Nubia
Par Pascal Schmitt
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À propos de ce livre électronique
Pascal Schmitt
Lorsqu'on lui demande depuis quand il écrit, il répond que c'est depuis toujours. A 13 ans il écrivait ses premiers poèmes qu'il reprendra dans son premier recueil Rémanence, illustré avec ses photos, une passion découverte au même âge et qui ne le lâchera plus. Musicien sans pouvoir s'exprimer totalement, c'est naturellement vers l'écrit qu'il se tourne en partageant pleinement sa joie de vivre, son humanité et son amour pour le beau. Naturaliste engagé, photographe animalier, passionné d'architecture et des vieilles pierres, ancien délégué de la Fondation du Patrimoine c'est dans sa petite vallée en Ardèche qu'il écrit.
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Aperçu du livre
Nubia - Pascal Schmitt
Nubia avait hâte de quitter Paris, sa grisaille, ses gens pressés, ses trottoirs bondés de monde avec cette impression d’anonymat commune aux grandes villes et ce brouhaha mêlé de coup de klaxon et de gueule.
Combien de fois l’avait-elle attendu devant un café avec comme seule compagnie Marie, sa meilleure copine. Elle piaffait d’impatience que son père vienne la chercher. Comme promis, il l’emmènerait sur son site de fouille en Nubie, qui à force, était devenue sa deuxième patrie.
- De bons résultats ? Lui avait-il demandé avant de l’embrasser.
C’était l’éternelle question qu’il ne pouvait s’empêcher de lui poser, comme si, dans le cas contraire il allait la laisser au bord du trottoir.
- Evidemment, lui avait-elle répondu !
C’était une bonne élève et elle l’avait toujours été, brillante et cela sans faire transparaître de difficulté, avec ce petit côté frime qui d’ailleurs lui valait souvent des ennuis par des copines, jalouses, l’obligeant une fois de plus à jouer des coudes et se battre pour garder la tête haute ce qui lui valait le surnom de garçonne.
Pâques, ou Noël ailleurs, au soleil, le bonheur ! Elle en avait une sainte horreur de ces rares fêtes de famille sans personne, lassantes, vieillottes. Elle préférait partir au chaud, elle y allait depuis toute petite, aussi, le sable l’avait conquise dans ce désert nubien que papa fouillait depuis de nombreuses années, il lui semblait d’ailleurs, que c’était depuis toujours. Elle arrivait à l’arracher par moments à ses fouilles pour l’avoir un peu à elle, en lui pardonnant ses écarts et ses oublis, tout en comprenant son amour pour ce pays jusqu’à zapper son anniversaire. Mais, il lui avait donné le virus, alors en passionnée d’archéologie, prendre le sable doux comme une caresse et ressentir les siècles glisser entre les doigts lui procurait une sensation particulière et elle ne pouvait s’empêcher de se rappeler les histoires que son père lui racontait lorsqu’ils se retrouvaient le soir après une journée de fouilles contents de partager cette belle passion.
- Mon métier nous fait vivre !
Il aimait dire cela quand elle râlait comme une maîtresse que son amant menaçait de quitter. Là, elle le retrouvait avec toujours cette même impression de ne jamais l’avoir quitté, elle n’avait que lui, de sa mère il n’en parlait jamais, mais ce n’était pas ce qui l’empêchait de vivre pleinement, pas de parents autour de soi, elle vivait ça, comme une liberté sans fin et dormait toutes ses nuits heureuses tout en sachant que l’internat la rappellerait déjà à l’ordre si…
Aujourd’hui c’était le grand jour, Nubia était impatiente de prendre l’avion et partager un bout de chemin avec lui.
- Tout marche comme tu veux ? Et tes cours ?
- Comme si là, d’un coup, je m’arrêtais de travailler ! Oui, je progresse et les examens ne me font pas peur !
Et ça tombait sous le sens, avec sa soif de connaissances, elle serait archéologue comme papa, la vie parisienne n’avait de sens que par les sorties, les copains, le ciné, encore que, mais elle s’en lassait vite de toutes ces activités. Les films grandeur nature lui convenaient bien plus, elle, en Cléopâtre c’était ce qui lui collait au plus juste et qui alimentaient ses nuits lorsque le sommeil tardait à venir, et cela depuis toute petite. Elle s’échappait ainsi vers papa, dans son désert en lui donnant l’impression de se rapprocher un peu plus de lui. Elle était alors moins seule, même si ça la laissait sur sa faim. Plus âgée la petite histoire lui convenait, et que pouvait-il faire, qu’avait-il découvert ? Sur cette idée elle s’endormait et l’internat devenait un peu moins pénible à supporter. A présent l’université et ses examens, elle ne s’en laissait pas le choix et ne désirait rien d’autre que de les réussir pour s’échapper. La reine dominait ce doux rêve : être avec mon père, là-bas en Nubie. Elle y était d’autant plus qu’elle y avait été depuis toute petite bercée dans cette ambiance passant de bras en bras. Les musées qu’elle visitait les weekends ne la faisaient pas râler comme ses copines qui trouvaient ça ringard. Elle s’y sentait bien, la partie Egyptienne bien sûr lui plaisait, l’influence de papa, mais aussi cette attirance innée et inexpliquée, la beauté toute simple, et pourquoi toujours analyser. On ne va pas vers une fleur parce que c’est inscrit dans les gènes ou parce que c’est décidé ainsi, on la prend par instinct, par les acquis génétiques et la fleur a été créé pour l’œil, l’odeur, pour son charme et sans compter les insectes qui la pollinisent et s’en nourrissent, un peu comme les musées où on amasse les belles choses, l’art de l’amour extériorisé, la beauté des corps, l’esthétisme et ça servait de base à ses études, toutes ces trouvailles dont elle faisait part à son père et qui alimentaient leurs sujets de conversation. Il était souvent absent, mis à part les moments où il donnait des conférences ou réglait ses affaires en France. Elle profitait alors pleinement de ces instants pour l’écouter, pour sentir sa passion et profiter un peu de l’affection qu’il lui portait. Ne restait que lui, l’unique membre de sa famille, maman, elle ne l’avait jamais connue, et son père lui suffisait pleinement. On ne peut pas aimer quelqu’un que l’on n’a jamais connu, se disait-elle. Rêver de ce pays dont il savait si bien parler la rapprochait de lui, comme si ça avait été son berceau.
Détaché pour des missions scientifiques de recherche et d’archéologie il y avait déjà passé plus de la moitié de sa vie. Elle n’était pas obligée de penser comme lui, mais avais été conquise, comme ça, sans contrainte, de façon si naturelle, qu’elle aussi avait été fascinée par ces reines noires de Nubie dans cette ambiance de mystère et de ce passé qui lui paraissait si présent.
Elle avait senti qu’il fallait acquérir des connaissances en matières scientifiques et d’archéologie, outils indispensables à la recherche. La motivation était là, alors forte, elle trouvait des raisons supplémentaires aux études ce qui la propulsa bien vite vers l’excellence d’autant plus qu’elle était tombé sur un examinateur fana d’Egypte qui lui avait tapé dans l’œil et qui lui avait collé la meilleure note.
- Ne reste plus qu’à travailler et décrocher vous-aussi une mission, lui avait dit l’enseignant !
Pour l’instant, elle vivait au crochet de papa ce qui lui enlevait un peu de sa fierté, encore qu’à sa princesse, il n’osait guère trop lui dire. Ce qui la gênait c’était cette impression de lui appartenir comme une maîtresse. Il s’accrochait à elle, seul, depuis des années, encore que lors de ses missions elle se doutait bien qu’il ait ici ou là quelques femmes, et avec sa notoriété il ne devait pas avoir de problème pour conquérir quelques belles nubiennes, stagiaires ou collègues passionnées, mais cette phase de vie n’avait aucune importance pour elle. Elle qui se considérait comme orpheline de sa mère, il n’en avait d’ailleurs jamais trop parlé, par pudeur ? Nubia ne l’avait pas connue, alors oublions ça, s’était-elle dit ne voulant pas faire revenir ce côté sombre de la vie, plus tard, peut-être, peu lui importait.
Nubia, côté affectif c’était un jeune archéologue qui lui avait tout appris de l’amour physique. Papa était heureux qu’elle ne s’ennuie pas, vrai qu’elle ne m’embêtait pas. Jo avait l’art de l’attirer dans des endroits qu’il avait dû découvrir au paravent et qu’il comptait partager en la faisant craquer une fois dans ses bras et ce n’était pas difficile, il était beau, musclé sentant les herbes, myrte et santal exotique et elle le voyait en prince éthiopien lorsqu’il la faisait partir en l’air sans retenue et elle avait tout à apprendre, bonne élève, elle progressait très vite et sans pudeur. Elle s’attirait même des jalousies de ses copines qui l’enviaient, toute cette liberté, ne pas avoir une mère qui fouille ou un père qui regarde la pendule ça avait du bon, mais aussi ses inconvénients, mais Nubia n’avait pas besoin de nounou et ça agaçait les jeunes donzelles avides d’histoires croustillantes qui, jalouses, la repoussaient tout en ne la provoquant pas trop, excitée elle leur aurait donné une bonne leçon, et elles le savaient. Nubia prenait des cours d’arts martiaux. Papa lui avait dit : ça te permettra de canaliser ton énergie et tu pourras le mettre en pratique au cas où, je ne serai pas toujours là, une fille ça doit savoir de défendre, savoir compter que sur soi, il lui avait dit ça sans sensiblerie. Papa assurait le reste. Et cela lui convenait tout à fait, elle concevait la liberté comme ça, sans compter sur les garçons, aucun compte à rendre. Beaucoup de ses copines parlaient de leur parents ça la gonflait d’entendre leur lamentation, ces potins sans queue ni tête, elle rêvait d’autre chose : découvrir, fouiller le passé, avoir un nom comme papa. Elle aimait le vent mêlé au sable qui fouette le visage comme par provocation le même qui avait enseveli des générations complètes, ces civilisations perdues qu’elle avait envie de voir renaître, faire honneur à tous ces bâtisseurs, à tout ce savoir, à cette sueur qui n’a pas réussi à colmater le sable de ces édifices, temples et pyramides dédiés aux dieux ou aux déesses à ces candaces qu’elle admirait comme papa, ces guerrières aux caractères bien trempés. Elle les admirait à en vouloir s’y confondre, papa lui en parlait de telle sorte qu’elles faisaient partie de sa vie. A peine s’y était-elle fondu dans ce désert nubien qu’il fallait s’en détacher de ce passé où papa ressemblait à Indiana Jones, et elle l’admirait, il était plein d’attention, c’était : Son Père ! On lui faisait souvent la réflexion. Elle entendait alors : on dirait que c’est ton amant, et là elle sentait toute l’envie, tout l’égoïsme, tout ce fiel, qu’elles essayaient de lui cracher, par jalousie, sport numéro un de ces ados accros à tous potins niais. Nubia s’était déjà équipée d’autres armes, elle apprenait l’arabe, avait déjà compris malgré son jeune âge à décrypter le regard des hommes et à s’en méfier comme par instinct. Avide de connaissances, elle avait envie de dire de naissance, ou par acquis, influence de son père. L’Egypte l’attirait et même plus que ça, elle s’y était souvent rendue avec son père activant ainsi une passion et son goût pour ce pays, le partage et l’émerveillement devant Louxor Abou-Simbel, Philae, ce n’était pas pour lui faire plaisir, elle aurait pu le boycotter, comme ses copines faisaient avec leurs parents, mais elle faisait corps avec cette région où tout l’enchantait et ce Soudan mystérieux qui n’avait encore rien dit, ou si peu, avec son écriture étrange que les ordinateur n’avaient pas encore percée. L’odeur du sable et quand elle en parlait, on sentait l’admiration et la jalousie de ses copines pointer le nez, peu lui importait à chacun ses fantasmes !
- Moi je n’ai pas le nez dans les magazines, mes vedettes, sont là-bas !
Elle voulait s’élever, et s’élever encore vers ces mystères qui l’absorbaient avec toutes ces choses non réveillées, et révéler ces ombres qui ne lui faisaient aucunement peur. A force d’avoir été baignée dans cette atmosphère, et entendu tant d’histoires, elle les avait accaparées et rendues siennes, pas toutes, car elle ne maîtrisait rien, mais se sentait si bien dans ces scénarios qu’elle écrivait scènes après scènes.
Jo l’avait une fois de plus courtisée, il était le bras droit de son père, le secondant dans cette phase de fouille faisant parti d’un vaste plan de recherche. Jeune, frais moulu, ses examens sous le bras, sorti de l’université de Lyon, il buvait les paroles du maître comme par évidence, s’en inspirant, développant ses propres théories, souvent contestées par le maître qui lui rappelait qu’il y a les études et le terrain, et là, il n’y connaissait rien ! Ne restait plus qu’à écouter. Mais Jo, même vexé des fois ne s’en désintéressait pas pour autant et qui le considérait comme un mentor, lui le stagiaire, mais il faut bien un jour débuter, et comme son père disait : l’avenir allait lui sourire, suffisait de travailler. Elle en était un peu jalouse, mais conjurait le sort en se l’accaparant. Jo l’avait emmené dans un dédalle de coins de recoins, le site n’était pas très grand, mais l’inexpérience lui fit un croche pied elle se sentit perdue sauf dans ces grands bras et il ne leur fallut pas grand-chose pour que les jeunes amants s’aiment une fois de plus se sentant en sécurité et à l’abri des regards indiscrets, Nubia avait encore tant à apprendre en amour et Jo était si amoureux, alors trouvant là un peu d’intimité qu’ils n’avaient pas au campement, ils s’étaient serrés comme se serrent les être uniques et précieux. Jo s’était laissé partir dans cette étreinte qui lui parût éternelle, dans ces lieux sans date, sans conscience que l’histoire tous ces mystères et ces vies entouraient. Ce dédalle de pierres transpirait les siècles en redonnant des sondes rémanentes, peur du travail sous le fouet, labeur peu payé, les cris, pauvres de salaires, repas à peine suffisant pour combler les efforts de ce travail harassant. Cette pratique était simple et efficace, elle consistait à affaiblir l’homme tout en lui assurant le minimum de nourriture pour lui permettre de travailler sans éveiller toute révolte, d’ailleurs qui serait bien vite matée à coup de fouet. Loin le fouet, Nubia une fois de plus séduite se laissa perdre dans ces bras puissants et qui la fit basculer là où les femmes heureuses se perdent quand elles poussent un cri de bonheur, mais devant ces deux yeux verts émeraudes qui s’étaient allumés derrière Jo et qui la regardaient fixement, une drôle d’impression naquit, était-ce les yeux de sa conscience, les yeux des propriétaires des lieux, les yeux d’un voyageur de l’au-delà, d’une âme perdue, d’une candace ? Elle poussa un cri qui lui parut si étrange que Jo la serra contre lui.
- Qu’as-tu ?
- Là !