Avenir de notre marine
Voici deux publications officielles qui empruntent un grand intérêt aux débats de prépondérance maritime, si fréquemment soulevés de l’autre côté du détroit. Il est utile de s’en inspirer quand on désire apprécier sainement l’état de nos flottes, leurs élémens, leur importance relative ; et cette étude, faite sans passion, peut contribuer à éloigner des esprits autant les idées de jactance que les impressions de découragement.
Grace au ciel, les temps ne sont plus aux défis belliqueux. Le désir du repos est aujourd’hui dans les ames ; le besoin de la paix est dans les relations. S’il y a quelque agitation à la surface, le fond est tranquille et sûr. D’une part, les nationalités ne se montrent plus ni aussi jalouses, ni aussi turbulentes ; de l’autre, le commerce et l’industrie étendent leur réseau sur le globe et rendent les ruptures plus difficiles en les rendant plus douloureuses. L’esprit de conquête semble s’être retiré des mœurs des peuples et des conseils des souverains. On commence à entrevoir que la fortune d’un état ne correspond pas toujours à l’étendue de son territoire, et qu’un développement exagéré s’expie par de cruelles représailles. Peu à peu les dissidences s’effacent, les préjugés capitulent, les barrières s’abaissent. On se fie moins à la force et davantage à la modération. On ne veut ni du rôle d’opprimé, ni de celui d’oppresseur ; on place quelque grandeur dans la justice, quelque gloire dans le respect de toutes les situations légitimes ; on ne se joue plus légèrement du sang et de la fortune des hommes. Ce sont là de bons instincts, d’heureuses tendances, et il faut croire à leur énergie et à leur durée, puisqu’ils résistent avec succès à tous les embarras du moment.
Quelle guerre pourrait-on faire aujourd’hui ? Une guerre de rivalité nationale ? On sait ce qu’elles coûtent et ce qu’elles rapportent. Demandez à l’Angleterre si elle voudrait, au même prix, recommencer ses victoires de 1814 et de 1815. Une guerre d’équilibre européen ? Mais quelle est la prétention, quelle est l’ambition qui ne reculerait pas devant l’embrasement de l’Europe, et quelqu’un est-il vraiment de taille à reprendre l’œuvre avortée de Napoléon ? Une guerre de principes, une croisade, soit au nom de la liberté, soit au nom du despotisme ? Le temps en est passé. Personne ne songe plus à faire faire aux institutions leur chemin par la violence, et à mettre les baïonnettes au service des doctrines. Enfin, une guerre d’intérêts ? Dans l’état des rapports commerciaux, c’est l’incident le plus à craindre, celui qui se reproduira le plus fréquemment. Mais, pour un différend où l’honneur n’est point engagé, une transaction est toujours facile. Entre les diverses solutions, il n’en est pas de plus coûteuse qu’un appel aux armes, et avant de poursuivre une réparation partielle, on calculera nécessairement si elle ne doit pas compromettre d’une manière trop sérieuse les intérêts généraux. C’est une affaire de prévoyance et de discussion. Or, est-il une guerre qui puisse résister dès qu’on la discute ? Il n’en est qu’une seule, c’est celle de la civilisation contre la barbarie. Celle-là peut se poursuivre et s’avouer.
De cette disposition plus calme et moins inquiète des esprits, il ne faudrait pas tirer cette conclusion, que la conscience de leur dignité sommeille chez les peuples. Non, bien loin de là. Une offense réelle les trouverait debout, et l’élan serait d’autant plus vif que la cause en serait plus profonde. Une nation qui aime la paix et qui la veut doit être toujours en mesure de prouver qu’elle ne craint pas la guerre. Il vaudrait mieux, à la rigueur, qu’elle laissât douter de sa modération que de son courage. On ne s’attaque pas imprudemment aux forts, à ceux qui ont fait leurs preuves ; on pousse au contraire à bout et l’on accule volontiers ceux qui ont la réputation de mollir. Ainsi, quand la fermeté ne serait pas un devoir et une vertu, elle serait un bon calcul. Des peuples qu’on ne saurait ni intimider ni surprendre dictent des conditions plutôt qu’ils n’en subissent, et se font eux-mêmes leur place, librement, dignement, sans qu’on en marchande les termes. C’est surtout dans ce sens que l’entretien de grandes forces militaires est l’une des plus utiles dépenses que puisse faire un pays. Les armées modernes justifient et réalisent l’axiome antique. En répondant à toutes les éventualités guerrières, elles assurent le repos du monde ; elles contiennent toutes les ambitions et toutes les violences. Leur puissance, avant tout préventive, est une garantie pour les intérêts, qui comptent moins sur ce qu’elles pourraient faire que sur ce qu’elles empêchent et conjurent. Des économistes enclins aux réformes se sont quelquefois demandé ce que produisait une armée. Une armée produit la sécurité, cette source de toutes les autres richesses. Est-ce donc là un rapport qui soit à dédaigner ?
Nous tenions à exprimer ces idées avant d’entrer dans l’examen comparatif qui va nous occuper : elles serviront à en éclairer l’intention, à en préciser les tendances. Ainsi préparée, l’étude de nos ressources militaires se dégage de ce qu’elle peut avoir d’irritant, elle ne ressemble plus à un dénombrement avant la bataille. L’alliance anglaise nous est précieuse comme instrument de civilisation, comme garantie de la paix du monde. Nous n’ignorons rien de ce qui se dit contre cette alliance : elle n’est utile qu’à titre onéreux, elle vend ce qu’on croit qu’elle donne ; elle est hautaine, inégale, capricieuse, elle a toujours l’air de vouloir traiter de serf à maître. Il y a du vrai dans ces reproches, quoiqu’on les ait fort exagérés ; il faudrait s’en préoccuper, si ces divers symptômes tenaient à des causes profondes. Mais, quand on observe froidement les faits, on s’assure que les pointes de révolte de l’orgueil britannique vis-à-vis de la France n’ont rien de vraiment sérieux. On tient à nous plus qu’on ne le dit ; on nous respecte plus qu’on ne l’avoue. Ce sentiment va même si loin, que l’on s’en effraie et qu’on cherche à le tromper par des colères feintes. Les vieux partis anglais ne peuvent pas se résigner à l’idée que toute animosité s’éteigne, et ils soulèvent, en y mêlant le nom de la France, des querelles insensées dans lesquelles on aurait tort de voir autre chose que des inspirations de tactique. À ces causes politiques se joignent aussi des susceptibilités commerciales. L’Angleterre est dans la position d’un malade qui s’en prend volontiers à ce qui l’entoure de ce qu’il ressent et de ce qu’il souffre. Son organisation civile est un non-sens à côté de ses développemens industriels, et ce défaut d’équilibre réagit à son insu sur son humeur, sur sa raison, sur sa justice. En s’emparant des besoins du globe, en les excitant outre mesure afin de présider à leur satisfaction, elle a un instant trompé et détourné l’activité nationale, mais elle a créé en revanche dans son propre foyer des besoins nouveaux qui tôt ou tard se montreront implacables. Aujourd’hui, quoique son rayon de débouchés soit immense, l’Angleterre n’en peut rien sacrifier sans angoisse et sans douleur. C’est l’histoire de tous les excès : ils modifient la vie normale à tel point, qu’on ne saurait y renoncer impunément. De là naissent ces plaintes qui ne vont jamais jusqu’à une rupture, cette conduite à la fois passionnée et prudente, ce bruit à propos de griefs imaginaires qui tombe devant le besoin de maintenir un travail organisé par la paix et pour la paix. Tel est le caractère général des récriminations qui nous arrivent de l’autre côté de la Manche. Quant aux déclamations et aux colères des partis, elles n’engagent qu’eux-mêmes.
Le bill récemment voté dans le parlement anglais, pour une augmentation de l’état naval, a surtout fait éclater cette disposition des esprits. Dans le cours des débats, on a tout plaidé, excepté le vrai. Les chiffres n’ont été qu’une fiction dérisoire, variable au gré des passions de chaque orateur. D’une part, on a dit que l’Angleterre marchait à sa décadence navale ; de l’autre, on a affirmé que sa seule marine balançait les marines réunies du globe. Contradictions flagrantes, accusations puériles, rien n’a été ménagé, et le cabinet lui-même n’a pas craint de descendre dans ces thèses de convention, souvent au mépris des faits. Dans l’appréciation comparée des forces de la France et de l’Angleterre, nous allons rétablir la sincérité de la statistique, un peu compromise par cette discussion. Pour l’état de nos flottes, l’excellent travail de M. le baron Tupinier et la publication officielle du gouvernement seront nos guides, et l’on n’en saurait choisir de plus sûrs. Pour les flottes anglaises, l’Annuaire naval et l’United service journal nous fourniront des documens qui se contrôleront et se complèteront les uns les autres. Ainsi on échappera aux données systématiques pour rentrer dans la réalité.
Les deux lois qui dominent aujourd’hui notre organisation navale sont de dates récentes. L’une, concernant le matériel, est de 1837 ; l’autre, concernant le personnel, est de 1839. Toutes les deux n’ont fait que modifier et coordonner les lois ou ordonnances antérieures de 1824, 1831 et 1836. La loi qui règle le matériel fixe nos forces de mer en temps de paix à 40 vaisseaux, 50 frégates et 220 bâtimens de moindre dimension. Sur les 40 vaisseaux et 50 frégates, 20 vaisseaux et 25 frégates doivent être entretenus à flot, tandis qu’un nombre égal demeure sur les chantiers, avancé aux 22/24e. En excédant de cet état naval, une réserve de 13 vaisseaux et de 15 frégates doit être ménagée et maintenue aux 10/24e d’avancement. Toute cette flotte est destinée à porter une artillerie du calibre uniforme de 30. Les vaisseaux sont de quatre rangs, 120, 100, 90 et 80 canons ; les frégates de trois rangs, 60, 50 et 40 canons ; les bâtimens inférieurs suivent des proportions analogues. La loi qui règle le personnel fixe le cadre de l’armée navale de la manière suivante : 3 amiraux, 10 vice-amiraux, 20 contre-amiraux, 30 capitaines de première classe, 50 de seconde classe, 53 capitaines de corvette de première classe, 107 de seconde, 100 lieutenans de vaisseau de première classe, 400 de seconde, 600 enseignes de vaisseau, 200 élèves de première classe, et un nombre d’élèves de seconde classe qui devra être déterminé chaque année par une ordonnance du roi. Quant aux équipages, les lois de recrutement et d’inscription maritime qui régissent la matière n’ont pas été depuis long-temps l’objet de modifications sérieuses.
Les faits ne sont pas encore complètement en harmonie avec la législation, mais chaque jour ils tendent à s’en rapprocher. On compte aujourd’hui à la mer 21 vaisseaux de ligne, dont 14 armés, 4 en disponibilité et 3 désarmés[3]. Leur force totale s’élève à 1,794 canons. Sur les chantiers figurent 25 vaisseaux de ligne, parmi lesquels 12 seulement sont avancés aux 22/24e ; l’ensemble de ces vaisseaux comporte 2,490 canons[4]. Quant aux frégates, tant du nouveau que de l’ancien modèle, leur nombre total à la mer est de 34 : 11 armées en guerre, 2 armées en flûte, 21 désarmées, en tout 1,594 canons[5]. Les chantiers en offrent 18 formant un ensemble de 1,110 canons, mais sur lesquelles une dizaine seulement sont arrivées aux 22/24e[6]. Les bâtimens inférieurs restent également en dessous du nombre fixé par l’ordonnance de 1837. En tout comptant, corvettes de guerre, corvettes-avisos, bricks, bricks-avisos, bricks canonnières, goëlettes, cutters, lougres, bâtimens de flottille, corvettes et gabarres de charge, on n’arrive pas au chiffre de 200. Reste la marine à vapeur, qui est appelée à jouer de nos jours un rôle dont l’importance est plutôt pressentie que déterminée. Elle compte à la mer 39 bâtimens, dont 3 de 220 chevaux, 20 de 160 chevaux, 6 au-dessous de 150 chevaux, enfin 10 paquebots-poste de 160 chevaux employés au transport des correspondances du Levant, mais propres au besoin à un service de guerre[7]. L’ensemble de ce matériel représente une force de 6,050 chevaux. En construction, on n’a guère que 7 bâtimens d’une force totale de 1,980 chevaux, 2 de 450, 1 de 320, 2 de 220, 2 de 160[8]. Les bâtimens de 160 chevaux sont uniformes ; ils ont été construits d’après les dessins venus d’Angleterre et sur le modèle du Sphinx. Les autres ont été l’objet de tâtonnemens qui n’ont pas tous été heureux.
Le personnel appelé à monter cette imposante flotte se compose d’élémens variables et qu’il est difficile d’apprécier. L’inscription maritime et ce que l’on nomme le régime des classes en forment la base. En dehors du recrutement ordinaire, l’état a le droit, dans un besoin urgent, de réclamer pour son service tous les marins valides qui figurent sur les rôles des bâtimens de commerce. Tantôt ces engagemens sont volontaires, tantôt ils sont forcés ; mais la marine militaire n’use de ce dernier moyen qu’avec une grande réserve, et elle y apporte des ménagemens qui éloignent toute idée de comparaison avec la presse des matelots usitée en Angleterre. D’après les calculs de M. le baron Tupinier, l’armement complet de 40 vaisseaux et de 50 frégates exigerait 58,000 hommes, plus 12 à 13,000 hommes pour le service des bâtimens légers. On pourrait demander ces 70,000 marins, jusqu’à la concurrence de 58,000, aux équipages de ligne et aux équipages du commerce, à la grande navigation et au cabotage ; le surplus se trouverait aisément dans les 7,000 }hommes de recrutement qui se renouvellent par septième chaque année. Du reste, cet armement complet ne serait jamais simultané, et 60,000 marins pourraient suffire à toutes les prévisions et à toutes les éventualités de guerre. Pour le moment, nous n’en sommes pas là. Malgré le déploiement imprévu et inaccoutumé qu’ont exigé les affaires d’Orient, 18,000 hommes de l’inscription maritime et 7,000 hommes du recrutement répondent aux besoins du service. Nous craignons même, et nous insisterons plus tard sur ce point, que ce ne soit là notre côté faible, et que les ressources de notre personnel ne soient pas à la hauteur d’un matériel imposant. Le commerce français ne forme guère plus de 27,000 marins, dont il faudrait destiner une part, et la meilleure, à l’armement des corsaires. Quant au reste, il nécessiterait un triage qui le réduirait au moins d’une bonne moitié, et dans ce cas nous ne voyons pas comment on pourrait remonter au chiffre que fixe M. le baron Tupinier pour le déploiement complet de toutes nos forces[9].
Voyons maintenant où en est l’Angleterre sur ces divers points. Si l’ont se fiait aux chiffres officiels pour le matériel naval et l’état de la flotte, la disproportion entre elle et nous serait effrayante ; Depuis long-temps on s’habitue, chez nos voisins, à faire figurer en ligne de compte une foule de bâtimens qui, par leur âge ou par d’autres motifs, sont devenus complètement impropres au service. De là l’erreur dans laquelle sont tombés beaucoup de statisticiens. Ainsi M. Balbi n’accorde pas aux Anglais moins de 165 vaisseaux de ligne et de 117 frégates. Quoique plus réservé, l’Abrégé de Malte-Brun porte encore ce chiffre à 111 vaisseaux et 104 frégates. S’il en était ainsi, la France n’aurait plus qu’à désarmer et à confesser son impuissance. Jamais, sa marine ne pourra se mettre sur un pied pareil : on y épuiserait sans fruit les ressources nationales ; mais cette flotte anglaise, si formidable par le nombre, cet état naval exorbitant, n’existent guère que sur le papier. Ce qui en constitue l’élément principal, ce sont de vieux vaisseaux invalides qui datent des premières années de ce siècle, des prises faites sur nos escadres, des trophées d’Aboukir et de Trafalgar, hochets désormais impuissans de la vanité nationale. Image exacte du parti qui s’en va, ces vaisseaux n’ont de valeur que par leurs souvenirs et ne sont respectés que comme des reliques d’archéologie navale. Cette conservation serait légitime s’il n’en résultait un inconvénient.
Confiante dans ce matériel immense qui se perpétuait sur les annuaires et dans les statistiques, l’Angleterre a peu construit, peu lancé de vaisseaux depuis 1815. Les méthodes d’équipement et d’armement sont restées stationnaires chez elle ; elle n’a pas suivi la France et les États-Unis sur le terrain des essais et des innovations. Aussi les bâtimens neufs sont-ils rares dans la flotte anglaise, et ses plus beaux échantillons sont-ils encore sur le chantier. D’après les documens les plus exacts, il ne semble pas que la Grande-Bretagne ait maintenant plus de 22 vaisseaux de ligne armés, formant un ensemble de 1728 canons[10]. Le nombre des vaisseaux en construction est de 17 d’une force totale de 1528 canons[11]. Les frégates et corvettes armées vont à 25 et portent 694 canons ; on n’en compte guère plus de 9 en construction[12]. Quant aux bâtimens à vapeur, 16 seulement font leur service ; 8 sont sur les chantiers[13]. Maintenant, à ces divers nombres qui constituent la partie active du matériel, il faudrait ajouter les vaisseaux de ligne, frégates et corvettes désarmées, dont la quantité est beaucoup plus facile à établir que l’état réel. 61 vaisseaux, 82 frégates, 259 corvettes ou bricks conservent encore un droit d’asile sur les registres de l’amirauté, mais combien en est-il, parmi ces bâtimens, qui soient en mesure de prendre la mer ? C’est ce qu’aucun document ne précise. L’amirauté a trouvé plus économique de vivre sur sa réputation incontestée de supériorité maritime que de l’exagérer au prix de nouveaux sacrifices. Sans doute, dans un cas pressant, une portion de cette flotte pourrait être restaurée, rajeunie et utilisée, mais il y a un décompte à faire, et rien n’en fournit les élémens[14]. Restons convaincus toutefois que le génie anglais ne serait pris au dépourvu par aucun besoin et ne resterait au-dessous d’aucune situation.
Pour le personnel, ame de tout service, l’Angleterre retrouve son importance. Notre cadre d’officiers, fixé par l’ordonnance de 1839 à 1,700 titulaires environ, n’a pas encore atteint ce chiffre. Au lieu de 200 élèves de première classe, il n’en existe que 50 ; les élèves de deuxième classe ne montent pas à 150. C’est donc sur un personnel de 1,500 officiers que roule le commandement de nos flottes. L’Angleterre en compte 6,226. Nous avons 33 amiraux, vice-amiraux ou contre-amiraux, elle en a 160, et ainsi du reste. Il est vrai que dans l’état-major anglais, comme parmi les vaisseaux dont on parlait tout à l’heure, se rencontrent beaucoup de vieux serviteurs et de glorieux vétérans, complètement retirés du service. La moitié des cadres se trouve dans cette catégorie, qui est ainsi une charge pour l’état sans pouvoir lui devenir d’aucun secours[15]. Cependant, cette élimination faite, il reste encore à l’Angleterre 3,000 officiers d’élite qui suffisent pour tous les besoins ordinaires et extraordinaires. Si l’on y joint les 24,165 matelots, les 9,000 soldats de marine et les 2,000 mousses ou pilotins qui, d’après les états présentés au parlement par M. O’Farral, composent aujourd’hui l’effectif des équipages, on arrive au chiffre de 38,000 hommes pour l’Angleterre contre celui de 25,000 hommes pour la France.
Telle est la véritable situation. L’énorme disproportion du matériel, entre les deux puissances, est plus fictive que réelle ; celle du personnel a une tout autre gravité. On construit promptement des vaisseaux, on n’improvise pas des marins. Certes, jamais, à aucune époque, le personnel de nos flottes ne se recommanda par des qualités plus solides, par une instruction plus profonde, par un courage plus réfléchi. La France peut s’en enorgueillir à bon droit. Mais ne nous aveuglons point : la qualité, dans une guerre, n’a jamais suppléé le nombre. Une marine militaire, pour être vraiment forte, a besoin de s’appuyer sur une vigoureuse marine marchande. C’est là sa pépinière, son école préparatoire. Tout s’enchaîne dans la vie des nations, et les instrumens de leur richesse sont aussi les instrumens de leur force. On a tout fait en Angleterre, on n’a rien fait en France pour se ménager cette ressource auxiliaire. L’Angleterre comprend que les développemens de son commerce concourent à la grandeur de sa politique ; la France est sollicitée par d’autres intérêts à ne placer ses intérêts commerciaux et maritimes qu’en seconde ligne. Qu’en résulte-t-il ? Pour recruter ses armées navales, l’Angleterre peut puiser à pleines mains dans une réserve de cent soixante mille matelots formés par la marine marchande, tandis que la France, réduite à exercer ce droit vis-à-vis de trente-cinq mille hommes de l’inscription maritime, ne peut rien demander au commerce sans le froisser et sans l’épuiser. Durant l’été dernier, le Montebello demeura enchaîné cinq semaines dans la rade de Toulon, faute d’un équipage suffisant, et pour le compléter il fallut opérer des enrôlemens forcés dans tous les ports du littoral. C’est dans ce fait décisif que réside la supériorité de l’Angleterre. Son pavillon couvre sur les mers une navigation de trois millions de tonneaux ; le nôtre n’en protége que six cent mille, chiffre stationnaire depuis douze ans. Le commerce anglais fait chaque jour de nouvelles conquêtes ; le nôtre va s’appauvrissant, et les tendances d’un vicieux système fiscal ne sont pas la moindre cause de cette décadence.
Point de fausses craintes, mais aussi point de fol espoir. Les forces navales des deux états se balancent, mais il y a inégalité dans les ressources particulières qui les alimentent. Cette situation exclut à la fois les pensées de découragement et les illusions de l’amour-propre ; elle démasque ce qu’il y a de perfide au fond des attaques du torysme anglais, qui n’exagère notre développement maritime que pour soulever à son occasion des animosités jalouses. Maintenant y a-t-il quelque initiative à prendre pour élargir les bases du recrutement naval et assurer à l’avenir d’imposantes réserves d’hommes ? Y a-t-il quelque chose à faire pour doter la France de cette population amphibie qui est l’orgueil et le nerf de l’Angleterre ? Voilà quels sont les points intacts du débat, dégagé des passions qui l’envenimaient. Mais ici se présente un autre côté de la question.
Une nation, si grande qu’elle soit, n’élève pas à la même hauteur la manifestation de ses deux forces militaires. Elle ne peut pas impunément viser à une double prépondérance, continentale et maritime. L’Angleterre semble avoir résumé ses prétentions dans l’empire des mers ; elle a cherché, au prix des plus grands sacrifices, à s’y assurer la suprématie. Dans tous les temps, sur tous les points, ses efforts ont été dirigés de ce côté. Aussi l’organisation de ses troupes de terre a-t-elle dû s’en ressentir. Son armée, dont l’effectif en Europe ne s’élève guère au-dessus de soixante mille combattans, est tout au plus une milice de surveillance et de police intérieure. La tactique et l’instruction y sont très arriérées, l’esprit de corps y manque, la discipline y est encore celle du bâton. En agissant de la sorte, l’Angleterre a eu la conscience du rôle qu’elle est appelée à jouer. Sa topographie insulaire paraissait si bien la défendre contre les entreprises continentales, qu’elle a dû placer dans ses flottes ses plus importans moyens d’attaque et de défense ; elle a cru qu’elle pouvait porter ses vastes ressources sur un point sans se découvrir sur les autres.
La France n’a ni les avantages ni les inconvéniens de cette assiette exceptionnelle. La place qu’elle occupe sur le continent lui affecte une destination dont elle n’a jamais décliné ni les devoirs ni les périls. L’histoire de l’Europe est désormais inséparable des grandeurs militaires de notre patrie, et l’instinct de la grande guerre s’est transmis dans nos familles comme un glorieux héritage. C’est là l’honneur du pays, ce sera son titre dans les siècles ; les autres expressions de sa force pâliront nécessairement devant celle-là. Faut-il maintenant imprimer à cette tendance un caractère exclusif et, se concentrant dans une prépondérance continentale, déserter toute prétention à un établissement maritime ? Personne n’oserait sérieusement donner ce conseil. Un peuple ne peut pas diviser son action, scinder son influence, enchaîner systématiquement les modes de manifestation de ses facultés. Tout empire ne vit que par un commerce étendu, et tout commerce, pour devenir florissant, pour échapper au bon plaisir du voisin, nécessite une imposante protection armée. De là une marine militaire, et aussi le désir de l’élever au niveau des autres marines. Convient-il alors de céder à ce sentiment et d’aspirer à la fois au sceptre de la terre et des mers ? On rencontre à cela d’autres obstacles. D’abord il est impossible que l’un des rôles ne nuise pas à l’autre et que d’énormes sacrifices d’argent ne soient pas la conséquence de tous les deux ; ensuite il faut éviter par-dessus tout d’épuiser la sève d’un pays dans les soins de sa défense, et de tendre ses ressorts les plus énergiques vers un but stérile de supériorité militaire. Ainsi la France roulerait dans ce dilemme impérieux de ne pouvoir se passer d’une marine considérable et de ne pouvoir la maintenir sans douleur ; elle serait condamnée peut-être au rôle de dupe qu’elle a joué de 1790 à 1815, et qui se réduit à ceci : construire des vaisseaux pour que l’Angleterre les confisque, supporter les charges d’un armement qui doit, à un moment donné et après une résistance glorieuse, tomber entre les mains de l’ennemi. Comment échapper à cette douloureuse alternative ? comment éloigner le retour de ce qui s’est vu sous l’empire, le contraste d’une gloire exorbitante sur terre et d’une impuissance radicale sur les mers ? Est-il quelque remède à cela ? Nous ne savons ; mais, s’il en existe un, il est dans le cœur même des choses. Le théâtre des guerres maritimes ne nous est pas favorable : que ne le déplace-t-on ? La séparation de nos forces de terre et de mer nous est funeste : que n’essaie-t-on de les identifier ?
On ne se préoccupe pas assez, en France, des modifications profondes que la vapeur est destinée à imprimer à toutes les relations humaines. Elle a déjà bouleversé la constitution de l’industrie ; avant qu’il soit peu, elle aura transformé les combinaisons de l’art de la guerre. L’une de ses premières victimes sera nécessairement la voile, cet agent imparfait et capricieux de la navigation actuelle. La révolution est flagrante, inévitable. La voile se sent vaincue ; elle oppose à peine, comme dernier obstacle, la raison d’économie, tandis que la vapeur dompte les fleuves, accapare le service des côtes et s’empare victorieusement du globe. Le principe est triomphant ; il ne reste plus qu’à en dégager les applications. Or, pour qui a la moindre expérience des guerres maritimes, il est évident que leur plus grande complication naît de l’usage de la voile. Cette mâture menacée par la tempête ou par les projectiles ennemis, ces toiles qui obéissent à des vents indociles, ce gréement lourd et confus, ce réseau aérien dont un boulet compromet l’harmonie, tout cet ensemble constitue moins une force qu’un embarras, et nécessite un personnel qui s’annule dans un rôle purement passif. Que les vaisseaux s’approprient un moteur moins précaire, plus sûr, moins chargé d’accessoires, et à l’instant même tous ces hommes, perdus pour la bataille, se retrouvent et s’utilisent. Il ne reste à bord que des artilleurs et des fusiliers. L’écouvillon ou le mousquet sont dans toutes les mains. Plus de ces accidens subits qui changent l’aspect d’un combat et qui composent l’imprévu de la tactique navale. La guerre devient sur les océans beaucoup plus simple qu’en terre ferme. On va vers l’ennemi ou bien on l’évite ; on s’aborde quand on le veut, et à peu près comme l’on veut. Le courage et les canons font le reste. Ce qu’on y a gagné, c’est une économie d’hommes, car tous sont à bord pour la guerre et non pour la manœuvre, et par suite un avantage évident pour la nation, qui compte plutôt sur la qualité que sur le nombre. L’appauvrissement de l’inscription maritime trouve là son correctif.
Cette thèse du renouvellement complet de la science et de la tactique navales nous conduirait trop loin. Il suffit qu’elle s’agite dans la tête des hommes compétens, d’où, tôt au tard, elle sortira complètement armée. La difficulté de défendre convenablement les parties vulnérables d’un vaisseau à vapeur, la machine et les roues, est un obstacle dont se jouera l’esprit humain. Les routines, les habitudes, seront plus opiniâtres, mais elles céderont devant la grandeur et l’énergie des résultats. La guerre n’a pas encore vu la vapeur à l’œuvre : il est probable que ce merveilleux agent ne s’y montrera pas inférieur à lui-même, et qu’il nous y ménage de nouvelles surprises. Le sentiment de ce fait existe déjà dans la conscience de l’Angleterre, qui paraît le craindre tout en lui cédant. Le Devonport Telegraph parlait dernièrement de la transformation d’un vaisseau de ligne en vaisseau à vapeur, et le paquebot Gorgon, qui fait le service du Levant, peut, avec ses canons-Paixhans du calibre anglais de 120, passer pour l’un de ces essais qui se font sourdement et à notre insu. Dans cette voie, l’Angleterre rencontre aussi son commerce qui s’identifie toujours avec les intérêts généraux du pays, et qui rend en ressources ce qu’on lui accorde en protection. Le commerce anglais, aidé du concours de l’état, a frayé la voie à la navigation transatlantique. En 1841, il aura, sur les diverses lignes de l’Océan, 34 bâtimens à vapeur d’une force de 15,438 chevaux, et qui peuvent être regardés, à cause de leurs dimensions, comme autant de navires de guerre[16]. Si donc on voulait développer ce côté de la question, les faits ne manqueraient pas plus que les argumens ; mais notre vue est ailleurs.
Si l’on modifie la science navale, il faut se garder de retomber dans les erreurs du passé. Pour tout homme de sens, n’est-ce pas un douloureux spectacle que celui de ces vaisseaux et de ces frégates qui ont pourri dans nos ports et sur nos chantiers, sans avoir vu seulement la mer, sans avoir rendu le moindre service ? Au bout de vingt cinq ans et même moins, un bâtiment est perdu ; il est à fondre ou à refaire[17]. La coque du Friedland, qui vient d’être lancé à Cherbourg, a été renouvelée trois fois : ce vaisseau seul nous coûte déjà 3 millions. On ne peut pas évaluer à moins de 200 millions le total de ce matériel sans cesse dépérissant, sans cesse renouvelé. Jamais la fable du tonneau des Danaïdes ne trouva une application plus vraie. Dans l’état des habitudes et des traditions, ce sacrifice est nécessaire, nous le savons ; il est compris au nombre de ceux que la France fait à sa grandeur et à son repos. Mais doit-il être éternel ? Voilà ce qu’il est permis de se demander. Allons plus loin. L’idéal de la tactique navale a été jusqu’ici de s’élancer en mer, tantôt par escadres, tantôt par vaisseaux détachés, et d’y chercher l’ennemi. Ces rencontres sont glorieuses, brillantes, pleines d’émotions, mais elles sont rarement concluantes dans les hostilités de puissance à puissance. Elles ont plus de retentissement par les douleurs qu’elles causent, que par les dénouemens qu’elles amènent. Un combat sur mer provoque rarement un résultat direct ; il n’agit que par contre-coup ; il n’aboutit pas. Or, s’il est une guerre possible de nos jours, c’est une guerre prompte, qui aille au but, qui tranche vite les questions. Les intérêts ne s’accommoderaient plus ni d’hostilités éternelles, ni de blocus implacables. Économie de moyens, célérité d’action, voilà ce qu’exigent les temps, ce que nous cherchons, ce que la vapeur doit atteindre.
L’invasion de la vapeur dans la marine militaire ne se proposerait donc pas pour fin suprême de continuer le passé dans sa tactique et avec un autre matériel ; mais elle poursuivrait avant tout ce double but décisif pour la France : de déplacer le théâtre de la lutte, et d’identifier nos forces de terre et de mer. Ce que l’on demanderait à la vapeur, ce ne sont pas des services directs, mais indirects. Même avec le plus vif désir de ne menacer, de n’intimider personne, il importe que nulle part on ne se croie complètement à l’abri de notre action continentale. La vapeur, comme moyen de transport, accréditera cette pensée. Elle aura aussi pour mission de réaliser la fusion de toutes les armes, leur assimilation, leur solidarité. Nos deux armées n’ont pas assez de liens, pas assez de points de contact ; elles sont trop circonscrites dans un service spécial ; elles ne se mêlent, elles ne se confondent pas comme elles le devraient. Cette identification, si elle s’opère, constituera l’unité des forces françaises et les élèvera à leur plus grande puissance. L’armée de mer assurera à l’armée de terre la rapidité des mouvemens et de nouveaux moyens stratégiques, en la portant à jour fixe sur les points qui appelleront sa présence ; l’armée de terre, par son concours, empêchera que les triomphes de l’armée de mer ne demeurent stériles et limités dans l’enceinte des vaisseaux. On devine sans peine les avantages inhérens à cette action simultanée ; mais le plus essentiel de tous sera de mettre la France en mesure de choisir le théâtre de ses luttes et de le fixer autant que possible sur la terre ferme. Point de combats sur mer, si ce n’est par exception et dans un cas forcé : la mer est un chemin et non un champ de bataille. C’est l’idée que Napoléon poursuivait au camp de Boulogne ; mais la vapeur lui manquait.
Ainsi, tout concourt à conseiller l’organisation de la vapeur, sur une grande échelle, et surtout comme moyen de transport. Seule, la vapeur réalisera ce que l’on peut nommer des armées flottantes, toujours prêtes à se jeter sur les points menacés ou à surprendre les côtes dégarnies. Dans sa liberté d’allures, la vapeur choisit à son gré les lieux propices, rase le rivage sans danger, trompe les croisières et atterrit avec confiance. Elle est devant Alexandrie ou les Dardanelles en sept jours, en huit sur les côtes de la Baltique, en Italie dans vingt quatre heures, au Canada dans quinze jours, en Afrique dans trois. Avec elle plus de ces fatigues inséparables des étapes militaires, plus de lourds convois, plus d’inutiles bagages. On ne promène plus la guerre chez des alliés suspects ou mécontens. ; on va droit au cœur du territoire ennemi. Grace à des équipages mi-partie de marins et de troupes de débarquement, aucun succès n’avorte, aucune victoire n’est perdue. Santa-Anna nous fait grace de ses insolens manifestes, et Rosas ne nous tient plus deux ans en échec avec sa poignée de gauchos à demi sauvages. La France peut disposer de toute sa force ; elle est libre de se porter en tout lieu, sur toutes les plages, et il n’est point de nation qui ait le droit de se croire à l’abri de ses atteintes. Les priviléges de topographie disparaissent ; aucun peuple ne peut dès lors concentrer ses ressources dans une seule arme sans devenir vulnérable quant aux autres. Deux actions s’exercent ainsi, l’une préventive, l’autre répressive ; on est à même de se faire respecter et d’agir vivement, de fonder son influence et de ne point éterniser les querelles.
Cet emploi de la vapeur et cette identification des deux armées, en donnant du jeu à nos masses militaires, entraîneraient forcément une grande économie d’hommes et de matériel. L’infériorité numérique des équipages actuels, et l’insuffisance de leurs moyens de recrutement, appellent, à ce titre, cette innovation, et la rendraient précieuse. Quant au matériel dormant, il est évident qu’il pourrait, sous ce régime combiné, subir des réductions importantes. Dans un cas pressant, un appel au commerce pourvoirait aux nécessités d’un transport étendu. La mer étant non plus un but, mais un moyen, non plus une destination, mais une route, il s’ensuit qu’on n’aurait besoin ni d’autant de vaisseaux ni d’autant de marins pour des fins purement expectantes. Si d’ailleurs la voile gaspille les hommes, la vapeur permet de les choisir et de les ménager. Plus on sonde les faits, plus il en jaillit de conséquences heureuses.
Loin de nous la prétention de donner à ces idées le caractère absolu d’un système. Nous savons qu’elles peuvent soulever des objections nombreuses ; nous savons surtout que rien n’est prêt en France pour leur réalisation. Laissons-les mûrir ; le temps est le premier élément des réformes. Les habitudes prises, les positions faites ne cèdent pas la place sans combat, et cette résistance est utile, car elle éclaire les questions. Les idées triomphent alors par l’évidence. Cependant, comme préparation même éventuelle, peut-être serait-il avantageux dès à présent de faire entrer, d’une part, dans l’instruction des troupes une tactique complète de l’embarquement et du débarquement, et de fixer cette science si elle ne l’est point encore ; d’autre part, d’encourager, par toutes les voies, les développemens de la navigation à vapeur. Ces deux vues se défendent et se justifient d’elles-mêmes. Déjà en Afrique on a pu comprendre le besoin d’exercer les soldats aux descentes et de les habituer à la vie du bord. Ce mouvement, cette existence alternée forment les courages et familiarisent l’ame avec tous les périls. C’est un apprentissage fécond et qui, mieux dirigé, pourrait l’être davantage. La manœuvre des débarquemens n’a eu jusqu’ici pour théâtre que des pays arriérés dans l’art de la guerre. La double invasion des Français en Égypte en 1797, et dans la régence d’Alger en 1830, eut lieu sans obstacle et s’exécuta presque par instinct. On ne rencontra sur le littoral aucune résistance sérieuse. Pour des positions plus disputées, il faudrait avoir des données fixes et méthodiques, une théorie complète. Un rivage peut se prendre d’assaut comme un fort : c’est un art tout entier dont il faut démêler les rudimens, ordonner l’ensemble, étudier les applications. Les divers modes d’attérage, la formation des chaloupes de descente, leur construction, le rôle de l’escadre qui protège ces mouvemens, l’ordre des lignes, la disposition des colonnes à terre, tout doit être combiné avec soin, enseigné, pratiqué, en laissant le moins possible à l’imprévu et au hasard. Quelques réglemens mixtes pour éviter les confusions de compétence entre les officiers de terre et de mer compléteraient ces mesures. Ainsi, sans poursuivre hardiment et systématiquement la fusion, on en préparerait du moins les moyens élémentaires.
Quant à l’impulsion à donner à la navigation à vapeur, on ne saurait y prêter une attention trop sérieuse. Sur ce point encore, le commerce anglais précède son gouvernement et lui ménage de puissantes ressources. Cent cinquante gros steamers d’une force de vingt cinq mille chevaux pourraient, dans un cas donné, passer en Angleterre d’un service particulier au service de l’état. Notre commerce n’a rien à nous offrir de pareil : en dehors des bateaux de rivières, c’est à peine s’il entretient trente paquebots de moyenne dimension[18]. Cependant la vapeur, employée comme transport, exige un grand matériel qui peut et doit être fourni surtout par les armateurs nationaux. La guerre utiliserait ainsi ce que, sous tout autre régime, elle eût condamné à l’inaction, et l’état s’épargnerait l’entretien de deux cents bâtimens de convoi empruntés à ses ports de commerce. Quelques vaisseaux, quelques frégates à vapeur seraient l’ame de ces flottes, leurs guides, leur escorte, ils opéreraient des diversions puissantes afin de masquer les opérations et de favoriser les mouvemens des transports. Peu nombreuse, mais compacte, cette marine agirait simultanément et toujours dans un but de descente. Il nous semble que c’est là un système qui déconcerterait bien des résistances. Malheureusement, il implique la nécessité de grandes existences en bâtimens à vapeur de commerce, et c’est précisément ce qui nous manque aujourd’hui. Ajoutons qu’on n’a rien su faire pour exciter dans ce sens la spéculation particulière, et qu’on a tout fait au contraire pour la décourager. Depuis dix-huit mois, les Anglais sillonnent l’Atlantique avec leurs moteurs à feu, et nous en sommes encore à nous demander si la France les y suivra. Un seul port de mer, Marseille, avait offert d’entrer hardiment dans cette voie en mettant six millions pour enjeu, et, au lieu de s’associer à cet élan, le gouvernement hésite encore, moins préoccupé de nos grands intérêts maritimes, que de petites querelles de rivalité topographique[19]. On ne sait rien trancher, rien finir dans notre pays. Les affaires ont besoin surtout de décisions promptes. La vigueur, la célérité d’action des pouvoirs publics n’ont pas été les moins énergiques mobiles de la fortune de l’Angleterre.
Souvent aussi l’intérêt fiscal vient se mettre à la traverse de l’intérêt politique et régner là où il devrait obéir. Naturaliser en France la fabrication des moteurs à feu, c’était, non-seulement émanciper notre industrie, mais encore assurer notre défense. Tributaires des Anglais pour les machines à vapeur, que serions-nous devenus dans un cas de guerre ? Qui aurait armé nos bateaux ? qui aurait entretenu leurs appareils ? Tout conseillait alors d’éveiller, de protéger, de doter les entreprises de ce genre. Quelques essais avaient eu lieu et se continuent : à Arras, M. Valette ; à Mulhouse, M. Kœchlin à Paris, M. Cavé ; à La Ciotat, M. Benet ; au Creusot, M. Fournel. Des capitaux particuliers s’étaient courageusement engagés dans une question d’utilité générale. Il ne s’agissait plus que de seconder franchement cette initiative. L’administration ne l’a fait qu’à demi ; elle n’a pas su pour une exception aussi méritante, renoncer à ses soupçons, déroger à ses tendances. On lui demandait l’exemption d’un droit excessif sur l’outillage. Elle a refusé. On lui demandait la faculté de travailler à l’entrepôt la tôle anglaise, moins coûteuse que la nôtre, et de la réexporter enrichie de la plus-value que lui aurait donnée la main d’œuvre nationale. Elle a refusé. Il a fallu que l’opinion lui forçât la main pour la restitution du droit sur les machines destinées à un service entre le littoral français et le littoral étranger. En un mot, l’attitude du gouvernement vis-à-vis des nouvelles usines n’a pas signifié la protection, mais la défiance. Les administrations fiscales ont, en France, des qualités précieuses, de l’ordre, de la loyauté, du dévouement ; mais nous ne croyons pas que sur tous les points, leurs lumières soient à la hauteur de leur zèle. Dans les limites étroites où elles se meuvent, que de progrès n’ont-elles pas étouffés, que de sources de richesse n’ont-elles pas taries ! L’Angleterre ne se suicide pas de la sorte. Sa bienveillance vis-à-vis des établissemens qui intéressent la grandeur du pays n’est ni étroite ni conditionnelle. Elle fait noblement et largement les choses. Pour les lignes de grande vapeur, on ne la voit pas marchander, même les millions, et quand il s’agit d’introduire dans les machines des perfectionnemens chanceux, elle intervient et supporte les frais d’expérience. Aussi améliore-t-elle chaque jour ses types, soit dans la disposition, soit dans l’ajustage, tandis que nos ateliers en sont encore à copier servilement les modèles du Sphinx.
Il faut le dire : les habitudes de l’administration ne sont pas le seul obstacle que rencontre l’essor de la fortune nationale, et les pouvoirs publics doivent encourir leur part de responsabilité. L’éducation de notre chambre des députés sur les questions d’influence extérieure, de mouvement commercial et maritime, est encore à faire. Le sentiment des grands intérêts de la France n’a pas pénétré dans tous les esprits. Les intérêts les plus voisins sont les seuls qui touchent vivement ; on n’a pas la conscience complète des autres, on se défie de l’inconnu, on ne veut rien livrer au hasard. Dans de certaines limites, c’est là une réserve louable ; mais systématiquement exercée, elle exposerait le pays à une déchéance. Ce serait, par exemple, une grave imprévoyance que de dire : La France est essentiellement agricole, on peut sans danger négliger le soin de son commerce ; la France est surtout continentale, on peut placer en seconde ligne les destinées de sa marine. Le résultat d’un calcul pareil serait l’anéantissement de l’un de nos modes d’influence et l’énervement de l’autre. Tout se tient dans la fortune des états. L’agriculture, qui s’est habituée à voir dans le commerce un ennemi, ne pourrait vivre sans lui ; le commerce à son tour a besoin, pour prospérer, d’une grande et lointaine irradiation, et la marine militaire ne pourrait tenir son rang, si la marine marchande ne lui ménageait pas de précieuses réserves de matelots. Commerce, état naval, colonies, voilà des intérêts qui ne peuvent se diviser, et qu’il ne faut pas frapper en aveugles, car ce serait un sacrifice sans compensation.
Depuis quelques années, il circule en France des préventions sourdes, mais actives contre toute colonisation lointaine et contre la marine, que l’on accuse de complicité dans les tendances coloniales. On semble croire que notre nationalité peut, sur tous les points, se suffire à elle-même, et qu’elle n’a pas besoin d’aller chercher au dehors les ressources qu’elle trouve dans son rayon continental. Qu’est-ce à dire ? La nature aurait donc donné en pure perte quatre cents lieues de côtes à notre territoire, et un magnifique littoral sur deux mers : sur l’Océan, l’espace sinueux qui se prolonge de Dunkerque à Bayonne ; sur la Méditerranée, celui qui se développe entre Antibes et Port Vendres ; elle lui aurait donné inutilement des havres, des rades bien abritées, des rivières praticables pour les plus grands vaisseaux, et une race de marins qui rivalise avec les plus fortes et les plus braves que l’on connaisse. Tous ces avantages qui sont sous notre main, à notre portée, nous y renoncerions gratuitement, systématiquement. Des deux ascendans, l’un continental, l’autre maritime, nous déserterions le plus fécond, le seul qui, dans l’ère tranquille que traverse l’Europe, puisse tenir en haleine l’activité nationale, éprouver les courages, agrandir les idées ; celui qui embrasse et résume tous les intérêts pacifiques sans exclure un seul de nos grands intérêts guerriers, celui qui crée les ressources que l’autre doit détruire, et qui, au moment décisif, lui sera un énergique et puissant auxiliaire. Ce serait de la démence. À l’appui de ce sacrifice, on invoque les souvenirs de l’empire, et l’on rappelle ce que Napoléon fit de la France comprimée par un blocus. Mais Napoléon, surpris par les circonstances, leur opposa un système qui ne devait, qui ne pouvait pas survivre aux nécessités dont il était issu. Il savait d’ailleurs, il comprenait où était son côté vulnérable, et il exagéra l’une des deux manifestations de la force française, précisément pour déguiser l’absence complète de l’autre. Quand il le put, il rêva des gloires maritimes. Ce fut lui qui le premier nomma la Méditerranée un lac français, ce fut lui qui imposa au directoire l’expédition d’Égypte, cette brillante témérité coloniale, lui enfin qui ne désespéra pas de reconquérir Saint-Domingue sur la fièvre jaune et les populations noires. Entre toutes les puissances qu’il combattit, sa plus grande haine fut pour celle qu’il ne put jamais atteindre ; et n’est-il pas avéré aujourd’hui que le fantôme ennemi qu’il poursuivait à travers les champs de bataille de l’Allemagne et les steppes désolées de la Russie, c’était la prépondérance navale de l’Angleterre ?
Ce qui effraie surtout les esprits méticuleux et timides dans les expériences coloniales, ce sont les dépenses qu’elles occasionnent. On calcule par francs et centimes ce que coûte un établissement lointain ; on lui ouvre un compte par doit et avoir, on fixe son prix de revient, et, suivant le résultat, on l’absout ou on le condamne. Une pareille arithmétique n’est pas seulement d’une politique étroite, elle repose en outre sur un procédé erroné. Elle n’atteint que les chiffres ostensibles ; l’ensemble d’une évaluation lui échappe. Ainsi, une colonie onéreuse à l’état peut être très fructueuse pour ses administrés. Le trésor en souffre peut-être, mais qu’importe, si la richesse générale du pays s’en accroît ? L’état retrouvera tôt ou tard, à l’aide de l’impôt, les avances qu’il aura semées : il les retrouvera fécondées par le génie particulier. Cette guerre de centimes est celle que l’on a faite et que l’on fait encore à la colonisation d’Alger. Chaque année, la dignité, la grandeur militaire du pays, courent le risque de se trouver à la merci d’une addition, et l’avenir de notre conquête peut dépendre du moindre crédit supplémentaire. C’est là une situation fâcheuse et qui prouve à quel point l’on manque, en France, d’esprit de suite et de grandeur de vues. La possession d’un royaume dans le nord de l’Afrique est-elle donc si peu de chose qu’on refuse de l’acheter au prix de quelques sacrifices ? Où trouverait-on, pour nos soldats, un meilleur théâtre d’apprentissage, pour nos populations exubérantes une issue plus utile, pour notre activité nationale un plus beau terrain ? Nous nous plaignons de ce que coûte notre établissement d’Afrique ; mais sait-on bien ce qu’a coûté l’Inde aux Anglais ? La seule guerre des Birmans, liquidée par la compagnie, figure sur ses registres pour 110 millions, et ces 110 millions n’ont abouti qu’à l’occupation stérile de la ville de Rangoun, qui va être prochainement évacuée. On ne nous a pas encore pris Alger. En 1756, le sultan Chigari-el-Doulad s’empara de Calcutta, que Clive reconquit avec peine dix-huit mois après. Nous n’avons eu encore qu’Abd-el-Kader à combattre ; les Anglais eurent à réduire successivement Hyder-Aly en 1776, Tippoo-Saëb de 1784 à 1798, Mahadi-Scindia de 1800 à 1806. En 1818, un siècle et demi après l’installation définitive de la compagnie, les Maharattes résistaient encore dans les plaines de Pounah. Six ans après, c’était le tour des Birmans ; hier, on se battait devant Kaboul ; demain on se canonnera dans les mers de Chine. En dehors des charges de l’occupation armée, Alger n’a pas présenté celle de désastres commerciaux. La compagnie des Indes suspendit trois fois ses paiemens, et, en 1773, il fallut que le gouvernement vînt à son secours. Que l’on compare maintenant les deux occupations et que l’on dise quelle est la plus coûteuse et la plus militante.
Si l’on veut savoir quelles compensations présentent de tels sacrifices, l’Angleterre est encore là pour en témoigner. Certes, si, comme on l’assure, la passion d’agrandissemens lointains était onéreuse et fatale, l’Angleterre devrait en être, à l’heure qu’il est, au repentir et aux regrets : elle devrait pleurer sur ses ruines. Il est peu de contrées où elle n’ait mis les pieds, peu de territoires où elle ne se soit maintenue. Elle a poussé ce système jusqu’à l’abus, jusqu’à l’excès, sans témoigner un seul instant qu’elle fût ni lasse ni assouvie. Qu’en est-il résulté ? Qu’elle couvre aujourd’hui les mers de son pavillon, qu’elle commande à la dixième partie du globe, dont elle est à la fois la manufacturière et la tutrice. À chacun de ses succès coloniaux a répondu un succès industriel, et ses moyens de production se sont toujours ainsi tenus à la hauteur des besoins qu’elle avait à satisfaire. Le métier à tisser d’Arkwright, l’immortel mécanisme de James Watt, tout est venu servir à point les intérêts de sa grandeur et l’essor de sa fortune. Elle a été hardie, téméraire, dira-t-on ; non, elle n’a été que patiente et courageuse. Il suffit de vouloir aussi fortement, aussi obstinément pour maîtriser le succès. En toutes choses, le pire des expédiens, c’est de s’arrêter à mi-chemin. Qu’on ne s’engage pas légèrement, rien de mieux, mais, une fois engagé, il faut marcher résolument devant soi, sans se défier du but, sans épiloguer sur les moyens. Ainsi se conduisent les peuples qui ont quelque maturité dans l’esprit, quelque étendue dans le regard, quelque décision, dans le caractère.
C’est dans cette ligne d’efforts que nous devrions nous tenir pour la colonisation d’Alger, en laissant là des discussions énervantes, en oubliant le passé, en songeant à l’avenir. Il y va de notre honneur, et non pas seulement de cet honneur qui consiste à persévérer, sous peine d’humiliation, dans une fin que l’on s’est proposée. Il y va de notre honneur, comme agens nécessaires dans le mouvement de la civilisation générale. Quelles que soient les vues mercantiles et personnelles de l’Angleterre il est évident qu’à son insu et par la force des choses, elle exerce aujourd’hui une grande influence sur l’éducation du monde. Ses mœurs, sa langue, sa civilisation, pénètrent partout avec ses produits. L’Asie est presque anglaise ; l’Océanie l’est complètement ; la moitié de l’Amérique a ce caractère. Il ne reste à l’influence française, comme théâtre d’action, que le nord de l’Afrique. Comment pourrait-on penser à l’abandonner, à le discréditer, à l’amoindrir ? Ce n’est pas tout que de passer pour un peuple doué d’initiative, pour d’excellens conducteurs d’idées : il faut que cette faculté trouve sa sanction dans les faits et se prouve par les résultats. Si le terrain est ingrat, la gloire n’en sera que plus grande. De semblables tâches, n’écheoient d’ailleurs qu’à des races dignes de les remplir : la France en cela hérite directement de Rome. Habituons-nous donc à voir sous un jour favorable cette propagande lointaine, qui a valu à l’Angleterre de si belles destinées ; persuadons-nous qu’un grand peuple a besoin de se manifester au dehors, d’y verser les inspirations de son génie, les fruits de son activité ; qu’il n’y a ni honneur ni profit pour un empire à concentrer péniblement son action, à opérer laborieusement sur lui-même, à s’entourer d’une grande muraille. L’isolement social est un système plus funeste encore que ne l’est l’isolement politique.
On voudrait, en vain nous effrayer des jalousies de l’Angleterre. En fait d’entreprises coloniales, l’Angleterre a aujourd’hui tout ce qu’elle peut supporter, et elle commence à comprendre qu’elle ne peut pas suffire seule à l’entière civilisation du globe. Le rôle qu’elle a majestueusement soutenu jusqu’ici est un peu lourd pour ses épaules ; elle sent qu’elle a à la fois charge de besoins, et charge d’ames ; elle reconnaît que tout n’est pas bénéfice dans ce travail, elle convie des auxiliaires au partage de sa magnifique mission. Le champ ne manque point aux pas humains. Si le vieux continent regorge d’hommes, le reste de la terre est encore dépeuplé. Le sol le plus fertile qui soit sous le ciel, les plaines de l’Orénoque et des Amazones sont incultes et désertes. Il y a foule sur un point, vide sur tous les autres. N’est-ce pas la justification de cette loi d’unité qui lie les diverses parties du globe, et l’explication de ce mouvement qui, après avoir appelé sur l’Europe l’excédant des populations asiatiques, pousse aujourd’hui, vers l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie, la partie aventureuse et entreprenante des populations européennes ?
Ce mouvement extérieur, cet esprit d’entreprises, bien servis, bien appliqués, seraient de nature à influer d’une manière décisive sur les grandeurs maritimes de la France. L’intérêt colonial, l’intérêt commercial, dominent la question navale et ne sauraient s’en séparer. On ne peut pas avoir des flottes considérables sans un grand réservoir de marins, et ces marins, la navigation marchande seule les prépare. Or, la navigation marchande, c’est le rayonnement au dehors, c’est un état colonial. Répétons ces vérités vulgaires afin qu’on n’ait aucun prétexte pour les méconnaître ou les ignorer. Sans doute l’emploi de la vapeur, mieux approprié, peut suppléer à quelques-unes de nos nécessités militaires ; mais le besoin d’expansion ne se fera alors que plus vivement sentir dans l’ordre des relations pacifiques. À l’organisation guerrière des nations semble succéder une condition purement laborieuse. Tâchons de lui donner quelques allures de grandeur ; transportons dans le domaine des faits tout ce qu’ils peuvent admettre d’instincts généreux et de nobles mobiles. C’est le moyen de relever notre nouveau rôle et de conserver quelques étincelles de cet idéal qui se retire, de la vie humaine.
- ↑ In-8o, Imprimerie royale.
- ↑ In-4o, ibid.
- ↑ Voici leurs noms, leur force et leur âge :
Montebello (1822), Océan (1818), Souverain (1819), tous les trois de 120 canons. — Hercule (1833), de 100 canons. — Iéna (1832), Inflexible (1839), Suffren (1829), de 90 canons. — Diadème (1829), Santi-Petri (1820), Jupiter (1831), Neptune (1818), Algésiras (1824), de 86 canons. — Trident (1820), Généreux (1831), Alger (1815), Triton (1823), Marengo (1822), Ville de Marseille (1825), Scipion (1823), Couronne (1824), Nestor (1823), de 80 canons. — Les trois vaisseaux désarmés sont la Couronne, le Nestor et l’Algésiras.
Ainsi, durant la restauration, on a lancé 17 vaisseaux, plus le Majestueux, que l’on démolit ; l’Austerlitz, le Wagram, le Duquesne, le Magnifique, qui ne figurent plus sur les états officiels de la marine ; le Trocadéro, qu’un incendie a détruit ; le Superbe, qui s’est perdu dans le Levant : en tout 24 vaisseaux. Depuis 1830, on n’en a lancé que 4, et on en a perdu 2.
- ↑ Friedland, Ville de Paris, Louis XIV, Valmy, de 120 canons. — Fleurus, Tage, Navarin, Henri IV, Eylau, Austerlitz, Jemmapes, Annibal, Duguay-Trouin, Ulm, Turenne, Wagram, de 100 canons. — Tilsitt, Breslau, Bayard, Donawerth, Duguesclin, Fontenoy, Hector, Sceptre, Castiglione, de 90 canons. — Total 25.
- ↑ Armées : Belle-Poule, de 60 canons. — Minerve, de 58 canons. — Amazone, Atalante, Artémise, Andromède, Gloire, de 52 canons. — Hermione, Thétis, Armide, Magicienne, de 46 canons. — Junon et Médée, armées en flûtes. — Désarmées : Iphigénie, Indépendante, Melpomène, Didon, Uranie, de 60 canons. — Guerrière, Pallas, de 58 canons. — Sirène, Néréide, de 52 canons. — Cléopâtre, Danaé, Reine Blanche, de 50 canons. — Flore, Bellone, Aurore, Victoire, Proserpine, Astrée, de 46 canons. — Africaine, de 40 canons. — Total 34.
- ↑ Surveillante, Renommée, Andromaque, Sémillante, Forte, Persévérante, Vengeance, Entreprenante, Sémiramis, Duchesse d’Orléans, de 60 canons. — Poursuivante, Virginie, Némésis, Zénobie, Alceste, Pandore, Sibylle, de 50 canons. — Pénélope, Héliopolis, Chaste, Jeanne d’Arc, de 40 canons. — Total 18.
- ↑ Caméléon, Lavoisier, Véloce, de la force de 220 chevaux. — Sphinx, Crocodile, Fulton, Chimère, Styx, Météore, Vautour, Phare, Achéron, Papin, Cerbère, Tartare, Etna, Cocyte, Phaéton, Ardent, Tonnerre, Euphrate, Grégeois, Grondeur, de 160 chev. — Ramsès, de 150 chev. — Castor, de 120 chev. — Brasier et Flambeau, de 100 chev. — Coursier et Érèbe, de 60 chev. — Plus 10 paquebots de 160 chevaux, appartenant à l’administration des postes. — Total 39.
- ↑ Asmodée, Gomère, de 450 chevaux. — Infernal, de 320 chevaux. — Gassendi, Pluton, de 220 chev. — Brandon, Tenare, de 169 chev. — Total 7.
- ↑ D’après les calculs de M. Tupinier, la valeur totale de notre armement naval, dans les conditions de l’ordonnance de 1837, doit s’élever à 339,829,000 francs. Le matériel en magasin était de 298,468,000, en 1837, ce qui constitue une différence en moins de 41,361,000. Divers crédits ont depuis contribué à niveler cette situation. L’allocation portée au budget de 1840 pour les différens services de la marine monte à 72,015,800 fr.
- ↑ Britannia, Howe, de 120 canons. — Imprenable, Princesse Charlotte, de 104. — Rodney, de 92. — Asia, Powerfull, Ganges, de 84. — Vanguard, Bellerophon, de 80. — Donegal, de 78. — Revenge, de 76. — Implacable, de 74. — Belle-Isle, Bembow, Blenheim, Edinburg, Hastings, Wellesley, Melville, Pembrock, Minden, de 72. — Total 22.
- ↑ Trafalgar, Victoria, Saint-George, de 120 canons. — Algiers, de 110. — London, Aboukir, Albion, de 90. — Centurion, Collingwood, Colossus, Goliath, Majestic, Mars, Superb, de 80. — Hindostan, de 78. — Cumberland, Boscawen, de 70. — Total 17.
- ↑ Armées : Winchester, Président, de 50 canons. — Druid, Stag, de 44. — Blonde, Seringapatnam, de 42. — Inconstant, Pique, Castor, Cleopatra, de 36. — Carysford, Actéon, Alligator, Andromache, Calliope, Conway, Crocodile, Herald, North Star, Samarang, Talbot, Tyne, Vestal, Volage, Curaçoa, de 26. — En construction : Worcester, Chichester, Alexander, de 50. — Amphion, Active, Chesapeake, Constance, Flora, Sibylle, de 36.
- ↑ Armés : Cyclops, Firebrand, Flamer, Gorgon, Spittfire, Stromboli, Vesuvius, Medea, Phoenix, Salamander, Lucifer, Médusa, Merlin, Meteor, Shearwater, Urgent. — En construction : Alecto, Ardent, Dower, Lizard, Locust, Medina, Polyphemus.
- ↑ L’United service Journal porte la valeur totale du matériel naval de l’Angleterre à 40 millions livres sterl., chiffre qui nous paraît exagéré. Dans le budget de 1840, présenté par M. Charles Wood, et soutenu par M. O’Farral, les divers services de la marine figurent pour une allocation de 659,051 liv. sterl. (141,476,275 fr.).
- ↑ En retraite ou à la demi-solde, l’Angleterre compte 1,065 capitaines, 877 commandans, 819 lieutenans, 300 maîtres, 310 quartiers-maîtres. Total 3,371.
- ↑ Ces paquebots se distribuent ainsi qu’il suit : — 4 appartenant à la compagnie Clunard, de 420 chevaux de force chaque, desservant la ligne de Liverpool à Halifax, avec une subvention de un million et demi ; — 20 appartenant à la grande compagnie des banquiers, sur lesquels 2 de 300 chevaux, allant de Glasgow à Boston, 13 de 400 chevaux, desservant la ligne de Falmouth ou Southampton à l’Amérique centrale, la Havane, le Mexique, la Nouvelle-Orléans et la Jamaïque ; — 5 à 500 chev., allant de Londres à Alexandrie et de Londres aux Indes orientales, le tout avec une subvention annuelle de 6 millions. — Les autres steam-ships sont : Great-Western (450 chev.), British-Queen (500 chev.), Liverpool (460 chev.), New-York (600 chev.), United-Kingdom (600 chev.), President (600 chev.), Company of New-York, paquebot en fer (700 chev.), Cleopatra, à la compagnie des Indes (400 chev.), Queen of the East, Vernon (220 chev..), Victoria (500 chev.).
Outre ces gros bâtimens, l’Angleterre compte 500 paquebots de petite dimension sur son littoral ou sur ses fleuves, présentant un tonnage total de 175,630 tonneaux et une force collective de 68,145 chevaux.
- ↑ Nous avons en ce moment en refonte 121 bâtimens de guerre ; la valeur des coques, supposées neuves, est de 29,376,000 fr. On compte parmi ces bâtimens 8 vaisseaux, 18 frégates, 13 corvettes ; les autres sont des bâtimens d’un ordre inférieur. La somme consacrée à leur restauration, en 1840, est de 723,000 fr.
- ↑ Le nombre total de nos bateaux à vapeur, destinés tant à un parcours fluvial qu’aux services du littoral, est de 165, représentant une force de 16,000 chevaux. Le total de l’Angleterre dans les mêmes catégories est de 531, représentant 68,000 chevaux.
- ↑ Cet obstacle n’est pas le seul. M. le président du conseil est retenu en outre par le désir de s’assurer si on ne pourrait pas faire des paquebots transatlantiques une véritable escadre à vapeur, assez forte d’échantillon pour prêter le flanc à des frégates ou à des vaisseaux de ligne. Nous craignons que ce ne soit là trop poursuivre, trop embrasser à la fois. L’essentiel pour la France est de demander d’abord à la vapeur une escadre de transport. Le reste est une idée grande et belle, mais elle appartient à l’avenir, aux futurs contingens. Les moyens de réalisation manquent ; on ne sait comment on pourra concilier les conditions de force et de vitesse.