- RHODES
- RHODESL’île de Rhodes et la ville qui porte son nom se trouvent au confluent de l’Occident et de l’Orient. Terre chargée d’histoire, elle est le résumé brillant et dramatique des empires qui se sont succédé depuis trois millénaires dans cette région du monde. Rhodes n’a pas cessé d’être le symbole de l’histoire à laquelle elle a participé d’une manière éminente et positive. Avec le recul du temps, Rhodes peut être considérée comme un lieu privilégié où l’histoire s’est révélée, dans ses magnificences et ses tragédies. Les oracles sibyllins se feront les interprètes de cette terre bénie des dieux, qui prophétiseront: «Et toi Rhodes, fille du dieu du Jour, tu seras pendant longtemps une terre indépendante et tu posséderas d’immenses trésors.»Un lieu privilégié, l’île du SoleilSituée à une douzaine de kilomètres des côtes turques, Rhodes commande l’accès maritime du Proche-Orient et de l’Égypte et couronne au sud-est la dorsale des petites îles grecques qui s’étend dans la mer Égée. Sa latitude et sa situation, à l’écart des grands vents, permettent à ses habitants de jouir d’un véritable microclimat, de type méditerranéen, plus doux en hiver et moins chaud en été que sur le continent grec. L’abondance relative des pluies (près de un mètre de précipitations annuelles) suscite une végétation variée et même luxuriante qui contraste avec la sécheresse et la pauvreté des îles et des rives voisines. Son relief de petites collines calcaires et de montagnettes, où culmine le mont Atavyros (1 250 m), donne naissance aux deux fleuves, l’Asclipiano et la Gladhoura, qui arrosent le territoire.Cette étape presque édénique sur le chemin des âpres déserts du Proche-Orient a été chantée par les Anciens et par les voyageurs. «Belle comme le Soleil lui-même», ainsi la définit l’écrivain gréco-romain Lucien au IIe siècle après J.-C., et la mythologie l’a rendue légendaire: lors du partage du monde entre les différents dieux, elle surgit lentement de la mer et fut attribuée, immortel hommage, à Hélios, l’astre des astres.Des premières invasions au cosmopolitisme (XVe-IVe s.)Envahie, entre le XVe et le IXe siècle avant notre ère, par les grandes migrations achéennes, doriennes et mycéniennes, Rhodes se trouve dès le VIIe siècle au sommet de la civilisation grecque archaïque. Sa situation insulaire entre le Péloponnèse et l’Asie, entre l’Ionie et l’Égypte favorise le développement du commerce. Elle lance sur le marché méditerranéen des armes et des poteries, grâce aux nombreux vaisseaux construits dans ses chantiers navals. Les Rhodiens complètent les bénéfices tirés de cette exportation industrielle par la vente à l’étranger des produits de leur terre, l’olive, la figue, l’huile et le vin. Peuple de commerçants, dotés d’esprit d’entreprise, les Rhodiens participent activement à l’expansion coloniale aux VIIe et VIe siècles et fondent des villes qui deviennent rapidement prospères comme Parthénopè en Italie (Naples) et Rhodanousia (Trinquetaille) en face d’Arles. Rhodes devine surtout l’importance stratégique de la Sicile dont la situation, entre l’Italie, l’Espagne et l’Afrique du Nord, est un peu analogue à la sienne, et qui constitue une base agricole et commerciale de premier plan tournée vers les pays d’Europe occidentale: les Rhodiens aidés des Crétois fondent donc en Sicile la ville de Gela. Ils peuvent ainsi prétendre surveiller l’ensemble de la Méditerranée et atteindre au monopole dans la course à l’expansion économique des cités grecques.En raison de sa superficie réduite (77 km de long sur 34 km de large), l’île ne dispose pas de la démographie ni des moyens militaires d’une grande puissance. Pendant plusieurs siècles, pourtant, elle parvient à résister aux pressions diverses des États continentaux grâce à ses constructions navales, à son activité commerciale, à la souplesse de sa diplomatie et à son prestige grandissant. Soumise un temps à la domination perse à la fin du VIe siècle, elle recouvre son indépendance, en retrouvant le chemin de la Grèce ; dans la lutte qui oppose Athènes à Sparte, elle pratique une habile politique d’équilibre, tout en s’efforçant de conserver son autonomie.Respectée et même crainte, l’île de Rhodes se dote, au Ve siècle, d’une cité digne de son rang. Les habitants de Lindos, Ialysos et Camiros, les trois principales villes confédérées de l’île, fondent, en 408 avant J.-C., la ville de Rhodes – à l’extrême pointe nord-est, constituée par le cap Zouari. Les plans de la cité nouvelle sont confiés au célèbre architecte Hippodamos de Milet, qui avait conçu le Pirée. Poursuivant une politique empirique, Rhodes ne cherche pas à imposer une domination par la conquête militaire, mais s’allie aux puissants du moment, sans se soucier ni de races ni d’idéologies. Thèbes, au commencement du IVe siècle, a-t-elle supplanté Sparte et Athènes, Rhodes aussitôt se tourne vers elle. Les Perses brisent-ils la confédération thébaine, Rhodes s’apprête à les soutenir. Alexandre le Grand, vers les années 330, apparaît-il comme le premier des Grecs et tente-t-il une fusion des États méditerranéens, Rhodes s’intègre à ce nouvel empire. Reflet de l’alternance des hégémonies continentales et des hégémonies maritimes, Rhodes tient à rester le premier fournisseur en armes et en navires de cette partie du monde, la place internationale et cosmopolite des trafics et du négoce.Le reflet de la civilisation hellénistique (IIIe siècle)La décomposition de l’Empire d’Alexandre provoque une crise grave au sein du monde antique. En 305, sous la conduite du diadoque Démétrios Poliorcète, les Syriens font le siège de Rhodes qui résiste héroïquement et repousse les envahisseurs, aidée de l’Égypte avec laquelle elle n’a cessé de commercer, lui expédiant son vin en échange des parfums, des épices et du blé. Grâce à cette victoire, Rhodes devient un exemple remarquable de la civilisation hellénistique naissante. Elle gagnera en importance lors de la décadence des villes continentales, telles que Antioche et Pergame, ses rivales pacifiques. En 280 s’élève devant le port de Rhodes le célèbre Colosse , représentant Apollon, fondu dans le bronze et considéré comme une des sept merveilles du monde. Œuvre de Charès de Lindos, cette statue, d’une hauteur de 33 mètres environ, surveillait symboliquement le passage des navires de toutes les nations, attestait de loin la puissance de Rhodes et son originalité cosmopolite, dans ce monde grec dominé par la polis . Les IIIe et IIe siècles marquent l’apogée de ce qu’on peut appeler la civilisation rhodienne.Gouvernée par une oligarchie de marchands, Rhodes est alors une sorte de paradis insulaire où se déploie tout un faste architectural, dans la plus belle tradition de l’art hellénistique. Lorsque, en 224, un tremblement de terre secoue et détruit la cité et que le Colosse s’écroule dans la mer, un immense mouvement de solidarité se manifeste dans le monde grec. De toutes parts affluent les secours en vivres, en argent, en navires. Les Ptolémées d’Égypte, les tyrans de Sicile qui n’oublient pas la mère patrie, les villes d’Ionie et celles de Péloponnèse participent à l’entreprise de reconstruction.Grandeur de Rhodes dans la décadence (Ier s. av. J.-C.-Ve s. apr. J.-C.)Déjà s’affirment à l’Occident les prémices d’une autre civilisation qui s’apprête à relayer la civilisation hellénistique. Rome entreprend au IIIe siècle ses premières conquêtes et s’attaque à la civilisation carthaginoise. Rhodes, qui voit en cette dernière une rivale, met sa flotte à la disposition des Romains. Elle agit de même lorsque Rome entend briser l’ambition de Philippe V de Macédoine et d’Antioche III de Syrie. Comprenant trop tard qu’elle s’est méprise, Rhodes, en 169, soutient Persée, fils de Philippe V, dans sa lutte contre l’impérialisne romain. Ce choix est malheureux. Rome se venge et fait de Délos un port franc, ce qui ruine peu à peu Rhodes. Celle-ci est contrainte de s’intégrer au monde romain et de devenir bon gré mal gré «son alliée et son amie», c’est-à-dire son fournisseur en vaisseaux, notamment dans la guerre qui oppose Rome à Mithridate. Rhodes ne sera pas plus heureuse lors des luttes qui précèdent l’Empire. Cassius, en 42, saccage l’île qui s’était alliée à César. L’Empire romain l’annexe définitivement sous Vespasien et, sous Dioclétien, elle est incorporée à la province d’Asie.La décadence économique et politique de Rhodes ne doit pas cacher l’énorme attraction culturelle qu’a continué à exercer l’île. Pour un Romain cultivé et acquis au philhellénisme, un séjour à Rhodes s’impose. Il y trouve l’image encore grandiose de la civilisation postalexandrine, les œuvres de grands artistes comme le peintre Protogène et le sculpteur Cysippe, des statues magnifiques, dont quelques-unes nous sont parvenues, comme la Victoire de Samothrace et le Groupe du Laocoon . Il n’oublie pas que Cléobule, l’un des Sept Sages de la Grèce, est, selon Plutarque, né à Lindos et que le poète Apollonios et l’historien Posidonios ont ouvert des écoles à Rhodes. Il peut suivre les enseignements des rhéteurs, des orateurs et des philosophes stoïciens. Un grand nombre d’écrivains et d’hommes politiques romains dont Cicéron, César, Pompée et Pline l’Ancien ont fait des études à Rhodes.Chrétiens, «Francs» et Turcs (VIe-XIXe siècle)Avec la chute de l’Empire romain s’achève l’histoire d’une Rhodes sinon indépendante du moins prestigieuse. Incorporée à l’État byzantin, bouleversée par les invasions arabes, Rhodes retrouve quelque éclat au XIe siècle parce qu’elle est placée sur la route des Croisades. Redevenue un port d’escale prospère, elle ne peut rester à l’écart des luttes qui opposent les deux grandes puissances maritimes du Moyen Âge, Gênes et Venise. Chacune de ces villes prétend l’annexer: Rhodes tombe tour à tour sous la domination vénitienne en 1234 et génoise en 1248, avant d’être à nouveau reprise par les Byzantins, eux-mêmes chassés en 1309 par les chevaliers de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, promis à de hautes destinées après la dissolution de l’ordre des Templiers par le roi de France Philippe le Bel.De 1309 à 1522 s’ouvre pour Rhodes une nouvelle et riche période de son histoire. Les grands maîtres de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean, de Foulques de Villaret à Philippe Villiers de l’Isle-Adam en passant par Hélion de Villeneuve, Pierre de Corneillan, Roger de Pin, Philibert de Naillac, Pierre d’Aubusson et Émery d’Amboise, règnent sur l’île. Rhodes redécouvre une de ses antiques traditions, celle de gardienne des mers, et fournit des vaisseaux pour nettoyer les côtes du Proche-Orient et réduire les nids de pirates. Profitant de la situation exceptionnelle de l’île, des banquiers venus de Florence, de Montpellier et de Narbonne s’y installent pour contrôler et développer les fructueux marchés d’épices et d’étoffes. La ville de Rhodes est entourée d’une enceinte fortifiée; tout un quartier est réservé aux demeures des chevaliers et au palais des grands maîtres, construits au XIVe siècle, aux auberges, à l’hôpital des Chevaliers édifié en 1489, au tribunal de Commerce, bâtiment du XVe siècle, et à la cathédrale Sainte-Marie.À la fin du XVe siècle, le reflux de l’Occident et la remontée de l’Orient, qui, depuis deux millénaires, impriment à l’histoire un mouvement de bascule, jettent Rhodes sous la domination ottomane. Le sultan d’Égypte puis Mahomet II de Constantinople assiègent la ville en 1444 et en 1480. Les «Francs» parviennent à repousser les envahisseurs. Mais, à la fin de 1522, Soliman le Magnifique s’empare de la cité que les survivants abandonnent. L’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean s’installe à Malte et deviendra l’ordre de Malte.Pendant près de quatre siècles, Rhodes s’endort sous le joug musulman. Derrière les colonnes antiques et les fortifications médiévales chrétiennes se dressent les minarets et les mosquées de Radjep Pacha (XVIe s.) et d’Ibr h 稜m Pacha. Les habitants de l’île sont soumis aux exactions des collecteurs d’impôts, aux corvées, aux tributs exigés par les nouveaux maîtres. C’est une ville à la fois splendide et morte que visitent les voyageurs du XIXe siècle qui, depuis Chateaubriand, viennent nombreux pour y trouver l’image des grandeurs et des décadences de l’histoire.Le retour à l’OccidentAu commencement du XXe siècle, les guerres balkaniques et le recul des Turcs permettent aux Italiens de s’emparer de l’île en 1912. Les Rhodiens pensent trouver chez les descendants des Romains, représentants de la civilisation occidentale, la garantie d’une nouvelle liberté et ils espèrent que leur patrie recouvrera son autonomie d’autrefois. L’avènement du régime fasciste en Italie et la politique autoritaire d’assimilation que celui-ci impose sont mal accueillis. La langue italienne devient obligatoire pour tous. Les noms de lieux sont italianisés, le clergé orthodoxe, qui s’était maintenu même sous la domination turque, est chassé. Certes, l’île se modernise, une ville neuve naît à côté de l’ancienne. Avec son goût immodéré de la grandeur, le gouvernement de Mussolini entreprend des travaux de rénovation: construction de routes, restauration des monuments antiques et médiévaux, politique de fouilles des anciennes cités de Camiros et de Lindos, création d’établissements thermaux somptueux.Vient la défaite des puissances de l’Axe, et Rhodes, en 1947, retrouve sa patrie d’origine: elle est rattachée à la Grèce. En 1968, l’île comprenait 65 000 habitants, dont la moitié vivant dans la capitale, et le recensement de 1991 dénombrait 145 071 Rhodiens. La grande majorité de la population est de nationalité grecque et de religion orthodoxe; une minorité de 3 000 musulmans rappelle le souvenir de quatre siècles de domination ottomane. Comme leurs ancêtres, les Rhodiens vivent des produits de la culture, qu’ils exportent, et des produits de la mer, pêche et éponges. L’artisanat a conservé toute son importance: les céramiques, les faïences et les poteries de Rhodes et de Lindos décorées de motifs persans ont gardé leur renommée. Près de 200 000 voyageurs passent ou séjournent chaque année dans l’île, grâce à l’aéroport international de Kremasti, à un complexe hôtelier important – quelque soixante hôtels – et à un réseau routier en bon état qui fait le tour de l’île et permet aux touristes d’admirer les vestiges des différentes cités: Camiros avec son ensemble imposant de rues, de portiques et de temples qui dominent la mer; Ialysos avec le sanctuaire d’Athéna et de Zeus Polieus; et surtout Lindos, avec son acropole sur laquelle est bâti le sanctuaire d’Athéna Lindia et des palais de l’époque des chevaliers hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem.Grâce au tourisme, Rhodes retrouve sa vocation cosmopolite, et ce que Strabon disait au Ie siècle avant notre ère reste toujours actuel, par-delà les péripéties et les tribulations de son histoire: «La ville de Rhodes, par ses ports, ses rues, ses murs et son aspect général, forme une cité tellement à part qu’il n’y a pas de ville, à ma connaissance, qui la surpasse et même qui l’égale.»Rhodes(Alexandre de) (1591 - 1660) missionnaire catholique français. Envoyé au Viêt-nam (le Dai Viêt d'alors) en 1624, expulsé une première fois en 1630, puis définitivement en 1646, il s'installa en Perse en 1655. Il contribua largement à la diffusion de l'écriture romanisée du vietnamien (ou quôc ngu). On lui doit: Catechismus (en latin et en vietnamien, 1641), qui contient le premier texte imprimé en quôc ngu; Dictionarium Annamiticum, Lusitanum et Latinum; Sommaire des divers voyages et missions apostoliques (1653).————————Rhodes(Cecil) (1853 - 1902) homme d'affaires et administrateur colonial anglais. Agent de l'expansion brit. en Afrique de l'Est et du Sud dès 1870, il fonda la British South Africa Company, acquit une immense fortune grâce aux diamants et conquit les territoires situés entre le Transvaal et le lac Tanganyika, appelés Rhodésie à partir de 1895. Premier ministre de la colonie du Cap (1890-1895), il intrigua en vain pour conquérir les rép. des Boers et dut démissionner.————————Rhodes(colosse de) statue d'Hélios, en bronze, haute de 32 m, oeuvre de Charès, l'une des Sept Merveilles du monde. érigée sur le port de Rhodes v. 292 av. J.-C., elle fut renversée en 227 av. J.-C. par un séisme.————————Rhodes(île de) île grecque de la mer égée; 1 404 km²; 67 000 hab.; ch.-l. de l'île et du nome du Dodécanèse: Rhodes (42 000 hab.). Montagneuse (1 215 m au mont Atáviros), l'île a de faibles ressources (tabac, vigne, oliviers) et vit du tourisme.— La vieille ville de Rhodes, fondée en 408 av. J.-C., conserve de nombr. vestiges: ruines antiques, églises byzantines et tous les monuments bâtis par l'ordre de Malte (chevaliers de Rhodes).— Puissante cité maritime de l'Antiquité, l'île fut, à partir de 1309, gouvernée par les chevaliers de Rhodes puis devint turque (1523-1912). L'Italie la prit et céda à la Grèce tout le Dodécanèse en 1947.
Encyclopédie Universelle. 2012.