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Théorème de Jordan-Hölder

Le théorème de Jordan-Hölder est un théorème de la théorie des groupes, qui fait partie de l'algèbre générale. Il permet notamment une démonstration très générale de la réduction de Jordan des matrices carrées.[réf. souhaitée]

Définitions

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Soient G un groupe et e son élément neutre.

  • Rappelons qu'on appelle suite de composition[1] de G toute suite finie (G0, G1, …, Gr) de sous-groupes de G telle que
     
    et que, pour tout i ∈ {0, 1, …, r – 1}, Gi+1 soit sous-groupe normal de Gi.
    Les quotients Gi/Gi+1 sont appelés les quotients de la suite[2].
  • Soient Σ1 = (G0, G1, …, Gr) et Σ2 = (H0, H1, …, Hs) deux suites de composition de G. Rappelons qu'on dit que
    • Σ2 est un raffinement[3] de Σ1, ou encore que Σ2 est plus fine[4] que Σ1, si Σ1 est extraite de Σ2, c'est-à-dire s'il existe des indices 0 = j(0) < j(1) … < j(r) = s tels que Gi = Hj(i) pour tout i ∈ {1, …, r – 1}.
    • Σ1 et Σ2 sont équivalentes[4],[5] si r = s et s'il existe une permutation σ de l'ensemble {0, 1, …, r – 1} telle que pour tout i dans cet ensemble, le quotient Gi/Gi+1 soit isomorphe au quotient Hσ(i)/Hσ(i)+1.
  • Soit Σ = (G0, G1, …, Gr) une suite de composition de G. Les trois conditions suivantes sont équivalentes :
    a) Σ est strictement décroissante et n'admet pas d'autre raffinement strictement décroissant qu'elle-même ;
    b) les quotients de Σ sont tous des groupes simples ;
    c) pour tout i ∈ [0, r – 1], Gi+1 est un sous-groupe distingué maximal[6] de Gi (c'est-à-dire un élément maximal, relativement à l'inclusion, de l'ensemble des sous-groupes propres distingués de Gi).
    On appelle suite de Jordan-Hölder[7] une suite de composition possédant les propriétés équivalentes a) à c).

Tout groupe fini admet au moins une suite de Jordan-Hölder. Plus généralement[8], un groupe G admet une suite de Jordan-Hölder si et seulement s'il satisfait aux conditions de chaîne ascendante et descendante pour les sous-groupes sous-normaux, c'est-à-dire si toute suite croissante et toute suite décroissante de sous-groupes sous-normaux de G est stationnaire. (Cela revient encore à dire que tout ensemble non vide E de sous-groupes sous-normaux de G a un élément maximal dans E pour l'inclusion et un élément minimal dans E pour l'inclusion; soit finalement, que le treillis des sous-groupes sous-normaux de G est complet.) En particulier, si un groupe satisfait aux conditions de chaîne ascendante et descendante pour les sous-groupes quelconques, il admet une suite de Jordan-Hölder.

Le théorème de Jordan-Hölder

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Le théorème de Jordan-Hölder dit que deux suites de Jordan-Hölder d'un même groupe sont toujours équivalentes. Ce théorème peut se démontrer à l'aide du théorème de raffinement de Schreier, lequel peut lui-même se démontrer à l'aide du lemme de Zassenhaus[9].

Exemple

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Pour le groupe des nombres modulo 6, on a les deux suites de Jordan-Hölder suivantes :

  •  
  •  

dont les quotients sont (à isomorphisme près) ℤ/2ℤ puis ℤ/3ℤ pour la première et ℤ/3ℤ puis ℤ/2ℤ pour la seconde.

Généralisation

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Le thèorème de Jordan se généralise utilement aux groupes à opérateurs.

Tout d'abord, on étend la notion de suite de Jordan-Hölder d'un groupe aux groupes à opérateurs : on appelle suite de Jordan-Hölder d'un Ω-groupe G toute suite finie (G0, G1, … , Gr) de Ω-sous-groupes de G telle que

 ,

que, pour tout i∈{0, 1, … , r – 1}, Gi + 1 soit sous-groupe normal (et donc Ω-sous-groupe normal) de Gi et que, pour tout i∈{0, 1, … , r – 1}, le Ω-groupe quotient Gi/Gi + 1 soit Ω-simple[10].

Comme dans le cas des groupes ordinaires, tout groupe à opérateurs fini admet au moins une suite de Jordan-Hölder et, plus généralement[8], un groupe à opérateurs G admet une suite de Jordan-Hölder si et seulement s'il satisfait aux conditions de chaîne ascendante et descendante pour les sous-groupes stables sous-normaux, c'est-à-dire si toute suite croissante et toute suite décroissante de sous-groupes stables sous-normaux de G est stationnaire. (Cela revient encore à dire que tout ensemble non vide E de sous-groupes stables sous-normaux de G a un élément maximal dans E pour l'inclusion et un élément minimal dans E pour l'inclusion.)

Soit G un Ω-groupe, soient Σ1 = (G0, G1, … , Gr) et Σ2 = (H0, H1, … , Hs) deux suites de Jordan-Hölder de G. On dit que Σ1 et Σ2 sont équivalentes si r = s et s'il existe une permutation σ de l'ensemble {0, 1, … , r – 1} telle que pour tout i dans cet ensemble, le Ω-groupe quotient Gi/Gi + 1 soit Ω-isomorphe au Ω-groupe quotient Hσ(i)/Hσ(i) + 1.

La démonstration du théorème de Jordan-Hölder s'étend alors immédiatement aux groupes à opérateurs : deux suites de Jordan-Hölder d'un même groupe à opérateurs sont toujours équivalentes[11].

Exemple d'utilisation de la forme généralisée

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Soient A un anneau et M un A-module à gauche ou à droite sur A. L'addition des vecteurs de M est une loi de groupe et la loi externe de M est une opération

 

qui fait de M un groupe à opérateurs dans A (en raison de la distributivité de la loi externe par rapport à l'addition des vecteurs).

Tout ceci est vrai en particulier dans le cas d'un espace vectoriel à gauche ou à droite V sur un corps (non forcément commutatif) K (le lecteur qui n'est pas familier avec les corps non commutatifs et les espaces vectoriels à gauche et à droite peut supposer que K est un corps commutatif et que V est un espace vectoriel sur K) : l'addition des vecteurs de V est une loi de groupe et la loi externe de V est une opération

 

qui fait de V un groupe à opérateurs dans K (en raison de la distributivité de la loi externe par rapport à l'addition des vecteurs).

Un espace vectoriel à gauche ou à droite sur un corps K est donc un cas particulier de groupe à opérateurs dans K. Les sous-groupes stables de ce groupe à opérateurs sont les sous-espaces vectoriels de V. Comme le groupe à opérateurs V est commutatif, tous ses sous-groupes stables sont normaux. Si W est un sous-espace vectoriel de V, l'espace vectoriel quotient de l'espace V par l'espace W est le groupe à opérateurs quotient du groupe à opérateurs V par son sous-groupe stable W. Le groupe à opérateurs V est simple si et seulement si l'espace vectoriel V est de dimension 1.

Nous allons tirer de ce qui précède que deux bases finies d'un même espace vectoriel ont toujours le même nombre d'éléments. Soient (a1, … , ar) et (b1, … , bs) deux bases d'un même espace vectoriel V. Il s'agit de prouver que r = s. Pour chaque i (0 ≤ i ≤ r), désignons par Vi le sous-espace vectoriel de V engendré par les aj avec j ≤ i (on a donc V0 = 0). De même, pour chaque k (0 ≤ k ≤ s), désignons par Wk le sous-espace vectoriel de V engendré par les bl avec l ≤ k. Alors (Vr, … , V0) et (Ws, … , W0) sont deux suites de Jordan-Hölder du groupe à opérateurs V. D'après le théorème de Jordan-Hölder étendu aux groupes à opérateurs, ces deux suites sont équivalentes. En particulier, elles ont la même longueur, donc r = s, comme annoncé[12].

Remarque. La démonstration qui précède montre qu'un espace vectoriel est de dimension finie si et seulement s'il est de longueur finie comme groupe à opérateurs et que sa longueur est alors égale à sa dimension. En revanche, si V est de dimension infinie, la longueur de V (qui est alors infinie elle aussi) n'est pas forcément égale à la dimension de V, car la longueur de V, comme la longueur de tout groupe à opérateurs de longueur infinie, est alors égale au plus petit cardinal infini, ce qui n'est pas forcément le cas de la dimension de V.

Histoire

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C. Jordan énonça[13] en 1869 et démontra[14] en 1870 que dans deux suites de Jordan-Hölder d'un même groupe fini, la suite des ordres (nombres d'éléments) des quotients est la même, à une permutation près. En 1889, O. Hölder renforça ce résultat en prouvant le théorème appelé depuis théorème de Jordan-Hölder[15].

Notes et références

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  1. Définition conforme à N. Bourbaki, Algèbre I : éléments de mathématique, Paris, , ch. I, § 4, n° 7, déf. 9, p. 39.
  2. Définition conforme à Bourbaki 1970, ch. I, § 4, n° 7, déf. 9, p. 39-40.
  3. Dénomination conforme à J. Calais, Éléments de théorie des groupes, Paris, , p. 226.
  4. a et b Dénomination conforme à Bourbaki 1970, p. I.40.
  5. (en) D. J. S. Robinson (de), A Course in the Theory of Groups, Springer, , 2e éd. (lire en ligne), p. 64, dit « isomorphic ».
  6. Ne pas confondre avec la notion de sous-groupe maximal d'un groupe.
  7. Définition conforme à Bourbaki 1970, ch. I, § 4, n° 7, déf. 10, p. 41.
  8. a et b Robinson 1996, p. 67.
  9. Pour une démonstration du théorème de Jordan-Hölder, voir par exemple Bourbaki 1970, p. I.41, ou encore Calais 1984, p. 231-232, ou encore Serge Lang, Algèbre [détail des éditions], 3e édition révisée, Paris, 2004, p. 24.
  10. Définition conforme à Bourbaki 1970, chap. 1, p. I.41.
  11. Voir par exemple Bourbaki 1970, chap. 1, p. I.41.
  12. C'est de cette manière que l'équipotence des bases finies d'un même espace vectoriel est démontrée dans Bourbaki 1970, chap. 2, p. II.96.
  13. C. Jordan, « Commentaire sur Galois », Mathematische Annalen, vol. 1, 1869, p. 152-153; cité par H. Wussing, The Genesis of the Abstract Group Concept, trad. anglaise, 1984, réimpr. Dover, 2007, p. 141 et 308.
  14. C. Jordan, Traité des substitutions et des équations algébriques, Paris, 1870, p. 42-48; cité par H. Wussing, The Genesis of the Abstract Group Concept, trad. anglaise, 1984, réimpr. Dover, 2007, p. 142 et 308.
  15. (de) O. Hölder, « Zurückführung einer beliebigen algebraischen Gleichung auf eine Kette von Gleichungen (Zur Reduction der algebraischen Gleichungen) », Mathematische Annalen,‎ , p. 37-38 (lire en ligne). (Référence donnée par (en) W. Burnside, Theory of Groups of Finite Order, Dover, (réimpr. 2004), 2e éd., p. 65.)

Voir aussi

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