Scordatura
La scordatura est une manière d'accorder les instruments à cordes (violon, violoncelle, viole, luth, guitare, viole d'amour, etc.) qui s'écarte de l'accord usuel. Cette technique est utilisée à la Renaissance sur les instruments à cordes pincées (luth, guiterne) et les pièces comportant cet artifice sont précédées des expressions à cordes ravallées, à corde avalée ou avallée. L'un des premiers compositeurs[1] à publier une pièce pour violon en scordatura est Biagio Marini, dans son opus 8[2], en 1629. Cet usage permet d'utiliser des accords inhabituels et modifie la tension des cordes, ce qui produit aussi des effets sonores nouveaux.
Cette technique est spécialement en vogue chez les compositeurs allemands du XVIIe siècle (en particulier Heinrich Biber dans ses Sonates du Rosaire) ; elle est plus rare en France, où l’on trouve cependant quatre compositeurs qui y ont recours, Corette (L'École d’Orphée), Lemaire (Premier livre de sonates pour violon), Tremais et Isidore Bertheaume[3].
On trouve également l’emploi occasionnel de cette technique chez Schumann (le violoncelle dans l’andante du quatuor avec piano), Saint-Saëns (le célèbre solo de la Danse Macabre), Mahler (le violon solo dans le deuxième mouvement de la quatrième symphonie), Kodály (Sonate pour violoncelle) et Stravinsky (L'Oiseau de feu)[4].
La technique est également utilisée dans la musique traditionnelle écossaise et norvégienne (« Hardingfele »). Les « fiddler » utilisaient trois accords différents (mi4-la3-ré3-la2, do#4-la3-mi3-la2 et mi4-la3-mi3-la2 appelé aujourd'hui Cape Breton tuning (en)) pour obtenir un bourdon semblable à celui des instruments traditionnels, comme la vielle à roue, la cornemuse ou les instruments de la famille de l'épinette des Vosges. Cette technique fut aussi mise en œuvre par des guitaristes de jazz et de rock — Frank Zappa en particulier en était coutumier.
Un autre exemple d'utilisation, les notes graves de certains clavecins étaient diatoniques — sol - la - si — puis chromatiques — do - do - ré, etc. Une scordatura du si en si permettait d'ajouter une basse à un accord de si . Dans certains instruments archaïques, la corde la plus à gauche (la plus longue) était même prévue pour être accordée ad libitum.
Exemple musical
[modifier | modifier le code]Dans les Sonates du Rosaire de Heinrich Biber, on trouve quinze façons différentes d'accorder le violon[5].
Autres exemples
[modifier | modifier le code]Parties solistes
[modifier | modifier le code]Écrite pour un violoncelle accordé en do, sol, ré, sol. Cet accord particulier, qui double le sol "à vide" confère un timbre particulier à l'instrument, le sol aigu faisant vibrer le sol et le do graves.
Le sous-titre indique Diversi mode accordata (soit « divers modes pour accorder » l'instrument), aux deux violons, puis aux deux violes d'amour, selon sept accords différents dont un seul — pour la Partia VI — correspond à l'accord traditionnel en sol, ré, la, mi
Mozart recommande d'accorder l'alto un demi-ton plus haut (Accorda un mezzo tono più alto), afin d'obtenir un son plus clair, plus tendu, plus vigoureux et qui s'accorde mieux avec celui du violon.
Le violon solo est accordé en sol, ré, la, mi
Afin de permettre l'exécution d'accords de si mineur, le violoncelle doit être accordé en si, fa, ré, la
Le violoncelle doit être accordé en si, sol, ré, la.
Dans le 3e mouvement, le violoniste emploie d'abord un violon accordé en tritons : sol, ré, la, mi
Le violoncelle doit être accordé en si, fa, ré, la.
- Peter Sculthorpe : Requiem for « Cello Alone » (1979)
Le violoncelle doit être accordé en si, sol, ré, la.
Musique d'ensemble
[modifier | modifier le code]- Richard Strauss : Ein Heldenleben
Un passage requiert que les seconds violons s'accordent en sol , ré, la, mi afin de jouer un sol bémol.
L'exécution de certains harmoniques requiert que toute la section de violon soit « désaccordée ».
- Erwin Schulhoff : Concertino (pour flûte, alto et contrebasse)
Le troisième mouvement demande à la contrebasse de s'accorder en sol-ré-la-do, mais en réalité, un accord sol-ré-la-ré (la quatrième corde baissée d'un ton seulement au lieu d'une tierce) peut suffire dans la pratique, dans la mesure où la partie ne descend pas en dessous. Cela permet entre autres de conserver une certaine réactivité dans la corde la plus difficile à mettre en vibration.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Dictionnaire encyclopédique de la musique de l'université d'Oxford - traduction française et ajouts en 1988 éditions Robert Laffont
- Sonata Seconda d'inventione Per il Violino dans Sonate, Symphonie, Canzoni, Pass'emezzi, Baletti, Corenti, Gagliarde, & Retornelli, A 1.2.3.4.5.& 6. Voci, Per ogni sorte d’Instrumenti. Opera Ottava, Venetia, 1629.
- R. E. Preston, dans Dictionnaire de la musique en France, aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous la direction de Marcelle Benoît, Paris 1992, p. 637.
- The Oxford Dictionary of Music, Revised edition, Oxford 1994, p. 791.
- Andrew Manze explique la scordatura avec l'exemple des Sonates du Rosaire (en)
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Open tuning, ou accordage ouvert : accordage non standard des cordes d'une guitare
Liens externes
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- Ressource relative à la musique :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Diana Ligeti et Coline Infante : La scordatura, accord ou désaccord ? Histoire et pratique actuelle La Revue du Conservatoire n°4