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TECHNIQUE INSTRUMENTALE Christophe BOU1,2*, Aurélie PAILLIER3, Christophe LAIR4, Anne RAGGY5, Arnaud ANSART6, Carine DURAND7, Marie-Audrey SAY LIANG FAT8, Larbi BENALI9 Approche médico-légale et anthropologique par imagerie 3D d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève RÉSUMÉ L’étude des restes humains organiques de momies représente un potentiel extraordinaire pour approfondir nos connaissances sur ces populations passées. Grâce à l’évolution des techniques d’imagerie médicales, une étude multidisciplinaire d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève a été effectuée. L’analyse conjointe de l’examen externe de la momie et de l’étude anthropologique virtuelle par imagerie 2D et 3D, nous permet de connaître les secrets de cette momie d’enfant avant et après son décès. MOTS-CLÉS momie d’enfant – Amérique du sud - culture Chimu - analyse anthropologique virtuelle - scanner tomodensitométrique - A Forensic and anthropological approach by 3D imaging of a child mummy RTICLES of the Ethnographical Museum of Geneva SUMMARY The organic remains study of mummies is an extraordinary potential to deepen our knowledge of these past populations. Thanks to the medical imaging techniques evolution, a multidisciplinary study of a child’s mummy of the Ethnographical Museum of Geneva was performed. The joint analysis of the external examination of the mummy, and the virtual anthropological study by 2D and 3D, allows us to know the secrets of this child mummy before and after its death. KEYWORDS child mummy - South America - Chimu culture - virtual anthropological analysis - CT scanner I - Introduction L’étude scientifique des momies est essentielle pour caractériser les individus dans un cadre d’anthropologie biologique et culturel fiable (1). En effet, découvrir et identifier le « monde des vivants » des momies au travers de la connaissance des paramètres classiquement utilisés en médecine légale et en anthropologie physique sur le corps (détermination de l’âge, de la diagnose sexuelle, évaluation de la stature, identification des paléopathologies, détermination de ou des causes de décès, etc.) contribue à enrichir nos connaissances sur ces populations (2, 3). De même, caractériser les divers traitements funéraires mis en œuvre sur les momies permet de conforter et d’approfondir l’approche culturelle de ce que nous pouvons appeler le « monde des morts » au travers des diverses approches anthropiques ou taphonomiques10 décelées (4). Cependant, cette démarche d’investigation ne peut se faire de manière conventionnelle en utilisant les méthodes invasives autopsiques d’examen interne du corps, ou anthropologiques de décharnement pour analyser le support osseux sur des momies conservées dans des musées et qui font partie des restes humains patrimonialisés. 3D 1 MCU-PH UFR d’odontologie, Département 56–03 Odontologie Légale, Université de Bordeaux, 16-20, cours de la Marne, 33082 Bordeaux UMR 5199 PACEA, CNRS, Université de Bordeaux, Pessac 3 Conservatrice-restauratrice, Centre archéologique départemental, Amiens 4 Agent des collections, Musée de l’Homme, Paris 5 Conservatrice-restauratrice, Musée de l’Homme, Paris 6 Contractuel, Musée de l’Homme, Paris 7 Conservatrice en chef - Responsable de l’Unité Collections, Musée d’ethnographie de Genève, Suisse 8 AHU UFR d’odontologie, Département 56–03 Odontologie Légale, Université de Bordeaux, 16-20, cours de la Marne, 33082 Bordeaux 9 MCU-PH service de Médecine Légale, Pôle Médico-Judiciaire, CHU Pellegrin, Bordeaux * Pour correspondance : christophe.bou@u-bordeaux2.fr 2 10 La taphonomie est l’étude de la géométrie de la fossilisation : abondance, orientation, position des fossiles dans le gisement. SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016 31 TECHNIQUE INSTRUMENTALE Dans le Bulletin Annuel MEG numéro spécial de 1981, un article intitulé « Les collections amérindiennes », écrit par l’ancien directeur Daniel Schoepf indique qu’en 1901, la réunion des collections du Musée d’archéologie et celles du Musée des Bastions était à l’origine de l’ouverture du Musée d’Ethnographie de Genève (MEG). Dès lors, un afflux de dons et de collections enrichiront le MEG (H. De Saussure, G. Perrière, Comte De Saint-Georges, Gillet-Brez, F. Sarrazin, E. Hassler, M. Grosjean, Dr. Fol). En 1933, 585 pièces s’ajoutent à la collection. Johann-Jacob Schazmann les avait rassemblés de 1849 à 1880 lors de ses randonnées dans les Andes. Parmi ces pièces se trouve une momie dont, malheureusement, les informations définitives concernant la provenance et le mode d’acquisition sont inexistantes. Figure 1 II - Matériel et Méthodes La momie appartenant au Musée Ethnographique de Genève (MEG), sujet de notre étude, est identifiée sous la référence « ETHAM 058201 ». Elle ne dispose d’aucun élément associé pouvant indiquer son origine ou sa provenance. Rien n’indique non plus si elle a été l’objet d’une vente, d’un don, d’un pillage ou autre. De plus, cette momie n’aurait pas d’associations avec les autres momies similaires présentes au MEG et n’a fait jusqu’à présent l’objet d’aucune étude anthropologie physique (Figure 1). Cette momie de petite taille pouvant être identifiée comme une momie d’enfant, sans précision du sexe ou de l’âge, elle fera l’objet d’une étude évaluative anthropologique la plus exhaustive possible, tout en préservant l’intégrité du matériel examiné. À cet égard, la méthodologie d’examen comprend deux étapes chronologiques. La première concerne © Musée ethnographique de Genève A RTICLES Photographies de la momie « ETHAM 058201 » L’objectif de ce travail est de recueillir les paramètres nous permettant de caractériser cette momie tant en termes d’anthropologie physique que d’anthropologie culturelle. C’est pourquoi l’approche choisie dans l’analyse de cette momie combine à la fois un examen externe minutieux et une analyse médico-anthropologique par imagerie 2D et 3D suite à une acquisition tomodensitométrique. 32 SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016 Approche médico-légale et anthropologique par imagerie 3D d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève TECHNIQUE INSTRUMENTALE © Aurélie Paillier la description externe du corps et l’analyse des éléments s’y rattachant. Et dans un second temps, après acquisition tomodensitométrique, une analyse anthropologique virtuelle par imagerie 2D et reconstructions 3D permettra de caractériser cette momie et d’identifier d’éventuelles paléopathologies (5, 6, 7, 8). L’appareil d’imagerie médicale utilisé est un scanner tomodensitométrique hélicoïdal Philips Brilliance CT 40-channel, appartenant à l’Université de Zurich (Suisse). L’acquisition totale de la momie comporte 628 coupes axiales d’une résolution de 512x512, avec une épaisseur de 1,40 mm et une reconstruction à 0,7 mm. Ces coupes axiales sont traitées et étudiées avec le logiciel Osirix, dans un premier temps en 2D multiplanaire pour interpréter les résultats. Dans un second temps, des reconstructions 3D volumiques et/ou surfaciques permettent la visualisation globale virtuelle des différentes structures anatomiques et leurs analyses métriques et scopiques respectives. Figure 4 Perte de substance cutanée au niveau de la voûte plantaire et du talon gauche 1. Résultats de l’examen externe La momie « ETHAM 58201 » se présente en position fœtale. Les bras ne sont pas croisés et les jambes sont pliées. Les pieds ont été rapprochés du bassin. La longueur totale de la momie est de 440 mm et sa largeur de 160 mm. La peau est encore présente sur l’ensemble du corps, à l’exception de certaines zones (extrémité céphalique, bras, jambes) présentant des pertes de substance cutanée (Figures 2, 3 et 4). Aucun tatouage n’est apparent. La bouche est ouverte. RTICLES III - Résultats A La présence d’organes génitaux externes (OGE) permet d’établir la diagnose sexuelle : cette momie est de sexe masculin. L’utilisation d’une lumière UV sur la surface cutanée de la momie ne met en évidence nulle modification intentionnelle ni dépôt de substance étrangère de type tatouage. La momie et ses textiles sont recouverts de poussière, constituant une base de données exploitable et non négligeable (restes d’insectes, de végétaux, de pollen, etc.). L’observation sous loupe binoculaire (Leica® CLS 150X) des restes d’animaux, mélangés aux poussières, permet de préciser la nature des échantillons observés (Figure 5). Figure 2 © Aurélie Paillier © Aurélie Paillier Perte de substance au niveau des genoux Figure 3 © Aurélie Paillier Perte de substance cutanée au niveau de l’os temporal 11 Figure 5 Restes d’insectes et de végétaux confondus L’identification des insectes prélevés sur le corps met en évidence la présence d’espèces de diptères et de doléoptères nécrophages : - 2 pupes11 vides de diptère Ophyra capensis, - 2 pupes vides de diptère Piophilidae, - 1 pupe de diptère Phoridae, - 1 coléoptère Cartodere, - 1 exuvie de coléoptère Dermestidae. Au niveau des textiles, pour maintenir l’ensemble dans cette position, des bandages de tissus ont été placés et enroulés autour de la momie. On peut nettement observer plusieurs couches de tissus textiles dans des camaïeux de bruns, passant sur La pupe désigne l’enveloppe chitineuse de la nymphe des diptères ; il s’agit du stade intermédiaire entre la larve et l’imago (nymphe). SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016 33 TECHNIQUE INSTRUMENTALE Figure 7 © Christophe Bou Absence de structure cérébrale Au niveau thoracique, on observe à gauche l’absence du parenchyme pulmonaire (coupe sagittale 165) et à droite la présence de tissus résiduels momifiés pouvant être du tissu cardiaque ou pulmonaire (coupe axiale 313) (Figures 8-9). Figure 6 Photographies du sac en bandoulière 2. Résultats de l’examen tomodensitométrique et imagerie virtuelle anthropologique L’analyse des coupes axiales nous permet de visualiser certaines caractéristiques. Au niveau de l’extrémité céphalique (coupe axiale 502), on note l’absence des structures cérébrales, sans mise en évidence de trépanation crânienne ou d’excérébration (rhino-septale ou par voie occipitale) d’origine anthropique. Quelques traces des méninges à l’état de restes momifiés sont présentes au niveau de la base du crâne (étoile jaune, Figure 7). 34 SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016 Figure 8 et 9 Coupe PMS et Résidu organique intra-thoracique Au niveau de l’orbite droite, on note la présence du globe oculaire avec persistance du nerf optique ; l’ensemble étant momifié (Figure 10). Figure 10 Présence nerf optique © Christophe Bou © Aurélie Paillier © Christophe Bou A RTICLES et sous les membres afin d’en assurer l’immobilité. La première « couche » de tissu ressemble à un « poncho ». Les coutures sont visibles (sur les flancs droit et gauche). Le bord est ourlé. De dos, ce textile est replié sur lui-même et remonte vers le cou. La seconde « couche » ressemble à une bande de tissu étroite. Elle passe derrière le cou de la momie, sous sa main gauche et ses genoux (repliés sur le torse), sous sa main droite, et couvre une partie du bras gauche pour terminer sa course dans le cou. La troisième « couche » ressemble à une écharpe. Elle est autour de son cou et semble revenir à droite, le long du corps, avant de se perdre dans les doigts de la main droite. L’enfant porte un petit sac positionné sur le côté gauche de son corps, dont la bandoulière passe par l’épaule droite. Ce sac comporte différents décors : plusieurs bandes verticales jaunes et rouges ; des bordures latérales constituées d’un « cordon » à motifs de losanges de plusieurs couleurs. Sur le bord supérieur, on retrouve ce même brun foncé à gauche puis, un brun rouge. La surface textile présente un trou et des différences dans le tissage (Figure 6). Approche médico-légale et anthropologique par imagerie 3D d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève TECHNIQUE INSTRUMENTALE L’examen des coupes axiales, au niveau de la mandibule et du maxillaire, met en évidence la présence d’une momie d’enfant en denture mixte, avec la présence de dents lactéales sur arcade et de dents définitives à l’état de germes encore inclus dans le corps de la mandibule et du maxillaire (Figures 11 et 12). La présence de structures radio-opaques au niveau de la zone abdominale et péri-vertébrale lombaire laissent supposer des éléments dentaires isolés (Figures 13). Nous sommes donc en présence d’une momie d’enfant, momifiée de manière naturelle sans action anthropique dans le traitement funéraire, hormis le positionnement en position fœtale. Afin de compléter l’analyse préliminaire descriptive des coupes axiales et sagittales, nous effectuons une étude d’identification évaluative par imagerie 3D de la momie pour en évaluer la stature, établir la diagnose sexuelle, définir l’âge au décès et identifier d’éventuelles paléopathologies (9, 10, 11). Figure 11 Dents mandibulaires 3. Identiication évaluative par imagerie 3D Lorsque le squelette est complet, la détermination de la taille ou stature se calcule par sommation des différentes structures anatomiques (crâne, rachis, coxal, fémur, tibia, pied). Elle peut aussi s’estimer selon la longueur des os longs tels que le fémur ou l’humérus (Figure14). A © Christophe Bou 3.1 Détermination de la stature RTICLES Figure 12 © Christophe Bou © Christophe Bou Dents maxillaires Figure 14 Reconstruction 3D de l’ensemble du squelette. Celui-ci étant un peu déformé, on peut en estimer la taille à partir de la longueur du fémur et de tables métriques. Figure 13 © Christophe Bou Dents en position ectopique dans la zone vertébrale lombaire. La segmentation des divers os constituant le squelette permet d’obtenir une valeur totale de 63 cm ; valeur à laquelle nous devons rajouter la hauteur correspondant aux tissus mous, disques et cartilages. On note par ailleurs des déformations post-mortem représentées par une scoliose importante, une augmentation de la lordose cervicale et une quasi-disparition de la lordose lombaire. L’ensemble de ces paramètres sous évaluent la posture. Par conséquent, il est probable que la taille de l’enfant soit de 70 cm. Et en effet, une analyse complémentaire à partir de la mensuration de la diaphyse fémorale (D = 110 mm) permet, selon la formule d’Olivier, de proposer une taille de 70 cm. SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016 35 TECHNIQUE INSTRUMENTALE 3.2 Détermination de la diagnose sexuelle vides mais intactes et sans remaniement nous indique que l’absence de la dent est post-mortem, vraisemblablement due à des manipulations postmortem (Figure 18). Etablir une diagnose sexuelle chez les jeunes enfants est très délicate, car les processus de maturation débutent. Lors de l’examen externe, la visualisation de la présence des organes génitaux nous confirme le caractère masculin de cette momie d’enfant. 3.3 Détermination de l’âge La maturation dentaire et le stade d’éruption dentaire représentent des indicateurs très fiables concernant la détermination de l’âge chez l’enfant. En effet, la maturation osseuse peut être influencée par les facteurs environnementaux mais également nutritionnels (12), tout au long de la vie de l’enfant (Figures 15 et 16). Figure 18 Odontogramme Figure 15 © Christophe Bou © Christophe Bou A RTICLES De plus, ces dents manquantes sont retrouvées en position ectopique, au niveau de la zone abdominale et péri-vertébrale (Figure 17). Figure 17 Dents en position ectopique Le stade d’éruption dentaire de cette momie se situe entre l’apparition des canines maxillaires déciduales et celle des secondes molaires déciduales, soit en moyenne entre 18 et 24 mois (Figure 19). © Christophe Bou Vue sagittale du crâne Figure 16 Figure 19 Visualisation de la denture mixte Tableau récapitulatif de plusieurs études sur l’éruption dentaire Afin de procéder à l’application de ces méthodes, la formule dentaire de la momie a été établie. On note l’absence des blocs incisivo-canins dans les secteurs12 5, 6 et 8. La présence d’alvéoles Une méthode utilisant la maturation dentaire sera déployée pour améliorer cette estimation de l’âge. Eu égard au très jeune âge de la momie, l’utilisation de la méthode de Moorrees sera appliquée en lieu 12 L’ensemble de la dentition est divisée en quatre secteurs : 1, 2, 3 et 4 pour un adulte ; 5, 6, 7 et 8 pour un enfant. 5 correspond à l’hémi-maxillaire droit, 6 à l’hémi-maxillaire gauche, 7 à l’hémi-mandibule gauche et 8 à l’hémi-mandibule droite. 36 SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016 Approche médico-légale et anthropologique par imagerie 3D d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève TECHNIQUE INSTRUMENTALE Figure 20 Illustrations des diférents stades de développement selon Moorrees 3.4 Eléments de paléopathologie et place de la méthode de Dimirjian, qui présente dans notre cas une erreur d’estimation plus élevée (Figures 20 et 21). L’examen du squelette ne met en évidence aucun traumatisme post-crânien. En revanche, au niveau crânien, on note une fracture de l’occipital traversant la suture lambdoïde, ainsi que l’absence des os propres du nez (Figures 22 et 23). A © Christophe Bou © Christophe Bou RTICLES Figure 22 Fracture de l’occipital Figure 21 • Pour les incisives : les incisives mandibulaires sont au stade Cr½. Les incisives centrales sont moins développées ; on leur attribue le stade COC. Les germes des incisives latérales maxillaires sont absents. • Pour les canines : les germes des quatre canines sont bien présents. Leur stade de développement les place dans le stade COC. • Pour les prémolaires : les germes des prémolaires sont encore absents. • Pour les molaires : seuls les germes des premières molaires sont visibles. On leur attribue le stade Cr¾. L’ensemble des informations recueillies sur le stade de maturation dentaire selon la méthode de Moorrees permet de définir un âge compris entre 20 et 24 mois. © Christophe Bou Visualisation des arcades dentaires déciduales et permanentes Figure 23 Absence des os propres du nez IV - Discussion L’ensemble des éléments recueillis au cours des diverses investigations permet de caractériser cette momie d’enfant. SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016 37 TECHNIQUE INSTRUMENTALE A RTICLES Concernant « le monde des vivants », l’analyse réalisée par Mme Victória Solanilla Demestre13 des divers types (coton, alpaga) de textiles (poncho, bandeau, écharpe, sac musette) et leur concordance à des référentiels existants laisse supposer que l’enfant aurait été membre de la culture Chimu. En effet, la majorité des textiles chimús étaient en laine d’alpaga sur trame de coton. Cette importante culture pré-colombienne persista pendant plusieurs siècles, de 1 000 à 1 470 après J.C., sur une étroite bande désertique entre le Pacifique et les contreforts ouest des Andes, sur la côte nord du Pérou. Les Chimús étaient les habitants du royaume de Chimor. Leur capitale était Chanchán, une grande cité construite en adobe14 située dans la vallée de la Moche, près de la ville péruvienne actuelle de Trujillo. Les recherches archéologiques laissent penser que la culture chimú est issue de la culture mochica (13). Une étude de datation au C14 associée à une étude isotopique avec un échantillon de cheveux ou autre tissu organique permettrait de définir de manière plus précise la période durant laquelle il vivait ainsi que son appartenance géographique. L’analyse anthropologique permet de définir la momie comme étant celle d’un très jeune enfant de type masculin, âgé entre 20 et 24 mois, d’une taille de 70 cm environ, soit en adéquation avec son âge. La présence d’une fracture occipitale pourrait avoir pour étiologie un trauma crânien si sa survenue est ante ou peri-mortem. Si tel est le cas, un Hématome Extra Dural ou HED avec risque infectieux des méninges ou lésion vasculaire, peut être la cause éventuelle du décès de cet enfant. Concernant « le monde des morts » ou l’analyse du traitement funéraire, la momification de cet enfant est naturelle, sans action anthropique. Et ce, même si nous notons l’absence de la structure cérébrale et de la majorité des viscères thoraco-abdominaux. Cela laisse supposer que la sémiologie post mortem et en particulier d’autolyse a été effective dans un premier temps. Les pertes de substance cutanées sur certaines parties du corps peuvent avoir été engendrées post-mortem par des prédateurs de type rongeur. De même, la présence de dents isolées en position intra abdominale et péri-vertébrale est attribuable à des manipulations post-mortem de la momie. Celles-ci ont pu entraîner l’avulsion spontanée de ces dents mono-radiculées du fait de la disparition du ligament alvéolo-dentaire, et leur migration en partie basse du corps. Un acte intentionnel de dépose des dents est en effet très improbable. Parmi le matériel entomologique identifié, il convient de différencier d’une part les insectes appartenant traditionnellement aux escouades qui se succèdent sur un cadavre, en correspondance avec les différentes étapes de la dégradation post mortem. Et d’autre part, ceux qui ont pu intervenir 13 14 38 Restauratrice des tissus au MEG, elle est spécialiste de l’Amérique du Sud. L’adobe désigne une brique élémentaire mêlée de paille et séchée au soleil. SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016 plus tardivement, notamment au musée (14, 15). Comme évoqué précédemment, la momie « ETHAM 058201 » dont il est question ici est une momie naturelle. Les conditions climatiques en Amérique du Sud favorisent une dessiccation assez rapide après la mort. Cela pourrait expliquer notamment le fait que l’on ne retrouve qu’un nombre très limité de puparias de diptères nécrophages des premières escouades, celles qui colonisent le cadavre dans les premiers moments suivant le décès. Peut-être également que le corps de l’enfant a été soustrait à l’action des insectes par une pratique funéraire dont nous n’avons pas trace. En effet les diptères Piophilidae ou mouche du fromage identifiés interviennent assez tardivement sur un cadavre (4ème escouade), notamment lorsque ce dernier arrive au stade de fermentation caséique (émanations d’odeur d’acide butyrique). De même, le diptère Ophyra capensis colonise un corps généralement au stade de fermentation ammoniacale (5ème escouade). Ces étapes de dégradations sont partiellement visibles sur la momie. Les photos de cette dernière indiquent en effet de façon nette que celle-ci s’est partiellement décomposée, eu égard à la quasi absence des structures cérébrales et au nombre limité des viscères. Les perforations de la peau peuvent aussi être en rapport avec l’action des larves de mouches. Cette décomposition a vraisemblablement été suivie d’une dessiccation rapide. Les pertes de substances organiques importantes au niveau de la momie (pieds, genoux) ont été engendrées plutôt par l’action de rongeurs « récents », que par des manipulations post-mortem iatrogènes. Enfin, la présence d’autres insectes de type coléoptère Dermestidae laissent supposer que ces derniers sont intervenus in situ, une fois le corps momifié ou très tardivement, puisque ces derniers sont les hôtes fréquents des musées et en particulier des collections d’histoire naturelle. V - Conclusions Ce travail a permis de mettre en évidence la richesse des informations que l’on a pu déduire sur des momies, tout en préservant l’intégrité de ces dernières, au travers d’une étude multidisciplinaire la plus complète possible. De nombreuses momies sont présentes au sein des diverses collections de musées, sans pour autant avoir fait l’objet d’études approfondies. Il serait souhaitable que le partage des résultats issus de ces momies « oubliées » puisse nous donner plus d’informations. Et ce, non pas seulement sur le plan individuel, mais plutôt à l’échelle collective de groupes d’individus ayant une même entité spatio-temporelle, pour ainsi mieux définir et appréhender la vie de ces populations passées. Approche médico-légale et anthropologique par imagerie 3D d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève TECHNIQUE INSTRUMENTALE REFERENCES (1) COCKBURN A., Mummies disease and Ancient Culture, 2nd ed., Cambridge, Cambridge University Press, 1998. (2) UBELAKER D.H., Human Skeletal Remains : Excavation, Analysis, Interpretation, third ed. Taraxacum, Washington D.C., 1999 (3) FEREMBACH D., SCHWIDETZKY I., STLOUKAL M., Recommendations for age and sex diagnoses of skeletons. J. 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SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016 39