Bulletin Monumental
Jérôme Baschet, L’iconographie médiévale
Yves Christe
Citer ce document / Cite this document :
Christe Yves. Jérôme Baschet, L’iconographie médiévale. In: Bulletin Monumental, tome 167, n°4, année 2009. pp. 382384;
http://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_2009_num_167_4_7367_t30_0382_0000_3
Document généré le 07/11/2016
Bibliographie
couvent des dominicaines strasbourgeoises de
Saint-Nicolas-aux-Ondes (Archives de l’Église
d’Alsace, 1975), a étudié cette dévotion dominicaine. Elle a conduit le prédicateur et prieur
du couvent dominicain de Strasbourg, Hugo
van Ehenheim, à organiser en 1437 une procession solennelle pour l’arrivée d’une statue de
l’Enfant qu’il ramenait de Venise (Arch. Mun.,
1MR2, 79 v°). Elle est également responsable
de la création de la curieuse statue d’albâtre de
Vilingen (n° 39). Quelque trente années plus
tard, elle suscitera des images gravées de
l’Enfant par le Maître E.S. et une admirable
statue, récemment apparue, de l’Enfant à la
grappe de raisin, due probablement au Maître
de la Madone de Dangolsheim et conservée
maintenant au Bayerisches Nationalmuseum, à
Munich.
382
Ces indications permettent également de
proposer une identification des trois saintes
représentées avec celles qui faisaient l’objet
d’un culte à Sélestat : Catherine présentant le
psalterion à l’Enfant comme pour suggérer son
mariage mystique, Madeleine puisant de l’eau,
en allusion lointaine au soins apportés aux
pieds du Christ et Agnès cueillant des cerises,
annonce de l’offrande de son martyre, à moins
que ce ne soit en même temps ou seulement
une manière de signature du peintre qui, à
Strasbourg, habitait la maison Zu dem
Kirsboum, au cerisier.
Il était parfaitement justifié d’évoquer à
côté des ces travaux picturaux le chantier de la
cathédrale. D. Borlée renouvelle l’étude du
beffroi et surtout de son décor sculpté : la mise
en valeur des moulages des élus et des damnés
qui bordaient les pignons qui surmontent
ses deux grandes baies est intéressante, même
s’il s’agit de travaux d’atelier assez médiocres.
D. Sandron donne une étude fine et sensible
de l’élévation de la flèche par les deux architectes successifs, Ulrich d’Ensingen et Jean
Hültz, tous deux étrangers à Strasbourg mais
créateurs du chef d’œuvre de la ville. Dans l’exposition, la présentation du dessin de l’élévation de cette tour conservée à Berne était très
impressionnante, bien que ses proportions
(4,57m de haut) ne permettaient pratiquement
pas d’en examiner les détails.
Dans une des dernières salles, C. Dupeux
avait présenté deux figures remarquables d’un
empereur et d’un clerc, les deux seules réalisées
d’un programme probable de seize destiné à
meubler les pinacles à la hauteur de la plateforme de l’octogone de la tour nord. Leurs
visages ont une vigueur réaliste remarquable et
leurs vêtements présentent des plis lourds dont
les sinuosités abandonnent la préciosité du
début du siècle au profit de chutes plus naturelles. Elles étaient environnées par les petites
figures posées sur les balustrades de la plateforme du même octogone qui relèvent du
même style. Cette nouvelle orientation de la
sculpture n’est pas sans offrir un certain
parallèle avec la tendance du Maître du
Paradiesgärtlein à échapper au style international par des formes plus pleines.
Trois tapisseries évoquaient par de fort
beaux exemples la production tenue pour strasbourgeoise. Leurs rapports avec la production
picturale étaient toutefois assez lointains.
C’est un autre monde que celui de ces tissages,
soit que les cartons aient été demandés à des
artistes de culture très différentes, soit encore
que les liciers aient eu une grande liberté
d’interprétation. Même si les deux figures de
la Visitation d’une importante tenture du
Museum für Kunshandwerk de Francfort (n°
15) sont sensiblement identiques à celles d’un
petit panneau du Maître du Paradiesgärtlein
(n° 26), leur inscription dans les motifs floraux
et décoratifs leur donne un tout autre
caractère. Il n’est donc pas impossible que les
cartons picturaux, s’il y en a eu, se soient
limités aux figures et que les artisans tapissiers
aient créé les fonds d’après leurs propres répertoires.
La proposition de rattacher aux « belles
madones », quelques sculptures de Vierge à
l’Enfant autour de celle de l’église de
Marienthal (n° 41), ne semble pas vraiment
s’imposer et présente un groupe d’œuvres qui
n’appartient pas aux créations les plus significatives et les plus remarquables de la ville, si
tant est qu’il est possible d’assurer qu’elles en
soient issues.
On pouvait aisément être surpris de
trouver exposées deux des cartes à jouer
de la célèbre série du Würtembergisches
Landesmeuseum présentées sous le libellé de
« cartier strasbourgeois ( ?) ». C’est la reprise de
l’idée de F. Koreny qui trouvait une parenté de
ces figures précieuses avec le Paradiesgärtlein
(que lui, toutefois, tenait pour bâlois) : pourtant, ni les couleurs, ni les types humains ne
présentent de caractères susceptibles de l’autoriser, comme l’exposition permettait de le
constater. Quant à attribuer à un cartier une
production aussi raffinée, c’est supposer la présence dans ce domaine artisanal, d’artistes de
très haut rang. Le problème de l’origine de ces
cartes précieuses, devrait être abordé par leur
destination possible qui devrait être celle d’un
milieu de cour. La présence d’un filigrane de
Ratisbonne sur l’une d’entre elles, peut faire
penser à un prince voisin de cette ville, Louis le
barbu, duc de Bavière-Ingolstadt, frère
d’Isabeau de Bavière (vers 1368 - 1447) dont
les goûts avaient été marqués par ses longs
séjours à la cour française. Encore faudrait-il
étudier à quel peintre remarquable aurait pu
faire appel ce prince distingué qui n’avait pas
hésité à recourir au service du sculpteur Hans
Multscher de Ulm. Ce serait une piste de
recherche plus crédible que celle du milieu
strasbourgeois, ou même celle, moins précise,
du Rhin supérieur.
En résumé, une très belle exposition réunissant des œuvres importantes, servie par un
catalogue très bien illustré faisant le point utilement sur de nombreuses questions, même si
l’on pouvait attendre quelques conclusions
plus précises sur certains points. On peut en
regretter le titre qui n’est pas sans rappeler un
certain « campanilisme » d’un autre temps.
« Strasbourg et l’art du Rhin supérieur vers
1400 » aurait été à la fois plus justifié et plus
franc. Il aurait évité d’attribuer à une ville qui
est certes un pôle de centralité, des créations
faites ailleurs dans la région et de minimiser
l’importance de Bâle. Il aurait suggéré éventuellement quelques confrontations complémentaires comme celle des panneaux du
retable dit de Tennenbach dont la situation par
rapport à la création dite strasbourgeoise aurait
été intéressante à préciser.
Albert Châtelet
J é r ô m e B A S C H E T , L’ i c o n o g ra p h i e
médiévale, Paris, Gallimard, 2008, 17 cm,
468 p., fig., index. - ISBN : 978-2-07034514-4, 9,90 €.
(Folio histoire)
Est-il indécent, mesquin, voire infâmant
d’aborder l’examen d’un livre qui affiche de
l’ambition par son enveloppe savante, je veux
dire ses notes et ses indices ? J’avoue avoir usé
de ce procédé depuis de très nombreuses
années, avec profit, souvent aussi avec plaisir.
Le dernier livre de J. Baschet me donne l’occasion d’en éprouver les avantages.
Son index est bien conçu, complet, précis.
Il est d’autant plus utile qu’il comporte la liste
des auteurs modernes dont s’est inspiré
Baschet. Un premier constat : les noms de
lieux – qui renvoient au domicile des images –
sont les parents pauvres de ce copieux index
(p. 446-463) : aucune entrée locative pour les
lettres D et E, à part Égypte ; rien non plus
pour la lettre J, à part Jérusalem. Il est très rare
que les noms de lieux occupent un petit tiers
de la page, le plus souvent c’est moins d’un
dixième. Quelques noms d’artistes italiens du
Trecento n’ajoutent rien au bilan. Ces chiffres
sont révélateurs. Pour un travail centré sur l’art
du Moyen Âge central, ils montrent que les
images sont souvent absentes ou laissées sur le
bord de la route.
Dans l’index nominum, honneur oblige !
Christ, évidemment Jésus, se détache nettement en tête : 9 lignes. Le Christ a pourtant ses
quatre évangélistes : Baschet, 7 lignes, Bonne,
L’ouvrage est intitulé L’iconographie médiévale. Ce titre est usurpé, car tout ce qui touche à
Byzance est laissé de côté. Il en est de même du
haut Moyen Âge occidental, carolingien ou ottonien, à peine évoqué. L’iconographie de la fin de
l’Antiquité, qui souvent sert d’assise à l’imagerie
médiévale, est ignorée. La réflexion ne porte
guère que sur des aspects restreints de l’iconographie occidentale du Moyen Âge central et tardif,
sur un petit choix de monuments, un échantillonnage si petitement réduit qu’il n’a plus rien
de significatif. De très longues digressions sur les
travaux de Panofsky et de Meyer-Schapiro, sur
l’antique querelle, désormais stérile, entre iconographie et iconologie ne comblent pas les lacunes
documentaires, le silence des images dans un
livre qui leur est pourtant dédié.
La partie documentaire de l’ouvrage se
résume à 4 chapitres intercalaires – chapitre 2,
la voûte de Saint-Savin ; chapitre 3, le
boustrophedon de San Gimignano ; chapitre 5,
le chef d’œuvre de Souillac et chapitre 6, le
portail méconnu de Bourg-Argental – qui sont
des reprises d’articles antérieurs plus ou moins
remaniés, comme d’ailleurs la plupart des
autres, des traductions ou des remake frileusement signalés dans les notes, jamais en tête. Le
chapitre 1 reproduit même un texte qui, dans
sa version originale, est encore en attente de
parution dans un volume d’actes aux éditions
Brepols. Idem pour le chapitre 5. Ce simple
constat m’amène à poser une insidieuse question : peut-on faire un livre cohérent avec un
assemblage disparate, ainsi cette addition
anthropologique du chapitre 9 : « Une série
ample : Ève est-elle jamais née », p. 299-341,
qui n’a d’ample que le nombre de ses pages ?
Ce texte a cependant un avantage ; à l’inverse
des autres chapitres, il comporte de nombreux
renvois à un corpus d’images, celui réuni par
J. Zahlten, Creatio Mundi (Stuttgart, 1979),
absent de la bibliographie, cité en catimini,
p. 440, note 42. Si on en revient à sa partie
réellement documentaire, la moitié du livre ou
presque est donc occupée par quatre monuments seulement, autant dire que l’auteur aura
consacré plus de temps à en commenter les
secrets que les artistes à les exécuter. Dans un
volume où l’on recherche le sens des images –
au propre comme au figuré – ceci a-t-il encore
un sens ?
Les chapitres 2 et 3 – Saint-Savin et San
Gimignano – de que le chapitre 1 qui introduit cette première section : « L’image en son
lieu », ressortissent à un genre mis à la mode
par le livre phare de M. A. Lavin, The Place of
Narrative (Chicago, 1990), réprimandé p. 392,
note 4, mais encore une fois absent de la
bibliographie générale. Je me contenterai de
ces quelques remarques sur la reprise par l’auteur de l’examen du cycle de la Genèse et de
l’Exode de Saint-Savin. Qu’apportent de neuf
ces quelque 25 pages ? Rien ! La nouvelle
lecture de Baschet ne prend en compte que les
épisodes les plus connus et les mieux conservés.
Elle ne diffère en rien de celle déjà ancienne
de Y. Labande-Maillefert. Pour les épisodes
conservés à l’état de fragments, on ne nous dit
rien ; rien par exemple de l’extraordinaire
vision de Dieu dans le buisson ardent qui
précède la donation de la Loi. On ne conserve
de cette scène que sa partie inférieure, suffisamment pourtant pour restituer une image du
Christ debout dans une mandorle, comme
dans la donation de la Loi, avec à sa base des
flammes qui ont viré au noir. Une interprétation aussi peu habituelle aurait mérité pour le
moins quelques lignes. La scène suivante,
Moïse et peut-être Aaron devant Pharaon, n’est
pas mentionnée. Rien non plus à propos du
cycle d’Abraham, sur l’épisode dit de la remise
de troupeaux par le patriarche à son neveu Lot.
« Abraham » est ici un souverain, une figure
identique à celle de Pharaon dans le cycle de
Joseph. Et même si le sceptre qu’il arborait est
une addition de T. Cue, auteur encore de la
barbe d’Eve qui en a abusé plus d’un, Abraham
n’est probablement ici que Pharaon ou
Abimélech à qui le patriarche avait cédé sa
femme Sarah pour en faire leur favorite. G.
Henderson avait en son temps proposé cette
solution, solution d’autant plus plausible
qu’une scène analogue, certes postérieure d’un
peu plus d’un demi-siècle, est conservée dans
ce qui subsiste de la vitrerie de la cathédrale de
Poitiers. On s’étonnera aussi de l’absence dans
cette « nouvelle » lecture des conclusions pertinentes contenues dans la thèse de M.-D.
Gauthier-Walter (L’histoire de Joseph. Les fondements d’une iconographie…, Berne, 2003).
Plutôt que de s’intéresser à d’aussi triviales
interrogations, l’auteur a préféré s’étendre sur
l’image de la croix que formeraient la bande
axiale, repeinte à maintes reprises, et le faux
doubleau orné de douze médaillons. Il avoue
néanmoins que « son interprétation est fragile,
invérifiable sans doute et assurément risquée ? ».
On ne peut qu’acquiescer.
On ne s’attardera pas sur la très longue
analyse du trumeau et du relief de Théophile
de Souillac, datés très tôt, car la recherche de
leur « cohérence structurale », en l’absence des
deux tiers d’un portail qui aurait dû avoir
l’allure de celui de Moissac, ne peut être qu’une
marche à tâtons. De l’analyse du portail de
Bourg-Argental, on retiendra surtout celle de
la statue d’ébrasement aujourd’hui acéphale
qui fait pendant à droite à une Luxure.
L’auteur y reconnaît une femme, une figure de
la Charité doublant celle, assise, du chapiteau
qui la somme. Ce personnage a les mains
croisées contre sa poitrine ; il ne tient donc pas
le « voile » où sont représentées trois âmes,
vêtues et assises. Ce voile pourrait être une
vasque. Le vêtement porté sur la tunique à
manches assez larges de cette Charité est assez
curieux. Il ressemble à la chasuble d’un prêtre.
Même si l’auteur a cru reconnaître sur place la
trace d’un voile sur ses épaules et sur son cou,
le doute reste permis. Dans cet immense réservoir d’images rarement exploitées que constituent les Bibles moralisées, les représentations
de porteurs d’âmes sont très diverses, ainsi
dans la Bible française de Vienne : 14r G4, des
apôtres ; 26v D4, de simples laïcs ; 65r D2, la
Philosophie païenne (sic). J. Baschet, qui n’a de
cesse de condamner l’idée d’une iconographie
médiévale stéréotypée et surveillée par l’Eglise,
trouvera là d’intéressants arguments en faveur
de la liberté, de l’extrême inventivité des
images médiévales, thème développé à la suite
de ce chapitre, p. 250, 251 et suiv., en réaction
aux théories d’E. Mâle.
On l’a dit, A. Grabar, l’un des maîtres de
l’iconographie médiévale, est le grand absent
de ce livre. C’est pourtant lui, déjà dans
son discours d’investiture à l’Académie des
Inscriptions et Belles Lettres (1962), qui avait
remis en cause l’approche trop doctrinale
d’E. Mâle. C’est lui aussi, bien avant Barbu,
cité p. 422, n. 15, qui, le premier avait su marquer la différence entre la conception byzantine de l’image et celle de l’Occident, surtout à
partir du XIe siècle. Il était même allé plus loin
en relevant à propos du programme sculpté de
Bibliographie
7, Schmitt, 5, et last but not least, Wirth, 4.
Pour compléter ce nouveau canon des Écritures, on ajoutera l’apôtre des Gentils, en l’occurrence H. Kessler, 4 lignes, et quelques
auteurs d’épîtres : Damisch, Didi-Hubermann,
A. et A. Gerreau et le regretté M. Camille, 2 à
3 lignes pour chacun. Je crois n’avoir oublié
personne parmi les favoris du réseau, les élus
qui font ressortir les exclus, les absents, les maltraités, comme A. Grabar, gratifié de 3 entrées
seulement pour avoir mal compris la nature du
cycle de Saint-Savin. K. Weitzmann, autre
grand nom de l’iconographie médiévale, est
éloquemment absent ! Kitzinger est à peine
mieux loti avec une seule entrée. Faut-il dès
lors s’étonner de l’absence de J. Lowden, dont
les travaux déterminants sur les Octateuques
byzantins d’une part, sur les Bibles moralisées
d’autre part, sont pourtant étroitement liés à
l’histoire de l’illustration biblique, tant en
Orient qu’en Occident, c’est-à-dire au plus
grand corpus d’images jamais réalisées par l’art
chrétien, qui plus est, pour les Bibles moralisées, à un corpus de plus de 5 000 images
pour la seule Bible de saint Louis, littérales et
symboliques, avec en regard des « légendes »
explicatives, paraphrases bibliques parfois fautives, gloses morales ou typologiques « collant »
bien ou mal avec l’image adjacente, sans compter dans les Bibles en un seul volume des
adjonctions midrashiques qui auraient pu irriter bien les puristes et réjouir tous ceux qui,
comme l’auteur, sont amateurs d’inventivité,
de diversité, d’entorses à l’orthodoxie.
383
Bibliographie
la cathédrale de Chartres des redondances et
des incohérences. W. Schlink, dans sa critique
de la façade occidentale d’Amiens, ne dit pas
autre chose (voir R. Recht, éd., Le monde des
cathédrales, Paris 2003, p. 13 et suiv.). Dans
son chapitre 7 (« Invention et sérialité des
images médiévales »), J. Baschet semble complètement l’ignorer. Dans sa critique d’E.
Mâle, il enfonce des portes ouvertes. Quant à
la thématique développée ici : « construire des
séries », « déployer une gamme sérielle »,
« étude des hyperthèmes », etc., elle ne fait que
théoriser en français précieux, en des termes
abscons, une démarche euristique que Grabar
a pratiquée toute sa vie avec des mots du langage commun, selon un mode que l’on pourrait comparer au structuralisme, toujours avec
une abondance d’images – les images expliquant les images.
384
qui intéressent plus directement l’histoire de
l’art ? Le corpus de l’étude, à cet égard, n’est
pas spécifiquement la peinture de visions,
d’apparitions et d’extases, comme celui de
V. Stoichita dans son ouvrage de référence sur
les rapports entre peinture et mystique,
Visionary experience in the Golden Age of
Spanish art (Londres, 1995) ; sa visée est la
peinture religieuse en général.
(Art et société)
À cette fin, l’auteur nous propose un itinéraire inédit, riche, approfondi en chacune de
ses étapes très progressivement définies. Une
longue analyse de la conception et de la place
de l’image mentale dans les pratiques spirituelles cède la place à un examen du statut des
images gravées insérées dans les traités d’oraison, au demeurant peu nombreuses. Le chapitre suivant s’attache au cas particulier mais
extrêmement éclairant des « tableaux de la
foi », estampes de manuels invitant à une pratique d’oraison dans les églises, parallèlement à
la célébration liturgique de la messe, pour lesquelles l’auteur élabore un véritable protocole
d’analyse. L’étude constitue ainsi une contribution notable au discours sur la gravure religieuse, trop souvent reléguée au rang de l’imagerie, et à celui sur l’estampe d’illustration,
usuellement trop exclusivement regardée à
l’aune de la confrontation entre le texte et
l’image. Elle l’est encore au commentaire de
tableau, par la riche étude inaugurale de la
Pentecôte de Le Brun, illuminée du témoignage
de Nivelon sur sa « consommation mystique »
par Jean-Jacques Olier. Le cheminement de
l’auteur est aussi stimulant que parfois
imprévu, mais on croirait à tort à des digressions. Le propos est toujours amplement documenté et argumenté.
Parmi les nombreuses fonctions que l’ère
post-tridentine a dévolues aux images, celle
d’encourager les pratiques d’oraison des dévots
et de pouvoir servir à la contemplation n’est
évidemment ni la principale, ni la plus importante. F. Cousinié n’entend toutefois pas écrire
l’histoire marginale d’un objet secondaire ; il
tente de montrer comment la conception de
l’image, telle qu’elle se laisse saisir dans l’abondante littérature mystique du Grand Siècle, est
essentielle pour analyser en historien les
tableaux d’autel, c’est-à-dire en s’attachant à
reconstituer les manières dont ces objets
étaient perçus, reçus et utilisés par leurs
contemporains. Se confrontant à la question
majeure des voies d’appropriation des œuvres
d’art par les fidèles, l’auteur a souhaité éprouver le modèle spirituel aux fins de construire
un regard sur la peinture religieuse : en quelle
mesure les modes de lecture et d’appréciation
des images mentales esquissés dans les traités
d’oraison peuvent-ils être transposés vers les
images matérielles produites par les artistes,
Quelques éclairages chronologiques, pour
mettre notamment en évidence l’évolution de
la place de la mystique dans les sensibilités religieuses au fil du siècle, n’auraient sans doute
pas été inutiles, mais tel n’était pas, on l’aura
compris, le projet de l’auteur. On s’en tiendra
dès lors à discuter son seul pari, dont il faut ici
saluer l’ambition, celui de partir de la pratique
de l’oraison pour aboutir à un renouvellement
du regard sur la peinture sacrée. Le lecteur à cet
égard se laisse volontiers séduire, et convaincre,
par le propos très inventif de l’ouvrage, et en
vient à regretter que l’auteur n’aie pas mené
son étude plus loin encore. Ainsi, F. Cousinié
conduit, à partir d’une excellente analyse de
l’espace et des points de vue dans les estampes
de Sébastien Leclerc qui représentent des
chœurs et maître-autels imaginaires (p. 125129), une réflexion novatrice sur la manière
dont le fidèle pouvait appréhender les œuvres
d’art suivant leur disposition dans l’espace
ecclésial et suivant le déroulement de la cérémonie liturgique ; la transposition demeure
toutefois un peu générale et n’aboutit finalement pas à une lecture critique des dispositions
On aura compris, L’iconographie médiévale
de J. Baschet m’a agacé plus que convaincu. Ce
livre est d’autant plus décevant que dans ses
travaux précédents, Les justices de l’au-delà,…
1993 ou Le Sein du père Abraham,… 2000,
il était resté un serviteur loyal des images,
attitude atypique d’autant plus courageuse
dans un milieu où le Verbe porté au pinacle
peine à se faire chair. On ne peut que le
regretter.
Yves Christe
Frédéric COUSINIÉ, Images et méditation au
XVIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2007, 25 cm, 240 p., 59 fig .en n. et
bl., index. ISBN : 978-2-7535-0514-8, 22 €.
des tableaux dans des espaces ecclésiaux
connus. Il est vrai que des exemples célèbres,
tels les Carmélites de la rue Saint-Jacques ou
même le chœur de Saint-Gervais-Saint-Protais
semblent résister à l’interprétation. Mais on ne
doute pas que l’auteur, dans un prochain travail, fasse aboutir sa promesse la plus séduisante et rende ses apports pour l’analyse des
tableaux d’autels aussi nets qu’ils le sont déjà
pour l’estampe d’illustration. L’ouvrage s’offre
au demeurant comme une introduction dans
un domaine encore peu exploré en histoire de
l’art (p. 22). F. Cousinié a de fait l’indéniable
qualité de rompre ici avec les lectures iconographiques traditionnelles et avec l’approche
dominante de la peinture sacrée comme
« théologie muette », ce qui rappelle indirectement que le texte sacré ne saurait constituer la
valeur de référence unique de toute peinture
religieuse.
Marianne Cojannot-Le Blanc
Architecture
Daniel MOUTON, Mottes castrales en
Provence. Les origines de la fortification
privée au Moyen Âge, Paris, Maison des
sciences de l’Homme, 2008, 29,5, 148 p.,
107 fig. et ill. en n. et bl., 2 pl. en coul.,
cartes, schémas, tabl., index des noms de
lieux et de personnes. ISBN : 2-7351-11202, 34 €.
(DAF. Documents
n° 102)
d’archéologie
française,
À l’instar de M. Fixot, qui a préfacé le
livre, on salue l’aboutissement d’une recherche
longue, entamée à l’époque où M. de Boüard
avait lancé, avec M. Debord, un vaste programme d’inventaire et de fouilles systématiques des « fortifications de terre », ainsi que le
fameux colloque de Caen de 1980, publié dans
Archéologie Médiévale en 1981. Fameux pour
ceux qui ont vécu cette époque pionnière ; sans
doute l’est-il moins aujourd’hui, où ces grands
programmes qui visaient à comprendre en profondeur le phénomène de l’apparition de la
fortification privée dans sa composante la
moins monumentale, la motte, l’enceinte de
terre et le fossé, ont marqué le pas et laissé
place à d’autres problématiques. Aussi est-ce
avec un réel plaisir que l’on découvre l’ouvrage
de D. Mouton, qui vient, enfin, apporter ses
réponses aux problèmes posés alors – certes
dans un cadre régional, qui ne peut être étendu
sans dangers, mais d’une façon assez exhaustive
pour penser qu’il a cerné ce sujet en Provence,
parti qu’il était de la vallée de la Durance
moyenne.