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Le vote obligatoire

2007

View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk brought to you by CORE provided by DIAL UCLouvain "Le vote obligatoire" Dandoy, Régis ; Delwit, Pascal ; Pilet, Jean-Benoît Document type : Contribution à ouvrage collectif (Book Chapter) Référence bibliographique Dandoy, Régis ; Delwit, Pascal ; Pilet, Jean-Benoît. Le vote obligatoire. In: Frognier André-Paul, De Winter Lieven, Baudewyns Pierre, Elections: le reflux ? Comportements et attitudes lors des élections en Belgique, De Boeck : Bruxelles 2007, p. 95-126 Available at: http://hdl.handle.net/2078.1/156986 [Downloaded 2019/04/19 at 07:29:32 ] CHAPITRE IV LE VOTE OBLIGATOIRE Régis DANDOY, Pascal DELWIT, Jean-Benoit PILET Introduction :  la  problématique  contemporaine  de  l’abstention Depuis   vingt   ans   maintenant,   nombre   d’observateurs   et   d’acteurs   politiques   des   démocraties   s’alarment   vis-à-vis   d’un   déclin   brutal   de   la   participation   électorale.   Toute   élection   est   désormais   examinée   à   l’aune   non   seulement   des   résultats   qu’elle   dévoile   mais   aussi   du   niveau   de   l’abstention.   Dans la communauté des politologues, il est désormais commun   d’épingler,   dans   plusieurs   situations   nationales,   le   parti des abstentionnistes comme la première formation dans leur Etat1. L’accroissement  spectaculaire  de  l’abstention2 est  d’autant  plus  commenté   qu’il   est   fréquemment   associé,   dans   l’analyse,   à   l’affaiblissement   des   performances électorales des partis dits gouvernementaux ou centripètes au profit de partis anti-système ou centrifuges,   notamment   d’extrêmedroite.  On  assisterait  en  parallèle  à  l’élévation  de  l’abstention  électorale  et au choix croissant en faveur de formations politiques qualifiées de protestataires,   d’anti-système   ou   d’essence   séparatiste3. Analysant les élections européennes de juin 1999, Offerlé dénombrait ainsi 72% d’électeurs  ayant « utilisé une rhétorique anti-appareils politiques »4. Ces deux phénomènes renvoient alors eux-mêmes au thème de la légitimité  de  l’élection  et,  donc,  du  régime  de  démocratie  représentative 5. Plus la participation est élevée, plus est légitime la démocratie considérée. 1 CHICHE J., DUPOIRIER E., dans PERRINEAU P., YSMAL C., 1998, p. 141 et HERAN F., dans CAUTRES B., MAYER N., 2004, p. 351. 2 DELWIT P., dans HASTINGS M., DE WAELE J.-M., 2007. 3 REIF K., in REIF K., 1985, p. 2. 4 OFFERLE M., 1999, p. 39. 5 PURDAM K., FIELDHOUSE E., KALRA V., RUSSELL A., 2002, 14 et REIF K., 1984, p. 245. 96 Elections : le reflux ? A contrario, un fort abstentionnisme rend moins légitime et/ou moins robuste le système démocratique. Les interprétations relatives à cet affaiblissement de la participation électorale sont extrêmement nombreuses 6. Sans être mutuellement exclusives,   les   points   d’ancrage   mis   en   évidence   dans   la   littérature   diffèrent sensiblement selon les auteurs. Dans une enquête réalisée au début des années nonante, Andolfatto avait isolé pas moins de sept profils d’abstentionnistes : de condition, de doctrine, de conjoncture,  d’errance, de combat, de raison et de réserve7. L’abstentionnisme   de   condition   est   celui   sur   lequel   se   sont   sans   doute   penchés   le   plus   d’auteurs.   La   participation   serait   d’autant   plus   forte   que   sera élevé le capital social, et inversement.   L’inégalité   devant   la   participation électorale a été maintes fois soulignée. Et dans un temps de précarisation de la condition du salariat8, de  chômage  élevé  et  d’inégalités   socioéconomiques croissantes, il ne serait pas étonnant de découvrir la montée de cet abstentionnisme de condition sociale.   Mais,   d’autres   données ont été avancées. Le  fait  est  bien  connu,  la  participation  électorale  tient  aussi  dans  l’essence   des scrutins. Depuis les travaux dédicacés aux mid-terms elections, aux élections intermédiaires9 ou aux second order elections10, la littérature en science  politique  a  clairement  établi  des  différences  notables  sous  l’angle   de la participation électorale. Ces taux différenciés tiennent dans la considération envers le scrutin. Les élections de premier ordre sont vécues et   perçues   par   l’électorat   comme   les   plus   cruciales,   et   donc,   celles   pour   lesquelles ils sont le plus à même de se mobiliser. Les élections de deuxième   ordre   sont   reçues   avec   moins   d’intensité   sinon   parfois   de   l’indifférence   complète. Elles génèrent de la sorte une mobilisation nettement moins marquée11. Au-delà  de  l’essence  différente  des  scrutins,  l’ampleur  de  la  participation   électorale  ou  de  l’abstention  tient  aussi  à  la  polarisation  de  la  campagne.   6 SUBILEAU F., TOINET M.-F., 1993. ANDOLFATTO D., 1992. 8 CASTEL R., 1995. 9 PARODI J.-L., 2004. 10 REIF K., SCHMITT H., 1980 et McALLISTER L., 2004. 11 RALLINGS C., THRASHER M., 2005 et DELWIT P., POIRIER P., 2005. 7 Le vote obligatoire 97 Comme   l’avait   déjà   épinglé   André Siegfried12 au début du vingtième siècle, en distinguant les élections  d’apaisement  des  élections  de  combat, la mobilisation est elle-même  liée  à  l’acuité   de  la  compétition   électorale.   Isolant la très faible mobilisation électorale au scrutin britannique de 1997, plusieurs politistes ont rappelé cette dimension et la perception d’une  élection  jouée  d’avance  dans  l’esprit  de  nombreux  citoyens 13. Dans les  scrutins  majoritaires,  les  circonscriptions  jouées  d’avance  génèrent  une   très faible mobilisation14. Des déterminants d’ordre sociodémographiques apparaissent cruciaux dans le rapport à la participation électorale. Le niveau de capital scolaire retient désormais particulièrement l’attention. Van Egmond, de Graaf & Van Der Eijk l’identifient pour attester les différences de participation électorale dans le cas hollandais 15. Soulignons toutefois l’existence d’un conflit d’interprétation.   Si   nombre   d’auteurs   soulignent   le   rapport   au   capital scolaire comme élément distinctif parmi les niveaux de participation,   d’autres mettent en évidence une élévation tendancielle du capital   scolaire   et   …   de   l’abstention.   Aussi,   si   le   niveau   de   diplôme   se   décline comme un élément discriminant dans la participation électorale, il ne  serait  pas  l’élément  principal,  à  même  d’expliquer  l’élévation  des  taux   d’abstention   électorale.   Ou   alors,   l’approche   consisterait   à   observer   une   chute drastique de la participation électorale parmi les catégories sociales à faible capital social et / ou scolaire16. Cette problématique renvoie au développement   de   l’individualisme,   interprété dans toutes ses dimensions. La première, valorisée, concerne la liberté   de  l’individu : celle de choisir de voter ou non. En la matière, les électeurs seraient plus exigeants. « Les citoyens des sociétés modernes votent de moins en moins par devoir et par principe, ils veulent être convaincus  qu’ils  ont  de  bonnes  raisons  d’aller  voter  avant  de  se  déplacer   aux  urnes.  Le  vote  se  rationalise  et  s’individualise,  ce  qui  fait  à  la  fois  sa   grandeur mais aussi sa fragilité » pointe Pierre Bréchon17. Sous cet angle, la participation électorale des jeunes générations inquiète fortement les 12 SIEGFRIED A., 1964. PATTIE C., JOHNSTON R., 2001, p. 287. 14 DUVERGER M., 1992. 15 VAN EGMOND M., DE GRAAF NAN D. & VAN DER EIJK NAN D., 1998. 16 PACEK A., RADCLIFF B., 1995, p. 138. 17 BRECHON P., 2002. 13 98 Elections : le reflux ? autorités   politiques   de   nombre   d’Etats   démocratiques   et   focalise   l’attention  des  politologues 18. Ces  explications  s’inscrivent  le  plus  souvent   dans des approches dites de choix rationnel également mises en avant par Narud et Valen19 dans le cas norvégien, et développées théoriquement par Blais 20, mais que conteste vigoureusement Crepaz : « When people vote, they hardly do so on a narrow rational basis »21. Plus  globalement,  la  montée  de  l’individualisme  est  fréquemment  associée   au   déclin   des   structures   d’encadrement   social,   culturel   ou   politique.   Or,   ces structures sont souvent des véhicules de la mobilisation, en ce compris électorale. Radcliff et Davis ont ainsi montré l’impact   de   la   force   du   mouvement ouvrier et de ses organisations dans le taux de participation aux élections. Plus hauts sont les taux de syndicalisation, plus élevés sont les niveaux de participation électorale22. Or, pour ne reprendre que l’exemple   syndical   ou   des   partis   politiques 23, les taux de syndicalisation ou   d’adhésion   sont   tendanciellement   déclinants   et   la   mobilisation   électorale en serait affectée24. Même  si  l’abstention  systématique  est  toujours  minoritaire,  il  reste  qu’elle   semble augmenter dans le temps, ce qui confirmerait une autre explication de   l’affaissement   de   la   participation   électorale :   l’accroissement   de   postures de retrait de la société ou de la vie politique 25. La croissance de l’abstention  serait  un  signe   de   l’indifférence voire de la méfiance envers « le » politique et ses acteurs conventionnels, les partis. Ceux-ci sont aujourd’hui   les  plus   mal  aimés  parmi   les   organisations   et  les   institutions   sociales et politiques. Leur incapacité supposée à agir sur la première préoccupation   des   citoyens,   l’emploi   et   le   chômage,   a   conduit   à   un   désenchantement   qui   s’est   traduit   dans   les   urnes 26. Franklin en fait son hypothèse centrale : « My basic contention is simple : people vote in order to affect the outputs of government in ways there are meaningful to them. 18 BOUT DE L'AN C., GREFFET F., 2004, et BIRCH S., WATT B., 2004. NARUD HANNE M., VALEN H., 1996. 20 BLAIS A., 2000. 21 CREPAZ M., 1990. 22 RADCLIFF B., DAVIS P., 2000. 23 MAIR P., VAN BIEZEN I., 2000. 24 WATTENBERG M. P., 2002. 25 DESESQUELLES A., 2004. 26 MAYER N., PERRINEAU P., 1992, p. 143. 19 Le vote obligatoire 99 Low turnout thus reflects a paucity of choices for a lack of evident connection between electoral choice and policy change »27. Quels sont les impacts de ce recul de la participation électorale ? Nous l’avons   mentionné,   la légitimité du scrutin et du régime serait affectée. Mais il en va de même des résultats. La volatilité électorale est moins importante pour saisir un résultat que le niveau de participation. Marc Swyngedouw a ainsi pointé en quoi la victoire des partis de la gauche plurielle   en   France   à   l’élection   de   1997   avait   été   acquise   grâce   une   mobilisation meilleure de leurs électeurs que les formations de centredroite28. Comme le souligne Bernard Dolez, « à   l’heure   où   les   abstentionnistes sont parfois plus nombreux que les votants, cela nous rappelle   que   l’issue   d’un   scrutin   dépend   tout   autant   des   électeurs   qui   restent  à  l’écart  des  urnes  que  de  ceux  qui  choisissent  de  prendre  part  au   vote »29. Examiné   dans   une   perspective   globale,   quel   est   l’impact   supposé   d’un   affaissement de la participation électorale ? Analysant les résultats électoraux dans dix-neuf démocraties entre 1950 et 1990, Pacek et Radcliff isolent une corrélation entre le niveau de participation et les résultats :   plus   l’abstention   est   basse,   plus   le   score pour les partis de gauche est élevé30. A contrario, plus la participation est faible, moins important est le total des votes pour les partis de gauche. Le phénomène serait  d’autant  plus  marquant  que  nous  avons  affaire  à  des  formations  de   gauche étroitement associées et dépendantes du vote de la classe ouvrière traditionnelle.   En   d’autres   termes,   les   partis   de   gauche   seraient   tendanciellement  les  victimes  de  la  croissance  de  l’abstention.   Face  à  ce  qui  est  présenté  comme  une  déferlante  de  l’abstention,  plusieurs responsables scientifiques et politiques se sont interrogés sur les remèdes. Un   grand   volet   des   propositions   s’est   articulé   autour   de   solutions   techniques : ouverture plus large des bureaux de vote, voté différé, vote postal, vote électronique, vote Internet, voire vote SMS. Une voie plus audacieuse consiste à prôner un changement du système électoral dès lors que le mode de scrutin de type proportionnel dégagerait des taux de participation électorale plus élevés que les modes de scrutins mixtes ou 27 FRANKLIN M.N., 1999, p. 206. SWYNGEDOUW M., 2000. 29 DOLEZ B., 2000. 30 PACEK A., RADCLIFF B., op. cit. 28 100 Elections : le reflux ? majoritaires aux élections nationales 31; de 4,5 points - majoritaire uninominal - à 11,5 points - majoritaire plurninominal32. Mais dans le domaine de la contrainte institutionnelle, la posture la plus radicale vise à l’introduction  ou  la  réintroduction  de  l’obligation  de  vote.  Arend  Lijphart,   en particulier, a animé le débat scientifique en promouvant cette solution face   la   montée   de   l’abstention : « Compulsory voting cannot solve the entire conflict between the ideals of participation and equality, but by making voting participation as equal as possible, it is a valuable partial solution »33. La question du vote obligatoire nous conduit directement à un petit village qui   résiste…   la   Belgique.   A   vrai   dire,   la   Belgique   n’est   pas   seule.   Le   Grand-Duché de Luxembourg ou la Grèce vivent aussi sous le régime du vote   obligatoire.  Cette  longue  tradition  (Cf.  infra)  a   épargné   l’Etat  belge   de   la  chute   de  la  participation   électorale.  Compte  tenu  de  l’obligation  de   vote,   l’abstention   est   sensiblement   plus   faible   en   Belgique que dans les Etats  ou  le  vote  n’est  pas  obligatoire  (Cf.  Tableau  1).   Tableau 1 : Taux de participation aux élections fédérales en Belgique 2003 91,63 1999 90,58 1995 91,15 1991 92,71 1987 93,37 1985 93,59 1981 94,56 Comment les Belges et, en particulier, les Wallons voient-ils cette singularité ? Comme un anachronisme, comme une modernité ou plus, trivialement, comme une contrainte morale intériorisée ? Que feraient-ils si  l’obligation  de  vote  était  abandonnée ? Pour répondre à ces questions, et après avoir dressé le contexte dans lequel  le  vote  obligatoire  peut  être  perçu  aujourd’hui,  nous  aborderons  la   31 LIJPHART A., 1997, p. 7-8; CREPAZ M., op. cit., p. 193. BLAIS A., CARTY R.K., 1990, p. 175. 33 LIJPHART A., op. cit., p. 11. 32 Le vote obligatoire 101 contribution en deux temps. En première étape, nous reviendrons sur l’histoire   même   du   vote   obligatoire   en   Belgique   et   les   débats   que   cette   règle   a   générés   dans   l’espace   temps   contemporain.   Dans   une   seconde   étape,  nous  analysons  comment  les  Belges  perçoivent  l’obligation  de  vote   et ce que pourrait être leur comportement si celle-ci était levée. Le vote obligatoire en Belgique Aux origines du vote obligatoire en Belgique Le vote obligatoire a été introduit dans la législation belge à la fin du dixneuvième siècle. A cette époque, le parlementarisme belge se déclinait sous   la   forme   d’un   régime   clairement   élitaire,   réservant   la   participation   politique à une faible part de la population. Pour les élections parlementaires nationales, le droit de vote était attribué aux citoyens âgés de   21   ans   et   plus,   et   payant   un   cens   d’au   moins   20   florins 34. En 1878, étaient   venus   s’ajouter   des   critères   capacitaires   pour les élections communales. Le droit de suffrage pouvait être obtenu via la réussite à un examen électoral. On dénombrait alors 136.755 votants 35. Dès les années 1860,   le   passage   au   suffrage   universel   devint   l’une   des   problématiques   cruciales, sinon la question centrale, en politique belge. Les partisans de la démocratisation des élections se trouvaient parmi les libéraux progressistes, emmenés par la figure emblématique de Paul Janson. Dans ce combat, leur allié le plus fidèle sera le parti ouvrier belge (POB), créé en 1885. Au sein du parti catholique, une frange était aussi gagnée aux idéaux démocratiques. Les opposants agrégeaient surtout les libéraux doctrinaires et les catholiques conservateurs. Finalement, cette lutte aboutit en 1893 au suffrage universel masculin tempéré par le vote plural. Le nouvel article 47 de la constitution donnait le droit de vote à tous les citoyens de sexe masculin. Une ou deux voix supplémentaires pouvaient être accordées à certaines franges de la population. Les pères de famille  âgés   d’au   moins  35   ans   et  propriétaires   d’un  logement  pour  lequel  ils  devaient  verser  au  moins  5  francs  d’impôts,   les   propriétaires   d’un   immeuble   valant   au   moins   2000   francs,   et   ceux   recevant   une   rente   d’au   moins   1000   francs   obtenaient   une   voix   de   plus. 34 MAGNETTE P., LUYTEN D., dans GUBIN E., NANDRIN J.-P., GERARD E. et WITTE E., 2003. 35 VAN EENOO R., dans GUBIN E., NANDRIN J.-P., GERARD E. et WITTE E., op. cit. 102 Elections : le reflux ? Une seconde voix supplémentaire était conférée sur la base de critères capacitaires 36.   L’électorat   passa   de   la   sorte   de   136.755   électeurs   à   1.370.687 (853.628 ayant une voix, 293.678 deux et 223.381 trois)37. En  complément  à  cette   décision,  l’obligation de vote fut instaurée, après avoir déjà été débattue en 1858, en 1865 et en 1887. En 1893, la Belgique devint   le   premier   pays   à   introduire   cette   règle   sur   l’ensemble   de   son   territoire38. Son adoption ne se fit toutefois pas sans discussions. La plupart des progressistes (libéraux et socialistes) et la majorité du camp catholique défendaient cette mesure. Mais les libéraux doctrinaires et quelques catholiques conservateurs qui avaient milité contre le suffrage universel  tentèrent  d’empêcher  son  instauration39. Du   côté   des   promoteurs   de   l’obligation   de   voter,   l’un   des   principaux   arguments  était  (déjà)  la  lutte  contre  l’abstention.  Le  taux  de  participation   naviguait alors entre 30 % et 40 % des inscrits. En 1843, il avait atteint même un plancher de 14 %40. Avec   l’extension   du   droit   de   suffrage,   les   dirigeants politiques craignaient que de nombreux nouveaux électeurs, peu intéressés par la chose publique, ne se déplacent pas pour voter. Le vote obligatoire, assorti de sanctions, résoudrait ce problème. La deuxième motivation du vote obligatoire, et sans doute celle qui fut la plus déterminante, était la crainte des électeurs radicaux. Les conservateurs redoutaient que les plus modérés parmi les électeurs soient plus   enclins   à   rester   chez   eux   le   jour   de   l’élection tandis que les plus radicaux, principalement au sein du mouvement ouvrier, iraient voter. Pour   décliner   les   arguments   de   l’époque,   « ce sont les éléments les plus conservateurs,  dans  le  sens  large  du  terme,  qui  s’abstiennent,  ce  sont  des   braves gens, indifférents  ou  timides.  Ils  ne  songent  pas  qu’en  agissant  de   la sorte, ils cèdent le haut du pavé aux excessifs et aux violents qui eux n’ont  jamais  besoin  d’être  poussés  à  se  rendre  au  scrutin »41. Cette crainte était   d’autant   plus   forte   que   la   conquête   du   suffrage universel avait été 36 Elle   était   accordée   aux   citoyens   porteurs   d’un   diplôme universitaire et à ceux ayant terminé avec fruit leurs études secondaires supérieures. 37 VAN EENOO R., op. cit., p. 60. 38 STENGERS J., 1990. 39 A la Chambre des représentants, le vote obligatoire fut approuvé par 94 voix (la majorité des élus du parti catholique et de la gauche progressistes en plus de quelques libéraux doctrinaires) contre 38 (la majorité des libéraux doctrinaires, trois membres du parti catholique et trois de la gauche progressiste), et deux abstentions. 40 DEWACHTER W., 1967, p. 79. 41 DUPRIEZ L., 1901, p. 119. Le vote obligatoire 103 teintée de diverses démonstrations de force du mouvement ouvrier. La grève générale et des manifestations étaient régulièrement utilisées. En particulier,   les   grèves   d’avril   1893,   qui   se   terminèrent   par   des   affrontements violents et le décès de plusieurs manifestants, impressionnèrent les dirigeants conservateurs42. Le mouvement socialiste ne   cachait   d’ailleurs   pas   son   intention   de   se   servir   du   suffrage   universel   pour réformer en profondeur la société43.   Pour   eux,   il   s’agissait   d’une étape centrale dans la prise du pouvoir par des moyens non révolutionnaires 44. Pour la droite catholique, qui soutenait massivement le vote obligatoire, il fallait à tout prix éviter de laisser le champ libre au mouvement  ouvrier  du  fait  de  l’apathie  électorale des plus modérés. Enfin, les intérêts partisans étaient évidemment pris en compte. Dans le camp catholique, traditionnellement mieux ancré dans les zones rurales, le vote  obligatoire  devait  permettre  de  s’assurer  le  vote  des  paysans.  Il  fallait   que ces électeurs, supposés fidèles, ne rechignent pas à se déplacer jusqu’au   bureau   de   vote.   Le   POB   et   les   libéraux   progressistes   voyaient   aussi   cette   mesure   comme   une   bonne   manière   d’optimiser   leur   potentiel   électoral   étendu   suite   à   l’adoption   du   suffrage   universel. Ces deux formations   redoutaient   que   la   fraude   électorale,   l’intimidation   ou   l’influence   dont   pouvait   disposer   certains   notables   - les patrons ou le clergé -, ne soient utilisées pour inciter certains citoyens à ne pas se déplacer  jusqu’au  bureau de vote. En revanche, parmi les opposants au vote obligatoire, était brandi le spectre   de   l’Etat   tentaculaire.   Pour   les libéraux doctrinaires et certains catholiques conservateurs, l’obligation de voter était perçue comme une contrainte supplémentaire imposée par un Etat trop puissant, restreignant la liberté individuelle. Charles Woeste, l’un des plus virulents opposants à cette nouvelle règle, illustre bien ce point de vue en parlant de « l’obligation  qui  nous  presse,  qui  voudrait  nous  étouffer »45. On retrouve aussi cette position de défense de la liberté individuelle chez ceux pour lesquels l’abstention est un droit permettant au citoyen de manifester son mécontentement à l’égard de la politique et des options qui lui sont proposées sur le bulletin de vote. 42 MABILLE X., 1997. DELWIT P., 2003. 44 BERGOUNIOUX A., MANIN B., 1979 & DELWIT P., 1994. 45 DUPRIEZ L., op. cit., p. 121. 43 104 Elections : le reflux ? Les mises en cause du vote obligatoire en Belgique Entre la fin du dix-neuvième siècle et les années 1970, le vote obligatoire fut   l’objet   d’un   consensus   passif   dans   la   classe   politique   et   la   société   belges. Dans le dernier quart de siècle, un débat fut cependant lancé sur l’opportunité   de   maintenir   le   principe   de   l’obligation   de   vote.   Deux   raisons  sont  à  l’origine  de  ces  réflexions  nouvelles.  D’une  part,  les  PaysBas   abolirent   l’obligation   de   voter   en   1970.   Or,   les   évolutions   institutionnelles néerlandaises sont fort suivies en Belgique, tout particulièrement en Flandre. Cette réforme chez le voisin du Nord inaugura des réflexions nouvelles en Belgique. Par ailleurs, de nouveaux partis régionalistes (la Volksunie, le Rassemblement Wallon et le Front Démocratique des Francophones) firent leur apparition dans les années 1960 et connurent un succès grandissant dans la décennie suivante 46. Outre   des   revendications   d’essence   régionaliste   ou   linguistique,   les   programmes de ces formations comportaient des préoccupations de type New Politics47 : les questions environnementales, de qualité de vie, mais aussi de démocratie directe et de dépilarisation de la société belge. Dans cette optique, divers élus de la Volksunie et du Rassemblement Wallon se firent les relais de la mise en cause du vote obligatoire en Belgique. Dans les années quatre-vingt, les velléités de suppression du vote obligatoire   s’étendirent   à   d’autres   partis.   ECOLO,   le   parti   vert   francophone, et Agalev, son alter ego flamand, inscrivirent ce point à leur programme dès le début de cette décennie48. En 1985, le Partij voor vrijheid en vooruitgang (PVV, libéral flamand) fit de même. Bien que présent  dans  tous  ces  programmes,  le  vote  obligatoire  n’était  pourtant  pas   l’objet   de   vifs   débats   sur   la   place   publique. Les choses évoluèrent au début des années nonante. A ce moment, Guy Verhofstadt prit la tête du PVV  qu’il  transforma  en  VLD  (Vlaamse  Liberale  en  Democraten).  Outre   cette nouvelle appellation, le futur Premier ministre imprima fortement sa marque sur le programme de son parti en matière de droit électoral. Le passage  de  la  démocratie  représentative  à  ce  qu’il  nomme  la  « Démocratie du citoyen » (Burgerdemocratie) était un axe central du programme du VLD.   Cela   se   traduisit   par   l’inscription   de   plusieurs modifications du système   électoral   comme   le   passage   au   scrutin   majoritaire,   l’élection   directe   des   leaders   d’exécutifs   et   des   bourgmestres,   ainsi   que   la   suppression du vote obligatoire. La promotion de ce dernier point par le 46 Voir PILET J.-B. dans DELWIT P., 2005 et VAN HAUTE E., dans DELWIT P., 2005. MULLER-ROMMEL F., 1989. 48 Programme ECOLO de 1981 et Programme Agalev de 1985. 47 Le vote obligatoire 105 président   d’un   des   grands   partis traditionnels permit à la discussion d’entrer  réellement   dans  l’espace   médiatique.  En  l’espèce,  tous  les  partis   furent   amenés   à   prendre   explicitement   position.   Dans   l’espace   francophone et en Flandre, les deux familles dominantes - socialiste et social-chrétienne - marquèrent leur volonté de maintenir le vote obligatoire.   Le   SP,   le   PS,   le   CVP   et   le   PSC   furent   d’ailleurs   rejoints   en   1995  par  un  ancien   défenseur  de  l’abolition,  ECOLO.  Pour  leur  part,  les   libéraux francophones (PRL) apparaissent divisés sur la question. En 1995, le programme du PRL prend comme plus petit commun dénominateur  de  demander  l’ouverture  du  débat  au  parlement  sur  ce  point,   sans préciser dans quelle direction le PRL souhaitait mener les discussions49.  Mais  l’arrivée  de  Louis  Michel à la tête du parti change la donne : la ligne officielle est de défendre le vote obligatoire : « Selon moi, ce  droit  est  inséparable  d’un  devoir : le vote est aussi un devoir exercé au nom   et   au   profit   de   la   société.   C’est   la   raison   pour   laquelle   je   demeure attaché   au   principe   de   l’obligation   de   vote »50.   Quant   à   l’extrême-droite flamande, bien que relativement discrète sur la question, elle se prononça en faveur de la suppression du vote obligatoire comme en atteste une proposition de loi déposée en 1994 par son chef de file, Filip Dewinter 51. De façon intéressante, les arguments mobilisés au cours des années nonante sont assez proches de ceux entendus un siècle plus tôt lors de l’adoption   du   vote   obligatoire.   Dans   le   camp   des   abolitionnistes,   l’argument   central   est   le   même   qu’un   siècle   auparavant : la liberté du citoyen. Le fer de lance en la matière est le parti libéral flamand (VLD) pour qui « nul ne peut être obligé à choisir ses représentants contre son gré »52. Les partisans de la règle font, eux-aussi, appel au même répertoire que leurs prédécesseurs de la fin du dix-neuvième siècle. En obligeant les Belges   à   s’exprimer   lors   des   élections,   la   démocratie   belge   en   sortirait   renforcée. Le vote obligatoire permettrait que la voix du peuple évite de laisser le pouvoir à une élite. Les propos inscrits dans le programme des socialistes flamands pour les élections de 1995 illustrent parfaitement ce point de vue. Pour le SP, « le vote obligatoire permet de veiller à ce que le Parlement ne soit pas comme la Société Générale où seule une minorité 49 Programme PRL-FDF, Il y a du changement  dans  l’air, 1995. MICHEL L., in DELWIT P., DE WAELE J.-M., 1998. 51 Document parlementaire 48K1332, Chambre des représentants, 28/02/1994 (signataire : Dewinter, Filip – Vlaams Blok). 52 Texte du congrès du VLD De bugerdemocratie, Gand, 22-24/11/1993, p. 11. 50 106 Elections : le reflux ? de   riches   actionnaires   détient   le   pouvoir   …   grâce   à   l’absence   d’une   majorité de petits actionnaires »53. Comme  en  1893,  la  question  de  l’abstention  est  au  cœur  du  débat  dans  les   années  nonante.  Toutefois,  à  l’inverse  de  ce  qui se passait à la fin du dixneuvième siècle, la non-participation aux élections est, cent ans plus tard, un problème hypothétique et non plus réel en Belgique. En effet, comme nous  l’avons  pointé,  le  vote  obligatoire  a  permis  de  maintenir  des  taux  de   participation   très   élevés,   en   décalage   avec   les   évolutions   dans   d’autres   pays  européens.  La  crainte  d’un  fort  abstentionnisme  dans  l’hypothèse  de   la   suppression   du   vote   obligatoire   est   très   présente   dans   l’esprit   des   décideurs.   L’exemple   de   pays   voisins   les   préoccupe fortement. Pour les partisans du maintien, il serait paradoxal de mettre fin au vote obligatoire au moment même où plusieurs responsables politiques et journalistes étrangers s’intéressent   à   la   mesure   telle   que   pratiquée   en   Belgique   pour   juguler la vague abstentionniste. Pour les sociaux-chrétiens et des socialistes, la problématique de l’abstention  prend  une  connotation  particulière.  La  fin  du  vote  obligatoire   aboutirait à un participation beaucoup plus ténue des citoyens aux capital social et culturel les plus faibles : « [le vote obligatoire] est la meilleure garantie de la prise en compte de chacun dans notre système démocratique.  Il  évite  la  mise  à  l’écart  et  assure  que  les  moins  éduqués,   des   plus   faibles   restent   encore   à   l’agenda   politique »54. Pour   l’ancien   vice-Premier ministre Herman Van Rompuy (CVP), « il faut bien se rendre compte que ce sont les groupes de revenus les plus faibles qui renonceront les premiers à exercer leur droit de vote »55. La   raison   principale   qui   avait   mené   à   l’adoption du vote obligatoire en 1893   était   d’éviter   que   les   électeurs   les   plus   radicaux,   donc   les   plus   mobilisés, ne fassent basculer le rapport de forces politique. Dans le camp conservateur, la peur du mouvement ouvrier était forte. Un siècle plus tard, la crainte  de  l’impact  potentiel  du  vote  obligatoire  sur  le  rapport  de   forces  entre  partis  est  encore  bien  présente  dans  le  débat  mais  d’une  toute   autre manière. Fin du dix-neuvième  siècle,  c’était  un  mouvement  ouvrier   radical mais démocratique qui effrayait le pouvoir en place. Dans la période contemporaine, il est question des partis anti-système, plus particulièrement  de  l’extrême-droite flamande (Vlaams Blok). Face à cette 53 Programme SP, De Versterkte Democratie, 1995, p. 32. SP, Toekomstcongres, 1998. 55 VAN ROMPUY H., 1993, p. 75. 54 Le vote obligatoire 107 menace,   le   vote   obligatoire   n’est   plus   forcément   vu   comme   la   solution   mais  comme  l’une  des causes du problème. Pour les parlementaires de la Volksunie, « les électeurs qui ne souhaitent pas participer au scrutin votent   inconsidérément   ou,   par   réaction   contre   l’obligation   de   vote,   apportent leurs suffrages, sans partager eux-mêmes ces idées, à des partis qui défendent les thèses les plus extravagantes ou les plus extrémistes, et perturbent ainsi le fonctionnement normal de la démocratie »56. Le VLD s’inscrit   dans   le   même   raisonnement : « L’obligation   de   vote   génère   notamment un comportement électoral marqué par le mécontentement et le rejet de la politique »57.   Pour   autant,   cette   opinion   n’est   pas   nécessairement vérifiée (Cf. infra). Les Belges et le vote obligatoire Quel jugement les Belges portent-ils sur le vote obligatoire ? Iraient-ils toujours   voter   si   l’obligation   qui   leur   est   faite   de   se   rendre   aux   urnes   le   jour  d’un  scrutin  était  levée ? Il est bien sûr difficile de répondre à une supputation. La question soumise aux  sondés  est  virtuelle.  Il  n’en  reste  pas  moins  qu’elle  permet  d’évaluer   de  façon  globale  le  rapport  au  vote  et  à  l’obligation  qui  y  est  assortie.   Interrogés   sur   leur   comportement   dans   l’hypothèse   de   la   suppression   de   l’obligation  de   vote58,  plus  de  39%   des  Belges  affirment,  en  2003,  qu’ils   se rendraient toujours aux urnes lors des élections nationales. Ce chiffre est significatif mais en claire diminution par rapport à 1999. En   effet,   en   1999   près   de   la   moitié   des   répondants   signalaient   qu’ils   continueraient inconditionnellement à voter. Il y a ainsi un recul de huit points quatre ans plus tard. De manière quasi similaire, le nombre de répondants  qui  affirment   qu’ils   n’iraient  plus   jamais voter  s’est  accru  de   plus  de  huit  points  entre  1999  et  2003,  s’établissant  désormais  à  29,5%  de   la population. Si la catégorie « J’irai  toujours voter » est toujours de loin 56 Document parlementaire 48K1756, Chambre des représentants, 15/03/1995 (signataires : Sauwens, Johan, Anciaux, Vic, Caudron, Johan, Lauwers, Herman, Olaerts, Hugo, Van Grembergen, Paul et Van Vaerenbergh, Etienne – VU). 57 Document parlementaire 48K1768, Chambre des représentants, 23/03/1995 (signataires : Dewael, Patrick, Chevalier, Pierre, Denys, André, Gabriels, Jaak et Verhofstadt, Guy – VLD). 58 La question est formulée dans les termes suivants : « Si  le  vote  n’était  plus  obligatoire  aux  élections   nationales en Belgique, iriez-vous toujours voter, la plupart du temps voter, parfois voter, jamais voter ou vous ne savez pas encore ? ». 108 Elections : le reflux ? la plus importante, ces quelques 30% de répondants qui affirment ne plus jamais   se   rendre   aux   urnes   sont   représentatifs   d’une   évolution   non   négligeable. Tableau 2 : Comportement des Belges dans l’hypothèse de la suppression de l’obligation  de  vote Toujours La plupart du temps Parfois Jamais Ne sait pas 2003 39,30% 14,30% 14,40% 29,50% 2,50% 1999 47,30% 14,90% 11,50% 21,50% 4,60% Evolution - 8,0 points - 0,6 points + 2,9 points + 8,0 points - 2,1 points Pondéré par âge, sexe et éducation Au plan régional, les différences restent importantes. Elles témoignent de manière quasi uniforme de cette diminution par rapport à 1999. La Flandre   est   la   région   belge   où   le   nombre   d’individus   (35,9 %) affirmant qu’ils   se   rendraient   toujours aux urnes est le plus faible, soit un score inférieur de près de 10 points à la Région bruxelloise, où une grande proportion des répondants exerceraient systématiquement leur droit de vote (44,7 %). Néanmoins,   l’affaissement   des   participationnistes   systématiques est corroboré dans les trois Régions, et principalement à Bruxelles (-14,3 points),   par   rapport   à   1999.   En   parallèle,   le   nombre   d’abstentionnistes   structurels   s’est   accru   dans   les   trois   Régions du Royaume. Il se fixe à 30,9 % en Flandre, à 27,9 % en Wallonie et à 25,5 % à Bruxelles. Le vote obligatoire 109 Tableau 3 : Comportement dans les régions dans l’hypothèse de la suppression de l’obligation de vote Toujours La plupart du temps Parfois Jamais Ne sait pas Flandre 35,9% (42,9%) 16,1% (17,9%) 14,6% (14,1%) 30,9% (25,1%) 2,50% Wallonie 43,9% (51,3%) 11,5% (9,4%) 13,9% (10,0%) 27,9% (29,3%) 2,80% Bruxelles 44,7% (59,0%) 13,0% (15,7%) 14,9% (10,4%) 25,5% (14,9%) 1,90% Entre parenthèses: le score en 1999 - Pondéré par âge, sexe et éducation Suppression de vote et profils sociodémographiques Penchons-nous désormais sur les différents profils et leur rapport à la suppression  éventuelle  de  l’obligation  de  vote.  De manière similaire à De Winter, Dumont et Ackaert59,   l’opérationnalisation   des   données   pour   les   analyses   qui   suivent   s’est   effectuée   de   façon   dichotomisée.   Pour   des   raisons de traitement statistique, nous avons divisé les catégories de réponse entre voter « toujours »,   d’une   part,   et,   d’autre   part,   « la plupart du temps ; parfois ; jamais » si on supprimait le vote obligatoire. Cela ne nous laisse plus que deux catégories opposables et facilement interprétables. Nous traiterons essentiellement du cas des Wallons. En ce qui concerne le profil sociodémographique des Belges qui déclarent toujours aller voter si  le  vote  n’était  plus  obligatoire,  certaines  différences   non négligeables sont à remarquer. Outre le fait que les hommes auraient légèrement plus tendance que les femmes à toujours se rendre aux urnes, l’âge  a  une  influence  significative  sur  ce  comportement. Les catégories les plus jeunes de la population belge ainsi que spécifiquement wallonne sont celles qui se rendraient toujours aux urnes (plus de 51 % des jeunes wallons de 18 à 24 ans), alors que ce comportement électoral décroît rapidement   avec   l’âge : ils ne sont plus que 46,8 % pour les 25-34 ans, 46,9 %   pour   la   classe   d’âge   des   35-44 ans et seulement 42,9 % pour les 45-54 ans. Les catégories les plus âgées de la population se stabilisent autour des 42 %. De manière notable, cette hypothèse irait à l’encontre   des observations relevées dans la littérature scientifique dédicacée aux abstentionnistes. On y relève en effet un abstentionnisme exceptionnellement élevé parmi les jeunes. 59 DE WINTER L., DUMONT P., ACKAERT J., dans FROGNIER A.-P., AISH A.-M., 2003. 110 Elections : le reflux ? Tableau 4 : Pourcentage des électeurs qui iraient toujours voter (par classe d’âge, en 2003) 18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65 et plus Total Belgique 44,80% 43,00% 40,80% 38,30% 40,00% 37,20% N 103 161 173 148 120 166 871 Wallonie 51,20% 46,80% 46,90% 42,90% 42,20% 43,20% N 43 59 68 60 43 67 340 Pondéré par âge, sexe et éducation Le  rapport  à  l’activité  professionnelle  est  aussi  une  variable  qui  influence   fortement  sur  le  comportement  face  à  l’obligation  de  vote.  La  proportion   des  individus  ayant  un   emploi  rémunéré  affirmant   qu’ils   iraient   toujours voter est sensiblement supérieure à celle des inactifs professionnels – chômeurs, pensionnés, étudiants, invalides. Mais   le   type   d’emploi   est   aussi   déterminant.   La   catégorie   socioprofessionnelle qui exercerait le plus son droit de vote est celle des cadres et des dirigeants wallons : 59 %   d’entre   eux   se   rendraient   systématiquement aux urnes. A contrario, un peu plus de 30 % des travailleurs   non   qualifiés   iraient   encore   dans   l’isoloir   si   le   vote   était   obligatoire. Entre ces deux extrêmes, se situent les indépendants (41,1 %), les travailleurs qualifiés (41,7 %) et les employés (35,7 %). Tableau 5 : Pourcentage des électeurs qui iraient toujours voter (par profession, en 2003) Cadres – Dirigeants Employés Indépendants Travailleurs qualifiés Travailleurs non qualifiés Sans réponse Total Belgique 52,20% 35,20% 40,10% 39,20% 27,70% 34,20% N 329 116 61 62 89 90 747 Wallonie 59,00% 35,70% 41,10% 41,70% 30,80% 46,60% N 128 41 23 25 28 41 286 Pondéré par âge, sexe et éducation Qu’en  est-il de la relation au placement subjectif dans une classe sociale déterminée ? En la matière, nous observons de sensibles différences. Les individus wallons se situant dans une classe sociale moyenne supérieure ou dans une classe supérieure (respectivement 58,1 % et 51,6 %) Le vote obligatoire 111 annoncent beaucoup plus une propension au vote systématique que ceux qui estiment appartenir aux classes moyennes inférieures ou ouvrière (respectivement 41,7 % et 36,5 %). Tableau 6 : Pourcentage des électeurs qui iraient toujours voter (par classe sociale subjective, en 2003) Classe ouvrière Classe moyenne inférieure Classe moyenne supérieure Classe supérieure Ne sait pas Total Belgique 28,30% 42,70% 52,70% 47,50% 45,50% N 226 283 309 28 25 971 Wallonie 36,50% 41,70% 58,10% 51,60% 59,10% N 104 85 122 16 13 340 Pondéré par âge, sexe et éducation Ces   différences   significatives   dans   les   domaines   de   l’emploi   et   de   la   classe sociale pourraient-elle être expliquées par le niveau de capital scolaire ? Cette relation avec le comportement de vote est conséquente et paraît même linéaire. Seuls 29,7 %  des  électeurs  wallons  qui  n’ont  jamais   dépassé les études primaires iraient toujours voter. Ils seraient 40,1 % parmi ceux qui ont atteint le secondaire inférieur et 45,8 % parmi ceux qui ont terminé leurs secondaires. Parmi les répondants à fort capital scolaire, le   total   s’élève : 55,9 % des répondants ayant effectué des études supérieures non universitaires et 74,2 % des universitaires iraient systématiquement voter. Les chiffres sont révélateurs : près de trois quarts des universitaires se révèleraient être des participationnistes systématiques pour   moins   d’un   tiers   des   répondants   wallons   n’ayant   pas   dépassé   les   études primaires. 112 Elections : le reflux ? Tableau 7 : Pourcentage des électeurs qui iraient toujours voter (par niveau de capital scolaire, en 2003) Primaire Secondaire inférieur Secondaire supérieur Supérieur Universitaire Total Belgique 24,80% 34,60% 41,70% 52,80% 66,50% N 121 149 295 189 117 871 Wallonie 29,70% 40,10% 45,80% 55,90% 74,20% N 47 65 115 66 46 339 Pondéré par âge, sexe et éducation Le rapport à la religion semble avoir un effet sur le comportement électoral. La fréquence de la pratique religieuse, dans le chef des répondants affirmant appartenir au catholicisme ou au christianisme, est statistiquement liée au fait que le répondant irait toujours voter. Les pratiquants réguliers wallons seraient plus nombreux (61,2 %) que les pratiquants occasionnels (37,4 %) à annoncer un vote systématique. Les tenant   d’une   autre   religion   ne   semblent   pas   révéler   de   comportement différent des chrétiens. Enfin, remarquons que 51,9 % des libres penseurs wallons se rendraient toujours aux urnes tandis que les athées ne seraient que 40,4 % à être des participationnistes structurels. Le vote obligatoire 113 Tableau 8 : Pourcentage des électeurs qui iraient toujours voter (par croyance religieuse, en 2003) Sans religion Libre penseur Autre religion Catholique (ou chrétien) marginal Catholique (ou chrétien) irrégulier Catholique (ou chrétien) pratiquant Sans réponse Total Belgique 43,60% 52,90% 43,50% 33,10% 43,30% 47,60% 12,50% N 123 101 50 301 174 121 1 871 Wallonie 40,40% 51,90% 47,60% 37,40% 51,10% 61,20% N 46 42 20 110 68 52 338 Pondéré par âge, sexe et éducation L’autopositionnement   des   répondants   sur   un   axe   gauche-droite présente un schéma particulier et extrêmement variable si le répondant déclare se situer plutôt à gauche, au centre ou plutôt à droite. Sa représentation graphique  en  forme  de  ‘M’  témoigne  qu’il  y  a  peu  de  différence  flagrante   sur   cette   question   de   l’obligation   de vote entre ceux qui se classent à gauche et ceux qui se situent à droite. Par ailleurs, les catégories de la population qui se positionnement exactement au centre de cet axe sont celles  qui  iraient  le  moins  souvent  voter  si  le  vote  n’était  plus  obligatoire en  Belgique.  A  l’opposé,  les  individus  se  situant  clairement  à  gauche  (aux   alentours du chiffre « 2 ») ou clairement à droite (aux environs du chiffre « 9 ») seraient les plus participationnistes. Plus globalement, on pourrait supposer que les électeurs qui parviennent à se placer sur cet axe sont ceux qui perçoivent la différence idéologique entre la gauche et la droite ainsi   que   l’utilité,   en   cette   matière,   des   élections   et   de   l’importance   du   vote. 114 Elections : le reflux ? Graphique 1 : Pourcentage des électeurs belges qui iraient toujours voter (autopositionnement gauche-droite, en 2003) Pondéré par âge, sexe et éducation Le graphique wallon (Graphique 2) témoigne de niveaux de participation potentielle   supérieurs,   tant   à   gauche   qu’à   droite,   tout   en   obéissant   à   la   même structure générale que celle de la figure précédente. Le vote obligatoire 115 Graphique 2 : Pourcentage des électeurs wallons qui iraient toujours voter (autopositionnement gauche-droite, en 2003) Pondéré par âge, sexe et éducation Si   l’on   croise   le   comportement   en   cas   de   suppression   de   l’obligation   de   vote avec une variable de connaissance politique, les chiffres sont éclairants. La connaissance politique est évaluée à partir de cinq questions de « connaissance générale » sur la politique (allant de la politique locale à la politique étrangère). Les résultats se donnent à voir sur une échelle allant de 0 à 5 (0 = aucune bonne réponse et 5 signifiant cinq bonnes réponses). 83,3 % des répondants wallons qui ont un maximum de bonnes réponses continueraient à toujours aller voter, alors que 56,1 % de ceux qui ont quatre bonnes réponses sur cinq adopteraient le même comportement. On note une nette tendance à la baisse de participation électorale en fonction du degré de connaissance politique : moins un citoyen connaît la politique, moins il ira systématiquement voter. Pour preuve,   parmi   les   Wallons   qui   n’ont   trouvé   aucune   bonne   réponse   aux   cinq   questions   posées,   on   ne   recense   que   31,1%   d’entre   eux   qui   se   rendraient toujours aux urnes. 116 Elections : le reflux ? Tableau 9 : Pourcentage des électeurs qui iraient toujours voter (par bonne réponse en matière de connaissance politique, en 2003) 5 4 Belgique 70,90% 52,80% N 39 102 Wallonie 83,30% 56,10% N 10 23 3 2 1 48,90% 41,70% 32,60% 209 292 174 57,00% 48,30% 36,80% 81 116 68 0 Total 21,90% 55 871 31,10% 41 339 Pondéré par âge, sexe et éducation Pour   résumer,   la   suppression   de   l’obligation   de   vote   aurait   un   impact   considérable sur la frange particulièrement fragile de la population, singulièrement en termes socioéconomiques. Certaines catégories de la population déserteraient les isoloirs : les sans-emplois, les citoyens à faible capital scolaire, les travailleurs non-qualifiés ou encore ceux s’estimant  appartenir  à  la  classe  ouvrière. Suppression de l’obligation  de  vote et résultats électoraux Quels pourraient   être   les   effets   de   la   suppression   de   l’obligation   de   vote   sur les rapports de force électoraux et politiques ? Au sud de la frontière linguistique, le paysage politique est assez dispersé sur   le   comportement   relatif   à   l’éventualité   de   supprimer   le vote obligatoire. De manière générale, les électorats de tous les partis enregistrent un déclin des participationnistes structurels comparé aux données de 1999. Mis à part ECOLO, les trois partis dits « traditionnels » voient une part significative de leur électorat affirmer ne plus vouloir toujours voter. En 2003, près de 55,1 %   des   électeurs   d’ECOLO   et   du   CDH   affirment   qu’ils   continueraient   à   aller   voter   systématiquement,   tandis que seuls 42,8 % des électeurs socialistes feraient de même. Les électeurs MR (52,2 %) se situent entre ces deux pôles. Sur cette base, on pourrait   imaginer   que   le   PS   a   le   plus   à   perdre   d’une   réforme   alors   que   ECOLO et le CDH, y auraient le plus à gagner. Cette interprétation rapide doit être nuancée. Le même travail mené en 1999 conduisait à des résultats  différents.  ECOLO  semblait  alors  avoir  le  plus  à  perdre.  Il  s’agit   bien sûr de voir les « termes » de chaque élection pour saisir certaines Le vote obligatoire 117 évolutions. En 1999, le PS était un perdant du scrutin et ECOLO le principal gagnant. En 2003,   c’était   l’inverse.   On   ne   s’adresse   donc   pas   nécessairement  aux  mêmes  électeurs.  Ceux  d’ECOLO  en  2003  constituent   le   socle   fidèle   du   parti.   Leur   profil   n’est   pas   identique   aux   électeurs   volatils. Tableau 10 : Electeurs wallons déclarant qu’ils iraient toujours voter (par parti) PS MR CDH ECOLO Total 2003 42,50% 51,80% 56,90% 56,10% N 88 73 62 37 260 1999 58,10% 59,80% 71,00% 54,10% N 180 171 115 131 597 Evolution - 15,6 points - 8,0 points - 14,1 points + 2,0 points Pondéré par âge, sexe et éducation Par  ailleurs,  si  l’on  procède  à  la  somme  des  voix  des  petits  partis  (Vivant,   RESIST, du Front National, du PTB-UA et des « autres partis ») (N=29) dans  l’échantillon  belge  pris  ici  comme  référence  pour  obtenir  un  nombre   de cas suffisant, ils n’apparaissent  pas  comme  les  perdants  potentiels  de  la   suppression   de   l’obligation   de   vote.   En   effet,   48,3 % des répondants déclarent   qu’ils  continueraient  à  toujours   voter.  Ce  chiffre   est  quasiment   identique à celui de la moyenne des autres partis, signifiant que, en votant pour   ces   petits   partis,   les   électeurs   n’émettent   pas   nécessairement   un   « vote de protestation »   parce   qu’ils   sont   obligés   d’aller   voter.   Le   vote   obligatoire en Belgique ne peut donc pas être considéré comme une règle qui  favorise  l’émergence de nouveaux partis sur la scène politique. Enfin,   si   l’on   agrège,   pour   l’année   2003,   les   catégories   « vote blanc », « vote nul » et « ne   s’est   pas   rendu   aux   urnes », nous obtenons un échantillon de 174 individus (8,4 %  des  électeurs  de  l’échantillon). Parmi tous ces non-votants et ces bulletins nuls ou blancs, seuls 17,2 % des sondés  déclarent  qu’ils  iraient  toujours  voter.  Ce  sont  principalement  ceux   qui ont voté blanc et nul qui sont ceux qui se rendraient le moins souvent aux   urnes   si   le   vote   n’était plus obligatoire. Ils seraient respectivement 8,9 % et 5,6 % à participer systématiquement aux élections. En ce qui les concerne, 28,7 %  des  électeurs  qui  n’ont  pas  voté  en  2003  continueraient   toujours à aller voter lors des futures élections nationales. Cette donnée atteste   qu’une   facette   du   vote   de   protestation   en   Belgique   s’exprime   par   un plus grand nombre de bulletins blancs ou non valables que la moyenne européenne. 118 Elections : le reflux ? Confiance et représentativité du Parlement Lorsque  l’on  pose  la  question  « Pensez-vous que les attentes des électeurs sont très bien, assez bien, pas bien ou pas du tout représentées par les élus ? », les résultats sont fortement liés au fait de se rendre aux urnes dans   l’hypothèse   où   le   vote   ne   serait   plus   obligatoire.   54,3 % des répondants wallons qui estiment être bien représentés par les élus continueraient à toujours aller voter, tandis que les individus les plus désabusés par rapport au processus électoral et au principe de la représentation,   c’est-à-dire ceux qui estiment ne pas du tout être représentés  par  ceux  qui  siègent  au  parlement,  ne  sont  qu’un  peu  plus  du   quart (25,6 %) à affirmer leur volonté de voter à chaque élection. En d’autres   mots,   si   l’on   estime   être   bien   représenté   lors   des   élections,   on   aura plus tendance à continuer à aller voter systématiquement. Tableau 11 : Pourcentage des électeurs qui iraient toujours voter (par représentativité des électeurs, en 2003) Belgique Très bien Assez bien Pas bien Pas du tout Ne sait pas Total N 63,60% 46,80% 36,60% 23,60% 23,20% Wallonie 42 532 203 34 60 871 N 54,30% 51,40% 41,80% 25,60% 33,00% 19 197 74 11 37 338 Pondéré par âge, sexe et éducation Interrogés sur la question de savoir si leur vote peut faire la différence, ou l’inverse,   les   résultats   observés   sont   parallèles avec les réponses à la question   précédente.   Plus   l’individu   est   persuadé   que   son   vote   aura   une   influence   ou,   à   tout   le   moins,   qu’il   permet   de   faire   une   quelconque   différence, plus il aura tendance à toujours aller voter. A contrario, seuls 23,7 % des gens qui estiment que leur vote ne changera rien se rendraient toujours aux urnes. Le vote obligatoire 119 Tableau 12 : Pourcentage des électeurs qui iraient toujours voter (par importance du vote, en 2003) Voter ne changera rien (1) -2 -3 -4 Voter fait une différence (5) Ne sait pas / Non réponse Total Belgique 20,60% 28,30% 37,70% 49,90% 55,20% 23,60% N 51 88 211 336 170 15 871 Wallonie 23,70% 33,30% 43,20% 59,40% 60,80% 36,40% N 27 36 92 98 76 8 337 Pondéré par âge, sexe et éducation Enfin, la question de la confiance dans le Parlement et dans les partis politiques  s’avèrerait  aussi   déterminante   dans  le  comportement   électoral,   dès lors que le vote ne serait plus obligatoire. Près de deux tiers des citoyens wallons qui font confiance au Parlement (66,4 %) et / ou aux partis politiques (60,4 %)  affirment  qu’ils  voteraient  toujours.  A  l’inverse,   ceux qui font le moins confiance en ces institutions seraient peu nombreux à se rendre aux urnes (27,2 % pour ceux qui se méfient fortement du parlement et 25,5 % pour ceux qui n’ont   aucune   confiance   en   les   partis   politiques). Au final, les personnes qui font confiance au Parlement, qui estiment être bien représentées et dont le vote a une quelconque influence sont ceux qui, par définition, ont le plus tendance à toujours aller voter dans   l’hypothèse   de   la   suppression   du   caractère   obligatoire   du   vote.   La   méfiance par rapport aux institutions (Parlement ou partis politiques), le fait  de  croire  que  son  vote  ne  changera  rien  ou  que  l’on  est  mal  représenté   sont   autant   d’éléments   qui   contribuent à éloigner le citoyen des bureaux de vote. 120 Elections : le reflux ? Tableau 13 : Electeurs qui iraient toujours voter, en fonction de leur confiance dans le Parlement (%, en 2003) Beaucoup de confiance Confiance Ni confiance ni méfiance Méfiance Beaucoup de méfiance Ne sait pas Total Belgique 61,1% 64,6% 41,8% N 11 254 387 Wallonie 42,9% 66,4% 47,3% N 3 99 155 29,2% 19,3% 23,4% 169 38 11 870 32,5% 27,2% 33,3% 54 22 6 339 Pondéré par âge, sexe et éducation Tableau 14 : Electeurs qui iraient toujours voter, en fonction de leur confiance dans les partis politiques (%, en 2003) Partis politiques Beaucoup de confiance Confiance Ni confiance ni méfiance Méfiance Beaucoup de méfiance Ne sait pas Total Belgique 87,5% 63,8% 45,6% N 7 150 419 Wallonie 80,0% 60,4% 50,8% N 4 61 152 34,4% 19,2% 9,7% 242 51 3 872 40,8% 25,5% 22,2% 93 28 2 340 Pondéré par âge, sexe et éducation Conclusion Avec le Grand-Duché de Luxembourg, la Grèce et Chypre, la Belgique est l’un   des  rares  Etats  européens  à  pratiquer  le  principe   du   vote obligatoire pour tous les scrutins qui y sont organisés : élections communales, provinciales, régionales, fédérales et européennes. Cette obligation a permis de conserver des taux de participation très élevés alors même que la participation électorale s’est  largement  érodée  dans  de  nombreux  Etats   européens ces trois dernières décennies. L’obligation   de   vote   est  très  ancienne  puisqu’elle  a  été  adoptée   en  1893,   en  même  temps  qu’était  établi  le  suffrage  universel  masculin,  tempéré  par   le vote plural. Pendant  près   d’un  siècle,  cette   obligation   n’a  soulevé   que   peu  d’interrogations  ou  de  mises  en  cause.  Durant  les  années  quatre-vingts et plus encore nonante, elle a, au contraire, été dénoncée par un certain Le vote obligatoire 121 nombre de formations politiques, au premier rang desquelles le VLD. Cette interpellation a généré un débat politique et social, certes confiné mais nouveau. Dans  ce  contexte,  il  était  intéressant  d’évaluer  l’opinion  des  Belges  et  de   les   tester   à   l’idée   d’une   suppression   du   vote   obligatoire.   D’une   manière   générale,   nous   l’avons   développé,   la   volonté   de   rester   un   électeur   inconditionnel   s’est   érodée   entre   1999   et   2003.   Le   nombre   de   participationnistes structurels a singulièrement diminué. Il est bien sûr difficile de jauger une éventualité. Mais il semble que la prise de distance voire   l’expression   de   défiance   envers   le   système   politique   s’est   donc   quelque peu approfondie. Si   l’on   décline   les   résultats   par   catégorie   sociodémographique,   il   est   intéressant de noter que les résultats sont conformes aux attentes compte tenu   des   observations   réalisées   dans   d’autres   Etats   européens.   Si   l’obligation   de   vote   était   levée,   toutes   choses   égales   par   ailleurs,   les   catégories aux positions sociales les plus fragiles ou au capital social et scolaire les plus faibles seraient beaucoup  plus  enclines  à  l’abstention  que   les catégories supérieures et les fortement diplômés. De même, les moins intéressés par la chose publique ou les plus défiants dans le système représentatif seraient de faibles participationnistes. Une observation de l’enquête   de   2003   surprend   néanmoins   en   comparaison   d’autres   configurations nationales : les jeunes seraient des participationnistes relativement assidus. Cette donnée ne serait pas en phase avec les observations recueillies lors des élections dans des pays   où   le   vote   n’est pas obligatoire. Au contraire, les 18-24 ans sont généralement le groupe le plus   abstentionniste,   même   si   à   l’intérieur   de   ce   groupe   une   ligne   de   démarcation forte existe en fonction du niveau de diplôme. Bibliographie ANDOLFATTO D., « Quand   les   abstentionnistes   s’expriment », Revue politique et parlementaire, n° 960, 1992. BERGOUNIOUX A., MANIN B., La social-démocratie ou le compromis, Paris, Presses Universitaires de France, 1979. DELWIT P., Les  partis  socialistes  et  l’intégration  européenne, Bruxelles, Editions  de  l’Université  de  Bruxelles,  1994. 122 Elections : le reflux ? BIRCH S., WATT B., « Remote Electronic Voting: Free, Fair rand Secret? », The Political Quarterly, n° 1, 2004. BLAIS A., CARTY R. K., « Does proportional representation foster voter turnout ? », European Journal of Political Research, n° 2, 1990. 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