- TIERNEY (G.)
- TIERNEY (G.)Gene TIERNEY 1920-1991Matérialisation d’un rêve, issue du royaume des morts, créature jamesienne retrouvant jeunesse et beauté au moment de passer «de l’autre côté du miroir», Gene Tierney aura acquis par ses deux rôles les plus marquants, dans Laura et L’Aventure de Mme Muir , une aura fantastique, voire surnaturelle, qui la distingue des autres stars de sa génération. D’une beauté rare et délicate, elle aurait pu être cantonnée dans des rôles exotiques qui firent la gloire éphémère de Dorothy Lamour ou Maria Montez, si elle n’avait croisé sur sa trajectoire des réalisateurs comme Josef von Sternberg, Ernst Lubitsch ou Otto Preminger, tout en développant une sensibilité peu commune.Sa situation familiale prédisposait Gene Tierney à devenir une de ces jeunes filles riches et inféodées aux règles de la bonne société américaine, célébrées par Scott Fitzgerald dans ses nouvelles. Éduquée dans les meilleurs collèges de Suisse, elle découvre l’art dramatique et se retrouve quelque temps plus tard... sur les scènes de Broadway. Darryl F. Zanuck, directeur de la Twentieth Century Fox, la remarque et signe avec elle un contrat de sept ans.Sa carrière débute sous la direction de Fritz Lang dans Le Retour de Frank James (1940), où l’usage du technicolor rehausse particulièrement son physique. Elle possède déjà les qualités intrinsèques d’une star: vulnérabilité et inquiétude. Et elle n’est pas une simple image, comme elle le prouve dans un rôle de sourde-muette, dans le film de John Ford, La Route du tabac (1941), d’après le roman d’Erskine Caldwell, dans La Reine des rebelles (1941), où elle est un Billy le Kid au féminin, et surtout dans Shanghai Gesture (1941), où l’univers baroque et déliquescent créé par Josef von Sternberg lui permet de bousculer son apparence de jeune fille bien élevée. Son jeu s’affine, et Gene Tierney croise un autre «grand», Ernst Lubitsch, dans Le ciel peut attendre (1943) où elle joue subtilement avec la fausse logique du temps. Vient ensuite la rencontre avec Otto Preminger sur le plateau de Laura (1944). Le réalisateur, qui remplace Rouben Mamoulian, va tourner un des plus beaux films noirs de la décennie, transcendant le thriller psychologique de Vera Caspary. Gene Tierney se voit immortalisée, telle Joan Bennet dans La Femme au portrait ou Jennifer Jones dans Le Portrait de Jennie , par le biais d’un tableau particulièrement énigmatique, que l’on verrait bien vieillir à sa place, si Laura ne revenait pas d’entre les morts pour prouver qu’elle avait fait l’objet d’une méprise et qu’elle était bien en vie... Laura devient vite le film de référence de l’actrice, qui s’efforce de lui trouver un contrepoint avec Péché mortel de John M. Stahl (1946). Cette nouvelle facette de son talent lui permet d’incarner une femme éprise d’absolu, totalement destructrice. Troublante composition qui lui vaudra une nomination aux oscars. Elle enchaîne avec L’Aventure de Mme Muir , de Joseph Mankiewicz (1947), où elle tombe amoureuse d’un fantôme et attend la fin de sa vie pour se retrouver enfin à sescôtés.Le déséquilibre affectif de Gene Tierney devait marquer défavorablement sa carrière. Si elle tint encore par la suite des rôles intéressants, ceux-ci furent moins centrés sur elle. Ainsi pour Le Fil du rasoir d’Edmund Goulding (1946), Les Forbans de la nuit de Jules Dassin (1950), ou Le Mystérieux docteur Korvo , de nouveau avec Preminger (1949). Au début des années 1950, incapable de dissocier le réel de la fiction, l’actrice sombre dans une profonde dépression et, en guise de thérapeutique, des psychiatres lui conseillent de trouver un emploi bien ancré dans le quotidien. Partiellement guérie, mieux épaulée sentimentalement, elle retrouve le chemin des studios — aussi bien de la Metro-Goldwyn-Mayer que de la Twentieth Century Fox. La magie, cette fois, opère moins, Gene Tierney est déjà classée parmi les stars en déclin. Elle prend de nouveau ses distances, mais Otto Preminger la rappelle en 1962 pour Tempête à Washington . Elle est plus mûre, toujours émouvante et aurait pu alors trouver un nouveau souffle. Elle tournera son dernier film en 1965: Trois Filles à Madrid , un remake de La Fontaine des amours , un grand succès de la Fox.Bien plus qu’une icône pour cinéphiles, Gene Tierney aura illustré un cas exemplaire et singulier à la fois: pur produit des studios, elle fut totalement victime de «démons intérieurs» qu’elle parvint à exorciser partiellement, si l’on se réfère à son autobiographie, Self Portrait (1979), témoignage lucide de ce mythe aujourd’hui vide de sens, une «star de Hollywood».
Encyclopédie Universelle. 2012.