TECHNIQUE INSTRUMENTALE
Christophe BOU1,2*, Aurélie PAILLIER3, Christophe LAIR4, Anne RAGGY5, Arnaud ANSART6,
Carine DURAND7, Marie-Audrey SAY LIANG FAT8, Larbi BENALI9
Approche médico-légale et anthropologique
par imagerie 3D d’une momie d’enfant
du Musée Ethnographique de Genève
RÉSUMÉ
L’étude des restes humains organiques de momies représente un potentiel extraordinaire pour approfondir
nos connaissances sur ces populations passées. Grâce à l’évolution des techniques d’imagerie médicales,
une étude multidisciplinaire d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève a été effectuée.
L’analyse conjointe de l’examen externe de la momie et de l’étude anthropologique virtuelle par imagerie 2D
et 3D, nous permet de connaître les secrets de cette momie d’enfant avant et après son décès.
MOTS-CLÉS
momie d’enfant – Amérique du sud - culture Chimu - analyse anthropologique virtuelle - scanner
tomodensitométrique -
A
Forensic and anthropological approach by 3D imaging of a child mummy
RTICLES
of the Ethnographical Museum of Geneva
SUMMARY
The organic remains study of mummies is an extraordinary potential to deepen our knowledge of these past
populations. Thanks to the medical imaging techniques evolution, a multidisciplinary study of a child’s mummy of the
Ethnographical Museum of Geneva was performed. The joint analysis of the external examination of the mummy, and
the virtual anthropological study by 2D and 3D, allows us to know the secrets of this child mummy before and after its
death.
KEYWORDS
child mummy - South America - Chimu culture - virtual anthropological analysis - CT scanner
I - Introduction
L’étude scientifique des momies est essentielle
pour caractériser les individus dans un cadre
d’anthropologie biologique et culturel fiable (1). En
effet, découvrir et identifier le « monde des vivants »
des momies au travers de la connaissance des paramètres classiquement utilisés en médecine légale et en
anthropologie physique sur le corps (détermination de
l’âge, de la diagnose sexuelle, évaluation de la stature,
identification des paléopathologies, détermination
de ou des causes de décès, etc.) contribue à enrichir
nos connaissances sur ces populations (2, 3). De
même, caractériser les divers traitements funéraires
mis en œuvre sur les momies permet de conforter
et d’approfondir l’approche culturelle de ce que nous
pouvons appeler le « monde des morts » au travers des
diverses approches anthropiques ou taphonomiques10
décelées (4).
Cependant, cette démarche d’investigation ne peut
se faire de manière conventionnelle en utilisant les
méthodes invasives autopsiques d’examen interne
du corps, ou anthropologiques de décharnement
pour analyser le support osseux sur des momies
conservées dans des musées et qui font partie des
restes humains patrimonialisés.
3D
1
MCU-PH UFR d’odontologie, Département 56–03 Odontologie Légale, Université de Bordeaux, 16-20, cours de la Marne, 33082 Bordeaux
UMR 5199 PACEA, CNRS, Université de Bordeaux, Pessac
3
Conservatrice-restauratrice, Centre archéologique départemental, Amiens
4
Agent des collections, Musée de l’Homme, Paris
5
Conservatrice-restauratrice, Musée de l’Homme, Paris
6
Contractuel, Musée de l’Homme, Paris
7
Conservatrice en chef - Responsable de l’Unité Collections, Musée d’ethnographie de Genève, Suisse
8
AHU UFR d’odontologie, Département 56–03 Odontologie Légale, Université de Bordeaux, 16-20, cours de la Marne, 33082 Bordeaux
9
MCU-PH service de Médecine Légale, Pôle Médico-Judiciaire, CHU Pellegrin, Bordeaux
* Pour correspondance : christophe.bou@u-bordeaux2.fr
2
10
La taphonomie est l’étude de la géométrie de la fossilisation : abondance, orientation, position des fossiles dans le gisement.
SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016
31
TECHNIQUE INSTRUMENTALE
Dans le Bulletin Annuel MEG numéro spécial
de 1981, un article intitulé « Les collections
amérindiennes », écrit par l’ancien directeur
Daniel Schoepf indique qu’en 1901, la réunion des
collections du Musée d’archéologie et celles du
Musée des Bastions était à l’origine de l’ouverture
du Musée d’Ethnographie de Genève (MEG). Dès
lors, un afflux de dons et de collections enrichiront
le MEG (H. De Saussure, G. Perrière, Comte De
Saint-Georges, Gillet-Brez, F. Sarrazin, E. Hassler,
M. Grosjean, Dr. Fol).
En 1933, 585 pièces s’ajoutent à la collection.
Johann-Jacob Schazmann les avait rassemblés de
1849 à 1880 lors de ses randonnées dans les Andes.
Parmi ces pièces se trouve une momie dont,
malheureusement, les informations définitives
concernant la provenance et le mode d’acquisition
sont inexistantes.
Figure 1
II - Matériel et Méthodes
La momie appartenant au Musée Ethnographique
de Genève (MEG), sujet de notre étude, est
identifiée sous la référence « ETHAM 058201 ».
Elle ne dispose d’aucun élément associé pouvant
indiquer son origine ou sa provenance. Rien
n’indique non plus si elle a été l’objet d’une
vente, d’un don, d’un pillage ou autre. De plus,
cette momie n’aurait pas d’associations avec les
autres momies similaires présentes au MEG et
n’a fait jusqu’à présent l’objet d’aucune étude
anthropologie physique (Figure 1).
Cette momie de petite taille pouvant être identifiée
comme une momie d’enfant, sans précision du sexe
ou de l’âge, elle fera l’objet d’une étude évaluative
anthropologique la plus exhaustive possible, tout
en préservant l’intégrité du matériel examiné. À cet
égard, la méthodologie d’examen comprend deux
étapes chronologiques. La première concerne
© Musée ethnographique de Genève
A
RTICLES
Photographies
de la momie
« ETHAM 058201 »
L’objectif de ce travail est de recueillir les
paramètres nous permettant de caractériser cette
momie tant en termes d’anthropologie physique
que d’anthropologie culturelle. C’est pourquoi
l’approche choisie dans l’analyse de cette momie
combine à la fois un examen externe minutieux
et une analyse médico-anthropologique par
imagerie 2D et 3D suite à une acquisition
tomodensitométrique.
32
SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016
Approche médico-légale et anthropologique par imagerie 3D
d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève
TECHNIQUE INSTRUMENTALE
© Aurélie Paillier
la description externe du corps et l’analyse des
éléments s’y rattachant. Et dans un second temps,
après acquisition tomodensitométrique, une
analyse anthropologique virtuelle par imagerie 2D
et reconstructions 3D permettra de caractériser
cette momie et d’identifier d’éventuelles paléopathologies (5, 6, 7, 8).
L’appareil d’imagerie médicale utilisé est un
scanner tomodensitométrique hélicoïdal Philips
Brilliance CT 40-channel, appartenant à l’Université de Zurich (Suisse). L’acquisition totale
de la momie comporte 628 coupes axiales d’une
résolution de 512x512, avec une épaisseur de
1,40 mm et une reconstruction à 0,7 mm. Ces
coupes axiales sont traitées et étudiées avec le
logiciel Osirix, dans un premier temps en 2D
multiplanaire pour interpréter les résultats.
Dans un second temps, des reconstructions 3D
volumiques et/ou surfaciques permettent la
visualisation globale virtuelle des différentes
structures anatomiques et leurs analyses
métriques et scopiques respectives.
Figure 4
Perte de substance cutanée au niveau de la voûte plantaire
et du talon gauche
1. Résultats de l’examen externe
La momie « ETHAM 58201 » se présente en
position fœtale. Les bras ne sont pas croisés et les
jambes sont pliées. Les pieds ont été rapprochés
du bassin. La longueur totale de la momie est de
440 mm et sa largeur de 160 mm.
La peau est encore présente sur l’ensemble du
corps, à l’exception de certaines zones (extrémité
céphalique, bras, jambes) présentant des pertes
de substance cutanée (Figures 2, 3 et 4). Aucun
tatouage n’est apparent. La bouche est ouverte.
RTICLES
III - Résultats
A
La présence d’organes génitaux externes (OGE)
permet d’établir la diagnose sexuelle : cette momie
est de sexe masculin.
L’utilisation d’une lumière UV sur la surface
cutanée de la momie ne met en évidence nulle
modification intentionnelle ni dépôt de substance
étrangère de type tatouage.
La momie et ses textiles sont recouverts de
poussière, constituant une base de données
exploitable et non négligeable (restes d’insectes,
de végétaux, de pollen, etc.).
L’observation sous loupe binoculaire (Leica®
CLS 150X) des restes d’animaux, mélangés aux
poussières, permet de préciser la nature des
échantillons observés (Figure 5).
Figure 2
© Aurélie Paillier
© Aurélie Paillier
Perte de substance
au niveau des
genoux
Figure 3
© Aurélie Paillier
Perte de substance
cutanée au niveau
de l’os temporal
11
Figure 5
Restes d’insectes et de végétaux confondus
L’identification des insectes prélevés sur le corps
met en évidence la présence d’espèces de diptères
et de doléoptères nécrophages :
- 2 pupes11 vides de diptère Ophyra capensis,
- 2 pupes vides de diptère Piophilidae,
- 1 pupe de diptère Phoridae,
- 1 coléoptère Cartodere,
- 1 exuvie de coléoptère Dermestidae.
Au niveau des textiles, pour maintenir l’ensemble
dans cette position, des bandages de tissus ont été
placés et enroulés autour de la momie. On peut
nettement observer plusieurs couches de tissus
textiles dans des camaïeux de bruns, passant sur
La pupe désigne l’enveloppe chitineuse de la nymphe des diptères ; il s’agit du stade intermédiaire entre la larve et l’imago (nymphe).
SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016
33
TECHNIQUE INSTRUMENTALE
Figure 7
© Christophe Bou
Absence de structure
cérébrale
Au niveau thoracique, on observe à gauche
l’absence du parenchyme pulmonaire (coupe
sagittale 165) et à droite la présence de tissus
résiduels momifiés pouvant être du tissu cardiaque
ou pulmonaire (coupe axiale 313) (Figures 8-9).
Figure 6
Photographies du sac en bandoulière
2. Résultats de l’examen
tomodensitométrique
et imagerie virtuelle anthropologique
L’analyse des coupes axiales nous permet de
visualiser certaines caractéristiques.
Au niveau de l’extrémité céphalique (coupe axiale
502), on note l’absence des structures cérébrales,
sans mise en évidence de trépanation crânienne ou
d’excérébration (rhino-septale ou par voie occipitale)
d’origine anthropique. Quelques traces des méninges
à l’état de restes momifiés sont présentes au niveau
de la base du crâne (étoile jaune, Figure 7).
34
SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016
Figure 8 et 9
Coupe PMS et Résidu organique intra-thoracique
Au niveau de l’orbite droite, on note la présence du
globe oculaire avec persistance du nerf optique ;
l’ensemble étant momifié (Figure 10).
Figure 10
Présence nerf
optique
© Christophe Bou
© Aurélie Paillier
© Christophe Bou
A
RTICLES
et sous les membres afin d’en assurer l’immobilité.
La première « couche » de tissu ressemble à un
« poncho ». Les coutures sont visibles (sur les
flancs droit et gauche). Le bord est ourlé. De dos,
ce textile est replié sur lui-même et remonte vers
le cou.
La seconde « couche » ressemble à une bande de
tissu étroite. Elle passe derrière le cou de la momie,
sous sa main gauche et ses genoux (repliés sur le
torse), sous sa main droite, et couvre une partie du
bras gauche pour terminer sa course dans le cou.
La troisième « couche » ressemble à une écharpe.
Elle est autour de son cou et semble revenir à
droite, le long du corps, avant de se perdre dans
les doigts de la main droite.
L’enfant porte un petit sac positionné sur le côté
gauche de son corps, dont la bandoulière passe par
l’épaule droite. Ce sac comporte différents décors :
plusieurs bandes verticales jaunes et rouges ; des
bordures latérales constituées d’un « cordon » à
motifs de losanges de plusieurs couleurs. Sur le
bord supérieur, on retrouve ce même brun foncé
à gauche puis, un brun rouge. La surface textile
présente un trou et des différences dans le tissage
(Figure 6).
Approche médico-légale et anthropologique par imagerie 3D
d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève
TECHNIQUE INSTRUMENTALE
L’examen des coupes axiales, au niveau de la
mandibule et du maxillaire, met en évidence la
présence d’une momie d’enfant en denture mixte,
avec la présence de dents lactéales sur arcade et de
dents définitives à l’état de germes encore inclus
dans le corps de la mandibule et du maxillaire
(Figures 11 et 12).
La présence de structures radio-opaques au niveau
de la zone abdominale et péri-vertébrale lombaire
laissent supposer des éléments dentaires isolés
(Figures 13).
Nous sommes donc en présence d’une momie
d’enfant, momifiée de manière naturelle sans
action anthropique dans le traitement funéraire,
hormis le positionnement en position fœtale.
Afin de compléter l’analyse préliminaire descriptive des coupes axiales et sagittales, nous
effectuons une étude d’identification évaluative
par imagerie 3D de la momie pour en évaluer la
stature, établir la diagnose sexuelle, définir l’âge au
décès et identifier d’éventuelles paléopathologies
(9, 10, 11).
Figure 11
Dents mandibulaires
3. Identiication évaluative par imagerie 3D
Lorsque le squelette est complet, la détermination
de la taille ou stature se calcule par sommation des
différentes structures anatomiques (crâne, rachis,
coxal, fémur, tibia, pied). Elle peut aussi s’estimer
selon la longueur des os longs tels que le fémur ou
l’humérus (Figure14).
A
© Christophe Bou
3.1 Détermination de la stature
RTICLES
Figure 12
© Christophe Bou
© Christophe Bou
Dents maxillaires
Figure 14
Reconstruction 3D de l’ensemble du squelette. Celui-ci étant
un peu déformé, on peut en estimer la taille à partir de la
longueur du fémur et de tables métriques.
Figure 13
© Christophe Bou
Dents en position
ectopique dans
la zone vertébrale
lombaire.
La segmentation des divers os constituant le
squelette permet d’obtenir une valeur totale de
63 cm ; valeur à laquelle nous devons rajouter la
hauteur correspondant aux tissus mous, disques et
cartilages. On note par ailleurs des déformations
post-mortem représentées par une scoliose
importante, une augmentation de la lordose
cervicale et une quasi-disparition de la lordose
lombaire. L’ensemble de ces paramètres sous
évaluent la posture. Par conséquent, il est probable
que la taille de l’enfant soit de 70 cm.
Et en effet, une analyse complémentaire à partir
de la mensuration de la diaphyse fémorale (D =
110 mm) permet, selon la formule d’Olivier, de
proposer une taille de 70 cm.
SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016
35
TECHNIQUE INSTRUMENTALE
3.2 Détermination de la diagnose sexuelle
vides mais intactes et sans remaniement nous
indique que l’absence de la dent est post-mortem,
vraisemblablement due à des manipulations postmortem (Figure 18).
Etablir une diagnose sexuelle chez les jeunes
enfants est très délicate, car les processus de
maturation débutent. Lors de l’examen externe, la
visualisation de la présence des organes génitaux
nous confirme le caractère masculin de cette
momie d’enfant.
3.3 Détermination de l’âge
La maturation dentaire et le stade d’éruption
dentaire représentent des indicateurs très fiables
concernant la détermination de l’âge chez
l’enfant. En effet, la maturation osseuse peut être
influencée par les facteurs environnementaux
mais également nutritionnels (12), tout au long de
la vie de l’enfant (Figures 15 et 16).
Figure 18
Odontogramme
Figure 15
© Christophe Bou
© Christophe Bou
A
RTICLES
De plus, ces dents manquantes sont retrouvées
en position ectopique, au niveau de la zone
abdominale et péri-vertébrale (Figure 17).
Figure 17
Dents en position ectopique
Le stade d’éruption dentaire de cette momie se
situe entre l’apparition des canines maxillaires
déciduales et celle des secondes molaires
déciduales, soit en moyenne entre 18 et 24 mois
(Figure 19).
© Christophe Bou
Vue sagittale du crâne
Figure 16
Figure 19
Visualisation de la denture mixte
Tableau récapitulatif de plusieurs études sur l’éruption dentaire
Afin de procéder à l’application de ces méthodes,
la formule dentaire de la momie a été établie.
On note l’absence des blocs incisivo-canins dans
les secteurs12 5, 6 et 8. La présence d’alvéoles
Une méthode utilisant la maturation dentaire sera
déployée pour améliorer cette estimation de l’âge.
Eu égard au très jeune âge de la momie, l’utilisation
de la méthode de Moorrees sera appliquée en lieu
12
L’ensemble de la dentition est divisée en quatre secteurs : 1, 2, 3 et 4 pour un adulte ; 5, 6, 7 et 8 pour un enfant. 5 correspond à l’hémi-maxillaire droit,
6 à l’hémi-maxillaire gauche, 7 à l’hémi-mandibule gauche et 8 à l’hémi-mandibule droite.
36
SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016
Approche médico-légale et anthropologique par imagerie 3D
d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève
TECHNIQUE INSTRUMENTALE
Figure 20
Illustrations des
diférents stades
de développement
selon Moorrees
3.4 Eléments de paléopathologie
et place de la méthode de Dimirjian, qui présente
dans notre cas une erreur d’estimation plus élevée
(Figures 20 et 21).
L’examen du squelette ne met en évidence aucun
traumatisme post-crânien. En revanche, au
niveau crânien, on note une fracture de l’occipital
traversant la suture lambdoïde, ainsi que l’absence
des os propres du nez (Figures 22 et 23).
A
© Christophe Bou
© Christophe Bou
RTICLES
Figure 22
Fracture de l’occipital
Figure 21
• Pour les incisives : les incisives mandibulaires
sont au stade Cr½. Les incisives centrales sont
moins développées ; on leur attribue le stade COC.
Les germes des incisives latérales maxillaires sont
absents.
• Pour les canines : les germes des quatre canines
sont bien présents. Leur stade de développement
les place dans le stade COC.
• Pour les prémolaires : les germes des prémolaires
sont encore absents.
• Pour les molaires : seuls les germes des premières
molaires sont visibles. On leur attribue le stade
Cr¾.
L’ensemble des informations recueillies sur le
stade de maturation dentaire selon la méthode de
Moorrees permet de définir un âge compris entre
20 et 24 mois.
© Christophe Bou
Visualisation des arcades dentaires déciduales et permanentes
Figure 23
Absence des os propres du nez
IV - Discussion
L’ensemble des éléments recueillis au cours des
diverses investigations permet de caractériser
cette momie d’enfant.
SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016
37
TECHNIQUE INSTRUMENTALE
A
RTICLES
Concernant « le monde des vivants », l’analyse
réalisée par Mme Victória Solanilla Demestre13
des divers types (coton, alpaga) de textiles
(poncho, bandeau, écharpe, sac musette) et leur
concordance à des référentiels existants laisse
supposer que l’enfant aurait été membre de la
culture Chimu. En effet, la majorité des textiles
chimús étaient en laine d’alpaga sur trame de
coton.
Cette importante culture pré-colombienne
persista pendant plusieurs siècles, de 1 000 à 1 470
après J.C., sur une étroite bande désertique entre
le Pacifique et les contreforts ouest des Andes,
sur la côte nord du Pérou. Les Chimús étaient les
habitants du royaume de Chimor. Leur capitale
était Chanchán, une grande cité construite en
adobe14 située dans la vallée de la Moche, près
de la ville péruvienne actuelle de Trujillo. Les
recherches archéologiques laissent penser que la
culture chimú est issue de la culture mochica (13).
Une étude de datation au C14 associée à une étude
isotopique avec un échantillon de cheveux ou
autre tissu organique permettrait de définir de
manière plus précise la période durant laquelle il
vivait ainsi que son appartenance géographique.
L’analyse anthropologique permet de définir la
momie comme étant celle d’un très jeune enfant
de type masculin, âgé entre 20 et 24 mois, d’une
taille de 70 cm environ, soit en adéquation avec
son âge. La présence d’une fracture occipitale
pourrait avoir pour étiologie un trauma crânien
si sa survenue est ante ou peri-mortem. Si tel
est le cas, un Hématome Extra Dural ou HED
avec risque infectieux des méninges ou lésion
vasculaire, peut être la cause éventuelle du décès
de cet enfant.
Concernant « le monde des morts » ou l’analyse
du traitement funéraire, la momification de cet
enfant est naturelle, sans action anthropique.
Et ce, même si nous notons l’absence de la
structure cérébrale et de la majorité des viscères
thoraco-abdominaux. Cela laisse supposer que
la sémiologie post mortem et en particulier
d’autolyse a été effective dans un premier temps.
Les pertes de substance cutanées sur certaines
parties du corps peuvent avoir été engendrées
post-mortem par des prédateurs de type rongeur.
De même, la présence de dents isolées en position
intra abdominale et péri-vertébrale est attribuable
à des manipulations post-mortem de la momie.
Celles-ci ont pu entraîner l’avulsion spontanée de
ces dents mono-radiculées du fait de la disparition
du ligament alvéolo-dentaire, et leur migration en
partie basse du corps. Un acte intentionnel de
dépose des dents est en effet très improbable.
Parmi le matériel entomologique identifié, il
convient de différencier d’une part les insectes
appartenant traditionnellement aux escouades qui
se succèdent sur un cadavre, en correspondance
avec les différentes étapes de la dégradation post
mortem. Et d’autre part, ceux qui ont pu intervenir
13
14
38
Restauratrice des tissus au MEG, elle est spécialiste de l’Amérique du Sud.
L’adobe désigne une brique élémentaire mêlée de paille et séchée au soleil.
SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016
plus tardivement, notamment au musée (14, 15).
Comme évoqué précédemment, la momie
« ETHAM 058201 » dont il est question ici est
une momie naturelle. Les conditions climatiques
en Amérique du Sud favorisent une dessiccation
assez rapide après la mort. Cela pourrait expliquer
notamment le fait que l’on ne retrouve qu’un
nombre très limité de puparias de diptères
nécrophages des premières escouades, celles qui
colonisent le cadavre dans les premiers moments
suivant le décès.
Peut-être également que le corps de l’enfant a été
soustrait à l’action des insectes par une pratique
funéraire dont nous n’avons pas trace. En effet
les diptères Piophilidae ou mouche du fromage
identifiés interviennent assez tardivement sur un
cadavre (4ème escouade), notamment lorsque ce
dernier arrive au stade de fermentation caséique
(émanations d’odeur d’acide butyrique). De
même, le diptère Ophyra capensis colonise un
corps généralement au stade de fermentation
ammoniacale (5ème escouade). Ces étapes de
dégradations sont partiellement visibles sur la
momie. Les photos de cette dernière indiquent en
effet de façon nette que celle-ci s’est partiellement
décomposée, eu égard à la quasi absence des
structures cérébrales et au nombre limité des
viscères. Les perforations de la peau peuvent
aussi être en rapport avec l’action des larves de
mouches.
Cette décomposition a vraisemblablement été
suivie d’une dessiccation rapide. Les pertes de
substances organiques importantes au niveau
de la momie (pieds, genoux) ont été engendrées
plutôt par l’action de rongeurs « récents », que par
des manipulations post-mortem iatrogènes.
Enfin, la présence d’autres insectes de type
coléoptère Dermestidae laissent supposer que
ces derniers sont intervenus in situ, une fois le
corps momifié ou très tardivement, puisque ces
derniers sont les hôtes fréquents des musées et en
particulier des collections d’histoire naturelle.
V - Conclusions
Ce travail a permis de mettre en évidence la
richesse des informations que l’on a pu déduire sur
des momies, tout en préservant l’intégrité de ces
dernières, au travers d’une étude multidisciplinaire
la plus complète possible.
De nombreuses momies sont présentes au sein
des diverses collections de musées, sans pour
autant avoir fait l’objet d’études approfondies. Il
serait souhaitable que le partage des résultats issus
de ces momies « oubliées » puisse nous donner
plus d’informations. Et ce, non pas seulement sur
le plan individuel, mais plutôt à l’échelle collective
de groupes d’individus ayant une même entité
spatio-temporelle, pour ainsi mieux définir et
appréhender la vie de ces populations passées.
Approche médico-légale et anthropologique par imagerie 3D
d’une momie d’enfant du Musée Ethnographique de Genève
TECHNIQUE INSTRUMENTALE
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REMERCIEMENTS
Les auteurs adressent leurs remerciements à Jean-Bernard HUCHET, Claude WYSS et Bernard MERZ
pour leur aide dans l’étude entomologique.
SPECTRA ANALYSE n°312 • Novembre 2016
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