Album d'Auschwitz
L'Album d'Auschwitz (aussi appelé Album de Lili Jacob, du nom de la détentrice de l'album) est un ensemble de photographies prises à l'été 1944 dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, fréquemment réalisées par les services photographiques du camp et destinées aux leaders SS[4]. Cette collection est considérée comme unique dans la mesure où elle constitue aujourd'hui l'un des principaux témoignages visuels du processus d'extermination des déportés juifs d'un convoi dans un centre de mise à mort.
Histoire
[modifier | modifier le code]Cet album qui comprend aujourd'hui quelque 193 prises de vues a initialement été découvert par une déportée, Lili Jacob, dans une baraque du camp de Dora-Mittelbau[5]. En avril 1945, après l'évacuation de ce camp par les Allemands, cette jeune femme très affaiblie est couchée dans l'ancienne chambre d'un SS. Elle y trouve cet album par hasard, se reconnaît sur certaines photos, ainsi que certains de ses proches[6], et le conserve très précieusement[7]. Le titre donné à l'album par le ou les SS responsables est « transplantation des juifs de Hongrie »[8].
En 1980, Serge Klarsfeld convainc Lili Jacob que l'album doit être sauvegardé et protégé. Elle se rend alors à Jérusalem où elle rencontre le Premier ministre Menahem Begin, et en fait don au Mémorial de Yad Vashem où il se trouve toujours.
Les photographies portent sur l'arrivée des convois de Juifs hongrois, communauté déportée en mai 1944. Les historiens Serge Klarsfeld et Marcello Pezzetti[9] estiment que ces images ont vraisemblablement été prises par les SS Ernst Hofmann et Bernhard Walter, du service d'identification du département politique d'Auschwitz, dans une démarche qui suscite des interrogations. Tal Bruttmann ajoute que certaines photographies peuvent également être l'oeuvre de Rudolf Höss lui-même, comme le rapporte le témoignage du photographe polonais Wilhelm Brasse au procès de Francfort-sur-le-Main[8]. Quelques historiens relèvent des traits propres aux photographies de propagande allemande dans le cadrage et le choix des sujets, d'autres estiment qu'il pourrait s'agir d'un rapport commandé[10]. Les images ne montrent en tout cas pas la phase d'extermination proprement dite mais sa préparation. Elles ciblent les sélections sur la « rampe » – voie de chemin de fer arrivant directement dans l'enceinte de Birkenau, installée peu de temps avant l'anéantissement de la communauté hongroise, ce qui permet notamment de dater les photographies de l'album. Les récupérations des biens confisqués au Canada[11] qui les suivent et l'attente des personnes qui vont être gazées.
L'historien Tal Bruttmann, qui a consacré un ouvrage à cet ensemble photographique, questionne l'usage contemporain de ces photographies et appelle à la prudence concernant les interprétations que l'on peut tirer du fonctionnement du camp à partir de ce support[6] :
« Ces images ont été utilisées pour montrer ce qu'était Auschwitz. Le problème c'est que ce n'est pas ce qu'était Auschwitz au sens premier du terme, mais ce que des SS veulent montrer à d'autres SS à Berlin sur le fonctionnement d'Auschwitz. Un Auschwitz « idéalisé » par des SS pour des SS. [...] Nous, on s'identifie à ces victimes. Sauf que le photographe SS ne cherche pas à apitoyer qui que ce soit. Au contraire, il cherche à montrer à ses supérieurs à Berlin le « brio » du système de duperie mis en place pour réaliser la plus grande opération d'assassinat de la « Solution finale ». »
Outre cet ensemble iconographique, on possède aujourd'hui dans le cas du camp d'Auschwitz-Birkenau quelques photographies prises par des membres des sonderkommandos d’Auschwitz II (Birkenau), un carnet de croquis d'un détenu anonyme[12] et, depuis le début de l'année 2007, un album de photographies du personnel SS du camp, couramment appelé « album de Karl Höcker », sur lesquelles apparaissent certains hauts-gradés présents à Auschwitz, comme Josef Mengele ou Rudolf Höss[13].
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Georges Didi-Huberman, Images malgré tout[14], 2004
- Serge Klarsfeld, Marcello Pezzetti, Sabine Zeitoun, L'Album d'Auschwitz, préface de Simone Veil, coédition Al Dante et Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2005, 151 p.
- (de) Cornelia Brink, « Klage und Anklage : Das „Auschwitz-Album" als Beweismittel im Frankfurter Auschwitz-Prozess (1963-1965) », Fotogeschichte, (lire en ligne [PDF]).
- Serge Klarsfeld, Marcello Pezzetti, Sabine Zeitoun, L'Album d'Auschwitz, avant-propos de Simone Veil, préface de Najat Vallaud-Belkacem, préface de David de Rothschild, coédition Canopé et Fondation pour la mémoire de la Shoah, 2015, 160 p.
- (de) Stefan Hördler, Christoph Kreutzmüller et Tal Bruttmann, « Auschwitz im Bild : Zur kritischen Analyse der Auschwitz-Alben », Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, , p. 609-632 (lire en ligne ).
- Tal Bruttmann, Christoph Kreutzmüller et Stefan Hördler, « L'« album d’Auschwitz », entre objet et source d'histoire », Vingtième Siècle : Revue d'histoire, no 139, , p. 23–42 (DOI 10.3917/ving.139.0023, lire en ligne).
- Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, Un album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes, Paris, Seuil, 2023.
- Traduction de : Tal Bruttmann, Stefan Hördler, Christoph Kreutzmüller: Die fotografische Inszenierung des Verbrechens - Ein Album aus Auschwitz. Wissenschaftliche Buchgesellschaft (wbg Academic), Darmstadt, 2019, (ISBN 978-3-534-27142-9)
Filmographie
[modifier | modifier le code]- Alain Jaubert, Auschwitz, l'album de la mémoire, 1984.
- László Nemes, Le Fils de Saul, 2015
Voir également
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
[modifier | modifier le code]- (en) Album d'Auschwitz sur le site Yad Vashem
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Olivier Lalieu (dir.), La Shoah au cœur de l'anéantissement, Tallandier, , p. 47
- À droite de cette photo un SS lève sa canne sur deux femmes, scène de violence explicite mais aussi implicite car les cannes évoquent l'accessoire de juifs vieillards ou infirmes assassinés qui ont été récupérés pas les SS pour s'en servir, pendant le long processus de sélection, pour se reposer, asséner des coups ou indiquer une direction. Cf Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, Un album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes, Seuil, , p. 148-149 et 200
- Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, Un album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes, Seuil, , p. 153
- (en) Base de données de l’United States Holocaust Memorial Museum : contenu intégral de l'album, taper (ou copier-coller) Auschwitz Album dans la barre de recherche.
- Martine Jacot, « L'album d'Auschwitz ou le trésor de Lili Jacob », Le Monde, 30 mai 2005 [lire en ligne sur le site lemonde.fr].
- « Hitler, 1943. Montrer les mécanismes de la "Solution finale" : épisode 4/4 du podcast Hitler. Vers la "Solution finale" », sur France Culture (consulté le )
- Christophe Cognet, « « Un album d’Auschwitz » : échapper au regard des bourreaux », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Tal Bruttmann, Christoph Kreutzmüller et Stefan Hördler, « L’« album d’Auschwitz », entre objet et source d’histoire: », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. N° 139, no 3, , p. 23–42 (ISSN 0294-1759, DOI 10.3917/ving.139.0023, lire en ligne, consulté le )
- Serge Klarsfeld, Marcello Pezzetti, L'album d'Auschwitz, cf. bibliographie.
- Pour le commandant du camp d'Auschwitz-Birkenau selon l’United States Holocaust Memorial Museum.
- Entrepôt des objets soutirés aux déportés.
- 32 croquis sont retrouvés en 1947 par un ancien détenu d'Auschwitz, Józef Odi, qui exerce alors la fonction de gardien au Mémorial. Protégés dans une bouteille cachée dans les fondations d'une baraque du camp de Birkenau près d'un crématoire, ils sont l'œuvre d'un détenu d'Auschwitz dont on ne connait que les initiales M.M. Cf Agnieszka Sieradzka, Le carnet de croquis d'Auschwitz, Musée d'État d'Auschitz-Birkenau, , 67 p.
- (en) « Collections Highlight: Auschwitz Through the Lens of the SS ». Site du Musée de l'Holocauste à New York, en possession de cette collection depuis janvier 2007. À la différence de l'album d'Auschwitz, il s'agit d'un ensemble d'images exclusivement centré sur la vie du personnel du camp.
- Quatre bouts de pellicule arrachés de l'enfer, France Inter