Je m'appelle Chloe et j'ai quatorze ans. Au collège, certain me surnomme dodo parce que je traîne les pieds et puis que j'ai des airs de flemmarde plein le visage. Régulièrement, d'autres me tirent le bras dans l'impulsion de l'éveil

« Hé ! Réveille-toi ! Belle aux bois dormants ! ».

Moi je me contente de soupirer, hausse doucement les épaules. Je suis lasse de leur égos; de leurs gesticulations. C'est toujours du Moi, moi, moi...

Regarde-moi, j'existe, je suis un mâle de quatorze ans, un mâle alpha. Tels des grands singes, ils secouent leurs bras maladroits, brandissent les poings pour les abattre sur le binoclard qui passait à côté. Le binoclard pousse des petits cris, rit, fait semblant d'apprécier la situation. « On s'amuse » Disent-ils au surveillant pour justifier les lunettes tombées malencontreusement au sol. Je souris de nouveau. En un sens tout travail mérite salaire.

En classe, les profs se contorsionnent alors que sur ma joue, toute molle, imprime le relief de ma table couverte d'un capharnaüm étrange. Gommes et crayons reposent près de la trousse éventrée et maculée de taches d'encre. La ligne tranchée d'un bâton de tipex est estampé près de ma bouche, me gravant une sorte de sourire furieux qui remonte jusqu'aux oreilles.

Voilà, seulement, malgré les apparences, je me sens triste...

Je suis un clown triste...

« Qu'est-ce que je viens de dire » me jette brusquement Madame Chauvet.

Ses yeux sont encore plus agrandis que d'habitude, marbrés de petites veines rouges. Je souris et essuies le déluge de postillons qu'elle a déversé sur mon front. Comme je ne sais pas répondre, elle aboie, m'arrache le portable des mains. La procédure à suivre, je la connais déjà … Dixième remarque qu'elle me fait cette semaine. Ça veut encore dire sermons et heures de colles au bout du couloir.

Dans une petite salle feutrée, calendriers champêtres et photos de chien au mur, cte vieille fille de CPE s'apprête déjà à me menacer d'appeler mes parents.

« Mon beau père et ma Mère n'ont pas le temps a perdre dans de futiles conversations » jlui dit. Évidemment ça l'énerve, comme toujours. Elle me traite d'insolente tout en martelant déjà son petit téléphone avec ses gros doigts jaunes. Pourtant c'est la vérité. Je dis toujours la vérité, enfin … Autant que possible. En tout cas je te promets d'être honnête avec toi ami (e) lecteur, alors prends-moi la main et sert la bien fort, on continue …

....

..

Mon beau père est écrivain, ma mère prof de Français. Ils sont souvent bien trop affairés à leur sacro-sainte « littérature » pour s'occuper de mes petits problèmes. J'ai jamais pu communiquer avec eux en utilisant des mots simples. Pour ces hypocrites du verbe, il faut toujours singer la vie, écrire des poèmes, avoir la bouche pleine de mots intelligents, les rimes au bord des lèvres. Moi ça m'a vite fatigué de devoir gagner leur attention à grands renforts de concours d'écriture. En plus ça n'est jamais suffisant. Rien n'est jamais suffisant. Au lieu de me congratuler après une victoire, ils commençaient à disséquer mes textes, bien à l'abri, derrière les doubles écrans de leurs lunettes. Merde qu'est-ce qu'ils veulent, que je leur ponde du Victor Hugo à quatorze ans !!!

« L'effet du réel » me sermonne ma mère, « cela manque de vie tout ça. Tout devrait accumuler les petits détails, afin de donner de la matière et de la profondeur à tes récits ».

« Oui mère, j'ai bien compris que je ne suis pas prête. » Elle fonce les sourcils, une moue dubitative figée dans son visage frigide.

J'écris un message à ma meilleure amie «  kesk' l é chiante ma darone, c de pir en pir ». Le téléphone clignote pour confirmer l'envoie. Si ma mère lisait, jsais pas ce qui la dérangerait plus du fond ou de la forme …

Pour mes esthètes de parents, le langage SMS exprime la grande dégénérescence de la langue Française. Souvent beau papa s'énerve, déverse son fiel. Il s'enflamme, parle de viol de la syntaxe, de torture de l'orthographe puis déchire un nième page du manuscrit qu'il refuse toujours de taper à l'ordinateur. Il y a rien de plus pathétique que le spectacle d'un corps grisonnant, courbé sur un tas de vieille feuille, regardant toujours la vie dans le rétroviseur, comme si rien de bon ne pouvait surgir de l'avenir. Ce « rien de bon, » c'est ma génération. Ceux qui ont perdu tout reperds, toute morale, qui ne respecte plus les profs et qui passe leurs temps à regarder et à écouter tout un tas niaiseries. On nous jette Justin Bieber ou bien Twilight au visage, nous reprochant nos mièvreries tout en oubliant de dire qu'il y a des moyens ; des ramifications publicitaires colossales pour faire que ce qui marche, marche.

Et moi ? Dans tous ça ? Je ne suis qu'un petit caméléon. Celui qui devient rose lorsqu'il s'approche de la guimauve, qui se colle aux voix sirupeuses, aux jolis mots dégoulinants parce qu'il ne fait pas bon d'être différente dans ce monde. Alors je fais semblant d'être comme mes copines, d'avoir les mêmes préoccupations, de les comprendre. Mais au fond, je suis seule.

Ne fais pas cette tête ! Je te l'aie déjà dit :

je suis un clown triste.