Cah. Agric. 2017, 26, 55001
© F. Le Bellec et al., Published by EDP Sciences 2017
DOI: 10.1051/cagri/2017038
Disponible en ligne :
www.cahiersagricultures.fr
ARTICLE
DE RECHERCHE
/ RESEARCH ARTICLE
Les pratiques phytosanitaires des producteurs de légumes
de l’île Maurice : impacts et perspectives de changement
Fabrice Le Bellec1,*, Maud Scorbiac2 et Jacqueline Sauzier2
1
2
CIRAD, UPR HORTSYS, 97455 Saint-Pierre, La Réunion, France
Mauritius Chamber of Agriculture, Vivéa Business Park, Block 18 Bâtiment 1827, Saint Pierre, Mauritius
Résumé – L’utilisation de pesticides n’est pas sans impact sur l’environnement ni sur la santé humaine. La
société civile mauricienne s’est récemment emparée de la question suite à des détections de pesticides dans
des légumes prélevés dans les marchés de l’île. Mais quelles sont les marges de manœuvre des producteurs
pour faire face à cette demande sociétale ? Comme les méthodes de production étaient jusqu’ici peu
documentées, nous avons mené une enquête auprès de 298 producteurs de légumes afin d’analyser leurs
pratiques phytosanitaires et d’en évaluer les impacts sur l’environnement. Cette enquête vise à répondre aux
questions suivantes : Quels sont réellement les usages de pesticides des producteurs ? Quelles contraintes
supportent-ils ? Les producteurs sont plutôt âgés (60 % ont plus de 50 ans) et peu d’entre eux ont une
formation initiale de base. Près des deux tiers d’entre eux ne sont pas propriétaire du foncier. Dans ces
conditions, les producteurs pratiquent une agriculture d’opportunisme visant à optimiser leur parcelle dans
le temps et dans l’espace. Aucun risque, aucune perte. La grande majorité des producteurs protègent leurs
cultures par des traitements phytosanitaires préventifs contre les nombreux bio-agresseurs recensés. Entre
11 et 53 traitements par an sont ainsi effectués selon les successions culturales entreprises. Près de 60
insecticides et fongicides sont couramment utilisés par les producteurs. L’outil d’aide à la décision
« Phyto’Aide » nous a permis d’évaluer, ex ante, le risque du transfert de ces substances vers
l’environnement. Ces risques s’avèrent importants pour tous les pesticides car les bonnes pratiques
phytosanitaires sont peu ou pas respectées par les producteurs. Dans ces conditions, de nouvelles stratégies de
protection contre les bioagresseurs s’avèrent nécessaires. Nous proposons dans cet article différentes pistes
d’amélioration, mais aussi une stratégie d’accompagnement de ces producteurs pour faire face à une demande
sociétale d’une production saine et sûre.
Mots clés : pesticide / pratique agricole / enquête sur exploitation agricole / évaluation environnementale / culture
maraîchère
Abstract – Phytosanitary practices of vegetable growers in Mauritius: impact and prospects for
change. The use of pesticides for pest control has an impact on both environment and human health. In
2015, the Mauritian government expressed the wish to develop organic farming which further spiked the
interest of the local community following the detection of pesticides residues in samples sourced from
different vegetable markets across the Island. But to what extent can producers respond to this request from
the local society? Given that production methods were poorly documented, we surveyed 298 vegetable
growers (beans, cabbages, tomatoes, potatoes, cucurbits, etc.) in order to analyze their phytosanitary
practices and evaluate their impact on environment. The purpose of this survey is to provide answers to the
following questions: How do producers actually use pesticides? What constraints do they face? Producers
are rather old (60% are over 50 years old) and few have basic training which is rarely specific to agriculture.
Moreover, almost two-thirds of the respondents do not own the land they cultivate which in turn leads them
to adopt a risk averse position and focus on maximising their gains – monetary or otherwise – from their plot
over a span of time. The majority of producers have recourse to preventive treatments to protect their crops
against the numerous pests identified. Between 11 and 53 treatments per year are thus carried out depending
on the crop rotation patterns. Nearly 60 insecticides and fungicides are commonly used by producers.
ʻʻPhyto’Aide’’, a tool which aims at facilitating the decision-making process, allowed us to evaluate,
Auteur de correspondance : fabrice.le_bellec@cirad.fr
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0),
which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
F. Le Bellec et al. : Cah. Agric. 2017, 26, 55001
ex ante, the risk of transferring these substances to the environment. It turned out that risks are important for
all pesticides because good phytosanitary practices are inadequately, if at all, followed by most producers.
Under these conditions, new strategies for crop protection against pests are needed. We propose in this
article different clues for improvement but also a strategy to assist these producers in responding to society’s
demand for a safe and healthy production.
Keywords: pesticides / agricultural practices / farm surveys / environmental assessment / vegetable crops
1 Introduction
À l’île Maurice, des taux hors normes de résidus de
pesticides sont régulièrement détectés dans les fruits et
légumes prélevés sur les marchés. En 2013, près de 38 % des
418 échantillons présentaient des traces de pesticides, dont un
peu plus de 7 % s’avéraient être au-dessus des seuils légaux
(Boodhoo, 2014). Ces taux étaient environ trois fois inférieurs
en 2010 ; cette évolution préjuge donc d’une situation
préoccupante. La société civile mauricienne s’est d’ailleurs
emparée de cette question et, par voie de presse, a interpellé les
producteurs, car « il y va de la santé et de la salubrité
publiques » (Forget et al., 2016). Cette défiance des
consommateurs vis-à-vis des producteurs a très rapidement
engendré une réponse politique communiquée lors du dernier
discours du ministre des Finances : « To encourage the
production of bio food, we are introducing a Bio Farming
Development Certificate (..). We have the ambition of
producing no less than 50 per cent of our total local food
production according to bio norms ». (Lutchmeenaraidoo,
2016). Les producteurs mauriciens peuvent-ils faire face à ces
nouveaux enjeux sociétaux ? Même si la culture de la canne à
sucre reste le pilier de l’agriculture mauricienne (près de
51 000 ha), les productions agricoles tendent à se diversifier,
notamment par le maraîchage. Ainsi, en 2014, les cultures
maraîchères s’étendaient sur près de 8500 ha, employant près
de 12 000 producteurs. Ces productions jouent un rôle
important dans le développement endogène de l’île Maurice
qui vise l’autosuffisance alimentaire en légumes frais. La
filière reste cependant informelle et peu organisée, bien que les
producteurs bénéficient d’un appui technique du Food and
Agricultural Research and Extension Institute (FAREI) pour
les aider à produire. Malgré cela, près de 2000 t de pesticides
sont importées à l’île Maurice chaque année, dont plus de 50 %
sont des insecticides et des fongicides à usage agricole
(Boodhoo, 2014), qui sont essentiellement utilisés en cultures
maraîchères. Les herbicides représentant l’autre moitié de ces
importations sont principalement utilisés en culture de canne
à sucre. Les conditions pédoclimatiques tropicales de l’île
Maurice, particulièrement favorables aux bioagresseurs,
sont à l’origine de l’usage de ces pesticides. En effet, des
développements fulgurants de maladies et des changements de
statut des ravageurs sont souvent observés en milieu tropical
(Cilas et al., 2015). Face à ces phénomènes, seuls sont
employés des moyens de lutte chimique, souvent en urgence et
sans garantie d’efficacité, notamment à cause de résistances de
certains bioagresseurs aux pesticides. Face à toutes ces
pressions, l’objectif de notre étude est donc d’analyser les
pratiques phytosanitaires actuelles des producteurs de légumes
mauriciens, afin d’identifier à quelles contraintes ils sont
soumis et quelles réponses ils apportent. Nous évaluerons ces
pratiques du point de vue environnemental. Enfin, nous
discuterons des moyens pour limiter les risques liés aux usages
de ces pesticides et des méthodes d’accompagnement pour y
parvenir.
2 Matériel et méthode
2.1 Enquête réalisée auprès des producteurs
L’enquête a été réalisée d’août à novembre 2015 auprès de
298 producteurs des 11 principaux légumes produits à l’île
Maurice. Quatre sous-échantillons ont été déterminés proportionnellement aux surfaces de ces 11 cultures légumières
des quatre grands bassins de production de l’île (Fig. 1). Ainsi,
93 producteurs ont été interrogés dans le Nord, 82 dans l’Est,
78 dans le Centre-Ouest et 46 dans le Sud. Quatorze
techniciens d’encadrement du FAREI (3 ou 4 par bassin de
production) nous ont mis en contact avec ces producteurs et ont
également apporté leur appui durant les enquêtes (traduction
lorsque cela était nécessaire, précision de termes techniques,
identification des bio-agresseurs...). Les entretiens semidirectifs ont comporté 57 variables quantitatives et qualitatives
articulées autour de quatre grands thèmes : l’exploitant et son
exploitation, les pratiques culturales de la culture principale de
l’exploitant, la mise en œuvre de pratiques alternatives aux
pesticides et les perspectives de l’exploitant (Tab. 1). La
culture principale étudiée lors des entretiens a été proposée par
le producteur lui-même. Ainsi, sur nos 298 agriculteurs, 99 se
considèrent plutôt spécialistes des cucurbitacées (Cucurbita
spp.), 48 du haricot vert (Phaseolus vulgaris), 34 des choux
(Brassica spp.), 31 de la tomate (Solanum lycopersicum), 31 de
la pomme de terre (Solanum tuberosum), 14 des piments
(Capsicum spp.), 12 des oignons (Allium cepa), 9 des
aubergines (Solanum melongena), 8 des légumes « feuilles
et/ou aromates » comprenant les salades (Lactuca spp.), la
coriandre (Coriandrum sativum), le thym (Thymus vulgaris),
7 du lalo ou gombo (Abelmoschus esculentus) et 5 de la carotte
(Daucus carota subs. sativus).
2.2 Évaluation ex ante des performances
environnementales du système de culture
Nous avons évalué les performances environnementales du
système de culture à l’aide de l’indice de fréquence de
traitement (IFT) et de l’outil d’aide à la décision Phyto’Aide
(http://www.margouilla.net/phytoaide).
L’indice de fréquence de traitement (IFT) est calculé selon
la formule suivante :
Page 2 de 9
ðdose de produit commercial appliqué
sur la parcelle surface traitéeÞ
:
IFT ¼
ðdose homologuée de produit
commercial surface de la parcelleÞ
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Fig. 1. Carte de l’île Maurice et répartition des producteurs interrogés
par bassin de production (Nord, Est, Centre-Ouest et Sud).
Fig. 1. Map of Mauritius and distribution of producers surveyed by
production basin (North, East, Central-West and South).
L’IFT est un indicateur de suivi de l’utilisation des
pesticides. Il comptabilise le nombre de doses de référence
utilisées sur le système de culture, ce qui permet de situer les
pratiques d’un producteur par rapport à un autre mais aussi de
comparer les systèmes de culture entre eux.
Nous avons utilisé l’outil d’aide à la décision « Phyto’Aide »
pour réaliser une évaluation ex ante des risques de transfert
vers l’environnement des produits phytosanitaires utilisés par
les producteurs mauriciens. « Phyto’Aide » repose sur les
résultats de l’indicateur I-Phy (Bockstaller et al., 2008 ; Van
der Werf et Zimmer, 1998). I-Phy considère ces risques en
fonction des caractéristiques du pesticide appliqué et des
conditions d’utilisation de ce dernier. « Phyto’Aide » simule
des scénarios d’utilisation d’un pesticide en faisant varier dix
variables d’utilisation selon leurs deux attributs (conditions
d’utilisation favorable et défavorable), soit 102 scénarios
(voir Tab. 2). Chaque scénario simulé aboutit à un score I-Phy.
Celui-ci correspond à un score de risque de transfert du
pesticide renseigné sur une échelle qualitative de 0 à 10, où
un score supérieur à 7 est considéré comme « acceptable » en
termes de risque de transfert. L’application « Phyto’Aide »
propose les scores I-Phy minimum et I-Phy maximum de
tous les scénarios testés (variables nommées : I-Phy_min et
I-Phy_max). I-Phy_min correspond au scénario d’utilisation du
pesticide le plus défavorable en termes de risque de transfert.
Comme par exemple, utiliser un appareil de traitement de
type « atomiseur » à proximité (moins de 5 mètres) d’un point
d’eau ; dans ces conditions, un produit phytosanitaire à base
de mancozèbe obtiendra un score proche de 4 sur cette échelle
de 0 à 10. A contrario, I-Phy_max correspond au scénario
d’utilisation du pesticide le plus favorable en termes de risque de
Table 1. Liste des 57 variables d’enquête.
Table 1. List of the 57 variables using for the survey.
L’exploitant et son exploitation
(15 variables)
Pratiques culturales et connaissance
des impacts
(21 variables)
Pratiques alternatives
(10 variables)
Perspectives de l’exploitant
(11 variables)
-
- Pesticides utilisés (1)
- Condition d’utilisation du
pesticide dont : dosage (1),
fréquence (1), surface traitée (1).
- Type de matériel (1)
- Type de fertilisation (1)
- Respect des bonnes pratiques
agricoles dont : pesticide selon sa
cible (1), traitement sur seuil (1),
conditions climatiques (1), hors
floraison (1), traitement localisé
(1), entretien du matériel de
traitement (1), calibrage des buses
(1), observation ravageur (1),
gestion des effluents (2), port de
protection lors des traitements (1).
- Connaissance des impacts des
pesticides dont : sur
l’environnement (2), sa santé (1),
celle des consommateurs (1)
- Plantes piège (1)
- Création d’habitats pour les
auxiliaires (1)
- Variétés résistantes (1)
- Rotation effective (1)
- Jachère assainissante (1)
- Gestion physique des
adventices (1)
- Lâchers d’auxiliaires (1)
- Lutte physique (1)
- Limitation inoculum (1)
- Utilisation de biopesticides (1)
-
-
Âge du producteur (1)
Niveau de formation (1)
Type de sol (1)
Contraintes physiques de la
parcelle (1)
Proximité point d’eau (1)
Surface exploitée (1)
Types de système de
production (1)
Type d’irrigation (1)
Main-d’œuvre (2)
Expérience agricole (1)
Statut foncier (1)
Équipements (1)
Origine du conseil (1)
Fournisseurs d’intrants (1)
Page 3 de 9
-
-
-
Projet d’exploitation (1)
Relève assurée ? (1)
Investissements prévus ? (1)
Attentes vis-à-vis du conseil
technique (1)
Formation envisagée ? (1)
Connaissance d’autres
moyens de lutte : si oui prêt
à leur mise en œuvre ? (1)
sinon, pourquoi ?(1)
Nécessité de changer les
systèmes de culture, si oui,
comment les changer ? (1)
sinon, pourquoi ? (1)
Relation avec les
consommateurs (1)
Commentaires et
recommandations libres (1)
F. Le Bellec et al. : Cah. Agric. 2017, 26, 55001
Tableau 2. Liste des dix variables d’utilisation d’un pesticide et leurs
deux attributs (conditions d’utilisation favorable et défavorable)
utilisées par « Phyto’Aide » pour construire ses scénarios.
Table 2. List of 10 variables for using a pesticide and their two attributes
(favorable and unfavorable conditions) used by ’Phyto’Aide’ to build
its scenarios.
« respect ou non des bonnes pratiques agricoles » (testées une à
une, Tab. 1, colonne 2) et « mise en œuvre des méthodes
alternatives » (Tab. 1, colonne 3) en fonction de l’âge et du
niveau de formation du producteur, mais aussi du bassin de
production, de la superficie de l’exploitation, du niveau
d’équipement agricole et du statut foncier. La dépendance des
différentes variables entre elles a été testée à l’aide d’un test de
khi2. Nous avons réalisé une analyse en composantes principales
(ACP), suivie d’une classification ascendante hiérarchique
(CAH), afin de regrouper les pesticides ayant les mêmes
variables de contribution du score I-Phy. L’ACP et la CAH ont
été réalisées avec le package « factorMinR ». Enfin, les
différences des moyennes d’IFT par légume ont été testées à
l’aide des tests de Kruskall-Wallis et de Wilcoxon au seuil de 5 %.
Variables
Classe
favorable
Classe
défavorable
1. Distance de la parcelle à un point
d’eau
2. État du point d’eau
3. Saison du traitement
4. Nombre de jours sans pluie
(> 5 mm)
5. État de couverture du sol
6. Bande enherbée non cultivée en
bas de parcelle (m)
7. Type de pulvérisateur
8. Type de buse du pulvérisateur
9. Cache anti-dérive
10. Position d’application du
pesticide
10. a) cas des herbicides
> 15 m
<5m
Sec
Sèche
> 30
En eau
Humide
<3
Total
Oui
Sol nu ou partiel
Non
3 Résultats
Autorégulé
Antidérive
Oui
Atomiseur
Fente classique
Non
Désherbage
localisé
Sur sol nu
Pour 86 % des producteurs interrogés, l’agriculture est
l’activité principale ou unique. Ces producteurs sont exclusivement des maraîchers (90 %), sans qu’ils soient pour autant
spécialisés sur une seule culture légumière. Lorsqu’une
activité agricole complémentaire existe, ils sont producteurs
de canne à sucre, de fruits, de thé ou encore éleveurs. La taille
moyenne des parcelles exploitées est de 1,5 ha. La majorité
(56 %) des producteurs cultivent entre 0,5 et 2 ha, tandis que
14 % cultivent moins de 0,5 ha et 30 % plus de 2 ha. Seulement
37 % des agriculteurs sont propriétaires des terres qu’ils
exploitent, les autres sont liés à un tiers propriétaire
(agriculteur ou pas) par un bail écrit pour une durée d’au
moins un an (38 %), ou une durée inférieure à un an (5 %) ou
encore sans aucune garantie (seulement un accord oral de
cultiver), ces derniers représentant 20 % de l’échantillon. Près
de 60 % des producteurs interrogés ont plus de 50 ans. Les
compétences agricoles ont été acquises la plupart du temps
grâce à un aïeul ; ils sont d’ailleurs peu nombreux à avoir suivi
des études spécialisées agricoles (5 %). Par contre, les
producteurs se tiennent informés et complètent leurs connaissances grâce aux formations organisées par le FAREI. Même si
les surfaces cultivées sont faibles, la production de légumes
nécessite une main-d’œuvre importante. En effet, peu
d’opérations culturales sont actuellement mécanisées, le plus
souvent faute de moyens financiers. Quelques producteurs
mobilisent de la main-d’œuvre familiale (18 %), tandis que la
plupart des autres emploient des salariés soit à l’année (pour
40 % d’entre eux), soit occasionnellement lorsque la charge de
travail est plus importante (pour 52 % d’entre eux). L’objectif
premier de ces producteurs est de garantir la productivité de leurs
cultures. Cependant, près de 90 % des producteurs interrogés
estiment qu’il est nécessaire de changer leur façon de produire en
réponse à la demande sociétale. Ils expriment pour cela des
besoins d’encadrement et de formation pour les y aider.
10. b) autres pesticides (nombre de
jours entre le traitement et la
dernière opération
d’entretien de l’enherbement
ou du couvert)
< 20
> 20
transfert vers l’environnement. Comme par exemple, utiliser
un appareil de traitement de type « autorégulé » équipé d’un
cache antidérive et à plus de 15 mètres d’un point d’eau ; dans
ces conditions, ce même produit phytosanitaire à base de
mancozèbe obtiendra un score proche de 7,5 sur cette échelle
de 0 à 10. La différence entre ces scores I-Phy_max et I-Phy_min
constitue la marge de progrès possible (passage de la condition
défavorable à favorable des variables). « Phyto’Aide » détermine les variables permettant de limiter ces risques de transfert.
Une fois identifiées, nous avons confronté ces variables, dites de
contribution du score I-Phy, aux données issues de l’enquête
(pratiques phytosanitaires et caractéristiques de la parcelle) pour
déterminer si les conditions d’utilisation des pesticides par les
producteurs risquaient ou pas d’accentuer ces transferts. Pour
réaliser cette analyse, nous avons évalué une à une toutes les
substances actives des pesticides utilisées par les producteurs.
Cependant, pour simplifier cette analyse, nous avons évalué ces
risques sur un seul type de sol afin de les comparer entre elles. Les
caractéristiques de sol pour réaliser cette étude sont les
suivantes : sol d’une profondeur supérieure à 20 cm, d’un pH
compris entre 5 et 5,5, argileux et avec présence d’argile
gonflante, avec un taux de matière organique compris entre 2 et
5 %, non filtrant et avec une pente comprise entre 5 et 10 %.
2.3 Analyses statistiques
Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel R
(Version 3.2.2, R Development Core Team 2013, Vienna,
Austria). Nous avons cherché à expliquer les variables « IFT »,
3.1 Typologie des producteurs
3.2 Bioagresseurs des cultures et leur gestion
Les producteurs ont rapporté 24 principaux bioagresseurs
sur leurs cultures. Les cultures de cucurbitacées, de tomates et
de pommes de terre sont les plus affectées en nombre
d’espèces, avec plus de dix bioagresseurs chacune. Aux dires
des producteurs, deux bioagresseurs sont aujourd’hui pré-
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gnants et de contrôle difficile : une mouche dont la larve
occasionne des galeries sur les feuilles et les mouches affectant
les fruits des cucurbitacées. Ces bioagresseurs ont été identifiés
par les techniciens du laboratoire d’entomologie du FAREI
comme étant Liriomyza trifolii pour la mouche-mineuse et
Bactrocera cucurbitae, Dacus ciliatus et Dacus demmerezi pour
les mouches des cucurbitacées. Liriomyza trifolii s’attaque à
toutes les cultures sans exception, les mouches à toutes les
cucurbitacées comme les citrouilles ou les courgettes. Pour faire
face à ces bioagresseurs, 90 % des producteurs ont une stratégie
de protection préventive (déclenchement des traitements à un pas
de temps régulier). Nous avons relevé le nom de 132 spécialités
commerciales de produits phytosanitaires utilisées par les
producteurs. Celles-ci correspondent à 67 substances actives
différentes, dont notamment 30 insecticides et acaricides comme
l’abamectine, la cypermethrine, la cyromazine ou la chlorantraniliprole, et 26 substances actives fongicides comme le
métalaxyl, le mancozèbe ou l’hydroxyde de cuivre. Onze
substances actives herbicides ont aussi été rapportées, le
glyphosate et le paraquat restant les plus utilisés. La plupart
des spécialités commerciales sont constituées d’une seule
substance active, seules sept d’entre elles sont composées
de deux (6 spécialités commerciales associent 2 substances
actives fongicides et une seule est composée de 2 substances
actives insecticides). Le Tableau 3 (colonnes 1 à 3) reprend la
liste des substances actives correspondant aux spécialités
commerciales citées par au moins 10 producteurs, soit 37
substances actives. Peu de producteurs mettent en œuvre une
traçabilité complète de leurs opérations de traitement et de
récolte, ce qui ne nous a pas permis de calculer des IFT
réels. Cependant, comme beaucoup d’entre eux (270 sur 298)
réalisent des traitements réguliers, nous avons calculé, sur cet
échantillon de 270 producteurs, des IFT théoriques par culture
en considérant leurs fréquences individuelles de traitement
(entre 7 et 14 jours) et en s’appuyant sur des durées moyennes de
cycle de culture excluant les périodes de récolte. Trois catégories
d’IFT se distinguent (Tab. 4) :
– IFT élevés : cultures d’aubergines et de tomates ;
– IFT moyens : culture d’oignons, de cucurbitacées et de
choux ;
– IFT faibles : culture de légumes feuilles, de haricots et de
carottes.
L’IFT de la culture du piment ne se distingue pas
statiquement des IFT moyens et élevés. De même, l’IFT de la
pomme de terre ne se distingue pas statiquement des IFT
faibles et moyens. Aucune relation entre ces IFT, les bassins
de production, les planteurs (âge, formation), le statut du
foncier et le niveau d’équipement n’a pu être mise en
évidence. Pour évaluer et comparer une pression annuelle liée
à l’usage des pesticides d’une parcelle à l’autre, nous avons
cumulé les IFT des successions culturales constatées chez
les producteurs. En considérant l’ensemble des bassins de
production, 15 successions culturales annuelles différentes ont
été rapportées par les producteurs. Les cumuls d’IFT varient
quant à eux de 11 à 53 selon ces successions (Tab. 5). Ce
maximum est observé lorsqu’un cycle de cucurbitacées est
inséré entre deux cycles de tomates ou lorsqu’un cycle de
haricot est inséré entre deux cycles de cucurbitacées.
3.3 Bonnes pratiques agricoles (BPA) et techniques
alternatives à l’usage des pesticides
Une très grande majorité de producteurs (95 %) observent
les ravageurs de leur culture et sont capables de faire un choix
pertinent du pesticide à utiliser vis-à-vis de sa cible.
Cependant, le déclenchement du traitement est décidé sans
considérer un seuil de nuisibilité de ces ravageurs. Les
traitements sont effectués sans prise en considération des
conditions climatiques, des insectes utiles (traitement pendant
les floraisons) ou du voisinage. Globalement, peu de
producteurs mettent en place des techniques permettant
d’éviter l’usage des pesticides d’origine chimique. De rares
expériences ont cependant été rapportées comme, par exemple,
l’utilisation de plantes pièges ou répulsives (des capucines
pour attirer les pucerons et des œillets d’Inde pour repousser
les fourmis par 20 % des producteurs), les jachères améliorantes (cycle de haricots pour enrichir le sol en azote par 10 %
des producteurs), le lâcher d’auxiliaires des cultures (des
coccinelles fournis par le FAREI par 15 % des producteurs) ou
bien encore la création d’habitats refuge pour ces mêmes
auxiliaires (1 unique producteur a aménagé des bandes fleuries
[espèces végétales spontanées et du maïs] sur le pourtour de sa
parcelle). La rotation des cultures est pratiquée par près de
80 % des producteurs, même s’ils ne la considèrent pas
réellement comme une pratique conduisant au non-usage des
pesticides. En effet, ces rotations ne sont que des alternances
annuelles de cultures de légumes (Tab. 5) ; dans ces conditions,
ces rotations sont de l’ordre de l’optimisation de l’occupation
des sols et/ou de l’adéquation du type de production avec son
marché ou sa saisonnalité. Ni l’âge du producteur (valeur de
p = 0,68), ni le nombre d’années d’expérience (valeur de
p = 0,49), ni le niveau de formation (valeur de p = 0,12), ni
l’origine des compétences acquises en agriculture (valeur de
p = 0,38) n’influencent le respect des BPA ou l’adoption des
techniques alternatives à l’usage des pesticides. Par contre, la
sécurité foncière (producteurs propriétaires ou avec un bail
d’une durée supérieur à 1 an) influence favorablement les BPA
(valeur de p = 0,045) et même l’adoption de pratiques
alternatives (valeur de p = 0,00001).
3.4 Évaluation des risques de transfert des pesticides
vers l’environnement
Le Tableau 3 (colonnes 4 à 6) reprend les scores I-Phy_min
et I-Phy_max de l’ensemble des pesticides les plus utilisés par
les producteurs. Selon la substance active, ces scores varient de
4,3 pour deux fongicides (le mancozèbe et le chlorothalonile) à
9,8 pour un fongicide (le difénoconazole) et un insectide
(l’acetamiprid). Hormis trois substances actives (l’acetamiprid, la deltamethrine et l’émamectine benzoate), toutes les
autres substances ont un score I-phy_min inférieur à 7 si elles
sont utilisées dans de mauvaises conditions. Cependant, toutes
les substances actives ont une marge de progrès leur permettant
d’atteindre ou de dépasser ce score de 7 si les bonnes
conditions d’utilisation sont toutes observées. L’analyse en
composantes principales a permis d’identifier les principales
variables d’importance aux scores de chaque substance active :
la distance du point d’eau et son état, le type de pulvérisateur
utilisé et la position d’application du pesticide. Selon la
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Tableau 3. Liste des principales substances actives répertoriées durant l’enquête de terrain auprès de 298 producteurs de l’île Maurice.
Table . List of the main active substances established during the field survey of 298 producers in Mauritius.
Substances actives
Abamectin
Acetamiprid
Cartap
Chlorantraniliprole
Chlorfenapyr
Chlorothalonil
Cuivre
Cypermethrin
Cyromazine
Deltamethrin
Difenoconazole
Emamectin Benzoate
Fenthion
Fluopicolide
Formetanate
Glufosinate am,
Glyphosate
Hexaconazole
Imidacloprid
Indoxacarb
Iprodione
Iprovalicarb
Lambda cyhalothrine
Linuron
Lufenuron
Mancozeb
Metalaxyl
Metribuzine
Oxyfluorfen
Paraquat
Profenofos
Propamocarb-Hcl
Propinebe
Spinosad
Tebuconazole
Thiodicarb
Thiophanate methyl
Type de pesticides
Insecticide/acaride
Insecticide/acaride
Insecticide/acaride
Insecticide/acaride
Insecticide/acaride
Fongicide
Fongicide
Insecticide/acaride
Insecticide/acaride
Insecticide/acaride
Fongicide
Insecticide/acaride
Insecticide/acaride
Fongicide
Insecticide/acaride
Herbicide
Herbicide
Fongicide
Insecticide/acaride
Insecticide/acaride
Fongicide
Fongicide
Insecticide/acaride
Herbicide
Insecticide/acaride
Fongicide
Fongicide
Herbicide
Herbicide
Herbicide
Insecticide/acaride
Fongicide
Fongicide
Insecticide/acaride
Fongicide
Insecticide/acaride
Fongicide
Fréquence d’utilisation
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
þ
Score I-Phy
Score maxi
Marge de progrès
Groupe
Score mini
6,7
7,1
5,5
6,4
5,6
4,3
4,5
6,6
5,9
7,1
6,6
7,5
5,3
5,8
5,3
5,4
4,9
5,9
6
6,6
5,2
6,2
6,9
4,7
5,7
4,3
6,4
4,0
4,4
4,6
5,1
5,6
5,5
6,1
5,7
5,5
4,9
7,6
9,8
9,2
9,6
7,6
5,8
9,0
8,1
9,2
8,4
9,8
10
8,1
7,6
9,2
9,2
9,0
7,3
9,4
8,3
8,3
9,5
7,8
9,2
7,5
7,5
8,2
7,9
5,7
9,2
7,2
9,2
9,1
9,6
8,6
7,5
7,7
1
1
1
2
1
2
2
1
2
2
2
2
1
1
1
1
1
1
2
1
2
2
1
2
1
2
2
3
1
2
2
2
2
2
2
1
2
0,9
2,7
3,7
3,2
2,0
1,5
4,5
1,5
3,3
1,3
3,2
2,5
2,8
1,8
3,9
3,8
4,1
1,4
3,4
1,7
3,1
3,3
0,9
4,5
1,8
3,2
1,8
3,9
1,3
4,6
0,1
3,6
3,6
3,5
2,9
2,0
2,8
Fréquence d’utilisation : þ þ (par plus de 100 producteurs), þ (entre 10 et 100 producteurs). Le score I-Phy correspond à un risque de transfert
du pesticide sur une échelle qualitative de 0 à 10, où un score de 7 et plus est considéré comme« acceptable ». I-Phy_min correspond au score des
conditions d’utilisation défavorable du pesticide. I-Phy_max correspond au score des conditions d’utilisation favorable du pesticide. Marge de
progrès = (I-Phy max-I-Phy_min). Groupe 1 : substances actives pour lesquelles la distance au point d’eau et l’état de ce point d’eau ont une
importance majeure dans la construction du score I-Phy. Groupe 2 : substances actives pour lesquelles le type de pulvérisateur a une importance
majeure dans la construction du score I-Phy. Groupe 3 : substances actives pour lesquelles la position d’application a une importance majeure
dans la construction du score (voir aussi Tab. 1).
Frequency of use: þ þ (by more than 100 producers), þ (between 10 and 100 producers). I-Phy score corresponds to a risk of transfer of the
pesticide on a qualitative scale of 0 to 10 where a score of 7 and more is considered as ’acceptable’. I-Phy_min corresponds to the score of the
unfavorable conditions for using a pesticide. I-Phy_max corresponds to the score of favorable conditions for using the pesticide. Margin of
progress = (I-Phy max-I-Phy_min). Group 1: active substances for which the distance to the water point and the state of this water point are of
major importance in the construction of the I-Phy score. Group 2: active substances for which the type of sprayer is of major importance in the
construction of the I-Phy score. Group 3: active substances for which the application position is of major importance in the construction of the
score (see also Tab. 1).
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substance active, ces variables n’ont pas le même ordre
d’importance. La classification hiérarchique ascendante a
permis de classer les substances actives en trois groupes ; leur
appartenance à chacun des groupes est indiquée dans le
Tableau 3 (colonne 7) :
Tableau 4. Légumes associés à leur Indice de fréquence de
traitement (IFT) moyen et leur écart-type déduits de l’ensemble
des IFT pour chaque légume et classés selon leur intensification de
traitement.
Table 4. Vegetables related to their average Frequency of Treatment
Index (FTI) and standard deviation deduced from all FTIs for each
vegetable and classified according to their intensification of
treatment.
Légumes
IFT Moyen (écart-type)
Aubergine
Tomate
Piment
Oignon
Cucurbitacées
Choux
Pomme de terre
Lalo
Légumes feuilles
Haricot
Carotte
23,62 (± 5,42)
23,25 (± 5,29)
19,03 (± 2,8)
14,92 (± 4,86)
14,65 (± 7,08)
12,93 (± 5,52)
8,96 (± 1,49)
8,3 (± 1,8)
7,4 (± 2,02)
7,33 (± 2,94)
4,5 (± 1,56)
a
a
ab
b
b
b
bc
c
c
c
c
a = IFT élevés, b = IFT moyens, c = IFT faibles, ab et bc correspondant
aux légumes intermédiaires à deux catégories. Significativité déduite
par les tests de Kruskall-Wallis et de Wilcoxon au seuil de 5 %,
a = heavily treated, b = moderately treated, c = little treated, ab and bc
corresponding to intermediate vegetables in two categories.
Significance deduced by the Kruskall-Wallis and Wilcoxon tests at
the 5% threshold.
– groupe 1 : substances actives pour lesquelles la distance et
l’état du point d’eau ont une importance majeure dans la
construction du score I-Phy ; puis suit, dans une moindre
mesure, le type de pulvérisateur utilisé. Des points d’eau avec
des cultures souvent très proches ont été observés dans
près d’1/3 des parcelles des producteurs interrogés. Les
substances actives du groupe 1 présentent des risques
importants de transfert vers ces points d’eau, notamment
lorsque les conditions d’application (BPA) ne sont pas
respectées. Le glyphosate, l’herbicide le plus utilisé par
les producteurs, ou encore des insecticides comme le cartap
ou le fenthion, dont les scores I-Phy_min sont respectivement 5,5 et 5,3, font craindre alors des risques de transfert
importants ;
– groupe 2 : substances actives pour lesquelles le type de
pulvérisateur a une importance majeure dans la construction
du score I-Phy ; puis suivent, dans une moindre mesure, la
distance et l’état du point d’eau. Les substances actives du
groupe 2– et notamment le mancozèbe (I-Phy_min de 4,3
et I-Phy_max de 7,5), l’un des fongicides les plus utilisés
par les producteurs – sont particulièrement concernées par
ces risques. Près de 60 % des producteurs utilisent des
appareils de traitement de type atomiseur qui, sans dispositif
antidérive et les BPA respectées, présentent des risques
importants de transfert des pesticides vers l’air (Butler-Ellis
et al., 2002) ;
– groupe 3 : substances actives pour lesquelles la position
d’application a une importance majeure dans la construction du score I-Phy ; puis suivent, dans une moindre
mesure, le type de pulvérisateur, la distance et l’état du
point d’eau. Ce groupe concerne principalement des
herbicides, et en particulier la metribuzine. Utilisées sur
sol nu (usage en prélevée), les substances actives de ce
groupe présentent des risques importants de transfert
notamment si des pluies (ou une irrigation) interviennent
peu après le traitement (Davis et al., 2011).
Tableau 5. Successions culturales sur une année constatées chez les 298 producteurs des quatre bassins de production de l’île Maurice et leur
cumul d’IFT (indice de fréquence de traitement).
Table 5. Crop rotation over a year observed among the 298 producers of the four production basins of Mauritius and their accumulation of FTI
(Frequency of Treatment Index).
Bassins de production
Successions culturales sur une année
Est
Est/Nord
Est
Est/Nord/Sud
Nord
Nord
Nord
Nord
Nord
Centre-Ouest
Centre-Ouest
Centre-Ouest
Sud
Sud
Sud
Choux
⇒
Tomate
⇒
Oignon et Aubergine (ou piment)
Tomate
⇒
Piment
Lalo
Lalo
Cucurbitacées
⇒
Cucurbitacées
⇒
Choux
⇒
Choux
⇒
Légumes feuilles
⇒
Tomate
⇒
Cucurbitacées
⇒
Pomme de Terre
⇒
IFT
Cucurbitacées
Aubergine
Cucurbitacées
Cucurbitacées
Tomate
Choux
Légumes feuilles
Haricot
Tomate
Haricot
Cucurbitacées
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⇒
Légumes feuilles
⇒
⇒
⇒
Cucurbitacées
Tomate
Tomate
⇒
⇒
⇒
⇒
⇒
⇒
⇒
⇒
⇒
Cucurbitacées
Cucurbitacées
Haricot
Choux
Haricot
Cucurbitacées
Tomate
Cucurbitacées
Arachide
35
43
38
53
43
11
25
35
41
32
28
29
48
53
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Enfin, concernant la gestion des fonds de cuve d’appareil
après les traitements, près de 95 % des producteurs déversent
les eaux de rinçage sans aucune précaution et souvent près des
sources d’approvisionnement en eau pour mieux rincer les
appareils. Les substances actives des trois groupes présentent
dans ces conditions des risques de transfert rapides de ces
molécules vers les eaux souterraines.
4 Discussion et conclusion
Les producteurs de légumes mauriciens traitent de façon
préventive les bioagresseurs de leurs cultures, avec pour
conséquence des usages importants de pesticides. Ceux qui
sont utilisés sont pour certains très dangereux pour l’environnement, notamment si de bonnes pratiques agricoles ne sont
pas respectées. Selon la succession culturale, jusqu’à
53 traitements (insecticides/fongicides) peuvent être effectués
annuellement. Ces pratiques répétées conduisent nécessairement à des impasses techniques de gestion de certains
bioagresseurs, comme, par exemple, la mouche mineuse
américaine (Liriomyza trifolii), qui occasionne des dégâts sur
quasiment toutes les cultures légumières de l’île Maurice
malgré l’usage quasi hebdomadaire d’insecticides. Ce bioagresseur, d’importance mondiale, est d’ailleurs connu pour sa
résistance aux principaux insecticides (Hernandez et al.,
2010). Des solutions autres que chimiques doivent être
recherchées, d’autant que des bioagresseurs autrement plus
impactant que cette mouche mineuse sont aux portes de l’île
Maurice (ou ont déjà été détectés), comme la mouche orientale
des fruits (Bactrocera dorsalis) ou encore une autre mineuse
(Tuta absoluta), deux véritables fléaux à l’échelle internationale. Face à ces enjeux, seul le développement de systèmes
de culture plus résilients peut être opposé. Pour y parvenir,
deux principales actions doivent être menées à l’île Maurice.
La première doit viser à mieux encadrer les usages des
pesticides et la seconde, concomitante, à rechercher des
solutions alternatives à ces usages pour développer des
systèmes de culture durables.
4.1 Mieux encadrer les usages des pesticides
À l’île Maurice, seules les importations des pesticides sont
réglementées, les usages restant à la discrétion des différentes
parties prenantes qui doivent se conformer aux usages prévus
par le fabriquant du pesticide. Dans la pratique, comme les
producteurs et les conseillers souhaitent sécuriser les
productions, les vendeurs de pesticides leur offrent un grand
choix de molécules sans que les usages en soient réellement
limités. Des détournements d’usage (application d’un pesticide
sur une culture sur laquelle il n’est pas homologué) et les
risques que cela comporte ont été observés, comme par
exemple pour l’hexaconazole, fongicide autrefois utilisé pour
lutter contre les maladies du blé et de l’orge (Ineris, 2016) et
utilisé par les producteurs de légumes mauriciens. Par ailleurs,
et considérant la législation française sur ces usages, certaines
substances actives utilisées à l’île Maurice par les producteurs
ne sont pas utilisées (ou ne le sont plus) en France, comme le
propinebe ou encore le chlorfenapyr. Ce dernier est notamment
connu pour sa très grande toxicité sur la faune et sa très lente
dégradation dans l’écosystème (Albers et al., 2006). D’autres
substances ont également été répertoriées lors de nos enquêtes
alors que leur importation n’est plus autorisée sur l’île, comme
le fenthion ou encore le formetanate. Tous ces usages sont
symptomatiques d’un manque de connaissance des utilisateurs
de ces pesticides. Une information suivie d’une réglementation
sur leurs usages semble donc indispensable pour limiter,
en amont, tous ces risques. L’outil d’aide à la décision
« Phyto’Aide » peut dès lors devenir un outil d’accompagnement pertinent à la formation des agriculteurs. En effet, basés
sur l’indicateur I-Phy – par ailleurs éprouvé dans de nombreux
cas d’étude (Reus et al., 2002) –, cet outil d’aide à la décision
propose des scores variant en fonction du pesticide, du type de
sol le recevant et des conditions d’application. Ces scores
I-Phy, comme la plupart des indicateurs, ne sont pas à prendre
comme des valeurs absolues (Voltz et al., 2005) mais
permettent de comparer les pesticides entre eux et, dans le
cas de « Phyto’Aide », d’identifier les différents leviers pour
limiter les risques de transfert des pesticides vers l’environnement. Cet outil d’aide à la décision devient dès lors un média
de discussion entre le conseiller et le producteur pour
accompagner le changement de pratiques ou la substitution
de pesticides (Le Bellec et al., 2015).
4.2 Rechercher des solutions alternatives à
l’utilisation des pesticides
De nouvelles stratégies de protection contre les bioagresseurs sont nécessaires d’une part pour limiter les pertes
dues aux bioagresseurs et d’autre part pour réduire les
investissements inutiles en intrants chimiques à forte
empreinte environnementale (Carlton et al., 2012). La
protection agroécologique, en favorisant le service écosystémique de régulation naturelle des bioagresseurs, peut
permettre de diminuer durablement ces risques phytosanitaires. Face à ces enjeux, la re-conception des systèmes de
production maraîchers mauriciens est interrogée, mais
comment l’accompagner ? Les deux premières étapes du
cadre conceptuel de re-conception des systèmes – Efficiency,
Substitution, Redesign (ESR) –, proposé par Hill et MacRae
(1995), peuvent permettre de fixer des objectifs d’amélioration
simples qui répondront rapidement aux contraintes mauriciennes. C’est la forme « faible » de modernisation écologique
de l’agriculture proposée par Duru et al. (2014). Concrètement,
dans notre cas d’étude, il s’agirait de favoriser des traitements
curatifs plutôt que préventifs, en préférant notamment des
pesticides présentant moins de risques pour l’environnement et
la santé comme certains bio-pesticides, et d’accompagner les
producteurs pour qu’ils respectent les bonnes pratiques
agricoles comme le déclenchement des traitements basé sur
des seuils de nuisibilité des bioagresseurs. Ces mesures faciles
à mettre en œuvre permettraient d’atteindre le premier niveau
du processus de re-conception du cadre ESR : l’efficience.
Parallèlement, il s’agirait aussi d’utiliser des leviers techniques
supplémentaires qui auraient des impacts rapides, pouvant
ainsi et aussi répondre aux agriculteurs dont le foncier est
incertain (étape de substitution du cadre ESR) ; comme, par
exemple, utiliser des filets anti-insectes contre les mouches des
cucurbitacées, utiliser des pièges à glue contre la mineuse des
feuilles, des pièges à phéromones ou alimentaires pour lutter
contre les mouches des légumes (Arida et al., 2013 ; Bruchon
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et al., 2015). Ces deux premières étapes contribueront à
améliorer les systèmes de culture pas à pas, mais durablement.
Le « Redesign », ultime étape du processus de Hill et MacRae
(1995), induit nécessairement un changement de paradigme et
viserait le développement de systèmes de culture agroécologiques dans lesquels les services écosystémiques remplaceraient totalement les intrants chimiques. Ces systèmes de
culture mettraient au centre la restauration de la fertilité des
sols, la lutte biologique par conservation des habitats,
l’association avec l’élevage... (Bruchon et al., 2015). C’est
la forme « profonde » d’une véritable transition agroécologique, pour laquelle Duru et al. (2014) proposent un cadre
conceptuel d’accompagnement. Les acteurs sont au centre de
leur démarche, ils participent à la construction du système
agroécologique, mais aussi à la construction de systèmes
résilients face à des contraintes climatiques de plus en plus
prégnantes (Willaume et al., 2014). La territorialisation de tels
systèmes agroécologiques doit donc être participative,
holistique et transdisciplinaire, seule garantie de cette
résilience. C’est à ce titre et au prix de tous ces efforts que
la société mauricienne fera à nouveau confiance à la production
fournie par ses producteurs de légumes.
Remerciements. Nous tenons à exprimer nos plus vifs
remerciements aux producteurs interrogés qui ont permis ce
travail, mais aussi aux conseillers du FAREI qui nous ont
accompagnés sur le terrain. Ce projet a été cofinancé par
l’Agence française de développement (AFD).
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