Review
Reviewed Work(s): Language, sense and nonsense by G. P. Baker and P. M. S. Hacker
Review by: Pascal Engel
Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 175, No. 1, ILLUSION ET
VÉRITÊ (JANVIER-MARS 1985), pp. 46-49
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41093794
Accessed: 24-03-2024 17:59 +00:00
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Revue
philosophique
ce que dit W., c'est qu'il y a différen
variété de jeux de langage. Le « jeu
fication » n'est qu'un jeu parmi d'au
règle n'est en rien dans un état d'ig
ou non de son activité : il est certa
S'il additionne 2 et 2, il fait simplem
(p. 85). Le soi-disant sceptique de K
ce qui est en fait une relation « int
W., recouvre l'idée d'une entité dont il est inconcevable qu'elle puisse
exister indépendamment d'une autre entité donnée. C'est un lien « grammatical » au sens particulier que W. donne à ce terme. Le sceptique présuppose la possibilité de séparer la saisie d'une règle de la connaissance de
son application, ce qui est impossible puisque ces deux choses ont entre
elles une relation interne. De même il y en a une entre un acte intentionnel
et une règle : ce n'est pas une relation entre une hypothèse explicative et
un événement à expliquer. Enfin le sceptique quant aux règles déforme
la relation entre les actes et les règles en traitant le fait d'agir en accord
avec une règle comme le produit de la compréhension d'une hypothèse
inductive probable (p. 104). A chaque fois on veut introduire un intermédiaire entre la règle et son application, alors que c'est tout un. En tant qu'elle
recouvre la nature du comportement normatif, la notion de règle conditionne
la différence entre les Naturwissenschaften et les Geistwissenschaften, mais
aussi elle est au cœur de la thèse wittgensteinienne del' «harmonie entre le
langage et la réalité », qu'analysent H. et B. dans un dernier chapitre.
Ce que ne comprennent ni le sceptique quant aux significations ni ceux
qui entreprennent une sémantique pour les langues naturelles est que cette
harmonie est première par rapport aux questions de doute et de certitude.
Cela n'a pas de sens de vouloir, comme les logiciens et les linguistes, analyser
ces relations, relier les expressions à des entités du monde, actuelles ou
possibles. L'harmonie entre le langage et le monde est pour ainsi dire
préétablie. Tout est en ordre dans les relations entre pensée et langage,
entre langage et réalité.
Cette critique rejoint celle que H. et B. font par ailleurs des théories de
la signification et de la sémantique (cf. Language sense and nonsense, dont
j'ai rendu compte ici même). H. et B. font preuve d'une connaissance
infaillible des textes difficiles et souvent ambigus de W. Je ne suis pas totalement sûr qu'il ne chargent pas Kripke aux fins de la polémique, mais leur
interprétation est profonde et souvent éclairante. L'exégèse de W. a, en
partie grâce à eux, fait de gros progrès ces dernières années. L'idéal de
l'interprète d'une pensée n'est-il pas de permettre aux lecteurs de juger
eux-mêmes des vraies ombres au tableau, et de dissiper les fausses ? J'espère
seulement que quand on aura mieux compris Wittgenstein, on sera en
état de le critiquer.
Pascal Engel.
G. P. Baker et P. M. S. Hacker, Language, sense and nonsense, Oxfor
Blackwell, 1984, 397 p., £ 22,50.
Hacker et Baker sont devenus en quelques années, en particulier a
un monumental commentaire analytique des Investigations philosophi
(Wittgenstein, understanding and meaning, vol. 1, Oxford, Blackwell,
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Analyses el comptes rendus 47
vol. 2 annoncé) les dépositaires de la sagesse wit
Manche. Avec cet ouvrage, ils passent aux trava
prenant de démystifier les théories contempora
grammaire, de la signification, qu'elles prennent le nom de « sémantique logique », de « grammaire generative » ou de « logique philosophique ».
Ces entreprises, dans lesquelles se reconnaissent nombre de philosophes
anglo-saxons contemporains, sont, selon H. et B., de pures illusions, des
châteaux de cartes qui ne résistent pas à un sain exercice de clarification
conceptuelle, un Übersicht wittgensteinien. La couverture de la jaquette
donne le ton : c'est un tableau de Laurent de la Hire représentant la Grammaire en train d'arroser de maigres fleurs.
Selon H. et B., les philosophes contemporains du langage et les linguistes
entretiennent l'idéal d'une théorie de la signification qui expliquerait
totalement le fonctionnement du sens dans les langues naturelles et l'aptitude qu'ont les locuteurs à comprendre leur langage. Ils en retracent les
origines, depuis les essais de caractéristique universelle du xvne siècle
jusqu'aux œuvres de Frege et de Wittgenstein, dont le Tractatus aurait
posé les jalons des erreurs actuelles : la croyance en la fonction essentiellement depictive du langage, le mythe d'une « forme logique » sous-jacente
aux phrases du langage ordinaire, l'idée de connaissance tacite de la
langue, etc. Le seul défaut des théoriciens contemporains est, à la différence de W. qui reconnut ses erreurs, de ne pas être sortis de leur sommeil
dogmatique.
Plus précisément, H. et B. s'attaquent à ce que l'on appelle couramment
la conception « vériconditionnelle » de la sémantique, selon laquelle la
signification d'une phrase est donnée par ses conditions de vérité. Davidson
en est le principal représentant. Une telle théorie est entendue au sens
logique du terme, comme un ensemble fini d'axiomes (les termes primitifs)
et de principes (la spécification de règles de formation syntaxiques). On
montre ainsi comment la signification d'une phrase dépend de sa structure,
à la manière dont sont spécifiées les significations dans des langues
formelles. Pour Davidson, le paradigme de Tarski « S est vrai si et seulement si p » est applicable aux langues naturelles, moyennant certaines
conditions empiriques. Pour d'autres auteurs, comme Dummett, les conditions de vérité sont des conditions de vérification, à la manière de la logique
intuitionniste, qui assimile vérité et démon trabili té. Pour Chomsky et ses
disciples, une théorie de la signification consiste en la spécification d'une
classe de grammaires generatives (mais le statut de la sémantique pose
des problèmes délicats, qui ont reçu des solutions diverses depuis les
théories initiales). Pour les possible- worlders, on définit les conditions de
vérité par rapport à des modèles ou mondes possibles dans le cadre de
logiques intentionnelles modales, temporelles, etc. H. et B. veulent ignorer
les différences entre ces théories, pour ne considérer que leurs principes
communs, qui reposent tous selon eux sur des confusions grossières et des
images fallacieuses.
La première consiste dans la distinction entre le sens d'une phrase et
sa force, reprise de Frege. Le premier est un porteur de valeur de vérité
(type plutôt que token). La seconde recouvre la modalité de l'assertion,
de la demande, de la question. Les philosophes analytiques depuis Austin
parlent de « force illocutionnaire », et on distingue le contenu proposi tionnel,
susceptible d'être vrai ou faux, de l'opérateur ou marqueur de force. H.
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et B. montrent comment la distinction entre sens et force est essentielle
à l'entreprise de la sémantique vériconditionnelle sous ses formes
variées, et comment elle est, selon eux, coupable de ce qu' Austin appelait
la descriptive fallacy : il est incohérent de proposer, pour chaque phrase,
un « noyau indicatif » totalement dépourvu de force, parce que seule une
expression susceptible d'être utilisée pour dire quelque chose peut exprimer
une proposition : une paraphrase « indicative » plus un marqueur de force
n'a pas d'usage dans le langage, et est donc un non-sens. Pour H. et
B., suivant en cela Wittgenstein, la signification d'une phrase ne peut pas
être donnée par des conditions de vérité nécessaires et suffisantes, mais
dépend des circonstances de son utilisation. Aussi les explications de signification que nous donnons (par « ... » j'ai voulu dire que...) sont-elles des
instructions d'usage, et non pas des explications ultimes. Le sens prend
soin de lui-même, il est en bon ordre dans la Sémantique de M. Toutlemonde.
Autant dire qu'il n'est pas possible d'analyser la structure du sens, et que
c'est le programme tout entier d'une philosophie analytique de la signification qui est contesté (p. 135-136).
L'autre dogme de la sémantique logique est la « vériconditionnalité ».
Cette idée, expliquent H. et B., a bien un sens dans les calculs logiques, mais
vouloir l'appliquer aux langues naturelles est un mythe. On « essentialise »
la forme logique des phrases, comme si elle était unique (c'est là un dogme
hérité du Tractatus, selon H. et B.). Mais le symbolisme en lui-même
n'explique rien : il demande à être expliqué. Le locuteur n'a pas besoin de
« conditions de vérité » pour comprendre en quoi une phrase est vraie. Les
phrases-T de Tarski sont triviales, et le modèle tarskien ne résiste pas au
phénomène de la dépendance contextuelle. On ne peut expliquer le sens.
La seconde partie de l'ouvrage entreprend de détruire le mythe fonda-
mental de la sémantique logique : l'idée qu'un langage est un calcul de
règles, et que la compétence sémantique repose sur la maîtrise implicite
de ces règles. Ici H. et B. font usage de la critique du concept de règle
par Wittgenstein (cf. leur ouvrage Scepticism, rules and language). Les
principales illusions sont les suivantes : a) Comprendre un langage, c'est
posséder une compétence grammaticale de règles « réalisées » dans la psychologie du sujet parlant (Chomsky) ; b) Ces règles ont un pouvoir causal
et mécanique dans le processus de compréhension du langage ; et c) Certains auteurs (Katz) qui veulent éviter un tel « psychologisme » proposent
un retour à la conception frégéenne de règles hypostasiées comme entités
abstraites. Mais, expliquent H. et B., comprendre n'est pas un état ou un
processus mental, c'est une certaine aptitude ; comprendre n'est pas un
processus causal, c'est une capacité normative actuelle ; les règles ne sont
pas des entités platoniciennes. L'illusion suprême consiste à faire de la
connaissance du langage une connaissance tacite ou inconsciente. Mais
il n'y a rien d'inconscient dans notre connaissance des significations :
connaître le sens d'une expression, ce n'est pas autre chose qu'être capable
d'en fournir l'usage. Posséder une règle est une pratique normative, et
il est de l'essence d'une telle pratique de n'avoir rien de privé, de ne correspondre à aucun état mental introspectif ou neurologique. Comprendre
est une activité publique ou sociale.
Le grand mérite de l'ouvrage est dans cette tentative pour mettre
en cause le projet même d'une théorie de la signification. Il contient de
nombreuses critiques intéressantes, souvent pertinentes d'une tradition
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Analyses et comptes rendus 49
qui a ses dogmes. H. et B, prétendent qu'au te
est nu. Je n'en suis pas totalement sûr. Le souci l
les ressemblances entre les théories considérées
simplifications contestables. Ainsi il est faux qu
sémantique logique soit la séparation de la syn
(p. 115). La sémantique generative et la gramma
preuve du contraire. Il est faux que les logiciens-l
la « forme logique ». On a envisagé de nombreux
(substitutionnelle, ramifiée, généralisée), et si d
et Davidson tendent à défendre la quantification
c'est pour des raisons philosophiques précises, sa
paraphrase canonique comme un absolu formel.
coup de temps, avec raison, à critiquer le progr
ils le ridiculisent à bon compte. Il est vrai que le
viduellement sont triviales, mais D. insiste sur le
d'une théorie de la vérité pour les langues natur
un cadre « holistique « : c'est la récurrence des é
de phrases qui est instructive. Il est exact que la connaissance d'une
théorie recursive de la vérité ne peut en soi constituer l'explication de la
maîtrise linguistique des locuteurs, mais D. l'admet aussi, et formule une
théorie de Y interprétation, dont H. et B. font bon marché. Ils objectent à la
conception de la vérité comme posit théorique, et voient dans cette idée
l'influence pernicieuse du modèle d'explication en sciences de la nature
(le « style galiléen » de Chomsky) transposé illégitimement aux sciences de
l'homme. Mais il n'est pas sûr que chez D. ce modèle soit incompatible avec
l'idée d'une précompréhension du sens, plus ou moins proche d'une conception « herméneutique ». N'est-il pas possible de soutenir la thèse « minimaliste » que la connaissance d'une théorie axiomatisée représente une partie
de la compétence du locuteur ? Je ne vois pas en quoi, en ce sens, l'idée
de « savoir implicite » est réellement contestable. Pace les remarques
p. 360 s. (sur Dummett), l'idée que la théorie de la signification puisse être
la « représentation théorique d'une aptitude pratique » ne me paraît pas
aussi absurde que H. et B. ne le prétendent. Comprendre un langage est
sans doute une aptitude « ouverte » (open-ended), et l'insistance sur le
caractère normatif de « suivre une règle » est correcte. Mais ne fait-on pas
porter un poids trop lourd à cette même notion ? H. et B. postulent qu'il
est essentiel à la compréhension d'un langage qu'on suive des règles et
qu'on obéisse à des conventions. Mais n'est-ce pas un dogme aussi fort que
ceux qui sont critiqués ? On peut très bien admettre avec H. et B. (et
Wittgenstein) que suivre une règle n'est pas un pouvoir causal, que le
lien entre la règle et son application est « interne ». Mais la conception
wittgensteinienne ne fait-elle pas une part trop grande au normatif ? On
notera seulement que des auteurs comme Davidson voient avec suspicion
l'usage de notions comme celle de convention et de règle dans une
théorie de la signification. Mais ils n'en tirent pas pour autant la conclusion
que la tâche est impossible. N'y a-t-il pas quelque dogmatisme à soutenir
cette dernière conclusion parce que l'entreprise d'une sémantique violerait
les limites du sens et de la « grammaire » selon Wittgenstein ? Ce dernier
ne disait-il pas lui-même qu'il y a du charme dans la destruction du préjugé ?
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