Biodiversité 4 min
Les zestes de la recherche
Sur la côte Est de la Corse, INRAE et le Cirad ont installé dans les années 60 une collection d’agrumes unique au monde. Avec plus de 1 000 variétés, le verger constitue pour les chercheurs un précieux conservatoire de la biodiversité génétique de ces fruits. Comprendre les origines de cette diversité a permis de retracer l’arbre généalogique des agrumes. Visite guidée au verger et au labo.
Publié le 20 janvier 2016 (mis à jour : 21 février 2020)
Testez vos connaissances sur les agrumes
Une collection d'agrumes unique au monde
Oranges, citrons, clémentines, pamplemousses, mais aussi bergamote, calamondin, kumquats, cédrats, limes, citron caviar... en tout, plus de 5 000 plantes, arbres ou arbustes, à fruits comestibles ou non, variétés à bouche, jus, ornementales, et porte-greffe sont conservés en plein champ. Il s’agit du plus grand conservatoire d’agrumes de la toute la zone méditerranéenne. La vocation de ce réservoir de biodiversité est avant tout de préserver le patrimoine génétique de cette famille des agrumes et de le diffuser dans d’excellentes conditions sanitaires. Il sert d’objet d’études mais aussi de matériel de base pour la création et la sélection variétale. Le site de San Giuliano est géré par INRAE et il accueille aussi des chercheurs du Cirad. Les chercheurs travaillent sur la phylogénie, la diversité des espèces, les structures des génomes et étudient les déterminants génétiques et environnementaux, les itinéraires techniques pour l’amélioration de la qualité des agrumes, en s’intéressant au fruit, à l’arbre, au verger et à la filière.
Citrus investigation
Alors que les origines asiatique des oranges et mandarines ou méditerranéenne de la clémentine sont bien établies, celle du citron jaune n’a été dévoilée qu’en 2016 par les chercheurs de l’unité INRAE-Cirad de San Giuliano en collaboration avec leurs collègues espagnols de l’Ivia . La suite de ces travaux conduit à présent cherche à revisiter la classification botanique des agrumes. Suivons leur enquête !
2016 : aux origines des citrons
le citron jaune : né du mariage entre le bigaradier et le cédratier, un berceau entre Méditerranée et Mésopotamie
C’est à un véritable travail d’investigation scientifique que se sont livrés les chercheurs d'INRAE de San Giuliano pour trouver les origines phylogénétiques et géographiques du citron jaune et des citrons verts, aussi appelés limes. Les résultats montrent que les citronniers jaunes qu’ils ont étudiés, incluant les variétés commerciales classiques et ceux de deux collections (INRAE-Cirad Corse et Ivia Espagne) présentent un même profil génétique. Leur génome est composé à 50 % de cédratier, à 30 % de mandarinier et à 20 % de pamplemoussier. À partir de ces résultats, les chercheurs ont proposé une origine hybride entre le bigaradier, le parent femelle (dont l’ADN est à 50 % d’origine mandarinier et 50 % d’origine pamplemoussier) et le cédratier, le parent mâle. Le cédrat est le premier agrume à être introduit en Méditerranée en 300 avant JC en provenance de la Mésopotamie. La bigarade est arrivée bien plus tard entre le IXe et le XIe siècle et bien avant l’orange douce. Les chercheurs ont en toute logique établi l’origine géographique du citron jaune, né du mariage entre le bigaradier et le cédratier, entre la Méditerranée et la Mésopotamie.
« Nous avons également pour la première fois, déterminé l’origine génétique des citrons verts sans pépin (triploïde1) et à gros fruits. Les limes de Tahiti (C. latifolia), les plus généralement trouvées dans le commerce, résultent très probablement de la fécondation d’une fleur de citronnier par un pollen doublé (diploïde) de limettier de type mexicain. Les limettiers et citronniers de notre étude résultent d’au moins 36 hybridations différentes », déclare Franck Curk qui, avec Patrick Ollitrault du Cirad, a piloté ces recherches.
2020, la classification botanique des agrumes revisitée
En 2020, les généticiens de l’unité INRAE Agap et de l’USDA proposent, à la suite des dernières avancées de leurs travaux de génomique, un nouveau système de classification des agrumes. Jusqu’ici trois systèmes de classification différentes des agrumes sont régulièrement utilisés par les spécialistes du monde entier, ce qui génère une grande confusion.
Il faut dire que, de prime abord, l’évolution a brouillé les pistes ! L’extraordinaire facilité qu’ont les agrumes à se féconder les uns les autres, entre variétés, entre espèces voire même entre genres et leur capacité à muter très facilement, n’ont pas facilité la tâche des premiers taxonomistes. « Nous avons hérité de plusieurs classifications et de points de vue différents. Un grand nombre de variétés, mutants et hybrides sont souvent décrits comme des espèces à part entière.
Revisiter la classification des agrumes
L’origine des agrumes est située il y a plus de 8 millions d’années, au cœur de la Chine. A partir de là, ils se diffusent et leur éloignement favorise l’apparition de différentes espèces en Asie. Puis ces espèces se rapprochent à nouveau et s’hybrident entre elles. Les chercheurs parlent d’une évolution réticulée. La diversification se poursuit ensuite avec la diffusion des agrumes sur les 5 continents et la multiplication des différentes espèces qui, au fil du temps, conduisent à l’expression de sous-ensembles (phénotypes) différents. Ces métissages ont pu être décryptés par les travaux de phylogénomique qui remettent en question les hypothèses des taxonomistes traditionnels.
A la lumière de ces travaux, et compte-tenu de la compatibilité sexuelle entre agrumes océaniens et asiatiques, nos chercheurs plaident pour considérer dans un genre commun, Citrus, six des genres précédemment définis (Microcitrus, Eremocitrus, Oxanthera en Océanie et Citrus, Fortunella et Poncirus pour l’Asie). Au sein de ce genre, les données biologiques et génomiques confirment la reconnaissance des quatre espèces ancestrales identifiées par la phylogénétique, à l’origine de la plupart des agrumes cultivés : les cédratiers (Citrus medica), les mandariniers (Citrus reticulata), les pamplemoussier (Citrus maxima) et Citrus micrantha, un agrume sauvage originaire des Philippines. Par différents croisements, ces taxons de base auraient généré les espèces dites secondaires : orangers, pomelos, citronniers, bigaradiers et clémentiniers.
Les botanistes proposent ensuite une subdivision de chaque espèce en variétés botaniques qui correspondent aux groupes horticoles qui se sont diversifiés au cours des cycles de reproduction asexués. Par exemple, le groupe horticole des orangers doux est classé Citrus aurantium var. sinensis.
1Triploïde : cellule possédant 3 jeux de chromosomes.
Ces résultats laissent également entrevoir des perspectives intéressantes pour la gestion et la caractérisation des ressources génétiques des agrumes. Et également, pour créer de nouvelles variétés adaptées à de nouveaux marchés, pour adapter les variétés futures à l’émergence de nouvelles maladies, aux faibles intrants, aux aléas climatiques...
Un ouvrage de référence : The genus Citrus
Coord. Par M.Talon, M Caruso et FG Gmitter, paru fin janvier 2020 aux Editions Elsevier. Cet ouvrage, de 538 pages, présente l’ensemble des nouvelles connaissances qui ont été générées ces dernières années sur les agrumes. Il offre une vue complète de l’évolution des agrumes, du fin fond de la Chine il y a 8 millions d’années, jusqu’à leur importance économique actuelle. Plusieurs chercheurs de l’unité INRAE AGAP ont contribué à quatre des chapitres de l’ouvrage. En savoir plus (en anglais) >
LE CONSERVATOIRE DES RESSOURCES BIOLOGIQUES CITRUS
La collection d’agrumes du CRB Citrus INRAE-Cirad de San Giuliano en Corse a connu plus de 50 ans d’introductions de variétés provenant de près de 50 pays différents. Aujourd’hui plus de 1 000 variétés y sont conservées en plein champ.
Elle sert de support à des recherches en amélioration variétale menées en collaboration avec des universités et des organismes de recherche, nationaux (Universités de Corse, Montpellier et Nancy, le Genoscope…) et internationaux (UESC Ilheus Brésil, IIvia Espagne, Inat Tunisie…). Des structures régionales de développement (Areflec, Chambre d’Agriculture, Inter Bio Corse…) participent à ces programmes.
Le saviez-vous ?
Les agrumes ont cette particularité d’être polyembryonnés, ce qui signifie qu’il y a plusieurs embryons dans une seule graine ; ainsi de cette graine peuvent naître plusieurs plantes. Mais les embryons peuvent avoir des origines différentes : l’un est issu de la fécondation par pollinisation tandis que les autres proviennent de cellules non reproductrices, le nucelle. Les embryons dits nucellaires sont génétiquement identiques au parent femelle, l’arbre qui porte la fleur. Quand on sème une graine polyembryonnée d’agrumes, en fonction des variétés, on a entre 15 et 99 % de chances d’obtenir un arbre identique à celui d’où provient le fruit. C’est donc une forme de reproduction asexuée (végétative) qui ne passe pas par la fécondation (pollinisation). La très grande majorité des variétés d’agrumes cultivées sont polyembryonnées et peuvent donc être multipliées à l’identique à partir de leurs graines, sauf les cédratiers, les pamplemoussiers ou les clémentiniers.