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La doctrine catholique du purgatoire

1999, Nova et Vetera

La doctrine du purgatoire est souvent remise en question. L'article donne d'abord un aperçu des problèmes: représentations vulgarisées par la prédication populaire, histoire des doctrines, débats œcuméniques, anthropologie. La seconde partie de l’article présente l'enseignement de l'Eglise catholique romaine sur le purgatoire, en se limitant aux conciles puisque quatre d'entre eux ont traité la question et fournissent l'essentiel de la doctrine catholique: le deuxième concile de Lyon en 1274, le concile de Florence en 1439, le concile de Trente en 1563 et le deuxième concile du Vatican en 1964.

1 Gilles Emery, O.P. La doctrine catholique du purgatoire Le purgatoire a suscité et continue de susciter une vive discussion au plan théologique et pastoral. La doctrine de la foi catholique, en son noyau proclamé dans l’enseignement des conciles, est cependant extrêmement simple et claire et se présente comme une doctrine d’espérance. Le purgatoire n’est pas un camp de concentration pour les âmes. Le purgatoire offre aux défunts qui en ont besoin la grâce d’une ultime purification, en vertu de la miséricorde de Dieu, pour l’union définitive à Dieu dans le Christ ressuscité (la vision faciale de Dieu Trinité). La foi ne nous propose ni le récit d’un voyage de l’âme dans l’au-delà, ni un traité de psychologie de l’au-delà. Les ouvrages de spiritualité, même ceux de la meilleure veine, ont parfois insisté autrefois sur ces aspects, mais il faut tout d’abord considérer ce que croit l’Église catholique. On n’abordera donc pas davantage ici le purgatoire par le biais sociologique ou de l’histoire des mentalités1. Notre exposé se tiendra à la foi de l’Église, en indiquant tout d’abord certains enjeux et en apportant quelques précisions. 1. Le purgatoire en question Le purgatoire a été autrefois (fin du moyen âge et temps modernes) un thème de choix de la prédication ; il se trouve aujourd’hui dans un effacement étonnant. La doctrine 1 Voir les travaux de J. LE GOFF, La naissance du purgatoire, Paris, 1981 ; P. BROWN, « Vers la naissance du purgatoire », Annales 52 (1997), p. 1247-1261. Pour un aperçu de l’histoire du dogme : F. LADARIA, « Fin de l’homme et fin des temps », dans L’homme et son salut, “Histoire des dogmes 2”, Paris, 1995, p. 415-481. 2 traditionnelle du purgatoire est largement remise en question, pour des raisons diverses qu’il vaut la peine d’avoir présentes à l’esprit. Cet aperçu des problèmes fait contraste avec la sobriété des documents conciliaires que nous allons considérer plus bas, et permettra de mesurer la simplicité et la valeur de la doctrine de foi. a) Problème d’histoire des pratiques pastorales Le premier problème, celui qui est sans doute le plus présent à l’esprit de chacun, est lié à la prédication de l’Église, abondamment appuyée par l’iconographie, de la fin du moyen âge jusqu’au début du XXe siècle. C’est moins ici l’enseignement dogmatique proprement dit que la conception vulgarisée par des écrivains religieux et des prédicateurs qui est en cause. Le purgatoire a pu y apparaître comme une sorte d’« enfer provisoire » dont on s’est parfois complu à relever le feu cuisant et les horribles souffrances, conduisant à présenter le purgatoire comme une menace terrifiante pour les hommes, mise au service de ce que Jean Delumeau a appelé une « pastorale de la peur »2 dans l’Occident du XIIIe au XVIIIe siècle. Nous n’avons pas à examiner ici les motifs de ce déséquilibre qui a peu à peu marqué une certaine prédication des fins dernières, mais cette insistance sur les supplices joue certainement un rôle important dans le rejet du purgatoire par beaucoup. À ce problème des représentations populaires on peut associer celui que posent les tentatives de dresser une sorte de géographie de l’au-delà, avec des lieux aux contours précis (paradis, enfer, purgatoire). Une telle vue des choses qui associe théologie et cosmologie fait évidemment difficulté, car elle court le risque de penser le purgatoire sur le modèle de nos représentations spatiales. La réflexion sur l’au-delà s’est parfois concentrée sur les choses d’une manière physiciste (que l’on pense aux propriétés du « feu »), en perdant de vue le statut analogique de notre langage 2 Jean DELUMEAU, Le péché et la peur, La culpabilisation en Occident, XIIIe - XVIIIe siècles, Paris, 1983, p. 427-446 : “Le purgatoire, enfer temporaire”. 3 sur l’au-delà, et en négligeant parfois l’essentiel qui est la relation personnelle de chaque personne et de toute l’Église avec Dieu le Père dans le Christ ressuscité et son Esprit. b) Problème d’histoire des doctrines Une deuxième difficulté vient du caractère relativement tardif de la doctrine du purgatoire, telle que l’Église l’a développée. On trouve certes chez les Pères de l’Église, dès le IIIe siècle au moins, la doctrine d’un « feu purificateur » qui prépare à l’union définitive avec Dieu ; cela s’observe tant en Orient (Clément d’Alexandrie, Origène, Cyrille de Jérusalem) qu’en Occident (Ambroise, Augustin)3. On ne parle pas encore de « purgatoire » (comme nom substantif) mais d’un feu purificateur (adjectif purgativus), d’une transformation purificatrice qui rend capable de participer à la sainteté de Dieu. Il n’est pas nécessairement question d’un « lieu » et la question du temps n’est pas encore clairement précisée (à la résurrection finale, ou tout de suite après la mort ?). Saint Augustin semble être l’un des premiers auteurs admettant clairement l’existence d’un feu purificateur pour l’âme immédiatement après la mort4. La question au centre de la réflexion d’Augustin était la suivante : qu’advient-il aux fidèles qui meurent sans avoir été totalement mauvais (pas de péchés qui coupent irrémédiablement la communion avec Dieu) ni totalement bons ? Pour ceux-là, le feu purificateur est la voie de la miséricorde de Dieu5. 3 L’expression « feu purificateur » évoque en particulier I Co 3, 10-15, qui constitue l’un des passages bibliques majeurs qu’exploitera la tradition augustinienne et médiévale. 4 5 En particulier : De civitate Dei XXI, 26, 4 (BA 37, p. 498-501). Voir J. NTEDIKA, L’évolution de la doctrine du purgatoire chez saint Augustin, Paris, 1966. Augustin discute l’hypothèse qui pose une ultime « chance » pour les fidèles après la mort. Augustin ne limite pas le feu purificateur aux péchés véniels. Cf. aussi J. NTEDIKA, L’évocation de l’au-delà dans la prière pour les morts, Études de patristique et de liturgie latines (IVe-VIIIe s.), Louvain-Paris, 1971, p. 88-103. 4 La première synthèse de la doctrine du purgatoire semble apparaître chez saint Grégoire le Grand, au tournant du VIIe siècle, qui lui donne ses traits définitifs. Grégoire parle encore de feu purificateur ; il en limite les effets à l’expiation des péchés véniels et à l’achèvement du processus de pénitence commencé en cette vie. Grégoire développe en particulier le lien entre les suffrages pour les défunts (prière de l’Église) et ce feu purificateur avant la résurrection : la prière de l’Église pour les morts concourt à la pleine rémission de leurs péchés et à leur délivrance des peines6. Une dernière étape sera franchie au XIIe siècle lorsque la théologie commença à parler d’un purgatoire (purgatorium, nom substantif)7, et lorsque se répandit la tendance à concevoir le purgatoire comme le « lieu » où sont purifiées les âmes qui en ont besoin. Le mot « purgatoire » (purgatorium) semble n’être entré de façon significative dans le vocabulaire officiel de l’Église qu’en 1254, lorsque le pape Innocent IV sanctionna ce terme pour désigner le « lieu de la purification » (locus purgationis) des fautes vénielles et pour la purification des pénitences n’ayant pas été achevées durant la vie terrestre (pénitences pour les fautes pardonnées durant la vie terrestre)8. Malgré les antécédents patristiques certains, la synthèse, dans sa forme achevée, est médiévale et latine. Cela nous amène au point suivant. c) La question œcuménique autour du purgatoire Le purgatoire pose question dans la discussion œcuménique. La première contestation qui mérite notre examen est celle des orthodoxes byzantins, dès le XIIIe siècle9. Les tentatives 6 GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, livre IV, 39-58 ; voir en particulier IV, 41 (SC 265, p. 146-151). Cf. J. NTEDIKA, L’évocation de l’au-delà, p. 105-110. 7 J. LE GOFF, La naissance du purgatoire, p. 489-493. 8 Denzinger n° 838. 9 Pour un aperçu de ces premiers débats au XIIIe siècle, voir THOMAS D’AQUIN, Traités : Les raisons de la foi, Les articles de la foi et les sacrements de l’Église, Introduction, traduction et notes par G. Emery, Paris, 1999, p. 49-54. 5 d’union au moyen âge ont cherché à faire accepter aux Orientaux la doctrine latine du purgatoire (conciles de Lyon II, Florence), mais avec peu de résultats. Les orthodoxes pratiquaient bien sûr la prière et la célébration de l’eucharistie pour les défunts. Ils pouvaient également admettre (ou admettaient expressément) l’existence d’une purification, d’une guérison progressive pour les âmes après la mort, attestée dans la tradition patristique. Ils peuvent donc accepter l’existence d’un état intermédiaire de purification entre la mort et la résurrection10, mais en rejetant la doctrine du purgatoire pour deux raisons principales11. Premièrement, ils réservent en principe la rétribution dernière, c’est-à-dire la vision de Dieu par les justes et le châtiment des méchants dans l’enfer, pour le jour du jugement dernier à la résurrection générale. Autrement dit, bien qu’enseignant que les justes défunts jouissent d’une participation à la gloire de Dieu, l’orthodoxie éprouve des difficultés face à l’affirmation catholique de la vision de Dieu, pour les âmes purifiées, immédiatement après la mort, avant la résurrection finale (Benoît XII, Constitution Benedictus Deus, en 1336)12. Cette pleine vision face à face n’aura lieu qu’à la parousie du Christ. De ce fait, l’effet spécifique du purgatoire selon la doctrine catholique (à savoir de permettre aux âmes saintes qui doivent encore être purifiées d’avoir accès à la vision bienheureuse de Dieu dès qu’elles en sont dignes) se trouve écarté par le délai que posent les orthodoxes. Il y a ici une divergence entre 10 P. EVDOKIMOV, L’Orthodoxie, Paris, 1979, p. 327. 11 P. EVDOKIMOV, L’Orthodoxie, Paris, 1979, p. 324-334 ; P.N. TREMBELAS, Dogmatique de l’Église Orthodoxe Catholique, Desclée de Brouwer, t. 3, 1968, p. 445-455 : “Le dogme inconsistant du feu purificateur”. Trembelas rejette surtout l’idée d’expiation de peines propitiatoires (p. 445) ; il accueille la purification comme guérison et croissance dans l’amour, la prière pour les défunts, mais le rejet d’une satisfaction et du purgatoire demeure extrêmement ferme. On peut voir aussi sur ce point l’accord de Dublin entre Orthodoxes et Anglicans en 1984, n° 72 (Dokumente wachsender Übereinstimmung, Bd. II : 1982-1990, éd. H. MEYER e.a., Paderborn – Frankfurt a.M., 1992, p. 118). 12 Denzinger n° 1000-1001. Sur cette question, voir Ch. TROTTMANN, La vision béatifique, Des disputes scolastiques à sa définition par Benoît XII, Rome, 1995 ; pour une approche orthodoxe : V. LOSSKY, Vision de Dieu, Neuchâtel, 1962. 6 une eschatologie à « deux phases » (jugement particulier et rétribution immédiatement après la mort, puis jugement général et rétribution avec le corps lors de la résurrection) chez les catholiques, et une eschatologie plus entièrement concentrée sur la Parousie chez les orthodoxes (entre-temps, les âmes demeurent dans une sorte d’attente)13. Deuxièmement, les orthodoxes tendent à rejeter ce qu’ils considèrent comme « juridique » (satisfaction, peines) dans la doctrine catholique. Or le purgatoire est lié à l’idée d’un accomplissement des peines dues au péché pour rétablir la pleine communion avec Dieu (le péché étant pardonné, la pleine restauration de l’amitié exige une réparation du bien détruit, un rétablissement de l’ordre d’amour auquel le péché a porté atteinte)14. Leur sotériologie n’a pas connu les développements latins qui pensent le salut non seulement en termes de participation à la vie de Dieu (déification) mais aussi en termes de satisfaction et de réparation pour les peines dues au péché. Sur ce point, on peut estimer que la divergence entre le dogme catholique et les expressions de la foi orthodoxe tient surtout au silence ou à la réserve qu’observe en ce domaine la tradition orthodoxe (qui se tient à l’état de la doctrine à la fin de l’âge patristique), bien que les principes fondamentaux soient semblables. Le purgatoire fut également au cœur des controverses de la Réforme au XVIe siècle. Ce débat fut en réalité déjà inauguré au XIIe et XIIIe siècles lorsque le purgatoire fut rejeté par certains mouvements qui s’écartèrent de l’Église catholique, notamment par les Vaudois qui préfigurent sur ce point l’attitude qu’adoptera la Réforme protestante : pour les Vaudois, il n’y a pas d’autre purgatoire que les pénitences de cette vie présente ; après la mort, le sort des 13 Les âmes « mûrissent » (saint Irénée) : P. EVDOKIMOV, L’Orthodoxie, p. 328 ; pour le reste, Evdokimov préconise le silence sur l’entre-deux (p. 329). 14 Sur cette notion des peines temporelles dues au péché, voir notamment la Constitution apostolique Indulgentiarum doctrina de PAUL VI, en 1967, au n° I, 3 (La Documentation Catholique 64 [1967], 7 défunts consiste soit en l’enfer, soit dans le paradis, et les prières et suffrages de l’Église pour les morts ne servent à rien15. La Réforme, de manière plus profonde et argumentée, adoptera une réaction comparable16. Le rejet du purgatoire y est motivé par trois principes. 1°) Le manque de fondements scripturaires (2 M 12, 38-45, source biblique pour la prière en faveur des défunts et l’aide que les vivants leur apporte, est mis de côté comme apocryphe ou deutérocanonique). 2°) La suffisance de la satisfaction accomplie par le Christ et le rejet de la coopération que l’homme apporte au salut ; c’est un problème général de sotériologie sur lequel le catholicisme suit une voie différente en valorisant la collaboration de l’homme dans l’appropriation active du salut, de l’intérieur même de l’homme, qui ne diminue pas la grâce du Christ mais qui en constitue le fruit. 3°) Le rejet de certaines pratiques (indulgences, messes, prières pour les défunts) que la Réforme écarte dans son exclusion des œuvres humaines pour la justification et l’obtention du salut17. La réponse à ces difficultés ne peut pas se limiter au seul point du purgatoire : elle engage en effet l’ensemble de la théologie. p. 200-201). Pour une vision d’ensemble : Ch. JOURNET, Le Purgatoire, “Études religieuses 301302 ”, Liège-Paris, 1932. 15 J. LE GOFF, La naissance du purgatoire, p. 374-375. 16 Pour CALVIN, le purgatoire est une fiction pernicieuse suggérée par Satan, et qui porte atteinte à la satisfaction procurée par le Christ (L’institution chrétienne III, 5 ; Genève, t. 3, 1957, p. 141). 17 Y. CONGAR, « Le purgatoire », dans ID., Le mystère de la mort et sa célébration, Paris, 1951, p. 279-336, ici p. 280-293. Luther, au début de son oeuvre, acceptait encore le purgatoire (cf. Ch. MOREROD, Cajetan et Luther en 1518, t. 1, Fribourg, 1994, p. 107 sq.) ; il le rejettera ensuite, avec l’ensemble de la Réforme de manière générale. Il récusera alors l’existence du purgatoire considéré comme une invention de l’Église romaine ; cf. B.A.R. FELMBERG, Die Ablasstheologie Kardinal Cajetans (1469-1534), Leiden, 1998, p. 228-248. 8 d) La question de l’âme séparée et les exigences d’une anthropologie théologique Une dernière difficulté se présente à la doctrine du purgatoire : l’existence et le statut des âmes séparées du corps, après la mort, en attente de la résurrection. La doctrine catholique du purgatoire présuppose en effet la subsistence de l’âme après la mort, sans le corps, mais avec ses facultés spirituelles, capable de recevoir la rétribution selon le jugement de Dieu, capable de s’unir à Dieu dans la vision et d’y connaître le bonheur. Or cette doctrine de « l’âme séparée » apparaît problématique à bien de nos contemporains, pour des raisons d’ordre anthropologique et philosophique. Si l’homme est un, corps et âme, comment comprendre que l’âme puisse subsister sans le corps ? Cette subsistence de l’âme à l’état séparé ne constitue-t-elle pas un reste nocif de platonisme dans le christianisme ? Chez les théologiens issus de la Réforme, on propose parfois de concevoir une destruction totale de l’homme à la mort (« Ganztodtheologie »), le défunt demeurant dans la « mémoire » de Dieu en attendant une recréation finale par Dieu ; ou alors un « sommeil » dans lequel l’âme reste simplement en attente jusqu’au jour de la résurrection. Du côté catholique, pour écarter cette difficulté, certains théologiens ont proposé la thèse de la résurrection au moment même de la mort (« Auferstehung im Tode »)18, ce qui, du même coup, supprime la pertinence d’un discours sur l’état intermédiaire de l’âme et sur le purgatoire. On doit cependant se demander si cette théorie fait droit à la consistance christologique et ecclésiale du salut eschatologique, puisqu’elle obscurcit la solidarité des défunts avec les vivants dont l’histoire se poursuit sur la terre jusqu’à ce que le Corps du Christ soit parfaitement consommé19. 18 Voir notamment G. GRESHAKE et J. KREMER, Resurrectio mortuorum. Zum theologischen Verständnis der leiblichen Auferstehung, Darmstadt, 1986. 19 Voir à ce sujet l’avis critique de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Recentiores episcoporum Synodi sur quelques questions concernant l’eschatologie (17 mai 1979), n° 3, n° 5 et n° 6, La Documentation catholique 76 (1979), p. 709 ; voir aussi : Commission théologique 9 Pour rendre compte de l’enseignement de l’Église en matière d’eschatologie, la théologie a besoin d’une notion d’âme qui permette à la fois d’en affirmer la subsistence après la séparation du corps, et qui tienne fermement l’unité de l’homme, corps et âme. Elle a besoin en effet d’en affirmer la subsistence après la séparation du corps (après la mort) : c’est l’identité et la continuité de la personne qui sont en jeu, sinon il n’y a plus rien qui reçoive la résurrection, le projet créateur de Dieu se trouve anéanti, et les affirmations sur l’état intermédiaire n’ont plus de sens20. La théologie a cependant besoin d’un concept d’âme qui tienne l’unité de la personne en écartant toute dévalorisation du corps ou toute réduction de l’homme à son âme à la manière d’une anthropologie spiritualiste. C’est le grand mérite d’une anthropologie recueillant l’héritage de Thomas d’Aquin de nous aider à tenir ces deux aspects de manière cohérente. 1°) Incorruptibilité de l’âme intellective : l’âme continue d’exister après la mort car par création elle est un principe immatériel qui n’a pas en soi de principe de corruption ou de destruction (cette incorruptibilité est un don de Dieu par création) ; la connaissance et l’amour demeurent, et cela est décisif pour rendre compte du rapport à Dieu, du processus de purification, de la prière des saints du ciel, de l’intercession que nous leur demandons, de notre prière pour les défunts, bref de l’ensemble des rapports entre vivants et défunts dans la communion des saints. 2°) Âme forme du corps : l’âme n’est pas une substance complète, une chose complète en soi : la substance, c’est l’homme, corps et âme. L’âme subsiste, mais comme forme (l’âme est une « forme subsistante ») qui reste ordonnée au corps, car elle est par nature vouée à donner vie au corps et à agir par un corps et en internationale, « Quelques questions actuelles concernant l’eschatologie (1992) », ch. 4 et ch. 5, La Documentation catholique 90 (1993), p. 309-327, ici p. 315-318. 20 J. RATZINGER, La mort et l’au-delà, Court traité d’espérance chrétienne, Paris, 2 1994 ; H. SONNEMANS, « Survie, salut, résurrection », Communio 12 (1987) 18-29 : le concept d’âme est indispensable à la pensée chrétienne pour dire la résurrection de la chair. 10 interaction avec lui : l’âme sans corps se trouve dans un état « contre nature », à tel point que la subsistence perpétuelle de l’âme ne se comprend pleinement que sur l’horizon de la résurrection21. La doctrine de l’âme dans l’Église, et celle que développe une saine anthropologie théologique, n’est pas simplement une doctrine philosophique mais elle répond d’abord à des exigences théologiques et religieuses : c’est l’explicitation de l’anthropologie dont l’Église et la théologie ont eu besoin — et dont elles ont toujours besoin — pour dire la foi dans la participation à la vie divine. 2. L’enseignement de l’Église catholique romaine Les principaux documents de l’Église concernant le purgatoire datent du moyen âge et de l’époque postérieure. On pourra se tenir ici aux conciles, puisque quatre d’entre eux ont explicitement traité la question du purgatoire et fournissent l’essentiel de la doctrine catholique. a) Le premier document digne d’une attention particulière est celui du deuxième concile de Lyon, en 1274, dans la confession de foi demandée aux Grecs, sur l’eschatologie : Si, vraiment pénitents, ils [les baptisés qui sont tombés dans le péché] sont morts dans la charité, avant d’avoir satisfait, par de dignes fruits de pénitence, pour ce qu’ils ont commis ou omis, leurs âmes sont purifiées après la mort par des peines purgatoires ou purifiantes (poenis purgatoriis seu catharteriis) […]. Pour adoucir ces peines, les intercessions des fidèles vivants leur sont utiles, à savoir le sacrifice de la messe, les prières, les aumônes et les autres œuvres de piété que les fidèles ont coutume de faire pour d’autres fidèles selon les institutions de l’Église. Pour les âmes de ceux 21 THOMAS D’AQUIN, Somme contre les Gentils, livre IV, ch. 79 (n° 4135). 11 qui, après avoir reçu le saint baptême, n’ont contracté absolument aucune souillure du péché (nulla macula peccati), pour celles aussi qui, après avoir contracté la souillure du péché ont été purifiées, soit lorsqu’elles demeuraient encore dans leur corps, soit après s’en être dépouillées, comme on l’a dit plus haut, elles sont immédiatement reçues dans le ciel22. Ce document du concile de Lyon II a valeur d’expression de la foi catholique. La nécessité d’une purification (après la mort) y est associée à la pénitence et à la satisfaction (en cette vie). Le concile évite prudemment de mentionner le feu, et ne fait pas non plus état d’un lieu. Le mot même de « purgatoire » est évité, pour s’en tenir à une stricte expression : peines purgatives ou purifiantes. La foi de l’Église en cette matière, comme l’atteste ce document, s’attache aux deux réalités suivantes. 1°) Après la mort, les âmes justes (les âmes de ceux qui sont morts « dans la charité ») mais non encore entièrement purifiées devront passer par des peines purificatrices afin d’achever le processus de pénitence (on peut ajouter : pour les péchés déjà pardonnés ou pour les péchés véniels qui n’ont pas rompu la communion avec Dieu). Cette purification est affirmée à la lumière de la vocation à la communion divine, qui sous-tend la doctrine du purgatoire : le purgatoire est une disposition à la communion bienheureuse avec Dieu pour ceux qui en ont besoin. Saint Thomas d’Aquin, qui avait un sens extrêmement vif du désir de la vision bienheureuse de Dieu, pensait de son côté que ce « retard » de la vision est l’aspect le plus douloureux du purgatoire, tant son eschatologie est centrée sur la vision de Dieu. Le purgatoire consiste donc en une préparation, dans la charité, à l’union plénière avec Dieu23. 22 Profession de foi pour l’empereur Michel Paléologue ; Denzinger n° 857-858. 23 Voir notamment THOMAS D’AQUIN, Les raisons de la foi, ch. 9 (trad. G. Emery, p. 116-131). Le purgatoire engage ainsi la certitude de l’union à laquelle il prépare. Au XVIe siècle, dans sa bulle Exsurge Domine concernant Luther, le pape Léon X (en 1520) rejeta comme erronée la thèse suivant laquelle les âmes du purgatoire ne seraient pas certaines de leur salut (Denzinger n° 1488). 12 Le concile reprend une expression technique : la souillure du péché, macula peccati. Par cette métaphore, la théologie médiévale a désigné une conséquence du péché, que saint Thomas (Ia-IIae, q. 86) expliquait comme une perte d’éclat de l’âme, c’est-à-dire comme la trace de l’attachement désordonné au mal, qui est une perte de la vigueur que l’âme tient de son attachement théologal au bien. Positivement, cela signifie que la conversion et le pardon exigent un retour volontaire, par grâce, à Dieu, et que ce retour de la volonté par la pénitence fait partie du pardon : le pardon est la restauration d’une amitié, il appelle donc un mouvement intérieur et des actes d’amitié envers Dieu et le prochain. C’est cela que signifie la doctrine d’une peine à accomplir lorsque le péché à déjà été pardonné, et c’est cela la pénitence : la charité (amour d’amitié) à l’œuvre pour restaurer la communion, en écartant les conséquences du péché qui a rompu cette communion24. S’il y a purification après la mort, c’est pour achever ce processus. 2°) Le second point de la foi de l’Église explicité à Lyon II est le suivant : l’accomplissement de la purification est aidé par les suffrages des vivants (messes, prières, œuvres de miséricorde). C’est une pratique ancienne, dans laquelle l’Église catholique se sait en communion avec les Églises orthodoxes. Cette aide, comme l’atteste la théologie de l’Antiquité25, est fondée sur le rôle médiateur de Jésus-Christ, et elle est spécialement liée au sacrifice de l’Eucharistie. Rien n’est dit sur la durée de cette purification par le concile de Lyon II qui n’envisage pas non plus la question du lieu. L’Église se tient à cet enseignement général, bien éloigné des spéculations ou des égarements d’une curiosité mal éclairée. Le 24 Voir G. EMERY, « La réconciliation avec l’Église et la pénitence intérieure : l’apport de Thomas d’Aquin sur la question du res et sacramentum de la pénitence », dans Praedicando et docendo, Mélanges offerts à Liam Walsh O.P., éd. B. Hallensleben et G. Vergauwen, “Cahiers oecuméniques 35”, Fribourg, 1998, p. 31-47. 25 Voir par exemple saint CYRILLE DE JÉRUSALEM, Catéchèse mystagogique V, 9-10 (SC 126, p. 158- 161) ; le contexte est l’explication des prières de la liturgie eucharistique. 13 purgatoire, il faut y insister, n’est pas une troisième issue à côté de la vision (paradis) et du châtiment de ceux qui se sont irrémédiablement privés de la communion avec Dieu (enfer) ; il est un état transitoire, et non ultime. Il n’y a qu’une double issue possible, et le purgatoire prépare la vision. b) Un deuxième document est fourni par le concile de Florence, en 1439 (Décret Laetentur caeli pour les Grecs) : Si ceux qui font véritablement pénitence meurent dans la charité de Dieu, avant d’avoir par des fruits dignes de leur pénitence réparé leurs fautes commises par actions ou par omissions, leurs âmes sont purifiées après leur mort par des peines purgatoires (eorum animas penis purgatoriis post mortem purgari) et, pour qu’ils soient relevés des peines de cette sorte, leur sont utiles les suffrages des fidèles vivants, c’est-à-dire : offrande de messes, prières et aumônes et autres œuvres de piété qui sont accomplies d’ordinaire par les fidèles pour d’autres fidèles, selon les prescriptions de l’Église. Et les âmes de ceux qui après avoir reçu le baptême n’ont été souillées d’absolument aucun péché (nulla omnino peccati macula), celles aussi qui après avoir été souillées par le péché, soit en étant dans leur corps, soit une fois dépouillées de leur corps, sont purifiées ainsi qu’il a été dit plus haut, elles sont aussitôt reçues au ciel et voient clairement Dieu trine et un lui-même, tel qu’il est [cf. Const. Benedictus Deus de Benoît XII, en 1336]26. Ce document reprend presque littéralement celui de Lyon II, en lui ajoutant une précision : les âmes justes, une fois entièrement purifiées, sont immédiatement reçues dans la vision de Dieu face à face (« voient clairement Dieu trine et un lui-même, tel qu’il est »), 26 Les Conciles œcuméniques, t. II-1, Les décrets, De Nicée à Latran V, Sous la direction de G. Alberigo, Paris, 1994, p. 1080-1083. 14 c’est-à-dire dans la plus haute communion avec Dieu. Ce point avait été préalablement défini au XIVe siècle par Benoît XII. L’Église catholique a ainsi précisé une eschatologie en deux phases, si l’on peut dire : (1) le jugement particulier avec la rétribution de l’âme, qui comporte déjà un aspect ecclésial et communautaire, et où le purgatoire prend place ; (2) le jugement général à la résurrection, qui est la consommation dernière du Corps du Christ, de toute l’Église et de toute l’humanité. La perspective de la vision de Dieu et de l’achèvement de l’Église domine désormais clairement l’enseignement sur le purgatoire. c) Au concile de Trente, l’affirmation du purgatoire répond à la contestation de la Réforme. Ce concile souligne en particulier que la justification n’exclut pas les actes de pénitence dus pour le péché (ni la purification après la mort), et que la célébration de la messe est utile pour les défunts : L’Église catholique, instruite par l’Esprit Saint, à partir de la sainte Écriture et de la tradition ancienne des Pères, a enseigné dans les saints conciles et tout dernièrement dans ce concile œcuménique qu’il y a un purgatoire (purgatorium esse) et que les âmes qui y sont retenues sont aidées par les suffrages des fidèles, et surtout par le sacrifice de l’autel si agréable à Dieu. Aussi le saint concile prescrit-il aux évêques de tout faire pour que la saine doctrine du purgatoire (sana de purgatorio doctrina), transmise par les saints Pères et les saints conciles, soit l’objet de la foi des fidèles, que ceux-ci la gardent, qu’elle soit enseignée et proclamée en tous lieux. On exclura des prédications populaires auprès des gens sans instruction les questions plus difficiles et subtiles qui ne sont d’aucune utilité pour l’édification, et desquelles la plupart du temps la piété ne tire aucun profit. On ne permettra pas que soient divulgués et abordés des points incertains ou qui sont apparemment faux. On interdira, comme scandaleux et offensant 15 pour les fidèles, tout ce qui relève d’une certaine curiosité ou de la superstition, ou tout ce qui a indécemment un goût de lucre27. Les points de doctrine retenus par Trente étaient déjà enseignés par Lyon II et Florence. Seul parmi les conciles, Trente emploie cependant le nom purgatoire lorsqu’il s’agit d’en affirmer l’existence comme objet de foi. Il ajoute deux précisions à la doctrine maintenant traditionnelle. 1°) Les sources de la croyance au purgatoire : l’Écriture et la tradition. Trente n’apporte aucun texte biblique précis pour le purgatoire ; prudemment, le texte dit que l’Écriture est à la source de la foi de l’Église catholique (« à partir de la sainte Écriture »), en laissant aux théologiens le soin de préciser. Plus qu’un passage biblique précis, cependant, il faut évoquer tout un corps d’enseignement biblique : la prière pour les défunts (2 M 12, 38-45 : une liturgie de supplication fut tenue en faveur de ceux qui avaient combattu pour la foi juive mais qui avaient cédé à des pratiques idolâtres, pour demander que leur péché soit totalement effacé, en vue de la résurrection), la vision de Dieu comme achèvement de la vocation chrétienne, la purification des péchés, la communion des saints. Trente indique aussi, avec l’Écriture, la « tradition ancienne des Pères » (on peut penser ici à la pratique antique aussi bien qu’à la doctrine patristique). On pourrait gloser ainsi l’affirmation tridentine : l’Écriture lue avec la tradition. 2°) Trente prescrit une stricte pratique pastorale, dégagée de ses abus : spéculations inappropriées à la prédication au peuple chrétien (on peut penser à la question du lieu, des propriétés du feu, de la durée, de l’intensité des peines etc., sans préjudice pour la discussion de ces questions dans les écoles de théologie) et abus qui lient le purgatoire à des avantages financiers, au scandale des fidèles. La doctrine tridentine, même au plus fort de l’affirmation du purgatoire, se caractérise ainsi par une grande sobriété et par son souci pastoral. 27 Concile de Trente, Session XXV (1563), Décret sur le purgatoire, dans Les Conciles œcuméniques, t. II-2, Les décrets, Trente à Vatican II, Sous la direction de G. Alberigo, Paris, 1994, p. 1572-1573. 16 d) Le deuxième concile du Vatican, enfin, a brièvement repris la doctrine des conciles précédents, avec une note ecclésiologique plus marquée. Sa mention de la purification prend place, de manière significative, dans la constitution dogmatique Lumen Gentium sur l’Église, au chapitre VII consacré au caractère eschatologique de l’Église : Particulièrement consciente de cette communion à l’intérieur de tout le Corps mystique de Jésus-Christ, l’Église en ses membres qui sont en chemin a, depuis les premiers temps de la religion chrétienne, honoré avec beaucoup de piété la mémoire des défunts (cf. les nombreuses inscriptions dans les catacombes romaines), et “parce que c’est une pensée sainte et salutaire de prier pour les défunts, pour qu’ils soient délivrés de leurs péchés” (2 M 12, 46 [45]), elle a aussi offert ses suffrages pour eux. […] Cette foi vénérable de nos pères au sujet de la communion de vie avec les frères qui sont dans la gloire du ciel ou qui, après leur mort, sont encore en voie de purification (adhuc post mortem purificantur), le saint Concile la reçoit avec grande piété, et il propose à nouveau les décrets des saints conciles, du IIe de Nicée, de ceux de Florence et de Trente. En même temps, en raison de sa sollicitude pastorale, il exhorte tous ceux que cela concerne à s’appliquer à écarter ou à corriger les abus, les excès ou les défauts qui se seraient introduits ici ou là, et à tout restaurer pour une plus pleine louange du Christ et de Dieu28. 28 Lumen Gentium n° 50-51 ; Les Conciles œcuméniques, t. II-2, p. 1806-1811. Voir aussi Lumen Gentium n° 49 : « d’autres qui ont achevé leur vie sont en voie de purification » (p. 1805) ; Lumen Gentium n° 49 précise en outre que les saints du ciel, les justes de l’Église sur terre et ceux qui sont « en voie de purification » communient, à des degrés divers, « dans la même charité envers Dieu et le prochain » (p. 1807). Il ne faut en aucun cas comprendre l’état de purification (le purgatoire) de manière semblable aux peines de l’enfer. La purification après la mort est « tout à fait différente du châtiment des damnés » : cette purification est centrée sur la charité ; elle n’est rien d’autre qu’« une purification préalable à la vision de Dieu » (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Recentiores episcoporum Synodi, n° 7 ; La Documentation catholique 76 [1979], p. 709). 17 Le purgatoire est ici envisagé dans le contexte de la communion des saints, plus précisément dans la communion de l’Église sur la terre avec l’Église en ses membres défunts. Il convient de noter la sobriété de l’expression, tout à fait dans la ligne des conciles médiévaux : « ceux qui, après leur mort, sont encore en voie de purification ». Nous y retrouvons, une fois encore, les deux points centraux de la foi catholique : une purification avant (et en vue de) l’union plénière et définitive avec Dieu, et l’aide que les fidèles sur la terre procurent aux défunts, appuyée ici par le second livre des Maccabées. Le souci pastoral d’éviter les abus, déjà formulé au concile de Trente, est repris en finale. 3. En résumé : fondement et sens de la purification après la mort Le Nouveau Testament laisse pendante la question de l’« état intermédiaire » entre la mort d’une personne humaine et la parousie du Christ (en affirmant cependant bien que les justes défunts sont en communion avec le Christ). L’Église catholique a opéré ici un processus d’élucidation de l’anthropologie qu’elle a déployé pour rendre compte de sa foi, à la lumière des documents bibliques et de la tradition. Les Églises d’Orient n’ont pas suivi le même chemin : elles se sont tenues à l’idée d’un état intermédiaire d’attente (sans apporter autant de précisions que l’Église catholique), en pratiquant la prière et la célébration de l’eucharistie pour les défunts qui ont en besoin. Le purgatoire apparaît cependant à la réflexion comme une doctrine nécessaire, car l’espérance chrétienne de la résurrection a besoin d’être accompagnée d’une espérance sur le sort actuel des défunts et sur notre rapport avec eux. La première racine du purgatoire se trouve dans le judaïsme, avec la prière pour les défunts attestée dans le deuxième livre des Maccabées, et cela à la lumière de la résurrection. Cette tradition de prières pour les défunts est attestée dans l’Église, depuis le deuxième siècle au moins, et elle s’accompagne de l’idée, également attestée dans l’Antiquité chrétienne, 18 d’une purification des âmes comme préparation au salut plénier et définitif. Nous sommes ici dans une question où la tradition joue un rôle central29. Durant l’Antiquité puis le moyen âge, la doctrine de la pénitence, exigeant des actes concrets pour restaurer l’ordre que le péché a blessé, se développe ; la doctrine des peines dues au péché lui est liée ; le processus de purification pour les péchés pardonnés et pour les péchés véniels, s’il n’est pas accompli pendant la vie sur terre, le sera après la mort, pour tous ceux et celles qui sont dans l’amour de Dieu. La doctrine des « peines purificatrices » doit être comprise à la lumière de la vision bienheureuse de Dieu face à face. Le purgatoire est un processus qui achève la transformation intérieure de l’homme pour qu’il devienne capable de s’unir à Dieu dans la vision. Son fondement théologique est la grâce christique et ecclésiale. Il y a, en conclusion, purification pour se préparer à voir Dieu dans la communion des saints : c’est là l’essentiel de l’enseignement de l’Église et de ce que peut proposer une saine théologie, et c’est une doctrine d’espérance. 29 Sous cet aspect, on peut comparer la doctrine du purgatoire avec celle de la vénération des icônes qui nécessita la réunion et la décision d’un concile œcuménique (Nicée II) et qui s’appuya explicitement sur la tradition d’une pratique dans l’Église.