Nothing Special   »   [go: up one dir, main page]

Academia.eduAcademia.edu

Remarques sur le concept de culturème. In: Translationes, "Traduire les culturèmes/ La traducción de los culturemas" 1(2009), p. 15-78. Timisoara, Editura Universitatii de Vest, ISSN 2067 2705

1. Section théorique Définir les culturèmes Remarques sur le concept de culturème1 Georgiana Lungu-Badea Université de l’Ouest de Timisoara Roumanie Résumé : L’objectif de cette étude est d’offrir un aperçu du concept de culturème, de le définir et d’établir son champ sémantique. Les acceptions du terme dans la théorie du culturème et du transfert linguistique, dans la sociologie de la culture et la sociolinguistique nous permettront de le délimiter semantiquement d’autres concepts apparentés et d’identifier son acception traductologique. L’étude des oppositions binaires : culturème-traductème, culturème-connotation, culturèmenéologisme, etc. nous a permis d’identifier ses traits : la monoculturalité, la relativité du statut de culturème et l’autonomie du culturème par rapport à la traduction. Afin de faciliter le choix du procédé de traduction convenable, nous esquissons une classification des culturèmes. Mots clés : culturème, connotation, allusion, unité de traduction, néologisme, monoculturalité. Abstract : The purpose of this article is to give further details about the concept of cultureme (the culture-bound term or phrase), its definition and semantic field. The significance of this term in the theory of the cultureme and in the theory of linguistic transfer, in the sociology of culture and in sociolinguistics offers the opportunity to set the semantic limits of culturème and to identify its significance in translatology. The binary opposition cultureme-translation unit, culturemeconnotation, cultureme-neologism etc. is thought to be a powerful tool to elucidate the fundamental characteristic of the cultureme: monoculturality and its relative autonomy of translation. A classification of the culturemes is suggested to facilitate the translation process and to choose the most appropriate method of translation. Keywords : cultureme, connotation, allusion, translation unit, neologism, monoculturality. Le texte est la version entièrement remaniée de la première partie de la thése de doctorat Le Rôle du contexte extralinguistique dans la traduction des culturèmes (2003), publiée sous le titre Théorie des culturèmes, théorie de la traduction [en roum.], Timişoara, Editura Universit ii de Vest, 2004. 1 15 ş 1. Introduction Chaque discipline, chaque domaine d’activité et, en général, chaque domaine du savoir, a leur propre terminologie. La traductologie ne fait pas exception : les enjeux auxquels cette science du langage doit répondre sans cesse l’obligent à ajuster ses instruments d’évaluation, mais aussi ses concepts. Si la linguistique opère avec des unités de base telles que phonème, morphème, phrase, etc., la traductologie est appelée à construire son propre métalangage en vue de fonder son propre appareil critique d’évaluation et d’analyse. Le discours traductologique intègre des notions empruntées à des domaines divers : linguistique générale (signifié, signifiant, syntagme, etc.), linguistique différentielle (transposition, changement de la classe morphologique et syntaxique et changement de la catégorie grammaticale), grammaire (temps, aspect, etc.), rhétorique et stylistique (personnification, métaphore, etc.), techniques de rédaction (réorganisation structurelle, condensation, etc.), pédagogie (objectif général, objectif spécifique), terminologie (fiche terminologique, bien distincte de la fiche lexicologique, langage de spécialité), lexicologie (emprunt, calque), analyse littéraire (analyse et interprétation du discours, etc.) et psychologie cognitive (compléments cognitifs). La traductologie a aussi son propre appareil terminologique, unanimement reconnu par les spécialistes du domaine (traductème ou unité de traduction, stratégie de traduction, traduction pédagogique, traduction érudite, traduction littérale, traduction sémantique, traduction comparée, etc.), qui s’enrichit toujours de nouveaux termes, comme c’est le cas du culturème. Ce dernier, très peu théorisé par les recherches sociologiques entreprises en Roumanie, a été consacré suite aux études relatives au transfert culturel, à l’interculturel et aux différences culturelles (Els Oksaar 1988, Vermeer 1983, Vermeer et Witte 1990, Nord 1997, etc.). Malgré la bibliographie existante sur le concept, le terme culturème n’est pas répertorié par les dictionnaires. Cette lacune terminologique serait due, selon nous, à l’absence d’un dictionnaire traductologique ou d’un dictionnaire de termes spécifiques à la théorie et à la pratique de la traduction qui intègre également la dimension socioculturelle de la traduction.2 Les ouvrages des spécialistes du domaine traductologique (Vinay et Darbelnet, J. Delisle, etc.) contiennent également des glossaires terminologiques qui, bien que variables en terminologie selon les langues et les théoriciens, permettent de saisir, au delà de la richesse synonymique, l’essentiel de l’information traductologique et d’identifier la réalité à laquelle un terme renvoie. De tels glossaires sont peu accessibles pour des raisons matérielles (tirage réduit, coûts élevés, commandes impossibles à effectuer, etc.). En revanche, on pourrait citer les glossaires élaborés par des écoles de traduction, mis en ligne sur le site web des établissements. 2 16 Dans notre tentative de définir le concept de culturème et de l’intégrer dans la théorie du transfert traductionnel et culturel, nous avons jugé opportune une démarche en deux temps, correspondant à deux questions : • Qu’est-ce que le culturème ? i. Aperçu de la notion, définition, structure, champ sémantique ; ii. Acception du terme dans la théorie du culturème et du transfert linguistique (E. Oksaar, 1988, Vermeer 1983, H. Vermeer et H. Witte, 1990, A. Chesterman, 1997, 2000, G. Lungu-Badea, 2001) ; iii. Le concept de culturème dans une approche « comparative et culturaliste » ; iv. Le concept de culturème dans une perspective sociologique (O. Benko, 1985, 1989, I. Evseev, 1985). • • • • • Qu’est-ce que n’est pas le culturème ? v. Distinction entre culturème et d’autres concepts, opératoires en linguistique, stylistique, etc. tels que : connotation, allusion, néologisme, traductème ou unité de traduction, etc. Les conclusions de cette double démarche se retrouvent dans la troisième section de la présente recherche : Proposition de classification des culturèmes. Notre choix méthodologique s’est porté sur une démarche qui nous a semblé plus appropriée à la problématique envisagée: lever les ambiguïtés et souligner ce qu’est bien le culturème par rapport à ce qu ce n’est pas culturème. Le domaine d’application du concept qui sera analysé dans ce qui suit est la théorie et la pratique de la traduction. Notre approche relative à la définition du culturème s’appuie sur l’explication de termes proches au concept ou de termes prêtant à confusion. La définition qui sera proposée se trouvera justifiée par la démarche méthodologique adoptée et sera opératoire dans la critique de la traduction, mais aussi dans la pratique et l’évaluation de la traduction. Notre corpus sera constitué, d’une part, d’exemples extraits du roman Candide de Voltaire, de Gargantua et Pantagruel de Rabelais, et d’autre part, de textes informatifs publiés dans des hebdomadaires français de vulgarisation ou d’exemples de titres d’articles, de livres, etc. Notre objectif sera de souligner l’importance du repérage de cette unité porteuse d’information culturelle pour la compréhension correcte de son contenu informatif et l’importance de sa réexpression (traduction) adéquate lors du transfert culturel. 17 2. Le culturème. Essai de (re-)définition 2.1. Définition du concept Le terme culturème3, créé selon le modèle phonème, morphème, lexème, etc., est une notion d’emballage qui va au-delà des idées d’un domaine, touchant toutes les créations socioculturelles. Ce concept hérité de la cybernétique, le culturème, contient le principe de la mesure de la quantité d’information ou d’originalité et il est inextricablement lié, non uniquement par son nom, à la culture : « La culture sera […] mesurée par l’étendue des culturèmes possédés par l’organisme multipliée par l’importance des associations que cet organsime effectue entre culturèmes. » (Moles 1967, 34). Le concept renvoie à des unités porteuses d’informations culturelles, à des termes culturellement marqués (A. Martinet4), « allusions prestigieuses » (Vinay et Darbelnet5), proches des cultismes6, sans pour Dans le Grand Dictionnaire Terminologique, le terme culturème (non courant, 1976) — dont l’équivalent anglais proposé par CILF est cultureme — est défini en tant qu’ « élément constituant d’une culture ». 4 Le linguiste français fait principalement référence à des termes que Worf et Sapir considèrent intraduisibles : inexistant en langue cible, le recours à l’emprunt ou à la naturalisation ne serait à même de faciliter la compréhension du message de l’émetteur / auteur. Considérons la situation de traduction suivante : une maison d’édition d’un pays équatorial sollicite la traduction du russe d’un roman qui décrit la vie pénible en Sibérie, pendant l’hiver. Le traducteur surmontera-t-il les problèmes de restitution des références culturelles, géographiques, climatériques, etc. ? Le bagage cognitif des récepteurs du TC serait-il si réduit que la restitution des réalités climatériques, par exemple, imposerait l’explication et la description du phénomène ? Un tel phénomène, dont les récepteurs n’ont pas fait l’expérience, représente en fait un faux problème de traduction et de réception. Culturaliser, c’est l’une des attributions de la traduction et du traducteur, sans pour autant combler la connaissance formelle des faits. 5 J.-P. Vinay et J. Darbelnet (1958, 242-266) distinguent plusieurs types d’allusions: allusions figées dans le lexique, allusions figées dans le message et allusions figées dans le langage métalinguistique. 6 Le Petit Robert (1991, 436) enregistre la définition suivante : « cultisme, (1823 < esp. cultismo < lat. cultus « cultivé ») ; hist. littér. Affectation, préciosité du style, mise à la mode au début du XVIIe siècle, par certains écrivains espagnols (Góngora), v. gongorisme ». Le Dictionnaire étymologique et historique (Dauzat, Dubois et Mitterrand 1978, 216) précise que le terme français cultisme provient du français culte (1823) qui sera à l’origine du terme français culturel, créé à la fin du XIXe siècle. Le Dictionnaire explicatif de la langue roumaine (DEX) définit le cultisme comme « affectation, préciosité du style, recherchée, artificielle ; faute de langue due à l’usage d’expressions plus littéraires, moins plates » [« afectare, bog ie c utat , artificial a stilului. Greşeal de limb a c rei origine o constituie dorin a de a se exprime mai literar, mai pu in banal »]. Le terme connaît une pluralité d’acceptions, comme nous le verrons plus loin, dans la section consacrée à la distinction entre culturème et cultisme. 3 18 ş autant se confondre avec ceux-ci, avec les doublets étymologiques ou avec les néologismes. Pour désigner les unités porteuses d’informations culturelles, la plupart des linguistiques, traductologues et traducteurs utilisent des syntagmes tels que realia, termes culturels (Newmark 1977, 59), allusions culturelles7, références culturelles, ethnonymes, folklorèmes, mégasigne (dramatique)8 etc. Des « atomes de culture dont l’agrégation aléatoire contribue à former la culture […], les culturèmes sont les contenus latents plus que de messages définis et sont donc susceptibles dans l’esprit de chaque récepteur, de transformation avant répétition, en fonction d’une structure de pensée de chacun de ceux-ci » (Moles 1967, 154). D’après Moles, la culture de masse est faite d’une mosaïque de culturèmes — atomes de culture ou « éléments simples » (1967, 33) maniés par l’homme qui est un atome social — mis en circulation par les medias, des matériaux universels de la pensée, agençables, à la volonté de l’usager d’une culture source, dans d’autres messages originaux (Moles, Rohmer, 1996) Le culturème, employé par Moles (1967), Moles et Zeltmann (1971, 482), Hegyi (1981, 17), Vermeer (1983), a été analysé9 en relation avec les traits culturels du verbal (mots, traits paralinguistiques, formules linguistiques), non-verbal (mimique, geste, langage corporel) et extraverbal (temps, espace, posture proxématique) par Els Oksaar dans une étude de référence dans le domaine du transfert culturel, intitulée Kulturemtheorie. Ein Beitrag... (1988) où elle a proposé un modèle des culturèmes (1988, 26-28). Le concept a été également étudié, dans la perspective du transfert des différences culturelles, par H. Vermeer et H. Witte (1990), examiné par Peter Sandrini (1997), reconsidéré par Andrew Chesterman (2000) sous l’angle du mème10. Cf. Amparo Hurtado-Albir (1990, 82-85) et Jean Delisle (1993 / 2003). Il convient de préciser qu’il y a plusieurs types d’allusions : historiques, littéraires, etc. Nous analyserons cet aspect plus loin dans la section consacrée à l’étude de la distinction entre culturème et allusion. 8 « Au sens de la sémiotique russe de la culture, tout support de signification dans une culture donnée. Suivant cette acception, une pièce de théâtre ou un film est un « texte » dans la culture, même si ces œuvres ne sont pas inscrites dans un texte écrit, comme c'est le cas, par exemple, dans la démarche préconisée par les Cycles repères. Pour éviter toute confusion avec l'acception courante du mot texte, nous préférons l'expression mégasigne dramatique ou filmique ou de façon plus générale, culturème, pour désigner une unité minimale de la culture » (L. Francoeur, M. Francoeur, site web, c’est l’auteur qui souligne). 9 Cattel (1949, 443-469, apud. Moles 1967, 29) a effectué une analyse factorielle de 72 culturèmes (assemblages de petits éléments de connaissance, de fragments de signification) dans un ensemble de 40 cultures. 10 Richard Dawkins définit le mème comme étant l’unité de d’information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d'une société (1989). 7 19 Peu utilisée dans les recherches actuelles, la notion de culturème désigne : 1. tout support de signification dans une culture donnée ; 2. l’ensemble des faits culturels spécifiques à des domaines de spécialité très variés : littérature11, sémiotique russe, linguistique, traductologie, phénoménologie, sémiotique du théâtre, sociologie, droit comparé, etc. La notion occupe une place privilégiée dans la traductologie allemande, en concordance avec l’importance prêtée au processus de médiation de la communication par la traduction. La complexité du concept est due à la pluralité des réalités auxquelles il renvoie. Assimilé par les théoriciens de la traduction et par les traducteurs, le concept répond à un besoin théorique consistant à réévaluer certains aspects analysés initialement par la linguistique (par exemple, les connotations, les champs sémantiques, etc.) en vue de construire un appareil critique adéquat. Les culturèmes font allusion à un contexte extralinguistique, à une situation, d’où leur nature historique, culturelle, littéraire, etc. Le culturème se rapproche du néologisme, de l’emprunt ou du traductème12, sans se confondre avec ceux-ci. Certains néologismes ou emprunts sont soit des éléments stylistiques particuliers, soit des manifestations du snobisme littéraire13, autant de moyens de dérivation et d’instruments de personnalisation du style d’un auteur, d’une part, autant de procédés de traduction et d’instruments nécessaires au transfert linguistique, d’autre part. À la différence des connotations qui actualisent un sens autre que le sens lexical, mais dans un contexte linguistique déterminé, les culturèmes, 11 Nous y offrons une définition contextuelle du culturème, empruntée à Guillaume Drouet : « Dans un second temps, l'étude de ce folklorème qu'est le tso-maraude apporte un éclairage particulier sur le culturème qu’est le bâton de Jean Valjean. Cet objet, que le personnage possède pendant toute une partie du roman, qui suit son parcours et son évolution, apparaît comme un objet-monde qui donne à lire de manière synoptique, les dimensions à la fois fonctionnelle, mythique et esthétique de l'histoire du héros. Bien plus qu'un simple outil, le bâton, selon la perspective ethnocritique, est un répertoire de motifs, un emblème du personnage, un marqueur statutaire, un médiateur des relations du personnage avec son environnement témoignant d’un certain éthos. » (nous soulignons). 12 Nous utilisons ce terme pour désigner l’unité de traduction. 13 Les significations des deux termes ne sont pas superposables. Dans la langue cible, le néologisme, emprunt ou création lexicale, a soit le statut de cultisme (« snobisme littéraire »), soit il représente l’unique modalité (faute de moyens linguistiques) de désigner une réalité linguistique inexistante dans la langue cible. Dans l’acception de « snobisme littéraire », il se distingue nettement de la signification du terme cultisme (cultéranisme) issu de la littérature espagnole: 1) courant ou style littéraire dans la littérature baroque, consacré par Gongora, opposé au conceptisme de Quevedo ; 2) emprunts latins après la période de formation de la langue, emprunts savants opposés aux emprunts populaires hérités du latin, soumis à des modifications dues à l’évolution de la langue. V. aussi le concept de doublets étymologiques; 3) hypercorrectitude. 20 contextualisés ou décontextualisés, sont censés posséder une même signification, car un seul mode de signifiance. Le culturème fonctionne comme un signe : il doit être sémiotiquement reconnu, pour être sémantiquement compris (Benveniste 1974, 64-65). Une représentation commune à plusieurs usagers est exploitée dans des circonstances variables et diverses : d’une part, deux situations source analogues et différentes, l’une qui la produit dans le même univers linguistique et culturel et une autre situation source qui l’exploite et, d’autre part, une situation cible qui la traduit. Se distinguent des citations, insérées dans le discours et marquées par des guillemets, les culturèmes sont individuels (lorsqu’ils sont trop recherchés, il se peut que l’effet d’évocation soit manqué par le récepteur) ou collectifs, (re)connus ou présupposés connus aux interlocuteurs, appartenant au patrimoine culturel (dans ce dernier cas, les culturèmes peuvent faillir se confondre avec la métaphore). On peut parler aussi de culturèmes figés dans le lexique et dans le message. Les culturèmes figés dans le lexique, tels que poujadisme, toilette, etc., font allusion à une situation déjà connue au récepteur-source. À la manière des clichés (v. Vinay et Darbelnet 1958, 243), les culturèmes de ce type sont faciles à décoder par les récepteurs qui possèdent un bagage cognitif similaire à celui de l’émetteur. Par contre, les culturèmes figés dans le message sont des innovations d’auteur résultant d’un fait historique (connu à de degrés variables) appartenant au patrimoine culturel d’une nation ou d’un individu. Les culturèmes figés dans le message se situent à mi-distance entre la citation et l’allusion, étant difficilement repérables dans le texte (Par exemple : Embrassons-nous, Folleville). Dans les cas où les culturèmes fonctionnent en tant qu’ « expressions palimpseste », le récepteur doit reconstruire l’énoncé et le contexte d’origine, linguistique et extralinguistique, afin de saisir le sens (Soit l’exemple Embrassons-nous, X, où X et Folleville partagent la même situation). Il détient la clé de la lecture-compréhension du message. À la différence des citations et des allusions, marquées par des guillemets, tirets, références à l’auteur, à l’œuvre, etc. , les culturèmes possèdent des traits sémantiques censés les distinguer du fonds structurel du message. Les culturèmes renvoient à tout fait culturel, livres, articles, conférences ou à toute autre forme de communication culturelle reconnue telle quelle (cf. L. Francœur et M. Francœur). 2.2. Le concept de culturème dans Kulturemtheorie et dans d’autres théories de traduction Concept clé dans la littérature interculturelle, le culturème est étudié dans la perspective de la culture matérielle, le transfert culturel étant limité aux pratiques monoculturelles. Dans ce sens, les activités et les 21 recherches visant la construction du discours interculturel occupent une large place. La problématique des unités de culture a été traitée dans une série d’études théoriques, que nous venons de mentionner plus haut, dont la plus importante est la théorie des culturèmes élaborée par Els Oksaar (1988). La théorie d’Oksaar repose exclusivement sur les actes culturels décrits en tant qu’événements communicatifs. Étude centrale dans la communication interculturelle, Kulturemtheorie ne prend pas en compte la possibilité de classification de la culture en unités individuelles. Selon Kulturemtheorie, les culturèmes, définis comme « Verhaltenweisen im Kommunikationsakt, realisiert durch verbale, parasprachliche, nonverbale und extraverbale Behavioreme » (E. Oksaar 1988, 28), sont des unités abstraites, telles que les formules de salutation, par exemple, des manifestations verbales, extraverbales, nonverbales ou paralinguales, réalisées à l’aide de béhaviorèmes correspondants. La plupart des béhaviorèmes se résument aux interactions entre locuteurs, d’ailleurs très bien étudiées par la pragmatique, par les théories de l’énonciation et de la reformulation, d’où leur applicabilité réduite dans le domaine de la communication professionnelle. Une précision s’impose toutefois : la traduction des formules de salutation, d’accueil, de remerciement, de félicitations, etc. se situe au niveau des correspondances ou équivalences fonctionnelles, non pas traductionnelles ou textuelles. Les culturèmes, ces « comportements exprimés dans un acte de communication » sont pour Andrew Chesterman des particularités de l’acte de communication : « Kultureme sind hier aber keinesfalls als allgemeine Bausteine von Kultur zu verstehen, sondern als kulturelle Eigenheiten des Kommunikationsaktes » (2001, 3). Dans l’opinion de ces spécialistes, les culturèmes ne sont pas des éléments d’une culture, mais des particularités culturelles de l’acte de communication. Dans la théorie de la traduction, les culturèmes ont été définis comme il suit: « Ein Kulturem ist nach unserer Definition also ein Phänomen aus einer gesselschaft, das von jemandem als relevantes Kulturspezifokum angesehenwird » (Vermeer et Witte 1990, 137). « Wir wollen dann von einem Kulturem sprechen, wenn sich feststellen läßt. Daß ein gesellschaftliches Phänomen im Vergleich zu demselben oder einemunter angebbaren bedigungen ähnlichen iener anderen Kultur ein Kulturspezifikum ist (also nur in einer der beiden miteinander verglichenen Kulturen vorkommt) und dort gleichzeitig für jemandem relevant ist. Ein Kulturem ist nach unserer Definition also ein Phänomen aus einer gesselschaft, das von jemanden als relevantes Kulturspezifikum angesehen wird » (137). Une telle approche, bien que fort utile lors de la comparaison entre deux cultures en vue de mettre en évidence leurs particularités, s’avère être 22 limitée lorsque l’on essaie de postuler une définition de la culture en tant que transfert d’idées et de contenus (cf. A. Chesterman 2000, 4). L’opération de traduction est à la fois un processus de traitement de l’information et une action interlinguale transculturelle partagée par les protagonistes de l’interaction. Dans ces deux cas, nous jugeons utile d’établir les unités de transfert de l’information et les unités de transfert culturel, les culturèmes, dans notre cas. Pour ces derniers, Chesterman (2000, 6) définit le cadre dans lequel l’opération de traduction a lieu, dans la perspective des particularités des cultures en contact, et esquisse, bien qu’empiriquement, la démarche relative à l’accomplissement du transfert d’informations / connaissances, d’une part, et du transfert culturel, d’autre part. Le spécialiste distingue les étapes suivantes : (1) le repérage, dans le texte source, des unités de transfert des connaissances et des culturèmes ; (2) la sélection et le traitement des unités compte tenu des informations transmises ; (3) le transfert des unités sous forme d’énoncés et (4) l’élaboration, dans le texte cible, d’une structure de connaissances adéquate / reconnaissable, sur la base de critères pragmatiques, dans la perspective de la finalité de la traduction / communication. Cela n’est qu’une brève description du processus, certaines étapes ayant déjà fait l’objet de recherches traductologiques. La problématique du transfert culturel se retrouve dans quelques-unes des étapes que nous venons de mentionner. L’approche de Chesterman sur les mèmes nous aide à mettre en évidence une idée que nous avons soulignée plus haut : les culturèmes, en tant qu’unités culturelles, sont identifiables par un récepteur averti. Il en va de même pour les unités de transfert des connaissances qui peuvent être repérées, sélectées et décodées grâce à un bagage cognitif (cf. Delsile 2003, 28) correspondant. Par conséquent, la traduction d’un texte de spécialité conservera la structure de connaissances acquises sur la base de critères pragmatiques si elle respecte les attentes, les conventions et le niveau du savoir des deux cultures mises en contact par l’acte de traduction. Le transfert culturel va au-delà de l’objectif initial du transfert des pratiques monoculturelles et vise à construire le discours interculturel nécessaire à la compréhension des langues et des cultures en contact. La linguistique et les approches traductologiques d’orientation linguistique focalisent sur les niveaux traditionnels de description de la langue. Radegundis Stolze (1999, 23) définit les paramètres intervenant dans la description des textes de spécialité et distingue les niveaux linguistiques suivants : le niveau des phonèmes, des morphèmes et des lexèmes, le niveau de la grammaire, des phrases syntagme, le niveau des textes et des genres de textes et le niveau des culturèmes. À la différence de la linguistique traditionnelle, les approches théoriques prennent en compte le niveau des genres de textes et le niveau des culturèmes. Dans une 23 approche de la traduction en tant que transfert culturel (et transfert de connaissances à la fois), les unités doivent être traitées dans une perspective sémiotique ouverte. L’étude de l’interculturel a pour objectif d’extraire et de comparer des particularités culturelles, des culturèmes, dans ce cas. Peter Sandrini (2001, 226) apprécie : « Sie –kultureme – beziehen sich auf Vorkenntnisse, Verhaltenweissen, Erwartungshaltungen, Einschätzungsgrößen, Gewohnheiten, die bei der Kommunikation im Fach vorhanden sind und sich im internationalen Austausch konfliktionär auswirken können. Kultureme sind Kulturspezifika und decken weidrum eine breite Palette ab. ». Dans notre opinion, les culturèmes sont étroitement liés au contexte extralinguistique, sans pour autant être dépendants du processus de traduction. Les culturèmes sont propres aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Volontairement ou involontairement utilisés, les culturèmes sont parfois difficilement repérables par les destinataires qui partagent le même code linguistique que les émetteurs. La relativité et le caractère monoculturel du culturème empêchent son repérage. Les problèmes liés au repérage des culturèmes sont parfois doublés par des problèmes de réexpression dans la langue cible. Vermeer et Witte considèrent que les auteurs opposent à bon escient un phénomène social à un autre ; ces phénomènes, apparemment semblables, mais essentiellement contradictoires, sont spécifiques à certaines communautés, ce qui leur confère le statut de culturèmes (1990, 136). Les études des chercheurs allemands débutent par l’analyse du champ sémantique du terme culturème. Insatisfaits par les résultats de l’étude, les deux chercheurs inscrivent le culturème dans la catégorie du jargon. Ils nuancent leur analyse, mais sans aucun résultat notable. Étudiant les traits sémantiques des termes fourchette et cuiller, les deux spécialistes considèrent que la cuiller a le statut de culturème, en vertu du fait que l’un de ses traits sémantiques vise la consommation d’aliments liquides, ce qui le différencie du terme fourchette ayant pour principale caractéristique la consommation d’aliments solides. L’étude comparative des phénomènes, des objets ou des sentiments a pour but principal de délimiter ces particularités-là qui confèrent aux éléments comparés un caractère d’unicité. Dans une étape préliminaire à la présente recherche, nous avons jugé une telle démarche comme étant précaire et la sélection des éléments soumis à la comparaison comme aléatoire. L’attribution du statut de culturème n’a besoin, dans notre opinion, d’aucune justification, qu’elle soit de nature linguistique ou traductive. La démonstration des traductologues allemands inclut des clivages tels que amour – haine, cheval – licorne, etc. (Vermeer et Witte 1990, 137). Reconnaissant le manque d’applicabilité de leur démarche dans le domaine de la théorie et de la pratique de la traduction, les spécialistes allemands proposent une autre perspective : on 24 peut parler de culturème lorsque l’on a affaire à un phénomène social comparable ou identique avec un autre appartenant à une autre culture ; l’élément serait doté de traits significatifs lui conférant un statut unique et reconnaissable par les représentants de la culture source. Nous considérons que la caractéristique du culturème, identifiée par les deux chercheurs allemands — l’unicité — correspond aux deux caractéristiques que nous avons assignées au concept — la relativité et la monoculturalité . Selon Vermeer et Witte (1990, 137), le culturème représente un phénomène social, ayant une portée culturelle spécifique pour les membres d’une société. Il en va de soi que la pertinence et la compatibilité des phénomènes sont fonction de celui qui compare les faits et de son horizon d’attente ; des différences peuvent surgir sur le plan cognitif ou sur le plan émotionnel ou bien sur les deux plans à la fois. Il convient de souligner que le statut de culturème n’est pas applicable à la société tout entière. L’identification des particularités d’un phénomène n’assure pas forcément la reconnaissance de sa portée culturelle. Nous nous déclarons prête à partager le point de vue des deux traductologues s’ils intègrent, dans le syntagme phénomène social, tout acte de culture spécifique à une société. Considérons l’exemple suivant : le syntagme robot industriel a une portée technologique, par rapport au nom Ileana Cosânzeana (fr. La Belle aux cheveux d’or), qui est culturellement marqué. La fréquence de telles caractéristiques à l’intérieur d’une culture n’est pas un critère à prendre en compte. Les chercheurs allemands parviennent à une conclusion similaire puisqu’ils affirment que la distinction fourchette / baguettes (Vermeer et Witte 1990, 138) est bien un exemple de différence culturelle, alors que la fréquence des voitures en Europe Occidentale par rapport à la fréquence des fourchettes en Europe Centrale ne l’est pas. L’analyse des spécialistes cités intègre également le critère de la qualité, insuffisant —considérons-nous — lors d’une démarche d’évaluation du statut du culturème du point de vue idioculturel14 (cf. l’exemple cité par les deux chercheurs: platine versus acier). L’analyse se réduit finalement à une analyse sémique : voiture, moyen de transport, versus bicyclette versus autobus. Le terme voiture peut acquérir le statut de culturème dans la perspective de celui qui compare les faits. L’évaluation de la portée culturelle d’un terme n’est pas un phénomène réel, mais un processus mental, cognitif, émotionnel et, par conséquent, individuel. Selon Vermeer et Witte, il est important que le traducteur identifie les éléments et les Selon les spécialistes allemands, la perspective idioculturelle vise la comparaison d’un phénomène appartenant à une culture donnée par l’un de ses membres et inclut des comportements et des évaluations spécifiques à d’autres représentants de la même culture. Dans une perspective idioculturelle, la démarche d’évaluation du statut du culturème est totalement différente. 14 25 phénomènes potentiellement culturels sans perdre de vue le fait que ce qui est significatif pour une personne appartenant à une culture donnée peut ne pas l’être pour quelqu’un d’autre appartenant à une culture différente. Certains culturèmes peuvent s’effacer lors de la traduction, alors que d’autres phénomènes peuvent acquérir le statut de culturème (Vermeer et Witte 1990, 140, 141). Il s’ensuit que le traducteur peut modifier le statut du culturème et qu’il peut choisir de le recréer ou de le gommer dans le texte cible. Nous considérons que le statut du culturème se retrouve dans le vouloir-dire d’origine que le traducteur est appelé à repérer et à restituer de manière à refaire l’atmosphère spirituelle, intellectuelle, culturelle et sociale propre à l’original. Autrement, il se limiterait à faire un compte rendu médiocre du texte original sans restituer l’intention de l’auteur d’origine ou celle de l’œuvre. 2.3. Le concept de culturème dans une approche sociologique Comme nous l’avons indiqué dans l’introduction, le concept de culturème est utilisé dans d’autres domaines aussi, autres que les théories de la traduction ou du transfert culturel. Un tel domaine est la sociologie. La revue des acceptions du terme culturème dans la sociologie roumaine nous permettra de souligner l’usage presque simultané du concept par les chercheurs roumains et allemands. Culturem (substantif neutre en roumain) ou culturemă15 (substantif féminin en roumain)? Consacré dans la théorie des culturèmes (Oksaar, 1988) comme unité minimale porteuse d’informations culturelles, le concept de culturème s’avère fonctionnel dans d’autres sciences aussi étant repris dans le métalangage des spécialistes de divers domaines. Nous nous limiterons à présenter l’acception du concept dans la sociologie roumaine. Selon Benkö et Evseev16, le terme roumain culturemă désigne « unitatea informa iei culturale »17 (Evseev 1985, 16). Dans leur acception, le terme réfère aux aspects suivants : « rezultatul provocat de un act cultural din momentul impactului cu un receptor (cu implica ii numeroase, mai ales în perioada urm toare numit postinforma ie. Culturema are îns şi o perioad preg titoare, preinforma ia, şi pân la dispari ia sau 15 Nous utiliserons le terme de culturemă (féminin en roumain) uniquement dans les citations d’auteurs roumains. L’emploi culturem (neutre en roumain) nous semble plus naturel, parce qu’il reprend le modèle d’autres unités opératoires en linguistique ; nous ferons usage de cet emploi dans nos commentaires. 16 Otto Benkö (1985, 5-14; 1989, 184-196) et Ivan Evseev (1985, 15-32) accordent une large place à l’étude de ce concept jugé comme nécessaire dans leur démarche sociologique. 17 Le terme roumain culturemă désigne « l’unité dotée d’information culturelle ». (N.d.T. — M.P.) 26 ă ă ş ş ă ă înmagazinarea în memorie, cu o posibil utilizare ulterioar »18 (Benkö 1985, 5). Cette définition correspond aux concepts de bagage cognitif et compléments cognitifs (cf. Delisle 2003). Dans la perspective du sociologue roumain, la définition opératoire du culturème intègre deux types différents d’acceptions, avec des propriétés distinctes. Le chercheur signale, d’une part, « différentes valeurs esthétiques et artistiques », saisissables en tant que sens, idée, atmosphère, etc. et, d’autre part, des nuances « quantifiables grâce à la présence de mots isolés ou de groupes de mots, expressions, constructions logiques, descriptions de personnages, types de situations, sentiments, etc. » (Benkö 1985, 5). Celui-ci considère que les deux types d’acceptions permettent d’identifier les deux hypostases du culturème, contradictoires et complémentaires à la fois. En sociologie, la valeur du culturème est identifiable grâce aux caractéristiques et aux particularités des deux hypostases résultant de l’impact culturel (Benkö 1985, 6). Afin d’identifier la première hypostase du culturème, le chercheur entreprend de « reconstituer le message transmis par l’auteur et reçu par le sujet » et énumère une série de facteurs qui conditionnent la réception du message : le niveau, la forme et le contenu du message, le niveau de connaissances, le degré de compréhension, la capacité intellectuelle, le cadre où la réception se produit, la qualité du texte publié, le « moment et la qualité de la réception, c’est-à-dire le contexte de production et de réception, l’impression artistique et esthétique ». Les facteurs mentionnés interviennent aussi lors du repérage d’un culturème par le traducteur ; à son tour, l’opération de repérage est fonction d’autres facteurs contextuels qui influent sur l’émission (production) du message, d’une part, et sur la réception (lecture) du message. La perturbation d’un de ces facteurs peut empêcher la reconstruction du message et, implicitement, la reconnaissance de son contenu. La réception d’un fait culturel est fonction de l’horizon culturel du destinataire. Benkö (1989, 194) estime pour téméraire la tentative de délimiter la forme, le sens et la valeur du culturème alors que Ivan Evseev apprécie que l’unité dotée d’informations culturelles devrait posséder les caractéristiques d’un signe universel, facilement repérable dans tout type de message culturel, quelle que soit la nature de la communication (orale, gestuelle, artistique, musicale). Dans la sociologie de la culture, une telle unité est indispensable à l’étude de l’intégration et de l’optimisation des éléments culturels dans l’éducation permanente (Evseev 1985, 16). 18 « Le résultat d’un acte culturel dès l’impact sur un récepteur, avec des conséquences ulttérieures, dans une étape appelée postinformation, succédant à la transmission d’informations. Le culturème (roum. « culturemă ») se retrouve dans une étape préparatoire, la préinformation, préalable à l’étape de la transmission d’informations, jusqu’à sa disparition ou emmagasinement dans la mémoire, pouvant être réutilisé ultérieurement ». (N.d.T. — M.P.) 27 ă Les deux spécialistes roumains ont eu recours au culturème afin d’identifier le degré de compréhension du lecteur, au niveau de l’intention de l’auteur19 : « Dac dorim s delimit m nucleul semnelor, mai bine-zis al invariantelor unor semne culturale în interiorul unei civiliza ii (putem pentru acest scop s ne folosim şi de termenul de culturemă), de fiecare dat vom fi obliga i s începem inventarul nostru pornind de la arhetipuri. Ele au reflectat lumea omului culturilor tradi ionale, reflectat în mitologie, folclor, credin e şi obiceiuri, ele continu s organizeze universul nostru » (Evseev 1985, 16).20 Les facteurs intertextuels jouent un rôle important dans l’acquisition d’un système de signes, dans le perfectionnement d’un langage par l’intermédiaire d’un autre langage, ayant en vue que tous les codes culturels renvoient à la même réalité, avec un découpage différent de la réalité et avec des moyens d’expression différents : « toate codurile culturale se refer la aceeaşi realitate, chiar dac folosesc mijloace diferite de redare şi vizeaz fiecare obiectele realit ii sub un anumit unghi de vedere. »21. ă ş ş ş ş 2.4. Le concept de culturème dans une approche « comparative et culturaliste » Intégrant le concept de culturème, nous l’avons défini en tant qu’unité minimale porteuse d’informations culturelles, non décomposable, lors de la saisie et de la restitution du sens. Une opération de décomposition du culturème perturberait la saisie correcte du sens par le destinataire (lecteur, traducteur, etc.) et conduirait à l’altération de l’intention de l’auteur. L’identification du degré de compréhension s’effectue par le biais de questions dans des enquêtes menées par les professeurs mentionnés ci-dessus et par leurs étudiants. Les sondages avaient pour objectif de parvenir à une conception générale sur l’éducation permanente en vue d’optimiser les éléments culturels dans l’éducation à partir de la théorie sémiotique : « concep ie general asupra educa iei permanente şi optimizarea unor elemente culturale în educa ie » (Eco 1982, 44). 20 Les exemples cités, Ileana Cosânzeana (fr. La Belle aux cheveux d’or), Fătfrumos (fr. Le Prince Charmant), etc. viennent illustrer cette opinion. 21 I. Evseev (1985, 23) fournit l’exemple suivant: le sujet-récepteur ayant acquis dans sa propre langue tous les sens métaphoriques et symboliques du mot pasăre (fr. oiseau) comprendra aisément le syntagme pasăre măiastră (fr. oiseau d’or), véhiculé dans les contes populaires roumains, mais aussi le symbole de l’œuvre de Brâncuşi, Pasărea Măiastră (fr. Oiseau dans l’espace), de l’oeuvre de I. Stravinski, Păsărea de foc (fr. Oiseau de feu). Au-delà de l’intertextualité des formes de l’expression humaine, il existe une autre intertextualité, une interréférentialité à l’intérieur du même type de langage ou d’art. 19 28 ş ă ă ş ă ă ă ă ă ă ă ă Nous analyserons dans ce qui suit quelques exemples d’énoncés qui renferment des éléments porteurs d’informations culturels en vue d’anticiper la problématique du culturème qui sera présentée dans la section suivante dans la perspective des théories de la traduction. Nous utiliserons les notations suivantes : énoncé d’origine (EO) et énoncé allusif (EA), énoncé roumain, accompagné de brefs commentaires (ER) et de la version en français (EF). Ces notations seront utilisées dans les sections suivantes, consacrées à l’analyse des culturèmes et des problèmes liés à leur traductiblité (non-traductibilité et intraductibilité y comprises)22: contraintes et libertés, particularités ou spécificités culturelles. Il convient toutefois de signaler que la phrase et, a fortiori, la signification qui lui sera associée n’est pas un donné en soi, mais le produit d’une construction. « Ceea ce face obiectul observa iei este sensul ataşat enun ului » (Moeschler et Reboul 1999, 78). Tout lecteur est capable d’émettre des hypothèses contextuelles sur le sens d’un énoncé, mais il est moins capable de saisir les hypothèses intérieures (qui sont à l’origine des hypothèses extérieures, responsables de la construction du sens) ou les analogies (produites suite à l’application de techniques de simulation). Il revient au linguiste, au traductologue ou au traducteur de remplir cette tâche. • La langue source est le français. Les énoncés source sont présentés dans le texte et dans le contexte d’origine (a). Ils sont suivis par les énoncés allusifs (b) tels qu’ils apparaissent dans le nouveau texte et dans le nouveau contexte. EO: Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas (Pascal). EA: Les enfants ont leurs raisons que la raison et les parents ne connaissent pas. (expression palimpseste) EO: Le poujadisme caractérise la volonté de défense souvent démagogique des travailleurs indépendants contre l’État (Quo). EA: Ce concert d’attaques anti-OMC respire parfois le poujadisme rural (Le Journal du Centre, 28 novembre 2000 — culturème actuel, lexie simple). EO: Embrassons-nous, Folleville (Eugène Labiche [1850] 1993). Il convient de faire une précision d’ordre terminologique: généralement, les théoriciens de la traduction opèrent une distinction nette entre les problèmes de traduction, qui seraient objectifs, propres à tout traducteur, et les difficultés de traduction, qui seraient subjectifs, dues, par exemple, à un bagage cognitif approximatif de la part du traducteur. Dans notre opinion, une telle limite, posée sur la subjectivité ou sur l’objectivité des obstacles à la traduction, ne serait que relative. 22 29 ş • EA: Cet Embrassons-nous, Folleville, aussi soudain que de commande, nous met mal à l’aise (Jean-Claude Maurice, le Journal de dimanche, 21 nov. 2000 — culturème historique, expression lexicalisée transférée d’une signifiance source dans une autre signifiance source enregistrant une évolution interne). EO: Fréron, journaliste, contemporain de Voltaire (Goulemont, 1996) EA: Un folliculaire c’est un Fréron (Voltaire 1994 ; culturème historique, lexie simple, nom propre). • • La langue source est le roumain. Nous présenterons quelques unités culturelles fonctionnant à la manière des culturèmes, suivies par leur traduction en langue française. Certaines unités seront expliquées ci-dessous, alors que d’autres seront traitées dans les sections suivantes. ER: Pajurile duser sacii la Ileana Cosânzeana şi-i deter buc tarului (Frâncu-Candrea dans Nişcov 1979, 88, 91) EF: Iliane à la tresse d’or (aux tresses d’or) ou la Belle aux cheveux d’or. Ş Le nom propre Cosânzeana (L. Ş ineanu dans R. Vulc nescu 1987, 396-399) enregistre plusieurs variantes en roumain (Cosenzeana, Sânziana, Sîmziana), avec les connotations suivantes : 1. Frumoasa cu părul bălai / cu cosi e aurii / de aur / cu părul de aur ; 2. Frumoasa frumoaselor ou Frumoasa pământului. Le nom Cosânzeana < lat. Consens « conseiller divin » était réservé aux dieux de l’Olympe présupposés blonds, d’où le nom propre Ileana Cosânzeana (lat. Iana Consulens / Iana Consens + suf. –ana > Consentiana > Cosenzeana > Cosânzeana. Le nom Iliane à la tresse d’or (Iliane aux tresses d’or) correspondrait, dans les littératures romanes, à la Belle aux cheveux d’or. L’entropie générée par la surtraduction est évidente : la connotation de figure légendaire, être miraculeux, mi-déesse, divinité ou héroïne s’efface lors de la traduction (voir aussi l’étymologie du nom). ă ă 30 ă Ş ER: [Şi împ ratul cela avea trei feciori, pe cel mic îl chema Petrea] Fătfrumos (Bârlea dans Nişcov 1979, 205). EF: Bel enfant (L. Ş ineanu dans Vulc nescu 1987, 387), Beau Vaillant (M. Sl vescu 1979) Prince Charmant. Făt-frumos (R. Vulc nescu 1987, 386), Făt-logofăt, Făt-împărat, Prâslea, Ionică, Pătru, Harap-Alb sont les noms du héros de la mytologie populaire roumaine, une espèce d’Hercule, une sorte de divinité solaire représentant le bien qui affronte le mal. La traduction Bel enfant (L. Ş ineanu) est marquée aussi par l’entropie. Conformément à l’hypothèse du chercheur roumain, le nom est dépourvu du trait sémantique /divin/, la ş ş ă Ş Ş ă ă ă ă ş ă ă ă ă traduction étant, par conséquent, plate. La variante Beau Vaillant, proposée par Micaela Sl vescu (1979), conserve les traits connotant la « vaillance » du héros, sans actualiser pour autant sa beauté divine (v. infra, cf. les remarques relatives au personnage masculin Fătălău, créé par le poète roumain Tudor Arghezi). La solution Prince Charmant est un exemple d’adaptation culturelle qui fait état des avantages et des désavantages d’une solution basée sur la substitution d’un culturème source à un culturème cible. Dans la tradition française, le syntagme Prince Charmant actualise la beauté masculine plutôt que la prouesse du héros. Voilà d’autres exemples considérés sous l’angle des oppositions binaires (v. infra). ăăă ă ER: Amantul Colivăresei (R. Aldulescu 1994) EF: L’Amant de la pâtissière ER: I ic Ştrul dezertor (L. Rebreanu cité dans Nedelciu et alii 1975) EF: Isaac Israel Ş Quelle que soit leur forme (lexie simple ou composée, unité phraséologique, palimpseste allusif, v. supra) et quel que soit le schéma de classification des culturèmes, les culturèmes renferment un potentiel culturel propre à l’une des langues en contact, la langue source en l’occurrence, une motivation historique et socioculturelle qui ne se retrouve nullement dans la langue cible ou se retrouve partiellement, mais avec une valeur culturelle différente. Des culturèmes tels que roseau pensant ou raison suffisante sont spécifiques à la culture française, mais ils circulent aussi dans des milieux intellectuels étant considérés comme universels et, pour cela, des « lieux communs ». En revanche, l’opération de repérage de l’information culturelle source devient délicate et importante lors de la saisie du sens, dans le cas des culturèmes rendus par des expressions allusives de type palimpseste. EO: trestia gânditoare... « omul » EA: planta gânditoare... « un alt tip de om » La métaphore de l’homme pensant qui se transforme dans une plante est transparente. En roumain, le mot plantă (fr. plante), dans la collocation stă / trăieşte ca o plantă (fr. « végéter, vivre comme une plante », il reste à ne rien faire), détermine à supposer que l’individu dont il est question ne fait rien tout au long de la journée, qu’il ne pense à rien. La section qui suit est consacrée à l’analyse de certaines unités proches du culturème. Notre démarche méthodologique consiste à fixer 31 ă ş ă ă ă l’acception du terme culturème en délimitant son aire sémantique par rapport à celle d’autres concepts. 3. Le culturème en relation avec d’autres unités porteuses d’informations spécialisées Dans cette section, nous nous proposons de répondre à la question Qu’est-ce que n’est pas le culturème ? Les observations que nous venons de mentionner, relatives aux acceptions du terme culturème, seront complétées avec les résultats de l’étude des relations binaires 3.1. culturème - connotation, 3.2. culturème - allusion culturelle, 3.3. culturème - cultisme, 3.4. culturème - néologisme, 3.5. culturème - traductème. Afin de fixer l’aire sémantique du concept dans l’approche comparative et culturaliste de la traduction, nous analyserons la relation existant entre culturème et d’autres concepts tels que néologisme, cultisme, traductème, connotation, allusion (culturelle, historique, littéraire, etc.). Les éléments secondaires (comparatifs), dans les clivages mentionnés, seront retenus avec leurs principaux aspects. Nous avons retenu uniquement les invariants de la littérature consacrée à la définition du culturème, qui est aussi l’objectif de la présente section. Nous considérons que l’analyse componentielle des concepts pourrait constituer une étape préliminaire permettant de délimiter les aires sémantiques des concepts mentionnés. Les relations binaires, que nous venons d’énumérer, ne sont pas forcément contradictoires ; il y a des cas où les concepts sont partiellement superposables. Nous avons opté pour cette démarche méthodologique afin de pouvoir répondre à des questions, d’ailleurs légitimes, du type : N’importe quel néologisme serait-il culturème ? La connotation ne serait-elle pas en fait un culturème, mais avec une appellation différente ? Le culturème ne se confondrait-il pas avec le traductème ? Nous avons posé ces genres de questions à l’occasion des réunions, conférences, journées doctorales auxquelles nous avons participé. Les discussions nous ont aidée à poser la problématique de la présente étude : élaborer une nouvelle perspective d’étude du culturel. Nous avons avons choisi de montrer comment les significations du culturème s’actualisent dans divers domaines ou par rapport à d’autres concepts linguistiques au lieu de nous contenter de véhiculer l’acception du concept dans l’approche « comparative et culturaliste ». Dans le cas des clivages mentionnés (v. supra), s’agirait-il d’une relation d’antonymie totale (S. Ullmann 1959, 77) ou d’une simple opposition sémantique ? Selon Bidu-Vrânceanu et For scu (1984, 108), les antonymes seraient totalement opposés. Or, tous les contraires ne sont pas antonymes (Şerban et Evseev 1978, 205). Selon Coteanu (1985, 96), les 32 Ş antonymes se situent à distance égale par rapport au centre d’une dimension sémantique dont les coordonnées seraient opposées. La dimension sémantique (traits sémantiques communs) représente la prémisse de l’antonymie, à condition que les différences sémantiques se situent à distance égale par rapport au centre de la dimension. Le « sème incompatible contraire » (R. Sârbu 1977, 191-192) et les sèmes communs, au moins deux (l’un relatif au langage et l’autre relatif à la dimension sémantique proprement dite), sont indispensables à la postulation d’une relation d’incompatibilité logique ou d’une relation d’antonymie. Considérons comme communs les sèmes suivants : /substantif/, /relatif aux signes /; sèmes incompatibles contraires: /unité linguistique// unité de travail/, /décomposable dans des éléments constituants // non décomposable /, /concept théorique // instrument pratique/; sème variable: /lexie simple // lexie, simple ou composée, syntagme, expression lexicalisée/. Sens lexical Sens contextuel + Porteur d’information culturelle + - + - + + - + + - - - - + - - - + + - + + - + + + + - + + - + + + - - + - sociolème - + - + + + + - + traductème - + - + + + - - + Concepts Unité linguistique Unité de travail Décomposable Lexie simple Lexie composée Syntagme, Expression lexicalisée allusion - + - + + citation - + + - connotation + - - cultisme _ - culturème - néologisme À une possible objection relative à la superposition de certains concepts, nous répondrions que l’analyse qui suit justifie pleinement l’emploi du concept de culturème dans la pratique et dans la critique de la traduction. Le culturème et le traductème (transème ou unité de traduction), l’allusion, etc. permettent le découpage du texte en unités groupées par Dancette (1998, 81) en unités linguistiques et en unités de travail. 1) Les unités linguistiques se retrouvent à tous les niveaux linguistiques et discursifs (syntaxique, sémantique, morphologique, textuel); 2) Les unités de travail fonctionnent dans différents types de démarches scientifiques, telles que celles spécifiques à la 33 traduction (unité de traduction – synonyme de traductème et de transème – vs. culturème – unité porteuse d’information culturelle) ou à la sociolinguistique (culturème, sociolème, etc.). Le culturème est un concept théorique fonctionnel dans la théorie, pratique, didactique et critique de la traduction. L’unité de traduction, tout comme le culturème, est une notion relative applicable dans le cadre théorique et pratique propre à la démarche traduisante (v. infra, l’opposition culturème-traductème). Les limites entre ces concepts sont variables parce que les unités considérées s’inscrivent dans un processus individuel, non pas collectif. 3.1. Culturème et connotation La distinction fondamentale entre les culturèmes et les connotations est due au sens23 et principalement à leur référent. Le culturème apparaît en surface sous forme de lexies simples, composées ou sous forme d’expressions lexicalisées qui fonctionnent en tant qu’unités sémantiques, alors que la connotation représente le sens figuré et le sens contextuel d’une lexie simple ou composée. Les unités que nous appelons « culturèmes » actualisent un sens contextuel dans un nouvel énoncé, allusif, à partir de la signification véhiculée dans l’énoncé original. Nous posons que la saisie du sens de l’énoncé allusif où les culturèmes s’actualisent dépend de la (re)connaissance du contexte extralinguistique d’origine. La tradition logique, opposant la connotation et la dénotation, superpose la connotation et le contenu et identifie la connotation avec une certaine caractéristique du contenu. Kerbrat-Orecchioni (1977, 18), considère que les connotations sont des « valeurs sémantiques » qui « portent sur une autre chose que le référent du discours » et qui « sont suggérées plus que véritablement assertées », alors que Kocourek (1991, 168-169) distingue le sens littéral et le sens figuré. Celui dernier attribue à la métaphore un sens figuré et analyse la connotation métaphorique. En stylistique, la connotation représente le contenu vidé de dénotation ou, dans d’autres cas, le sujet du domaine sémantique s’étend dans la partie désignée sous le nom de connotation de façon à inclure le contenu mental subjectif de l’émetteur et du récepteur sans que le signe se distingue nettement du domaine du contenu marginal. En sémiotique, depuis Hjelmslev (1968, 110, 155) la dénotation désigne la relation entre Le sens littéral est le sens établi au niveau de la phrase (littéraire ou non), interprété hors contexte (cf. Moeschler et Reboul 1999, 378). Searle (1982) considère que le sens littéral est dépendant de la présence d’un contenu informatif et s’interprète sur la base d’éléments linguistiques qui produisent du sens uniquement dans une situation de communication. 23 34 l’expression et le contenu, s’opposant à la connotation considérée comme relation entre deux signes, deux unités d’expression et de contenu. Eco (1976, 111 ; 1984, 32) appelle connotation ce que d’autres spécialistes appellent implication contextuelle ; dans ce cas, la distinction entre dénotation et connotation est fonction du contexte. Bien que Eco prétende avoir emprunté à Hjelmslev la notion de connotation, il lui réserve un autre sens, totalement différent, incluant dans cette catégorie des connotations logiques, stylistiques, mais aussi d’autres catégories définies ultérieurement en tant qu’ensemble des entités culturelles emmagasinées dans la mémoire du récepteur et activées dans un contexte donné (1968, 98). Plus tard, Eco définit la connotation (1976, 111) en tant que la signification transmise par l’intermédiaire d’une signification antérieure. Cette définition permet d’associer la connotation avec ce que la logique appelle implication conceptuelle. Dans ce cas, le contexte est livré par un potentiel de sens ou par un autre défini dans un système de signes donné. Plus récemment, Eco (1984, 33) observe que ce qu’il appelle le second niveau de la connotation est basé sur l’inférence. Pour Hjelmslev et Eco, la notion de connotation renvoie à des aspects linguistiques différents. Voilà pourquoi nous considérons que les exemples fournis par Eco ne confirment pas le modèle de Hjelmslev et nous souscrivons totalement à la très adéquate remarque de Kerbrat-Orecchioni (1977, 81), selon laquelle seul le contenu de la dénotation — et non pas le signe tout entier — génère l’expression de la connotation. Barthes (1964, 164-165) apprécie que « la connotation, étant elle-même un système, comprend des signifiants, des signifiés et le procès qui unit les uns aux autres (signification), et c’est l’inventaire de ces trois éléments. ». Il observe que « les signifiants de connotation […], connotateurs, sont constitués par des signes (signifiants et signifiés réunis) du système dénoté; naturellement plusieurs signes dénotés peuvent se réunir pour former un seul connotateur – s’il est pourvu d’un seul signifié de connotation; autrement dit, les unités du système connoté n’ont pas forcément la même taille que celles du système dénoté. » (164-165). Barthes poursuit ses observations et découvre que « quelle que soit la manière dont elle “coiffe” le message dénoté, la connotation ne l’épuise pas: il reste toujours du dénoté (sans quoi le discours ne serait pas possible) et les connotateurs sont toujours finalement des signes discontinus, “erratiques”, naturalisés par le message dénoté qui les véhicule. Quant au signifié de la connotation, il a un caractère à la fois général, global et diffus: c’est si l’on veut un fragment d’idéologie […] ; l’idéologie serait en somme la forme (au sens hjelmslevien) des signifiés de connotation, cependant que la rhétorique serait la forme des connotateurs. » (165). Les connotations ne sont pas des sens distincts, elles peuvent entrer dans la composition du sens lexical. Le contexte interpersonnel (ou relation entre le signe et le sujet parlant) joue un rôle fondamental dans le 35 traitement de la connotation. Il est bien connu que la valeur d’un signe linguistique s’établit en fonction de trois facteurs: sémantique, syntaxique et pragmatique. Les deux premiers interviennent au niveau du contexte linguistique, alors que le troisième appartient au niveau extralinguistique. Le linguiste roumain Ion Coteanu considère que l’opposition valeur dénotative vs. valeur connotative concerne l’opposition intellectuel (dénotatif) vs. affectif (connotatif)24. La tradition linguistique associe la distinction entre le sens dénotatif et le sens connotatif au clivage sens propre – sens figuré. Les linguistes roumains Şerban et Evseev (1978, 140) observent que le contenu intellectuel et le contenu affectif ne sont pas disjoints, car il y a des cas où certains traits connotatifs deviennent dénotatifs et inversement. Les deux spécialistes distinguent (1978, 141-149) plusieurs types de connotations : a) stylistiques renfermant un grand nombre de traits stylistiques (appelés stylèmes) ; b) sociopolitiques résultant de l’interprétation des dénotés du point de vue de la conception politique et philosophique véhiculée à un moment donné pendant une certaine étape du développement d’une langue ; c) morales et éthiques s’appuyant sur un système d’évaluation du type bien/mal, positif/négatif, moral/immoral, etc. ; d) géographiques et ethniques véhiculant des informations portées par un seul signe linguistique et intégrant le dénoté dans une aire géographique et culturelle donnée; e) esthétiques — référant à des valeurs axiologiques du type beau/laid, agréable/désagrable, etc. ; f) connotations visant le protocole de la communication verbale : formules de salutation, d’adresse, de remerciement, d’interdiction, etc. Nous placerons la description du culturème au centre de l’argumentation que nous venons de présenter. La description du culturème est le résultat de l’association du contexte interpersonnel et de la mise en contexte extralinguistique (ou mise en situation). Le sens lexical est saisi dans le contexte, alors que le sens pragmatique est établi par l’usager en fonction du système verbal véhiculé25 et en fonction des distributions Suivant cette conception, la dénotation serait la signification strictement intellectuelle alors que la connotation est la signification affective, associée à la première. (Coteanu 1974, 65). 25 Les théories du langage sont centrées sur la description des composantes de l’activité de langage : langue, société, discours, texte, sujet, communication, attitudes, images, et non dernièrement, usagers, car le langage est fait par les usagers et pour les usagers : « limbajul este f cut de c tre şi pentru vorbitori » (Coşeriu 1994, 164). Langue et société sont étroitement liées : « Limbajul poate exista numai într-o societate. ». Voilà pourquoi les langues doivent être étudiées en tant que systèmes appartenant à des communautés, sans perdre de vue que la langue est une abstraction scientifique, un objet idéal : « sisteme ce apar in unor anumitor comunit i, îns f r a ignora faptul c limba este o abstractizare ştiin ific , un obiect ideal » (Coşeriu 1995, 57). Ş 24 36 ş ş ş ş lexicales et syntaxiques. Le sens du culturème est perceptible grâce à la reconstitution de la situation source (situation de communication ou de production du sens), la seule permettant à l’usager de saisir intégralement la signification du culturème. Il convient toutefois de souligner, avant de poursuivre notre argumentation, le caractère relatif du statut du culturème. La tâche d’identifier les énoncés porteurs d’informations culturelles revient au lecteur du texte source, d’une part, et au traducteur, d’autre part, dont le rôle est d’assurer la réception du texte cible par les destinataires26. Le traducteur, en tant que récepteur du texte source, reconstruit mentalement la situation de production et de communication et la transpose dans une autre situation, la situation de réception et de traduction. Les connotations sont en relation avec le sens lexical d’un mot et s’actualisent dans le contexte en tant que sens pragmatique du mot (défini comme le rapport entre le signe et le sujet parlant). Les culturèmes, représentés en surface par des lexies complexes, syntagmes ou unités phraséologiques, sont en relation avec la phrase littéraire et impliquent, de la part du récepteur27, la reconstruction de l’énoncé original, indispensable à la compréhension d’expressions allusives de type palimpseste. Culturèmes connotations Dérivés français du mot Babel28: • Babélien (1849) • Babélisme (1866) • Babéliquement (Verlaine, 1893) Babel29 (av. J. C., 1100, E- temen-an-ki, „Casa Întemeierii Cerului şi P mântului”) 1. Négatives • incohérence, agglomération, « Totdeauna vorbirea, limbajul efectiv realizat este o continu atribuire a eu-lui. I se atribuie celuilalt aceeaşi conştiin cu a vorbitorului. » (Coşeriu 1994, 22). Cette conception du langage pour autrui se retrouve chez bon nombre de linguistes. KerbratOrecchioni (1990, 18-20), par exemple, considère que tout acte de langage implique une allocution et une interlocution à la fois si l’on prend en compte le caractère réciproque du rapport entre l’émetteur et le récepteur. Tout énoncé du type monologue ou dialogue pose parfois explicitement, mais toujours implicitement, le destinataire, en fonction de l’image que l’émetteur se fait du destinataire. 27 Chez tout individu, la compétence de communication représente l’ensemble des connaissances linguistiques, préalablement acquises ou acquises dans les grammaires et dictionnaires, et des connaissances extralinguistiques (Bourdieu 1986, 22), vu que la communication est d’ordre linguistique et social à la fois (Boyer 1991, 25). 28 Fait exception le mot babélique (Hugo 1862 cité par Zumthor 1998), emprunté au français et assimilé phonétiquement et graphiquement au roumain. 29 Les exemples relatifs au mythe de la Bible, que nous avons cités et commentés plus haut, sont extraits de la version roumaine de l’ouvrage de Paul Zumthor, Babel ou l’inachèvement (1998, 21-22, 27, 183, 184-185, 192). 26 37 • • • ş • ş ş ş • Babélesque (Claude Simon) Remarque: Les mots dérivés sont plus proches de ce que nous entendons par le terme culturème parce qu’ils contiennent une référence culturelle (même si elle n’est pas strictement française, elle est créé dans cette langue à partir d’un des universaux culturels) et sont propres à la culture source. Les termes peuvent être non-traduits, parce que le traducteur décide de les garder ; parfois, ils sont intraduisibles et le traducteur peut choisir de les emprunter ou de privilégier les équivalents roumains dérivés de Babilon, un nom propre plus productif en roumain que Babel. Le culturème est recréé par le traducteur de sorte que la représentation mentale du lecteur cible, sinon sa réaction, soit proche de la représentation du lecteur source. LF, LR : Escobar (Voltaire, Dialogues) Le report d’un nom propre descriptif est insuffisant lors d’une traduction littéraire. La connotation contextuelle négative et l’allusion à l’Inquisition doivent être précisées dans une note de bas de page. LR : Amantul colivăresei (titre d’un désordre / idées / mots / bruits ; LF : Le vertige de Babel (P. Bruckner) LR : Ame eala dată de Babel • projet / plan ambitieux LF : Babel ou l’inachèvement (P. Zumthor) LR : Babel sau nedesăvârşirea • conséquences catastrophiques d’un malentendu. LF : C’est véritablement la tour de Babylone ! / Car chacun y babille et du long de l’aune (Molière, Tartuffe, I, 1) LR : Este într-adevăr turnul din Babilon! Căci toată lumea flecăreşte întruna. Remarque: Le jeu de mot Babylone / babiller n’est pas conservé dans la traduction roumaine. 2. Positives • expression de la solidarité humaine et de l’illusion du savoir humain à la fois. LF : C’est l’incommensurable et tragique monceau ... Ce livre est le reste effrayant de Babel (Hugo, Introduction à la Légende des siècles) LR : Un maldăr nesfârşit şi tragic ... Cartea aceasta, rămăşi ă înfricoşătoare din Babel. Négative • sens péjoratif, par synecdoque: « rusé », « fourbe ». Le mot peut actualiser d’autres sens en 38 • ă • ă • ă ă ă ş ă ş • ă • ă şă ş ş ă ăş ă roman de Radu Aldulescu 1994) Colivăreasa est la femme qui prépare le coliva30 (gâteau de funérailles fait de blé bouilli, à base de noix, raisins, bonbons, etc., préparé par les orthodoxes et les catholiques grecs). Le dérivé colivăreasă31 suppose de la part du lecteur-cible et du traducteur des connaissances linguistiques et extralinguistiques à la fois, relatives aux rites funéraires orthodoxes. Traduction possible par substitution du culturème-source, entraînant un glissement de sens par le nouveau culturème qui connote différemment : LF : L’Amant de la pâtissière LR : Fătălăul (T. Arghezi 1985, 145-146 dans Nedelciu et alii 1975) LF : La « Fille » (Nedelciu et alii 1975) Remarque: Chez T. Arghezi, le mot fătălău ne connote pas négativement ni péjorativement l’aspect physique du garçon, envié par les filles aussi, et n’indique aucune « confusion sexuelle » de sa part. Par cet euphémisme métaphorique, Arghezi souhaite mettre en évidence la beauté sublime du garçon: Fata de cum te-o vedea / Ca din vânt rămâne grea / Căci pleoapa de i-o ridici / O ciupeşti cu trei furnici. Le poète continue par s’interroger sur l’origine de cette beauté légendaire : O fi fost mă-ta vioară, [...] / Şi-o fi prins în pântec plod / De strigoi de voievod? / Că din oamenii de rând / Nu te-a zămislit nicicând. / Doar [...] / Iese aşa fel de făt. fonction du contexte : • pomanagiu, -oaică (fr. mendiant, -e, trimardeur, chemineau) • colivar, cel care poart coliva (celui qui porte le coliva) • colivăreasă, cea care prepar coliva (celle qui prépare le coliva) • ă ă • ă • ăăă Sens virtuels du mot: • par extension androgyne (personne possédant un comportement caractéristique du sexe féminin); hermafrodite, • mollasson (péj.) • homosexuel (connotation plus récente) ; arg. tante, tantouse ă • • ă ă ă ă • ăăă ă ă ş ă Ş ş ă ă Les culturèmes ne servent pas à fonder un discours, ils font du discours, s’intégrant dans le texte sans porter atteinte à la logique : subtiles, Dans les langues grecque, ό υβα (kólliva) ; serbe, ољиво (koljivo) ; bulgare, о иво (koljivo), etc. 31 Voir aussi le comportement microcontextuel du mot colivăreasă dans la section consacrée à la relation entre culturème et allusion. 30 39 о иво ό υβα ољиво ă ă discrets ou, par contre, explicites, mais rarement agressifs ; proches des allusions plutôt que des connotations (portant sur les mots), les culturèmes ne se confondent pas avec les métaphores, bien qu’ils empruntent parfois leur aspect. Lors de la traduction, le sujet traduisant doit restituer aussi bien la valeur linguistique que la valeur contextuelle, le sens virtuel (virtuème) et les éventuelles connotations (spontanées, etc.). Prenons pour exemple le syntagme pascalien trestie gânditoare (fr. roseau pensant), ayant le virtuème « humain » (roum. « om »). Cette métaphore peut impliquer des jeux de mots ayant la valeur de culturème, suite à des commutations dans l’axe paradigmatique : *trestie vorbitoare (fr. roseau parlant) ou *copac gânditor (fr. arbre pensant), etc. Si l’on pose que le processus d’interprétation des culturèmes et des métaphores est quasi-équivalent, l’interprétation des culturèmes suppose l’examen des deux types d’énoncés mis en relation, original et allusif, et la recherche d’une propriété qui leur soit commune afin d’identifier la propriété postulée par l’auteur / l’émetteur / le locuteur au moment d’énonciation. En ce qui concerne les métaphores, les usagers attribuent aux objets des propriétés qu’ils ne possédaient pas préalablement. Dans le cas des culturèmes, le processus est différent. On dit qu’un discours est figuré si le sens littéral de la phrase ne coïncide pas avec le sens énoncé (sens figuré). On pourrait parler de sens figuré ou d’expression métaphorique dans le cas des culturèmes si l’énoncé allusif était construit sur la base d’un énoncé métaphorique. Dans ce cas, l’expression palimpseste résultante possèderait un sens unique, littéral, puisque construite suivant un modèle déjà connu ou supposé connu. Par conséquent, on peut dire que le sens littéral coïncide avec le sens figuré. On n’a pas affaire à un discours figuré, comme dans le cas des métaphores. En ce qui concerne l’interprétation des culturèmes basés sur des expressions idiomatiques, il faut prendre en compte un sémème particulier appelé épisémème (Coşeriu 1994, 190), constitué d’un virtuème responsable du mécanisme de la connotation. Ces types de culturèmes ne peuvent pas tous être sémantiquement expliqués : certains dérivent de la genèse lexicale (roum. fuga e ruşinoasă, dar e sănătoasă / fr. bonne honte sort de danger), d’autres sont formés sur la base d’analogies dont la source est incertaine (roum. tobă de carte32 / fr. puits de science). 32 Littérallement : carte de carreau. La polysémie roumaine de carte, bien différente de celle française, permet ici un jeu de mots sur la carte, carton rectangulaire et le livre. 40 ş ş ă ă ă ă ă 3.2. Culturème et allusion La « culture générale » est une composante importante de la formation d’un individu quel que soit son domaine d’activité. La culture implique également des connaissances encyclopédiques, dont aussi littéraires. Ainsi s’explique-t-il pourquoi les auteurs ont souvent recours au pastiche littéraire sans avertir le public ou font allusion à la mythologie sans courir le risque de l’incompréhesion (totale). Il existe toutefois des différences essentielles au niveau de la culture générale, d’autant plus perceptibles que l’on se situe au cœur du processus du transfert linguistique et culturel (cf. B. Trandem 2000, 6). Il est évident que la littérature française (y compris toutes les dimensions socioculturelles aussi bien de la culture que de l’individu appartenant à cette culture) est moins connue aux lecteurs roumains qu’aux lecteurs français, ce qui fait que les versions roumaines soient plus explicites que l’original. Afin d’illustrer ce type de différence culturelle, nous notons quelques allusions à la mythologie grecque tomber de Charybde et Scylla33 et le fil d’Ariane La première locution est enregistrée par le Petit Robert à l’entrée tomber, avec la signification « échapper à un inconvénient, à un danger, pour tomber dans un autre plus grave ». Cette signification nous rappelle l’acception des locutions roumaines a cădea din lac în pu (référence à l’eau – lac / lac, pu / puits) et a se afla între ciocan şi nicovală (référence aux outils du forgeron – ciocan / marteau, nicovală / enclume). Pour rendre le culturème (expression palimpseste) naviguer entre Charybde et Scylla, on 33 Naviguer entre Charybde et Scylla est l’expression palimpseste analysée par Trandem (2000) par rapport à la version norvégienne de l’ouvrage d’économie de Philippe d’Iribarne : Pris entre ces impératifs que personne n’est jamais vraiment arrivé à parfaitement concilier, les gestionnaires naviguent entre Charybde et Scylla. Et les entreprises ne trouvent jamais leur équilibre une fois pour toutes, les corrections faites aujourd’hui aux dérives d’hier étant toujours lourdes des dérives de demain. (1993, 256 dans Trandem 2000). En roumain : Prinşi între aceste obiective pe care nimeni n-a reuşit vreodată să le atingă pe toate (neatinse vreodată toate de cineva), administratorii navighează în ape tulburi, iar societă ile nu-şi găsesc echilibrul o dată pentru totdeauna, deoarece redresările de azi făcute derivelor de ieri con in în ele derivele de mâine (Source : copies d’étudiants). Il convient de fournir quelques précisions concernant la stratégie de traduction, au risque d’anticiper les commentaires faisant l’objet de la section suivante : l’explicitation de l’implicite culturel (a naviga în ape tulburi) conduit à la disparition de l’allusion mythologique; l’omission stratégique, puisque volontaire, ultérieurement compensée par la modulation (jamais / vreodată, et non pas niciodată...o dată...) ; traduction littérale dans la deuxième partie de la phrase (iar...). Dans d’autres variantes, le sens implicite est rendu sous la forme d’explications (de ieri / de mâine ou din trecut / din viitor) le contenu métaphorique ayant été conservé. 41 ă ă ă ă ă ş ă ă ş ă ă ă ă ş ă ă ă ş ă ă peut se serivir d’une autre expression forgée autour de la locution roumaine signifiante en eau trouble (a se scălda [naviga] în ape tulburi (fr. naviguer en eaux troubles). Dans ce dernier exemple, la locution roumaine restitue le sens, mais ne rend pas l’allusion mythologique sur laquelle est bâti le culturème. Une autre solution, a se perinda între ărmuri ostile, véhiculée par les étudiants, refait le sens original sans pour autant restituer l’allusion. L’allusion et le culturème, traductibles littéralement, ne jouissent pas d’un retentissement sémantique auprès du grand public roumain.34 Dans le cas de l’allusion le fil d’Ariane, rendu en roumain par firul roşu, « le fil rouge », donc conducteur, nous constatons la même improductivité sémantique contraignant le traducteur à une traduction sourcière. Nous croyons que le culturème renferme une référence culturelle, mais aussi une allusion « déguisée ». Il est essentiel donc que la traduction conserve la portée culturelle de l’original. Allusion et culturème, les deux peuvent vivre sans contexte ; mais lorsqu’une allusion se déguise, par une logique palimpsestueuse, en culturème, il revient au traducteur de la reconnaître. Pour cela, celui-ci doit réactualiser, dans le cas de l’allusion, comme dans celui du culturème, le contexte d’origine de la première en vue d’un usage quotidien à long terme. Cependant, la vie d’une allusion historique moins usitée ou un peu trop livresque est fonction du contexte de l’époque dans laquelle elle a été créée, en fonction de l’œuvre dans laquelle elle a été formulée et en fonction du langage des usagers qui l’utilisent même de nos jours. Le culturème, quant à lui, existe également hors contexte, qu’il soit perçu ou non tel quel. L’usage hors contexte du culturème ne permet pas toutefois l’actualisation de sa signifiance ; c’est l’entourage culturel qui l’actualise. Les deux concepts réfèrent à la même culture, à une diffèrence près : les allusions sont issues notamment de la littérature, de la mythologie ou de l’histoire, alors que les culturèmes sont importés et, ensuite, acclimatés dans d’autres domaines, y compris celui de la vie quotidienne. La « traduction de la distance culturelle » interne (Richard 1998) pose trois grands problèmes liés à la présence des éléments culturels dans le texte source, à leur identité et à leur statut dans la culture source. Au cas où La locution mentionnée n’est pas enregistrée en roumain, malgré les traductions en roumain de l’épopée d’Ulysse, l’Odyssée, etc. Une référence au voyage d’Ulysse serait plus compréhensible pour le lecteur roumain. Trandem retient que dans la traduction norvégienne on a choisi d’expliquer les référents: Scylle est un monstre, Charibde est un rocher dangereux et que le choix du verbe manœuvrer (roum. a manevra) à la place du verbe français naviguer soulignerait les pérégrinations (les erreurs) d’Ulysse mieux que le verbe norvégien correspondant au roumain a naviga (fr. naviguer). Bien que cet ajout alourdisse le texte, la traductrice préfère expliquer les références culturelles afin de reproduire l’image du texte source, plutôt que d’utiliser la note de bas de page (Trandem 2000, 6). 34 42 ă ă ş l’archilecteur imaginé par l’auteur d’origine ne possède pas le bagage cognitif nécessaire, la démarche de repérage du culturème peut être difficile ou bien peut échouer. La traduction de la distance culturelle externe amplifie les difficultés de compréhension et de réexpression du message, du fait qu’il est peu probable que le lecteur cible possède un bagage cognitif identique avec celui du lecteur source. Il est souhaitable que le traducteur n’attribue pas aux destinataires de la traduction des qualités (que ceux-ci ne sont pas censés posséder) et, en vertu de ce jugement, qu’il ne traduise pas les culturèmes. Le culturème est une notion d’emballage qui va au-delà des idées du domaine d’origine, touchant d’autres réalités culturelles et sociales. La non-traductibilité et l’intraduisibilité (remontant à l’époque où la culture était l’apanage d’une catégorie privilégiée de la société, l’élite, la seule qui avait les moyens d’apprendre les langues officielles, Mounin 1955, 7) du culturème constituent deux stratégies de transfert du culturel, deux attitudes du traducteur face au segment culturel à traduire. Si la distance culturelle ne s’est pas diminuée lors des traductions effectuées à l’époque même de production de l’oeuvre, le fossé s’est ultérieurement creusé jusqu’à l’apparition de ce que J.-P. Richard (1998, 151-160) appelle la « traduction de l’ignorance culturelle » interne et externe. L’activité de traduction ne se limite plus au texte traduit, mais doit inclure également la situation de traduction, le contexte extralinguistique et le sous-contexte personnel de l’auteur, du traducteur et du lecteur, c’est-àdire les principaux facteurs permettant d’évaluer la traduisibilité d’un texte. La situation et les contextes extralinguistique et perilinguistique sont indispensables à l’étude des culturèmes en relation avec les connotations et les allusions. Le transfert des culturèmes peut s’accompagner de commentaires ou de notes de bas de page s’il s’agit de traductions littéraires. La traduction du culturel devient plus difficile lorsque le destinataire cible est le grand public. Alors que la citation indique l’érudition du locuteur, même si produisant une rupture lors de la réception du message, alors que l’allusion, plus sobre et plus pédante, réfère à une culture commune au locuteur et à l’interlocuteur, les culturèmes se placent à mi-distance entre les deux, parfois coupant la réception du message, d’autres fois fonctionnant à la manière des allusions. L’usage de l’implicitation ou de l’explicitation, la rupture ou l’échec de la réception sont fonction du bagage cognitif du récepteur (traducteur, en tant lecteur source et auteur de second degré). L’information véhiculée par les culturèmes est implicite, mais volontaire (elle fait partie du vouloir dire d’origine). L’analyse des culturèmes allusifs ne se réduit pas à l’analyse de leurs composants ; ils doivent être traités en tant qu’unités de sens et de traduction, fonctionnant à la manière des syntagmes (voir le tableau ci-dessous). À la rigueur, on pourrait admettre, 43 dans ce cas uniquement, un rapprochement entre les termes culturème et traductème. Culturème roum. Groapa Babel35 Le culturème renvoie à l’audace des humains, issue de la volonté de dépasser leur condition, conformément à la signification véhiculée dans le texte de la Bible. roum. / fr. Escobar Le culturème tire son origine de l’environnement culturel espagnol. L’appartenance à la culture d’origine ne conditionne pas l’emploi du culturème par d’autres langues aussi. La signifiance portera toutefois la marque de sa première utilisation dans la situation source. roum. Amantul colivăresei36 fr. L’amant de la pâtissière Lors de l’interprétation du titre, il faut tenir compte du sens du mot colivăreasă, actualisé dans ce microcontexte et de l’allusion à la pratique des funérailles dans les rites orthodoxes. La solution française pâtissière supprime les connotations religieuse et funèbre. Seule la connotation érotique est conservée lors du transfert, avec une légère déformation de l’effet, due à la modification du contexte extralinguistique. roum. Paradisul artificial pe care îl oferă societatea, în pragul mileniului trei, face numeroase victime în rândul Allusion littéraire, culturelle, etc. roum. Săpăm groapa Babel (Kafka, Aforisme, 1922 dans Zumthor 1998) Allusion religieuse. Tour renversée. L’archétype fait référence à l’existence d’un trou sur l’emplacement de l’édifice. L’écrivain décrit, par cette construction métaphorique, l’opacité de l’écriture et du langage. Toute aspiration de l’être humain équivaut à une chute, à une régression. Allusion historique et culturelle à Antonio Escobar Mendoza, jésuite espagnol, victime des attaques de Voltaire dans ses Dialogues. Allusion aux canons religieux que la femme destinée à préparer le coliva doit respecter. En français, le mot pâtissière renvoie à l’histoire de la pâtissière que présente Diderot dans Jacques le fataliste. Grâce à ce contexte pâtissière actualise la signification « amante, adulterine », renfermant une autre allusion « femme légère, courtisane, prostituée ». La modification de la référence culturelle par naturalisation ou ethnocentrisme conduit à une autre signification relative implicitement à la situation des cocus (en gerbe). Allusion à la poésie de Baudelaire, Les paradis artificiels, syntagme commun en français, qui traite du thème de la L’exemple est emprunté à P. Zumthor (1998, 28). Les personages du roman de Radu Aldulescu, Amantul colivăresei (1994), le roman roumain le plus représentatif traitant de la banlieue bucarestoise, sont innocents et agressifs à la fois, incapables de s’échapper à leur humble condition due à un rude destin. 35 36 44 ă ă ă ă ă ă ă categoriilor defavorizate Nous considérons l’emploi du syntagme paradis artificiels comme culturème, le sémantisme du syntagme roumain étant mieux rendu par paradis fiscaux (temporaires). fr. Les aiguillons du vin L’expression véhicule un sens ambigu basé sur l’homophonie du vin / divin, exploitée par Rabelais dans Gargantua et Pantagruel. La paranomase est conservée lors de la traduction de la distance culturelle interne par le syntagme (les amours) du vin / divin. consommation des drogues et de leurs effets désastreux. L’allusion à la pratique religieuse et le jeu de mots basé sur la paranomase sont supprimés dans la version roumaine ăştia-s pintenii vinului (R şi I. Vulpescu dans Rabelais 1989, 114). La traduction idiomatique ne restitue ni l’atmosphère de la culture source, ni l’intention de l’auteur. On pourrait être tenté parfois de parler d’« universaux culturels » en l’absence de la principale caractéristique du culturème – la relativité – qui représente une fonction du bagage cognitif. L’autre propriété du culturème – la monoculturalité – fonctionne aussi : Babel ou Babilon, en fonction de l’impact du nom propre sur les usagers d’une langue et du rapport existant entre celui qui perçoit l’objet et l’objet perçu, ayant une influence directe sur la représentation mentale de l’individu. Ainsi, un locuteur roumain possédant un certain bagage cognitif et un profil psychologique distinctif se trouve sous l’effet à long terme de l’aventure du savoir, Babilon(ia), alors qu’un locuteur français possédant évidemment un bagage cognitif différent est plus sensible à l’effet immédiat, l’effondrement de la Tour de Babel. Les représentations des deux sujets sont, certes, similaires, mais le découpage de la cause–effet est relatif. Les divergences liées aux représentations mentales des individus sont fonction des circonstances. Les représentations diffèrent par rapport à la situation de réception dans laquelle certains paramètres interviennent. Il en va de même pour les représentations mentales liées au même objet / phénomène / individu chez un sujet percevant / récepteur identique37. 37 La perception du premier sapin de Noël, dans la vie de chacun d’entre nous, ne coïncide plus avec la perception que nous avons actuellement en tant qu’adultes, même si le sapin a les mêmes dimensions et ornements. L’objet perçu (O) a conservé sa fonction, celui qui a changé est le sujet percevant (S). Au-delà de l’évolution affective et intellectuelle, la proportion des dimensions physiques a changé aussi avec l’âge (O vs. S) de – admettons-le – 250 cm / 75 cm à 250 cm / 180 cm. Il est fort possible qu’on éprouve la même impression au cas d’un rapport O. vs. S de 642 cm à 180 cm. Une chose est certaine : les circonstances et le bagage cognitif du sujet récepteur ne sont plus les mêmes. 45 ăş ş Les allusions figées dans le message, étudiées par Vinay et Darbelnet (1958, 242-266), sont, selon nous, des expressions lexicalisées. Prenons, à titre d’illustration, un exemple d’allusion figée dans le lexique et un autre exemple d’allusion figée dans le message, suivis par leur traduction en anglais et en roumain: fr. angl. roum. mener une vie de chien to lead a dog’s life a duce o via ă de câine fr. Étudiez, étudiez; il en restera toujours quelque chose (Beaumarchais) Keep at it. Some of it is bound to stick (1) Învă a i, învă a i, întotdeauna mai e ceva de învă at (traduction littérale)38 (2) Omul cât trăieşte înva ă (traduction idiomatique). et angl. roum. ă Nous nous limiterons aux deux types d’allusions identifiées par les deux stylisticiens sans analyser les allusions figées dans le langage métalinguistique. Une allusion est, par définition, indirecte (Bologne 1991, 6-7) : un mot, une phrase évoquant une personne/chose sans la désigner (cf. Petit Larousse), à la différence du culturème qui la désigne. Les difficultés de saisir le sens contextuel sont dues à la méconnaissance ou à l’ignorance des valences culturelles véhiculées à l’intérieur d’une communauté. L’allusion, ayant une descendance et une évolution, est à l’origine de nouveaux discours ; le culturème, sans être pour autant figé, réfère, dans certains cas, à des éléments distincts, et, dans d’autres, prend forme à partir d’une allusion qui devient son prédecesseur sporadique. L’allusion n’entraîne aucune déformation logique, ni phrastique ; l’allusion n’est pas agressive parce qu’elle réfère à une culture présupposée commune aux interlocuteurs alors que le culturème est utilisé dans le but de créer une sorte de complicité entre les locuteurs (à base des données culturelles — passées et récentes — plus ou moins connues). La différence fondamentale entre les allusions et les culturèmes réside, par conséquent, dans le rapport que ces deux concepts entretiennent avec le locuteur et dans le statut qui leur est réservé, avec le temps historique et présent, avec le culturel. Jugées comme banales, les allusions sont évitées par les écrivains. En revanche, elles sont utilisées en excès dans les médias, dans les chansons, notamment dans les titres, skeatches et pamphlètes, dans toute production au second degré. Élégantes, discrètes ou intenses, les allusions sont parfois La connotation prolétaire n’a pu être évitée, malgré toute raison linguistique, historique et culturelle, vu la situation de réception en langue roumaine. 38 46 ă ă ă ş ă ă agressives39. Ni l’allusion, ni le culturème ne se confondent avec la métaphore, même si les deux lui empruntent souvent la forme. L’allusion ou le culturème peut naître des métaphores créées par les écrivains, devenant dans ce cas, des clichés. Ils ne se confondent ni avec le proverbe, ni avec les locutions toutes faites ayant été emmagasinées dans la mémoire collective vu leur origine incertaine. Certaines expressions, devenues notables sous la plume d’écrivains célèbres, peuvent figurer dans la catégorie des allusions, comme c’est le cas d’une expression, manger son blé en herbes, enregistrée avant Rabelais (Bologne 1991, 8). L’allusion invite à la flânerie, alors que le culturème indique avec précision le chemin et les obstacles. 3.3. Culturème et néologisme Posant que le culturème ne se confond pas avec le néologisme, nous essaierons de signaler les particularités de chacun de ces concepts. Les néologismes (emprunts ou mots formés à l’intérieur d’une langue à partir de termes empruntés) sont considérés en tant que traductions du niveau zéro appartenant d’abord à la civilisation et après à la culture40. Les néologismes sont utilisés soit pour combler une lacune linguistique dans la langue cible, soit par snobisme linguistique. Les néologismes de la première catégorie sont des emprunts nécessaires41, en raison du fait que la langue cible ne dispose pas de moyens lexicaux adéquats (mots, termes, etc.) pour désigner certaines réalités. Les néologismes de la deuxième catégorie pourraient s’inscrire parmi les manifestations de la préciosité, confondues parfois avec les cultismes42. Selon Dubois (1994), le néologisme est une Nous pensons aux tentatives ridicules de certains journalistes roumains désireux de donner la preuve de leur compétence culturelle. Pour ne donner qu’un exemple, avant le mach de football Roumanie – Danemark, lors des préliminaires du Championnat du Monde (2004), qui aurait assuré la qualification de l’équipe roumaine dans le cas d’une victoire, l’un des supporters roumains avait affirmé à Copenhague : « A fi sau a nu fi aceasta este întrebarea pentru personajul lui Shakespeare, pentru Anghel Iord nescu întrebarea este va fi sau nu va fi la CM din 2004. » (Observator, Sport, Antena 1). Dans une même phrase, allusion et palimpseste, explication et explicitation. 40 Nous renvoyons aux définitions des deux termes, fournies par Besse (1993, 4248). 41 Kocourek distingue deux acceptions du terme emprunt (1991, 152, 153-154) :1) procédé ou forme de dérivation lexicale et 2) unité lexicale, élément linguistique d’emprunt (emploi métonymique) 2.1. 1. de la forme ou 2.1.2. du sens, 2.2.1. phonologique, 2.2.2. lexical, 2.2.3. grammatical, 2.2.4. textuel. 42 La section suivante sera consacrée aux précisions concernant les différences existant entre le culturème et le cultisme et la fausse analogie entre des éléments appartenant à des classes différentes: un concept opératoire en linguistique et un terme qui désigne un courant ou un style de langage. 39 47 « unité lexicale (nouveau signifiant ou nouveau rapport signifiant-signifié) fonctionnant dans un modèle de communication déterminé, et qui n’est pas réalisé antérieurement ». Tout comme le culturème, le néologisme est un concept opératoire, mais relatif. Certains dictionnaires évitent même d’enregistrer la mention néol. et préfèrent signaler la date d’entrée dans la langue d’un nouveau mot ou d’un nouveau terme (cf. Dubois 1994). Alors que certains lexèmes néologiques illustrent un comportement verbal enclin à la différenciation, le culturème illustre une certaine prédilection pour le langage soigné, poétique, voire précieux (d’où, parfois, la confusion avec le cultisme), mais aussi le désir de l’usager de faire partie d’une certaine catégorie d’usagers, de prendre distance ou de se faire remarquer par rapport à d’autres catégories (usagers, écrivains). Ces objectifs spécifiques découlent de l’objectif général visant la personnalisation du langage. Culturèmes fr. Optimisme (dans le contexte de l’œuvre Candide) Remarque : À l’époque de Voltaire, le terme ne connotait pas la tendance d’une personne à voir le bon côté des choses ; le terme référait à la doctrine philosophique de Leibniz et Pope « tout est bon » (Voltaire 1994, 145, 265). Ce terme (néologisme, donc parfaitement traductible en roumain) devenu culturème historique, n’a plus le retentissment sémantique du XVIIIe siècle. fr. anabaptiste, jésuite, estafier, san-benito, moyadors, Hermandad, alcade, alguazils, dey, manichéen, théatin, icoglan, vizirs, muphti (Voltaire 1994, 153, 155, 159, 160, 167, 168, 174, 178, 203, 219, 235, 241). Néologismes roum. optimism. Tout mot international, quelque ancien qu’il soit (les mots d’origine grecque : filozof, filozofie, organ, orfism, pesimissm, pacient, etc.) ; roum. anabaptist, iezuit, valet (correpondance), san-benito, moyadori, Hermandad, alcade, alguazils, dei, manihean, tânăr călugăr (trad. explicative), icoglan, viziri, mufti (Voltaire 1993, 105, 107, 111, 112, 118, 118, 124, 128, 151, 166, 182, 187) Remarque : Le parallèle entre le culturème et le néologisme illustre le caractère monoculturel du culturème, son 48 ă ă ă fr. Biscayen (« On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé sa commère et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard. » Voltaire 1994, 160). appartenance à une culture unique. Les éléments porteurs d’informations culturelles actualisent certains sens en fonction du contexte culturel dans lequel ils apparaissent et deviennent, dans la langue cible, de simples néologismes dont le sens dénotatif est répertorié par les dictionnaires. roum. biscayan Remarque : Le Biscayen ou le Basque ayant baptisé un enfant ne peut pas épouser la marraine, en raison de l’union spirituelle créée entre les deux lors de la cérémonie du baptême qui leur interdit le mariage (Al. Philippide dans Voltaire 1993, 111). Du point de vue étymologique (cf. grec néos « nouveau » et lógos « mot, parole »), le néologisme désigne tout nouveau mot créé dans une langue, qu’il s’agisse d’un emprunt ou d’une création interne (dérivation, composition, etc.)43. L’étude des influences des langues occidentales sur le roumain ne faisant pas l’objet de notre recherche, nous nous limiterons à analyser la relation existant entre le culturème et le néologisme dans le but d’établir les frontières des aires sémantiques des concepts mentionnés et de lever toute ambiguïté. Nous signalons, dans un premier temps, la distinction entre les emprunts authentiques au français et les pseudoemprunts, créés en roumain, qui sont susceptibles d’être d’origine française, mais toutefois inexistants tels quels en langue française, ou d’être associés aux culturèmes. Les pseudo-emprunts au français ne sont pas moins néologismes, car ce concept est réservé aux nouveaux mots apparus dans une langue ou au nouveau sens d’un mot déjà présent dans la langue emprunteuse, à l’emprunt (contemporain, de luxe, nécessaire, excessif, savant, de sigles, emprunts définis par Kocourek 1991, 152-156, 164, 219), mais aussi à des mots dérivés, créés à l’intérieur d’une langue. Hristea Hristea (1984, 50) inclut dans la catégorie des néologismes en langue roumaine les emprunts aux langues occidentales ou au latin savant, d’une part, et les dérivés à base de préfixes et d’éléments néologiques (ex. roum. apoetic) ou à base d’éléments autochtones – préfixes roumains d’origine slave ou d’autres origines et des éléments néologiques (ex. roum. nefavorabil), les dérivés à base de suffixes internationaux tels que –ism (ex. roum. gândirism, trăirism etc.), les calques savants (ex. roum. întrevedea, supraveghea) et tous les mots internationaux, quelque anciens qu’ils soient (ex. roum. filozof, filozofie etc.). 43 49 ă (1984, 61) cite quelques-uns des emprunts susceptibles d’être d’origine française : angrosist, bonjurist44, dirijor, elogia, frizer, etc. En réalité, il s’agit là de néologismes créés en langue roumaine à partir de mots d’origine française. Certains néologismes ont un statut spécial et peuvent remplir plusieurs fonctions. Par exemple, bonjurist est sociolème et culturème à la fois : il désigne, d’une part, un jeune homme faisant partie d’un groupe d’avant-gardistes ayant fait leurs études en France, mais aussi un style de vie et un sociolecte et, d’autre part, le mot est porteur d’informations culturelles parce qu’il exige la connaissance du contexte culturel dans lequel le culturème fonctionne et actualise son sens. Les culturèmes ne sont pas tous traduisibles. Il ne s’agit pas là de néologismes monoréférentiels désignant des réalités récentes ou des concepts technico-scientifiques qui finissent par être empruntés (néologismes nécessaires) ; ils apparaissent tels quels dans la langue prêteuse, sens et forme compris, et sont intégrés dans le fonds lexical de la langue source. Dans un sens large, le terme néologisme est utilisé pour désigner tout nouveau mot, emprunté ou créé par des moyens internes et, dans un sens restreint, pour désigner un mot récemment emprunté45. La fréquence des emprunts dépend de leur capacité d’adaptation dans La sociolinguistique distingue et étudie les variations linguistiques temporelles, spatiales, sociales et contextuelles (St. Munteanu 1995, 137-153). Dans les oeuvres littéraires, la langue sert à la caractérisation et à l’individualisation des personnages (138). Les variations sociales et temporelles sont déterminées par la situation concrète de communication (141). Certains linguistes s’interrogent si la notion que nous analysons là peut combler les emprunts fautifs, qui s’accompagnent de glissements de sens tels que fortuit et vis-à -vis de. D’autres linguistes s’interrogent si le néologisme ne coïncide pas avec le traductème. Dans ce cas, une question surgit : comment traduire en français, par exemple, le mot bonjurist ? Bonjurist, néologisme dérivé en roumain à partir du français bonjour (roum. bună ziua), désigne en roumain un vêtement et non une formule de salutation. L’effet de la traduction, du roumain vers le français, de tels éléments lexicaux (culturèmes simples) serait, sans doute, intéressant. Le culturème est parfois une périphrase dont le sens s’établit au niveau du texte. En ce qui concerne le sociolème, expression de la caractérisation sociale de l’individu ou des personnages, sa définition intéresse aussi bien la sociologie que la linguistique. Notre affirmation se fonde sur les œuvres des écrivains roumains C. Negruzzi, Ion Creng , I. L. Caragiale, Marin Preda qui privilégient la perspective sociologique. 45 Iordan (1956) opère une distinction entre les néologismes généraux, qui sont empruntés à d’autres langues, adaptés au systèmes phonétique et morphologique du roumain (1956, 80), et les néologismes spécifiques à divers domaines que le spécialiste appelle termes techniques (1956, 73). Le linguiste admet la présence en langue roumaine des néologismes nécessaires et fait remarquer que certains néologismes sont inutiles, ayant été introduits par mimétisme ou par snobisme linguistique et littéraire. Voir aussi Iordan, Robu (1978). 44 50 ă la langue d’accueil. Il existe une zone de transition entre les emprunts « guillemettés » (cf. Kocourek 1991, 152), appelés xénismes. Les xénismes sont des unités étrangères servant à désigner les appellations greco-latines de diverses sciences, telles que la botanique, et les emprunts integralement adaptés dans la langue emprunteuse. Le roumain possède une grande capacité d’assimilation de nouveaux mots qui renvoient aux nouvelles tendances de la civilisation (Macrea 1978, 81). Les technolectes46 illustrent le mieux la problématique des néologismes. Dans ce cas, seul le transfert conceptuel, basé sur la traduction des concepts, répondrait aux particularités des technolectes. Deux stratégies sont à signaler là : d’une part, une stratégie de compensation consistant à combler la lacune linguistique, le vide terminologique de la langue cible par des emprunts à la langue source et, d’autre part, une stratégie d’adéquation par laquelle la langue cible use de son propre système en concordance avec ses propres règles de dérivation. L’opération de traduction-emprunt ne se réduit pas à des procédés formels ; le sens est le vecteur fondamental du transfert linguistique entre deux langues en contact. La sociolinguistique et la socioterminologie contribuent largement à la saisie des effets de sens de la langue source et à leur réexpression dans la langue cible par des procédés tels que l’admission, l’omission ou la recréation. Lors du transfert des technolectes, le traducteur doit tenir compte d’autres principes47 que ceux concernant la traduction littéraire. La butade traduttore-traditore évoque, du moins dans le domaine poétique, la perte générée par le transfert linguistique. L’unité technolectale, quelle que soit la langue source qui l’utilise, est étroitement liée au référent auquel la réalité renvoie. Ces aspects sont – considérons-nous –significatifs parce qu’ils nous serviront à établir les aires sémantiques des concepts étudiés. La littérature emploie le terme néologisme au sens général pour désigner toute unité lexicale créée dans une langue par dérivation, composition et emprunt ; les termes néonimie et néonime font référence à la « néologie en langue de spécialité ou formation de termes nouveaux » (Kocourek 1991, 174-176). Le terme emprunt est utilisé pour désigner « une Il convient de préciser que le terme technolecte a été créé selon le modèle idiolecte (linguistique), sociolecte (sociologie), par Dahmen (et al. 1989). Le technolecte désigne le langage spécifique aux domaines techniques spécialisés, à des catégories technolectales fonctionnant en tant qu’unités technolectales. 47 La traduction technique est basée sur la traduction conceptuelle et non sur la traduction du signifié. Dans le domaine technolectal, le concept doit parvenir à un consensus (universel, pour les concepts théoriques, et régional, pour certaines machines ou industries) ; les traits génériques s’établissent suite à l’observation de l’objet–référent, généralement concret, c’est-à-dire perceptible, plausible et / ou matériel ; les traits spécifiques s’ajoutent aux précédents en vue d’une identification exacte de l’élément à traduire. 46 51 forme normale d’enrichissement lexical » (cf. Dauzat 1967). Il constitue également un procédé prolifique en terminologie. Dans ses études relatives à l’emprunt, Kocourek (1991, 151-161) distingue plusieurs types d’emprunts : lexical, contemporain (les nouvelles acquisitions en terminologie ou en xénoterminologie), nécessaire, emprunt de luxe, excessif, savant (emprunt de morphèmes d’origine latine ou grecque, mais aussi tous les mots internationaux de diverses origines), emprunt de sigles, etc. L’emprunt lexical, procédé et action à la fois, est différent par rapport au résultat (termes d’emprunt ou termes empruntés). Le terme culturème est utilisé dans un sens large pour désigner toute unité porteuse d’information culturelle. Une première réaction du traducteur vis-à-vis du culturème concerne son statut tangible ou intangible, sacré, enregistré. Il cherchera donc à l’acclimater (approche sourcière) ou à le reporter (approche cibliste, cf. Ladmiral 1979). L’information culturelle est une information de type particulier, autre que celle véhiculée par phonèmes, morphèmes, lexèmes, stylèmes, etc., susceptible elle aussi d’être marquée culturellement. Le culturème est représenté en surface par des lexies simples ou composées, par des expressions lexicalisées ou par des expressions allusives de type palimpseste. Le culturème n’est pas un procédé lexical ou terminologique ; il représente une caractéristique de la communication qui se manifeste dans l’acte de traduction lors du transfert des pratiques monoculturelles et des faits culturels de la langue source vers la langue cible (v. infra). Le traducteur réalise une approximation des valeurs culturelles et stylistiques du texte source qui équivaut à une « compensation des niveaux d’apréhensibilité » (Moles 1967, 142). 3.4. Culturème et cultisme Le culturème est représenté par des mots culturellement marqués et par des unités phraséologiques porteuses d’informations culturelles. Aussi le culturème ne risque-t-il pas d’être confondu avec le cultisme. Dans cette section, nous analyserons la relation culturème – cultisme afin de montrer les différences existant entre les deux notions. Nous tenterons de démontrer, dans ce qui suit, qu’il est impossible de confondre ou de superposer les concepts de culturème et de cultisme. La problématique du cultisme est tout aussi délicate que celle qui avait été posée à l’égard du culturème. La présentation des différentes acceptions du terme cultisme n’a pas pour objectif de mettre en évidence une certaine signification par rapport à une autre. En concordance avec l’opinion émise, nous retiendrons, sans parti pris, des acceptions diverses. Il convient de signaler que l’ordre choisi lors de la présentation est aléatoire et ne prend en compte ni le critère de la fréquence, ni celui de 52 l’importance, dans la présentation des acceptions. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’initiative d’inscrire le culturème parmi les notionsclés de la traductologie est due à un besoin théorique visant le perfectionnerment de l’appareil critique du processus de traduction. Les contemporains de Góngora (initiateur du baroque espagnol dans la littérature du XVIIe siècle) considéraient que le cultisme était une hérésie littéraire ou un discours emphatique opposé au conceptisme de Quevedo48. Afin de fixer le concept, nous aurons recours aux définitions répertoriées par les dictionnaires. Le dictionnaire Petit Robert (1991, 436) enregistre la définition suivante: cultisme (1823 < esp. cultismo < lat. cultus « cultivé »): hist. litt. Affectation, préciosité du style, mise à la mode au début du XVIIe siècle, par certains écrivains espagnols (Góngora), v. gongorisme ; définition reprise par Le Grand Robert, (tome IV, 1989, 964) où gongorisme reçoit la précision (< de Góngora, 1832) : didact. Préciosité, recherche dans le style (abus d’images, de métaphores, etc.) mise à la mode par Góngora. Par ext. Affection, style précieux. v. Euphuisme, marinisme (voir aussi Chabas 1971, 529). Certains lexicographes et terminologues identifient d’autres acceptions. Selon Dauzat, Dubois et Mitterrand (1978, 216), le terme cultisme provient du substantif culte (1823) qui a été à l’origine de l’adjectif culturel, créé à la fin du XIXe siècle. Nous observons que le terme cultisme est polysémique. Il désigne aussi un style littéraire49 specifique à la 48 Cf. Encyclopedia Universalis (1992, 579) et Pageux (2000, 67). Le style de Góngora, péjorativement appelé gongorisme, présente certaines particularités qui le différencient par rapport au style pratiqué par ses contemporains. Góngora fait usage de procédés divers tels que la périphrase, l’hyperbole, l’allusion mythologique et l’énumération. Sa syntaxe favorise les oppositions rhétoriques et les contrastes expressifs au détriment de la clarté immédiate, ce qui a pour effet une composition architecturale en mouvement. Ces marques stylistiques, extrêmement techniques, sont difficiles à restituer même par des traducteurs chevronnés. Traduire Góngora signifie accepter la décomposition en tant qu’étape préparatoire à la reconstruction du sens par la traduction. L’une des difficultés de traduction de l’œuvre de Góngora est liée à l’effort de conserver la logique de la reconstruction langagière par une destruction quasi-totale de la syntaxe du XVIIe siècle. Il convient de souligner qu’il ne s’agit pas là d’une décomposition dans l’acception structuraliste du terme, mais d’une destruction totale en vue de la recréation d’une langue autonome à l’intérieur de laquelle le signifiant et l’ordre des mots dans la phrase soient porteurs de sens. 49 Juan Chabas (1971, 130-131) considère que le baroque du XVIIe siècle présente certaines caractéristiques: la prolifération des ornements style Rennaissance d’influence italienne et néoclassique ; l’inversion de l’ordre des mots, la reproduction de la syntaxe latine, l’usage de la métaphore, des paraphrases et des allusions (œillet pour bouche, levres ; cristal pour eau, etc.) 53 littérature baroque espagnole du XVIIe siècle, consacré par Góngora50, que ses adversaires appelaient ironiquement cultéranisme, par analogie avec le luthéranisme (Chabas 1971, 131). Le chercheur espagnol (1971 172, 528-529, note 6) fait remarquer le fait que l’école cultiste représente l’une des multiples hypostases littéraires du courant, répandues à l’époque dans de nombreux pays, parallèlement avec l’euphuisme de Lyle (cf. Euphues), avec la fameuse préciosité cultiste qui caractérisait les salons de la Marquise de Rambouillet ou de Madame de Scudéry et les écrits de Ronsard ou avec le marinisme italien, courant créé par Marino (Adonis, 1623). L’Académie d’Espagne reconnaît l’existence d’un « système des cultéranistes » ou des « cultes » basé sur l’usage d’un langage précieux, farci de mots rares et savants et de formes recherchées appartenant à un style obscure et affecté (Chabas 1971, 528, 529). Selon Benedetto Croce (1959), le cultéranisme (cultisme) et le conceptisme (conceptismo51) seraient en fait congénères. Les deux styles manifestent une vive prédilection pour l’art et pour l’esprit dans un sens aristocratique, pour la décomposition thématique en faveur de la forme : d’où les ornements stylistiques en excès et l’absence de toute substance. L’opposition entre le cultisme et le conceptisme est un faux problème, affirme Robert Jammes (1967, 197). La critique formaliste a essayé d’expliquer cette opposition par « l’inimitié des deux écrivains » (607), ce qui a porté atteinte à l’image de Góngora. Cette brève incursion dans l’histoire du cultisme nous a permis de justifier – croyons-nous – l’inconsistance de l’hypothèse qui l’oppose au culturème. Nous avons jugé utile de mentionner également l’acception du terme dans la linguistique roumaine vu les remarques intéressantes liées à son origine. Il en résulte que le cultisme est utilisé pour désigner l’emprunt savant au latin, d’une part, et la manifestation du snobisme littéraire, d’autre part. Dans son livre Anglicisme în limba română, la linguiste roumaine Mioara Avram traite des cultismes latins tout en référant aux doublets étymologiques apparus dans la langue après le processus de relatinisation du roumain. Il en résulte que les deux concepts, culturème et cultisme, ne sont pas superposables. M. Schmunki (2000) établit une distinction entre les cultismes, mots savants, et les semi-cultismes, mots populaires. Ces deux types de cultismes correspondent aux doublets étymologiques du roumain. « À Selon Dámaso Alonso (1977, 25-30, 222-254) et R. Jammes (1967, 627), Góngora a tendance à éluder les termes désignant la réalité ordinaire, banale ou brute (ou jugée telle quelle par les critiques littéraires de l’époque) et à les substituer, grâce à son système d’allusions descriptives, par des descriptions éclatantes inspirées de l’univers littéraire (mythologie, culture greco-latine, Renaissance). 51 Le concétisme, représenté par Quevedo et Grácian, désigne selon Juan Chabas (1971, 131), une modalité « contraire et ennemie » qui privilégie les antithèses, les paradoxes, les allusions et la lucidité de l’esprit. 50 54 ă l’intérieur du lexique d’une langue, on distingue, généralement, entre les mots populaires, ayant été transmis par une tradition orale ininterrompue, et les cultismes qui, empruntés à une autre langue, n’ont pas suivi cette évolution (exception faite de quelques petites modifications qui peuvent se produire dans les terminaisons, et qui sont donc restées « telles quelles ». On distingue, outre cela, les semi-cultismes qui sont considérés comme des espèces d’« hybrides » dans le sens où ils participent à certains changements populaires tout en restant indifférents à d’autres.52 Les acceptions que nous venons d’identifier démontrent clairement que les significations des termes cultisme et culturème sont totalement disjointes. Le cultisme tend à inverser les attributs, en fin de poésie, dans le but de produire des contrastes plus nets (Alonso 1977, 308). Des manifestations similaires avec le cultisme (compris en tant que style et procédé linguistique de création de mots savants à la fois) se retrouvent également en anglais, en français ou en italien. À considérer les autres acceptions du terme cultisme, nous remarquons aisément que les acceptions des deux concepts ne sont pas superposables : emploi lexical rare, précieux, dû à un souci d’hypercorrectitude, d’une part, et terme de l’opposition cultisme vs. semi-cultisme, correspondant aux doublets étymologiques, d’autre part. Le culturème est une caractéristique de la culture source ; cette caractéristique n’est pas nécessairement repérable dans la culture cible aussi. Le terme culturème est utilisé dans son acception contextuelle d’élément porteur d’informations culturelles. Cette acception s’actualise dans un contexte culturel spécifique. La difficulté de traduire le culturème est liée à l’intraduisibilité de sa signifiance et non de sa signification. Les culturèmes se laissent traduire facilement ; la traduction de l’intention de la culture en fait peut-être exception. Dans toutes les langues il y a des mots pour désigner les baguettes (chinoises) ou les fourchettes. C’est le contexte extralinguistique qui leur assigne la valeur de faits culturels. 3.5. Culturème et traductème Nous avons choisi de présenter en fin d’étude le clivage culturème 52 En ce qui concerne la problématique des cultismes et des semi-cultismes, Schmuki (2000) envisage deux hypothèses. Conformément à la première hypothèse, il n’y aurait pas de différence réelle entre ces deux catégories, les deux ayant participé, partiellement ou totalement à l’évolution de la langue populaire. Conformément à la seconde, pour tout semi-cultisme il y aurait un moment x à partir duquel celui-ci obéirait aux règles de l’évolution phonétique, comme c’est le cas des mots populaires. Il en résulte que tout (semi-)cultisme tend, tôt ou tard, à se transformer dans un mot populaire ; dès sa transformation, celui-ci obéit à la dynamique de la langue qui affecte tous les mots populaires. 55 vs. traductème afin de conclure notre argumentation sur le concept de culturème. Le culturème est un segment de discours qui déclenche des compléments cognitifs nécessaires à produire du sens. Cette propriété permet de rapprocher les culturèmes et les unités de sens, de longueur variable (lexie simple, syntagme, phrase, texte). L’évaluation des textes est désormais possible en traduction avec le découpage des textes dans de petits segments que les spécialistes de la traduction appellent unités de traduction (Vinay et Darbelnet 1958; Malblanc 1961, Pergnier 1978, Larose 1989, Kocourek 1991, Dancette 1998, Ballard 1993 et 1999, Cristea 1998), unités de compréhension (Seleskovitch), unités de sens (Lederer 1981, Delisle 2003), unités sémantiques (Nida 1964), unités dialectiques (Meschonnic),53 logème (Radó 1979), unité de traitement (Beaugrande 1980), traductème (Ghi 1982, 1983), textème (Toury 1995, Ghi 1982), transème (Garnier 1985). Cette pléthore synonymique n’est qu’apparente. Une analyse rigoureuse démontre que ces termes renvoient à des réalités extralinguistiques différentes. Le culturème (unité culturelle) et le traductème (unité de traduction54) se distinguent par leur fonctionnement et non pas par leur présence en langue : le premier représente une manifestation pure de la langue, dépendante du bagage cognitif du locuteur, mais indépendant du déroulement du processus de traduction, alors que le second, comme sa désignation l’indique, est le résultat inhérent du processus de traduction. 3.5.1. Le concept d’unité de traduction – bref aperçu historique Au-delà des problèmes liés à la fidélité et la créativité du traducteur, l’évaluation des traductions pose le problème du découpage des textes. Empruntant à la linguistique le modèle de création d’unités de base telles que phonème, morphème, etc., la traductologie tente de définir ses propres termes. Le concept d’unité de traduction doit se fonder sur des critères linguistiques, textuels (cf. unités discrètes et repérables), mais aussi péritextuels, c’est-à-dire, téléologiques, informationnels, matériels et culturels. Une analyse détaillée des éléments constitutifs d’un texte permet de signaler la présence de certaines structures, de différentes dimensions, qui se sous-divisent en superstructures, macrostructures et microstructures. La décomposition des relations intra- et intertextuelles permet l’identification des diverses structures textuelles. Parmi les critères Selon Meschonnic (1973, 305), la traduction est une activité translinguistique qui exige des connaissances de linguistique appliquée et de théorie textuelle : lors de la traduction, deux structures linguistiques apparaissent à l’intérieur d’un texte ; le texte est conditionné par le système linguistique et par le langage (provenant d’une langue naturelle) qui le produit. 54 À voir Delisle (1993, 48-49) et Hurtado Albir (1990, 232). 53 56 susmentionnés, le critère formel (linguistique) ne suffit pas pour délimiter une unité de traduction opératoire. Le découpage des textes peut bien fonctionner en tant qu’hypothèse de travail lors du déroulement du processus de traduction. Un repérage correct et global des unités de traduction devrait prendre en compte d’autres concepts permettant d’identifier les relations micro-, macrostructurelles et fonctionnelles : les lexies, unités de lecture de dimensions variables (Barthes 1970, 20), les sémèmes (Greimas 1966), unités formées à partir d’un noyau sémique (invariant) et d’un clasème (sème contextuel), les isotopies (Greimas 1966), facilitant l’interprétation cohérente et globale d’un texte grâce à la succession des énoncés et à la répétition des éléments lingusitiques (sèmes, clasèmes, etc.) à l’intérieur d’un texte, le couple thème / rhème (École de Prague) ou topique / commentaire, mesurable en structure linéaire, en structure profonde et en fonction du réseau sémantique des textes, les logèmes (Radó 1979), unités logiques en traduction, et les unités de traitement (Beaugrand 1980) servant à établir le réseau de relations textuelles sans support syntaxique. Comme on peut le remarquer, la dimension textuelle est englobée dans une situation culturelle source que le traducteur est censé reconnaître. Dans ce but, il faut établir une distinction entre les paramètres péritextuels (intention de l’émetteur / auteur, le contenu de l’information du texte, la composante matérielle, l’arrière-plan socio-culturel) et les paramètres textuels (super-, macro- et microstructure textuelle). Vinay et Darbelnet (1958, 16, 36-37) sont les premiers spécialistes à avoir décrit la notion d’unité de traduction. Presque tous les essais de redéfinition de ce concept-clé en traductologie prennent comme point de départ la conception des deux spécialistes, discutent les contributions ou les limites de leur théorie, améliorant de la sorte par des inteprétations et critiques bien utiles l’appareil critique de la traductologie. Dans nos analyses, nous utiliserons le terme traductème. Pour Vinay et Darbelnet, l’unité de traduction est synonyme d’unité de pensée et d’unité lexicologique : « l’unité de traduction est le plus petit fragment de l’énoncé dont la cohésioon des signes est telle qu’ils ne doivent pas être traduits séparément »55 (1958, 16) et, plus loin, « les unités de traduction sont des unités lexicologiques dans lesquelles les éléments du lexique concourent à l’expression d’un seul élément de pensée. On pourrait 55 Cette définition est valable pour les unités de traduction insécables, nondécomposables, représentées par des culturèmes, expressions phraséologiques, idiotismes, etc., intraductibles par les procédés de traduction directs (calque, emprunt, traduction littérale), car la somme de sens des éléments qui composent de telles unités de traduction n’est jamais égale au sens global qu’elles véhiculent. C’est pourquoi elles exigent une traduction par équivalence d’effet ou de réaction, stylistique ou fonctionnelle. 57 encore dire que l’unité de traduction est le plus petit segment d’un énoncé dont la cohésion des signes est telle qu’ils ne doivent pas être traduits séparément » (1958, 37). La vision des deux spécialistes est à juste titre considérée comme restrictive parce qu’ils réduisent les unités de traduction aux seules unités lexicales. Les deux linguistes distinguent plusieurs types d’unités de traduction compte tenu de leur rôle dans le message : 1) unités fonctionnelles – dont les éléments participent à la même fonction grammaticale ; ne sont pas considérées en tant qu’unités de traduction proprement dites. L’exemple donné par Vinay et Drabelnet n’est pas suivi de traduction, Il habite / Sainte-Sauveur / car/..., (1958, 38-39), n’est pas édifiant, du fait que l’unité de traduction ne fonctionne pas en dehors du processus de traduction, comme c’est le cas des unités culturelles (culturèmes). Les unités de traduction fonctionnelles correspondraient plutôt au découpage syntagmatique (en constituants, et non pas syntaxique) traditionnel en grammaire structurelle. Même si l’on choisit de se placer dans une perspective contrastive et d’étudier les règles phrastiques, on ne peut pas ignorer le fait que la langue est utilisée en tant qu’élément comparatif. Le pronom personnel sujet il n’est pas considéré comme unité fonctionnelle. La logique traductive et traductologique ne saurait justifier un tel découpage. Les deux éléments constituant l’unité il habite ne remplissent pas la même fonction grammaticale ; les deux linguistes font de la relation syntaxique sujet-prédicat une seule unité fonctionnelle (i.e. de traduction). La version roumaine Locuieşte la Saint-Sauveur, deoarece … enregistre une unité de traduction zéro, car le traductème il est formellement absent, mais déductible du contexte linguistique, grâce à la désinence verbale. En revanche, si l’exemple cité par les deux stylisticiens est artificiel servant à l’apprentissage d’une langue étrangère, le pronom personnel sujet il sera rendu en roumain par son correspondant el. L’usage du transcodage en roumain pourrait prêter à confusion. L’usage de mots hors contexte, d’ailleurs courant en linguistique, conduit à des formulations plates en traduction ou à des déformations du sens. 2) unités sémantiques – concernent la correspondance entre les unités de traduction et les mots du texte source. Celles-ci sont en fait des unités lexicologiques ou lexicalisées formant une unité de sens. « Leur erreur — signalée par Ladmiral (1979, 208) — est d’assimiler la sémantique au lexical », ce qui explique la dérive de leur raisonnement. « Les unités de traduction de J.-P. Vinay et J. Darbelnet sont bien des unités lexicologiques, mais elles ne sont des unités de pensée qu’au sens où la pensée peut en quelque façon 58 ş employer de telles unités […] et non pas au sens où elles seraient elles-mêmes substantiellement de l’ordre de la dite pensée. » (J.-R. Ladmiral 1979, 206). On ne peut pas parler de traduction en dehors de l’acte de traduction. L’absence de référence au processus traductionnnel, à l’ensemble textuel (source et cible) dans l’exemple cité par Vinay et Darbelnet pour l’unité (de traduction) sémantique56, est cause de sa non-pertinence. 3) unités dialectiques – articulent un raisonnement (ex: car, or, etc.) et 4) unités prosodiques – celles dont les éléments participent à une même intonation (angl. you don’t say!, fr. ça alors !, roum. aşa deci! / nu mai spune / zău). Sans nier l’importance du rôle joué par l’unité de la traduction, Robert Larose (1989, 24) fait la critique de la théorie des unités de Vinay et Darbelnet et considère les trois derniers types d’unités des vraies unités de traduction, à la manière des syntagmes qui fonctionnent comme les lexèmes au singulier. Partageant le point de vue jakobsonien (1963,80), Larose appelle sémiotème l’unité de traduction parce que l’on traduit « des messages d’une langue en des messages d’une autre langue » (1989, 20). D’autres traductologues utilisent le syntagme groupements d’affinité ou le terme collocations (M. Ballard 1987/1994, 58-59) pour désigner la même réalité. On observe qu’un même élément linguistique peut appartenir à plus d’une catégorie. D’après cette typologie, le mot-charnière explicatif car serait tout aussi bien une unité fonctionnelle qu’une unité dialectique. Les unités de traduction proposées par Vinay et Darbelnet se situent au niveau du signifié. Au niveau du signifiant, les deux spécialistes distinguent trois cas de correspondance entre la langue source et la langue cible : 1) unités simples correspondant, chacune d’entre elles, à un seul mot. Exemple: fr. Il gagne cinq mille dollars, roum. el câştigă cinci mii (de) dolari ; 2) unités diluées formant une unité lexicologique du fait qu’elles partagent l’expression d’une seule idée. Exemple: angl. simple private, fr. soldat, roum. soldat ; 3) unités fractionnaires où l’unité n’est qu’une partie du mot. Exemple: recréation / récréation, roum. recreare et recreere / recrea ie. À l’exemple en fr. sur le champ, angl. immediately, nous ajoutons l’équivalence lexicale roumaine pe loc, imediat. 56 59 ş ă ş ă 3.5.2. Analyse de la théorie des unités de traduction Ballard (1999, 29-32) focalise sur plusieurs aspects dans son étude critique relative à la théorie de l’unité de traduction élaborée par Vinay et Darbelnet: a) la présupposition du sens comme étant acquis ; b) l’absence de l’étape de la construction du sens et de la lecture lors de la définition du traductème ; c) le caractère contradictoire de la formulation privilégiant l’aspect lexical, les aspects dialectiques et prosodiques étant ajoutés ultérieurement ; d) la définition trop restrictive, basée sur un seul critère « le fait qu’il s’agit du plus petit fragment de l’énoncé dont la cohésion ... » (v. supra) ; e) l’hypothèse, implicite, du repérage et du découpage a priori d’un texte en unités de traduction. Garnier (1985, 116) et Teodora Cristea (1998, 17) proposent une démarche similaire avec celle suivie par Vinay et Darbelnet, parce qu’ils identifient l’unité de traduction à l’intérieur du texte source, en langue source, et parlent de sa traduction dans le texte cible, en langue cible. Garnier considère que le transème est repérable dans le texte source : « le traducteur prend son point de départ au transème tel qu’il l’identifie dans l’énoncé réalisé qu’il entend ou qu’il lit » (1985, 117), distingue le transème source par rapport au transème cible dans le but d’établir des règles d’équivalence entre les deux, mais il omet le fait qu’il est impossible de parler de traductème ou d’unités de traduction appartenant à un texte source57. Il y a, d’une part, un texte source à traduire, des unités de traduction résultées de la compréhension et de la déverbalisation (ces unités caractérisent l’acte de compréhension-interprétation en vue de la traduction) et un texte traduit, le texte cible. Garnier perd de vue le fondement de son argumentation et focalise sur la distinction entre transème et syntagme (1985, 116). Cependant, le traductème n’est ni mot, ni syntagme, ni phrase (unité de discours, même si la dernière pourrait donner une idée de la structure langagière et de ses variantes). Garnier définit le transème comme « l’équivalent linguistique d’une unité conceptuelle » situé « à un niveau intermédiaire entre le mot et la phrase. De là la tentation de l’assimiler […] au syntagme, tel que le définit habituellement l’analyse linguistique; un examen approfondi montrerait que le transème et le syntagme sont rarement superposables » (1985, 116). Nous citerons ci-après un exemple fourni par G. Garnier. Nous avons ajouté les versions en roumain proposées par nos étudiantstraducteurs: Cf. aussi Cristea qui conçoit l’unité de traduction source comme étant « non cohésive et compositionnelle » et établit des rapports quantitatifs entre les unités source et les unités cible, mises en relation de correspondance (1998, 20) par dilution ou par concentration, dans le but d’établir des règles d’équivalence entre les unités à traduire et les unités traduites. 57 60 TS : TC : TC : Bleriot flew across the Channel Blériot a traversé la Manche en avion (1) Blériot a zburat deasupra Canalului Mânecii (2) Blériot a traversat Marea Mânecii cu avionul (3) Blériot a survolat Canalul Mânecii En anglais, la phrase comprend trois éléments constituants: Blériot, syntagme nominal, sujet, flew, syntagme verbal, verbe, across the Channel, syntagme prépositionnel, complément. La solution française relève d’une analyse structurelle différente, permettant de souligner les différences sémantiques existant d’une langue à l’autre (Garnier 1985, 118). Le linguiste français admet l’équivalence conditionnée des transèmes (à moins que l’énoncé source enregistre le transème flew across the Channel) et conclut qu’il n’y a pas de relation d’équivalence entre le transème (unité de traduction ou traductème) et le syntagme (1985, 119). Le transfert en roumain met en évidence d’autres aspects liés à un possible découpage opéré par le traducteur. La première et la dernière solution en roumain posent implicitement le moyen de transport, à quelques différences près : la première et la dernière ne restituent pas l’idée de de traversée de l’énoncé source, mais celle de survol. La deuxième version roumaine et la version française conservent le découpage propre au transème source. Il faut reconnaître le caractère mental du traductème et Garnier le fait par la mise en évidence de l’alternance des actes de compréhension en LS ou « actes de langage-reconnaissance » et des actes de restitution en LC ou « actes de langage-production » (1985, 119). Cristea conçoit l’unité de traduction comme une entité « à double face » et souligne le fait que les codes des langues source et cible se réunissent par une relation interlinguale, générée par les analyses intralinguales dont le but est la recherche des significations communes. La spécialiste apprécie que « l’unité de traduction est une entité qui revèle en tant que telle au cours du transfert, elle évoque un avant et un après et, par conséquent, comporte une idée de chronologie, de processus » (1998, 18). Dans la lignée des études de Ballard, Cristea remarque la dualité de l’unité de traduction, ce qui renvoie à la dualité de la traduction : processus et produit, opération et résultat. Cela donne lieu à deux phénomènes connexes: d’abord, la comparaison des systèmes linguistiques dans leur fonctionnement de discours et la réalisation proprement-dite de la traduction (Ballard 1999, 32). Il n’en est pas moins vrai que les textes source et cible constituent l’observable le plus direct sur lequel s’appuient les études de linguistique contrastive, les aspects réels du phénomène dans l’élaboration d’une unité ne pouvant pas être ignorés. L’unité de traduction se manifeste formellement dans le texte source, mais pour devenir fonctionnelle et réaliste, le traducteur doit tenir compte également de la 61 structure de l’opération de traduction (dont les schémas de fonctionnement sont moins directement accessibles). Ballard fait remarquer le fait que l’unité de traduction est un tout, un ensemble, mais elle peut aussi désigner l’un des éléments constituants de l’ensemble ; elle assure aussi la cohésion entre les sous-unités constituantes, le tout étant un ensemble d’éléments dotés de cohésion (1999, 37). L’introduction de la notion de cohérence permet d’élargir son applicabilité dans la sphère du langage et de ses relations avec l’extralinguistique et la pensée. Le rappel des acceptions du syntagme unité de traduction permet au traductologue de se référer à celleci en tant qu’élément constituant du processus de traduction (vu comme ensemble) visant la reproduction du texte source en vue de la production d’un texte cible. Ballard remarque à juste titre la distinction entre l’unité de traduction et l’unité du texte source (unité à traduire), d’une part, et entre l’unité de traduction et l’unité du texte cible (unité traduite) : « au cœur de l’UT, il y a un acte d’interprétation et de jugement qui estime que tel élément du TS a pour équivalent (c’est-à-dire est reproduit au plus proche de l’identique par) tel élément du TC. L’élément formel de départ constitue la base de l’unité de traduction [ex. fr. cornecul], l’élément formel d’arrivée l’aboutissement [ex. roum. tromboane] » (Ballard 1999, 38 — les exemples nous appartiennent). Considérons un premier exemple afin d’illustrer la différence entre le culturème et le traductème : LF : C’est des histoires, permettez-moi de vous le dire, de cornecul. LR : Poveşti, tromboane, permite i-mi să vi-o spun. Le découpage traditionnel, à l’usage dans la grammaire structurelle, impliquerait la division de l’énoncé en unités fonctionnelles, dialectiques et sémiques, suivant le modèle conçu par Vinay et Darbelnet. Ce type de découpage, d’ailleurs bien opératoire hors contexte, s’avère toutefois limité lors de la traduction de textes. Le découpage en unités de traduction de sens et de pensée aurait pour résultat le repérage du traductème histoires de cornecul. L’unité mentionnée est aussi un culturème issu de l’argot militaire, formé à partir du nom d’un vent de l’ouest, du breton korneouk et du suffixe -cul. Le sens contextuel du terme est « ridicule, absurde ». La solution proposée en roumain (tromboane) a été choisie d’une large gamme de synonymes tels que minciună, braşoave, inven ie, născocire, palavră, scorneală, baliverne, gogoşi, tromboane, parce qu’elle présente un sème commun avec le terme français « circulation induite par le vent ». Dans ce cas, le culturème est inclus dans l’unité à traduire, mais ne se confond pas avec celle-ci. Ballard observe à juste titre qu’il est impossible de prédécouper des traductèmes dans le texte source puisque c’est par rapport à la reformulation, autour de l’équivalence, qu’ils se construisent. Pour ce qui est de la variabilité des éléments constituants des unités à traduire et 62 ş ă ă ş ă ş ă ă des unités traduites, on constate une perceptibilité supérieure au cas de la seconde, car, on le sait bien, un texte peut donner lieu à plusieurs traductions possibles (cf. Ballard 1999, 40-41). Dans l’exemple mentionné, l’unité à traduire, même si elle est souvent donnée sur le plan formel, est aussi variable dans la représentation et dans son interprétation. Sa traduction, dépend, par conséquent, de son repérage et de son contexte. EO : …la raison suffisante ne suffit pas ; le segment d’énoncé renferme deux unités à traduire : u¹: la raison suffisante, u² : ne suffit pas et un culturème (l’énoncé cité). EA : … (substitut pour le mot raison) suffisante ne suffit plus … Le découpage du texte source en unités de traduction n’est pas suffisant lors de la traduction du palimpseste: l’unité à traduire la raison suffisante s’élargit dans le cas de l’énoncé allusif et exige la saisie du sens de la première unité à traduire afin de pouvoir saisir l’implicite culturel de la seconde. Il convient de préciser que l’explicitation intervient lors du transfert des différences culturelles, alors que l’explication concerne le sens, identifiable même lorsque certains détails ne sont pas perçus exactement. Dans le cas de la traduction de l’expression palimpseste, le sens est le résultat de l’agencement de tous les éléments constituant l’expression, à partir du sens de l’énoncé d’origine dans le contexte où il a été produit. La notion d’unité de traduction a été soumise à un examen critique par d’autres traductologues aussi tels que Robert Larose (1989), Georges Garnier (1985) et J.-R. Ladmiral (1979). Celui dernier considère que les connotateurs méritent de figurer parmi les théorèmes de la traduction, du fait que le domaine de leur applicabilité dépasse celui des connotations58. Pour J. Dancette (1998, 81), l’unité de traduction est un segment d’énoncé correspondant à un élément global de sens et peut être un seul terme, une expression, une phrase tout entière ou même un seul trait morphologique (par exemple, l’aspect du verbe). Jean Delisle (1993, 48-49) définit l’unité de sens comme un segment de discours suffisant pour déclencher des compléments cognitifs générant la saisie du sens et l’unité de traduction comme un segment d’énoncé dont les éléments constituants contribuent à la saisie d’un seul effet de sens. Amparo Hurtado-Albir (1990, 232) définit 58 Ladmiral (1979, 203, 206) affirme son point de vue sur le sujet : « Certes, les unités de traduction sont bien des sémantèmes, mais non pas au sens ancien […] des “lexèmes” de Martinet. Il convient de ne pas rester au plan strictement lexicosémantique ; la traduction est sans cesse confrontée à la mise en œuvre des signifiés de la langue au sein des contextualisations sémantico-sémiotiques qu’effectue et qui effectuent le texte d’une parole. On rejoint là la distinction faite par Coşeriu entre sens et signification ou […] entre sens et “effet de sens”, entre le sens d’un mot et ses emplois. ». 63 ş de manière assez imprécise l’unité de traduction comme une unité minimale de compréhension, variable en fonction des connaissances du destinataire, possédant des particularités distinctes pour l’écrit et l’oral. Une synthèse des définitions du traductème nous est fournie par Elena Ghi 59 : l’ensemble des représentations obtenues par le contact avec le texte a, susceptibles de générer le texte b – « totalitate de reprezent ri formate prin contactul cu textul a şi susceptibile de a genera textul b ». En soulignant le rôle de la rime intérieure dans la poésie de Rimbaud, la spécialiste observe que celles-ci peuvent déterminer un autre découpage du texte source que celui communément admis. La spécialiste se pose alors une question, d’ailleurs légitime : le modèle serait-il opératoire en dehors du texte poétique ?60 À notre avis, cette incertitude n’est pas fondée ; le découpage de l’information varie en fonction des types de texte et à chaque fois il y a d’autres paramètres qui interviennent, sans interconditionnement réciproque, au niveau prosodique, grammatical, etc. Michel Ballard propose une définition générale du concept d’unité de traduction censée ajuster le rapport données connues vs. données présumées et inconnues. Il souligne le caractère bi-textuel de l’unité (unité à traduire vs. unité traduite), la variabilité et l’asymétrie de l’unité de traduction et conclut que l’UT représente un fragment d’une opération ayant la base dans le texte source et son aboutissement dans le texte cible: « une unité de traduction est un élément constituant d’un processus global qui vise à la réécriture d’un texte à l’aide d’une autre langue que celle dans laquelle il a été originellement conçu. L’unité de traduction se constitue autour d’un schéma d’équivalence dont la base formelle peut être apparente dans le texte de départ et parfois éventuellement générée par la constitution du texte d’arrivée » (1999, 39). Le traductème (ou unité de traduction) s’avère finalement une unité de travail, une unité d’équivalence, dont la dimension et la forme sont variables. Le traductème représente un élément d’un processus global visant la réécriture du texte en langue étrangère, une étape fondamentale du processus de traduction et de la phase analytique de l’interprétation. L’unité de traduction, le traductème ou le transème renvoient tous à Ghi (1983, 61-67) considère que les textes sont les unités minimales avec lesquelles les traducteurs opèrent (1982, 65), résultats d’actes de langage individuels. Nous observons que les textèmes a et b (les deux concepts opératoires consacrés par la spécialiste) correspondent aux deux notions introduites, argumentées et justifiées par Ballard (1999) — unité à traduire et unité traduite. Suivant cette conception, le traductème est le liant des représentations communes à l’auteur et au traducteur, parce que les systèmes ne sont pas uniquement linguistiques, mais aussi textématiques. 60 Les conclusions que nous venons de mentionner sont le résultat de nos discussions avec l’auteur. 59 64 ş un acte d’interprétation et de conceptualisation. À leur différence, les unités à traduire et les unités traduites sont plus concrètes puisqu’elles sont repérables à l’intérieur des textes. À la différence du traductème, le culturème désigne une unité porteuse d’information culturelle qui appartient à la langue source et qui peut s’effacer complètement lors de la traduction en langue cible, par omission, par explicitation, gloses, notes du traducteur, etc. Alors que le traductème ne fonctionne pas en dehors du processus de traduction, le culturème est formellement repérable indépendamment de l’acte de traduction. Le culturème se manifeste indépendamment de la réalisation de l’acte de traduction, alors que le traductème en dépend. Les deux concepts sont susceptibles de poser des problèmes de traduction, mais de nature différente. La superposition des concepts ne serait que simple coïcidence. Afin de synthétiser les observations mentionnées, en guise de conclusion, nous indiquerons dans un tableau la relation que l’on peut établir entre le culturème et le traductème : Culturème fr. cornecul fr. poujadisme fr. matamores fr. tartarinades fr. omerta roum. Ochiul care nu se vede se uită palimpseste construit d’après le proverbe „Ochii care nu se v d se uit ” (fr. Loin des yeux, loin du coeur), où le substantif ochiul (substantif articulé, emploi au singulier en roumain ; emploi au pluriel en français) réfère au parti labouriste. traductème / unité à traduire roum. des histoires de cornecul roum. poujadisme rural roum. des discours de matamores roum. des tristes taratrinades roum. capitale de l’omerta Dans ce cas, les unités à traduire coïncident avec les unités fonctionnelles identifiées par Vinay et Darbelnet. En revanche, le sens ne peut être restitué qu’une fois l’unité phréaséologique d’origine repérée, dans le contexte global de la production du texte source (les élections présidentielles de Roumanie, en 2000). Il s’agit là d’un cas rare de superposition du culturème et du traductème, car le traductème représente une unité de sens et une unité de pensée à la fois. Nous pouvons conclure partiellement que le traductème renvoie à un acte d’interprétation à l’intérieur du processus de traduction (opération de traduction), alors que le culturème désigne une lexie simple ou composée, une unité phraséologique particulière en vertu de la charge culturelle qui lui est assignée (voir l’exemple ci-dessus: la raison suffisante) ou une expression palimpseste. Quant à la dernière, celle-ci est marquée par une motivation historique et culturelle censée être actualisée en vue d’en saisir le sens. C’est aussi le cas de l’allusion L’Affaire Markovic, créée 65 ă selon le modèle l’Affaire Dreyfus, où l’implicite est dû justement à cette analogie que le lecteur est appelé à saisir (l’accusation d’un innocent devenu victime d’un complot, etc.). Comme nous l’avons précisé dans l’introduction, notre analyse avait pour objectif de délimiter l’aire sémantique du terme culturème, par l’intermédiaire des oppositions que nous venons de présenter, dans le but d’inscrire le concept dans l’appareil critique de la traduction. Nous nous posons une question d’ailleurs légitime : serait-il possible d’établir une relation entre le culturème comme unité de culture, d’une part, et le traductème comme unité de traduction, d’autre part ? Un rapprochement entre ces deux concepts serait censé spécifier l’objet du processus de traduction. Voilà la raison pour laquelle nous avons défini les culturèmes en tant qu’éléments propres à une culture. La question reste ouverte à d’autres approches aussi, inter- et transdisciplinaires. 4. Typologie des culturèmes En fonction du niveau d’analyse, il y a de nombreuses formules par lesquelles nous pouvons identifier une unité porteuse de sens : phonème, morphème, lexème, unité phraséologique, idiotisme, expression idiomatique, cliché, etc. Dans le domaine de la traduction, le concept de culturème pourrait faciliter la démarche d’évaluation des traductions dans une perspective « comparative et culturaliste ». Dans notre tentative de classifier les culturèmes, nous avons opté pour des critères combinés, pris à d’autres domaines linguistiques aussi, tels que la grammaire et la morphologie. Cette démarche a été adoptée suite à plusieurs étapes d’analyse : le filtrage des informations ; la sélection d’éléments considérés comme étant essentiels ; l’observation des critères, de leur mode de fonctionnement et de formation. Nous avons observé que les définitions traditionnelles étaient basées sur plusieurs critères en vue d’une plus grande efficacité. Dans notre tentative de classifier les culturèmes, d’après le critère formel et fonctionnel, nous utiliserons alternativement la langue française et la langue roumaine en tant que langues source. Le comportement des culturèmes de type palimpseste par rapport à l’expression originale est similaire avec le comportement des groupements libres par rapport aux syntagmes. À la différence des groupements libres, les unités phraséologiques sont consacrées par l’usage, plus fréquentes, perçues en tant qu’unités distinctes grâce à la relation existant entre les éléments constituants. Soit les exemples suivants: 66 Syntagmes (associations occassionnelles, libres) Groupements associatifs (certains se rapprochant des groupements figés) apă tare (fr. eau dure), apă minerală (fr. eau minérale), apă oxigenată (fr. eau oxygénée), apă de toaletă (fr. eau de toilette), apă de colonie (fr. eau de Cologne) Expression originale apă caldă (fr. eau chaude) apă fiartă (fr. eau brûlante) apă rece (fr. eau froide) Culturème l’enfant a ses raisons (que les parents le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas Un tramway nommé désir connaissent pas) un titre nommé désir61 La maxime pascalienne fait déjà partie du langage courant des usagers possédant un niveau de connaissances élevé. La connaissance de la maxime permet aux lecteurs-récepteurs d’identifier le calque du premier énoncé et de saisir tel quel le sens du message sans avoir besoin de l’explicitation mise entre parenthèses. Dans le cas de méconnaissance ou d’ignorance de l’EO, il est important de refaire la structure initiale de l’expression afin de pouvoir saisir le sens exact ; autrement, le sens risque de ne pas être décodé du tout ou d’être partiellement ou mal décodé. La redistribution des éléments constituants d’une unité phraséologique ou le jeu des permutations permet le raffinement de l’expression par l’exploitation de certaines structures consacrées à l’intérieur desquelles sont « coulés » d’autres éléments lexicaux. Les nouvelles expressions risquent de ne pas être comprises à cause des références culturelles, peu accessibles, qu’elles véhiculent. Si l’expression palimpseste n’est pas saisie, elle ne pourra pas être intégrée dans les contextes linguistique et extralinguistique indispensables à la réception adéquate de l’information. L’intention de l’auteur risque d’être trahie suite à ce transfert interlinguistique partiel ou inadéquat. Le repérage de ce type de culturème est plus difficile, ce qui fait que les difficultés de compréhension s’amplifient dépassant le niveau lexical, morphologique ou syntaxique et morphologique. 4.1. Le critère formel Si l’on admet que forme signifie aussi structure, le critère formel – visant principalement la classification des catégories grammaticales en 61 Exemple extrait de Philippe Forget (1994, 188). 67 ă ă ă ă ă ă ă ă ă ă ă ă ă catégories flexibles et non flexibles — spécifie également la distinction substantif (adjectif, numéral, préposition, pronom relatif) simple / composé. Le critère sémantique, jugé comme étant trop faible pour fonctionner tel quel, est fréquemment associé à d’autres critères. Du point de vue formel, nous distinguons les types de culturèmes suivants: 4.1.1. Culturèmes simples, représentés par des lexies simples (substantifs communs ou noms propres) ou composées (par exemple, colivă, Fătălăul, Feuillants62, optimisme, Polichinelle, Procust, Fréron, etc.). ă ăăă 4.1.2. Culturèmes composés, représentés par des syntagmes et par des unités phraséologiques fonctionnant en tant qu’unités de sens (par exemple: raison suffisante, Embrassons-nous, Folleville). Dans ce cas, les mots perdent leur autonomie sémantique : la signification est fonction du microtexte qui fonctionne dans un cotexte et qui contient le plus souvent une référence intertextuelle. 4.2. Suivant le critère fonctionnel, nous distinguons les types de culturèmes suivants : 4.2.1 Culturèmes historiques, diachroniques, qui actualisent la relation entre l’émetteur et son époque. Par exemple: burtă verde63, 62 Feuillants (Voltaire, Dialogue entre un Brachmane et un Jésuite sur la nécessité et l’enchaînement des choses) / roum. Foaian ii 1. moines cisterciens; 2. politiciens. Allusion aux moines cisterciens et non pas aux membres du club « Feuillants » fondé après la chute du club des Jacobins, en 1791. L’allusion est percutante en français, mais fade en roumain, bien que le culturème soit admirablement recréé par le procédé de l’adaptation phonétique. 63 Reverdira leurs estomacs (Charles d’Orléans 1975). En français et en roumain, nous avons affaire à des culturèmes figés dans le lexique et dans le message. Le syntagme burta verde caractérise quelqu’un d’immaturé, encore vert (péj.), métonymie de la diarrhée. Şi-s verzi la bur i de frigu-n toi (R. Vulpescu dans Ch. d’Orléans 1975, 72-73, 160, 168). Caricature des « sans-culottes », adeptes de la mode de l’époque (courts vestons en étoffe légère, les manches retroussées) ; à cause des vêtements légers, les adeptes de ces costumes prenaient froid à l’estomac. Burtă verde était une boutade courante à l’époque de la transition vestimentaire. L’allusion à dépister est liée aux disputes entre les générations : d’un côté, les vieux vêtus de longues fourrures, de l’autre, les jeunes en courts vestons et caleçons. Quelques centaines d’années plus tard, cette dispute entre les générations prendra, sur le territoire roumain, la forme d’une querelle opposant les boyards rétrogrades (roum. işlicari) et les jeunes hommes (roum. bonjurişti, surtucari — cf. aussi l’oeuvre de l’écrivain Costache Negruzzi). 68 ă Ş ă ş ş toillette64, Mademoiselle65, Marianne66, honnête homme67, limbă68, ocolni ă69, etc. ; 4.2.2. Culturèmes actuels (légionnelle, poujadisme). La classification des culturèmes n’est pas un but en soi ; elle est née de la nécessité de systématiser les culturèmes en vue de faciliter la compréhension du phénomène. Les culturèmes ont des structures diverses et variées, ce qui nous a déterminée à les organiser suivant des indices formels, sémantiques et fonctionnels à la fois, du fait que l’étude de la structure interne peut s’avérer inutile pour l’usager d’une langue, natif ou non. ă ă Conclusion Défini comme la plus petite unité porteuse d’information culturelle, le culturème est aussi un concept théorique désignant une réalité culturelle propre à une culture qui ne se retrouve pas nécessairement dans une autre. Au XVIIIe siècle, le mot toaletă (fr. toilette) avait une autre signification en français que celle courante d’aujourd’hui : « endroit où étaient placés les accessoires, produits, objets servant à se parer ; rendre visite à quelqu’un dans sa toilette signifiait s’entretenir avec une personne pendant que celle-ci s’habillait ou se déshabillait » (Voltaire 1993, 417, traduction et notes de Maria Carpov). 65 Au XVIIe siècle, le titre Mademoiselle était réservé à la fille aînée du frère du roi, à la Cour des rois français. 66 Nom propre désignant la République française. 67 L’expression honnête homme, rendue en roumain par om de lume, renvoyait au XVIIe siècle à l’idéal éthique de l’époque. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’honnête homme s’opposera au chevalier, sous l’époque de Louis XIII, trace de la violence des siècles précédents. 68 Le terme limbă (fr. langue) est un archaïsme dont le sens contextuel est celui de « peuple » (usager d’une langue). Cette signification est consignée dans les textes anciens dans le but de conserver la couleur locale et la relation avec le passé (Legende populare româneşti, Bucureşti, Lucman). Afin de faciliter la compréhension du culturème, le traducteur devra introduire des gloses ou des notes de bas de page. Marques sociales et culturelles, les archaïsmes peuvent être considérés comme des culturèmes historiques. Le transfert des archaïsmes dans une autre langue exigerait une méthode similaire. La recherche de l’archaïsme équivalent serait une solution exceptionnelle, même si la naturalisation altérerait l’intention de l’auteur suite à la recréation d’une atmosphère culturelle ancienne spécifique à la langue cible et non à la langue source. Une telle solution répondrait au critère historique, sans refaire pour autant la signifiance culturelle source. 69 Le mot ocolni ă est un archaïsme qui jadis désignait la « carte ». Il est possible que les communautés rurales roumaines aient gardé cette signification, mais la plupart des usagers ont besoin d’une traduction interne ; une explication dans une note de bas de page serait en mesure d’éclairer les aspects encyclopédiques et symboliques à la fois. ă 64 69 ă ş ă ş Le concept est devenu opératoire dans la théorie et la pratique de la traduction en raison des difficultés posées par le transfert des différences culturelles. Étudié en corrélation avec la notion de traductème, le culturème permet le repérage et le découpage du texte en unités de traduction et en unités de culture, sans que l’on puisse dire toutefois que toute unité à traduire est une unité culturelle. La compréhension correcte du texte est censée faciliter la tâche du traducteur et assurer la réussite du transfert linguistique et culturel à la fois tout en respectant l’intention de l’auteur d’origine, dans le contexte culturel source. Nous pouvons conclure que le culturème peut se constituer en objet d’étude en traductologie et intégrer le métalanguage des spécialistes du domaine suite à une analyse rigoureuse visant les aspects suivants : la démarche de description des culturèmes par les professionnels, la stratégie adoptée par les spécialistes lors de la définition du terme et de l’établissement de son aire sémantique, l’étude des acceptions du concept en traductologie et dans la théorie du transfert culturel, etc. Dans ce sens, l’analyse sémique que nous avons entreprise sur des termes représentant des unités fonctionnelles en linguistique nous a permis de mettre en parallèle le comportement des unités étudiées dans le but de délimiter les particularités du concept de culturème. Sans prétendre que la démarche poursuivie dans la présente recherche, relative à la description et à la classification de culturèmes, soit basée sur une méthode unique, nous posons que l’analyse entreprise est en mesure de confirmer les hypothèses de travail avancées dans l’introduction. De ce point de vue, nous croyons être en mesure de dire que notre stratégie de définition du culturème, basée sur la suppression des possibles superpositions de concepts, a atteint son objectif. Notre démarche se veut aussi un instrument méthodologique concret, un point de repère pour les traducteurs confrontés à des difficultés de réexpression des unités porteuses d’informations culturelles. Comme nous avons essayé de le démontrer, le culturème est un concept opératoire dans la théorie, pratique et critique de la traduction. À la manière d’autres concepts du même genre (le traductème, par exemple), le culturème est une notion relative. Dans le contexte théorique et pratique spécifique à la démarche traduisante, le concept est perçu comme une unité porteuse d’information culturelle. En vue de son repérage, le traducteur met en jeu les unités de pensée ou les unités de sens, mais non pas les unités fonctionnelles, telles qu’elles sont décrites par Vinay et Darbelnet, opératoires en linguistique contrastive, etc. Dépendant du contexte global, de l’intention de la culture source et du vouloir dire d’origine, le culturème peut être rendu par des lexies simples ou composées, par des syntagmes ou par des unités phraséologiques, par des expressions idiomatiques ou par des allusions culturelles, par un minitexte ou encore par une unité de traduction zéro lorsque le culturème 70 et le traductème sont absents du texte cible. Le culturème s’inscrit dans un processus individuel, non pas collectif, ce qui explique sa grande variabilité. À la lumière des analyses entreprises, nous pouvons résumer les caractéristiques du culturème: 1) le caractère monoculturel ; 2) la relativité de son statut ; 3) son autonomie par rapport à la traduction. Le culturème est monoculturel ; il appartient à une culture unique. C’est dans cette culture-là qu’il produit un certain effet en fonction de sa signifiance (en fonction de son entourage culturel). Cet effet est unique, il n’est pas observable dans une autre culture, à quelques exceptions près, mais alors le culturème n’a pas la même intensité, tout comme il est peu probable qu’il se retrouve tel quel chez les usagers d’une même langue, en tant que représentants de la même culture, d’où la relativité de son statut. Le caractère relatif du culturème, facteur de la communication monolingue, est dû à la subjectivité de l’émetteur et du récepteur, au repérage individuel des unités de pensée et de sens, au bagage cognitif et à l’horizon d’attente propre à chaque participant à la situation de communication. Le culturème n’est pas dépendant du processus de traduction. Il se manifeste en dehors de l’acte de traduction, compte tenu du fait qu’il est plus probable que les usagers d’une même langue possèdent un bagage cognitif et un horizon d’attente similaires plus que les usagers d’une autre langue. La traduction entraîne le plus souvent le gommage de la signifiance du culturème. Il en résulte que le culturème n’est plus saisi dans le texte cible en tant qu’élément porteur de signification culturelle, mais en tant qu’unité de traduction (correspondance lexicale ou sémantique) dotée de traits spécifiques tels que : symétrie, bitextualité, variabilité, etc. (v. supra). Comme nous l’avons montré, plusieurs facteurs interviennent dans la définition du concept de culturème. Bon nombre de facteurs interviennent également lors du transfert de sens d’une culture à l’autre. Cela explique pourquoi le traducteur use de procédés divers en langue cible, tels que explications, explicitations des allusions, culturèmes ou notions renvoyant à la culture commune aux usagers de la langue source. Dans de telles situations, le traducteur ne suit pas de règles précises, généralement valables, sa méthode de travail étant plus proche de la méthode instrumentale que de la méthode documentaire (C. Nord, 1991). Il s’expose également aux critiques des autres traducteurs, qui privilégient peut-être d’autres choix traductifs, en fonction de leur vision du public et de la finalité du texte à traduire, le skopos (Hans. J. Vermeer, 1984), qui influence leurs solutions et implicitement le produit fini : traduction littérale, sémantique, idiomatique, adaptation ou traduction culturelle. Sur la (non)traductibilité et / ou l’intraductibilité de certains culturèmes nous nous proposons de traiter dans une autre étude. Notons 71 pourtant que la non-traduction — (in)volontaire — du culturème mènera à un échange culturel et informationnel dissymétrique. La valeur du texte source véhiculant des culturèmes risque d’être mal saisie au cas où le traducteur ne démasque pas l’intention fondatrice de l’auteur. Nous concluons notre étude théorique consacrée à la description du culturème en réaffirmant la nécessité d’imposer le concept dans la théorie, pratique et critique de la traduction. Il y a plusieurs façons d’appréhender et traduire le message proposé par le culturème correspondant à une adaptation convenable aux intentions traductionnellles. Traduit du roumain par Mirela Pop et Georgiana Lungu-Badea Bibliographie Avram, Mioara. Anglicismele în limba română actuală. [Les angliscismes dans la langue roumaine actuelle]. Bucureşti : Editura Academiei, 1997. Ballard, Michel. « L’unité de traduction : redéfinition d’un concept-clé ». L’atto del traduire. Aspetti teorici e pratici della traduzione : Roma : Bulzoni Editore, Biblioteca di cultura, 1999 : 27-49. Ballard, Michel. « L’unité de traduction: essai de redéfinition d’un concept ». In M. Ballard (éd.). Traduction à l’université. Recherches et propos didactiques. Lille : Presses Universitaires de Lille, 1993 : 223-262. Ballard, Michel. « La traduction oblique du syntagme prépositionnel circonstant ». La Tribune Internationale des Langues Vivantes, nouvelle série, n°15/1 mai 1994 : 34-39. Barthes, Roland. L’empire des signes. Paris : Flammarion, 1970. Barthes, Roland. « Éléments de sémiologie ». Communications n°4 (1964) : 91-135. Barthes, Roland. « Rhétorique de l’image ». Communication n° 4 (1964) : 40-51. Beaugrande, Robert de. Text, Discourse, and Process. London : Longman, 1980. Benkö, Otto. « Culturema sau despre iradia iile mesajului receptat ». [Le Culturème ou sur les réverbérations d’un message]. In : O. Benkö et alii. Cultură, model, educa ie permanentă. Aspecte actuale ale educa iei permanente. Timişoara: Tipografia Universit ii din Timişoara, 1985 : 5-14. Benkö, Otto. « Culturema. Punct final? ». [Le culturème. Point final ?]. In : Elemente de teoria şi practica informa iei şi comunicării. Timişoara : Tipografia Universit ii din Timişoara, 1989 : 184-196. Benveniste, Émile. Problèmes de linguistique générale. II. Sémiologie de la langue. Paris : Gallimard, 1974 [1969]. Besse, Henri. « Cultiver une identité plurielle ». Le français dans le monde, n° 254 (1993) : 42-48. Bidu-Vrânceanu, Angela, For scu, Narcisa. Modele de structurare semantică. Cu aplica ii la limba română. [Modèles de structuration sémantique]. Timişoara : Editura Facla, 1984. Boyer, Henri. Eléments de sociolinguistique. Langue, communication et société. Paris : Dunod, 1991. 72 ă ş ş ă ş ş ş ş ă ă ă ă ş ş ă Brunetière, Valérie. « De la fausse évidence d’un culturème ». Travaux de Linguistique, n° double 5-6 (1994). Numéro spécial de sémiologie, réédité par l’Université de Paris 5, 2003 : 259-268. Buc , Marin, Evseev, Ivan. Probleme de semasiologie. [Problèmes de sémasiologie]. Timişoara : Editura Facla, 1986. Cattel, Raymond, B. « The Dimension of Culture Patterns by Factorization of National Characters ». In: The Journal of Abnormal and Social Psychology. Vol 44 (4), 1949 : 443-469. Chabas, Juan. Istoria literaturii spaniole. [Historia de la Literatura Española]. Traduction, étude et notes de Doina Maria P curariu. Bucureşti : Editura Universul, 1971. Chesterman, Andrew. « Mehrsprachige Fachkommunikation : Wissen- und Kulturtransfer im Zeitalter der Globalisierung ». Translation theory. Amsterdam : John Benjamins, 2001. http://homepage.uibk.ac.at/~c61302/publik/lingkoll.pdf. (Consulté le 12 mars 2007). Chesterman, Andrew. « Memes of Translation. The Spread of Ideas ». Translation Theory. Amsterdam : John Benjamins (Benjamins Translation Library 22), 2000 [1997]. Chesterman, Andrew. « Memetics and Translation Studies ». In : Norwegian School of Economics and Business Administration (éd.), n° 5 (2000) : 1-17. Chi oran, Dumitru. « Sensul cuvântului în teoria traducerii ». In : I. Coteanu, L. Wald (éds.). Semantică şi semiotică. [Sémantique et sémiotique]. Bucureşti : Editura Ştiin ific şi Enciclopedic , 1981 : 141-152. Contes populaires roumains. En français par Sl vescu, Micaela. Bucureşti : Editura Minerva, 1979. Coşeriu, Eugen. Lingvistica din perspectivă spa ială şi antropologică. [La Linguistique de perspective spatiale et anthropologique]. Chişin u : Editura « Ştiin a », 1994. Coşeriu, Eugen. Introducere în lingvistică. [Introduction à la linguistique]. Traduction de Elena Ardeleanu et Eugenia Borcil . Cluj-Napoca : Editura Echinox, 1995. Coşeriu, Eugen. « Principii de sintax func ional ». [Principes de syntaxe fonctionnelle]. Din istoria ideilor lingvistice (II). Traduit par Sorina Papp de Travaux de linguistique, 14/15 (novembre 1987). Timişoara : TUT, 1996 : 40-105. Coteanu, I., Wald, L. (éds.). Semantică şi semiotică. [Sémantique et sémiotique]. Bucureşti : Editura Ştiin ific şi Pedagogic , 1981. Coteanu, Ion, For scu, Narcisa, Bidu-Vrânceanu, Angela. Limba română contemporană. Vocabularul. [La Langue roumaine contemporaine. Le Vocabulaire]. Bucureşti : Editura Didactic şi Pedagogic , 1985 Coteanu, Ion. « Conota ia ». [La Connotation]. PLG, vol. VI (1974) : 65 Cristea, Teodora. Stratégies de traduction. Bucureşti : Editura « Funda iei România de mâine », 1998. Croce, Benedetto. « La poetiche del Barocco in Italia ». Momenti e problemi di storia dell'esthetica. Milan : Marzorati, 1959 : 547-575. Dahmen, Wolfgang (et alii, éds.). Technische Sprache und Technolekte in Romania. Romanistisches Kolloquium II. Tubingen : Narr, 1989. 73 ş ş Ş ă ş ş ă ă ş Ş ş ă ş ă ş ş ă Ş ş ş ăş ă ş ş ş ş ă ş ă ş Dámaso, Alonso. Poezie spaniolă. Încercare de metode şi limite stilistice. Garcilaso, Fray Louis de Léon, San Juan la Cruz, Góngora, Lope de Vega, Quévedo. [Poesia española : ensayo de metodos y limites estilisticos]. Traduction et préface de S. M rculescu. Bucureşti : Editura Univers, 1977. Dancette, Jeanne. Parcours de traduction. Études expérimentales du processus de traduction. Lille : Presses Universitaires de Lille, 1998. Dawkins, Richard. La Gène égoïste. Paris : Odile Jacob, coll. « Poche », 2e édition, 1989 [1976]. Delisle, Jean. Traduction raisonnée. Ottawa : Presses Universitaires de l’Ottawa, 1993/ 2003. Drouet, Guillaume. « Le Chat de maraude »: une ethnocritique des Misérables de Victor Hugo. In Ethnocritique. Présentaiton de thèses en cours sous la direction de J. M. Privat. URL : http://www.ethnocritique.com/page_3.html (Consulté le 15 avril 2009). Eco, Umberto. A theory of semiotics. Bloomington : Indiana University Press, 1976. Eco, Umberto. Semiotics and the philosophy of language. Bloomington : Indiana University Press, 1984. Eco, Umberto. L’œuvre ouverte. Paris : Seuil, [1968] 1990. Eco, Umberto. Tratat de semiotică generală. Bucureşti : Editura Ştiin ific şi Enciclopedic , 1982. Evseev, Ivan. « Antonimia şi evolu ia lexicului românesc contemporan ». [L’Antonymie et l’évolution du lexique roumain contemporain]. Contribu ii lingvistice 1989. Timişoara : TUT, 1990 : 22-32 Forget, Philippe. Il faut bien traduire. Marches et démarches de la traduction. Traduire/Übersetzen. Paris : Masson, 1994. Evseev, Ivan. Proiectul unei grile valorice a textului lecturat. [Grille de valeur du texte lu. Projet]. In: Otto Benko (et al. éds.), Cultură, model, educa ie permanentă. Timişoara : Tipografia Universitatii din Timişoara, 1985 : 15-32. Forget, Philippe. Il faut bien traduire. Marches et démarches de la traduction. Traduire/Übersetzen. Paris : Masson, 1994. Garnier, Georges. Linguistique et traduction. Caen : Paradigme, 1985. Ghi , Elena. « Pentru o defini ie a traductemului (I) ». [Pour une définition du traductème]. Analele Universită ii din Timişoara. Seria Ştiin e Filologice. Vol. 20 (1982) : 63-72. Ghi , Elena, « Pentru o defini ie a traductemului (II) ». [Pour une définition du traductème]. Analele Universită ii din Timişoara. Seria Ştiin e Filologice. Vol. 21 (1983) : 61-67. Greimas, A. J. Sémantique structurelle. Paris : Larousse, 1966. Greimas, A. J. Du sens. Paris : Seuil, 1970. Hjelmslev, Louis. Prolégomènes à une théorie du langage. Paris : Minuit, 1968 [1943]. Hristea, Theodor (coord.). Sinteze de limba română. [Précis de langue roumaine]. Edi ia a 3-a revizuit şi din nou îmbog it . Bucureşti : Editura Albatros, 1984. Hurtado Albir, Amparo. La notion de fidélité en traduction. Paris : Didier Éruditions, 1990. Iordan, Iorgu, V. Robu. Limba română contemporană. [La Langue roumaine contemporaine]. Bucureşti : Editura Didactic şi Pedagogic , 1978. 74 ă ş ş ş ş ă ă ş ş ă ş ş Ş ă ş Ş ă ş ş ă ş ş ă ă ş Ş ă Jakobson, Roman. Essais de linguistique générale. Paris : Éditions du Minuit, [1963] 1973. Jammes, Robert. Études sur l’œuvre poétique de Don Luis de Gongora Aragote. Thèse pour le doctorat d’Etat. Toulouse : Imprimerie M. Espic, 1967. Kerbrat-Orecchioni, Catherine. Interactions verbales. I. Paris : A. Colin, 1990. Kerbrat-Orecchioni, Catherine. L’implicite. Paris : A. Colin, coll. « Linguistique », 1991. Kerbrat-Orecchioni, Catherine. La connotation. Lyon : Presses Universitaires de Lyon, 1977. Kocourek, Rostislav. La langue française de la technique et de la science. Vers une linguistique de la langue savante. 2e édition. Wiesbaden : Oscar Brandstetter Verlag Gmbh & Co ., 1991. Ladmiral, Jean-René. Traduire: théorèmes pour la traduction. Paris : Payot, 1979. Larose, Robert. Les théories contemporaines de la traduction. 2e édition. Québec : Presses Universitaires de Québec, [1987] 1989. Lederer, Marianne. La traduction simultanée. Expérience et théorie. Paris : Minard, 1981. Lungu Badea, Georgiana. « Culturemele între conota ii şi aluzii culturale. Încercare de definire a unui concept » [Les culturèmes – connotations ou allusions culturelles. Essai de définition du concept]. Analele Universită ii de Vest din Timişoara. Seria Ştiin e Filologice, n° XXXIX (2001) : 364-380. Macrea, D. Probleme de lingvistică română. [Problèmes de linguistique roumaine]. Bucureşti : Editura Ştiin ific , 1961. Malblanc, Antoine. Stilistique comparée du français et de l’allemand. Paris : Didier, 1961. Meschonnic, Henri. Pour la poétique. II. Paris : Gallimard, 1973. Meschonnic, Henri. Poétique du traducteur. Paris : Verdier, 1999 Moles, Abraham A. Sociodynamique de la culture. Paris-La Haye : Mouton et Cie, 1967. Moles, Abraham, Zeltmann, Claude (dirs.). La communication. Paris : CEPL, Dictionnaire Marabout Université, 1971. Moles, Abraham, Eisabeth Rohmer. « Le cursus scientifique d’Abraham Moles. Autobiographie : première partie ». In : Bulletin de Micropsychologie, nr° 28 (mars 1996). URL : http://micropsy.ifrance.com/moles/textes. Mounin, Georges. Les belles infidèles. Paris : Cahiers du Sud, 1955. Mounin, Georges. Les problèmes théoriques de la traduction. Paris : Gallimard, 1963. Munteanu, Ştefan. Introducere în stilistica operei literare. [Introduction à la stylistique de l’œuvre littéraire]. Timişoara : Editura de Vest, 1995. Nedelciu, Viorica, Popescu, Elvira, Protopopescu, Constan a. Cartea românească azi. [Le livre roumain aujourd’hui]. Bucureşti : Editura Ştiin ific şi Enciclopedic , 1975. Niculescu, Alexandru. Individualitatea limbii române între limbile romanice. I. Contribu ii gramaticale. [Individualité de la langue roumaine. Contributions grammaticales]. Bucureşti: Editura Ştiin ific , 1965 ; II. Contribu ii socio-culturale. [Contributions socioculturelles]. Bucureşti : Editura Ştiin ific şi Enciclopedic , 1978. 75 ş ş Ş ş ă Ş Ş ă ş ş Ş ş ş Ş Ş ă ş ş ă Nida, Eugene A., Taber, Charles R. La traduction: théorie et méthode. Londres : Alliance biblique universelle, 1971. Nida, Eugen A. Toward a Science of Translating, with special Reference to Principles and Procedures Involved in Bible Translating. Leiden : Birll, 1964. Nord, Christiane. Text Analysis in Translation. Amsterdam : Rodopi, 1991. Oksaar, Els. « Sprache, Gesellschaft und interkulturelle Verständigung ». In Kühlwein. W. (Hg.). Sprache, Kultur und Gesellschaft. Tübingen : 1984 : 21–31. Oksaar, Els. Kulturemtheorie. Ein Beitrag zur Sprachverwendungsforschung. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1988. Pageux, Daniel-Henri. Literatură generală şi comparată. Iaşi : Editura Polirom, 2000. Pergnier, Maurice. Les fondements sociolinguistiques de la traduction. Paris : Honoré Champion, 1978. Radó, György. « Outline of a Systematic Translatology ». Babel : International Journal of Translation. Vol. 25. 4 (1979) : 187-196. Reiss, Katarina, Vermeer, Hans J. Grundlegung einer allgemeinen Translationstheorie. Tübingen : Niemeyer, 1984. Richard, Jean-Pierre. « Traduire l’ignorance culturelle ». Palimpsestes. Presses de la Nouvelle Sorbonne, n° 11 (1998) : 151 –160. Sandrini, Peter (éd.). Übersetzen von Rechtstexten. Fachkommunikation im Spannungsfeld zwischen Rechtsordnung und Sprache. Tübingen : Narr (FFF Forum zur Fachsprachenforschung 54), 1999. Sandrini, Peter. Lokal, regional, global.Fachgebundenes translatorisches Handeln und Wissenstransfer. 2001 : 219-231. URL : http://homepage.uibk. ac.at/~c61302/publik/prunc.pdf. (Consulté le 11 mars 2002). Schmuki, Marcel. Etymo - un interpréteur de formules dans le domaine de la linguistique diachronique. Avec une application à l'évolution du latin à l'espagnol. Mémoire présenté à l’Université de Fribourg en octobre 2000. URL : http://homepage.sunrise.ch/homepage /mschmuki/official/main.html. (Consulté le 2 mai 2002). Searle, John. Sens et expression. Traduction et préface de Joëlle Proust. Paris : Minuit, coll. « Le sens commun », 1982. Şerban, Vasile, Evseev, Ivan. Vocabularul limbii române. Schi ă de sistem. [Le Vocabulaire de la langue roumaine : esquisse du système]. Timişoara : Editura Facla, 1978. Toury, Gideon. Descriptive Translation Studies and beyond. Amsterdam and Philadelphia : John Benjamins, 1995. Trandem, Beate. Le transfert culturel. URL : http://google.co./beate trandem/ transfert culturel, 200o. (Consulté le 20 octobre 2001). Stolze, Radegundis. Die Fachübersetzung. Eine Einführung. Tübingen : Narr Studienbücher, 1999. Ulmann, S [tephen]. Précis de sémantique française. 2e édition. Berne : Éditions A. Franke, 1959. Vermeer, Hans J. « Translation and the Memes ». Target 9.1, 1997 : 155-166. Vermeer, Hans J., Witte, Heidrun. « Exkurs 3: Kultureme ». Text context. Beiheft 3, Mögen Sie Zistrosen. Heidelberg : Julius Groos, 1990 : 135-145. 76 ă Ş ă ş ă ş ă ş Vinay, Jean-Paul, Darbelnet, Jean. Stylistique comparée du français et de l’anglais. Paris : Didier, [1958] 1966. Vulc nescu, Romulus. Mitologie română. [Mythologie roumaine]. Bucureşti : Editura Academiei, 1987. ă ş Références bibliographiques des œuvres citées Aldulescu, Radu. Amantul colivăresei. Bucureşti : Nemira, 1994. Baudelaire, Charles. Les paradis artificiels. Œuvres complètes. Paris : Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », tome I, 1975. Collovald, Annie. « Les poujadistes ou l’échec politique ». Revue d’histoire moderne et contemporaine. XXXVI. 52558 (janvier-mars 1989) : 113-133. Iribarne, Philippe d’. La logique de l’honneur. Gestion d’entreprises et tradition nationales. Paris : Seuil, 1993. Labiche, Eugène. Embrassons-nous, Folleville et autres pièces. Théâtre. Volume 2. Paris : Flammarion, 1993. Lyle, John. Euphues : The Anatomy of Wit and Euphues and His England. An annotated modern spelling edition by Leah Scragg. Manchester / New York: Manchester University Press, 2003. (Le) Journal du Centre. Édition du 28 novembre 2000. Le Journal du Dimanche. Édition du 21 novembre 2000. Orléans, Charles d’, Poezii. Balade, cântece, carole, lamente, rondeluri. Selec ie, echivalen e româneşti, prefa , bibliografie, note, indici, machet şi prezentare grafic R. Vulpescu. Bucureşti : Univers, 1975. Virginaud, Jean-Pierre, Morsang, Jean. Decryptage. Les Mots de l’actu. Quo. Savoir actuel. Mensuel d’information générale. Janvier, juin, décembre, 1999; janvier, mars, 2000. Rabelais, François, Gargantua şi Pantagruel. Traduit en roumain par Alexandru Hodoş. Préface de N.N. Condeescu. Chişin u : Editura Hyperion, 1993 [1967]. Rabelais, François, Gargantua, tatăl lui Pantagruel şi uimitoarea via ă a lui Pantagruel, feciorul uriaşului Gargantua. Histoire adaptée pour les enfants par Ileana et Romulus Vulpescu, 2e édition. Bucureşti : Editura Ion Creang , 1989. Rabelais, François. Gargantua et Pantagruel. Extraits. Notices bibliographiques, notes explicatives par Jean-Christian Dumont. Paris : Librairie Larousse, 1961. Voltaire. Dialogue entre un Brachmane et un Jésuite sur la nécessité et l’enchaînement des choses). 1756. URL : http://www.voltaire-integral.com/ Html/24/09_Dialogue_bra.html. (Consulté le 10 janiver 2009). Voltaire. Candid sau optimismul. Traduction de Al. Philippide. Étude de N. N. Condeescu. Chişin u : Editura Hyperion, 1993. Voltaire. Micromégas. Zadig. Candide. Introduction, notes, bibliographie, chronologie par René Pomeau. Paris : Flammarion, 1994. Zumthor, Paul. Babel sau nedesăvârşirea. Titre original : Babel ou l’inachèvement. Iaşi : Polirom, 1998. 77 ă ş ş ş ş ş ş ş ă ş ş ă ş ş ş ş ă Dictionnaires Bologne, Jean-Claude. Les allusions littéraires. Dictionnaire commenté des expressions d’origine littéraire. Paris : Larousse, coll. « Le souffle des mots », 1991. Dauzat, Albert, Dubois, Jean et Mitterand, Henri. Nouveau dictionnaire étymologique et historique. 4e édition revue et corrigée. Paris : Larousse, 1978. Diderot, Denis. Jacques le Fataliste et son maître. Paris : Gallimard, 1994. Dubois, Jean (coord.). Dictionnaire de linguistique et des sciences générales du langage. Paris : Seuil, 1994. Ducrot, Oswald, Todorov, Tzetan. Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris : Seuil, 1972. Francœur, Louis, Francœur, Marie. Glossaire des termes usuels en sémiotique du théâtre. URL : www. fortunecity. com/ vitorian/ bacon/ 12444/ Francoeur. Html. (Consulté le 13 novembre 2002). Galisson, Robert, Coste, Daniel. Dictionnaire de didactique des langues. Paris : Hachette, 1976. Goulemont, Jean. Vocabulaire de la littérature française du XVIIIe siècle. Paris : Minerve, 1996. Greimas, Algirdas Julien, Courtès, Joseph. Sémiotique : dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Tome I. Paris : Hachette, 1979 Larousse de la langue français. Lexis. Paris : Larousse, 1979. Le Grand Larousse de la langue française. I-VII. Paris : Larousse, 1972-1978. Le Grand Robert de la langue française. 2e édition. Paris : Éditions Le Robert, 1989. . Le Grand Dictionnaire Terminologique (GDT). URL: http://www.olf.gouv.qc.ca/ ressources/gdt.html. (Consulté le 15 octobre 2009). Moeschler, Jacques, Reboule, Anne. Dic ionar enciclopedic de pragmatică. [Dictionnaire encyclopédique de pragmatique]. Cluj : Editura Echinox, 1999. Ş ineanu, Laz r. Dic ionarul universal al limbii române. [Dictionnaire universel de la langue roumaine]. A 9-a edi iune. Bucureşti : « Editura Scrisul românesc » S.A., 1943. Le Trésor de la Langue française informatisé (TLFi). [En ligne]. URL : <http://atilf.atilf.fr/tlf.htm>. (Consulté le 9 mai 2008). 78 Ş ă ş