MÜLLER (Olaf), « “Harsh runic copy of the south’s sublime”. Le
dantesque, le byronesque et la Prophecy of Dante (1821) de Lord Byron »,
in SANGIRARDI (Giuseppe), FRITZ (Jean-Marie) (dir.), Dantesque. Sur les traces
du modèle, p. 167-181
DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09026-7.p.0167
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MÜLLER (Olaf), « “Harsh runic copy of the south’s sublime”. Le dantesque, le
byronesque et la Prophecy of Dante (1821) de Lord Byron »
RÉSUMÉ – Byron utilisa le masque de Dante pour commenter la situation politique et
culturelle de l ’Italie et de l ’Europe en 1821 dans sa Prophecy of Dante, dans laquelle il
imagine le poète présageant l ’avenir de sa ville natale et de l ’Italie jusqu’au XIX e siècle.
Le texte byronien fut traduit dans la même année 1821 en italien, puis en français et en
allemand. On évoque ici les différentes interprétations du dantesque revu par et à travers
Byron, ainsi que les usages politiques de ce Dante romantisé et byronisé.
MOTS-CLÉS – Byron, romantisme, prophéties, sublime, traduction
« HARSH RUNIC COPY
OF THE SOUTH’S SUBLIME »
Le dantesque, le byronesque
et la Prophecy of Dante (1821) de Lord Byron
Avant de me concentrer sur la Prophecy of Dante que Lord Byron
publia en l’année du cinquième centenaire de la mort du poète, en
1821, je voudrais brièvement esquisser une « géographie culturelle »
du modèle dantesque. Plus concrètement, et avec les moyens numériques du bord, je me suis penché sur la distribution chronologique
de l’adjectif « dantesque » en anglais, français, italien et allemand
entre 1750 et 2000. Le programme Ngram Viewer permet de calculer
la fréquence de certains mots ou de combinaisons de mots dans une
base de données formée par un choix de plusieurs millions de livres
scannérisés par Google Books.
Il faut tout de même tenir compte des limites de ces données, puisque
les livres pris en considération ne sont pas tout à fait représentatifs de la
totalité des publications dans une langue dans un moment historique
spécifique. Pour arriver à un résultat affiché par le programme, il faut
néanmoins un minimum de 40 titres du corpus qui contiennent le mot
cherché, ce qui veut dire que ces résultats ne sont pas complètement
aléatoires. Le but de cette petite recherche primitive était de voir le
contexte de l’usage de la notion de « dantesque » dans lequel Byron
place sa propre interprétation pour avoir des balises approximatives pour
une comparaison. Sachant que l’adjectif « Byronesque » ou « byronien »
a connu, au cours du xixe siècle, une inflation peut-être encore plus
importante que celle de « dantesque », une comparaison des usages des
deux adjectifs pourrait donc s’avérer utile.
Nous voyons ici la distribution selon Ngram Viewer des adjectifs
« dantesque », « Byronesque » et « byronic » dans le corpus anglais du
programme pour la période allant de 1800 à 2008 :
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OLAF MÜLLER
Or, quand on cherche les occurrences de « dantesque » dans les
exemples du corpus liés aux résultats que nous voyons ici, il s’agit surtout d’un emploi neutre dans le sens de « quelque chose appartenant
à Dante », comme le montre un compte rendu de 1864 des Critical,
Historical and Philosophical Contributions to the Study of the Divina Commedia
de Henry Clark Barlow :
Two sorts of Dantesque annotators or expounders deserve especially to be greeted […].
We cannot, indeed, say that the book ranks with such as enlarge, modify or disturb,
our views of the poem as a whole. We do not find that it assists our insight into the
great Dantesque questions […]. This line of Dantesque investigation, then, does not
appear to us to be Dr. Barlow’s special forte. We turn with more satisfaction to his
historical summaries […] and his laborious analyses of authorities. The latter point
[…] will, indeed, render the work indispensable to all those future Dantesque students
[…] who make it their business to settle the text of the Commedia1.
« Deux types de commentateurs dantesques méritent d’être salués en particulier […]. Nous ne pouvons pas dire, au fait, que le livre fait partie de ceux
qui amplifient, changent ou dérangent nos vues du poème en tant que tel.
Nous ne trouvons pas qu’il aide notre compréhension des grandes questions
dantesques. […] Ce genre de recherche dantesque ne nous semble donc pas
être le fort du docteur Barlow. Nous nous tournons avec plus de satisfaction
vers ses résumés historiques […] et ses analyses détaillées des autorités. Ce
dernier point […] rendra son travail indispensable pour tous les chercheurs
dantesques […] qui s’occuperont du texte définitif de la Commedia. »
Un compte rendu de la célèbre traduction américaine de la Divina
Commedia de Henry Wadsworth Longfellow montre un usage analogue :
1
CR de Henry Clark Barlow, Critical, Historical and Philosophical Contributions to the Study
of the Divina Commedia, Londres, Williams & Norgate, 1864, dans The Athenaeum,
19.11.1864, p. 666–668 (p. 667).
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dans « Dantesque annotator », « Dantesque literature », ou encore
« Dantesque interpretation », l’adjectif n’a clairement pas de valeur
esthétique, pas plus que dans le Vocabolario dantesco de Ludwig Gottfried
Blanc cité dans le compte rendu2.
Si l’on regarde du côté français, on voit la courbe du « dantesque »
monter après la Première Guerre mondiale, mais il est difficile de dire
si ce n’est pas seulement un hasard du corpus.
Dans le corpus anglais, on trouve un saut semblable dans les années
1950, mais pas après la Première Guerre mondiale. On peut d’ailleurs
observer une différence frappante entre les exemples qu’on trouve dans
le corpus français du Ngram viewer et ceux qu’on trouve en cherchant
dans Frantext. Le corpus du Ngram viewer consiste surtout en œuvres
2
« Thus the Dantesque translator, with whom faithfulness is the paramount point, may be assured
that he never need rein in his zeal, but that the more successful he is in faithfulness, the more successful must he also be in phraseology. […] The author shows a wide acquaintance with the recent
Dantesque literature […]. It was not to afford the reader a full apparatus for the discussion of the
vexed questions of Dantesque interpretation and textual criticism, but to give him the information
requisite for a fair understanding of the poem […]. [Ludwig Gottfried] Blanc‘s chief contribution
to Dantesque literature is his Vocabolario Dantesco, a work of great value, which every student of
the poet has at hand […] », CR de la traduction américaine de la Divine Comédie de Henry
Wadsworth Longfellow, The Nation (19 Sept. 1867, p. 226-228) « Aussi, le traducteur
dantesque, qui se soucie surtout de la fidélité au texte, peut être sûr qu’il ne doit jamais
contrôler son zèle, mais que plus il réussit dans cette fidélité, plus il réussira dans la phraséologie. […] L’auteur montre une connaissance approfondie de la littérature dantesque
la plus récente […]. Ce n’était pas pour présenter au lecteur un appareil complet pour la
discussion des questions les plus débattues de l’interprétation dantesque, mais pour lui
offrir l’information nécessaire à la compréhension adéquate du poème […]. La majeure
contribution de [Ludwig Gottfried] Blanc à la recherche dantesque est son Vocabolario
Dantesco, une œuvre d’une très grande valeur que tous les chercheurs ont à portée de
main […] ».
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OLAF MÜLLER
historiques et scientifiques, tandis que celui de Frantext présente des
textes majoritairement littéraires ou philosophiques, ce qui produit des
résultats nettement différents. À part quelques passages de Georges Sand,
notamment de Lélia de 1833, qui se trouvent dans les deux corpora, il
n’y a que très peu de points de contact entre les deux.
Quand en 1839 Jean-Jacques Ampère publia son Voyage dantesque,
l’emploi de l’adjectif dans son titre ne semble pas poser problème. Les
connotations d’ordre esthétique qui nous intéressent particulièrement
dans le contexte de l’essor de la notion de « dantesque » autour de 1830,
ne semblent pas jouer un rôle chez Ampère. Son voyage est dantesque
parce qu’il « appartient à Dante », dans le sens que l’auteur suit les
traces de Dante sur la péninsule italienne. Il s’agit pour Ampère d’un
« pèlerinage aux lieux qu[e Dante] a consacré par ses vers. » Mais Ampère
explique aussi, dans une « profession de foi », comme il l’appelle luimême, les raisons du changement dans l’acceptation de la notion du
dantesque à partir des années 1830. Le passage est connu, mais je me
permets de le rappeler :
C’est un vrai malheur pour les admirateurs sincères de Dante que la mode
se soit emparée de ce grand poète. II est cruel pour les vrais dévots de voir
l’objet de leur culte profané par un engouement qui n’est souvent qu’une
prétention […]. Oh ! le bon temps pour les amis de Dante et de Shakspeare
[!] que celui où tous deux étaient traités de barbares ! Cependant on ne doit
point renoncer à sa religion, parce qu’elle est professée par une foule qui ne
croit pas du fond du cœur ; on ne peut abandonner ses affections littéraires,
parce qu’il est du bon air d’en afficher de pareilles. Il faut être fidèle au génie
et à la vérité quand même […]. [ J]e suis résolu à persévérer dans mon amour
pour la poésie de Dante, bien que ce soit aujourd’hui une fureur universelle,
en France et en Italie, d’admirer à tout propos et hors de propos l’auteur de
la Divine Comédie, que presque personne ne lisait il y a soixante ans3.
Les statistiques confirment cet « engouement » récent que constate
Ampère : à partir de 1830, quand Lamartine mentionne la « poésie
dantesque » dans sa correspondance, le nombre de références à Dante
et au « dantesque » augmente visiblement dans Frantext et dans Ngram
Viewer. Mais aux 63 entrées pour « dantesque » dans Frantext correspondent les 62 entrées pour « byronien », qui commencent également en
1830, cette fois avec Alfred de Musset, qui parle de « l’air byronien d’un
3
Ampère, Jean-Jacques, « Voyage dantesque », Revue des deux mondes, 20, 1839, p. 534.
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homme blasé ». Les mêmes auteurs qui les premiers utilisent l’adjectif
« dantesque » dans le sens qui nous intéresse ici – Balzac, Lamartine,
George Sand – ces mêmes auteurs sont les premiers, selon les résultats
de Frantext, à qualifier quelqu’un ou quelque chose de « byronien ».
Dans Lélia de George Sand on peut même trouver les deux adjectifs,
« dantesque » et « byronien », ensemble. Et Lamartine, qui dès 1820
avait dédié « L’Homme », la deuxième de ses Méditations poétiques, à
Byron, commenta ses propres vers en 1849 en comptant Byron et Dante
au même titre parmi les « poëtes souverains, infatigables, immortels
ou toujours rajeunis par leur génie, comme Homère, Virgile, Racine,
Voltaire, Dante, Pétrarque, Byron ». Le début de « L’Homme » donne
une impression du culte de Byron dans la version de Lamartine, et on
y voit bien les analogies avec le culte de Dante et du dantesque :
Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom,
Esprit mystérieux, mortel, ange, ou démon,
Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie,
J’aime de tes concerts la sauvage harmonie,
Comme j’aime le bruit de la foudre et des vents
Se mêlant dans l’orage à la voix des torrents !
La nuit est ton séjour, l’horreur est ton domaine :
L’aigle, roi des déserts, dédaigne ainsi la plaine […].
Et toi, Byron, semblable à ce brigand des airs,
Les cris du désespoir sont tes plus doux concerts.
Le mal est ton spectacle, et l’homme est ta victime.
Ton œil, comme Satan, a mesuré l’abîme,
Et ton âme, y plongeant loin du jour et de Dieu,
A dit à l’espérance un éternel adieu !
Comme lui, maintenant, régnant dans les ténèbres,
Ton génie invincible éclate en chants funèbres ;
Il triomphe, et ta voix, sur un mode infernal,
Chante l’hymne de gloire au sombre dieu du mal4.
Ce que Dante observe dans l’enfer, Byron le vit en première personne. Les paysages infernaux que Dante décrit sont le milieu naturel
du Byron inventé par Lamartine, un Byron qui a « dit à l’espérance
un éternel adieu », ou qui a, autrement dit, « lasciato ogni speranza ».
4
Lamartine, Alphonse de, « Deuxième meditation. L’Homme. À Lord Byron », Œuvres
complètes de Lamartine publiées et inédites. Méditations poétiques avec commentaires, Paris, chez
l’auteur, 1860, t. 1, p. 77–78.
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OLAF MÜLLER
Dans le commentaire de 1849, Lamartine insiste sur ce double rôle de
Byron, qui, comme Dante, est en même temps l’auteur et l’acteur dans
un scénario infernal :
Il a voulu être le Lucifer révolté d’un pandæmonium humain. Il s’est donné
un rôle de fantaisie dans je ne sais quel drame sinistre dont il est à la fois
l’auteur et l’acteur. Il s’est fait énigme pour être deviné5.
Pourtant, ce qui pourrait paraître une critique de la mise en scène ou du
self fashioning de Byron, n’empêche pas Lamartine de conférer à Byron
un statut littéraire dans la modernité qui correspond à celui de Dante
pour le moyen âge : « Lord Byron est incontestablement à mes yeux la
plus grande nature poétique des siècles modernes6 ».
Le cas de la réception de Dante dans les cultures de langue allemande
a déjà suscité un nombre considérable d’études7, et je peux donc faire
l’impasse sur les détails. Ceci dit, les courbes des adjectifs « dantesk »
et « byronesk » entre 1750 et 2000 que nous voyons dans le graphique
ci-dessous présentent quelques surprises, notamment entre la fin des
années 1820 et les années 1850. L’absence de l’adjectif peut en tout cas
étonner dans une période qui a vu l’essor de la philologie dantesque
moderne en Allemagne avec les travaux de Karl Witte et l’entourage du
roi Jean de Saxe, connu comme dantologue et traducteur de la Commedia
sous le nom de Philalethes8.
5
6
7
8
Lamartine, op. cit., p. 87.
Lamartine, loc. cit.
Pour un état des lieux cf. Hölter, Eva, Der Dichter der Hölle und des Exils. Historische und
systematische Profile der deutschsprachigen Dante-Rezeption, Würzburg, Königshausen &
Neumann, 2002, ainsi que Dante Alighieri. Texte zur literarischen Rezeption im deutschsprachigen Raum, éd. par Eva Hölter, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2016.
Witte, Karl, Ueber Dante, Breslau, Pelz, 1831 ; Dante Alighieri’s lyrische Gedichte, übersetzt
und erklärt von Karl Ludwig Kannegiesser und Karl Witte, Leipzig, Brockhaus, 1842 ;
La Divina Commedia, ricorretta sopra quattro dei più autorevoli testi a penna da Carlo
Witte, Berlino 1842 ; Witte, Karl, Quando e da chi sia composto l’ottimo commento a Dante.
Lettera di Carlo Witte colla giunta di alcuni supplementi alla Bibliografia Dantesca del Sign.
Visconte Colomb de Batines, Lipsia, 1847 ; Divina Comoedia. Hexametris Latinis reddita ab
abbate Dalla Piazze Vicentino. Praefatus est et vitam Piazzae adiecit Carolus Witte, Lipsiae,
Barth 1848 ; Nuove proposte al convito di Dante Alighieri, proposte da Carlo Witte, Lipsia,
1854 ; Dante’s Göttliche Comödie, metrisch übertragen und mit Erläuterungen versehen von
Philalethes, Dresde/Leipzig, Gärtner, 1828–1833 ; pour les débuts de la philologie dantesque de langue allemande pendant cette période entre Dresde et Weimar, voir Dante,
ein offenes Buch, éd. par Edoardo Costadura et Karl Philipp Ellerbrock, Berlin, Deutscher
Kunstverlag, 2015.
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Néanmoins, un débat public autour du « dantesque » qui eut lui lieu
en 1839 vaut la peine de s’y arrêter un moment parce qu’il peut servir
pour éclairer la fonction de Dante et du « dantesque » en Allemagne.
Quand en 1839, la ville de Stuttgart en Allemagne fit ériger une
statue en l’honneur de Schiller, œuvre du célèbre sculpteur danois Bertel
Thorvaldsen, la position méditative du poète9, anticipant exactement,
avec trente ans d’avance, celle de la célèbre statue de Dante devant
Santa Croce à Florence10, provoqua des réactions critiques parmi le
public allemand. La réalisation fut observée avec attention par toute
l’Allemagne, parce qu’il s’agissait du premier monument de cette envergure dédié à un poète, et ce à un moment où il n’y avait pas encore
de statue de Goethe nulle part, ni de Shakespeare en Angleterre ou de
Dante en Italie. On s’attendait à un Schiller vigoureux, en mouvement,
représenté en combattant de la liberté, ou le visage élevé vers les astres,
mais Thorvaldsen choisit une posture plus introvertie, avec un Schiller
regardant par terre. L’émissaire de l’association des amis de Schiller, qui
commanda la statue à Thorvaldsen, raconte la réaction de Thorvaldsen,
quand on lui reporta l’indignation d’une partie du public face à ce
Schiller méditatif :
Man hatte ihm gesagt, wie viel Stimmen sich gegen die gesenkte Kopfhaltung seines
Schiller erhoben […]. Allein Thorvaldsen bemerkte lächelnd, er denke seine Statue
werde noch stehen bleiben, wenn die ganze moderne Generation längst werde in’s Grab
gesunken sein, und alsdann, in drei- oder fünfhundert Jahren vielleicht, werde man
9
Cf. les images de la statue dans l’article https://de.wikipedia.org/wiki/Schillerdenkmal_
(Stuttgart_1839) [consulté le 21.9.2018].
10 Pour des images cf. l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/Monument_%C3%A0_Dante_
(Santa_Croce) [consulté le 21.9.2018].
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OLAF MÜLLER
die Physiognomie des großen Tragikers aus der frivolen Zeit, in der er lebte, immer
ernster, immer tragischer herausblicken sehen. Mit einem Wort, sagte Thorvaldsen,
ich habe ihn « dantesk » aufgefasst11.
« On lui avait dit combien de voix critiques s’étaient élevées contre la tête
baissée de son Schiller. Mais Thorvaldsen remarqua en souriant qu’à son
avis sa statue sera encore debout quand toute la génération moderne sera
déjà ensevelie, et alors, dans trois cents ou cinq cents ans, on verra peut-être
la physionomie du grand auteur tragique se distancier, d’un regard toujours
plus sérieux et plus tragique, des temps frivoles dans lesquels il vivait. En un
mot, dit Thorvaldsen, je l’ai vu d’une manière ‹ dantesque ›. »
Le dantesque est donc dissoluble dans le schillérien, et un monument
à Schiller peut en cacher un autre en l’honneur de Dante.
En Italie, ce fut Byron lui-même qui contribua à établir le lien entre
sa personne et Dante en publiant la Prophecy of Dante en 1821, année du
cinquième centenaire de la mort du poète florentin. Byron, qui au moment
de la publication vivait en Italie depuis plusieurs années, y met en scène
un Dante prophète, qui, peu de temps avant sa mort, présage l’avenir
politique de l’Italie en terza rima anglaise. La Prophecy fut traduite en italien dans la même année par l’ancien librettiste de Mozart, Lorenzo Da
Ponte, qui à l’époque résidait aux États-Unis depuis presque vingt ans.
La première traduction italienne de la Prophecy ne fut donc pas publiée en
Italie, mais de l’autre côté de l’Atlantique, à New York. Dans la dédicace
à Teresa Guiccioli, Byron définit son projet « une dure copie runique du
sublime du sud », a « harsh runic copy of the South’s sublime », ce qui fait
de lui, malgré le ton ironique, une version nordique de Dante. La figure de
Dante-prophète lui permet de s’ériger en prophète lui-même et de prédire
l’unité nationale italienne comme seule solution à la misère actuelle. Dans
la préface, Byron explique la naissance de son projet, qu’il propose comme
une espèce de feuilleton dantesque, s’il rencontre le succès auprès du public :
In the course of a visit to the city of Ravenna in the summer of 1819, it was suggested
to the author that having composed something on the subject of Tasso’s confinement
[ The Lament of Tasso, 1817], he should do the same on Dante’s exile – the tomb of
the poet forming one of the principal objects of interest in that city, both to the native
11 Cit. in Franz von Baader als Begründer der Philosophie der Zukunft. Sammlung der vom Jahre
1851 bis 1856 erschienenen Recensionen und literarischen Notizen über Franz von Baaders
sämmtliche Werke, éd. par Franz Hoffmann, Leipzig, Bethmann, 1865, p. 176.
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« HARSH RUNIC COPY OF THE SOUTH’S SUBLIME »
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and to the stranger. […] the result has been the following four cantos, in terza rima,
now offered to the reader. If they are understood and approved, it is my purpose to
continue the poem in various other cantos to its natural conclusion in the present age.
The reader is requested to suppose that Dante addresses him in the interval between
the conclusion of the Divina Commedia and his death, and shortly before the latter
event, foretelling the fortunes of Italy in general in the ensuing centuries12 .
« Dans le cours d’une visite faite à Ravenna dans l’été de 1819, on suggéra
à l’auteur qu’ayant composé quelque chose sur la prison du Tasse, il devait
en faire autant sur l’exil du Dante. La tombe du poète est un des objets les
plus intéressans de cette ville et pour l’habitant et pour l’étranger. Cette
idée m’inspira, et je composai les quatre chants suivans en terza rima, que
j’offre maintenant au lecteur. Si je suis compris et approuvé, mon dessein et
de continuer ce poème et de le conduire jusqu’à notre siècle. Le lecteur devra
supposer que Dante s’adresse à lui dans l’intervalle qui s’écoula depuis qu’il
eut achevé la Divine Comédie jusqu’à sa mort. C’est peu de temps avant cette
dernière époque qu’il prédit les destinées de l’Italie dans les siècles à venir13. »
Dans la version existante, le quatrième et dernier chant se termine
au seizième siècle avec la prophétie que la ville de Florence ne rentrera
jamais en possession des cendres de Dante et qu’elle devra se contenter
d’une urne vide. Dans une imitation de l’apostrophe à Florence dans
l’Inferno, le Dante byronien s’adresse à sa ville natale. Le traducteur Da
Ponte souligne le ton dantesque du passage en rendant Florence par
« Fiorenza », comme dans le 26e chant de l’Inferno :
Florence ! when this lone spirit shall return
To kindred spirits, thou wilt feel my worth,
And seek to honour with an empty urn
The ashes thou shalt ne’er obtain14 .
« quando, o Fiorenza, il mio solingo spirto,
a’ consorti farà spirti ritorno,
quel ch’io merti saprai. Tu allor con vòta
urna onorar vorrai miei freddi avanzi,
che unqua concessi a te non fien. […]15 »
12 Je cite d’après l’édition suivante : Byron, George, La profezia di Dante, testo inglese con
le traduzioni di Michele Leoni e Lorenzo Da Ponte, a cura di Francesco Bruni e Loretta
Innocenti, Roma, Salerno, 1999, ici p. 96.
13 Traduction française d’après l’édition contemporaine Œuvres de Lord Byron, sixième édition
entièrement revue et corrigée par A[médée] Pichot, t. 14, Bruxelles, C. J. de Mat fils et
H. Remy, 1827, p. 7–8.
14 Byron, George, La profezia di Dante, op. cit., p. 166.
15 Ibid., p. 167 (traduction de Lorenzo Da Ponte).
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OLAF MÜLLER
« Florence ! quand cette âme solitaire ira se joindre aux esprits de la même
nature qu’elle, tu reconnaîtras mon mérite, et tu chercheras à honorer par
une urne vide les cendres que tu n’obtiendras jamais16… »
Dans la préface, comme nous venons de le voir, Byron proposa de continuer
les chants de la Prophecy jusqu’aux temps présents : « If they are understood and approved, it is my purpose to continue the poem in various
other cantos to its natural conclusion in the present age17 ». Or, dans le
contexte des célébrations de 1821, en évoquant les cendres de Dante, Byron
était déjà arrivé au présent, puisque comme pour chaque centenaire de la
naissance ou de la mort de Dante, la querelle entre Ravenne et Florence
autour des reliques de Dante avait recommencé. Entre divers projets pour
l’érection d’un monument, que Leopardi nous rappelle dans son poème
dédié au monument à construire, la ville de Florence essaya de rapatrier
les restes de Dante, mais la ville de Ravenne refusa catégoriquement.
Byron participe pleinement à la revalorisation de la langue dantesque
et lui attribue une force politique destinée à soutenir l’unité nationale.
Ce sera grâce au langage de Dante que l’italien deviendra le rossignol
parmi les langues européennes. Pétrarque, la référence linguistique
depuis Bembo et l’Arcadia, ne joue plus aucun rôle dans cette histoire
de la langue italienne :
We can have but one country, and even yet
Thou’rt mine – my bones shall be within thy breast,
My soul within thy language, which once set
With our old Roman sway in the wide West ;
But I will make another tongue arise
As lofty and more sweet, in which exprest
The hero’s ardour, or the lover’s sighs,
Shall find alike such sounds for every theme
That every word, as brilliant as thy skies,
Shall realize a poet’s proudest dream,
And make thee Europe’s nightingale of song ;
So that all present speech to thine shall seem
The note of meaner birds, and every tongue
Confess its barbarism when compared with thine.
This shalt thou owe to him thou didst so wrong,
Thy Tuscan Bard, the banish’d Ghibelline18.
16 Œuvres de Lord Byron, op. cit., p. 47.
17 Byron, George, La profezia di Dante, op. cit., p. 96.
18 Prophecy, Canto II, 19–34, ibid., p. 122-124.
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« HARSH RUNIC COPY OF THE SOUTH’S SUBLIME »
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« […] nous ne pouvons avoir qu’une patrie, et tu es encore la mienne… Mes
ossemens resteront dans ton sein, et mon genie dans ton langage, qui jadis
se répandit avec l’empire de Rome dans le vaste Occident ; mais je veux créer
une autre langue aussi noble et plus douce, dans laquelle la gloire du héros et
les soupirs d’un amant trouveront pour tout exprimer des sons si célestes que
chaque mot, digne de ton climat, réalisera le rêve le plus ambitieux d’un poète,
et fera de toi le rossignol des chants de l’Europe. Toutes les autres langues,
comparées à la tienne, sembleront le ramage des oiseaux moins harmonieux,
et tous les peuples s’avoueront barbares en t’écoutant. Voilà ce que tu devras
à celui que tu accablas d’outrages, à ton barde toscan, au Ghibelin exile19. »
Si Dante, le « Ghibellino espulso20 », peut s’appeler « Tuscan Bard » dans
la formule de Byron, il est clair qu’il est désormais pour l’Italie ce que
l’autre « Bard » est pour l’Angleterre, c’est-à-dire le Shakespeare italien.
Cette idée aurait été absurde encore quelques décennies avant, mais
elle correspond à la chronologie de la profession de foi de Jean-Jacques
Ampère, qui, en 1839, regrettait « le bon temps pour les amis de Dante
et de Shakespeare que celui où tous deux étaient traités de barbares21 ! »
et qui affirmait que c’était devenu « aujourd’hui une fureur universelle,
en France et en Italie, d’admirer à tout propos et hors de propos l’auteur
de la Divine Comédie, que presque personne ne lisait il y a soixante ans »,
c’est-à dire avant 1780. Si l’on accepte cette chronologie, Byron se trouve
à peu près au milieu de cette évolution vers « la fureur universelle […]
d’admirer […] l’auteur de la Divine Comédie ».
Il reste tout de même remarquable que cet enthousiasme public pour
le personnage de Dante en tant que poète national ne correspond pas tout
à fait aux jugements de Byron à propos de ses propres tentatives de lire la
Commedia. On ne peut même pas être sûr que Byron ait jamais lu la Commedia
en entier. Dans des conversations privées avec Thomas Medwin il aurait
avoué s’être endormi à chaque fois qu’il s’y était aventuré. La Commedia,
selon ses propres aveux, lui paraît plutôt un traité théologique ennuyeux
qu’une lecture passionnante, mis à part les descriptions des démons :
Who can read with patience 14.000 lines made up of prayers, dialogues, and questions
without sticking in the [thousand turns and windings of the inextricable labyrinths of
his three-times-nine circles ?] But what is the Divine Comedy ? It is a scientific treatise
of some theological student, one moment treating of angels, and the next of demons, far
19 Œuvres de Lord Byron, op. cit., p. 24.
20 Byron, George, La profezia di Dante, op. cit., p. 125.
21 Cf. Ampère, Voyage dantesque, n. 3.
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the most interesting personages in his Drama – shewing that he had a better concept of
Hell than Heaven. It is true, it might have pleased his contemporaries and been sung
about the streets, as were the poems of Homer ; but at the present day, either human
nature is much changed or the poem is so obscure, tiresome, and insupportable that
no one can read it for half an hour without yawning and going to sleep over it like
Malagigi ; and the hundred times I have made the attempt to read it, I have lost22 .
« Qui peut lire patiemment les 14.000 vers pleins de prières, de dialogues et
de questions sans se perdre dans les mille virages et méandres de l’inextricable
labyrinthe de ses trois fois neuf cercles ? Mais qu’est-ce que la Divine Comédie ?
C’est un traité scientifique de quelque étudiant en théologie, qui parle des
anges et puis des démons, de loin les personnages les plus intéressants dans
son drame, ce qui montre qu’il avait une meilleure idée de l’enfer que du
ciel. Il est possible que ça plaisait à ses contemporains, et qu’ils le chantaient
dans la rue, comme c’était le cas des poèmes d’Homère. Mais aujourd’hui soit
la nature humaine a tellement changé, soit le poème est tellement obscur,
ennuyeux et insupportable que personne ne peut le lire pendant une demiheure sans bâiller et sans s’endormir dessus comme Malagigi, et les cent fois
que j’ai essayé de le lire, j’ai perdu à chaque fois. »
Toutes les remarques de Byron concernant Dante prouvent que, à part
quelques passages d’anthologie, comme la rencontre de Dante avec Paolo
et Francesca, ce n’est pas le texte, mais le personnage qui l’intéresse : le
« Tuscan Bard, the banish’d Ghibelline ». Ce n’est pas l’auteur qui est intéressant grâce à son œuvre, mais c’est l’œuvre plutôt indigeste qui devient
importante grâce au caractère dantesque de Dante et surtout grâce au
potentiel politique de l’enthousiasme des Italiens pour leur poète national.
Pendant un certain temps, Byron était même sûr que l’enthousiasme des
Italiens pour Dante pouvait être transformé en enthousiasme pour une
Italie politiquement unie, et que sa Prophecy of Dante pouvait y contribuer :
[…] if I had wanted a sufficient reason for my giving up the Prophecy – the Prophecy
failed me. It was the turn political affairs took that made me relinquish the work. At
one time the flame was expected to break out over all Italy, but it only ended in smoke,
and my poem went out with it. I don’t wonder at the enthusiasm of the Italians about
Dante. He is the poet of liberty. Persecution, exile, the dread of a foreign grave could
not shake his principles. There is no Italian gentleman, scarcely any well-educated
girl, that has not all the finer passages of Dante at the fingers’ ends23.
22 Lovell jr., Ernest J., Medwin’s Conversations of Lord Byron, Princeton, Princeton University
Press, 1966, p. 161–162.
23 Ibid., p. 160 ; voir pour le contexte Taylor, Beverly, « Byron’s Use of Dante in The Prophecy
of Dante », Keats-Shelley Journal, 28, 1979, p. 102–119.
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« […] si je voulais avoir une raison suffisante pour abandonner la Prophecy –
c’est la Prophecy qui m’a abandonné. C’était l’évolution de la situation politique
qui m’a fait laisser tomber le travail. À un certain moment, on s’attendait à
ce que la flamme s’allume partout en Italie, mais tout finit en fumée, et mon
poème s’éteignit en même temps. L’enthousiasme des Italiens pour Dante ne
m’étonne pas du tout. Il est le poète de la liberté. Persécution, exil, la menace
d’une tombe à l’étranger n’ont pas su ébranler ses principes. Il n’y a pas de
gentilhomme italien, ni de jeune fille bien instruite qui ne connaisse pas par
cœur tous les plus beaux passages de Dante. »
Toujours en 1821, Byron commenta dans son journal (29 janvier) un
article de August Wilhelm Schlegel qu’il venait de lire et dans lequel
Schlegel soutient que seuls les Allemands étaient capables de comprendre
Dante – ce que Schlegel soutenait d’ailleurs aussi pour Shakespeare –, et
qu’en Italie Dante ne faisait pas partie des auteurs préférés des Italiens.
Byron fut convaincu du contraire :
Not a favourite ! Why, they talk Dante – write Dante – and think and dream Dante
at this moment to an excess, which would be ridiculous, but that he deserves it24 .
« Pas un des auteurs préférés ! Pourtant ils parlent Dante, ils écrivent Dante,
et ils pensent et ils rêvent Dante si excessivement en ce moment que ça en
deviendrait ridicule s’il ne le méritait pas. »
On pourrait dire qu’il est révélateur que Byron confirme que les Italiens
parlent de Dante, qu’il est dans leurs pensées et dans leur rêves, sans
toutefois évoquer la lecture de Dante, mais ce serait sans doute exagéré. Par contre, il est clair que Byron écrit sa Prophecy dans l’attente
d’une révolution en Italie et qu’il compta y contribuer en publiant son
texte, comme il le dit d’ailleurs lui-même. Ce ne fut pas son idée à lui
de publier la Prophecy dans l’année de l’anniversaire. Il avait envoyé le
manuscrit à son éditeur à Londres en mars 1820, et il s’attendait à une
publication imminente, car, comme il l’écrit à l’éditeur en aôut 1820 :
« the time for the Dante would be good now […] as Italy is on the eve of great
things » (Lettre à John Murray, 17 août 1820)25.
Comme toutes les publications de Byron, la Prophecy devint tout de
suite un événement littéraire de dimensions européennes. Il y eut tout de
24 Cité d’après « Introduction to The Prophecy of Dante », The Works of Lord Byron, a new
revised and enlarged edition, with illustrations, Poetry, vol. IV, edited by Ernest Hartley
Coleridge, London, John Murray, 1905, p. 238.
25 Ibid., p. 239.
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suite des traductions françaises et allemandes, et même deux en italien,
dont une, comme nous l’avons vu, de Lorenzo Da Ponte, l’auteur des
livrets des Nozze di Figaro (1786), du Don Giovanni (1787) et de Così fan
tutte (1790). En 1821, Da Ponte vivait depuis longtemps à New York et
travaillait comme éditeur et comme enseignant d’italien, entre autre
comme lecteur au Columbia College, le prédécesseur de l’université du
même nom. Da Ponte publia une édition bilingue, avec le texte de Byron
en anglais à gauche et sa traduction à droite et en transformant la terza
rima anglaise de Byron en endecasillabi sciolti italiens. L’alliance du sujet
dantesque avec le renom de Byron lui semblait un bon argument de
vente pour un livre destiné surtout à un public d’italophiles américains,
potentiellement intéressés par des cours de langue. Da Ponte rédigea
une préface obséquieuse pour sa traduction, dans laquelle il flatte Byron
pour avoir mis des « nobles vérités dans la bouche du plus grand poète
des derniers dix-huit siècles » (« nobili verità che mettete in bocca con tanta
proprietà e leggiadria al più gran poeta de’ diciotto ultimi secoli »)26. Selon
Da Ponte, le ton de Byron exprimait si bien le ton dantesque, qu’il fut
nécessaire de présenter ce texte à un public italien qui, normalement,
ne lit pas l’anglais :
[…] non lessi ma divorai tutti quattro i canti senza deporre il libretto di mano. Lo
rilessi diverse volte e ad ogni lettura mi parve più bello, più interessante e più degno di
voi. Le bellezze da me scoperte (e so bene, Milord, che non ne scopersi che poca parte),
le nobili verità che mettete in bocca con tanta proprietà e leggiadria al più gran poeta
de’ diciotto ultimi secoli, il desiderio che queste verità s’odano da un Paese a voi tanto
caro, a cui non è nota generalmente la vostra lingua, ma sopra tutto una certa analogia
che […] mi parve trovare tra le vicende di Dante e le mie, mi spinsero ed invogliarono
ad un lavoro che non senza molta trepidazione oso presentarvi27.
« Je n’ai pas lu mais dévoré les quatre chants sans jamais quitter le livre des
mains. Je l’ai relu à plusieurs reprises et à chaque lecture il m’a semblé plus
beau, plus intéressant et plus digne de vous. Les beautés que j’y ai découvertes (e je sais bien, Milord, que je n’en ai découvert qu’une petite partie),
les nobles vérités qu’avec tant de justesse et tant d’élégance vous mettez dans
la bouche du plus grand poète des derniers dix-huit siècles, le désir que ces
vérités s’entendent dans un pays qui vous est si cher, et qui en général ne
connaît pas votre langue, mais surtout une certaine analogie […] qu’il me
26 Lorenzo Da Ponte, « A Lord Byron », dans Byron, Prophecy of Dante, op. cit., p. 187.
27 Ibid. ; pour une analyse du rapport entre Byron et Da Ponte, voir Clara Allasia, « Il ‘mio
grand’Ugo Foscolo’ : Lorenzo da Ponte ‘esule risorgimentale’ », Cahiers d’Études Italiennes,
20, 2015, p. 237–250.
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semblait trouver entre les vicissitudes de Dante et les miennes, tout ça me
poussait et me donnait envie d’entamer un travail que j’ose vous présenter,
non sans beaucoup de réticence. »
Byron fut enchanté de la traduction, et l’idée de voir son texte anglais,
écrit en Italie, paraître dans une traduction italienne faite aux ÉtatsUnis l’emmena à s’occuper personnellement de la publication en Europe.
Puisqu’il savait qu’une publication en Italie serait impossible à cause
de la censure autrichienne, il entama des démarches auprès de l’éditeur
Galignani à Paris. Dans une lettre à Galignani de 1823, Byron souligne
l’aspect politique et la tendance anti-autrichienne de son texte et se
déclare prêt à financer l’édition lui-même, au cas où l’éditeur craindrait
des difficultés économiques ou politiques. Finalement, Byron insiste sur
le transfert transatlantique qu’implique l’histoire de cette traduction :
Ho presso di me la traduzione in italiano di un italiano in America – stampata
a New York – della Profezia di Dante. La singolare circostanza di un inglese che
compone un poema con Dante come personaggio – in Italia e sull’Italia – e di un
italiano che la traduce in America – (cosa che in Italia non osano fare – sotto quei
farabutti degli Austriaci) me ne fa desiderare una ristampa a Parigi28.
« J’ai ici la traduction en italien faite par un Italien en Amérique, imprimée
à New York, de la Prophétie de Dante. La circonstance singulière d’un Anglais
écrivant, en Italie et sur l’Italie, un poème avec Dante comme personnage, et
d’un Italien qui le traduit en Amérique (ce qu’en Italie ils n’osent pas faire, sous
ces fripouilles d’Autrichiens), fait que je voudrais la faire réimprimer à Paris. »
Un Anglais qui écrit en Italie et sur l’Italie et qui voit son texte traduit
par un Italien en Amérique : la lettre souligne, outre la curiosité d’un
transfert culturel italo-anglais transatlantique, l’importance que Byron
lui-même attribua à une publication qui devait lier le dantesque et le
byronien aux yeux du public européen.
Olaf MülleR
Philipps-Universität Marburg
28 Lettre de Byron a Galignani, Gênes, 26 mars 1823, dans Byron’s letters and journals, the
complete and unexpurgated text of all letters available in manuscript and the full printed version of
all others, ed. by Leslie A. Marchand, Newark, University of Delaware Press, 1994, p. 69–70.
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