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Les champs d'Entrelasque n'étaient plus aussi tranquilles depuis quelques temps. La ville avait toujours eu cette réputation de village un peu perdu où tout le monde mettait la main à la pâte, que ce soit les hommes, les femmes, les enfants et les Pokémons. Ainsi les récoltes étaient florissantes et tous pouvaient manger à leur faim le fruit de leur dur labeur. Mais depuis peu, l'ambiance était beaucoup plus tendue. Seuls les hommes et les Pokémons travaillaient pendant que les femmes restaient en compagnie des enfants pour des travaux plus secondaires. Le genre de travaux où on pouvait avoir un œil sur un enfant qui pourrait se perdre. Oh, les enfants n'étaient pas très fan de tout ça. Avant, ils avaient une liberté totale et pouvaient faire tout ce qu'ils voulaient. Mais maintenant, ils étaient surveillés en toutes circonstances et tout leur était interdit.
Autant dire que les gamins du village détestaient la petite Kotori.
Aujourd'hui elle rentrait de la bergerie, accompagnée d'une des femmes du village qui faisait nourrice pour tout le monde. Son père venait lui aussi de rentrer des champs, accompagné de leur Frison. Lorsqu'elle vit leur Pokémon, Kotori enfouit sa tête dans sa fourrure laineuse. Aïe, c'était mauvais signe ça. Elle ne le faisait que quand elle était triste et qu'elle voulait pleurer, mais qu'elle refusait de le montrer à qui que ce soit. Dans ces moments seul Frison avait accès à son infinie tristesse.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Demanda Tsubasa à la nourrice.
- Oh, vous savez comment sont les enfants...
- Pas vraiment.
- Ils n'aiment pas trop qu'on leur mette toutes ces restrictions, alors ils sont frustrés.
- Et ?
- Et ils pensent que Kotori est responsable de toutes ces règles qu'on leur impose.
- Sérieusement ?! Ils l'accusent d'être responsable ?! Elle a failli être enlevée ! »
Il avait haussé la voix et il regretta aussitôt : avec tout ce qu'il se passait en ce moment, il voulait rester le plus calme possible, surtout devant la petite fille. Mais il avait ses limites et là, elles venaient d'être franchies. Quels sales gosses.
« Le seul responsable dans l'histoire, c'est le Baudrive qui a tenté de la kidnapper.
- Oui... Mais vous comprenez, le Pokémon a disparu alors ils cherchent un un bouc émissaire...
- Je me fiche de savoir quelles excuses ils se cherchent. Ce que je veux c'est que vous agissez et que vous réprimandez les enfants qui s'en prennent à elle.
- Je ferais de mon mieux... Sur ce, je dois repartir. Bon courage, Tsubasa. »
Il poussa un long soupir quand il referma la porte. Bon sang. Leur quotidien avait bien changé depuis ces évènements...Tsubasa savait déjà qu'il n'était pas très apprécié de certains hommes ici : il était un jeune père célibataire mais qui travaillait dur et ainsi, les plus âgés du villages pensaient que leurs femmes allaient les tromper avec lui. Il y avait aussi ces fois où on lui reprochait de ne pas être un bon travailleur parce qu'il quittait les champs plus tôt pour s'occuper de Kotori. Mais ce genre de remarques-là, il pouvait s'y faire. Elles ne l'affectaient pas et il les ignorait, se contentant d'être ce gentil paysan poli. Mais qu'on s'en prenne à sa fille... Là c'était autre chose. Kotori était la victime dans cette histoire. Les parents voulaient juste protéger leurs enfants d'éventuels Pokémons aussi dangereux que Baudrive. Ils voulaient juste leur bien !
En parlant de Kotori, elle n'avait pas quitté sa tête de la fourrure de Frison. Au contraire, elle s'y était enfouie encore plus après avoir entendu son père s'énerver.
« Kotori ? »
Sa voix était plus douce et ainsi elle osa un peu plus sortir sa tête. Mais elle s'y accrochait toujours, tristement.
« Ils t'ont embêté, hein... »
Il vint s'asseoir doucement à côté d'elle, ne recevant qu'un hochement de tête en guise de réponse. Lentement, d'une main paternelle et réconfortante, il caressa son dos.
« C'est ma faute... »
Fit la petite voix de Kotori si faiblement que Tsubasa eut du mal à l'entendre.
« Non ma grande. Ce n'est pas de ta faute. C'est la faute du Baudrive.
- Oui mais c'est moi qui l'ait fait venir dans la maison... Je pensais qu'on allait être copains même...
- Tu ne pouvais pas savoir que ça allait arriver.
- Si. C'était un Pokémon bizarre que personne avait jamais vu. C'était un Pokémon sauvage même. Et on doit toujours faire attention avec les Pokémons sauvages. C'est dans les règles du village.
- Tu as fait ce qui te semblait juste. Tu as cru qu'il s'était perdu et tu as voulu le soigner.
- Oui mais à cause de ça, c'est nul au village... On peut plus sortir la nuit et on a pas le droit d'être tout seul.
- Ce sont les autres qui ont dit ça ?
- Oui...
- Ils t'ont fait du mal ?
- Non, ils disent juste des choses.
- Ce sont que des choses méchantes, tu ne dois pas les écouter. »
Elle releva lentement la tête et d'un coup se jeta dans les bras de son père. Son visage était embué de larmes et elle avait besoin d'un gros câlin. Sans hésiter Tsubasa la prit contre elle. Leur Frison s'était allongé tout près pour rejoindre l'accolade.
« Si tu veux tu passeras la journée avec moi demain. Comme ça, tu ne seras plus obligée de voir les autres.
- Non... Les Moumoutons de la bergerie ils sont mignons, je veux continuer à m'en occuper.
- D'accord. Est-ce que tu veux que je reste avec toi pour la journée ?
- Je veux juste que tout redevienne comme avant... »
Fit-elle en reniflant. Que tout redevienne comme avant... Tsubasa avait beau vouloir tout faire pour que sa fille soit heureuse, il devait admettre que dans ce cas-là il ne pouvait pas accéder à sa requête.
Néanmoins... Il pouvait au moins changer les choses.
« Et sin on apprenait des attaques à Frison ?
- Hein ?
- On peut apprendre des attaques à Frison, comme ça il pourra te protéger et protéger tout le monde.
- Contre le méchant ?
- Contre tous les méchants du monde.
- On ferait comme les dresseurs ? »
Ah oui, les dresseurs. C'était assez rare d'en croiser dans un petit village comme Entrelasque : ici toutes les personnes ayant un Pokémon étaient des fermiers, des éleveurs et tout autre métier lié à l'agriculture. Il arrivait parfois que des dresseurs s'arrêtent dans le village au cours de leur périple, mais ça ne durait jamais bien longtemps, c'était juste de passage. Oh, ça attirait bien l'attention des villageois. Les gens aimaient les dresseurs parce que ça leur permettait de voir des Pokémons que personne n'aurait pu voir dans un autre contexte. Et puis, un dresseur était quelqu'un de puissant. Quelqu'un qui pouvait se battre contre n'importe quoi.
N'importe quoi comme un Baudrive kidnappeur d'enfants.
« Comme les dresseurs. On sera en sécurité tous les trois. Et même les gens du village.
- Et tout le monde m'aimera à nouveau ? »
Elle avait un grand regard tellement rempli d'espoir en posant cette question. Tsubasa ne savait pas comment réagir. Pour lui les enfants du village ne méritaient pas l'amour d'une petite fille aussi gentille que sa fille à lui.
« Tout le monde t'aimera encore plus. »
Parvint-il à répondre, même s'il n'était pas très fan de ces mots. Mais peu importait : il était prêt à tout pour revoir son adorable petite fille sourire, surtout après ce qu'il était arrivé.
« Frison ! On va apprendre à se battre et on va être trop forts ! »
Le Pokémon dit un beuglement de motivation : lui aussi était prêt à tout pour protéger l'enfant.
« Ne le surmenons pas trop d'accord ? Il a travaillé dur aujourd'hui.
- Oh pardon Frison...
- Mais dès qu'il se sentira d'attaque, on s'entraînera tous ensemble !
- Mais il travaille dur tous les jours... Il aura le temps de s'entraîner ?
- Il travaillera un peu moins.
- Mais tu vas pas avoir de problèmes parce qu'il travaille pas autant ?
- Ça ira. Et puis, on fait tout ça pour eux non ? »
Peu importe s'il avait des problèmes. Lui au moins il allait agir. Il ne se souvenait pas avoir vu qui que ce soit apprendre des capacités à son Pokémon depuis le kidnapping. Kotori avait pu s'enfuir de peu... D'autres enfants n'auraient pas eu sa chance. Il fallait agir au lieu de reprocher à une enfant d'avoir amené de nouvelles règles trop restrictives ! Et puis, Tsubasa savait qu'il pouvait supporter quelques remarques désobligeantes. Il y aurait au moins quelques personnes sensées qui se diraient qu'il est temps de défendre Entrelasque. Et s'il n'y avait personne pour être aussi sensé que lui, alors tant pis : il aurait le plus vaillant des Pokémons et la plus parfaite des enfants à ses côtés.
« En tous cas, je sais ce qu'il faut pour un Frison qui a travaillé dur et une Kotori qui a eu une dure journée.
- Tu vas faire les galettes de patates en forme de cœur ?!
- Je vais faire les galettes de patates en forme de cœur. »
Ça y est, il avait refait sa journée ! De suite, elle était partie dans le salon pour jouer un peu avec Frison. Il était temps pour Tsubasa de passer aux fourneaux désormais ! Les galettes n'allaient pas se faire toute seules, surtout s'il fallait les faire en forme de cœur. Et puis il pouvait toujours faire une petite gelée de baies Frambys avec ça pour le dessert... Un repas qui allait lui prendre du temps à préparer. Les patates devaient d'abord cuire un instant avant qu'on puisse les écraser pour faire la galette parfaite. Peut-être qu'il pouvait proposer à Kotori de l'assister pendant la préparation du repas !
Un beuglement bovin l'interrompit alors qu'il sortait les premières baies.
Oh, il avait bien l'habitude d'entendre son Frison beugler de temps en temps, mais là c'était différent. On était plus proche d'un beuglement rageur, que Tsubasa n'entendait jamais de la part de son Pokémon. Il se passait quelque chose, il le sentait, le genre de choses qu'il devait vérifier au plus vite.
« Pourquoi t'es revenu ?! »
Avait fait une petite voix d'enfant paniquée qu'il connaissait par cœur. Là, il n'y avait plus de doute à avoir. La peur au ventre, Tsubasa prit son courage à deux mains et courut jusqu'à la chambre.
Il lui fallut un instant pour reprendre ses esprits quand il vit que le Baudrive était de retour.
Utilisant les fils du bas de son corps, il tenait fermement la petite fille par le poignet. L'enfant criait de panique, lui hurlant de s'en aller. De son côté Frison tirait sur la chemisette de Kotori, qu'il serrait fermement entre ses dents. Les deux Pokémons se menaient une lutte sans merci. Baudrive avait du mal à tirer, d'ailleurs. Était-ce parce que Kotori était devenue plus lourde, ou parce que Frison vouait l'entièreté de son existence à la protection de l'enfant ? Quoiqu'il en soit, Tsubasa n'allait pas rester là à les regarder.
« Va-t'en !! »
Hurla-t-il en lui lançant un ustensile de cuisine dessus. Baudrive, qui était concentré sur sa prise, dut la relâcher pour éviter l'objet, permettant à Frison de ramener Kotori à lui. De suite la petite fille courut se mettre derrière son Pokémon, le corps tremblant. Tsubasa se plaça devant elle lui aussi, faisant office de rempart. Il était hors de question qu'il touche à un seul de ses cheveux une fois de plus.
« Papa ! Frison a essayé de l'attaquer, mais ça marche pas !
- Hein ? Il évite les attaques ?
- Non... Il a réussi à le toucher, mais ça lui fait rien... »
Entrelasque voyait très peu de dresseurs, mais Tsubasa se souvint alors que l'un d'entre eux leur avait dit que les Pokémons de type Spectre ne sentaient pas les attaques de type Normal. Il avait aussi ajouté que les Pokémons des champs étaient de type Normal... Frison ne faisait sans doute pas exception, et face à un Pokémon qui lévitait ainsi, il était possible que ses attaques soient inefficaces.
Étaient-ils acculés ?
« Tiens bon Kotori. On va le vaincre. »
Oui, mais comment ? Il n'était pas un dresseur et Frison n'était pas un combattant. Il fallait trouver une solution, et vite. Baudrive allait trouver un moyen de les vaincre sinon.
La solution apparut quand Frison commença à donner de lourds coups de sabots sur le sol, le faisant trembler. Les deux humains avaient du mal à rester debout et Baudrive ne semblait nullement affecté... Que pensait-il faire ?
Dans un beuglement bruyant et toujours aussi empli de rage, Frison parvint à faire apparaître des rochers aussi acérés que des lames, venant blesser le Baudrive qui se retrouvait acculé à son tour. Alors comme ça, ses adversaires savaient se défendre ? Frison continua, au point que la chambre de l'enfant ressemblait plus à un champ de roches qu'à une réelle chambre.
Mais personne n'allait lui en tenir rigueur.
Grâce à ses sabots, Frison avait réussi à faire fuir le Baudrive, qui repartit aussitôt.
Le père et la fille avaient le souffle coupé, haletants, essayant de reprendre une respiration normale après tout le stress de cette épreuve.
Ils ne trouvèrent aucun mot à prononcer et la seule chose qu'ils arrivèrent à faire fut de prendre Frison dans leurs bras.
Cette fois-ci Kotori enfuyait sa tête dans la laine bouclée de son Pokémon, mais plus par soulagement que par tristesse.