À Coeur Ouvert: Recueil de pensées
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À propos de ce livre électronique
Je suis parti à la conquête de cet ailleurs durant mon entrainement à Toronto et La Nouvelle-Orléans, USA. Par la suite, c’est à Vancouver que j’ai, pendant trois décennies, soigné des enfants souffrants de troubles cardiaques. Leur famille nourrissait l’espoir que j’allais leur redonner la chance de vivre. Mon travail fut un défi incroyable tout au long de ces années, mais en retour, il m’a offert une récompense inestimable.
Jacques G. LeBlanc
Né le 22 août 1951 à Rimouski, Québec, Jacques a été très inspiré par la créativité de son père qui était industrialiste. Après sa spécialisation en chirurgie cardiaque à l’Université de Toronto, il poursuit sa carrière à l’Hôpital des Enfants de Vancouver. Jacques a supporté le développement du programme des Sciences cardiaques de l’Hôpital des Enfants de l’Université Fudan à Shanghai de même que celui de l’Hôpital des Enfants Apollo à Chennai, en Inde. et publie : “The Operative and Postoperative Management of Congenital Heart Defects”, “Médicine for Life : A Practical Guide for Success” and “Path of a Healer : a time to reflect”.
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Aperçu du livre
À Coeur Ouvert - Jacques G. LeBlanc
Préface
Petit garçon, je m’amusais avec les cailloux de la grève bordant ma ville natale, à 300 kilomètres en aval de Québec, dans la péninsule gaspésienne. Sur la plage, je m’adonnais aux joies de lancer des galets sur la surface de l’eau, me croyant le champion des ricochets du golfe du Saint-Laurent. Contemplant cette grande étendue d’eau, je rêvais de devenir le capitaine d’un grand navire. Cette idée, dans ma tête d’enfant, avait sans doute germé à la vue de goélettes, de grands voiliers et de cargos chargés de tonnes de fret sillonnant l’estuaire à destination ou en provenance de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal. C’étaient les seules villes que je connaissais à l’époque. Une fois leurs cales vidées ou bondées de nouveaux trésors, ils se laissaient emporter par le courant pour reprendre la mer. J’aurais voulu partir avec eux. Plus tard, les paroles de la chanson de Charles Aznavour ont alimenté ce désir de partir à l’aventure sans amarres. J’étais habité par cette envie de me sauver pour aller à la conquête d’un ailleurs.
Vers les docks où le poids et l’ennui
Me courbent le dos
Ils arrivent le ventre alourdi de fruits
Les bateaux
Ils viennent du bout du monde
Apportant avec eux des idées vagabondes aux reflets de ciels bleus
De mirages
Traînant un parfum poivré de pays inconnus
Et d’éternels étés où l’on vit presque nus
Sur les plages
Moi qui n’ai connu toute ma vie
Que le ciel du nord
J’aimerais débarbouiller ce gris
En virant de bord
Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil
À la hauteur de Rimouski, l’effet de l’océan dans l’estuaire est déjà perceptible. L’eau douce devient saumâtre et les navigateurs savent déjà qu’ils sont en présence de la force dynamique des marées, selon leur amplitude faible, moyenne ou forte sur les eaux fluviales. Ainsi, ce rythme des marées allait ressembler à celui de ma vie, tout comme ceux de cet estuaire au système physique et écologique dynamique et unique. J’allais, tout comme ces méandres, être sans cesse remodelé par les vents et les courants de la vie.
Ces premiers méandres furent d’abord ceux de mes parents. Ma mère Fernande qui voulait garder ses enfants bien ancrés aux cordons de son tablier, le plus longtemps possible, tandis que mon père, Jean-Marie, un homme au caractère plus vrai que nature, voulait nous pousser hors du nid.
« Il faut apprendre l’anglais et faire des études universitaires si vous voulez réussir dans la vie », nous rappelait-il souvent. « D’une façon ou d’une autre, vous allez devoir apprendre à voler de vos propres ailes. »
Et au gré de leur influence tantôt faible, moyenne ou forte et selon la marée des émotions au cœur de ma famille, je suis devenu chirurgien cardiaque pédiatrique. Une profession qui m’a permis d’aller à la conquête de cet ailleurs que je voulais tant découvrir.
Ces cités lointaines furent Toronto, La Nouvelle-Orléans et Vancouver. Dans cette dernière ville, j’ai enfin établi ma clinique de chirurgie cardiaque pédiatrique. Au cours des trois décennies qui ont suivi, j’ai prodigué des soins à des nouveau-nés, des nourrissons, des enfants et des adolescents qui souffraient de troubles cardiaques. Plusieurs de mes patients et leurs parents venaient de tous les coins de la Colombie-Britannique, animés de l’espoir que je puisse donner à leur enfant la chance de vivre. La confiance qu’ils me portaient m’a d’abord appris l’humilité et à mesure que ma carrière s’épanouissait, ma vraie nature compatissante s’est éveillée aux souffrances des autres, faisant naître le désir de travailler au salut de tous.
Pendant toutes ces années, j’ai porté un secret au fond de mon cœur. Tout au long de ma carrière, je n’ai jamais travaillé seul. Il y avait bien sûr des équipes formidables qui m’ont épaulé dans le bloc opératoire. Mais cette présence, invisible aux yeux des autres, était celle de mon père décédé subitement, avant qu’il puisse constater que ses conseils avaient porté ses fruits. Son esprit m’a accompagné tout au long de ma vie personnelle et professionnelle.
Quand l’heure de la retraite a sonné, mon père me chuchotait toujours à l’oreille. J’entendais sa voix aussi clairement qu’à l’époque où, petit garçon, j’habitais le comté de Rimouski-Neigette, dans le Bas-Saint-Laurent et que je lançais des galets à la mer, rêvant d’avoir assez de vent dans les voiles pour prendre le large.
Après une pluie de confettis et autant de discours d’adieux, de mercis et de promesses de rester en contact, j’ai fermé la porte de mon cabinet médical pour la dernière fois. Je n’avais plus à noircir de rendez-vous les pages de mon semainier. Je n’avais plus à me lever le matin dès les premières lueurs et plus de téléavertisseurs me rendant disponible 24 h/24 en cas d’urgence.
Libéré du surplus d’activités et des responsabilités quotidiennes engendrées par ma profession à haute performance, je me trouvais maintenant sur la rive de la grande liberté, où je venais de retrouver un rythme de vie plus lent et plus calme. L’idée de ce livre m’est venue pendant un moment de paix et de réflexion. Sans aucune distraction, j’ai clairement entendu la voix de mon père me dire que le moment était venu de faire le point et d’examiner le pouvoir de toutes les émotions que j’avais refoulées pendant tant d’années. Enfin, je pouvais en parler ouvertement. Comme Socrate l’a affirmé, « une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue. »
Mais, trouver les outils, la bonne démarche à suivre pour le faire à cœur ouvert pouvait sembler une tâche redoutable. Au fil de la première ébauche d’un manuscrit, suivi de nombreuses révisions et de longues conversations avec des amis, j’ai pu mettre en lumière une vie riche et bien remplie dont je n’étais pas conscient.
Cette réflexion m’a permis de mieux me connaître, puisque c’est grâce à ce moyen que j’ai découvert mes limites. J’ai enfin compris que je ne connaissais qu’une chose : le travail. Et, comme le prétendait Socrate : « Ce que je sais, c’est que je ne sais rien. » Pour en arriver à mieux comprendre le but de mon existence et de mes choix, j’ai dû pousser les limites de mes souvenirs et mettre à nu tous mes sentiments cachés. Il fallait donc que je me défasse de ma carapace, construite au fil des années comme un bouclier servant à me protéger de mes émotions.
Jadis, quand on me demandait : « Que veux-tu faire quand tu seras grand ? », je n’avais pas de réponse. Aujourd’hui, quand je réfléchis à cette question, elle est par sa nature même, la plus sotte que l’on puisse poser à un enfant. Comme si, une fois qu’on a fini de grandir physiquement, le tour est joué et les jeux sont faits. Comme si on choisissait d’être un aviateur ou un clochard et qu’il n’y avait plus rien de possible après. Alors qu’en fait, on continue de grandir, de devenir et de se réinventer jusqu’à notre dernier souffle, mais seulement si on choisit consciemment de le faire.
Voici le bilan de ma vie. Je suis devenu chirurgien cardiaque pédiatrique. Je suis un mari fidèle, un fils attristé par la mort de ses parents, un frère, un bon tonton-gâteau pour mes neveux et nièces et un ami loyal.
Maintenant, je suis à la retraite. Mon épouse, Susan, m’a beaucoup aidé à assumer ce nouveau rôle et à m’adapter à cette nouvelle phase de vie, après une longue carrière en médecine. Voici que je me retrouve, face à de nouvelles expériences et j’ai plein de choses à vous raconter.
Prologue
Le soleil à son zénith tardait à s’estomper. Rien ne laissait présager qu’un seul nuage viendrait, du Pacifique, assombrir le souper prévu ce vendredi-là. Une table champêtre avait été installée pour célébrer le solstice d’été, en famille. On avait pris soin de fixer les nappes avec des pinces, de peur qu’elles soient emportées par la brise du crépuscule. Sur la table improvisée, un verre sur pied trônait à chaque couvert. Au centre, un vase de fleurs sauvages servait, sans vanité, de décoration. A la bonne franquette, des salades et des desserts de toutes sortes couvraient une deuxième table habillée de sa nappe immaculée. Le mercure était au beau fixe et déjà une odeur du barbecue embaumait discrètement l’air. Des bouteilles de vins et de bières de choix baignaient dans de grands bacs en étain remplis de glace pilée. Dans l’arrière-cour de mon beau-frère David, son épouse Sue et leurs trois enfants recevaient chaleureusement la famille. Bientôt, l’atmosphère serait à la fête. Le bruit des conversations montait et tout le monde était décontracté. Les convives dégustaient un premier verre, tandis que je buvais un coca comme les adolescents, parce que j’étais le médecin de garde, en cas d’urgence.
Au moment où David allait nous convier à table, pour déguster le festin des viandes qu’il avait cuites à la perfection et agréablement caramélisées, mon téléavertisseur a retenti. Je me suis retiré pour communiquer avec l’hôpital. La standardiste a dirigé mon appel à l’unité des soins intensifs. À l’autre bout du fil, Georges Sandor, le cardiologue pédiatrique de cette unité, m’a expliqué qu’il était au chevet d’un bébé né huit heures plus tôt. Vers 14h, le nouveau-né, transféré des services de soins néonataux, présentait des signes d’une détresse respiratoire importante. Dans un tel cas, les premiers signes, que je reconnaissais bien et que le Dr Sandor me décrivait, étaient : un creux se formant à la base du cou et à chaque inspiration, des narines légèrement dilatées, une respiration rapide par l’abdomen, des lèvres et un visage devenant de plus en plus bleus.
Le bébé, selon le Dr Sandor, s’était mis à somnoler, donnant la fausse impression qu’il allait mieux, alors que son état était, en fait, de plus en plus inquiétant. Le Dr Sandor avait fait mettre l’enfant sous respirateur et avait demandé qu’un examen du cœur soit fait, indiquant qu’il se doutait d’une malformation cardiaque.
Le Dr Sandor n’en finissait plus de s’excuser :
—Jacques, je suis navré de te déranger pendant ton souper en famille, mais ce nouveau-né a un drainage anormal complet des veines pulmonaires, signalant une obstruction possible. Pour le moment, il est sous ventilation maximale, mais demeure cyanotique¹. Le côté droit de son cœur est dilaté et sa fonction est diminuée. Je crois que tu dois l’opérer d’urgence, ce soir même.
Je lui ai posé encore quelques questions pour avoir une image plus claire de la situation avant de raccrocher. J’ai fait un second appel pour mettre en branle tous les effectifs nécessaires à une opération d’urgence à cœur ouvert sur un nouveau-né, dans les deux prochaines heures. Le personnel avec qui je travaillais était bien formé et habitué à ce genre d’exercice. Je savais que mon équipe serait déjà en route, dès que je poserais le combiné.
De retour dans le jardin, les parfums et les arômes du repas me mettaient l’eau à la bouche, j’allais annoncer que je devais m’absenter. Ce délicieux repas, comme tant d’autres, serait pour une autre fois. J’ai dû m’excuser auprès des membres de ma famille et de mon épouse. Personne n’était vexé ni alarmé par mon départ précipité, puisque j’avais dû leur fausser compagnie plus d’une fois pour une urgence et me mettre en route le plus vite possible vers l’hôpital.
En arrivant au service des soins intensifs, un petit garçon, pesant à peine 3,4 kg, m’attendait. Au cœur de son isolette², il semblait à la fois fragile et paisible. Ce berceau de plastique translucide lui procurait un environnement contrôlé. Il y était au chaud et à l’abri des microbes. Un tube dans son nez l’aidait à respirer, un autre dans sa bouche permettait de drainer le contenu de son estomac et une ligne intraveineuse dans son minuscule pied droit le gardait hydraté. Malgré le respirateur le maintenant à peine en vie, la couleur de sa peau m’indiquait bien son état cyanotique.
Après la lecture de l’échocardiogramme du bébé, je me rangeai de l’avis du Dr Sandor. Il fallait opérer d’urgence. Mais, il fallait aussi évaluer l’état du nouveau-né avec le spécialiste des soins intensifs. Je tenais à bien me préparer en faisant le point sur les complications possibles lors du transport et de l’anesthésie, avant de pouvoir l’opérer. Une fois l’équipe en place, je savais que tout était prêt pour cette intervention délicate et périlleuse. Il ne restait plus qu’à faire venir les parents auprès du petit, pour leur annoncer la mauvaise nouvelle.
Ce jeune couple, d’à peine trente ans, avait l’air hagard. Une intervention majeure sur un si petit bébé inquiétait les parents. C’était leur premier enfant et personne ne leur avait dit que leur bébé avait un problème cardiaque. La mère avait passé un ultrason à la trente-deuxième semaine de sa grossesse et tout avait semblé normal. Assisse dans son fauteuil roulant, près de l’isolette du bébé, elle était inconsolable. Son mari lui tenait la main droite et de la main gauche, passée par l’une des ouvertures du berceau transparent, il caressait le pied de son fils. On aurait dit qu’il essayait de le rassurer par ce geste.
—Ne t’inquiète pas, petit. Ton papa est là pour te protéger.
Sans les brusquer, je me suis présenté. Le plus délicatement possible, je leur ai expliqué que leur enfant avait une malformation cardiaque. Je devais les renseigner sur la condition de son cœur, de ses poumons, pour qu’ils saisissent bien la nécessité d’une opération urgente à cœur ouvert et que nous n’avions aucune minute à perdre. La mère désemparée pleurait à chaudes larmes, tandis que le père par des efforts herculéens contrôlait ses émotions.
Dans de telles circonstances, nous, médecins, devons demeurer imperturbables, ayant recours à notre formation et à l’expérience acquise dans le traitement de cas comme celui-ci. Malgré les chances de réussite de ce genre d’opération, il n’en demeure pas moins que le taux de mortalité est de dix pour cent. Il était donc normal, pour les parents de ce petit bébé, d’être traumatisés face à cette épreuve aux résultats incertains. Dans une situation pareille, il est difficile de réconforter la famille. Il faut faire preuve d’empathie, tout en faisant appel à notre courage, notre force d’âme et nos habiletés techniques pour sauver la vie de l’enfant.
Une fois le consentement donné par les parents, deux médecins et
deux infirmières ont transporté, avec grande précaution, l’isolette et tout l’équipement relié à l’enclos. Dans la salle d’opération, le bébé, encore branché à tous les appareils le maintenant en vie, fut placé sur une couverture chauffante sur la table d’opération. On aurait dit une marionnette, tant il semblait suspendu dans les airs par de fragiles ficelles.
Au cours de cette phase préliminaire, la température de son corps serait maintenue à un niveau normal durant l’anesthésie. Le technicien responsable de l’appareil de circulation extracorporelle, lequel pompe le sang dans l’organisme du patient pendant l’opération, allait établir avec moi le degré de la température et le moment de l’arrêt cardiaque. Cela voulait dire que nous allions refroidir le corps de l’enfant, le maintenant entre la vie et la mort, le temps de refaire les connexions anatomiques manquantes, pour qu’il puisse survivre.
L’anesthésiste, Dr Smith avait déjà tous les médicaments alignés sur sa table de travail, près du patient. D’abord, des barbituriques seraient administrés par injection dans la ligne intraveineuse du pied de l’enfant pour l’endormir, puis suivrait une médication paralysante pour le préparer à l’intervention chirurgicale. Une première ligne placée dans le poignet droit allait mesurer la pression artérielle et une autre, à trois voies, placée dans le cou, servirait à injecter les médicaments pour ranimer le patient à la fin de la chirurgie. Elles seraient toutes branchées ensuite à un appareil de contrôle, afin de surveiller si l’état du patient était stable. Finalement, l’infirmière poserait une sonde permettant l’écoulement de l’urine. Après avoir positionné l’enfant pour la chirurgie, une dernière vérification serait faite pour s’assurer que tout le matériel technique fonctionne bien.
À l’extérieur de la salle d’opération, le rituel de l’ablution des mains et des avant-bras à l’aide d’une brosse et d’un savon antiseptique me permettait de faire le vide, de visualiser toutes les étapes de l’opération et de rassembler mes énergies pour me concentrer sur la tâche à accomplir. Une infirmière m’aidait à enfiler mes vêtements stériles et mon équipe et moi étions enfin prêts. Dans le bloc opératoire, je procédais à une dernière vérification avec l’anesthésiste, l’infirmière qui m’assistait et mon technicien.
Bistouri en main, j’ai fait une première incision sur la peau diaphane du thorax antérieur. Ensuite, j’ai fait la découpe normale du sternum encore très malléable, car la formation osseuse n’est pas encore complétée chez un nouveau-né. Ceci me permet d’avoir aisément accès au cœur de la taille d’une prune. Le côté droit du cœur semblait dilaté et sous tension. Avec des gestes précis et mesurés, j’ai placé de petits tubes de plastique dans l’aorte et dans l’oreillette droite, les reliant à l’appareil qui allait prendre en charge la circulation du sang. Une fois l’appareil en marche, la tension disparaît et le cœur rétrécit, grâce au travail de la pompe.
Selon un protocole strict, il faut graduellement refroidir le corps de l’enfant jusqu’à 18 °C. Tout doucement, la pompe cardiaque sert à faire baisser la température, car une chute trop rapide peut causer des dommages au cerveau du bébé. Vingt minutes plus tard, le niveau désiré atteint, la fonction cardiaque est interrompue à l’aide d’une médication froide. Celle-ci protège le cœur tout en le nourrissant d’oxygène, lui procurant l’énergie dont il a besoin durant l’arrêt cardiaque. Enfin, l’interruption complète de la circulation est réalisée par la pompe cardiaque. Comme le sang pourrait obstruer le champ visuel du chirurgien, l’arrêt de la circulation assure une intervention sans obstruction.
Une fois toutes les phases franchies, je ne dispose que d’une fenêtre de cinquante minutes pour réparer le cœur en détresse. Si je tarde trop, le risque de dommages cérébraux, à chaque minute qui passe, s’alourdit considérablement. En silence, j’y mets tout mon savoir-faire, de façon pondérée et précise. D’abord, je dois soulever le cœur pour avoir accès à l’arrière de l’organe. Une petite incision à l’enveloppe me donne accès aux veines pulmonaires. Je rebranche les quatre veines pulmonaires à l’oreillette gauche, à l’arrière du cœur. Le travail est d’une précision rigoureuse et les points chirurgicaux semblent microscopiques, mais je sais qu’ils vont tenir.
Barbara, l’infirmière qui m’assistait, n’en était pas à son premier cas.
Sans avoir besoin de me poser des questions, elle me passait les instruments requis. Comme elle avait travaillé souvent à mes côtés, elle me connaissait bien et anticipait chacun de mes gestes. Finalement, tout avait été rebranché et il ne semblait pas y avoir de problèmes. Il fallait toutefois attendre encore trois quarts d’heure, le temps de repartir la pompe et la circulation pour réchauffer le corps du bébé. La couleur des tissus redevient rosée et le cœur lilliputien se remit à battre. Progressivement, la température du corps revient à son niveau normal de 37,5 °C.
D’après les premiers résultats, le cœur fonctionnait bien et les paramètres d’oxygénation s’étaient déjà améliorés. En dernier lieu, il fallait arrêter lentement la pompe cardiaque pour que le petit cœur retrouve sa pression normale, avant de pouvoir refermer toutes les incisions préliminaires. Tout allait pour le mieux et, vers 2h du matin, j’ai téléphoné à mon collègue, le Dr Sandor. Sans tarder, il est venu me rejoindre dans la salle d’opération. Ensemble, nous avons examiné l’échocardiographie pour vérifier la fonction du cœur et nous assurer que le drainage se faisait dans les quatre veines pulmonaires réparées à l’arrière du cœur. Tout, selon lui, fonctionnait parfaitement. Quel soulagement ! Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on semble pouvoir respirer, sachant que le pire est passé. Mais, il faut encore détacher tous les tubes, contrôler les petits saignements et refermer le délicat thorax.
De nouveau avec le plus grand soin, l’équipe a raccompagné le bébé à l’unité des soins intensifs. Nous devions tous redoubler de vigilance, car après une opération à cœur ouvert, aussi périlleuse, le bébé est fragile. Aux soins intensifs, tout le monde est aux aguets, par mesure de prévention, au cas où l’état du petit patient s’aggraverait.
Après m’être défait de mes gants et de ma tunique, j’ai suivi le labyrinthe des couloirs de l’hôpital pour me rendre à la chambre des parents. Ils étaient tous les deux très inquiets. Plus que tout, je cherchais à les réconforter, en leur disant que l’opération s’était déroulée comme prévu. Cette bonne nouvelle a déclenché des larmes de joie chez le jeune couple. Le père me prit dans ses bras et me serrait de toutes ses forces contre lui. Pendant ce court instant, j’ai senti que cet homme allait être le meilleur