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Publications de l'Institut Royal pour la Recherche sur l'Histoire du Maroc
Histoire du Maroc
Réactualisation et synthèse
Présentation
et Direction
Mohamed Kably
Edition de l'Institut Royal
pour la Recherche sur l'Histoire du Maroc
Rabat - 2011
Conception graphique, iconographie et couverture:
Abdelhai Diouri
Documentation iconographiques :
Abdelaziz Touri
Cartographie :
Hassan Benhalima
Mohammed Benattou
Mohamed Berriane
Abdelali Binane
Infographie :
Younés Hakam
Dépôt légal: 2011 MO 2140
ISBN: 978-9954-30-447-1
Imprimerie: Okad AI-Jadida - Rabat
2011
IRRHM Copyright
"Toute reproduction de cet ouvrage en totalité ou en partie,
sous quelque forme et par quelque système que ce soit,
est strictement interdite, exception faite toutefois de brèves citations
dûment référencées dans des travaux académiques.
Comité de rédaction
Direction:
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Abderrahmane
Lahsen
Mostafa
Abdelaziz
Bouyahyaoui Idrissi
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Hafidi Alaoui
Hassani Idrissi
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Contributeurs
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Ont contribué à l'élaboration de cet ouvrage lesprofesseurset/ou chercheurs
suivants:
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Aomar
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Bidaouia
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Mohamed
Abderrahim
Khalid
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Boubker
Bouchaib
Abdeljalil
Abdelhaï
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Mohammed
Abderrahmane
Mohamed
Halima
Driss
Lahcen
Mostafa
Mohamed
Mohamed
Abdelmajid
Abdelaziz
Driss
Allal
Mohamed
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Maati
Ma
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Baida
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Boucharb
Bouhadi
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Hafidi Alaoui
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Lakhdimi
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Monjib
Mohamed
Said
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Abdellah
Mohamed
Abdellah
Abdelahad
Ahmed
Abdelaziz
Mohamed
Hamid
Mohammed
Abdelhay Moudden
Mouline
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Najmi
Naciri
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Tahiri
Touri
Tozy
Triki
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complément d'information par le comité de rédaction; leurs noms sont classés
ci-dessous par ordre alphabétique,'
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Mohammed
Mohammed
Rachid
Taleb
Mohammed
Abderrahim
Hassan
Abdelmajid
Aydoun
El Haddaoui
Hatmi
El Houdaigui
Bouya Laatigue
Lahya
Malhouni
Slaoui
Zeggaf
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
sa domination envahissante. Or, compte tenu de spécificités géographiques et des aléas
de la politique de Rome, il sera parmi les dernières provinces à rejoindre la sphère de
l'Empire qu'il n'intégrera qu'en 40 ap.
J.-C
De plus, la mainmise de cet Empire ne
durera guère plus de deux siècles et demi sur les régions situées au sud de Oued
Sebou. Du reste, par rapport à la quasitotalité de la province, elle prendra fin au début
du V' s. ap.
J
.-C Après cette date, on assiste à l'émergence, dans des conditions
encore obscures, de pouvoirs locaux appelés à marquer la fin de l'Antiquité et le début
de l'époque islamique.
Pendant toute la période antique, l'économie demeure axée, principalement, sur
les ressources maritimes ainsi que sur les industries qui s'y rattachent. Ce sont ces
ressources, et accessoirement l'agriculture, qui expliquent, pour l'essentiel, l'apparition
des cités sur les côtes et partant, le développement assez important de l'urbanisation.
Cependant, on remarquera que la Péninsule tingitane aura été beaucoup moins
urbanisée que bien d'autres contrées du bassin méditerranéen.
D'autre part, au niveau culturel, le Maroc antique faisait partie d'un espace
qu'historiens et archéologues appellent "le Cercle du Détroit", lequel fut initialement
marqué par des influences phénico-puniques perceptibles, et à travers la culture
matérielle et dans l'utilisation de la langue punique. Au sein des spécificités locales,
l'élément le plus frappant était l'usage de l'écriture libyque alors en vogue aussi bien
dans les campagnes que dans les villes. A l'époque romaine, les deux langues punique
et libyque vont céder la place au latin, contrairement à ce qui se passera dans d'autres
régions d'Afrique du Nord où la culture punique était plus enracinée. Quant aux
aspects cultuels, les documents à notre disposition reflètent une pluralité d'influences
étrangères bien plus qu'un substrat strictement local. De ce fait, les données
spécifiques, à cet égard, impliquent que l'on s'oriente vers des aires situées en dehors
de l'influence méditerranéenne.
Ainsi, l'impact des apports étrangers décelables aussi bien dans la culture
matérielle que dans les autres domaines, politique et religieux, trouve son sens dans
l'ouverture délibérée des populations maures autochtones sur les civilisations
méditerranéennes. De même qu'il s'explique par un brassage ethnique qui avait dû
débuter déjà avec l'installation des Phéniciens sur les côtes marocaines.
La période maurétanienne (VIII' s. av.J.-C.- 40 ap. J.-C.)
Lépoque maurétanienne succède à une période obscure correspondant
globalement à la période allant de 1200 à 800 av.
J.-C Alors que dans la Péninsule
ibérique, l'archéologie permet de décrire les différents aspects des sociétés de l'Age du
Bronze final, en Maurétanie, l'on est confronté à un vide demeuré longtemps dissimulé
derrière l'usage abusif, sinon même
Chapitre Ill- Le Maroc et la Méditerranée
avant l'Islam
anachronique, du qualificatif "protohistorique'". De fait, par cette dernière appellation,
on désigne les monuments funéraires datant, en réalité, des époques maurétanienne,
romaine et post-romaine. Or, extraits de leur contexte culturel et chronologique global,
tous ces monuments ont été curieusement traités comme des manifestations de
l'homme préhistorique. En effet, dans des études générales consacrées à l'ensemble des
populations libyques d'Afrique du Nord, on a tendance à combler, à cette fin sans
aucun
doute, une telle lacune, à traiter ces populations comme un bloc homogène; les lacunes
documentaires relatives à la partie occidentale sont compensées par le recours aux
sources égyptiennes qui se rapportent exclusivement, quant à elles, aux Libyens
orientaux dont le territoire confinait aux frontières de l'Egypte pharaonique. Si bien
qu'on se demande si cette carence correspond à une réalité historique ou si elle est liée
simplement à quelque défaillance au niveau de l'approche afférente à la recherche
archéologique. Or, en dépit de la possibilité d'aboutir, du point de vue de la méthode, à
des pistes d'investigation pertinentes, une telle problématique, soulignons-le, n'a jamais
encore été posée comme telle.
Quoi qu'il en soit, dans l'attente de nouvelles donnes, on estime que cette période
"obscure" se termine avec l'arrivée des Phéniciens qui va marquer, tout comme la
colonisation grecque, l'histoire de la Méditerranée. Lexpansion phénicienne est
effectivement attestée sur les côtes de l'Afrique du Nord - de l'actuelle Libye au Maroc,
en passant par la Tunisie et l'Algérie -, de même qu'à Malte, en Sicile occidentale, dans
le sud de la Sardaigne, aux îles Baléares et sur les côtes méridionales et sud-ouest de la
Péninsule ibérique. Bien que différemment appréciée par les historiens, la présence
phénicienne constitue, en gros, un événement historique considérable dont les
implications et les conséquences sur les sociétés autochtones, analysées surtout en
Espagne et en Sardaigne, furent profondes. Des influences enregistrées dans des
domaines aussi variés que l'art, l'architecture, les techniques métallurgiques, les
représentations religieuses et l'arboriculture ont poussé archéologues et historiens à
parler d'une période "orientalisante" par rapport aux sociétés autochtones. L'un des
aspects les plus importants liés aux Phéniciens est l'introduction de l'alphabet qui
donna naissance à des systèmes scripturaires locaux. Les Grecs
joueront à cet égard
le même rôle en Italie
et au sud
de la Gaule.
Inaugurant une nouvelle ère, aussi bien pour le Maroc que pour l'ensemble de la
Méditerranée occidentale, l'arrivée des Phéniciens est placée par les textes à la fin du
XII' s. av. J.-c. Or, cette datation est contestée par l'archéologie qui indique plutôt un
contexte plus récent, à
Histoire du Maroc: réactualisation et synthèse
savoir les IX' et VIlle s. av. J.-C C'est pourquoi l'on préfère adopter dorénavant cette
date comme limite haute pour le commencement de la période maurétanienne, la limite
basse correspondant, quant à elle, à l'an 40 de l'ère chrétienne, soit à la date marquant
la fin du royaume maure et les débuts de la romanisation.
A propos de cette période appelée "maurétanienne" se posent, soulignons-le, des
problèmes de périodisation et de terminologie. Pour avoir été tardivement explorée par
la recherche archéologique, cette période, faute de précision, était souvent qualifiée de
"pré-romaine" et parfois de "punique", ce qui implique, pour ce dernier cas, une
connotation culturelle se référant à Carthage. Et pour définir les souspériodes, on eut
recours à plusieurs référents de diverses significations chronologiques, culturelles et
ethno-politiques tels les qualificatifs phénicien, carthaginois, punique, punicornaurétanien, maurétanien, libyco-berbère ou paléo-berbère, Utilisés fréquemment sans
être définis au préalable, ces termes ont contribué à former une image incohérente,
confuse et fragmentée du passé maurétanien. Aussi est-il étonnant de constater, par
exemple, que des villes comme Zilil, Tamuda ou Volubilis sont qualifiées tantôt de
"maurétaniennes", tantôt de "punicomaurétaniennes" tandis que les monuments
funéraires qui leur sont organiquement liés sont appelés protohistoriques, libycoberbères ou paléo-berbères. On peut également trouver une même réalité
archéologique et historique qualifiée de "maurétanienne" par les uns et de "punicornaurétanienne" par les autres. Il arrive, enfin, que l'on désigne deux périodes qui se
succèdent par des termes dont les références chronologiques sont incompatibles avec la
réalité historique décrite. C'est le cas des deux périodes carthaginoise/punique et
maurétanienne : la première indique une tranche de temps allant de la fin du VIe s. à
146 av. J.-C, tandis que la seconde - qui se réfère à la dynastie maurecommence déjà
au Ille s. av.
J
.-C Outre des préoccupations idéologiques implicites ou même
explicites, cette "anarchie terminologique" reflète l'embarras des archéologues et la
gêne des historiens à s'entendre sur des critères pertinents pour désigner la réalité à
laquelle ils se trouvent confrontés en analysant les textes et/ou en interprétant les
données archéologiques.
Pourtant, à se fonder sur les textes anciens, on a affaire à deux termes distincts:
celui de "libyque" désignant la période allant du VIII< au III' s. av.
J.-C
et celui de
"maurétanien" appliqué aux trois derniers siècles av. J .-C concernés par le règne de la
dynastie maure. Cependant, étant donné que les Maures étaient eux-mêmes un peuple
libyen, il serait opportun, pour plus de cohérence, de substituer au terme "libyque"
celui de "prédynastique" et de qualifier toute la période maurétanienne de "libyque".
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
populations anciennes, ce dernier vocable risque fort de signifier l'existence d'une
période aux caractères communs et homogènes, valables pour l'ensemble de ce
territoire. Or, nombre d'indices archéologiques et de références textuelles indiquent la
juxtaposition, de l'est à l'ouest, de zones culturelles différentes, la partie occidentale
de ta Libye constituant,
depuis les périodes préhistoriques, une unité géoculturelle spécihque. De ce fait, le
terme le plus approprié pour la définir serait celui de cc mauretamen~." .
Il est vrai que ce terme apparaît tardivement dans les sources, mais il est le seul à
désigner, pendant longtemps, à la fois la terre marocaine et ses habitants. De plus, la
date de formation du peuple maure est tributaire des sources étrangères, c'est-à-dire
gréco-romaines et rien ne prouve, d'une manière tout à fait sûre, que ce qualificatif
n'ait point été utilisé auparavant. En outre, le terme de "rnaurétanien" commence à
s'imposer dans la littérature archéologique proprement marocaine et présente
l'avantage de distinguer aussi bien géographiquement que culturellement et
ethniquement le Maroc par rapport aux autres parties de l'Afrique du Nord qui ont, de
leur côté, leurs caractères particuliers et leur propre évolution historique. Que les
termes de "Maure" et de "Maurétanie" aient été utilisés pour désigner en même temps
la partie occidentale de l'Algérie actuelle s'explique aisément du fait de l'annexion de
cette zone au royaume maure par Bocchus l'Ancien probablement entre 105 et 81 av.
J.-C
Quant aux subdivisions internes de la période maurétanienne proposées ici, elles
ne sont pas définitives et reflètent plutôt l'état actuel de la recherche archéologique et
historique. Aux qualificatifs "phénicien", "carthaginois" ou "punique", qui risquent de
signifier une domination ethno-politique non attestée, il convient de substituer celui de
"maurétanien" qui se réfère, simplement, aux hommes comme à la terre.
Incontestables, les influences culturelles étrangères ne sont pas pour autant de nature à
altérer totalement l'identité locale. Si bien que pour cette période, on peut proposer le
découpage suivant :
Le maurétanien 1 : s'échelonnant du VIlle au milieu du VI' s. av. J.-C, il se
caractérise par le contact entre les populations autochtones et les
Phéniciens.
Le maurétanien II : il s'échelonne du milieu du VIe à la fin du IVe s. av.
J .-C et
correspond à une phase qui a vu naître des agglomérations ouvertes sur les cultures
méditerranéennes.
Le maurétanien III :il couvre la période allant du Ille s. à 33 av. J.-C où l'on
assiste à la naissance et à l'évolution du royaume de Maurétanie.
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
Maurétanien 1 :présence phénicienne
(VIII' s=milieu VI' s. av.j.-c.)
Présencephénicienne
et sociétés locales
et témoignages littéraires
Fait majeur pour l'histoire de cette zone, l'expansion phénicienne en
Méditerranée occidentale n'aura que trop intéressé les écrivains gréco-latins.
Parmi les textes évoquant la présence phénicienne au Maroc, le plus important
est le Périple du Pseudo-Scylax qui, rédigé au IV' s. av. J.-c., recèle des
informations se rapportant à une situation plus ancienne remontant, à tout le
moins, au VIe s. av. J.-c. Néanmoins, dans le cas du Maroc, on y constate
l'absence de toute référence aux Carthaginois alors que Carthage, au moment de
la rédaction du texte, était déjà un Etat constitué et bien connu. Le Périple, qui
décrit les éléments remarquables du littoral et ses aspects estimés utiles pour la
navigation, ne mentionne explicitement les Phéniciens que sur la côte
atlantique. Il indique deux villes, Lixus située sur le fleuve homonyme (près de
l'actuelle ville de
Larache) et Thymiateria (dont le nom signifie brûle-parfums) sur le fleuve
Crabis que l'on identifie avec l'actuel Sebou. S'y ajoute l'île de Kerné, localisée
loin au sud, au voisinage des côtes habitées par les "Ethiopiens", on y revient,
et que les Phéniciens fréquentaient pour des besoins commerciaux. Cette île,
citée par ailleurs dans le Périple d'Hannon et dont la localisation fut
controversée pendant longtemps, semble correspondre à l'archipel d'Essaouira.
Le long de la côte séparant cet archipel de Oued Sebou, il n'existait, selon le
texte, aucune trace d'habitat, mis à part un autel consacré à Poséidon, dieu de la
mer. Cet autel fut dressé sur le cap Soloeis, probablement par les marins
phéniciens pour s'attirer les faveurs de la divinité ainsi que sa protection contre
les périls de la mer.
Sur la côte atlantique du détroit de Gibraltar comme sur sa côte
méditerranéenne, sont indiquées trois villes qui, bien que le texte ne l'explicite
pas, devaient être liées à l'expansion phénicienne. Il s'agit de Pontion (dans la
région de Tanger) ainsi que d'une ville demeurée anonyme mais située au
voisinage du mont Abila (jbel Moussa) en plus d'Akros qui correspond à la
Malila médiévale, l'actuelle Mélilia. Le nom d'Akros (cap en grec) n'est, en fait,
qu'une traduction du nom phénicien Rhyssadir ( Cap Puissant) qui nous est
connu par les sources tardives et les monnaies frappées par la ville.
En dehors de l'identification de certaines villes citées dans le Périple du
Pseudo-Scylax et des problèmes qui s'y rattachent, leur répartition
géographique globale paraît significative dans la mesure où elle révèle les
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
de Lixus, de plus de trois cents comptoirs de commerce établis par les Tyriens originaires de Tyr, sur l'actuelle côte libanaise. Plutôt exagéré et difficile à admettre,
ce chiffre renvoie à l'ampleur comme à l'immense intensité du commerce phénicien
sur la côte atlantique méridionale et dans lequel la ville de Tyr, en s'appuyant sur sa
colonie principale de Lixus, jouait un rôle prépondérant.
Pour l'entreprise des Phéniciens, l'importance de cette ville transparaît dans la
récurrence de son nom dans les textes mais aussi dans les légendes qui lui restent
associées. C'est dans le voisinage de Lixus qu'on avait placé le jardin des Hespérides
gardé par un dragon monstrueux et où Héraclès aurait dérobé les pommes d'or. Plaçant
implicitement Lixus aux confins du monde habité, cette légende grecque aurait été
inspirée, suivant certains chercheurs, par des mythes associés aux Phéniciens et datant
de leur présence en Extrême-Occident. L'arbre de vie et le serpent ou le dragon sont
des éléments qui faisaient bien partie, on le sait, de l'imaginaire religieux oriental.
C'est encore la ville de Lixus que l'on évoquait à propos de la chronologie
afférente à l'implantation des Phéniciens au Maroc. Pline l'Ancien signale en effet une
île dans l'estuaire du fleuve Lixus où se dressait un autel ou un temple d'Hercule
(Milqart phénicien) qui était plus ancien que celui de Gadès (Cadix). Située en
Andalousie sur la côte atlantique, cette dernière ville aurait été fondée en 1110 av.
J.-
C Datant de la fin du XII< s. av. J.C, Lixus et Gadès sont considérées par les textes,
de même qu'Utique en Tunisie, comme les plus anciennes installations phéniciennes
en Méditerranée occidentale. Fort éloignée, cette date, avec le développement de la
recherche archéologique, est aujourd'hui sujette à controverse. Aussi bien, si les
rapports entre Orient et Occident sont bien attestés par la découverte d'objets au
demeurant fort disparates, il n'en demeure pas moins, semble-t-il, que la véritable
expansion phénicienne en Méditerranée occidentale n'a dû apparaître, au plus tôt, qu'au
IX· s. av. J.-C
L'archéologie des installations phéniciennes
La présence phénicienne est attestée sur les deux côtes méditerranéenne et
atlantique. Sur la côte méditerranéenne, les sites connus sont Rhyssadir, Sidi Driss (à
l'est d'Al Hoceima), et Kach Kouch (dans la vallée de Oued Laou). Quelques éléments
archéologiques indiquent que la vallée de Oued Martil avait connu sinon une
installation phénicienne, du moins un contact commercial avec les Phéniciens. Au
niveau de la côte du Détroit, les dernières recherches ont pu révéler des traces
archéologiques à Sabta (Ceuta). Dans la région de Tanger qui constituait un passage
obligé pour tous les navigateurs vers la Mer Extérieure ou Océan Atlantique, les
Chapitre ID - Le Maroc et la Méditerranée
avant l'Islam
quelques rares indications textuelles apportent toutefois un éclairage édifiant dans ce
sens. A côté des installations qui devaient servir d'échelles ou de relais pour la
navigation qui se faisait par cabotage, il y avait des implantations qui offraient des
avantages économiques. C'est le cas de l'île de Mogador située à plus de 700 km du
Détroit et considérée ainsi comme le point le plus lointain qui ait été atteint par les
Phéniciens. L'ivoire, le thuya, les peaux d'animaux et le murex n'étaient pas les seules
ressources de ladite île qui aient pu attirer les Phéniciens, puisque l'endroit se situe à
proximité de l'Anti-Atlas alors caractérisé par ses richesses minières. Ceci dit, l'état
actuel de la recherche ne permet pas d'évaluer le rôle effectif qu'a dû jouer cette zone
dans le commerce atlantique des Phéniciens. La quête des métaux est cependant
attestée dans l'île par la découverte de traces (scories, fours et tuyères) liées à la
métallurgie du fer. Les mines exploitées se trouvaient au Jbel Lahdid, à une dizaine de
kilomètres au nord d'Essaouira. L'exploitation du fer, dont les techniques étaient
introduites en Extrême-Occident par les mêmes Phéniciens, explique également
l'origine phénicienne de Rhyssadir et de Sidi Driss situées en face d'un arrière-pays où
le minerai en question ne faisait point défaut.
Quant au territoire de Sala, il devait constituer une source importante pour
l'ivoire, matière de luxe qui était indispensable à l'artisanat phénicien. Maintes
découvertes attestent en effet que cette matière était exportée à partir du Maroc vers les
centres phéniciens et indigènes de la Péninsule ibérique. Son existence dans la région
de Sala se trouve d'autre part confirmée par les objets livrés par la nécropole
néolithique de Skhirat (embouchure de Oued Cherrat) et par la mention, dans l'Histoire
Naturelle de Pline, de troupeaux d'éléphants qui existaient encore au I" s. ap. J .-
c.
Les textes anciens ont souvent mis l'accent sur les richesses forestières et
animalières qui devaient être exploitées tout au long de l'histoire antique du Maroc.
Mais pour ce qui intéresse particulièrement les Phéniciens, l'Ancien Testament nous
indique que les vaisseaux de Hirom, un roi de Tyr, rapportaient des singes de Tarshish,
région généralement identifiée avec Tartessos, au sud-ouest de la Péninsule ibérique.
Ces vaisseaux devaient très probablement s'approvisionner en Libye occidentale, plus
précisément dans la côte du Détroit où l'existence des singes est signalée dans les
sources anciennes et médiévales (en particulier par Bekri/al-Bakri). D'autre part,
l'on sait indirectement, à travers les sites de l'Espagne, que les Phéniciens du Maroc
ont tiré profit du commerce de la coquille d' œuf d'autruche à
laquelle on attribuait une valeur symbolique et que l'on retrouve, de ce fait, dans des
nécropoles. Des témoignages archéologiques retrouvés à Ras Kebdana, à l'est de
Rhyssadir, indiquent que la région orientale du Maroc était l'un des endroits
fournisseurs de cette matière.
Histoire du Maroc: réactualisation et synthèse
établissements tels que Lixus. Mais l'indigence des preuves archéologiques ne permet
pas d'aller loin dans cette analyse.
Faute également de données archéologiques exhaustives, les caractéristiques
urbanistiques et architecturales des installations phéniciennes nous sont peu connues.
Sur le plan topographique, les habitats ou les comptoirs étaient souvent implantés non
pas sur des terrains plats mais sur des collines surplombant une baie ou un fleuve. Les
sites les plus fouillés montrent que la surface d'une installation peut varier de moins
d'un hectare à une dizaine d'hectares dans le cas de Lixus, ce qui serait l'indice d'une
certaine hiérarchisation. Les vestiges architecturaux sont rarement conservés, même à
Lixus où les traces découvertes jusqu'à présent n'autorisent guère de conclusions sur la
nature exacte de la colonie phénicienne.
Par ailleurs, les éléments livrés par les sites phéniciens correspondent
généralement à des vases céramiques qui se caractérisent par leur décor géométrique
peint, leur vernis rouge et l'usage du tour qui n'était pas connu en Occident avant
l'arrivée des Phéniciens. Les caractéristiques techniques, morphologiques et
décoratives des différents vases, qu'il s'agisse de la
vaisselle de table ou des récipients destinés à la conservation ou au transport des
denrées, permettent de rattacher culturellement les fondations phéniciennes du Maroc à
une aire culturelle englobant les côtes occidentales de l'Algérie et les côtes sud et sudouest de la Péninsule ibérique. Cette aire extrême-occidentale se distingue nettement
de celle de la Méditerranée centrale dont le centre était Carthage et qui possédait une
culture matérielle différente. A Mogador en particulier, le répertoire archéologique
comporte des éléments d'origines variées: des amphores à huile provenant de l'Attique
en Grèce, des amphores des îles ioniennes et des vases chypriotes. Le site a également
livré une centaine d'inscriptions phéniciennes qui comptent parmi les plus anciens
témoignages écrits en Extrême-Occident et constituent le plus important lot découvert
jusqu'à présent. Datant des VIle
et VIe s. av.
J
-C, ces inscriptions
gravées sur des vases céramiques
comportent des anthroponymes d'origine
phénicienne et sont considérées comme
des marques de propriété liées aux
marchands
qui
fréquentaient
l'île.
Quelques
anthroponymes
d'origine
non
phénicienne indiquent la présence de
marchands dont l'identité
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
signalé dans les sources, à Lixus dont les premières traces remontent au début
du VIlle s. av. J.-c. Cette installation fut destinée, avec GadiriGadès, sa
jumelle en Espagne, à contrôler la route atlantique de navigation et de
commerce. Cet itinéraire maritime permettait d'accéder aux territoires sud où
l'île de Mogador occupée à partir du VIle s. constituait un important point de
relais. Parmi les autres sites phéniciens, les mieux datés sont récents et ne
remonteraient pas au-delà de la fin du VIle s. av. J.-c. A la lumière de la
chronologie des installations et des données textuelles se rapportant aux
comptoirs tyriens, apparaît clairement l'importance du rôle qu'avait joué le
commerce atlantique dans l'expansion phénicienne au Maroc. Il revient à
l'archéologie d'apporter plus de données pour pouvoir mieux apprécier la
signification, le contenu et les implications de ce commerce.
Les sociétés locales entre sources littéraires et archéologie
Comme nous l'avons vu à partir des informations textuelles et
archéologiques, les Phéniciens, liés à la mer et animés par la recherche des
matières premières, s'étaient installés exclusivement sur les côtes et
n'affichaient aucune volonté d'instaurer une quelconque colonisation territoriale
à l'intérieur du pays. Même les parcelles de terrain destinées à leur habitat
auraient été acquises, à en croire le mythe de fondation de Carthage (en
Tunisie), par voie de négociation avec les autochtones.
Lexernple des installations phéniciennes en Péninsule ibérique ou en Sardaigne
nous montre, d'autre part, que les Phéniciens choisissaient de s'installer dans le
voisinage des territoires où vivaient des sociétés autochtones organisées et
capables d'engager des échanges commerciaux.
Dans le cadre du Maroc, le Périple du Pseudo-Scylax nous renvoie une
image qui s'accorde parfaitement avec ce mode d'installation. D'après ce texte,
la plus ancienne colonie de Lixus se trouvait près d'une ville peuplée de
Libyens autochtones et dotée d'un port. Cependant, aucune autre information
ne nous est fournie à cet égard. La description la plus détaillée et la plus riche
est réservée aux Ethiopiens "sacrés" vivant sur les bords du fleuve de Xion,
non loin de l'île de Kerné, au sud, à douze jours de navigation par rapport aux
colonnes d'Hercule. La recherche actuelle propose d'identifier Xion - qui est le
Quosenum de Pline l'Ancien et le Cousa de Ptolémée - à Oued Tensift, à
l'embouchure duquel, à l'époque du Moyen Age, se trouvait la ville de Kouz (
Agouz ).
D'après les identifications les plus plausibles, l'île de Kerné, on l'a vu,
correspondrait à l'archipel d'Essaouira où l'occupation phénicienne est un fait
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
combat. Au sein de cette communauté de guerriers, le pouvoir politique était géré par
un roi. Leur artisanat local reposait sur une matière de luxe, à savoir l'ivoire qui servait
à fabriquer des coupes, des colliers pour les femmes et des ornements pour les
chevaux. L'identité ethnique de ces Ethiopiens est évoquée par certains détails
physionomiques : ils sont grands, beaux, dotés d'une belle chevelure, portant la barbe
et se servant de tatouages en guise de parement.
C'est avec cette population aux activités développées et aux ressources
diversifiées que les Phéniciens de Kerné avaient noué des contacts et des rapports
commerciaux. Les marchandises phéniciennes (1'onguent, les céramiques) étaient
échangées contre des peaux d'animaux aussi bien sylvestres (lions, cerfs, léopards,
éléphants) que domestiques, des défenses d'éléphants et même du vin qui devait avoir,
apparemment, des qualités différentes de celles du vin fabriqué par les Phéniciens.
Aussi réaliste que positive, une telle description contraste nettement avec ce que
rapportent les autres textes, tel celui d'Hérodote (V' s. av.
J.-c.) ou celui du Périple
d'Hannon sur les peuples de la Libye occidentale que l'on présente tantôt comme des
populations errantes, tantôt comme des gens inhospitaliers ou encore comme des
montagnards n'ayant que peu de choses en commun avec les hommes. La description
du Pseudo-Scylax nous permet de mieux comprendre la présence des Phéniciens et
leur besoin de partenaires locaux pour assurer la prospérité de leur entreprise
commerciale. Cependant, la recherche archéologique n'a pu révéler jusqu'à présent
aucune trace matérielle des sociétés contemporaines de l'expansion phénicienne au
Maroc, y compris, notamment, celle desdits Ethiopiens. Les seuls vestiges que l'on
pourrait rattacher hypothétiquement à ces derniers correspondent à des gravures
rupestres découvertes dans le haut Tensift, tout près de Marrakech. Ces représentations
artistiques, plus liées à la plaine qu'à la montagne, mettent en scène des cavaliers
munis de boucliers ronds associés à une faune comprenant félidés, autruches, outardes,
addax et mouflons. De cette atmosphère se dégage l'image d'une communauté de
guerriers-chasseurs, lesquels nous rappellent les cavaliers éthiopiens du PseudoScylax.
En dehors de ces témoignages artistiques, nous ne connaissons aucune
agglomération à l'intérieur des terres qu'on puisse attribuer aux habitants
autochtones pour la période qui nous concerne, ce qui limite toute recherche sur la
nature de la culture matérielle locale, sur les interactions et contacts culturels entre les
Phéniciens et ces mêmes autochtones, ou encore sur les implications en général de la
présence phénicienne. Ces lacunes documentaires ne concernent pas seulement
l'époque phénicienne mais intéressent également la période qui s'échelonne entre le
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
armes en bronze et reflétant des liens avec l'Europe, tombes retrouvées dans la région
de Tanger liées à des populations sédentaires, monuments en pierre révélant des
préoccupations religieuses.
Maurétanien II: communautés urbaines et ouverture à la culture
méditerranéenne (milieu VIe -fin IV<s. av.J-c.)
Contexte général
Dans la deuxième moitié du VIe s. av. ].-c., des changements importants vont
se produire en Méditerranée occidentale. On assiste, en effet, à l'effondrement de la
"thalassocratie" phénicienne résultant de la prise, par les Babyloniens en 572 av. ].-c.,
de Tyr, métropole phénicienne qui avait joué un rôle prépondérant dans le contrôle du
commerce entre l'Orient et l'Occident. Devenu puissant, l'Etat de Carthage put alors
étendre son hégémonie sur les établissements phéniciens de Sicile comme de
Sardaigne et se proclama comme héritier légitime de Tyr concernant les établissements
de l'Extrême-Occident. Traduit concrètement par le traité conclu entre Rome et
Carthage en 509 av. ].-c. qui interdisait à la première toute navigation à l'ouest vers les
colonnes d'Hercule, un tel contexte général aura encadré le Périple d'Hannon entrepris
au début du
v·
s. av.
J.-c.
et dont le récit nous est connu dans sa version grecque,
laquelle est consignée dans le manuscrit d'Heidelberg daté du IXe s. ap. ].- c. Quant
au texte original rédigé en punique, il était affiché, à en croire ce manuscrit, dans le
temple de Baal Hammon à Carthage. Selon le récit parvenu, Hannon, un des rois
Carthaginois, serait parti des colonnes d'Hercule avec soixante pentécontores
(vaisseaux à cinquante rames), avec à bord trente mille hommes et femmes et aurait
navigué loin au-delà de l'île de Kerné. Cette expédition grandiose aurait eu pour but,
outre la reconnaissance des côtes de la Mer Extérieure, la fondation de villes de Libyphéniciens, c'est-à-dire de colonies carthaginoises en Libye occidentale, afin d'accéder
aux ressources fabuleuses monopolisées auparavant par les Tyriens. Les villes
coloniales ainsi créées se trouvaient sur les côtes en deçà du fleuve Lixus et
correspondaient à Thymiaterion, Karikon Teikos, Guttè, Akra, Melitta et Arambys ;
mais l'emplacement de ces nouvelles créations reste à identifier.
Les données archéologiques nous révèlent, quant à elles, que le Maroc avait
connu, à partir de la deuxième moitié du VIe s. av. J.-c., un processus
2 Si le Périple d'Hannon, en tant que voyage sur les côtes du Maroc, est attesté par les sources anciennes, sa version grecque
parvenue jusqu'à nous demeure cependant un document entouré de mystères, ponctué d'obscurités et partant, fort
controversé. Partagées entre le doute et l'adhésion, les nombreuses études qui lui ont été consacrées ont souvent contribué
moins à l'élucider qu'à l'obscurcir. Ce qui paraît admissible dans ce document, ce sont les intentions colonisatrices de
Carthage qui, jusqu'à ce jour, ne trouvent pourtant aucune confirmation archéologique bien établie au Maroc. Pour
89
90
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
côte, et les plus éloignés·parmi eux étaient situés à une distance ne dépassant pas une
cinquantaine de kilomètres. Pour les plaines atlantiques au sud de Sala et les montagnes,
nous ne disposons, pour le moment, d'aucun indice sur les modes de vie qui y auraient
existé. Des enquêtes ponctuelles réalisées à l'intérieur du Rif, à une soixantaine de
kilomètres du littoral, n'ont pu révéler de traces d'habitat alors que l'existence de
monuments funéraires . datant, pour certains, de l'époque qui nous concerne, témoigne
du phénomène de peuplement de la zone.
Dans le nord-ouest du Maroc où la sédentarisation liée à l'urbanisation apparaît
comme un phénomène généré à partir des anciens établissements phéniciens,
l'agriculture se serait développée surtout avec l'usage de nouveaux outils en fer. Ce
métal devait alors connaître une large diffusion. Cependant, nous ne pouvons nous
prononcer sur la nature des céréales cultivées et la place réservée à l'arboriculture.
Quant à l'élevage, les ossements livrés par plusieurs sites indiquent l'existence des
ovins, des caprins, des bovins et des porcins. Des animaux de chasse comme le
sanglier et le cerf devaient compléter l'alimentation des habitants. Dans les centres
côtiers, particulièrement à Lixus et à Kouass, on assiste à l'apparition de la
transformation de produits liée à l'exploitation des ressources piscicoles. Les produits
de cette industrie ont été destinés non seulement au marché local mais aussi à
l'exportation. Des amphores conçues à cet effet ont été retrouvées jusqu'en Grèce, en
Méditerranée orientale.
Pour répondre à des besoins industriels quotidiens, et grâce à l'introduction du
tour, la production céramique connut un développement remarquable. Des complexes
apparaissent ainsi à Kouass, à Banasa, à Thamusida et probablement aussi à Lixus. En
plus des récipients destinés à transporter les produits piscicoles et fabriqués plus
particulièrement dans les centres côtiers, on
produisait des vases à fonctions
diverses dont
une partie
portait des
décors peints.
Il
est
à
souligner
que
ces productions
céramiques
dénotent des influences
phéniciennes
et
des
rapports
avec les centres puniques
de
la
Péninsule
ibérique.
16. Vase de Kouass
Pendant cette période s'établissent des échanges commerciaux importants avec la
Méditerranée. Le Maroc reçoit alors de la vaisselle attique à vernis noir attestée à
91
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
de ce dernier site, a livré des éléments en bronze exceptionnels importés de Chypre,
ainsi que des vases en pâte de verre polychrome et des bijoux importés de la
Méditerranée orientale ou centrale. Dans ce commerce avec l'extérieur, le port de
Lixus paraît avoir joué un rôle prépondérant.
Nécropoles et ritesfunéraires
L'émergence
des
communautés
urbaines s'accompagna
de
l'apparition d'espaces funéraires ou de nécropoles situées souvent à côté des habitats et
regroupant plusieurs tombes dont la forme générale varie peu. Ces tombes sont alors
des fosses rectangulaires entaillées dans le substrat rocheux comme dans le cas du
plateau de Marshan (Tanger) ou simplement dans la terre sur les flancs des collines.
Indépendamment de la topographie du terrain, les tombes sont souvent orientées selon
un axe est-ouest qui correspond à celui du parcours du soleil. Cette orientation
délibérée s'expliquerait par des croyances religieuses et eschatologiques liées à l'astre
solaire qui était objet de culte depuis bien longtemps, à l'Age du Bronze. Pour la
protection des dépouilles, on faisait appel à des dalles en pierre utilisées pour les
parois et la couverture. Certaines tombes présentent parfois des parements construits
avec des moellons liés à la terre et, dans des cas particuliers, avec des blocs assemblés
et soigneusement taillés. Le soin apporté à la tombe peut être un indice d'une
hiérarchisation sociale: ainsi si certaines tombes n'ont dû demander qu'une demijournée de travail, d'autres auront vraisemblablement nécessité, en revanche, une
dizaine de journées (extraction, taille, transport et assemblage des blocs).
Les cadavres étaient enterrés en position latérale semi-fléchie ou parfois en
position embryonnaire, les mains étant souvent ramenées près de la tête. L'exposition
du corps à l'air libre pour faciliter la décomposition de la chair avant l'enterrement était
probablement d'usage. Le rite de la crémation incomplète est également attesté.
L'incinération complète du cadavre quant à elle était rare : elle n'est attestée que deux
fois dans la nécropole de Raqqada. Il arrive d'autre part, qu'on rencontre des
cénotaphes (tombes vides) consacrés à des personnages ayant disparu ou péri loin du
lieu d'habitation. En souvenir de la personne disparue, on mettait dans sa tombe un
élément de parure, comme cet anneau en argent portant des signes hiéroglyphiques
découvert dans la nécropole de Azib Slaoui (région de Ksar Kébir), En raison des
superstitions liées aux morts, les tombes étaient souvent remplies avec une terre bien
battue avant la mise en place de la dalle ou des dalles de couverture.
Les tombes ne comportaient aucun marqueur extérieur. Dans la nécropole de
Raqqada, on a pu cependant observer un rite unique
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
92
avec un liquide, en l'occurrence de l'eau destinée probablement à désaltérer le mort.
Le mobilier funéraire qu'on déposait auprès des morts dépendait du statut
socioéconomique de ces derniers et aussi des ressources économiques de chaque ville
ou habitat. Il constitue ainsi un indice important de la hiérarchisation sociale au sein
d'une même nécropole et un élément utile pour apprécier la situation commerciale et
culturelle des différentes villes. En effet, si, dans les nécropoles de la région de Tanger
- telles que Djebila et Aïn Daliya Kebira -, les tombes sont généralement homogènes et
le mobilier ne reflète pas une ouverture commerciale importante, dans la nécropole de
Raqqada qui était utilisée probablement par les habitants de la ville de Lixus, il se
dégage, en revanche, un groupe de tombes caractérisées par un mobilier très riche et
parfois à caractère unique en Méditerranée occidentale. Parmi les pièces du mobilier
les plus importantes, figurent des vases en argent, des vases en bronze importés de
Chypre ou de Grèce, des vases à parfum en pâte de verre à décor polychrome
fabriqués dans l'île de Rhodes et dans d'autres localités de la Méditerranée orientale.
Les éléments de parure, en or, en argent ou en bronze, relèvent dans leur majorité du
répertoire phénico-punique en vogue à l'époque. S'y distinguent des sceaux ou des
anneaux à chaton en forme de scarabée. En tant qu'image empruntée à l'iconographie
religieuse égyptienne, le scarabée symbolisait la vie et la
renaissance. Outre leur valeur religieuse et
culturelle, ces différents éléments indiquent,
d'une part, l'existence d'une
élite
sociale dans
qui aurait
bénéficié
commerce
avec
la ville de
largement
du
Lixus
l'extérieur,
et
d'autre
part, l'importance et la vitalité du port 17. Collier de Reqqada, près de Lixus de Lixus à
cette époque.
Maurétanien III: parcours du royaume maure (III<s. av.].-c.
Origines et évolution
a 33 av.].-c.)
du royaume maure
Les origines et le processus de formation du royaume maure demeurent inconnus
en raison du silence des textes gréco-latins, seules sources d'information, qui ne se sont
intéressés aux aspects politiques de la Maurétanie que sporadiquement et tardivement
à partir des guerres puniques opposant Rome à Carthage. Avant cette date, les récits
qui nous sont parvenus, essentiellement des périples, rapportent des informations sur la
géographie côtière mais ignorent presque tout de l'intérieur des terres; ils ne présentent
ainsi qu'un intérêt minime pour l'étude des sociétés locales.
93
Histoire du Maroc; réactualisation et synthèse
frontières égyptiennes. Les informations sur les habitants du pays, les Libyens, sont
très sommaires et imprécises. Dans le texte d'Hérodote (V e s. av. ].-c.), deux
populations sont mentionnées: l'une anonyme, proche des côtes atlantiques, pratiquant
encore le commerce à la muette avec les Carthaginois (voir annexe 1), et l'autre,
habitant l'Atlas, correspond aux Atlantes qui « ne mangent pas d'êtres animés et qui
n'ont pas de songes
})3.
Le Périple d'Hannon parle des Lixites, nomades vivant sur les bords du fleuve
Lixus que certains chercheurs localisent au sud du Maroc, des Ethiopiens inhospitaliers
habitant un « pays infesté de bêtes sauvages, isolé par des grandes montagnes et enfin
des Troglodytes (habitants des cavernes) qui « sont plus rapides à la course que le
cheval
})4
})5.
Le Périple du Pseudo-Scylax est le seul à reconnaître une organisation
sociopolitique aux habitants de la Libye, en l'occurrence les Ethiopiens, qui devaient
avoir, on l'a vu, un roi. Il s'agit là de la plus ancienne mention d'un pouvoir royal
caractérisant l'organisation politique d'un peuple localisé, comme d'ailleurs les autres
populations, les Atlantes ou les Troglodytes, dans le sud du Maroc.
Quant au Maroc septentrional où l'archéologie atteste un développement
urbanistique important, les informations concernant les populations locales pour la
même période se réduisent à des récits légendaires. On rapporte ainsi que le roi de
Libye (Maurétanie) était Antée et que c'est lui qui aurait fondé la ville de Tingi. Selon
une autre légende attribuée aux habitants mêmes de la ville, après la mort d'Antée dans
son combat avec Héraclès, celui-ci se serait uni à Tingé, la femme d'Antée. Leur fils
Sophax, devenu roi du pays, aurait donné le nom de sa mère à la ville de Tingi. Ce
mythe de fondation fait référence à un contexte lié à l'expansion phénicienne au Maroc
et l'on ne sait pas si le roi Sophax, dont le nom rappelle celui du roi masaesyle Syfax,
avait été un personnage historique oublié par les sources littéraires et s'il avait un
certain rapport avec la dynastie maure.
Le nom de Maurétanie qui dérive de celui des habitants du pays, les Maures,
n'apparaît que dans les sources tardives. En tant qu'unité géographique et politique, la
Maurétanie est délimitée à l'ouest par la Mer Extérieure (Océan Atlantique), au nord
par la Mer Intérieure ( mer Méditerranée) et à l'est par le fleuve Mulucha (l'actuelle
Moulouya). La limite méridionale, qui n'a jamais été définie avec clarté, est liée à
l'évolurion des connaissances géographiques chez les écrivains gréco-latins. On
s'accorde généralement à considérer l'Atlas, bien que sa localisation pose problème, à
son tour, comme limite méridionale.
3 Hérodote,
94
Histoire, IV, CLXXXIY.
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
Les Maures, àqui l'on attribue la fondation du royaume maure, sont
désignés chez les Grecs par le nom de Maurensii (Maurusiens). La littérature
latine a plutôt adopté l'appellation Mauri (Maures) qui semble être d'origine
locale. Ils occupaient la partie septentrionale du Maroc actuel,
vers la côte méditerranéenne. Ils habitaient, pour reprendre les termes de
Strabon, la chaîne montagneuse qui traverse la Maurétanie à partir du cap
Côtès (cap Spartel). A l'intérieur des terres vers le sud, les autres chaînes
montagneuses parallèles (comprendre ici probablement les chaînes de l'Atlas)
étaient occupées par un autre peuple libyque, les Gétules. Ceux-ci devaient
occuper aussi toute la façade atlantique au-delà de Sala ( l'actuelle Chellah). A
l'extérieur de la Maurétanie, c'est-à-dire au sud et au voisinage du désert, sont
localisés plusieurs peuples qui prennent parfois des noms de rivières comme
les Darathites par exemple, (de Darat) ou les Masathes ( de Masath) ; mais le
plus important de ces peuples et le plus récurrent dans nos sources correspond
aux Ethiopiens occidentaux qui se trouvent rejetés vers le Sud au cours des
trois derniers siècles avant ].-C, peut-être sous la pression des Maures ou des
Gétules.
Les Maures, comme d'ailleurs les autres peuples, sont qualifiés de "gentes",
un mot latin qu'on traduit toujours par "peuples" mais signifiant, entre autres,
"ensemble de personnes ayant une ascendance commune", "peuple", "nation",
"tribu". En l'absence d'informations précises, l'on ne sait si les Maures
constituaient une confédération de "tribus" ou une "tribu" puissante qui s'est
imposée aux autres, ou tout simplement une grande famille citadine qui a pu
acquérir suffisamment de pouvoir pour fonder une dynastie. A en croire Pline
l'Ancien, les Maures constituaient une gens puissante qui a fini par être réduite,
au Ï" s. ap. J.-C, à quelques familles
(familias) après avoir été décimée par les guerres. Au II' s. ap. ].-C, les Maures
désignés du même nom de Maurensii se trouvent, selon Ptolémée, dans la partie
orientale de la Maurétanie.
Si la plupart des sources se sont contentées de souligner l'importance des
Maures et leur localisation géographique, quelques rares auteurs, notamment
Strabon, nous dévoilent quelques traits ethnographiques qui les caractérisent.
Ils sont nomades pour la plupart. Ils tressent leurs cheveux ainsi que leurs
barbes et portent des bijoux et un coutelas. Le guerrier maure se sert du petit
bouclier rond en cuir, du javelot à fer large et court, de tuniques à larges bandes
sans ceinture et d'une cuirasse en peaux d'animaux.
Si certains de ces traits ethnographiques sont attestés par l'iconographie
(monnaies et gravures rupestres), nous ne pouvons dire dans quelle mesure le
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
au-delà d'une ligne fictive reliant Sala et Volubilis ; c'est d'ailleurs le même territoire
qui portera le nom de Maurétanie tingitane à l'époque romaine. A l'extérieur de cet
espace, nous ne disposons généralement que
de monuments funéraires (tumuli) comme trace matérielle; l'habitat nous est
complètement inconnu. Cet espace correspondrait-il au territoire concret où aurait
émergé le royaume maure? Les textes gréco-latins ont, en tout cas, fait écho de la
difficulté des rois maures à soumettre des peuples comme les Gétules considérés
souvent comme des nomades ou des serni-nornades et habitant, comme nous l'avons
vu, au-delà de l'espace urbanisé.
Si la zone géographique correspondant au royaume maure peut être plus ou moins
cernée, la question de la date et des conditions dans lesquelles ce dernier fut formé
restera posée. A l'exception d'un roi anonyme qui aurait régné à la fin du IV' s. av. J.-C
selon Justin, un compilateur tardif, le premier roi maure est Baga. En 204 av. ].-C, il
aurait, selon Tite-Live, mis à la disposition de Massinissa, revenant d'Espagne où il
combattait aux côtés des Carthaginois, 4 000 cavaliers pour l'escorter jusqu'à son
royaume massyle. C'est la seule information dont nous disposons sur ce roi. Il est à
souligner qu'au moment de son règne, trois royaumes se partageaient l'Afrique du Nord
: le royaume maure, le royaume masaesyle au voisinage de ce dernier et le royaume
massyle à l'Est, au voisinage de Carthage. Il semble que les trois royaumes aient, au
départ, soutenu Carthage dans sa guerre ( deuxième guerre punique) contre les
Romains. Pour nous en tenir à la Maurétanie, la découverte de deux trésors monétaires
carthaginois, datés du III' s. av. J.-C, dans deux ports importants, Rhyssadir et Tingi
(Tanger), a été mise en rapport avec le passage de l'armée carthaginoise en Espagne et
l'utilisation des deux ports n'aurait évidemment pas été possible sans l'accord du roi de
Maurétanie. Mais après la défaite de Carthage en Espagne, la carte des alliances en
Afrique du Nord a été fort affectée.
Syfax, roi de Masaesylie, annexe le territoire
massyle et s'allie à Carthage.
Massinissa, pour recouvrer son royaume, se range aux côtés des Romains. Le roi Baga,
conscient du danger que représentaient les Romains implantés désormais en face de
son royaume, en Espagne, se rallie à ces derniers et à Massinissa. L'acte de Baga paraît
dicté davantage par une perspicacité politique plutôt que par ce que certains historiens
modernes qualifient de tendance générale, de la part des rois maures, à opter toujours
pour une politique pro-romaine.
A la fin du Ile s. av. ].-C, c'est-à-dire après une période de plus de quatre-vingts
ans sur laquelle les sources sont muettes, c'est Bocchus l'Ancien (l18-81/80 av. J.-C)
qui règne sur la Maurétanie. Conservant
96
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
Maurétanie et son roi Bocchus nous sont livrées par le livre de Salluste consacré à la
guerre de Jugurtha dans laquelle Bocchus avait joué un rôle décisif. Cette fameuse
guerre (111-105 av. J.-C) qui se déclencha au début entre Jugurtha et ses deux cousins
Hiempsal et Adherbal à cause de la succession au trône du royaume Massyle, finit par
opposer Jugurtha et les Romains. Le roi Bocchus qui aurait sollicité au début, mais
sans résultat, une alliance avec les Romains, se rallia finalement, sous l'influence de
ses conseillers, à Jugurtha qui épousa la fille du roi maure. Mais après les péripéties de
cette guerre, dont le récit relève plutôt de l'histoire de la Numidie, Bocchus décida, au
bout de négociations successives avec les Romains, de livrer Jugurtha à ces derniers.
Cet acte qui mit fin à la guerre, est vu par certains historiens contemporains comme
une trahison. Quoi qu'il en soit, Bocchus devient « ami et allié» des Romains et reçoit
pour récompense un tiers de la Numidie. La nouvelle frontière de la Maurétanie,
difficile à localiser avec précision, devait se situer entre Oued Chélif et Oued el-Kébir
en Algérie actuelle.
Les circonstances et la date exacte de la mort de Bocchus demeurent inconnues.
Son successeur au trône fut Mastanesosus appelé également Sosus ou encore
Mashtanesa, qui aurait régné sur toute la Maurétanie de la mort de Bocchus à 49 av. J.C Son nom apparaît, en néopunique, sur des monnaies en bronze et, en latin, sur des
balles de fronde retrouvées à Volubilis. Il est le père de Bocchus le Jeune, d'après la
légende des monnaies frappées au nom de ce dernier. On ignore cependant la nature
des liens de parenté qui auraient existé entre Bocchus l'Ancien et Mastanesosus.
L'historiographie n'a retenu en effet que deux fils de
Bocchus : Volux, qui avait accompagné le roi pendant la guerre de Jugurtha, et Bogud
mentionné vers 81 ou 80 av. J.-C On ne sait, d'autre part, ni quand ni comment
Mastanesosus accéda au pouvoir. Il semble qu'à la suite de la mort de Bocchus, la
Maurétanie ait connu des troubles liés probablement à la succession au trône. D'après
les textes, un certain roi du nom d'Ascalis, fils d'Iaphtas, peut-être un des prétendants
au trône, se serait réfugié à Tingi en 81 av. J.-C suite à la révolte de ses sujets aidés par
Sertorius, un général romain. Ces événements n'auraient pu se produire du vivant de
Bocchus ni sous le règne de Mastanesosus, si l'un ou l'autre régnait alors sur la contrée.
A la mort de Mastanesosus, la Maurétanie fut partagée en deux royaumes séparés
par le fleuve Mulucha : la Maurétanie orientale échut à Bocchus le Jeune (49-33 av. J.C) et la Maurétanie occidentale à Bogud (49-38 av. J.-C). Cette situation n'allait pas
durer longtemps. Quand la guerre civile éclata à Rome au lendemain de la mort de
César, en 44 av. J .-C., les deux souverains maures ne restèrent pas étrangers aux
événements et optèrent pour des politiques divergentes. Bocchus le Jeune prit parti
pour Octave, futur fondateur de l'empire romain et Bogud se rallia à la cause de Marc
Antoine. En 38 av. J.-C, quand Bogud partit
97
Histoire du Maroc: réactualisation et synthèse
rejoindre Antoine en Orient, les habitants de Tingi se révoltèrent contre lui et reçurent
comme récompense la citoyenneté romaine de la part d'Octave. Bocchus le Jeune, ami
de ce dernier, n'hésita pas alors à s'emparer de la Maurétanie occidentale. Son
intervention avait dû rencontrer une vive résistance de la part d'une partie des Maures
occidentaux. En témoignent des traces de destruction repérées par l'archéologie dans
certaines villes comme Tamuda et Thamusida. A partir de 38 av. J.-c., la Maurétanie
fut à nouveau réunifiée et s'étendit de l'Océan Atlantique au fleuve Ampsaga (Oued
el-Kébir, en Algérie orientale). A la mort de Bocchus le Jeune en 33 av. J.-c., la
Maurétanie devint, en l'absence d'héritiers, la propriété de Rome.
Si les informations textuelles permettent de saisir, dans ses grands traits,
l'évolution générale du royaume à partir de la fin du Ile s. av. ].-c., l'on est peu
informé, en revanche, sur l'organisation politique et administrative de l'Etat maure.
D'après les textes, le roi détient tous les pouvoirs. En tant que chef de l'armée, il mène
lui-même les opérations militaires comme il peut les confier à l'un de ses proches.
Dans la hiérarchie du pouvoir, les fils occupent la première place après le roi. Ils
assument des responsabilités militaires ou des missions diplomatiques comme ce fut le
cas pour Volux, fils de Bocchus l'Ancien. Le roi est également assisté par ceux que
Salluste appelle des "amis" ou 'des "confidents", probablement des conseillers que le
roi consulte quand il s'agit de décisions importantes. Mais on ne sait pas si ce conseil
d'amis, qui avait une certaine influence, était reconnu comme une institution politique.
C'est parmi ces confidents que le roi choisit aussi ses ambassadeurs et ses
représentants auprès des puissances étrangères. Le pouvoir royal est héréditaire et à la
mort d'un roi, tous ses fils peuvent y prétendre.
Sur le plan de l'administration provinciale, on ignore tout de la nature des
structures administratives qui auraient permis de prélever des impôts et de faire
reconnaître l'autorité du roi sur tout le territoire maure. Les témoignages épigraphiques
puniques (en particulier les inscriptions retrouvées à Volubilis et celles découvertes à
Cap Djinet en Algérie) nous indiquent que les cités maurétaniennes étaient dotées de
deux institutions permettant la gestion des affaires de la communauté. D'un côté,
l'assemblée du peuple ou le sénat local composé probablement de notables de la ville,
de l'autre, le ou les suffètes, qui étaient choisis parmi les membres de l'assemblée pour
exercer leur magistrature municipale pour une durée déterminée. Or, qu'ils soient
suffètes ou membres de l'assemblée du peuple, ces notables incarnaient l'autorité
locale mais devaient probablement jouer le rôle de représentants du roi auprès de ses
sujets. Ainsi, leur pouvoir devait s'étendre à l'ensemble du territoire vital de la ville, à
savoir la chora , terme qui sera adopté en arabe sous la forme de kûra pour désigner
une division territoriale (voir chapitre IV).
98
99
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
ruraux. Ces jarres fabriquées sur place indiquent également l'augmentation du nombre
de complexes industriels voués à la production de céramique. Larrêr de l'importation
de la vaisselle de table grecque avait poussé certains ateliers de potiers à produire des
vases d'imitation pour satisfaire la demande locale.
A la fin du III' s. et au début du II' s. av.
J.-c., la Maurétanie s'ouvre à nouveau
au marché méditerranéen. Cette ouverture fut liée à la conclusion
de
la
deuxième
Romains
qui,
guerre punique en
désormais
faveur
des
implantés en Espagne, allaient jouer un rôle prépondérant dans les circuits
commerciaux de la Méditerranée occidentale. On assiste alors à l'importation des
produits romains comme la vaisselle de table à vernis noir fabriquée dans les ateliers
de Campanie et le vin produit dans différentes régions italiques. Le marché
maurétanien reçoit également des produits - comme le vin - fabriqués à Carthage ou
dans les centres qui en dépendent. Il est tout à fait probable que des négociants ou des
marchands romains aient joué le rôle d'intermédiaires dans ce commerce.
Après la destruction de Carthage en 146 av. ].-c., Rome s'imposa comme unique
puissance politique et militaire, ce qui lui donna la possibilité de contrôler les routes
maritimes et de permettre aux négociants italiques d'atteindre tous les ports de la
Méditerranée occidentale y compris ceux de la Maurétanie.
A partir de la fin du II' et pendant le le, s. av.
J.-c.,
le marché maurétanien a
été ainsi submergé par les produits romains. Le vin et la
vaisselle à vernis noir de Campanie en particulier connurent une large diffusion même
dans les milieux ruraux à l'intérieur des terres. Cette situation n'allait pas manquer
d'engendrer une certaine "romanisation matérielle" précoce. Les témoignages
monétaires nous indiquent par ailleurs des rapports commerciaux avec les villes du sud
de la Péninsule ibérique comme Malaca (Malaga), Carteia (Algésiras), Sexi
(Alrnufiecar) et Gadès.
A côté de l'exploitation des richesses animalières et forestières dont les Maures
ont toujours tiré bénéfice, il faut signaler l'industrie de salaison de poisson qui n'a rien
perdu de son importance au Ï" s. av.
J.-c.
Le plus important des centres productifs
devait être la ville de Lixus dont certaines monnaies portent au revers un poisson qui
paraît être un mon.
Lagriculture connaîtra un développement lié à l'élargissement de la
sédentarisation dans les territoires dépendant des villes. Des épis de blé et des grappes
100
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
Grâce aux ressources économiques et au développement du commerce avec
l'extérieur, certaines des villes maurétaniennes, qui jouissaient d'une autonomie
politique, vont disposer au Ï" s. av. J.-c. de leurs propres ateliers monétaires. Il s'agit
de Rhyssadir, Tamuda, Tingi, Ashlit (ou Azlit), Lixus, Sala, BB<L (que l'on peut
prononcer Bet Baâl, le temple ou la maison de Baal) et Maqom Shamsh (Shemesh).
Ces villes, à l'exception des deux dernières dont la localisation est encore inconnue, se
trouvaient en général sur la côte et étaient de ce fait dotées de ports leur permettant de
jouer un rôle important dans l'économie du royaume.
Les émissions monétaires, toutes en bronze, étaient essentiellement destinées à
circuler à l'intérieur du territoire de chaque ville. Mais leur usage semble avoir dépassé
ce cadre en s'étendant aux transactions entre les différentes villes. On les trouve aussi,
mais en quantité réduite, dans les sites ibériques. En dehors de leur usage économique,
les monnaies devaient permettre aux cités d'affirmer leur identité politique. Chaque
atelier avait ainsi ses propres symboles religieux et ses emblèmes économiques. Sur les
avers des monnaies, on rencontre généralement l'effigie d'une divinité masculine
(Océan à Tingi, Chusor Ptah à Lixus) ; les revers portent souvent des motifs végétaux
(épis de blé, grappes de raisin), lesquels apparaissent seuls ou associés à des symboles
astraux. Certaines monnaies portent au revers une représentation animale: poisson à
Lixus, abeille à Rhyssadir, aigle à BB<L. Certaines émissions de Lixus se distinguent
par la représentation d'un autel ou d'un temple qui fait peut-être référence à l'ancien
temple de Milqart fondé par les Phéniciens et mentionné par les sources. Quant à la
légende monétaire, elle était généralement en écriture néopunique et comportait le nom
de la ville, seul ou précédé des mots pcLT (à Tingi) ou Ml"L (à Lixus) qui signifient
"fabrication, atelier". Aucune référence au pouvoir royal n'apparaissait sur ces
monnaies à l'exception d'une série d'émissions de Maqom Shamsh portant l'effigie et la
titulature du roi Bocchus l'Ancien.
Urbanisme et architecture
Sous le règne des rois maures, aux deux derniers siècles av.
J.-c.,
la
Maurétanie comptait plus d'une vingtaine d'agglomérations attestées par l'archéologie
ou mentionnées par les sources littéraires et les émissions monétaires. Parmi les villes
que la recherche actuelle est appelée à identifier, figurent Lissa, Cottae, Mulelacha,
Maqom Shamsh et BB<L. La plupart des agglomérations connues n'étaient pas des
fondations ex nihilo mais le
résultat d'une longue occupation dont les origines remontaient, dans le cas de certaines
villes comme Rhyssadir, Tingi ou Lixus, à l'époque phénicienne. Il est à remarquer
101
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
(de la racine GLD qui donne Aguellid signifiant roi ou chef en amazigh) et Volubilis.
Toutes les villes de la Maurétanie étaient implantées soit sur les côtes soit aux
embouchures ou le long des fleuves navigables qui facilitaient la communication et le
commerce avec le monde extérieur. Seule la ville de Volubilis échappait à ce mode
d'implantation; mais en dépit de sa situation géographique, elle a toujours maintenu
des rapports économiques et culturels étroits avec le reste des agglomérations.
Plusieurs de ces agglomérations ont su tirer profit de leurs ressources
économiques et se transformèrent ainsi en de véritables cités dotées d'institutions
politiques et administratives à l'instar d'autres villes méditerranéennes. Cette situation
devait avoir des conséquences positives sur le cadre urbanistique et architectural. Nos
connaissances à cet égard souffrent cependant de lacunes, étant donné que les vestiges
des villes de l'époque maurétanienne ont été ensevelis sous ceux de l'époque romaine,
d'où la difficulté d'avoir une représentation claire et cohérente de ce que fut la ville
maurétanienne. Quelques-uns seulement de ses traits peuvent ainsi être appréhendés.
La surface habitée variait de quatre à une dizaine d'hectares comme dans le cas
de Lixus. La structure urbaine était variable et répondait à des
impératifs liés à la topographie du terrain. Les villes situées sur des terrains plats
comme Tamuda, Zilil ou Thamusida, devaient offrir un paysage complètement
différent de celui des villes comme Lixus, Sala et Tingi, implantées sur des versants de
collines et dotées ainsi d'un urbanisme en terrasses. Le rare exemple du site de
Tamuda, le plus largement fouillé, reflète un urbanisme réfléchi et rationnel, évoquant
celui des villes hellénistiques. L'espace bâti était organisé en une série d'îlots réguliers
et séparés par des voies de circulation rectilignes et disposait d'une grande place qui
devait remplir une double fonction commerciale et politique. D'après des indices
archéologiques, les différentes unités d'habitation étaient dotées au moins d'un étage.
Dans la structuration interne des îlots qui consistait en de simples pièces uniques
s'ouvrant sur les rues ou en des pièces en enfilade, on ne trouve pas de correspondant à
la maison grecque ou carthaginoise. Ce mode d'habitat maurétanien, qui trouve des
parallèles parmi les oppida (sing, oppidum) préromains de la Péninsule ibérique et
dans de rares agglomérations de la Sardaigne, devait être reproduit dans le reste des
villes maurétaniennes.
En dehors des lots réservés aux habitations et aux différentes activités artisanales
et commerciales, les découvertes faites à Lixus et à Volubilis indiquent qu'il existait
aussi de vastes bâtiments destinés à satisfaire les besoins spirituels des citoyens. Les
villes maurétaniennes ne semblent pas, à l'origine, avoir été protégées par des
remparts; seulement, les troubles du
102
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
construction, les Maures ont fait largement appel à la brique crue, particulièrement
dans les habitats de la plaine du Gharb caractérisée par la rareté de la pierre.
Cependant, on la trouve également dans des villes comme Tamuda, Lixus et Volubilis
où les affleurements rocheux ne font pourtant pas défaut. Le recours à ladite brique
s'explique évidemment par son faible coût et la rapidité de son exécution. Mais le
facteur culturel n'est pas à exclure dans la mesure où l'utilisation de la terre relevait
d'une tradition très ancienne et bien ancrée. Dans l'architecture domestique, la pierre
était réservée aux fondations des murs, aux dallages ainsi qu'aux seuils et montants des
portes. Quand il s'agissait des monuments publics ou parfois de monuments funéraires,
la pierre était un matériau privilégié qu'utilisaient des architectes et des artisans
expérimentés pour réaliser des ouvrages remarquables. Lart de construire en pierre en
Maurétanie est illustré par l'imposant monument dit "enceinte hellénistique" à Lixus,
construit en gros blocs reflétant une parfaite maîtrise de la taille du matériau et de son
assemblage. D'autres exemples peuvent être évoqués comme le temple dit punique et
le mausolée préromain découverts tous deux à
Volubilis.
Langues
et écritures
Le libyque, ancêtre de l'amazigh actuel, était une langue partagée par tous les
peuples libyques que ce soit en Maurétanie ou dans le reste de l'Afrique du Nord. Mais
la présence phénicienne sur les côtes maurétaniennes pendant plus de deux siècles et
l'ouverture ensuite de la Maurétanie aux influences puniques ont imposé l'usage du
punique, langue dérivant du phénicien et utilisée essentiellement à Carthage et dans les
cités qui en dépendaient directement, en Afrique ou en Sardaigne, ainsi que dans les
centres puniques du sud de la Péninsule ibérique. Cette langue a revêtu un caractère
officiel en Maurétanie comme dans les autres royaumes libyques en Afrique du Nord.
Elle a ainsi servi à exprimer le nom et la titulature des rois sur les émissions
monétaires avant qu'elle ne soit concurrencée par le latin, à partir des règnes de Bogud
et de Bocchus le Jeune. Elle apparaît également sur les différentes monnaies frappées
par les villes.
Le système d'écriture qui servait à transcrire la langue punique correspondait à
l'écriture dite punique, basée sur un alphabet de 22 signes et caractérisée par son aspect
consonantique. Les plus anciens témoignages en Maurétanie ne remontent pas au-delà
du Ille s. av. J.-C et se réduisent à quelques mots ou lettres isolés attestés à Kouass et à
Banasa. Cette écriture sera progressivement remplacée, après la destruction de
Carthage en 146 av. ].-C, par l'écriture dite néopunique qui sera largement diffusée à
partir du le, s. av. ].-C dans tous les centres urbains de l'Afrique du Nord, qu'ils soient
maures ou numides. Cette écriture qui était à l'origine une cursive phénicienne se
103
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
A titre d'exemple, sur les monnaies de Tingi, le nom de la ville, ecnt en néopunique, se
trouve entièrement vocalisé. Les plus récents témoignages de la langue et de l'écriture
néopuniques sont fournis par des vases céramiques découverts dans la nécropole de
Sala et portant des noms de défunts.
Lécriture libyque, à l'aspect géométrique, a eu
une diffusion très large en Afrique du Nord et fut
attestée à la fois dans les villes et dans les
campagnes. Elle est l'ancêtre de l'écriture tifinagh
utilisée chez les Touaregs et des nouveaux systèmes
élaborés récemment pour transcrire la langue
amazighe. Lorigine, ainsi que la date et le lieu
d'apparition du libyque, demeurent inconnus et sont
de nos
jours fort discutés. Soulignons que l'histoire des
écritures dans le monde nous apprend que la forme
alphabétique est nécessairement le résultat d'une
évolution à partir des systèmes
18. Inscription
lybique sur amphore
(Banasa) syllabiques et, pour les peuples
qui n'ont pas connu ces formes d'écriture, elle
est un emprunt rendu possible par des contacts.
D'autre part, il est important de signaler que
l'apparition de l'écriture en général n'est pas un fait
spontané mais se trouve fortement liée à des
sociétés sédentaires dotées d'une
organisation politique complexe et centralisée :
l'écriture est un instrument de pouvoir. A la lumière
de ces considérations générales, l'écriture libyque
qui présente des caractères formels communs, a dû
être, à l'origine et avant sa grande diffusion,
élaborée
19. Inscription bilingue dans
un milieu réunissant des conditions lybico-punique économiques,
culturelles et sociopolitiques bien précises. Ses liens avec le phénicien et non pas le
punique ne peuvent,en dépit des contestations actuelles, être exclus. En témoignent
le principe même de l'alphabet, le caractère consonantique de l'écriture, un nombre
de signes plus ou moins identique, leur ressemblance formelle, l'existence de six
signes à valeur phonétique identique, l'appellation actuelle de tifinagh qui
signifierait
Chapitre Ill - Le Maroc et la Méditerranée
avant
l'Islam
documents officiels. La seule tentative d'officialiser l'écriture libyque est attestée dans
la ville de Dougga (en Tunisie) où elle a été utilisée sur des monuments publics, soit
seule, soit en association avec le punique. Grâce aux textes bilingues retrouvés dans
cette ville, on a pu déchiffrer cet alphabet libyque dit oriental ou numide utilisé dans
l'ouest de la Tunisie et l'est de l'Algérie. L'écriture dite occidentale, utilisée dans une
vaste région englobant l'ouest de l'Algérie et le Maroc, résiste encore à tout essai de
lecture. Bien datés, les documents attestés en Maurétanie ne remontent pas plus loin
que le Ile s. av. J.-c.
L'écriture libyque apparaît occasionnellement sur des vases céramiques, comme à
Banasa, mais le plus souvent sur des stèles funéraires découvertes à la fois dans des
contextes urbains et ruraux. Sur les épitaphes "citadines", qui sont de loin les mieux
soignées, le libyque est utilisé soit seul, soit en association avec l'écriture punique.
Dans ce dernier cas, le texte punique occupait toujours la première place. Il convient
de souligner que le bilinguisme n'est attesté, pour le moment, qu'à Lixus et à Volubilis,
mais sa présence dans ces deux villes prestigieuses, l'une au Nord, l'autre au Sud, est
assez significative. On peut en effet avancer que le bilinguisme ne constituait pas un
fait isolé mais un phénomène commun à toutes les villes du royaume maure.
Par ailleurs, les textes funéraires puniques, plus aisés à déchiffrer, reflètent un
brassage culturel qui transparaît tout particulièrement dans les noms des défunts et
dans ceux de leurs pères et ancêtres qu'on prenait bien soin de mentionner. On trouve,
en effet, dans une même généalogie, des anthroponymes d'origine libyque et d'autres
d'origine phénico-punique. A Volubilis, cette remarque s'applique aux élites de la ville
qui avaient exercé la magistrature suprême, à savoir le sufétat. Les stèles funéraires
traduisent dans leur ensemble, que ce soit à Volubilis ou à Lixus, l'attachement de la
société citadine maure à une double identité culturelle libyque et punique. Mais l'unité
culturelle, qui devait caractériser les villes maurétaniennes, n'excluaient pas l'existence
d'une certaine diversité. La comparaison des textes libyques et puniques des villes de
Volubilis et de Lixus permet de dégager des particularités propres à chacune d'elles sur
le plan des traditions scripturaires ou sur le plan onomastique, ce qui peut être expliqué
par les spécificités historiques de chaque ville.
Aux deux langues libyque et punique, s'ajoute le latin dont l'usage fut tardif et se
limita à des domaines bien restreints. Il est attesté, d'une part, sur les monnaies de
Bogud et de Bocchus le Jeune et, d'autre part, sur les amphores de salaisons.
Le monde funéraire: diversité des rites et desformes architecturales d'une ville il
l'autre
105
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
trois derniers siècles avant J.-c. Le domaine funéraire reflète, pendant cette période,
une diversité de rites et de formes architecturales ainsi que des différences entre villes
et campagnes et à l'intérieur même de ces deux espaces pris séparément. Concernant
les rites liés au traitement du corps du défunt, la tradition de l'inhumation est restée
vivace surtout dans les milieux ruraux. Elle trouve sa belle illustration dans les tombes
découvertes dans la région de Tanger où les corps étaient systématiquement inhumés
en position latérale semi-fléchie suivant une tradition locale aux origines
préhistoriques. Ce mode d'ensevelissement n'était cependant pas exclusif.
Lincinération du corps, attestée au III' s. av. J.-c. dans la tombe de
Moghogha Sghira (région de Tanger), va finir, au I" s., par remplacer complètement
l'inhumation dans certaines nécropoles urbaines comme celles de Lixus et Sala. Dans
ce dernier site, l'inhumation était réservée exclusivement aux enfants. Ce changement,
rattaché à l'influence de la culture romaine, n'était toutefois pas un phénomène général.
Au site de Mélilia on relève qu'à la même époque, la permanence des traditions
antérieures : en plus de leur inhumation, les corps étaient profondément enfouis dans
des fosses qu'on remplissait ensuite avec de la terre avant la couverture. Il s'agit d'une
pratique largement observée dans les nécropoles plus anciennes de Raqqada et de Azib
Slaoui et qui était peut-être destinée à empêcher le retour des larves parmi les vivants.
De manière générale, on a souvent signalé dans les tombes à inhumation, l'usage de
l'ocre rouge auquel les Anciens reconnaissaient des pouvoirs magiques liés à la
résurrection dans l'au-delà.
Le mobilier funéraire destiné à accompagner le mort dans son voyage outretombal était plus riche et varié dans les tombes "citadines" que dans les tombes rurales.
Cette constatation vaut plus encore pour les tombes des régions côtières que pour
celles se trouvant à l'intérieur des terres. Les fouilles des nécropoles de la région de
Tanger ont montré que l'on prenait soin d'inhumer les morts avec leurs vêtements et
accompagnés de leurs effets personnels, à savoir des éléments de parure en or, en
argent ou en bronze. Ces derniers, confectionnés localement ou importés, portaient la
marque des influences phénico-puniques. Dans certaines tombes ont été déposés des
objets comme le couteau ou la faucille qui devaient avoir une valeur symbolique. S'y
ajoutait, en sa qualité de symbole de la vie et de la renaissance, la coquille d' œuf
d'autruche qui portait des motifs, peints ou gravés, inspirés par l'iconographie phénicopunique. On retrouve également des vases céramiques, en forme de petites cruches
décorées à la peinture, et des plats de fabrication locale qui auraient contenu à l'origine
des denrées alimentaires. Dans l'obscurité de la tombe, le mort avait, selon la mentalité
méditerranéenne, besoin d'être éclairé pour retrouver son chemin dans l'au-delà. C'est
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
monuments érigés dans les plaines et dans des zones en relation avec les
villes correspondaient généralement à des tertres en terre tandis que ceux situés en
dehors de ce cadre étaient souvent, sinon exclusivement, en pierres. Ces
amoncellements de terre ou de pierres, destinés à marquer sur le terrain la présence
d'une sépulture, recouvraient des formes architecturales diverses dont certaines
consistaient en de simples fosses ou des caissons en pierres ; d'autres sont des
constructions complexes comme c'est le cas de la tombe de Moghogha Sghira et du
tumulus de Sidi Slimane du Gharb. Les tumuli étaient consacrés à un seul ou à
plusieurs individus et leur mobilier, même dans le cas des exemples les mieux soignés,
était généralement très pauvre. Certains monuments comportaient de grosses dalles
inscrites exclusivement en libyque et faisant office d'épitaphes. Les tumuli pouvaient
aussi prendre la forme d'une bazina, monument circulaire à gradins, construit en
pierres. Le plus bel exemple en Maurétanie est offert par le monument du Gour (région
de Meknès), construit en grosses pierres soigneusement taillées et assemblées. Vu ses
dimensions imposantes et son cas isolé dans cette région, il n'a pu être érigé que pour
un prince ou un chef de l'un des peuples maures ou gétules qui occupaient la région.
Maurétanien
(de 33 av.J.-c.
IV:
l'interrègne et la restauration du pouvoir
royal
a 40 ap.J.-c.)
En 33 av. J .-c., Bocchus le Jeune, qui régnait sur la grande Maurétanie, mourut
sans laisser d'héritier direct. De ce fait, le royaume passa sous la domination romaine
sans aucune résistance de la part du peuple maure. De 33 à 25 av. ].-c., période dite de
l'interrègne, l'administration des territoires maures fut assurée par les autorités
romaines. Sur ordre d'Octave, probablement avant que celui-ci n'ait pris le titre
d'Auguste en 27 av. ].- c., furent créées en Maurétanie treize colonies romaines, dont
trois en Maurétanie occidentale (Maroc) : Iulia Constantia Zilil dans le Nord, Iulia
Valentia Banasa au Sud et Babba Iulia Campestris dont la localisation n'est pas
connue. A la même époque, promue au rang de colonie romaine, la ville de Tingi prit
le nom de Iulia Tingi. Peuplées de vétérans romains, ces colonies furent rattachées
administrativement à la province de Bétique en Espagne. Au moment de la fondation
de la colonie de Zilil, les habitants autochtones ont été transférés en Espagne, avec une
partie de ceux de Tingi, pour peupler une colonie du nom de Iulia Ioza.
Au lieu de procéder à l'annexion définitive et directe de la Maurétanie à l'empire
romain, Octave-Auguste décide en 25 av. ].-c., comme il l'avait fait d'ailleurs pour
certains royaumes en Orient, de créer un Etat client, ami et allié de Rome en plaçant
Juba II, dernier représentant de la dynastie numide, sur le trône de la grande
Maurétanie qui s'étendait de l'Atlantique au fleuve Ampsaga. A l'âge de cinq ou six
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant l'Islam
Cléopâtre-Séléné, fille de la reine d'Egypte Cléopâtre VII et de Marc Antoine. Ce
traitement réservé à Juba et à Séléné s'inscrivait en fait dans une politique de Rome
qui, appliquée en Orient depuis l'époque de Jules César, consistait à s'emparer des fils
de rois dans la perspective de les utiliser ultérieurement pour créer des royaumes alliés
servant les intérêts politiques de Rome.
Elevé dans un milieu privilégié, Juba II eut l'occasion
d'acquérir une vaste culture gréco-latine. Les textes nous le
présentent comme un roi très érudit et lui attribuent la
composition de plusieurs ouvrages en grec traitant de
l'histoire, de la géographie, de la faune et de la flore africaines.
Son goût très prononcé pour l'hellénisme, que reflètent ses
écrits, transparaît également dans les liens qu'il entretenait
avec les sanctuaires et les centres grecs et dans l'image qu'il
21. Buste de Juba II
aurait
voulu
donner à l'exercice
du
pouvoir royal.
Linfluence de Cléopâtre-Séléné que Juba II épousa probablement en 19 av.
].-C, était un facteur non négligeable à cet égard. Issue de la dynastie des Lagides qui
avait régné sur l'Egypte de 323 à 30 av. ].-C, elle conserva son titre de reine et son
nom apparaissait en grec sur les émissions monétaires, ce qui constitua une rupture
avec les coutumes maures et numides qui n'accordaient pas à la femme un privilège
semblable. Le seul fils né du mariage de Juba II et de Séléné ne recevra pas le nom
d'un quelconque roi numide mais portera plutôt celui de ses ancêtres maternels, à
savoir le nom royal de Ptolémée (Ptolernaios). Régnant de 23 à 40 ap. ].- C,
22. Monnaie en or Ptolémée
jouissait de plusieurs titres de noblesse: roi des de Juba II
Maures, il était le dernier représentant des dynasties numide et lagide tout
comme le dernier rejeton, en Afrique, du général romain Marc Antoine.
Le centre du pouvoir était la ville d'Iol (1'actuelle Cherchel), que Juba II rebaptisa
Caesarea en l'honneur de son bienfaiteur Octave-Auguste. Nous ne savons pas s'il
existait une autre ville à caractère royal en Maurétanie occidentale. A moins que celle
de Maqom Shamsh, qui frappa des monnaies au nom de Juba II et dont la localisation
demeure inconnue, n'ait eu cette qualité. A Caesarea donc, capitale du royaume, se
trouvait le palais royal où le roi s'entourait d'une cour organisée suivant le modèle
romain et oriental et où esclaves et affranchis occupaient une place privilégiée. Les
affranchis portaient des noms latins et plus souvent des noms grecs; ils devaient leur
gentilice commun Julius à Auguste ou à Juba II qui était, tout comme son épouse et
son fils, citoyen romain et s'appelait Caius Julius Juba. En plus des métiers de l'art et
109
Histoire du Maroc: réactualisation
et synthèse
affranchis, le fameux Aedémon, qui conduira une révolte contre les Romains pour
venger son maître Ptolémée, assassiné par l'empereur
Caligula. A la cour royale, influences hellénistiques et romaines s'entremêlaient. Le
latin était d'usage courant. Les rois adoptaient le costume romain, se faisaient
construire des édifices destinés aux jeux et spectacles et avaient recours à des artistes
grecs ou romains ou à des Africains formés à l'école gréco-romaine, pour reproduire
leurs portraits en pierre ou en bronze, ce qui constituait un des moyens de propagande
politique.
Pour tout ce qui avait trait à la légitimité de leur pouvoir, les rois étaient
dépendants de Rome. Linvestiture de Ptolémée, à la mort de son père, n'a pu ainsi être
déclarée légale sans l'approbation du sénat romain. Cependant, le royaume maure, plus
que nombre de royautés contemporaines en Orient,
jouissait d'un
statut privilégié.
Les deux souverains
Juba
Ptolémée
ont frappé
à leur nom
seul des monnaies
argent et en bronze
qui
portaient
II
en
et
en latin le titre de rex (roi) et l'année du règne. Le plus remarquable est qu'ils ont eu le
droit, même si c'était à titre exceptionnel et à caractère honorifique, de frapper des
monnaies en or : signe à la fois de souveraineté, d'indépendance et de richesse, ce type
de monnayage était alors l'apanage de Rome et partant, interdit aux rois « amis et alliés
»,
Les émissions monétaires, qui s'alignaient de par leur technique et leur système
sur les monnaies romaines, ont servi aux rois de support et de moyen efficace pour
véhiculer l'image et la représentation qu'ils se faisaient de leur propre pouvoir ainsi que
leur politique vis-à-vis de Rome. Leffigie du roi y apparaît coiffée d'un diadème,
insigne monarchique par excellence qui caractérisait les rois gréco-orientaux, en
l'occurrence les Lagides en
Egypte. Du vivant de Séléné, on faisait aussi figurer des symboles religieux (l'épi de
blé, le croissant, l'astre, la vache, le sistre, etc.) liés à Isis, divinité égyptienne qui était
censée apporter l'abondance et la paix. Les références à Rome étaient d'autre part très
présentes : des symboles comme le capricorne, le globe terrestre, la corne d'abondance
et l'aigle, empruntés tous à l'iconographie monétaire romaine, avaient des
significations politiques diverses, exprimant l'idéologie augustéenne : puissance, paix,
prospérité et domination sur le monde. Sous l'influence des monarques orientaux, Juba
II a voulu peut-être accorder à son pouvoir un caractère sacré en adoptant une
généalogie divine à travers l'usage des symboles héracléens. Si les quelques dédicaces
reflètent une certaine dévotion à l'égard des rois, il est cependant difficile de conclure à
l'existence d'un culte officiel. Sur le monnayage royal, les références aux ancêtres
numides n'apparaissent pas de manière explicite. C'est plutôt la terre africaine qui est
Chapitre III - Le Maroc et la Méditerranée
avant l'Islam
non plus jusqu'où le pouvoir royal s'étendait au sud. Pour ce qui concerne la
Maurétanie occidentale (le Maroc), il ne semble pas avoir dépassé le cadre urbanisé
qui existait auparavant. Les Gétules, populations nomades ou en
voie de sédentarisation qui devaient occuper les franges méridionales de la
Maurétanie, échappaient pour la plupart à l'autorité des rois et refusaient d'adhérer au
mode de vie qu'offraient les bandes littorales intégrées depuis longtemps dans la
sphère de la civilisation méditerranéenne. Soucieux d'assurer l'ordre et la paix et de
défendre les territoires "à cités" gagnés de plus en plus par "les bienfaits" de la romani
té, les rois et les autorités romaines en Afrique eurent, à maintes reprises, à affronter
des soulèvements ou des incursions des peuples frontaliers dont la plus importante fut
la rébellion des Musulames dirigée par Tacfarinas de 17 à 24 ap. J
.-c.
et à laquelle
participèrent d'autres fractions des Gétules et des Maures. Les troubles qui ont marqué
les règnes des deux rois se limitèrent aux frontières de la Maurétanie orientale et de
l'Africa romaine et ne semblent pas avoir affecté la Maurétanie occidentale. En
revanche, quand le roi Ptolémée fut assassiné sur ordre de l'empereur Caligula en 40
ap. ].-c., ce fut en Maurétanie occidentale qu'éclata la révolte conduite par Aedémon.
Toutefois, les témoignages archéologiques et épigraphiques ne laissent pas entrevoir
une réaction commune: certaines villes comme Volubilis, Tingi et Lixus optèrent pour
les Romains et furent ainsi gratifiées; d'autres telles que
Tamuda, Sidi Abdeslam del Behar, Thamusida se rallièrent probablement à Aedémon
et furent complètement détruites. La ville de Tamuda en particulier fut violemment
brûlée et arasée, et sur ses décombres, les Romains érigèrent un camp militaire.
L'établissement de solides rapports villes-campagnes
commerciaux
Le
règne
des
deux
rois
et l'essor des échanges
Juba
II
et
Ptolémée
fut
marqué par
un
renouveau économique. Le développement des activités agricoles est attesté
archéologiquement par l'abondance et la densité des sites ruraux liés aux territoires des
villes. Parmi ces sites, ceux qui furent fouillés montrent l'existence de fermes comme
celle de Daya (région de Tanger) qui était fortifiée et abritait les vestiges d'un pressoir
à vin ou à huile et de nombreux outils en fer utilisés dans les travaux agricoles. Dans
la région d'Asila ont été retrouvés des ateliers de potiers destinés à fabriquer des
amphores pour le transport du vin.
Lindustrie des salaisons et des sauces de poissons apparaît florissante, à en juger
par l'accroissement de la production des amphores qui lui est liée. Une autre industrie
plus fructueuse nous est connue par les textes anciens. Il s'agit de la pourpre qui était
produite dans des usines que Juba II fit construire dans les îles purpuraires, identifiées
111
Histoire du Maroc: réactualisation et synthèse
Pline l'Ancien souligna l'importance de deux matières de luxe provenant de la
Maurétanie, à savoir le thuya et l'ivoire, exportés à Rome et utilisés dans la confection
des meubles, en particulier des tables dont le prix pouvait atteindre, pour certaines
d'entre elles, un million de sesterces, ce qui correspond au prix d'un grand domaine.
Selon Pline, la folle passion des hommes pour les tables provenant de chez les Maures
n'a d'égale que celle des femmes pour les perles.
Ces différentes ressources ont permis à la Grande Maurétanie et à la Maurétanie
occidentale en particulier de développer des échanges commerciaux avec les
différentes contrées soumises à l'autorité romaine, échanges favorisés aussi par le
statut d'Etat client de Rome et la présence de colonies romaines ainsi que de
négociants et marchands romains. De l'Italie, on importait plusieurs produits dont le
vin et la vaisselle de table à vernis rouge fabriquée dans les ateliers d'Arezzo au nord.
Des vases du même type ont été importés également de la Gaule. Des provinces
ibériques, on faisait venir du vin, de l'huile et des céramiques à parois fines. Des objets
en bronze comme les appliques de lit, les candélabres, les bassins et patères
provenaient de différentes régions de la Méditerranée.
Les villes les plus riches
particulièrement
importaient
des œuvres
d'art,
des statues taillées dans du marbre grec comme celle de Ptolémée découverte à Sala,
et des sculptures en bronze dont les plus beaux spécimens ont été livrés par le site de
Volubilis (portraits de Juba II et de Caton, les éphèbes lampadophores, le cheval de
selle).
Le développement
urbain et les débuts de la romanisation
Parallèlement au développement économique, on assiste à une activité édilitaire
importante. La cité de Thamusida, détruite au 1 er s. av. J.-c.,
fut reconstruite sur un espace plus étendu et se fit doter d'une enceinte. A Lixus, dans
le quartier dit des Temples, apparut un nouveau quartier d'habitat pourvu d'un édifice
thermal avec palestre, qui semble être le seul édifice du genre remontant à l'époque de
Juba II, et d'un temple à deux cellae sur podium. La ville de Volubilis s'étend, elle, sur
une superficie considérable et se dote de monuments publics à vocation religieuse
comme les temples jumelés du Forum, lesquels reflètent, dans leur conception, des
influences gréco-italiques. A l'extérieur de la ville, on assiste à l'apparition d'un
sanctuaire de type africain (le temple B) destiné au culte d'une divinité locale liée à la
fertilité et à l'abondance, et évoquant les tophets, sanctuaires puniques dédiés à Ba'al
Hammon et attestés surtout en Tunisie et en Algérie orientale. Lintroducrion de ce type
de culte en Maurétanie occidentale est tardive et pourrait être mise au compte des
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