Le Pavillon Phillips, 1958, une installation musicale
Bruno Bossis (Pr. musicologie, Université Rennes 2)
Le pavillon Phillips réalisé pour l’Exposition universelle de Bruxelles est un dispositif monumental novateur qui a
devancé un grand nombre de réalisations multimédias, comme le Diatope de Xenakis installé devant Beaubourg 20 ans
plus tard. En effet, pendant l’été 1958, les visiteurs vivent une expérience peu commune à l’intérieur du pavillon
construit par les Pays-Bas pour mettre en valeur les avancées technologiques du pays. L’architecte Le Corbusier, son
jeune assistant Iannis Xenakis, le réalisateur Philipe Agostini et le compositeur Edgar Varèse proposent un système
entièrement automatisé, synchronisé et cohérent mettant en œuvre aussi bien la structure du bâtiment, la musique, une
sculpture, des effets de lumière et une projection cinématographique. Chaque élément se fonde sur l’innovation tant
esthétique que technique. Non loin du principe du spatiodynamisme cybernétique décrit par Nicolas Schöffer
comme « l’intégration constructive et dynamique de l’espace dans l’œuvre plastique. », le dispositif multimédia
programmé propose une expérience de huit minutes renouvelée toute la journée et intitulée Poème électronique. Une
petite pièce électroacoustique de 2mn, Concret PH de Xenakis, permet de réinitialiser l’ensemble des automatismes
entre deux itérations. Le pavillon et l’ensemble de l’installation seront détruits en janvier 1959. Il ne reste donc rien de
l’installation elle-même. En revanche, les documents de première main sont nombreux et permettent de procéder à une
analyse aussi bien génétique, esthétique que fonctionnelle de l’ensemble. Après une brève description du contexte ayant
mené à cette œuvre originale et éphémère, nous aborderons l’étude de certains points particulièrement éclairants de ce
travail collectif de façon à mettre en valeur sa portée historique dans l’évolution de l’art de l’installation multimédia, art
conçu ici avant tout comme une expérience à vivre, une plongée dans les perceptions artistiques, l’œuvre
métaphoriquement « digérant » le public.
Mots-clés : Le Corbusier, Xenakis, Agostini, Varèse, spatiodynamisme cybernétique, Schöffer, dispositif multimeéia
Participation in audio-visual interactive installations
Clayton Rosa Mamedes (Dr. en musicologie, Université de Campinas-Unicamp, post-doctorant, Université
Fédérale de Paraná-UFPR, Brésil)
The study of interactive processes in installations has been the focus of recent efforts to understand the relations
between author, work, public and the social context of its realization. The subjectivity of the artistic experience in
interactive art implies the need for an individualized analysis based on the lived experience of each visitor and about
how the work establishes relations with his sociocultural context. The concept of interactivity we adopt in our research
considers a work that is open and flexible to the participation by the public. This approach is rooted in the realization of
the work by participants, a strategy frequently used by Fluxus artists. In this context, different participants construct the
significations of a work in the plurality of their realizations. In this context, we shall study the interactive processes of
visitors in audio-visual installations that comprehend a multimodal analysis of the artistic experience, investigating: 1)
Embodied cognitive aspects that support the corporeal experience of visitors with the work; 2) Sociocultural references
and relations that these visitors establish with the work; and 3) The aesthetic experience of visitors, investigated under
an esthesic perspective that analyses the interactive process based on the visitor’s construction of the audio-visual
discourse. Our research is based on questionnaires, observation and statistical analyses about the recorded trajectories of
visitors’ movements, using motion capture sensors as human-computer interfaces. Our hypothesis is that the gestures of
visitors in an immersive and responsive space, interacting with motion capture devices, indicates cognitive structures
that are fundamental to their artistic experience and indicates their level of engagement with the work. We propose a
reflexive investigation about how the gestural repertoire of visitors dialogues with their sociocultural references and
influences their aesthetic experiences.
Keywords: Interactive Art; Aesthetics; Embodied Cognition; Sociology of Art; Motion Capture.
Les Organisations d’espaces de Jean-Michel Sanejouand ou l’installation in situ comme expérience du
lieu
Frédéric Herbin (Dr. en histoire de l’art contemporain et ATER, Université François Rabelais de Tours,
InTRu - EA 6301)
« Nous sommes tout à fait incapables d’appréhender un espace non délimité, donc non caractérisé, comme nous
sommes incapables d’appréhender n’importe quel infini. Ne pas admettre cet espace préalable, c’est s’obnubiler sur la
forme et, partant de là, sur la rêverie qui supplante alors immédiatement la vision. La forme première, c’est la myopie
érigée en valeur. La forme ne peut être que seconde. Lorsque je dis que l’espace est premier et la forme seconde, je ne
nie pas la forme, je la mets juste à sa place. »
Lorsque Jean-Michel Sanejouand écrit ces phrases dans son ouvrage Introduction aux espaces concrets (Paris, Editions
Mathias Fels, 1970) il est en train de théoriser sa pratique des Organisations d’espaces, démarrée trois ans plus tôt. Les
objets usuels, dont l’artiste se servait déjà pour réaliser ses Charges-Objets, sont désormais convoqués pour sensibiliser
« le participant (et non le spectateur) » à l’espace qui l’entoure. Les Organisations d’espaces que Jean-Michel
Sanejouand produit, entre 1967 et 1974, ont en effet la particularité de chercher à induire un nouveau rapport entre
l’intervention artistique, l’espace qui l’accueille et celui qui en fait l’expérience. Chacune d’elle est pensée en fonction
du lieu spécifique où elle se déploie, si bien que ces deux éléments sont indéfectiblement liés et témoignent, très tôt,
d’un type de relation que l’on a aujourd’hui l’habitude de qualifier d’in situ. A travers cette situation, les Organisations
d’espaces de Jean-Michel Sanejouand incarnent un exemple historique d’installations qui, en interagissant avec
l’espace, cherchent à agir sur cette donnée et à en modifier l’appréhension. Nous nous proposons donc de revenir
précisément sur ce corpus circonscrit, en privilégiant quelques Organisations d’espaces en particulier, pour en révéler
les enjeux et les particularités.
Mots-clés : arts plastiques, années 1960-1970, espace concret, architecture, in situ, participation du spectateur
Installations invisibles : enjeux spatiaux et contraintes expérientielles
Pamela Bianchi (Dr. en arts plastiques et sciences de l’art, enseignante-chercheuse - Université Paris 8
Vincennes - Saint-Denis, Lab. AI-AC / EPHA)
« [Les choses invisibles] sont invisibles dans la mesure où elles mettent en échec effectivement la visibilité
hégémonique, celle qui nous domine, celle du système où tout doit devenir déchiffrable. » (Baudrillard, Nouvel, 2000 :
22)
S’il est vrai que l’expôt est capable de créer, a priori, les conditions d’un espace discursif, l’exposition, elle aussi, peut
définir son propre espace, concret, esthétique, sémiotique. L’unicité de l’expôt et de son exposition implique d’être dans
un espace et, simultanément, de faire espace. Cela suggère, parfois, l’idée d’une structure immersive, pénétrable, où le
spectateur se retrouve enveloppé par un espace esthétique, recréé par l’ « architecture » de l’installation. Mais si,
comme il apparait dans certains cas, l’expôt est invisible, alors son exposition se traduit dans la jouissance du lieu
d’exposition et dans l’expérience sensorielle du spectateur. Il se produit alors un chevauchement entre oeuvre et espace
qui devient enfin le dispositif (tautologique) de sa mise en monstration. Ainsi, tandis que l’objet se dématérialise,
l’espace s’objective. Il s’agit, en ce sens, de s’interroger sur les formes expographiques actuelles, sur le rôle de
l’installation dans le processus expérientiel du spectateur et, finalement, sur ce qu’exposer signifie. Pour ce faire, notre
intervention étudie trois exemples contemporains qui, en exposant des impulsions invisibles, proposent un terrain de
débats autour de ce qu’on peut définir comme « l’invisibilité de l’oeuvre et la matérialité de l’exposition » :
- I Need Some Meaning I Can Memorise (The Invisible Pull), de Ryan Gander, exposée pendant Documenta XIII, à
Kassel, en 2012. L’artiste a exposé un courant d’air artificiel au rez-de-chaussée du bâtiment du Fridericianum et,
ensuite, dans l’entrée du restaurant de l’édifice.
- Eternit et Imperium, de Luca Vitone, respectivement exposées à la Biennale de Venise (2013) et en une galerie
berlinoise (2014). Dans les deux cas, l’artiste a exposé un parfum qui, se répandant dans les espaces d’exposition, a
interpellé les spectateurs au sujet de leur expérience perceptive et mémorielle.
- A Conductor, de Rossella Biscotti, réalisée pour Manifesta IX, à Gand, en 2012. L’artiste en récupérant 500 kg de
cuivre a construit le système électrique qui a ensuite éclairé l’usine accueillant Manifesta. L’installation de ces oeuvres
dans des lieux et des conditions expographiques différentes (manifestations collectives, expositions personnelles, etc.)
nous permettra, ainsi, de mettre en lumière l’importance de la nature de l’événement expographique et le rôle des
modalités d’installation d’oeuvres invisibles, dans le processus d’appréhension esthétique du spectateur.
Mots-clés : Espace d’exposition, expérience esthétique, vide, expositions temporaires, dispositif.
An immersive installation by Marcel Broodthaers
Giacomo Mercuriali (doctorant en philosophie, Université de Milan, Italie)
In 1974 Marcel Broodthaers exposed at the Musée des Beaux-Arts of Bruxelles Un Jardin d’Hiver, the first installation
of his Décors series. The artist conceived a room where visitors could step in and interact with different objects: palms,
outdoor chairs, nineteenth century prints and a mirroring television/camera apparatus. It might be fruitful to develop a
deep analysis of this piece in order to reveal its autoreflexive character: as the visitor walks into the work of art, he can
see himself live broadcasted in the frame of the television which, at the same time, places both the installation and the
visitor within the borders of a frame, that is, the classical device of isolation that installation art normally negates in
order to define itself as an autonomous visual art genre. The presence of exotic greenery and outdoor furniture seems
also to negate the actual situation of the audience that is visiting a room inside a museum; this fact resonates with the
precise title of the artwork, which brings with itself the memory of nineteenth century spaces where the differences
between exterior and interior, proximity and distance, known and unknown, nature and culture where blurred. Identified
by Rosalind Krauss as the forerunner of the «post/medium age», Marcel Broodthaers employed heterogeneous medias
to build up a subtle space where the experience of the audience is put into phenomenological brackets which suspend
the fundamental metaphysical distinction between inside and outside, one that was already questioned by Walter
Benjamin in his analysis of the Parisian passages, an architecture made in iron and glass whose function and form is
very close to those of the winter gardens.
Keywords: Benjamin, Broodthaers, framing, mirror image, representation, superimpositions
Alternative futures: The experience of Utopian values within contemporary installation practice
Jennifer Hankin (Directeur d’études, International School of Creative Arts, Londres, Master en arts et
philosophie, Université du Kent, Royaume-Uni)
This contribution aims to locate potential futures for a utopianism within contemporary installation, looking at
phenomenological and neurological approaches to research Utopia as a state of being within participatory practice. In
addition I shall look at the potentiality of recreating and accessing utopian/dystopian worlds through installations.
Through case study it shall be argued the essentiality of hope within spectator leeds models of installation practice and
locates installation as an operative and coercive framework. It is argued that hope has a value not only in the immediacy
of the environment but also as prolonged effect. Defined as non place or a place “imagined but not realised” (Noble,
2009, p. 12) our vision of Utopia therefore, must be found within the realms of imagination and fiction rather than as a
substantive construct. We shall ask: What are the possibilities for installation practice to generate new forms of hope
and is it possible to simulate a practical Utopia?
Key Words: Utopia, futurity, effect, affect, installation, fiction, imagination, hope.
Tango Intervention, Re-Imagining The Political and Libidinal Economies of Bodies In Interactive Public
Space
Robert Lawrence (Fulbright scholar, Associate Professor video, animation & digital arts, University of South
Florida, États-Unis)
Qui ne sait céler ne sait aimer -Lyotard
An unsuspecting public encounters black clad tango dancers crossing the Brooklyn Bridge, circling Vienna’s
Ringstraße, teasing surveillance cameras in front of British Secret Intelligence headquarters. Tango seems ‘theatrical’,
but at a Tango Intervention(TI) the performance is not a performance. The dancing is spontaneous social dance, not
choreography. Argentine Tango’s code disdains showmanship, favoring shared subjectivity with one’s partner. Tango
Interventionists do publicly, in the daylight, what normally happens in a darkened nightclub, transforming the public
installation space with shocking intimacy. “Broad daylight” is both narrowed and expanded.
TI space is open, porous, an embodied installation, ‘enterable’ unlike a staged performance. People move through the
space as in a gallery installation, but TI installation moves with them, around them. Sometimes TI actually travels
through the city, a Tango Dérive, a mobile installation. During ConfluxFestNYC TI openly traveled 2.5 miles across the
Williamsburg Bridge. Yet each couple’s embrace is closed. Tango, to aficionados, is not a “showing” but a hiding, a
withdrawal into an intense, shared, 3-minute subjectivity with one’s partner. After each song embraces open, and new
shared subjectivities are formed. TI opens public space and instills sensual intimacy within it. There are other
dimensions to TI, initiating innovation dimensions in the zones between/across mental and physical space via the
Internet. TIs are site-specific, locations chosen for some hidden history or current social dynamic resonant with
colonial/neo-colonial histories of tango, which as Savgliano points out, involve race, immigration, labor, gender, class
and power. These issues are revealed, discussed, and augment discourse of each TI, at TangoIntervention.com,
expanding the space of the live installation to the world, and placing all Interventions into global dialogue. During the
intervention at the Brooklyn Bridge towers, the website screen showed two towers of red text, taken from Brooklyn
Bridge Company’s medical reports of immigrant workers killed building the underwater bridge foundations. During
TangoPanopticon2.0, TangoIntervention.com used 16 streams of live streaming video coming from dancers on 4
continents synchronously dancing under government/corporate video surveillance, staging a worldwide
installation/performance of sousveillance reclaiming public space visuality. In its combined forms TI manipulates urban
space, mental space, and subjective space in ways unique to its unique forms.
Key Words: social dance, embodied installation, histories of tango, visuality, space.
Enjeux sociaux d’une expérience spectateur multiple dans le cadre de la scénographie numérique
Train de vie
Gaëtan Hervé (musicien, artiste numérique du collectif La Sophiste, Rennes)
Train de Vie est un spectacle participatif créé par le collectif rennais d'artistes numériques La Sophiste. Accompagnant
le développement et l'omniprésence des technologies dans notre quotidien naît un désir d'optimisation et de
multiplication des tâches quotidiennes. Qu'il s'agisse d'activités professionnelles, personnelles ou de déplacements, nous
tendons à désirer l'impossible : l'immédiateté. Au centre de ce phénomène, le réseau. Qu'il soit de communication ou de
transport, il a pour fonction de relier efficacement entre elles les composantes de l'activité humaine. A mesure qu'il se
développe, le temps s'accélère. Train de Vie interroge les usages et les fantasmes qu'induit cette accélération, ses
implications conscientes et inconscientes sur nos comportements. Train de Vie aborde ce sujet en prenant la forme d'une
gare de téléportation dans laquelle les spectateurs suivent un parcours accompagnés par les employés d'une compagnie
pionnière dans le domaine. A l'issue de ce parcours, le Graal : faire l'expérience du déplacement instantané. L'objectif
de cette intervention sera d'analyser le traitement symbolique et les leviers de transmission du propos par l'intégration
de technologies numériques au spectacle, ainsi que par la participation du public à différents niveaux de l'oeuvre, de son
processus de création à sa représentation. Intégrant le cycle thématique des Champs Libres sur le train et la vitesse ,
l'oeuvre sera présentée sur le parvis des Champs Libres, à Rennes, les 19 et 20 mai 2017, à l'occasion de la Nuit
européenne des musées.
Mots-clés : Dystopie, interactivité, itinérance, scénographie participative, numérique, expérience spectateur, processus
de création, espace public.