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A Travers le Temps

Summary:

Allen capture, pendant des brefs instants de sa longue errance aux côtés de Lavi, la nature de l'amour.

Notes:

Pas le chapitre 252 de DGM qui me fait retomber dans la série comme aucun avant lui.
A la base, je n'avais que très peu d'intérêt pour Laven, autant dire que je suis une personne changée.

Work Text:

Allen se demande, le premier soir qu’il passe en compagnie de Lavi, pourquoi ce dernier semble si dévoué à Nea, au point qu’il soit prêt à donner sa vie pour la personne qui est devenue son hôte, au point qu’il se refuse à retrouver la stabilité de sa vie et des fonctions qui lui étaient jusqu’alors attribuées, tout ça pour le suivre.

Il se sent prit à part, cette nuit durant laquelle il est censé dormir, où il regarde les ombres dansantes sur le mur humide de la petite grotte où ils ont trouvé abri, repense à la façon dont il a été regardé et n’apprécie que très peu le fait qu’il semblait voir quelqu’un d’autre à travers lui. Ce sentiment n’est qu’un léger inconfort près de la poitrine, mais il suffit à lui faire réfléchir. Allen sait pourtant qu’il a fait une promesse à ce quelqu’un qui sommeille désormais en lui, et qu’il a par conséquent jeté sa propre individualité. Un jour, Allen disparaîtra, alors il ne restera que cet inconnu, que « Nea ».

Allen voit la lueur dans le regard de Lavi quand il répond à ses questions, avec cette conviction dans la voix et cette lueur de tendresse dans son unique œil qui pourrait faire tomber des murs par sa force seule, et bien qu’il n’en soit pas sûr parce que personne ne l’a jamais regardé ainsi, il pense comprendre que le Nea qui existe dans l’âme d’Allen est celui qui existe dans le cœur du Bookman, et que ses sentiments dépassent la raison.

Et Allen est jeune et n’a jamais encore aimé, et aucun sentiment, pas même la peur de la mort ne l’a traversé aussi fort que ce regard, alors il se demande l’effet que ça fait d’aimer si fort qu’on en vient à regarder le visage d’un parfait inconnu et voir en lui quelque chose qui mérite l’abnégation.

Allen et Lavi traversent le monde, les mois s’écoulent et se changent en années, et leur longue errance change leur compagnie amiable en véritable complicité.

Ils n’ont qu’eux deux l’un pour l’autre, et parfois la solitude devient si écrasante pour Allen qu’un simple contact de peau peut suffire à lui donner envie de pleurer. Parfois il se rappelle la sensation de la balle qui avait touché son flanc, en ce jour fatidique, et il en perd sommeil, tremble dans le froid naturel de la nuit comme au contact glacial et étranger de l’objet perçant son corps de part et d’autre, et la solitude en est étouffante.

Lavi manque d’un autre type d’attention, un autre type de contact, mais c’est un piètre séducteur, et ils ne trouvent jamais suffisamment de temps en un même lieu pour qu’il ne conclue quoi que ce soit avec aucune des jolies jeunes filles qu’il tente maladroitement de poursuivre avant de partir.

Allen avait été surpris par ça les premières fois, puis exaspéré les suivantes. Il pensait honnêtement que Lavi n’en aurait rien à faire de la romance, ou du moins avec la gent féminine, vu comme il semblait adorer l’homme, ou le démon qui sommeillait en Allen. Il comprend éventuellement qu’il s’agit d’un besoin fondamental pour Lavi, comme la souffrance d’Allen en l’absence trop longue de contact humain, exactement la même chose en fait.

Alors Allen décide de prendre l’initiative, et à l’occasion, bien qu’il ait plutôt appris à se tenir à carreau des gens, il apprend à saisir doucement ou fermement l’épaule de Lavi, à lui pincer le nez lorsqu’il se comporte comme un idiot et à lui tenir la main quand ils marchent seuls depuis trop longtemps. En retour, il apprend à supporter la main de Lavi sur sa tête, à apprécier les petits coups de coude complices sur ses avants-bras, à accueillir sa tête sur ses genoux quand il lit un livre et qu’il fatigue assez pour s’effondrer de sommeil. Maintenant, quand Allen se réveille la nuit, tremblant et terrifié, Lavi le tient dans ses bras jusqu’à ce qu’il retrouve comment respirer, et il embrasse la chaleur, se laissant bercer parfois jusqu’à ce qu’il retrouve le sommeil.

Lavi le regarde toujours comme s’il était la septième merveille du monde, et Allen essaie de ne pas le prendre personnellement, mais parfois son cœur manque un battement lorsqu’ils sont ainsi, qu’ils parlent comme si de rien n’était et qu’il se surprend à passer sa main distraitement à travers ses longs cheveux argentés, la plupart du temps emmêlés après une journée au contact des éléments, et que leurs yeux se croisent.

Il sent que Lavi attend quelque chose d’Allen, pas de Nea mais de lui, qu’il hésite à le lui demander, et Allen ignore s’il est prêt à accepter ce qui risque de s’échapper de ses lèvres. Il pense qu’il comprend, c’est ce besoin d’interaction humaine, il le connaît très bien lui aussi, mais il n’a jamais encore étreint quiconque de cette manière, sait pertinemment que même si les paroles d’Église n’ont que peu d’importance pour des hérétiques comme eux, qui ont définitivement sympathisé avec le Diable, les rapports entre hommes et femmes ne peuvent pas juste se transposer à deux hommes, et il peut s’admettre à lui-même qu’il en a un peu peur.

Allen prend une décision un soir où ils trouvent par chance un village et une auberge, alors que Lavi somnole sur ses genoux, un livre ouvert sur la poitrine. Il veut commencer par ce qu’il sait faire, et invoque alors les souvenirs d’une mère longtemps disparue, déposant un baiser similaire à ceux qu’elle lui faisait sur le front de l’ancien Bookman.

Ils finissent par coucher ensemble, ce qui semblait inévitable.

Tout commence un matin qu’Allen se réveille avant Lavi. Ce dernier se prend d’admirer les reflets verdoyants de la jeune forêt sur les cheveux d’Allen, et cède à la tentation de voir si sa peau dénudée est aussi fraîche que la rosée dont elle semble couverte. Allen maintient, des semaines durant, qu’il n’y a rien de bien spécial à commencer une journée par un bain dans le ruisseau d’à-côté, qu’il est inutile de s’improviser poète pour si peu, mais il est loin de nier qu’il a apprécié le contact des paumes chaudes sur son torse, son dos, des lèvres sur son cou, et plus encore du frottement contre son entrejambe. La sensation nouvelle l’a laissé intoxiqué jusqu’à ce qu’il puisse rendre la pareille, et il commence à vouloir plus encore.

Lavi achète des huiles discrètement parfumées, et Allen apprécie les sentir sur le corps de l’autre, apprécie la sensation sur la sienne quand leurs frictions deviennent plus douces, et trouve un malin plaisir à jouer suggestivement avec les flacons lorsqu’il veut demander plus en situation parfois peu appropriée. Il aime juste voir Lavi perdre ses moyens, c’est parfois un bon ersatz en attendant « plus tard ». Lavi ne s’en plaint pas non plus.

Lavi prend goût aux mains de plus en plus exploratrices d’Allen et Allen à ses lèvres de plus en plus braves. Allen pense à ce qu’il veut faire de plus, et prend conscience ainsi d’autres contacts que celui des mains, d’autres zones érogènes que le bas-ventre. Ils se mettent d’accord et tentent plusieurs fois d’aller jusqu’au bout, sans succès pour une raison ou une autre.

Certaines fois ils vont trop vite, et la frustration accumulée les rend incapables de se concentrer davantage, parfois l’un d’eux prend peur des blessures potentielles, et le moment est interrompu, voire gâché. Une fois même ils sont convaincus d’avoir entendu un grincement derrière la porte de leur chambre d’hôtel et se jettent si brutalement de part et d’autre du lit que Lavi tombe tête la première sur le parquet, provoquant un fracas tonitruant et laissant une marque difficile à expliquer le long de sa joue.

Il pense perdre la raison de plaisir la première fois que Lavi le prend avec succès. Ils parlent de recommencer, fatigués et à demi-mots avant de tomber de sommeil, et regrettent leur décision de se rendormir trop vite dès l’arrivée du matin, peaux collantes et irritées à l’appui. Les bras de Lavi passent d’un réconfort à un confort en soi, et il n’a plus que faire de vers qui ses yeux sont tournés, parce que tant qu’il est encore là il peut prendre ce qu’il veut de Lavi, et la meilleure partie c’est que ce dernier est loin d’objecter.

Ça finit par frapper Allen, un jour pluvieux où ils décident de faire une brève escapade dans une ruelle déserte et où il se retrouve trempé et collant, une jambe nue maintenue en l’air par la main de Lavi et l’autre tremblante de tension à force de rester sur la pointe des pieds trop longtemps, qu’il est peut-être amoureux. Lavi a fini et lui pas encore, et il se prend d’un fou rire venu de nulle part, une joie inopinée s’emparant de lui parce qu’il a entendu son nom soufflé dans le tremblement de son compagnon. C’est là que le déclic a lieu.

La pensée est étrange à considérer, parce que tout à coup sa relation avec Nea est transformée, que ce sentiment désagréable qui le traverse parfois en pensant à lui est rétroactivement identifié comme de la jalousie, et qu’il se sent soudain très possessif à l’égard de Lavi et ses flirts sans succès.

Il baigne dans ce sentiment à la fois très beau et laid, se laisse submerger, et pour la première fois il colle ses lèvres sur celles de Lavi, et il est lui-même surpris que ça soit la première fois avec tout ce temps passé en compagnie l’un de l’autre.

Lavi refuse de lâcher sa main pour traverser la ville en toute sécurité, alors Allen abrite leurs doigts entremêlés sous le poncho de l’autre. Il en profite pour s’appuyer sur son côté. Il faut dire que le sexe dos collé à un mur de pierre humide est une chose globalement désagréable, mais un parti a tendance à plus en souffrir que l’autre.

Il se plaint de son dos égratigné et de sa jambe engourdie, Lavi décide de rester positif, mentionne sa veste noire qui, d’après lui, couvre très bien les taches, ne mentionne pas les marques rouges qu’Allen effleure accidentellement sur ses phalanges ou celle remarquablement bien cachée par sa frange trempée.

Allen pense que la prochaine fois, il se laissera pousser les ongles pour laisser des marques sur son dos, histoire qu’ils soient quittes et que lui aussi laisse quelque chose qui reste sur la peau de l’autre, et il envisage même le faire à un endroit désagréable, parce qu’il pense qu’il est amoureux et qu’il n’en a rien à faire de passer un bon ou un mauvais moment, tant qu’il le passe avec Lavi.

Il fait froid dans le petit chalet dans lequel ils s’abritent de la tempête, la neige les a pris de court dans les montagnes, et même la cheminée qu’ils sont miraculeusement parvenus à allumer et le toit au dessus de leurs têtes ne les protège pas du froid qui semble s’infiltrer jusqu’à l’os.

Lavi et lui sont quasiment nus et blottis l’un contre l’autre, une pauvre couverture rêche la seule chose couvrant leurs épaules. Lavi raconte une histoire, parle de lieux qu’il a vus et de gens qu’il a rencontrés, et tous les deux ignorent consciemment que toutes les histoires de Lavi se finissent comme ont fini toutes les guerres, avec beaucoup de sang et de blessures que le temps peine à effacer, parce qu’après tout Allen n’a pas connu grand-chose d’autre non plus.

À la place ils se concentrent sur les lueurs d’espoir et de joie : la photo d’une jeune fille dans un loquet gardé près du cœur, les voix par dizaines chantant des paroles qui perdaient tout sens dans le brouhaha, une petite fleur gentiment gardée entre les pages d’un livre laissé à la maison, une main serrée dans une autre avant de se souhaiter un bon retour au bercail.

Allen les voit danser dans la voix de Lavi, dont il semble incapable de se lasser. Il entend le crépitement des flammes et pense, conviction renouvelée, qu’il n’a jamais eu sa place nulle part ailleurs qu’ici. Peu à peu Lavi parvient à trouver le sommeil, et Allen veille sur lui, alors il écoute les battements de son cœur, sent enfin sa peau se réchauffer un peu, et dans une de ses respiration il croit entendre un nom.

Il pense savoir duquel il s’agit, sent le froid traverser la chair pour atteindre son âme, parce qu’il est sûr qu’il n’y a qu’un seul nom qui peut passer ces lèvres légèrement gercées, et en l’espace d’un instant il apprend qu’il a tort.

« A…llen. »

Il n’a plus froid de la nuit. La tempête peut bien s’acharner sur leur petit abri autant qu’elle veut, le feu peut bien menacer de s’éteindre d’un moment à l’autre, quelque chose dans son cœur irradie, et ce soir les yeux clos de Lavi ne voient que lui.

Allen a froid, terriblement froid.

Il pense que c’est le sang qui s’écoule abondamment le long de ce qu’il reste de son bras, il pense que c’est le blanc de l’Innocence consciente qui continue de s’en prendre à lui, il pense que c’est la mort, son souffle qui le prévient que, cette fois, il ne pourra pas y échapper.

Allen est en colère. Il rage, il est déçu de lui-même, de ne pas avoir pu tenir sa promesse, de ne pas être parvenu à se défendre face au monstre qui va bientôt lui ôter la vie.

Il s’en veut un peu d’avoir été jaloux de Nea, parce que sans lui, Nea n’est plus, alors cela n’importe plus qui Lavi aime ou n’aime pas. S’il part, ça n’a plus aucune importance, il les perd tous les deux.

Allen a froid, et des formes blanchâtres transpercent son corps, le transforment, et il pense que c’est la fin.

Tout est blanc, il ne voit rien, peut sentir sa conscience s’évanouir tandis que ses souvenirs sont réécrits, effacés de sa mémoire.

Puis une chaleur réconfortante prend place, l’enlace et le protège, et il reste tout juste assez de conscience à Allen pour comprendre ce qu’il se passe.

« La…vi ? »

Entre lui et l’attaque, Lavi s’interpose, formant du mieux qu’il peut une barrière à l’aide de son corps.

La forme d’Allen est plus petite qu’elle a jamais été dans ses bras, et ce qu’il ressent à cet instant est mêlé au désespoir.

« Même toi… Tu disparaîtras. » Il dit faiblement.

« Ce n’est pas fini, Allen. » La voix lui répond.

Et tandis qu’il ressent tout ceci pour la dernière fois, ce qu’il croit de moins en moins être la dernière fois, Allen entend encore une fois la voix de Lavi résonner au loin.

« Le voyage continue. »

Le gamin se les gèle.

Il déteste la façon dont les autres l’appellent, le réduisent à la couleur rougeâtre de son bras malformé. Il n’y est pour rien s’il est né comme ça, il n’y est pour rien s’il est fait pour être haï, donc il se considère sans nom.

Sous la neige, il a si froid qu’il pense qu’il pourrait bien s’évanouir. Le linge à peine essoré entre ses doigts les lui glace, et il se demande s’il ne pourrait pas le laisser baigner dans la bassine, manger un peu de neige et reprendre son travail sous une tente, espérer éviter l’hypothermie, à défaut de ne pas mourir de faim. Mais il ne sera pas seul là-bas, et s’il n’est pas seul il devra subir les coups, et s’il se les prend il ne finira jamais sa tâche dans les temps et alors beaucoup de choses pourraient arriver, aucune qu’il ne préfère à geler au dehors.

Des flocons tombent sur ses cheveux alors qu’il s’acharne à frotter une marque qui ne veut pas partir sur une veste bariolée. Elle appartient sûrement à Cosimo, et s’il le pouvait, le gamin la lui ferait bouffer, le laisserait s’étouffer avec. Il a froid, et de tous les membres de la troupe, ce clown raté est de loin le pire, donc il le tient responsable. Puisqu’après tout si son malheur n’est de la faute de personne d’autre que lui, alors qu’il ne peut rien y faire, il peut bien pointer qui il veut du doigt, à l’abri de son esprit.

Il en a marre de se les geler, alors il s’imagine avoir chaud. Une image sans forme lui vient en tête, facilement. Le gamin pense qu’il n’a jamais eu chaud un seul jour de sa misérable existence, et pourtant il a cette impression, celle d’avoir déjà été enlacé dans une chaleur plus douce que les flammes, plus tendre que le soleil en été, quelque chose de ferme et pourtant d’une tendresse qu’il peine à saisir.

C’est quelque chose de trop beau et gentil pour lui, il en a la larme à l’œil, et pourtant ça lui semble familier. Le gamin laisse son ouvrage baigner dans l’eau un moment, se saisit de son bras rouge qui le lance un instant, et se contente de la sensation de ses mains contre son cœur.