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Les Brumes de l'Espoir
Les Brumes de l'Espoir
Les Brumes de l'Espoir
Livre électronique324 pages4 heures

Les Brumes de l'Espoir

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À propos de ce livre électronique

Gabriel Legrand, un ancien marin, vit une vie monotone sur les quais jusqu'au jour où une lettre lui révèle que la mort de sa sœur Alice cache un lourd secret. Rongé par la culpabilité et à la recherche de réponses, Gabriel décide de reprendre la mer, espérant y trouver rédemption et apaisement. Mais son voyage le confronte à des vérités qu'il aurait préféré ignorer et l'oblige à faire face à ses propres démons. En bravant les tempêtes et les fantômes du passé, Gabriel cherche un sens à sa douleur. Un roman émouvant sur la quête de soi, le deuil et le renouveau.

LangueFrançais
Date de sortie22 oct. 2024
ISBN9798227924759
Les Brumes de l'Espoir

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    Aperçu du livre

    Les Brumes de l'Espoir - Kaelan Lysborne

    L'appel du large

    Le vent soufflait en rafales sur le port, soulevant des vagues grises qui venaient mourir avec fracas contre les quais. Le ciel, lourd de nuages menaçants, semblait écraser la ville sous son poids. Gabriel Legrand se tenait immobile, le regard perdu dans l’horizon indéfini, la main crispée sur la balustrade rouillée du port. Autour de lui, les activités habituelles continuaient : les bateaux de pêche rentraient, les marins déchargeaient leur cargaison, les cris résonnaient dans l'air salin. Mais Gabriel ne les entendait pas.

    Dans sa main, une enveloppe froissée. Une simple lettre, courte et brutale, comme un coup de poing en pleine poitrine.

    Gabriel, je suis désolé de te l'annoncer de cette manière, mais les médecins pensent qu'Alice n'est pas morte accidentellement. Ils ont trouvé des traces d'une overdose. Je sais que tu ne t'y attendais pas, nous non plus... Elle avait dû cacher ça. Prends soin de toi, mon ami. François.

    Ces quelques lignes tournaient en boucle dans sa tête, comme un écho douloureux. Alice, sa petite sœur, son rayon de soleil. Elle était morte depuis six mois dans ce qu’il croyait être un accident de voiture. Mais maintenant, il savait. L'overdose. Un mot qu'il ne parvenait même pas à comprendre quand il pensait à elle. Comment avait-il pu ne rien voir ? Comment avait-il pu passer à côté des signes ?

    Le poids de la culpabilité lui broyait la poitrine. Il revoyait son visage lumineux, ses éclats de rire, leurs longues discussions lorsqu’elle passait le voir à la maison familiale. Alice, la plus vivante des deux, celle qui aimait la vie avec une intensité qu'il ne comprenait pas toujours. Et maintenant, elle était partie. Seule, dans un moment de désespoir qu’il n’avait pas su anticiper.

    Gabriel se détourna du port, le regard voilé. Il se sentait étranger dans cette ville où il avait pourtant vécu toute sa vie. Depuis qu'il avait quitté la mer pour une vie plus « stable », il avait enchaîné les journées monotones à travailler dans l’entrepôt du port, en regardant les bateaux partir et revenir, sans jamais plus monter à bord. Il avait laissé derrière lui son passé de marin, croyant pouvoir construire une vie paisible, loin des tempêtes. Mais une autre tempête, bien plus sournoise, venait de le frapper.

    Il se dirigea lentement vers son petit appartement, les pas lourds, les pensées embrouillées. Le vent sifflait dans ses oreilles, mais une autre voix résonnait en lui, une voix qu’il avait longtemps enfouie. Celle de l’océan. Le murmure du large. Il l’avait ignorée pendant des années, pensant pouvoir tourner le dos à cette vie. Mais à cet instant précis, il se rendit compte qu’il avait toujours su, au fond de lui, que la mer ne l’avait jamais vraiment quitté.

    En arrivant chez lui, il posa l’enveloppe sur la table en bois brut du salon et se laissa tomber sur une chaise, le regard fixé sur les quelques objets de sa vie terrestre : des livres qu’il n’avait jamais terminés, des factures empilées, une plante mourante sur le rebord de la fenêtre. Tout semblait étrangement vide, sans âme, comme si ce lieu ne lui avait jamais vraiment appartenu.

    Sans réfléchir, il se leva et ouvrit la porte du placard où il gardait encore ses vieilles affaires de marin. Le sac en toile lourde reposait là, poussiéreux, mais intact. Il passa la main sur la surface rugueuse, retrouvant les sensations d'autrefois. Son vieux ciré, usé mais solide, pendait au fond. Le toucher du tissu éveilla en lui une vague de souvenirs : les nuits glacées en pleine mer, les ciels immenses, les vagues déchaînées, le goût du sel sur ses lèvres.

    C’était ça, se dit-il. C’était là qu’il devait être. Pas ici, à pourrir dans une existence qu’il n’avait jamais vraiment choisie. Pas ici, à ressasser les regrets et les « si seulement ». Si seulement il avait été là pour Alice. Si seulement il avait su. Mais il était trop tard. Trop tard pour sauver sa sœur, mais peut-être pas trop tard pour se sauver lui-même.

    Gabriel attrapa le sac, le bourra de ses quelques affaires essentielles, y ajoutant ses vieux journaux de bord et une photo d’Alice, prise lors de l'une de leurs rares sorties ensemble. Sur la photo, elle riait, les cheveux au vent, la mer derrière elle. Il n’avait jamais su qu’elle se sentait si seule, qu’elle se noyait dans des eaux bien plus sombres que celles qu’il avait connues.

    Une fois prêt, il jeta un dernier regard à l’appartement. Il n’y reviendrait pas. Tout ici ne lui rappelait que l’échec, le silence et la perte. Il sortit, fermant la porte sans un dernier coup d’œil, et se dirigea vers le port. Son vieux voilier, laissé à l’abandon depuis des années, était toujours là, bercé par les vagues, comme s’il l’attendait.

    Quand il posa le pied sur le pont, une étrange sensation de familiarité l’envahit. Le grincement des cordages, le claquement des voiles, tout cela était inscrit en lui, comme un souvenir lointain qui ne demandait qu’à refaire surface. Le vent du large soufflait à nouveau dans ses voiles, et Gabriel sentit son cœur battre un peu plus fort.

    Il ne savait pas encore où il irait, ni pour combien de temps. Mais il savait que c’était ici que sa rédemption commencerait. Sur l’océan, là où il pourrait affronter ses démons et, peut-être, trouver une forme de paix. Il leva les yeux vers l’horizon, vers ce bleu infini qui lui semblait à la fois terrifiant et réconfortant.

    La mer l’appelait, et cette fois, il ne résisterait pas.

    Tout le bleu du ciel, murmura-t-il pour lui-même, avant de larguer les amarres.

    Le voyage venait de commencer.

    La préparation du départ

    Gabriel s’activait sur son voilier, le dos courbé sous le vent froid du matin, ajustant les cordages avec des gestes mécaniques. Cela faisait des années qu’il n’avait pas manipulé ce bateau, et pourtant, chaque mouvement revenait à lui avec une aisance surprenante. Comme si le temps s’était figé depuis son dernier voyage. Le bois grinçait sous ses pieds, les voiles claquaient doucement dans l'air, et une odeur de sel et de poisson imprégnait l'atmosphère.

    Le Passeur, son vieux voilier, avait résisté aux années, patient, comme une promesse qu’il s’était fait autrefois et qu’il n’avait jamais tenue. Gabriel avait toujours su, au fond de lui, qu’un jour, il reviendrait ici. Il ne pouvait plus fuir.

    Il vérifia les amarres une dernière fois, repassa en revue la liste mentale des provisions qu’il devait encore acheter. Des conserves, de l’eau, quelques outils, et surtout du carburant pour le moteur. Il se félicita d’avoir laissé certaines choses prêtes à l’emploi. Mais ce voyage serait bien plus long et incertain que tous ceux qu’il avait entrepris par le passé. Cette fois, il ne savait pas où il allait, ni quand il reviendrait – s’il revenait un jour.

    Alors qu'il se redressait pour admirer la mer, ses pensées brouillées par les souvenirs, une voix familière résonna derrière lui.

    Tu comptes vraiment partir seul, hein ?

    Gabriel se retourna pour voir François, son vieil ami et compagnon de mer. Grand, massif, avec une barbe épaisse et des cheveux grisonnants, François se tenait au bout du quai, les bras croisés, l’air inquiet. Il portait une veste en cuir usée et une casquette de marin, comme toujours. Cela faisait plusieurs semaines qu’ils ne s’étaient pas vus, mais rien n’avait changé. François avait toujours ce regard franc, celui d’un homme qui ne mâchait pas ses mots.

    C’est l’idée, ouais, répondit Gabriel en se retournant pour finir de fixer un des haubans.

    François s’approcha lentement, montant à bord du voilier sans attendre d’y être invité. Il savait que Gabriel ne l’en empêcherait pas. Ils avaient partagé trop de nuits glacées en pleine mer pour que ce genre de formalités ait encore du sens entre eux.

    Et tu comptes me dire ce qui se passe ? Ou tu vas juste te casser sans un mot, comme un fantôme ? lança François d’une voix grave, en jetant un coup d'œil autour de lui.

    Gabriel soupira. Il avait espéré partir discrètement, sans avoir à justifier son départ, mais il aurait dû savoir que François viendrait le chercher. Il n’y avait rien qui se passait sur ce port que François ne sache.

    Alice, finit par dire Gabriel, la gorge serrée. Je... j’ai appris qu’elle ne s’est pas tuée dans un simple accident. Elle... c’était une overdose.

    Un silence pesant s’installa entre eux. François hocha la tête, son visage se durcissant légèrement, mais il ne sembla pas surpris.

    Je me doutais qu’il y avait quelque chose de louche, dit-il doucement. Elle n’était plus la même ces derniers temps, mais personne ne voulait vraiment en parler.

    Gabriel se détourna, le regard fixé sur l’horizon. Il détestait cette vérité amère, cette idée qu’il n’avait rien vu, rien compris. Alice avait toujours été une âme libre, mais il n’avait jamais imaginé qu’elle était si perdue.

    Je dois partir, François. Je dois m’éloigner. Ici, tout me rappelle mon échec. J’ai besoin de comprendre, de... de me retrouver.

    François poussa un long soupir et se frotta le visage.

    Tu sais que je comprends, dit-il finalement. Mais partir seul, c’est dangereux, Gabi. Surtout dans l’état où tu es. T’as pas navigué depuis combien de temps ? Cinq ans ?

    Sept, corrigea Gabriel sans le regarder.

    Et tu penses vraiment que te jeter en pleine mer avec un bateau que t’as à peine remis en état, c’est une bonne idée ?

    Gabriel ferma les yeux un instant. Il savait que François avait raison. Partir seul, dans l'état où il était, relevait de la folie. Mais il n'avait plus le choix. Il se sentait étouffer sur la terre ferme, prisonnier d’un chagrin qu’il ne pouvait pas surmonter.

    Je dois le faire, murmura-t-il. C’est la seule chose qui me reste. Je dois partir d’ici avant que tout ça ne me tue aussi.

    François secoua la tête, visiblement partagé entre l’inquiétude et la compréhension. Il s’appuya contre le mât, observant Gabriel en silence pendant quelques instants, puis reprit, plus doucement :

    Si tu dois vraiment partir, je ne vais pas t’en empêcher. Mais pas tout seul.

    Je ne peux pas emmener quelqu’un, répliqua Gabriel sèchement. J’ai besoin d’être seul.

    Et si tu perds le contrôle ? Si une autre tempête te frappe et que t’es seul sur le pont ? Tu vas faire quoi ? Te noyer ? Ce n’est pas la mer qui va te sauver, Gabi, tu le sais aussi bien que moi.

    Gabriel serra les dents. François connaissait la mer. Il savait ce qu’elle pouvait faire à un homme déjà brisé.

    Alors quoi, tu veux venir avec moi ? demanda Gabriel avec une pointe d’amertume.

    François sourit faiblement et secoua la tête.

    Non, ce n’est plus pour moi, cette vie-là. Mais toi, t’as encore une chance de t’en sortir.

    Gabriel ne répondit rien. Il se contenta de hocher la tête, pensif. François posa une main lourde sur son épaule.

    Promets-moi juste que tu seras prudent. Si jamais t’as besoin de quelqu’un, appelle. Je ne suis qu’à un coup de fil.

    Je sais.

    Ils restèrent là, en silence, à contempler les bateaux autour d’eux. Le soleil commençait à percer timidement à travers les nuages, jetant des reflets d’or sur l’eau. Gabriel sentit une étrange paix s’emparer de lui, une sensation de calme avant la tempête. Il n’était pas sûr de ce qu’il trouverait au bout de ce voyage, mais il savait qu’il devait partir.

    François descendit du voilier sans un mot de plus. Gabriel le regarda s’éloigner, se demandant s’il avait fait une erreur en rejetant son offre. Mais la solitude était une vieille amie, et il savait que ce voyage ne se ferait pas en compagnie.

    Le lendemain, Gabriel remplit son bateau des dernières provisions nécessaires. À l’aube, il larguerait les amarres. Le vent, ce jour-là, soufflerait encore une fois en sa faveur.

    Sara

    Le port de Saint-Malo s’éveillait lentement sous un ciel bas, d'un gris uniforme, tandis que Gabriel finissait de charger son voilier avec les dernières provisions. Le vent soufflait toujours, froid et mordant, mais il s’était apaisé depuis la veille. Il y avait dans l'air une étrange tranquillité, celle des matins où tout semble possible, où le monde reste suspendu, juste avant qu’une décision ne soit prise. Gabriel savait que ce serait aujourd’hui. Après des semaines de préparation mentale, il était prêt à larguer les amarres. Prêt à laisser tout derrière lui.

    Il ajustait le gréement lorsque des bruits de pas légers sur le quai attirèrent son attention. Il ne s’y attarda pas, pensant qu'il s'agissait d'un des marins habituels. Pourtant, les pas s'arrêtèrent non loin de lui, et Gabriel ressentit cette présence avant même de lever les yeux. Lorsqu’il le fit, il croisa le regard d’une jeune femme qu’il n’avait jamais vue auparavant.

    Elle se tenait là, à quelques mètres du voilier, immobile, les bras croisés contre elle, comme pour se protéger du vent. Ses cheveux blonds emmêlés volaient autour de son visage, donnant à son allure un air désordonné, presque fragile. Ses vêtements, une simple veste en cuir usée et un jean délavé, ne semblaient pas adaptés à la morsure du froid. Mais ce furent ses yeux qui le frappèrent le plus : des yeux verts perçants, fixés sur lui avec une intensité inhabituelle.

    Gabriel détourna le regard, essayant de se concentrer sur son travail, mais il sentait que la jeune femme n’avait pas bougé. Il détestait cette sensation d’être observé.

    Vous partez ? Sa voix était rauque, presque cassée, comme si elle n’avait pas parlé depuis longtemps.

    Gabriel leva les yeux à nouveau, surpris par la question. Elle avait l’air déterminée, mais aussi désespérée, comme si cette question était plus importante qu’elle ne le laissait paraître.

    Oui, répondit-il simplement, en continuant de serrer un nœud sur un des cordages. Il n’avait pas envie de s’attarder. Pas aujourd’hui.

    Vous partez seul ? insista-t-elle, s’approchant d’un pas, son regard toujours accroché au sien.

    C’est l’idée.

    Elle resta silencieuse quelques secondes, le scrutant, comme si elle pesait chacune de ses paroles. Puis, elle lança d'une voix tremblante, mais ferme :

    Je veux venir avec vous.

    Gabriel resta figé un instant, surpris par l’audace de cette demande. Il la détailla plus attentivement, cherchant à comprendre d’où venait cette étrangère et pourquoi elle lui demandait cela. Ses vêtements simples, son visage marqué par la fatigue, ses yeux cernés. Quelque chose clochait, mais il n’arrivait pas à savoir quoi.

    Je ne prends personne, répondit-il finalement, sans détour. Il n’avait pas envie de discuter. Il n’avait jamais voulu embarquer quelqu’un. Ce voyage, il devait le faire seul, pour se retrouver, pour comprendre... pour survivre.

    La jeune femme ne bougea pas. Son visage resta impassible, mais il y avait quelque chose de tendu dans sa posture, comme si elle se retenait de dire plus. Gabriel sentit une forme d’urgence dans son silence, une détresse qu’elle ne montrait pas explicitement, mais qui flottait autour d’elle comme une ombre.

    Je dois partir, dit-elle enfin, sa voix se brisant légèrement. Je dois fuir.

    Fuir. Le mot résonna étrangement aux oreilles de Gabriel. Lui aussi fuyait. Mais il fuyait ses propres démons, sa culpabilité. Pourquoi cette femme voulait-elle fuir ? Qui ou quoi essayait-elle de laisser derrière elle ?

    Je ne suis pas un taxi, lança Gabriel d’un ton sec, cherchant à couper court à la conversation.

    Mais elle s’approcha encore d’un pas, défiant son refus.

    Je ne vous demande pas d’être mon taxi. Je vous demande de m’emmener. Je ne veux pas savoir où vous allez, ni pourquoi. Juste... emmenez-moi avec vous. S’il vous plaît.

    Cette dernière phrase avait un poids, un désespoir qu’elle ne parvenait plus à masquer. Gabriel sentit un frisson parcourir son dos. Il ne voulait pas d’une compagne de voyage, encore moins d’une inconnue avec ses propres problèmes. Il avait les siens, et c’était déjà bien assez. Pourtant, il n’arrivait pas à se détourner de ce regard, de ces yeux qui imploraient une issue. Il avait l’impression de voir quelqu’un qui, comme lui, n’avait plus rien à perdre.

    Je ne vous connais même pas, finit-il par dire, plus doucement cette fois, presque malgré lui.

    Je m’appelle Sara, répondit-elle rapidement, comme si elle s’attendait à cette question. Et je suis prête à payer ma place. Je vous aiderai sur le bateau. Je sais... je sais cuisiner. Je peux faire les tâches que vous n’avez pas envie de faire.

    Gabriel secoua la tête. Elle n’avait clairement aucune idée de ce qu’un voyage en mer impliquait. Ce n’était pas un simple voyage de plaisance où il suffisait de savoir cuisiner ou faire quelques corvées. Naviguer demandait des compétences, une endurance physique et mentale que tout le monde n’avait pas.

    Vous avez déjà navigué ? demanda-t-il, sachant déjà la réponse.

    Elle détourna les yeux, embarrassée, et murmura un Non à peine audible. Mais elle se redressa aussitôt, comme pour reprendre le contrôle de la situation.

    Je peux apprendre. Je suis rapide. Je suis plus forte que vous ne le pensez.

    Gabriel fronça les sourcils. Il ne doutait pas de sa détermination, mais cette conversation n’avait aucun sens. Pourquoi cette femme insistait-elle autant pour partir avec un inconnu, sur un voilier, sans aucune expérience ? Quel danger cherchait-elle à éviter ?

    Écoutez, dit-il en prenant une profonde inspiration, essayant de rester calme, ce n’est pas un voyage ordinaire. Ce que je vais faire n’est pas une croisière. Je pars pour un long moment, et je ne sais même pas où je vais finir. Je ne peux pas prendre la responsabilité de quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds sur un bateau.

    Sara le regarda, ses lèvres serrées, ses poings crispés. Elle sembla sur le point de céder, de baisser les bras, mais quelque chose en elle résista. Elle prit une grande inspiration, plongea son regard dans celui de Gabriel, et dit avec une sincérité désarmante :

    Je préfère mourir en mer que rester ici.

    Ces mots, jetés avec une telle conviction, firent l’effet d’un coup de poing. Gabriel resta silencieux, abasourdi. Cette femme était-elle vraiment si désespérée ? Il savait ce que signifiait vouloir fuir, mais jamais il n’avait envisagé la mort comme une option. Et maintenant, il se retrouvait face à quelqu’un pour qui cette possibilité semblait être une solution.

    Il la regarda longuement, cherchant à déchiffrer la vérité dans ses yeux. Il voyait la peur, l’épuisement, mais aussi une force intérieure. Sara ne lui disait pas tout, ça, il en était certain. Mais il y avait une sincérité brute dans son désespoir qui résonnait en lui. Il ne savait pas pourquoi, mais il ressentait une étrange connexion avec elle, une sorte de miroir de sa propre douleur.

    Il ferma les yeux un instant, hésitant entre la raison et une impulsion qu’il ne comprenait pas. Il savait qu’il ne devait pas embarquer quelqu’un dans ce voyage, et pourtant, une petite voix en lui murmurait qu’il ne pouvait pas la laisser là.

    Si vous montez à bord, c’est à vos risques et périls, dit-il finalement, avec un ton grave. Je ne serai pas responsable de vous. Vous suivez mes règles, et si ça ne marche pas, je vous débarquerai au premier port.

    Sara ne dit rien pendant un moment, comme si elle ne croyait pas ce qu’elle venait d’entendre. Puis, lentement, elle acquiesça, un faible sourire s’étirant sur ses lèvres.

    D’accord. Je comprends.

    Gabriel soupira, se demandant dans quel piège il venait de tomber. Mais quelque chose dans cette décision semblait juste. Il ne savait pas encore pourquoi, mais il était prêt à le découvrir. Sara monta lentement à bord du voilier, posant son sac à ses pieds. Elle leva les yeux vers lui, ses lèvres tremblant légèrement sous l’effet du froid, mais son regard était déterminé.

    Merci, murmura-t-elle.

    Gabriel la fixa un instant, puis hocha la tête. Ce voyage venait de prendre une tournure inattendue, et il savait que rien ne serait plus pareil à partir de maintenant.

    On part à l’aube, dit-il simplement, avant de retourner à ses préparatifs.

    Sara s’installa dans un coin du pont, en silence, les yeux fixés sur l’horizon. Elle était prête à fuir, tout comme lui. Mais ce qu’ils allaient vraiment fuir, ils allaient devoir le découvrir ensemble.

    Le marché

    Le crépuscule commençait à descendre sur le port de Saint-Malo, teintant le ciel de nuances de rose et d'orange, tandis que le vent du large s'était calmé. Le silence était entrecoupé par le cri lointain des mouettes et le bruissement des vagues qui venaient doucement lécher le quai. Le voilier de Gabriel, Le Passeur, se balançait doucement sur l’eau, comme une bête endormie, prête à s’éveiller au moindre signal.

    Sara était assise sur le pont, les genoux ramenés contre elle, ses bras enroulés autour, cherchant un peu de chaleur dans l’air frais de la soirée. Gabriel, quant à lui, s’affairait à ranger les dernières provisions sous le pont. Son esprit était en ébullition, encore marqué par la rencontre de cette femme étrange et déterminée qui venait, sans prévenir, bouleverser son départ tant attendu.

    Il sentait la tension dans chaque fibre de son corps. Tout en lui criait de la laisser sur le quai et de partir seul, comme il l’avait prévu. Sa solitude lui était précieuse, nécessaire même, pour ce voyage qu’il considérait comme un exorcisme. Et pourtant, il ne pouvait s’empêcher de penser à elle, à son regard intense, à ces mots qu’elle avait prononcés, comme une prière désespérée : Je préfère mourir en mer que rester ici.

    Sara n’avait rien d’une simple passagère. Il le sentait. Elle portait un poids, un fardeau qu’elle tentait de dissimuler, mais qui la rongeait. Tout comme lui. C’était peut-être cette similitude dans leurs blessures qui l’avait poussé à ne pas la renvoyer immédiatement. Il la comprenait, d’une certaine manière, même s’ils ne s’étaient échangé que quelques mots.

    Il monta sur le pont et s’arrêta à quelques mètres d’elle. Sara tourna la tête, ses yeux verts se levant pour croiser les siens. Il y avait une froideur dans ce regard, une distance qu’elle tentait de maintenir, mais aussi une vulnérabilité palpable. Gabriel prit une profonde inspiration et s’assit à côté d’elle, non sans une certaine réticence. Il n’était pas à l’aise avec les échanges intimes, encore moins avec des inconnus, mais il savait que cette discussion était nécessaire. Ils ne pouvaient pas partir sans mettre quelques cartes sur la table.

    Pourquoi vous fuyez ? demanda-t-il finalement, sa voix basse se mêlant au bruit des vagues.

    Sara garda le silence pendant un moment, le regard perdu dans l’horizon. Gabriel pensa qu’elle allait ignorer sa question, mais elle répondit finalement, d’une voix presque imperceptible :

    Je fuis quelqu’un.

    Gabriel hocha lentement la tête. Il s’en doutait. Ce n’était pas la première fois qu’il croisait des gens sur les quais de Saint-Malo qui fuyaient quelque chose ou quelqu’un. Mais il voulait en savoir plus. Il avait besoin de savoir à quoi il s’engageait s’il acceptait de l’emmener.

    Quelqu’un... de dangereux ?

    Elle hésita, visiblement gênée par la tournure de la conversation. Ses doigts se crispaient sur ses genoux, comme si chaque mot était une lutte à livrer contre elle-même.

    Je préfère ne pas en parler, répondit-elle finalement.

    Gabriel soupira intérieurement. Il comprenait le besoin de garder certaines choses pour soi, mais il devait savoir dans quelle mesure sa présence pouvait représenter un danger pour eux deux. Il n’était pas question de se retrouver pris dans une histoire de vengeance ou de poursuites en pleine mer.

    Si je dois vous emmener, il va falloir être honnête avec moi, dit-il, son ton devenant plus ferme. Je ne veux pas d'ennuis, et je ne veux pas être pris au piège d'une situation qui pourrait mettre ma vie en danger. Vous comprenez ça ?

    Sara se mordit la lèvre, et ses yeux s'emplirent d'une tristesse sourde. Elle semblait vouloir tout dire, mais quelque chose l’en empêchait. Pourtant, après quelques secondes, elle parla, sa voix tremblante :

    Je fuis... un homme.

    Gabriel resta silencieux, l’incitant du regard à continuer. Sara passa une main dans ses cheveux, visiblement mal à l’aise.

    C’était quelqu’un que j’ai aimé, autrefois, reprit-elle, les yeux baissés. Mais il a changé. Il est devenu... violent. Il m’a fait du mal, beaucoup de mal. J’ai dû partir, mais je sais qu’il me cherche. Je ne peux pas rester au même endroit trop longtemps.

    Gabriel sentit une vague de compassion monter en lui, mêlée à une colère sourde qu’il ne pouvait expliquer. Il n’y avait rien de plus injuste que de se retrouver piégé dans une relation destructrice. Il avait vu des histoires similaires parmi des gens du port, des hommes et des femmes brisés par des relations toxiques. Mais entendre cela de la bouche de Sara le touchait plus qu’il ne voulait bien l’admettre.

    Et vous pensez que la mer vous protégera de lui ? demanda-t-il doucement.

    Sara haussa les épaules, un faible sourire triste se dessinant

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