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Vincent Gourdon, Isabelle Robin, "Parrainage catholique et liens familiaux à La Rochelle (XVIIe-XXe siècles)", Écrits d'Ouest, 2022, 30, p. 89-108

2022

Histoire Parrainage catholique et liens familiaux à La Rochelle (XVIIe-XXe siècles) Depuis une quinzaine d’années et la fondation en 2006 de Patrinus, le réseau d’histoire sociale et culturelle du baptême et du parrainage, la question de la place de la parenté spirituelle dans la structuration des sociétés anciennes en Europe ou en Amérique ne cesse de stimuler les recherches dans les pays de tradition chrétienne. Cet intérêt croissant est venu des spécialistes d’histoire sociale qui, prenant le relais des anthropologues, ont vu dans le parrainage et le compérage deux liens rituellement construits permettant à des individus ou des familles de bâtir ou de renforcer des réseaux sociaux autour d’eux, liens qui avaient en outre le grand avantage pour les historiens d’être consciencieusement inscrits dans les registres tenus par les clergés des différentes Églises chrétiennes, contrairement à d’autres relations sociales plus informelles comme la simple amitié1. Grâce à la floraison d’études désormais disponibles, il est apparu que la relation de parrainage était loin de se cantonner aux objectifs religieux officiellement prescrits par les différentes confessions qui y avaient recours, mais qu’elle donnait lieu à des instrumentalisations de toutes sortes répondant à des objectifs aussi bien socio-relationnels, économiques, que politiques. Il n’est pas question ici de présenter l’ensemble des usages stratégiques du parrainage qui ont été dégagés par les chercheurs en histoire ou en anthropologie. On se contentera d’en signaler l’immense variété, qui traduit la remarquable souplesse d’un lien rituel capable de s’adapter à des circonstances très diverses et de «donner forme» à des relations de tout type. On en pointera également les variations spatiales et chronologiques. 1. Sur l’histoire complexe du lien d’amitié, voir Maurice Daumas, Des trésors d’amitié. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Armand Colin, 2011. 89 Dans la tradition anthropologique2, une des questions centrales concernant le parrainage est l’équilibre entre les choix dits intensifs (faits dans la parenté consanguine et affine) et les choix qualifiés d’extensifs (hors parenté consanguine et affine). Cette place de la famille proche ou élargie dans le choix des parrains et marraines est souvent perçue comme un élément décisif permettant de distinguer deux visions du parrainage : la première mettant l’accent sur sa capacité à étendre un réseau social au-delà des liens existants ; la seconde insistant davantage sur son rôle de consolidation du tissu présent. Chez une partie des spécialistes, l’appel à des parrainages non familiaux est la marque de la vitalité de l’institution du parrainage et la mobilisation préférentielle de la parentèle de l’enfant baptisé est au contraire perçue comme le signe d’une perte de substance de cette notion : le recours aux consanguins ou alliés traduirait en effet une absence de reconnaissance de la spécificité de ce lien ritualisé. D’autres chercheurs insistent en revanche sur le fait que le parrainage intra-familial peut servir des objectifs au sein du groupe de parenté, qu’il s’agisse de marquer des allégeances symboliques entre générations, de renforcer des solidarités entre branches collatérales ou entre certains individus particuliers (un ainé et un cadet, une tante célibataire et sa nièce, des demi-germains3, etc.), de transmettre des prénoms familiaux, de désigner des successeurs, d’intégrer des nouveaux venus (un parent issu d’un second mariage, par exemple), etc. Bien souvent, cependant, l’analyse de la place relative de la parenté dans le parrainage renvoie à une interprétation plus globale de la place respective des liens familiaux et communautaires au sein de la société, et donc à un discours théorique sur la faiblesse ou la force croissantes de la parenté dans les sociétés traditionnelles puis contemporaines. L’analyse butte alors bien souvent sur le manque de profondeur chronologique des études disponibles. Ce problème est récurrent dans les travaux anthropologiques, en particulier lorsqu’ils portent sur des communautés rurales choisis pour leur caractère a priori «traditionnel» (Andes, Europe balkanique, territoires montagnards, etc.), mais il concerne aussi des études historiques dès lors que le corpus d’analyse s’étend sur une période réduite, ce qui permet certes des comparaisons de court terme, mais non de replacer les résultats obtenus dans un trend long. Dans le cas français, les enquêtes sur les pratiques de parrainage dans un terrain donné dont le spectre chronologique dépasse le siècle se compte sur les doigts d’une main, et parmi celles-ci, seule l’enquête sur la paroisse d’Aubervilliers, près de Paris, entre les années 1550 et 1881 se déploie sur plus de trois cents ans4. Le travail présent se propose de compléter cet exemple villageois (Aubervilliers ne devient une 2. PAUL (Benjamin D.), Ritual Kinship: with Special Reference to Godparenthood in Middle America, Ph.D. Thesis, University of Chicago, 1942. 3. Voir l’exemple du père de Restif de la Bretonne avec les enfants de ses deux mariages : «Dans l’intention où il était de lier sa première famille avec la seconde par tous les nœuds possibles, il fit les aînés parrains et marraines des cadets» (RESTIF DE LA BRETONNE (Nicolas-Edme), La vie de mon père, Paris, Isidore Liseux, 1884, p. 194, 1re édition, 1779). 4. BERTEAU (Camille), GOURDON (Vincent) et ROBIN (Isabelle), «Trois siècles de parrainages à Aubervilliers : de la Réforme catholique au temps des banlieues industrielles», p. 39-68, dans ALFANI (Guido), GOURDON (Vincent), ROBIN (Isabelle) (dir.), Le Parrainage en Europe et en Amérique. Pratiques de longue durée XVIe-XXIe siècles, Bruxelles, Peter Lang, 2015. 90 commune industrielle banlieusarde que dans la seconde moitié du XIXe siècle) par un second corpus, urbain cette fois-ci, à savoir La Rochelle entre le règne de Louis XIII et les Années folles. Le corpus des baptisés rochelais Compte tenu de la taille de la ville et de l’ampleur de la période considérée - trois siècles -, il n’est évidemment pas question de mener une enquête exhaustive sur tous les baptisés rochelais. Des choix sont indispensables. Le premier consiste à se concentrer sur le parrainage catholique. Rappelons néanmoins que les registres de baptêmes protestants comportent eux aussi des parrains5, même si ces derniers ne sont plus des «parents spirituels» comme dans le catholicisme6. À La Rochelle, dès les années 1560, chaque enfant protestant est presque systématiquement présenté au baptême par un parrain et une marraine, ce qui n’est pas toujours le cas à l’époque dans les autres églises protestantes de l’Ouest, où domine encore souvent à cette période le modèle du parrain masculin unique7. L’exclusion des protestants dans cette étude ne tient donc pas à une divergence théologique ou à un problème de source (sauf entre 1685 et les années 1760, où il n’y a plus d’enregistrement baptismal8). Elle s’explique surtout par la diminution de leur poids dans la population rochelaise dès les premières décennies postérieures à la prise de la ville par les troupes de Richelieu9, et à leur caractère très minoritaire depuis le XVIIIe siècle. À l’aube de la Révolution, alors que l’heure n’est pourtant plus à la répression royale et au culte clandestin, on ne compte ainsi à La Rochelle qu’un baptisé protestant pour environ 25 baptisés catholiques10. Nous avons ensuite choisi d’exclure le cas des baptêmes catholiques administrés dans une structure hospitalière pour nous focaliser sur les seuls baptêmes célébrés en paroisse. Les baptêmes d’hôpitaux sont certes nombreux11, mais ils obéissent à une logique spécifique et le poids de l’institution pèse fortement sur le mode d’administration du sacrement comme sur les choix de parrainage. Au fil des actes 5. Dans le cas des réformés français, l’article XXXIV de la Discipline adoptée lors du premier synode national de 1559 demande d’insérer le nom des parrains et marraines des baptisés parmi les informations à conserver dans les registres. 6. Sur le refus protestant de la parenté spirituelle, voir ALFANI (Guido), GOURDON (Vincent), «Spiritual kinship and godparenthood: an introduction», p. 1-43, dans ALFANI (Guido), GOURDON (Vincent) (dir.), Spiritual Kinship in Europe, 1500-1900, Londres, Palgrave, 2012. 7. DIELEMAN (Margreet), Le baptême dans les Églises réformées de France (vers 1555-1685) : un enjeu confessionnel. L’exemple des provinces synodales de l’Ouest, thèse d’histoire, sous la direction de Didier Boisson, Université d’Angers, 2018, p. 583. 8. L’enregistrement des baptêmes et mariages reprend en 1761 à La Rochelle (Archives départementales de Charente-Maritime, I 198-205, La Rochelle, collection du greffe, registre pastoral des baptêmes et mariages 1761-1775). 9. PÉROUAS (Louis), «Sur la démographie rochelaise», Annales E.S.C., 1961, 6, p. 1131-1140. L’interdiction faite aux réformés non domiciliés avant 1625 de s’installer en ville a pour effet de rendre les catholiques majoritaires dès 1630. L’immigration catholique continue, les expulsions de protestants et, dans une moindre mesure, les conversions amenuisent peu à peu la place du protestantisme au sein de la population (environ 38 % en 1660 ; 20 % en 1676). L’émigration massive qui fait suite à la révocation de l’édit de Nantes en 1685 parachève le processus. 10. En 1786, il y a 21 baptisés protestants pour 554 catholiques (respectivement 22 et 490 en 1787). Chiffres fournis par FAVRE (Alix), Baptême et parrainage catholique catholiques à La Rochelle (1628-1789) : aspects d’un retour religieux, master 2 d’histoire, sous la direction d’Isabelle Robin et Vincent Gourdon, Sorbonne-Université, 2020, p. 59. 11. En 1925 par exemple, les baptêmes hospitaliers représentent environ 22 % des baptêmes catholiques célébrés à La Rochelle (GOURDON (Vincent), «À propos des pratiques baptismales catholiques dans la France de l’entre-deux-guerres : l’exemple de la Rochelle en 1925», à paraître dans la Revue de la Saintonge et de l’Aunis, t. XLVI). 91 des registres baptismaux de l’hôpital Saint-Louis au XIXe et au début du XXe siècle, on trouve ainsi un très grand nombre de parrains ou de marraines récurrents (infirmières, employés de l’hôpital, etc.), dont on peut douter qu’ils aient fait l’objet d’une sélection véritable par les parents des nouveau-nés12. Notre troisième option a en revanche été de prendre en compte l’ensemble des paroisses catholiques rochelaises. En effet, se concentrer sur une partie d’entre elles poserait des problèmes de représentativité, leurs compositions sociales étant loin d’être identiques13. En outre, elles connaissent sur le long terme des évolutions territoriales sensibles derrière une relative stabilité des noms et du nombre. À cet égard, un bref rappel des transformations de la couverture paroissiale rochelaise paraît indispensable. Au début du XVIIe siècle, alors que la cité est dominée par les protestants, les habitants catholiques disposent d’un unique lieu de culte, en l’occurrence la chapelle Sainte-Marguerite (aujourd’hui, la salle de l’Oratoire) et des baptêmes y sont célébrés14. À l’issue du siège de 1627-1628, le catholicisme fait son retour plein et entier dans la cité. La Déclaration du Roy sur la réduction de la ville de La Rochelle en son obéissance ordonne la réédification des églises anciennes et la réorganisation des paroisses catholiques15. Cependant, cette remise en ordre est très progressive. Dans un premier temps, faute de lieux adaptés, les baptêmes se poursuivent à Sainte-Marguerite et seule cette paroisse possède des registres. En 1630, le Grand Temple protestant est attribué aux catholiques ce qui permet la création de la paroisse Saint-Barthélemy (qui deviendra plus tard la paroisse de la cathédrale Saint-Louis). En parallèle, des chapelles ouvrent dans les anciennes églises mais elles n’ont pas encore de livres paroissiaux en propre. En 1632, celle de Saint-Jean-du-Perrot est la première à prendre son autonomie par rapport à Saint-Barthélemy et à posséder ses registres. Vient ensuite, en 1654, Saint-Nicolas, dans le quartier du port. L’année précédente, en 1653, a commencé la construction de la nouvelle église de Notre-Dame de Cougnes : en 1662, elle acquiert à son tour le statut paroissial, tandis que les registres de SainteMarguerite sont clos. En 1668, Saint-Sauveur accède enfin au même statut16. À partir de cette date, le tissu est durablement constitué, avec cinq paroisses urbaines dont les circonscriptions débordent néanmoins sur les fermes et faubourgs (Lafont, Saint-Éloi, etc.) qui entourent la cité. Il ne bouge plus jusqu’à la Révolution, et se reconstitue à l’identique à l’issue de la phase de déchristianisation17, lors de la réorganisation concordataire. Toutefois ce schéma était adapté à une ville encore largement coincée dans ses anciennes murailles et dont les fidèles demeuraient pour l’essentiel intra-muros. 12. Sur ce point, Ibid. Notons qu’au XIXe siècle, les parturientes de l’hôpital Saint-Louis sont très souvent des mères célibataires, dont une large part abandonne rapidement leur enfant. 13. Sous l’Ancien Régime, la paroisse Saint-Barthélemy accueille une population plutôt aisée, alors que Saint-Jean-du-Perrot et Saint-Nicolas, paroisses des marins et des travailleurs du port, sont beaucoup plus pauvres. 14.Pérouas (Louis ), art. cit., p. 1132-1133. 15. Déclaration du Roy sur la réduction de la ville de La Rochelle en son obéissance. Contenant l’ordre et police que Sa Majesté veut y estre establie, Le Mans, veuve F. Ollivier, 1628, art. II. 16. Voir FAVRE (Alix), op. cit., p. 30-33, ainsi que les registres paroissiaux conservés aux archives départementales. 17. Sur ces découpages paroissiaux jusqu’aux années 1860, voir Meschinet de Richemond (Louis), La Rochelle et ses environs, La Rochelle, C. Chartier libraire-éditeur, 1866, p. 94-96. 92 L’expansion urbaine de La Rochelle oblige à des redéploiements à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Ainsi, le rattachement de Tasdon (et du secteur de la gare) à la commune en 1858 se traduit quelques mois plus tard par le transfert de cette zone depuis la paroisse d’Aytré vers celle de Saint-Nicolas18. En 1881, c’est la création du port industriel et commercial de La Pallice qui entraîne l’annexion de la commune de Laleu par celle de La Rochelle. La paroisse Saint-Pierre de Laleu19, qui inclut La Pallice, devient rochelaise. Enfin et surtout, le développement démographique des quartiers extra-muros (La Genette, Saint-Maurice, Tasdon, Saint-Éloi, etc.) dans le dernier tiers du XIXe siècle crée un déséquilibre dans l’équipement religieux de la ville. L’évêché en prend rapidement conscience et, en 1887, restructure complètement le maillage paroissial sans pour autant augmenter le nombre de cures, toujours fixé à six (Laleu compris). Il est ainsi décidé de transférer les droits curiaux de l’église Saint-Jean vers celle de Saint-Maurice (déplacée au début du XXe siècle dans le quartier de La Genette20), et ceux de Saint-Nicolas vers la nouvelle église de Saint-Nicolas-de-Tasdon21, construite au-delà des installations ferroviaires. Dans le même mouvement, la majeure partie des anciens secteurs de Saint-Jean et Saint-Nicolas - dont les deux anciennes églises sont désaffectées - est réattribuée à la paroisse de la cathédrale et à celle de Saint-Sauveur. Ce nouveau découpage reste en vigueur jusqu’à l’entre-deux-guerres. Enfin, quatrième et dernier choix, nous avons construit des échantillons par période22. Au nombre de neuf, ils sont espacés de telle manière qu’ils puissent prendre en compte les grands tournants historiques qui affectent la ville : restauration du culte catholique, révocation de l’Édit de Nantes, Révolution, etc. Le premier comprend les années 1628-1633 et correspond à la période qui suit immédiatement le siège par les troupes royales. Le deuxième englobe les baptêmes de 1668-1669 et se situe une génération plus tard, alors que les cinq paroisses historiques sont désormais constituées. Un troisième, 1685-1686, correspond au moment de l’Édit de Fontainebleau qui interdit le culte protestant. Le quatrième comprend les baptêmes de 1721 et 1722, soit une génération plus tard. Le cinquième, qui est le dernier de la période de l’Ancien Régime, rassemble les baptêmes de 1788 et 1789, juste après l’Édit de Tolérance et avant les grands bouleversements révolutionnaires. Le tableau 1 (page suivante) présente les effectifs de baptêmes pris en considération. 18. Archives diocésaines de La Rochelle (désormais ADLR), Série P, dossier Aytré : sur ce rattachement, voir le «Registre de Paroisse et souvenir de ce qui a eu lieu depuis que je suis curé à Aytré», rédigé par le curé Bernard. 19. La petite commune de Saint-Maurice (à peine 386 habitants en 1832), qui ne possède pas de paroisse propre au début du XIXe siècle mais dépend religieusement de celle de Laleu, est aussi démembrée en 1858. Une petite partie de son territoire est alors rattachée à La Rochelle (MEYNEN (Nicolas), La Rochelle au XIXe siècle. De la place forte au port de commerce, Poitiers, C.P.P.P.C, 2007, p. 19). 20. L’église du Sacré-Cœur de la Genette est livrée au culte en octobre 1900 (Ibidem, p. 217). 21. COUNEAU (Émile), La Rochelle disparue. vol. 4 : Les églises, les communautés religieuses, les temples protestants, La Rochelle, A & T éditions, 2006, p. 312-313 (1re édition, 1904). 22. Les registres baptismaux de l’Ancien Régime sont consultables sur le site des Archives départementales de Charente -Maritime. Pour cette période, nous avons utilisé la base de données constituée par Alix Favre dans le cadre de son master 2. Nous la remercions vivement de nous l’avoir confiée. Pour la période 1805-1925, nous avons dépouillé les registres paroissiaux conservés aux Archives diocésaines de La Rochelle (depuis peu à Saintes), dans la série 5 G. 93 Tab. 1 : Effectifs de baptêmes par paroisse des cinq échantillons d’Ancien Régime SainteMarguerite SaintBarthélemy Saint-Sauveur Saint-Nicolas Notre-Dame de Cougnes Saint-Jean -du-Perrot Total 1628-1633 1 050 1668-1669 - 1685-1686 - 1721-1722 - 1788-1789 - Total 1050 154 233 258 196 125 966 - 193 184 600 189 218 538 224 234 621 197 170 490 803 806 2 249 51 164 204 168 134 721 1 255 1 374 1 407 1 443 1 116 6 595 Source : FAVRE (Alix), op. cit., p. 61 (d’après les registres paroissiaux conservés aux Archives départementales de Charente-Maritime) Après la Révolution, les échantillons sont espacés d’environ 40 ans et ne comportent qu’une année de saisie. La première année, 1805, correspond à un moment où les paroisses historiques rochelaises sont de nouveau pleinement actives et les registres conservés. Le dernier échantillon, en 1925, se situe quelques années après la fin de la Première Guerre mondiale, alors que les effets de celle-ci sur la pratique baptismale se sont estompés23. Contrairement à la période d’Ancien Régime, ils incluent la paroisse Saint-Pierre de Laleu. Celle-ci n’est pas proprement rochelaise avant 1881 et regroupe une population de taille modeste et essentiellement paysanne avant cette date, mais pour des raisons de cohérence avec les deux dernières échantillons (1881 et 1925), il a semblé logique de dépouiller également ses registres paroissiaux au XIXe siècle24 (tableau 2). Tab. 2 : Effectifs de baptêmes des quatre échantillons de la période contemporaine 1805 1841 1881 1925 Total Cinq paroisses historiques 380 346 427 492 1 645 Cinq paroisses historiques et Laleu 416* 378 466 626 1 886 Source : Archives diocésaines de La Rochelle, série 5 G. *À Laleu, les baptêmes sont ceux de 1808 et non de 1805. Au total, les neuf échantillons rassemblent 8481 actes de baptême. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, ceux-ci sont intégralement manuscrits et le degré de précision des informations dépend en large part du bon vouloir du prêtre rédacteur, même si le Rituel romain, mais aussi la législation royale ou encore les statuts synodaux du diocèse, fixent un cadre minimal de formulation et une liste d’informations 23. Sur ces effets (notamment le retard des célébrations baptismales dans l’attente d’un père ou d’un parrain mobilisé), voir GOURDON (Vincent), art. cit. 24. Pour des raisons de disponibilité archivistique, pour Laleu, nous avons dépouillé l’année 1808 et non 1805. 94 indispensables. En 1881 et 1925, en revanche, les actes baptismaux sont préimprimés (deux actes par page de registre paroissial) et le prêtre remplit des espaces laissés en blanc. Ceci se traduit par une uniformisation des informations, mais aussi un certain appauvrissement des données sur les individus cités (cf. infra). Une chose en revanche ne bouge guère durant la longue période considérée, c’est la domination presque absolue du parrainage par un duo parrain-marraine. Les exceptions sont très peu nombreuses et correspondent le plus souvent à des omissions ou des lacunes archivistiques, à des ondoiements25, et en de très rares occasions à un choix délibéré de n’avoir qu’un parent spirituel26, ce qui est parfaitement autorisé par l’Église catholique27. Au total, nos échantillons rassemblent 8 407 parrains et 8 410 marraines (soit 16 817 parents spirituels) pour 8 481 actes de baptême dépouillés. La quasi-totalité des enfants baptisés sont des natifs de La Rochelle et de ses abords immédiats qui, comme nous l’avons signalé, dépendent officiellement des églises intra-muros28, ou de Laleu pour les échantillons de la période contemporaine. Bien entendu, quelques exceptions se glissent dans les registres : enfants de forains ou d’un couple de marchands de passage en ville, natifs des paroisses limitrophes portés en ville en raison de l’absence d’un prêtre29. Ce constat découle des prescriptions de l’Église qui demande de baptiser l’enfant dans sa paroisse propre30, mais s’explique aussi par le court délai qui s’écoule entre la naissance et l’administration du sacrement, surtout à l’époque moderne31. Le retard du baptême qui ne cesse de s’accentuer à partir des années 1830 offre une petite marge de manœuvre aux familles32, mais celle-ci a surtout pour effet d’autoriser la mobilisation de parrains géographiquement éloignés, alors que moins de 1 % des parrains et marraines connus venaient de l’extérieur de la ville sous l’Ancien Régime33. ooOoo 25. Les témoins des ondoiements ne sont pas pris en compte dans cette étude (sur le recours à l’ondoiement à La Rochelle au XIXe siècle, voir GOURDON (Vincent), «Négocier le rite sacramentel. Les familles rochelaises et la pratique baptismale, du Premier Empire à la Belle Époque», Écrits d’Ouest, 2019, vol. 27, p. 95-128). 26. Ainsi, pour un enfant baptisé à Sainte-Marguerite le 25 janvier 1631, l’acte précise explicitement qu’il «n’y a point eu de marraine» (cité in FAVRE (Alix), op. cit., p. 89). 27. C’est même le modèle prôné en priorité par les Pères réunis lors du concile de Trente (ALFANI (Guido), Padri, padrini, patroni. La parentela spirituale nella storia, Venise, Marsilio, 2006, p. 113). 28. En 1841, dans la paroisse Notre-Dame, on compte ainsi au moins onze baptêmes d’enfants dont les parents sont indiqués comme résidents à Lafond, trois à Saint-Eloi, et enfin trois à Rompsay (ADLR, 5 G 113, Registre des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse Notre-Dame de La Rochelle, 1834-1843). 29. C’est le cas d’un enfant de Lagord dans les années qui suivent le siège (cité par FAVRE (Alix), op. cit., p. 89). 30. «Nous défendons très expressément de baptiser aucun enfant ailleurs que dans une autre église que celle de leur paroisse, qui est l’église de leur propre pasteur» (Ordonnance et règlements sinodaux pour le diocèse de La Rochelle, La Rochelle, chez Pierre Mesnier, 1711). De même, en 1885, selon l’article 398 des Statuts synodaux du diocèse de La Rochelle et Saintes (La Rochelle, P. Dubois, 1888, p. 170) : «Le baptême sera conféré sur la paroisse natale de l’enfant (...). Nous interdisons sub gravi à tout curé de donner le baptême à un enfant né sur une paroisse étrangère, sans la permission de son propre pasteur ou de la nôtre (...)». 31. Les délais sont particulièrement courts au XVIIIe siècle conformément à la loi du royaume de 1698 : en 1788-1789, 26,8 % des baptisés sont nés le jour même et plus de 70 % ont entre un et trois jours (FAVRE (Alix), op. cit., p. 75). 32. GOURDON (Vincent), «Négocier le rite sacramentel...», art. cit. 33. Proportion signalée par FAVRE (Alix), op. cit., p. 69. 95 Un choix de plus en plus familial Mesurer la place de la parenté dans le parrainage sans reconstitution des familles ni élaboration de généalogies impose de définir des critères de parenté précis et constants d’une étude à une autre, afin de faciliter la comparaison des tendances à observer. Les informations des actes de baptêmes sont limitées et variables selon la bonne volonté du prêtre chargé de la rédaction ; outre la date et l’identité des père et mère, les parrains et marraines sont désignés le plus souvent par leurs noms et prénoms. Pour les femmes, la mention «épouse de» ou «veuve de X» ajoutée à leur patronyme est un complément d’information très précieux mais non systématique. La méthodologie qui a été fixée et utilisée lors des enquêtes précédentes retient trois critères de parenté distincts34. Partant du principe que dans les communautés de la France moderne comme dans les paroisses contemporaines les personnes portant le même nom de famille ont de très fortes chances d’appartenir à la même parentèle, tout parent spirituel homonyme du père ou de la mère est compté comme un homonyme patronymique «direct». Cette mesure simple permet de repérer a minima la présence des parrains et marraines apparentés côté paternel ou côté maternel et surtout, sur la longue durée, elle indique la tendance générale des choix faits par les parents de baptisés. Pour compléter cet indicateur imparfait mais toujours calculable, il est possible de prendre en compte des alliés ou homonymes «indirects», c’est-à-dire les personnes dont le conjoint porte le patronyme d’un des parents. Ainsi, on repère des marraines grands-mères, tantes ou cousines signalées comme veuve ou épouse d’un homme homonyme du père ou de la mère du nouveau-né. Il est plus rare que des parrains soit ainsi agrégés aux homonymes indirects mais il ne faut négliger aucun détail fourni par les actes35. Enfin, il arrive que les prêtres mentionnent explicitement le lien de parenté existant entre le ou la filleul.e et le ou les parents spirituels (aïeul, oncle, tante, frère, sœur, cousin, cousine). Dès lors que cela ne recoupe pas une homonymie, le détail est très utile et permet d’augmenter la proportion de parrains et marraines choisis dans la parenté. Selon les périodes, les corrections apportées à l’homonymie directe sont plus ou moins importantes (tableau 3 et figure 1). À La Rochelle au début du XVIIe siècle, la différence est minime mais un siècle plus tard, on note un gain d’information non négligeable grâce aux homonymies indirectes et aux liens explicites (avec une différence de 2,7 % en 1721-1722 et de 12,1 en 1788-1789). La richesse des détails sur les liens entre les acteurs de la cérémonie baptismale va ensuite diminuant aux XIXe et XXe siècles, surtout après 1855, moment où les registres deviennent préimprimés et ne demandent plus au prêtre rédacteur que de remplir un certain nombre de lignes ou cases laissées en blanc36. Il est donc important de considérer avant tout 34. Voir en particulier les différents chapitres dans ALFANI (Guido), GOURDON (Vincent) et ROBIN (Isabelle) (dir.), Le parrainage en Europe et en Amérique, op. cit. 35. Le cas se présente par exemple quand l’acte baptismal indique que le parrain et la marraine sont mari et femme, et que la marraine porte le nom du père ou de la mère du baptisé. 36. La mention du lien de parenté éventuel entre les parents spirituels et l’enfant baptisé ne fait pas partie des informations requises explicitement par les autorités de l’Église pour la rédaction d’un acte baptismal. 96 l’homonymie patronymique directe comme notre meilleur indicateur car elle n’est pas susceptible de varier en fonction du zèle des clercs qui tiennent la plume. Tab. 3 : Le parrainage dans la parenté à La Rochelle XVIIe-XXe siècles (sans Laleu) Homonymie directe Homonymie directe et indirecte Homonymie directe et indirecte + liens explicites Total des parrains et marraines 16281633 116 4,6% 117 4,7% 120 4,8% 16681669 231 8,4% 253 9,2% 258 9,4% 16851686 291 10,3% 336 11,9% 345 12,3% 17211722 399 13,8% 448 15,5% 475 16,5% 17881789 422 18,9% 488 21,9% 693 31,0% 1805 193 25,4% 216 28,4% 251 33,0% 2503 2747 2814 2884 2232 760 1841 1881 1925 202 256 450 30,4% 32,4% 47,2% 233 267 475 35,1% 33,8% 49,8% 239 267 502 36,0% 33,8% 52,7% 664 791 953 Sources : pour les XVIIe-XVIIIe siècles, Archives départementales ; pour les XIXe-XXe siècles, Archives diocésaines de La Rochelle, série 5 G. Fig. 1 : Le parrainage dans la parenté à La Rochelle XVIIe-XXe siècle (sans Laleu) La figure 1 nous montre la forte progression entre XVIIe et XXe siècles de la part des parents dans le parrainage rochelais. Partant d’un temps où les membres de la famille ne constituent pas le vivier premier (moins de 10 % des parrains et marraines confondus sont des apparentés durant une grande partie du XVIIe siècle), la courbe aboutit en 1925 à une proportion de 47,2 % d’homonymes directs. Dans l’intervalle, on doit noter une montée régulière du parrainage intensif au XVIIIe siècle qui permet d’atteindre 30 % en 1841 puis de dépasser 45 % au XXe siècle, après une brusque accélération entre 1881 et 1925. L’allure générale de cette courbe ne doit pas nous étonner car elle recoupe ce que nous savons déjà sur le phénomène de familialisation des choix de parrains et marraines depuis le XVIe siècle en France. En effet, partout le XVIIIe siècle est un moment décisif. Il apparaît que, dès lors que l’on sort des élites nobles ou officières37, le système de parrainage extensif 37. L’entre-soi familial est en effet une pratique très ancienne dans les élites que les études de cas de familles d’officiers ou de nobles montrent bien (voir BARILLY-LEGUY (M.), «Livre de mes anciens grand pères» : le livre de raison d’une famille mancelle du Grand Siècle 1567-1675, Rennes, Presses de l’Université de Rennes, 2006 ; BURGUIÈRE (A.), «Un Nom pour soi», L’Homme, 1980, vol. 20, no 4, p. 25-42). Pour une vue synthétique, GOURDON (V.), «Les élites et le parrainage en France, des débuts de l’époque moderne au XIXe siècle», p. 367-388, dans COSTE (L.), MINVIELLE (S.) et Mougel (F. C.) (dir.), Le concept d’élites en Europe de l’Antiquité à nos jours, Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2014. 97 qui privilégiait jusque-là les voisins, les amis, les protecteurs aux membres de la famille, est abandonné au profit d’une sollicitation de plus en plus importante des membres de la parenté. À La Rochelle, la précision accrue des actes au cours de ce siècle souligne particulièrement cette croissance. En milieu rural à Aubervilliers, un parent spirituel sur dix était de la famille au XVIIe, un sur quatre dès le début XVIIIe siècle, puis près d’un sur trois à la fin du siècle (selon le critère de la seule homonymie directe)38. La tendance est identique dans les villes d’Ancien Régime où ce même taux approche ou dépasse les 30 %. Dans la paroisse Saint-Nizier de Lyon en 1740, 24 % des parrains sont des homonymes des pères ou des mères de leurs filleuls et 31,6 % des marraines ; à Charleville, parrains et marraines confondus, on en compte déjà 26,7 % en 1696 et 34,8 % en 178239. Le repli sur la famille au siècle des Lumières se retrouve également dans les études menées sur Dijon et Bordeaux40. Hors de France, certaines études montrent des tendances comparables. En Espagne, dans le diocèse galicien de Lugo, les parents spirituels non apparentés ne sont déjà plus que 53 % au milieu du XVIIIe ; la décrue ayant été amorcée dans la seconde moitié du XVIIe siècle, elle se poursuit au XIXe siècle41. La poussée des choix intensifs rochelais ne marque pas le pas au XXe siècle ; bien au contraire, un léger ralenti sur la période 1841-1881 est suivi d’une nouvelle hausse rapide sur le dernier demi-siècle étudié. Alors que la population rochelaise a presque été multipliée par deux entre 1881 et 192542, cela pourrait être le signe du passage au modèle contemporain du seul choix familial. Tab. 4 : Le parrainage dans la parenté à La Rochelle XIXe-XXe siècles (avec Laleu) Homonymie directe Homonymie directe et indirecte Homonymie directe et indirecte + liens explicites Total des actes 1805* 1841 1881 1925 214 25,7% 237 28,5% 275 33,1% 832 224 30,8% 259 35,6% 265 36,4% 728 289 33,5% 303 35,1% 308 35,7% 863 555 45,8% 588 48,5% 647 53,3% 1213 Sources : Archives diocésaines de La Rochelle, série 5 G. *À Laleu, les baptêmes sont ceux de 1808 et non de 1805. 38. BERTEAU (Camille), GOURDON (Vincent) et ROBIN (Isabelle), «Trois siècles de parrainages à Aubervilliers...», art.cit., p. 51. 39. COURIOL (Étienne), «La place de la parenté dans les baptêmes parrains et marraines confondus d’une paroisse lyonnaise d’Ancien Régime», p. 293-313, dans ALFANI (Guido), GOURDON (Vincent) et ROBIN (Isabelle) (dir.), Le parrainage en Europe et en Amérique, op. cit., ici p. 297 ; ALEXANDRE (Cécile), «Parrainer à Charleville au XVIIIe siècle», p. 315-331, dans ALFANI (Guido), GOURDON (Vincent) et ROBIN (Isabelle) (dir.), Le parrainage en Europe et en Amérique, op. cit., ici p. 321. 40. SALVADORI (Pierre), «Communauté catholique et société : fabriques et parrainages dans trois paroisses de Dijon (vers 1650 -vers 1750)», Annales de Bourgogne, 1999, vol. 71, no 1-2, p. 139-156. L’auteur note une différence entre les paroisses habitées par les élites et celles plus populaires, mais constate une progression commune des parrains et marraines apparentés. À Bordeaux, dans la paroisse Saint-André, on passe de 10 à 40 % environ entre 1580 et 1780, avec un saut sensible au XVIIIe siècle, selon MINVIELLE (Stéphane) dans «Baptême et parrainage à Bordeaux sous l’Ancien Régime», p. 259-291, dans ALFANI (Guido), GOURDON (Vincent) et ROBIN (Isabelle) (dir.), Le parrainage en Europe et en Amérique, op. cit., ici p. 269. 41. GONZÁLEZ LÓPEZ (Tamara), El padrinazgo bautismal en la diocesis de Lugo (ss. XVI-XIX), Santiago de Compostella, Andavira editora, 2019, p. 99. 42. En 1881, on compte 22 464 habitants, 40 852 en 1926 et 45 043 en 1931 ; voir HERCULE (Philippe), Paroisses et communes de France, dictionnaire d’histoire administrative et démographique, Charente-Maritime, Paris, Éditions du CNRS, 1985, p. 413. 98 La prise en compte de la paroisse Saint-Pierre de Laleu à partir du XIXe siècle ne change pas le mouvement général (tableau 4). C’est un constat d’autant plus intéressant que la population de cette paroisse à la fin du XIXe siècle et surtout en 1925 est fortement migrante et liée aux activités portuaires et industrielles du secteur de La Pallice. L’expansion urbaine, l’installation de familles non-natives et le passage à une société industrielle ne se traduisent pas par une baisse du recours à la parenté dans les choix de parrainage ; au contraire, l’orientation familiale des choix continue de se renforcer. Le sexe des parents spirituels et celui des baptisés sont-ils des variables importantes ? La familialisation des choix étant une mutation majeure sur la longue durée, observe-t-on des variations sensibles dans le temps selon le sexe des parents spirituels et selon celui des enfants ? L’examen du cas des parrains et marraines pose un problème car les identités des hommes et des femmes, comme cela a déjà été noté plus haut, ne sont pas renseignées de la même façon dans les registres. À certaines périodes, les marraines sont désignées essentiellement par leur nom de naissance, mais parfois aussi seulement par leur nom d’épouse, ce qui devient plus fréquent aux XIXe et XXe siècles quand s’imposent les registres pré-imprimés. En ce cas, cela peut faire fluctuer la part de l’homonymie directe. À d’autres époques, les mentions des patronymes du père et de l’époux, qu’il soit vivant ou mort, des marraines peuvent peser à la marge sur les statistiques en renforçant le poids des homonymies indirectes. Le XVIIIe siècle voire le début du XIXe illustrent parfaitement ce cas (figures 2 et 3). Il convient donc de prendre les chiffres avec prudence. Tab. 5 : Parrains et marraines homonymes directs à La Rochelle (sans Laleu) XVIIe-XVIIIe siècles (en pourcentage) Marraines 1628-1633 1668-1669 1685-1686 1721-1722 1788-1789 Homonymie directe 5,3 8,4 10,7 15,2 18,7 Homonymie directe et indirecte Homonymie directe, indirecte + liens explicites 5,4 10,0 13,9 18,6 24,6 5,5 10,3 14,4 19,8 33,2 1251 1374 1407 1442 1116 1628-1633 1668-1669 1685-1686 1721-1722 1788-1789 Homonymie directe 4,0 8,4 10,0 12,5 19,1 Homonymie directe et indirecte Homonymie directe, indirecte + liens explicites 4,0 8,4 10,0 12,5 19,1 4,1 8,4 10,1 13,2 28,9 1252 1374 1407 1442 1116 Total des marraines Parrains Total des parrains 99 Tab. 6 : Parrains et marraines homonymes directs à La Rochelle (sans Laleu) XIXe-XXe siècles (en pourcentage) Marraines Homonymie directe 1805 25,2 1841 26,9 1881 33,1 1925 46,4 Homonymie directe et indirecte 30,0 35,4 35,6 50,5 Homonymie directe, indirecte + liens explicites 35,6 36,5 35,9 54,1 416 364 432 608 1805 1841 1881 1925 Homonymie directe 26,2 34,6 33,9 45,1 Homonymie directe et indirecte 26,9 35,7 34,6 46,4 Homonymie directe, indirecte + liens explicites 30,5 36,3 35,5 52,6 Total des parrains 416 364 431 605 Total des marraines Parrains Fig. 2 : Parrains et marraines homonymes directs à La Rochelle (sans Laleu), XVIIe-XXe siècles (en pourcentage) Sur le long terme, et en particulier en début et fin de période, il est frappant de constater le relatif équilibre entre parrains et marraines qui sont choisis de la même façon, hors de la famille au XVIIe et majoritairement dans la parenté au XXe siècle (tableaux 5 et 6). Deux divergences sont à noter cependant. La première intervient au XVIIIe siècle avec une poussée plus précoce des choix intensifs du côté des marraines. Ce trait déjà observé dans une enquête comparable menée à Aubervilliers peut être attribué au maintien plus durable du choix utilitaire hors du cercle familial quand il s’agit de désigner un parent spirituel masculin. La seconde, en 1841, est moins significative. Elle tient pour partie au critère de l’homonymie directe qui surreprésente les parrains apparentés par rapport aux marraines quand on 100 ne dispose plus du double nom des femmes. Elle repose également sur les résultats particuliers de seulement deux paroisses sur cinq sur lesquels il est difficile, en l’état des recherches, de se prononcer. Ces différences doivent être cependant relativisées ; quand on prend en compte toutes les informations sur les liens de parenté, les deux courbes ont alors la même allure générale. En outre, quelle que soit la période, les marraines sont un peu plus souvent des parentes que leurs compères (figure 3). Le rôle social traditionnel de la parenté spirituelle, autrement dit l’extension du réseau relationnel à des égaux ou à des personnes d’une catégorie sociale supérieure, reste donc plus l’apanage des parrains, même si ce type de choix décroit progressivement suivant la tendance initiée chez les marraines. Fig. 3 : Parrains et marraines apparentés (tous liens confondus) à La Rochelle (sans Laleu) XVIIe-XXe siècles (en pourcentage) Deux contraintes pèsent sur le choix des parents spirituels sous l’Ancien Régime. Tout d’abord, la nécessité de pratiquer le baptême dans les tous premiers jours de vie oblige les pères et mères à solliciter des personnes disponibles sur le moment et à proximité, si ce n’est dans la paroisse même, pour porter leur enfant sur les fonts. Ensuite, s’ils ont pris les devants et fait leur demande avant l’accouchement, ils ne connaissent alors pas le sexe du bébé. Leur choix se fait dès lors en fonction de leur intérêts sociaux ou des usages familiaux. D’une certaine façon, le lien de compérage que les parents établissent avec le parrain et la marraine prime sur le lien de parrainage stricto sensu43. On peut donc comprendre qu’il n’y ait aucune différence de proportion de parents spirituels apparentés entre les filles et les garçons (tableau 7). 43. Tous les travaux d’anthropologie historique insistent sur l’importance du lien de compérage entre parents et parrains-marraines au Moyen Âge. Voir en particulier Agnès Fine, Parrains, marraines: la parenté spirituelle en Europe, Paris, Fayard, 1994. 101 À l’époque contemporaine, bien que les délais de baptême aient été considérablement allongés44, et que les transports permettent des déplacements plus aisés, les parents ne semblent pas vraiment choisir en fonction du sexe de leur nouveau-né. En 1925, les écarts entre filles et garçons ne sont guère significatifs. On ne note qu’une petite tendance à donner un peu plus de parents spirituels de la famille aux filles (tableau 8). Tab. 7 : Proportions de parents spirituels apparentés aux baptisés (tout critère) selon le sexe. La Rochelle, XVIIe-XVIIIe siècles (en pourcentage) Sexes des baptisés Garçons Filles 1628-1633 4,9 4,6 1668-1669 9,8 9,0 1685-1686 12,3 12,2 1721-1722 16,6 16,4 1788-1789 30,7 31,4 Tab. 8 : Parrains et marraines portant le patronyme des pères ou des mères de leurs filleuls, selon le sexe du baptisé. La Rochelle, 1925 (Laleu compris) Sexes des baptisés Garçons Homonymie directe Filles Homonymie directe et indirecte Total des parrains/ marraines Homonymie directe Homonymie directe et indirecte Total des parrains/ marraines Parrains 137 44,8 % 140 45,8 % 306 Marraines 140 45,6 % 151 49,2 % 307 Total 277 45,2 % 291 47,5 % 613 136 45,5 % 141 47,2 % 299 142 47,2 % 156 51,8 % 301 278 46,3 % 297 49,5 % 600 Ainsi, tout compte fait, que l’on s’intéresse au sexe des parents spirituels ou à celui des enfants, il ressort des analyses précédentes que les choix sont assez peu genrés. Néanmoins, dans le détail, les garçons reçoivent un peu moins de parrains et marraines familiaux que les filles. Notons que le plus fort taux d’homonymie directe et indirecte (51,8 % en 1925) est celui des marraines données aux filles, ce qui confirme l’idée qu’en matière de parrainage, les femmes sont plus rattachées à la sphère familiale que les hommes. Quels parents choisissait-on pour le parrainage ? Un certain nombre d’études ont montré que parallèlement aux fluctuations du choix de la parenté dans le parrainage, il pouvait y avoir des variations sensibles dans le type de parents mobilisés. Qu’en était-il à La Rochelle sur la période considérée ? 44. 67 % seulement des bébés rochelais sont baptisés dans les trois jours suivant la naissance en 1805 et cette proportion tombe à 12,1 % en 1881. À cette date, plus de 10 % des enfants sont baptisés au-delà du deuxième mois (GOURDON (Vincent), «Négocier le rite sacramentel...», art. cit., p. 103). Pour d’autres exemples français, voir GOURDON (Vincent), «Les pratiques du baptême à Paris et à Rome au XIXe siècle », Popolazione e storia, 2006, vol. 7, no 2, p. 19-60. 102 Le plus aisé à observer est le rapport entre les branches maternelle et paternelle des enfants baptisés. Une approximation en est en effet fournie par le biais de l’homonymie patronymique directe entre les parrains et marraines et les pères et mères (figure 4 et tableau 9). Il faut néanmoins tenir compte dans la mesure du possible de la présence, parmi les parents spirituels, de frères et de sœurs des baptisés, qui portent en principe le nom du père mais relèvent en réalité des deux branches45. Fig. 4 : Proportions de parrains et marraines portant les patronymes des pères ou ceux des mères des baptisés. La Rochelle (sans Laleu), XVIIe-XXe siècles Tab. 9 : Proportions de parents spirituels portant les patronymes des pères ou ceux des mères des baptisés. La Rochelle (sans Laleu), XVIIe-XXe siècles 1628-1633 1668-1669 1685-1686 1721-1722 1788-1789 1805 1841 1881 1925 Homonymie directe paternelle 54 2,2% 114 4,1% 147 5,2% 180 6,2% 172 7,7% 122 16,1% 119 17,9% 132 16,7% 245 25,7% Frères et sœurs signalés 1 0,0% 12 0,4% 32 1,1% 40 1,4% 66 3,0% 33 4,3% 9 1,4% 1 0,1% 12 1,3% Homonymie directe paternelle sans frères/sœurs 53 2,1% 102 3,7% 115 4,1% 140 4,9% 106 4,7% 89 11,7% 110 16,6% 131 16,6% 233 24,4% Homonymie directe maternelle 62 2,5% 117 4,3% 145 5,2% 221 7,7% 251 11,2% 71 9,3% 83 12,5% 124 15,7% 207 21,7% 45. Problème déjà signalé par MINVIELLE (Stéphane), «Baptême et parrainage à Bordeaux...», op. cit., p. 275. 103 Total parents spirituels 2506 2748 2814 2884 2232 760 664 791 953 Sur le long terme, il est très clair que les deux branches profitent de la poussée des choix familiaux. En ce sens, sinon pour chaque famille, du moins à un niveau agrégé, il existe une tendance au maintien d’un équilibre relatif entre le côté paternel et le côté maternel de la parenté des enfants, ce qui exprime le caractère bilinéaire du système familial français, souvent signalé par les anthropologues de la parenté46. Notons qu’au XIXe siècle, les codes de savoir-vivre insistent sur la nécessité de choisir à chaque baptême un parent de chaque branche lorsque cela est possible47. Pour autant, ce constat d’équilibre n’est pas sans nuance. À l’époque moderne, l’homonymie directe maternelle tend à monter par rapport à celle paternelle. Le trait est particulièrement net si l’on retranche les frères et sœurs signalés comme tels dans les actes. On note en revanche un basculement au XIXe siècle : la branche paternelle l’emporte parmi les parrains et marraines choisis, surtout dans les échantillons de 1805 et 1841. Ce retournement assez soudain n’est pas aisé à comprendre. Une partie de l’explication tient sans doute aux formes de l’enregistrement : ainsi, la raréfaction des indications explicites du lien de germanité entre parents spirituels et baptisés à partir de 1841 renforce artificiellement la part de la branche paternelle. Cependant ce point n’explique pas la cassure dans la place de la parenté maternelle à partir de l’échantillon de 1805. Il est possible d’y voir aussi l’effet de la manière d’enregistrer une partie des marraines appartenant aux branches maternelles, qui prendraient les noms de leurs époux dans les actes baptismaux48. Il n’en reste pas moins un certain mystère à ce retournement de tendance. Cela constitue donc un appel à des recherches plus poussées, ne serait-ce que pour voir si le mouvement se retrouve dans d’autres terrains d’enquête à la même époque49. Une autre question intéressante concerne le type de parents mobilisés pour le parrainage : on sait qu’à l’heure actuelle en France - comme en Italie - les oncles et tantes des enfants sont les premiers parents choisis en la circonstance50, ce qui permet de consolider rituellement le lien de germanité avec les parents, mais aussi d’anticiper symboliquement une fonction de tuteurs au cas où les pères et mères disparaîtraient. Qu’en était-il à la Rochelle dans les siècles passés ? Il n’est pas facile de répondre à cette question apparemment simple, dès lors que nous ne disposons dans la plupart des échantillons que de peu d’actes précisant par des mentions explicites le lien familial exact existant entre le parrain, la marraine et l’enfant baptisé. La qualité de l’information varie en effet grandement selon les prêtres rédacteurs et selon la période51. Dans nombre de registres du XIXe siècle, 46. DÉCHAUX (Jean-Hugues), Sociologie de la famille, Paris, La Découverte, 2007, p. 94. Ce caractère bilinéaire n’est pas incompatible avec un biais matrilatéral en termes de parenté pratique. 47. GOURDON (Vincent), «What’s in a name? Choosing kin godparents in nineteenth-century Paris», p. 155-182, dans Alfani (Guido), Gourdon (Vincent) (dir.), Spiritual kinship in Europe, 1500-1900, op. cit. 48. Une sœur de la mère de l’enfant, qui serait nommée uniquement par son nom d’épouse, n’est plus repérable par le biais de l’homonymie patronymique. 49. Signalons que dans le cas du diocèse espagnol de Lugo, la branche maternelle prend au contraire l’ascendant sur la branche paternelle à partir du XVIIe siècle et ce jusqu’au tournant des XIXe et XXe siècles (GONZÁLEZ LÓPEZ (Tamara), El padrinazgo bautismal en la diocesis de Lugo (ss.XVI-XIX), op. cit., p. 105). 50. Alfani (Guido), Gourdon (Vincent) et Vitali ‘Agnese), «Social Customs and Demographic Change : The Case of Godparenthood in Catholic Europe», Journal for the Scientific Study of Religion, 2012, 51, 3, p. 482-504. 51. Voir le cas des frères et sœurs dans la figure 4. 104 on note ainsi un décalage particulièrement net entre la progression du parrainage familial repéré par le biais du critère de l’homonymie patronymique et la raréfaction des informations sur le lien familial parrain-filleul. En 1881, dans la paroisse Notre-Dame, par exemple, nous pouvons repérer un minimum de 54 parrains et 52 marraines a priori apparentés à leurs filleuls, mais sur ce total, nous ne sommes en mesure de qualifier la relation existante que pour six parents spirituels : un grandpère, deux grands-mères, un oncle, une tante, une sœur. À l’échelle de la ville, le problème est un peu moins aigu en 1925, puisque le lien familial avec l’enfant est indiqué pour 117 parrains et 95 marraines (sur respectivement 605 et 608 personnes mobilisées). Néanmoins, 104 des 212 mentions observées proviennent de la seule paroisse de Laleu, et 64 de celle de Saint-Nicolas-de-Tasdon, alors que les registre de Saint-Louis n’en fournissent que 6 et 7. Plus fort encore, celui de La Genette ne donne jamais cette information. Dernier souci, il est vraisemblable que, dans les échantillons comportant peu de mentions, l’on indiquait plus aisément la qualité du lien familial à l’enfant quand il s’agissait d’un grand-père ou d’une grand-mère, disposant d’une position symbolique forte et d’une autorité sur les parents, et moins fréquemment quand il s’agissait d’une parenté plus éloignée et plus horizontale : un cousinage, notamment. Ce qui signifie que la répartition visible des liens de parenté serait assez biaisée en la circonstance. Deux échantillons apparaissent néanmoins plus utilisables, du fait du nombre important de mentions de parenté qu’ils comportent : celui de 1788-1789 (tableau 10) et celui de 1925 (tableau 11). Tab. 10 : Parenté explicite entre les parrains et marraines et les baptisés à La Rochelle en 1788-1789 Parrains 63* 7 142 31 56 0 299 Grand-père/grand-mère Grand-oncle/grand-tante Oncle/tante Frère/sœur Cousin/cousine Parent/parente Total Marraines 71 9** 155 35 56 1 327 *dont un beau-père de la mère de l’enfant **dont une grand-tante de la mère de l’enfant La grande précision des actes baptismaux de 1788-1789 nous fournit 626 liens de parenté détaillés (pour 693 parents spirituels repérés comme apparentés à leurs filleuls). Le souci de la précision est parfois extrême («cousine germaine de l’enfant du côté maternel» ou encore «cousin germain du père de l’enfant», «beau-père de la mère de l’enfant», etc.). Cependant, pour éviter l’émiettement des données, nous les avons regroupées en catégories plus globales permettant de tenir compte de l’écart générationnel à l’enfant baptisé ou du caractère direct ou latéral du lien. 105 Il en ressort une domination absolue des parents proches : les grands-parents, les oncles et tantes, les frères et sœurs. Ces trois ensembles représentent au total 79 % des parents explicitement mentionnés. C’est néanmoins un peu moins que dans la paroisse Saint-André de Bordeaux à la même époque (1780), où les trois mêmes catégories rassemblaient plus de 90 % des liens, selon Stéphane Minvielle. On note en effet à La Rochelle une part assez conséquente de cousins, germains ou issus de germains (environ un sixième), ce qui n’était pas le cas à Bordeaux (3 %)52. Le second constat est la nette domination, parmi les parrains et marraines familiaux, des oncles et des tantes, qui représentent ensemble un peu moins de la moitié des liens connus. L’écart avec les aïeuls est du simple au double et même davantage. Nous obtenons des pourcentages proches à Bordeaux en 1780, mais dans cette ville la répartition était différente entre parrains et marraines53, ce que l’on ne remarque pas à La Rochelle. Enfin, environ un dixième des parents spirituels apparentés aux baptisés rochelais sont des frères et sœurs plus âgés. Tab. 11 : Parenté explicite entre les parrains et marraines et les baptisés à La Rochelle en 1925 Parrains 25 3 53 14 21 1 117 Grand-père/grand-mère Grand-oncle/grand-tante Oncle/tante Frère/sœur Cousin/cousine Neveu/nièce Total Marraines 22 0 47 11 15 0 95 On retrouve en 1925 la plupart des grandes tendances signalées : domination de la parenté proche, présence significative néanmoins des cousins et cousines (17 %), et prééminence des oncles et tantes dans le parrainage familial. Ces derniers rassemblent une fois encore la moitié des liens de parenté mentionnés dans les actes, et apparaissent deux fois plus souvent que les grands-parents. On pourrait donc parler de stabilité des comportements, mais ce serait oublier peut-être le phénomène de réduction de la fécondité des couples et la montée de l’espérance de vie survenus depuis le XVIIIe siècle. Il est vraisemblable qu’à la fin du XVIIIe siècle, la place des oncles, tantes, frères, sœurs, voire cousins tenait au fait que les fratries étaient plus nombreuses et offraient donc davantage d’occasions de mobiliser un cercle large de parents, au-delà des aïeuls, souvent prioritaires pour le parrainage des aînés lorsqu’ils étaient encore vivants54. Début XXe siècle, on aurait pu supposer que la raréfaction des familles nombreuses et la survie croissante des grands-parents auraient entrainé une montée de la part des aïeuls dans le parrainage familial. Or, les données disponibles ne l’indiquent pas. 52. MINVIELLE (Stéphane), art. cit., p. 275-276. 53. Les tantes étaient très nombreuses (58 %) alors que les oncles ne représentaient que 44 % des parrains de lien familial connu, pour 35 % de grands-pères (Ibid., p. 276). 54. GOURDON (Vincent), Histoire des grands-parents, Paris, Perrin, 2012, p. 460-461. 106 Il est possible que la logique de respect de l’ascendance qu’exprime la mobilisation des aïeuls soit passée au second plan. Il s’agit là d’une tendance visible notamment dans le discours des codes de savoir-vivre depuis la fin du XIXe siècle. Un certain nombre penche désormais pour des choix de parrains pouvant accompagner durablement et utilement l’enfant dans son parcours de vie55. Ce discours pousse à des choix plus horizontaux, soit au niveau de la génération des parents (oncle, tante), soit à celle des enfants eux-mêmes (frères et sœurs ainés, cousins). La montée des baptêmes familiaux célébrés le même jour pour des frères et sœurs ou des cousins (observable depuis la fin du XIXe siècle à la Rochelle56) va d’ailleurs dans la même logique d’un tissage de lien horizontal pour l’avenir. Conclusion La grande mutation sur plus de trois siècles d’observation est celle de la place des membres du cercle familial parmi les parrains et marraines. Cette étude inscrit La Rochelle dans le mouvement général de familialisation du choix des parrains et marraines qui s’observe en France sur le temps long, avec une nette poussée au XVIIIe siècle. Ce processus se retrouve dans d’autres terrains européens, par exemple en Espagne, en Galice, où il suit une temporalité assez proche de celle constatée en France, mais aussi en Italie, avec néanmoins un décalage temporel fréquent vers le XIXe ou le XXe siècle57. L’observation poussée ici jusqu’à l’entre-deux guerres rend compte de la force de cette transformation, puisque les migrations vers la ville et la croissance importante de sa population n’ont pas entamé cette progression des parents spirituels intrafamiliaux. Pour l’heure, nous manquons encore d’informations suffisamment précises pour juger jusqu’à quel point un tel phénomène pourrait se retrouver dans des agglomérations urbaines encore plus grandes. Il s’agit à l’évidence d’une piste de recherches qui mériterait d’être suivie à l’avenir. L’importance de cette mutation de long terme ne doit pas faire oublier un certain nombre de traits constants. Parmi eux, la domination du modèle du couple au sein du parrainage (un parrain et une marraine), dont il faut rappeler qu’il n’est pas obligatoire dans le catholicisme. Une autre tendance longue, valide aussi bien à l’époque moderne que contemporaine, est le fait que les familles rochelaises (à l’image, semble-t-il, des familles françaises en général) ne privilégient pas une branche, paternelle ou maternelle, au détriment de l’autre58. En outre, les parrains et 55. Ibid., p. 466-469. 56. Sur ce point, voir GOURDON (Vincent), «À propos des pratiques baptismales catholiques dans la France de l’entre-deux-guerres...», art. cit. 57. Sur le cas de la Vénétie, voir MUNNO (Cristina), «De Marco Caco au ‘cœur d’Allah’. Le baptême et les parrainages en Vénétie entre 1830 et 2010», p. 429-458 dans ALFANI (Guido), GOURDON (Vincent) et ROBIN (Isabelle) (dir.), Le parrainage en Europe et en Amérique, op. cit. 58. Cet équilibre se retrouve dans les campagnes de Bohême au XIXe siècle (SKOŘEPOVÁ (Markéta), «Le parrainage en Bohême dans le milieu rural, du XVIe au XIXe siècle», Histoire, Économie et Société, 2018, 4, p. 106-119, ici p. 117. 107 marraines ne sont pas choisis différemment pour un garçon ou pour une fille, sinon à la marge. Enfin, les informations disponibles montrent qu’au sein de la parenté, les sollicitations se portent avant tout vers la parenté la plus proche, avec en premier lieu les oncles et tantes et ensuite seulement les grands-parents puis les frères et sœurs. La rareté des études françaises comparables limite la possibilité de dégager une originalité rochelaise au sein du parrainage intrafamilial. S’il fallait néanmoins en pointer une, elle serait peut-être à trouver dans la présence non négligeable de cousins à la fin du XVIIIe (par opposition avec Bordeaux), et encore au XXe siècle, ce qui suggère l’existence d’une préférence pour des choix horizontaux dans la parenté. Vincent GOURDON, Isabelle ROBIN (Centre Roland-Mousnier, UMR 8596, Paris) 108