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Vacances au bled de descendants d'immigrés algériens. Trajectoires, pratiques, appartenances.

Cette thèse de sociologie et d'anthropologie propose d'étudier les liens matériels entretenus par des descendants d'immigrés avec le pays natal des parents à travers une pratique apparemment mineure : les séjours de vacances passées au « bled » - en l'occurrence l'Algérie. Ce travail interroge les enjeux d'appartenances qu'impliquent ces séjours vacanciers en les rapportant aux trajectoires et aux caractéristiques sociales des personnes rencontrées (classe sociale, sexe, âge et génération, situation familiale). Les appartenances ne sont pas appréhendées ici à travers des pratiques symboliques (comme la pratique de la langue du pays d'origine ou la religion des parents) ou par le biais de déclarations, mais à travers la description et l'analyse de pratiques matérielles mises en œuvre à l'occasion de ces séjours de vacances. Il apparaît alors que ces pratiques sont révélatrices de modes variés de relation aux « origines », entre pratiques mémorielles d'inscription dans une lignée familiale et/ou une histoire nationale, et entretien au présent de sociabilités familiales ou amicales à travers des pratiques de loisir partagées. La recherche s'appuie principalement sur une enquête qualitative menée à la fois en France (dans la région lyonnaise) et en Algérie (particulièrement dans la région de Sétif, première région d'émigration représentée à Lyon), réunissant des entretiens ethnographiques et des observations in situ des pratiques et des relations de vacances. Elle propose de combiner une ethnographie des pratiques présentes avec une perspective longitudinale sur l'évolution de ces pratiques, appréhendée du point de vue des individus et de leur famille, et du point de vue de l'Etat algérien.

Université Louis Lumière Lyon 2 Ecole Doctorale Sciences Sociales Faculté de Sociologie et d’Anthropologie Département de Sociologie Centre Max Weber (UMR 5283) Vacances au bled de descendants d’immigrés algériens Trajectoires, pratiques, appartenances Thèse de doctorat de Sociologie et d’Anthropologie Présentée et soutenue publiquement le 9 décembre 2013 par Jennifer BIDET Sous la direction de Jean-Yves Authier Composition du jury Jean-Yves AUTHIER Professeur de Sociologie, Université Lyon 2 Stéphane BEAUD Professeur de Sociologie, ENS Paris Jean-Hugues DECHAUX Professeur de Sociologie, Université Lyon 2 Anne GOTMAN Directrice de recherche au CNRS, Cerlis Abdelhafid HAMMOUCHE Professeur de Sociologie, Université Lille 1 Sylvie MAZZELLA Directrice de recherche au CNRS, Lames INTRODUCTION GENERALE – LES VACANCES AU BLED, UN OBJET POUR RENOUVELER LE REGARD SUR LES DESCENDANTS D’IMMIGRES ? 8 PARTIE I – VACANCES AU BLED ET MYTHE DU RETOUR, ENTRE DISCOURS ETATIQUES ET SOUVENIRS D’ENFANCE 56 Chapitre 1 – Les vacances au bled dans la pensée d’Etat algérienne, d’un préalable au retour des émigrés à la mobilisation de la diaspora 60 I. Les vacances des émigrés comme prélude à la réinsertion : discours et politiques de l’Etat algérien en faveur du retour, de l’indépendance au début des années 1980 65 II. L’émigration dans la politique touristique algérienne : une composante du tourisme national au sein d’une stratégie hésitante 88 III. Les vacances, une manière de maintenir le lien avec la « Communauté Nationale à l’Etranger » ? L’abandon du mythe du retour par l’Etat algérien depuis les années 1980 106 Chapitre 2 – Le retour comme horizon des vacances au bled ? Le « mythe du retour » dans les souvenirs et les trajectoires des descendants d’immigrés 134 I. Les vacances, un préalable au retour ? Retour effectif, projeté et virtuel dans les souvenirs d’enfance des descendants d’immigrés 137 II. « Rentrer » en Algérie pour les congés : souvenirs d’enfance de vacances paradoxales 157 III. L’évolution de l’idée de retour dans la redéfinition des projets migratoires des parents et de leurs enfants 177 PARTIE II – VACANCES COMME LES AUTRES OU « TOURISME DES RACINES » ? TRAJECTOIRES SOCIALES ET TRAJECTOIRES DE VACANCES DE DESCENDANTS D’IMMIGRES Chapitre 3 – Des vacanciers à part…entière : les évolutions socialement situées des pratiques de vacances 205 210 I. Comment les descendants d’immigrés sont devenus touristes ? Une progressive acculturation aux vacances de familles populaires (immigrées) 212 II. Quels touristes sont-ils devenus ? Les déterminants sociaux de la diversification des pratiques de vacances 229 III. Quelles vacances aujourd’hui en Algérie : des séjours à part ou des vacances comme les autres ? 255 Chapitre 4 – Les vacances au bled réinscrites dans les récits biographiques : une « quête identitaire » ? 288 I. La place des vacances algériennes dans les entretiens biographiques : la mise en récit d’une « quête identitaire » 290 II. Les vacances au bled comme lieu de remémoration : pratiques mémorielles et (re)constructions d’origines familiales et territoriales dans les séjours au bled 317 III. Mémoire des origines ou souvenirs de vacances ? Situer la place des pratiques mémorielles dans les vacances au bled 349 PARTIE III – ENTRE FAMILLE ET PLAGE : DES PRATIQUES DE VACANCES REVELATRICES DES RAPPORTS AU BLED 372 Chapitre 5 – Les vacances dans les espaces de la famille : proximités et distances dans des relations familiales à géométrie variable 378 I. Les espaces de la famille : morphologie des maisons du bled, entre rupture et continuité avec le logement de France 380 II. Les vacances en Algérie et la famille proche : la place respective des parents et des conjoints 402 III. Les vacances en Algérie et la famille algérienne : actualisation de liens familiaux transnationaux ou révélation de décalages socio-économiques ? 424 Chapitre 6 – Des vacances au-delà des espaces de la famille : manières d’habiter et sociabilités autour des pratiques de loisir 455 I. Les espaces non familiaux de vacances : espaces géographiques et espaces sociaux du tourisme et des loisirs en Algérie 456 II. 478 Les vacances à la plage : une rupture avec les modes locaux d’habiter ? III. Des vacances entre amis dans les espaces non familiaux : une parenthèse de jeunesse ? 503 CONCLUSION GENERALE 534 BIBLIOGRAPHIE GENERALE 543 ANNEXES 560 LES VACANCES AU BLED DE DESCENDANTS D’IMMIGRES ALGERIENS. APPARTENANCES TRAJECTOIRES, PRATIQUES, Depuis au moins trente ans, les descendants de l’immigration maghrébine sont, en France, l’objet d’interrogations scientifiques et politiques. De la mesure des degrés et rythmes d’intégration à l’identification de pratiques discriminatoires, la sociologie des descendants d’immigrés s’est concentrée sur l’étude des modes de vie et des trajectoires des membres de cette population vue depuis le pays de résidence, également pays de naissance. Pour compléter ces perspectives, ce travail propose d’étudier les liens matériels entretenus avec le pays d’origine des parents à travers une pratique apparemment mineure : les séjours de vacances passées au « bled », dans le pays de naissance de leurs parents – en l’occurrence l’Algérie. Ce travail interroge les enjeux d’appartenances qu’impliquent ces séjours vacanciers en les rapportant aux trajectoires et aux caractéristiques sociales des personnes rencontrées (classe sociale, sexe, âge et génération, situation familiale). Les appartenances ne sont pas appréhendées ici uniquement à travers des pratiques symboliques (comme la pratique de la langue du pays d’origine ou la religion des parents) ou par le biais de déclarations, mais à travers la description et l’analyse de pratiques matérielles mises en œuvre à l’occasion de ces séjours de vacances. Il apparaît alors que ces pratiques sont révélatrices de modes variés de relation aux « origines », entre pratiques mémorielles d’inscription dans une lignée familiale et/ou une histoire nationale, et entretien au présent de sociabilités familiales ou amicales à travers des pratiques de loisir partagées. La recherche s’appuie principalement sur une enquête qualitative menée à la fois en France (dans la région lyonnaise) et en Algérie (particulièrement dans la région de Sétif, première région d’émigration représentée à Lyon), réunissant des entretiens ethnographiques et des observations in situ des pratiques et des relations de vacances. Elle propose de combiner une ethnographie des pratiques présentes avec une perspective longitudinale sur l’évolution de ces pratiques, appréhendée du point de vue des individus et de leur famille, et du point de vue de l’Etat algérien. Mots clés : descendants d’immigrés ; immigration algérienne ; vacances ; tourisme des racines ; politique d’émigration ; mémoire familiale ; appartenances HOLIDAYS IN THE COUNTRY OF ORIGIN FOR FRENCH OF ALGERIAN DESCENT. TRAJECTORIES, PRACTICES, AFFILIATIONS For at least thirty years now, descendants of North African immigration in France have been at the centre of scientific and political debates. Defining degrees and rhythms of integration or identifying forms of discrimination, sociological analysis of the descendants of migrants has generally analysed life practices and social trajectories from the perspective of the country of birth and residence. This work proposes an alternative perspective by describing and analysing the material links that are maintained with the country of parental origin through an apparently minor phenomenon: holidays trips to the country of birth of their parents – in this case, Algeria. This thesis explores questions of affiliation and feelings of belonging that are raised in these trips, taking into account the various social backgrounds and trajectories (social class, sex, age and generation, family status) of the descendants who participated. Affiliations are not merely questioned through declarations or symbolical links to the country of origins (such as language or religion), but also through the description and analysis of material practices around holidays trips in Algeria. This analysis of practices reveals different ways of maintaining relations with the country of origin, between roots tourism, consisting of finding one’s place in family or national history, and leisure tourism, in which affiliations are based on current social relationships with family and/or friends. This research is based mainly on qualitative methods (interviews and observations) implemented both in France (around the city of Lyon) and Algeria (specifically in the area of Setif, the main region of origin for Algerian families in Lyon). The description and analysis of present-day practices is completed by a longitudinal perspective on the evolutions of these holidays practices. These evolutions are analysed both from the point of view of the descendants and their families, and the point of view of the source state of emigration, Algeria. Key words: descendants of migrants; Algerian immigration; holidays; roots tourism; emigration politics; family memory; affiliations and feeling of belonging INTRODUCTION GENERALE – LES VACANCES AU BLED, UN OBJET POUR RENOUVELER LE REGARD SUR LES DESCENDANTS D’IMMIGRES ? J’m’appelle Slimane et j’ai 15 ans J’vis chez mes vieux à la Courneuve J’ai mon CAP d’délinquant J’suis pas un naze, j’ai fait mes preuves Dans la bande, c’est moi qu’est l’plus grand Sur l’bras, j’ai tatoué, une couleuvre (…) Des fois jme dis qu’à 3000 bornes De ma cité y a un pays Que j’connaîtrai sûrement jamais Que ptet c’est mieux ptet c’est tant pis Qu’là-bas aussi j’s’rai étranger Qu’là-bas non plus je s’rai personne Renaud, Deuxième génération, 1983 504 Break chargé, allez montez les neveux Juste un instant que je mette sur le toit la grosse malle bleue Nombreux comme une équipe de foot, voiture à ras du sol On est les derniers locataires qui décollent Le plein de gasoil et d'gazouz [soda en arabe] pour pas flancher Bilel, va pisser le temps qu'j'fasse mon p'tit marché Direction l'port, deux jours le pied sur l'plancher Jusqu'à Marseille avec la voiture un peu penchée Plus de 24h de bateau, je sais c'est pas un cadeau Mais qu'est ce que j'vais kiffer sur la place Gaydon [place principale de la ville de Bejaïa] A Bejaïa City du haut de ma montagne Avant d'rentrer feudarr [« à la maison » en arabe], j'fais un p'tit détour par Wahran [Oran] (…) Refrain : J'voulais rester à la cité mon père m'a dit "Lé Lé La" [non non en arabe] Dans c'cas-là j'ramène tous mes amis, "Lé Lé La" Alors dans une semaine j'rentre à Vitry, "Lé Lé La" J'irai finir mes jours là-bas "Oua Oua Oua" [oui oui en arabe](…) J'suis à la plage à Boulémat [plage à l’ouest de Bejaïa] avec mon zinc [cousin en verlan] et son derbouka [percussion] Dans la main un verre de Sélecto imitation Coca Une couche de zit zitoun [huile d’olive en arabe] sur le corps et sur les bras Avec mon poste sur un fond de Zahouania [chanteuse de raï algérienne] On parle de tout et de rien, des Nike Air aux visas (…) J'ai passé un bon mois dans c’qu'on appelle le tiers-monde Et si j'avais assez d'oseille j'ramènerais tout l'monde Mais j'peux pas fermer les yeux sur c'qui s'passe vraiment J'dédie ce morceau aux disparus, aux enfants et aux mamans (…) Et j'suis rentré à la cité en ‘abaya [tenue traditionnelle algérienne] Content de revoir mes potos et ma chebba [ma belle en arabe] Pendant deux semaines j'ai mangé que d'la chorba [la soupe en arabe] J'irai finir mes jours là-bas Inch'Allah 113, Tonton du bled, 1999 J’sors du hattef [coiffeur en arabe] ptit dégradé frais Lunettes LV [Louis Vuitton], Hublot [marque de montre de luxe] au poignet J’passe le salem [salutation en arabe] au quartier, ouais c’est l’heure de m’arracher au de-blé Tout l’hiver à charbonner, t’inquiète c’t’été on va bien profiter Le téléphone sonne, ça y est c’est l’heure d’décoller 2-3 valises dans le coffre Direction l’port, 2-40 [240 km/h] sur l’A7 Fais péter les watts, fais péter l’son dans le Q7 [4*4 de luxe de la marque Audi] Après quelques heures d’attentes, enfin dans l’bateau J’quitte la France sans aucun regret Encore quelques heures de traversée et la galère s’ra terminée J’arrive devant la douane J’glisse dans l’passeport un ptit billet Histoire d’éviter la fouille, d’y rester toute la journée Y a du monde qui m’attend et de la famille à embrasser Donc il est l’heure pour moi de m’arracher (…) J’ai échangé les soucis contre des sourires Tous les jours c’est playa, fiesta et jet ski Au bled on a la vie des cain-ri [des Américains, en verlan] Les familles nombreuses représentent comme dirait Kery [Kery James, rappeur] Fini la vie d’galérien, finis les plans foireux qui mènent à rien Ici j’suis bien, accompagné des frères accompagné des miens Front de mer, bolide, cocotier On est bien loin d’la vie d’quartier (…) Pendant un mois j’me sens chez moi, j’revis Comment t’expliquer ? L’Algérie c’est ma vie Mon moteur, mon bol d’air Comment oublier les grillades, les ballades en T-Max [scooter] sur le front d’mer Comment quitter la famille, la plage, les nuits blanches Et retrouver la France, ses ennuis et ses souffrances J’kiffe l’ambiance du bled, son charme et ses saveurs Ses belles filles, ses paysages et sa ferveur M.A.F., A l’Oranaise, 2012 Trois extraits de chanson, issus de trois époques différentes, par des artistes qui tantôt relatent leur vision d’une réalité qui leur est extérieure (Renaud) tantôt témoignent de manière romancée d’un vécu personnel (RimK et MAF, tous deux descendants d’immigrés algériens) pour trois images contrastées de ce que représentent, par rapport au quotidien en France, les « vacances au bled » pour des personnes nées en France de parents immigrés algériens. Dans la chanson de Renaud, Slimane – adolescent de la Courneuve, idéaltype du petit délinquant des grands ensembles, figure qui émerge de manière médiatique en ce début des années 1980 – joue du rock kabyle dans les caves de sa cité, sans pour autant connaître directement le pays où sont nés ses parents. Rejeté aux marges de la société française, il ne nourrit pas davantage d’espoir de se voir reconnaître un statut plus valorisé en Algérie. 1983 : la chanson de Renaud est contemporaine de la marche pour l’égalité et contre le racisme (médiatiquement baptisée « marche des Beurs »), initiée dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, en périphérie lyonnaise. La marche rassemble des descendants d’immigrés (principalement d’immigrés algériens) défilant pour revendiquer leur place dans la société française (Hajjat, 2012). Deux ans auparavant, le même quartier des Minguettes était devenu célèbre pour ses rodéos estivaux, voitures brûlées et affrontements avec les forces de police qui avaient fait émerger le « problème des banlieues » (Collovald, 2001). Le « tube »1 des 113, interprété par RimK, descendant d’immigrés algériens né en France en 1978, dépeint l’image d’Epinal des vacances au bled en famille – la 504 surchargée de bagages, les cadeaux à la famille, les réticences du narrateur à accompagner ses parents sur place. 1999 : la situation politique s’apaise doucement en Algérie, le pays n’est pas totalement encore sorti des problèmes sécuritaires des années 1990 (la chanson fait référence aux « disparus »). Par contraste avec une vision certes tendre, mais globalement négative du « bled » (le « tiers-monde », les mariages arrangés par la famille, le rapport intéressé des cousins), la cité apparaît ici comme un lieu de référence positif – par contraste avec la « zone » évoquée par Renaud – où se trouvent amis et petite amie (« chebba ») et où le narrateur préférerait passer son été. Malgré tout, à son retour du bled, le narrateur avoue un certain attachement et une nostalgie pour ce séjour algérien (en revêtant la ‘abaya, tenue traditionnelle algérienne, et en mangeant de la chorba) et formule (en l’air ?) la promesse d’aller finir ses jours en Algérie. Plus de dix ans plus tard, le portrait des « vacances au bled » a encore changé. M.A.F, rappeur grenoblois né en France de parents originaires d’Oran, de sept ans le cadet de RimK, offre une peinture plus festive et hédoniste des vacances passées en Algérie : « playa, fiesta et jet-ski », front de mer et cocotiers ont remplacé les repas en famille et les discussions sur la plage entre cousins autour d’un verre d’un ersatz de Coca-Cola (le Sélecto), symbole de l’autarcie économique de l’Algérie socialiste des années 1970 et 1980. 2012 : le pays a retrouvé depuis plusieurs années une certaine stabilité politique après la guerre civile des années 1990, l’économie algérienne s’est libéralisée et profite des importantes réserves de change octroyées par l’activité pétrolière et gazière. M.A.F. nous propose une nouvelle vision du « bled » : accès à une consommation de luxe (jet-ski, hôtels de luxe, « au bled on a la vie des cains-ri »), relativement facile du fait du différentiel de niveau de vie, faisant écho aux modes ostentatoires de consommation en France (lunettes de soleil, montre et voiture de luxe). La famille reste évoquée de manière anecdotique au détour de quelques strophes mais le narrateur part cette fois seul (et avec seulement « deux-trois bagages dans le coffre »), ou entre amis, en Algérie et non dans la voiture familiale. Le bled et les vacances qu’on y passe sont présentés comme une parenthèse heureuse dans la vie de « galérien » d’un jeune de « quartier », le « de-blé » semble offrir une respiration à côté d’une vie en « France » présentée comme morne et difficile. 1 Dans la mesure où l’album Les Princes de la ville dans lequel figure cette chanson s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Trois images des « vacances au bled » produites par l’industrie artistique2 qui suggèrent l’importance du phénomène et son inscription dans les représentations collectives, non seulement des descendants d’immigrés mais plus largement de la société française. Trois images suggérant une évolution des liens avec le pays d’origine et des formes de la migration, d’une migration-rupture représentée par la chanson de Renaud (où aucun lien direct ne semble préservé avec l’Algérie) à des mobilités régulières entre le quotidien en France et les vacances en Algérie pour la chanson la plus récente. Si le poids symbolique des « vacances au bled » transparaît dans ces productions culturelles, des données chiffrées semblent également témoigner de l’importance quantitative du phénomène des allers-retours effectués entre la France et l’Algérie aujourd’hui. Ainsi, en 2008, la police algérienne aux frontières comptabilise 1,2 millions d’entrées de ressortissants algériens vivant à l’étranger – dont près de 78% (soit plus de 940 000 entrées) résident en France3. Parallèlement, l’enquête TeO évalue à près de 1,1 million la population d’immigrés (480 000) ou de descendants d’immigrés algériens (617 000 dont 411 000 de deux parents immigrés algériens) vivant en France en 2008. Sans que ces données soient parfaitement superposables4, elles offrent néanmoins un aperçu de l’importance quantitative de ces séjours de « vacances au bled » – séjours que nous avons choisis de placer au centre de notre recherche doctorale. La première ambition de ce travail – peut-être la moins « scientifique » et la plus « politique » – fut initialement de porter un autre regard sur une population souvent travaillée sous l’angle de ses « problèmes »5 rencontrés dans la sphère du travail (exploitation, chômage, manque de qualification), de l’école (échec scolaire), du logement ou plus largement des lieux de vie (« problèmes des cités »)6 – « problème » presque exclusivement saisi depuis le pays d’immigration 7 . Si ces questions ont été initialement étudiées sous l’angle du degré « d’intégration » de ces populations issues de l’immigration (primo-migrants et descendants), une inflexion de la problématique incite aujourd’hui à les considérer davantage comme le produit de dispositifs institutionnels et de pratiques discriminatoires (cf. infra). A rebours de cette construction scientifique du « problème de l’immigration », j’ai8 voulu m’intéresser à une face potentiellement plus positive – parce qu’apparemment plus libérée des rapports de domination ayant cours dans la société française – des modes de vie d’une partie de ces 2 Cette rapide analyse n’a pas pour prétention à être exhaustive et parfaitement raisonnée. Il faudrait réinscrire chacune de ces chansons dans ses conditions matérielles de production, en tenant compte notamment du fonctionnement du champ artistique et du monde du rap en particulier (sur ce dernier point, cf. Hammou, 2012). 3 Données synthétisées par le Consortium pour les recherches appliquées sur les migrations, du Centre Robert Schumann, à partir des données fournies par le Ministère du tourisme algérien. http://www.carim.org/index.php?print=TRUE&callContent=59&callTable=1340& 4 Une même personne peut effectuer plusieurs entrées, tous les séjours ne sont pas forcément d’agrément, etc. 5 Les guillemets renvoient à la dimension politiquement et/ou scientifiquement construite de ces « problèmes ». Cf. Par exemple les analyses proposées dans le numéro 40 de la revue Agone L’invention de l’immigration, (Hmed, Laurens, dir., 2008) notamment la contribution de Gérard Noiriel sur « L’immigration : naissance d’un problème (1881-1883). 6 Et c’est d’ailleurs dans cette direction que nous avons orienté nos premiers travaux d’apprentie sociologue : un mémoire de Licence 3 sur le rapport à la scolarité de descendants d’immigrés d’un collège de ZEP et un mémoire de maîtrise sur le rapport au logement et au quartier de familles immigrées maghrébines résidant dans un quartier en gentrification. 7 Sayad regrettait l’absence d’une véritable « science de l’émigration » (qu’il appelle « science de l’absence »), ou du moins sa subordination par rapport à la science de l’immigration (Sayad, 1999, p. 175-198). 8 Le présent manuscrit verra alterner l’utilisation de la première personne du singulier et de la première personne du pluriel suivant que l’on évoque les dimensions personnelles du choix de l’objet ou de la relation d’enquête (utilisation du « je ») ou que l’on procède à de l’analyse (utilisation du « nous », plus impersonnel). populations : les vacances – moment de rupture avec les contraintes du quotidien – passées dans le pays d’origine par des descendants d’immigrés. Pour présenter le questionnement porté par ce travail, nous reviendrons d’abord sur le regard porté depuis plusieurs décennies par les sciences sociales françaises sur les descendants d’immigrés, entre sociologie de l’intégration et sociologie des discriminations. Nous verrons ensuite comment l’influence du paradigme transnational venu des pays anglo-saxons a pu amener à revisiter ce regard, renouvelant la question de l’assimilation des populations immigrées en ne l’opposant plus au maintien de liens matériels et symboliques avec le pays d’émigration ; il s’agira aussi de se demander de quelle manière les vacances passées dans le pays d’origine sont considérées et prises en compte dans ces travaux sur le transnationalisme des migrants. Nous proposerons ensuite une synthèse des travaux spécialisés sur l’étude du « tourisme des racines », pour en extraire les éléments les plus stimulants de réflexion et d’interrogation sur notre sujet. Cet état des lieux bibliographique nourrira la présentation des questionnements de notre recherche et de la méthodologie choisie pour y répondre. Nous clôturerons cette introduction par une présentation rapide de l’architecture générale du manuscrit. Les descendants d’immigrés comme objet sociologique : d’une sociologie de l’intégration à une sociologie des discriminations et des combinaisons identitaires « Il ne suffit pas que les immigrés aient des enfants pour qu’une « seconde génération » advienne. Il faut que les cadres collectifs de représentation et d’action dans la société d’immigration rendent possible, voire nécessaire, l’expression d’une identité ethnique, que celle-ci constitue un ferment de mobilisation et se cristallise dans un espace de référence commun » (Simon, 2000, p. 24) « Jeunes d’origine immigrée », « enfants d’immigrés », « 2e génération d’immigrés », « jeunes issus de l’immigration », « descendants d’immigrés » : l’inflation des expressions servant à désigner ce sous-ensemble de la population française est révélatrice à la fois de la prolifération des discours et des travaux s’intéressant à ce groupe et de l’incapacité à stabiliser cette catégorie comme objet d’étude et d’analyse. Comme le souligne Patrick Simon dans la citation ci-dessus, l’apparition de cette catégorie dans les discours publics et les travaux scientifiques ne doit pas être vue comme la conséquence naturelle (au sens propre ici de biologique) du développement d’une immigration familiale mais bien plus comme le symptôme d’une évolution politique et sociale dans la société d’immigration, le symptôme d’un changement idéologique, révélant une profonde remise en cause du modèle républicain universaliste qui, depuis la Révolution française, minore le poids des origines sur les destinées individuelles. La 2e génération de Belges, Polonais ou Italiens n’ont pas connu la même visibilité dans la mesure où, selon ce modèle, « la terre et les institutions de France sont censées [les] avoir complètement transformés en Français » (Noiriel, 2006 [1988], p. 336). Mais avec les enfants d’immigrés venant d’Afrique du Nord (et en particulier d’Algérie), quelque chose semble s’être grippé dans la machine républicaine : la question de « l’insertion des jeunes d’origine étrangère dans la société française » (Marangé, Lebon, 1982) est explicitement posée en 1982 dans un rapport du Haut comité de la population et de la famille. En 1991, la mise en place du Haut comité à l’intégration institutionnalise la problématique de l’intégration des immigrés mais aussi de leurs enfants. Refusant l’explication de sens commun qui voit dans cette émergence d’une « 2e génération » une conséquence d’une forte distance culturelle entre une population immigrée du Maghreb et la société française, les sciences sociales proposent différentes explications pour comprendre cette « apparition ». La crise économique qui sévit depuis les années 1970 accentue les situations de pauvreté et amène à rendre plus visible ces populations immigrées vivant dans des quartiers populaires en périphérie des grandes villes. La crise économique révèle et accélère aussi une autre mutation : celle de la redéfinition des grilles de lecture du monde social. Suite à une certaine moyennisation des modes de vie qui touche une partie des classes populaires pendant la période de croissance des Trente Glorieuses (Mendras, 1988 ; Chauvel, 2001), la crise économique atteint particulièrement le groupe ouvrier qui perd petit à petit en visibilité, dans les discours publics et dans la recherche scientifique (Beaud, Pialoux, 1999) : face à la perte de ce référentiel, d’autres référentiels et principes d’identification (externe et interne) se développent – une partie des anciens enfants d’ouvriers pouvant alors être perçus et se percevoir comme enfants d’immigrés. Parallèlement, les années 1970 ont vu émerger de nouveaux mouvements sociaux basés sur d’autres lignes de fracture que la classe sociale comme les mouvements féministes ou écologistes (Touraine, 1982). Ce qui sera baptisé le « mouvement beur » suite à la Marche pour l’Egalité et Contre le Racisme de 1983 peut être vu comme l’expression d’une nouvelle ligne de fracture définie par l’origine nationale et plus seulement l’origine sociale (Hajjat, 2012). Des historiens trouvent aussi les racines de cette forte visibilisation des générations issues des migrations maghrébines dans le nationalisme français mis à mal dans les conflits de décolonisation, en particulier en Algérie, et donc dans l’existence d’un racisme anti-maghrébin héritier de la période coloniale (Noiriel, 2006 [1988] ; Robine, 2008). Toutes ces explications cherchent dans la différence et la distance avec la société française des populations issues des migrations maghrébines (différentes culturellement, différentes socialement puisqu’elles sont surreprésentées dans les grands ensembles et économiquement parce qu’elles sont davantage touchées par la crise économique, différentes enfin politiquement) la cause de sa visibilité nouvelle. Mais, en suivant Isabelle TaboadaLeonetti : « on peut remarquer que, paradoxalement, c’est lorsque cette jeune génération, si peu différenciée, arrive sur la scène scolaire et urbaine, que les institutions ou l’opinion s’intéressent à son existence. Il est tentant de faire l’hypothèse que c’est précisément cette réduction de la distance entre eux et nous qui rend leur présence plus « visible » et plus inquiétante : ils ne sont pas assez différents pour rester en-dehors de notre champ social, mais pas assez semblables encore pour se fondre et disparaître dans le grand corps national français » (1985, p. 275-276). En effet, dans les années 1970, les immigrés maghrébins quittent petit à petit les zones d’habitation spécifiques (bidonvilles, cités de transit) pour rejoindre les cités HLM (BlancChaléard, 2006) où sont installés des ménages français de classe moyenne (Chamboredon, Lemaire, 1970). Parallèlement, la mise en place du collège unique en 1975 et la politique de démocratisation scolaire va amener une plus grande partie de cette « 2e génération d’immigrés » à devenir la première génération de bacheliers de leur famille (Beaud, 2002) et donc à côtoyer les élèves français sur les bancs de l’école, quand auparavant le système scolaire séparait précocement les élèves destinés aux carrières manuelles et les élèves devant poursuivre dans l’enseignement secondaire, puis supérieur. Si on ne peut faire une liste exhaustive et définitive d’explications, on peut encore relever un dernier facteur : la catégorie « 2e génération » serait devenue une réalité sociale suite à sa prise en charge comme catégorie spécifique par l’Etat providence 9 . Cette dernière explication pointe l’enjeu de la désignation d’une population par les pouvoirs publics comme population à part, comme catégorie à isoler, identifier, mesurer pour pouvoir répondre à ses problèmes spécifiques à travers des politiques ciblées. Elle souligne le pouvoir instituant de la catégorie : c’est parce qu’on a désigné cette partie de la population comme catégorie à part qu’elle finit par exister, par prendre sens pour les membres de cette catégorie elle-même et pour la société dans son ensemble10. C’est précisément un des arguments utilisés dans le débat sur l’opportunité d’établir des statistiques sur l’origine nationale en France (pour une présentation synthétique du débat, cf. Masclet, 2012). Si d’un côté on plaide en faveur de statistiques sur les origines nationales afin de pouvoir mesurer les progrès de l’intégration (Tribalat, 1995) ou le poids des discriminations (Simon, Stavo-Debauge, 2004 ; COMEDD, 2010), d’un autre on alerte sur le pouvoir réifiant des catégories statistiques (Le Bras, 1998 ; Spire, Merllié, 1999 ; CARSED, 2009). Catégorie construite dans un contexte politique, social et économique particulier, la « 2e génération » a pu être définie scientifiquement comme « le processus sociologique par lequel des individus sont soumis à des formes contradictoires de socialisation, à cet âge décisif des acquisitions fondamentales qu’est l’enfance » (Noiriel, 2006 [1988], p. 233). Socialisés à la fois dans des familles immigrées et la société française (à travers l’école ou le voisinage), les descendants d’immigrés semblent incarner la problématique de l’adaptation (pour employer pour l’instant un vocable plus neutre que celui d’ « intégration » ou d’ « assimilation ») de populations migrantes dans une nouvelle société. La sociologie américaine développée à Chicago dans les années 1920 a construit un modèle d’assimilation comme convergence des modes de vie des immigrés et de leurs descendants vers le mode de vie dominant dans la société d’accueil : la « 2e génération » ne serait qu’une étape vers l’assimilation complète du groupe migrant à la société américaine (Safi, 2011). Cette problématique de l’assimilation rapidement transformée, en France, en problématique sur l’intégration (afin d’alléger le terme de sa connotation ethnocentrée et coloniale, en France, Hajjat, 2012) s’est imposée comme centrale dans les recherches portant sur les descendants d’immigrés. Emblématique de cette 9 « Je crois pour ma part, mais j’admets que la démonstration reste à faire, que la principale différence qui explique la visibilité des « jeunes d’origine immigrée » aujourd’hui tient au formidable développement du secteur étatique de « l’aide sociale ». Depuis l’assistante sociale jusqu’au sociologue, en passant par les multiples employés des organismes créés pour les besoins de la cause, il y a désormais des milliers de personnes qui examinent, diagnostiquent, étudient, et parfois résolvent les « problèmes des jeunes d’origine immigrée », alors que les précédentes générations se sont intégrées dans l’indifférence. Ainsi, une « réalité » sociale qui était invisible jusqu’ici, est devenue une évidence principalement parce qu’il y a maintenant des gens pour la désigner, des gens qui vivent même de cette désignation » (Noiriel, 1988, p. 217-218) 10 Luc Boltanski l’a bien montré sur les cadres (Boltanski, 1982). approche, l’enquête MGIS (Mobilité Géographique et Insertion Sociale) réalisée en 1992 par l’INED est un premier jalon posé à la mesure quantitative et à l’analyse de l’assimilation des « immigrés et leurs enfants » (Tribalat, 1995, 1996). Cette grande enquête quantitative a alors pour ambition de mesurer, à l’aide d’indicateurs statistiques, la progression du processus d’intégration des populations immigrées et issues de l’immigration. Portant en partie sur les enfants d’immigrés (espagnols, portugais et algériens), elle est la première enquête statistique qui isole cette catégorie et ambitionne de décrire son degré d’intégration dans différentes sphères de la vie sociale (école, travail, famille et mœurs, langue, citoyenneté, sociabilité). La maîtrise de la langue française, le recul de certaines pratiques matrimoniales (entre cousins ou selon un arrangement décidé par la famille), la fréquence des unions mixtes (c’est-à-dire avec un conjoint issu de parents français de naissance), le déclin des pratiques religieuses, le rapprochement des résultats scolaires à milieu social égal, la demande d’acquisition de la nationalité française ou l’inscription sur les listes électorales, etc. sont autant d’indicateurs permettant de mesurer l’intégration en train de se faire. Le maintien de relations concrètes avec le pays d’origine des parents apparaît alors plutôt comme un indicateur d’intégration imparfaite : pratiquer la langue maternelle des parents ou se rendre régulièrement dans le pays de naissance de ses parents seraient des survivances des origines migratoires des descendants d’immigrés, survivances vouées à s’éteindre progressivement avec les années, et les générations. L’enquête relativise l’importance quantitative de ces séjours : elle est plus faible pour les enfants d’immigrés que pour les immigrés ; pour les enfants de couples mixtes que pour les enfants de deux immigrés ; pour les descendants qui ont décohabité que pour les enfants vivant encore avec leurs parents (les plus jeunes enfants généralement). Par ailleurs, ces séjours ne s’accompagnent pas de la formulation de projets de retour plus « conséquents » (investissement économique ou immobilier par exemple) et apparaissent davantage comme une occasion, pour les enfants d’immigrés, de ressentir leur distance par rapport à la société de ce pays d’origine que de renforcer leur sentiment d’appartenance à cette société (Tribalat, 1996). Plus largement, les résultats de l’enquête confirmeraient le bon déroulement d’un processus d’intégration conçu comme linéaire et unidimensionnel : les variations dans les pratiques et dans le degré d’intégration s’expliqueraient par l’ancienneté de la migration à la fois en termes intragénérationnels (les immigrés espagnols – dont l’ancienneté de l’installation en France est plus grande – sont par exemple plus « intégrés » que les immigrés turcs) et intergénérationnels (les enfants d’immigrés se rapprochent davantage des pratiques moyennes des autres Français que les immigrés) (Tribalat, 1995, 1996). La « controverse des démographes » (Stavo-Debauge, 2003) qui secoue le milieu de la démographie à la fin des années 1990 vient donner une inflexion à cette perspective intégrationniste : paradoxalement, les critiques adressées à la mise en place de nouvelles catégories statistiques définissant les individus sur le critère de leurs origines nationales et plus seulement sociales (par exemple : Spire, Merllié, 1999) – critiques fondées sur les valeurs du modèle républicain à la française condamnant toute distinction qui s’écarterait de la définition juridique de la nationalité française – emportent avec elles la grille de lecture intégrationniste proposée dans les travaux de l’INED dans les années 1990 – ayant pourtant tendance à donner en partie raison aux défenseurs du modèle républicain d’intégration en soulignant la convergence des comportements et des valeurs des descendants d’immigrés avec l’ensemble de la population française. La perspective intégrationniste est notamment critiquée en ce qu’elle fait reposer sur les seuls immigrés et descendants d’immigrés la responsabilité de leur plus ou moins bonne intégration à la société française, sans questionner suffisamment le rôle joué par les sociétés d’immigration dans l’accueil et l’insertion des populations issues de l’immigration (Stavo-Debauge, 2003). Deux inflexions majeures sont alors apportées, dans les sciences sociales françaises, à l’étude des trajectoires de descendants d’immigrés dans la décennie 2000. D’une part, la focale se déplace progressivement d’une étude des processus d’intégration vers une analyse des phénomènes de discrimination qui seraient justement à l’origine d’une imparfaite insertion des immigrés et de leurs enfants dans la société dans différents domaines (discriminations à l’école, à l’embauche, dans l’accès au logement, dans l’accès aux loisirs, etc.). Les statistiques ici ne servent plus à mesurer le rapprochement des modes de vie des populations issues de l’immigration du mode de vie français mais à expliquer les écarts constatés. Dans l’accès à l’emploi par exemple, les descendants d’immigrés apparaissent – toutes choses égales par ailleurs – surexposés au risque de chômage, à la précarité de l’emploi et aux emplois aidés (Meurs, Pailhé, Simon, 2006). Cette inflexion s’inscrit dans un contexte politique plus large où la question des discriminations est mise sur le devant de la scène, aussi bien au niveau national qu’au niveau européen. Ainsi, en 1998, la ministre de l’emploi et de la solidarité, Martine Aubry, annonce sa volonté de réorienter la politique d’intégration vers la lutte contre les discriminations ; à partir de 2000, des directives européennes définissent les notions de discrimination directe et indirecte, et demande aux Etats membres de se doter d’instruments de mesure et d’action sur cette question des discriminations (Stavo-Debauge, 2004). Les partisans du développement de « statistiques ethniques » s’appuient justement sur l’argument d’une nécessaire mesure des processus de discrimination, mesure qui nécessite que soient identifiées les populations susceptibles d’être discriminées dans des grandes enquêtes quantitatives (Simon, Stavo-Debauge, 2004). L’enquête Trajectoires et Origines (TeO) réalisée conjointement par l’INED et l’INSEE en 2008 – si elle ne se réduit pas à sa dimension « discrimination » et permet plus largement d’étudier les trajectoires sociales de différentes populations issues de l’immigration – s’inscrit pleinement dans cette focale et met en avant le caractère présenté comme novateur de la mesure du « sentiment de discrimination » qu’elle propose (Lesné, Simon, 2012). D’autre part, pour éviter les risques d’ethnocentrisme et d’essentialisation des identités (définies sur un critère national et exclusif : « on se dit français ou algérien/portugais/… »), l’interrogation sur les appartenances des populations issues de l’immigration et leur inscription dans la société dite d’accueil est intégrée à une réflexion plus large sur les différentes échelles d’appartenance des individus et les manières différenciées de prendre place dans une société donnée. Au lieu de voir les descendants d’immigrés comme pris dans des processus de socialisation contradictoires entre une « culture familiale » héritée du pays d’origine des parents et une « culture nationale » du pays d’accueil, ils sont réintégrés à l’ensemble de la population française pour interroger la complexité des modes de socialisation et surtout la complexité des constructions identitaires et des sentiments d’appartenance. Des travaux cherchent alors à réhabiliter la définition sociologique du concept d’intégration, en revenant à sa définition durkheimienne : l’intégration ne concerne pas un groupe ou un individu en particulier mais définit le degré et les formes de cohésion d’une société dans son ensemble. Dans cette acception, « tout le monde est intégré, dans la mesure où la participation à la société prend toujours une forme ou une autre, l'exclusion étant elle aussi une forme d'intégration » (Collet, 2006). Si tout le monde est intégré et que cette question ne se pose pas qu’aux immigrés et à leurs descendants, tout le monde ne l’est pas selon les mêmes modalités : l’enjeu n’est alors plus tant de mesurer à quel point tel ou tel groupe est intégré mais d’analyser quels différents chemins l’intégration à la société peut emprunter. La typologie de Beate Collet sur les modes d’intégration des conjoints immigrés de couple mixte illustre bien ce glissement de perspective : l’intégration en tant qu’étranger ou intégration par différenciation (où le conjoint maintient son appartenance nationale, politique et culturelle dans la société d’origine, transmet sa langue à ses enfants et les amène fréquemment dans son pays d’origine) y est considéré comme un mode d’intégration au même titre que l’intégration par assimilation (le conjoint embrasse la nationalité et la culture du pays d’accueil) ou l’intégration par participation citoyenne (où le conjoint transfère son appartenance nationale dans la société d’immigration mais préserve une référence à son identité culturelle d’origine) (Collet, 2006). L’enquête Histoire de vie menée en 2003 est également emblématique de cette deuxième inflexion. Initialement envisagée comme une suite à l’enquête MGIS et centrée sur les trajectoires des immigrés et descendants d’immigrés, l’enquête se construit progressivement comme une investigation plus vaste sur les appartenances multiples des individus – issus ou non d’une immigration récente – et sur les processus complexes de « construction des identités »11. Dans cette perspective, les populations issues de l’immigration ne sont pas les seules concernées par les processus d’intégration : tout individu prend place, d’une façon ou d’une autre, dans la société dans laquelle il vit. Les appartenances nationales ne sont, dans cette enquête, qu’une dimension parmi d’autres des processus de construction identitaire (avec l’appartenance à un groupe professionnel, à une entreprise, à une association, à une pratique culturelle, etc.), et une modalité parmi d’autres des formes spatialisées d’appartenance : parallèlement à l’attachement déclaré à un pays, l’enquête s’intéresse à l’attachement au quartier, à la commune ou à la région. L’enquête tend à relativiser l’attachement des descendants d’immigrés pour le pays de naissance de leurs parents, n’y voyant qu’une relation essentiellement symbolique. Ainsi, les descendants d’immigrés se disent d’abord appartenir et attachés à leur lieu de naissance (quartier, ou pays), avant le pays de naissance de leurs parents. S’ils sont 40% à déclarer vouloir être enterré dans ce pays de naissance de leurs parents, ce ne serait là – pour les auteurs de l’étude – qu’une forme symbolique d’attachement qui ne serait pas associée à des projets effectifs de retour – seuls 12% des descendants d’immigrés formuleraient ce type de projet (Guérin-Pace, 2006). Les résultats de l’enquête quantitative de Sylvain Brouard et Vincent Tiberj (2005) viennent rappeler ceux de l’INED dix ans plus tôt sur le constat d’une convergence en termes de comportements politiques et de valeurs entre les Français descendants d’immigrés et le reste de la population. Ils viennent aussi complexifier l’analyse des formes d’appartenance ou d’attachement à des référentiels spatiaux variés en 11 Le nom complet de l’enquête est « Histoire de vie sur la construction des identités ». montrant la diversité des combinaisons possibles entre attachement au quartier, à la nation française et au pays d’origine des parents – plutôt qu’en cherchant à mesurer l’intensité d’un attachement exclusif à l’une ou l’autre de ces échelles de référence. Si ces enquêtes ont le mérite de complexifier l’appréhension des sentiments d’appartenance en insistant sur leurs combinaisons possibles, ces résultats pêchent par leur excès de généralisation (englobant tous les « descendants d’immigrés », quelle que soit l’histoire migratoire de leurs parents – pays d’origine, époque d’émigration, contexte d’immigration, etc.). Par ailleurs, le glissement proposé d’une mesure objective des phénomènes d’intégration (par une série d’indicateurs) à la saisie subjective des formes d’appartenance pose la question de l’interprétation et de la fiabilité de résultats obtenus à partir de questions de représentation, administrées dans un contexte d’enquête quantitative (sur les biais liés au recours à des enquêteurs pour une enquête quantitative, voir Bessière, Houseaux, 1997). Ce glissement est par ailleurs révélateur d’une orientation problématique de l’enquête Histoire de vie influencée par la psychologie (pour une analyse critique des étapes de conception de cette enquête, voir Fassin, Simon, 2008). L’enregistrement, par l’enquête, de sentiments d’appartenance à travers des questions de représentation pose le problème – classique en sociologie – d’imposition de problématique (Bourdieu, 1973) : comment interpréter les réponses à des questions que les individus ne se sont jamais eux-mêmes posés ? Dans son travail sur le rapport à la nationalité française de descendants d’immigrés, Evelyne Ribert s’est appuyée sur un dispositif juridique particulier de la France des années 1990 qui exigeait des enfants d’immigrés qu’ils fassent une démarche active pour déclarer leur nationalité française à leur majorité (loi Méhaignerie) (Ribert, 2006). La sociologue a interrogé des enfants d’immigrés concernés par cette loi à propos de leur attachement à la nationalité française (et, en miroir, à la nationalité du pays d’origine de leurs parents), estimant que le dispositif juridique mis en place à l’époque obligeait ces enfants à se poser explicitement cette question et pensant donc par là éviter le risque d’imposition de problématique. Sur le terrain, elle a rencontré plus de difficultés que prévu à faire parler ses enquêtés sur ce sujet – le dispositif juridique n’étant pas toujours connu et n’ayant pas nécessairement soulevé de questionnement explicite auprès de ces enfants d’immigrés. Nombreux sont ces jeunes descendants d’immigrés qui ont « pris les papiers français », tout en continuant à souligner leur attachement à leur autre nationalité ou à avancer leur sentiment de n’être que des « Français de papier ». Elle a en fait constaté que les déclarations sur le sentiment identitaire français (sur le fait de « se sentir français ») étaient en fait un mauvais indicateur des liens12 réels entretenus avec la nation française : pour une bonne partie de ses enquêtés, le fait d’avoir de nombreux liens avec la nation française ne les amène pas pour autant à déclarer de manière franche et définitive se sentir pleinement et uniquement français. Par fidélité pour leurs parents ou en réponse à un sentiment de stigmatisation, ils combinent des forts liens avec la France et des déclarations d’appartenance plus nuancées – refusant de déclarer se sentir pleinement français (Ribert, 2009). 12 Ribert décline ces liens en au moins six dimensions : le lien juridique (la nationalité), le lien politique (le vote), le lien identitaire (se sentir « français »), le lien affectif (se dire attaché), le lien mémoriel (connaître l’histoire du pays) et le lien culturel (le partage de valeurs communes). Essayant de dépasser cet obstacle en se concentrant sur des objets plus précis analysés en détail, des travaux qualitatifs utilisent la méthode typologique pour rendre compte des combinaisons possibles entre les appartenances variées de descendants d’immigrés – insistant alors sur l’hétérogénéité des trajectoires sociales et des constructions identitaires des descendants d’immigrés. Dans son travail sur le rapport à la citoyenneté française et à la religion musulmane de descendants d’immigrés algériens et marocains, Nancy Venel (2004) identifie par exemple quatre grandes manières d’être « musulmans et citoyens » français – ces différents modes d’affiliation étant alors rapportés aux trajectoires sociales des personnes concernées (origine sociale des parents, lieu de résidence, trajectoire scolaire, etc.). De leur côté, Beate Collet et Emmanuelle Santelli ont élaboré trois grands types de couples constitués par au moins un descendant d’immigrés maghrébins, sahélien ou turc – en fonction de la distance observée à la norme endogamique – rapportant une fois de plus ces variations aux caractéristiques sociales des personnes rencontrées et plus largement de leur famille (Collet, Santelli, 2012). Ces approches qualitatives redonnent leur place à la complexité des parcours migratoires des parents comme déterminants des représentations actuelles que leurs enfants ont de leurs différentes affiliations. Par ailleurs, plutôt que de présenter la « culture du pays d’origine » ou l’attachement au « pays d’origine » comme un tout, elles approchent la multiplicité des appartenances à travers des objets précis (le rapport à la religion et à la citoyenneté, la conception de la vie conjugale). Dans ces différentes typologies, si attachement au pays d’origine et attachement à la France (déclinés différemment selon les objets de recherche) ne sont plus opposés mais combinés, il apparaît tout de même en filigrane que la fréquence des séjours dans le pays d’origine est très souvent associée aux types rassemblant les individus les plus conservateurs de valeurs ou de pratiques rapportées à la culture d’origine de leurs parents. Pour Venel, les descendants d’immigrés accordant plus d’importance à la religion musulmane qu’à la citoyenneté française se recrutent parmi les familles ayant gardé plus de contacts avec leur pays d’origine, notamment à travers des séjours réguliers. Pour Collet et Santelli, de la même manière, les couples les plus endogames et les plus attachés aux traditions matrimoniales importées par leurs parents (virginité avant le mariage, mariage religieux avant le mariage civil, etc.) sont également issus de familles ayant gardé un lien fort avec le pays d’origine à travers des retours de vacances fréquents. Sans être aussi catégoriques que d’autres travaux sur la corrélation négative entre séjours dans le pays d’origine et intégration, ces résultats invitent à voir dans les séjours au pays soit un indicateur (retourner souvent au « bled » et avoir une pratique intensive de la religion musulmane auraient en réalité les mêmes causes) soit un déterminant (le retour fréquent au bled serait un facteur explicatif de l’intensivité de la pratique religieuse) d’un plus grand détachement par rapport à l’appartenance nationale française. Utilisés comme un indicateur saisi de manière forcément réducteur, les séjours dans le pays d’origine sont alors associés – de manière plus ou moins affirmée – à une moins grande intériorisation de l’appartenance à la société française. Une interprétation qui semble aller à contre-courant des études s’inscrivant dans un autre paradigme de la sociologie de l’immigration, qui met davantage l’accent sur le maintien d’activités en lien avec le pays d’origine parmi les migrants – et les descendants d’immigrés. Les pratiques transnationales des descendants d’immigrés : une réaction aux discriminations ou un catalyseur d’assimilation ? Pour contrer ou contrebalancer une vision de l’immigration dominée par les questions d’intégration, des travaux théoriques et empiriques se sont développés – surtout à partir des années 1980 – sur la question des circulations et du maintien de relations des migrants avec leur pays d’origine autour de notions telles que le « transnational » (Basch, Glick-Schiller, SzantonBlanc, 1992 ; Portes, 1999) ou la « diaspora » (Dufoix, 2006.). On pourrait voir en Abdelmalek Sayad un précurseur de ce mouvement, lui qui a longtemps appelé à étudier le phénomène migratoire à la fois du point de vue du pays d’immigration mais également de celui du pays d’émigration (Sayad, 1999, 2006a). Regarder comment les migrants maintiennent un lien avec leur pays et leur société d’origine, c’est remettre en cause la vision de l’émigration comme coupure définitive. La focale n’est plus sur la place de l’immigré dans la société d’accueil et sa plus ou moins grande adaptation, elle est sur la création, l’activation, le maintien de « champs migratoires », de « territoires circulatoires », d’ « espaces transnationaux »,… par les migrants (Simon, 2008). Quand Sayad mettait l’accent sur la « double absence » du migrant (Sayad, 1999) – à la fois absent de sa société d’origine mais aussi absent de la société d’accueil tant lui et la société d’accueil elle-même sont bercés par l’illusion du caractère provisoire de son séjour –, les travaux plus récents se réclamant du « transnationalisme » insistent davantage sur les compétences des migrants à créer et activer des réseaux leur permettant de tirer profit de leur situation d’entre-deux, d’être à la fois là-bas et ici, d’être doublement présents. La notion de « transnationalisme » a été popularisée dans le domaine des migrations par les anthropologues américaines Linda Basch (travaillant alors sur les migrations caribéennes), Nina Glick Schiller (sur les Haïtiens) et Cristina Szanton-Blanc (sur les migrations asiatiques) désignant par ce terme : « a process by which transmigrants, through their daily activities, forge and sustain multistranded social, economic and political relations that link together their societies of origin and settlement, and through which they create transnational social fields that cross national borders » (Basch, Glick-Schiller et Szanton-Blanc, 1992, p. 7) Les liens tissés par ces « transmigrants » entre pays d’origine et pays d’accueil peuvent être de différentes natures : économiques (envoi de remises à la famille, investissements immobiliers, développement d’activités économiques, aide humanitaire) ; politiques (partis politiques du pays d’origine qui font campagne auprès des émigrés) ; sociaux (maintien des liens familiaux ou des solidarités locales au-delà des liens familiaux). Quand le paradigme intégrationniste s’intéresse aux formes plus symboliques de lien avec le pays d’origine (à travers la pratique de la langue, de la religion, les formes de conjugalité, etc.), le paradigme « transnational » s’intéresse avant tout aux pratiques matérielles effectivement maintenues en relation avec le pays d’origine des migrants. Cette approche transnationale se retrouve dans les travaux français comme ceux d’Alain Tarrius sur les « fourmis d’Europe » (1992), les « Arabes de France dans l’économie souterraine mondiale » (1995, avec Lamia Missaoui) ou « la mondialisation par le bas » (2002) ou ceux dirigés par Michel Peraldi sur les « cabas et containers » (2001) et les « réseaux migrants dans les économies marchandes en Méditerranée » (2002). Ces travaux se concentrent essentiellement sur les activités économiques informelles développées à cheval sur la Méditerranée. En géographie, ce sont les travaux de Gildas Simon sur les Tunisiens de France (1979) qui ont mis en évidence les liens reliant espace d’origine et espace d’installation, à un niveau plus fin que l’Etat-nation. Le géographe y reconstitue les filières migratoires et montre que ces filières ne sont pas simplement alimentées par des départs en émigration et des retours définitifs mais par des vaet-vient constants de personnes et d’argent. Tous ces travaux mettent l’accent sur la capacité des migrants à se jouer des frontières, à tirer parti des différences de niveau de vie (à l’image des immigrés maghrébins de Marseille étudiés par Missaoui, « petits ici, notables là-bas », 1995). Les migrants sont présentés comme acteurs de leur migration, et plus seulement comme des agents fuyant une situation économique ou politique défavorable (effet push) ou attirés par des emplois plus sûrs et mieux rémunérés (effet pull). Cette « mondialisation par le bas » (Portes, 1999 ; Tarrius, 2002) remet en question l’approche assimilationniste de la migration et relativise l’allégeance que les migrants devraient prêter à leur nouveau lieu de vie : le mot « transnational » désigne une activité qui transcende les frontières étatiques (contrairement à l’international qui ne fait que réunir les autorités de chaque Etat), le transnationalisme des migrants est alors vu comme une remise en cause du rôle central de l’Etat-nation dans l’étude des migrations. Si les premiers travaux ont mis d’abord l’accent sur le développement d’activités économiques voire politiques entre deux espaces nationaux, des recherches plus récentes ont mis l’accent sur des pratiques d’ordre plus privé, en particulier familial, tout aussi intenses et incluant généralement des dimensions économiques (par exemple Mazzella et Boubakri, 2011, sur une famille tunisienne transnationale). L’étude de « familles transnationales » ou des manières de faire famille au-delà des frontières étatiques a alors donné plus de visibilité au rôle joué par les femmes dans ces réseaux tissés entre plusieurs pays (Razy, Baby-Collin, 2011). Malgré une inflation de l’usage de l’adjectif « transnational » (critiquée notamment par Portes, 1999) et un certain présentisme des travaux affirmant la nouveauté complète du phénomène (nouveauté remise en question par des historiens des migrations, Waldinger, 2006), les études transnationales appliquées aux migrations ont eu le mérite d’extraire les recherches sur les migrations du cadre national des pays d’installation et de sortir de la vision linéaire du modèle classique de l’assimilation. Elles ont également insisté sur les capacités d’adaptation des migrants et sur la dimension collective des processus migratoires, quand le modèle assimilationniste tend à présenter l’intégration comme un processus de changement individuel imposé par la société d’accueil. Les deux approches semblent ainsi s’exclure l’une de l’autre : l’approche intégrationniste qui se focalise sur les Etats d’installation et la particularité de leurs « modèles d’intégration » s’inscrit plutôt dans une sociologie de l’immigration ; l’approche transnationale a pour ambition de dépasser les frontières étatiques et s’inscrit davantage dans une sociologie des migrations internationales. Mais il s’agit justement maintenant de réfléchir à la manière dont ces deux modèles, plutôt que de s’opposer, peuvent se compléter, et comment ils permettent alors d’intégrer et d’interroger l’expérience des descendants de migrants. On l’a évoqué, dans le modèle assimilationniste le plus simple, le maintien de relations trop intenses avec le pays d’origine par les parents – notamment à travers les séjours passés sur place – constitue un frein à la « bonne intégration » de leurs enfants dans la société française13. En revanche, dans les modèles plus élaborés, développés notamment dans la sociologie étatsunienne, assimilation et transnationalisme constituent les deux faces d’une même pièce. Ainsi, comme on l’a vu plus haut dans la typologie de Beate Collet (2006) sur les conjoints de couple mixte, le maintien de relations fortes avec le pays d’origine (à travers le maintien de la nationalité et la transmission culturelle aux enfants) n’est pas incompatible avec l’intégration au pays d’accueil mais est précisément UNE des formes que cette intégration peut prendre ; quant au cas de l’intégration par participation citoyenne, l’appartenance nationale au pays d’accueil se combine avec le maintien de liens culturels avec le pays d’origine. Dans la société américaine, Alejandro Portes et Min Zhou (1993) identifient trois modes d’incorporation des populations issues de migrations : l’assimilation classique (mobilité sociale ascendante et acculturation) ; l’assimilation descendante (acculturation sans mobilité sociale) ; l’assimilation sous le mode du pluralisme culturel (maintien d’une spécificité culturelle combinée à une bonne intégration socio-économique). Les auteurs mettent l’accent sur le troisième de ces modes consistant en une intégration économique dans la classe moyenne qui s’accompagne d’une préservation délibérée de la spécificité ethnique par la pratique de l’endogamie et la solidarité communautaire. Cette « intégration sur le mode du pluralisme culturel » s’appuie sur le maintien de relations fortes avec la culture d’origine et non pas sur l’abandon des relations avec le pays d’origine : « Ce mode d’incorporation – appelé parfois intégration sur le mode du pluralisme culturel – est de plus en plus possible dans un monde globalisé où les contacts avec la culture et le pays d’origine sont accessibles à tous et où l’« immigration rupture » ne fait plus règle » (Safi, 2011, p. 157) Portes, cette fois en compagnie de Ruben Rumbaut (2001), a poussé plus loin ce modèle en étudiant de quelle manière s’articulent l’assimilation des parents et celle de leurs enfants nés dans le pays d’accueil : les trois trajectoires d’incorporation des descendants d’immigrés proposées se définissent alors par la combinaison des processus d’acculturation vécus par les parents et par les enfants. Ainsi, dans le cas de l’acculturation dissonante, les descendants adoptent rapidement les manières et la langue des Américains, contrairement à leurs parents – ce qui provoque une inversion des rôles (les enfants doivent prendre en charge leurs parents dans l’interface avec les institutions par exemple) et une relation conflictuelle entre générations. Quand l’acculturation est consonante, parents et enfants s’adaptent à la même vitesse ; ceci est surtout le cas pour des migrations issues de classes moyennes. Enfin, cette acculturation est dite sélective quand les enfants sont pris dans une communauté ethnique qui aide leurs parents et ralentit la perte de la langue et des normes parentales. Ce groupe ne 13 Un exemple : « De nombreux récits de vie montrent que, lorsque les parents sont fortement orientés vers le pays d’origine, les enfants risquent de subir, en conséquence, de plus grandes difficultés à s’intégrer ou à se mobiliser pour leurs études ou leurs carrières. Nous avons pu mettre en évidence un phénomène statistique du même ordre : les rapports intergénérationnels se révèlent plus tendus avec des parents dont l’intention est de retourner au pays. Le repli des parents sur le passé et sur leur pays d’origine risque d’entraver l’insertion des enfants dans leur environnement et de les détourner de leurs efforts pour conquérir leur place dans une société que leurs parents rejettent » (Attias-Donfut, Wolff, 2009, p. 283-284 ; souligné par nous). connaît pas de conflit ouvert avec ses parents, fréquente des amis partageant la même appartenance ethnique et maîtrise tout autant la langue d’origine des parents que l’anglais. Sortant momentanément de leur rôle de sociologues, les auteurs promeuvent cette troisième modalité d’acculturation des descendants d’immigrés en ce qu’elle leur permettrait d’éviter l’assimilation descendante ou segmentée qu’ils décrivent dans d’autres travaux. On assiste alors à l’inversion de l’idée présentée précédemment selon laquelle le maintien de liens forts avec le pays et la culture d’origine serait un frein à la bonne intégration dans le pays d’accueil : ici, il s’agit plutôt de promouvoir ces liens comme condition de possibilité d’une bonne intégration. « Concepts such as second-generation decline, segmented assimilation, and selective acculturation all stress that, for the second generation, becoming America could lead to downward mobility and maintaining ties to their parents’ culture and homeland could facilitate upward mobility » (Levitt, Waters, 2002, p. 17) En effet, constatant l’incapacité du modèle assimilationniste à expliquer la situation des Noirs américains ou celle des nouvelles générations de descendants d’immigrés (issus de migrations en provenance d’Amérique du Sud par exemple plutôt que de pays européens), la notion d’assimilation segmentée (Portes, Zhou, 1993) a permis de caractériser des processus non linéaires combinant « une assimilation forte sur le plan linguistique et culturel » et « une infériorisation marquée et persistante sur le plan socio-économique » (Silberman, Fournier, 2006). Dans le cas français, sont alors généralement opposés les descendants d’immigrés maghrébins ou sub-sahariens – connaissant une profonde assimilation sur le plan culturel mais une marginalisation sociale et économique – et les descendants d’immigrés européens, notamment portugais – qui eux connaissent une bonne insertion socio-économique tout en préservant un lien fort avec la communauté portugaise en France et avec le pays d’origine (voir par exemple Beauchemin, Lagrange, Safi, 2011). Pour les premiers, le maintien ou plutôt la redécouverte de pratiques liées aux origines des parents serait une réaction à un sentiment et à un vécu d’une discrimination socio-économique, la mise en avant de particularismes culturels ou la revendication d’une ethnicité commune correspondant à une inversion du stigmate ressenti. C’est notamment ainsi qu’a pu être analysée l’évolution des pratiques religieuses se revendiquant de l’islam parmi les descendants d’immigrés (Venel, 2004 ; Kakpo, 2005). L’étude des pratiques transnationales des descendants d’immigrés s’inscrit alors généralement dans cette réflexion sur le lien entre assimilation et maintien de liens (symboliques et/ou matériels) avec le pays d’origine. Ainsi, dans leur ouvrage collectif réunissant des spécialistes des études transnationales et des chercheurs intéressés au devenir de descendants d’immigrés dans la société états-unienne, Peggy Levitt et Mary Waters (2002) soulèvent bien la problématique d’ensemble qui guide les différents travaux : le maintien de pratiques transnationales avec le pays d’origine de ses parents vient-il compromettre une bonne assimilation à la société dans laquelle on vit ? Ou au contraire, ce maintien de liens avec le pays d’origine est-il une ressource pour s’assurer une bonne insertion dans cette société ? « Does access to a global diasporic consciousness create opportunities for young people to acculturate selectively (to use Portes and Rumbaut’s terms) ? Or does the maintenance of ties to the parents’ sending country cause second-generation young people to disengage from American society and become politically and socially isolated ? » (Levitt, Waters, 2002, p. 18) Prenant la question dans un sens légèrement décalé, Cris Beauchemin, Hugues Lagrange et Mirna Safi (2011) étudient les pratiques transnationales d’immigrés et de descendants d’immigrés en France, à partir des données de l’enquête TeO. Ils s’interrogent alors sur l’interprétation à donner au maintien de certaines pratiques transnationales parmi les descendants d’immigrés. S’agit-il d’un transnationalisme réactif : en réaction à un sentiment de discriminations subies dans la société française, les individus investiraient et mettraient en avant des appartenances alternatives ? Ou au contraire, les pratiques transnationales ne sontelles pas plus développées parmi la fraction la plus stable socialement et économiquement des descendants d’immigrés, ceux-ci mettant alors à profit leurs compétences et leurs ressources économiques pour investir dans le pays d’origine de leurs parents ? Face au constat d’une nette diminution des pratiques transnationales des descendants d’immigrés par rapport aux primo-migrants (Beauchemin, Lagrange, Safi, 2011 ; Levitt, Waters, 2002), les travaux sur le transnationalisme des descendants d’immigrés accordent alors une plus grande place à un transnationalisme d’ordre plus symbolique, c’est-à-dire au maintien d’une attache avec le pays d’origine non pas tant par des pratiques matérielles mais par l’entretien – à distance – d’une certaine fidélité à la « culture » du pays d’origine à travers par exemple le maintien (voire l’apprentissage) de la langue. Les auteurs parlent alors de « sentiment d’appartenance transnational » (Glick-Schiller, Levitt, 2004) et abandonnent la dimension matérielle qui faisait pourtant l’intérêt du paradigme transnational : « There are people with few or no actual social relations with people in the sending country or transnationally but who behave in such a way as to assert their identification with a particular group. […] These individuals have some sort of connection to a way of belonging, through memory, nostalgia or imagination » (Glick-Schiller, Levitt, 2004, p. 1011 ; souligné par nous) Le lien au pays d’origine des descendants d’immigrés est alors – comme dans le paradigme intégrationniste – à nouveau saisi à travers des pratiques symboliques plutôt que matérielles. Des recherches restent malgré tout centrées sur l’analyse des liens matériels entretenus avec le pays d’origine. Ainsi, par exemple, Emmanuelle Santelli a étudié les formes de relations économiques et professionnelles maintenues ou créées par des descendants d’immigrés algériens dans le pays de naissance de leurs parents : elle analyse l’évolution dans le temps des modes d’investissement économique en Algérie de descendants d’immigrés algériens nés à des époques différentes. Les liens étudiés ici sont définis comme correspondant à « toutes les formes d’engagement qui ont conduit les individus à aller en Algérie pour des raisons scolaires, professionnelles, conjugales, familiales, politiques, militaires, sportives, affectives, culturelles…durant une période plus ou moins longue » (Santelli, 1999, p. 144). L’auteure introduit aussi une dimension temporelle dans son analyse : elle compare les liens entretenus dans les années 1980 et ceux tissés ou projetés une décennie plus tard (fin des années 1990) : elle met alors à jour le poids des contextes politiques, économiques et sociaux dans chacun des pays sur les comportements transnationaux des individus. Elle identifie alors chez les entrepreneurs transnationaux de l’époque la plus récente la volonté de constituer une élite dont une des missions serait de lutter contre la stigmatisation de ce qu’ils considèrent comme la « communauté maghrébine » de France. Selon les représentants d’associations économiques franco-algériennes, leur intégration et leur reconnaissance dans la société française suppose l’intégration de tout le groupe, « sans reniement de leurs origines et de la richesse sociale et culturelle » (p. 16) : pour eux, « l’intégration postule la reconnaissance du groupe dans son entier, sinon cela contribue à les exclure du groupe et à présenter la réussite d’une minorité comme exceptionnelle, au sens de rare, ce qui contribue finalement à les marginaliser » (p. 17). On retrouve là très nettement un des modes d’incorporation, mis en lumière par Portes et Zhou, qui combine intégration économique et sociale à la société d’accueil et maintien de traits culturels et de solidarités internes au groupe d’origine. L’avantage d’une telle approche, centrée sur les liens concrets, est d’éviter les approximations que sont susceptibles d’apporter les études portant sur les relations à la « culture » d’origine qui n’impliquent pas nécessairement une présence physique dans le pays d’origine mais désignent un lien plus métaphorique (à travers le rapport à la langue, à la religion, à certaines traditions). A un autre niveau de la hiérarchie sociale, les séjours passés en Algérie ont pu être interprétés davantage comme un recours face à une situation sociale difficile en France. Ainsi, dans son travail ethnographique sur une première génération de bacheliers dans un quartier populaire de l’est de la France, Stéphane Beaud analyse longuement la trajectoire sociale d’un jeune d’origine algérienne, Nassim (Beaud, 2002). Après sa réussite au baccalauréat, Nassim essuie une série d’échecs à l’université. Pour Beaud, c’est en réaction à cet échec ainsi qu’à l’évolution de son quartier (départ de familles immigrées du quartier, par des retours « au bled » ou par des déménagements dans les quartiers pavillonnaires) et de manière plus générale à la stigmatisation croissante des immigrés et de leurs enfants dans la société française (avec notamment la montée du Front National) que Nassim retourne en Algérie après huit ans d’interruption, qu’il s’y marie et en revient animé de ce que Beaud appelle « une ethnicité symbolique »14. La confrontation de ces travaux amène à penser que plutôt que d’opter pour l’une ou l’autre des grilles d’analyse cherchant à associer « pratiques transnationales » avec « fort/faible niveau d’assimilation », il convient de prendre en compte la diversité des trajectoires sociales des descendants d’immigrés et, par là, la diversité des ressorts expliquant le développement de pratiques transnationales. Dans l’acception la plus rigoureuse (et donc la plus étroite) du concept de transnationalisme, les vacances (de courte durée, sans visée professionnelle, économique ou politique, sans relation familiale de premier degré15) passées dans le pays d’origine ne doivent pas être considérées comme des pratiques transnationales véritables. Ainsi, quand Alejandro 14 Valorisant les relations sociales qu’il y noue et y renouant avec certaines pratiques culturelles, comme l’écoute de musique traditionnelle de sa région d’origine – la chanson staifia – plutôt que l’écoute d’une musique d’origine algérienne très répandue dans l’immigration algérienne en France, ainsi que plus largement dans la société française, le raï. 15 C’est-à-dire, dans un modèle de famille conjugale, sans la présence de parents, de frères et sœurs, ou d’enfants vivant dans le pays visité (car, pour les descendants d’immigrés, parents, frères et sœurs et enfants vivent généralement en France). Portes appelle à la rigueur dans l’usage de ce concept, il prend précisément l’exemple des vacances au pays comme contre-exemple : « la soudaine popularité du terme pourrait laisser croire que tout le monde aujourd'hui est devenu « transnational », ce qui est loin d'être le cas (...) le négociant salvadorien qui rentre périodiquement se réapprovisionner au pays ou l'industriel dominicain qui vient régulièrement à New York faire de la publicité auprès de ses compatriotes sont des entrepreneurs transnationaux ; en revanche, l'immigré qui achète une de ces maisons ou qui rentre chez lui une fois par an, les bras chargés de cadeaux pour ses parents et amis, n'en est pas un » (Portes, 1999, p. 22 ; souligné par nous) Emmanuelle Santelli, étudiant les relations professionnelles ou économiques entretenues par des descendants d’immigrés algériens avec l’Algérie, balaie elle aussi rapidement la question des séjours de vacances comme forme la plus évidente certes mais la plus faible d’un maintien de relations avec le pays d’origine des parents. Mais précisément, si c’est l’expression la plus évidente, c’est parce qu’elle est la plus massive : il est clair que les descendants d’immigrés sont plus nombreux à entretenir un lien matériel avec l’Algérie à travers des séjours (plus ou moins réguliers) de vacances qu’à travers des investissements économiques16. L’enjeu est alors de voir comment ce signal – peut-être plus faible en intensité mais plus lourd en volume global – peut être analysé et interprété. Qu’est-ce qu’il dit des relations entretenues par les descendants d’immigrés avec le pays d’origine et la migration des parents ? 16 D’après l’enquête TeO, 4% des descendants d’immigrés possèdent une maison ou un terrain dans le pays d’origine de leurs parents et 7% apportent une contribution financière à un projet collectif dans la région d’origine, quand 84% des descendants d’immigrés effectuent des visites ponctuelles dans le pays d’origine, Beauchemin, Lagrange, Safi, 2011, p. 7. Les vacances au bled, « tourisme ethnique », « tourisme généalogique » ou « tourisme des racines » ? Symbole du maintien de relations concrètes avec le pays d’origine au même titre que l’envoi d’argent, les retours temporaires au pays de groupes immigrés apparaissent régulièrement dans les travaux d’historiens ou de sociologues, mais davantage comme indicateur que comme objet central des recherches (par exemple les travaux de Janine Ponty (1988) sur les Polonais de France ou de Marie-Claude Blanc-Chaléard (2000) sur les Italiens de France). Yves Charbit, Marie-Antoinette Hily et Michel Poinard (1997) innovent dans ce domaine en plaçant les retours de vacances des immigrés portugais au centre de leur recherche dans leur ouvrage Le va-et-vient identitaire. Dans ce travail, l’étude des retours vacanciers – ainsi que des retours définitifs – des émigrés et les modalités d’insertion de ces vacanciers particuliers dans la société locale a vocation à déconstruire la vision linéaire du processus d’émigration comme déracinement, établissement définitif dans un autre pays et coupure avec la société d’origine. Les auteurs montrent que, malgré leur départ, les émigrés gardent des relations intenses avec leur village d’origine dont ils contribuent à faire évoluer les infrastructures et la vie locale. Les auteurs n’abordent que rapidement le cas de la génération suivante, née à l’étranger, dont les pratiques de « retour au pays » contrastent avec celles des parents car davantage orientées vers le tourisme balnéaire que les visites familiales. Des travaux davantage issus du champ de la sociologie de l’habitat se sont quant à eux intéressés au double ancrage résidentiel des migrants, et aux réalisations immobilières des migrants dans leur pays d’origine (Villanova, Leite, Raposo, 1994 ; Bonnin, Villanova, 1999) : centrés sur la dimension résidentielle, ces travaux ne s’intéressent pas directement aux pratiques de loisirs déployées sur place pendant les séjours de vacances dans le pays d’origine et portent eux aussi principalement sur les primo-migrants, et moins centralement sur leurs descendants. Par ailleurs, des chercheurs spécialisés en études touristiques ont cherché à cerner ce phénomène à travers la catégorie statistique d’enregistrement des flux touristiques internationaux intitulée « Visiting Friends and Relatives » ou VFR – catégorie étroitement associée aux populations issues de migration (Jackson, 1990). En France, on parle davantage de « tourisme affinitaire » particulièrement dans les publications qui s’intéressent au développement touristique des Départements d’Outre Mer où ce segment de clientèle est important, voire majoritaire (Dabet, 2004). Ces travaux ont alors souvent une visée pragmatique puisqu’ils cherchent à produire des recommandations à destination de professionnels du tourisme pour mieux prendre en compte ce segment de l’activité touristique, longtemps négligé (dans son intensité et dans ses retombées économiques) (Jackson, 1990 ; Morrison, Hsieh et O’Leary, 1995 ; Butler, 2003). Mais la catégorie « VFR » – en plus d’être très hétérogène (aller visiter sa famille ne recouvre pas les mêmes réalités et logiques qu’aller voir des amis à l’étranger par exemple) – est uniquement descriptive et ne permet pas d’approfondir la question des enjeux sociaux des voyages effectués dans le pays d’origine. Objet marginalisé dans les recherches sur les migrations et étudié d’abord à des fins pragmatiques dans les études touristiques, les pratiques touristiques liées aux phénomènes migratoires n’ont suscité – jusqu’à une période très récente – qu’assez peu de travaux. La recherche anglo-saxonne est pionnière dans ce domaine, notamment à travers la synthèse qu’ont proposée deux chercheurs britanniques spécialisés dans le domaine du tourisme sur les liens entre « tourisme » et « diaspora »17 (Coles, Timothy, 2004). Dans leur ouvrage collectif, les auteurs identifient quatre types de flux unissant tourisme et diaspora : les séjours dans le pays d’origine ; les séjours à l’étranger dans la famille émigrée de personnes vivant dans le pays d’origine ; les séjours dans des espaces de transit importants dans l’histoire des diasporas ou des migrations (par exemple Ellis Island comme lieu de mémoire pour les Etats-Uniens d’origine européenne) ; et enfin les séjours passés dans des espaces de vacances produits par les groupes diasporiques au sein de la société d’accueil 18 . Plus récemment, une série de publications francophones – pour certaines ancrées dans l’étude du tourisme (la revue québécoise sur le tourisme Teoros qui publie en 2010 un numéro spécial « tourisme des racines »), pour d’autres dans l’analyse des phénomènes migratoires (la revue française Diasporas qui publie en 2009 un numéro « Tourismes ») voire des revues généralistes s’intéressant aux relations internationales (la revue Critiques internationales qui propose en 2010 un numéro sur les « voyages des racines ») – ont permis d’apporter de nouveaux éclairages sur ce phénomène à partir de nouvelles monographies, principalement centrées sur les séjours passés dans un pays conçu comme terre d’origine. Le vocable large et discutable de « diaspora »19 permet à ces revues de regrouper des cas extrêmement variés de « tourisme des racines » en fonction des histoires migratoires concernées. Première variation : l’ancienneté de la dispersion. Ainsi, l’éclatement des Acadiens (population francophone d’Amérique du Nord) date du 18e siècle (Lamarque, 2009), l’émigration des Irlandais s’est surtout déroulée au cours du 19e siècle (Legrand, 2002), l’exil massif des Cambodgiens (Ponrouch, 2009) ou des Vietnamiens (Peyvel, Vigne, 2009) plutôt dans la deuxième moitié du 20e siècle. Cette ancienneté rend alors plus ou moins probable l’existence d’un lien direct ou non avec la « terre des origines ». Elle doit être combinée ensuite avec l’éloignement causé par l’émigration. L’éloignement peut être lié à une distance physique mais aussi au caractère forcé et traumatique de l’émigration : les migrants sont-ils restés coupés du pays d’origine pendant une longue période, à l’image des Vietnamiens émigrés dans les années 1970 et qui n’ont pu revenir qu’à partir des années 1990, une fois qu’ils n’étaient plus complètement indésirables pour le gouvernement vietnamien ? Ou le contexte politique et géographique leur a-t-il permis de revenir régulièrement, à l’image des migrants italiens installés en France ? Autre différence : étudie-t-on les retours aux origines des migrants eux-mêmes ou de leurs descendants ? Si les travaux de Caroline Legrand sur les Américains d’ascendance irlandaise portent sur des descendants d’immigrés de nième génération (Legrand, 2002), ceux de Francesca Sirna (2009) sur les Piémontais et les Siciliens portent sur les migrants eux-mêmes. D’autres encore comme ceux de Julia Ponrouch sur les Cambodgiens (2009) ou d’Antoine Goreau-Ponceaud (2010) sur les Indiens mettent la lumière sur les variations de pratique entre les primo-migrants et leurs 17 La notion de « diaspora » est ici utilisée dans son acception minimaliste de communautés se définissant par référence à un pays d’origine lointain d’où ils sont originaires et non d’après les définitions les plus maximalistes (sur ce point, voir Dufoix, 2006 ; Dufoix, 2011). 18 Ils citent comme exemple les Catskills Mountains, dans l’état de New-York, comme lieu de vacances des Juifs du Nord-Est des Etats-Unis. 19 Sur ce débat, voir par exemple Dufoix, 2011, ou l’introduction au numéro de la revue Tracés paru en 2012 sur le thème « Diasporas », Calafat, Goldblum, 2012. descendants. Et certains posent explicitement la question de la durabilité de ce type de tourisme au fil des générations mais de manière essentiellement prospective (Sintès, 2010 ; Heyman, 2010). Enfin, c’est l’espace de référence qui peut prendre des formes variées : pays de naissance pour les migrants où leurs descendants peuvent trouver des traces directes de leur présence ou terre d’origine mythique reconstruite a posteriori à l’image du Ghana pour les Africains-Américains qui se définissent comme descendants d’esclaves (Bruner, 1996 ; Holsey, 2010), ou la République Soviétique d’Arménie pour la diaspora arménienne issue du génocide des années 1910 et de la chute de l’empire ottoman, Etat qui ne correspond qu’à une infime partie des territoires d’origine des membres de cette diaspora mais qui est vue dans les années 1950 comme terre de référence (Atamian, 2009). Les travaux portant sur des pratiques touristiques motivées par des sentiments d’appartenance liés à des migrations très anciennes (émigration irlandaise ou déportation d’esclaves africains vers l’Amérique du Nord par exemple) ont pour intérêt de mettre l’accent sur la promotion de ce type de séjours par des acteurs publics (gouvernement, Ministère du tourisme, offices du tourisme). Depuis le début des années 1980, les gouvernements irlandais successifs ont par exemple explicitement misé sur le développement d’une industrie de « tourisme des racines » afin de relancer l’économie du pays, en promouvant notamment les recherches généalogiques des visiteurs venus principalement d’Amérique du Nord (Legrand, 2007)20. Les visiteurs n’étant le plus souvent d’ascendance irlandaise que lointaine en raison de l’ancienneté de l’émigration irlandaise, l’Etat irlandais vient suppléer l’absence de liens familiaux directs pour susciter la venue de ces touristes aisés. A partir des années 1990, le Ghana a, de la même manière, essayé d’instrumentaliser la mémoire de l’esclavage pour attirer les classes moyennes africaines-américaines des Etats-Unis (Bruner, 1996 ; Holsey, 2010). La visite des lieux de mémoire liés à l’esclavage (comme les donjons où étaient enchaînés les esclaves) mais aussi l’instauration en 1994 d’un festival de musique et de danse panafricain ayant pour vocation de retracer l’histoire du commerce des esclaves doivent alimenter la quête mémorielle de ces touristes. En dehors de ces démarches actives de développement touristique, les Etats gardent la mainmise sur la liberté de circulation des personnes : visa, passeport, double nationalité définissent le cadre juridique qui permet – ou non – les séjours touristiques dans les terres d’origine. Les Vietnamiens de l’étranger, souffrant de l’image du « traître » alimentée par le régime communiste vietnamien au moins jusqu’en 1986, ont du attendre les années 2000 pour bénéficier de visas spéciaux pour entrer dans le pays (et sortir du régime de droit commun du visa « tourisme ») et pour obtenir la double nationalité. Aujourd’hui, l’Etat vietnamien encourage activement les séjours touristiques de ses ressortissants de l’étranger ; il s’appuie pour ce faire sur un discours identitaire basé sur la nostalgie du pays natal, sur des repères culturels ancestraux et des périodes historiques non conflictuelles et gomme les événements et les éléments les plus litigieux (Peyvel, Vigne, 2009). Ces différents travaux ont 20 En 1987, le gouvernement irlandais crée le Irish Genealogical Project ; puis, dans les années 1990, l’autorité de développement du tourisme national (Bord Fáilte) publie un guide de généalogie intitulé Tracing your Irish Ancestor in Ireland. L’auteure souligne à quel point il est commun, aujourd’hui, de trouver, dans les centres commerciaux de Dublin, des magasins de généalogie où l’on peut acheter un arbre généalogique vierge, des manuels pour les novices du domaine et des livres retraçant succinctement l’histoire de noms de famille irlandais (Legrand, 2007). le mérite d’insister sur le rôle des Etats dans la production d’un tel « tourisme des racines »21 ainsi que sur les enjeux mémoriels (pour légitimer une version de l’histoire nationale plutôt qu’une autre par exemple) et économiques d’un tel tourisme. Ces différentes publications permettent aussi de comparer les pratiques touristiques à l’œuvre dans chacun des cas, suivant les caractéristiques des groupes étudiés. Les visites familiales concernent d’abord des groupes dont la migration n’est pas trop lointaine pour avoir rendu possible le maintien de liens directs : les Siciliens et les Piémontais de Francesca Sirna (2009), les Cambodgiens de Julia Ponrouch (2009), les Vietnamiens d’Emmanuelle Peyvel et Christophe Vigne (2009) rendent visite à leur famille, les premiers sans véritable coupure depuis la migration, les autres dans un mouvement de « retour » après plusieurs années (parfois plusieurs décennies) d’exil. Pour d’autres groupes, le tourisme d’histoire familiale prend un détour plus indirect : il s’agit de faire des recherches généalogiques, qui peuvent mener in fine à la rencontre de parents éloignés habitant la « terre des origines » (Legrand, 2002, 2007 ; Lamarque, 2009). Le tourisme d’histoire familiale ne consiste pas seulement à retrouver des personnes mais aussi des lieux et des paysages, soit les paysages réels de la jeunesse pour les migrants (notamment la maison de l’enfance), soit les paysages mythiques transmis par les récits ou les photographies pour les descendants de migrants, à l’image de ce que Gökce Bayindir Goularas (2010) observe chez les descendants des Turcs de Grèce. Quand le voyage est motivé par un sentiment d’appartenance à un groupe plus large que simplement le groupe familial, les visites vont se porter sur des symboles renvoyant à l’histoire du groupe concerné. Le groupe de référence peut se définir en termes d’appartenance nationale (dans notre cas, il s’agit par exemple de visiter l’Algérie, ses sites romains, ses villes façonnées par la colonisation ottomane et française) mais aussi dans des acceptions plus larges (référence à une « culture arabe » ou une « culture musulmane » par exemple) ou plus étroit (référence à une « culture kabyle » ou une « culture chaouia22 »). Ainsi, ces touristes vont alors visiter les hauts lieux du patrimoine national, à l’image des émigrés Piémontais pour qui « connaître le patrimoine et l’histoire nationale développe en effet le sentiment de filiation directe avec son propre pays d’origine » (Sirna, 2009, p. 38-39). Les Cambodgiens de l’étranger eux visitent volontiers les symboles de la grandeur passée du Cambodge comme le temple d’Angkor. Les lieux visités peuvent aussi renvoyer à la mémoire de l’exil ou de la persécution qui y a mené : ainsi en est-il des visites de camps de concentration en Pologne organisées par l’Etat d’Israël ; de celles des donjons aux esclaves au Ghana ; ou encore des centres de tortures ou des charniers des Khmers Rouges au Cambodge. Si ces touristes cherchent souvent à retrouver les traces de leur passé, certains cherchent également à voir les réalisations nouvelles, les changements de leur pays d’origine : ainsi les Arméniens sympathisants de la cause soviétique se rendent-ils en République soviétique d’Arménie dans les années 1950-1960 non seulement pour y rechercher des racines mythiques arméniennes à travers le paysage ou le patrimoine religieux mais aussi pour se confronter à la modernité des 21 Nous désignons ainsi, pour l’instant, la catégorie institutionnelle utilisée par exemple par les Etats, et non une catégorie scientifique. 22 Kabyles et Chaouias sont des sous-groupes rattachés aux cultures berbères ; les Kabyles se concentrent historiquement dans la région de la Kabylie, au centre Nord de l’Algérie ; les Chaouias à l’Est, dans la région montagneuse des Aurès. réalisations soviétiques (Atamian, 2009), dans la tradition du tourisme militant prosoviétique (Pattieu, 2009b). Enfin, ces visites familiales ou culturelles se combinent avec des activités plus proches du tourisme balnéaire : les Camerounais de France, s’ils vont surtout voir leur famille, en profitent pour profiter quelques jours des plages de Kribi (Elamé, 2009) ; Cambodgiens (Ponrouch, 2009) et Vietnamiens (Peyvel, Vigne, 2009) de l’étranger agrémentent leurs séjours de journées passées à la plage, parfois en compagnie de leur famille vivant sur place. Plutôt que d’opposer les tourismes des racines selon qu’ils soient motivés par la mémoire familiale ou la mémoire d’un groupe d’appartenance plus large, il faut voir comment ces différentes identifications se combinent. Ce n’est pas tant par exclusion mutuelle que ces différentes pratiques définissent les catégories de touristes des racines que par variation des combinaisons possibles. Ainsi, les Siciliens et les Piémontais rencontrés par Francesca Sirna vont-ils tous rendre visite à leur famille dans le village d’origine où ils sont assez fréquemment propriétaires d’une résidence secondaire. Mais les Piémontais profitent de leur séjour en Italie pour aller visiter d’autres régions et s’approprier l’italianita (le sentiment d’appartenance à la nation italienne), tandis que les Siciliens restent centrés sur le village d’origine comme « lieu exclusif où se ressourcer et renouer les liens avec les parents et les voisins » (Sirna, 2009, p. 46). De même, si les émigrés cambodgiens et leurs enfants consacrent une part importante de leur temps de séjour aux visites familiales et qu’ils visitent également des lieux touristiques comme Angkor, les descendants d’émigrés eux vont également chercher à mieux connaître l’histoire récente du pays en visitant les lieux de mémoire des massacres perpétrés par les Khmers rouges, alors que leurs ascendants éviteront ces visites (Ponrouch, 2009). Sur certains aspects, les touristes des racines ne se distinguent finalement pas tellement des autres touristes : fréquentation des sites balnéaires et visite du patrimoine culturel reconnu les amènent à croiser les chemins du tourisme d’agrément, en particulier dans les pays ou régions à forte vocation touristique. Mais au-delà de la description des activités, que disent ces travaux sur l’impact de ces séjours sur les touristes considérés ? Comment ces séjours modifie-t-il leur sentiment d’appartenance à un groupe national, ethnique ou religieux ? D’un côté, ces voyages permettent de concrétiser un sentiment d’appartenance à travers la pratique d’une langue commune ou la confrontation matérielle aux traces d’un vécu personnel ou familial : ainsi, une descendante d’Arménien retient-elle de son voyage en République soviétique d’Arménie la surprise ressentie en entendant parler arménien autour d’elle, et notamment en écoutant les symboles par excellence de la souveraineté d’un Etat que sont les policiers pratiquer cette langue auprès de son père (Atamian, 2009). Dans un travail sur les séjours en Chine ou en Corée de jeunes Américains d’origine chinoise ou coréenne, Nazli Kibria (2002) souligne le sentiment de familiarité dont témoignent plusieurs de ces jeunes à leur arrivée dans le pays d’origine de leurs parents. Le fait d’être entourés de personnes partageant les mêmes caractéristiques physiques et de retrouver des traditions qu’ils ne connaissaient, aux Etats-Unis, que limitées au cercle familial provoque une certaine identification immédiate venant renforcer l’idéologie primordialiste23 transmise par leurs parents. Au-delà de ce sentiment d’identité (au sens ici de mêmeté), l’ensemble des travaux se rejoignent plutôt pour constater le décalage ressenti par les visiteurs avec leurs attentes initiales, l’altérité ressentie par ces visiteurs par rapport à la population locale. Ce décalage s’exprime particulièrement dans les relations liées avec les résidants de la région visitée, relations qui renvoient les visiteurs à leur statut d’étranger. Ainsi, malgré l’identification physique et culturelle, les Etats-Uniens descendants d’émigrés coréens et chinois rencontrés par Kibria ont ressenti la coupure avec la société locale : mal vus quand ils ne parlaient pas la langue, ils sont aussi identifiés par leur habillement ou leur maintien. Le comportement des jeunes filles notamment contraste avec les normes en vigueur dans ces pays : elles y sont alors vues comme agressives et manquant de déférence pour les hommes. Finalement, leur voyage les a amenés à se sentir plus Américains que Chinois ou Coréens. Les contacts avec la population locale sont restés limités, ces voyages organisés pour étudiants ont en fait été plutôt l’occasion de rencontrer d’autres Américains d’origine chinoise ou coréenne, en particulier pour les jeunes qui avaient grandi aux Etats-Unis en dehors de groupes communautaires. Si le décalage est fort pour des descendants d’immigrés qui se rendent pour la première fois dans le pays d’origine de leurs parents, il est réel aussi pour les émigrés euxmêmes qui, au fil des ans, ne sont plus vraiment considérés comme des membres à part entière de leurs villages d’origine (voir par exemple Sirna, 2009). Pour dépasser ce constat du décalage, certains travaux se sont plutôt focalisés sur les combinaisons de pratiques entre émigrés ou descendants d’émigrés et sédentaires : ainsi, les Vietnamiens de l’étranger apportent-ils à leur famille restée sur place les moyens économiques de profiter du tourisme balnéaire, mais la famille vietnamienne leur fait découvrir les stations fréquentées par les touristes domestiques, à l’écart des stations balnéaires concentrant les touristes internationaux (Peyvel, Vigne, 2009). Si la comparaison de ces monographies a le mérite de désingulariser des analyses produites sur des cas particuliers24, elle amène parfois à comparer des situations difficilement comparables et à tirer des conclusions très générales trop éloignées des contextes particuliers de chaque migration. D’où l’indétermination sur le concept à employer pour désigner cet ensemble de voyages : doit-on parler de « tourisme ethnique », de « tourisme généalogique » ou de « tourisme des racines » ? L’adjectif « ethnique » renvoie ici à un sentiment d’appartenance ou d’identification avec un mode de vie représenté par l’espace visité qui n’implique pas nécessairement de relations familiales (King, 1994). L’adjectif « généalogique » rappelle quant à lui la dimension familiale de ce retour aux sources. L’expression « tourisme des racines » viendrait en fait subsumer ces deux sous-catégories, soulignant la polysémie du terme « racines » pouvant renvoyer aussi bien à des origines familiales que des origines 23 C’est-à-dire que pour leurs parents, l’appartenance à la communauté chinoise ou coréenne est avant tout une affaire de sang (« a matter of blood »), d’hérédité biologique. (Kibria, p. 299). 24 La stigmatisation des jeunes Etats-Uniennes d’origine coréenne ou chinoise en visite dans le pays de naissance de leurs parents (Kibria, 2002) vient par exemple relativiser le poids de la religion musulmane comme mode de domination sur les jeunes filles descendantes d’immigrés en visite au bled sur leur tenue vestimentaire ou leur manière d’être. On voit là que plus que l’effet d’une pratique religieuse particulière, les jeunes filles se heurtent plus largement à des rapports sociaux de sexe plus traditionnels et patriarcaux que dans la société dans laquelle elles vivent. géographiques auxquelles seraient associées des modes de vie, des coutumes, des croyances, etc. Mais associer le mot « tourisme » à cette quête des racines vient souligner la dimension économique et nécessairement organisée de cette activité : l’expression « tourisme des racines » est-elle alors adaptée pour désigner des séjours dominés par des visites familiales menées en dehors de circuits touristiques organisés ? De plus, utiliser cette expression de « tourisme des racines » comme concept scientifique pour désigner les vacances passées en Algérie par des descendants d’immigrés algériens amène à considérer comme un présupposé de départ que ces voyages ont nécessairement (et uniquement) une dimension explicitement identitaire, mémorielle. En réalité, ces vacances passées dans le pays d’origine des parents pour des descendants d’immigrés prennent un sens et des formes différentes suivant leur fréquence. À propos des émigrés cambodgiens de retour dans leur pays natal après plusieurs années d’exil, Julia Ponrouch (2009) précise que les activités ne sont pas les mêmes entre le premier retour, et les retours suivants : le premier séjour est consacré aux retrouvailles familiales, alors que les suivants occasionnent davantage de visites touristiques. Ce constat se transpose facilement à la génération suivante : ainsi, l’expérience analysée par Antoine Goreau-Ponceaud (2010) à propos des enfants d’émigrés indiens à l’occasion de leur première visite dans leur famille en Inde au moment de leur adolescence est bien différente de celle de descendants d’immigrés maghrébins habitués depuis l’enfance à passer tous les ans, ou très régulièrement, leurs étés dans leur famille algérienne ou marocaine. Or, d’après l’enquête TeO, 82,6% des descendants d’Algériens interrogés sont partis dans leur enfance en Algérie (dont 34% tous les ans) ; c’est le cas de 95,1% des descendants de Marocains (65% précisent y être allés chaque année)25. Si les retours vacanciers au bled (c’est-à-dire des populations issues des migrations en provenance des pays d’Afrique du Nord) sont très présents dans l’imaginaire national français, ils n’ont pas pour autant souvent été l’objet central de recherches. Dans un article, Abdelhafid Hammouche (2003) propose une analyse longitudinale de l’évolution des séjours de vacances d’une femme algérienne immigrée en France dans les années 1960 et montre comment l’évolution des vacances de cette femme rend compte de l’évolution du projet migratoire des immigrés algériens au fil de leur installation en France et d’une progressive acculturation des familles immigrées populaires à la pratique des loisirs. Riche en matériau ethnographique et en analyse, cet article reste essentiellement programmatique, n’étant qu’un appendice d’une recherche au long cours portant plus largement sur l’immigration algérienne à Saint Etienne et en particulier sur l’évolution des logiques matrimoniales au sein de cette immigration (Hammouche, 1994, 2007). Dans la continuité de sa recherche doctorale sur l’hétérogénéité des trajectoires sociales de « jeunes de cité » (Marlière, 2005), Eric Marlière s’est également ponctuellement intéressé aux vacances passées « au bled » de jeunes descendants d’immigrés marocains, algériens et tunisiens, résidant en cités en France (Marlière, 2006). Dans cet article, Marlière s’intéresse surtout aux relations entre jeunes de cité en vacances et Algériens fréquentant les espaces 25 Résultats tirés d’un retraitement de l’enquête INED/INSEE Trajectoires et origines (TeO) - version réduite 2008 - (2008) [fichier électronique], INED et INSEE [producteur], Centre Maurice Halbwachs (CMH) [diffuseur]. Pour en savoir plus : http://teo.site.ined.fr/en/ touristiques, mais sans rendre compte des relations familiales nouées sur place ni de la diversité des pratiques des descendants d’immigrés en vacances dans le pays d’origine de leurs parents. L’intérêt de son analyse est alors de rendre compte des relations entre vacanciers de France et vacanciers locaux sur le mode de rapports sociaux de classe plus que de rapports interethniques, entre « descendants d’immigrés » et non émigrés : les descendants d’immigrés sont davantage vus sous l’angle de leurs appartenances sociales (classes populaires) que nationales (Français/Algériens). C’est en fait une jeune chercheuse états-unienne – Lauren Wagner – qui propose, en 2011, une thèse centrée sur les pratiques de vacances au Maroc de descendants d’immigrés marocains vivant en France, en Belgique ou aux Pays-Bas (Wagner, 2011). Dans un travail basé sur l’analyse des interactions de face-à-face observées dans le cadre de relations commerciales ou dans des espaces touristiques balnéaires, Wagner rend compte des microdécalages dans les manières d’être (dans l’usage de la langue arabe, dans l’habillement, dans le choix des lieux de sortie) des descendants d’immigrés par rapport aux Marocains résidants. En privilégiant les interactions dans les lieux publics, elle s’intéresse principalement aux jeunes vacanciers plus nombreux dans les espaces touristiques (au détriment de descendants d’immigrés – notamment plus âgés, ayant fondé leur propre famille – privilégiant d’autres types de pratique pendant leurs séjours au Maroc) et se détourne largement des interactions familiales observables dans les espaces privés des villes ou villages d’origine. Contrairement à Eric Marlière qui se concentre sur les rapports de classe, Lauren Wagner analyse la manière dont ces vacanciers se sentent Marocains ou Français/Belges/Néerlandais, en fonction des situations, dans la continuité d’une sociologie des rapports interethniques inspirée des travaux de Fredrik Barth (1969). A la croisée de ces littératures, entre sociologie de l’immigration (encore dominée par ses problématiques intégrationnistes) et sociologie des migrations (dans laquelle le paradigme transnational s’est solidement installé), nous proposons de porter un regard neuf sur la population des descendants d’immigrés – ou en tout cas d’adopter un angle de vue décalé, en les considérant non pas depuis le pays d’immigration de leurs parents, mais depuis la terre d’émigration. Dans la continuité des réflexions et recherches menées sur les trajectoires sociales de descendants d’immigrés, nous proposons de décrire et d’analyser les pratiques de vacances dans le pays d’origine des parents pour saisir les formes d’appartenance qu’elles mettent en jeu chez des descendants d’immigrés. Vacances au bled de descendants d’immigrés algériens : trajectoires, pratiques, appartenances Vacances au bled Plutôt que de reprendre l’expression « tourisme des racines » – une catégorie peu stabilisée et décalée par rapport aux pratiques qui nous intéressent –, nous assumons de nommer notre objet de recherche d’après les catégories de nos enquêtés et de parler de « vacances au bled ». « Vacances » plutôt que « tourisme » pour ne pas présupposer à l’avance du contenu de ces séjours passés en Algérie à l’occasion des congés (vacances scolaires, congés payés) dans la mesure où le terme « tourisme » renvoie trop vite à la dimension économique de cette activité, à la fréquentation d’infrastructures dédiées ou aux typologies distinguant tourisme balnéaire et tourisme culturel. Dans le cas des séjours passés dans le pays d’origine, parler de tourisme revient à se concentrer sur un type particulier d’activités, effectuées en dehors de la sphère familiale, et réduit donc la focale de l’étude. Nous préférons par ailleurs parler de « vacances » que de « retour » pour ne pas entretenir la confusion sur notre objet de recherche. D’une part, la notion de « retour » est plutôt impropre pour désigner les mobilités amenant les descendants d’immigrés nés en France à se rendre dans le pays de naissance de leurs parents – même si, de manière symbolique, ils sont pris dans le « mythe du retour » de leurs parents. D’autre part, il ne s’agit pas ici d’étudier les migrations de retour et de réinstallation de descendants d’immigrés, c’est-à-dire des migrations de long terme vers le pays d’origine des parents avec des projets d’installation d’ordre matrimonial, résidentiel et/ou économique. Nous nous intéressons aux séjours de vacances, c’est-à-dire des séjours courts, temporaires, à visée récréative c’est-à-dire que nous excluons aussi par là les séjours courts à visée uniquement professionnelle ou n’ayant que pour seul objet l’enterrement d’un proche. Parler de vacances « au bled », plutôt que de vacances « au pays » ou de vacances « dans le pays d’origine des parents » permet de mettre l’accent sur l’espace à géométrie variable désigné par ce mot arabe signifiant, initialement, « pays ». L’utilisation du mot « bled » associé au mot français de « vacances » illustre d’abord la manière dont peut être mobilisée la langue arabe dans le langage quotidien des descendants d’immigrés vivant en France26, mais plus largement aussi l’influence de ce langage sur le vocabulaire de la société française en général tant le terme « bled » est entré dans la langue française. Il désigne alors plus souvent une « contrée reculée ou petit village isolé, sans commodités ni distractions »27, une sorte de « pays » au sens de sous-découpage spatial, à l’intérieur d’un département, avec sa connotation rurale. En arabe algérien, le mot « bled » peut paradoxalement également être utilisé pour désigner le centre-ville d’une agglomération urbaine. Dans le discours des personnes rencontrées, le mot « bled » peut renvoyer aussi bien à la maison familiale, au village ou à la ville d’origine des parents, ou encore à d’autres espaces non familiaux du pays. Le terme renvoie aussi bien à la réalité spatiale du pays d’origine qu’à sa réalité sociale : par métonymie, le mot désigne aussi bien l’espace géographique (dans ses multiples dimensions) 26 Pour une analyse socio-linguistique de la pratique de l’arabe dialectal par les descendants d’immigrés maghrébins, et notamment sur le mélange des langues à disposition (français, arabe, kabyle) dans le langage quotidien, variable suivant les sphères de la vie sociale traversées, se référer à Alexandrine Barontini, 2013. 27 Définition donnée par le Trésor de la Langue Française Informatisé, http://atilf.atilf.fr/ que l’espace social traversé (les différentes catégories de « blédards » – désignation plutôt péjorative des habitants du bled – fréquentés). Enfin, le mot « bled » constitue un référentiel commun à des individus issus d’histoires migratoires différentes venus notamment des deux pays voisins en Afrique du Nord. Descendants d’immigrés Utiliser l’expression « deuxième génération » pour désigner une population constituée de descendants d’immigrés peut se justifier par différents aspects, à condition de poser comme un préalable l’évidence selon laquelle cette expression ne postule pas un caractère héréditaire de l’immigration et ne confère pas un statut de citoyen de 2nde zone28 à ces enfants d’immigrés nés en France et donc (presque) 29 automatiquement français. Autre inconvénient de l’expression « deuxième génération » utilisée au singulier : elle a tendance à désigner comme un groupe homogène et uniforme (si l’on parle de LA deuxième génération) un ensemble d’individus partageant certes en partie une histoire migratoire commune (nés en France de parents immigrés) mais ayant connu des trajectoires et situés dans des contextes sociaux très différenciés (critique développée par Noiriel, 1988, et reprise par Santelli, 2004). Le terme « génération » peut être intéressant s’il amène à réinscrire l’étude des trajectoires de ces individus nés en France dans les trajectoires de leurs parents immigrés, trajectoires débutées dans le pays d’origine et continuées dans le pays d’installation. Le mot « génération » au sens familial (ou « généalogique » (Galland, 1991)) permet alors de comprendre les manières d’être et de penser des individus rencontrés à partir notamment de leur socialisation familiale. C’est ainsi en tenant compte de la trajectoire des parents migrants dans le pays d’origine et le pays d’installation que les sociologues de l’école ont pu comprendre la meilleure réussite à l’école – toutes choses égales par ailleurs – d’enfants d’immigrés par rapport à des enfants de natifs de France (Ichou, 2013) : la prise en compte de la situation sociale des parents AVANT la migration permet d’expliquer ce résultat, notamment quand la migration a entraîné une mobilité sociale descendante pour les parents migrants. Seulement, cette question de l’héritage familial des enfants d’immigrés a plus souvent été traitée sous le mode d’un héritage « culturel » (transmission de la langue, de la religion, des valeurs, des traditions) vu de manière monolithique et potentiellement essentialiste (les ouvrages récents d’Hughes Lagrange, 2010, illustrent ainsi le risque d’ethnocentrisme simplificateur de telles analyses) que d’une socialisation comparable à celle étudiée pour d’autres milieux sociaux. 28 La controverse des démographes a pris précisément sa source autour d’une prévision de l’INED sur « la population issue de la population étrangère à une date t » : une telle prévision prétendait cerner, dans l’avenir, un groupe de population qu’on pourrait définir comme « d’origine étrangère ». Pour Hervé Le Bras, « la distinction qui tente de s’imposer dans les années quatre-vingt-dix entre, d’une part, des "Français de souche" et, de l’autre, les descendants des "première", "seconde" et autres "générations" numérotées de migrants n’est pas la conséquence d’idées multiculturalistes venues des Etats-Unis, ni d’un goût récent pour les classifications ethniques, mais elle est inscrite au cœur du modèle démographique traditionnel. Par une sorte d’exclusion symbolique, les immigrants ne participent pas au remplacement démographique national tel qu’il est défini par les taux de fécondité. » (Le Bras, 1998, p. 60-61). 29 « Presque » seulement car les enfants d’étrangers nés en France ne deviennent en réalité français qu’à leur majorité, ou par anticipation à partir de l’âge de 13 ans – sauf pour quelques exceptions, comme les enfants d’Algériens, qui sont véritablement Français de naissance quand ils sont nés après le 1er janvier 1963 d’un parent né en Algérie avant le 3 juillet 1962 (Weil, 2004). Le terme « génération » pris cette fois dans son sens sociologique (Mannheim, 1990 [1928]) (ou « historique », dans la classification de Galland, 1991) est intéressant dans la mesure où il consiste à inscrire un groupe dans les conditions structurelles historiques précises dans lesquelles ce groupe émerge et se déploie. Les travaux états-uniens qui se sont intéressés à la « nouvelle deuxième génération » (Portes, Zhou, 1993) mettent précisément en avant le changement de contexte qui fait que cette deuxième génération (issue des pays d’Amérique latine, des Caraïbes ou encore d’Asie) prend des formes sociales bien différentes des deuxièmes générations issues des migrations européennes plus anciennes. En France aussi, Stéphane Beaud et Olivier Masclet identifient « deux générations d’enfants d’immigrés », mettant en lumière les différences de contexte qui ont construit deux générations de descendants d’immigrés maghrébins en France, entre la « génération beur » et la « génération des cités » (Beaud, Masclet, 2006). Cette manipulation du concept de génération offre un pendant au point précédent : si les trajectoires sociales des descendants d’immigrés doivent être réinscrites dans celles des parents, elles doivent aussi être rapportées plus largement aux conditions sociales, économiques et culturelles de la société dans laquelle ils sont socialisés. Si la notion de « génération » semble renvoyer à une forme d’hérédité et impose une vision uniformisante d’une population en réalité hétérogène, elle a l’intérêt de renvoyer aussi bien à la dimension familiale de la socialisation qu’aux conditions structurelles plus larges de socialisation d’un groupe. Mais parler d’ « une » deuxième génération, même quand on ne travaille que sur des descendants d’immigrés d’une même origine nationale, est une simplification de la réalité et empêche de voir les évolutions au sein d’une immigration qui s’est étalée sur plusieurs décennies et a pu changer de formes. Les travaux sur les mobilisations quant à eux proposent l’emploi de l’expression « héritiers de l’immigration » qui a le mérite de souligner à la fois l’héritage et en même temps l’absence d’hérédité automatique (Boubeker, Hajjat, 2008) : les héritiers mobilisent à leurs fins propres (et en y faisant le tri) la mémoire de l’immigration, ils reconstruisent l’héritage et refusent l’hérédité directe. Mais pour une compréhension claire de notre propos, nous prenons le parti de l’expression plus descriptive de « descendants d’immigrés », rappelant l’importance du lien familial et n’enfermant pas dans une vision trop uniformisante de la génération. La dimension familiale sera prise en compte à la fois par le poids des trajectoires migratoires particulières des parents et par les effets de la socialisation primaire, mais aussi dans ses dimensions présentes à travers l’analyse des relations familiales impliquées dans les séjours étudiés. Travailler sur les séjours dans le pays d’origine des parents rend plus légitime d’isoler cette catégorie de population : sans postuler une signification particulière et univoque de ces séjours, l’objet de la recherche conduit automatiquement à définir les individus rencontrés par rapport à la trajectoire migratoire de leurs parents. Le fait de s’intéresser aux relations matérielles avec le pays de naissance des parents amène à s’intéresser à la migration comme héritage (comment est-il transmis par les parents et appropriés par les enfants ? par quels mécanismes concrets ?) et non comme hérédité. Trajectoires Premier parti pris dans l’étude des vacances passées dans le pays d’origine de descendants d’immigrés algériens : prendre en compte le temps long, à la fois à l’échelle de la biographie individuelle et familiale et au niveau des contextes politiques et institutionnels de ces séjours. La fréquence des séjours d’enfance dans le pays d’origine relevé dans l’enquête TeO des descendants d’immigrés maghrébins invite à rapporter les séjours actuels des descendants d’immigrés adultes aux séjours passés en compagnie de leurs parents, pendant leur enfance. Plus qu’une découverte effectuée par des adultes n’ayant jamais ou que peu eu l’occasion de rencontrer leur parenté algérienne et de visiter le pays (à l’image des touristes Etats-Uniens d’origine coréenne ou chinoise rencontrés par Kibria, 2002), les vacances passées aujourd’hui en Algérie par nos interlocuteurs s’inscrivent très souvent dans la continuité de séjours d’enfance fréquents. De la même manière qu’Hammouche analysait l’évolution des vacances d’une immigrée algérienne comme un révélateur des étapes de son installation définitive en France (Hammouche, 2003), il s’agira de voir comment les vacances d’enfance, et surtout les souvenirs qu’elles ont laissé chez les personnes rencontrées, s’inscrivaient dans le « mythe du retour » ou « l’illusion du provisoire » dans lequel pouvaient vivre leurs parents émigrés algériens (Sayad, 2006a). La dimension biographique permet également d’analyser la diversification des trajectoires sociales d’un ensemble de descendants d’immigrés, diversification des trajectoires sociales (en fonction de l’âge, du sexe, du niveau d’études, de la profession exercée, du statut conjugal, etc.) qui est susceptible d’avoir une influence directe sur l’évolution des vacances passées en Algérie. Le récit de vie a enfin l’intérêt de proposer aux personnes interrogées de construire leur propre narration des vacances successives passées en Algérie (Bertaux, 2010). Ce mode d’approche permet de voir dans quelle mesure certains enquêtés rendent compte de ces séjours dans un discours mobilisant le registre identitaire, mémoriel, faisant appel à leurs « racines » et d’autres enquêtés présentent ces séjours comme des « vacances comme les autres ». Sans tomber dans le piège subjectiviste des récits de vie, ceux-ci permettent aussi un accès aux discours sur soi, sur les conceptions individuelles des appartenances – discours que la sociologue doit bien sûr réinscrire dans leur contexte d’énonciation et surtout dans l’espace social dans lequel sont pris les individus (Bourdieu, 1986). La perspective synchronique s’applique aussi à la compréhension du contexte plus général dans lequel s’inscrivent ces vacances au bled de descendants d’immigrés aujourd’hui adultes. Les travaux sur le « tourisme des racines » ont mis en avant la nécessité de prendre en compte le rôle de l’Etat récepteur de ce type de « tourisme » à la fois dans la mise en scène d’un discours nationaliste, dans la définition d’une population cible et dans l’évolution des conditions matérielles d’entrée sur le territoire (douanes, papiers d’identité, etc.). Pour saisir les évolutions des vacances au bled, il ne suffit pas de retracer et d’analyser des trajectoires individuelles ou même familiales mais il faut pouvoir rendre compte du contexte politique et social dans lequel elles s’inscrivent. Alors que l’évolution des politiques d’immigration en France est largement documentée dans les sciences sociales françaises (Blanc-Chaléard, 2001), celle des politiques de l’Etat algérien à destination de ses émigrés est moins étudiée et connue 30. Cadre structurant des projets migratoires des migrants, les discours et mesures diverses promulguées par l’Etat algérien à destination de ses expatriés pèsent sur la forme (réglementation des circulations) et le sens (entretenir l’illusion du provisoire chez les émigrés) des séjours d’agrément passés au pays par les émigrés et leur famille. L’analyse longitudinale des discours et mesures de l’Etat algérien en rapport avec les séjours passés en Algérie des émigrés et de leur famille nous permet de situer les potentielles évolutions matérielles et symboliques des séjours algériens tels qu’ils sont racontés par nos enquêtés. Inversement, ce « petit » objet des vacances au bled est un bon analyseur de l’évolution des discours de l’Etat algérien à l’égard de son émigration, depuis l’indépendance du pays promulguée en 1962 jusqu’à aujourd’hui. Pratiques Deuxième parti-pris de cette recherche : une description fine et une analyse des pratiques matérielles de vacances des personnes rencontrées. Le choix de notre objet est en effet fortement guidé par l’ambition de rompre avec une approche des appartenances et des rapports au pays d’origine des descendants d’immigrés principalement basée sur des questions de représentation (« vous sentez-vous Algérien ? ») et/ou des pratiques symboliques et indirectes en lien avec le pays d’origine (pratique de la langue, de la religion, des formes d’union conjugale, etc.). Plutôt que de ne voir dans la fréquence des séjours algériens qu’un indicateur d’une forte intériorisation des valeurs de la culture d’origine ou une revendication d’appartenance au pays d’origine en réaction à un sentiment de discrimination en France, ces séjours seront étudiés dans le détail de leurs évolutions et de leur déroulement, de la place qu’ils occupent dans les trajectoires sociales des enquêtés, des relations sociales qu’ils occasionnent sur place. Les pratiques de vacances seront d’abord analysées comme des pratiques socialement situées. Ainsi, sans que le tourisme et les vacances ne soient réellement des objets reconnus de la sociologie (à part quelques exceptions, voir Cousin, Réau, 2009), des enquêtes statistiques ont établi de longue date la persistance d’inégalités sociales dans l’accès aux vacances (Rouquette, 2001). Ce constat peut être illustré par la variation des taux de départ en vacances dans l’année en fonction de la catégorie sociale (46,2% des ménages dont la personne de référence est ouvrier ne sont pas partis en vacances en 2004 contre 10,6% des ménages dont la personne de référence est cadre, Le Jeannic, Ribera, 2006), ou par la part occupée par les dépenses de vacances dans le budget des ménages (faible pour les ouvriers, forte pour les cadres, Chauvel, 1999). En plus d’être une pratique socialement sélective, les vacances sont aussi une pratique socialement distinctive : une approche qualitative des styles de vacances aurait ainsi entièrement sa place dans La Distinction de Pierre Bourdieu tant les goûts et les dégoûts de vacances se rapportent, comme d’autres pratiques culturelles, aux habitus de classe. Dans le fameux diagramme présentant l’espace social des pratiques culturelles (Bourdieu, 30 Dans ses publications, Abdelmalek Sayad n’y fait référence que de manière rapide et non explicitement documentée. Par ailleurs, une thèse d’histoire sur les politiques d’émigration de l’Etat algérien entre 1962 et 1988 est en cours à l’Université de Nice : Jean-Charles Scagnetti, L’Algérie et ses émigrés, 1962-1988. 1979), les pratiques renvoient précisément à des activités de temps libre donc potentiellement à des activités de vacances : ski nautique et voile pour les fractions dominantes de la classe dominante (plus de capital économique que culturel) ; marche, camping et montagne pour les fractions dominées de la classe dominante (fort niveau de capital culturel mais moindre niveau de capital économique) ; pêche, bricolage, bicyclette (toutes activités peu coûteuses qui impliquent nettement moins souvent de quitter son domicile) pour les catégories présentant un volume faible de capital global. Dans un article de 1975, Patrick Champagne offre quant à lui une approche ethnographique des différences de styles de vie à la plage selon les catégories sociales. Il prend alors pour objet le lent développement des pratiques de loisir chez les paysans d’un village de Mayenne – et notamment leurs visites dominicales sur les plages proches de leur lieu de vie. Champagne décrit leurs manières d’être en les comparant à l’hexis corporelle de vacanciers plus favorisés passant de plus longs séjours sur place et bien plus familiers de ce type de loisir. Sur la plage, les activités (tricot vs. tennis), les styles vestimentaires (costume du dimanche vs. chemisette, chapeau de paille et lunette de soleil), l’apparence et le degré d’exposition des corps (gêne, forte corpulence, bronzage irrégulier lié aux travaux manuels extérieurs vs. aisance, corps mince, bronzage homogène acquis sur la plage) viennent tous témoigner des positions sociales respectives des différents usagers de la plage31. Dans la continuité de ces travaux, il s’agit d’analyser les pratiques de vacances observées ou racontées par nos enquêtés en les rapportant à leur position sociale, et pas seulement à leurs origines nationales ou à une supposée « culture d’origine ». Une grande attention sera donc accordée à la description et à l’analyse des manières d’habiter les différents espaces de vacances fréquentés pendant les séjours algériens. Ces manières d’habiter seront saisies à travers un ensemble d’indicateurs tels que le style vestimentaire, l’emploi du temps de la journée, le type d’alimentation privilégié, le mode d’hébergement ou encore les sociabilités. Plutôt que de reprendre des indicateurs renvoyant à des spécificités culturelles potentiellement entretenues ou activées pendant ces séjours (pratique de la langue arabe, pratique de la religion musulmane), ces pratiques sont réinscrites dans une description plus large des manières d’être de nos vacanciers, manières d’être qui se rapportent autant à la trajectoire sociale globale de ces personnes (origine sociale, niveau de diplôme atteint, sexe, âge,…) qu’à leurs origines nationales ou ethniques. Ces manières d’habiter seront réinscrites dans les contextes spatiaux dans lesquelles elles se déploient, entre espaces de la famille (principalement la maison des parents sur place) et espaces de loisir (en particulier les espaces balnéaires). Elles seront ponctuellement mises en regard avec les manières d’habiter (formes de sociabilité, types de mobilité quotidienne) dans les espaces du quotidien, en France. Dans chacun de ces espaces, des sociabilités spécifiques se déploient – entre amis de France ou avec des amis d’Algérie, en famille conjugale ou élargie, au contact d’anonymes fréquentant les mêmes espaces publics. 31 « L’hétérogénéité des groupes sociaux qui se trouvent ainsi rassemblés en ce lieu impose la comparaison entre les classes et crée une situation propre à susciter notamment un sentiment de honte culturelle chez les paysans, peu familiarisés avec les techniques dominantes d’utilisation de la plage importées par les membres des classes moyennes et avec les techniques corporelles qui leur sont liées » (Champagne, 1975, p. 23) Appartenances Face aux limites constatées des enquêtes cherchant à saisir les sentiments d’appartenance des enfants d’immigrés à travers des questions de représentation ou des pratiques symboliques, notre projet est de saisir cette question des appartenances des descendants d’immigrés à travers les rapports matériels entretenus avec le « pays d’origine »32 pendant les vacances algériennes. Notre méfiance à l’égard des déclarations d’appartenance ne nous amènera pas pour autant à négliger les interprétations proposées par les enquêtés à propos du rapport qu’ils entretiennent avec leur pays d’origine. Le discours produit autour de ces vacances et de leurs évolutions potentielles nous permettra d’étudier, à travers un analyseur matériel et circonscrit (les vacances passées en Algérie), les sentiments d’appartenance explicitement mis en avant par les enquêtés. Nous soulèverons notamment la dimension mémorielle que peuvent avoir ces séjours, particulièrement pour une partie des enquêtés – dans la continuité des travaux sur le « tourisme des racines ». Mais au-delà de cette dimension mémorielle explicite, nous chercherons à analyser ce qui se joue dans ces vacances en Algérie en termes d’appartenance sans pour autant que cela se rapporte à la mémoire et au passé, mais renvoie bien aux appartenances présentes des individus, aux manières présentes de prendre part à la société algérienne pendant les séjours sur place. Contrairement à leurs parents nés en Algérie, socialisés pour la majorité jusqu’à l’âge adulte dans la société algérienne, les descendants d’immigrés n’ont qu’un rapport indirect avec cette société et ce pays. S’ils héritent juridiquement de l’identité algérienne (au sens d’identification par l’Etat algérien), l’appropriation d’un sentiment d’appartenance à ce pays n’a rien d’automatique pour ces descendants d’immigrés ayant vécu toute ou majeure partie de leur enfance et de leur vie adulte en France. Pour éviter l’imprécision et le caractère discutable du terme « identité » (Brubaker, 2001), nous reprenons à notre compte la distinction proposée par Martina Avanza et Gilles Laferté entre identification et appartenance (Avanza, Laferté, 2005). Quand l’identification renvoie à l’identité attribuée par un Etat, un parti, des syndicats, des entreprises, etc. à des individus (au sens où un Etat identifie comme « étranger » ou « immigré » certains individus), l’appartenance est définie comme relevant « de la participation des individus à la chose collective, au groupe, qu’il soit politique, syndical, familial, amical, participation à la fois produite et productrice des socialisations multiples des individus » (Avanza, Laferté, 2005, p. 144). Appartenir c’est donc prendre part à des univers sociaux, à des groupes sociaux souvent divers, qui ne se superposent pas nécessairement en fonction des moments de la journée, de la semaine, de l’année. La sociologie des rapports à l’espace s’est intéressée aux changements des manières d’être en fonction des espaces traversés (plutôt que des groupes), c’est-à-dire aux socialisations différenciées en fonction des lieux. Ainsi, en reprenant à Pierre Sansot la distinction entre espaces de primarité et de secondarité (Sansot et al., 1978), Jean Remy a voulu théoriser la 32 Nous verrons, au fil du texte, que cette expression toute faite de « pays d’origine » renvoie en réalité à des échelles différentes : on peut se sentir détaché de la nationalité algérienne par exemple, et garder des liens étroits avec sa famille résidant sur place. Nous utilisons l’expression « pays d’origine » comme un raccourci englobant la pluralité des relations possibles entretenues en Algérie. rupture introduite dans la vie quotidienne par les vacances (hors de chez soi) et montrer en quoi l’expérience touristique dans un espace secondaire pouvait permettre à l’individu de s’affranchir des contraintes qui marquent les espaces de la vie quotidienne : « Les espaces de primarité sont ceux où se réalisent les activités structurant la vie quotidienne, tandis que ceux de la secondarité permettent d'être ailleurs. Ces derniers espaces sont importants parce qu'ils concrétisent la distance au rôle, condition de réflexivité » (Remy, 1996) Les vacances seraient un espace-temps permettant à l’individu de s’affranchir momentanément des contraintes matérielles mais aussi symboliques de la vie sociale du quotidien. Elles lui offriraient la possibilité d’être quelqu’un d’autre, d’habiter un autre rôle. Le déplacement matériel n’amène pas le vacancier à « jouer un nouveau rôle » – comme si on pouvait distinguer une « vraie identité » dans les espaces de la vie quotidienne, et une « identité factice » dans l’espace-temps des vacances. La variation des contraintes normatives et des ressources (économiques mais aussi sociales) mobilisables suivant les espaces traversés amène les individus à agir différemment suivant les scènes dans lesquelles ils évoluent. Les individus déploient des « identités à la carte » (Authier, 2001) – la carte ne désignant pas ici la carte du restaurant où l’individu pourrait faire un choix conscient, mais la carte du géographe où chaque contexte spatial autorise des manières d’être contrastées. Dans son travail sur les personnes âgées en maison de retraite, Isabelle Mallon (2005) met à jour l’importance des espaces « secondaires » (en fait les espaces extérieurs à l’établissement) pour les résidents : les sorties de l’institution, dans les lieux de la famille ou même les espaces publics extérieurs, permet aux personnes âgées de mettre à distance l’institution et ses règles et facilite le maintien des liens familiaux en leur permettant de recréer une intimité familiale difficile à assurer dans l’institution. Plutôt que de découper de manière binaire les types d’espace fréquentés et les manières d’être associées, Jean-Claude Chamboredon, Jean-Philippe Mathy, Anne Mejean et Florence Weber ont développé l’analyse d’une situation de multi-appartenance d’un cadre d’entreprise, fils de gros agriculteurs du Châtillonnais (1984). Ainsi, Marcel est cadre moyen sur son lieu de travail, ouvrier et émigré dans son lieu de résidence, fils d’une famille localement reconnue dans le village de ses parents : pour les auteurs, la multiplication des scènes sociales où Marcel est pris dans des appartenances différentes vient relativiser l’importance du statut professionnel et vient complexifier l’analyse des appartenances des individus. Ces analyses nous permettent d’interroger les manières d’être de nos vacanciers pendant leurs vacances algériennes avec des outils conceptuels utilisés pour d’autres types de population et d’objets, sans essentialiser une supposée « identité algérienne » questionnée pendant ces vacances. Elles doivent nous inviter à aller plus loin que les déclarations de « double absence » (Sayad, 1999) que l’on croise fréquemment dans le discours des descendants d’immigrés à propos de leurs séjours en Algérie : « on est immigrés ici, on est immigrés là-bas, on est chez nous nulle part ». Au contraire, il s’agit de voir de quelles manières (c’est-à-dire à travers quel type de pratiques) nos enquêtés prennent part à la société algérienne pendant leurs séjours sur place, quel « rôle » ils endossent sur place, quelle nouvelle combinaison de possibilités/contraintes s’imposent à eux. Il faudra d’ailleurs se demander dans quelle mesure parler d’ « appartenance à l’Algérie » peut avoir du sens pour les personnes rencontrées, et si les appartenances en jeu pendant ces séjours ne se déclinent pas en fait à différentes échelles au sein même du territoire algérien, entre famille et amis, à l’échelle nationale, régionale, voire de la ville, du quartier ou du village, entre espaces de la famille et espaces de loisir. Historiciser, faire raconter, observer les vacances au bled : partis-pris méthodologiques Décrire les pratiques de vacances dans le pays d’origine des parents pour saisir les formes d’appartenance qu’elles mettent en jeu chez des descendants d’immigrés, tel est donc l’enjeu de notre sujet de thèse. Pour répondre à cet objectif, plusieurs choix méthodologiques ont été pris, dans la construction de la population de référence (combinaison de critères d’homogénéisation et de diversification de la population), dans le mode opératoire de l’enquête (enquête ethnographique, basée sur des entretiens et des observations) et dans les outils de contextualisation (historique et statistique) choisis. La population : des descendants d’immigrés, mais lesquels ? Notre premier choix fut de ne faire porter l’étude que sur un seul pays d’origine, l’Algérie. Ce choix répond d’abord à l’objectif de mener un travail de contextualisation institutionnelle des pratiques individuelles et familiales : réinscrire les vacances au bled dans l’histoire des politiques et discours étatiques du pays d’origine supposait de se concentrer plus précisément sur un seul pays. Cette option a également un enjeu pratique relatif au travail de terrain : la conduite d’observations approfondies dans un pays étranger non familier, sans relais préexistants sur place, a supposé la répétition de terrains successifs dans le même pays. Eric Marlière (2006) compare les vacances au bled de « jeunes de cité » originaires des trois pays du Maghreb. La dimension comparative qu’il propose est riche dans la mesure où les relations entre descendants d’immigrés en vacances et locaux varient suivant le niveau de développement économique du pays visité. Mais lui-même n’a pas mené un vrai travail de terrain comparatif, puisque, s’il s’est rendu en Tunisie ou au Maroc pour de courts séjours avec certains de ses enquêtés issus de terrains précédents dans une cité de région parisienne, il ne traite le terrain algérien qu’à travers des entretiens, sans observation directe sur place. De plus, il ne s’intéresse qu’à une sous-catégorie particulière des descendants d’immigrés, des « jeunes de cité » – jeunes, hommes et de milieu populaire. Le choix du pays d’origine s’est rapidement arrêté sur l’Algérie pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’en France, la population issue de l’immigration algérienne est la plus nombreuse (avant l’immigration portugaise), comptant (on l’a évoqué plus haut) environ 480000 immigrés algériens et 617000 descendants directs d’immigrés algériens (dont 411000 de deux parents immigrés algériens) (Beauchemin, Hamel, Simon, 2010). Ensuite, parce que – si l’immigration portugaise avait pu occasionner plusieurs travaux sur les rapports entretenus avec le pays d’origine (Charbit, Hily, Poinard, 1997 ; Villanova, Leite, Raposo, 1994) –, l’immigration algérienne restait surtout étudiée dans le contexte français, d’immigration, malgré les travaux précurseurs et programmatiques d’Abdelmalek Sayad. Ce décalage peut être expliqué par le constat, dans des enquêtes quantitatives, d’une apparente plus grande coupure avec le pays d’origine pour les populations issues des migrations algériennes que par exemple pour les migrants et descendants de migrants portugais. Ainsi, dans l’enquête MGIS, les Portugais et descendants de Portugais déclaraient se rendre plus régulièrement au Portugal que les Algériens et surtout les descendants d’Algériens en Algérie (Tribalat, 1996). L’évolution des transferts monétaires vers l’Algérie semblait elle aussi indiquer un amenuisement du lien entre migrants et pays d’origine puisque, contrairement aux émigrés marocains et tunisiens, les émigrés algériens semblaient transférer de moins en moins d’argent vers l’Algérie entre 1970 et 1990 (Musette, 2007). Mais ce constat n’est réellement valable que jusqu’au début des années 2000, époque à laquelle les transferts vers l’Algérie se mettent à augmenter, et de manière rapide (Musette, 2007). Enfin, parmi les trois pays du Maghreb les plus associés à l’imagerie populaire des « vacances au bled », l’Algérie était un cas à part du point de vue du développement touristique : alors que le Maroc et la Tunisie sont des destinations très prisées par les touristes européens, l’Algérie reste un pays peu visité par les touristes et jusqu’à récemment davantage associé à l’image de guerre civile que de farniente ou de visites culturelles. Les séjours passés sur place étaient alors moins susceptibles d’être confondus avec de simples séjours d’agréments, comme cela peut être le cas de descendants d’immigrés marocains profitant d’un vol charter à prix cassé pour passer une semaine sur la plage à Agadir. Par ailleurs, au début de mon investigation, un travail de thèse était déjà en cours sur les séjours passés au Maroc par des descendants d’immigrés marocains (Wagner, 2011). Ce travail a permis de proposer de manière ponctuelle des éléments de comparaison entre ces deux populations33. Le choix d’un pays d’origine ne garantissait pas pour autant une plus grande homogénéité de la population de référence : les migrations en provenance d’Algérie étant anciennes (Stora, 2009), elles ont donné lieu à des trajectoires diversifiées – comme la construction idéaltypique des « 3 âges de l’émigration algérienne » par Abdelmalek Sayad le met nettement en lumière (Sayad, 1999). Plus récemment, on constate que les migrations des années 1990 se démarquent par exemple de celles des périodes précédentes : quand ces dernières sont davantage le fait de migrants relativement modestes et peu qualifiés, l’Algérie des années 1990 voit émigrer une fraction nettement plus qualifiée de sa population, notamment en réaction à la situation politique et sécuritaire du pays (Bouklia-Hassane, 2010). Afin de pouvoir comparer des trajectoires familiales et individuelles, nous avons opté pour une combinaison précise de critères d’homogénéisation et de diversification du corpus. Sur les points communs choisis, nous avons décidé de travailler sur des descendants directs de deux immigrés algériens, immigrés qui se sont installés en France à une époque de forte émigration vers la France, autour de la guerre d’indépendance (Stora, 2009). On constate bien sûr un décalage entre les dates d’arrivée des hommes et des femmes, l’immigration 33 Comparaison actualisée dans un article écrit à quatre mains, voir Bidet, Wagner, 2012. algérienne étant d’abord (chronologiquement) une immigration masculine. Les pères de notre corpus se sont installés en France entre 1948 et 1972 ; les mères entre 1948 et 1985. Connaissant des parcours diversifiés dans le pays d’origine, ces immigrés partagent cependant une condition sociale proche à l’arrivée en France : une grande partie des pères sont alors ouvriers, et les mères très souvent femmes au foyer. Les années passant, certaines mères ont progressivement occupé un emploi, et des pères ont connu une petite promotion sociale en devenant par exemple ouvrier qualifié ou employé de service. Pour quelques exceptions, l’un des deux parents est arrivé en France de manière très précoce (en étant mineur, en compagnie de ses propres parents). Pour faciliter encore la comparaison et rendre possible un travail de terrain ethnographique, nous avons également pris le parti de concentrer notre investigation sur une région d’Algérie choisie d’abord pour l’importance des flux migratoires la reliant avec la région d’enquête en France – la région lyonnaise34. Nous avons décidé de concentrer notre travail sur des familles originaires de la région de Sétif, forte région d’émigration en particulier à destination de la région lyonnaise (Montagne, 1954 ; Massard-Guilbaud, 1995). Cette focalisation sur une région d’origine a permis de construire un terrain à cheval entre la France et l’Algérie, en concentrant les terrains estivaux en Algérie (2009, 2010 et 2011) sur les vacanciers de la région de Sétif. Cette région a de plus pour intérêt et particularité d’être située à l’écart de la zone littorale (à 80 km de la mer, par une route de montagne), situation géographique qui nous a permis de distinguer plus aisément la dimension « familiale » et la dimension « balnéaire » des vacances passées en Algérie35. Enfin, parce que l’objet de notre recherche n’est pas tant de comprendre pourquoi certains partent et pourquoi d’autres ne partent pas mais plutôt de saisir la diversité des pratiques sur place, nous avons essentiellement interrogé des descendants d’immigrés qui sont effectivement parti au moins une fois en Algérie à l’âge adulte. La fréquence de ces différents séjours reste, quant à elle, bien plus variable (plusieurs fois par an ou une fois tous les 5-10 ans par exemple). Aussi notre corpus qualitatif n’a pas vocation à statuer sur les raisons de ne pas/plus partir en Algérie, et encore moins de calculer la proportion des partants et des non partants parmi les descendants d’immigrés. Parallèlement à ces critères d’homogénéisation, nous avons tenu à rendre compte de la diversité de la population ainsi délimitée. Nous avons d’abord choisi d’élargir la tranche d’âge retenue pour aller contre les représentations sociales ou les catégories de l’action publique selon lesquelles il semblerait que « les jeunes issus de l’immigration se cachent pour vieillir » (Simon, 2000). Entre les aînés et les benjamins de fratries souvent nombreuses issus d’immigrés des années 1950-1970, il peut souvent y avoir une dizaine d’années d’écart. Aînés et benjamins connaissent alors des socialisations très différentes, aussi bien dans la famille (avec l’évolution des modes d’éducation au fil de l’installation en France) qu’à l’école (avec l’évolution du système scolaire, notamment la démocratisation de l’enseignement secondaire général à partir des années 1970-1980), et plus largement dans le pays d’immigration 34 Si la région lyonnaise a d’abord été choisie pour des raisons pratiques (thèse conduite au sein de l’Université de Lyon), elle constitue un terrain d’enquête pertinent pour un travail sur l’immigration algérienne en raison de l’ancienneté et de l’importance des migrations issues d’Algérie (Massard-Guilbaud, 1995). 35 Des cartes de situation sont présentées en annexe 1. (évolutions politiques et sociales en France) et dans le pays d’émigration. Des études de cas telles que celles proposées par Sayad sur Zahoua, « enfant illégitime », brillante étudiante et fille de parents immigrés algériens (Sayad, 2006b) ou par Stéphane Beaud sur Amin « un ouvrier fils d’immigré pris dans la crise » (Beaud, 1996), montrent à quel point les trajectoires des membres d’une même fratrie peuvent varier – selon l’âge et la position dans la fratrie, mais aussi selon le sexe. Notre corpus réunit donc des descendants d’immigrés nés entre 1961 et 1992, regroupant plusieurs générations (au sens sociologique) d’enfants d’immigrés – pour reprendre l’analyse de Beaud et Masclet (2006) déjà citée plus haut sur les différences entre la « génération beur » et la « génération des cités ». Les différences d’âge sont souvent corrélées avec des différences de situation dans le cycle de vie et donc des variations dans les situations conjugales rencontrées (célibat, union avec ou sans enfant). Notre corpus est également diversifié du point de vue du sexe, là encore pour mettre à distance les représentations dominantes où les « enfants d’immigrés » sont d’abord les jeunes hommes visibles dans les espaces publics des cités, et pour rendre compte des différenciations sexuées à l’œuvre dans les pratiques de vacances en Algérie comme dans d’autres sphères de la vie sociale (voir notamment Guénif Souilamas, 2000). Pour sortir d’un autre cliché associant « enfant d’immigré » aux formes urbaines des cités, nous avons également préféré diversifier les lieux de résidence actuels et passés de nos enquêtés en France plutôt que de produire une monographie centrée sur des lieux de forte concentration de population immigrée. Enfin, et de manière un peu corrélée au point précédent, nous avons voulu interroger des descendants d’immigrés ayant connu des trajectoires sociales variées, mobilité très ascendante pour certains (à l’image de la population enquêtée par Emmanuelle Santelli dans sa thèse sur les itinéraires de réussite d’enfants d’immigrés algériens, 2001), mobilité surtout structurelle pour d’autres (à l’image des « premières générations » de bacheliers, enfants de la démocratisation scolaire, étudiés par Beaud, 2002) ou de petite mobilité sociale (à l’image des « jeunes en voie d’insertion », un des six groupes identifiés par Eric Marlière au sein des « jeunes de cité » rencontrés dans sa recherche, Marlière, 2005), ou en situation de maintien dans les classes populaires voire de marginalisation sociale (à l’image, par exemple, des « galériens » ou des « délinquants » dans Marlière, 2005). Le matériau principal : des entretiens ethnographiques multi-situés Afin de saisir les pratiques actuelles de vacances ainsi que leurs évolutions dans le temps, nous avons mis en œuvre une méthodologie hybride de type ethnographique, combinant entretiens approfondis (croisant récits de vie et récits de pratiques) et observations en Algérie aussi bien au sein des espaces familiaux que des espaces touristiques (essentiellement balnéaires). Nous nous sommes efforcées de réinscrire une grande partie des entretiens dans une enquête ethnographique plus large, par observation directe des pratiques de vacances et par multiplication des contacts au sein d’un même milieu d’interconnaissance. Une partie des enquêtés ont ainsi été interrogés en France, puis revus en Algérie sur leur(s) lieu(x) de vacances, et parfois encore revus sur leur lieu de vie en France, de manière plus informelle. Ainsi, par exemple, j’ai rencontré Dounia (F, 35 ans, CAP, sans activité, mariée, Imm)36 au printemps 2008 à l’occasion d’une première phase exploratoire menée dans des agences de voyage spécialisées ver le Maghreb du quartier à centralité immigrée (Toubon, Messamah, 1990) de Lyon – la Guillotière ou « Place du Pont » (Battegay, 2003). Je l’ai revue quelques mois plus tard, au début de l’année 2009, dans son appartement de Vaulx-en-Velin pour un entretien approfondi. Dounia m’a ensuite proposé de nous revoir pendant ses vacances algériennes, et mon premier terrain algérien, l’été 2009. Nous partageons alors une journée sur la plage, près du village d’origine de son mari, un immigré arrivé en France à l’âge de 20 ans. Je revois Dounia à son domicile français l’hiver 2010, pour une visite de « courtoisie », afin d’avoir le récit sur la fin de ses vacances de l’été 2009 – puisqu’elle m’avait annoncé sur la plage qu’elle avancerait sûrement son retour, en raison d’une mésentente avec sa belle-famille. Dounia m’invite alors à la revoir une fois de plus l’été suivant dans sa nouvelle maison en Algérie. Je revois le couple sur Vaulx-en-Velin, entre leur domicile et le centre social où travaille son mari (je cherche à recruter de nouveaux enquêtés à travers ce centre social), en juin 2010, avant de nous retrouver en Algérie en juillet de la même année. Dounia et son mari Ali m’invitent alors à passer une semaine dans leur nouvelle maison sur place. J’y séjourne donc six jours, en même temps que la famille algérienne de Dounia venue d’une région du sud du pays pour découvrir cette nouvelle construction et profiter de la plage. Une partie des enquêtés rencontrés en France n’a pas pu être revue en Algérie pour la simple raison qu’ils n’y partaient pas dans les périodes où j’étais sur place (notamment parce qu’ils préfèrent partir en dehors de la saison estivale). J’ai approfondi l’investigation sur certains de ces enquêtés en rencontrant plusieurs personnes de leur milieu d’interconnaissance, des membres de leur famille (fratrie, cousins) ou des amis. Ainsi, j’ai d’abord interrogé Leïla (F, 28 ans, doctorante en Sciences du Langage, célibataire), une jeune doctorante en sciences du langage, qui n’est retournée qu’épisodiquement en Algérie depuis qu’elle est majeure. Elle m’a mise en contact avec une de ses amies d’études, Loubna (F, 28 ans, doctorat de sociologie en cours, célibataire), qui elle est souvent partie en Algérie enfant et continue à s’y rendre régulièrement – mais plutôt hors saison. Loubna m’a introduite auprès d’une de ses jeunes sœurs, Faïza (F, 22 ans, 2e année de licence LEA, célibataire). J’ai enfin eu l’occasion d’interroger la cousine éloignée de Loubna et Faïza, qui a grandi dans la même petite ville de la périphérie lyonnaise que les deux autres jeunes filles. Le recrutement de mes enquêtés a suivi des voies très variées, pour répondre à l’impératif de diversification de mon corpus. Au début de ma recherche, j’ai recruté de manière aléatoire au sein des files d’attente des agences de voyage spécialisées sur le Maghreb. Ce mode d’entrée m’assurait de rencontrer des individus susceptibles de partir effectivement en Algérie, sinon régulièrement du moins ponctuellement au moment où je les rencontrais. J’ai ensuite diversifié les prises de contact, en recourant à différentes voies possibles : mes propres réseaux d’interconnaissance (amis, réseau associatif), certains centres sociaux de la région lyonnaise, le forum de discussion du site internet « Sétif.info » – un site internet consacré à 36 Afin que le lecteur puisse rapidement situer socialement les enquêtés cités, nous proposons une présentation synthétique de leurs principales caractéristiques sociales tout au long du manuscrit : sexe, âge au moment de l’entretien, niveau de diplôme, profession, situation familiale, statut migratoire du conjoint (DI = Descendant d’Immigré ; Imm = Immigré). Le prénom des personnes a été modifié, afin de garantir – dans la mesure du possible – leur anonymat. Un tableau récapitulatif des enquêtés est disponible en annexe 2. l’actualité de la région de Sétif hébergeant une partie « forum » où les internautes peuvent échanger sur différents sujets ayant trait à la vie sétifienne. Les entretiens ainsi menés en région lyonnaise ont pu donner lieu à la multiplication des contacts avec les mêmes enquêtés, entre la France et l’Algérie. Mais trop peu de ces enquêtés se rendaient en Algérie aux mêmes périodes que moi, ou exactement dans les mêmes régions (se limiter aux « Sétifiens » d’origine n’étant pas toujours évident). J’ai donc encore élargi mon corpus en décidant de recruter mes enquêtés directement pendant mes terrains algériens, à l’occasion des vacances passées en Algérie par ces enquêtés. Le premier séjour de terrain de l’été 2009 a surtout été l’occasion de découvrir l’espace touristique algérien (villes touristiques, zones balnéaires réputées et cotées, espaces publics sétifiens) et de revoir quelques enquêtés interrogés précédemment à Lyon. Je l’ai effectué sans contact institutionnel sur place, mais en compagnie d’une amie elle-même fille d’immigrés, très diplômée (normalienne et agrégée de l’éducation nationale), étant peu partie en Algérie dans son enfance et encore moins depuis sa majorité. C’est suite au décès de son père et en rapport avec mon choix de sujet de thèse, qu’elle me propose de m’accompagner l’été 2009. En sa compagnie, nous passons quelques temps dans sa famille algérienne, dans un petit village, avant de retrouver certains de mes enquêtés sur la côte algérienne et à Sétif. L’année suivante, en 2010, je pars seule en concentrant mon séjour de cinq semaines sur la ville de Sétif même. J’y retrouve peu d’enquêtés rencontrés à Lyon et décide d’enrichir mon corpus en recrutant des vacanciers directement dans les espaces publics de la ville. C’est cette année-là que je fais la découverte des espaces de sociabilité des jeunes descendants d’immigrés en vacances dans la ville. Je « recrute » quelques enquêtés que je reverrai à Lyon les mois suivants et qui me mettront en contact avec des membres de leur famille ou de leurs cercles de sociabilité. Ainsi, l’été 2010, je rencontre Warda (F , 33 ans, BTS Gestion, directrice d’un foyer Adoma, mariée, DI), jeune femme de 30 ans, mariée et mère de deux enfants. Elle passe ses vacances entre Sétif – ville d’origine de ses parents – et Boussaâda, ville d’origine de ses beaux-parents. Sur place, elle me fait visiter la maison de sa famille d’Algérie (de sa famille maternelle, où vivent encore un cousin marié et des cousines célibataires) dans laquelle elle dit passer une bonne partie de son séjour ; je découvre aussi la maison construite par ses parents dans un autre quartier de la ville. Lors de ces visites, je croise bien sûr les cousines algériennes de Warda, mais aussi ses sœurs également en vacances à la même période, ses parents et ses enfants. Enthousiaste à l’égard de mon sujet de recherche, Warda m’invite à la recontacter une fois sur Lyon : elle me met en relation avec deux de ses sœurs (Nora et Karima), un de ses frères et surtout son épouse (« tu verras, elle c’est encore un cas différent parce que sa mère a grandi ici [en France] »), un de ses collègues de travail (« lui il part plus du tout, on a pas du tout la même vision du bled, c’est une autre génération [elle est née en 1977, lui en 1963] »). Par boule de neige, les sœurs de Warda me renvoient encore vers d’autres enquêtés : Nora me met en contact avec sa voisine de palier, la jeune Nesrine (F, 19 ans, bac professionnel en cours, célibataire) que je reverrai en Algérie notamment pour le mariage d’une de ses sœurs célébré sur place ; Karima me présente une amie très impliquée dans la vie associative de sa commune. Et c’est Karima qui m’offre un hébergement à Sétif pour mon séjour de trois mois de l’été 2011, dans son appartement du centre de Sétif – appartement acheté par sa belle-famille après son mariage puisque Karima s’est mariée en Algérie, au début des années 1990, avec un natif d’Algérie et a vécu sur place quelques années. L’année 2011, je cherche à corriger le biais principal de recrutement de l’été précédent dans la mesure où j’avais concentré mes prises de contact sur les espaces publics de la ville de Sétif. Je n’avais alors principalement rencontré que des vacanciers basés sur la ville même de Sétif, et peu de vacanciers séjournant dans les espaces ruraux alentours. Pour diversifier ce recrutement, après des tentatives infructueuses auprès des autorités municipales de plusieurs communes de la région administrative de Sétif, j’ai réussi à contacter une bonne partie de mon corpus de cet été directement à l’aéroport de Sétif, à l’arrivée des vols en provenance directe de Lyon37. Ce recrutement m’a permis de prendre contact avec des personnes ne passant que peu de temps dans la ville de Sétif même car basées dans des petites villes ou des villages des alentours. C’est ainsi que je rencontre par exemple Farès (H, 34 ans, Bac +2, éducateur, marié, Imm), arrivé à l’aéroport le 27 juillet, avec une de ses jeunes sœurs et un de ses frères. Farès et sa famille passent leurs vacances dans le village où leur père est né, au sud de la wilaya38 de Sétif. Farès ne vient que très ponctuellement sur Sétif, et n’y reste que quelques heures. Une fois le contact pris à l’aéroport, Farès m’invite à venir passer une journée dans leur maison familiale, pour faire l’entretien et visiter les lieux. J’y rencontre ses parents ainsi que deux de ses frères et une de ses sœurs. Je revois ensuite Farès en décembre 2011, sur Lyon, chez lui, pour obtenir des compléments sur son entretien mais surtout pour partager avec lui les photos de ses vacances en Algérie de différentes époques. Par ces différents moyens, j’ai donc pu interroger, de manière formelle, 56 descendants d’immigrés, pour la plupart nés en France de deux parents immigrés, une petite partie étant née en Algérie mais étant arrivée très jeune en France. Ces 56 entretiens ont été inégalement exploités dans notre travail d’analyse, en fonction de la richesse des informations collectées dans et autour de ces entretiens. Si certains chapitres proposent une analyse comparative relativement exhaustive du corpus (chapitres 2 et 3 par exemple), d’autres chapitres proposent des focus sur certains cas particulièrement exemplaires des processus étudiés (c’est le cas du chapitre 4) ou sur certaines sous-catégories de notre population (chapitres 5 et 6). Les profils de ces enquêtés, ainsi que les modes de leur recrutement, sont présentés en annexe 2. Les entretiens, guidés sur des grands thèmes mais non directifs, avaient pour but de saisir l’historique des vacances passées en Algérie – en parallèle avec le récit de la migration des parents et de leur installation en France. Ils prenaient en partie la forme d’un récit de vie, quand nous demandions aux personnes interrogées de rendre compte de l’évolution de leurs séjours algériens en parallèle de leur propre parcours de vie. Parallèlement, la conduite de l’entretien orientait les enquêtés vers la production de récits de pratique de vacances, passées et présentes. 37 Ayant pris acte de l’importance des flux surtout estivaux entre Lyon et l’Algérie et du potentiel particulier d’une ligne reliant la métropole rhônalpine à la région sétifienne, l’aéroport de Lyon et la compagnie Air Algérie ont décidé de mettre en place une nouvelle liaison depuis avril 2006 reliant directement Lyon à Sétif. Une illustration chiffrée de l’importance des flux estivaux vers l’Algérie, et notamment Sétif, depuis l’aéroport de Lyon : en janvier 2007, l’aéroport de Lyon enregistre 7339 passagers au départ de l’Algérie dont 1280 pour Sétif, représentant respectivement 2,9% et 0,5% du total des départs depuis l’aéroport ; en juillet 2007, ce sont 32208 passagers qui partent pour l’Algérie, et 4200 pour Sétif, soit respectivement 8,2% et 1% des passagers au départ de Lyon ce même mois. Source : http://www.lyonaeroports.com 38 La wilaya correspond au découpage administratif du territoire algérien. Chacune des 48 wilayat du pays est dirigée à partir de la capitale de la wilaya par un wali (équivalent de préfet) nommé par l’Etat, et subdivisée en daïrat – regroupements de communes. Les séjours en Algérie ont permis de comparer ces discours sur les pratiques avec les pratiques observées sur place et de préciser les modes d’interaction de ces personnes suivant les situations (dans la famille élargie, dans les espaces publics urbains ou balnéaires, dans les espaces fermés de consommation). Les modalités de ces observations ont varié en fonction des circonstances : accueil au sein de la résidence secondaire familiale, partage d’activités de loisir, rencontre dans les lieux de consommation touristique (complexe balnéaire, plage, parc d’attraction). La réalisation d’entretiens dans les résidences secondaires des personnes interrogées (ou plus souvent de leurs parents) m’a permis d’étudier les formes d’aménagement et d’occupation de ces espaces, et de partager une partie du quotidien vacancier de mes enquêtés. Certains enquêtés m’ont de plus invitée à revenir les voir à l’occasion d’une invitation à déjeuner ou à dîner, ou de la célébration d’un mariage ou d’un baptême. Enfin, certains enquêtés m’ont hébergée plusieurs jours dans leur résidence secondaire, me permettant de partager quelques jours leur quotidien. L’été 2009, j’ai par exemple été hébergée par Djamila (F, 47 ans, BEP, employée de saisie informatique, mariée, Imm) dans la maison secondaire achetée par sa mère à Sétif pendant cinq jours. Rencontrée précédemment à Lyon dans une agence de voyage, Djamila était enthousiaste à l’idée de me revoir en Algérie : elle se pose alors en guide touristique, me faisant découvrir les différents quartiers de la ville, les spécialités culinaires (et notamment ses « madeleines de Proust »), et le site archéologique de Djemila situé à une soixantaine de kilomètres de la ville. Dans sa maison d’Algérie, nous cohabitons avec un jeune cousin et sa famille (son épouse et ses deux jeunes enfants). Djamila de son côté est venue passer ses vacances avec les deux plus jeunes de ses trois enfants (10 et 14 ans). Ce séjour en compagnie de Djamila me permet à la fois d’observer les relations familiales au sein de la maison secondaire, entre famille de France et famille d’Algérie ; il me permet aussi de me familiariser avec les espaces publics et de consommation de la ville de Sétif, avec notamment un tout premier aperçu des espaces de sociabilité de certains jeunes vacanciers. A Sétif, j’ai passé aussi beaucoup de temps au sein des espaces de sociabilité de jeunes vacanciers venus de France dans la ville de Sétif : j’ai pu y observer les sociabilités amicales déployées dans ces espaces en passant de nombreuses soirées en compagnie de ces jeunes – souvent des jeunes garçons (ainsi qu’une minorité de filles) peu diplômés issus de quartiers populaires en France, catégorie de descendants d’immigrés que j’avais du mal à interroger de manière trop formelle pendant mes campagnes d’entretien à Lyon en raison peut-être d’un décalage social (âge, sexe, niveau de diplôme) trop grand entre eux et moi. Une petite partie de ces enquêtés ont accepté de réaliser des entretiens plus formels, dans leurs espaces familiaux – mais la plupart étaient plutôt réticents à me faire entrer dans ces espaces (notamment en raison de mon sexe, plusieurs jeunes garçons étant opposés à l’idée d’introduire une jeune femme dans leur famille). J’ai pu retrouver une partie de ces jeunes vacanciers dans les espaces balnéaires les plus proches de la ville de Sétif, dans la région de Bejaïa. L’année 2011, j’ai aussi revu une partie de ces enquêtés, toujours dans les lieux de sociabilité spécifiques à cette population. Enfin, j’ai conduit plusieurs courts séjours d’observation dans des stations balnéaires de la côte algérienne. Outre un rapide séjour dans la région oranaise, notamment sur des plages privées des environs d’Oran, j’ai passé plusieurs séjours dans un complexe touristique de la région de Bejaïa, rencontrant de manière informelle plusieurs vacanciers (Algériens résidant et descendants d’immigrés) et interrogeant la direction du complexe sur sa clientèle. Si l’analyse du regard porté par les différentes strates de la population algérienne sur les vacanciers venus de France ne faisait pas directement partie de mon sujet, mes trois séjours algériens ont bien sûr été l’occasion de recueillir, de manière annexe, quelques discours produits par les locaux sur les vacanciers qu’ils appellent « immigrés ». Pour finir, les entretiens et les observations ont été complétés par la collecte moins systématique de matériaux secondaires autour de mes enquêtés. J’ai notamment revu une partie de mes enquêtés chez eux en France pour regarder avec eux les photographies amassées pendant de longues années de « vacances au bled », photographies d’enfance ramenées de chez leurs parents et photographies plus récentes. Par ailleurs, j’ai gardé contact avec une partie de mes enquêtés – essentiellement les jeunes rencontrés dans les lieux de sociabilités « immigrés » de Sétif – à travers l’ouverture d’un compte facebook après l’été 2010, interface qui m’a permis d’échanger avec ces enquêtés et de suivre l’évolution – pendant l’année – des formes de sociabilité observées initialement dans les cafés de Sétif. Ces matériaux seront mobilisés de manière beaucoup plus ponctuelle, avec les précautions nécessaires à l’utilisation de telles données collectées a posteriori de manière non systématique. Nous ne développons pas ici l’analyse réflexive des différentes situations d’entretien et d’observation, dans la mesure où nous estimons que cette analyse n’a de pertinence que lorsqu’elle est mobilisée pour affiner la compréhension des phénomènes sociaux observés (à la manière de ce que propose Gérard Mauger sur son expérience d’enquêteur en milieu populaire, Mauger, 1991). Pour éviter de faire de cette réflexivité un passage obligé de tout apprenti sociologue et pour rappeler toute la portée heuristique de l’auto-analyse du chercheur, nous mobiliserons cette approche réflexive des conditions d’enquête tout au long du manuscrit, au service de la compréhension des processus étudiés. Les matériaux de contextualisation : archives, documents institutionnels et bases de données statistiques Notre souci d’historiciser l’étude des vacances au bled et de réinscrire les récits de vie dans l’évolution des discours et pratiques de l’Etat d’émigration à l’égard de ses émigrés nous a amenée à conduire un travail complémentaire essentiellement basé sur trois types de matériaux : le journal (hebdomadaire ou bimensuel, suivant les époques) publié entre 1965 et 1991 par l’Amicale des Algériens en Europe, principale courroie de transmission de l’Etat algérien en France ; des rapports émanant de l’Etat algérien sur ses positions à l’égard de sa « Communauté nationale à l’étranger » ou sur sa politique touristique dans les années 1990 et les années 2000 ; des entretiens menés durant l’été 2011 auprès de hauts responsables de la politique touristique algérienne (directeur de la Communication du Ministre du Tourisme et de l’Artisanat, directeur de l’Office National du Tourisme, directeur de l’Ecole Nationale Supérieure de Tourisme, directeur d’un complexe touristique géré par l’Etat) ou chargés des relations avec l’émigration (député chargé de la commission des affaires étrangères, en charge de l’émigration)39. Ces sources et les précautions à prendre pour leur exploitation seront exposées dans le premier chapitre de la thèse. Enfin, nous avons cherché à inscrire notre enquête ethnographique, essentiellement qualitative, dans un cadrage statistique plus large. Pour ce faire, deux enquêtes statistiques de grande ampleur étaient susceptibles de nous fournir des données de cadrage, mais elles n’ont pas été ici très exploitées en raison d’un manque de recoupement des populations étudiées. Nous avons d’abord récupéré la base de données de l’enquête « Vacances » de l’INSEE, correspondant à la partie variable de l’enquête annuelle sur les Conditions de vie des Français, partie variable réalisée périodiquement. A travers la dernière version en date de cette enquête, réalisée en 2004, nous avons voulu interroger la particularité des séjours de vacances qui nous intéressent par rapport aux vacances de l’ensemble de la population française. Si l’enquête offre des informations intéressantes sur les séjours de vacances de personnes immigrées, elle ne permet pas de travailler spécifiquement sur les vacances de descendants d’immigrés – cette catégorie n’étant identifiable que dans certaines enquêtes spécifiques du système statistique public40. De plus, les populations immigrées ne constituant pas une cible majeure de cette enquête, elles ne sont pas surreprésentées dans l’échantillon et ne se prêtent donc pas toujours à une analyse détaillée, pays d’origine par pays d’origine. Par ailleurs, nous avons pu accéder – mais seulement en fin de thèse41 – à la base de données de l’enquête Trajectoires et Origines réalisée en 2008, sur les trajectoires sociales d’immigrés et de descendants d’immigrés. Si cette enquête contient dans sa population cible le sous-groupe (les descendants d’immigrés algériens) qui nous intéressent, elle n’a pas non plus été très exploitée dans notre travail en raison de la pauvreté des données recueillies spécifiquement sur les séjours passés dans le pays d’origine. Ainsi seules deux questions du questionnaire de l’enquête concernent directement notre objet d’étude : « êtes-vous déjà allé dans le pays de naissance de vos parents ? Oui/Non » et « quand vous étiez jeune, avant vos 18 ans, y alliez-vous ? Au moins une fois par an/moins souvent/jamais ». Si ces questions permettent de mesurer de manière globale la connaissance directe du pays d’origine des parents par des descendants d’immigrés de différentes nationalités à travers les séjours effectués dans ce pays, elles ne permettent pas une analyse plus fine, ne serait-ce que de la fréquence de ces séjours. Les modalités de réponse à la deuxième question paraissent assez peu pertinentes – particulièrement la deuxième réponse « moins souvent » passablement floue et imprécise. Ces questions ne permettent pas non plus d’analyser les caractéristiques des partants et des non partants chez des descendants immigrés adultes, dans la mesure où cette dimension n’est pas vraiment interrogée. Les visites dans le pays d’origine semblent alors davantage saisies comme une dimension de la socialisation primaire (pendant l’enfance) et donc éventuellement comme 39 L’annexe 3 présente la liste de ces sources institutionnelles consultées, recueillies et exploitées. En 2006, en plein débat sur les « statistiques ethniques », le Conseil d’analyse stratégique publie un rapport de synthèse sur cette question, et sur les enquêtes incluant déjà des questions sur le pays de naissance et la nationalité d’origine des parents, telle l’enquête FQP qui inclut une question sur le pays de naissance des parents depuis 1993 (Cusset, 2006). Plus récemment, l’enquête Famille et logement (2011) – annexée à la collecte des données du recensement – permet d’isoler la catégorie « descendants d’immigrés » sur un échantillon de grande taille (360000 personnes interrogées) à travers ces mêmes questions sur le pays de naissance et la nationalité de naissance des parents. 41 Pour des raisons de délai de transmission des données d’enquête par l’INED et l’INSEE. 40 variable explicative, que véritablement comme pratique transnationale de maintien de liens matériels avec le pays d’origine en tant qu’adulte – contrairement aux autres questions de la même partie du questionnaire portant sur les « relations transnationales » (sur la lecture de journaux du pays d’origine ou sur les investissements économiques dans le pays d’origine) et apparaissant donc davantage comme des variables à expliquer par différents éléments de la trajectoire sociale des enquêtés42. Plan de la thèse La thèse se déploiera en trois parties constituées chacune de deux chapitres. La première partie propose un regard longitudinal sur les vacances au bled en les réinscrivant dans le « mythe du retour » ou « l’illusion du provisoire » analysée par Sayad à propos des familles émigrées d’Algérie. Le chapitre 1 analysera la place occupée par les séjours de vacances des émigrés dans le discours et les politiques de l’Etat algérien, depuis son indépendance en 1962 jusqu’à aujourd’hui. Pensées initialement comme une étape préalable vers un retour définitif de ceux qui sont alors désignés comme les « émigrés » par l’Etat algérien, ces vacances sont progressivement vues comme une manière de mobiliser, à distance, les membres de la diaspora ou « Communauté nationale à l’étranger », pour reprendre les nouvelles catégories de désignation utilisées par l’Etat algérien. Pendant de ce regard porté sur les institutions du pays d’origine, le chapitre 2 propose d’adopter le point de vue des familles immigrées sur le lien associant vacances algériennes et « mythe du retour », lien étudié à partir des souvenirs d’enfance des descendants d’immigrés. Si l’idée du retour est présente dans l’enfance des personnes rencontrées, et particulièrement des enquêtés les plus âgés, elle s’est progressivement modifiée au fil des années pour prendre davantage la forme de l’alternance que de la réinstallation définitive dans le pays d’origine des parents. La deuxième partie adopte elle aussi une perspective diachronique mais en inscrivant les vacances passées en Algérie non pas dans une perspective de sociologie de l’immigration mais dans le cadre d’une sociologie des vacances et des pratiques touristiques. Le chapitre 3 mettra en lumière la progressive acculturation des descendants d’immigrés et de leur famille aux pratiques de vacances ainsi que la diversification socialement située (en fonction de l’âge et de la génération, du sexe, de la trajectoire sociale ou encore de la situation conjugale) des pratiques de vacances, en Algérie ou ailleurs, des descendants d’immigrés interrogés. Ces derniers sont alors vus comme des vacanciers à part entière, plutôt que des vacanciers entièrement à part : leurs pratiques de vacances sont alors réinscrites dans une analyse de type bourdieusienne des pratiques culturelles. Ce chapitre proposera également une étude de l’évolution de la forme des séjours algériens, et des formes de rupture et de continuité existant entre ces séjours et les autres séjours de vacances des personnes rencontrées. Le chapitre 4 42 Dans l’enquête MGIS, les visites dans le pays d’origine des parents étaient abordées à travers des questions plus nombreuses et plus précises. Ainsi par exemple, le questionnaire incluait une question sur le nombre de séjours passés dans le pays d’origine les trois dernières années. Le seul inconvénient de cette enquête, outre son ancienneté, est qu’elle a été réalisée en 1992, c’est-à-dire au beau milieu des troubles politiques qu’a connu l’Algérie et qui a ralenti le rythme des visites des émigrés et de leur famille. Les résultats obtenus concluant à la rareté de telles visites peuvent alors souffrir d’un biais important. propose a contrario de voir dans les vacances passées en Algérie des séjours un peu à part, venant questionner explicitement les sentiments d’appartenance des personnes rencontrées. En nous intéressant spécifiquement aux manières qu’ont particulièrement certains enquêtés de réinscrire l’évolution de leurs séjours algériens dans leur récit de vie, nous explorerons les dimensions mémorielles de ces séjours alors en partie assimilables à une forme de « tourisme des racines » – tout en discutant du caractère socialement situé (généralement dans la fraction la plus diplômée de notre corpus) de ce type de discours produit sur les vacances algériennes. La troisième partie s’écrit quant à elle au présent et s’intéresse aux pratiques actuelles et matérielles déployées pendant les vacances algériennes. Plutôt que de limiter l’approche des appartenances aux déclarations explicites (chapitre 4), nous souhaitons les saisir à travers la description et l’analyse des manières pratiques de prendre part à ces séjours algériens. Le chapitre 5 s’intéressera davantage à la dimension familiale de ces séjours, dans l’analyse de relations familiales à géométrie variable entre famille d’orientation (parents, frères et sœurs) et famille de procréation (conjoint, enfants), famille proche et famille élargie, famille de France et famille d’Algérie. Ancrage spatial de ces relations familiales, on verra comment la maison du bled est le siège de relations familiales différenciées. Le chapitre 6 quant à lui portera sur les espaces non familiaux des vacances au bled. Nous verrons que les espaces balnéaires, notamment, offrent d’autres configurations de manières d’être en vacances pour les personnes rencontrées. Nous analyserons le type de relations sociales qui s’y déploient, et nous étudierons spécifiquement les sociabilités amicales construites et entretenues dans ces espaces, particulièrement par une partie des descendants rencontrés – des jeunes (entre 18 et 30 ans) descendants d’immigrés issus de quartiers populaires peu diplômés ou diplômés de cycles courts. Extrait du chapitre 1 Figure n° 2 – Quelques couvertures du journal de l’Amicale des Algériens en Europe consacrées aux vacances : entre séjours balnéaires, retrouvailles familiales et préparation à la réinsertion Extrait du chapitre 6 Figure n° 12 – Les plages familiales Figure n° 13 – Les plages privées