Le film est austère, sombre, énigmatique (tout n'est pas expliqué), parfois confus (défaut d'apparence qui s'avère être en fin de compte un point fort), souvent brillant (comme ces répliques mémorables émanant des hautes sphères du pouvoir politique et expliquant le bien-fondé de la dictature). Le noir et blanc très contrasté des images renvoie à un univers situé à mi-chemin entre la lumière (celle des tropiques) et les ténèbres (des complots).
Gérard Philipe, dont c'est le dernier film, se meut les traits tirés, physiquement affaibli, et compose -de façon bouleversante, avec le recul que l'on peut en avoir aujourd'hui- un personnage en marche vers un destin funèbre.
Il me semble que ce dont on se souvient le plus, pour La fièvre monte à El Pao, c'est que ce fut le dernier film de Gérard Philipe
et non pas un film du terrible et fascinant Luis Bunuel.
D'une certaine façon, on a bien raison, parce que cette œuvre de commande manque un peu de ce qui est une des qualités majeures du réalisateur : l'étrangeté.
La fièvre monte à El Pao est donc un film de commande mais on sait assez que Luis Bunuel
pouvait s'emparer de n'importe quel sujet pour y glisser ses obsessions et son intelligent venin. Lorsqu'il s'agit, en l'espèce, de tourner avec un des plus célèbres des compagnons de route du Parti communiste (ce qui ne l'empêchait pas de résider boulevard d'Inkermann à Neuilly, puis, mieux encore, rue de Tournon) un film consacré aux espérances et aux déceptions de la lutte révolutionnaire, il s'appuie avec une grande habileté sur les incertitudes des idéalistes accablés en 1956 par les révélations du rapport Khrouchtchev et l'écrasement dans le sang de la révolte hongroise.
Au milieu de cet arc-en-ciel, Vasquez (Gérard Philipe), pusillanime, scrupuleux, perclus d'interrogations existentielles. Et son amante, Inès (Maria Félix)
, la femme du Gouverneur assassiné, que tout le monde désire, qui a du caractère mais qui comprend bien que la seule solution est de fuir le pays. C'est-à-dire de reconnaître son impuissance à changer le monde et de quitter les espérances révolutionnaires pour se réfugier dans son tranquille égoïsme.
Bunuel était bien davantage un misanthrope anarchiste qu'un militant zélé, un réalisateur qu'on ne pouvait pas enrégimenter. En aucun cas un docile. Et le doux Gérard Philipe,
gogo de toutes les rêveries, après le tournage de La fièvre monte à El Pao,
savez-vous où il est allé passer quelques jours, pour retrouver la foi ? Dans le Cuba de Fidel Castro. S'il vivait encore aujourd'hui (après tout, il n'aurait que 92 ans à peine), où en serait-il ?
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