La question de l’orientalisme et de son histoire devient de plus en plus centrale à mesure que la la division du monde en aires culturelles occupe le premier plan des réflexions historiographiques. Ce volume collectif aborde la définition de l’orientalisme sous des angles très divers, en privilégiant, comme l’annonce le prologue de Burkhard Schnepel, l’entrelacs complexe des chemins qui conduisent de l’Occident vers l’Orient et retour. Il convenait naturellement de fournir une analyse du concept d’orientalisme d’Edward Said et plus largement de sa conception de la culture ce que Fritz W. Kramer fait très bien en rappelant la genèse complexe de la pensée de Said et en particulier ses relations avec Auerbach et des romanistes comme Leo Spitzer et Ernst Robert Curtius, en qui il pouvait reconnaître des prédécesseurs. Edouard Conte a choisi de concentrer son attention sur une personnalité singulière, celle du spécialiste de la Bible Julius Wellhausen, et sur les représentations des schémas matrimoniaux et de la famille dans le monde arabe. Verena Klemm s’interroge sur le chiisme duodécimain : doit-on le considérer comme une forme d’orthodoxie ou d’hétérodoxie. C’est notamment l’occasion d’évoquer la secte des Assassins déjà mentionnée par Marco Polo. Dans un article consacré à Maimonide Reimund Recht montre quels principes ont présidé à la réception d’un auteur qui pouvait incarner une période idéale de tolérance religieuse dans l’Andalousie médiévale ainsi que le rôle dévolu aux Juifs comme médiateurs privilégiés entre l’Orient et l’Occident. Le terme même d’Orient a sa propre histoire dans le cadre de la géographie comme science. Une contribution d’Anton Escher éclaire la manière dont le géographe Ewald Banse —que sa conception de la race conduisit très près des théories du national-socialisme— a donné au concept d’Orient des contours géographiques dans un arc allant du Maroc à l’Asie centrale. Territoire musulman partagé entre les nomades, les paysans et les citadins et voué à un capitalisme de la rente l’Orient connaît une renaissance comme concept géographique dans les débats des années 1970. Le protestantisme a aussi fourni sa contribution à la construction d’un Orient imaginaire et a transformé certains lieux en parc de Walt Disney comme le montrent Jackie Feldman et Amos Ron à propos notamment du site de Yardenit sur le Jourdain, lieu hypothétique du baptême du Christ, ou à propos du village de Nazareth. Les édifices orientaux, on le voit dans l’article de Joachim Ganzert, connaissent une postérité surprenante. Les découvertes archéologiques ont ainsi inspiré des constructions plus récentes et la salle du trône dans le château de Neuschwanstein est une sorte de compendium d’exemples architecturaux, et les rituels sociaux sont sous-tendus par des signes architectoniques dans la longue durée. L’orientalisme féminise l’Orient comme le montre la thématique et l’histoire de l’opéra Aida chez Verdi (article de Karl-Heinz Kohl.). L’article d’Ines Weinreich souligne à quel point la musique traditionnelle orientale, exigeant d’autres formes de perception, peut se juxtaposer à la musique classique occidentale, comme en Syrie ou en Egypte. De façon générale il a longtemps été difficile d’intégrer l’art islamique dans l’histoire de l’art sans le réduire à un isolat comme l’Andalousie médiévale (contribution d’Avinoam Shalem). L’Orient est affaire de représentation. Mais si les Turcs ont souvent été symboles d’ignorance Ivan Davidson Kalmar rappelle que dans la ville de Prague le Turc enturbanné symbolisait au contraire une accumulation de savoir. Il était normal qu’un tel ouvrage s’achève par une rétrospective, de Birgit Schäbler, sur la réception d’Edward Said et de son livre Orientalism. Cette évocation de nombreux débats touchant à l’orientalisme rassemble des articles souvent très érudits adoptant des perspectives volontairement hétérogènes comme si le phénomène décrit appelait d’emblée une approche labyrinthique. On pourrait reprocher à la juxtaposition des points de vue et des disciplines un certain arbitraire, mais on préfèrera y voir un souci de relativiser et déconstruire les représentations établies d’un savoir forcément lié à des mécanismes de perceptions en évolution.