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Charles Rosen : Musique et sentiment, et autres essais – ACTU PHILOSOPHIA
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Charles Rosen : Musique et sentiment, et autres essais
Posted on 16 mai 2021 by Etienne Besse
Musique et
Le Style
classique :...
Aux confins du
sens. Propos...
Remarques
mêlées.:...
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Introduction
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Charles Rosen : Musique et sentiment, et autres essais – ACTU PHILOSOPHIA
Cet ouvrage de musicologie[1] – traduit par Théo Bélaud aux éditions Contrechamps –
nous introduit à deux problèmes philosophiques combinés d’une part à travers la musique
et le sentiment, et d’autre part, la musique et le langage : si la musique semble exprimer un
sentiment, en réalité son système de notation et d’interprétation sonore ne peut s’identifier
à aucun sentiment déterminé. Tout au plus, la musique peut provoquer, suggérer, ou
susciter une émotion. L’auditeur va alors plus ou moins ressentir et reprendre ce qu’il
perçoit selon ce que l’on pourrait grossièrement appeler une « représentation »
sentimentale liée à l’œuvre écoutée ; mais en tant que telle, l’œuvre musicale ne peut pas
signifier, c’est-à-dire désigner, lier et fixer de façon nécessaire son expression avec un état
sentimental déterminé, et cela, même si dans certaines œuvres, les compositeurs avaient
des intentions précises là-dessus, ou voyaient leurs compositions comme un mode
opératoire : malgré cela, on ne peut donner aucune règle évidente concrétisant ces
intentions à partir de la partition ou de l’exécution instrumentale d’une composition. Alors,
le problème du sentiment musical se distribue ainsi : s’il n’est pas lié à un état sentimental
particulier, de quoi parle-t-on réellement lorsqu’il est question d’un « sentiment musical »
authentique si celui-ci ne peut être identifié par aucun état émotionnel déterminé à partir
d’une partition ou du son d’un instrument de musique ? Ce que Charles Rosen veut faire
comprendre, c’est que cette question du sentiment en musique ne se pose de façon
pertinente qu’à même la relation au système de notation, dans sa compréhension et son
appréciation lors de l’interprétation instrumentale de cette même partition. Dans le
processus originel de ce sentiment musical authentique, c’est donc le geste interprétatif
incarnant l’œuvre qui révèle d’emblée un type de sentiment. Et originairement, la seule
lecture de la partition pourrait donc rendre raison de la logique de ce sentiment musical si
on le considère comme un langage.
Le problème est que ce « langage musical » de la partition ne peut à lui seul tout noter à
travers son code ; l’expression plastique de l’œuvre musicale est tributaire d’une exécution
instrumentale, et donc aussi de conditions sonores et acoustiques radicalement
contingentes : la relation à la partition lors d’un concert peut tout au plus corriger
psychologiquement ces aspects contingents pour les faire ressentir selon une écoute
cultivée, « sensible » à l’essentielle origine codée de l’œuvre malgré son incarnation
expressive en-deçà de son idée notée. Le sentiment musical se jouerait donc non pas
dans une liaison entre un son et un état psychique d’auditeur affecté, mais bien plutôt la
compréhension d’une notation faisant corps avec son rendu sonore, lequel, par analogie
avec l’état affectif, participe de l’œuvre dans sa compréhension critique du geste
interprétatif. Nous disons ici « critique » parce qu’alors cette audition active sait faire la part
et la relation entre la partition et le geste interprétatif, et en ce sens, elle peut s’identifier à
certains modes et exigences interprétatifs. Ce dont certains jouissent particulièrement – et
qui fait donc la teneur active de leur sentiment lors d’une écoute musicale -, c’est donc de
ce point de vue l’évaluation du degré d’obéissance ou de respect de l’interprète à la
partition qu’il sert et qui s’exprime.
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Philippe Albèra indique dans l’avant-propos cette tension :
« ce que Rosen tend à démontrer, c’est que les structures musicales ne se justifient pas en
renvoyant à des significations préétablies, qu’elles soient internes ou externes, fondées en
nature ou légitimées par une tradition, mais qu’elles produisent un discours propre, ouvert
à des interprétations qui s’enrichissent à mesure que la musique elle-même évolue et se
transforme (d’où sa méfiance pour des approches théoriques qui figent le rapport aux
œuvres et son attention aux développements les plus récents de la création) » (p. 13).
Là-dessus, la solution que semblent donner à ce problème le traducteur Théo Bélaud et en
partie Charles Rosen, se présente sous les auspices de ce qu’ils appellent « la familiarité »
: s’il y a une fidélité historique qui se constitue dans la relation à l’œuvre, c’est en tant
qu’habitus qui concrétise, transmet et développe une forme de tradition interprétative, donc
une forme supérieure de sensibilité éduquée, et non plus une réception abrutie,
passivement consommatrice. Il y a alors une certaine continuité avec l’origine perpétuée
qui lui donne ses accents d’autorité au présent ; s’opère ainsi une vivante participation à
l’esprit de l’œuvre, esprit obéissant lui-même aux normes formelles de la notation musicale
« classique ». Cela reste tout de même une médiation, avec ses caractères fluctuants et
relatifs, mais qui font par ailleurs ce que les auteurs du commentaire appellent le
« charme » musical ; cela a le mérite d’ouvrir sur ce qui forme les modes même de cette
familiarité liant musique, langage, forme et sentiment : celui de l’enseignement ; et cela, en
contrepoint du propos, puisque ces pages de Rosen comprennent bien déjà celui-ci à
travers les analyses professées ici. L’ambiguïté est cependant que cet enseignement est
de l’ordre artistique, et qu’ainsi sa grandeur ne peut pas être respectée réellement selon
une simple copie comportementale reproductrice ou un héritage cumulatif pour être
réellement vivant. Là-dessus, l’article sur l’avenir de la musique expose froidement la
situation et la disposition dans laquelle notre époque se situe :
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« les enregistrements privilégient l’exécution par rapport à la partition. La composition est
tenue à distance ; l’interprétation est mise en avant. (…) Les enregistrements effacent
presque complètement l’un des aspects le plus profond de l’expérience de la musique
savante : la résistance que l’œuvre impose à l’interprétation. » (p. 201).
C’est bien ce souci qui transi les pages de ce recueil, cette inquiétude qui exhorte à tenter
de retrouver cette exigence à tous les niveaux dans l’expérience musicale, pour qu’au-delà
de la simple passion de collectionneur de disques ou de mondanités aux concerts, nous
retrouvions aussi, par la lecture de la partition, la mesure de cette « résistance » qui forme
toute interprétation, toute écoute, et donc toute sensibilité musicale authentique.
Ce recueil réunit sur ces sujets cinq textes de Charles Rosen (1927-2012), pianiste
américain émérite qui fut cependant surtout connu grâce au grand succès de son livre, Le
Style Classique publié en 1971. Music and sentiments est le donc dernier ouvrage de
Rosen publié deux ans avant sa mort. Le présent recueil comprend ce texte, puis
« Tradition sans convention », « L’avenir de la musique » (traduit cette fois-ci par JeanFrançois Sené), et enfin, l’ouvrage se termine par deux articles consacrés au compositeur
Elliott Carter et la manière d’aborder ses œuvres dont Rosen fut souvent le premier
interprète et ambassadeur. Comme nous l’avions mentionné plus haut, ces textes sont
encadrés par un avant-propos de Philippe Albèra, que suit une longue présentation du
traducteur Théo Bélaud sur laquelle nous reviendrons après les différents essais de Rosen
– avant que l’ouvrage ne s’achève par un index concluant une bibliographie des textes de
Rosen ainsi que sa discographie.
I. Musique et sentiment
Ce texte publié en 2010 se distribue en huit chapitres dont les premiers s’appesantissent
sur des considérations théoriques sur le langage et la manière de problématiser le
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sentiment musique ; et les cinq autres illustrent ensuite ces propos à l’aide de riches
analyse d’œuvres et de styles classés par périodes. Que signifie donc ce sentiment
spécifique que produit la musique ? Rosen le reconnaît, une musique peut être qualifiée de
triste ou joyeuse ; mais pour déterminer comment certaines tonalités produisent ou non cet
effet affectif ou émotionnel, à ce moment-là toutes les théories s’effondrent. On peut
identifier tel ou tel procédé d’une musique avec tel effet, pour voir le même procédé utilisé
dans une autre œuvre produire des effets affectifs inverses ou opposés. Rosen nous
prévient donc :
Je ne cherche pas à mettre des mots sur le sentiment : les lecteurs qui espèrent trouver ce
qu’ils sont supposés ressentir en écoutant une œuvre donnée seront immanquablement
déçus. La communication d’informations est l’une des plus importantes des nombreux et
diverses fonctions du langage, mais n’appartient pas à celles de la musique (…) le langage
s’efforce cependant d’approcher poétiquement le même impact émotionnel de la musique.
Identifier l’affect ou le sentiment représenté musicalement n’est pas la question, mais c’est
la nature de la représentation elle-même et ses modes qui se développent conjointement
avec le matériel musical qui est en question. (p. 40)
Il y a donc une limite à déterminer dans le langage même pour parvenir à signifier ce que
la musique représente pour le sentiment – ici Théo Bélaud nous signale d’ailleurs en
introduction que dans sa traduction, « Représentation s’entend comme expressivité, mise
en forme de l’expression » (p. 32) – alors que pour autant, la musique ne signifie pas de la
même manière que le langage de la communication. Même si la musique n’est pas une
codification ésotérique, sa « représentation » ne s’identifie pas à un sentiment déterminé,
et l’on ne peut assigner des « significations stables aux éléments musicaux isolés » (p. 57).
A de rares exceptions, la musique n’est pas imitative comme en peinture, et elle ne peut
pas être totalement assimilée au langage ; ici Rosen critique la fameuse « Lettre sur les
aveugles à l’usage de ceux qui voient » de Diderot :
Diderot pèche par naïveté : on entend plus que des sons, on entend des relations,une
pulsation…et c’est ce qui aboutit à nous offrir un accès au sens. Ce que nous percevons
consciemment au non est un certain système d’organisation régulier des sons ; et c’est
pour cette raison que les contemporains de Diderot pouvaient considérer la musique
comme un langage, le désir de produire de l’ordre étant la condition pour que puisse se
former le langage, la culture et la société. La plupart des études sur le sentiment en
musique exagèrent sa précision et sous-estiment son ambiguïté (p. 45)
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La musique présente donc cette difficulté d’avoir un vocabulaire pauvre et imprécis, alors
que sa syntaxe et sa grammaire sont riches et puissantes. La musique peut donc avoir la
forme d’un langage tout en n’ayant pas la possibilité de désigner un contenu : elle peut
tenter de l’évoquer comme dans les opéras de Mozart, Wagner ou Strauss avec un arrièrefond plus ou moins érotique, mais cette « représentation du sentimental » par la musique
n’est pas imitative, ne reproduit pas un contenu à reconnaître (p. 49). De quel sentiment
s’agit-il alors dans les évocations musicales ? Rosen déplace alors le problème : il s’agit
moins de réfléchir sur l’état sentimental provoqué par la musique (lequel est toujours plus
ou moins contingent et accidentel, et sans contenu stable fixé) que de réfléchir sur la
relation stylistique de la composition dans son évolution pour représenter le sentimental (p.
55), car encore une fois,
« nous n’apprendrons rien du caractère affectif d’une œuvre en nous référant à sa tonalité :
se contenter de l’écouter pourrait bien être suffisant. (…) L’utilité principale de spéculer sur
le caractère des tonalités n’est jamais reliée de façon convaincante à la tradition musicale
en général, ou même à la musique d’une certaine période, mais réside dans la manière
personnelle dont certains compositeurs traitent certaines tonalité. » (p. 60).
Le sentiment musical dérive ou témoigne donc d’une intégration socio-historique qui le
sédimente, sans être réellement compris et su : « on est affecté par les procédés musicaux
sans pour autant les connaître (…) toute tentative d’explication du sentiment éprouvé par
l’auditeur via sa compréhension préalable d’un code est un échec. » (p. 44). Ce n’est pas
un savoir puisque c’est un sentiment, c’est l’effet d’une disposition d’appréciation issue
d’une familiarité régulière avec la pratique musicale, mais non analysée. Comment Rosen
peut-il donc à partir du texte musical même déterminer une approche de sa relation avec le
sentiment ? Réponse de Rosen :
« chaque phrase est consonante ou dissonante relativement à n’importe quel centre tonal
subsidiaire impliqué par chacune des sections de l’œuvre dans laquelle elle apparaît.
Chaque mélodie tonale bien formée établit sa propre structure harmonique sous-jacente.
Les différents degrés de tension sont à la base de l’expression de n’importe quelle sorte de
sentiment. » (p. 42)
Et ainsi, l’essentiel du propos va être de décrire la manière dont, à chaque période de
l’histoire de la musique classique, on s’est accoutumé à un certain style musical, et ainsi, à
la manière dont cet habitus musical, cette « familiarité » avec le style, a ouvert à un type de
contenu émotionnel sensible à ces mêmes formes expressives (p. 50). Rosen fait donc
l’histoire de la sensibilisation d’une époque à telle ou telle forme musicale, tel style, et la
manière dont une forme rompt avec une époque ou bien encore, dont un compositeur
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réintroduit certains procédés musicaux délaissés dans les formes acceptées par son
époque.
Tout d’abord, c’est « l’esthétique de l’unité de sentiment » qui dominait la musique du
premier XVIIIème siècle (p. 62) selon Rosen. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a qu’une seule
tonalité affective développée ; elle peut être infléchie, et là-dessus, Rosen propose
l’exemple d’une « allemande » dans la première partita de Bach, qui met en lumière la
gamme expressive alors disponible, et la variété subtile d’inflexions du sentiment à
l’intérieur d’un cadre bien défini ; l’unité du sentiment se trouve ici renforcée par l’unité de
mouvement, tout en étant constamment infléchie par de légères variations d’intensité dans
l’harmonie et la texture, et par de délicates augmentations du contenu dissonant des
arabesques mélodiques (p. 67 et p. 69). Bach conserve cette unité tout en combinant
également des affects en opposition ou en synergie, sans pour autant que la structure
générale se dissolve : dans la Passion selon saint Mathieu, Rosen note que « les mêmes
oscillations d’intensité au sein d’un flux rythmique continu sont présentes, de même que la
force conduisant sans monotonie un mouvement continu jusqu’à la cadence finale. Unité
dans la combinaison de deux motifs (un choral superposé dans le matériel principal du
chœur). » (p. 70).
Début XVIIIème, au milieu de la première moitié d’un mouvement, l’arrivée sur la
dominante devint un événement : une demi-cadence sur la dominante de la dominante
pouvait l’introduire et le rythme était souvent perturbé ; mais un nouveau thème pouvait
alors apparaître (p. 71). Ce qui est donc surtout « sensible », c’est l’intégration même du
contraste dans la « forme-sonate », des thèmes ou des motifs dans la structure, car à eux
seuls, c’est eux qui « représentent des sentiments opposés » selon Rosen. Ce dernier
illustre son propos avec la fameuse Symphonie « Jupiter » de Mozart (p. 73) : deux moitiés
du motif sont là, mais l’opposition entre elles a disparu, ayant été réunie par l’intervention
de la flûte – un procédé aussi important que le contraste d’origine. Nous notons ici, non
sans une certaine réprobation contenue, que Rosen a voulu donner consistance à sa
description en se forçant à la rehausser avec un gros cliché, en « proposant ici une
analogie avec Hegel avec son enchaînement thèse antithèse synthèse » ; Mozart utilise le
même procédé que sa Jupiter dans sa sonate K576 avec un thème ayant deux motifs
opposés.
Rosen emploie assez indistinctement les termes « sentiments » et « affects » ; il passe de
l’un à l’autre indifféremment, sinon que le terme « affect » est souvent employé quand il est
question de « rythme » général ou de déroulement d’un thème musical, et le « sentiment »
quand il est question de ce qu’un thème peut combiner comme motifs. Un changement de
rythme produit un affect nouveau, un changement d’agencement dans un thème produit
des sentiments nouveaux : il peut donc y avoir un affect nouveau sans pour autant y avoir
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de sentiment général nouveau, seulement, celui-ci sera intensifié ou atténué, se
développant avec le thème selon les modulations rythmiques des différents affects, le
sentiment changeant alors en degré, pas en nature. Et à l’inverse, un changement de
sentiment dans les motifs du thème ne produira pas nécessairement d’affects nouveaux si
le rythme reste stable ou sans rupture notable dans le déroulement des différents motifs :
« le changement affectif ne contraste pas avec l’état initial, la relation n’est pas antithétique
– le nouvel affect, quoique frappant par son changement de nature, naît directement du
motif initial. L’accroissement soudain d’énergie vient en réponse à une série de
dissonances accentuées, quatre septièmes de dominante. » (p. 78).
Si l’on veut approfondir la distinction, en parallèle de Mozart, Haydn utilise un seul thème
selon une double présentation sous la forme de deux réalisations différentes ayant des
« significations affectives opposées ». Un thème peut alors être le même, mais avec un
changement « d’atmosphère », nous dit Rosen, « proprement inouï » (p. 80). Haydn
présente des thèmes sans changement de tonalité, mais avec des contrastes affectifs
évidents : l’affect détermine donc le sentiment ; un même affect peut être creusé par un
compositeur, comme en témoigne la richesse des sentiments issus de la multiplicités des
thèmes et motifs. Un même sentiment peut être creusé par la multiplicité d’affects qui
farciront son thème selon différentes nuances, et produiront différents « climats ». C’est ce
que Rosen appelle la « transformation expressive » (p. 81).
Dans l’ordre du traitement du sentiment, nous avons avec Beethoven une sorte de
synthèse de Haydn et Mozart, en ce sens que, selon Rosen,
« Beethoven utilise un matériau de base construit sur une variété d’affects, voire une
opposition articulée – et nous voyons que Beethoven revient à la technique du contraste
dramatique suivi d’une réduction du caractère antagoniste, jetant un pont entre les forces
opposées, comme si elles formaient une dissonance structurelle nécessitant une
résolution. » (p. 102). Rosen donne alors une longue série d’exemples très richement
analysés, notamment avec la sonate op. 10 n°2 qui s’ouvre par une multiplicité de motifs et
deux phrases opposées, montante et descendante, puis combine des registres aigus et
graves, ce qui fait qu’en terme d’expression, se produit alors l’effet d’une forme narrative :
une intrigue s’y joue (p. 109).
Après la mort de Beethoven, Rosen constate en historien que l’on assiste à un retour de
l’unité du sentiment ; et les thèmes dotés d’une opposition de sentiments intérieurs cessent
quasiment d’exister (p. 114). Au cours de la seconde moitié du XVIIIè siècle, les
augmentations d’intensité à grande échelle étaient généralement réservées aux sections
ultérieures de l’œuvre, où le matériau pouvait être plus librement développé, fragmenté et
retravaillé : en particulier, la préparation d’une vaste récapitulation pouvait être l’occasion
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de susciter un sentiment d’excitation (p. 115). Mais précisément, le romantisme naissant
fait débuter ses œuvres à ce moment-là. Par exemple, avec son opus 17, Schumann
débute à un niveau de tension qui ne laisse comme seule possibilité que sa diminution
jusqu’à l’épuisement complet, procédé répété encore et encore sur toute la durée du
mouvement, et qui, selon Rosen, justifie le titre donné originellement : « Ruines » (p. 125).
Avec Brahms, Rosen note le quasi paroxysme classique : la Sonate en fa majeur pour
violoncelle et piano marque le retour du thème à la fin du développement : il s’agit d’une
démonstration éloquente de la manière dont un même motif mélodique de base peut être
employé pour produire des sentiments spectaculairement dissemblables par des
changements de rythme et de texture (p. 131).
C’est après Brahms que selon Rosen, le temps de la crise de la tonalité arrive à son
comble et avec elle, celle du repère sentimental :
Dans la musique du XVIIIè chaque note et chaque accord est à une distance harmonique
mesurable vis-à-vis de la tonique sur le cercle des quintes, et fonctionne comme s’il se
déplaçait en se rapprochant ou en s’éloignant de la résolution. Cela donne à chaque
phrase d’une œuvre une signification tonale précise, permettant à l’auditeur d’éprouver le
degré exact de tension harmonique, de sorte en général à pouvoir dire si un passage s’est
éloigné de la tonique en direction des dièses (c’est-à-dire vers la dominante) ou des
bémols (vers la sous-dominante), ce qui modifie sa signification affective. Les relations de
médiantes, plus riches, qui dominent le XIXè, rendirent possible une nouvelle gamme
d’affects, mais compromirent la simplicité harmonique que percevait aisément les auditeurs
précédents. La proposition de se débarrasser de la tonalité fut avancée par Debussy,
lequel ne s’aventura certes pas si loin, mais l’insatisfaction à l’égard du vieux système
harmonique était déjà tangible dans sa musique : il trouva une nouvelle voie visant à
remplacer le rôle des hauteurs par celui du timbre (p. 132).
Le sentiment selon Rosen est donc directement indexé aux procédés de la composition ;
on peut même dire qu’il emploie le terme de sentiment et d’affect pour qualifier une
certaine situation dans les différents moments de la construction indiqués sur la partition –
que l’auditeur est censé percevoir. Cette perception nette des « sentiments » est identifiée
à la « signification tonale » harmonique : mais lorsque les compositions favorisent le
« chromatisme » sur la « tonalité », c’est à ce moment historique que le sentiment musical
n’est plus clairement déterminé, ou qu’il est produit par « provocation », ou suggestion
chez l’auditeur. Rosen donne là-dessus l’exemple de l’opéra de Strauss, « Salomé » :
Strauss prétend « représenter » un sentiment alors qu’en fait, il « vient provoquer un
sentiment d’impatience par son effet irritant – en d’autres termes, il produit l’impatience en
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manipulant la sensibilité de l’auditeur. » (p. 133). Entrent en scène dans les compositions
des procédés de « stimulation », et non plus de signification précise classique au sens
employé précédemment : quand le sentiment s’éteint, s’éveille la sensibilité.
C’est ce jeu qui caractérise selon Rosen une bonne partie de la musique du XXème siècle,
avec par exemple Stravinsky, dans le « Sacre » ou dans « les Noces », où « la rupture
avec les attentes physiques à l’égard du rythme et de l’accentuation constitue une part
essentielle de l’expression du sentiment » (p. 138). Le sentiment et l’affect sont donc
brouillés par le mode de composition lui-même dont les repères harmoniques sont mis petit
à petit à distance : « la prolifération du chromatisme et l’usage banalisé de la dissonance
augmentèrent la difficulté pour les compositeurs de parvenir à un contraste affectif véritable
par la simple opposition des modes majeur et mineur ou par l’opposition entre harmonies
diatoniques et chromatiques. Ils eurent souvent recours au procédé d’utilisation
obsessionnelle d’un type d’accord pour un long passage, voire une section ou une pièce
entière. » (p. 139)
Ainsi, au fil du temps et de l’histoire de la musique classique, Rosen note une pure et
simple dégénérescence de la « représentation du sentiment » dans les compositions : « le
fondement de la tonalité classique est la relation entre la tonique et la dominante. Celle-ci
avait été considérablement affaiblie dans les années 1830, les compositeurs s’intéressant
alors davantage aux relations fondées sur la médiante (III) que sur la polarité I-V classique
(…) mais ce qui était essentiel pour la tonalité classique était la dominante majeure » (p.
169). En s’écartant de ces standards, le travail des interprètes et des compositeurs est
donc complexifié pour obtenir un rendu « significatif », même s’il n’est pas exclu de les voir
ressurgir un jour.
II.Tradition sans convention
Dans la suite de ses analyses sur la représentation des sentiments signifiés par la
structure musicale, Rosen propose de montrer en quoi ces structures, ces formules du
répertoire et du style, étaient des « formes conventionnelles », c’est-à-dire des manières
typiques constitutives d’une œuvre musicale, donc de l’audition et de la composition de
celle-ci, notamment à la fin du XVIIIème siècle. Ce sont ces formules conventionnelles –
par exemple les arpèges, traits virtuoses, fanfares (p. 157) – qui cimentent l’œuvre, et qui,
par effet de contraste, produisent et mettent en lumière les traits les plus originaux et
novateurs d’une composition classique comme la forme-sonate ; Rosen donne en exemple
le concerto en si K 595 de Mozart qui
« commence avec une modulation exceptionnellement frappante – de fa majeur à si
mineur, soit l’intervalle de quarte augmentée (le triton, ou intervalle diabolique), le plus
destructeur du sentiment de stabilité tonale – et se poursuit avec une série de surprises
(…) Dans cette œuvre extraordinaire, les éléments conventionnels de structures, les
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figurations banales et les arpèges, aident Mozart à résoudre le problème d’une forme de
grande étendue. Ils lui permettent à la suite de changements d’une rapidité déconcertante,
de retenir l’élan au moment où le développement touche à son terme, et de soutenir le
retour du thème initial en recréant l’espace nécessaire à son épanouissement. Ils
annoncent la résolution en retenant le mouvement harmonique. » (p. 153 sq)
C’est donc le conventionnel, au sens d’habitude familière et de lieu commun imposé dans
la composition, qui à la fois rassure et surprend, structure la limite et la consistance d’une
œuvre tout en laissant jaillir par contraste les motifs les plus originaux.
Ici, Rosen pose la question suivante : comment se forme une convention ? il reprend alors
son analogie et sa discussion sur le langage avec Diderot et Lessing. L’autre problème de
la convention en art, vient du fait que le compositeur de génie en sait la nécessité mais
l’épure pour ne pas la répéter comme un lieu commun fastidieux, attendu et vulgaire,
comme un cliché. L’artiste ne dépasse la convention que pour autant qu’il l’approfondit plus
intensément : il remonte à sa « raison d’être logique » selon Rosen, et ainsi, évite sa
banalité commune comme l’indique l’exemple d’élaboration géniale par Mozart. En ce
sens, Beethoven est une figure créatrice « ambiguë » :
« un tel matériau ne disparaît pas dans son œuvre : au contraire, celle-ci en est peut-être
plus remplie que celle de Mozart. Mais il est dépouillé d’une partie, voire de l’essentiel de
son aspect conventionnel. L’usage traditionnel et convenu des arpèges dans le second
solo d’un concerto est encore un bon exemple : il est présent dans chacun des concertos
de Beethoven. (…) les arpèges de l’Empereur ont cessés de paraître conventionnels : ils
sont devenus thématiques, le motif principal porteur de la signification musicale qui
concentre notre attention. En somme, le « conventionnel » (arbitrary) a été « naturalisé » –
et comme tel, devient porteur d’une immédiateté de signification insoupçonnée par la
tradition, et indépendante d’elle. Les arpèges sonnent ici comme si Beethoven en avait
spécifiquement inventé le procédé pour ce concerto : de sorte que la référence à une
tradition apparaisse sans objet. Beethoven ne se contente pas d’user avec la maestria
mozartienne du remplissage traditionnel : il le réinvente. Dans le développement d’un
concerto de Mozart, les arpèges standardisés doivent être exécutés avec un caractère
improvisé – par exemple, au début du développement du Concerto en sol majeur, K 453.
Mozart nous rappelle l’origine de la convention. Dans le développement de « l’Empereur »
en revanche, tout sens de l’improvisation est abandonné. Les arpèges ne sont plus
improvisés mais composés. Ils doivent être strictement intégrés à la texture
symphonique. » (p. 166)
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Ces procédés sont d’ailleurs là encore repris et radicalisés par Brahms dans tous les sens
du terme, ce qui, paradoxalement, classe son attitude comme fondamentalement liée à
l’aliénation romantique, dans la mesure où Brahms fait paraître le conventionnel comme
novateur et les motifs novateurs comme conventionnels – ceci dans la suite de la formule
célèbre de Novalis : « rendre le familier étrange et l’étrange familier » (p. 182).
Enfin, si la convention en musique se créé selon Rosen par la « répétition », alors on peut
dire que même la musique contemporaine est à sa recherche malgré elle : chez Carter ou
Boulez par exemple, on ne trouve pas de retour thématique dans leurs compositions ou de
récurrence d’un motif ; mais ils restent en miroir du conventionnel dans cette attitude
compositionnelle, car en niant la répétition, ils la présupposent et par là même ils la
conservent : le conventionnel absent hante ces œuvres apparemment sans retour, et c’est
pourquoi les œuvres de Boulez et Carter joue encore avec ces standards conventionnels
et les présupposent dans leurs compositions.
III. L’avenir de la musique
Si ce que Rosen appelle le conventionnel est constitutif de la musique classique, alors son
système de composition comme de transmission est homogène en cela qu’il est
essentiellement une répétition, une reprise active de certaines formes et modèles. « Un art
peut survivre simplement parce que ses traditions et ses pratiques se perpétuent. Cette
sorte de survivance rituelle s’accomplit au mieux dans une société qui évolue peu et reste
homogène sur le plan culturel » (p. 186), c’est-à-dire que ses exigences significatives
restent stables parce qu’elles comprennent et approfondissent continuellement l’origine
d’une « convention » et la vivent pleinement.
Comment transmettre aujourd’hui cette exigence dans l’art musical, alors qu’il était
auparavant confié au système de notation, lequel est pratiquement abandonné par la
musique populaire actuelle ou le jazz ? Là-dessus, Rosen ré-expose le paradoxe de la
musique classique :
« pour des raisons pratiques, on ne peut noter tous les aspects de la musique. La notation
est sélective ; seuls sont choisis certains éléments musicaux, ou « paramètres ». Pour
cette raison, nous pourrions considérer qu’un art aussi fortement dépendant de la notation
que l’est la musique savante occidentale est par essence inférieur aux musiques des
autres cultures, transmises oralement par imitation… différentes écoles de pédagogie
cherchent à fonder la supériorité dont elles se targuent presque entièrement sur ce qui
n’est pas écrit. Cependant, c’est avant tout la nature fondamentalement non satisfaisante
de la notation qui a permis aux monuments de la musique occidentale de survivre et
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d’échapper à l’érosion destructrice du temps. En fait, c’est cet antagonisme fondamental
entre la partition et l’interprétation, le concept et la mise en œuvre, qui fait la gloire de la
musique occidentale. (…) ce que nous entendons, l’exécution sonore de la partition, ne
peut jamais être assimilé à l’œuvre elle-même, car il existe de multiples façons de jouer la
partition, mais toutes sont des exécutions de la même œuvre qui, en fait, demeure
inchangée – visible, pourrions-nous dire, mais inaudible derrière toutes ces exécutions. La
partition écrite définit les limites à l’intérieur desquelles de nombreuses possibilités peuvent
venir se loger. Le problème des chercheurs demeure essentiellement celle de savoir
comment décider laquelle des interprétations rend justice à l’œuvre et laquelle la trahit. »
(p. 189sq)
Le problème de la transmission n’est pas selon Rosen que le système de notation de la
musique n’est pas autosuffisant ; au contraire, comme encore une fois on ne peut pas tout
noter, c’est le « charme » même de la musique qui fait que l’on doit nécessairement
l’interpréter. Mais ce qui n’est plus transmis, c’est cette exigence de lecture de la partition
préalable à la compréhension d’une interprétation que le public contemporain perd de plus
en plus : une œuvre est belle selon Rosen indépendamment de toute exécution (p. 197), et
malheureusement, les disques et les concerts forment à une expérience qui peut se passer
de cette visualisation et de cette lecture. L’amour de la musique classique, pour être réel,
doit être fondamentalement éduqué pour aimer réellement – aussi Rosen considère cet
amour comme « pervers » (p. 199) étant donné la somme de conditions qu’il lui faut pour
seulement accéder à son éventualité. Hélas, « l’apprentissage du chant et du piano a été
remplacé aujourd’hui par l’acquisition de disques. C’est là une évolution inquiétante qui
pèse déjà sur l’avenir. Le public de la musique sérieuse est de plus en plus passif, et on ne
trouve plus en grand nombre des auditeurs instruits qui aient une expérience active de la
musique et qui soient capables de créer un lien entre le grand public et les
professionnels. » (p. 200). Et nous retrouvons ce que nous avions cité en introduction : le
public n’est plus éduqué à la « résistance que l’œuvre impose à l’interprétation », làdessus, les multiples disques ou versions ne nous apprennent rien du processus qui fait
passer de la partition au son (p. 201).
Rosen conclut ainsi : peut-être que le système de notation de la musique classique la
sauve des affres du temps, mais l’essentiel est la tradition de sa lecture liée à son
indispensable interprétation : et c’est ce lien que nous perdons actuellement. Nous
pouvons maintenir cette tradition ou espérer la retrouver, mais alors, sur cette dernière
« option », notre époque prend de grands risques car « il existe une différence entre une
tradition continûment réactivée et une autre qu’il faut ramener à la vie, il y a là une
différence d’authenticité » (p. 203).
IV. Les langages musicaux d’Elliott Carter ; « Une pièce facile »
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Ces deux articles consacrés à la musique de Elliott Carter (1908-2012) dont Rosen fut le
premier défenseur et interprète, reprennent et illustrent le propos général sur l’avenir de la
musique. A travers la sonate de Carter, Rosen va montrer toute la filiation classique de sa
composition avec la Sonate de Liszt. La différence cependant, c’est que celle de Carter
« s’ouvre non pas sur un thème, mais avec la sonorité des si en octaves dont découlent
tous les thèmes » (p. 217). Qu’y a-t-il donc à entendre dans ce matériel thématique sans
thème ? Si Carter renonce à la relation tonique-dominante, il maintient cependant une strict
discipline avec la barre de mesure (p. 214) : et l’on peut parler ici d’un renversement
dialectique spectaculaire, car en maintenant cette pulsation dans sa sonate, il s’émancipe
cependant de la stricte régularité du métronome, se « dégageant alors du temps mesuré »
(p. 218) par la mobilité constante de la barre de mesure : ce que l’on n’était pas censé
entendre, on le perçoit alors comme « sensation d’un temps non mesuré » (p. 223) ; et le
génie de la sonate de Carter – donc sa difficulté – c’est que l’on ne peut anticiper quoique
ce soit dans cette perception : la pulsation est rigide et ainsi, par le conflit temporel
simultané, le temps se condense en myriades de séries libérées, pollinisées.
Cette difficulté procède là encore d’un jeu avec le conventionnel que le compositeur
contemporain suggère tout en s’en abstrayant : « Toute œuvre originale présente une
omission, et même un effacement délibéré de ce qui était auparavant indispensable, en
même temps qu’elle offre un ordre et des éléments neufs. La cause réelle d’irritation pour
un auditeur est que ce qu’il avait jusqu’ici perçu comme essentiel dans une œuvre
musicale ne lui est plus disponible. Le compositeur le lui a enlevé. Apprécier un style
nouveau requiert autant une renonciation qu’une acceptation. » (p. 229)
V. Retour sur l’introduction du traducteur Théo Bélaud, « Un thème et variations sur
le sens musical »
Après cette lecture directe de Charles Rosen, nous pouvons à présent faire un retour sur la
présentation de son traducteur Théo Bélaud. Ce dernier considère que Rosen effectue des
observations « in vivo », directement décrites à partir et selon le matériel musical, et non
une réelle conceptualisation. C’est là une considération sur la nature même de la
description qui nous semble illusoire quelque soit la caractérisation ou les fonctions que
l’on attend du concept en le distinguant de la description ; le concept étant une saisie
systématique, le simple examen qu’il rapporte, même avec des prétentions limitées à la
simple « observation », est d’emblée dans une situation équivoque par rapport à son objet :
la description in vivo est alors aussi une tentative de produire une vue d’ensemble ou une
mise en perspective, et c’est donc selon le concept qu’elle produit un type de relation et
une distance signifiante élaborés de façon plus ou moins authentique ; mais le concept réel
atteint son authenticité supérieure parce qu’il affronte cette relation même, c’est-à-dire qu’il
la pense dans son développement systématique – c’est l’activité philosophique. Malgré
tout, Théo Bélaud, plus que Rosen – qui à notre avis reste vague – considère cette
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description de la situation musicale comme portant directement sur « la vie du langage
musical » (p. 17) ; ainsi, elle manifeste de façon « immanente » l’histoire des différents
types de sensibilités selon les styles.
Mais alors, de quelle « vie » s’agit-il encore ? Est-ce celle des œuvres telles que les
voyaient Wittgenstein [2]? Comment la tradition fait-elle encore vivre ces formes
expressives classiques ? Théo Bélaud interprète la tradition comme une sorte de
superstructure instituée superposée à des phénomènes de reconnaissance qui se jouent
au présent. Comment ? Selon lui, Rosen considère que le style est déjà une interprétation
du langage, l’histoire de la musique et l’interprétation musicale étant des interprétations au
deuxième degré, on peut considérer que l’acte de composition est déjà interprétatif, parce
qu’il réalise un programme de « naturalisation de la convention langagière » (comme
l’herméneutique accomplit la naturalisation du mythe dans le langage). A partir de là, Théo
Bélaud indique que le discours même de Rosen
« présuppose indirectement trois thèses fondamentales : Primo, que la destinée historique
des œuvres canoniques, suivant le principe romantique schlégélien, est inscrite dans leur
texte même, parce que leur relation au style modifie et précise celle-ci, éventuellement en
réinterprétant le langage lui-même, et qu’elles acquièrent ainsi une fois pour toutes le statut
de canon : c’est une raison logique pour laquelle la signification de ces œuvres ne peut se
trouver en-dehors d’elle, et ne peut donc s’exprimer dans le langage verbal.
Secundo, que le sens musical ne pouvant être fixé verbalement, il ne peut donc pas
vraiment être fixé tout court : et c’est heureux, car sa disponibilité à l’interprétation par le
geste musical doit demeurer inentamée. Ce simple raisonnement déplace le lieu et l’enjeu
de la signification de la musique. Ce qui est juste ou correct n’est pas le sens que l’on peut
énoncer quant à une phrase musicale, mais le geste interprétatif, comme tel, peut l’être
plus ou moins – et c’est la familiarité avec le style qui autorise d’en juger.
Tertio, que le sens musical est si fragile (à cause de l’extrême sensibilité du langage à la
perturbation, et par sa nécessaire disponibilité interprétative) qu’il se tient toujours à la
frontière du non-sens – et qu’une forme de connivence linguistique entre le compositeur et
l’interprète ou l’auditeur consiste éventuellement à en jouer ; cependant, il doit rester
possible, dans l’expérience pratique, de distinguer entre le sens et le non-sens, sans que
pour autant leurs contenus soient descriptibles. » (p. 19-20)
Nous n’avons lu de Rosen que cette série d’essais, il nous sera donc difficile de prendre
justement toute la mesure de ces présupposés indiqués par Théo Bélaud. Cependant,
nous avouons concernant le premier point, ne pas vraiment comprendre cette référence à
Schlegel et aux romantiques, ni voir dans les textes de Rosen ce qui aurait pu indiquer une
destinée canonique des œuvres musicales à la manière de Schlegel. Nous avons vu deux
références à Novalis concernant une période déterminée de l’histoire de la musique, mais
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quand l’un des Schlegel s’inspire directement de Condorcet sur l’évolution poétique sans
fin d’un progrès de l’esprit humain infiniment perfectible[3], nous restons assez sceptique
avec cette comparaison dans ce que nous avons pu lire, puisque Rosen propose surtout, à
travers ces essais, une vision du modèle classique en désagrégation au fil des époques, et
même s’il veut croire au maintient et au retour prochain de ce modèle, cette attente
cyclique se rattacherait alors à un mouvement de type naturel, donc en contradiction avec
les conceptions des romantiques allemands. Certes, on peut lire ce qu’expose Rosen
comme un cours historique en approfondissement jusqu’à épuisement des formes
classiques, puisqu’il considère aussi que c’est la compréhension des styles postérieurs à
un style donné qui éclaire mieux la compréhension du plus ancien ; cela peut donc se lire
symétriquement au progrès romantique, comme son inverse. Cependant, dans la mesure
où Rosen salue, interprète et valorise la création de Carter ou Boulez, nous devons bien
noter que la déliquescence historique concerne principalement l’auditeur plus que le
créateur, ce dernier restant seul capable de ressusciter des formes et des procédés de
compositions passés (mais on l’a vu, ce n’est pas sans risque pour Rosen). Rosen
mobilise donc dans ces articles des visions temporelles de nature différente.
Est-ce que Schlegel est utilisé par Rosen comme principe de lecture ? Schlegel écrit que «
beaucoup de compositions musicales ne sont que des traductions de poèmes dans la
langue de la musique » (Cf. L’Absolu littéraire § 392). En effet, si l’on veut suivre le
commentaire de Théo Bélaud dans cette voie, le travail stylistique interprète le langage,
c’est-à-dire élève le signe à la symbolisation, et met celle-ci à disposition du travail
d’interprétation « vivant » ; mais celui-ci en reste aux simples conditions de possibilités à
conserver quand les romantiques Schlegel et Novalis cherchaient à les réfléchir à l’infini
pour les dépasser.
Sur le deuxième présupposé évoqué, on voit ici la marge, la porte étroite qui devient même
infime : le style est un phénomène historique dont la compréhension se joue « à la surface
du texte » : et comme ce n’est pas une « construction intellectuelle du commentateur », on
s’interroge donc sur le statut de cette « raison logique » du canon qui n’est compréhensible
que par une simple « familiarité », une fréquence de fréquentation qui a immédiatement
force d’argument sans argument, sans réplique puisqu’elle annule d’elle-même toute
explication par le signe dans son ressenti de l’instance normative instituée. Cela a le grand
mérite de paraître fidèle à un principe de « simplicité », c’est-à-dire de refuser toute
« inflation » du commentaire musical, cette mince pellicule de poussière que l’on verrait
comme en filigrane du texte de la partition. Mais étrangement, ce n’est surtout qu’une force
d’appréciation qui reconnaît la raison logique sans en avoir la compréhension intelligente :
cette reconnaissance n’est plus au fond qu’un hommage plus ou moins cultivé du passé.
Mais une sorte d’amphibologie apparaît avec le troisième point, lorsqu’en jouant avec
Rosen sur un double sens du sentiment musical, ce sens ainsi thématisé va se bloquer
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dans son antinomie et déboucher sur le hors-sens. Le contenu du sentiment musical est
indescriptible parce que la familiarité à revivifier par la réflexion historique est pourtant
vécue comme inexplicable. Et Théo Bélaud tire ensuite les dernières conséquences de
cette neutralisation apparente du conceptuel dans sa renonciation à la signification :
« Lorsqu’on accède à la familiarité musicale, on cesse en principe de se demander ce que
la musique signifie : c’est là une contribution décisive de Rosen, la plus personnelle en tout
cas, à la tradition de pensée de l’autonomie du musical. » (p. 20). Alors, la mauvaise
interprétation est vécue comme un « non-sens » et non plus comme un « contre-sens »,
puisque de toute façon, l’inévitable familiarité se joue sur un mode hors-sens, c’est-à-dire
qu’elle est « naturelle » (p. 24).
Naturelle, puisqu’on le sait, selon Wittgenstein, « la tradition n’est rien que l’on puisse
apprendre, ce n’est pas un fil que l’on puisse ressaisir quand bon nous semble. Tout aussi
peu qu’il nous est loisible de choisir nos propres ancêtres. » (Cf. Remarques mêlées,
Éditions TER, 1984, p. 76). Ainsi, ne reste plus que la « familiarité » issue de cette tradition
dont les modes biologico-historiques se maintiennent comme et en tant que savoir tacite à
régulièrement nourrir pour être préservé. Dans la mesure où l’enjeu de la familiarité se
situe dans le rapport du langage musical à la convention, la question philosophique de
l’origine naturelle ou conventionnelle du langage musical est donc « un motif ancestral » (p.
22). On retrouve là encore Wittgenstein et ses funestes conséquences interprétatives
platement bourdieusiennes, où l’acquisition des capacités passent par le corps – tout
comme le geste interprétatif – et se résument à du social incorporé, reproduit dans
l’ordonnance d’une aspiration culturelle collective où, selon Wittgenstein, chacun se
reconnaît dans les normes extraites par les créateurs et que chacun aspire à comprendre
et réaliser donc reproduire, pour former « du style » ; d’où l’importance de la formation de
cette « sensibilité générale » et de son « institution » (p. 28). Ainsi, malgré le premier
présupposé, Théo Bélaud va par ailleurs tenter de nuancer l’historicisme du texte de
Rosen de cette manière :
« la musique en se signifiant elle-même, nous met en présence d’affects, et de l’évolution
historique. Non pas ce que la musique signifie, ni vraiment pourquoi, mais comment :
l’analyse, portant à la fois sur le vécu sensible du phénomène musical et sur son historicité,
se joue de la ligne de partage habituelle entre ontologie et philologie. On pourrait dire que
l’histoire du sentiment musical ici esquissée est l’histoire des styles d’expressivité.
Ce ne sont pas les contenus affectifs, mais les formes expressives dans le matériel de
base. La forme-sonate relève donc moins de la forme que du style, c’est-à-dire directement
de l’interprétation du langage, de l’expression d’une sensibilité générale voire d’une
civilisation : n’inventant pas de nouveau langage, le classicisme se contente d’être un style
de réinterprétation. Rosen transcende l’alternative par l’aptitude à manier et comprendre le
conventionnel, avant qu’il ne se dégrade en lieu commun et arbitraire. Le propre des
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langages poétiques étant de créer l’illusion que le signe conventionnel surgirait de la
nature, la véritable convention fonctionne tant que le charme opère (et que nous sommes
capables de le retrouver par la familiarité avec les styles du passé, ce qui au passage
explique de façon imparable l’impossibilité de ressusciter un style ancien sans le parodier,
volontairement ou non). » (p. 28)
La musique est donc apparemment « autonome » à tous les niveaux selon ce circuit fermé
de la naturalisation conservatrice de son « expression », laquelle provient de conditions
stylisées : ainsi, « le sentiment en musique est toujours explicite, dont la dimension
accessible à la formulation verbale ne l’est que par un ensemble de conventions et
d’habitudes, de sortes que sur ces traits généraux, il est à peu près impossible de jamais
se tromper. » (p. 25). L’auto-expression du langage musical, comme expression à l’intérieur
de soi procède par la symbolisation des propriétés contenues par le langage, ce qui signifie
non seulement qu’il s’exprime lui-même, mais que son but n’est autre que lui-même. Que
peut donc encore signifier la désignation d’un but au sein de l’autonomie ? Peut-être est-ce
comme un moment d’ultime clôture avant l’autophagie. Là-dessus, l’interprétation de
Rosen par Théo Bélaud propose un cercle conditionné et n’explique le surgissement d’une
stylisation qu’à partir du point de vue de l’auditeur : la perception de cette expression
musicale vient alors échouer dans la consignation symbolique d’un texte ; ensuite, pour
donner part au compositeur par réversibilité, il ne reste plus qu’à faire jouer en miroir ces
mêmes conditions dont le compositeur est à coup sûr transi, et voilà l’illustration de
l’autonomie du musical, qui n’est que l’histoire même de ce schéma de symbolisation,
c’est-à-dire de la description des moyens par lesquels certaines procédures et ensemble
de règles produisent de la symbolisation en vue de l’expressivité et cherchent à la protéger.
L’œuvre d’art serait ainsi ce miroir des conventions d’une époque alors cristallisée en
formes symboliques que reconnaît émotionnellement le public. Le problème, c’est qu’il y a
selon Rosen un divorce structurel entre le public et le compositeur, ce dernier venant
d’ailleurs souvent toujours trop tôt face à une époque qui ne s’est pas encore assez
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habituée à apprécier le fond conventionnel naturalisé de ses propres habitudes. Il faut donc
éduquer l’habitude du public à ce qu’il connaît déjà dans une œuvre d’art (apparemment)
nouvelle.
Conclusion et perspectives critiques
Les textes de Rosen traduits et introduits par Théo Bélaud ont, en plus de leurs analyses
techniques précises et extrêmement érudites – « intimidantes » de l’aveu même de Boulez
-, ont disons-nous, l’immense mérite de recentrer l’écoute musicale pour une esthétique
sur des fondamentaux sains : la pensée d’un sentiment musical est à déterminer à partir de
la partition et de l’exécution de celle-ci, et donc pas nécessairement à partir des intentions
extérieures du compositeur dans une perspective de provocation du sentiment, mais bien
plutôt selon un procédé propre à la composition elle-même. Ainsi nous sommes dans un
premier temps apparemment débarrassés des spéculations étrangères à la musique même
qui, dans leur psycho-sociologisme, manquent l’élaboration musicale même, et ainsi toute
forme d’évaluation artistique. Cela ouvre une porte pour l’évaluation critique de
l’interprétation systématiquement comparée avec le texte musical.
Ce que nous pensons devoir discuter cependant, c’est la croyance en une autonomie de
l’art musical et à l’univocité de son commentaire avec le langage. Même si l’enjeu est limité
à la préservation de l’intégrité expressive de l’art musical, non seulement ces deux
perspectives nous semblent structurellement et logiquement incompatibles, mais
également négatrices d’un système fécond pouvant réellement connaître la musique à
travers ces analyses techniques : si l’inflation herméneutique est effectivement châtrée par
la première attitude, on risque cependant de manquer le savoir même, parce qu’en
embrassant au départ une excessive apophantique, cette attitude n’a ensuite plus d’autre
choix que d’expliquer sa posture malgré elle par la voix de la « familiarité », la cynique
référence au bien connu qui ne peut que verser dans un format historiciste de plate
reproduction : car par exemple, si l’on considère que la vérité des œuvres et leur écoute
sont toujours mieux entendues plus tard, ou bien encore, si elles sont conditionnées par un
maintient culturel de transmission dans le cours de l’histoire, alors on reconnaît par-là que
le type classique – dont les normes authentiques devraient être pourtant définitives – est
en fait d’emblée caduc et daté, non seulement pour les auditeurs, mais également dans
son texte même puisqu’il n’est, selon ce schéma, que la consignation symbolique d’une
époque : ne reste plus par conséquent qu’à l’examiner comme un objet sédimenté dans
l’histoire.
Les éléments d’analyses de Rosen justifiés par Théo Bélaud via l’évocation ponctuelle de
Wittgenstein rendent ainsi certains de ses propos moins crédibles à notre avis, alors même
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que Rosen tente souvent de réinscrire ses savantes descriptions dans un système des
arts ; certes, il le fait par analogie et mélange des genres, avec certaines confrontations
comme avec Diderot ; de même qu’avec le langage qui, en fait, est reposé dans ces
articles comme simple point de départ, métaphore d’un processus de « naturalisation ».
Les intentions propres à Théo Bélaud sont développées plus spontanément par ailleurs :
« Le piège consiste en ce que la volonté d’explication est tentatrice de fixer les mots une
fois pour toutes. C’est exactement ce contre quoi Rosen mettait en garde : si la musique se
tient au bord du non-sens, ce n’est pas une raison pour y basculer. « La proximité du nonsens, le refus de toute signification fixée par avance, est une condition essentielle pour la
musique. » Cette formulation qui borne idéalement la spécificité des conditions de
possibilités du sens musical par rapport au langage en général. Simplement, en musique
ces conditions doivent avoir un caractère absolu. (…) Je ne crois pas du tout que la
musique soit universelle au sens absolu (qui réclame une approche sentimentale) ou
restreint qui consiste à dire qu’on peut lui faire faire ou lui faire «dire» n’importe quoi, au
prétexte de son ouverture à toute réponse émotionnelle possible. La «condition du nonsens a priori » est indispensable, mais faute de s’effacer derrière la « bonne » culture ou
compréhension d’un moment historique, elle semble pour ce siècle devoir libérer un autre
potentiel, d’arbitraire et d’autodestruction (je pourrais vous donner et commenter des
dizaines d’exemples dans l’industrie actuelle du concert et du disque « classique »). La
question raisonnable, je crois, est d’éprouver les limites de notre résistance à cette force,
sans compromettre la clause initiale du non-sens. Si on sait poser ce défi, on se donne une
chance de vivre et de mourir moins ignorant (de l’effet proprement musical que peut
produire la musique sur nous).[4] »
Avec cette culture de « l’effet » et de la conservation du non savoir, ne reste à notre avis
que la jouissance de la différence entre une écoute cultivée et une écoute culturelle, une
écoute particulière qui sent se composer un conditionnement vis-à-vis d’une écoute de
conformité laquelle, par contraste, se perd dans l’intuition faussement créative. Mais les
deux se situent en fait sur le même plan, et présupposent également le savoir sans
l’élucider : il n’y a au final pour les différencier que l’érudition et la collection.
L’intégration d’un tel mécanisme de formes empaillées face aux évaluations concurrentes
devient alors exclusive, et croit en cela atteindre et participer de l’intégrité même de
l’œuvre, parce qu’en s’étant aveuglé sur ses propres principes et critères – disons mieux,
en considérant les principes comme aveugles -, le critico-interprète croit voir la nudité de
l’œuvre dans l’éclair d’une écoute lézardant ses habitus : ni historique, ni originaire, elle
n’est pas non plus prise dans un retour originel rêvé, ni dans une lecture purement
technologique : l’œuvre n’apparaît alors que parce qu’elle devient simultanément témoin de
son propre médium qui revient à l’œuvre dans l’encens du « savoir tacite » et son jeu
d’auto-reflet incessant, réitéré dans ce qui n’est plus qu’un rituel de momification par les
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concerts et les enregistrements. Inutile donc de demander à une telle disposition la
démonstration de ses principes ou de ses évaluations : ceux-ci sont ravalés au processus
historique que l’on ne peut reconstituer sans le surcharger de modalités toujours trop «
culturelles » – en laissant donc de côté la question de savoir ce qu’il y a à réellement
cultiver spirituellement -, et qui seraient in fine d’ailleurs dénoncées comme tentation «
herméneutique inflationniste» que l’on a par avance dénoncé et nettoyé. A l’écoute des «
mise en forme de l’expression », ne reste plus alors qu’à veiller devant les « sépulcres
blanchis à la chaux » du non-sens. Mais au fond, il n’y a là rien de choquant dans cette
attitude critique des œuvres d’art, puisque depuis longtemps
ce que nous faisons en jouissant d’elles n’est pas une activité de service divin par laquelle
adviendrait à notre conscience la vérité parfaite qui est la sienne et qui la comblerait, mais
c’est une activité extérieure, celle qui, par exemple, essuie les gouttes de pluie ou la fine
poussière déposées sur ces fruits, et qui à la place des éléments intérieurs de l’effectivité
environnante, productrice et spiritualisante du souci des bonnes mœurs, dresse le vaste
échafaudage des éléments morts de leur existence extérieure, du langage, de l’historique,
etc., non pour y engager sa vie, mais uniquement pour se les représenter en soi-même.[5]
[1] Charles Rosen, Musique et sentiment, et autres essais, Traduction Théo Bélaud,
Contrechamp Editions, 2020.
[2]
« Wittgenstein a eu à l’égard de la musique germanique objectivement « de
tradition » de son époque, comme celle de Schönberg, en regard de sa déférence pour la
tradition elle-même, une attitude analogue à celle que pourrait avoir un naturaliste dans un
zoo. Peut-être qu’un animal peut vivre heureux selon sa propre norme dans un zoo : mais
ceux qui l’y observent pour se distraire, même s’ils éprouvent un amour et un respect
authentiques des animaux, ne vivent certainement pas en harmonie avec la nature d’où on
les a extraits. Selon Wittgenstein, il fut un temps, certes bref, à la charnière des moments
classique et romantique, où l’animalité « sauvage, domestiquée . » qui signe les
réalisations d’une grande culture, a composé le cœur du vivant dans la société occidentale,
autour duquel elle organisait ses valeurs, ses croyances, et s’organisait elle-même. Ce
temps étant révolu, tout prolongement de cette vie animale intervient en marge d’une
société qui se soucie d’autres formes de domestication, induites par la foi dans le progrès
et la technique, et dont, peut-être, la composante sauvage est passée du seul côté de la
violence physique et politique déchaînée. Les œuvres se frayant un chemin dans cette
culture sont peut-être grandes mais elles ne sont pas vécues comme grandes par la
société » Cf. Entretien Théo Bélaud et Christianne Chauviré, https://www.cairn.info/revue-
https://www.actu-philosophia.com/charles-rosen-musique-et-sentiment-et-autres-essais/?fbclid=IwAR2R2LPhB1Y6qrnLiF1pxtFE-Ln3PQbn7m…
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de-metaphysique-et-de-morale-2016-4-page-519.htm?
fbclid=IwAR27sA_DSc5cRRDhZmWDVuCFaiunVAscWqjHk5wxHjLGvtqzasbCnVaQQvQ
[3]
https://www.cairn.info/revue-etudes-germaniques-2011-2-page-265.htm
[4]
Entretien Christiane Chauviré et Théo Bélaud, « L’esthétique » de Wittgenstein,
le classicisme, la modernité et la constellation éclatée : Hanslick, Schönberg, Mann,
Rosen », dans la « Revue de métaphysique et de morale » 2016/4 (N° 92), pages 519 à
546. https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2016-4-page-519.htm?
fbclid=IwAR27sA_DSc5cRRDhZmWDVuCFaiunVAscWqjHk5wxHjLGvtqzasbCnVaQQvQ
[5]
Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, Paris, Aubier, Bibliothèque philosophique,
trad. J.P. Lefebvre, 1991, pp. 489-490
Entretiens
Entretien avec Jacques Krynen : Autour de Philippe le Bel. La
puissance et la grandeur (partie I)
, par Thibaut Gress
Acheter Philippe le Bel, puissance et grandeur. Acheter
L’Empire du roi. Acheter Le droit saisi par la morale. Célèbre
historien du droit et professeur émérite à l’Université Toulouse
1-Capitole, Jacques ( … )
Colloques
Retour au virtuel : vie et cultures numériques
, par jeanbaptiste
Conservatoire national des arts et métiers Amphithéâtre Fabry-Perot – 292 rue Saint
Martin 75003 Paris Inscription recommandée : numerique-inter@cnam.fr (objet :
colloque virtuel) Jeudi 9 février 2012, 9h-12h30 Ouverture : ( … )
La philosophie médiatique
Michel-Yves Bolloré, Olivier Bonnassies : Dieu – La science Les preuves
, par Timothée Coyras
https://www.actu-philosophia.com/charles-rosen-musique-et-sentiment-et-autres-essais/?fbclid=IwAR2R2LPhB1Y6qrnLiF1pxtFE-Ln3PQbn7m…
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Acheter Dieu – la science, les preuves. Acheter le Monde
s’est-il créé tout seul ? Michel-Yves Bolloré et Olivier
Bonnassies ont publié en octobre 2021 un ouvrage destiné
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Coups de cœur
Antoine Compagnon : Les Antimodernes. De Joseph de
Maistre à Roland Barthes
, par Katia Kanban
Antoine Compagnon occupe la chaire de littérature française
moderne et contemporaine au Collège de France ; il fut
professeur à la Sorbonne et professeur de littérature
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Acheter l’histoire philosophique du travail. Le « travail » sera
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pouvoir désormais s’appuyer sur le ( … )
Actualité éditoriale des rédacteurs
Raoul Moati : Sartre et le mystère en pleine lumière (partie II)
, par Florian Forestier
La première partie de la recension se trouve à cette adresse.
D : L’inertie des significations et du langage On peut certes
questionner ce sens de fondement absolu donné au projet
https://www.actu-philosophia.com/charles-rosen-musique-et-sentiment-et-autres-essais/?fbclid=IwAR2R2LPhB1Y6qrnLiF1pxtFE-Ln3PQbn7m…
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quest o
e ce se s de o de e t abso u do
é au p ojet
(…)
Le livre par l’auteur
Françoise Pochon-Wesolek : Descartes, penseur pré-critique
ou platonicien ?
, par Françoise Pochon-Wesolek
Dans le prolongement de notre précédent livre, Descartes à
la lumière de l’évidence mentionné ici, nous continuons à
interroger différents commentateurs de la pensée de
Descartes, et plus particulièrement Jean-Luc ( … )
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Elisabeth Roudinesco : Soi-même comme un roi. Essai sur les dérives identitaires
, par Guillaume Dreidemie
Acheter soi-même comme un roi (grand format) Acheter soimême comme un roi (poche) Elisabeth Roudinesco a fait
paraître en mars 2021 un ouvrage brûlant d’actualité[1], par
l’attention qu’il porte à ( … )
La philosophie dans tous ses états
Colloque : L’œuvre de François Roustang
, par Thibaut Gress
20 et 21 mars 2020 Université de Paris – IHSS – Centre
d’études du Vivant Amphi Buffon – 15 rue Hélène Brion –
75013 PARIS Entrée libre et ( … )
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Regards croisés
Olivier Rey : Leurre et malheur du transhumanisme
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Le mouvement transhumaniste a semble-t-il, malgré le déluge de critique qui s’abat
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Philosophie contemporaine
Mikel Dufrenne : Pour l’homme
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Frédéric Jaqcuet : Esquisses phénoménologiques
le 22 décembre 2022 13 h 01 min, par Marie Pierrat
Michel Collot : Un nouveau sentiment de la nature
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Philosophie moderne
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le 10 novembre 2022 8 h 49 min, par Alain David
Xavier Tilliette : Jules Lequier ou le tourment de la liberté
le 21 juin 2022 12 h 11 min, par Etienne Besse
Bernard Bourgeois : Pour Hegel
le 17 décembre 2021 17 h 22 min, par Romain Debluë
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Philosophie médiévale
Guillaume de Conches : Philosophia et Dragmaticon
le 12 mai 2022 11 h 15 min, par Romain Debluë
Alain de Libera, Jean-Baptiste Brenet, Irène Rosier-Catach (dir.) : Dante et
l’averroïsme
le 31 août 2019 14 h 22 min, par Thibaut Gress
Eric Mangin : La nuit de l’âme
le 8 décembre 2018 11 h 19 min, par Anne-Sophie Robin
Philosophie renaissante
Marina Seretti : Endormis. Le sommeil profond et ses métaphores dans l’art de la
Renaissance
le 15 septembre 2022 9 h 13 min, par Constance Malard
Jean Mirnowski : L’Ontologie de la contradiction sceptique. Pour l’étude de la
métaphysique des Essais
le 17 juin 2022 16 h 57 min, par Thibaut Gress
Dante : la Divine Comédie en Pléiade (partie 2)
le 7 janvier 2022 9 h 12 min, par Thibaut Gress
Philosophie antique
Jean-François Pradeau : Héraclite
le 27 septembre 2022 21 h 37 min, par Etienne Besse
Matthieu Cassin (dir.) : Histoire de la littérature grecque chrétienne des origines à
451. Du IVe siècle au concile de Chalcédoine (451), Constantinople, la Grèce et…
le 30 septembre 2021 9 h 36 min, par Pierre-Adrien Marciset
Clémence Ramnoux : Œuvres. Tomes I et II
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Charles Rosen : Musique et sentiment, et autres essais – ACTU PHILOSOPHIA
le 30 mai 2020 11 h 28 min, par Camille Byron-Marciset
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Etienne Besse
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