce sont les mots prononcés par l’ange à Nazareth, qui annonçaient à Marie qu’elle serait la mère du Christ. Au cours du xiie siècle, l’Ave Maria s’ajouta aux prières que tout chrétien devait connaître par cœur. Il n’est pas possible ni nécessaire ici de retracer les vicissitudes de la création de l’Ave Maria dans la forme que nous lui connaissons aujourd’hui ; la littérature est très abondante sur ces points16. On notera simplement que cette prière était d’abord constituée de deux textes évangéliques, la salutation de l’A nnonciation, puis celle de sa cousine Élisabeth lors de la Visitation : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes et le fruit de vos entrailles est béni17. » Cette juxtaposition provient d’une messe mariale pour les dimanches de l’Avent. Au xiiie siècle, en plein essor de la piété mariale, L’Ave Maria fait l’objet de nombreux sermons (saint Thomas d’Aquin, saint Albert le Grand, saint Bonaventure). Pour donner un caractère plus christique à cette prière, on ajouta « Jésus » après « benedictus fructum ventris tui ». Cette adjonction, traditionnellement attribuée à Urbain IV (mort en 1264), doit être replacée dans le contexte de la dévotion contemporaine au Saint Nom de Jésus. La mystique médiévale de l’adoration du Saint Nom de Jésus (chez Anselme de Canterbury, Bernard de Clairvaux, saint François d’Assise) insistait beaucoup sur son lien avec l’Incarnation ; insérer le nom de Jésus était rappeler constamment ce mystère. La deuxième partie de la prière (« Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ») est une adjonction postérieure qui prit forme progressivement. Elle est d’abord attestée en 1483 sous la forme : « Sainte Marie, priez pour nous, pécheurs. » « Mère de Dieu » et « pauvres pécheurs » sont des ajouts plus tardifs encore. Cette seconde partie n’est pas considérée comme appartenant en propre à l’oraison : on trouve encore de nombreuses mentions au début du xixe siècle de récitation de l’Ave Maria « avec le Sainte Marie » ou sans ! La règle de l’ordre cistercien de 1202 imposait aux frères lais de connaître par cœur le Credo, le Miserere, le Pater, et l’Ave18. Dans certaines règles de la fin du xiiie siècle, on trouve un parallélisme entre le nombre d’Ave Maria et de Pater Noster requis en substitution des psaumes. L’Ave Maria, comme auparavant les psaumes ou 16 Bibliographie dans Gougaud, 1922. 17 Luc, 1, 28 et 1, 42. 18 Heinz, 1990. 24 19 Gougaud, 1925. 20 Bonum universale de apibus, II, 29, 8. 21 Manuscrit 377 de la bibliothèque de Berne (Duval, 1988). 22 Matthieu, 6, 7. 23 Nombreux exemples de groupe de cinquante Ave Maria dans Heinz, 1990. Au fil des perles : la prière comptée le Pater Noster, est aussi accompagné de génuflexions. L’iconographie habituelle de l’A nnonciation, où l’ange est agenouillé, reflète certainement aussi cette pratique, qui fut souvent déconseillée : elle est qualifiée de gesticulation inopportune, par exemple par Thomas Ebendorfer au xv e siècle19. Au milieu du xviie siècle, sainte Marguerite-Marie Alacoque, encore enfant, accompagnait chaque Ave Maria d’une génuflexion quand elle ne disait pas tout son chapelet à genoux. L’Ave Maria était alors prêt à devenir une nouvelle prière de substitution : en le répétant cent cinquante fois on constituait un psautier de la Vierge. De sources variées rapportent des miracles qui attestent et expliquent cette récitation de cent cinquante Ave Maria, démontrant que c’est la Vierge elle-même qui prescrit ce psautier et répand ses bienfaits sur ceux qui l’honorent de cette manière. Plusieurs manuscrits, dont certains remontent au xiie siècle, rapportent la vision d’une certaine Eulalia où la Vierge lui demandait de dire autant d’Ave Maria que de psaumes. Dans un autre récit des environs de 1310, la Vierge apparaît mal accoutrée, sans manches ni ornements, à un moine qui récitait tous les jours cent Ave Maria, pour lui demander d’en réciter cent cinquante. Au frère qui s’étonnait de son vêtement, elle expliqua qu’elle était imparfaitement habillée parce qu’il manquait cinquante Ave Maria. Le moine obéit et la Vierge réapparut, complètement vêtue et ornée. Vers 1260, Thomas de Cantimpré déclare très agréable à la Vierge la dévotion des trois fois cinquante Ave Maria20. La plus ancienne mention de cette pratique comme Psalterium Beatae Mariae remonte à 124321. La Vierge insiste sur le nombre et la quantité, mais qu’en est-il de la qualité ? Le vieux reproche évangélique menace toujours le rosaire : « Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup, ils se feront mieux écouter22. » C’est ainsi que la Vierge apparut à une religieuse qui récitait le psautier complet pour lui dire qu’elle avait plus de joie à en entendre cinquante dits avec attention et ferveur que cent cinquante dits avec précipitation23. Nombreux sont les témoignages contemporains d’une véritable ivresse de répétition. Témoin cette petite oraison : « Je vous salue Marie, je vous salue Marie, je vous salue ainsi trente trois mille La lente genèse du psautier de Notre Dame 25 fois ! Vous vous réjouissez dans votre cœur et je me réjouis dans mon cœur que l’ange vous ait ainsi saluée24 ! » Notons que dans toutes ces pratiques, il n’est pas question de mêler ou d’intercaler des Pater Noster : le psautier de Notre Dame, ce sont les cent cinquante Ave Maria. Un grand nombre de psautiers mariaux furent composés : signalons celui de saint Bonaventure, divisé en trois parties : cinquante Ave Maria, cinquante Salve, cinquante Gaude. L’un des traits qui distingue le psautier de Notre Dame du rosaire, c’est, pour ce dernier, l’ajoût de la méditation des mystères. La prière des psaumes, dans une approche typologique, était déjà le support d’une méditation sur la vie du Christ. Chaque psaume pouvait s’appliquer prophétiquement à la vie de Jésus. Dans l’actuel psautier des heures, une phrase d’introduction oriente chaque psaume dans un sens chrétien, le plus souvent christique. On comprend comment on a pu passer des psaumes à une liste chronologique des événements de la vie du Christ, formant autant de mystères à méditer. Les historiens de la dévotion25 ont trouvé des racines évangéliques à cette pratique dans deux mentions de Luc qui nous présentent la Vierge elle-même dans cette méditation26 : après la Nativité, « Marie gardait tous ses événements et les repassait dans son cœur » ; plus loin, après le recouvrement de Jésus au Temple : « Et sa mère conservait toutes ces choses dans son cœur. » De la même manière, on consolida la légitimité du rosaire au xxe siècle en l’asseyant sur le texte biblique : l’organisation des épisodes en mystères joyeux, douloureux et glorieux, suivant en fait une séquence chronologique, a été mise en relation avec le déroulement narratif du cantique de la lettre aux Philippiens27, qui décrit l’incarnation du Christ, sa mort et sa glorification. C’est le sens rappelé dans Marialis Cultus, une exhortation apostolique du pape Paul VI du 2 février 197428 qui veut voir dans le rosaire l’équivalent, pour la famille, des heures monastiques. Nulle part il n’est question dans ce texte des précieuses indulgences qui firent tant autrefois pour le succès de cette dévotion (voir chapitre III). Cette séquence chronologique des événements de la vie du Christ, présente dès les premières formulations de la foi chrétienne, semble s’imposer d’elle-même : c’est de cette manière qu’est rédigé le symbole 24 William, 1949, p. 7. 25 Tremeau, 1981. 26 Luc, 2, 19 et 51. 27 Épître aux Philippiens, 2, 6-11. 28 Un tiers de ce texte est consacré à deux exercices de piété, l’Angelus et le Rosaire. 26 29 Andreas Heinz (1980) a fait le point sur les dévotions médiévales autour de la vie de Jésus. 30 Aelred de Rievaulx, 1961. 31 Le texte a été publié par Wilmart, 1929. 32 Il a été découvert et publié par Heinz, 1980. Au fil des perles : la prière comptée des apôtres ou celui de Nicée, ou qu’est organisée l’année liturgique, de la Nativité à l’Assomption. En revanche, la méditation sur la vie de Jésus a une évolution historique plus discernable29. Une telle réflexion, déjà présente chez Origène, trouve un nouvel essor au xie siècle, dans l’Oratio XV ad Christum cum recordatione beneficiorum ejus d’A nselme de Canterbury ou dans les écrits de son contemporain Jean d’A llie, abbé de la Trinité à Fécamp entre 1028 et 1078. L’oraison de saint Anselme est bâtie en énumérant les épisodes de la vie du Christ avec un schéma répétitif de ce type : « Très doux Jésus, par ta sainte incarnation (ta circoncision, ton baptême, etc.), aie pitié de mon âme. » Ce type de composition devient assez fréquent au xiie siècle ; les sermons de saint Bernard sont fortement inspirés de cette vision du salut. L’écrit fondateur reste le De institutione inclusarum d’Aelred, abbé de Rievaulx30 (1109-1166). Chez ce Cistercien anglais, la méditation s’accompagne de la visualisation de chaque scène, comme plus tard dans les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Ce type d’exercice reste indépendant de la récitation de l’Ave Maria. Par ailleurs, les formes primitives du rosaire qui se développent à la même période restent purement mariales ; elles sont scandées de sentences ou de méditations uniquement relatives à Marie. L’ordre cistercien joue un rôle central dans cette préhistoire du rosaire. Stephen of Sawley, religieux de cet ordre (mort en 1252), composa les joies de la Vierge en trois faisceaux de cinq joies31. Sainte Gertrude de Helfta (1256-1301/1302), la grande mystique allemande cistercienne, disait soixante-trois Ave Maria pour honorer la Vierge. Comme nous l’avons déjà dit, l’insertion du nom de Jésus dans l’Ave marque une prise de conscience de sa valeur christique ou le désir de lui en conférer une plus évidente. Il faut attendre les environs de 1300 pour trouver le premier assemblage d’Ave Maria avec des méditations sur la vie du Christ. Cette méthode de prière est issue du monastère cistercien de SaintThomas-sur-Kyll, près de Trèves : il s’agit du plus ancien document attestant de cette combinaison. Sa découverte et sa publication en 1980 remettent fondamentalement en cause tous les travaux précédents sur la naissance du rosaire32. En effet, on considérait jusque-là La lente genèse du psautier de Notre Dame 27 que la superposition de la méditation de la vie de Jésus sur les Ave Maria trouvait son origine dans le système des clausules inventé par Dominique de Prusse (vers 1384-1460), cent ans plus tard. Ce système, s’il n’est pas à l’origine du rosaire comme on le pensait, eut néanmoins une importance capitale pour le développement de la pratique ; il reste toujours utilisé et est même remis à l’honneur aujourd’hui. Le système des clausules Adolphe d’Essen33 était prieur de la chartreuse de Trèves quand Dominique de Prusse y entra. Il avait écrit Das Rosengertelin Unser Lieben Frau (Jardinet de roses de Notre Dame) pour la consolation de Marguerite de Bavière, duchesse de Lorraine. La récitation des cinquante Ave Maria y était accompagnée de la méditation de la vie de Jésus, un type d’oraison que la duchesse semble avoir beaucoup utilisé et répandu. Le prieur avait-il emprunté cette pratique aux Cisterciens ? Il l’a en tout cas conseillée au jeune Dominique à son arrivée en 1409. Cette forme de prière ne réussit pas à ce dernier car il n’arrivait pas à concilier la prière répétitive et la méditation, ce qui sera l’éternelle contradiction du rosaire. Pendant l’Avent de 1409, Dominique de Prusse eut l’idée des clausules : à la fin de chaque Ave Maria, qui se termine alors par « Jésus », il ajoute une petite phrase, ou clausule, du type « qui est…, qui a dit, qui a fait… » Ayant ainsi placé cette clausule, il transforme la prière vocale répétitive en un cycle de cinquante épisodes de la vie de Jésus. On a supposé qu’il en eut l’idée grâce à une vision de sainte Mechtilde de Hackeborn (1241-1298), transmise dans le Liber specialis gratiae grâce à Gertrude de Helfta, mentionnée plus haut : elle vit un arbre sortant de l’autel, portant sur ses feuilles des inscriptions relatives à différents épisodes de la vie du Christ34. La méthode des clausules connut un succès rapide malgré la réticence de Dominique de Prusse à fournir des copies des cinquante petites phrases qu’il avait composées (les copies conservées contiennent elles-mêmes des variantes). Il ne s’est pas cantonné à cette méthode, qu’il considérait comme une chose privée, et fut l’auteur de traités 33 Pour la bibliographie les concernant, voir Heinz, op. cit., et Klinkhammer, 1972. 34 Heinz, 1990. 28 35 Corona gemaria Beatae Mariae Virginis, composé autour de 1435. 36 Esser, 1904, p. 98. 37 Codex latin 18911, fol. 15, HofBibliothek, Munich. 38 Sur ce problème : voir Schneider, 1960. 39 BNF, 120/1877, D 64 996. Au fil des perles : la prière comptée de dévotion mariale dont l’œuvre maîtresse, imprégnée d’alchimie, s’intitule La Couronne de pierres précieuses pour la Vierge Marie35. L’idée de la prière dévote convertie en couronne de joyaux aura une longue fortune, mais le livre est bien loin de l’esprit de la future Confrérie du Rosaire ! Les Chartreux jouèrent ici un rôle capital qui fut bien analysé par le père Thomas Esser (1850-1926). Ce Dominicain, grand spécialiste du rosaire, se vit contraint à d’épuisantes conjectures pour concilier son savoir d’historien avec la tradition de l’ordre auquel il appartenait. Il publia un inventaire des clausules et de leurs variantes36, dont une version du xv e siècle qui réunit clausules et divisions en dizaines symbolisées par des roses de différentes couleurs (blanches, vertes, rouges, brunes et dorées) : « Primus decennarius est de rosis albis et candidis (de l’enfance au baptême inclus) Secondus decennarius est de rosis viridis (la vie publique jusqu’à la Cène) Tertius decennarius habet rosas rubeas (le sang répandu avant la Crucifixion) Quartius decennarius est brunaticus (couleur de la mort) Quintus decennarius est de rosis aureis (mystères glorieux)37. » Ces cent cinquante Ave Maria médités ne sont pas encore le rosaire classique : il y manque la division en dizaines et l’insertion du Pater Noster. Comme le nombre cent cinquante, cette division en dizaine trouverait son origine dans les regroupements des Psaumes par dix. Ainsi groupés, ils étaient séparés par un ensemble de prières dont le centre est le Notre Père. Une telle pratique est attestée en Scandivanie38. Notons plus simplement que la division par dix existait dans les patenôtres pour faciliter les comptes ; cette décimalité découle du moyen de comptabiliser le plus simple qu’est la main : n’est-il pas normal que son prolongement amplifié, le chapelet, reproduise ce schéma ? Toutes les traditions qui utilisent les prières répétitives utilisent la main comme outil de substitution lorsqu’on n’a pas ses perles pour compter. Ouvrons ici une parenthèse pour illustrer cette possibilité de comput. Il s’agit d’un feuillet destiné aux petits enfants, « à partir de cinq ans », intitulé le Chapelet des cinq doigts, imprimé au Mans en 187739. Il est composé de trois courtes prières : Aimé soit partout le La lente genèse du psautier de Notre Dame 29 Sacré-Cœur de Jésus ; Notre Dame du Sacré-Cœur, priez pour nous ; Saint Joseph, ami du Sacré-Cœur, priez pour nous, que l’on répète sur chacun des doigts de la main. « Maintenant, il faut vous dire quelle est la valeur de chacune de ces trois petites prières. Vous connaissez sans doute, chers enfants, de petites feuilles grandes comme la main que l’on nomme billets de banque […]. Avec ces billets, on peut acheter, on peut payer. Or Notre Seigneur a donné à Notre Saint Père le Pape le pouvoir de donner à toutes petites prières, une très grande valeur qu’on appelle une indulgence. […] Voici les avantages de ce précieux petit chapelet : IL EST TRÈS-COURT : Il ne faut tout juste qu’une minute pour répéter ces trois invocations sur chacun des doigts de la main. IL N’EST PAS CHER, IL NE COÛTE RIEN : Le Bon Dieu l’a donné à tout le monde ; on ne le perd pas ; il ne se gâte pas. LE CHAPELET DES CINQ DOIGTS EST TRÈS RICHE : Quinze cents jours d’indulgences gagnées en une minute… par un enfant ! On ne peut rien imaginer de plus avantageux ! » Le comptage, l’argent et la prière sont associés de manière circulaire dans la dévotion, l’un des aspects les plus choquants aux yeux des protestants (voir p. 55-56). Revenons au rosaire. Comme nous l’avons dit, les grains intercalaires n’étaient pas d’abord conçus comme supports de la prière mais comme divisions. La récitation du Pater Noster sur ces grains est expliquée, comme toujours dans ce qui touche l’évolution et les transformations des outils de dévotion, par une intervention surnaturelle. Le Chartreux Heinrich Eger de Kalkar40 (1328-1408) eut une apparition de la Vierge41 l’enjoignant de dire un Pater Noster associé à dix Ave Maria, le tout répété quinze fois pour totaliser quinze Pater Noster et cent cinquante Ave Maria. Cette division existait en tout cas à la fin du xiv e siècle. L’usage de dire dix Ave Maria puis un Pater Noster est attesté dans le Nord de l’Europe. 40 Sur sa vie : Rüthing, 1967. 41 Apparition rapportée par Le Couteulx, 1887-1891, VII (1396). 30 Au fil des perles : la prière comptée Enfin, pour en terminer avec les prières qui scandent le rosaire, on peut ajouter que la récitation du Credo sur la croix, au début ou à la fin, est attestée depuis 136242. Le Gloria Patri, dont le texte apparaît fixé dans le concile de Vaison (529) ne semble avoir été régulièrement introduit à la fin de chaque dizaine qu’au xviie siècle. Même si Louis de Blois le faisait un siècle auparavant, il est encore omis dans une méthode de 1823. Cet usage, imité de la récitation des psaumes pendant les offices, est attribué aux Dominicaines de Santa Maria sopra Minerva à Rome, où le rosaire était chanté comme office des vêpres. Nous avons assisté à cette lente sédimentation des textes, leur assemblage, l’organisation de leur séquence et à l’introduction de la méditation des mystères. Le dernier élément fondamental du rosaire est porté par son nom : c’est la rose. La couronne de fleurs et le rosaire 42 Constitutions de la fondation de Canterbury Hall, Oxford (Wilkins, 1737, III, p. 54). 43 Nombreux exemples dans Joret, 1892. 44 Édité par Lespinasse dans Histoire générale de Paris, 1879. 45 Thurston, 1902a et 1902b. L’étymologie des termes désignant ces objets de comptage des prières – chapelet, couronne, rosaire – est révélatrice du contexte et de l’esprit de cette nouvelle dévotion. Ils ramènent à une même idée, celle du chapeau, de la couronne de fleurs que l’on pose sur la tête (pl. II). Couronner de fleurs l’être aimé ou son image est aussi vieux que l’humanité. L’usage est banal au Moyen Âge43, aussi bien dans le monde profane que dans le domaine religieux. Ce sont les mêmes couronnes qui ornent le front des vainqueurs du tournoi, des échevins en procession et des statues les jours de fête. La rose, reine des fleurs, est la plus recherchée pour cet usage : c’est la fleur entre toutes, l’essence même de la fleur. Les couronnes de roses étaient d’un usage si répandu qu’il existait une corporation spécifique à Paris pour fabriquer ces « chappelets » de fleurs, mentionnée au xiiie siècle dans le Livre des métiers d’Étienne Boileau44 : ses membres avaient le privilège de pouvoir travailler le dimanche pendant la saison des roses, ce qui n’allait pas sans susciter les foudres des prédicateurs. Les jeunes nobles en portaient, se conformant ainsi à l’idéal courtois de la chevalerie, une pratique courante que saint Louis interdit aux jeunes princes le vendredi, jour où le Christ fut couronné d’épines45. La lente genèse du psautier de Notre Dame 31 Les membres de la Confrérie du Chapel vert, à Tournai au xve siècle, se couronnaient de « cappiaux de roses » pour les funérailles de l’un des leurs. Les échanges de couronnes de fleurs sont très fréquents dans la littérature courtoise et chevaleresque, et dans l’iconographie qui s’y rattache : scènes de bain, de cour au jardin (« conter fleurette »). Le Roman de la Rose incarne cette veine galante et raffinée et nous montre Zéphyr et Flore tressant des couronnes pour les amoureux fidèles46. On comprend que la piété mariale d’alors, si imprégnée d’esprit courtois, ait trouvé là une symbolique adéquate, assimilant les pratiques dévotionnelles du fidèle amoureux de Marie aux travaux et aux offrandes. La littérature mariale forme le pendant dévot de la poésie profane. Dans le Roman de la Rose moralisé de Jean Molinet (1483), « l’espirituel amoureux envoye son Chapelet garny de patenostres par la secrétaine des cieux47 ». Le Chapelet de Virginité48, ouvrage anonyme publié autour de 1500, montre Jésus appelant l’âme, sa fiancée, à venir au jardin. L’âme veut lui offrir une couronne de fleurs, « un chappelet de liz, la violette de mars, la rose, la sous sie et le joli muguet ». Ces fleurs représentent les vertus que l’âme doit cultiver pour les offrir à son divin Époux. Le lis, c’est la virginité, la violette, l’humilité, la rose, la charité (dans le sens habituel d’amour), la soussie (le tournesol), la patience et le muguet, la « vertu de la vraye foy ». L’esclicette (le support) de cette couronne, c’est l’âme, sur laquelle ces fleurs sont attachées avec le fil de la persévérance. Le Rosarius49, un poème marial dominicain de la première moitié du xiv e siècle, probablement destiné aux « gais chevaliers » fondés à Toulouse par Guillaume de Puylaurens, fait une série de parallèles entre le salut du corps et celui de l’âme. La rose, ingrédient de prédilection de la pharmacopée médiévale, y apparaît d’abord contre les maux de dents : « Met chapiau de rose en ton chief la douleur oste et le meschief. » De même, par la prière mariale, on guérit de la maladie du péché : « Met cette rose en ton chief Ele t’ostera tout meschief. » La Vierge est elle-même une fleur : elle est la rose mystique des litanies de Lorette, Rosa vernans dans l’hymne. C’est sous cette 46 Sur le Roman de la Rose, voir Coilly et Tesnière, 2013. 47 Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 24393, fol. 96 (Gougaud, 1925, p. 547-552). 48 Édité en 1862 chez René Muffat à Paris. 49 Bibliothèque nationale de France, fonds français, ms. 12483, fol. 32. 32 Au fil des perles : la prière comptée forme que Béatrice la voit au Paradis dans la Divine Comédie50 : « Quivi è la rosa in che’l Verbo divino / Carne si fecce ; quivi son li gigli / Al cui odor si prese il buon camino » : là est la rose en qui se fit chair le Verbe divin, là sont les lis dont le parfum met sur le bon chemin. Sainte Gertrude, évoquée plus haut, donne dans ses Révélations le texte d’un Ave Maria d’Or : « Je vous salue, ô Lis éclatant de blancheur, Lis de la radieuse et toujours immuable Trinité ! Je vous salue, Rose brillante du jardin des célestes délices ! Ô vous de qui le Roi des cieux a voulu naître et dont il a voulu recevoir le lait virginal, secourez-moi, pauvre pécheur, maintenant et à l’heure de ma mort. Ainsi soit-il. » 50 Paradiso, XXIII, 73-75. 51 Guillois, 1856, p. 637. 52 Orationale beate virginis gloriose quod composuit beatus bernhardus ex quinquaginta floribus equivalens quinquaginta ave Maria, manuscrit intégré dans un recueil factice du xv e siècle (Laude, 1859, n° 560, p. 504). 53 Thurston, 1902b. La lente genèse du psautier de Notre Dame 33 La rose ici, c’est la Vierge, mais c’est aussi la prière. Chaque prière est une fleur ou un pétale ; une série en fera une couronne. L’idée d’une couronne de prières, offerte comme un bouquet, est attribuée à Grégoire de Nazianze51. Les deux idées vont depuis longtemps de pair : rosarium désigne aussi un ensemble de textes, comme La Guirlande de Julie, composée à partir de 1638 pour Julie d’A ngennes, ou nos modernes florilèges et anthologies. D’ailleurs, le passage de la couronne de fleurs à la couronne de prières n’implique-t-il pas que celles-ci soient identiques et disposées selon un schéma régulier et répétitif ? Les Cisterciens utilisaient des recueils alliant les deux aspects, salutation composée et Ave Maria. Un manuscrit de la bibliothèque de Bruges conserve une adaptation de l’hymne Crinale Beatae Mariae de Konrad von Hainburg, poète chartreux mort en 1360 : son titre indique l’équivalence de cinquante Ave Maria avec autant de fleurs52. De nombreuses légendes mariales illustrent la prière-fleur, reçue en couronne par Marie, qui couronne à son tour le dévot. Trois sont particulièrement répandues, avec des variantes dans les noms des lieux, des personnages et dans les détails53 que l’on pourrait désigner ici : l’histoire du novice, celle du voyageur et des voleurs, enfin celle du mondain dévot de Marie. une statue de la Vierge. Il décida par la suite d’entrer au monastère (l’ordre varie selon les versions). Mais, peu de temps après, il éprouva un violent regret de sa vie précédente car il ne pouvait plus offrir de fleurs à Marie et songea même à s’enfuir du monastère. La Vierge lui apparut alors, et lui expliqua qu’en récitant tel nombre d’Ave Maria chaque jour, il lui offrirait une couronne de fleurs qui ne se flétriraient jamais. Un jour qu’il était ainsi en prière, son supérieur le vit accompagné d’un ange. Celui-ci, au rythme de la prière du religieux, nouait des roses sur un fil d’or et en couronna le novice à la fin de l’oraison (une variante propose des boutons de rose emportés au ciel par des colombes). Le supérieur l’interrogea sur ce spectacle, apprit le commandement de la Vierge et recommanda ensuite cette excellente dévotion. Chez les Cisterciens, cette histoire est présente dès le xiiie siècle54. On la retrouve également chez les Franciscains (voir p. 80). L’histoire du voyageur et des voleurs nous montre le héros, qui est le plus souvent un moine mais parfois un chevalier ou un marchand, attaqué par des brigands dans une forêt. Il se jette alors à genoux et commença à prier. La Vierge apparaît alors (seulement aux voleurs dans plusieurs versions) et se met à cueillir sur les lèvres du voyageur les roses qui naissent à chaque Ave Maria. Elle s’en fait une couronne qu’elle dépose ensuite sur sa propre tête avant de disparaître. Dans les versions les plus ornées, les voleurs veulent savoir d’où sort cette femme, où elle se cache, d’où une suite de quiproquos et rebondissements. Enfin, le voyageur leur explique en quoi consiste sa pieuse pratique : les voleurs comprennent alors qu’ils ont vu la Vierge, se convertissent et deviennent de fervents religieux. Ce motif de la Vierge qui sauve d’une mort brutale se retrouve dans une autre histoire, celle du chevalier homicide. Après un duel où il a tué son adversaire, ce chevalier va prier la Vierge dans une église. Il y est bientôt retrouvé par les vengeurs de sa victime qui, au moment de lever la main sur lui, voient la Vierge former une couronne avec les fleurs qui sortent de la bouche du dévot en prière. Un jeune homme avait la pieuse habitude de cueillir chaque jour des fleurs dont il tressait une couronne. Il allait ensuite l’offrir à Enfin, il y a l’histoire du mondain dévot de Marie, « un clerc de Chartres », qui après une vie peu édifiante, fut inhumé en terre non 54 Duval, 1988. 34 55 B. Alanus de Rupe redivivus de psalterio seu rosario, III. Dans le chapitre consacré à cette question terminologique : « Vocabula : Corona, Rosarium, Sertum : metaphorica sunt ex similitudine dicta : psalterium vero a psallendis Deo laudibus nomen habens, proprie est oratio. 3. Nomina illa vulgaria sunt, sapiuntque aeculi vanitatem : quod sic a sertis puellaribus dicantur : at psalterium est Ecclesiasticum. » (voir Coppenstein, 1665). Au fil des perles : la prière comptée La lente genèse du psautier de Notre Dame 35 consacrée. La Vierge apparut alors aux religieux qui l’avaient enterré pour leur demander de le déplacer vers un lieu plus digne du fidèle serviteur qui l’avait saluée de tant d’Ave Maria. Quand on l’exhuma, une rose au parfum merveilleux sortait de sa bouche. Nous ne résistons pas au plaisir de citer l’explication sur l’origine du nom de rosaire donnée dans un sermon d’un Dominicain de Cologne en 1508 : des ermites priaient la Vierge, dans le désert, pour obtenir la fin d’une épidémie de peste. La Vierge leur demanda alors la récitation de cinquante Ave Maria, qu’ils comptaient avec des baies. Le soir, ils les déposèrent sur l’autel de la Vierge et, le lendemain, les trouvèrent changés en couronne de roses. Alors tous s’écrièrent : « Rosaire, rosaire, couronne de roses, couronne de roses. » Toutes ces histoires convergent vers nos perles enfilées sur un cordon : la prière est mariale, elle est répétée dans un nombre symbolique et elle est reçue par la Vierge comme un hommage d’amour respectueux, comme une couronne de roses à placer sur sa tête. Si la littérature abonde très tôt en « chappels » et « chapelets » pour désigner des couvre-chefs, il faut attendre 1488 pour que le terme soit officiellement utilisé comme synonyme de rosaire : dans la bulle Splendor paternae gloriae d’Innocent VIII, la toute nouvelle Confrérie du Rosaire est dite « Confraternitate Rosario seu de Capelletto nuncupata ». Le terme de rosaire, d’un emploi courant à la fin du xv e siècle, est refusé par Alain de La Roche (vers 1428-1475) que nous allons retrouver plus loin : rosaire, couronne, guirlandes sont pour lui des mots entachés de vanité mondaine et seul le terme psautier est véritablement ecclésiastique55. symbolique. D’autres synonymes font référence à son usage : compter (cuentas en espagnol) ou à sa structure (beads, perles en anglais). Les Lumières, qui firent tant pour le discrédit de ces formes de dévotion, contestèrent cette étymologie du mot par la voix de l’abbé Edme-François Mallet, rédacteur de l’article « Chapelet » dans l’Encyclopédie de Denis Diderot et de Jean Le Rond d’A lembert : il se raille de Gilles Ménage et de son Dictionnaire étymologique56 qui « fait venir ce mot chapelet de chapeau, à cause de la ressemblance qu’il trouve entre ce chapelet et un chapeau de roses ; ressemblance qui ne frappera pas tout le monde comme elle avoit frappé Ménage ». L’explication des cent cinquante Ave Maria du rosaire pour autant de psaumes parut trop simple et pas assez lourde de sens. D’ingénieuses spéculations viennent enrichir ce nombre : ce sont les cent cinquante jours après lesquels l’eau commença à baisser après le Déluge, les trois fois cinquante ans des années jubilaires (c’est-àdire les jubilés multipliés par les trois types de rémission du péché, l’absolution, la remise de la peine actuelle et de la peine future). Les quinze Pater Noster qui s’intercalent ne sont pas en manque de symboles non plus : ce sont les quinze heures de la Passion, les quinze puissances du Christ, les quinze personnes qui l’ont torturé, les quinze lieux de souffrance pour quinze paroles, les quinze instruments de la Passion, les quinze outrages et les quinze fois trois cent soixante-cinq blessures. Néanmoins, peut-être à cause de la disparition de l’usage profane de couronnes de roses au début du xvie siècle et de leur emploi plus exclusivement religieux (pendant la Fête-Dieu par exemple), l’usage des mots associés à ces chapeaux de fleurs a prévalu. En français, ce sera le rosaire ou le chapelet, rosario dans les autres langues latines, rosenkranz en allemand, rosary en anglais, hodekin en flamand, qui est la traduction de « petit chapeau ». On parle plus volontiers de couronne pour les autres dévotions. Tous ces mots n’ont pas de rapport avec la forme ou la fonction de l’objet mais avec son histoire Nous avons suivi la naissance du rosaire, sa complexe élaboration à partir d’éléments très divers dans le milieu des Cisterciens et des Chartreux du nord de l’Europe. Les Dominicains n’y eurent aucune part avant Alain de La Roche (1428-1475). Cet infatigable prédicateur, d’origine bretonne, est célèbre pour les révélations qu’il eut, sous forme de visions, sur la vie de saint Dominique57. Dans l’une d’elle, il le vit en prière à la veille de la bataille de Muret contre les Albigeois (1213). La Vierge apparut alors au saint et lui remis le rosaire comme l’invincible moyen de vaincre cette hérésie (ill. 11). 11. La Vierge remet le rosaire à saint Dominique, une tradition dominicaine encore illustrée au XX e siècle. Alain de La Roche, « inventeur » dominicain du rosaire 56 D’abord publié sous le nom : Origines de la langue française, Paris, Augustin Courbé, 1650 (article « Chapelet », p. 196-197). 57 Sur sa vie, Giffre de Rechac, 1644. 36 12. Souvenir de pèlerinage à Pompéi. 58 Speculum Rosariorum, cap. IV, §1. Au fil des perles : la prière comptée Avant d’examiner la fortune qu’eut cette révélation, il me semble intéressant de citer ici une autre des nombreuses visions d’A lain de La Roche. Une jeune Espagnole, Alexandra, qui faisait partie de la Confraternité du Psautier de Marie (supposée fondée par saint Dominique) négligeait de dire son rosaire. Elle avait deux prétendants qui, voulant résoudre leur incompatible désir, se provoquèrent en duel et y trouvèrent tous deux la mort. Leurs parents respectifs, ligués contre la cause de leur douleur, décapitèrent Alexandra et jetèrent sa tête dans un puits. En vision, saint Dominique sut tout cela, et cent cinquante jours plus tard, il vint au puits où la tête avait été jetée et l’appela. Elle sortit, avec son cou comme fraîchement tranché, se confessa et reçut la communion. Avant de rendre le dernier soupir, elle annonça au saint qu’elle devrait endurer cent ans de purgatoire, mais qu’elle espérait un allégement de ses peines grâce aux prières des confrères. Enfin, la tête fut enterrée avec son corps. Seulement quinze jours plus tard, saint Dominique vit Alexandra monter en gloire au ciel, demandant de la part des âmes du purgatoire qu’elles soient inscrites le plus vite possible sur les registres de cette confrérie si efficace58. Nous retrouvons tous les ingrédients des légendes précédemment cités, avec force symboles numériques, mais ici au seul bénéfice de saint Dominique et de ses successeurs. Les autorités ont admis avec plus ou moins d’enthousiasme ces révélations, du moins au titre des révélations privées qui n’obligent pas la foi. Cependant, la remise du rosaire à saint Dominique par la Vierge décrite par Alain de La Roche n’a pas été contestée, malgré le relatif manque de crédit de ces visions que les apologues eux-mêmes ne purent jamais étayer d’aucun fait historique. Cette révélation devient une tradition, mot qui permet de ne plus en interroger les fondements, soutenue par une considérable iconographie : la Vierge du Rosaire, pour les siècles qui suivirent, c’est une Vierge à l’Enfant qui distribue des chapelets à saint Dominique et à sainte Catherine de Sienne. Tous les documents papaux concernant la dévotion ou la confrérie (principalement des concessions d’indulgences) rapportent cette tradition qui, dans le fond était commode : elle permettait de donner une origine précise et miraculeuse à la dévotion la plus populaire de l’Europe catholique. Il ne manquait pas de savants, La lente genèse du psautier de Notre Dame 37 parmi les prêtres, pour dénoncer cette « tradition » : Jean-Baptiste Thiers, théologien et curé de campagne (1636-1703), dans son Traité des superstitions, conspue cette iconographie : il écrit à propos des « Tableaux du Rosaire, ceux entre-autres qui représentent la sainte Vierge donnant des chapelets à S. Dominique & à sainte Catherine de Siennes. Ce sont véritablement des Images de faux culte, expressément condamnées par le concile de Trente… ; ce sont des images fabuleuses, parce que la sainte Vierge n’a jamais donné de chapelets à S. Dominique, ni à sainte Catherine de Siennes59 ». En guise de coda, rappelons la curieuse histoire de la plus célèbre image de la Vierge du Rosaire, celle de la basilique de Pompéi (ill. 12). Le sanctuaire fut créé en 1876 et le fondateur, Bartolo Longo, cherchait un tableau ancien de ce sujet. Il récupéra finalement une toile en très mauvais état due à un médiocre artiste napolitain du xviie siècle qui montrait la Vierge remettant le rosaire à saint Dominique et sainte Rose. Qu’à cela ne tienne, on restaura le tableau en « corrigeant » cette erreur et sainte Rose devint sainte Catherine de Sienne : l’image est aujourd’hui la représentation canonique de la Vierge du Rosaire en Italie (ill. 13). Dans les années 1890, le père Esser, qui n’ignorait pas le rôle des Chartreux de Trèves dans la genèse de cette dévotion, ne remit pas en cause cette origine miraculeuse dans ses études sur le rosaire. Herbert Thurston (1856-1939), un Jésuite, réfuta ses thèses dans une série d’articles, publiés dans le journal britannique The Month, articles qui suscitèrent de violentes réactions, principalement chez les Dominicains dont on comprend l’acharnement à conserver ce bien de famille. Thurston60 procéda alors au démontage méthodique de la tradition dominicaine : pas de traces de ce don du rosaire par la Vierge chez les premiers biographes de saint Dominique, ni dans le procès de canonisation, ni dans les méthodes de prière préconisées par le saint, pas un sermon sur le sujet chez les Dominicains avant le xv e siècle, pas une représentation du rosaire dans l’iconographie médiévale du saint. La thèse d’Heribert Holzapfel, publiée à Munich en 190361, aurait dû définitivement faire tomber le mythe. Néanmoins, des auteurs circonspects ou conciliants continuent à répéter, avec réserve, la tradition née d’Alain de La Roche. 13. La Vierge du Rosaire de Pompéi sur le tombeau de sainte Catherine de Sienne à Rome (Santa Maria sopra Minerva). 59 Thiers, 1704, II, p. 474. 60 Thurston, 1900. 61 Holzapfel, 1903. 38 62 Lejeune, 1987. 63 Paola, 2013, p. 19-47. On trouve dans cet ouvrage une compilation de miracles tout à fait dans l’esprit des recueils médiévaux. 64 Trémeau, 1981, en liaison avec les passage de Luc déjà cités (Luc, 2, 19 et 151) Au fil des perles : la prière comptée Par exemple, André Lejeune, en 1987, ne peut croire qu’un homme pieux comme Alain ait inventé une telle histoire62. Une récente traduction en italien des écrits d’A lain de La Roche (2013) est précédée d’une copieuse préface qui expose sans sourciller l’origine du rosaire avec force détails issus des visions du moine breton63. D’autres pensent trouver un compromis en faisant d’A lain de La Roche celui qui ressuscita une dévotion disparue (alors qu’elle était, au contraire, en plein développement). Certains firent tout de même leur deuil mais, enhardis par ce courage, ont trouvé une origine plus antique et plus sainte à cette dévotion : le père dominicain Trémeau écrit en 1981 que « nous pouvons donc assurer que lorsque nous méditons les quinze mystères du Rosaire, nous suivons exactement la méthode d’oraison qui a été celle de Marie64 ». Nous voilà revenus à la relique de son chapelet… Le rôle d’Alain de La Roche ne s’est pas limité à la publication de ces révélations. Il a beaucoup prêché le rosaire et fondé à Douai la Confrérie de la Sainte Vierge et de saint Dominique. Si elle n’est pas placée directement sous le vocable du rosaire, elle préfigure tout de même la première Confrérie du Rosaire qui verra le jour à Cologne en 1475, année de la mort d’Alain. Il a laissé de nombreuses méthodes de méditation, certaines très proches du rosaire classique, d’autres plus surprenantes. Pour les mystères joyeux, il reprend une vieille dévotion dominicaine sur le corps de la Vierge : les oreilles qui L’ont entendu, les yeux qui L’ont vu, les lèvres qui ont embrassé Sa joue, etc. Pour les mystères douloureux, il énumère les plaies de la couronne d’épines aux pieds. Enfin, pour les mystères glorieux, il propose de méditer sur les perfections de Dieu ou sur les saints du Ciel. Si saint Dominique ne fut pas l’heureux bénéficiaire du premier rosaire, celui-ci est bel et bien rentré dans les biens de la famille dominicaine par Alain de La Roche. Au-delà de ce putsch surnaturel, il transforma une dévotion personnelle et diffusée dans des cercles plus ou moins restreints en puissant instrument d’apostolat, de prière publique, collective et populaire. L’immense succès de cette pratique tint en bonne partie au magnifique trésor d’indulgences qui était attaché à sa récitation et à la Confrérie du Rosaire. La première Confrérie du Rosaire fut établie à Cologne en 1475 par le dominicain Jacques Sprenger, l’inoubliable auteur du traité de réfé- La lente genèse du psautier de Notre Dame 39 rence contre les sorcières, le Malleus Maleficarum. Elle fut érigée dans des circonstances sur lesquelles on ne saurait trop insister pour comprendre les développements ultérieurs du rosaire comme prière publique d’impétration. Il s’agissait de remplir une promesse d’action de grâces faite pour la libération de la place de Neuss assiégée par Charles le Téméraire. Cette connexion de la prière du rosaire avec la bonne fortune des armes, déjà présente dans la vision fondatrice de Dominique qui obtint la victoire sur les Albigeois, réapparaîtra à maintes occasions, qui seront célébrées par l’octroi de nouveaux privilèges et indulgences. L’ordre des Frères prêcheurs, qui se disait le dépositaire du rosaire, s’en fait le champion et le protecteur. Il réussit même à en avoir l’exclusivité qu’il défendra bec et ongles. Par exemple, à Toulouse, lieu de la vision supposée de saint Dominique, les Franciscains conservaient une peinture représentant la Vierge donnant le rosaire à sainte Claire et à saint François. Les Dominicains obtinrent d’A lexandre VII l’interdiction qu’elle fût montrée en public. Il est vrai que chaque ordre tentait de récupérer cette dévotion : le retable de l’église des Minimes à Nancy, aujourd’hui au Musée lorrain, montre la Vierge donnant le chapelet à saint Dominique et à saint François de Paule ! Les Dominicains ont le monopole pour établir des confréries qui se diffusent très rapidement en Italie et en France. Le mot « chapelet » prévaut sur « rosaire » dans la fondation de la Confrérie du Puy de Notre-Dame d’A miens (1492) et à Notre-Dame de la Règle à Limoges (1502). On crédite bientôt saint Dominique de la création de la confrérie, suite à une autre vision. Les bulles papales mentionnent d’abord ce fait avec prudence, « ut pie creditur », puis sans réserve aucune, dans la bulle de Grégoire XIII qui institue la fête du rosaire en 1573. La confrérie naquit en même temps que l’imprimerie à caractères mobiles, qui va permettre de diffuser les manuels, méthodes, statuts de la confrérie, liste des indulgences65. Le terme « mystère » dans son acception d’événement de la vie du Christ, dont nous avons fait un large usage, semble apparaître dans ce sens en 1480, lors de la fondation de la confrérie de Venise66. Les méthodes restent fort diverses, même si les quinze mystères prédominent. Ils vont se généraliser après la parution du Rosario della gloriosa Maria 65 Voir en particulier l’article « Rosaire » de Duval, 1988 et Chery, 1869a, qui donne un inventaire très complet des publications anciennes. 66 On y sépare les quinze misteri en trois groupes : joyeux, douloureux et glorieux (gaudioso, doloroso, glorioso). 40 14. La méthode illustrée, une nouveauté vénitienne du XVIe siècle destinée à un grand succès. 67 « Et appresso a questo accio che gli idioti che non sano leggere anchor habbino qualche frutto spirituale & possino essercitarsi nelle dette contemplationi della humana salute », Rosario della gloriosa Maria Vergine, Alberto Castello, Venise, 1521, fol. 6. Au fil des perles : la prière comptée Vergine d’A lberto Castello à Venise en 1521 (ill. 14), certainement le livre le plus important pour la diffusion de la forme classique du rosaire. Cet ouvrage, abondamment illustré de xylographies en pleine page, aux marges chargées de roses, de putti et de perles, utilise pour la première fois d’une manière extensive les images comme support de la méditation des mystères. Non seulement les mystères eux-mêmes sont représentés mais quantité d’autres épisodes ou compositions mystiques sont intégrés par l’auteur « afin que les idiots qui ne savent pas lire en aient quelque fruit spirituel et puissent s’exercer à ces contemplations du salut de l’humanité67 ». L’ouvrage se conclut par une liste d’histoires miraculeuses liées au rosaire et à saint Dominique dont nous avons déjà largement parlé. Le rosaire, arme de l’Église Au terme de cette construction, la prière des mystiques et des recluses était devenu un puissant outil de propagation et de propagande dans les mains de l’Église. Un des événements clés dans l’histoire du rosaire prit place cent ans après la fondation de sa confrérie. Les flottes chrétiennes alliées (l’Espagne, Gênes, Venise, le Saint-Siège) affrontèrent la flotte turque à Lépante le 7 octobre 1571. Pie V, un pape dominicain, avait placé la réussite de cette expédition décisive après une série de reculs importants en Méditerranée orientale, notamment la perte de Chypre la même année, entre les mains de Notre Dame du Rosaire qui fut invoquée avec ferveur. Les églises retentirent de prières continues et les soldats chrétiens ne partirent pas combattre le Turc sans avoir dit leur chapelet. Enfin, la victoire passa dans leur camp, ce dont le pape fut surnaturellement informé, bien avant l’arrivée de la nouvelle à Rome. Pie V avait l’intention d’établir une fête en action de grâces, mais sa mort la même année l’en empêcha. Il inséra l’oraison Auxilium Christianorum, ora pro nobis – « Secours des chrétiens, priez pour nous » – dans les litanies de la Vierge pour rappeler son intervention. C’est à ce moment-là que la forme du rosaire devint absolument rigide : Pie V arrêta en 1569 la liste des quinze mystères encore en usage aujourd’hui68, régularisant une pratique répandue La lente genèse du psautier de Notre Dame 41 qui admettait bien des variantes. Par la même occasion, il fixa la forme de l’Ave Maria, avec sa seconde partie (« Sainte Marie, mère de Dieu… »). La fête de Notre Dame du Rosaire fut progressivement instituée. Elle existait déjà, dans plusieurs endroits, mais d’une manière informelle, suivant des usages locaux. Luís de Zúñiga y Requesens, alors gouverneur de Milan et compagnon de Don Juan d’Autriche à Lépante, obtint de Pie V que la Confrérie du Rosaire de Martorell en Catalogne puisse célébrer une commémoration de cette victoire le premier dimanche d’octobre. Grégoire XIII, successeur de Pie V, institua la fête de Notre Dame du Rosaire le premier dimanche d’octobre partout où existait un autel, une chapelle ou une confrérie du Saint Rosaire. Au rythme des victoires contre les Turcs, la fête fut étendue et amplifiée. Elle fut érigée au rang de fête de l’Église universelle sous Clément IX, après la victoire du prince Eugène de Savoie à Peterwaradin et la défaite turque devant Corfou (1716). Du premier dimanche d’octobre, elle passa au 7 octobre sous Pie X en 1913. Aujourd’hui, la fête n’est plus qu’une simple mémoire, le 7 octobre. Le caractère martial, autant que marial, du rosaire ne faiblit pas. Peut-être parce qu’il était entre les mains des Dominicains, vigoureux défenseurs de l’orthodoxie contre les hérétiques. Une gravure de Hieronymus Wierix (ill. 15) montre la Vierge à l’Enfant qui tient une croix, en gloire, encadrée d’un chapelet interrompu par quatre médaillons figurant des hérétiques terrassés de toutes les époques, de Julien l’Apostat à Martin Luther et Jean Calvin, en passant par Arius et Constantin V Copronyme : le cordon et les perles du chapelet deviennent les fers qui retiennent ces destructeurs de l’Église. La pratique du chapelet est synonyme d’adhésion à l’Église catholique : lorsque Clément VIII donna l’absolution à Henri IV en 1595, qui avait abjuré le protestantisme deux ans auparavant, il lui prescrit comme pénitence, entre autres, de dire le chapelet tous les jours et le rosaire complet le samedi69. Lors du siège de La Rochelle (1628), les Frères prêcheurs distribuèrent des centaines de chapelets. La prise de la ville fut célébrée 15. Le rosaire garde les frontières de l’Église. 68 Par la bulle Consueverunt Romani Pontifices, du 17 septembre 1569. 69 Bannier, 1741, p. 270. 42 16. Cathelineau armé de pied en cap. 17. Un rosaire tricolore pour la guerre. 70 Chanson célébrant la victoire de Nantes, (Blond, 2005, annexe 7 p. 127). 71 Claude Petitfrère : Le Peuple contre la Révolution française, cité dans Martin, 1986. Au fil des perles : la prière comptée par la construction de Notre-Dame-des-Victoires à Paris, une fondation dont Louis XIII avait fait le vœu une quinzaine d’années auparavant s’il obtenait un succès décisif contre les protestants. Pendant les guerres de Vendée, les républicains sont frappés à la vue des Blancs disant leur chapelet, qu’ils raillent dans l’une des nombreuses variantes des couplets de La Carmagnole : « Quand il passait quelque boulet / vite ils prenaient leurs chapelets70 », recours dérisoires des perles de bois contre les projectiles de fer. Le chapelet qui est sans aucun doute dans la poche ou autour du cou du Vendéen est intégré à son iconographie et le distingue, comme le symbole des deux cœurs. Dans le portrait en pied de Jacques Cathelineau (17591793), peint par Anne-Louis Girodet en 1816, le général en chef des Vendéens porte son chapelet comme un baudrier, à côté du pistolet dans sa ceinture, et c’est bardé de toutes ces armes qu’il partait affronter les ennemis de la religion (ill. 16). Il déclencha l’insurrection en mars 1793 pour trouver la mort quelques mois plus tard, un 14 juillet par une cruelle ironie du Ciel. Curieusement, les Vendéens eux-mêmes firent un usage assez profane, pour ne pas dire sacrilège, du mot en l’appliquant à une technique de guérilla : ils faisaient marcher en tête les prisonniers, en tout premier lieu les prêtres assermentés, pour qu’ils essuient le feu de l’ennemi : c’est la « tactique des chapelets71 ». On retrouve notre dévotion dans les contextes de lutte contre l’hérésie et les forces maléfiques en général : la Confrérie du Rosaire de Tolède fut érigée pour éradiquer les Maures d’Espagne ; le Chapelet des Larmes fut créé pour lutter contre le spiritisme au Brésil. Durant les deux dernières guerres mondiales, on a vu se développer des mouvements de prière pour les soldats centrés sur le rosaire et des objets idoines furent produits et distribués, aux couleurs du drapeau national, avec des croix frappées de « Dieu et Patrie » (ill. 17). Les ennemis sont partout et le rosaire est sur tous les fronts. La Vierge est apparue à Fatima sous la forme de Notre Dame du Rosaire en 1917 pour appeler à la conversion, à la pénitence et à la récitation du rosaire « afin que la Russie aussi se convertisse ». Après les Turcs, les communistes. L’A ide à l’Église en détresse fut fondée dans le même sens par le père Werenfried en 1947, qui alla ostensiblement dire son chapelet La lente genèse du psautier de Notre Dame 43 devant le mausolée de Lénine sur la place Rouge (mais l’on était déjà en 1992…). Les Dominicains américains lancèrent en 1943 The Rosary Crusade dans l’esprit de prier pour une victoire militaire contre un fléau spirituel, dans la lignée de l’usage du rosaire comme prière publique depuis Alain de La Roche. Leur livret destiné à la méditation des mystères visualisés grâce à des reproductions de tableaux célèbres (ill. 18) contient aussi d’autres textes, dont une histoire du rosaire qui est scandée des événements que nous avons évoqués : les batailles de Muret, de Lépante, de La Rochelle, le siège de Vienne et Peterwaradin. Une telle constante est remarquable, éloquente même : elle nous frappe d’autant plus que ce lien puissant entre la prière du rosaire et la lutte armée contre les ennemis de la religion n’a pas été pris en compte par les historiens, hormis dans les épisodes fondateurs de la lutte contre les Turcs. Pourtant, chaque document papal sur le rosaire, en particulier sous Léon XIII, ne manque pas de rappeler le secours que donna la Vierge par le rosaire pour terrasser l’épouvantable et terrible hérésie albigeoise. À chaque menace idéologique, à l’intérieur de l’Église (hérésies) ou à l’extérieur (Turcs, communistes), le rosaire se dresse tel un rempart. Et ce n’est pas fini : à l’occasion du jubilé de 2016, un donateur américain a doté la garde suisse pontificale de l’arme la plus efficace, « the combat rosary », qui fait désormais partie de la panoplie (ill. 19). Depuis 1883, sous Léon XIII, tout le mois d’octobre lui est consacré (un Dominicain espagnol, le père José Peralta y Marques, l’avait déjà institué dans son couvent andalou à Écija deux ans auparavant). Octobre devient le « mois des fruits », formant ainsi un pendant à mai, le mois de Marie, « celui de fleurs72 ». Léon XIII, « le pape du rosaire », lui consacra pas moins de douze encycliques. Mais c’est tout le xixe siècle qui est le « triomphe du rosaire », un développement dont les apparitions de la Vierge à Fatima en 1917, qui se présenta comme la Vierge du Rosaire, ont été vus comme le couronnement73. 18. Le manuel de la Croisade du Rosaire. 19. L’arme secrète de la Garde suisse. 72 Lettre encyclique Augustissimae Virginis, 1897. 73 Gasnier, 1942. Le chapelet et les indulgences III Le chapelet et les indulgences 45 Un accès direct au Trésor de l’Église Par une bénédiction appropriée, on peut attacher des indulgences à un chapelet ou à une couronne de prières74. L’origine des indulgences semble se trouver dans les pratiques d’allégement ou de commutation des peines canoniques données en réparation du péché, après que celui-ci a été pardonné. Dès le concile de Carthage (251), les évêques réduisirent ainsi la durée des pénitences qu’ils avaient prescrites : il faut dire que les instructions des canons pénitentiels étaient d’une grande sévérité (jeûnes de six mois à sept ans). Plus tard, aux viiie et ixe siècles, se développèrent les pratiques de la redemptio et de la remissio, qui transformaient la pénitence prescrite en une autre, le plus souvent une œuvre de charité (prières, aumônes, pèlerinage, donation pour une construction d’église). Ces commutations de peine ne sont pas tout à fait des indulgences ; leur précédent antique serait plutôt les libella pacis, « billets de paix », qui, dès le iiie siècle, anticipent la pratique d’appliquer les mérites de l’un (dans ce cas, le martyr) au rachat du péché de l’autre75. L’indulgence proprement dite se distingue de tout cela. Sa théologie n’est fixée qu’au xiiie siècle par Alexandre de Halès, un théologien franciscain dit le « Doctor irrefragabilis », qui fit pour la première fois dériver l’efficacité des indulgences du Trésor de l’Église. Ce trésor est constitué des mérites des saints et de ceux, infinis, du Christ ; il est géré par ses dépositaires, les représentants de l’Église, pape et évêques, qui peuvent en faire bénéficier les fidèles. C’est au même moment que les indulgences sont étendues aux morts (alors que l’on admettait depuis toujours, pour les défunts, l’efficacité des prières, suffrages et réparations émanant des individus). La première concession applicable aux défunts a été faite par Sixte IV au profit de la cathédrale Saint-Pierre de Saintes. L’indulgence plénière, qui rachète la totalité de la peine liée au péché, n’était obtenue que par la croisade ou à l’occasion des jubilés. Ces derniers furent multipliés car ils apportaient des sommes considérables recueillies sous forme d’aumônes pour financer de grands projets : la lutte contre le Turc sous Alexandre VI, la construction 74 Nous ne donnerons pas de bibliographie étendue sur ce point. Il existe de nombreux ouvrages, dont le Thesaurus Indulgentiarum de Georg Gobat (Munich, 1650), le Traité historique, dogmatique et pratique des Indulgences de Pierre Collet (Paris, 1749), le Traité dogmatique et pratique des indulgences de Mgr Bouvier (Le Mans, 1838) ou Les Indulgences, leur nature et leur usage de Franz Beringer (Paris, 1905). 75 Dans le contexte des persécutions contre les chrétiens et de la réintégration des apostats dans l’Église (saint Cyprien de Carthage, De Lapsis). 46 76 Esser, 1906, p. 49. 77 Voir la 19e proposition de Luther, qui ne suppose que la remise de la peine canonique (prescrite par l’Église). 78 Galates, 6, 2 ; 1 Corinthiens, 12, 24-26 ; Colossiens, 1, 24. 79 Les informations suivantes sont pour la plupart tirées du Code du droit canon, 1, III, pars 1, tit. IV, ap. V. Au fil des perles : la prière comptée de Saint-Pierre de Rome sous Jules II. Ces ventes d’indulgences s’accompagnaient d’une prédication peu prudente, assurant qu’elles rachetaient non seulement la peine mais aussi le péché (indulgentia a pœna et a culpa), alors que la théologie fait d’une condition sine qua non que le péché ait été remis, par une parfaite contrition et la confession préliminaires. Un sermon de la fin du xv e siècle publié par Esser explique que l’indulgence ne peut remettre la faute et la peine : qui le prétend tend vers l’hérésie, annule et détruit les sacrements de l’Église et lutte contre l’Église de Dieu76. Ces quêteurs-bonimenteurs étendaient aux morts les merveilleux effets de leur produit, à l’aide de formules dont l’impact publicitaire nous paraît encore aujourd’hui indiscutable : « So bald das Geld im Kasten klingt Die Seele aus dem Fegfeuer springt » : « Aussitôt que l’argent tinte dans le tronc, l’âme bondit hors du Purgatoire. » Cette formule est attribuée au Dominicain Johann Tetzel (1465-1519), inquisiteur et commissaire apostolique, qui recueillait de l’argent grâce au commerce des indulgences en faveur d’A lbert de Brandebourg et fut à l’origine des attaques de Luther sur ce point. La bulle Exsurge Domine de Léon X, rédigée pour condamner les positions de Luther en 1520 et qui ouvre de fait la crise de la Réforme, a confirmé la viabilité des indulgences au profit des défunts. Quelques années plus tard, le concile de Trente (1545-1563) interdira les quêtes. L’Église ne fut pas toujours unanime : le synode de Pistoia, en 1786, a encouru les remontrances de Pie VI pour avoir déclaré les indulgences une « chimère déplorable » de la scolastique. La vraie question concerne le pouvoir de l’Église sur la peine attachée au péché77. Les théologiens ont insisté sur les fondements scripturaires de la remise de cette peine par l’Église, notamment chez saint Paul78. Sur ce point, la doctrine de l’Église catholique n’a pas varié79. Elle est ainsi définie : Remissionem coram Deo pœnae temporalis debitae pro peccatis, ad culpam quod attinet jam deletis, quam ecclesiastica auctoritas ex thesauro Ecclesiae concedit pro vivis per modum absolutionis, pro defunctis per modum suffragii : « La rémission devant Dieu de la peine temporelle attachée au péché, dont la coulpe est effacée, que l’autorité ecclésiastique concède à partir du Trésor de l’église, par l’absolution pour les vivants et le suffrage pour les morts. » Clément IX avait créé Le chapelet et les indulgences 47 en 1669 la Sacrée Congrégation des indulgences et des reliques, chargée de la doctrine sur ces points, congrégation qui fut supprimée en 1908 par Pie X. Ces problèmes sont maintenant traités par la Sacrée Congrégation des rites. Il s’agit donc d’une « rémission extrasacramentelle faite par l’Église des péchés déjà pardonnés80 », plus explicitement du rachat de la peine temporelle que Dieu attache au péché, même s’il est pardonné. C’est leur seul effet direct : si l’exercice qui a permis d’obtenir l’indulgence est sanctifiant en soi, l’indulgence elle-même n’améliore pas le pécheur. Elle ne peut en aucun cas se transmettre d’un vivant à un autre, car elle fonctionne sur le mode de l’absolution, qui est personnelle. Quant à la durée de la peine rachetée (deux cents jours, dix mille ans), elle ne correspond pas au temps que l’on aurait subi au Purgatoire (encore que certains auteurs le laissent supposer). En gagnant trois ans d’indulgence, on obtient la satisfaction donnée par trois ans de pénitence ; ou plus exactement, on donne réparation pour une peine canonique de trois ans, pas seulement au Purgatoire mais dès les épreuves de cette vie. Ces trois ans de pénitence étaient au départ nécessaires pour acquérir les mérites suffisants pour racheter la peine. L’indulgence, par le Trésor de l’Église, nous les obtient au prix d’une simple dévotion. C’est ainsi que « l’Agneau de Dieu… nous nourrit de sa chair dans la Sainte Communion et il nous revêt de sa toison dans les indulgences81 ». Un problème est posé par les gens qui, par des exercices incessants, ont pu acquérir des milliers d’années d’indulgences, millénaires qui excèdent leurs besoins et ne sauraient constituer « d’avance » puisqu’ils ne s’appliquent qu’à la peine des péchés déjà pardonnés : que deviennent-ils ? Si l’Église en reconnaît l’efficacité, les théologiens sont quelquefois réservés quant à la valeur de ces remises aux yeux de Dieu. Le seul pape a un pouvoir illimité dans la concession d’indulgences. Les cardinaux peuvent en accorder de deux cents jours, les évêques de cent, les vicaires de cinquante dans leur juridiction, ou ailleurs, temporairement. Les cardinaux se contentent d’un signe de croix (une bénédiction papale confère une indulgence plénière depuis Urbain VIII) alors que les évêques doivent suivre le rite prescrit. Les nonces ne 20. La médaille ou la perle du cœur a été remplacée par une tête de mort, comme sur les chapelets destinés au soulagement des âmes du Purgatoire. 80 Galtier, 1925. 81 Esser, 1894, p. 506. 48 Au fil des perles : la prière comptée peuvent indulgencier que les scapulaires du Mont Carmel et des Sept douleurs. De fabuleuses indulgences apocryphes ont souvent enrichi les plaquettes promotionnelles de telle ou telle pratique ; celles attachées aux cinq mille six cent soixante-seize plaies de Notre Seigneur, à ses vingt-huit mille quatre cent trente gouttes de sang, ou à la mesure de la plante du pied de la Vierge. Dans sa sagesse, Léon XIII a aboli toutes les indulgences de plus de mille ans. Il faut ajouter que l’on distingue trois types d’indulgences : indulgences locales (attachées à un lieu), personnelles et réelles (attachées à un objet). C’est ce dernier cas qui nous concerne. Le chapelet, support des indulgences 21. Le souvenir d’une bénédiction pontificale préservé par une étiquette. Même si le gain des indulgences n’est aujourd’hui plus pour beaucoup dans la récitation du chapelet, il en fut autrefois un puissant moteur. Avant même que le lien entre l’indulgence et le chapelet soit établi, les formes primitives de la prière répétitive des patenôtres étaient déjà utilisées comme suffrage pour les morts : c’est dans ce cadre précis qu’on envisage à Cluny au xie siècle le remplacement des psaumes par des Pater Noster. Par ailleurs, les légendes mariales montrent la Vierge intervenant pour sauver son fidèle d’une mort subite ou violente, c’est-à-dire sans avoir pu recevoir les derniers sacrements. La connexion entre rosaire et salut personnel était faite. Les conditions d’acquisition d’indulgences grâce à un chapelet béni sont les mêmes que pour tous les autres types d’indulgence : il faut être en état de grâce, c’est-à-dire s’être confessé, puis avoir communié ; en fait, seule la contrition est nécessaire, et peut suffire, même sans absolution. La ferme intention de se confesser rapidement peut aussi suffire. Pour ce qui est de la communion, elle est valable même si elle a été reçue quelques jours après. Quand on veut les obtenir pour les âmes du Purgatoire, on peut le faire même en état de péché mortel. Comme une contrition absolue (c’est-à-dire contrition de tous les péchés que nous avons commis depuis l’origine) est impossible, l’obtention de l’indulgence plénière l’est également en pratique. Ce qui revient à dire que l’on ne peut se tenir quitte de toute peine liée aux péchés pardonnés après une indulgence plénière, et qu’il Le chapelet et les indulgences 49 n’est pas paradoxal de vouloir en acquérir souvent, pour racheter progressivement cette peine. Il faut ensuite accomplir les œuvres prescrites convenablement, librement, complètement, et dans l’intention de gagner l’indulgence (pour les oraisons jaculatoires indulgenciées, il vaut mieux le décider le matin pour toute la journée). Ni l’erreur, ni l’oubli, ni la bonne foi, ni la distraction ne peuvent y suppléer. Toutefois, l’omission, le changement de quelques mots ou l’oubli d’une partie minime de la prescription n’invalident pas les indulgences82. Il est remarquable que, d’une manière presque magique, certaines indulgences peuvent être obtenues par le simple port sur soi du chapelet au moment où l’on fait un autre acte de piété : prier au son de la cloche pour les agonisants, par exemple, donne quarante jours si l’on a dans sa poche un chapelet brigitté, c’est-à-dire doté des indulgences de sainte Brigitte (nous y reviendrons). Le fait d’attacher un pouvoir spirituel à un objet matériel soulève de nombreuses questions, qui touchent à la fois le rituel et l’objet lui-même. Pour être indulgenciés, c’est-à-dire aptes à faire gagner les indulgences, les chapelets ne doivent pas être de matière trop fragile (verre soufflé, plâtre), mais dans des matériaux solides (métaux, pierre, verre, ivoire, ambre, bois) 83. Étant donné la masse de chapelets cassés, réparés et raccommodés que l’on rencontre, ce n’est pas une précaution rhétorique. L’objet qui reçoit la bénédiction doit avoir une relation formelle avec les indulgences que l’on lui associe : par exemple l’indulgence du rosaire ne s’applique que sur un chapelet en rapport, avec cinq, dix ou quinze dizaines. Les théologiens considèrent que l’on ne peut pas remplacer les gros grains intercalaires par des médailles. Pourtant, les exemples n’en sont pas rares. Il faut ensuite qu’ils soient bénis par le supérieur de l’ordre dont ils dépendent84, ou par un prêtre qui en a reçu le pouvoir. Les chapelets apostoliques sont ceux bénis par le pape ou en son nom (ill. 21). Ces prescriptions semblent en curieuse contradiction avec l’exercice lui-même : la pratique, ou la pénitence, c’est la prière, en l’occurrence un ensemble de prières dans un ordre donné. Certaines prières sont elles-mêmes indulgenciées mais, en général, pour obtenir l’indulgence, il faut l’objet adéquat, dûment béni et utilisé. 22. Un paquet de chapelets bénis à redistribuer. 82 Sacré Pénitencerie, 26 juillet 1934, Acta A.S., XXVI, 643 (Bride, 1962). 83 Beringer, 1925, n. 839. 84 Lesage, 1929. 50 23. Une perle d’ambre, brisée, a été remplacée par une perle de verre. Cela n’a pas d’incidence sur l’éventuelle capacité de ce chapelet à recevoir des indulgences. 24. Un chapelet aux multiples réparations. 85 Guillois, 1856, p. 647 et, plus largement sur ce qui suit p. 636663. 86 Sacré Congrégation des Indulgences, 10 janvier 1839. Au fil des perles : la prière comptée Attacher des biens spirituels à un objet n’est pas sans poser des problèmes, induits par la matérialité même de l’objet béni. La casuistique a résolu ces questions délicates. Pour la plupart des auteurs, si le chapelet est donné, hérité, prêté, il garde ses indulgences. Il les perd toujours s’il est vendu. Si on le prête, le dépositaire ne peut jouir des indulgences : ainsi en décida le pape Alexandre VII en 1657. On dit même que s’il était prêté dans cette intention, les indulgences seraient perdues aussi pour le prêteur. Quand ils sont bénis, on ne peut les vendre, on doit les donner. Mais que se passe-t-il si on achète un chapelet et on le fait bénir pour un tiers ? Peut-on se faire simplement rembourser sans annuler les indulgences qui y sont attachées ? S’il s’agit d’un objet isolé, c’est possible, mais dans le cas de plusieurs objets, « cette manière d’agir n’était pas sûre dans la pratique85 » (ill. 22). Que faire quand il est abîmé ? « On est souvent embarrassé pour savoir quand un chapelet bénit perd ses indulgences », confesse l’abbé Guillois. S’il perd trois ou quatre grains, il reste béni86. S’il est désenfilé puis renfilé dans l’ordre, il conserve ses indulgences. Par contre, s’il n’a plus la forme d’un chapelet, s’il n’est plus qu’un tas de perles, il perd sa bénédiction, qui s’attachait à l’ensemble. Cette règle souffre deux exceptions : les indulgences de sainte Brigitte et celles des Croisiers qui sont attachées aux grains séparément. Quand les chapelets sont mutilés, ils perdent leur bénédiction et deviennent des objets profanes : il n’est pas nécessaire de les brûler pour s’en débarrasser. À travers ces décisions se fait jour la notion d’existence morale de l’objet. Détruit jusqu’au tiers, il reste béni pour certains, car cette existence morale est intacte (ill. 23 et 24). On peut ainsi imaginer un chapelet, altéré partie par partie, ne possédant plus aucun des éléments matériels qui reçurent la bénédiction, mais qui ne l’aurait cependant jamais perdue. Les cas pratiques restent délicats à résoudre, et la décision de la Sacrée Congrégation n’éclaircit pas beaucoup cette affaire où les opinions les plus contradictoires coexistent. Elle a répondu, sur le cas d’un chapelet brisé en deux ou trois morceaux, que si les perles étaient pour la plupart conservées, les indulgences du chapelet n’étaient pas perdues. Le sens du mot « conservées » dans ce contexte était ambigu et fut explicité dans le sens de « non égarées » (mais pas Le chapelet et les indulgences 51 nécessairement restées dans l’ordre87). Dans ce cas, même un chapelet désenfilé ne perdait pas ses indulgences, ce qui n’était pas l’opinion la plus commune chez les théologiens. Les accidents de chapelets étaient fréquents, parfois burlesques : Francisco de Quevedo, vers 1605, décrit la misérable soupe de la pension où vit son jeune héros. La vieille cuisinière, qui faisait un usage intensif de son chapelet de bois noirci (ill. 25), le casse au-dessus de la marmite, qu’elle sert ensuite à table « avec le bouillon le plus dévot que j’ai jamais mangé ». Tout le monde s’interroge : « Des pois chiches noirs ? Sont-ils éthiopiens ? Sont-ils en deuil ? Qui ont-ils perdu88 ? » Un simple signe de croix du prêtre habilité suffit à indulgencier le chapelet. On peut attacher plusieurs indulgences au même objet : un chapelet pourrait à la fois avoir les indulgences des Croisiers, de sainte Brigitte, du Rosaire, du Chemin de croix et même de la Bonne mort, sur la croix si elle porte un Christ en relief. Mais on n’en gagne qu’une à la fois. C’est là que prend tout son sens la nécessité formulée par les théologiens : il faut avoir l’intention de gagner l’indulgence pour l’obtenir. Dans ce cas, il faudra aussi choisir. Le chapelet finit par n’être identifié que par les indulgences qu’il permet d’obtenir : c’est le cas du chapelet de sainte Brigitte ou de celui des Croisiers. Le chapelet de sainte Brigitte se compose de six dizaines (ill. 38), mais n’importe quel chapelet ou rosaire peut être brigitté. Le principal intérêt de la brigittation est que les indulgences sont attachées à chaque grain89, et non à la récitation complète du chapelet (sans parler de la méditation obligatoire). Par contre, pour gagner toutes les indulgences qui y sont attachées, il est recommandé de le réciter trois fois, en priant pour l’Église, pour le pape et pour celui qui l’a indulgencié. Le second cas est très intéressant car les indulgences des Croisiers90 étaient dispensées par le truchement du plus important sanctuaire français pour le soulagement des âmes du Purgatoire, Notre-Dame-du-Suffrage à Montligeon. Une méthode publiée par cette institution en 1896 en donne le fonctionnement. L’Ordre de la Sainte Croix, fondé en 1211 par le bienheureux Théodore de Celles, avait reçu de Léon X pour son chapelet une indulgence de cinq cents 25. Trois chapelets en bois prêts à se désenfiler… 87 « Dummodo calculi seu globuli in majori eorum parte perseverent, indulgentias corona non amisit », voir Guillois, 1856, p. 652. 88 Historia de la vida de un buscón (Quevedo, 1962, p. 26). 89 Boudinhon, 1903. 90 Burgt, 1886. 52 91 Bulle du 26 août 1516, indulgence authentiquée en 1884, comme toutes celles accordées par ce pape dont les bulles ont été perdues. 92 Sacré Congrégation des Indulgences, 12 février 1745. 93 Pour toutes ces questions, voir : Esser, 1894. 94 Beringer, 1925. 95 Esser, 1894. Le catalogue complet se trouve dans : Innocent X, Nuper pro parte, 31 juillet 1679 ; Benoît XIII, Pretiosus, 26 mai 1727 ; Pie IX, Summarium lndulgentiarum, 18 septembre 1862. Au fil des perles : la prière comptée jours par grain91. Ces indulgences s’appliquent aux morts depuis Grégoire XVI mais ne se conservent pas sur un chapelet trouvé ou hérité. S’il est volé pour ses indulgences, son légitime propriétaire, s’il le retrouve, ne les perd pas92. Il n’est pas nécessaire d’être à genoux pour les gagner, mais il faut toucher le chapelet, avec ou sans gants, même dans une prière collective. Avec toutes ces précisions, on n’indique pas quelle prière on doit dire ; la seule chose certaine est que l’on gagne cinq cents jours par grain. L’Œuvre expiatoire, sise à Montligeon (ill. 28), servait d’intermédiaire entre les fidèles désireux d’obtenir cette précieuse indulgence, qui lui envoyaient leurs chapelets, et le père croisier qui y venait exprès pour les bénir. Il n’y a donc pas de « chapelet des Croisiers », mais des chapelets (de n’importe quel type) dotés de cette indulgence particulière. Une fois muni de l’objet adéquat, on peut gagner les indulgences moyennant certaines conditions92 en plus des conditions générales mentionnées plus haut. Pour obtenir les indulgences du rosaire, il faut dire au moins les cinq dizaines du chapelet ordinaire à la suite, ou sans interruption morale, même s’il y a une interruption matérielle. La méditation sur les mystères est indispensable pour les gagner. Pour certaines dévotions, il faut le chapelet béni ; le posséder parfois suffit, mais le toucher, ou au moins le voir, est généralement nécessaire. Pour le rosaire, à la différence du chapelet de sainte Brigitte, il n’est théoriquement pas nécessaire de le toucher, mais Franz Beringer (1838-1909), le grand spécialiste des indulgences, pense qu’on ne saurait les gagner toutes ainsi94 ; cette pratique est communément considérée d’une efficacité douteuse. Si une des œuvres est impossible à accomplir par le pénitent, elle peut être commuée par son confesseur. Le père Esser donne une liste très complète des indulgences du rosaire95. Signalons simplement les deux cents jours pour qui porte visiblement son rosaire, une pratique de promotion assimilée à un acte de dévotion. Dans le cas du rosaire, le Credo du début et la doxologie Gloria Patri ne sont pas nécessaires. Ni même, ce qui est plus étonnant, la récitation du « tercet », ce petit morceau de trois Ave Maria et deux Pater Noster qui pend au bout de la couronne et différencie maté- Le chapelet et les indulgences 53 riellement le chapelet d’un collier (il suffit de retirer ce tercet pour faire de n’importe quel chapelet un bijou, ce qui fut le cas avant que la mode ne s’empare récemment de l’objet de piété). On n’assigne aucune fonction à cette partie si spécifique de l’objet. Par contre, on perd ces indulgences si l’on s’écarte des mystères dont la méditation est requise ou si l’on modifie le texte de prières. Les fidèles des pays germaniques, adeptes de la méthode de clausules, s’en émurent et la Sacrée Congrégation toléra ces ajouts quand ils étaient traditionnels. Cet alignement des décrets sur la pratique est plus fréquent qu’on pourrait le penser : par exemple, un décret du 29 février 1820 accordait les indulgences du rosaire même lorsqu’il est récité de manière alternée par deux groupes, ce qui est une pratique très répandue. La plus grande partie des indulgences du rosaire sont attachées à la confrérie elle-même : aux chapelets dits par ses membres pendant leur réunion, dans la chapelle de la confrérie, etc. Elles sont assez importantes pour que Henri V, comte de Chambord, ait pris la peine d’obtenir du pape le privilège personnel de gagner les indulgences toties quoties même dans les églises où la confrérie n’était pas érigée. La confrérie a su préserver le trésor des indulgences attachées au rosaire. Si l’on peut faire rosarier son chapelet par un prêtre qui en a reçu le pouvoir, la brigittation reste le fait des seuls Dominicains. Les indulgences accordées aux autres dévotions, même les indulgences pontificales, ont toujours été soigneusement choisies inférieures à celles du rosaire. La Congrégation de l’Index a interdit toute création de chapelet qui serait préjudiciable au rosaire96. Le chapelet-bague aurait été créé sous la Terreur pour dire son chapelet en catimini, ce qui montre a contrario combien la récitation du rosaire était auparavant publique. Il fut très en vogue dans les années 1830, mais déclina : son usage fut déclaré « innocent », c’està-dire licite, mais l’objet ne saurait être indulgencié, pas plus que les autres formes de dizaines qui ornaient le poignet des communiantes (pl. VII.2 et 7). Les scouts ont donné à la « bague à prier » une nouvelle existence. Leur anneau-dizainier fut plus chanceux : on lui accorda certaines indulgences (apostolique, in articulo mortis, Chemin de croix) mais il ne peut se voir appliquer celles du rosaire. Il se présente 96 Decreta de libris prohibitis, § 4 n° 8 p. XL, VI, Index librorum prohibitorum, Rome, 1876. 54 26. Chapelet de Notre Dame du Suffrage ou des morts, avec la perle bifrons. Au fil des perles : la prière comptée comme une bague (mais que l’on ne peut pas laisser à son doigt) et se transforme parfois en médaille à porter sur une chaîne : devenu ainsi impropre à l’usage, il devient symbole de foi et de prière (pl. VIII). La consolante possibilité d’agir au-delà de la mort et de secourir les âmes du Purgatoire est fortement exprimée par une iconographie particulière de Notre Dame du Rosaire, assez répandue, montrant la Vierge et les saints tendant à ces âmes infortunées des chapelets qu’elles agrippent et par lesquels elles se hissent au Ciel. Le Jugement dernier de Michel-Ange à la chapelle Sixtine contient aussi cette image. Tout chapelet peut servir au soulagement des âmes du Purgatoire, mais l’on en conçut un spécialement à cet effet. Il s’agit du chapelet de Notre-Dame-du-Suffrage, dit aussi chapelet des morts (ill. 26 et 27). Il est composé de quatre dizaines séparées de gros grains. Les quarante perles représentent les quarante heures entre la mort et la résurrection du Christ et quatre grains intercalaires symbolisent les quatre fins dernières. Le grain intercalaire avant le cœur ou le cœur lui-même est fréquemment remplacé par une petite tête sculptée bifrons, en os ou en ivoire, représentant le Christ couronné d’épines et un crâne, un type de perle associant le crâne d’Adam à celui du Sauveur qui se trouve sur patenôtres et dizains depuis le Moyen Âge. Le chapelet des morts fut imaginé et composé à Rome par monseigneur Plantier (1813-1875), qui fit approuver cette dévotion par Pie IX. L’évêque entendait créer un chapelet « canonique qui fut désormais la prière universelle et liturgique des Associés de l’A rchiconfrérie N. D. du Suffrage ». Cette archiconfrérie, qui a pour but d’obtenir par la prière des indulgences pour les vivants et les morts, a été fondée le 1er novembre 1857 à Nîmes par l’abbé Serre sous l’inspiration du saint curé d’A rs, Jean-Marie Vianney, et encouragée par monseigneur Plantier, évêque de Nîmes. Pour réciter ce chapelet, on dit sur le premier grain intercalaire le psaume 139, le De Profundis (psaume remplacé pour qui l’ignore, suivant l’antique tradition, par le Pater Noster ou l’Ave Maria), et l’on ajoute : « Accorde-leur, Seigneur, l’éternel repos et que brille à leurs yeux la lumière sans déclin. » Cette oraison est répétée sur les grains intercalaires. Sur les grains des quatre dizaines, on dit : « Doux Le chapelet et les indulgences 55 Cœur de Marie, consolation de ceux qui souffrent, priez pour nous et pour les âmes abandonnées du Purgatoire. » On termine par la formule et le psaume du début. On le voit, en dehors du psaume, il s’agit d’une composition entièrement nouvelle. Une indulgence de vingt-trois mille trois cents jours est accordée à chaque récitation. Deux cent cinquante ans après la Réforme, ces dévotions sont toujours une cause de stupeur et de scandale pour les protestants. Robert Louis Stevenson raconte en 1876 son périple en canoë dans le nord de la France et en Belgique. Il s’arrête sur l’Oise à Pont-SainteMaxence, puis à Creil et y visite les églises97. Dans la première, il voit une vieille femme dire son chapelet, malgré le froid : « À chaque autel, elle consacrait le même nombre de perles et une même durée. Comme un capitaliste prudent avec une vue assez cynique de perspective commerciale, elle désirait placer ses suppliques dans une grande variété de placements célestes. Elle ne risquerait rien sur le crédit d’un seul intercesseur. » Un peu plus loin, à Creil, dans l’église Saint-Nicolas : « Mais il avait quelque chose de pire que la bêtise placardée dans l’église de Creil. L’Association du Rosaire vivant (dont je n’avais jamais entendu parler) en est responsable. Cette association a été fondée, d’après le placard imprimé, par un bref du pape Grégoire XVI, le 17 janvier 1832 : d’après un bas-relief colorié, cela semblait avoir été fondé, à un moment ou un autre, par la Vierge donnant un rosaire à saint Dominique, et l’Enfant donnant un autre à sainte Catherine de Sienne. Le pape Grégoire n’est pas si imposant, mais il est plus proche… C’est extrêmement organisé : les noms des quatorze matrones et demoiselles remplissaient chaque semaine du mois comme associées, avec une autre par-dessus, généralement une femme mariée, comme zélatrice. Des indulgences, plénières ou partielles suivent l’accomplissement des devoirs de l’association.… Quand les gens servent le royaume des cieux avec un livret de compte aux mains, je craindrais toujours qu’ils ne portent le même esprit commercial dans leurs relations avec leurs prochains, ce qui ferait de cette vie une triste et sordide affaire… Quoi qu’il en soit, il y a un article supplémentaire de portée plus heureuse. « Toutes ces indulgences », 27. Chapelet de Notre Dame du Suffrage ou des morts. 97 Robert Louis Stevenson, An Inland Voyage, « Down the Oise. Church interiors ». C’est nous qui traduisons. 56 Page de droite : 28. Notre Dame de Montligeon et les âmes du Purgatoire. Au fil des perles : la prière comptée apparaît-il, « sont applicables aux âmes du Purgatoire ». Pour l’amour de Dieu, ô vous dames de Creil, appliquez-les toutes aux âmes du purgatoire sans tarder ! Je ne peux m’empêcher de me demander, en transcrivant ces notes, si celui qui est né et élevé en protestant est apte à comprendre ces signes, et de leur rendre justice ; et je ne peux m’empêcher de répondre qu’il ne l’est pas. » Au-delà de la surprise et de la satire, Stevenson met parfaitement en évidence la vertigineuse nature de cette dévotion : le décompte, à l’aide d’un objet matériel, d’une action spirituelle (la prière) qui produit un bénéfice surnaturel, mais quantifiable. Le chapelet et les indulgences 57 Le rosaire pratique et sa théorie IV Le rosaire pratique et sa théorie 59 Le rosaire est avant tout une séquence de prières, qui consiste essentiellement en quinze fois dix Ave Maria et quinze Pater Noster. On y ajoute quantité d’autres textes, prières, oraisons, litanies, prières jaculatoires indulgenciées, qui n’ont pas de « place » sur l’objet. Celui-ci ne sert pratiquement qu’à différencier deux prières, le Pater Noster et l’Ave Maria, par l’alternance de groupes ou de perles seules, de gros et de petits grains. Par exemple, la doxologie Gloria Patri se dit à la fin de chaque dizaine, mais ne correspond à aucun endroit de l’objet. De même, le Credo se dit sur la croix alors que celle-ci n’est pas nécessaire dans la structure du rosaire même si la plupart en sont pourvus : c’est une localisation de commodité. Voici un exemple banal de l’enchaînement d’une récitation ordinaire : après avoir baisé la croix, on se signe avec le chapelet (en disant une courte prière, comme : « Par le signe de la Sainte Croix, libère-nous, Seigneur, notre Dieu. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen »). Suit une prière pour offrir ce chapelet à la Vierge et pour telle intention (la formulation de l’intention est indispensable pour bénéficier des indulgences). On dit ensuite l’Acte de contrition, puis le Gloria Patri, puis une oraison jaculatoire (du type : « Par ton Immaculée Conception, ô Souveraine Princesse, nous te demandons une grande pureté de cœur »). On dit ensuite les Ave Maria, les Pater Noster et les Gloria Patri, avec l’énoncé du mystère avant le Pater Noster. On peut finir par des oraisons à la Vierge, celle de Fatima ou bien : « Ô Souverain Sanctuaire du Verbe Éternel / Libère, ô Vierge, de l’enfer ceux qui récitent ton rosaire / Puissante Reine, conseil des mortels. / Ouvre nous, Notre Dame, le Ciel par une bonne mort. / Car tu es si puissante. » On peut offrir à nouveau ce chapelet pour diverses intentions (les malades, les pécheurs, la paix, les âmes du Purgatoire, le pape…). Il se termine par quelques oraisons jaculatoires du type : « Ô, Marie conçue sans péché, priezpour nous qui avons recours à Vous ! », puis une antienne à la Vierge (le Salve Regina par exemple), éventuellement complétée par les litanies de Lorette. C’est quelque chose de ce genre que devaient pratiquer, après dîner, les pensionnaires du couvent madrilène du Sacré-Cœur, décrit par Benito Pérez Galdós : « Ce rosaire était interminable, parce qu’après 60 Au fil des perles : la prière comptée ses Notre-Père sans fin venaient les litanies, les plaies, les mystères, les jaculatoires, les oraisons, antiennes et quatrains mystiques98. » Dans cette pratique, relevons un détail matériel étrange que nous avons déjà souligné : c’est l’absence de rôle dévolu au « tercet », à la partie qui pend en quelque sorte du collier des cent cinquante Ave Maria et porte la croix (voir pl. I.2) Pourtant, cet élément est morphologiquement si significatif que toutes les couronnes de prière possèdent par analogie avec le chapelet un tel pendant, qui exprime sa nature d’objet de dévotion et porte la médaille ou la croix. Il est bien surprenant de constater que cet élément si expressif ne rentre jamais dans le corps de la récitation proprement dite. Ces trois Ave Maria sont quelquefois vaguement rattachés aux vertus théologales. En fait, les auteurs sont unanimes sur ce point : ce pendant n’est pas nécessaire à la récitation complète d’un rosaire, il n’en fait même pas partie ! On ne s’explique pas alors sa présence constante : je ne connais pas de rosaire ou de chapelet qui en soit dépourvu. Il semble que ce soit le fossile d’un chapelet disparu, la couronne de Notre Dame qui comportait soixante-trois perles en honneur des soixantetrois années que la Vierge Marie passa sur terre. Nous la retrouverons plus loin sous l’appellation courante de chapelet de sainte Brigitte. Rosaire récité, rosaire médité Outre les indulgences qu’il permet de thésauriser, la récitation du rosaire produit bien d’autres bénéfices, évidemment au nombre de quinze qui ont été révélés par la Vierge à Alain de La Roche. Les Quinze promesses de la Sainte Vierge à saint Dominique et au bienheureux Alain de La Roche, très diffusées, ont dû contribuer au succès de cette prière par leur ampleur inespérée. Les voici en substance, d’après un feuillet imprimé à Redon en 1934 : 98 Benito Pérez Galdós, La Fontana de oro: novela histórica, Leipzig, 1872, p. 53 (c’est nous qui traduisons). « 1. À tous ceux qui réciteront dévotement mon rosaire, je promets ma protection toute spéciale et de très grandes grâces. 2. Celui qui persévérera dans la récitation de mon Rosaire recevra quelques grâces signalées. 3. Le Rosaire sera une armure très puissante contre l’enfer ; il Le rosaire pratique et sa théorie 61 détruira les vices, délivrera du péché, dissipera les hérésies. 4. le Rosaire fera fleurir les vertus et les bonnes œuvres et obtiendra aux âmes les miséricordes divines les plus abondantes ; il substituera dans les cœurs l’amour de Dieu à l’amour du monde, les élevant au désir des biens célestes et éternels ; que d’âmes se sanctifieront par ce moyen ! 5. Celui qui se confie en moi, par le Rosaire, ne périra pas. 6. Celui qui récitera pieusement mon Rosaire, en considérant ses mystères, ne sera pas accablé par le malheur. Pécheur, il se convertira ; juste, il croîtra en grâce et deviendra digne de la vie éternelle. 7. Les vrais dévots de mon Rosaire seront aidés à leur mort par les secours du Ciel. 8. Ceux qui récitent mon Rosaire trouveront, pendant leur vie et à leur mort, la lumière de Dieu, la plénitude de ses grâces et ils participeront aux mérites des Bienheureux. 9. Je délivrerai très promptement du Purgatoire les âmes dévotes à mon Rosaire. 10. Les véritables enfants de mon Rosaire jouiront d’une grande gloire dans le Ciel. 11. Ce que vous demanderez par mon Rosaire, vous l’obtiendrez. 12. Ceux qui propageront mon Rosaire seront secourus par moi dans toutes leurs nécessités. 13. J’ai obtenu de mon Fils que tous les confrères du Rosaire aient pour frères, en la vie et à la mort, les Saints du Ciel. 14. Ceux qui récitent fidèlement mon Rosaire sont tous mes fils bien-aimés, les frères et les sœurs de Jésus-Christ. 15. La dévotion à mon Rosaire est un grand signe de prédestination. » Si les bénéfices sont immenses, ils sont assujettis à la pratique de la méditation. Tout le monde s’accorde à dire, comme saint Louis-Marie Grignion de Montfort, que « le rosaire sans méditation des mystères n’est qu’un corps sans âme ». Curieusement, le premier manuel de la première confrérie fondée à Cologne en 1475 et publié l’année suivante ne prescrit que la récitation hebdomadaire sans dire mot de 62 Au fil des perles : la prière comptée la méditation. Comme nous le verrons, le rosaire dit sans méditer n’apporte aucune des indulgences attachées à cette dévotion. Nous avons constaté que la plus grande liberté était de mise avant Alain de La Roche, et même au-delà, dans la nature et l’ordre des mystères à méditer. La tradition attribua bientôt à saint Dominique un certain nombre de méthodes, dont une seule concerne les mystères ; les autres offrent d’autres thèmes de méditation : les fins dernières de l’homme, la garde des sens, la tyrannie du vice et les bénéfices de la vertu, les merveilleuses bontés de Dieu au Saint Sacrement ou les bienfaits des Trois personnes divines envers la sainte Vierge. Les quinze mystères du rosaire furent fixés dans leur forme canonique au cours du xvie siècle : c’est ainsi qu’ils sont présentés dans le Thesaurus litaniarum du jésuite Thomas Sailly, un beau livre illustré publié à Bruxelles en 1598. En voici la liste. Mystères joyeux : Annonciation, Visitation, Nativité, Présentation au Temple, Jésus parmi les docteurs. Mystères douloureux : Agonie, Flagellation, Couronnement d’épines, Portement de croix, Crucifixion. Mystères glorieux : Résurrection, Ascension, Pentecôte, Assomption, Couronnement de la Vierge. L’ouvrage fut mis à l’index en 1603 à cause des litanies composées par ce jésuite trop imaginatif. La liste des mystères posait de multiples difficultés. Leur ordre chronologique ne s’accorde pas exactement au contenu des épisodes choisis, qui ont un sens ambivalent ou complexe. C’est clairement le cas de la Présentation au Temple, mystère joyeux du rosaire mais l’une des Sept douleurs de la Vierge, tout comme Jésus enfant perdu et retrouvé. C’est toujours la solution la plus cohérente sur le plan chronologique qui l’emportera, interdisant par là l’insertion dans les mystères joyeux des épisodes de la vie publique (les Noces de Cana) ou, dans les douloureux, ceux de l’enfance (la Fuite en Égypte), malgré des tentatives : Thomas Stapleton, dans le Promptuarium catholicum publié à Louvain en 1589, incluait ce dernier épisode et celui du jeune Jésus fugueur dans les mystères douloureux. Dans cette dernière section, dévolue à la Passion, quelle place trouver pour l’institution de l’eucharistie ? On n’y réussit pas. Pendant tout le xvie siècle, la diversité des méthodes reflète ces perplexités. Les réformes Le rosaire pratique et sa théorie 63 proposées depuis Vatican II se sont confrontées aux mêmes difficultés, sans plus de succès. On en trouvera quelques échos dans le chapitre VII. Une fois réglée, même de manière insatisfaisante, la question des mystères, qu’en est-il de la méditation ? Les méthodes ne sont pas avares de conseils, qui sont d’ailleurs le plus souvent valables pour toute prière : préparation, recueillement, se mettre en présence de Dieu, dire quelques oraisons jaculatoires pour obtenir la grâce de bien prier ou au moins pour offrir ce rosaire même avec ses moments de distraction… La pratique, hier comme aujourd’hui, semblait dominée par la répétition rapide et mécanique des prières, contre laquelle prédicateurs et théologiens s’insurgent : « C’est une pitié de voir comment la plupart disent leur chapelet ou leur Rosaire. Ils le disent avec une précipitation étonnante et ils mangent même une partie des paroles », s’étonne Louis-Marie Grignion de Montfort99. L’utilisation d’une méthode semble donc indispensable. Saint François de Sales explique dans l’Introduction à la vie dévote que « le chapellet est une très-utile manière de prier, pourveu que vous le sçachiez dire comme il convient : et pour ce faire, ayez quelqu’un des petits livres qui enseignent la façon de le réciter100 ». Les auteurs anciens insistent sur la visualisation de la scène, comme si l’on y était (visualisation extérieure soutenue par les gravures dans certaines méthodes), afin de pouvoir participer sympathiquement aux sentiments de la Vierge, à sa joie ou à sa tristesse. Il faut ensuite exciter dans son âme des sentiments ou des affections en rapport avec le mystère pour enfin méditer sur une vertu à acquérir ou à cultiver ; la méditation peut se conclure par une résolution. C’est le schéma de presque toutes ces méthodes, encore explicité à l’époque contemporaine par Jean XXIII101. La seule récitation ne suffit pas, il faut y joindre un triple élément intérieur : la contemplation mystique, dans la méditation des mystères ; une réflexion intime (enseignement à tirer pour chacun) ; une intention pieuse (intention de prière). Comme tout ce qui touche au chapelet, la matière et la pensée, le geste et l’intention ne cessent d’entrer en conflit. Si la nature de la méditation est clairement définie, son emplacement pendant la 99 Montfort, 1912, rose 127. Sur la France au xviie siècle, voir Cousinié, 2017. 100 Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, seconde partie, chap. I, 7. 101 Lettre apostolique Il religioso Convegno du 29 septembre 1961. 64 29. Le Jugement dernier et la gloire de Dieu dans une sphère à accrocher à son chapelet. 102 Sainte Thérèse de Lisieux, Manuscrits autobiographiques, Lisieux, 1957, p. 281. 103 Par exemple dans le Clavis praedicandi Rosarium et Institutum Fraternitatis Eiusdem, de Johann Andreas Coppenstein, Cologne : Petri Haak, 1613 (voir Esser, 1904, p. 49). Au fil des perles : la prière comptée récitation est difficile à établir : pendant les Ave Maria, avant la dizaine ou après ? Malgré ces conseils, combien de personnes qui disent le chapelet le méditent ? Ou plutôt, la prolifération de ces méthodes ne montre-t-elle pas la grande difficulté d’y parvenir ? Certains dizains très luxueux du xvie siècle introduisent l’image du mystère dans l’objet lui-même : saynètes peintes sous le cristal de roche, fondues en or émaillé ou taillées dans le buis. Les gros grains ouvrant, produits dans les Flandres après 1500, semblent le point culminant de ces objets-images, qui sont fait pour la vue et non plus pour le toucher (ill. 29). Méditations… et distractions Sainte Thérèse de Lisieux confiait à mère Marie de Gonzague que « toute seule (j’ai honte de l’avouer) la récitation du chapelet me coûte plus que de me mettre un instrument de pénitence… Je sens que je le dis si mal ! J’ai beau m’efforcer de méditer les mystères du rosaire, je n’arrive pas à fixer mon esprit… Longtemps je me suis désolée de ce manque de dévotion car j’aime tant la Sainte Vierge qu’il devrait m’être facile de faire en son honneur des prières qui lui sont agréables. Maintenant je me désole moins, je pense que la Reine des Cieux étant ma Mère, elle doit voir ma bonne volonté et qu’elle s’en contente102 ». Elle dit ailleurs : « Quand on pense que j’ai eu tant de mal toute ma vie à dire mon chapelet ! » Elle n’était pas la seule. Les images peuvent venir à votre secours (depuis Alberto Castello jusqu’à aujourd’hui) ou des méditations « toutes prêtes » écrites exprès, ou assemblées de différents textes. Au xxe siècle, on vit à nouveau fleurir ces supports visuels, parfois dans la tradition de l’imagerie du siècle précédent, parfois dans une stylisation moderne non dénuée d’aspirations esthétiques, qui permettaient d’avoir sous les yeux de chair, si ce n’est présents aux yeux de l’esprit, ces épisodes à méditer (ill. 30 et 31). Les pays germaniques ont conservé l’usage des clausules. Dans les pays latins, les auteurs ont proposé un habile substitut : il s’agit d’insérer dans l’Ave Maria un seul mot, le plus souvent un adjectif, après « Jésus » (ou « Marie » selon les cas), ce qui évite de trop allonger la Le rosaire pratique et sa théorie 65 prière. Le père Esser a relevé un certain nombre de ces méthodes103, qui sont aussi un moyen mnémotechnique pour retenir la séquence des mystères, ce qui donne par exemple « et Jésus retrouvé, le fruit de vos entrailles, est béni » pour Jésus parmi les docteurs. Le père Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716), grand prédicateur du rosaire dans l’ouest de la France, qui n’hésitait pas à fustiger avec son chapelet les hommes qui traînaient au cabaret, fut l’auteur de plusieurs traités, dont Le Secret admirable du très saint Rosaire pour se convertir et se sauver où les chapitres sont nommés « dizaines » et les parties « roses ». La cent vingt-troisième rose décrit les difficultés rencontrées lors de la méditation, imputables au démon : « Ce qui augmente cette difficulté, c’est notre imagination, qui est si volage qu’elle n’est pas quasi un moment en repos, et la malice du démon si infatigable à nous distraire et à nous empêcher de prier. Que ne fait point ce malin esprit contre nous, tandis que nous sommes à dire notre Rosaire contre lui ? Il augmente notre langueur et notre négligence naturelles. Avant de commencer notre prière, il augmente notre ennui, nos distractions et nos accablements ; pendant que nous prions, il nous accable de tous côtés, et il nous sifflera après que nous l’aurons dit avec beaucoup de peines et de distractions : “Tu n’a rien dit qui vaille ; ton chapelet, ton Rosaire, ne vaut rien, tu ferais bien mieux de travailler et de faire tes affaires ; tu perds ton temps à réciter tant de prières vocales sans attention ; une demi-heure de méditation ou de bonne lecture vaudrait bien mieux. Demain, que tu seras moins endormi, tu prieras avec plus d’attention, remets le reste de ton Rosaire à demain.” Ainsi le diable, par ses artifices, fait souvent quitter le Rosaire tout à fait ou en partie, ou fait prendre le change ou le fait différer. » Grignion de Montfort propose aussi d’utiliser les mots-clausules pour ancrer les mystères dans les paroles qui courent sur les lèvres. Son œuvre est capitale pour la théologie du rosaire dont il mit toujours en avant la nature christique, selon ses mots : « À Jésus par Marie. » Il composa un cantique dit le Nouveau chapelet ou Couronne de la Sainte Vierge104, dont on chantait les couplets entre chaque prière et dont les paroles sont une méditation sur le mystère. Une fois le rosaire entièrement récité, le dernier couplet conclut : 30. Un opuscule raffiné des années 1930… 31. ... et un feuillet postconciliaire dans le style pauvre. 104 Montfort, 1929, p. 140-148. Cela se chante sur l’air de Nos couronnes sont faites. 66 Au fil des perles : la prière comptée Marie est couronnée Elle a dans sa main nos bouquets Et sa tête est ornée De nos chaplets. Que tout lui donne Cette Couronne Qui ne se flétrira jamais. Le rosaire pratique et sa théorie 67 entre les doigts et non l’intervalle qui la sépare de la suivante, il peut même facilement égrener les perles en arrière et se perdre. Nombre de chapelets sont de ce point de vue mal conçus et leurs grains trop serrés sont une source d’erreur. Ils offrent aux doigts la tentation constante de glisser, de plus en plus vite, dans une course haletante où la parole devient automatique. C’est l’objet qui dicte son rythme à la prière. Quand et avec qui réciter ? 32. Un plan d’orientation. 105 Léon XIII, lettre encyclique Jucunda semper, 1894. 106 Benito Pérez Galdós, La Fontana de Oro, Leipzig, 1872, p. 196-198 (c’est nous qui traduisons). Son apostolat populaire s’appuyait sur le chapelet, dont il vanta les bienfaits dans les nombreux cantiques de mission qu’il composait en parodiant des airs connus : « Ô ! Conseil salutaire ! Ô ! Excellent secret ! Pour devenir parfait Par jour dire un Rosaire. » Selon plusieurs auteurs, la combinaison de la prière répétitive et de la méditation fixe l’attention et éloigne les distractions qui naîtraient de la simple réitération. Ils insistent volontiers sur sa facilité d’usage105. Benito Pérez Galdós, dans son premier roman, La Fontana de Oro (1870), consacre un chapitre, intitulé « Rosa Mistica », à une chaotique récitation du rosaire, où les deux protagonistes, Paula et Clara, distraites par des pensées profanes, s’égarent : « Au lieu de dire un Notre Père, elle disait un Salve, et la prière s’embrouilla de telle manière qu’au bout d’un moment, elles furent perdues dans un labyrinthe sans savoir dans quelle partie du rosaire elles se trouvaient. » Paula se saisit du chapelet : « Ah, ma sœur, dit-elle vivement, vous ne savez pas prier le rosaire : donnez-le-moi. Et elle retira le chapelet des mains de Clara, le prit et commença à conter les perles si scrupuleusement qu’elle consacra dix minutes à cette opération si difficile. » Elles reprennent enfin le chapelet : « Paula dit le “Je vous salue Marie” le nombre de fois nécessaire ; mais, arrivée à l’endroit du Notre Père, elle continua à dire “Je vous salue Marie”, trente fois et avec tant de hâte qu’elle n’attendait pas que l’autre finisse son “Sainte Marie”. Clara répondait aussi très vite pour ne pas être en retard ; et donc à la fin, se pressant l’une l’autre, il en résulta que cela ressemblait à un concours de rapidité de prononciation. Elles arrivèrent à la fin hors d’haleine et très fatiguées106. » Le chapelet permet de compter mais pas de garder les comptes (ill. 32) : si celui qui récite tient, au moment où il dit la prière, la perle Les méthodes destinées aux particuliers visent à enraciner la prière du rosaire dans la vie quotidienne. La pratique la plus commune est celle des rosaires étalés sur la semaine : mystères joyeux le lundi et le mercredi, douloureux le mardi et le vendredi, glorieux le mercredi et le samedi. L’usage des Cinq premiers samedis du mois (premier samedi de cinq mois consécutifs) a été institué après les apparitions de Fatima. La Vierge a révélé le 10 décembre 1925 à sœur Lucie de Jésus comment Elle souhaitait voir dire son rosaire : après s’être confessé et avoir communié, on dit le chapelet, on médite ensuite un quart d’heure sur les mystères, dans une intention de réparation au Cœur immaculé de Marie. Récitation et méditation restent liées, mais non superposées. Hors de la liturgie, c’est l’une des seules prières collectives. Il l’est d’abord parce qu’il est formé de prières connues de tous, et en second lieu à cause de l’un de ses « défauts » : récité en entier, c’est un long exercice. Sa structure, son étendue et sa répétitivité prédisposent sa récitation à être divisée entre plusieurs personnes, ce qui permet à ceux qui n’arrivent pas à méditer de le pratiquer tout de même, sans trop d’accablement. Alternée ou dite de conserve, la récitation collective n’est pas un pis-aller : saint Alphonse de Liguori la trouve préférable à la prière solitaire, un sentiment unanime. Sainte Thérèse de Lisieux le remarquait aussi : « Je sens alors que la ferveur de mes sœurs supplée à la mienne. » La prière commune est perçue comme plus forte de la charité fraternelle, plus recueillie par l’émulation et l’édification mutuelles. Cette idée de la déficience de la prière personnelle palliée par les autres est exposée par saint Ignace de Loyola par une comparaison 107 Montfort, 1912, rose 132. 68 33. La famille et les anges prient autour d’une statue de la Vierge de Lourdes. 108 Esser, 1894, p. 329. Au fil des perles : la prière comptée avec le mauvais créancier qui fait passer les pièces douteuses dans une grosse somme. L’oraison, de peu de valeur si elle est solitaire, se revêtira de mérites des âmes vertueuses unies à elle dans la prière. Cette pieuse fraude est encore donnée en défense de la récitation collective par Grignion de Montfort un siècle plus tard107 : « Cette manière de prier est plus salutaire à l’âme : […] quand on prie en commun, les prières de chaque particulier deviennent communes à toute l’assemblée et ne font toutes ensemble qu’une même prière, en sorte que, si quelque particulier ne prie pas si bien, un autre dans l’assemblée qui prie mieux supplée à son défaut. Le fort supporte le faible, le fervent embrase le tiède, le riche enrichit le pauvre, le mauvais passe parmi le bon. Comment vendre une mesure d’ivraie ? Il ne faut pour cet effet que la mêler avec quatre ou cinq boisseaux de bon blé ; le tout est vendu. » La métaphore est bien osée, pour ne pas dire hasardeuse : séparer le bon grain de l’ivraie est l’une des paraboles de l’Évangile ! Prier ensemble n’est pas toujours facile. Le père Esser108 souligne que cet aspect collectif et populaire est quelquefois un obstacle pour certaines personnes qui sont gênées par les femmes qui parlent haut, les vieux qui traînent ou les enfants qui braillent et préconise de choisir judicieusement ceux qui annoncent les mystères, qui sont quelquefois de « vraies caricatures ». Il conseille, quand l’assistance est petite, qu’un seul entonne et que le reste réponde. Quand elle est plus nombreuse, on forme alors deux chœurs. Cette pratique, dans le cadre de la paroisse, était extrêmement fréquente ; elle subsiste ça et là. La première collectivité est la famille. La récitation familiale a été fortement stimulée depuis la fin du xix e siècle, en particulier par la création de la Croisade pour le Rosaire en famille, organisée par le cardinal Bernard Griffin (1899-1956) sous Pie XII. Il est difficile de mesurer l’étendue de cette pratique faute de sources adéquates. Rosaire en famille (l’ex-Revue du Rosaire) était le magazine conçu à cet effet. Il proposait un rosaire à méditer par semaine, à raison de deux dizaines chaque jour et trois le dimanche. De nombreuses brochures et images se font l’écho de cette pratique très encouragée dans la première moitié du siècle. Au dos de l’image éditée en 1947 (ill. 33) qui montre la famille en prière au pied d’une statue de la Vierge (c’est Le rosaire pratique et sa théorie 69 la mère qui tient les comptes sur son chapelet) figure ce petit texte qui s’ouvre ainsi : « Oh ! Le touchant spectacle qui ravit le Ciel et que les anges contemplent à genoux ! » Ce n’est donc plus l’Enfant de la crèche, ou le Saint Sacrement dans le tabernacle qu’adorent les anges, mais les hommes qui prient : « Parents et enfants, las des difficultés actuelles de la vie, écœurés par les divisions et la triste mentalité qui règnent dans notre pays, adoptez-tous cette pieuse pratique et ne l’abandonnez plus ! Par là vous travaillerez mieux que personne au relèvement de notre patrie et vous attirerez sans l’ombre d’un doute les meilleures bénédictions de la Sainte-Vierge sur votre paroisse entière et sur tous les membres de votre foyer. » Les bienfaits évoqués sont ici collectifs : ils touchent la patrie, la paroisse, la maisonnée et semblent au moins autant concerner le quotidien matériel que l’avenir spirituel. Par ailleurs, des institutions spécifiques furent créées pour promouvoir et structurer cette récitation. Il y avait eu d’abord, depuis 1475, la Confrérie du très saint Rosaire109, « milice priante ». Elle devint de plus en plus publique et laïque et fut très encouragée par Léon XIII. Ses bénéfices sociaux et sociétaux étaient alors mis en avant : le rosaire donne le goût du travail manuel et de l’obéissance dans les mystères joyeux, force et courage face aux difficultés de la vie dans les mystères douloureux et stimule la vie spirituelle par les mystères glorieux110. À la fin du xixe siècle, le rosaire était célébré d’une manière quasi liturgique. La confrérie organisait des processions, où les jeunes filles vêtues de blanc, portant des écharpes bleues, rouges, jaunes ou dorées et des boucliers imagés représentaient les différentes mystères et étaient dites les « anges du rosaire ». Chaque groupe avançait en rang par deux précédé d’un enfant qui complétait le nombre cinq. La Confrérie du très saint Rosaire ne se vit refuser aucun privilège : pour ces processions, elle était dispensée de la permission de l’évêque et de celle des curés des paroisses traversées. Le Rosaire perpétuel fut fondé à Bologne en 1629 par le père dominicain Timoteo Ricci (1579-1643) afin de prier pour la cessation d’une épidémie de peste. La prière devait être continue pour détourner le fléau. L’idée n’était pas nouvelle : l’année précédente, au siège 109 Son histoire a fait l’objet d’études spécialisées. Voir en particulier Chery, 1869a. 110 Léon XIII, lettre encyclique Magnae Dei matris, 1892. 70 34. Le Rosaire des Enfants. Au premier plan, le jouet abandonné. 111 Cette pratique est fondée sur des instructions données par la Vierge en 1888 à Fortunatina Agrelli. Le rosaire pratique et sa théorie Au fil des perles : la prière comptée de La Rochelle, les Dominicains avaient suscité des distributions et des récitations massives de chapelets ; mais cela restait surtout le fait des religieux. Ici, c’est une vaste organisation populaire. La Bussola dell’Ora perpetua del Rosario, créée par Ricci, proposait à chaque associé de tirer au sort un des huit mille sept cent soixante billets (soient toutes les heures d’une année), qui lui désignait le jour et l’heure auquel il devait dire son rosaire. Quand tous les billets étaient distribués, on avait ainsi créé un rosaire continu d’une année. Le succès fut immédiat et considérable. En France, le rosaire perpétuel fut propagé par Jean de Giffre de Rechac, auteur du Rosaire perpétuel de la Vierge Marie (1641). Tombé en désuétude, il fut rétabli au milieu du xixe siècle sous diverses formes. Pauline Jaricot (1799-1862), pour trouver une alternative au rosaire perpétuel qui était devenu l’apanage de dévotes professionnelles et des religieuses, créa le rosaire vivant. Les groupes étaient constitués de quinze membres, qui devaient dire une dizaine chacun. Les mystères changaient chaque jour. Ce système, à la portée de tous, a été très utilisé auprès des enfants (ill. 34). Le père Marie-Augustin Chardon (1830-1862) était plus ambitieux et restaura le rosaire perpétuel. Chaque associé devait dire un rosaire par mois, ce qui était beaucoup plus exigeant que l’association bolonaise. Sur un modèle militaire très apprécié des confréries, qui marque l’engagement et la discipline (on songe à la Garde d’honneur du Sacré-Cœur, aux Croisés du Saint Sacrement, à la Légion de Marie), cette « garde royale » était divisée en sections (pour chaque jour) et divisions (pour chaque mois). Ces sections et ces divisions avaient des chefs qui répartissaient les rosaires et s’assuraient que les associés remplissaient leurs devoirs. Depuis 1901, Pompéi est le plus important lieu de pèlerinage italien à Notre Dame du Rosaire. Un nouveau type de récitation y fut proposé, la « Neuvaine irrésistible », qui dure cinquante-quatre jours. On récite un chapelet (cinq dizaines) par jour, formant un rosaire complet en trois jours et trois rosaires en neuf jours. Cette neuvaine est répétée trois fois, soit vingt-sept jours. Le cycle complet est ensuite répété, en action de grâce, formant un total de cinquante-quatre jours111. Nous verrons plus loin comment neuvaine et 71 chapelet, deux types de dévotion basées sur la répétition comptée, se mêlent (voir p. 96). La Croisade du Rosaire, créée en Belgique en 1936 par le père Luc Hellemans (mort en 1970), n’aura qu’une existence éphémère. Le caractère par lui-même structuré de la pratique du rosaire, qui laisse peu de place à l’imagination et privilégie l’obéissance à un schéma préétabli sur la spontanéité, en a fait un instrument de prédilection pour l’apostolat auprès des soldats pendant les deux guerres mondiales : signalons, en 1914-1918, le rosaire des hommes, et la prière des hommes à Marie à Cambrai en 1942. Les rosaires tricolores, avec leur crucifix portant au revers l’inscription « Dieu et Patrie », sont les témoins de cet usage (ill. 17). Les Équipes du Rosaire furent fondées par le père dominicain Joseph Eyquem en 1966, pour rénover les pratiques de la piété après le concile de Vatican II. Elles s’adressent aux milieux peu pratiquants, dans l’optique de la nouvelle évangélisation qui suivit le concile. Avec les Équipes, on passe de l’armée au sport. L’engagement vise moins la quantité que la qualité : le groupe de prière se réunit à domicile et médite ensemble un seul mystère, une fois par mois. Le mot et la rose Les rosaires et leurs versions réduites, les chapelets, tentèrent d’exprimer à travers leur forme quelque chose de leur fonctionnement, prière et méditation. Cette combinaison est rappelée par le remplacement des grains intercalaires par des médailles qui portent des images ou des mots, qui viennent enrichir le sens de l’objet en en soulignant la fonction. C’est particulièrement frappant dans le cas des chapelets du Chemin de croix, des Cinq plaies ou des Sept douleurs (ill. 39, 47, 54), où les médailles sont habituellement utilisées pour offrir une image du mystère à méditer avant chaque groupe de perles. Le chapelet rappelle son mode d’emploi. Ces médailles portent aussi de courtes oraisons, qui sont ainsi éternellement répétées dans le métal : « Ô, Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ! » ou « Venez, Jésus, venez, Seigneur ! ». Parfois, il est précisé le nombre 35. Chapelet en plastique avec trois mystères inscrits sur chaque grosse perle. 72 36. Détail d’un chapelet – souvenir d’un pèlerinage à Lisieux aux grains moulés en forme de roses. (Voir pl. II.) Page de droite : 37. Chapelet aux grains en pâte de pétales de rose dans sa boîte avec le portrait de Jean-Paul II. Au fil des perles : la prière comptée de jours d’indulgences obtenus. La complexité du rosaire lui-même et de ses quinze mystères semble avoir découragé ce type d’initiative. Nous en connaissons un cas, qui semble resté expérimental : un chapelet américain a utilisé les grains intercalaires comme aide-mémoire, qui sont en forme de prisme à trois côtés et portent sur chaque face les mystères à méditer (ill. 35). Nous avons vu le riche symbolisme qui sous-tend l’étymologie des mots rosaire et chapelet. Chaque prière y est considérée comme une rose offerte. De même, chaque grain, qui est la matérialisation de la prière, par un jeu métaphorique devient une rose (pl. II). Effectivement, il peut prendre la forme d’une rose ou d’un de ses boutons. Les chapelets les plus communs du xixe siècle, aux perles de bois tourné montées sur du fer et aux pauvres croix chromées, n’offrent comme luxe que le décor tailladé des grosses perles qui stylise une rose. Ce décor peut s’étendre à toutes les perles : c’est le cas le plus fréquent des grands chapelets-souvenirs de Lourdes fabriqués dans des quantités à l’échelle du pèlerinage. (pl. IV.5) La rose est plus éloquente sur un chapelet-souvenir de Lisieux (ill. 36) et résonne avec la petite phrase de sainte Thérèse, qui accompagne souvent son image : « Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses. » Les grains sont sculptés, moulés en forme de roses, ou portent à l’intérieur, comme ce dizainier (pl. VII.1), l’image d’une rose qui fait pendant à celle de Marie. La métaphore devient olfactive quand le chapelet est imprégné d’essence de rose, aussi enivrant qu’une fervente prière. Elle est poussée dans ses dernières limites quand les roses constituent la matière des grains. Les Carmélites espagnoles, entre autres, fabriquent des chapelets dont les grains sont formés de pétales de rose pétris ensemble (ill. 37 et pl. II.4 et 6). Cette thématique florale prend des tours plus anecdotiques et plus décoratifs : les cœurs se parent de muguet et de pensées, et les croix semblent autant de collages surréalistes, où un petit Christ en relief semble cloué sur un fond de fleurs, des rinceaux rococo aux arabesques Jugendstil. Il existe aussi quelques chapelets modernes dont les grains sont autant de cœurs : l’imagerie sentimentale moderne a supplanté celle issue du Moyen Âge courtois. Le rosaire pratique et sa théorie 73 D’autres chapelets : donner une forme à la piété V D’autres chapelets : donner une forme à la piété 75 La dévotion du rosaire a reçu encouragements et approbations de la part des papes qui, depuis le xvie siècle, ne tarirent pas d’éloges à son sujet : « le salut des fidèles » (Clément VII), « l’ornement de l’Église romaine » (Jules III), « le flambeau qui dissipe les ténèbres » (Pie V), « le moyen d’apaiser la colère de Dieu » (Grégoire XIII), « la destruction du péché » (Grégoire XIV), « le trésor des grâces divines » (Paul V) et « l’accroissement du peuple chrétien » (Urbain VIII). Quant à Léon XIII, il fait ajouter aux litanies de Lorette Regina Sacratissimi Rosarii (24 décembre 1883)112. Mais parallèlement à cet apparent monopole du rosaire, qui se donne l’air d’être l’unique forme de prière répétitive reconnue, existent quantité d’autres dévotions qui adoptent le même support : les perles enfilées dans un ordre précis qui matérialisent autant de prières à dire. Certaines de ces formes sont antérieures à la mise en forme officielle du rosaire que nous avons décrite précédemment. 38. Un chapelet de sainte Brigitte réparé et transformé à plusieurs reprises. Le chapelet de sainte Brigitte C’est le cas du chapelet de sainte Brigitte que nous avons déjà évoqué. Ce chapelet possède six dizaines et ne diffère qu’en cela du chapelet ordinaire (ill. 38). L’origine en est attribuée à sainte Brigitte de Suède, fondatrice de l’ordre du Saint-Sauveur, morte en 1373. Ce n’est qu’une attribution traditionnelle car les sources mentionnant un chapelet de sainte Brigitte sont bien postérieures à la vie de la sainte et n’en précisent jamais la nature. Tous les auteurs, même dans les écrits officiels, conservent cette appellation sans se donner la peine de la justifier113. En fait, on lui attribue aussi, depuis la fin du xv e siècle, quinze oraisons sur la Passion du Christ. Ces révélations, qui ont divisé les auteurs quant à leur nature divine, ont été admises par l’Église comme toutes les révélations privées, c’est-à-dire n’engageant pas la foi. Une tradition pleine de promesses merveilleuses vint s’y greffer : ces oraisons, accompagnées d’autant de Pater Noster et d’Ave Maria, pouvaient libérer du Purgatoire quinze morts de la famille, convertir quinze pécheurs et confirmer autant de justes dans leur foi, 112 Low, 1953. 113 Boudinhon, 1903. 76 Au fil des perles : la prière comptée et encore beaucoup d’autres choses exorbitantes, qui valurent à ces opuscules un immense succès et leur condamnation par la Congrégation de l’Index en 1671114. Mais le chapelet qui lui est attribué indûment et tardivement ne suit précisément pas cette structure par quinze qui rappelle bien sûr le rosaire. Ce chapelet à six dizaines possède soixante-trois perles, nombre qui s’explique par les révélations dont fut gratifiée la sainte. La Vierge aurait vécu soixante-trois ans : quinze ans avant la naissance du Christ, trente-trois ans avec lui, et quinze ans après sa mort (nous retrouvons toujours notre quinzaine). La partie terminale, qui complète avec ses trois perles le nombre soixante-trois, semble avoir contaminé tous les autres chapelets115, jusqu’à devenir l’élément le plus significatif de ces objets. Cependant, dans la plupart d’entre eux, le rosaire en premier lieu, ce « tercet » n’est pas essentiel à la pratique ou à la symbolique des nombres. Les sept perles intercalaires, sur lesquels on dit le Pater Noster, sont en hommage aux Sept douleurs et Sept allégresses de Marie, qui font aussi l’objet de chapelets spécifiques. 114 Boudinhon, 1903 ; Thurston, 1902c, p. 189-203. 115 Vernet, 1953. 116 Chapelets de sainte Brigitte (et autres), Lyon, 1898. 117 Sainte Catherine de Bologne, morte en 1463, avait composé des prières dans cet esprit. Voir Beissel, 1910. L’histoire du débat sur l’âge de la Vierge est obscure et assez embrouillée : par exemple, les Franciscains lui prêtaient soixantedouze années de vie terrestre et lui composèrent un chapelet des Sept allégresses sur cette base, comme nous le verrons plus loin. Ce qui est le plus remarquable, c’est le passage d’un système numérique exprimant la transposition d’une prière dont on ne conserve que le rythme (une perle par psaume) à une composition purement symbolique, où le nombre a une valeur en lui-même. Ce sera le cas de la très grande majorité des couronnes de prières inventées par la suite. Le chapelet de sainte Brigitte se dit avec les mêmes prières que le rosaire116 et peut être dit sur un chapelet ordinaire. En revanche, on commence par les dizaines, laissant pour la fin les perles du pendant. Entre chaque dizaine, on dit le Credo. Il est tôt associé à la vie de la Vierge, découpée en six groupes117 : Ève rompt l’A lliance et prépare la venue de la Vierge ; sa naissance et son éducation, jusqu’à ses fiançailles ; l’A nnonciation, la Nativité et la Purification ; la vie D’autres chapelets : donner une forme à la piété 77 publique de son fils, de la fuite en Égypte à l’entrée à Jérusalem ; la Passion ; le reste de sa vie, et son Assomption. Sur les trois derniers Ave Maria, on doit méditer sur son couronnement dans le ciel. On finit par le Credo. Il connut une grande faveur par les indulgences qui y étaient attachées : en 1642, M. Olier le cite dans ses pratiques118. De fait, aucune forme particulière ne semble requise : presque tous les chapelets peuvent recevoir la bénédiction spécifique ou brigittation. Ces indulgences sont personnelles et non réelles : elles sont attachées à la personne, et pas à tel ou tel objet. Il faudrait en fait parler d’indulgence brigittine plutôt que de chapelet de sainte Brigitte. Certains ordres religieux possèdent toujours ce chapelet à six dizaines, mais le disent comme un rosaire ordinaire (la Congrégation des indulgences leur a accordé les indulgences du rosaire sur ce chapelet). Le « chapelet de sainte Brigitte » a finalement été absorbé par le rosaire et été réduit en cinq parties en 1886. Indépendamment de cette indulgence de sainte Brigitte, un chapelet de soixante-trois grains est attesté. Il est généralement nommé couronne de Notre Dame119 et est déclaré très ancien dans la bulle de 1515. Il est probable qu’il soit à l’origine de cette forme ensuite associée au nom de la sainte. De plus, une confusion s’est établie entre sainte Brigitte de Suède et sainte Brigide, ou Brigitte, vierge morte en 523, seconde patronne de l’Irlande et grande thaumaturge. Une image souvenir de l’Association du Rosaire de Candor (Oise) rappelle le pèlerinage de sainte Brigide, à laquelle est attribuée l’invention du chapelet. Cette image se contente néanmoins de proposer les quinze mystères usuels pour toute méthode, dont on voit mal l’usage sur un chapelet à six dizaines… 39. Chapelet des Sept douleurs de la Vierge. Les chapelets des douleurs et des allégresses de la Vierge La dévotion envers les Sept douleurs de la Vierge est au cœur de la spiritualité de l’ordre des Servites de Marie et un chapelet spécial (ill. 39) a été composé « en sept parties, propagé par les sept fondateurs 118 Journal de 1642, cité par Thurston, 1902 c. 119 Thurston, 1902c, p. 196. 78 40. Détail : la Descente de croix. 120 Beissel, 1910, p. 40. 121 Chapelets de sainte Brigitte, op. cit. 122 Chapelet des Sept douleurs de la sainte Vierge, 1862. 123 Beissel, 1910, p. 40. Au fil des perles : la prière comptée de cet ordre120 ». L’ordre fut fondé en 1233 par sept marchands de Florence qui abandonnèrent le monde pour la vie monastique. Ses sept parties sont elles-mêmes composées de groupes de sept et non de dizaines. Il s’inscrit, comme le précédent, dans la tradition des chapelets avec méditation sur les épisodes évangéliques ou traditionnels de la vie de la Vierge. On y récite les mêmes prières que sur le chapelet issu du rosaire, Pater Noster et Ave Maria. Les trois premiers Ave Maria du pendant, toujours un peu en hors-d’œuvre, sont consacrés globalement aux « larmes de la Vierge121 ». La différence essentielle est dans la liste des sept épisodes à méditer : la Présentation au Temple (« un glaive de douleur percera ton cœur »), la Fuite en Égypte, Jésus recherché par ses parents, le Portement de croix, la Crucifixion, la Descente de croix et la Mise au tombeau. « En récitant ce chapelet, il faut réfléchir au moins d’une manière générale sur les principales douleurs qu’a éprouvé la très-sainte Vierge122. » Sous cette forme, il a été approuvé par Benoît XIII en 1724. Les grains intercalaires sont habituellement remplacés par des médailles présentant sur la face Notre Dame des Sept douleurs, le cœur percé de sept glaives, et au verso l’une de ces sept douleurs. D’abord de laiton (ill. 40), ces médailles furent ensuite remplacées par des médailles d’aluminium. Cette substitution de médailles aux perles est déconseillée par la Sacrée Congrégation des indulgences qui les estiment « douteuses dans la pratique ». D’autres chapelets sur le même thème ont existé, avec un nombre de mystères différents et des configurations diverses, mais ont aujourd’hui disparu123. Nous en retiendrons une intéressante version, presque un rosaire, proposé par Thomas Worthington, dans son Rosarium sive Psalterium Beatae Virginis Mariae, publié à Anvers en 1600 : il s’agit de quinze Pater Noster et d’autant d’Ave Maria pour honorer les Huit joies et les Sept douleurs de Marie. Alain de La Roche avait composé un rosaire douloureux comprenant cent cinquante peines. Le chapelet des Sept douleurs se rapproche lui-même d’un fragment de rosaire puisqu’il n’a que deux mystères qui lui soient propres, la Fuite en Égypte et la Descente de croix. Sa diffusion a D’autres chapelets : donner une forme à la piété 79 suivi celle de l’ordre des Servites de Marie, ce qui explique que les chapelets proviennent surtout d’Espagne ou d’Italie. Il a été réintroduit récemment en France par une visionnaire, Marie-Claire, qui eut une apparition de la Vierge à Kibeho (Côte d’Ivoire), demandant la récitation de ce chapelet. Il faut, pour l’indulgencier, le faire bénir par le supérieur des Servites ou son délégué, en utilisant la formule prescrite. Pour jouir des indulgences, il faut dire trois chapelets au préalable, un pour l’Église, un pour le pape, un pour celui qui a béni le chapelet124, une pratique traditionnelle fréquemment attestée pour d’autres chapelets. Récité en entier, il fait gagner sept ans et sept fois quarante jours d’indulgences. Ce chapelet connut un avatar brésilien au xxe siècle sous le nom de chapelet de Notre Dame des Larmes. Divisé en sept groupes de sept perles, il est né au sein de l’Institut du sauveur crucifié à São Paolo. Les prières en furent données en 1929 par le Christ lui-même à sœur Amelia du Sauveur flagellé. La Vierge lui remit le chapelet l’année suivante. Il peut se dire sur le principe du rosaire perpétuel (trente familles se regroupent et choisissent un soir pour le réciter à la même heure). Les prières dites, toutes issues de ces révélations, sont propres à ce chapelet ; en voici un échantillon : au lieu du Pater Noster, on dit à deux chœurs : « V. Ô Jésus, regardez les larmes de celle qui vous a aimé le plus sur la terre. R. Et qui vous aime le plus au ciel. » Au lieu de l’Ave Maria on dit : « V. Ô Jésus, exaucez nos supplications. R. En vue des larmes de votre Mère. » Si la Vierge endura sept douleurs, elle connut aussi sept joies, mises en symétrie dans un sermon de saint Vincent Ferrier sur la Nativité de la Vierge. Il existe un chapelet des Sept allégresses (ill. 41 et 42), formé de sept dizaines, plus deux perles, pour obtenir le nombre de soixantedouze Ave Maria, autant que d’années de la vie de la Vierge selon une tradition franciscaine : « Aux sept dizaines, on ajouta plus tard deux Ave pour atteindre le nombre 72, en l’honneur des années que la sainte Vierge passa sur cette terre125. » Néanmoins, par contamination du chapelet ordinaire, il finit par perdre ce trait original et possède un pendant avec un groupe de trois perles encadrées de deux plus grosses. 41. Deux chapelets des Sept douleurs et deux chapelets des Sept allégresses. 124 Chapelet en l’honneur des sept principales douleurs de la sainte Vierge, Le Mans, 1855. 125 La Couronne franciscaine, ou chapelet des 7 allégresses de Marie, par un frère mineur, Monte Carlo, 1918. 80 42. Chapelet des Sept allégresses. 126 Giulio Cesare Cordoba, s.j., Ristretto della vita, virtù e miracoli del B. Simone de Roxas, Rome, 1766, cité par Beissel, 1910. 127 Couronne franciscaine, ou chapelet des Sept allégresses de la sainte Vierge, Avignon, 1857. 128 Luke Wadding, Annales Ordinis Minorum, X, ad. an. 1422 , cité dans La Couronne franciscaine…, op. cit. Au fil des perles : la prière comptée Le nombre des sept joies est aussi symbolique qu’arbitraire et a été étendu à quinze chez certains auteurs, toujours sous l’influence du rosaire. Une variante existait chez les trinitaires espagnols, dont saint Simon de Rojas semble l’instigateur126 : constitué de neuf grains blancs sur une cordelette bleue, couleurs rappelant l’Immaculée Conception, on y disait neuf Pater Noster pour honorer les neuf joies de Marie. Né à la fin du Moyen Âge dans le milieu franciscain, le chapelet des Sept allégresses (ill. 42) aurait été pratiqué dans l’ordre à partir de 1422127. Luke Wadding en rapporte l’origine légendaire128, qui s’inscrit dans le groupe des récits de miracles que nous avons cités plus haut à propos du rosaire. Il s’agit de la légende du novice qui avait coutume d’offrir des roses à Marie avant son entrée au couvent. Alors qu’il est tenté de s’enfuir, la Vierge lui apparaît et lui demande de réciter dix Ave Maria en méditant sur sept de ses joies : l’A nnonciation, la Visitation, la Nativité, l’Adoration des Mages, Jésus retrouvé parmi les docteurs, la Résurrection et l’Assomption. Lorsque le jeune Franciscain priait ainsi, un ange nouait sur un fil d’or des roses et des lys, dont il le couronnait ensuite : le chapelet des Sept allégresses était né. Une tradition franciscaine rattache au même personnage l’histoire que nous avons baptisée du voyageur et des voleurs (voir p. 33). On ne sera pas surpris de retrouver d’autres miracles du rosaire dans ce contexte, dont celui des Ave Maria qui se changent en roses sur ses lèvres, et dont les anges tressent une guirlande pour la Vierge. Ces échanges et emprunts sont à porter au dossier plus général de la rivalité entre les deux grands ordres mendiants. Cette dévotion, dont on connaît une méthode rédigée en 1503 par Fra Mariano, de Florence, a été approuvée par Léon X en 1515. Il est récité comme le chapelet ordinaire, ce que l’on peut aisément faire sans avoir besoin d’un chapelet spécial : il suffit de dire deux dizaines de plus. Ceci explique peut-être la rareté des chapelets de ce type conservés, alors que ceux des Sept douleurs, dont la forme est si spécifique, sont assez fréquents. Pour gagner les indulgences, il faut dire à la fin un Pater Noster, un Ave Maria et un Gloria Patri pour le pape. Ces trois chapelets sont dans notre histoire les fossiles de la multitude des couronnes mariales existantes au Moyen Âge qui furent D’autres chapelets : donner une forme à la piété 81 finalement synthétisées et agglomérées dans le rosaire. Mais après que celui-ci eut pris avec sa forme stable une place prééminente, d’autres couronnes de prières virent le jour, dans un vertige de symbolisme numérique inépuisable. C’est le cas d’une série de chapelets dont la prière est tournée vers le Christ, composés de trente-trois perles. Nous donnerons divers exemples des oraisons qui accompagnaient la récitation de ces couronnes, même si elles peuvent sembler fastidieuses à lire dans le contexte de ce livre : elles sont plus éloquentes sur le caractère et la spiritualité de ces dévotions que tout commentaire. Les chapelets du Christ, des Cinq plaies au Jésus de Prague Les trente-trois ans traditionnellement assignés à la vie du Christ furent une source d’inspiration pour la composition de divers chapelets, en premier lieu la couronne de Notre Seigneur (ill. 43), communément dite couronne des Camaldules et parfois chapelet des âmes du Purgatoire129. Les trente-trois grains sont répartis en un tercet et cinq groupes de six. S’y ajoutent cinq grains intercalaires qui en quelque sorte « ne comptent pas », un trait que nous avons déjà relevé et qui trahit le caractère original de ces divisions, purement rythmique et pratique, avant d’être elles-mêmes dotées de prières comme les autres grains. Ce chapelet tire son nom de son origine miraculeuse : vers 1506, le bienheureux Michele Pini disait son chapelet et entendit un appel du Christ : « Michel, souviens-toi de moi. » Il lui demanda d’établir un chapelet consacré à ses trente-trois années passées parmi les hommes. Ce religieux florentin appartenait à l’ordre des Camaldules, une branche des bénédictins. Les moines fabriquèrent alors des chapelets avec le bois des sapins qui abondent sur la montagne de Camaldoli, près de Florence. Il est reconnu et indulgencié dès 1516 par Léon X. Une méthode de la fin du xixe siècle conserve encore la trace de cette origine géographique130 : elle préconise que les perles soient plutôt en bois de sapin. Elle ajoute qu’elles doivent être montées sur une chaîne plutôt que sur un cordon, pour ne pas être perdues quand le chapelet se brise et éviter qu’ils ne soient « profanés comme 43. Couronne de Notre Seigneur. 129 Ravier, 1851, p. 326-332. 130 Couronne de Notre Seigneur Jésus-Christ dite chapelet des âmes du Purgatoire, Toulouse, 1879. 82 131 Annonciation, Nativité, Adoration des anges, Adoration des bergers, Circoncision, Adoration des Mages, Présentation au Temple, Fuite en Égypte, Retour à Nazareth, Jésus parmi les docteurs, Jésus obéissant à Nazareth, Baptême, Jeûne au désert, Enseignement, Appel des disciples, Les Noces de Cana, Jésus guérit les malades, Jésus convertit les pécheurs, Transfiguration, Entrée à Jérusalem, Adieux de Jésus à sa mère, Lavement des pieds, Institution de l’Eucharistie, Agonie, Arrestation, Jugement, Reniement de saint Pierre, Flagellation, Couronnement d’épines, Montée au calvaire, Crucifiement, Jésus ressuscité apparaît à sa mère, Il apparaît aux trois Marie, Il apparaît aux disciples et à saint Thomas, Ascension. 132 Chapelets de Notre Seigneur et de la Sainte Vierge, trad. abbé de Lachaise, Paris, 1840. 133 Chapelets de Notre Seigneur Jésus-Christ, Clermont, 1860. 134 Chapelets de Notre Seigneur Jésus-Christ, Angers, 1838. 135 Couronne de Notre Seigneur Jésus-Christ dite chapelet des âmes du Purgatoire, op. cit. 136 In quindecim mysteria sacri Rosarii Deiparae virginis Mariae exercitationes, Anvers, Henricum Aertssium, 1622. 137 Chapelet du Précieux Sang de Jésus, Marseille, 1858. Au fil des perles : la prière comptée il n’arrive que trop souvent », un problème récurrent de la fabrication et de l’usage des chapelets (voir p. 50, 140). Malgré l’injonction du Christ, ce chapelet tend à ressembler au rosaire à l’exception de sa configuration particulière. On y dit le Credo, l’Ave Maria et le Pater Noster, mais de manière inverse : les Ave Maria sont sur les grains intercalaires, ce qui forme un ensemble de trente-trois Pater Noster. On y médite les mystères de la vie du Christ distribués en autant d’épisodes131. Il existe une autre version consacrée exclusivement à la Passion. Une méthode propose des mystères équivalents, un par prière, mais développés sur cinq dizaines pour s’adapter au chapelet ordinaire132. Une variante de cette couronne est distribuée en trois dizaines et trois perles133 ce qui forme quatre parties : vie cachée, vie publique, passion, résurrection. Si l’on n’a pas le temps ou la dévotion, on peut embrasser trente-trois fois son chapelet, puis cinq fois le crucifix134. Si l’on est légitimement empêché d’entendre la Sainte Messe un jour d’obligation, mais que l’on porte ce chapelet, un Pater Noster et un Ave Maria y font participer. « Les indulgences et privilèges sont inhérents à l’usage de le porter avec soi, en esprit de dévotion135. » Les méthodes abondent à partir du pontificat de Grégoire XVI, ancien Camaldule, mais le chapelet est très rare, ce que les brochures déplorent constamment, une rareté probablement accentuée par l’absence de Camaldules en France au xixe siècle. Le père Bourgeois a proposé en 1622136 de le combiner au chapelet dit de sainte Brigitte : les soixante-trois ans de la Vierge et les trentetrois du Christ pouvaient ainsi être médités sur un chapelet à neuf dizaines. Cette simplification compliquée n’eut pas de suite. Outre la couronne des Camaldules, il existe deux autres chapelets de trente-trois perles, celui du Précieux Sang (ill. 44 et 45) et celui du Sacré-Cœur de Jésus (ill. 46). Le chapelet du Précieux Sang ne se distingue du précédent dans sa forme que par une légère variante : les cinq groupes de six perles sont remplacés par six groupes de cinq, formant avec le pendant le nombre symbolique des « trente-trois ans pendant lesquelles le Sang précieux de Jésus resta enfermé dans Ses veines137 ». Il se divise ainsi en sept parties en l’honneur des sept effusions de sang du Christ, D’autres chapelets : donner une forme à la piété 83 qui constituent les sept mystères à méditer (Circoncision, Agonie, Flagellation, Couronnement d’épines, Portement de croix, Crucifiement, Percement du côté). La dévotion au Précieux Sang et aux sept effusions était diffusée depuis longtemps par diverses confréries à Paris et à Rome138 mais un chapelet spécifique ne semble avoir vu le jour qu’en 1809, à l’instigation de Monseigneur Francesco Albertinelli, fondateur des Missionnaires du Précieux Sang (1770-1819). Il fut approuvé par Pie VII en 1815. Il est directement inspiré de la Couronne de Notre Seigneur et forme, lui aussi, une suite de trente-trois Pater Noster scandée d’Ave Maria et de Gloria Patri. Une oraison jaculatoire s’y ajoute : « Seigneur, secourez-nous, nous vous en prions, vos serviteurs que vous avez rachetés de votre précieux sang », et quantité d’autres textes sont proposés139. La dernière couronne de trente-trois perles est le chapelet du Sacré-Cœur de Jésus (ill. 46), dont les perles sont disposées en dizaines plus un tercet. Les cinq grains intercalaires représentent les Cinq plaies. Il fut créé presque à la même date que le précédent, en 1815 et également rapidement approuvé par Pie VII. Il est très semblable au chapelet de l’A mour de Jésus, formé de trente-quatre perles (car il compte aussi l’année de la grossesse de la Vierge), imaginé par saint Jean Eudes (1601-1680) et qui n’était constitué que d’oraisons jaculatoires. On dit au début : « Venez, Esprit Saint, emplissez le cœur de vos fidèles et allumez en eux le feu de votre amour », puis sur les petits grains : « Je Vous aime, Ô très aimable Jésus, je Vous aime ô Bonté infinie, je Vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme, de toutes mes forces et je veux vous aimer toujours et de plus en plus », et sur les grains intercalaires : « Feu qui êtes toujours brûlant et ne vous éteignez jamais, Ô Amour toujours fervent qui ne vous refroidissez jamais, venez, enflammez-moi, embrasez-moi tout entier afin que je sois tout feu et tout amour pour Vous. » Mais ce chapelet de l’Amour de Jésus pouvait se dire sur n’importe quel instrument de comptage : c’est la prière qui le caractérise, pas le rythme des perles. Comme son prédécesseur du xviie siècle, le chapelet du Sacré-Cœur se distingue par ses « élévations », des prières mystiques dont nous donnons ci-dessous un exemple. Chacune de ces élévations est accompagnée d’un Pater Noster et de cinq Gloria Patri140. 44-45. Deux chapelets du Précieux Sang. 138 Ravier, 1851, p. 335-336. 139 Ravier, 1851, p. 339. 140 Ravier, 1851, p. 342-344. 84 46. Chapelet du SacréCœur. Le nombre des trente-trois perles est rendu visible grâce au remplacement des grains intercalaires par des médailles. 141 Elle figure dans l’opuscule de la Couronne de saint Joseph, Poitiers, 1862. 142 Citée par Gallifet, 1743, p. 200-203. 143 Beissel, 1910, p. 45. Au fil des perles : la prière comptée Sur la médaille ou la croix, on dit : « Cœur de Jésus, sanctifie-moi ! Corps du Christ, sauve-moi ! Sang du Christ, enivre-moi ! Eau du côté du Christ, lave-moi ! » On ajoute : « Ô bon Jésus, exaucez-moi, cachez-moi dans vos plaies, ne permettez pas que je sois séparé de vous ; défendez-moi de la malice de mon ennemi ; appelez-moi à l’heure de ma mort et ordonnez-moi de venir à vous, afin que je vous loue avec vos saints, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. » Sur les grains : « Doux Cœur de Jésus, soyez mon amour » ; et sur les grains intercalaires : « Doux Cœur de Marie, soyez mon salut. » Une variante propose141 de dire sur les grains : « Je vous adore, ô sacré Cœur de Jésus ; embrasez mon cœur du divin amour dont vous brûlez », et sur les grains intercalaires : « Nous vous adorons, Ô Jésus, triste jusqu’à la mort dans le jardin des Olives, et maintenant encore méprisé des impies dans la Sainte Eucharistie ; car vous êtes seul saint, seul Seigneur, seul grand, Ô Jésus ! » On imagine facilement les possibilités infinies de prolifération de textes de ce type. Nous avons indiqué qu’il fut imaginé en 1815, mais il faut préciser que toutes les dates supposées ou réelles de création de chapelet sont par nature fausses car il existe presque toujours quelque traité antérieur qui proposait une dévotion du même type. Un chapelet du Sacré-Cœur est décrit par le père jésuite Gallifet en 1733142. Les Jésuites furent les plus ardents propagateurs de cette dévotion alors assez nouvelle et Gallifet en fut un des pionniers. Il décrit un chapelet à cinq grosses perles pour les Cinq plaies et trente-trois pour l’âge du Christ. Toutes les prières qui y sont dites sont des oraisons au Sacré-Cœur. En pendant existe un chapelet du Cœur de Marie, aussi composé de trente-trois perles, mais avec sept grosses perles pour les Sept douleurs. Pour donner un exemple de ces textes, sur les petits grains du premier, on dit : « Sacré-Cœur de Jésus je vous adore : embrasez mon cœur du divin amour dont vous brûlez », et sur le second : « Cœur immaculée de Marie, embrasez mon cœur de l’amour de Jésus dont vous brûlez. » Un autre chapelet du Christ est né d’une ancienne méditation franciscaine sur ses Cinq plaies : les deux mains, les deux pieds et le cœur (ill. 47 et 48). Une dévotion de ce type fut approuvée par Léon X en 1517143. Cette méditation est à l’origine d’un chapelet des D’autres chapelets : donner une forme à la piété 85 Cinq plaies, dit aussi de la Divine Miséricorde, de la Passion144 ou de la Croix, renouvelé par Paolo Luigi Pighi, supérieur de l’ordre des Passionistes entre 1820 et 1827. Il semble que la forme que nous connaissons soit celle approuvée par Pie VII en 1822 et pour laquelle le pape Léon XII accorda des indulgences en 1823145. Cette dévotion aurait été réclamée à nouveau par la Vierge le 2 octobre 1942146. Il est formé de cinq groupes de cinq perles, séparées par des médailles montrant les plaies (ill. 47 et 48). En général, une médaille à l’extrémité montre les Cinq plaies ensemble. Outre sa forme très spécifique, il se distingue, comme les autres chapelets christiques, par des prières composées exprès, qui ne sont pas le Pater Noster et l’Ave Maria. Le texte qui semble en usage provient en partie des révélations faites par Notre Seigneur à une visitandine de Chambéry, sœur Marthe Chambon (1841-1907), grande dévote des Saintes plaies : « Ô, Jésus, Divin Rédempteur, soyez miséricordieux pour nous et pour le monde entier – Amen. Dieu saint, Dieu fort, Dieu immortel, ayez pitié de nous et de tout le monde – Amen. Grâce, Miséricorde Ô mon Jésus pendant les dangers présents, couvrez-nous de votre sang précieux – Amen. Père éternel, faites nous miséricorde par le Sang de JésusChrist, votre Fils unique, faites miséricorde, nous vous en conjurons ! – Amen, amen, amen. » On dit sur les grains intercalaires : « Père éternel, je vous offre les plaies de Notre Seigneur Jésus Christ pour guérir les plaies de nos âmes. » Cette invocation est répétée trois fois à la fin de la récitation du chapelet. Sur les petits grains, on dit : « Mon Jésus, pardon et miséricorde par le mérite de vos Saintes Plaies. » Ces invocations peuvent se dire sur un chapelet ordinaire. D’autres méthodes le simplifiaient complètement en n’y disant que les prières habituelles des chapelets, le Pater Noster, l’Ave Maria, le Gloria Patri147. Une méthode publiée à Avignon en 1861148 proposait ceci : dire sur la croix ou la médaille : Pater Noster, Ave Maria. Sur les grains intercalaires qui sont des médailles, la prière « que N.S. lui-même a enseigné à saint Gertrude : « Jésus au cœur du monde, exaucez-moi, vous à qui rien n’est impossible, sinon de ne pas avoir compassion des misérables. Ainsi soit-il. » Sur les grains : « Mon Jésus, miséricorde ! » La structure des oraisons avec répons, explicitement indiquées par un 47-48. Chapelet des Cinq plaies et détails de la main droite. 144 Celui-ci se dit toutefois sur un chapelet ordinaire : voir Le chapelet de la Passion, Charmes, 1863. 145 Ravier, 1851, p. 333 ; Womack, 1951. 146 Renseignement tiré d’un feuillet anonyme non daté et sans autre précision. 147 Ravier, 1851, p. 333-334. 148 Chapelet de la Divine Miséricorde pour les besoins présents de l’Église, Avignon, 1861. 86 49. Trois chapelets de l’Enfant Jésus de Prague. 149 Le Chapelet de la Croix, Paris, 1856 Au fil des perles : la prière comptée « R », suggère une pratique collective, ce qui est rare dans ce type de document, d’abord conçu pour la prière individuelle. Une autre méthode invite à localiser ces plaies sur son propre corps, qui sert ainsi directement de support à la dévotion, de manière plus éloquente que les petites images frappées sur les médailles. Elle permet de rappeler surtout « que ce corps est le vrai coupable149 ». Ainsi, aux trois gros grains correspondent le front, l’estomac et le cœur. L’auteur nous rassure tout de même en disant « qu’on peut remplacer par d’autres » ces oraisons anatomico-doloristes. Les méthodes ou les feuillets précisent qu’il peut lui aussi se dire sur un chapelet ordinaire. La pratique, comme on le constatera souvent, ignore le symbolisme un peu tortueux de ces couronnes « spécialisées » et privilégie l’outil de comput de base, c’est-à-dire le chapelet ordinaire à cinq dizaines. Pour être indulgencié, le chapelet des Cinq plaies ou son substitut doit être béni par le Très Révérend Père de la Congrégation des Passionistes ou ses délégués. Enfin, deux autres couronnes particulières célèbrent deux autres aspects de l’incarnation du Christ : la petite couronne du Jésus de Prague et le chapelet du Saint-Sacrement. Tous deux nés dans le contexte de la Contre-Réforme, ils en sont emblématiques : l’un est associé à une statue miraculeuse, l’autre à la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. La petite couronne de l’Enfant Jésus de Prague (ill. 49) compte douze perles, pour les années de l’Enfance, et un tercet qui représente les trois membres de la Sainte Famille. Il se termine par une médaille représentant la statuette miraculeuse de l’Enfant Jésus conservée dans l’église des Carmélites à Prague. Cette image de cire vêtue a été offerte par la comtesse Polyxena Lobkowicz au moment de son veuvage en 1628. L’église des Carmes fut rebaptisée Notre-Dame de la Victoire (comme son homologue romaine) après la victoire de la Montagne blanche en 1620 contre les protestants et la princesse Lobkowicz offrit cette statuette, qu’elle tenait de sa mère Maria Manrique de Lara, à la mémoire de son époux qui avait péri dans cette bataille. Une tradition voulait qu’elle ait été confectionnée à la demande du Christ et ait appartenu à sainte Thérèse d’Avila. La statuette, très vénérée, accomplit de nombreux miracles. D’autres chapelets : donner une forme à la piété 87 Son image vint donc se greffer sur une dévotion née au même moment de l’inspiration d’une Carmélite de Beaune, la vénérable sœur Marguerite du Saint Sacrement, très dévote de l’Enfant Jésus (1619-1648). Cette religieuse, presque naine, retomba en enfance par empathie avec le Christ à la crèche dont elle devint l’épouse mystique. Elle s’associa par la prière au salut politique de la nation : le Christ avait promis en 1635 à la religieuse la naissance du dauphin tant attendu, le futur Roi-Soleil. Grâce à une statuette habillée de l’enfant Jésus, elle arrêta par la prière les Espagnols prêts à envahir la Bourgogne. Il est remarquable de voir associés des traits de la mystique féminine conventuelle d’A ncien Régime à ces aspects de salut politique qui marqueront la prière publique du rosaire et du Sacré-Cœur au xixe siècle. C’est par analogie (et dans l’oubli) de ce « poupon de Beaune » que l’on mit le bien plus célèbre Jésus de Prague sur la médaille, sur laquelle on dit : « Saint Enfant Jésus, bénissez nous » ou « Adorable Trinité, nous vous offrons toutes les adorations du Cœur du Saint Enfant Jésus ». On récite ensuite simplement trois Pater Noster puis douze Ave Maria, sur lesquels on peut méditer douze mystères de l’enfance150. Cette dévotion si caractéristique du xviie siècle ne se développa publiquement que tardivement : la petite couronne n’apparaît pas dans les ouvrages qui traitent de ces dévotions avant l’extrême fin du xixe siècle. Si la Contre-Réforme a aimé les images, elle a aussi placé le Saint-Sacrement au centre de la vie des catholiques. Christophe d’Authier de Sisgau, évêque de Bethléem (1609-1667) et fondateur de l’Institut des prêtres du Saint-Sacrement, a institué un nouveau chapelet : pour honorer la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, on dit autant de prières qu’il y a d’années depuis l’instauration de ce sacrement151. Il forme ainsi une sorte de pendant aux autres chapelets christiques, qui rappelaient le nombre des années de la présence du Christ-homme sur la Terre : ici, ce sont les années de présence dans les tabernacles sous la forme du pain consacré. La symétrie entre l’incarnation et l’eucharistie est soulignée par la prière elle-même, qui est celle de l’A nnonciation, l’Ave Maria. L’instrument pour compter les années est composé de cinq dizaines et 150 Annonciation, Visitation, Nativité, Adoration des bergers, Circoncision, Adoration des mages Présentation au Temple, Fuite en Égypte, Séjour en Egypte, Retour d’Égypte, La vie cachée à Nazareth, Jésus parmi les docteurs. 151 Jacquemet, 1949, p. 931. Méthode reliée avec l’histoire de sa vie : voir Borely, 1703. 88 50. Chapelet du Saint-Sacrement. Au fil des perles : la prière comptée d’un pendant formé aussi d’une dizaine (ill. 50). Il ne comporte donc que des petits grains, les grains intercalaires ayant une simple fonction de comput, sur lequel on place des oraisons jaculatoires, dont voici un exemple postérieur : « Je vous adore, ô mon seigneur Jésus Christ, au Très Saint Sacrement de l’autel, du plus profond de mon cœur, avec tout le respect, toute l’humilité, tout l’amour qu’ont pour vous les anges et les saints. Ô mon bon Jésus, notre cher Sauveur, pardonnez-nous nos péchés, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il152. » Il est assez compliqué à réciter, puisque l’on doit répartir dans le mois ce nombre qui change tous les ans en trente portions égales pour chaque jour. On peut répartir le reste sur quatre jeudis (si c’est divisible par quatre) ou à la fin du chapelet. Dire ce chapelet n’est donc pas le résultat de la combinaison de prières avec le déroulement matériel d’un objet entre les doigts, puisqu’il faut passer et repasser ces perles enfilées avant d’avoir dit un seul chapelet du Saint-Sacrement. Il doit en plus tenir compte de la date mobile du jeudi saint, du mois de février, etc., ce qui nécessite l’établissement de tables comme pour les phases de la lune ou les marées153. Nicolas Borely, en 1703, en fournissant ces tables, souhaitait contrer l’une des difficultés opposées à cette dévotion. L’autre étant que « si le monde dure encore plusieurs millions d’années, il est à craindre qu’un jour ne sufira pas pour en reciter une trentième portion […] on n’aura qu’à prolonger le terme de ce Chapelet pour en rendre l’usage tres-aisé & facile ; il faudra au lieu de 30. jours qu’on met pour l’achever, en mettre 60. ou 90. Ou 120. ou plus si l’on veut. […] à dix dizaines par jour il devroit durer 36 533 ans154 ». Il est facile d’imaginer que ce chapelet est extrêmement rare, non seulement parce que la dévotion est compliquée, mais parce que l’on peut aussi faire toute cette comptabilité presque scientifique sur n’importe quel autre chapelet. Saint Michel et saint Joseph 152 Chapelet du Saint Sacrement, Nantes (avant 1848). 153 Borely, 1703, p. xiii-xxii. 154 Borely, 1703, p. x. Tout aussi caractéristique de la piété d’A ncien Régime favorisée par la Contre-Réforme est la dévotion aux anges. La couronne angélique, D’autres chapelets : donner une forme à la piété 89 qui en est l’une des manifestations, fut révélée en 1751 par saint Michel qui apparut à une Carmélite portugaise, Antonia d’Astonac. Cette origine miraculeuse est scrupuleusement répétée depuis le xixe siècle dans tous les textes relatifs à ce chapelet angélique. Pourtant on n’a trouvé nulle part, malgré de multiples recherches, traces de cette carmélite, ni de quelque autre source qui ferait état de son existence ou de cette vision. Parfois, elle est religieuse à « Astonaco au Portugal », bien qu’il n’existe aucune localité de ce nom. D’autres fois, elle est italienne. Voici ce qu’on nous dit dans l’une des plus anciennes publications que nous avons consultées (1859) : « D’après une pieuse tradition, l’A rchange Gabriel déclara à une personne religieuse qu’il verrait avec plaisir mettre en usage la prière suivante […] Puis il arriva qu’une Carmélite du monastère de Vetralla, au diocèse de Viterbe, morte en odeur de sainteté l’an 1751, fit ses délices de cette forme de prière, appelée vulgairement Chapelet angélique155. » Dans cette version, la carmélite n’est plus la voyante, et la date de la révélation est celle de sa mort… Nous l’avons déjà souligné : il est courant que les dévotions naissent de manière miraculeuse, à la suite d’une vision, mais il est exceptionnel que la voyante, qui a un nom et qui vécut à l’époque moderne, soit ici une figure légendaire dont on n’arrive pas à cerner la réalité historique. Le chapelet ou couronne angélique, en revanche, existe bel et bien (ill. 51). Il est composé sur un rythme ternaire, neuf fois trois perles, en honneur des neuf chœurs des anges, à savoir les séraphins, les chérubins, les trônes, les dominations, les vertus, les puissances, les principautés, les anges et les archanges. Son pendant de quatre perles, qui s’achève par une médaille représentant saint Michel, est destiné à l’honorer avec saint Raphaël, saint Gabriel et l’Ange gardien. Les prières sont celles de l’Église, les Pater Noster sur les gros grains et les Ave Maria sur les petits. On ajoute, pour chaque groupe, une salutation pour l’un des chœurs des anges, par exemple pour les séraphins : « Par l’intercession de saint Michel et du Chœur céleste des Séraphins, que le Seigneur nous fasse la grâce d’abandonner le péché et de progresser dans l’amour de Dieu. » Ou pour les anges : « Par l’intercession de saint Michel et du Chœur céleste de tous 51. Deux couronnes angéliques. 155 Tollenaere, 1859. p. 203. 90 52. La Couronne de saint Joseph. 156 Ibid., p. 204. 157 Couronne de saint Joseph, Poitiers, 1862. 158 Ibid. Au fil des perles : la prière comptée les Anges, que le Seigneur daigne nous accorder d’être gardés par eux pendant cette vie pour être conduits ensuite avec eux à la gloire éternelle du ciel. » Pie IX octroya des indulgences à ce chapelet en 1851 qui doit être béni par le confesseur pro tempore du monastère de Vetralla156 (ou un prêtre habilité) et tant pis si à Vetralla il n’y a pas trace d’A ntonia d’Astonac ! Le xviiie siècle a mis à l’honneur la figure de saint Joseph : la dévotion au père nourricier, qui a des racines plus anciennes, en particulier chez sainte Thérèse d’Avila, se développa avec celle de la Sainte Enfance (ill. 52). Un chapelet lui est consacré, qui comporte trente grains en l’honneur des trente années que saint Joseph a passé avec Jésus et Marie157 (on imagine en effet qu’il mourut juste avant la vie publique du Christ). Saint Joseph, qui trépassa entouré du Christ et de la Vierge, est devenu le patron de la « Bonne mort » et est invoqué souvent à ce titre. On dit sur ce chapelet des Pater Noster sur le pendant, des Ave Maria sur les petits grains. Les oraisons particulières sont réservées aux grains intercalaires : « Jésus, Marie, Joseph, je vous donne mon cœur, mon esprit et ma vie. Jésus, Marie, Joseph, assistez-moi dans ma dernière agonie. Jésus, Marie, Joseph, faites que je meure paisiblement en votre sainte compagnie. » On termine par le Memorare de saint Joseph : « Souvenez-vous, ô très chaste époux de la Vierge Marie, ô mon aimable protecteur, saint Joseph, qu’on n’a jamais entendu dire que quelqu’un ait invoqué votre protection et demandé votre secours sans avoir été consolé. Animé d’une pareille confiance, je viens à vous et me recommande à vous de toute la ferveur de mon âme. Ah ! Ne rejetez pas ma prière, ô saint Joseph, mais daignez l’accueillir avec bonté. » Le même feuillet introduit une variante assez amusante158. Outre les oraisons qui sont différentes, on propose de remplacer l’Ave Maria par une paraphrase de cette prière composée ad hoc : « Je vous salue, Joseph, homme juste, Époux de Marie de laquelle est né Jésus. Saint Joseph, père de Jésus-Christ, priez pour nous pauvres pécheurs maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il. » D’autres chapelets : donner une forme à la piété 91 Comme tous ces chapelets, il n’est que l’une des formes que peut prendre une dévotion, avec la neuvaine, les offices, les pèlerinages, etc. Pour saint Joseph, par exemple, il existe un cordon à porter sur soi, qui est garni de sept nœuds pour « les sept joies ou les sept allégresses du saint Patriarche159 » et qui est aussi enrichi d’indulgences. 159 Le cordon de Saint Joseph, Valence, 1937. Le VI Le xix e siècle : le siècle du chapelet XIX e siècle : le siècle du chapelet 93 Toujours des nouveautés ! La multiplication des dévotions et des confréries au xixe siècle engendra une multitude de nouveaux chapelets, même si beaucoup peuvent se dire sur le chapelet ordinaire. Le père Esser rapporte qu’un curé du diocèse de Münster publia en 1877 à Donauworth un ouvrage qui recense soixante-cinq formes de chapelet (dont quarante ne sont que des modifications du rosaire) ; et Esser d’ajouter : « Il arrive fréquemment que de pieux fidèles ont jusqu’à quatre, cinq chapelets et même plus dans leur poche160. » Le xixe siècle verra une prolifération de nouveaux chapelets spécialisés, en particulier voués à des saints, pour satisfaire une véritable gourmandise du public pour toutes ces nouveautés. Gustave Flaubert se moque de cet appétit chez Emma Bovary qui découvre les plaisirs de la dévotion161 : « Elle voulut devenir une sainte. Elle acheta des chapelets, elle porta des amulettes ; elle souhaitait avoir dans sa chambre, au chevet de sa couche, un reliquaire enchâssé d’émeraudes, pour le baiser tous les soirs. […] Le libraire, avec autant d’indifférence que s’il eût expédié de la quincaillerie à des nègres, vous emballa pêle-mêle tout ce qui avait cours pour lors dans le négoce des livres pieux. C’étaient de petits manuels par demandes et par réponses, des pamphlets d’un ton rogue dans la manière de M. de Maistre, et des espèces de romans à cartonnage rose et à style douceâtre, fabriqués par des séminaristes troubadours ou des bas bleus repenties. » Nous reconnaissons là tout ce qui fleurit dans les boutiques d’objets de dévotion, dont ces innombrables brochures à partir desquelles les pratiques de ces chapelets peuvent être reconstituées. Voici quelques exemples de ces nouveautés. Nous verrons celles consacrées à la Vierge plus loin. La couronne des martyrs du Japon fut composée à l’occasion de la canonisation, le 8 juin 1862, de vingt-six religieux crucifiés à Nagasaki en 1597. Ils avaient été béatifiés par Urbain VIII, mais ne furent canonisés que sous Pie IX, dans un moment d’intense expansion missionnaire en Asie. L’événement eut un énorme retentissement si l’on en juge par la quantité d’ouvrages de toutes sortes qui furent alors publiés. La couronne des martyrs japonais en est une autre conséquence ; elle est semblable au chapelet ordinaire, 160 Esser, 1894, p. 184 161 Gustave Flaubert, Madame Bovary, XIV. 94 53. Chapelet de sainte Philomène. 162 Jean Collomb, Les derniers temps ? Nous y sommes !, Versailles, 2009, p. 166-170. Au fil des perles : la prière comptée mais ne comprend que deux dizaines. Le tercet et le grain intercalaire s’y ajoutent pour former le nombre 26. Après avoir récité sur la croix les actes de foi, d’espérance et de charité, on dit sur les gros grains : « Père éternel, je vous offre le sang très-précieux de JésusChrist en expiation de mes péchés et pour les besoins de la sainte Église », et sur les petits : « Doux Cœur de Marie, soyez mon salut ! Mon Jésus, miséricorde ! » Ce chapelet est en lui-même un condensé des ambitions de la piété du temps. D’abord par les oraisons, centrées sur la réparation par le sang versé et le cœur de Marie. Ensuite par les sept demandes d’intercession que l’on adresse au martyrs : l’exaltation de l’Église, la conservation de la foi dans les pays catholiques, la propagation de l’Évangile, le retour à l’Église romaine des hérétiques et schismatiques, la conversion de tous les pécheurs de l’univers, le salut des quatre-vingt mille âmes qui paraissent devant Dieu chaque jour et la délivrance des âmes du purgatoire. Le récit de l’apparition de Pontmain en 1871 (voir ci-dessous) témoigne de la popularité de la couronne des martyrs japonais, qui fut cependant éphémère. L’imagination numérique, solidement ancrée dans une certaine forme de pensée ésotérique, chrétienne ou pas, n’est jamais oisive. Ainsi, par de savants calculs mettant en parallèle l’apparition de la Vierge en 1871 et les martyrs japonais, un auteur a récemment démontré comment la bombe de Nagasaki s’inscrit dans un dessein global où la Vierge joue un rôle capital162. La découverte (on n’ose dire l’invention) de sainte Philomène est bien connue : il s’agit d’un corps exhumé en 1802 des catacombes de Rome, cet inépuisable réservoir de reliques. La nouvelle sainte fit tout de suite l’objet d’un culte fervent, suite à divers miracles et visions, en particulier celle d’une religieuse de Naples, en 1833, qui nous révéla que Philomène avait été martyrisée sous Dioclétien à l’âge de treize ans. Le petit chapelet composé pour honorer la sainte (ill. 53) est composé d’un pendant de trois perles, pour la Trinité, et des treize perles de la courte vie de la martyre. Sur les premiers, on dit le Pater Noster et sur les autres : « Je vous salue, sainte Philomène, mon auguste patronne, soyez mon avocate auprès de votre divin Époux, je vous prie d’intercéder pour moi maintenant et à l’heure de ma mort. Fille Le XIX e siècle : le siècle du chapelet 95 chérie de Jésus et de Marie, sainte Philomène, priez pour nous qui avons recours à vous. Ainsi soit-il163. » Jean-Marie Vianney, le saint curé d’A rs, avait une très grande dévotion pour la sainte, dont l’existence fut mise en doute dès la fin du xixe siècle, y compris dans les milieux catholiques. Le Saint-Siège retira son nom des calendriers liturgiques en 1961. Malgré cela, la dévotion existe toujours et le chapelet est en vente. Certains de ces nouveaux chapelets proposés à l’immense marché de la piété au xixe siècle sont la transformation de dévotions anciennes qui existaient sous d’autres formes : c’est le cas du Chemin de croix ou des neuvaines de prières faites à certains saints très populaires, comme saint Antoine de Padoue. Le chapelet du Chemin de croix (ill. 54) est né dans le contexte de l’A rchiconfrérie de la Sainte Agonie de Notre Seigneur Jésus-Christ, fondée par le père Antonio Ippolito Nicolle en décembre 1861. Son but était de consoler le Christ et le pape, le premier pour les péchés du monde et le second parce qu’il était devenu un objet de haine. Luisa Borgiotti (1802-1873), entrée en 1834 dans la Compagnia delle Umiliate de Turin, consacrée aux soins aux malades, avait eu la révélation de ce chapelet au cours des prières qu’elle faisait dans leur chapelle. Le 4 avril 1906, le chapelet obtint l’approbation de Pie X qui en confia la propagation aux prêtres de la Mission pour ranimer parmi les fidèles la dévotion à la passion de Jésus. Les médailles qui séparent les sections du chapelet montrent les quatorze stations traditionnelles du Chemin de croix, selon le même principe que le chapelet des Sept douleurs (ill. 55). Elles portent le sens du chapelet et non les prières que l’on dit sur les perles, qui sont celles du chapelet ordinaire, le Pater Noster, l’Ave Maria et le Gloria Patri (ces trois prières sont répétées sur chacun des six grains du pendant, la dernière fois aux intentions du pape). Ceci distingue le chapelet du Chemin de croix de toutes les autres couronnes de prière. Le chapelet de saint Antoine de Padoue est issu d’un autre processus de transformation d’une dévotion traditionnelle en chapelet : la 54. Chapelet du Chemin de croix. 55. Détail : le Portement de croix. 163 Pratique en usage à Ars. Voir Chapelet de sainte Philomène, Langres, 1875. 96 56. Deux chapelets de saint Antoine. Au fil des perles : la prière comptée neuvaine. Cette pratique autrefois fort diffusée et souvent indulgenciée consiste à prier pendant neuf jours consécutifs un saint ou une image miraculeuse pour demander une grâce, accomplir un vœu ou faire une pénitence. De nombreuses méthodes de neuvaines à saint Antoine de Padoue, grand thaumaturge, existent : chaque jour, une invocation au saint est suivie du Pater Noster, de l’Ave Maria et du Gloria Patri. Le chapelet de saint Antoine (ill. 56) est donc constitué de groupes de trois perles, comme le chapelet de saint Michel (voir p. 89 ; il est probable que ce dernier, malgré sa nébuleuse origine miraculeuse, soit aussi une neuvaine « mise en perles »). Ces groupes sont au nombre de treize à cause d’une autre dévotion antonienne : les treize mardis. Pourquoi le mardi ? Saint Antoine est mort le vendredi 13 juin 1231 et a été enterré le mardi suivant. Depuis, ce jour lui est consacré, nous dit-on. La dévotion était d’ailleurs autrefois celle des Neuf mardis de saint Antoine. Nous retrouvons donc notre neuvaine, qui fut « augmentée » pour atteindre le chiffre treize, date de sa mort et jour de sa fête. Le chapelet se termine par une médaille portant l’image du saint et, en général, au revers, celle de saint François d’Assise. On peut y dire le « bref de saint Antoine », une puissante invocation au pouvoir de la croix, qu’il aurait composée et qui est utilisée comme exorcisme : « Voici la croix du Seigneur ! Fuyez, puissances ennemies ! Le lion de la tribu de Juda, Le rejeton de David, a vaincu ! Alléluia ! » Ou bien, on peut lui préférer l’hymne composé pour l’office du saint en 1233, Si quaeris miracula, qui rappelle les miracles accomplis par le saint et dont nous traduisons ici le début : « Si vous voulez des miracles, mort, erreur, calamité, démon, lèpre s’enfuient, les malades se relèvent guéris. Cèdent la mer, les chaînes. Membres et choses perdues demandent et reçoivent jeunes et vieux… » L’hymne possède des vertus en lui-même, sans le chapelet : on le récite treize fois pour retrouver un objet perdu. Entre les groupes de perles, on peut adresser une prière à saint Antoine, lui demandant d’obtenir des faveurs en rapport avec les miracles accomplis pendant sa vie. Ces treize demandes varient Le XIX e siècle : le siècle du chapelet 97 selon les méthodes. On voit très bien que la « treizaine » étalée sur treize jours, où l’on dit des textes divers et trois prières différentes, le Pater Noster, l’Ave Maria et le Gloria Patri, ne requiert pas du tout l’usage d’un chapelet. Une des méthodes reconnaît candidement que « l’on peut compter sur ses doigts ou autrement » mais qu’il existe un moyen plus commode, « des grains réunis par des chaînes formant ce que l’on appelle le chapelet de saint Antoine de Padoue ». Une admirable définition du chapelet ! Dans une sorte d’ivresse des possibles, qui se prolonge jusqu’à nos jours, tout exercice peut prendre la forme d’un chapelet. Cette possibilité permet de matérialiser n’importe quelle pratique nouvelle : la forme du chapelet lui donne immédiatement un caractère légitime en l’inscrivant dans une longue histoire. Mais le sens de l’objet en est profondément altéré. Il était la matérialisation nécessaire de la prière comptée, sa métaphore et devient l’outil promotionnel d’une nouveauté. Nous n’entreprendrons pas de dresser même un aperçu de cette diversité illusoire et il faut être ici critique des ouvrages qui prétendent le faire : les auteurs y confondent, dans leur enthousiasme, méthodes, types et spécimens. Ainsi, ils érigent n’importe quel chapelet particulier en type, dans un vertige d’accumulation qui n’a que l’apparence d’un travail historique164. Toute cette prolifération (réelle et imaginaire) de couronnes ne réussit pas à faire de l’ombre à la pratique dominante au xixe siècle : celle du rosaire et des autres chapelets de la Vierge créés dans le sillage de ses nombreuses apparitions. Les apparitions de la Vierge au xixe siècle La plus grande propagatrice du rosaire au xixe siècle fut la Vierge elle-même. Une série d’apparitions miraculeuses, de la rue du Bac à Paris en 1830 à Fatima en 1917, provoquèrent un essor extraordinaire de son culte et de la pratique du rosaire. En effet, Marie portait ellemême cet objet sur elle dans plusieurs de ses manifestations, ou du moins elle en évoquait la pratique ou le symbolisme par son costume. En 1830, Catherine Labouré, sœur de la Charité, eut plusieurs apparitions de la Vierge, dans la chapelle de son ordre, rue du Bac à 164 Berthod et Hardouin-Fugier, 2006, p. 67-87 ; Stampfler, 2011, p. 142-267 ; Genton, 2013. Malheureusement, ces informations, mal comprises, sont tirées en grande partie du mémoire qui est à l’origine de cet ouvrage (voir « Préambule »). 98 57. Chapelet portant la médaille de la rue du Bac et celle de la Salette. 165 Gasmier, 1942. Au fil des perles : la prière comptée Paris. Ces apparitions sont devenues extrêmement populaires grâce à la Médaille miraculeuse, dont la Vierge avait demandé la fabrication. La sainte décrit ainsi la première apparition : « J’ai aperçu des anneaux à ses mains ; ils étaient au nombre de trois à chaque doigt ; le plus gros près de la main, un de moyenne grandeur au milieu et un plus petit à l’extrémité, [leurs pierreries émettaient] des rayons plus beaux les uns que les autres », symboles des grâces qu’elle obtient par l’intercession auprès de son Fils. Quinze anneaux à chaque main forment ainsi la parure de la Vierge, dont le nombre évoque directement la structure du rosaire qui n’est pas nommé. Ces bagues décrites par la voyante résonnent de l’ancienne symbolique médiévale de la prière offerte qui devient parure, mais qui retourne sous forme de grâces vers le dévot. C’est d’autant plus intéressant que les anneaux-chapelets sont fort communs dans les années 1830 (pl. VIII.3). Mais la Sacrée Congrégation des indulgences déclara le 20 juin 1836 que « les indulgences du Rosaire ne peuvent être appliquées aux anneaux d’or ou d’argent recouverts de dix grains », décision qui expliquerait le déclin de cet usage. La Vierge elle-même abandonnera ses bagues plus tard, à Lourdes : « Par respect pour les décisions de l’Église, elle apparaît en 1858 avec un chapelet », nous explique le père Gasnier165. Les apparitions de La Salette (ill. 57) ne sont pas exemptes de ce même symbolisme sous-jacent. Le 19 septembre 1846, Maximin Giraud et Mélanie Mathieu voient une « dame qui pleure » dans la montagne. Sur son costume sont disposées trois guirlandes de roses : une sur les souliers, une sur le fichu, une sur le diadème. Des roses de couleurs variées entourent les semelles des souliers blancs pailletés d’or. Sur l’ourlet du fichu, « une chaîne jaune et brillante… qui suivait une guirlande de roses » encadre un crucifix. Enfin, sur sa tête, autour de sa coiffure, flottant comme un nimbe, une guirlande de roses glorieuses décrite ainsi par les voyants : « Il sortait de chaque rose un fil qui brillait beaucoup. C’était très mince et cela allait en s’élargissant. De plus, des petites fleurs d’or et d’argent de toutes sortes paraissaient semblablement jaillir de ces roses et s’élevaient au-dessus de la couronne. Du centre de ces fleurs, s’élevaient, à leur tour, des flammes de lumière. » Il parut assez clair de reconnaître dans la première couronne les mystères joyeux : comme dans Le XIX e siècle : le siècle du chapelet 99 les méditations médiévales sur les parties du corps de la Vierge, ce sont ses pieds qui furent le premier contact du Christ avec la terre pendant sa grossesse, qui L’ont porté chez sa cousine Élisabeth ou cherché dans Jérusalem. La deuxième couronne autour du crucifix évoque clairement les mystères douloureux. Les mystères glorieux sont représentés sans équivoque par la couronne. Les apparitions de Lourdes revêtent dans le domaine de la mariologie une importance particulière : la Vierge révéla son identité à la voyante et lui confirma son Immaculée Conception, dont le dogme avait été proclamé par Pie IX en 1854. Elle apparut à une bergère, Bernadette Soubirous, à partir du 11 février 1858, vêtue à la manière des jeunes filles de la Confrérie des Enfants de Marie, de blanc avec une ceinture bleue, une rose d’or sur chaque pied et un chapelet de perles blanches enfilées sur une chaîne dorée. Mais de quel genre de chapelet s’agit-il exactement ? Les réponses de sainte Bernadette aux interrogatoires ne donnent pas de grandes précisions sur cet objet166 : « Il se termine par une grande croix, [les grains sont] très éloignés les uns des autres, [il est] plus grand que les nôtres […], plus grand, comme un rosaire. — À cinq dizaines ou à quinze dizaines ? — Je ne sais pas. » On insiste plus loin : elle répète qu’il est « plus grand qu’un rosaire. — À quinze dizaines ? — Je ne sais pas. » Ces grains « très éloignés les uns des autres » rappellent les chapelets à la ceinture des religieuses (ill. 58). La Vierge fait comprendre à Bernadette qu’elle doit dire son chapelet et se signe avec elle. La bergère commence la récitation et observe que la Vierge écoute les Ave Maria mais que lorsqu’elle dit le Pater Noster et le Gloria Patri, elle bouge silencieusement les lèvres. Le nombre des apparitions et le contenu des messages sont calqués sur la structure du rosaire. Il y en eut dix-huit, d’abord un groupe de trois, puis trois groupes de cinq, comme les groupes de perles du chapelet. Les trois premières servent de préambule : l’Apparition lui demande de venir pendant quinze jours (encore quinze !). Ces trois apparitions sont les trois premiers Ave Maria du rosaire, qui lui tiennent lieu de vestibule, selon les mots du père Esser. Le premier groupe de cinq apparitions est joyeux, la deuxième apparition est marquée par la pénitence (Bernadette doit boire de l’eau boueuse et 58. Chapelet de religieuse porté à la ceinture par un crochet. 166 Laurentin, 1958-1966, I, p. 197, 213, 260 ; II, p. 229, 240. Voir aussi Malgouyres, 2011, p. 140-142. 100 167 Laurentin et Sbalchiero, 2007, p. 713-715. 168 Ibid., p. 319. Au fil des perles : la prière comptée manger de l’herbe) et les dernières sont marquées par la révélation glorieuse de l’identité de l’Apparition. Lourdes est depuis devenu l’un des plus grands centres mariaux du monde, où le rosaire a une place capitale (construction de la basilique du Rosaire, pèlerinage du même nom, etc.). Le chapelet sera donc le souvenir par excellence à rapporter de Lourdes (pl. IV). Le 17 janvier 1871, à Pontmain, dans le contexte dramatique de l’invasion prussienne, deux enfants, Eugène et Joseph Barbedette, rejoints par Françoise Richer et Jeanne-Marie Lebossé, virent la Vierge « au-dessus du toit de la grange ». La foule s’assemble progressivement ; on récite le chapelet des martyrs japonais, où l’on invoque le doux cœur de Marie (voir p. 93-94). Une croix rouge apparaît alors sur la poitrine de la Vierge. Puis, à la récitation du rosaire, l’apparition grandit et les étoiles viennent lui faire un trône de gloire, conformément aux mots de la liturgie : sublimis inter sidera. Ce dernier signe a été bien sûr compris comme une muette mais éblouissante approbation de la dévotion du rosaire. À Pellevoisin167, en 1876, la Vierge apparaît quinze fois à Estelle Faguette, qui la voit trois fois entourée de guirlande de roses, apparitions qui furent à l’origine de la création d’une archiconfrérie du scapulaire du Sacré-Cœur. La Vierge annonce à Estelle qu’elle souffrirait cinq jours avant d’être guérie, en l’honneur des Cinq plaies du Christ (voir p. 85). La prégnance de cette mystique des nombres, cinq, quinze, cinquante et du symbole de la rose est remarquable, rappelant constamment le rosaire en filigrane. Enfin, à Fatima, la Vierge le 13 mai 1917 apparaît à un groupe de petits bergers, qui avaient déjà été visités plusieurs fois par un ange dans les années précédentes. Ils lui demandent s’ils iront au Ciel, ce qu’elle leur confirme en précisant que le troisième, Francisco « devra dire beaucoup de chapelets168 ». Elle leur demande de venir le même jour, le 13, six mois de suite. Le 13 juin, après leur avoir demandé de bien dire leur chapelet, elle leur apprit l’oraison suivante : « Ô mon Jésus, pardonnez-nous nos péchés ! Délivrez-nous du feu de l’enfer ! et soulagez les âmes du purgatoire, surtout les plus délaissées ! », prière qui est depuis fréquemment ajoutée à la fin du chapelet. Les demandes et les allusions au rosaire et à sa fête sont présentes dans Le XIX e siècle : le siècle du chapelet 101 chaque apparition. Ce crescendo trouva son point culminant le 13 octobre, quand la Vierge, dans sa dernière manifestation accompagnée de prodiges météorologiques, révéla son identité : « Je suis Notre Dame du Rosaire. » C’est la première fois que la Vierge, invoquée depuis un demi-millénaire sous ce vocable, se manifestait ainsi. On comprend ainsi mieux le développement extraordinaire et un peu exclusif de la piété mariale au xixe siècle dont la prière du rosaire fut à la fois le vecteur et le bénéficiaire. Les défenseurs du rosaire depuis les années 1970 insistent aujourd’hui sur sa valeur christique pour le sauver des soupçons de mariolâtrie et enrayer la désaffection qu’il a incontestablement subie. L’essor des couronnes mariales En écho immédiat aux événements de la rue du Bac à Paris, apparaît en 1833 un chapelet de l’Immaculée Conception169 qu’il ne faut pas confondre avec la Couronne de Douze étoiles, que nous verrons un peu plus loin et qui a la même origine. Ce nouveau chapelet est une résurrection du vieux chapelet de sainte Brigitte, qui n’avait survécu que grâce à ses indulgences mirifiques : il a donc six dizaines qui forment avec le pendant soixante-trois Ave Maria en l’honneur des soixante-trois années de la vie de la Vierge, comme nous l’avons vu (ill. 59). Ce chapelet pouvait être décliné sous la forme d’un bracelet d’autant de perles, qui porte lui aussi la Médaille miraculeuse. Il fut approuvé et pourvu d’indulgences par Pie IX en 1855. On dit un seul Ave Maria sur la médaille et sur tous les autres grains l’invocation reproduite sur celle-ci : « Ô, Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous », chaque dizaine se concluant par un Gloria Patri comme sur le rosaire. Une petite séquence de six mystères permet de méditer sur les « principales circonstances de la vie de la Vierge » : son Immaculée Conception, sa vie cachée au Temple, la vie cachée de son Fils, sa vie publique, sa souffrance pendant la Passion et sa gloire au ciel. L’une des premières méthodes que nous en ayons trouvé (1837) offre aussi la possibilité d’utiliser le chapelet ordinaire à cinq dizaines, où l’on dit à la place des Ave Maria : « Bénie soit la sainte 59. Chapelet de l’Immaculée Conception. 169 Chapelet de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, Toulouse, 1837. 102 Au fil des perles : la prière comptée et immaculée Conception de la vierge Marie. Ainsi soit-il. Ô, Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. Je vous salue, Marie, conçue sans péché. » Ce n’est que plus tard, à Lourdes, que la Vierge se révéla sous ce vocable de l’Immaculée Conception. Le chapelet de la rue du Bac fut totalement éclipsé mais resurgit sous une forme imprévue : celle des grands chapelets décoratifs, souvenirs du pèlerinage destinés à être accrochés au mur (pl. IV.5 et ill. 100). Les filles de la Charité, dépositaires des miracles de la rue du Bac, ont maintenu cette récitation dont nous avons une image précise grâce à une brochure qui en donne le texte détaillé. Il me semble utile de la transcrire entièrement pour comprendre la complexité de cette pratique, qui dépasse largement le comptage des prières prescrites et donc les limites matérielles du chapelet lui-même. Après le signe de croix, on dit : « Mon Dieu, recevez nos prières par Jésus-Christ Notre Seigneur. Amen. Mon Dieu, nous vous offrons le chapelet que nous allons dire, pour vous louer et vous glorifier, en actions de grâces de toutes nos communions, ainsi que toutes les faveurs générales et particulières dont l’Immaculée Marie nous a gratifié et nous gratifie continuellement ; pour honorer les soixantetrois années qu’elle a passé sur la terre ; pour vous demander la grâce de l’imiter dans les vertus qu’elle y a pratiquées ; en particulier : son humilité, sa charité, sa pureté, son obéissance, sa vie intérieure et cachée ; pour satisfaire à nos saintes Règles, et pour nos chères sœurs défuntes pour lesquelles nous n’avons pas encore satisfait ; pour les besoins de l’Église, de l’État, de la Communauté, ceux du Séminaire, et les nôtres en particulier ; dans l’intention de gagner les indulgences attachées à notre chapelet, et pour tous ceux pour lesquels nous sommes plus obligés de prier, tant vivants que trépassés. » On récite le Credo, puis comme au début des heures : « V. Domine, labia mea aperies. R. Et os meum annuntiabit laudem tuam V. Deus in adjutorium meum intende R. Domine, ad adjuvantum me festina. Gloria Patri… » Suivent les prières du tercet, Pater Noster et trois Ave Maria, séparés par des salutations trinitaires : « Je vous salue, Marie, Fille de Dieu le Père. Je vous salue, Marie, Mère de Dieu le Fils. Je vous salue, Marie, Épouse du Saint-Esprit. » Le XIX e siècle : le siècle du chapelet 103 Puis on dit : « Très Sainte Vierge, je crois et confesse votre sainte et Immaculée Conception pure et sans tache ; ô très pure Vierge ; par votre pureté virginale, votre Conception Immaculée, votre glorieuse qualité de Mère de Dieu, obtenez-moi de votre cher Fils l’humilité, la charité, une grande pureté de cœur, de corps et d’esprit, une sainte persévérance dans ma chère vocation, le don d’oraison, une bonne vie et une bonne mort. V. Je suis la servante du Seigneur. R. Qu’il me soit fait selon votre parole. V. Ô Jésus ! Soyez-moi Jésus. R. Maintenant et à l’heure de ma mort. Ainsi soit-il. » Suivent cinq dizaines, qui sont les mêmes que pour le rosaire. Pour la sixième dizaine, on ajoute : « Ô Jésus ! par la victoire que vous avez remportée sur la mort, faites que je triomphe des ennemis de mon salut. » Après les soixante Ave Maria, on dit encore trois Ave Maria intercalés de ces prières : « Je vous salue, Marie, Fille de Dieu le Père ; je vous prie de présenter mon entendement au Père Éternel, afin qu’il l’éclaire de ses divines lumières. Je vous salue, Marie, Mère de Dieu le Fils ; je vous prie de présenter ma mémoire à votre cher fils ; afin qu’il y grave le souvenir de sa Passion et de sa mort et les obligations que j’ai de l’aimer. Je vous salue, Marie, Épouse du Saint-Esprit ; je vous prie de présenter ma volonté au Saint-Esprit, afin qu’il l’embrase du feu sacré de son saint et divin amour. » Puis à nouveau le Gloria Patri, le Pater Noster, le Credo. On y ajoute encore le psaume De profundis, l’hymne Ave maris stella, les litanies de la Sainte Vierge, l’antienne Sub tuum praesidium. La récitation se conclut ainsi : « Recevez, ô mon Dieu ! par les mains de la très sainte Vierge, les prières que nous venons de vous faire. Nous vous demandons bien pardon des distractions que nous avons eues en disant notre chapelet. Obtenez de votre cher Fils, ô Vierge Sainte ! toutes les grâces que nous lui avons demandées par votre intercession. V. Jésus, Marie, Joseph, R. Soyez à jamais notre aide. V. Saint Vincent de Paul, R. Priez pour nous V. Sainte Louise de Marillac, R. Priez pour nous. V. Tous les Saints et Saintes du Paradis, R. Intercédez pour nous. » Nous avons là un admirable condensé de ce que sont les couronnes de prières, leur but (intercession, indulgences, demandes de grâces), 104 Au fil des perles : la prière comptée le nombre et la complexité des prières qui les accompagnent et qui ne correspondent pas à un endroit précis sur le chapelet : l’objet matérialise ce qui doit être accompli, mais le ne contient pas. 60. Couronne des Douze étoiles. 170 Apocalypse, 12,1. 171 Le Prêtre : journal des études ecclésiastiques, 1900, p. 444. 172 Chapelet de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, Marseille, s. d. La dévotion à l’Immaculée Conception donna naissance à un autre petit chapelet, dit couronne des Douze étoiles ou des Douze privilèges de la Vierge. Il se compose bien sûr de douze perles, en trois groupes de quatre séparés par des grains intercalaires (ill. 60). Ce chapelet est issu de la vision de la femme enceinte debout sur la lune et couronnée de douze étoiles de l’Apocalypse170, identifiée à la Vierge et qui fut à l’origine de l’iconographie de son Immaculée Conception. Dans sa forme actuelle, le chapelet des Douze étoiles fut élaboré en 1860 par le « père capucin Bonaventure de Ferrari171 ». On y dit comme ailleurs des Pater Noster sur les gros grains et des Ave Maria sur les petits. Chaque groupe d’Ave Maria est récité en association avec les créatures célestes, successivement : « 1. Avec les Anges et les Archanges ; 2. Avec les Trônes et les Dominations ; 3. Avec les Principautés et les Puissances ; 4. Avec les Vertus, les Chérubins, les Séraphins et toute la cour céleste172. » Le groupe est précédé d’une oraison à l’Immaculée Conception, soit « Bénie soit la Sainte et Immaculée Conception de la Sainte Vierge Marie » ou « Ô, Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ». Ce chapelet apparaît après la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception par Pie IX en 1854 mais, une fois de plus, le nom de son « inventeur » est inexact. Bonaventura Ferrara a vécu deux siècles plus tôt et a écrit un traité sur les bienfaits du jeûne perpétuel au pain et à l’eau en l’honneur de l’Immaculée Conception, opuscule qui fut mis à l’Index en 1683, peu après sa publication. Comme nous l’avons vu à de multiples reprises, cette couronne de Douze étoiles n’est que la dernière formulation d’une dévotion ancienne. La couronne d’étoiles de l’Apocalypse a fait l’objet de commentaires et de sermons, qui y virent la manifestation de douze privilèges de la Vierge : c’est déjà le cas dans un sermon de saint Bernard « Sur le signe grandiose ». Diverses dévotions et traités furent élaborés autour de ces douze étoiles. Le père jésuite Poiré écrit, au xviie siècle, une Triple couronne de la Mère de Dieu, triple par analogie avec la Le XIX e siècle : le siècle du chapelet 105 tiare papale : les « étages » de cette couronne sont des vertus (excellence, pouvoir et bonté). La couronne apocalyptique se transforma en couronne de vertus, puis de prières, comme le chapeau de rose était devenu le rosaire. C’est ce que propose le père de Montfort : une petite couronne composée de trois Pater Noster et douze Ave Maria, qui honore les douze privilèges de la Vierge regroupés en trois couronnes : l’excellence (maternité divine, virginité, pureté sans tache, innombrables vertus), le pouvoir (autorité, munificence, médiation, force de son gouvernement), la bonté (miséricorde de Marie envers les pécheurs, les déshérités, les justes et les mourants). La dévotion à l’Immaculée Conception sous forme d’un chapelet, si caractéristique du xix e siècle, trouve un autre précédent dans une intéressante méthode composée par Jean-Pierre Camus (15841652), le célèbre théologien polémiste, auteur d’un Chappelet de Nostre Dame de Lorette173. Il a remarqué comment les pèlerins ont coutume de rapporter « chappelets et Médailles, que l’on fait toucher à la sainte Image de Nostre Dame, & aux murs de cette chambre sacrée, pour les distribuer à ceux que l’on honore, quand on est de retour dans son païs ». Il conçut donc une méthode qui se récite sur le chapelet ordinaire et dont il trouva l’inspiration dans une devise inscrite sur le retable de la sacristie : « Ave Filia Dei Patris : Ave Mater Dei Filij : Ave Sponsa Spiritus-Sancti : Ave Templum totius Trinitatis. » Il propose de dire quatre dizaine scandées de ces oraisons : « Or c’est de cette plante de roses musquées, que nous tirerons les fleurs dont nous composerons le Chappelet, ou petit Chapeau fleuri, pour en faire une Couronne ou Guirlande à la teste de nostre Dame de Nazareth fleurissante. » De telles invocations trinitaires apparaissent dans les divers chapelets et couronnes de l’Immaculée Conception. Comme nous l’avons dit, la couronne des Douze étoiles est aussi dite des Douze privilèges. Mais il existe une variante où la Vierge n’a plus que trois privilèges : sagesse, puissance et miséricorde. Les grains sont groupés par trois avec la même emphase trinitaire dans les chapelets précédents : la Vierge fille du Père, mère du Fils, épouse de l’Esprit. 173 I.P.C.E. de Belley [Jean-Pierre Camus], Le Chappelet de Nostre Dame de Lorette présenté aux dévots de la sacrée Vierge Marie, Caen, 1687. 106 61. Chapelet de l’Annonciade. Page de droite : 62. Le cathéchisme propose le parallèle entre la vie du Christ et le temps liturgique et celle du chrétien, au fil des perles. 174 Beissel, 1910, p. 46. 175 Couronne des dix Vertus de Marie, Nantes, 1855. Au fil des perles : la prière comptée Dans la même lignée, il exista une couronne des Dix vertus de Marie (pureté, prudence, humilité, foi, louange, obéissance, pauvreté, patience, charité, compassion), semble-t-il d’origine franciscaine174 et auquel il aurait attaché dix mille ans d’indulgences ! Une méthode de ce chapelet fut mise à l’Index en 1758. Cette couronne des Dix vertus reparut dans un autre contexte au xixe siècle, celui de l’ordre de l’A nnonciade fondé par Jeanne de Valois175. Sa forme simple, une dizaine précédée d’un Pater Noster, que l’on peut dire sur n’importe quel chapelet, fut rendue complexe pour composer le chapelet de l’Ordre de la paix, dit de l’A nnonciade (ill. 61). Il commence toujours par ces dix grains des vertus, qui doivent être blancs, cinq grains rouges pour les Cinq plaies et neuf grains noirs pour les Neuf dons de l’Esprit saint. C’est à notre connaissance la seule couronne de prières dont les couleurs sont prescrites, couleurs qui sont aussi celles de l’habit de l’ordre : habit noir, scapulaire rouge et manteau blanc. Les prières sont des Pater Noster et des Ave Maria, mais l’on doit méditer sur chaque grain l’une des vertus, puis les plaies et les dons de l’Esprit. Cette séquence originale compose un objet à la forme curieuse et mal pratique de deux petites couronnes siamoises. Toutes ces récitations varient essentiellement par le rythme des Pater Noster et des Ave Maria. Les prières ne forment cependant que la toile de fond, l’invariant de toute oraison comptée : le véritable sens de ces couronnes, leur caractère propre est porté par les oraisons, souvent composées exprès, qui y sont ajoutées. Les perles n’ont alors pas de rapport direct avec les textes. C’est un autre paradoxe de la prière faite à l’aide des perles enfilées dont la signification pleine échappe à la forme de l’objet. Ou de la difficulté de faire coïncider le spirituel avec le matériel… Le XIX e siècle : le siècle du chapelet 107 Le difficile renouveau au VII Le difficile renouveau au xx e siècle XX e siècle 109 La réforme de l’Église face à la prière répétitive À la fin du xixe siècle, après le pontificat de Léon XIII qui le déclare être « l’abrégé de toute la religion chrétienne… le résumé de tout l’Évangile », le rosaire exalté et institutionnalisé dans ses confréries et associations a pris une importance considérable dans l’Église, au point de devenir quasiment une prière liturgique. Ce pape avait beaucoup encouragé sa récitation en présence du Saint Sacrement ; une indulgence plénière était ainsi obtenue, qu’il soit exposé ou non. L’usage était, le dimanche, de réciter le chapelet entre les vêpres et le salut du Saint Sacrement, usage dont il reste un vestige dans les trois Ave Maria que l’on dit aujourd’hui lorsque ces cérémonies ont encore lieu. Le rosaire était fréquemment une prière de substitution, pendant la messe. C’était le mode de participation le plus commun jusqu’au concile de Vatican II, face à la liturgie en latin et à l’absence de micro. Cette récitation libre n’échappait pas à certaines dérives magiques qui furent dénoncées : « Ceux-là sont sans doute superstitieux qui croient que quand on peut dire deux dizaines de son chapelet pendant qu’on chante une Préface [pendant la messe], on n’a jamais le hocquet176. » Jean XXIII, dans la lettre apostolique du 29 septembre 1961, déclare encore que le rosaire « prend place, pour les ecclésiastiques après la sainte messe et le bréviaire et, pour les laïcs, après la participation aux sacrements ». Vatican II a profondément renouvelé la liturgie, en particulier par le rejet du latin, qui confinait les fidèles à des pratiques parallèles sans grand rapport avec la célébration eucharistique. La place du rosaire est alors devenue très ambiguë : « L’intérêt porté par le peuple chrétien à la prière liturgique rénovée pouvait faire craindre que par contrecoup le rosaire soit relégué au rang minable de prière de bonnes femmes alors que sa place est au cœur de la vie de l’Église177. » On souhaitait, pour le protéger, l’élever au rang de prière liturgique. Paul VI répondit à cette demande dans l’exhortation apostolique Marialis Cultus du 2 février 1974 : le rosaire « ne doit pas se confondre avec elle [la liturgie], ni se superposer à elle comme il est arrivé parfois dans le passé ; il doit, au contraire, conserver sa physionomie propre d’exercice de piété, apte à 176 Thiers, 1704, p. 5. 177 Cneude, 1992, p. 16. 110 Au fil des perles : la prière comptée faire mieux comprendre et mieux vivre la liturgie ». Et, plus loin : c’est « une erreur qui subsiste malheureusement en certains endroits, de réciter le Rosaire au cours de l’action liturgique ». Au terme de cette évolution, il est par là renvoyé à une pratique privée. 63. En matériaux pauvres mais modernes, un chapelet affranchi du kitsch visuel et spirituel « saint-sulpicien ». La volonté de renouveau qui suivit le concile amena une remise en cause fondamentale du rosaire dont la pratique, nous l’avons vu, était fixée depuis 1569 par Pie V (comme tant d’autres choses). Elle avait reçu des apports successifs, sédiments occultant sa structure qui est, avec la méditation, l’identité du rosaire. Le concile, en ce qui concerne le rosaire, a été vécu comme une rupture par les fidèles (et pour d’autres raisons par les fabricants !). L’état des lieux qu’il a provoqué a mis en évidence le délabrement et la désaffection de cette institution séculaire. La télévision poignardait déjà le rosaire en famille. Certains aspects, par exemple la méditation un peu sentimentale sur la Sainte Enfance, ne correspondaient plus à la sensibilité moderne. Mais surtout, le système des indulgences qui a sous-tendu ces pratiques n’intéressait plus personne, et l’Église se faisait discrète sur ce point qui avait été le scandale déclencheur de la Réforme et ne pouvait qu’être un obstacle à l’œcuménisme. Dans ces temps de nostalgie pour la pureté originelle de l’Évangile, quelle place pour le rosaire, quand planent sur lui des soupçons de mariolâtrie et de psittacisme ? Quand les mots de saint Paul, à propos du miraculeux don des langues, assènent : « J’aime mieux prononcer dans l’Église cinq paroles avec toute mon intelligence que dix mille paroles en langues ? » La répétition de la même prière fait craindre le rabâchage. Bien plus, la méditation elle-même, qui pourrait lui conserver les suffrages, semble marquer le divorce entre les mots et la pensée que l’on voulait au même moment abolir dans la liturgie. La préface de François Mauriac pour Le Rosaire ou les trois mystères de la Rose du père Laval, écrite dix ans avant le concile (1952), est tout à fait significative. Le romancier ne peut comprendre comment l’on peut réciter d’un côté et méditer de l’autre, et comment on peut être exclusivement attentif à la même parole indéfiniment répétée, réflexions qui trahissent une incompréhension très moderne de la nature même des pratiques dévotionnelles, dont l’effort désta- Le difficile renouveau au X Xe siècle 111 bilisant est justement de combiner une action corporelle prescrite (la récitation) avec une imagination active. Ces pratiques ont leur sens dans une sphère qui n’est pas simplement mentale et ce n’est certes pas sur leur contenu « intellectuel » qu’il faut les juger. Beaucoup semblent touchés par cette difficulté : « Cette répétition pose problème aujourd’hui » même si elle « permet de s’installer dans la prière ». Le père Jean Lafrance a bien vu la nature profonde de la prière constante, répétitive : « Pour parvenir à ce sommet (la prière incessante), le père Molinié disait que le Rosaire est une des voies les plus rapides, précisément parce que c’est la plus bête, celle qui ne prétend pas à des sommets contemplatifs dangereusement séduisant pour notre orgueil… La répétition inlassable du chapelet peut paraître un abêtissement au sens déplorable du terme si l’on récite cette prière dans l’intention étroite d’être en règle, mais cela peut être aussi au sens magnifique de ce mot, s’il s’agit d’user notre regard à force de scruter à l’horizon celui qui vient : le Christ178. » Le rabâchage semblait donc inutile, et la dévotion à la Vierge, inséparable du rosaire, est sentie comme un obstacle à l’œcuménisme : « Pourquoi prier Marie quand on peut prier le Christ ? » Pour le rendre plus conforme à ce qu’était devenue l’Église, les défenseurs du rosaire s’attachèrent à le réformer, soutenus par les papes Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II (en cinq ans de règne, Jean XXIII a publié quarante-huit documents en sa faveur). Le texte fondateur du rosaire postconciliaire est l’exhortation apostolique Marialis Cultus déjà citée. Elle établit l’évangélisme du rosaire par l’évocation qu’il propose des événements salvifiques de la Rédemption. Sa structure elle-même correspond à la prédication primitive (dont l’exemple est l’Épître aux Philippiens). Le pape demande ensuite « aux conférences épiscopales, aux responsables de communautés locales, aux différentes familles religieuses de rénover avec sagesse des pratiques et des exercices de vénération envers la Vierge et de soutenir l’impulsion créatrice de tous ceux qui, par inspiration religieuse authentique, par sensibilité pastorale, désirent y donner des formes nouvelles ». Les Dominicains ont joué un rôle moteur dans la rénovation des anciennes associations et pratiques, et ont bien montré en quoi le 64. Le retour des perles de bois sur un cordon, et un Christ qui imite le fer forgé. 178 Lafrance, 1990. 112 Au fil des perles : la prière comptée rosaire pouvait redevenir une prière viable. Tous les auteurs soulignent le bien-fondé de la prière à Marie (« à Jésus par Marie » selon le mot du père de Montfort), faisant habilement remarquer que, pour aller à Dieu, il n’y avait pas de meilleure voie que celle qu’Il avait choisie pour venir vers les hommes : la Vierge. Une fois ce recentrage de la prière mariale établi, l’évangélisme du rosaire va de soi, selon la formule que Pierre Teilhard de Chardin emploie dans une lettre du 11 octobre 1918 : « Le rosaire est un Ave dilaté, explicité. » Allant plus loin, le père Joseph Eyquem dénonce une « contrefaçon du rosaire » si l’on se contentait de réciter des Ave Maria sans participer aux « sentiments de Marie ». Le rosaire se trouve ainsi ancré dans les racines de la foi chrétienne, beaucoup plus fortement que si la Vierge l’avait remis à saint Dominique : « Son inventeur, c’est l’Esprit saint. » Depuis l’encyclique Redemptoris Mater, d’un obstacle, la dévotion à la Vierge est devenue un instrument d’œcuménisme auprès des orthodoxes : une méthode de 1992 porte comme sous-titre : Guide des fidèles catholiques et orthodoxes pour la prière œcuménique du Rosaire. Un rectificatif inséré dans le livret ajoute : « Alors que ce livret était déjà sous presse, nous ne savions pas que le défunt père Peyron des Etats-Unis nous avait légué les 200 000 chapelets nécessaires à l’ex-U.R.S.S. » Son aspect de dévotion accessible au plus grand nombre est volontiers souligné ; il est une voie vers la prière contemplative pour tous, « même les plus incultes humainement ». Enfin, le rosaire peut réveiller la foi. Chez certains baptisés, la dévotion à Marie est le seul reste de croyance et de pratique : ils peuvent, par le rosaire, prendre un nouveau départ. Par son harmonie avec le cycle de la liturgie, il réintroduit dans la vie de l’Église. Les débats furent considérables. Il paraissait continuellement de nouvelles méthodes, proposant adaptations, réformes, nouveaux mystères ou nouvelles traductions. Nous aimerions donner ici une image de cette diversité, en évoquant les projets de réforme par catégorie, puis en exposant quelques méthodes alors proposées. Tout d’abord, certains étaient d’avis de lui laisser continuer vivre sa vie : c’est une dévotion privée qui n’a pas été formulée par l’Église et ne devait pas être modifiée par elle. L’avenir leur donnera largement raison. Le difficile renouveau au X Xe siècle 113 Pour les réformateurs, il s’agissait de réfléchir en premier lieu sur les prières, leur nature et leur contenu. La doxologie, Gloria Patri, est généralement condamnée en tant qu’ajout tardif ; sa récitation est laissée à la discrétion du fidèle. Le Notre Père ne semble pas pertinent dans le rosaire pour certains auteurs (le Dominicain Joseph Eyquem s’interroge grandement sur l’opportunité de sa présence179) : on le trouve trop répété et l’on préférerait le voir traité avec plus d’attention (!) ; plusieurs recommandent de ne le dire qu’une fois par chapelet. L’Ave Maria est la prière qui a suscité le plus de débat. Certains le laissent tel qu’il nous est parvenu, d’autres ne souhaitent conserver que sa partie évangélique, et ne pas redire la seconde partie, « Sainte Marie… », qui alourdit la prière et la tire trop vers un contexte marial d’intercession. Le père Eyquem attribuait la difficulté de la méditation sur l’Ave Maria à cette seconde partie, qui pourrait être réservée à la fin de chaque dizaine. De même, on propose de nouvelles traductions : « Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce » ou « le fruit de ton sein ». Un autre Dominicain, Marc Trémeau, préconisait d’en rester à la traduction admise, s’agissant d’une prière très populaire et de conserver telle quelle la seconde partie de l’Ave Maria, « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort », qui est pour lui l’équivalent de la prière de Jésus chez les orthodoxes180. Cette prière de Jésus connaissait alors une très grande vogue en Occident, au point de pouvoir servir de légitimation au rosaire : c’est l’objet de la thèse d’un prélat allemand, Rainer Scherschel qui publia en 1982 Der Rosenkranz, das Jesusgebet des Westens. Cette popularité était liée à la traduction et la publication des Récits du pèlerin russe où il est question de l’usage des textes de la Philocalie dans le contexte monastique. Le pèlerin y décrit son apprentissage de la prière répétitive, la « prière du cœur », dans laquelle on reconnaît nos prières répétitives, qui retrouvent par là une nouvelle pureté, non pas dans l’évangélisme mais dans l’idée que les moines d’Orient sont restés fidèles aux plus anciennes traditions de l’Église des premiers temps. La Philocalie est en fait un florilège de textes mystiques grecs composé à la fin du xviiie siècle et traduits en slavon puis en russe au xixe siècle. 179 Eyquem, 1968 ; Eyquem, 1991. 180 Trémeau, 1981. 114 Au fil des perles : la prière comptée Trémeau souligne aussi que la répétition avait un fondement évangélique, dans la prière du Christ au Jardin des oliviers : « Et il s’en alla encore, et il pria, disant les mêmes paroles. » D’autres s’indignent : « Il n’est pas possible qu’une dévotion aussi souverainement authentifiée ait été aberrante. » En fait, ces changements témoignent surtout du passage d’une prière d’impétration, de pénitence et de suffrage, à une pratique plus réflexive et contemplative. La plupart des réformes ont porté sur les mystères à méditer et sur les méthodes pour le faire. Les mystères joyeux sont ceux qui posent le plus de problèmes : uniquement centrés sur l’enfance, ils ignorent la vie publique et la prédication. Plusieurs solutions sont envisagées : supprimer la Présentation au Temple, qui peut être incluse dans la Nativité (soulignons au passage que la Présentation recouvrait déjà la Circoncision et la Purification de la Vierge…), et la remplacer par les Noces de Cana. Certains suppriment aussi l’Adoration des Mages, pour ménager une place au Baptême du Christ. La Transfiguration semble difficile à incorporer et est presque unanimement omise. Toutes ces modifications sont révélatrices d’un profond changement de sensibilité vis-à-vis de l’Incarnation du Christ, s’éloignant de la vision sacrificielle et doloriste qui domine au siècle précédent, pour insister sur l’Enseignement et les Sacrements (de fait, sur l’Église elle-même). Eyquem, sans doute découragé par ce type de bricolage, propose plus radicalement d’ajouter un « quatrième tiers » au rosaire, qui serait facultatif et consacré à la vie publique. Facultatif car ces deux cents Ave Maria ne forment plus un rosaire, et cette belle symbolique numérique, si patiemment élaborée et toujours chérie du psautier de Notre Dame, se trouve détruite. Ce quatrième tiers était composé du Baptême du Christ, des Noces de Cana, Jésus se révélant le Messie à la synagogue de Nazareth, l’Église fondée sur Pierre, l’entrée du Christ à Jérusalem. Eyquem justifie ce choix comme étant les événements que la Vierge aurait pu, ou a dû, méditer (toujours en référence à Luc). Aux mystères douloureux, on reproche surtout l’omission de la Cène, qui s’inscrit, il est vrai, dans le cycle de la Passion, mais ne constitue pas à proprement parler un mystère douloureux. La Cène deviendrait le premier mystère de la série et le troisième, le procès Le difficile renouveau au X Xe siècle 115 de Jésus, en bloc. La même tension vers un modèle chronologique se sent dans les propositions de modification des mystères glorieux, où le couronnement de Marie au Ciel est supprimé, comme faisant double emploi avec l’Assomption au profit de la prière au Cénacle. Cet épisode qui semblait suffisamment évoqué par la Pentecôte, et qui ne nous semble pas revêtir le caractère glorieux des autres, n’est introduit que pour parler à nouveau du caractère évangélique de l’Église, qui se reconnaît dans cette première communauté de prière. La Parousie est fréquemment proposée en substitution du dernier mystère. Les trois divisions du rosaire ont été aussi rebaptisées. Le théologien suisse Hans Urs von Balthasar (1905-1988) propose : la source, la traversée, l’accomplissement181. Certains, par un goût paradoxal pour les origines, souhaitent reprendre le nom de psautier de la Vierge, titre bien marial pour une pratique que l’on veut rendre christocentrique. Une récitation « horizontale » a pu être envisagée : sur un thème, méditer trois mystères, un joyeux, un douloureux, un glorieux. Pour la méditation, la méthode des clausules a été massivement reprise. Elle est en partie responsable du remaniement de l’Ave Maria. Pour intégrer la clausule en français, il faut adopter une formule du type « Jésus le fruit de vos entrailles est béni, lui qui… ». Les clausules, qui peuvent être assez longues, entraînent implicitement l’abandon du « Sainte Marie », dont la connexion avec le reste, peut-être discutable, devient très artificielle. Le nombre des clausules proposées est énorme, variant selon les circonstances, les intentions de prières, la perspective dans laquelle est dit le rosaire. La méditation s’appuie aussi sur une citation biblique, bien sûr tirée des Évangiles, mais aussi des épîtres ou de l’A ncien Testament. Toute méditation morale est généralement abandonnée, mais on suggère pour chaque mystère une application ou une transposition dans la vie pratique (avec un succès variable). Rares sont ceux qui ne se réfugient pas dans les Évangiles, les textes de la liturgie ou les écrits des saints pour proposer des supports à la méditation ; certainement dans le souci d’éviter les « expressions empreintes de mièvrerie ou la traduction d’une dévotion trop personnelle et subjective ». Nous sommes loin des oraisons jaculatoires… 181 Balthasar, 1978. 116 182 Lejeune, 1987. 183 Eyquen, 1968 et 1991. Au fil des perles : la prière comptée Tout cela nous donne la mesure de l’enthousiasme, de l’inquiétude, du désir de renouveau et de normalisation qui caractérisa cette période. Inutile de dire que le rosaire retomba dans les ornières qu’il avait patiemment creusées depuis un demi-millénaire et que, quand il est encore récité aujourd’hui, c’est sous la forme rigidement établie depuis le xvie siècle. Donnons ici un petit aperçu de ces suggestions qui, à partir du moment où tout devient possible, se multiplièrent pour créer autant de monstres morts-nés. René Lejeune (1922-2008), un intellectuel engagé dans la réforme de l’Église, propose toute une série de différentes méthodes pour des rosaires bibliques182 : « Le Rosaire ressemble à un ordinateur traitant inlassablement le même programme… Mais ne lui tarde-t-il pas de se livrer aux prodigieux et inépuisables logiciels bibliques ? » Il compose des rosaires à thèmes, par exemple, le chapelet de l’A lliance. Les textes de la Bible servent alors de support et remplacent les mystères. 1 : Noé (Genèse, 9, 9-13) ; 2 : Abraham (Genèse, 17, 3-7) ; 3 : Jésus-Christ (Luc, 22,20) ; 4 : l’Esprit saint (2 Corinthiens, 3,6) ; 5 : Alliance éternelle (Apocalypse, 11, 19 ; 12, 1). Sur le même principe, il imagine un chapelet du sacerdoce. Mais, en fait, chacun peut créer le sien à partir d’un faisceau de textes bibliques. Il propose aussi des chapelets d’analyse biblique, autour d’une figure dont on évoque différents aspects. Par exemple, le chapelet d’Abraham (la foi, la bénédiction, la promesse, la postérité, les héritiers) ou celui de saint Jean Baptiste (sa naissance, le précurseur, le Baptiste, celui qui baptise Jésus, son emprisonnement, sa foi y est confirmée). Enfin, il suggère des « chapelets bibliques à livre ouvert » : à partir d’un passage, d’un psaume ou d’une épître. Par exemple, le chapelet du Dieu de tendresse, à partir d’Isaie, 55 (les différents versets servent à la méditation) ou le chapelet des amis de Jésus, à partir de Jean, 15. Toutes ces vertigineuses propositions sont bien peu en accord avec ce qui est à l’origine du chapelet et de son succès : sa simplicité et sa répétitivité. Dans Aujourd’hui le Rosaire, Eyquem suggère des récitations avec clausules accompagnées d’un récit évangélique183 : « Pour beaucoup cette nouvelle manière de prier apporte une libération. » Il imagine Le difficile renouveau au X Xe siècle 117 également un rosaire de cent cinquante glorifications du Nom de Jésus, inspiré du chapelet musulman. La méthode des clausules trouve un développement extraordinaire chez Paul Cneude, un autre auteur engagé dans le renouveau de la pratique religieuse des laïcs, qui en donne mille cinq cents exemples184. D’autres préfèrent s’en tenir à la méthode et aux mystères traditionnels, en adaptant la nature de la méditation à la vie moderne et aux personnes qui prient. L’une d’elle, suite à l’effondrement du communisme, propose des méditations sur des textes de la liturgie byzantine et des intentions de prière œcuméniques185. Pour donner une idée de la complication de ces recherches, voici encore l’une de ces méthodes, publiée en 1990 par le journaliste québécois Jean-Guy Elliott et exposée ici in extenso186. Dans le Chapelet pour tous il faut : 1. Dire « Oui » à Dieu. 2. Annoncer et porter Jésus aux autres. 3. La Foi en Jésus. 4. Accepter les sacrifices nécessaires au Salut. 5. Chercher Jésus. 6. Accepter la volonté de Dieu. 7. Aimer aussi dans la souffrance. 8. Rendre le bien pour le mal. 9. Suivre Jésus sur le chemin de la croix. 10. Aimer Jésus, et le prochain comme Lui. 11. Mort de l’égoïsme, et résurrection de l’amour. 12. Rester ouvert à l’amour de Jésus. 13. Rester docile à l’action de l’Esprit saint. 14. Fidélité à Jésus pendant la vie. 15. Garder en vue la vie éternelle. Ce rosaire reste assez proche des anciennes méthodes qui faisaient correspondre une vertu avec un mystère. Elliott propose un autre rosaire pour méditer avec la Parole de Dieu : 1. L’Esprit dirige la vie et l’Église. 2. Dieu présent en tout. 3. L’Incarnation. 4. Le Christ venu pour tous les hommes. 5. Amour plus détaché de Marie pour son Fils. 6. Humilité dans la prière. 7. Souffrance physique. 8. La Royauté offerte du Christ. 9. Les filles de Jérusalem, l’innocence de Jésus. 10. Silence de Dieu. 11. Nos ténèbres s’illuminent. 12. Vivre dans la foi. 13. Vocation de chacun. 14. Marie, première à entrer dans la gloire. 15. S’unir à la gloire de Marie. Un troisième est composé pour prier avec Marie, un autre pour les jeunes, un dernier pour les personnes consacrées. La dernière chose que l’on pouvait encore changer, c’est le principe de l’objet qui est à l’origine de toute cette histoire : des perles enfilées 183 Cneude, 1992. 184 Sous votre protection, nous venons nous réfugier. Aide à l’Église en détresse, Averbode, 1992. 185 Eliott, 1990. 118 Au fil des perles : la prière comptée sur une ficelle en nombre précis. On proposa de lui donner la forme moderne et commode de la carte de crédit ! Il ne lui manquait plus alors qu’à intégrer ainsi les logiciels bibliques évoqués plus haut. Remarquons que, pour la première fois, on a omis le « pendant », les trois Ave Maria, reliquat de la couronne de Notre Dame, alias le chapelet de sainte Brigitte. De nouveaux chapelets pour des temps nouveaux 65. Chapelet missionnaire. 66. Chapelet missionnaire avec mappemonde. Le chapelet missionnaire, avec ses perles bariolées aux couleurs des cinq continents (ill. 65) est, comme objet, le plus expressif du désir de renouveau, de modernité, de prière collective. Il ne s’agit plus de prier pour les âmes des morts, mais pour la conversion du monde (ill. 66). Le père André Duval le cite en exemple des tentatives de renouvellement de la prière du rosaire, dans une perspective élargie au monde. L’objet est toujours un chapelet mais les textes désignent la dévotion comme le rosaire missionnaire. Fulton John Sheen (1895-1979), évêque auxiliaire de New York, directeur pour l’A mérique de l’œuvre de la Propagation de la Foi et premier télévangéliste, en fut l’instigateur : il le lança lors d’une de ses émissions de radio, « The Catholic Hour », en février 1951. La dévotion fut approuvée par le cardinal Pietro Fumasoni Biondi, préfet de Propaganda Fide. Ce chapelet manifeste, bien avant le concile, un esprit de modernité par sa conscience du monde comme réalité politique ; il permet au fidèle de faire face à responsabilité que l’Église lui assigne désormais, répandre la Bonne Nouvelle. La conversion est le maître-mot de la nouvelle évangélisation, loin du salut des âmes des vivants et des morts auquel était autrefois consacré le rosaire. Un chapelet d’une forme tout à fait nouvelle fut nommé Fiat, du nom de la réponse que fit la Vierge à l’archange (« que cela se fasse ») et qui symbolise l’acceptation par l’homme de son propre salut (ill. 67 et 68). C’est l’accueil de l’action du Saint-Esprit qui renouvelle la Foi et fait de chacun un nouvel apôtre. La structure du chapelet Fiat est ternaire, quatre sections de trois fois trois perles, un rythme qui se veut un rappel constant de la Trinité. Les sections sont sépa- Le difficile renouveau au X Xe siècle 119 rées par des grains intercalaires colorés différemment des autres, couleur en rapport avec les mystères médités : bleu pour les joyeux, blanc pour les lumineux, rouge pour les douloureux, jaune pour les glorieux. Cette dévotion est née du désir du cardinal Léon-Joseph Suenens (1904-1996), ancien archevêque de Malines et Bruxelles, de créer, en réponse à l’encyclique Marialis Cultus, un nouvel outil face à la déchristianisation croissante. A côté de cet acte de naissance officiel, ce chapelet a aussi une histoire surnaturelle. Veronica O’Brien (1905-1998), une Irlandaise militante de la Légion de Marie, qui faisait partie du cercle du cardinal Suenens, se navrait à la veille de la Nativité de la Vierge (le 7 septembre 1984) du succès de la fête des mères et du peu d’intérêt pour la naissance de « Marie, Mère des mères ». Elle demanda à Jésus ce qu’il allait offrir à sa mère pour son anniversaire : « Et subitement, dans un flash spirituel intérieur, j’ai vu le dessin d’un chapelet de format réduit et j’ai cru entendre ces paroles du Seigneur : “Voici le cadeau d’anniversaire que J’offre à ma Mère pour qu’elle aide à me faire connaître jusqu’aux extrémités de la terre. Répands-le à travers le monde”. » La forme de l’objet se veut catéchétique et l’on est loin de ces variations désinvoltes de couleurs, de matériaux et d’images autrefois proposées dans les boutiques. Placé sous le signe de l’Esprit saint, qui figure sur la médaille, il est la dévotion emblématique du renouveau charismatique dans l’Église catholique. Ce chapelet est destiné à une pratique collective, plutôt domestique, dans « le premier noyau de l’Église ». Il s’agit, en fait du chapelet traditionnel simplifié mais qui, en plus d’être un « petit catéchisme », est « une invitation vers l’apostolat ». Les orientations définies dans sa méthode (chapelet familial, ecclésial, œcuménique et évangélique) en font le type même de la dévotion postconciliaire. 67. Chapelet Fiat. La prolifération organique des couronnes : une nécessité anthropologique ? Les temps du Concile sont révolus. Par bien des aspects, l’Église catholique est revenue en arrière ou a redécouvert les vertus de ces anciennes pratiques. 68. Chapelet Fiat avec méthode. 120 69. Deux chapelets de sainte Rita. Au fil des perles : la prière comptée L’aspect le plus intéressant de la période actuelle est la permanence et la nouvelle prolifération des couronnes de prières, qui apparaissent de toute part, comme au xixe siècle. Mais il n’est plus besoin des pesantes approbations de supérieurs, puisqu’on ne demande pas d’y attacher indulgences ou privilèges. La plupart de ces chapelets renouent avec la littérature des feuillets ou des images pieuses : les oraisons sont souvent des textes propres, et non les prières canoniques, textes qui admettent une infinité de variantes. Libre à qui veut de composer de nouveaux chapelets, un exercice infini comme les nombres eux-mêmes. Par exemple, pourquoi ne pas célébrer les vingt-quatre ans de la vie de sainte Thérèse par un chapelet de vingt-quatre perles ? C’est chose faite. S’ils sont parfois inspirés surnaturellement, ils semblent le plus souvent produits de l’ingéniosité des fabricants. Les nouveaux saints se virent composer des chapelets : c’est le cas de saint Charbel, un moine maronite mort en 1898 et canonisé en 1977, ou de Juan Diego Cuauhtlatoatzin, le voyant de Guadalupe, canonisé en 2002. On propose un nouveau chapelet des douze étapes de la sérénité, tout à fait « new age », ou un nouveau chapelet de trente-trois perles, dans la tradition des chapelets christiques, destiné à prier pour « la conversion du monde », bien caractéristique de notre époque globale. Ces nouveaux chapelets masquent difficilement leur caractère factice, éphémère et leurs copieux emprunts à leurs prédécesseurs dont ils ne sont souvent que des prolongements ou des pastiches. La couronne des Douze étoiles ou des Douze privilèges de la Vierge (voir p. 104) devient le chapelet Stella Maris « inventé » par monseigneur Warren Louis Boudreaux à Morgan City en 1979 à l’occasion de la création de la Confraternity of Our Lady Star of the Sea. Ils répondent aux mêmes inquiétudes anciennes, préconciliaires : la conversion des pécheurs, la bonne mort, les causes désespérées. Pour la première, on a imaginé un chapelet de sainte Monique composé des trente-deux années qu’elle passa à prier pour la conversion de son fils Augustin. Sainte Barbe, protectrice légendaire du chrétien in articulo mortis, pourtant retirée du calendrier liturgique, refait surface de nos jours avec un petit chapelet de la bonne mort. Pour les causes désespérées, au chapelet de sainte Rita (ill. 69) s’est Le difficile renouveau au X Xe siècle 121 adjoint récemment celui de saint Jude dont la dévotion est l’un des phénomènes les plus curieux de ces dernières décades. La plupart de ces chapelets ne diffèrent des dévotions précédentes que par le nombre des répétitions de Pater Noster, d’Ave Maria et de Gloria Patri, ainsi que par les mystères à méditer. À côté de ces chapelets inventés ou réinventés, la tradition des dévotions divinement révélées se poursuit. C’est un trait constant de l’histoire que nous avons tentée d’évoquer ici : les institutions, à un certain moment, canalisent et endossent ces formes de piété, en autorisant la pratique de tel chapelet, la visite de tel sanctuaire (tolérance qui n’a rien d’une reconnaissance, contrairement à ce que l’on écrit couramment). Mais ces frottements entre l’Église et la piété privée restent ponctuels. Comme au xiv e siècle, diverses personnes sont toujours favorisées de visions au cours desquelles elles reçoivent des instructions précises. C’est la Vierge elle-même qui indique le plus souvent ces nouvelles dévotions. À Medjugorje, elle laissa un nouveau chapelet pour la paix, composé de sept groupes de trois grains sur lequel on dit les prières du rosaire. À la ferme de Greensides près de Marmora (Ontario) au Canada, les apparitions de la Vierge sont régulières et, comme celles dont furent favorisées les mystiques médiévales, elles mêlent dialogue familier, sollicitude pratique et annonces apocalyptiques. En voici un exemple, rapporté par la voyante Dory Tan, survenu le 6 janvier 2001 : une fois de plus, c’est une histoire de chapelet. Dory Tan avait vu une statue de la Vierge qui portait un beau chapelet, et pria pour en avoir un semblable. En effet, on lui offrit bientôt un objet similaire, qu’elle chérit comme un trésor. Avec le temps, il se brisa, et elle en laissa les morceaux sur l’autel de son oratoire. Lors d’une apparition le 6 janvier 2001, le Christ lui demanda de fabriquer un petit chapelet ; elle ne savait comment faire, mais il lui rappela l’existence de ces morceaux, qu’il retrouva pour elle. Mais elle ne savait quelle forme lui donner. Le Christ la rassura : « Ne t’inquiète pas. Ma Mère qui est aussi ta Mère va te montrer. » Et, en effet, la Vierge indiqua la composition et la méthode pour un petit chapelet, de cinq fois trois Ave Maria séparés par des Pater Noster. À la fin de chaque groupe, on ajoute : « Seigneur Jésus, par votre très 122 70. Bracelet de la Vie de la Vierge. 71. Bracelet du Saint Esprit. Au fil des perles : la prière comptée Précieux Sang qui coule de vos cinq Plaies sacrées, couvrez-nous et lavez-nous de nos péchés. » Ce nouveau chapelet est en fait un avatar de l’ancien chapelet des Cinq plaies (voir. p. 85). Nous retrouvons, dans ce type de mystique, les ingrédients qui semblent traverser le temps et défier toute évolution. Cette constance n’empêche pas que certaines de ces visions soient largement colorées par les questions éthiques contemporaines. C’est le cas du chapelet de l’Enfant à naître, destiné à lutter contre l’avortement. Il a la distribution d’un chapelet normal mais les grains ont des formes expressives du contenu de la prière : les petites perles sont des larmes bleues de bébé et les grosses des gouttes de sang en forme de croix. Ce chapelet fut reçu de la Vierge par Maureen Sweeney-Kyle à Cleveland. Dans une vision de 2001, la Vierge lui expliqua que chaque Ave Maria dit à cette intention délivre un bébé de l’avortement. Le chapelet se récite comme le rosaire, avec les mystères, récitation complétée d’oraisons propres : par exemple, après chaque dizaine : « Ô Jésus protège et sauve ces enfants à naître ! » Les âmes des morts, le grand sujet d’angoisse autrefois, semble aujourd’hui reculer dans les brumes de l’incertitude. Il suffit d’aller à une messe d’enterrement pour en prendre conscience : la doctrine de l’Église, si elle reste théologiquement précise, ne se manifeste pas volontiers. On préfère se soucier des âmes à naître. Cette prolifération qui est autant commerciale que dévote s’accompagne parfois d’une régression infantile, proposant de petits objets à porter sur soi qui tiennent à la fois du talisman, du bijou d’enfant et du chapelet. C’est le cas de ce bracelet de la Vie de la Vierge (ill. 70), actuellement vendu dans le petit sanctuaire marial qui surplombe Vicence, la basilique du Monte Berico. Les différentes perles, par leur nombre et leur couleur, représentent la vie de la Vierge. Le bracelet se lit à partir du paquet de médailles : les deux grosses perles brune et orange, la perle dorée représentent saints Joachin et Anne et l’ange. Le grain rose est Marie, leur fille, le grain en bois est saint Joseph, son époux, et celui en perle est Jésus. La fuite en Égypte est le grain en pierre brune, le miracle des Noces de Cana les perles blanches et rouges. Nous ne savons rien ensuite de la vie Le difficile renouveau au X Xe siècle 123 de Marie, seulement qu’elle fut laborieuse, dévote, affectueuse et pauvre (vertus évoquées par quatre grains multicolores). Les trois grains noirs, haine, envie et trahison, mènent à la croix. Les apôtres sont les douze perles bleu cristal séparées par une grosse blanche, qui est la Vierge au milieu d’eux. Suivent les médailles des apparitions de la Vierge : dans l’ordre chronologique Guadalupe, la rue du Bac, Lourdes et Fatima. Il n’y a rien à réciter sur cet objet, qu’il suffit de porter : c’est un sympathique gadget pieux, véritablement emblématique d’une certaine piété post-moderne. D’une manière plus classique, le petit bracelet du Saint-Esprit (ill. 71) est également avant tout un bijou (même s’il est en plastique). Il est pourvu d’un fermoir, et lorsqu’il est sur le poignet, il n’est pas facile d’en compter les graines. On reconnait là diverses idées de l’esprit novateur du milieu du xxe siècle : les couleurs du chapelet missionnaire, le rôle évangélisateur de l’Esprit, comme dans le chapelet « Fiat », mais avec cet étonnant retour, imprévisible, aux formes de la piété que le xxe siècle pensait avoir balayées ou, au moins, mises de côté une fois pour toutes. Sur la médaille, nous voyons reparaître le Sacré-Cœur et surtout Notre Dame du Scapulaire, l’ancienne dévotion à la Vierge qui tire les âmes du Purgatoire. Ce renouveau anarchique trouve un cadre institutionnel depuis le début du pontificat du pape François, grand promoteur du chapelet. L’objet change encore de forme : ici, c’est un chapelet complet que l’on peut porter au poignet, et même utiliser (ill. 72). Rien à voir avec les dizaines de nacres qui ornaient les poignets des premières communiantes. Un avatar récent de ce chapelet-bracelet s’enroule, tel un ressort, et peut être déroulé pour compter (ill. 73) : il redevient bijou, comme à la Renaissance, ce qu’avait délibérément et constamment refusé de faire le chapelet issu du concile, pauvre et fonctionnel (ill. 63). À l’occasion du Jubilée de la miséricorde (2016), le chapelet a refait massivement apparition sur les étals des marchands ambulants dans les rues de Rome, douze pour le prix de dix. Ce renouveau s’accompagne de celui des méthodes issues de visions mystiques, en particulier autour de la figure de sainte Faustine Kowalska (1905-1938), « apôtre de la miséricorde », canonisée en 2000. Le Christ lui apparut à Vilnius en 1935 et lui donna le texte de prières à réciter sur le 72-73. Deux chapelets bracelets. 124 Au fil des perles : la prière comptée rosaire, à la place des Pater Noster et des Ave Maria187. Ce chapelet de la Miséricorde doit être dit neuf jours de suite (nous retrouvons notre neuvaine) pour apaiser la colère du Christ. L’église de Santo Spirito in Sassia est le centre de son culte à Rome, et les murs du sanctuaire se couvrent de milliers de chapelets offerts en ex-voto (ill. 74). Une nouvelle fois et d’une nouvelle manière, le chapelet symbolise dans sa matérialité la permanence de la prière. 74. Les chapelets en ex-voto à Santo Spirito in Sassia (Rome). Page de droite : 75. Une image moderne du Bon Pasteur, avec les scènes de sa vie encadrées de perles et de roses. 187 À la place des Pater Noster : « Père Éternel, je vous offre le Corps et le Sang, l’Âme et la Divinité de votre Fils bien Aimé et notre Seigneur Jésus Christ en expiation de nos péchés et de ceux du monde entier. » À la place des Ave Maria : « Pour sa douloureuse Passion ayez miséricorde de nous et du monde entier. » Le difficile renouveau au X Xe siècle 125 Les perles enfilées, la prière matérialisée VIII Les perles enfilées, la prière matérialisée 127 Le chapelet, au sens le plus large, implique la connaissance de prières par cœur, qui seule permet une répétition facile. Il ne se prête pas aux prières nouvelles ou à la multiplication des textes. Le plus souvent, ces prières font partie de l’éducation minimale du chrétien : le Pater Noster, l’Ave Maria, éventuellement le Credo. Comme nous l’avons vu, c’est même la principale cause de la naissance de cette dévotion : remplacer les textes complexes et nombreux des psaumes par des prières connues par cœur. On peut légitimement se demander si le relatif insuccès des couronnes de prières que nous avons décrites plus haut ne tient pas à cela : quand il faut apprendre de nouvelles oraisons, elles s’implantent difficilement, et quand elles sont constituées de répétitions de Pater Noster et d’Ave Maria, elles finissent par se confondre avec le chapelet et disparaissent. Ces grains enfilés, c’est la prière : le mot anglais qui désigne les perles en général et toutes les couronnes de prières, beads, vient de la racine germanique bet, « prier ». Les couronnes de prières sont toutes basées sur un principe rythmique primitif, qui oppose un groupe et un élément isolé. Cette organisation est généralement soulignée au toucher par une différence de taille entres ces groupes, composés de petits grains, et les grains plus gros qui les séparent. Cette économie pragmatique, essentielle, permet toutes sortes de variations qui se fondent toutes sur deux concepts : la répétition et l’alternance, à travers un geste simple, égrener en priant ces perles entre les doigts. Qu’il soit tripoté au fond de la poche ou au vu de tous, c’est par le toucher seul que se fait le comptage : l’on passe d’un grain à l’autre, puis au vide sur la chaîne ou le cordon qui indique la fin d’un groupe et annonce le grain isolé. Celui-ci est le plus souvent différencié par sa taille, le traitement de sa surface (par exemple sculpté si les autres sont lisses), par son matériau à la texture et à la température différente : en argent sur un chapelet de verre, en nacre sur un chapelet de bois. Alors, essayons de mettre ce chapelet entre nos doigts : on sera souvent surpris. Sur certains, les grains sont si serrés que l’on ne peut les distinguer au toucher, ou ne glissent pas sur cordon ; d’autres ont des formes si tarabiscotées qu’ils ne sont pas identifiables sous les doigts (ill. 76), sans parler des lourds chapelets de pierre ou de nacre que l’on ne sait comment 76. Les grains en forme de croix de Jérusalem rendent le toucher de ce chapelet particulièrement désagréable. 128 77. Une dizaine à mettre au poignet. Au fil des perles : la prière comptée porter longtemps ou de ceux que l’on porte en bracelets (ill. 77). Ceci explique la bonne conservation d’un grand nombre de ces objets qui étaient tout simplement peu commodes et ne furent pas utilisés. La matérialisation élémentaire de la prière sous cette forme, dans une opposition binaire de perles enfilées seules et en groupes, supporte mal les adjonctions, oraisons jaculatoires, intentions de prière, et autres litanies qui sont souvent proposées dans les méthodes. Constamment, on a désiré tirer le chapelet de l’ornière de la répétition en ajoutant tous ces éléments. Et, tout aussi inévitablement, le chapelet a résisté car cette noble ambition est incompatible avec cette forme d’oraison, basée sur la répétition et le comptage. La pratique individuelle courante s’en tient à ce que propose l’objet luimême, au fil des perles. Elle investit l’objet d’un sens puissant, qui n’a pas besoin de gloses ou de commentaires : le chapelet, c’est la prière, il en est le signe tangible. Les portraits en orant abondent de chapelets qui, tenus entre les mains jointes ou autour de l’avant-bras, ne sont pas montrés en usage, quand on les égrène, mais comme manifestation sensible de la dévotion. Ces dernières décennies, le tatouage remplit le même office en ornant le cou ou le poignet d’une image de chapelet, en signe d’appartenance (ill. 78). Du plaisir et du péril de la possession 78. Un chapelet permanent autour du cou. Les perles enfilées dans un ordre prescrit, matériellement dérisoires, revêtent une importance inattendue par leur association avec la vie spirituelle : les afficher est un signe, les posséder une joie, les perdre un événement néfaste. Tout d’abord, il faut se défier des séductions de l’objet de lui-même. Sous couvert de piété, on sera peut-être tenté d’acquérir un chapelet particulièrement précieux auquel on s’attachera plus qu’à la récitation de la prière elle-même. Car le prix que l’on accorde à la dévotion semble autoriser une débauche de richesse dans l’objet lui-même. L’inventaire après décès d’A nne d’Autriche témoigne de ce plaisir de l’accumulation ; au milieu de ses bijoux, une quarantaine de chapelets, de cinq, six ou dix dizaines, aux graines serties d’or, ornés de pierreries et de médailles précieuses, des « petits rosaires », certains Les perles enfilées, la prière matérialisée 129 aux perles de turquoise, d’émeraude, d’hyacinthe, de lapis, de grenats. Un gros dizain en bois exotique garni de diamant est estimé 2 200 livres, « un petit Rozaire de lapis dont les Pater sont à teste de Maure… pour mettre au bras188 ». Ces objets exceptionnels ont souvent disparu, aisément transformés en bijoux lorsque la mode n’était plus d’accumuler dizainiers et reliquaires. Leur poids excessif, leur fragilité en interdit pratiquement l’usage effectif. De manière beaucoup plus modeste, un grand nombre de couronnes de prières témoignent de ce rapport ambigu, complexe avec l’intimité, le costume, le bijou, avec le plaisir que procurent de beaux objets que l’on prend plaisir à toucher et parfois, peut-être, seulement à regarder. Les ordres religieux sentirent la nécessité de réglementer l’usage des matériaux précieux pour les chapelets, d’autant plus qu’ils constituent la plupart du temps un élément obligatoire de leur costume (ill. 58, 79, 83 et 85). En 1261, le chapitre provincial des Dominicains de la province de Rome à Orvieto interdit le port des chapelets d’ambre ou de corail aux frères convers (ce qui permet de conclure que cela était permis aux autres). Ce luxe chez les religieux, leur attachement à des choses auxquelles ils pouvaient trouver un plaisir sensuel était condamné par les auteurs spirituels, qui recommandaient l’emploi des objets les plus ordinaires possible (pl. VII.8 et 9), et citaient l’exemple des ascètes : « J’en vis un autre se servir d’un chapelet fait d’osselets de poissons », dit saint Jean de la Croix189. En effet, rien de plus facile à confectionner soi-même à partir de rien, d’un bout de laine, de ficelle, de graines (ill. 3, 80 et pl. VII.8 et 9)... Don Quichotte, qui décida d’imiter les pénitences d’A madis de Gaule alors qu’il était perdu sans chapelet au milieu de la Sierra Morena, dut recourir au même expédient. Il se fit un dizainier en enfilant des gros glands de chêne-liège, l’un plus gros que les autres, et récita avec cet outil un millier d’Ave Maria. L’épisode était encore plus grotesque dans la première édition du roman : le chevalier errant y déchirait un morceau de sa chemise qui dépassait (ce qui revient à dire de son sous-vêtement, qui devait être assez malpropre) et y fit onze nœuds pour se composer un dizain avec lequel il récita un million d’Ave Maria. On ne sait à qui attribuer cette correction, qui atténue la satire trop crue de la dévotion190. 79. Chapelet d’un moine franciscain. 80. Un dizain fait maison. 188 Cordey, 1930. 189 Saint Jean de la Croix, La Nuit obscure, trad. mère Marie du saint Sacrement, livre I, chap. III, Paris, 1990, p. 931. 190 Cervantes, 1863, XXVI, p. 3 ; note 4 p. 357-358. 130 Au fil des perles : la prière comptée De fait, nombre de chapelets sont réalisés dans des matériaux délibérément dérisoires, qui montrent clairement qu’il ne doit s’agir que de la prière, que l’objet n’est rien et qu’il faut se défier du péril de s’attacher à celui-ci : pépins, noyaux d’olive, graines de toutes sortes, tout est bon. Si l’on veut comprendre cette dévotion, il faut garder à l’esprit ces millions de chapelets en bois tournés puis en plastique qui en furent les supports les plus habituels et non pas tous ces chapelets rares, précieux et curieux qui sont dans les livres et dans les musées. 81. Chapelet en Larmes de Job. 82. Chapelet en graines avec croix contenant de la terre des catacombes romaines. 191 Voir Stampfler, 2011, p. 121, qui l’identifie avec une autre espèce, le jatoba (ou courbaril), un arbre tropical qui n’a rien à voir avec ces épineux. Depuis le concile Vatican II, le chapelet se présente souvent sous une forme fonctionnelle et épurée, d’une rigueur pseudo-monastique : de simples perles de bois sur un cordon et une croix qui ne porte pas d’image. Ce volontaire effacement dans la banalité tranche avec leurs bavards prédécesseurs, infiniment variés, créés par les fabricants pour titiller sans cesse leur clientèle. Mais, même en utilisant ces matières pauvres, on n’abandonna pas tout à fait l’idée de raconter quelque chose à travers la matérialité de l’objet. Parmi les multiples graines utilisées, qui ne sont pas toujours faciles à identifier aujourd’hui, remarquons celles du Coix lacryma-jobi, ou Larmes de Job, qui furent si souvent enfilées par les patenôtriers que la plante s’appelle même herbe à chapelet (ill. 81). Cette graine associée par sa forme à la pénitence du prophète semble toute prête à se transformer en perle-prière. Les chapelets fabriqués comme souvenirs de la Terre sainte emploient avec prédilection les noyaux d’olive, souvenirs de Gethsémani et résidus des cuisines monastiques (pl. III.1) ; ils portent parfois un cachet qui garantit l’origine de ces noyaux. Une autre graine très couramment utilisée est ovale et plate, avec une intense couleur brune et luisante (ill. 82). Une tenace tradition de collectionneurs veut y voir les graines de « l’épine du Christ191 ». Parmi les divers arbustes épineux du bassin méditerranéen qui reçurent ce surnom, le jujubier ou le paliure, aucun ne produit de telles graines, qui ressemblent plutôt à celles d’autres arbres épineux, l’acacia ou le robinier. Mais l’on dit aussi parfois que ce sont les branches de ces arbres-là qui servirent à tresser la couronne dérisoire du Christ. Les perles enfilées, la prière matérialisée 131 Le chapelet qui s’affiche, attribut du dévot et de l’hypocrite Le chapelet rappelle la permanence de la prière dans la vie quotidienne. Il trouve naturellement sa place dans le costume des religieux, dont il constitue un élément obligatoire. Il est attaché ostensiblement à la ceinture mais perd alors sa forme initiale : il est doté d’un crochet à la place de la croix, ce qui, comme ici, renverse la structure normale de l’objet (ill. 83). La croix, pour pendre, se voit rejetée au milieu des dizaines et perd son sens symbolique de borne marquant le début de la récitation pour composer une nouvelle silhouette, identifiable à l’envers : celle de l’instrument de prière qui distingue le religieux. L’importance symbolique qui leur est accordée peut être littéralement mesurée à leur longueur. Les simples chapelets de cinq dizaines qui pendent ostensiblement à la ceinture des religieuses au xixe siècle sont si étirés qu’ils doivent être repliés en plusieurs morceaux sur eux-mêmes (ill. 85). Celles qui les portaient ainsi, dans les ordres hospitaliers ou d’enseignement, signalaient leur présence par le cliquettement permanent de leurs perles. Si l’ostension du rosaire accorde certaines indulgences et fait partie de l’habit de nombreux ordres, c’est aussi le moyen de passer pour ce que l’on n’est pas : une personne pieuse et respectable192. Francisco de Quevedo, dans un roman picaresque du début du xviie siècle, décrit de telles figures193 : un faux dévot portait autour du cou un énorme rosaire sur lequel étaient accrochées des bottes de croix, d’images et d’autres couronnes de prières (cuentas de perdones) ; il prétendait chaque nuit prier sur tous ces chapelets pour ses bienfaiteurs. Un autre quêteur ambulant « avait tout l’attirail de l’hypocrite : un rosaire avec des perles percheronnes », c’est-à-dire exagérément grosses. Il montrait comme par inadvertance l’extrémité d’une discipline tachée du sang tiré de ses narines et faisait passer les morsures des poux pour celles du cilice. D’une manière similaire, dans le monde musulman, l’autre grande culture du chapelet, il apparaît entre les pattes du renard trompeur déguisé en derviche (ill. 84). 83. Chapelet de religieux à porter à la ceinture. 84. Le renard travesti. 192 Sur ce point, Cousinié, 2017, p. 104-107. 193 Historia de la vida de un buscón, publié à Saragosse en 1626 (Quevedo, 1962, p. 42, 101). 132 85. Chapelet de Carmélite à porter à la ceinture. 194 William Shakespeare, Henry VI, acte I, scène 3. 195 William Shakespeare, Richard III, acte III, scène 7. 196 Ségur, 1872, p. 98. 197 Georges Sand, Jeanne, Paris, 1867, VII, p. 102. Au fil des perles : la prière comptée Chez les laïcs, il est le témoin le plus fidèle de la piété personnelle. La chose est si entendue que Shakespeare, dans l’A ngleterre réformée, l’utilise a contrario : dans la deuxième partie d’Henry VI, la reine Marguerite évoque la personnalité de son époux au duc de Suffolk en ces termes : « Je crus que Henri te ressemblait en courage, en courtoisie et en élégance ; mais son esprit n’est occupé que de dévotions, et de compter des Ave Maria sur son chapelet194. » Dans Richard III, Gloucester feint de s’entretenir avec deux hommes d’Église au moment où on le recherche pour lui offrir la couronne. Le duc de Buckingham explique son absence : « Quand des hommes religieux et dévots sont à leur chapelet, il est dur de les en arracher, tant leur fervente contemplation a de douceur195. » À chaque fois, le trait qui évoque et caricature l’homme pieux, c’est le chapelet, archétype de la dévotion. Ce fait n’est pas ignoré de ceux qui postulent pour un emploi dans une institution religieuse, ou auprès d’un ecclésiastique et qui laissent négligemment dépasser un chapelet de leur poche, quand ils ne le font pas tomber en sortant leur mouchoir ! La multiplication de ce type d’ostension a jeté un certain discrédit sur les apparitions publiques du chapelet. Il devient un objet de l’intimité dont l’étalage est suspect et même gênant pour le catholique : « On ne conçoit pas comment des Chrétiens peuvent rougir de dire le chapelet196 », s’étonne monseigneur de Ségur. Nul doute qu’au moment où il écrit, à la fin du xixe siècle, ce ne soit pourtant le sentiment dominant. Il reste donc dans le secret des poches, mais sa présence demeure constante et banale. En Vendée, on avait coutume de dire qu’un homme se doit d’avoir sur lui trois choses qui lui permettront de se tirer de toutes les situations : un couteau, un bout de ficelle et un chapelet. Cette familiarité n’est pas toujours respectueuse. Dans le roman Jeanne de George Sand, l’héroïne, retrouve dans ses affaires « l’argent qu’elle avait mis dans du papier et lié avec son chapelet197 », simplement parce qu’elle n’avait rien d’autre sous la main et sans que cela ait aucun sens symbolique. Dans la poche, il peut servir à calculer tout ce qu’on veut : sainte Thérèse de Lisieux, enfant, y faisait le compte de ses « pratiques » quand elle fait assaut de bonnes actions avec sa sœur Céline (ce chapelet existe toujours : il est conservé dans sa maison natale à Alençon). Les perles enfilées, la prière matérialisée 133 Un compagnon de toute la vie Dans The Rosary (1909), le best-seller de Florence Barclay (18621921), le rosaire est la métaphore du souvenir mélancolique des amours perdues. C’est le titre de la mélodie qui est au cœur de ce roman sentimental : l’héroïne doit au pied levé remplacer une chanteuse, et l’interprétation de cette romance changera le cours de sa vie. En voici les paroles françaises : « Les heures que j’ai passées avec vous, cher cœur, sont pour moi un chapelet de perles ; je les égrène une à une… Mon rosaire… Mon rosaire Je baise chaque perle et j’essaye d’apprendre à baiser la croix. » 86. Chapelet de poupée. La banalité mièvre du poème est éloquente : le chapelet est l’image immédiate du fil de la vie avec les événements joyeux et pénibles qui y sont attachés et que l’on peut se remémorer : ne dit-on pas égrener des souvenirs ou des regrets ? Aucun autre objet de dévotion ne fut investi d’une telle charge mémorielle et affective. Si le chapelet ne fait pas partie des cadeaux de baptême, qui marquent davantage l’intégration matérielle à une communauté humaine198, il est présent dès la petite enfance sous une forme ludique (ill. 86). Dans les classes aisées, les enfants pouvaient avoir, à côté de la maison de poupée, une « chapelle » pour jouer à la messe, qui contenait parfois un chapelet miniature. C’est le même qui figure au bras des poupées religieuses, encore confectionnées dans certains couvents. Ce petit objet, inutilisable si ce n’est pour jouer, était aussi offert ou ramené comme souvenir de pèlerinage, dans un petit œuf de buis, d’ivoire puis de plastique (pl. V). Ces derniers sont toujours fabriqués. L’importance accordée au contenant nous apprend quelque chose de ce nouveau rôle : boîtes de toutes formes, pochettes brodées, œufs ajourés parlent d’un objet que l’on conserve précieusement et de manière visible (pl. IV et VI). Quelquefois, cette boîte simule un petit livre en métal, rappelant par là les rapports complexes qui lient le chapelet au texte imprimé. 198 Malgouyres, 1987. 134 87. Chapelet de première communion. 88. Dizainier dans son écrin de la maison Bouasse-Lebel. 89. Chapelet de première communion dans sa boîte en coquillage. 199 Sainte Thérèse de Lisieux, Histoire d’une âme : manuscrits autobiographiques, Paris, 1985, p. 65. Au fil des perles : la prière comptée Il existe aussi de véritables chapelets pour enfants, en perles de verre puis de plastique rose ou bleu, sur une chaîne de laiton ou de fer blanc, avec leurs étuis. Toujours de couleur vive, il conserve une allure de jouet même s’il est conçu cette fois pour être utilisé « comme les grands ». Entre piété et jeu, Thérèse Martin enfant jouait à l’anachorète avec son amie Marie, et « lorsque ma Tante venait nous chercher pour la promenade, notre jeu continuait même dans la rue. Les deux solitaires récitaient ensemble le chapelet, se servant de leurs doigts afin de ne pas montrer leur dévotion à l’indiscret public199 ». Elles retrouvaient sans le savoir la préhistoire de cet objet dont la décimalité est un trait anthropomorphique. Le premier chapelet sérieux, c’est celui de la première communion. Le parrain ou la marraine se devait d’équiper dignement son filleul pour ce que les ethnologues appellent un rite de passage et les catéchismes le plus beau jour de la vie. Cette date marque effectivement l’entrée dans l’Église des adultes par l’accès au sacrement de l’Eucharistie. Il est intéressant de constater qu’un des signes de cette appartenance est le chapelet. Il ne s’agit pas d’un chapelet ordinaire, bien au contraire : souvent de nacre ou de verre taillé monté sur argent, sa blancheur et son éclat seront l’image de la pureté et de l’innocence (ill. 87). Sa richesse marque la solennité de la fête, quand ils sont de lapis, de corail, de jaspe sanguin monté sur or ou sur vermeil. Ces chapelets se signalent d’ordinaire par leur poids et leur longueur, quelquefois par la taille exagérée de leurs grains, témoins de la générosité de la marraine ou du parrain. On aura toujours choisi ce qui se fait de mieux. Pour les filles, on le complète d’une dizaine assortie, portée comme un bracelet et impropre en cet état à aucune utilisation (ill. 88 et pl. VII.2 et 7). Celle-ci est fréquemment rangée dans un coquillage monté en boîte (ill. 89). Parfois, l’objet dans sa boîte forme un véritable petit programme en résumé de la vie du nouveau chrétien adulte : par exemple, ce chapelet de nacre est enfermé dans une boîte gainée de cuir en forme de petit missel, rappelle l’assistance à la messe dominicale, tandis que la plaque de métal montre une sorte d’A nnonciation (comme le salut à la Vierge de la prière du chapelet) transformée en communion, Les perles enfilées, la prière matérialisée 135 souvenir de ce jour particulier qui doit être le premier de nombreux autres (ill. 90). « Le chapelet de la première communion aura sa place bien à lui dans les souvenirs de ce grand jour ; beau souvenir à condition cependant de rester ce qu’il doit être, non pas un vain objet de luxe, mais un instrument qui aide à prier et qui évoque la pensée de Marie », selon les mots de Pie XII200. Cette réprimande du pontife montre bien ce qui se passe en fait : cet objet, souvenir d’un rite de passage fondamental, a surtout une fonction mémorielle. Il sera pieusement conservé, et l’on ne prendra pas le risque de l’abîmer en priant avec (les chapelets se cassent tout le temps) car il est irremplaçable. Ces chapelets portent quelquefois les initiales gravées sur la croix, sur le cœur ou sur la médaille, ou simplement la mention impersonnelle « Souvenir de 1re Communion ». Condamnés à ne pas servir d’une manière ou d’une autre, ils restèrent dans leurs boîtes à l’abri dans un tiroir ; nous retrouvons aujourd’hui beaucoup de ces objets. L’insistance des images de communion sur le lien entre l’Eucharistie et le chapelet est aussi forte qu’étonnante, car ce dernier n’est pas une prière liturgique et encore moins eucharistique. Elle exprime la valeur initiatique de l’objet, en tant que signe d’appartenance à la communauté de l’Église priante (ill. 91). Pour les garçons, autant que l’entrée dans la vie sacramentelle de l’Église, il marquait souvent le terme de toute pratique religieuse régulière. C’était le premier chapelet et le dernier. Les filles au contraire étaient mieux encadrées et la Congrégation des Enfants de Marie est une source importante de médailles et de chapelets. Une fois que les jeunes gens étaient dûment catéchisés et munis de leur chapelet, leur présence à l’église devenait plus occasionnelle. L’une des occasions de raviver leurs sentiments chrétiens était celui de la Mission, un véritable événement dans le monde rural : « La Mission est ouverte, Quittons tout pour la gagner. Car la perdre est une perte Qu’on ne saurait réparer201… » Des prédicateurs spécialisés y galvanisaient les ouailles dont le curé n’avait plus l’oreille et cette rénovation spirituelle collective trouvait son parachèvement dans l’érection d’un calvaire à l’entrée de la commune. Les fabricants de chapelets ne manquèrent pas de 90. Chapelet de première communion dans sa boîte. 91. Image de première communion (12 juin 1955). 200 Pie XII s’adressant aux nouveaux époux, le 8 octobre 1941, évoque successivement le chapelet des enfants, des jeunes gens, des jeunes époux, du père et de la mère de famille, des vieillards, du mourant, de la famille (Rosaire dans l’enseignement des papes, p. l06 sq.). 201 Cantique de Mission du père de Montfort (Montfort, 1929, p. 533). 136 Au fil des perles : la prière comptée produire des objets à vendre en de telles occasions, feuillets de cantiques, médailles et chapelets qui portent dans le cuivre ou le laiton de leur croix l’inscription « Souvenir de la Mission ». Ils sont très fréquents dans la première moitié du xixe siècle (ill. 92). 92. Chapelet-souvenir d’une mission. 93. Chapelet tricolore. 202 Lejeune, 1987, p. 30. 203 Eyquem, 1987, p. 67. 204 Stéphane-Joseph Piat, Léonie : une sœur de sainte Thérèse à la visitation, Lisieux, 1966, p. 149. Le chapelet est surtout un objet familier, bénéfique, que l’on a plaisir à avoir sur soi : « Ce merveilleux petit objet ne devrait jamais quitter le chrétien de sensibilité mariale. Chaque fois qu’il le prend dans sa poche ou son sac, le divin affleure dans sa conscience202. » Il accompagne aussi le soldat : pendant les guerres de 1870 et de 1914-1918, on a fabriqué et distribué des chapelets et des rosaires en os teint bleu, blanc, rouge, dont la croix porte, à l’avers : « Dieu et Patrie ». On imagine toute l’importance que put prendre un tel objet dans ces circonstances (ill. 93). Monseigneur Etchegarray interrogeait un jour un garde du corps que l’on avait placé près de lui, pendant un séjour à New York. Il lui demandait si son métier n’était pas quelquefois dangereux ; l’autre répondit, en lui montrant son chapelet, qu’en cas de difficulté il avait ce qu’il fallait. « Le rosaire, dans sa matérialité même, peut donc être porteur d’une charge affective considérable. Celui qui n’est pas heureux d’avoir sur lui un chapelet (ou un dizainier), comme on a une médaille, n’a vraisemblablement pas compris ce qu’est le Rosaire. Il faut aimer le garder dans le creux de la main, comme une perle précieuse. On comprend que des générations de chrétiens aient voulu descendre dans la tombe, le chapelet entre les doigts203. » Au terme de la vie, il lie les mains du mort dans un geste de prière ; c’est l’un des rares objets, avec l’alliance et la médaille de baptême, à être enfermé dans le cercueil. Lors de l’exhumation de sainte Thérèse de Lisieux le 6 septembre 1910, la croix de son chapelet est retrouvée entre ses doigts et offerte à sa sœur Léonie204. Cet usage, plutôt qu’un reliquat des pratiques païennes de matériel funéraire, dont les ethnographes sont si friands, paraît enraciné dans l’espérance de la résurrection de la chair. Il est lié à l’attente de la vie éternelle, comme en témoigne une abondante iconographie de l’âme montant au Ciel, qui s’y envole résolue à y prier éternellement munie de son chapelet. Ma grand-mère maternelle, née il y a un siècle et Les perles enfilées, la prière matérialisée 137 morte il y a une dizaine d’années, fut sûrement une utilisatrice fidèle et modeste du chapelet. J’ai le souvenir, dans le tiroir de sa table de nuit, de deux ou trois de ces chapelets marron en bois, assez laids dans leurs pochettes de plastique. Quand elle mourut, il me sembla juste de lui mettre une dernière fois entre les mains ces perles qu’elle avait si souvent égrenées et, faute d’avoir retrouvé l’un de ses chapelets, j’en ai choisi un dans ma collection, qui est enterré avec elle. Cette anecdote n’est là que pour rappeler combien, malgré l’apparente continuité des pratiques que nous soulignons volontiers dans cet ouvrage, le xxe siècle marqua une profonde rupture : dans ce cas, la répétition de ce geste ancestral de respect et de dévotion se fit aussi à travers la conscience de son sens historique et ethnologique. Le chapelet qui servit à cette occasion était un objet de collection et n’était déjà plus un véritable objet de piété. Les chapelets restent donc au fond des tiroirs des tables de nuit, dans les poches des robes de chambre et, parfois, une pauvre inscription tente de sauver temporairement de l’oubli la vie qui était attachée à cet objet (ill. 1). Ils suivent souvent le même itinéraire : ceux qui les trouvent ne savent qu’en faire et les confient à une tierce personne qui, pieusement, les étiquette, après les avoir mis, quand ils n’ont pas d’étui, dans une invraisemblable boîte à médicaments ou à bonbons (ill. 94). 94. Rosaire dans une boîte TABLETTES A LA VANILLE DE F. MARQUIS. Inscrit à la main, « rosaire venant de Marie Gallais, ep. Van der Hoveé » Le souvenir d’un itinéraire spirituel À la différence de la mission, qui survient en quelque sorte dans la vie du paroissien, le pèlerinage est acte volontaire de foi et de dévotion. Là encore, le chapelet trouve sa place, comme souvenir de ce moment particulier, souvent unique. Les boutiques aux abords de tous les grands sanctuaires en proposaient, autrefois comme aujourd’hui, de toutes sortes et à tous les prix. Si l’on aime prier avec des perles, il est difficile de ne pas avoir une petite appétence pour les chapelets, même si l’on en possède déjà un ou plusieurs : il est bien rare de n’en avoir qu’un seul. Le pèlerin n’hésitera donc pas à acheter pour lui-même l’un de ces objets comme souvenir. Les chapelets sont fabriqués pour cela et portent sur leurs croix ou leurs cœurs « souvenir de Lourdes » 95. Chapelet en améthyste « souvenir de Rome » avec une médaille de Pie X. 138 96. Chapelet avec médaillessouvenirs de pèlerinages dans le Pas-de-Calais. 97. Chapelet rendu inutilisable par ses médailles. Au fil des perles : la prière comptée ou « Ricordo di Roma », une fonction mémorielle qui n’exclut pas leur usage mais semble prendre le pas sur lui. C’est aussi l’une des choses que l’on offrira à ceux qui n’ont pas fait le voyage. Un beau chapelet en pierre dure, avec son étui en cuir gaufré et sa médaille du pape, est sûrement rapporté de Rome pour faire un cadeau et non pour prier soi-même (ill. 95 et pl. VI.1). Comme les autres souvenirs de ce genre, il finit dans une vitrine ou dans un tiroir. La force évocatrice de l’objet peut être renforcée par l’adjonction d’une vue dans la croix sous une lentille, comme dans un porteplume, qui montre le sanctuaire, la statue vénérée, etc. Inutile de souligner le caractère cocasse de cette insertion d’une photographie dans la croix, à la place du Christ. Nous verrons un peu plus loin comment certains, à travers leur matériau, transportent un peu de cette réalité du lieu avec eux. Ce chapelet-souvenir est moins intéressant qu’une autre pratique : celle de réunir, sur un seul chapelet, le chapelet de sa vie, les médailles des sanctuaires visités ou des saints vénérés (pl. II). Par les médailles qu’on lui attache, il devient le support d’une autobiographie dévote : visites répétées au même sanctuaire, prière patriotique, pèlerinages de la Vierge. Tel se souvient d’un grand pèlerinage en Terre sainte ou d’un beau voyage fait à l’occasion d’une solennité. Les médailles avec les papes, émises à l’occasion des conciles et des jubilés, rappellent que le propriétaire de cet objet-là a reçu, avec lui, une bénédiction pontificale, la plus riche d’indulgences. Un autre se cantonne à accrocher sur son chapelet de bois les médailles des sanctuaires de son voisinage : on y trouve les souvenirs du pèlerinage de la Vierge de Boulogne-sur-Mer, et celui, beaucoup plus rare, de la Sainte Larme d’A llouagne, versée par le Christ à la mort de Lazare. Les deux basiliques se trouvent dans le Pas-de-Calais (ill. 96). Beaucoup de ces « biographies en médailles » sont similaires. Les chapelets portent la marque des dévotions les plus en vogue de leur temps : les apparitions de la rue du Bac et de Lourdes, Notre-Dame du Mont Carmel (c’est-à-dire les âmes du Purgatoire), le SacréCœur. Mais il est rare d’en trouver d’aussi chargés de médailles que celui-ci (ill. 97) : leur abondance modifie profondément l’ergonomie Les perles enfilées, la prière matérialisée 139 et donc la nature de l’objet. On ne peut plus y compter des prières et le poids même de ces médailles risque d’en briser la chaîne. Il devient autre chose : un lieu de mémoire. Le chapelet commémore aussi des événements qui dépassent l’individu et touchent les traumatismes de l’histoire nationale. Ici (ill. 97), une médaille rappelle l’incendie de la cathédrale de Reims, dont la destruction est évoquée dans l’inscription en termes diaboliques. À côté une médaille avec la basilique de Fourvière et le lion de Belfort rappelle la protection de la Vierge sur la ville de Lyon pendant la guerre de 1870, médaille que l’on retrouve sur un beau chapelet d’agate orné de la Sainte Face, une dévotion très populaire du temps. Le rôle de la prière collective des catholiques en temps de guerre laisse donc aussi ses traces sur ces objets. L’imagerie exprime la même réalité, avec plus de force encore : pour représenter la prière, elle montre le chapelet (ill. 98). On peut parfois se demander quel crédit accorder à ces assemblages : sont-ils délibérés ? Le fait d’une même personne ? Voici un exemple (ill. 99) qui suggère que toutes les médailles furent ajoutées au moment de l’achat du chapelet, peut-être choisies par le client et montées dans quelque sacristie de couvent romain. Elles sont toutes du même fabricant et accrochées de la même manière. Le chapelet-souvenir trouve son expression ultime dans ces objets monumentaux, portés en bandoulière lors du pèlerinage et ramenés de Lourdes, de Fatima ou de Pompéi, pour être accrochés dans la chambre, au-dessus du lit, autour du bénitier ou de la photographie d’un parent disparu (ill. 100). Bien sûr, leur taille les rend impropres à tout usage autre qu’ornemental : leur emploi décoratif s’apparente au mobilier. Ces chapelets monumentaux semblent apparaître à Lourdes à la fin du xixe siècle, avec des grains sculptés en forme de rose (pl. II.7 et IV.5). Dans d’autres grands sanctuaires mariaux, on en propose de toutes les formes et de toutes les couleurs, en buchettes de liège, avec des grains en forme de tonneau (!?), dans toutes les matières plastiques possibles et certains peuvent même clignoter ! Le chapelet est la matérialisation très forte de l’itinéraire spirituel qu’il accompagne : d’abord au sens propre, parce qu’il peut porter 98. Appel aux femmes de France. Feuillet du Chapelet des Enfants. 99. Chapelet en noyaux d’olive avec douze médailles ajoutées. 140 Au fil des perles : la prière comptée les médailles des saints vénérés et des sanctuaires visités, comme la valise porte les étiquettes des périples de son propriétaire. Mais il est aussi un signe d’une autre réalité : celle de l’homme intérieur et de sa santé spirituelle. La jeune fille qui s’épouille, dans l’intimité de sa chambre, entre son vase de nuit, son peigne et son chien, porte sur ses genoux son chapelet, un autre instrument d’hygiène (ill. 101). Jacob Van Campen, qui surprend et nous livre cette scène intime, le fait peutêtre avec le regard moqueur qu’un protestant pouvait porter sur de telles pratiques (le perroquet sur son perchoir au fond n’est pas là pour rien). Mais si l’artiste blâme la naïveté de la jeune fille, il nous montre aussi son innocence. C’est ce signe que raille Rimbaud dans une lettre du 5 février 1875 à Ernest Delahaye, écrite après que Verlaine eut tenté de le tuer : « Verlaine est arrivé ici [Stuttgart] l’autre jour, un chapelet aux pinces… Trois heures après on avait renié son dieu et fait saigner les 98 plaies de N.S. » 100. Chapelets décoratifs à accrocher. 101. La femme, le chapelet et le perroquet… 205 Grandais, 1985, p. 181. 206 Laure Junot d’ Abrantès, La Duchesse de Valombrai, I, Bruxelles, 1839, p. 184-185. Le chapelet brisé Quelle tristesse quand le chapelet disparaît ou se casse ! Quel mauvais augure… Jean-Léon Le Prévost (1803-1874), fondateur des Religieux de Saint-Vincent de Paul, faisait coïncider la perte de son chapelet avec la perte de la foi dans son enfance205. C’est un fil rompu dans la vie, un point de non-retour : ce n’est pas le ciseau de la Parque mais tout de même… Il se fait métaphore de la vie affective : « Nous avons les souvenirs roulés en chapelet dans le cœur, a-t-on écrit quelque part. Quoique souvent le fil du chapelet se casse, et que les grains s’éparpillent !… Mais ceci est la conclusion de toutes les tendresses humaines… » Et l’auteure ajoute que, malheureusement, les natures constantes n’ont pas « la faculté d’oublier et de casser promptement le fil du chapelet ; car leur chaîne est de fer206… » Les sites de « chat » religieux sur Internet sont pleins d’anxieuses questions sur la signification du bris du chapelet. Les perles enfilées, la prière matérialisée 141 Le chapelet se brise lorsque l’on s’en sert (et l’on peut constater souvent, à cette aune, combien ont peu servi les beaux chapelets de pierre dure ou de nacre, ou ceux avec de fragiles médaillons sous verre) (ill. 102). La littérature pieuse abonde en histoires de raccommodages de chapelets : Monseigneur Louis-Gaston de Ségur rapporte une édifiante histoire pour les enfants, que n’aurait pas reniée sa mère. Le célèbre docteur Joseph Récamier (1774-1852), après sa consultation, se tourne vers un ecclésiastique qui se trouve là : « “Il m’est arrivé un grand malheur, monsieur l’abbé ; un malheur que vous seul pouvez réparer.” […] Et le célèbre professeur, retirant la main de sa poche, montra tout bonnement, devinez quoi ? Un chapelet. “Quand je suis inquiet d’un malade, quand je trouve la médecine impuissante, je m’adresse au grand médecin, à Celui qui sait tout guérir. […] Le Chapelet est mon interprète. Or, mon cher abbé, comme j’ai souvent recours à mon interprète, il est fatigué, il est malade, et c’est pourquoi je vous prie de l’examiner, de lui donner une consultation, de l’opérer au besoin, en un mot de me le guérir.” L’ecclésiastique prit en souriant le chapelet brisé, promit de le remettre promptement en état, et le docteur Récamier sortit tranquillement207. » Ce ton de badinage infantile caractérise l’une des couleurs dominantes de cette dévotion à la fin du xixe siècle : on semble jouer au chapelet, comme on joue à la poupée, comme monsieur l’abbé jouera au docteur. Au même moment, Émile Zola met en scène une grinçante parodie de ce type d’historiette dans Son Excellence Eugène Rougon (1876). Au chapitre III, nous assistons à la séance de pose de la belle Clorinde Balbi, légèrement vêtue pour être portraiturée. Elle reçoit le héros et M. de Plouguern, un vieux voltairien devenu par opportunisme politique défenseur de la religion, que Clorinde nomme son « parrain par amitié ». La scène baigne dans un climat érotique plein d’ambiguïté, les hommes ne dissimulant pas leur admiration pour les appâts découverts de la jeune femme. Quand, tout à coup, M. de Plouguern : « écrasa, sous le talon de sa bottine, quelque chose qui éclata avec le léger bruit d’un pois fulminant. “Qu’est-ce-donc ?” cria-t-il. Il ramassa un chapelet glissé d’un fauteuil, sur lequel Clorinde avait dû vider ses poches. Un des grains de verre, près de la croix, était 102. Chapelet en verre orné de gravures encadrées de filigranes et de rubans. 103. Chapelet en nacre portant l’indication : INCASSABLE / BREVETE. 207 Ségur, 1872, p. 99-100. 142 Au fil des perles : la prière comptée pulvérisé ; la croix elle-même, toute petite, en argent, avait un de ses bras replié et aplati. Le vieillard balança le chapelet, ricanant, disant : “Mignonne, pourquoi donc laisser traîner ces joujoux-là ?” Mais Clorinde était devenue pourpre. Elle se précipita du haut de la table, les lèvres gonflées, les yeux brouillés par la colère, se couvrant les épaules à la hâte, balbutiant : “Méchant ! méchant ! Il a brisé mon chapelet !” [Le vieux se moque d’elle] : “Ne pleure plus, grosse bête ! Je ne lui ai rien cassé, au Bon Dieu.” — Si, si, cria-t-elle, vous lui avez fait du mal !” [Elle essaie de le réparer] “C’est le pape qui m’en a fait cadeau, dit-elle, la première fois que je suis allée le voir avec maman. […] Un chapelet qui me portait bonheur. Maintenant, il n’aura plus de vertu, il attirera le diable…” — “Voyons, donne-le-moi, interrompit M. de Pouguern. Tu vas t’abîmer les ongles, à vouloir raccommoder ça… L’argent, c’est dur, mignonne.” Il avait repris le chapelet, il tâchait de déplier le bras de la croix [….] “Fichtre ! disait à demi-voix M. de Plouguern, il n’est pas tendre, le Bon Dieu. C’est que j’ai peur de le couper en deux… Tu aurais un Bon Dieu de rechange, petite.” Il fit un nouvel effort. La croix se rompit net. “Ah ! tant pis ! s’écria-t-il. Cette fois, il est cassé.” » Clorinde, folle de rage, les insulte en italien, puis retrouvant le petit bout cassé, le plie avec le chapelet dans un morceau de journal. La perspective d’aller au théâtre la réconcilie avec son « parrain ». On voit sur quels registres joue Zola : à la manière de la cruche cassée de Greuze, le chapelet écrasé sous la botte est le signe de la perte de l’innocence, dont toute la séance de pose est le cadre. L’instrument en est ce « parrain », une sorte de protecteur concupiscent qui pourrait être son père, et qui l’est peut-être d’ailleurs. Tout le dialogue qui suit le bris du chapelet, que nous avons presque entièrement cité, souligne le caractère symbolique de l’incident. Les propos de M. de Plouguern résonnent des railleries des libertins et de Voltaire lui-même sur le Saint-Sacrement : ce Bon Dieu, qu’on casse, qui se dédouble, c’est celui de l’hostie. La jeune femme l’entend de la même manière : elle tient ce chapelet du chef de l’Église lui-même : profané, « il n’aura plus de vertu, il attirera le diable ». Les perles enfilées, la prière matérialisée 143 Le chapelet marque ainsi l’entrée et la sortie de la pratique religieuse et, plus généralement, de la religion. Voici en contrepoint un épisode contemporain des précédents, où le chapelet est clairement la cible des ennemis de la foi. Monseigneur Allard décrit en 1865 les progrès de l’évangélisation auprès des Basotho, en Afrique du Sud, et cite en exemple une jeune fille qui persista dans la foi en dépit des persécutions : « Une fois baptisée et confirmée, la jeune femme eut à subir les mauvais traitements de son mari, qui s’était mis en tête de la faire apostasier. » Il la renvoya chez son père. « Là, en effet, après qu’on eut jeté au feu ses vêtements chrétiens, qu’on l’eut flagellée, on brisa son chapelet et on la revêtit d’habits païens208. » Mais le fidèle ne se laisse pas décourager : les chapelets sont réparés, complétés, rafistolés jusqu’à en être défigurés. Les perles de provenances les plus diverses viennent remplacer celles perdues (ill. 24). La ficelle ou le ruban sont substitués à la chaîne. On peut même en profiter pour le modifier : par exemple, un chapelet ordinaire mal remonté est transformé en chapelet missionnaire par l’insertion de perles de verre bleu, rouge et jaune, d’une perle verte en bois et d’une perle blanche en nacre. 104. Chapelet conservé avec deux reliques, l’une de sainte Thérèse de Lisieux et l’autre de saint Pierre-Julien Eymard. Le chapelet, objet spirituel et objet magique Le chapelet indulgencié porte en lui la capacité d’obtenir des bénéfices spirituels que l’on peut comptabiliser, comme les prières. La présence de ce pouvoir dans un objet somme toute dérisoire lui donne un caractère magique : il peut être chargé d’autres énergies spirituelles, par exemple en devenant relique par contact (ill. 104). Nous l’avons vu frotté sur les murs de la Santa Casa de Lorette (voir p. 105) et sainte Thérèse de Lisieux enfant, en pèlerinage en Italie, ne manqua pas de déposer son chapelet dans l’écuelle de l’Enfant Jésus209. Le pèlerin lui fera toucher les lieux ou les choses les plus insignes de son voyage210 : ainsi, son parcours n’est pas seulement matérialisé par les médailles que l’on attache au chapelet, mais de manière plus mystérieuse par l’objet lui-même qui en conserve à la fois la mémoire et la puissance. Cette capacité d’emmagasiner et 208 Allard, 1867, p. 478-479. 209 Langlois, 2009, p. 449. 210 Julia, 2016, p. 247. 144 105. Croix ouvrante pour contenir une relique. Parchemin qui était roulé à l’intérieur de la croix. 211 Borely, 1703, p. 205. Au fil des perles : la prière comptée de retenir, à la manière d’une éponge ou d’une batterie, est une autre fonction fondamentale du chapelet. Nous l’avons observé souvent, que ce soit sur la pierre de la Déposition dans le Saint-Sépulcre à Jérusalem ou sur les pieds d’une Vierge de Lourdes en plâtre n’importe où. Un bref contact peut suffire, mais il est plus prudent de le laisser se recharger : nous avons vu ainsi, pendant quelques jours, un chapelet laissé à cet effet sur l’autel du Sacré-Cœur d’une église parisienne. Parmi les souvenirs de pèlerinages sur les tombes des saints figurent en bonne place les étoffes qui ont touché leur corps. Le chapelet peut en faire office à l’occasion, comme lors de l’exposition du cadavre de Christophe d’Authier de Sisgau, mort en 1667 et en odeur de sainteté211 : « On vint le lendemain à l’Église du Seminaire [de Valence] où reposoit son corps, pour se recommander à ses prières : mais personne n’osoit par respect lui rien faire toucher, quand Dieu permit qu’un petit enfant de quatre ans prit le chapelet de sa mere, & sans qu’on lui dît rien, le fit toucher au corps du défunt. Cette action innocente servit d’exemples aux autres, & dès ce moment tous s’empresserent à lui faire toucher quelque chose. » Le chapelet peut même contenir une précieuse parcelle du corps du saint : c’est ainsi qu’une goutte du sang de saint François de Sales fut déposée sur ce parchemin, décoré d’un cœur brûlant et d’une devise, puis roulé à l’intérieur de la croix de laiton d’un chapelet (ill. 105). Sa valeur talismanique s’affiche communément aux rétroviseurs des voitures, un usage prophylactique partagé par musulmans et catholiques (comme beaucoup d’autres aspects pratiques du chapelet). Le chapelet ordinaire, trop long, doit être entortillé pour ne pas danser devant le visage du conducteur et constituer une cause presque certaine d’accident. Les fabricants ont donc conçu le « dizainier-voiture », un dizainier muni d’un fermoir qui évite ces inconvénients. Le chapelet devient à la fois relique et reliquaire, en transportant avec lui quelque chose du lieu saint visité. Une petite ampoule astucieusement placée dans le cœur contient quelques gouttes de la source miraculeuse de Lourdes (ill. 106). Une croix s’ouvre et révèle un grumeau de Terre sainte, de la boue des catacombes romaines ou Les perles enfilées, la prière matérialisée 145 du tombeau de saint François à Assise, une brindille de l’arbre des Dominicains du couvent de Sainte Sabine à Rome (ill. 107). Il est aussi possible de remplir ce reliquaire soi-même : de petits chapelets romantiques, qui semblent taillés pour des doigts de jeunes filles, ont de jolies petites croix ouvrantes, comme ce chapelet en jais dont la croix contient une mèche de cheveux, objet funèbre et sentimental en mémoire d’un être cher (ill. 108). Plus étonnante est la présence, sur le même chapelet, d’eau de Lourdes dans le cœur et de terre des catacombes dans la croix. On ne peut guère aller plus loin dans cette voie que ces chapelets de Jérusalem, faits de noyaux d’olive du Jardin des oliviers (garantis), où le chapelet n’est plus contenant occasionnel mais constitué complètement de reliques. Le chapelet possède ainsi, en tant qu’objet, une efficacité propre, qui n’a pas à voir avec les prières que l’on peut réciter avec son aide. Il est un autre objet de la dévotion catholique qui nous permet de comprendre cette dimension du chapelet : c’est le scapulaire. Le scapulaire est constitué de deux petits rectangles de tissu portant une image, reliés par des rubans, qui permettent de l’enfiler autour du cou. C’est le fossile, très réduit, d’un antique vêtement qui couvrait les épaules (scapula en latin). Son histoire traditionnelle est très proche de celle du rosaire : il suffit de remplacer l’ordre des Dominicains par celui des Carmes. Selon la tradition de cet ordre, la Vierge remit à l’un des frères, saint Simon Stock, ce petit vêtement, assurant que les dévots qui le porteraient seraient sauvés du Purgatoire dès le samedi suivant leur mort. La parenté et, osons-le dire, la rivalité des deux dévotions sont évidentes, même si le modus operandi du scapulaire, d’un point de vue anthropologique, est purement « magique ». Il ne demande qu’à être béni et porté pour être efficace. Cependant, le chapelet, dans sa matérialité, revêt une partie de ce type de propriétés qui échappe à sa propre théologie et aux prières qu’il comptabilise. Ce n’est pas pour rien que l’abbé Banier et Bernard Picart, dans son Histoire générale des cérémonies, mœurs et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, publié à Paris en 1741, montre, sur la planche des Vertus de l’Agnus Dei (un pain de cire 106. Chapelet avec une ampoule contenant de l’eau de Lourdes. 107. Chapelet avec une croix reliquaire contenant une écharde de l’oranger de Sainte-Sabine (Rome). 146 108. La croix reliquaire porte les initiales L. D. et contient une mèche de cheveux. Au fil des perles : la prière comptée 147 bénite qui éloigne le démon et les orages) divers exemples de chapelets et un scapulaire, pour illustrer des pratiques jugées implicitement superstitieuses de l’Église romaine112. Illustrations Objet chéri, porte-bonheur, souvenir, mémorial, il est pourtant le plus souvent de peu de valeur matérielle : comme le scapulaire, le chapelet, multiplié à l’infini, est aussi vite perdu et remplacé que le mouchoir qui tombe de la poche. Benito Pérez Galdós, dans son roman consacré aux bas-fonds madrilènes, décrit ainsi la triste récolte d’une ivrogne, qui est fouillée par l’un de ses congénères : « Il fit sortir d’un peu partout des rosaires, des scapulaires, un paquet de reconnaissances de prêt enveloppé dans un morceau de journal, des bouts de fer ramassés dans la rue, des dents d’animaux ou de personnes et autre babioles » ; en la secouant encore, on trouva « deux épingles à cheveux et quelques petits morceaux de charbon113 ». Objets perdus et ramassés par le chiffonnier, le brocanteur, le collectionneur et finalement par l’ethnologue. Tous les objets reproduits, sauf indication contraire, appartiennent à la collection de l’auteur. 1. Chapelet des Sept douleurs dans une boîte, perles en verre opalescent sur argent, médailles en argent, L. 49 cm. Dans une boîte avec étiquette : « À remettre à Madame Gateau, en souvenir de Sr. M. Madeleine – un chapelet de N. Dame des 7 douleurs ». 2. Un anachorète disant son chapelet, azulejos, fin du xviie siècle, chapelle du couvent de la Madre de Deus, Lisbonne. 3. Chapelet, corde nouée, cœur et croix en bois blanc, L. 37 cm. 4. Chapelet, perles en bois sculpté de lunules et en forme de roses stylisées sur une ficelle, probablement la fabrication d’un particulier, L. 35 cm. 5. Chapelet, perles en os tourné enfilées sur un cordon, L. 29 cm. 6. Dizain avec anneau, perles en agate sur argent, médaille en argent : la Vierge de Lourdes / « Souvenir de Lourdes », L. 23 cm. 7. Chapelet, perles en bois, en ébène et en graines de fève, sur cuivre et laiton, L. 88 cm. Croix : saint Thomas d’Aquin : « SAN. THOM. AQVIN ORD PRED / CRUX MIHI CERTA SALVS CRVX EST OVAM SEMPER ADORO CRVX DOMINI MECVM CRVX MIHI REFVGIVM ». Médaille : « S. BERNARDVS / MATER DEI ORA PRO ». Médaille : « SALVAT. MVNDI / REGI. CAELI ». Médaille : « SAINTE REINE PRIEZ POUR NOUS / LES TROIS ORMEAUX ». 8. Rosaire, perles en os enfilées sur un cordon, L. 52 cm. 9. Ambrogio Bergognone (connu entre 1481 et 1523), Vierge à l’Enfant, vers 1490, National Gallery, Londres. 10. Rosaire, perles en verre rouge et blanc irisé sur argent, L. 115 cm. 11. La Vierge remet le rosaire à saint Dominique, dans Agnès Richomme et Robert Rigot, La Belle Vie de Notre-Dame, 1954. 212 Voir Bühler et Frei, 2003, p. 170. 213 Benito Pérez Galdós, Miséricorde, trad. Maurice Bixio, Paris, 1900, p. 33-34. 12. Notre Dame de Pompéi, impression sur verre, tableau lumineux avec cadre en bois et coquillages, H. 46 cm, L. 36 cm. 13. Le tombeau de sainte Catherine de Sienne, Santa Maria sopra Minerva, Rome. Sur l’autel, la Vierge du rosaire de Pompéi. 148 Au fil des perles : la prière comptée Légendes des illustrations 149 14. Alberto Castello, Rosario della gloriosa Maria Vergine, 1522, Venise, collection particulière. 28. Notre Dame de Montligeon, chromolithographie, H. 65 cm, L. 435 cm, don de René Malgouyres, Servian. 15. Hieronymus Wierix, Vita, dulcedo et spes nostra, salve, estampe, collection particulière. 29. Grain de chapelet, début du xvie siècle, buis en partie polychromé, D. 5,8 cm, Pays-Bas, Paris, musée du Louvre, département des objets d’art. 16. D’après Anne-Louis Girodet, Jacques Cathelineau (détail), 1816, collection particulière. 30. Les Mystères du Rosaire, lithographies de Van Humbeek, Paris, Desclée de Brouwer, 1937. 17. Rosaire tricolore, perles en os teint sur cordon avec croix en laiton : « Dieu et Patrie », médaille en aluminium : « DEPOSE M.F », L. 56 cm. 31. Détail d’un feuillet pour réciter le rosaire, diffusé par le couvent dominicain d’Avrillé, vers 1970. 18. The Rosary Crusade by a Dominican Father, Holy Name Society, New York, 1943. 32. The Rosary Crusade by a Dominican Father, Holy Name Society, New York, 1943. 19. L’Arma della Guardia Svizzera Pontificia, image imprimée, Rome, 2016. 33. La Dizaine de chapelet en famille, 1947, image éditée par le Chapelet des enfants. 20. Chapelet, perles en bois et pater en ambre sur cuivre, croix en laiton, cœur en forme de tête de mort en bois, L. 74 cm. 21. Chapelet, perles en bois tourné et ivoire sur cordon de soie rouge, ruban en soie, croix en ivoire, L. 31 cm, étui pl. VI.1. Étiquette : « Béni par le pape Pie IX pendant son audience à / Mr et Madame Portel-Lavygerie en 186… » 22. Six chapelets, perles en bois sculpté et teint sur cordon, L. 19,5 cm. Trois avec une médaille : « S. MICHEL PROTEGE LA FRANCE / O MARIE CONCUE SANS PECHE PRIEZ POUR NOUS ». Trois avec une médaille : « FRANCOIS D’ASSISE P. P. N. / ANTOINE DE PADOUE P. P. N. » Étiquette manuscrite sur un faire-part de 1925 : « Bénits ». 23. Chapelet, perles en ambre sur argent (une perle cassée a été remplacée par une perle en verre jaune), L. 52,5 cm. 24. Chapelet cassé et réparé, perles en verre, en nacre, anneaux, plusieurs types de ficelle, deux médailles : « SOUVENIR DE N. D. DE LIESSE » ; « BEATA TERESIA A JESU INFANTE / ROSARUM IMBREM E COELO EFFUNDAM », L. 26 cm. 25. Trois chapelets en attente d’être montés, perles en bois noirci sur un cordon, L. 23 cm. 26. Chapelet de Notre-Dame du Suffrage ou des morts, perles en jais et métal chromé sur métal chromé, perle bifrons en os, cœur et croix en métal chromé, médaille en laiton : « N. D. DU SUFFRAGE PRIEZ POUR NOUS / DOUX CŒUR DE MARIE SOYEZ MON SALUT », L. 36,5 cm. 27. Chapelet de Notre-Dame du Suffrage ou des morts, perles en bois teint sur métal, médaille : « N. D. DU SUFFRAGE PRIEZ POUR NOUS » / le Sacré-Cœur, L. 38 cm. 34. Notre Dame du Très Saint Rosaire, vers 1950, image éditée par le Rosaire des enfants. 35. Chapelet, perles en plastique sur métal, L. 49 cm. Sur les grains intercalaires, les trois mystères inscrits en relief et en anglais. 36. Chapelet, perles en plastique violet en forme de rose et de bouton de rose, sur métal blanc, cœur : « Ste THERESE DE L’ENFANT JESUS », médailles en aluminium : le Sacré Cœur / « VIRGO CARMELI ; MARQUE ET MODELE DEPOSE », L. 47 cm. 37. Chapelet, perles en pâte de pétales de rose sur métal blanc. Dans une boîte en plastique avec photographie de Jean-Paul II et au revers : « ROSARIO DI PETALI DI ROSA ». 38. Chapelet de sainte Brigitte, perles en verre opaline blanc remplacées en divers endroits par d’autres perles, sur cuivre, médailles et croix en métal argenté, L. 51 cm. Croix avec la Vierge orante au revers et restes d’inscription : « VITAM… » Cœur et médailles intercalaires : profil du Christ : « JÉSUS AYEZ PITIÉ DE NOUS ; profil de la Vierge : MERE DE DIEU PRIEZ POUR NOUS ». 39. Chapelet des Sept douleurs de la Vierge, perles en bois noirci sur métal blanc, médailles en aluminium : « VIRGO SEPTEM DOLORUM », L. 47 cm. 40. Chapelet des Sept douleurs de la Vierge, perles en pierre facettées sur laiton, médailles en laiton : la Vierge des Sept douleurs / « SACRO CUORE DI GESU », médailles intercalaires avec les Sept mystères et au revers la Vierge des Sept douleurs, L. 49 cm. 41. Chapelet des Sept douleurs de la Vierge (voir le précédent). Chapelet des Sept douleurs de la Vierge, perles en bois noirci sur fer, médaille : « NOSSA SENORA DAS DORES / IL CALVARIO », 150 Au fil des perles : la prière comptée médailles intercalaires en laiton avec les Sept mystères et au revers la Vierge des Sept douleurs, L. 40 cm. Chapelet des Sept allégresses de la Vierge, perles en bois teint sur fer, croix en bois et laiton, deux anneaux de suspension, L. 111 cm. Chapelet des Sept allégresses de la Vierge (voir le suivant). 42. Chapelet des Sept allégresses de la Vierge, perles en bois teint, lisses et en roses, sur métal, cœur et croix en métal argenté, cœur : profil de la Vierge : « VIRGO VIRGINUM », L. 66 cm. 43. Couronne de Notre Seigneur, perles en os teint sur métal, croix, cœur et médaille en laiton, Sacré-Cœur « DILEXIT ME ET TRADIDIT SE » / Sacré-cœur de Marie : « IBI DOLORES UT PARTURIENTIS », L. 29 cm. 44. Chapelet du Précieux sang, perles en plastique rouge sur métal blanc, L. 37 cm. 45. Chapelet du Précieux sang, perles en verre cristal grenat sur métal blanc, L. 29 cm, acquis à Paris, place Notre-Dame-des-Victoires, vers 1983. Le fabricant n’a pas compris le symbolisme numérique du tercet, monté comme cinq perles identiques, ce qui « annule » l’effet des trentetrois perles propre à ce chapelet. 46. Chapelet du Sacré-Cœur, perles en verre moulé noir, sur cuivre, médailles et chaînes en laiton, L. 22,5 cm. Médaille terminale : « AIME SOIT PARTOUT LE SACRE CŒUR DE JESUS CHEV / N. D. DU SACRE COEUR PRIEZ POUR NOUS CHEV DEP ». Cœur : « PELERINAGE DE N.D. DU S.C. ISSOUDUN ». 47-48. Chapelet des Cinq plaies, perles en jais sur fer, médailles en laiton : Vierge des Sept douleurs : « LOS DOLORES » / Les Sept plaies rayonnantes, L. 29,5 cm. Sur chacune des médailles, l’une des plaies et au revers le buste de la Vierge des Sept douleurs. 49. Quatre chapelets de l’Enfant Jésus de Prague, perles en bois noirci sur métal chromé, médaille en laiton et aluminium : « NOTRE DAME DU BON CONSEIL PRIEZ POUR NOUS / ENFANT JESUS MIRACULEUX DE PRAGUE PROTEGEZ NOUS », L. 22,5 cm. Perles en bois noirci sur métal chromé, médaille en aluminium : « L’Enfant Jésus de Prague France/ THE MIRACULOUS INFANT JESUS OF PRAGUE », L. 11 cm. Perles en verre bleu opaline sur métal blanc. Médaille : au centre : « SAINT ENFANT JESUS BENISSEZ NOUS » ; dans les branches de la croix : « ET VERBUM CARO FACTUM EST V.R.S. » ; au centre : « IHS GOODELIJK KINDJE JESUS ZEGEN ONS » ; dans les branches de la croix : « REX SUM EGO VIVAT JESUS A.R.T. AVE MARIA », L. 19,5 cm. Légendes des illustrations 151 50. Chapelet du Saint sacrement, perles en ébène ou bois noirci sur un cordon, médaille en laiton : « SANTISMO SACRAMENTO SED NUESTRA SALVACION / NA. SA. DE GUADALUPE ROGAD POR NOSOTROS », L. 32,5 cm. 51. Deux couronnes angéliques, perles en verre cristal jaune sur métal chromé, médaille en métal argenté : « O S. ANGEL GUARDIAN SED MI GUIA / SAN MIGUEL », L. 43 cm. Perles en os teint sur métal blanc, médaille en aluminium : saint Michel et l’ange gardien : « SACER ANGELORUM CHORUS » / saint Raphaël et saint Gabriel : « NOBIS SEMPER ASSISTAT », L. 27 cm. 52. Herman Weyen, La Couronne de saint Joseph, milieu du xviie siècle, estampe, Paris, collection particulière. 53. Chapelet de sainte Philomène, perles en os teint sur métal chromé, médaille en laiton : « S. PHILOMENE D’A RS PRIEZ POUR NOUS / J. BTE. M. VIANEY CURE D’A RS MORT LE 4 AOUT 1859 », L. 23 cm. 54. Chapelet du Chemin de croix, perles en bois noirci sur métal blanc, croix chromée, médailles en aluminium, cœur : « VIVE JESUS JE CROIS JE SUIS CHRETIEN / AGNUS DEI QUI TOLLIS PECCATA MUNDI », L. 42 cm. Médailles avec les stations du Chemin de croix et inscriptions en français. 55. Chapelet du Chemin de croix, perles en bois noirci sur métal argenté, médaille terminale : « MATER DOLOROSA / CHRISTE ELEISON », L. 52 cm. Médailles avec les stations du Chemin de croix et inscriptions en français. 56. Deux chapelets de saint Antoine de Padoue, perles en bois noirci sur fer. Médaille en laiton : « SANCTE ANTONI DE PADUA ORA PRO NOBIS / SANCTE FRANCISCE ASSISIENSIS ORA P.N. », L. 27 cm. Perles en bois noirci sur métal blanc, cœur en aluminium : « VIRGO CARMELI » / le Sacré-Cœur « France ». Médaille en aluminium : saint Antoine / L’ange gardien, L. 29 cm. 57. Chapelet, perles en corail sur argent, croix, cœur et médailles en argent, L. 32 cm. Cœur : « VIVE JESUS JE CROIS JE SUIS CHRETIEN ». Croix reliquaire, médaillon en forme de cœur reliquaire. Médailles : Vierge de la rue du Bac / « N. D. DU BON SECOURS ; APPARITION DE LA SAINTE VIERGE A LA SALETTE FALLAVAUX, CANTON DE CORPS LE 19 SEPT. 1846 ». 58. Chapelet de religieuse divisé en trois segments, perles en bois noirci sur laiton, crochet en laiton avec la Médaille miraculeuse, L. 122 cm. Un anneau permet de le replier en trois pour le porter à la ceinture et de le déplier pour le réciter. 152 Légendes des illustrations Au fil des perles : la prière comptée 59. Chapelet de l’Immaculée conception, perles en verre blanc sur métal doré, Cœur et médaille en métal doré, L. 44 cm. La médaille terminale est la Médaille miraculeuse. Cœur : profil de la Vierge et apparition de Lourdes au revers. 60. Couronne des Douze étoiles, perles en bois teint sur fer, médaille miraculeuse en laiton, L. 12,5 cm. 61. Chapelet de l’A nnonciade, ou de l’Ordre de la paix, ou des Dix vertus de Marie, perles en os teint sur métal blanc, médaille en métal argenté avec sainte Jeanne de France et l’A nnonciation, L. 27 cm. 62. Catéchisme en image, planche 51, chromolithographie, H. 67,5 cm, L. 49 cm, Maison de la Bonne Presse, rue Bayard, Paris. 63. Chapelet, perles en plastique sur aluminium, L. 54 cm. 64. Chapelet, perles en bois teint sur corde, croix en cuivre, L. 34,5 cm. 65. Chapelet missionnaire, perles en plastique de cinq couleurs sur un cordon, L. 21 cm. 66. Méthode : Il rosario missionario, éditions Shalom, 2001, p. 4. 67. Chapelet Fiat, perles en bois multicolores sur cordon, L. 34 cm. Médaille en laiton patiné : « FIAT ». 68. Chapelet Fiat avec méthode, perles de plastique multicolores sur métal blanc, croix en bois : « FIAT », L. 31 cm. 69. Deux chapelets de sainte Rita, perles en verre bleu sur métal blanc. Médaille : « SAINTE RITA / LA SAINTE DES IMPOSSIBLES P.P.N. », L. 18 cm. Perles en verre et plastique rouge sur métal doré, médaille : Sainte Rita au pied de la croix : « SZENT RITA », cœur : médaille miraculeuse, L. 14 cm. 70. Bracelet de la Vie de la Vierge, perles en diverses matières, cinq médailles (l’ange gardien, la médaille miraculeuse, Lourdes, Fatima, Guadalupe) et une croix en métal blanc, L. 12 cm. 71. Chapelet-bracelet du Saint-Esprit, perles en plastique de cinq couleurs sur métal blanc avec fermoir, cœur : le Sacré-Cœur / Notre Dame du Scapulaire, L. 14 cm. 72. Chapelet-bracelet, perles en métal argenté sur anneau rigide, D. 6,7 cm. 73. Chapelet-bracelet, perles en jade, strass, croix et médaille : « NOTRE DAME DE LA GARDE P. P. N. / SANCTUAIRE DE N. D. DE LA GARDE », D. 7 cm. 74. Chapelets ex-voto à sainte Faustine Kowalska, Santo Spirito in Sassia, Rome, novembre 2016. 153 75. Le Bon pasteur avec huit épisodes de la vie du Christ encadrés de perles et de roses, impression sur papier, signée P. C. JesuRaj, Inde, avant 1990, H. 37,5 cm, L. 39,5 cm. 76. Chapelet, perles en bois d’olivier sur métal blanc, cœur : pastille en plastique rouge : « TERRA SANTA », L. 48 cm. 77. Dizaine, cristal bleu, argent, L. 14 cm. 78. Tatouage. 79. Chapelet, perles en bois (trois sont tournées) sur cuivre, médaille en laiton : « S. FRANCISCVS ORA P. N. / S. ANTON O. P. », L. 73 cm. 80. Dizain, perles en bois et en verre sur fil de cuivre, D. 2,5 cm. 81. Chapelet, graines de coix lacryma-jobi, dites Larme de Job sur fer, croix en laiton : « VENEZ JESUS VENEZ SEIGNEUR L. PENIN DEPOSE », L. 60 cm. 82. Chapelet, perles en graines sur cuivre, croix reliquaire en métal blanc : « ROMA » ; à l’intérieur, un peu de terre : « Terra Catacumba », L. 67 cm. 83. Chapelet, perles et croix en ivoire sur un cordon, L. 51,5 cm. 84. Le Renard déguisé en derviche (détail), Arifi, Le Jardin des amants, manuscrit ottoman vers 1560, f° 41 r°, Harvard Art Museums, inv. 1985.216.41. 85. Chapelet divisé en trois segments, perles en bois noirci sur métal chromé, crochet en laiton avec la Médaille miraculeuse, médaille en métal argenté : le Sacré-Cœur / « VIRGO CARMELI » ; au revers de la croix : « SOUVENIR DE LISIEUX », L. 72 cm. 86. Chapelet de poupée, perles en verre blanc et noir sur métal blanc, L. 18,5 cm. 87. Chapelet de première communion, perles en nacre sur argent, médaille de Lourdes, L. 65 cm. 88. Dizainier, perles de nacre sur argent, dans un écrin de la maison Bouasse-Lebel. 89. Chapelet, perles de nacre sur argent, dans une boîte en coquillage monté en argent, L. 56 cm. 90. Chapelet, perles de nacre sur argent, croix en métal blanc (pas d’origine), L. 41 cm, dans une boîte gainée de cuir avec plaque en relief imitant le nielle, L. 8 cm x l. 5,2 cm x P. 2,7 cm. 91. Image de première communion, Dun-le-Poëlier, 12 juin 1955. 92. Chapelet, perles en bois tourné sur cuivre et laiton, croix en cuivre : 154 Au fil des perles : la prière comptée Légendes des illustrations 155 « SOUVENIR DE MISSION », cœur : médaille miraculeuse, quatre médailles intercalaires : la Vierge des Sept douleurs / le tétragramme dans un triangle, L. 57 cm. 100. Ensemble de chapelets décoratifs des xix e et xxe siècles, souvenirs de pèlerinages, à suspendre au mur, dans les matériaux les plus divers, L. max. 165 cm. 93. Chapelet du Sacré cœur, perles tricolores en verre sur laiton, cœur et médaille en aluminium : « SANCTUAIRE DU MAS RILLIER », L. 20 cm. 101. Jacob van Campen (1595-1657), Jeune Femme à sa toilette, musée Bredius, La Haye. 94. Rosaire, perles en verre bleu sur métal blanc, L. 1,30 cm, inscription manuscrite : « rosaire venant de Marie Gallais, ep. Van der Hoveé », dans une boîte « TABLETTES A LA VANILLE DE F. MARQUIS ». 95. Chapelet, perles en améthyste sur argent, croix : « PIVS X PONT : M », L. 54 cm, étui en cuir gaufré et doré : « RICORDO DI ROMA », voir pl. VI. 96. Chapelet, perles en bois sculptées en forme de roses sur fer, L. 51 cm. Il a perdu sa croix et a été réparé avec l’extrémité d’un autre chapelet. Médailles en laiton : Notre Dame du Perpétuel Secours / « S. ALPHONSE DE LIGORI P. P. N. PENIN A LYON ; SAINT BENOIT JOSEPH LABRE / N. D. DE BOULOGNE S/MER P. P. N. ; BENIE SOIT LA STE LARME DE N. S. J. C. CONSERVEE A ALLOUAGNE / LA RESURRECTION DE LAZARE ». 97. Chapelet, perles en bois noirci sur métal chromé, L. 35 cm. Médailles : apparition de Lourdes ; Sacré Cœur / « NA SA de MONSERAT » ; Sacré Cœur / la basilique de Montmartre ; « LISIEUX LA BASILIQUE » / « STE THERESE DE L’ENFANT JESUS P. P. N. » ; « NOTRE-DAME DES VICTOIRES » / Sacré cœur ; médaille miraculeuse ; « N. D. DE FOURVIERE P. P. N. » ; « NOTRE-DAME DE CHARTRES P. P. N. » / « CATHEDRALE DE CHARTRES » ; « OSTENSION DE LA SAINTE TUNIQUE 1934 ARGENTEUIL » / « SAINTE TUNIQUE DE NOTRE SAUVEUR 1934 » ; « N. DAME DE FRANCE PRIEZ POUR NOUS » / « NOTRE DAME DU PUY P.P.N. » ; « N. D. DE LA TREILLE PRIEZ POUR NOUS » / Sacré cœur ; « LE SOURIRE DE L’A NGE GARDIEN DE REIMS » / « SAINT REMI CHASSANT LES DEMONS INCENDIAIRES DE REIMS BAS RELIF DU PORTAIL NORD. LES ALLEMANDS BOMBARDENT ET INCENDIENT LA CATHEDRALE DE REIMS. SEPTEMBRE 1914 » ; « N. D. DE LA MARLIERE P. P. N. » / Sacré cœur ; « NOTRE DAME DE BON SECOURS P. P. N. » / « SOUVENIR DE N. D. DE BON SECOURS ». 98. Appel aux femmes de France, feuillet du Chapelet des enfants, Paris, 1936. 99. Chapelet, perles en noyaux d’olive sur métal blanc, L. 63 cm, voir pl. III.1. 102. Chapelet, perles en verre brun irisé sur métal, L. 54 cm. Les perles intercalaires, cœur et médaille, sont des médaillons sous verre sertis en laiton garnis de rubans, entourés de filigranes d’argent. Dans les petits : croix de Jérusalem en papier découpé. Dans le cœur et la grande médaille : gravure d’une Vierge à l’Enfant et au revers, Arma Christi avec la Sainte Face. 103. Chapelet. Perles de nacre sur argent. Petite médaille en fer blanc : « INCASSABLE / BREVETE M. F. », L. 70 cm. 104. Chapelet, perles en bois teint sur laiton chromé. À la place de la croix, une médaille de Fatima. Deux reliques dans une boîte « RONSON VARAFLAME » : une relique de sainte Thérèse provenant du carmel de Lisieux et une autre de saint Pierre-Julien Eymard. 105. Chapelet, perles en bois sur laiton, croix reliquaire en laiton qui contient un feuillet avec une goutte de sang au centre d’un cœur ardent : « OU MOURIR OU AIMER / Sang de St Franç. De Sales », L. 45 cm. 106. Chapelet, perles en bois teint sur métal blanc, cœur avec ampoule contenant de l’eau de Lourdes : « DE LOURDES », L. 47 cm. 107. Chapelet, perles en graines sur métal blanc, croix : « Domenicani S. Sabina Roma » ; à l’intérieur, particules de bois : « Lignum arboris S. P. Domenicani », L. 53 cm. 108. Chapelet, perles en jais facetté avec réparations en verre noir, sur argent. Cœur en tôle d’argent en forme du cœur de Jésus et de Marie. Croix reliquaire en tôle d’argent portant les initiales « L. D. » et contenant une mèche de cheveux. L. 27 cm. 156 Au fil des perles : la prière comptée Bibliographie Aelred de Rievaulx, 1961 Aelred de Rievaulx, trad. et notes par Charles Dumont, La Vie de recluse. La prière pastorale, Paris, 1961. Allard, 1867 « Lettre de monseigneur Jean-François Allard évêque de Samarie, vicaire apostolique de Natal », Annales de la propagation de la foi, XXXIX, no 230, janvier 1867, p. 473-483. Bibliographie 157 Borely, 1703 Nicolas Borely, La Vie de messire Christophle d’Authier de Sisgau, Lyon : Jean Certe, 1703. Boudinhon, 1903 Auguste Boudinhon, [résumé sur le chapelet de sainte Brigitte], Revue du clergé français, 15/1/1903, p. 367-368. Bride, 1962 A. 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III.2 Authier de Sisgau, Christophe d’ : p. 87, 144 Avrillé : p. 150, ill. 31 Banier, Antoine : p. 14, 145 Barbe, sainte : p. 120 Barclay, Florence : p. 133 Barthélemy, saint : p. 15 Beaune : p. 87 Belfort : p. 139 Benoît XIII : p. 78 Benoît XIV : p. 21 Benoît-Joseph Labre, saint : p. 155, ill. 96, pl. III.4 Bergognone, Ambrogio : p. 148, ill. 8 Beringer, Franz : p. 52 Bernadette Soubirous, sainte : p. 99 Bernard de Clairvaux, saint : p. 23, 26, 104, 148, ill. 7 Bologne : p. 69 Bonaventure, saint : p. 23, 25 Bonsecours : ill. 97 Borgiotti, Luisa : p. 95 Boudreaux, Warren Louis : p. 120 Boulogne-sur-Mer : p. 138, 155, ill. 96 Brésil : p. 42, 79 Brigitte de Suède, sainte : p. 50-52, 75, 100, 150, ill. 38 Bruges : p. 32 Buglose : pl. III.5 Calvin, Jean : p. 41 Camaldoli : p. 81 Camus, Jean-Pierre : p. 105 Castello, Alberto : p. 40, 64, ill. 14 Cathelineau, Jacques : p. 42, ill. 16 Catherine de Bologne, sainte : p. 76 Catherine de Sienne, sainte : p. 37 Catherine Labouré, sainte : p. 97 Cervantes, Miguel de : p. 129 Chambéry : p. 85 Chambon, Marthe : p. 85 Charbel, saint : p. 120 Chardon, Marie-Augustin : p. 70 Chartres : p. 155, ill. 97 Christophe, saint : pl. III.2, VIII.8, VIII.11 Claire, sainte : p. 39 Clément VII : p. 75 Clément VIII : p. 41 Clément IX : p. 41, 46 Cluny : p. 16, 48 Cologne : p. 34, 38, 61 Corfou : p. 41 Creil : p. 55 Cyprien de Carthage, saint : p. 45 Dante, Durante degli Alghieri dit : p. 32 Diderot, Denis : p. 35 Dominique de Prusse : p. 27 166 Au fil des perles : la prière comptée Dominique, saint : p. 22, 35-40, 62 Douai : p. 38 Ebendorfer, Thomas : p. 24 Ecija : p. 43 Eger, Heinrich : p. 29 Esser, Thomas : p. 28, 37, 52, 68, 93 Eugène de Savoie : p. 41 Eusèbe de Césarée : p. 15 Evesham : p. 18 Faguette, Estelle : p. 100 Fatima : p. 42, 43, 67, 100, 123, 139, 153, 156, ill. 70, 104, pl. II.2, VIII.1 Ferrara, Bonaventura : p. 104 Flaubert, Gustave : p. 93 Florence : p. 78, 81 François d’Assise, saint : p. 23, 39, 96, 144, 149, 152, 154, ill. 22, 56, 79, pl. III.1, III.5 François de Paule, saint : p. 39 François, pape : p. 123 François-Régis, saint : pl. III.1 Gabriel, archange : p. 152, ill. 51 Gallifet, Joseph de : p. 84 Germaine, sainte : pl. III.1 Gertrude de Helfta, sainte : p. 26, 27, 32, 85 Giffre de Rechac, Jean de : p. 70 Girodet, Anne Louis : p. 42, ill. 16 Grégoire de Nazianze, saint : p. 32 Grégoire XIII : p. 39, 41, 75 Grégoire XIV : p. 75 Grégoire XVI : p. 52, 82 Griffin, Bernard : p. 68 Guadalupe : p. 120, 123, 151, 153, ill. 50, 70 Guillaume de Malmesbury : p. 17 Guillaume de Puylaurens : p. 31 Harvard : p. 154, ill. 84 Hellemans, Luc : p. 71 Henri IV : p. 41 Henri V, comte de Chambord : p. 53 Hilaire de Poitiers, saint : p. 22 Honorius III : p. 21 Hubert, saint : pl. III.3 Ignace de Loyola, saint : p. 26, 67 Innocent VIII : p. 34 Irlande : p. 14-16, 22, 77 Issoudun : p. 151, ill. 46 Jacques, saint : p. 15 Jaricot, Pauline : p. 70 Jean de la Croix, saint : p. 129 Jean Eudes, saint : p. 83 Jean XXIII : p. 63, 109, 111 Jeanne de Valois, sainte : p. 106, 153, ill. 61 Jean-Paul II : p. 111, 150, ill. 37 Jérusalem : p. 130, 144, 145 Joseph, saint : p. 152, ill. 25, pl. III.1, VII.5 Juan Diego Cuauhtlatoatzin : p. 120 Jules II : p. 45 Jules III : p. 75 Junot d’Abrantès, Laure : p. 140 Kalkar : p. 29 Kibeho (Côte d’Ivoire) : p. 79 Konrad von Hainburg : p. 32 Kowalska, Faustine, sainte : p. 123, 154, ill. 74 La Haye, musée Bredius : p. 156, ill. 101 La Roche, Alain de : p. 34-36, 38, 43, 60, 62, 78 La Rochelle : p. 41, 43, 70 La Salette : p. 98, 152, ill. 57, Le Prévost, Jean-Léon : p. 140 Le Puy en Velay : p. 155, ill. 97 Léon X : p. 46, 51, 80, 81, 84 Léon XII : p. 85 Léon XIII : p. 43, 48, 66, 69, 75, 109, pl. III.4, VI.7 Lépante : p. 40, 43 Liesse : p. 149, ill. 24 Lille, Notre-Dame de la Treille : ill. 97 Limoges : p. 39 Lisbonne, Madre de Deus : p. 148, ill. 2 Lobkowicz, Polyxena : p. 86 Londres, National Gallery : p. 148, ill. 8 Longo, Bartolo : p. 37 Loreto : p. 105 Louis IX, saint : p. 30 INDEX Louis XIII : p. 42 Louis XIV : p. 87 Louis-Marie Grignion de Montfort, saint : p. 61, 63, 65, 68, 105, 112, 135 Lourdes : p. 99, 100, 102, 123, 137-139, 144, 148, 153, 154, 156, ill. 6, 59, 70, 87, 106, pl. I.1, III.2, III.4, III.5, IV.1-9, V.8, V.10, VI.9, VIII.4, VIII.8, VIII.14 Luther : p. 41, 46 Lyon, basilique de Fourvière : p. 139, 155, ill. 97 Marguerite du Saint-Sacrement : p. 87 Marguerite-Marie Alacoque, sainte : p. 24 Marmora : p. 121 Marseille Notre-Dame de la Garde : p. 153, ill. 73, pl. VI.7 Martorell : p. 41 Mas Rillier : p.155, ill. 93 Mathieu, Mélanie : p. 98 Mauriac, François : p. 110 Mechtilde de Hackeborn, sainte : p. 27 Médicis, Laurent de : p. 17 Medjugorje : p. 121 Ménage, Gilles : p. 35 Michel, archange : p. 89, 149, 152, ill. 22, 51 Michel-Ange, Michelangelo Buonarotti dit : p. 54 Miraflores : pl. II.4 Monique, sainte : p. 120 Monserrat : p. 155, ill. 97 Montligeon : p. 51, 52, 56, 150, ill. 28 Montmartre : p. 155, ill. 97, pl. VII.5 Muret : p. 22, 35, 43 Nagasaki : p. 93, 94 Nancy, musée lorrain : p. 39 Neuss : p. 39 Nicolle, Antonio Ippolito : p. 95 Nîmes : p. 54 O’Brien, Veronica : p. 119 Origène : p. 22, 26 Palladius d’Hélénopolis : p. 15 167 Paray-le-Monial : pl. V.4 Paris : p. 30, 83 Paris, musée du Louvre : ill. 29 Paris, Notre-Dame-des-Victoires : p. 42, ill. 97 Paul V : p. 75 Paul VI : p. 25, 109 , 111 Paul, saint : p. 46, 110, pl. III.3 Paul Ermite, saint : p. 15 Pellevoisin : p. 100 Pérez Galdós, Benito : p. 59, 66, 146 Peterwaradin : p. 41, 43 Philomène, sainte : p. 94, ill. 58, pl. III.1, III.3 Pie IX : p. 54, 90, 93, 99, 100, 104, 149, ill. 21, pl. III.3 Pie V : p. 40, 41, 75, 110 Pie VI : p. 46 Pie VII : p. 83, 85 Pie X : p. 41, 95, 155, ill. 95 Pie XI : pl. III.2, V.10 Pie XII : p. 68, 135, pl. III.5 Pierre l’Ermite : p. 14 Pierre, saint : pl. III.2, III.3 Pierre-Julien Eymard, saint : p. 156, ill. 104 Pighi, Paolo Luigi : p. 85 Pini, Michele : p. 81 Pistoia : p. 46 Plantier, Claude-Henri : p. 54 Pompéi : p. 36, 37, 70, 139, 148, ill. 12, 13 Pontmain : p. 94, 100 Pont-Sainte-Maxence : p. 55 Prague, monastère des Carmélites : p. 86, 151, ill. 49 Quevedo, Francisco de : p. 51, 131 Raphaël, archange : p. 152, ill. 51 Récamier, Joseph : p. 141 Reims : p. 139, 155, ill. 97 Ricci, Timoteo : p. 69, 70 Rimbaud, Arthur : p. 140 Rita, sainte : p. 120, 153, ill. 69 Roch, saint : pl. III.3 168 Au fil des perles : la prière comptée Rome : p. 15, 83, 94, 123, 124, 154, 155, ill. 82, 95, pl. III.1, III.4, VI.1 Rome, basilique Saint-Pierre : p. 46 Rome, S. Maria in Campitelli : p. 21 Rome, S. Maria sopra Minerva : p. 30, 37, 148, ill. 13 Rome, S. Sabina : p. 145, 156, ill. 107 Rome, S. Spirito in Sassia : p. 124, 154, ill. 74 Roquefort : pl. III.3 Russie : p. 42 Sailly, Thomas : p. 62 Saintes, Saint-Pierre : p. 45 Saint-Thomas-sur-Kyll : p. 26 Sales, François de, saint : p. 63, 144, 156, ill. 105 Sand, Georges : p. 132 Sao Paolo : p. 79 Ségur, Louis-Gaston de : p. 132, 141 Shakespeare, William : p. 132 Sheen, Fulton John : p. 118 Siméon Stylite, saint : p. 15 Simon de Rojas, saint : p. 80 Simon Stock, saint : p. 145 Sixte IV : p. 45 Sprenger, Jacques : p. 38 Stapleton, Thomas : p. 62 Stephen of Sawley : p. 26 Stevenson, Robert Louis : p. 55 Suenens, Léon-Joseph : p. 119 Sweeney-Kyle, Maureen : p. 122 Tan, Dory : p. 121 Teilhard de Chardin : p. 112 Tetzel, Johann : p. 46 Théodore de Celles : p. 51 Thérèse d’Avila, sainte : p. 86, 90 Thérèse de Lisieux, sainte : p. 64, 67, 120, 132, 134, 136, 143, 149, 150, 156, ill. 24, 36, 85, 97, 104, pl. II.1, III.5, V.8, VII.4 Thiers, Jean-Baptiste : p. 37 Thomas d’Aquin, saint : p. 23, 148, ill. 7 Thomas de Cantimpré : p. 24 Thurston, Herbert : p. 37 Tolède : p. 42 Toulouse : p. 31, 39 Tourcoing, Notre-Dame de la Marlière : p. 155, ill. 97 Tournai : p. 31 Trente : p. 46 Trèves : p. 26, 27, 37, pl. III.5 Turin : p. 95 Urbain IV : p. 23 Urbain VIII : p. 47, 75, 93 Van Campen, Jacob : p. 140, 156, ill. 101 Vendée : p. 42, 32 Venise : p. 39 Verlaine, Paul : p. 140 Vetralla : p. 90 Vianney, Jean-Marie, saint : p. 54, 95, ill. 58 Vicenza, basilique de Monte Berico : p. 122 Vienne : p. 43 Vilnius : p. 123 Vincent de Paul, saint : p. 16, pl. III.5 Vincent Ferrier, saint : p. 79 Weyen, Herman : p. 152, ill. 52 Wierix, Hieronymus : p. 41, ill. 15 Worthington, Thomas : p. 78 Zola, Émile : p. 141 Zúñiga y Requesens, Luís de : p. 41 I 2 3 1 I. Le Rosaire 1. Rosaire, perles en os et métal chromé sur laiton, croix : SOUVENIR DE N.D. DE LOURDES , cœur : la grotte / la basilique, L. 157 cm. 2. Rosaire, perles en bois sur cordon (remarquer l’absence du tercet), L. 117 cm. 3. Rosaire, perles en bois sur fer chromé, L. 99 cm. II Au fil des perles : la prière comptée III 5 1 2 3 4 5 III. Le chapelet du pèlerin 1. Chapelet, perles en noyaux d’olive sur métal blanc, L. 63 cm. Douze médailles ajoutées en laiton, laiton argenté et cuivre : S. Fs REGIS / CHRIST AYEZ PITIE DE NOUS ; NOTRE DAME DU MONT CARMEL / revers de la Médaille miraculeuse ; Médaille miraculeuse ; La Vierge des Sept douleurs / Cœurs de Jésus et de Marie : FILI PRAEBE COR TUUM ; PIEUSE GERMAINE PRIEZ P. N. / Cœurs de Jésus et Marie FILI PRAEBE COR TUUM ; La Médaille miraculeuse / FRANCISCUS OR. PR. NOB. ; SANCTA PHILOMENA ORA PRO NOBIS/ CORPVS MVGNANI QVIESCIT ; SAINT JOSEPH / Cœurs de Jésus et Marie : FILI PRAEBE 1 2 3 4 7 6 II. Le chapelet et la rose 1. Chapelet, perles en plastique violet en forme de roses et de boutons de rose, sur métal blanc, cœur : Ste THERESE DE L’ENFANT JESUS , médailles en aluminium : le Sacré Cœur / VIRGO CARMELI ; MARQUE ET MODELE DEPOSE , L. 47 cm. 2. Chapelet, perles en forme de roses en métal argenté, cœur : N. S. DO ROSARIO FATIMA / un peu de terre dans de la résine TERRA DE FATIMA , L. 60 cm. 3. Chapelet, perles en bois teint en rose et parfumé à la rose sur métal blanc, L. 51 cm. 4. Chapelet, perles en pâte de pétales de rose sur métal blanc, croix : REAL CARTUJA DE MIRAFLORES, cœur : STAT CRVX DVM VOLVITVR ORBIS , L. 45 cm. 5. Boîte de chapelet, plastique blanc décoré de trois roses et inscription : ROŻANIEC [rosaire en polonais] 6. Chapelet, perles en pâte de pétales de rose sur métal blanc. Dans une boîte portant la Vierge du Perpétuel Secours : ROSARIO DE PETALOS DE ROSAS. MADE IN SPAIN, L. 45 cm. 7. Rosaire, perles en bois sculpté en forme de roses stylisées sur métal blanc, croix fleurdelisée : IN HOC SIGNO VINCES, L. 143 cm. COR TUUM ; ARCHICONFRERIE DU TRES SAINT ET IMMACULE CŒUR DE MARIE / PECHEURS VOILA VOTRE REGUGE INVOQUONS ET PRIONS. On a fixé à cette médaille une Médaille miraculeuse en laiton argenté ; REG. SAC. ROSAR. O. P. N. / Quatre saints et le Saint-Esprit ROMA ; ST PIERRE / Vierge à l’Enfant MATER DEI. 2. Chapelet, perles en bois noirci sur métal, L. 39 cm. Médailles : Médaille miraculeuse ; REGARDE SAINT CHRISTOPHE PUIS VA-T-EN RASSURE ; SANCTUS PETRUS / PIVS. XI. PONT. MAX. ; SAINTE ANNE D’AURAY P.P.N. ; ECCE HOMO / apparition de Lourdes ; ROSA MISTICA ; apparition de Lourdes. 3. Chapelet, perles en verre sur métal argenté, L. 38,5 cm. Médailles : MOSTRA TE ESSE MATREM/ CONGREGATION DES ENFANTS DE MARIE ; Médaille miraculeuse ; perle bifrons avec Crucifixion et Immaculée conception à l’intérieur ; PIE IX PONT. MAX / S. PETRVS S. PAVLVS ROMAE ; PETIT MONTMARTRE DE ROQUEFORT ; SANCTA PHILOMENA ORA PRO NOBIS / N. D. DES SEPT DOULEURS P. P. N. ; S. HUBERT P. P. N. / S. ROCH P. P. N. 4. Chapelet, perles en bois noirci sur métal et argent, L. 49 cm. Médailles : OMAGGIO UNIVER. A GESU REDENT. / GIUBILEO SECOLARE ANNO SANTO ROMA 1900 LEONE XIII ; OMAGGIO UNIVER. A GESU REDENT. / GIUBILEO SECOLARE ANNO SANTO ROMA 1900 LEONE XIII PONT. M. ; SOUVENIR DE N. D. DE LOURDES ; STE MARIE DU MONT A ROME/ BIENHEUREUX B. J. LABRE NE A AMETTES DIOCESE D’ARRAS. 5. Chapelet, perles en bois noirci sur cuivre et métal, L. 58,5 cm. Cœur : LES TROIS PRIVILEGES DE MARIE IMMACULEE RETIRE-TOI SATAN. Croix : LOURDES EBONY FRANCE . Médailles : ST FRANCISCE DE ASSISIO O. P. N. / ST ANTONI DE PADUA O. P. N. ; Médaille miraculeuse ; « Ste Thérèse de l’Enfant Jésus » ; N. D. DE BUGLOSE P. P. N. / ST VINCENT DE PAUL PRIEZ POUR NOUS ; B. V. DEL ASSO ; VIRGO CARMELI ORA PRO ME / Sacré cœur ; N. D. DE BUGLOSE P. P. N. / Sacré Cœur ; PIVS XII PONT. MAX. / ANNO SANTO 1950 ; apparition de Lourdes ; B. V. DELLA CONSOLATA ; HEILIGER ROCK TRIER 1933 . IV Au fil des perles : la prière comptée V 1 2 2 5 3 4 3 4 5 7 1 6 7 8 6 9 8 9 10 IV. Chapelets que l’on rapporte de Lourdes 1. Liasse de treize chapelets, perles en bois teint sur métal blanc : LOURDES, médaille : INDECROCHABLE FRANCE, L. 53 cm. 2. Chapelet, perles en bois sur cordon, croix et cœur en laiton, L. 42 cm. 3. Chapelet miniature, perles en verre sur aluminium et laiton, médaille et croix en aluminium : LOURDES, L. 28 cm. 4. Chapelet, perles en liège et en métal chromé sur fer, cœur et croix en laiton : JE SUIS L’IMMACULEE CONCEPTION / PENITENCE PENITENCE PENITENCE ; SOUVENIR DE N. D. DE LOURDES , médaille en laiton : JE SUIS L’IMMACULEE CONCEPTION / BASILIQUE DE N. D. DE LOURDES . L. 78 cm. 5. Grand chapelet décoratif, perles en bois teint en forme de roses stylisées, cœur en bois : SOUVENIR DE NOTRE DAME DE LOURDES , médaille en bois : ALLEZ BOIRE A LA FONTAINE ET VOUS Y LAVER / NOTRE DAME DE LOURDES PRIEZ POUR NOUS , L. 129 cm. 6. Chapelet, perles en verre rose sur métal blanc, croix : Lourdes, L. 33 cm. Dans une boîte en métal estampé en forme de livre avec l’image de l’apparition. 7. Chapelet, perles en verre bleu sur métal blanc, L. 31,5 cm. Dans une boîte ronde en aluminium estampé. 8. Chapelet miniature, perles en verre sur métal blanc, L. 20.5 cm. Dans une croix pendentif en métal avec l’image de l’apparition. 9. Chapelet, perles en bois noirci et chromé, croix : SOUVENIR N. D. DE LOURDES , L. 39 cm. V. Les œufs et les fruits 1. Gland, plastique rouge, chapelet, perles en verre rose sur métal blanc, L. 23 cm. 2. Œuf, matière plastique jaspée, chapelet, perles de verre rose sur laiton, L. 20,5 cm. 3. Œuf, matière plastique jaspée, chapelet, perles de verre rose sur laiton, L. 26 cm. 4. Œuf, matière plastique : « Paray le Monial », chapelet, perles de verre bleu clair sur métal blanc, L. 20,5 cm. 5. Œuf, matière plastique jaspée, chapelet, perles en verre vert sur métal blanc, cœur : Médaille miraculeuse, L. 29,5 cm. 6. Œuf, bois verni, perles en pierre sur cuivre et métal, Médaille miraculeuse en laiton, L.30 cm. 7. Pomme, plastique, chapelet, perles en verre blanc sur métal blanc, cœur : Médaille miraculeuse, L. 22 cm. 8. Œuf, bois tourné et percé, chapelet, perles en verre irisé sur métal, croix : SIR DE N. D. DE LOURDES, cœur : SANCTA TERESIA A JESU INFANTE , L. 40,5 cm. 9. Œuf, bois verni, chapelet, perles en bois noirci sur métal chromé, L. 25 cm. 10. Œuf, bois tourné et percé, chapelet, perles en corail sur argent, médailles : SANCTA TERESIA A JESU INFANTE FRANCE / ROSARUM INBREM E COELO EFFUNDAM. ; Notre Dame du Perpétuel Secours / PIVS XI. PONT. MAX ., L. 28,5 cm. VI Au fil des perles : la prière comptée 1 2 VII 3 3 2 4 5 1 4 5 6 7 6 8 11 9 10 7 8 9 VII. Le dizain, le dizainier, la dizaine VI. Étuis et pochettes 1. Étui en cuir gaufré : RICORDO DI ROMA , contenant le chapelet ill. 95. 2. Étui en paille tressée contenant le chapelet ill. 21. 3. Étui au crochet. 4. Étui en cuir avec croix dorée au fer contenant un chapelet en bois sur laiton argenté, incomplet, cassé et réparé à de multiples reprises, L. 35 cm. 5. Étui en paille tressée contenant deux chapelets, perles en verre sur métal et laiton, L. 26 et L. 39 cm. 6. Étui en soie brodée avec le chiffre « B V ». 7. Étui en cuir : SOUVENIR DE N. D. DE LA GARDE contenant un chapelet incomplet et réparé, perles en corail sur argent, médaille en aluminium avec le « bref de saint Antoine » et l’indication : IND DE 100 J. LEON XIII., L. 27 cm. 8. Étui en paille tressée contenant un chapelet en verre blanc sur métal blanc, L. 40,5 cm. 9. Étui en toile brodée contenant un chapelet, perles en verre jaspé sur métal, croix : SOUVENIR DE N. D. DE LOURDES, L. 29 cm. 1. Dizain, grains en plastique bleu avec une rose et la Vierge en buste, sur métal blanc, cœur avec la Vierge du Sacré cœur, L. 15,5 cm. 2. Dizain de première communion, perles en améthyste taillées à facettes sur argent, avec fermoir, au revers de la croix : M R ., L. 16 cm. 3. Dizain, perles en plastique sur corde en nylon, médaille en aluminium : Médaille miraculeuse, L. 15 cm. 4. Dizain, perles en verre sur cordon. Les perles coulissent ; les cinq perles du bas permettent de compter les dizaines et de dire un chapelet complet. Croix et médaille en aluminium : SANCTA TERESIA A JESU INFANTE FRANCE / ROSARUM INBREM E COELO EFFUNDAM , L. 19,5 cm. 5. Dizain, perles en os sculpté sur cordon. Même système que le précédent. Médaille miraculeuse en aluminium, médaille ouvrante en forme de rose : « Sir de Montmartre » ; ST JOSEPH NOTRE MODELE PARFAIT ET NOTRE PROTECTEUR P. P. N. / SACRES CŒURS DE JESUS ET DE MARIE SAUVEZ NOUS , L. 18,5 cm. 6. Dizain fait à partir d’un fragment de chapelet, perles en bois sur élastique, L. 5 cm. 7. Dizain de première communion, perles en nacre sur argent, avec fermoir, L. 15 cm. 8. Dizain fait d’une ficelle nouée, D. 4,2 cm. 9. Dizain, perles en graines de courge enfilées, L. 8 cm. 10. Dizain fait d’un fragment de chapelet, perles en verre sur métal blanc, L. 4,5 cm. 11. Dizain, perles en corail et en verre, de diverses formes, sur cordon, D. 3 cm. VIII Au fil des perles : la prière comptée 1 2 4 3 8 6 5 7 9 12 10 13 11 14 VIII. Le dizainier-bague et ses avatars 1. Grand dizainier en forme de couronne d’étoiles avec la Vierge de Fatima, métal, L. 9,2 cm. 2. Dizainier-bague, perles en forme de rose, métal doré, L. 3,8 cm. 3. Dizainier-bague, métal, D. 2,2 cm. 4. Dizainier-bague-porteclé, métal : « AVE MARIA / Lourdes », L. 7,5 cm. 5. Dizainier-bague en forme de couronne d’épines, métal émaillé, L. 4,5 cm. 6. Dizainier-bague, argent, « H. TEGUY », L. 3,2 cm. 7. Dizainier-bague-pendentif, métal, L. 3 cm. 8. Dizainier-bague-pendentif avec saint Christophe/la grotte de Lourdes, L. 4,6 cm. 9. Dizainier-bague, en forme de chapelet, plastique, L. 4,7 cm. 10. Dizainier-bague, perles en bois teint sur élastique, L. 5 cm. 11. Dizainier-baguependentif, plastique doré, avec image d’un saint/saint Christophe, D. 3 cm. 12. Dizainier-bague, métal, « AVE MARIA GRATIA PLENA », image de l’Immaculée conception. L. 4,5 cm. 13. Dizainier-bague, perles en bois d’olivier sur cordon, L. 6 cm. 14. Dizainier-bague-pendentif, métal émaillé, « N. D. DE LOURDES PRIEZ POUR NOUS », L. 5 cm.