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Book Review of João M. Cabrita, "Mozambique. The Tortuous Road to Democracy"

2002, Lusotopie

Lusotopie,‭ ‬2002/1,‭ ‬pp.391-293 João M. CABRITA,‭ ‬Mozambique.‭ ‬The Tortuous Road to Democracy,‭ ‬Basingstoke‭ (‬G.-B.‭) ‬et New York‭ (‬E.U.A.‭)‬,‭ ‬Palgrave‭ (‬St.‭ ‬Martin‭’‬s Press‭)‬,‭ ‬2000,‭ ‬311p.,‭ ‬ISBN‭ ‬0-333-92001-5. L‭’‬historiographie du nationalisme et de la guerre post-coloniale au Mozambique est arrivée à un tournant.‭ ‬Le paradigme nationaliste,‭ ‬porteur d‭’‬une lecture téléologique de l‭’‬histoire et voyant tout en relation au seul Frelimo‭ (‬Front de libération du Mozambique‭)‬,‭ ‬est en train de tomber.‭ ‬Des travaux ont commencé à déconstruire cette approche,‭ ‬et à plonger dans la‭ ‬complexité et l‭’‬historicité de la lutte de libération et de la guerre post-coloniale.‭ ‬Il existe du coup,‭ ‬parmi les universitaires et un public plus large,‭ ‬une attente d‭’‬une nouvelle version de l‭’‬histoire politique du Mozambique contemporain.‭ ‬Cela crée un contexte excellent pour l‭’‬arrivée du livre de João Cabrita et explique sans aucun doute le succès du livre qui est déjà en réimpression.‭ ‬Malheureusement,‭ ‬ce dernier n‭’‬est finalement qu‭’‬en partie à la hauteur de nos attentes.‭ ‬L‭’‬ouvrage est en effet bien écrit,‭ ‬il se base sur des sources originales et inhabituelles et met à jour des éléments historiques nouveaux et fascinants.‭ ‬Mais,‭ ‬d‭’‬une part,‭ ‬les faits avancés par l‭’‬auteur le sont trop souvent sur des bases fragiles,‭ ‬d‭’‬autre part,‭ ‬la thèse et la démonstration de l‭’‬auteur restent,‭ ‬in fine‭ ‬et paradoxalement,‭ ‬dans le paradigme dominant.‭ ‬Si le livre de João Cabrita est donc important,‭ ‬ses faiblesses ne lui permettront pas de marquer le tournant historiographique espéré.‭ João Cabrita est un Mozambicain blanc,‭ ‬de Beira,‭ ‬qui vit depuis de nombreuses années au Swaziland.‭ ‬Il est journaliste et a mené par ce biais sa recherche sur l‭’‬histoire du Mozambique contemporain depuis de nombreuses années‭ ‬– depuis‭ ‬1976‭ ‬si l‭’‬on en croit ses références.‭ ‬Son travail s‭’‬est concentré‭ ‬sur deux types de source.‭ ‬Premièrement,‭ ‬de nombreuses entrevues,‭ ‬principalement avec des dissidents du Frelimo et des membres de la Renamo‭ (‬Résistance nationale mozambicaine‭)‬ dont Cabrita est visiblement proche.‭ ‬Ensuite,‭ ‬des documents de plusieurs archives et bibliothèques américaines obtenus au travers du‭ ‬Freedom of Information Act.‭ ‬Les premiers résultats de cette recherche ont été publiés entre‭ ‬1995‭ ‬et‭ ‬1996‭ ‬sous la forme d‭’‬articles du journal‭ ‬Savana‭ ‬(Maputo‭) ‬sous le pseudonyme de Benedito Tomás Muíanga.‭ ‬Les résultats finaux sont présentés ici en quarante-neuf courts chapitres divisés en six grandes parties qui couvrent l‭’‬histoire politique du Mozambique de‭ ‬1962‭ ‬à‭ ‬1988.‭ ‬La première partie du livre traite du développement du Frelimo et de la guerre de libération ‭; ‬la deuxième et troisième parties s‭’‬intéressent à l‭’‬indépendance,‭ ‬ses problèmes et la résistance aux politiques du Frelimo ‭; ‬la quatrième section présente la naissance et le développement de la Renamo ‭; ‬la cinquième traite des négociations de paix de‭ ‬1983-84‭ ‬et de l‭’‬Accord de Nkomati ‭; ‬la dernière section concerne les différentes interventions étrangères dans la guerre post-coloniale.‭ ‬En tout,‭ ‬ce ne sont pas moins de‭ ‬311‭ ‬pages qui se lisent très bien,‭ ‬dans un style des plus agréables et accessibles.‭ Commençons par les problèmes.‭ ‬Une première limitation a trait au fait que l‭’‬argument et la démonstration de Cabrita ne sortent pas du paradigme nationaliste.‭ ‬En effet l‭’‬auteur a beau nous présenter plein de nouveaux éléments sur le Frelimo,‭ ‬sur l‭’‬histoire‭ ‬de la lutte de libération et sur la Renamo et il a beau nous présenter certaines versions des faits contraires à ce que l‭’‬on savait ou pensait jusqu’à présent‭ (‬voir‭ ‬infra‭)‬,‭ ‬il n‭’‬en reproduit pas moins l‭’‬inévitabilité historique du mouvement nationaliste et la centralité du Frelimo‭ ‬– même dans la création de la Renamo ‭! ‬Le paradigme nationaliste peut se résumer par l‭’‬argumentaire qui voudrait que les mouvements nationalistes héritent des traditions de résistance anti-coloniale et qu‭’‬ils se développent‭ «‬ tels une rivière qui grossit continuellement jusqu’à ce qu‭’‬elle se jette dans la mer de l‭’‬Indépendance ‭»‬ (Y. Adam,‭ ‬Lutar por Moçambique :‭ ‬a substituição dos mitos coloniais pelos da resistência,‭ ‬libertação e nacionalismo,‭ ‬Maputo,‭ ‬1994 :‭ ‬7,‭ ‬multigr.‭)‬.‭ ‬Dans ce paradigme,‭ ‬le Frelimo s‭’‬identifie au nationalisme et à la rivière.‭ ‬Cabrita,‭ ‬lui,‭ ‬ne dédit pas la téléologie ‭; ‬il nous montre qu‭’‬il y avait d‭’‬autres courants‭ (‬nationalistes‭)‬.‭ ‬Pour ce qui concerne l’époque post-coloniale,‭ ‬le Frelimo nous dit que sa gestion du pouvoir a toujours été représentative et légitime et que la Renamo n‭’‬est guère que le fruit de ses vieilles contradictions internes,‭ ‬des‭ «‬ traîtres ‭»‬ récupérés et manipulés par la Rhodésie.‭ ‬Or Cabrita argumente,‭ ‬lui,‭ ‬que la Renamo s‭’‬est développée sur des ressentiments réels et légitimes du peuple contre le Frelimo,‭ ‬ce qui ne lui fait pas moins reconnaître la continuité historique Frelimo-Renamo.‭ ‬Autrement dit,‭ ‬là où le Frelimo a élaboré une thèse nationaliste,‭ ‬Cabrita ne nous offre‭ ‬in fine‭ ‬et malheureusement qu‭’‬une contre-thèse,‭ ‬ou une antithèse,‭ ‬également nationaliste et téléologique.‭ ‬Le problème est double.‭ ‬D‭’‬une part,‭ ‬l‭’‬auteur donne l‭’‬impression d’écrire une version de l‭’‬histoire inverse à,‭ ‬voire‭ ‬contre,‭ ‬celle du Frelimo‭ ‬– certains en ont déjà conclu que Cabrita avait donc écrit son livre‭ ‬pour‭ ‬la Renamo si non sur la commande de cette dernière.‭ ‬D‭’‬autre part,‭ ‬l‭’‬auteur confirme ainsi le paradigme dominant,‭ ‬voire le renforce même en le complexifiant.‭ Le second problème du livre de Cabrita est méthodologique.‭ ‬L‭’‬auteur ne cite très souvent qu‭’‬une seule source‭ (‬document ou interview‭) ‬pour avancer des faits.‭ ‬Il n‭’‬a visiblement pas respecté la règle qui veut que l‭’‬on contrôle,‭ ‬ou croise,‭ ‬ses sources.‭ ‬Or cela pose un problème de crédibilité.‭ ‬Il est en effet difficile de croire une version des faits basée sur les dires d‭’‬un seul acteur ou d‭’‬un seul document.‭ ‬On le sait,‭ ‬l‭’‬auteur d‭’‬un acte‭ (‬ou d‭’‬un document‭) ‬a toujours intérêt à raconter une version qui le favorise ou qui occulte ses faiblesses voire ses méfaits.‭ ‬De plus,‭ ‬il est difficile d‭’‬imaginer qu‭’‬une erreur ou une mauvaise compréhension ne puisse ainsi s’être glissée dans le travail de Cabrita,‭ ‬ne serait-ce que par mégarde.‭ ‬Illustrons le propos.‭ ‬Est-il sérieux par exemple d‭’‬affirmer,‭ ‬sur la base des seuls dires de Dhlakama,‭ ‬que ce dernier n‭’‬avait pas de pouvoirs absolus lorsqu‭’‬il prit la tête de la Renamo en‭ ‬1979‭ (‬pp. 161-162‭)‬ ‭? ‬De même est-il sérieux de raconter,‭ ‬sur la base de l‭’‬interview d‭’‬un seul et unique soldat,‭ ‬que les troupes de Dondo auraient refusé en‭ ‬1975‭ ‬de réprimer leurs collègues au Sud du pays si elles avaient compris que ces derniers tentaient en réalité un coup d’État‭ ‬(sic‭)‬ (p. 105‭)‬ ‭? ‬On peut en douter.‭ ‬Et ce d‭’‬autant plus que Cabrita a déjà commis une série d‭’‬erreurs pour s’être justement reposé sur une source d‭’‬information non croisée.‭ ‬À la page‭ ‬17‭ ‬par exemple,‭ ‬il affirme erronément que le MANC‭ (‬Mozambique African National Congress‭) ‬a fait partie de la coalition nationaliste Funipamo‭ (‬Frente Unida Anti-imperialista Popular Africana de Moçambique‭) ‬en‭ ‬1963‭ ‬alors qu‭’‬en réalité seul un membre du MANC a rejoint la coalition et ce,‭ ‬à titre personnel.‭ ‬À la page‭ ‬145,‭ ‬Cabrita nous parle de Luís Garife Matsangaice,‭ ‬un soi-disant frère du premier président de la Renamo,‭ ‬André Matsangaissa,‭ ‬et il se repose‭ ‬sur ses seuls dires pour interpréter les motivations d‭’‬André à faire la guerre.‭ ‬Or,‭ ‬manque de chance,‭ ‬le frère est en réalité un oncle et la version des faits qu‭’‬il a servi à Cabrita en‭ ‬1995‭ ‬avait plus à voir avec ses intérêts du moment‭ (‬la dénationalisation de ses propriétés‭) ‬qu‭’‬avec les réelles motivations du premier‭ (‬entrevue,‭ ‬Chimoio,‭ ‬23‭ ‬septembre‭ ‬2001‭ ‬– l‭’‬interview a été faite avant de lire le livre de Cabrita‭)‬.‭ Poursuivons maintenant sur les points positifs du livre.‭ ‬Tout d‭’‬abord,‭ ‬l‭’‬auteur a fait une recherche poussée et tout à fait originale.‭ ‬Il a travaillé sur les documents des archives américaines,‭ ‬ce qui n‭’‬avait jamais été fait,‭ ‬et il a mené à bien une foule d‭’‬entrevues avec des dissidents du Frelimo et des membres de la Renamo,‭ ‬ce qui n‭’‬avait jamais été fait aussi sérieusement et systématiquement.‭ ‬Cela amène énormément d‭’‬informations nouvelles,‭ ‬des révélations et cela éclaircit ou précise plusieurs points de l‭’‬histoire contemporaine du Mozambique.‭ ‬On découvre par exemple que Mondlane travaillait étroitement avec les autorités américaines et que son accession au pouvoir au sein du Frelimo visait à éliminer‭ «‬ l‭’‬ennemi rouge ‭»‬ (Gwambe,‭ ‬le Ghana et les pays du bloc communiste‭) ‬au sein du mouvement de libération.‭ ‬On découvre aussi ce‭ ‬qui est réellement arrivé après l‭’‬indépendance aux principaux dissidents du Frelimo,‭ ‬ainsi Simango,‭ ‬Kavandame,‭ ‬le père Gwenjere ou Gumane,‭ ‬qui ont été exécutés en‭ ‬1979‭ ‬et leurs femmes en‭ ‬1982.‭ ‬On voit de même les détails de la création de la Renamo,‭ ‬ses liens avec différents services secrets‭ (‬noms inclus‭) ‬ainsi que ses liens et sa fusion en‭ ‬1982‭ ‬avec le PRM‭ (‬Partido revolucionário de Moçambique,‭ ‬un petit groupe zambérien‭) ‬d‭’‬Amós Sumane et Gimo Phiri.‭ ‬On apprend encore de nouvelles dates et les raisons stratégiques qui furent derrière l‭’‬expansion de la Renamo dans l‭’‬une ou l‭’‬autre province du pays.‭ ‬Et finalement‭ (‬la liste n‭’‬est pas exhaustive‭)‬,‭ ‬on découvre des éléments novateurs quant aux premières négociations de paix de‭ ‬1983-84.‭ ‬Enfin,‭ ‬nous est offerte une‭ ‬version étonnante‭ (‬mais tout à fait crédible,‭ ‬si pas véridique‭) ‬de l‭’‬attentat qui coûta la vie au président Samora Machel et son équipe en‭ ‬1986. Un autre point fort du livre de Cabrita tient au fait que l‭’‬auteur présente la Renamo comme sujet et non pas comme simple objet de l‭’‬histoire‭ (‬ou de l‭’‬impérialisme‭) ‬comme on l‭’‬a trop souvent fait.‭ ‬Cabrita nous montre une Renamo qui négocie ses appuis externes‭ (‬même en position de faiblesse‭)‬,‭ ‬qui se construit une base sociale avec les années et qui résiste,‭ ‬répond et tente de vaincre les armées et les politiques du pouvoir en place.‭ ‬Par ce biais,‭ ‬l‭’‬auteur nous fait découvrir la logique interne du mouvement de guérilla et on comprend ainsi mieux certains événements ou certains faits.‭ ‬On se surprend même à découvrir une Renamo que l‭’‬on n‭’‬avait pas l‭’‬habitude de connaître.‭ ‬En effet,‭ ‬de par sa perspective,‭ ‬l‭’‬auteur complexifie,‭ ‬nuance et finalement ré-humanise la Renamo.‭ ‬À la place des génériques‭ «‬ bandits armés ‭»‬,‭ ‬on découvre des hommes,‭ ‬des noms et des motivations de même que les différents courants idéologiques et les désaccords qui existaient au sein de la guérilla,‭ ‬notamment quant au régime à mettre en place en cas de victoire.‭ ‬On se rend compte du coup que tout n’était pas uniquement et simplement le fait des services secrets rhodésiens ou sud-africains,‭ ‬et on entrevoit à l‭’‬occasion que la propagande du Frelimo a réussi à nous obscurcir sérieusement le jugement.‭ ‬Le problème de cette approche et de ses sources,‭ ‬c‭’‬est que l‭’‬auteur tend parfois à idéaliser la Renamo.‭ ‬Il‭ ‬argue par exemple de l‭’‬engagement de l‭’‬organisation dès le début à la démocratie libérale.‭ ‬De même l‭’‬auteur tend à tomber dans une espèce d‭’‬histoire diplomatique,‭ ‬oubliant l’économie politique du mouvement,‭ ‬l’économie sociale et politique du pays et le rôle des structures et des classes sociales.‭ ‬Il n‭’‬empêche,‭ ‬l‭’‬angle de vue est original,‭ ‬enrichissant et même rafraîchissant En conclusion,‭ ‬ce livre a des défauts,‭ ‬mais il est original,‭ ‬riche et stimulant.‭ ‬Il est recommandé aux spécialistes du Mozambique qui y‭ ‬trouveront une mine d‭’‬information et une perspective qui rafraîchit et interpelle même si elle ne révolutionne pas l‭’‬historiographie.‭ ‬Le livre est aussi conseillé à un public plus large qui en tirera du plaisir à la lecture et du profit pour sa compréhension du pays.‭ ‬Considérant cela,‭ ‬et vu‭ ‬que le livre a du succès et risque d‭’‬en avoir encore plus,‭ ‬on ne peut qu‭’‬espérer la sortie rapide d‭’‬une édition meilleur marché qui rendrait le livre accessible aux étudiants,‭ ‬aux Mozambicains et à tous ceux qui ne peuvent se permettre un livre à plus de‭ ‬70‭ ‬Euros. 20‭ ‬janvier‭ ‬2002,‭ ‬Éric MORIER-GENOUD ?‭ ‬La Chronique des livres ‭ ‬La Chronique des livres‭ 3