Notre vie est jalonnée de commémorations d'événements heureux et tragiques, aujourd'hui c'est l'un des plus affreux de ces dernières décennies qui est "à la une" de l'actualité : les attentats-suicides du 11 septembre 2001 qui ont causé notamment l'effondrement des Twin Towers à New-York, avec les conséquences que l'on connaît.
Pourquoi évoquer ce drame ici ? Déjà pour honorer la mémoire des victimes de ces attentats, ainsi que de toutes les autres (on est aussi en plein procès des attentats de 2015 à Paris, pour rappel), mais également parce que ce roman s'articule autour d'une autre catastrophe, qui n'est pas due à des terroristes mais résulte quand même d'erreurs humaines : l'effondrement du pont Morandi, à Gênes le 14 août 2018 qui a causé 43 morts.
Sacha est acteur, il galère entre petits cachets et boulots précaires quand il rencontre Tess à la terrasse d'un café. Ils sympathisent, et quelque temps plus tard elle lui propose un "job" de comédien atypique, mais bien rémunéré : il s'agit d'incarner une "figure masculine" auprès de sa fillette Sienna, née prématurément et qui a gardé certaines fragilités au bout de 6 ans, dont une absence d'odorat et de goût. D'abord sceptique, il finit par accepter de passer quelques après-midi par mois en compagnie de Sienna.
Après un bond de trois ans dans le temps, nous retrouvons Sacha qui entre-temps est devenu "l'oncle" fictif de Sienna, et dont les liens avec Tess ne sont plus exactement ceux d'employé à employeur... Nous sommes en août 2018, Sacha et Sienna s'apprêtent à partir ensemble pour des vacances en Toscane, Tess est censée les rejoindre dans quelques jours après un crochet par Gênes pour revoir sa meilleure amie. Vous voyez venir la suite...
L'histoire est émouvante, on est vite "happé", surtout qu'un certain suspens plane sur le sort de Tess, coincée dans la cave de son amie avec Livio, le fils de celle-ci, au moment du drame. Mais c'est surtout le dilemme qui se pose à Sacha qui m'a interpellée. Faut-il dire la vérité à Sienna, ou attendre d'être fixé définitivement sur le sort de sa mère, et continuer les vacances comme si de rien n'était ? Je ne vous révélerai pas l'option choisie par Sacha, juste qu'elle m'a laissée un peu dubitative.
J'ai beaucoup aimé l'écriture au présent, très immersive, on suit vraiment les différents protagonistes comme si l'on était avec eux, leurs sentiments sont bien exprimés, et même si je n'ai pas toujours été d'accord avec les décisions prises j'ai ressenti beaucoup d'émotions en les accompagnant. Par contre certains aspects disons "légaux" ne m'ont pas semblé très crédibles, je me suis demandé si l'auteur avait vraiment bien approfondi ses recherches. Après, je ne suis pas spécialiste en droit de la famille ! Mais c'est ce qui m'a empêché de mettre une note plus haute. J'ai néanmoins passé un très bon moment avec ce roman très lumineux malgré la tragédie qui en est l'argument.
Petite pensée pour toutes les victimes d'attentats, de négligences humaines ou de catastrophes naturelles...
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J'ai lu ce livre, quasiment 4 ans jour pour jour après la catastrophe qui en fournit la trame, l'effondrement du pont autoroutier à Gênes le 14 Août 2018. Un accident qui m'avait marquée à l'époque, car je l'avais emprunté quelques mois auparavant.
Un jour de pluie me permet aujourd'hui de combler quelques manques dans mes critiques.
Sacha est l'oncle de coeur de Sienna, en vacances en Toscane avec elle. Tess, la mère de Sienna en route pour les rejoindre est porté disparue dans la catastrophe de Gênes. Sacha va alors prendre la fuite, pour ne pas perdre cette fillette qu'il aime, et que le passé de sa mère pourrait mettre en danger.
Ce livre fait partie, sans aucun doute, des "Feel-Good", catégorie dont certains se moquent volontiers. Il est vrai que la fin en est souvent prévisible, et qu'on ne les lit pas pour le suspense.
Celui-ci à l'image de son titre, nous emporte vers une issue heureuse, non sans avoir au passage abordé des sujets plus ou moins graves, avec beaucoup de sensibilité. Il est question des violences faites aux femmes, des familles de coeur, de l'importance de la solidarité, du handicap et de la volonté de le dépasser.
Tout cela dans une histoire émouvante, peuplée de personnages hauts en couleur et attachants, et dans un pays au charme certain et à la cuisine qui fait saliver, rien qu'en lisant ce livre.
Une bonne lecture de vacances.
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INCIPIT
« Le pont de Gênes, également appelé pont Morandi, est un édifice à haubans mis en service en 1967, afin de permettre à l’autoroute A10 – dite « autoroute des fleurs » – de franchir le val Polcevera, entre les quartiers de Sampierdarena et Cornigliano.
Le 14 août 2018 à 11 h 36, une longue portion du pont de Gênes s’est effondrée.
Le bilan définitif de la catastrophe, établi cinq jours plus tard, fait état de quarante-trois morts et seize blessés.
SACHA
Trois ans auparavant
Je m’appelle Sacha.
J’ai trente ans, j’habite à Paris, je suis comédien, et c’est en référence à Guitry que ma mère m’a nommé ainsi. Voilà pour ma biographie légèrement enjolivée, la version curriculum vitae.
Dans la vraie vie, j’habite une chambre de bonne Porte de La Chapelle, mon prénom résulte de l’adoration de feu ma génitrice pour Sacha Distel, j’essaie d’être acteur mais finis le plus souvent figurant.
Alors puisqu’il faut bien manger et que je ne suis pas allé très loin dans les études, j’exerce tout un tas d’activités : dès lors qu’on ne me demande pas de tuer quelqu’un, je suis assez peu regardant. J’ai été, en vrac, et dans le désordre : baby-sitter, jardinier, guide touristique improvisé pour touristes chinois, serveur, livreur, distributeur de prospectus, promeneur de chiens, participant à des sondages rémunérés (jusqu’à ce que les instituts s’en aperçoivent), homme de ménage, téléconseiller. On m’a même déjà payé pour faire la queue à la place de quelqu’un – oui, ça existe vraiment. Je pourrais essayer de me stabiliser, prendre un job et le garder, mais cela signifierait la fin de mes rêves de théâtre, et je ne suis pas prêt à y renoncer.
Je n’ai jamais connu mon père, et ma mère est morte quand j’avais quatorze ans. D’une overdose, dans la chambre d’hôtel d’un comédien un peu connu qu’elle aimait trop, au point de laisser son fils unique dîner seul, se coucher seul, se débrouiller seul. Je crois qu’on peut dire que je suis un vieux routier de la solitude. J’ai appris dans la douleur à quel point se lier à quelqu’un pouvait rendre malheureux, alors je ne m’attache pas. Je ne me sens bien que dans l’éphémère.
C’est sans doute pour cela que je voue une passion aux représentations fugaces de présents fantasmés : le théâtre bien sûr, mais aussi les haïkus, ces courts poèmes japonais qui visent à dire et célébrer l’évanescence des choses. On est parfois surpris quand je récite un haïku, ça ne colle pas avec ce que je dégage, apparemment : avec mon mètre quatre-vingt-cinq et mon allure sportive, on s’attend plutôt à m’entendre parler de boxe ou de football – les gens sont pétris de préjugés.
*
Lorsque je l’aperçois pour la première fois, je suis dans un café, au cœur du Xe arrondissement de Paris. Elle est en grande conversation avec une amie, à quelques mètres de moi. Sa grâce, son port de tête de danseuse, sa peau diaphane, ses grands yeux clairs mélancoliques, tout en elle aimante mon regard.
Je sors d’une représentation du Malade imaginaire, dans lequel je tiens le rôle ô combien gratifiant d’un apothicaire muet, je suis avec un groupe de collègues comédiens, mais je ne les écoute que distraitement, car j’observe cette inconnue du coin de l’œil. Quand son amie l’embrasse et quitte le bar, elle reste seule, quelques instants. J’hésite. Je n’aborde jamais une femme de cette façon. Éphémère n’est pas synonyme d’inconséquent, et je n’aime pas l’idée que l’on puisse me prendre pour un dragueur. Mais je ne peux pas faire autrement. Quelque chose en elle m’attire irrésistiblement. Si je n’y vais pas, je le regretterai.
Je prends une grande inspiration, et mon courage à deux mains. Un frisson parcourt mon corps, lorsque je m’élance vers elle. Je l’aborde, lui propose un verre, qu’elle refuse poliment. Je propose une verveine, elle refuse en souriant. Je propose de l’épouser, elle refuse en éclatant de rire. Sa beauté est encore plus évidente, à cette distance réduite. Elle me fixe étrangement, je prends ses œillades pour des encouragements… jusqu’au moment où elle m’assène « vous avez du noir, là », en désignant une coulure le long de ma joue droite. Et merde, j’avais oublié que j’étais encore maquillé. Je saisis l’occasion pour entamer une vraie conversation, elle continue de sourire, mais soudain son visage se crispe. Elle me lance un « je dois y aller, désolée… », rassemble ses affaires, dépose de la monnaie sur la table, se dirige vers la sortie. Comme si un mécanisme d’autodéfense venait de se mettre en branle, lui intimant l’ordre de fuir, sur-le-champ.
Je ne peux pas la laisser partir comme ça. J’attrape une serviette en papier, y note mon numéro de téléphone et improvise un pseudo-haïku :
Sacha – avec ou sans mascara
J’anime vos soirées, vos bar-mitsva,
votre vie.
(Rayer les mentions inutiles.)
Je cours dans la rue, lui tends la missive. Elle me regarde comme si j’étais un extraterrestre. Elle rit de nouveau, se saisit du bout de papier, puis s’éloigne.
À cet instant, je pense sincèrement ne jamais la revoir.
Pourtant, quelques semaines plus tard, je reçois un coup de fil inattendu. Elle me propose un rendez-vous, et ajoute un mystérieux : « Ce que j’ai à vous demander n’est pas banal. »
Que peut donc avoir à me dire cette belle inconnue ? Ayant une imagination fertile, je me prends à envisager différents scénarios – la plupart sexuels, il faut bien l’avouer… Ma curiosité est en tout cas aiguisée.
Il est prévu que nous nous retrouvions dans le même café, au bord du canal Saint-Martin. La fébrilité avant un rendez-vous amoureux n’est pas l’apanage des femmes, contrairement à ce que nous ont inculqué des siècles d’histoires de princesses-qui-mettent-des-plombes-à-se-pomponner et de princes-séduisants-sans-effort-ni-artifice. J’essaie différentes tenues… mais je décide d’opter pour la sobriété : jean brut et T-shirt blanc fluide. Je conserve une barbe de trois jours – qui me donne un air plus adulte –, et je coiffe-décoiffe ma chevelure noire aux boucles difficilement domptables.
En sortant du métro République, je prépare mes répliques – chassez l’acteur, il revient au galop. J’hésite à tenter la carte de l’humour, et puis je me dis que ça a plutôt fonctionné lors de notre première rencontre, alors pourquoi pas ? Juste avant d’entrer dans le bar, j’extrais de mon sac à dos de survie professionnelle de quoi ajouter une petite touche personnelle à mon look. Je sais bien qu’en me déguisant, je gagne en assurance : je me sens plus sûr de moi dans un costume de comédien.
J’ouvre la porte, et l’aperçois tout de suite. Aussi lumineuse que dans mon souvenir. Et elle… il lui est impossible de me rater.
— J’ai pensé que sans la coulure noire sur le visage vous risquiez de ne pas me reconnaître. Bonjour, mademoiselle. Je ne sais même pas comment vous vous appelez.
Elle observe en souriant ma joue barbouillée, ma presque révérence. Elle est surprise, amusée, c’est visible. Mais elle bride ses réactions. Elle se lève pour m’accueillir, et me tend la main. Mode formel, donc. J’ai tout à coup un peu honte de ce maquillage noir qui me barre le visage. Je me rends compte que, loin de briser la glace, cette approche clownesque a peut-être créé une distance entre nous. Quel con.
— Je m’appelle Tess. Vous, c’est Sacha, c’est bien ça ?
J’acquiesce pour la forme, tout en sortant un mouchoir et un démaquillant.
— Tess, vous avez un léger accent…
— Je suis anglaise, mais je vis en France depuis longtemps.
Elle parle un français parfait. Le seul indice de son origine étrangère, c’est sa manière de prononcer, quasiment à l’identique, les sons « en » et « on ».
Elle continue, imperturbable.
— Sacha, je vais aller droit au but. Vous m’avez dit être comédien, et vous avez mentionné le nom du théâtre dans lequel vous jouiez le soir de notre rencontre. J’ai fait une recherche sur vous sur le web… et comment dire ? J’ai remarqué que votre carrière d’acteur comporte… quelques périodes creuses. Ne le prenez pas mal… mais je me suis dit que vous cherchiez peut-être un complément de revenu.
— Je ne le prends pas mal, mais comme entrée en matière vous avouerez qu’on a connu plus sympathique qu’une analyse critique de CV…
— Pardon, je ne voulais pas… Pardon, vraiment.
Elle baisse les yeux. Semble désolée. Sincèrement. Maladroite, désolée, désuète aussi dans sa façon de se tenir, dans ses gestes, dans ses mots. Un certain charme nineties, accentué par cette pince de collégienne qui orne sa chevelure dorée. Elle m’attire, sans que je puisse vraiment me l’expliquer.
Je lui souris, l’encourage à poursuivre, tout en finissant de me démaquiller.
— Sacha, j’ai un travail à vous proposer. Rémunéré, bien sûr.
Elle plante ses yeux dans les miens. J’y décèle une ombre, troublante, singulière, qui s’estompe vite. C’est étrange, cette sensation, alors même que son regard est très bleu. L’espace d’un instant, j’ai cette image de romance bas de gamme qui me traverse : ses yeux sont pareils à des lacs. Ça a l’air idiot dit comme ça, mais ils en ont la couleur et la profondeur, à la fois translucide et opaque, attirante et inquiétante. Elle prend une grande inspiration, puis se lance.
— Sacha, j’aimerais que vous soyez le père de ma fille.
Je la regarde avec des yeux ronds. Et un sourire mi-amusé, mi-lubrique. Elle se rend compte de l’absurdité des mots qu’elle vient de prononcer, et éclate de rire.
— Je suis maladroite, ça n’est pas ce que je voulais dire !
Elle continue de glousser quelques secondes. Lorsqu’elle rit, des petites rides apparaissent au coin de ses yeux, allongeant son regard. Quel âge a-t-elle ? Je dirais vingt-sept, vingt-huit ans, soit deux ou trois ans de moins que moi. Elle s’éclaircit la voix, boit une gorgée d’eau, se reprend.
— J’ai une fille de six ans. Elle s’appelle Sienna. C’est une enfant… particulière. Elle traverse une passe difficile. Je travaille beaucoup, elle est souvent seule, j’ai essayé de l’inscrire à des activités, au centre de loisirs, mais elle n’y est pas heureuse. La psychologue scolai
Sacha, tu sais que je suis une incorrigible optimiste, alors ce que Je pense intimement, c'est que Tess ne mourra pas. Mais je suis aussi une pragmatique. J'ai appris à envisager le pire. Sacha, si Tess mourait, non seulement tu n'aurais aucun droit sur Sienna, mais la police remonterait la piste Sophie Moore, tôt ou tard. Les parents de Tess découvriraient l'existence de Sienna, et deviendraient ses tuteurs officiels. À moins que...
Mon Dieu. J'ai compris ce qu'elle s’apprête à dire. Je formule moi-même la suite, d’une voix blanche.
— À moins que Tom ne comprenne que Sienna est sa fille, et n'en demande la garde. p. 94
Pendant l'été, retrouvez des extraits du podcast de la Salle de lecture - "Post-partum" littéraire.
Dernier épisode de notre série spéciale : Post-partum littéraire - le Meilleur ! Où il est question d'influences et de références littéraires : Si on lance une recherche en paternité/maternité de vos livres, quel sera, à votre avis, le pourcentage de votre ADN et le pourcentage autres autrices ou auteurs ?
Les réponses de Jean-Christophe Rufin, Camille de Peretti, Pierre Lemaitre, Catherine Charrier, NikoTackian, Laurence Peyrin, Julien Sandrel et Johana Gustawsson.
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