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Michel Huglo (author): Solange Corbin (1903-1973) - Quelques souvenirs

2011, Unpublished paper

Personal reflections by Michel Huglo on the life, career, and publications of Solange Corbin, whom he knew professionally for many years, with his reminiscences on his own life and career. These were presented at the University of Poitiers in November 2011 at a "Journee d'etudes" on the life, career, and publications of Solange Corbin.

Michel Huglo Solange Corbin (1903-1973). Quelques souvenirs. Presented at the « Journée d’études » on the life and career of Solange Corbin that took place at the University of Poitiers, 3-5 November 2011 Written by Michel Huglo when he was 89 and only a few months before he died (13 May 2012), his « souvenirs » are very personal reflections of Corbin, whom he had known professionally for many years. These also include important reminiscences about his own life and career. Some papers of the « Journée d’études » are published in : Solange Corbin et les débuts de la musicologie médiévale, ed. Christelle Cazaux-Kowalski, Jean Gribenski, and Isabelle His. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2015. Biographies of Solange Corbin (de Mangoux), and of Michel Huglo, can be found in Grove Music Online and in Die Musik in Geschichte und Gegenwart Online. Text unchanged and made available by Barbara Haggh-Huglo, 21 March 2020 1 Joumees d'etudes a l'Universite de Poitiers 3 - 5 novembre 2011 Michel HUGLO (CNRS-IRHT). Solange CORBIN (1903-1973). Quelques souvenirs. L'entree de Solange Corbin dans le cercle de la musicologie fran9aise a ete prepare par ses premieres publications centrees sur les sources de la musique religieuse et de la musique populaire du Portugal. Ses recherches sur le terrain, entreprises de fevrier 1942 a janvier 1943, furent partiellement consignees dans un article de 1943 sur Les livres liturgiques d'Aveiro et aboutirent a un Memoire presente en 1944 a la Section des Sciences historiques et philologiques de !'Ecole Pratique des Hautes Etudes de la Sorbonne. Ce simple Memoire approuve par l'historien Louis Halphen devait devenir huit ans plus tard un savant ouvrage intitule Essai sur la Musique religieuse portugaise au Moyen Age (1100-1385), publie en 1952 dans la Collection portugaise. La preface de l'Essai est signee de l'Abbe Pierre David, professeur a l'Universite de Coimbra, dont les cours avaient ete suivis par Solange Corbin apartir de novembre 1942. Bien que dans l'A vant-propos Solange Corbin ait averti qu'elle presente seulement Jes documents personnellement examines par elle, son Essai a constitue pour les musicologues une base de recherche incomparable et pour Jes historiens une vision nouvelle de l'histoire de la musique dans la Peninsule Iberique. Je me contenterai ici de citer deux exemples: le premier, tire du premiere livre de l'Essai, intitule Etudes d'histoire, concerne la liturgie hispanique: suivant l'enseignement de !'Abbe Pierre David, Solange Corbin montre que, selon de I' Abbe David, le terme de "liturgie mozarabe" designant les rites et repertoires de la liturgie de la Peninsule iberique anterieurs a la reforme gregorienne est historiquement inexact, puisqu'elle a ete formee avant l'invasion arabe de 703, sous le patronage d'Isidore de Seville (d.636) et d'Ildefonse de Tolede (ca. 667). Dans le second livre de l'Essai, elle decrit la notation portugaise, issue de la notation aquitaine importee au Portugal au cours du Xlle siecle, mais avec des particularites nouvelles, qui n'avaient pas ete mentionnees par Dom Suiiol dans son Introduction la Pa!eographie musicale gregorienne, publiee en 1935. En 1952, lorsque l'Essai sur la Musique religieuse portugaise venait d'etre imprime, ii y avait deja trois ans que Solange Corbin etait rentree de son sejour a Rome pour la preparation de sa these sur La notation musicale neumatique: /es quatre provinces lyonnaises: Lyon, Rouen, Tours et Sens, qu'elle devait soutenir le 24 juin 1957. Pour completer ses informations, Solange Corbin vint au printemps de 1949 visiter Dom Joseph Gajard, Directeur de la Paleographie musicale, pour Jui exposer ses projets de recherche sur les notations neumatiques fran9aises et pour lui demander comment consulter les documents de !'atelier de la Paleographie musicale. II est difficile de preciser si !'initiative de cette visite a Solesmes etait la sienne OU bien Jui avait ete suggeree par Dom Pierre Thomas, Professeur de Paleographie a l'Institut Pontifical de musique sacree, ou enfin le conseil de l'abbe Gabriel Beyssac, qu'elle remercie dans l'Avant-propos de son Essai pour sa "patience a m'aider dans les difficultes de chaque jour". Exclaustre de Solesmes en 1921, Beyssac occupait en permanence la place 50 de la Salle de consultation des manuscrits et volontiers faisait part de ses a 2 connaissances des manuscrits notes a ceux et celles qui Jui demandaient conseil: c'est lui qui revela Solange Corbin la notation lyonnaise de l'Ordinaire manuscrit de la Primatiale Saint-Jean (BnF lat. 1017), dont Christelle Cazaux-Kowalski va traiter demain apres-midi. Peut-etre, est-ce Jui en definitive qui conseilla a Solange Corbin d'aller consulter Jes photos de manuscrits conservees a Solesmes. Comme je faisais partie de l'equipe de !'Edition critique du Graduel romain, Dom Gajard me delegua pour porter au parloir les manuscrits que Solange Corbin desirait consulter et pour les replacer sur les rayons apres son depart. A !'occasion de ses visites de plus en plus espacees, Solange Corbin m'offrit ses prem iers articles de 1946 et 1947 concernant divers aspects de la musique religieuse portugaise, que je presentais dans la bibliographie de la Revue gregorienne. Etant abonnee a cette revue, elle me commentait parfois les articles qui interessaient son champ de recherche, tel que celui sur la melodie de l'hymne hispanique du Yendredi-saint Crux benedicta nitet (RG 1949) ou sur la decouverte du graduel de Sainte Cecile du Transtevere provenant de la collection du baronnet Phillipps liquidee par le bookseller londonien Robinson (RG 1952). a En 1954, Dom Gajard souhaitait degager la Revue gregorienne des articles scientifiques qui n'interessaient pas la pratique de la Methode de Solesmes enseignee dans les Instituts gregoriens de Paris, Lyon, Bondues et Vannes. Aussi, Dom Jacques Hourlier proposa de lancer une collection d'etudes scientifiques sur le chant gregorien, qu'il intitula Etudes gregoriennes. Pour le premier numero paru en 1954, j'invitais Solange Corbin a collaborer a cette nouvelle publication et elle redigea une note accompagnee de deux planches tirees du Sacramentaire d'Autun (Ms l 9bis), ecrit a Marmoutiers vers 845, sur "La representation des neumes dans Jes livres peints au IXe siecle". Cette note fut publiee entre mon article sur "Les noms des neumes et leur origine" et une note de cinq pages sur "L'origine bretonne du graduel N° 47 de la Bibliotheque de Chartres". Je me souviens que cette derniere note, qui devait former sept ans plus tard la base d'une etude sur "Le domaine de la notation bretonne" a destination du tome IV des Etudes gregoriennes ( 1961 ), avait interesse Solange Corbin, qui preparait sa these centree sur les notations neumatiques en usage clans l'Hexagone: elle adopta done ce terme en meme temps que celui de "Notation lorraine" qu'elle proposa pour remplacer celui de "Notation messine", dont le domaine s'etendait a la Lotharingie et parfois un peu au-dela. Entin, la notation de quelques manuscrits ecrits a la limite des zones couvertes par ces deux notations, mais en panachant leurs formes avec celles d'une notation voisine differente, fut designee du terme de "Notation de contact". Au cours de cette meme annee 1954, je publiais dans la revue Sacris erudiri un article sur "Le chant Yieux-romain: liste des manuscrits et temoins indirects", qui aboutissait en conclusion a reporter dans le nord de !'Europe et non a Rome l'origine du plain-chant. Cet article avait ete suscite par la communication du Dr. Bruno Stablein au Congres de musique sacree de Rome (1950), auquel Solange Corbin avait participe pour presenter sa propre communication sur "L'office en vers Gaude Mater ecclesia pour la Conception de la Yierge" 1: le Dr Stablein avait tente de demontrer que le chant-vieux romain avait ete recompose a Rome durant le pontificat du pape Yitalien (657672), sous !'influence de l'octoechos. Solange Corbin avait adopte cette solution du probleme de 1 Cet office rime du Xl ~ siecle, note dans le manuscrit de Moissac (Paris, Bnf lat. 1688: cf. Analecta hymnica, 5, 47-50) est centre sur la conception du Verbe par la Vierge Marie, II etait chante le 18 decembre, bicn qu'il forme le doublet avec la celebration Jiturgique de l'Annonciation, le mercredi des Quatre Temps de l'Avent. 4 put enfin publier clans Jes Cahiers de civilisation medievale (3313, 1990, p. 255-280) son article sur "Codicologie et notation neumatique" dans les classiques latins: ii se refere la a l'etude de Solange Corbin, "Comment on chantait Jes classiques latins au Moyen Age", publiee dans les Afelanges d'histoire et d'esthetique musicale, offerts en 1955 a Paul-Marie Masson, fondateur de l'Institut de Musicologie de la Sorbonne en 1951. Comme Solange Corbin etait accaparee par la preparation de sa these et par les articles sur Jes notations neumatiques qu'elle devait publier a partir de 1952, nos relations se poursuivirent par courrier: m'ayant spontanement offert ses services pour la consultation des manuscrits des bibliotheques parisiennes, je Jui posais de temps en temps des questions sur les graduels et missels notes de la Bibliotheque nationale et de !'Arsenal sur lesquels nous n'avions a l'epoque aucune documentation. Elle me repondait sans tarder soit a la main, soit a la machine. A la fin de l'annee 1959, je decouvrais non sans stupeur dans le tome ID des Etudes gregoriennes trois articles critiquant mon expose sur les manuscrits et temoins indirects du chant Vieux-romain que j'avais publie en 1954: le premier article, "Vieux-romain et Gregorien", signe de Dom Gajard, qui pourtant m'avait donne cinq ans plus tot son accord pour la publication demon article, proposait de remplacer le terme de Gregorien par "Standard" et le Vieux-romain par "Special". Le second article, du au lecteur de theologie de l'abbaye, consistait en une discussion point par point de la notion de "temoin indirect" et de son peu de valeur pour solutionner le probleme des deux repertoires melodiques pour Un meme texte de l'office et de la messe. Entin, le troisieme article, du a un jeune chantre de la schola, tendait amontrer que la composition du repons Descendil dans le "Special" etait le remaniement tardif d'une piece du "Standard". En somme, ces trois dissertations s'unissaient pour revenir la these de Dom Andre Mocquereau, qui dans le premier volume de la Pateographie musicale, avait explique la composition des melodies des manuscrits de Saint-Pierre du Vatican et du Latran par un "machicotage" tardif des melodies gregoriennes: nihil innovetur nisi quod traditum est ... Ces publications preparees a mon insu pendant des semaines, jointes a une punition severe du Pere Abbe au chapitre des coulpes en raison d'un manquement grave de ma part a la discip line monastique me determina a quitter l'abbaye a l'aurore du 2 janvier 1960. Aussi, lorsque Solange Corbin n'ayant aucune reponse a ses lettres a mon adresse, re9ut enfin du Pere Abbe la nouvelle que "j'avais ete affecte a une autre obedience", el le demanda a Fran9ois Lesure, bibliothecaire de la Section de musicologie la BNF, comment me retrouver pour m'aider reprendre mes recherches au CNRS. Lesure que je connaissais personnellement pour lui avoir fait visiter !'atelier de la Paleographie musicale le dimanche de Pentecote 1958, retrouva mon adresse au cours du Congres de la Societe internationale de musicologie a New York (5- 11 Septembre 1961) et m'invita aParis pour m'aider a preparer mon dossier de chercheur au CNRS. Accepte en juillet 1962 avec le grade de Charge de recherche, j'avais le choix pour la direction de ma these entre Solange Corbin et Jacques Chailley: etant donne mon projet sur Jes tonaires, amorce des 1952 par la publication du Tonaire de Saint-Riquier, j'etais done en quelque sorte determine a me tourner vers Jacques Chailley, qui donnait ses cours sur le De institutione rnusica de Boece a l'lnstitut de Musicologie de la rue Michelet. Cependant, je me rendais parfois rue de Bellechasse pour discuter avec Solange Corbin des manuscrits, des notations ou des modes du chant gregorien: au cours d'une de ces v isites, elle me demanda abrule-pourpoint ou etait conserve a a a 6 devant Nancy Phillips et moi le bon souvenir que la visite de Solange Corbin lui avait laisse. En 1973, malgre l'avis negatif de son medecin, Solange Corbin revint aux Etats-Unis: elle tenait en effet visiter l'Universite Harvard Cambridge, Massachusetts, ou le Professeur David Hughes venait de publier quatre ans auparavant les deux gros volumes d'un Index of Gregorian Chant. Le 17 avril, dans le train de Boston New Haven, ou e11e devait s'arreter pour se rendre Yale University, elle fut victime d'une attaque cerebrate qui necessita une operation d'urgence et son retour en France, ou elle fut dirigee sur l'Hopital americain de Neuilly. Finalement, elle devait deceder le 17 septembre suivant. Son service eut lieu a l'eglise de Saint Gervais avec la messe de Requiem executee en chant gregorien, comme elle l'avait souhaite et son eloge funebre fut prononcee par Jacques Chailley. Aujourd'hui, ii m'est difficile de realiser pour quelle raison je n'ai pas ete informe de ses demiers instants et de ses funerailles, auxquelles j'aurais certainement assiste. Cependant, un minime incident dans mes recherches sur les manuscrits de la B.N. est reste a mes yeux comme un demier adieu que Solange Corbin m'adressa a son insu: en effet, grace au fichier des manuscrits de de medecine, que Marie-Therese d'Alverny avait patiemment confectionne avec le Dr. Wickersheimer, je venais enfin de decouvrir la cote du manuscrit palimpseste de Piacenza, que Gabriel Beyssac (d. 6 aoGt 1965) m'avait jadis signale, en evitant soigneusement de me donner sa reference. En compulsant les feuillets du Ms. latin 7102, sur lesquels des traces d'initiales et de notation neumatique italienne apparaissaient, j'eus la surprise de trouver un fiche ecrite a l'encre bleue portant son adresse: "Solange Corbin de Mangoux, Vorly (Cher)". Tres impressionne, je me demandais comment ce message avait pu tomber entre mes mains. Bientot, je fini s par comprendre que Solange Corbin avait donne l'adresse de sa famille asa cousine Marie-Therese d'Alvemy, en train d'etudier le contenu de ce recueil de traites de medecine. Solange Corbin a peut-etre entrevu ces neumes, mais elle ne les a pas retenus dans la preparation de ses deux etudes de paleographie musicale publiees apres sa mort: Die Neumen (Cologne, 1977) et l'art. Neumatic notations (I-IV), dans le volume 13 du New Grove Dictionary ofMusic and Musicians ( 1980). A propos de ces deux publications posthumes, ii est necessaire de souligner que Solange Corbin est redevable de deux apports importants aux etudes de paleographie musicale: d'abord celui d'angle d'ecriture donne aux neumes ascendants et descendants dans chacune des quinze families de notation sans portee, et surtout !'attention a procurer a la notation neumatique fran~ise, dont elle a releve !es qualites paleographiques et aussi son antiqu ite par rapport aux autres notations europeennes. a a a a En considerant !es trente ans d'activite scientifique de Solange Corbin, ii apparait qu'elle a fait passer dans l'universite des themes de recherche qui, avant elle, appartenaient presque exclusivement au doroaine des religieux adonnes a la reforme et au perfectionnement de leurs livres de chant choral. Si elle n'est pas la premiere a promouvoir l'enseignement de la musicologie a l'Universite, son nom restera toujours attache a !'introduction de la paleographie musicale dans le cursus uruversita ire de la musicologie.