Bulletin du Centre de recherche du château
de Versailles
Sociétés de cour en Europe, XVIe-XIXe siècle - European
Court Societies, 16th to 19th Centuries
2021
Entre admiration et rejet : la perception de l’art
français par les étrangers au tournant des XVIIe et XVIIIe
siècles
« ... en France tout le monde entre et passe par les
appartemens du Roy » : vie privée et sphère
publique dans les châteaux français et allemands
autour de 1700
‘... in France everyone enters and passes through the King’s apartments’: Private
Life and Public Sphere in French and German Châteaux in around 1700
Eva-Bettina Krems
Traducteur : Jean-Philippe Follet
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/crcv/22465
DOI : 10.4000/crcv.22465
ISSN : 1958-9271
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Centre de recherche du château de Versailles
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Eva-Bettina Krems, « « ... en France tout le monde entre et passe par les appartemens du Roy » : vie
privée et sphère publique dans les châteaux français et allemands autour de 1700 », Bulletin du Centre
de recherche du château de Versailles [En ligne], | 2021, mis en ligne le 08 avril 2022, consulté le 21 avril
2022. URL : http://journals.openedition.org/crcv/22465 ; DOI : https://doi.org/10.4000/crcv.22465
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« ... en France tout le monde entre et passe par les appartemens du Roy » : v...
« ... en France tout le monde entre
et passe par les appartemens du
Roy » : vie privée et sphère publique
dans les châteaux français et
allemands autour de 1700
‘... in France everyone enters and passes through the King’s apartments’: Private
Life and Public Sphere in French and German Châteaux in around 1700
Eva-Bettina Krems
Traduction : Jean-Philippe Follet
1
Nombreux sont les voyageurs qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles, ont visité les grands centres
de pouvoir européens, que ce soit à Paris, à Versailles, Vienne, Munich, Berlin,
Stockholm ou Londres. Par écrit, ils ont relaté leur émerveillement devant la
somptuosité des décors intérieurs et du mobilier, les jardins et les écuries 1. Leurs
comptes rendus nous aident à déchiffrer les réseaux, à localiser les objets, à
reconstituer les opinions, à retracer aussi la genèse des modèles, et peut-être même à
établir un best-of de la culture de cour. Toutefois, dans le présent article, nous nous
attacherons surtout à la question de savoir s’il est également possible d’apprendre de
ces récits de voyageurs ou d’autres sources quelque chose sur la perception des espaces
dits « privés » et « publics ». Avec toute la prudence qu’impose le délicat maniement du
concept de « vie privée », nous tâcherons de voir si (et de quelle manière) les
différentes imprégnations culturelles et sociales des voyageurs ont aussi conditionné
leur perception des espaces et influencé par là-même leur perception de l’art et de
l’architecture.
2
D’emblée, il paraît essentiel de rappeler, à la lumière des recherches de ces dix ou
quinze dernières années, qu’il faut considérer de manière très nuancée les formes
possibles de modèles. Durant le siècle qui a précédé la Révolution française, l’Europe
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des cours n’a pas été façonnée par un seul et unique modèle, même si le « modèle
versaillais » a toujours été perçu – tantôt à raison, tantôt à tort – comme le modèle
prépondérant2. Parce que leur perception était préfaçonnée, bien des voyageurs, à n’en
pas douter, se sont rendus à Versailles tels des pèlerins emplis d’espérance : ils avaient
déjà eu l’occasion de lire à son sujet des descriptions, parfois dithyrambiques, dans
d’innombrables récits de voyage. On sait que le processus complexe de la réception
débutait par le conditionnement du « regard » et que les guides de voyage,
reproductions d’œuvres graphiques et récits oraux – sur lesquels nous avons
évidemment peu d’informations – orientaient les intérêts du futur voyageur. Nous
savons aussi que certains voyageurs en sont revenus déçus, parce que leurs attentes
étaient plus élevées que ce qu’ils découvraient une fois à destination. Cela signifie que
nous devons opérer une claire distinction entre la perception d’une part – la perception
préformée des voyageurs, notamment – et l’adaptation et le transfert de l’art et de
l’architecture d’autre part. Pourquoi me semble-t-il pertinent d’insister sur ce point à
ce stade de mon argumentation ? Il y avait, entre les cours européennes, des différences
considérables tant sur le plan des formes de représentation individuelles que sur celui
des structures de pouvoir dynastiques3. Le fait, par exemple, que les lieux du pouvoir
n’étaient pas accessibles de la même manière en France et dans le Saint-Empire
constituait une différence de poids. Et cela, bien sûr, a beaucoup à voir avec la question
des espaces dits « privés » et « publics ».
3
Ma contribution s’articulera en deux parties. La première tentera de répondre à une
première question – que signifient au juste les termes « privé » et « public » dans les
cours princières autour de 1700 ? – et à une seconde interrogation qui lui est
étroitement associée : le concept même de « privé »/ « vie privée » a-t-il un sens dans le
contexte du pouvoir princier au début de l’ère moderne ? Dans la seconde partie, je me
consacrerai à cet aspect de la perception de la vie privée et de la sphère publique que
nous révèlent les récits de voyage, la correspondance ou encore les écrits officiels. Je
m’appuierai pour ce faire sur les déclarations de trois catégories d’acteurs : celle du
prince voyageur, celle du voyageur qui se déplace pour des raisons professionnelles
(l’architecte notamment) et celle du touriste voyageur. La perception des différents
concepts de « vie privée » et de « vie publique » a-t-elle une incidence sur la perception
de l’art et de l’architecture et, en définitive, sur leur transfert et leur adaptation ?
Le « privé » et le « public » dans les cours princières
vers 1700
4
Commençons par le tout premier point, qui est peut-être aussi le plus complexe : que
signifiaient précisément les termes « public » et « privé » dans les cours princières de
l’ère moderne ? De nos jours, on invoque la notion de « vie privée » d’une manière
résolument différente d’il y a trois siècles, comme en témoigne un exemple très
commenté qui a fait l’actualité en mars 2021 : le cas de deux membres de la famille
Windsor dont le retrait dans une sphère prétendument privée aurait difficilement pu
être présenté de manière plus... publique4. Devant des millions de spectateurs en effet,
le prince Harry et Meghan Markle ont vivement déploré, au cours d’un entretien
télévisé, le manque de séparation entre vie privée et rôle public dans la patrie du
prince. Pour la famille royale britannique, il semble n’y avoir aucune séparation entre
l’existence privée et l’existence publique. Cette dualité, que Norbert Elias avait déjà
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identifiée dans les cours de l’ère moderne, résulte du fait que la noblesse n’avait pas
« d’occupation professionnelle normale » et que, dès lors, tout se condensait en
représentation5. Si, aujourd’hui, les frontières entre sphère privée et sphère publique
semblent aussi s’estomper en dehors du cercle de la haute noblesse, cela tient, là
encore, à une profonde mutation des canaux de communication et à une redéfinition de
l’espace.
5
Manifestement, le problème réside dans la manière dont nous envisageons la notion
même de « vie privée » : utilisons-nous ces mots dans le sens qu’ils avaient au début de
l’ère moderne ou dans le sens qu’ils ont à notre époque ? La différence est de taille, car
« vie privée » n’est pas seulement un concept polysémique : il a également connu une
profonde évolution autour de 1800, époque où le sens de la dichotomie public/privé
s’est presque inversé. De surcroît, pour bien comprendre ce qu’était la « vie privée »
dans les cours des débuts de l’ère moderne, il convient de tenir compte de deux
catégories : la personne du souverain et l’espace.
6
À l’époque pré-moderne, le souverain était considéré comme une persona publica 6. Peu
de monarques ont aussi bien mis en scène ce concept que Louis XIV qui en a fait une
composante essentielle de sa représentation. À cet égard, la célèbre audience des
ambassadeurs de Siam donnée en 1686 dans la galerie des Glaces est exemplaire
(fig. 1)7.
Fig. 1. Nicolas III de Larmessin, Pierre Bertrand, Les Ambassadeurs du roi de Siam reçus en audience,
le 1er septembre 1686, almanach pour l’année 1687. Paris, musée Carnavalet, G.20300.
Domaine public
7
Le mot « public » qui avait – et a encore – le sens de « général », « universel », renvoie à
l’État dans son ensemble, au sens de l’antique res publica. Le mot « privé » qui, par
opposition, signifie « particulier », renvoie au domicile (comme dans l’expression
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« propriété privée »). Selon cette acception très traditionnelle, un roi ou un prince n’a
jamais été une personne privée. Dans la rhétorique classique de la monarchie, un
souverain était persona publica en ce qu’il représentait le corps politique dans son
ensemble ; il devait se placer au-delà des intérêts particuliers et se dévouer
entièrement au Bien commun. De la même manière, la reine était considérée comme
persona publica alors que la maîtresse d’un roi pouvait être désignée par les mots « la
privée »8.
8
Dans les cours des débuts de l’ère moderne, les concepts « public » et « privé » ne
s’appliquaient pas uniquement à la personne du souverain : ils concernaient également
l’espace et la sphère. Le terme « public » a généralement le sens de visible et accessible à
tous. Privé, en revanche, signifie invisible, secret, mystérieux, caché 9. Rois et princes
dirigeaient leur pays depuis leur cabinet, c’est-à-dire – du moins pour les résidences du
Saint-Empire romain germanique comme Vienne ou Munich – depuis la pièce la plus
intime, la plus secrète et la plus « privée » du palais 10. Il est intéressant de relever les
dénominations que portaient ces pièces : ainsi, à la Hofburg de Vienne, la suite
impériale comportait-elle deux salles d’audience que l’historien du droit contemporain
Friedrich Carl von Moser (fig. 2) décrivait de la manière suivante dans son ouvrage,
largement diffusé, Teutsches Hof-Recht : « Les audiences privées de Sa Majesté impériale
sont données dans la Retirade mais les audiences publiques ont lieu dans la salle du
Conseil secret (Geheime Rathsstube)11 ».
Fig. 2. Christoph Wilhelm Bock, Friedrich Karl von Moser (1723-1798), gravure, XVIIIe siècle.
Domaine public
9
Au regard de la conception actuelle de la vie privée et de la vie publique, il peut sembler
déroutant que des audiences « publiques » se soient tenues dans une salle dite du
Conseil « secret » (geheim) : comment le « public » et le « secret » s’accordent-ils ? Les
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Conseils secrets des cours dynastiques du début de l’ère moderne étaient pourtant les
véritables lieux du pouvoir politique. Les Conseils politiques étaient « privés »
puisqu’on y gérait les arcana Imperii : on y traitait en secret de questions d’intérêt
général (« public »). Il s’agissait, autrement dit, de « secrets publics », ce qui, d’un point
de vue moderne, constitue un paradoxe. Ainsi les cours du début de l’ère moderne
étaient-elles à la fois publiques et privées. Mais cette forme-là de « privé » ne doit pas
être confondue avec le sens que l’on prête aujourd’hui au terme « privé ».
10
Avec le changement radical du système des catégories politiques vers 1800 et ses
répercussions majeures sur la signification même de la dichotomie public/privé, le
risque d’un malentendu ou d’un anachronisme est évidemment grand. Vers 1800, les
paramètres conceptuels ont été complètement redistribués. Le régime dynastique,
l’ordre de succession, le pouvoir patrimonial ainsi que le secret d’État ont perdu leur
légitimité. État et famille sont devenus des concepts opposés et mutuellement exclusifs.
Une distinction s’est opérée entre les biens publics de l’État et les biens privés de la
dynastie régnante. Désormais, la sphère de l’État devait être publique dans les deux
sens du terme : non seulement elle traitait du Bien commun mais elle était aussi
ouvertement accessible à tous. En revanche, la sphère de la famille, du corps, de la
reproduction naturelle, etc., était associée à l’intime, au confidentiel et au privé. Le
concept de « vie privée » dans son acception moderne semble donc bien inadapté
comme catégorie utile pour une analyse historique12. Néanmoins, le terme fait aussi
partie intégrante de la caractérisation de la vie de cour13, même si un rapide coup d’œil
aux divers récits de voyage montre qu’en réalité, le terme « privé » apparaît rarement
sous la plume des voyageurs qui décrivent leurs expériences à l’issue de leur visite des
châteaux et résidences. D’autres termes sont utilisés en lieu et place de « privé », qui
caractérisent parfaitement les conditions spatiales des cours aux débuts de l’ère
moderne.
Sur la perception du « privé » et du « public »
11
J’en viens donc à l’objet de ma seconde partie : la perception du « privé » et ses effets
sur la perception et l’adaptation de l’art et de l’architecture. En août 1714, le prince
électeur et archevêque de Wittelsbach, Joseph-Clément, écrivait à l’architecte français
Robert de Cotte :
Il y a cette difference dans nos usages, qu’en France tout le monde entre et passe
par les appartemens du Roy et des Princes, et que chez Nous tres peu de gens
joüissent de cet honneur, et on[t] cet avantage14.
12
Joseph-Clément connaissait bien l’état des choses dans les palais français : contraint à
l’exil au début du XVIIIe siècle, il avait passé plusieurs années en France15. Son abondante
correspondance avec Robert de Cotte était liée en partie au projet de construction de la
résidence électorale de Bonn. Robert de Cotte avait aussi été sollicité pour d’autres
projets (en particulier le château de Schleißheim près de Munich) mais la « vedette » de
l’architecture française avait eu toutes les peines du monde à mettre en œuvre ses idées
sur le sol allemand16. Le prince électeur Joseph-Clément était pleinement conscient des
différences qui existaient entre les châteaux de France et ceux du Saint-Empire romain
germanique, et qu’il avait constatées, entre autres, dans le degré d’accessibilité des
appartements, notamment des pièces où se prenaient les décisions politiques.
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Dans son Einleitung zur Ceremoniellwissenschafft der grossen Herren [Introduction à la
science du Cérémonial des grands seigneurs] de 1729 (fig. 3), Julius Bernhard von Rohr
a qualifié de « phénomène » national cette différence de degré d’accessibilité :
Dans les palais princiers d’Allemagne, un étranger ne peut pas se promener avec
autant de liberté qu’en France. Là-bas, dans la plupart des pièces du château de
Versailles, les étrangers peuvent non seulement entrer et sortir librement et sans
être dérangés, même si la garde est en faction, mais ils peuvent aussi entrer dans la
chambre à coucher du roi17.
Fig. 3. Julius Bernhard von Rohr, Einleitung zur Ceremoniellwissenschafft der grossen Herren, 1729,
page de titre. Archives de l’auteure.
Source : https://www.digitale-sammlungen.de/en/view/bsb10557477?page=8,9 ; https://mdz-nbnresolving.de/urn:nbn:de:bvb:12-bsb10557477-7
CC NC 1.0
14
Dans les châteaux allemands, les chambres à coucher, en particulier, n’étaient pas
accessibles, comme le souligne Rohr :
Les chambres princières en particulier sont très privilégiées par rapport aux autres,
c’est pourquoi, en Allemagne, tout un chacun n’est pas autorisé à y entrer, quand
bien même il visiterait les autres pièces du palais 18.
15
Ne nous méprenons pas : cette remarque ne signifie pas du tout que l’on accordait plus
de valeur à la « sphère privée » dans les résidences du Saint-Empire romain
germanique. L’accès restreint aux espaces ne doit pas être confondu avec la vie privée.
C’est même l’inverse : tout prouve que ces restrictions constituaient une partie
significative de la représentation publique de la dynastie. Cela incluait le secret, le
dissimulé, les arcanes. Rohr décrit le cérémonial français qui, à contrario, s’étendait
très loin (du point de vue allemand tout du moins) dans la sphère privée : dans les
châteaux français, les pièces en bout d’appartement étaient accessibles à un public plus
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large que les salles intérieures des résidences princières du Saint-Empire. Lorsque
Joseph-Clément fait part de ces différences d’usage à Robert de Cotte, son architecte
français, cela a naturellement des conséquences sur la diffusion et l’adaptation de
l’architecture et de l’art français. Pour le dire de manière synthétique : dans les
résidences du Saint-Empire, la restriction faisait partie de la mise en scène, alors que
dans un château français, en particulier dans celui de Versailles, c’est l’ouverture qui
jouait un rôle clé dans la stratégie de représentation. L’espace immense et ouvert,
parfois reflété à l’infini, était une composante de cette mise en scène, comme en
témoigne à nouveau l’impressionnante audience que Louis XIV a orchestrée dans la
galerie des Glaces (voir fig. 1).
16
En 1687, l’architecte suédois Nicodème Tessin avait noté, lui aussi, qu’à Versailles, les
portes restaient toujours ouvertes : « dans le Grand Appartement, elles [les portes] sont
toujours ouvertes19 ». Une telle disposition eût été inconcevable dans les résidences du
Saint-Empire romain germanique. Aujourd’hui, la plupart des touristes qui visitent les
salles d’apparat dites Reiche Zimmer (« riches salles ») de la résidence de Munich,
réalisées dans les années 1730 à l’initiative du prince électeur Charles-Albert, s’arrêtent
dans la dernière salle – le cabinet des Miniatures, juste derrière le cabinet des Glaces –
pour prendre une photo de l’impressionnante suite de pièces qu’ils viennent de
traverser (fig. 4 et 5). Mais cette perspective avec portes ouvertes en enfilade était
extrêmement rare au XVIIIe siècle. Les portes étaient généralement fermées à clé et
n’étaient ouvertes qu’à l’occasion d’événements bien particuliers, ce qui soulignait plus
encore leur caractère exceptionnel.
Fig. 4. François Cuvilliés, Plan de l’étage principal de la résidence de Munich, 1664-1665, détail : aile
du Grottenhof, appartement du prince électeur, salles 5-10 dites « Reiche Zimmer » (9 : Cabinet des
Glaces ; 10 : Cabinet des Miniatures). Archives de l’auteure.
© Eva-Bettina Krems
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Fig. 5. Munich, résidence, appartement du prince électeur (salles d’apparat dites « Reiche
Zimmer »).
© Eva-Bettina Krems
17
Les architectes qui, depuis l’Allemagne ou la Suède, se rendaient à Versailles afin d’y
glaner des idées susceptibles de nourrir leurs projets de palais dans leur pays d’origine
devaient tenir compte de ces dispositions, des dispositions qui concernaient la mise en
scène de l’espace privé, secret, mais aussi l’ordonnancement par paliers successifs – la
séquentialisation – de l’espace public. Dans le palais d’un prince du Saint-Empire, la vie
publique était structurée et régulée par la distribution des pièces et leur répartition.
Réglementer l’accès au prince revenait, pour l’essentiel, à contingenter l’accès aux
antichambres de l’appartement. C’est cette séquentialisation des pièces – comme dans
le cas de l’appartement du prince électeur Charles-Albert à la résidence de Munich
(fig. 4) – qui définissait la frontière entre vie publique de la cour et vie privée ; c’est
elle, autrement dit, qui fixait les limites de la distinction sociale. Les deux concepts
« public » et « privé » ne sont pas utilisés ici de manière antinomique. Il faut les
entendre dans le sens d’un changement progressif, d’une restriction graduelle : « vie
privée » ou « espace privé » doit se comprendre, à la différence « d’espace public »,
comme un espace réservé à un nombre limité de personnes et n’évoque, en aucun cas,
l’idée d’un espace « privé » au sens actuel du terme. C’est pourquoi l’on parle souvent,
dans les châteaux allemands, de chambres « intérieures » plutôt que de chambres
« privées »20. Dans le Saint-Empire romain germanique, les cours princières étaient
fondées sur la réglementation et la formalisation de tous les domaines de la vie par le
biais du cérémonial. Elles se caractérisaient par une restriction importante de la sphère
privée, qui concernait tout particulièrement le souverain et sa famille. Ainsi
l’appartement était-il le lieu où se dessinait clairement la séparation progressive entre
la sphère publique et la sphère privée. La séquentialisation des pièces reflétait aussi le
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rang des visiteurs respectifs. Et ceux-ci s’en rendaient parfaitement compte à la façon,
par exemple, dont l’ameublement variait. D’une pièce à l’autre, il se faisait de plus en
plus précieux. Comme le souligne Rohr, « plus les antichambres se rapprochent des
chambres seigneuriales, plus les meubles gagnent en préciosité 21 ». Le phénomène
atteignait son paroxysme dans la salle des audiences, ainsi que Moser l’a remarqué :
« La salle des audiences est particulièrement somptueuse par ses dimensions, ses
tapisseries et ses meubles22 ». L’encyclopédie de Zedler, elle aussi, note à propos de la
salle d’audience : « Cette pièce, qui est directement attenante aux antichambres, doit
toujours être d’une taille tout à fait respectable et d’une beauté exceptionnelle 23. »
18
Le droit d’accès au prince, ainsi accompagné – et même commenté – par les arts et les
meubles, constituait un indice important de la position sociale du visiteur et de sa
participation aux interactions de la cour24. Comme le résume Moser :
Chez nous [dans l’Empire], l’entrée se fonde sur une classification et un rang à la
cour, en fonction duquel l’accès est autorisé dans les pièces qui diffèrent selon le
degré de leur dignité. Ce règlement est strictement observé dans les grandes cours
mais aussi dans d’autres cours bien dotées25.
19
Moser poursuit son explication en mettant en contraste le cérémonial français :
Ce que l’on appelle les « grandes entrées » par le biais desquelles, à la cour de
France, s’opère la différence ne fait pas partie du droit domanial allemand 26.
20
Les suites de pièces, qui structurent la vie intérieure des châteaux en assurant la
régulation de la distinction, jouent le rôle d’interfaces entre les niveaux sociopolitique,
rituel et artistique. Le cérémonial est un système de signes englobant aussi bien les
personnes et les objets que les espaces. Car les groupes de personnes autorisées à entrer
– dans les résidences des princes du Saint-Empire notamment – contribuent pour une
large part au « faste » et au « grand honneur » de la cour (c’est ce qui ressort
clairement des protocoles de réceptions)27. La question des différences entre châteaux
français et châteaux allemands ne saurait donc être analysée à partir des seuls objets : il
faut également tenir compte de la perception et de la signification de ces objets dans
l’économie des actes symboliques au sein d’un espace qui passe graduellement du
public au privé.
21
Venons-en maintenant aux voyageurs qui n’étaient ni princes, ni architectes, ni
artistes, mais des « touristes » bien informés, bien préparés et impatients
d’entreprendre leur coûteux voyage à Versailles. Pour les voyageurs du Saint-Empire
romain germanique, la grande fascination qu’exerçait le château de Versailles tenait à
son immense splendeur bien sûr mais aussi à cette façon, précisément, de mettre en
scène la sphère publique, l’ouverture et, partant, la négation du caractère secret, de la
confidentialité et de la vie privée, dans le sens qu’on lui prêtait aux débuts de l’ère
moderne. À cet égard, le témoignage du juriste Johann Peter Willebrandt de Rostock
(Mecklembourg), publié en 1758, est très éloquent :
Je peux faire ce que je veux à Versailles [...] ; comprenez-vous maintenant ce qui
rend les étrangers si friands de la France ? Vous souvenez-vous, par comparaison, à
quel point cela peut être espagnol dans de nombreuses petites cours princières 28 ?
22
La remarque de l’Allemand Carl Gottlob Küttner (1755-1805), enseignant et auteur de
récits de voyage, est également célèbre :
N’importe qui peut se présenter au palais du roi ; tout ce qu’on lui demande, c’est
d’être bien habillé29.
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La simple possibilité de participer au spectacle de la vie de cour, délibérément mis en
scène par le roi de France pour attirer l’attention du public, donnait aux voyageurs – à
ceux issus de la bourgeoisie en particulier – un sentiment de valorisation sociale 30 qu’il
leur était impossible d’éprouver dans les résidences allemandes. Alors que, pour la
noblesse, la perception de la cour restait toujours guidée par les multiples
différenciations et barrières sociales au sein de la cour, le regard des visiteurs issus de
la bourgeoisie allemande était animé par leur perception quasi égalitaire de ce même
espace social. Il est un autre point intéressant à noter dans ce contexte : chaque fois que
les voyageurs avaient l’occasion de relater la présence au château d’un prince (à fortiori
celle d’un roi ou d’une reine), la description de l’art et de l’aménagement intérieur
passait clairement au second plan31.
24
Il ne faudrait pas voir dans la remarque des voyageurs allemands qui rapportent avec
stupéfaction – euphorie même – leur expérience d’un accès quasi illimité, quoique
réglementé, aux châteaux français (à celui de Versailles en particulier) l’expression
d’une aspiration à prendre part à la « sphère privée ». Ce point, là encore, doit nous
faire toucher du doigt la différence de conception de la vie privée entre les débuts de
l’ère moderne et aujourd’hui. De nos jours, la préoccupation première est de capturer
l’instant privé : les paparazzi traquent les moments les plus intimes et les plus
embarrassants des stars de cinéma et des membres de familles royales ; mais à l’époque,
ce qui comptait avant tout, c’était de prendre part au Pouvoir, de s’en donner l’illusion
tout du moins : la sphère privée telle que nous la connaissons aujourd’hui était
impensable à la cour des princes.
Conclusion
25
La configuration sociale de l’espace intérieur, qui oscille entre « public » et « privé », a
joué un rôle significatif aux yeux de celles et ceux qui ont visité, autour de 1700, des
châteaux et des résidences en Europe. La pièce constituait alors une interface entre les
niveaux sociopolitiques, rituels et artistiques. Toutefois, ses lignes de démarcation
n’étaient pas statiques : elles variaient, ce qui nous oblige en permanence à réévaluer sa
part de « privé » ou de « caché », son degré de secret ou d’exclusivité. Force est donc de
conclure que les rapports entre perception, adaptation et ajustement doivent être
constamment réexaminés et comparés avec soin.
BIBLIOGRAPHIE
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10
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NOTES
1. La recherche sur les récits de voyage des
XVIIe
et
XVIIIe
siècles n’a cessé de progresser au cours
de la dernière décennie. Le château de Versailles, en particulier, suscite en la matière un intérêt
récurrent. On en veut pour preuve l’exposition de 2017 : KISLUK-GROSHEIDE et R ONDOT 2017. On
trouvera d’autres références aux récits de voyage sur le site Internet du projet ARCHITRAVE – Art
et architecture à Paris et Versailles dans les récits de voyageurs allemands à l’époque baroque :
https://architrave.eu.
2. KREMS 2018.
3. On en trouvera plusieurs exemples dans : GAEHTGENS et al. 2017.
4. Au sujet de l’interview du prince Harry et de Meghan Markle dans l’émission d’Oprah Winfrey,
voir l’article de la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 6 mars 2021, p. 55, intitulé « Meghan
Markle und Prinz Harry setzen ihre Trennung vom britischen Königshaus groß in Szene. Das
Interview mit Oprah Winfrey ist der Gipfel ».
5. ELIAS 1999, p. 176, parlait d’une « société aristocratique de cour où les hommes n’avaient pas de
“métier” à proprement parler et ignoraient tout de la distinction entre sphère privée et sphère
professionnelle au sens où nous l’entendons aujourd’hui » (« höfisch-aristokratischen Gesellschaft,
deren Menschen keinen „Beruf“ hatten und eine Trennung in eine Berufs- und Privatsphäre im heutigen
Sinne nicht kannten »). On trouvera dans la note suivante d’autres références bibliographiques sur
ce sujet.
6. Sur ce sujet, voir plus particulièrement : MOOS 2004, p. 10-12 ; H ÖLSCHER 1978. Sur la question,
largement débattue, de la distinction entre « sphère publique » et « sphère privée », on pourra
consulter avec profit les contributions suivantes : MELVILLE et M OOS 1998 ; S TOLLBERG-RILINGER
1997 ; BAUER 2003. Sont également très instructifs : B ERNS et R AHN 1995 ; P ARAVICINI 1997 ;
EMMELIUS et al. 2003.
7. Sur cette célèbre audience, voir CASTELLUCCIO 2006, p. 31-37.
8. MOOS 2004, p. 39.
9. Pour les équivalents anglais de ces concepts, voir les entrées invisible, secret, arcane, hidden sur :
https://dictionary.cambridge.org/de/worterbuch/englisch/privacy (consulté le 01 mai 2021).
10. Sur les espaces de gouvernance et d’audience, voir KREMS 2017.
11. « Die Privat=Audienzen Kayserlicher Majest. werden in der Retirade ertheilt, die öffentlichen aber in
der Geheimen=Raths=Stube. » MOSER 1754-1755, t. II, p. 556.
12. Certains historiens vont même un peu plus loin en parlant de l’inexistence de la vie privée à
la cour : B AUER 1993, p. 18 ; KRUEDENER 1973, p. 60-62. Voir aussi à ce sujet l’hypothèse de la
Sattelzeit – « l’époque charnière » – formulée par l’historien Reinhart Koselleck : selon lui, de
nombreux termes du
qui précède le
XVIII
e
XVIIIe
siècle présentent un double visage. Lorsqu’on se reporte à la période
siècle, ces termes désignent des circonstances qui, sans l’appui d’un
commentaire critique, ne nous sont plus compréhensibles alors que leur signification saute
immédiatement aux yeux dès lors qu’on les rattache à l’époque suivante. À mon avis, le concept
de « vie privée » fait indiscutablement partie de ces termes bifrons. Sur la notion très discutée de
Sattelzeit : DÉCULTOT et FULDA 2016, p. 1-4.
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13. Voir à ce propos les différentes entrées dans l’Encyclopédie de Zedler : Z EDLER 1732-1754,
vol. 29.
14. Lettre de Joseph-Clément à Robert de Cotte, 15 août 1714 ; citation tirée de B AVIÈRE 1956, p. 30.
15. En 1706, Joseph-Clément et son frère, le prince électeur Maximilien-Emmanuel, sont mis au
ban de l’Empire. Les deux frères pourront retourner dans leurs territoires en 1715. Sur cette
période d’exil, voir KREMS 2012, p. 240-250. Sur l’exil français des Wittelsbach, voir aussi :
TILLMANN 2009.
16. On pense en particulier à ses interventions au château de Schleißheim pour le compte des
Wittelsbach de Bavière ; voir KREMS 2012, p. 264-290.
17. « Auf den Fürstlichen Schlössern in Teutschland darff sich ein Frembder nicht mit solcher Freyheit
umsehen, als wie in Frankreich. Daselbst können die Frembden in den meisten Zimmern des Schloßes zu
Versailles nicht nur frey und ungehindert aus- und eingehen, ob gleich die Wache dastehet, sondern auch
selbst in des Königs Schlaf Gemach. » ROHR 1733, p. 76.
18. « Insonderheit sind die Fürstlichen Schlaf-Zimmer vor andern sehr priviligiert, und wird, zumahl in
Teutschland nicht ein iedweder in dieselben hinein gelassen, ob er gleich sonst in den übrigen Zimmern des
Schlosses herumgeführet wird », ibid.
19. TESSIN 2002, p. 98.
20. Voir l’article récent de PUNTIGAM 2006.
21. « Je näher die Vorgemächer den Herrschafftlichen Gemächern kommen, je mehr nehmen die Meublen
an Kostbarkeit zu », ROHR 1733, p. 73.
22. « Das Audienz-Zimmer ist von besonderm Pracht in der Grösse, Tapeten und Meubles », Moser
1754-1755, t. II, p. 289 (dans le chapitre « Von den Zimmern bey Hof »).
23. « Es liegt dieses Zimmer unmittelbar an denen Vorgemächern, und muss jedesmahl von recht
ansehnlicher Grösse und ausnehmender Schönheit seyn. » ZEDLER 1732-1754, t. II, p. 723.
24. Il était possible d’obtenir un droit d’accès en achetant une charge ; sur l’importance des
acquisitions de charges à la cour impériale de Vienne : P EČAR 2003, p. 25-27. Signalons aussi BAUER
2003, p. 45-46 pour ses remarques sur l’importance cérémonielle de la distance spatiale à la cour.
25. « Bei uns [im Reich] setzt die Entrée eine Classification und Rang an Hof zum Grund, nach welchem
der Eingang in die nach dem Grad ihrer Würde verschidene Zimmer gestattet wird. Diese Ordnung wird an
grossen, auch andern wohl eingerichteten Höfen genau beobachtet. » M OSER 1754-1755, t. II, p. 294-295.
26. « Die so genannte grosse Entrées, wie solche an dem französischen Hof der Unterschid gemacht wird,
gehören in das Teutsche Hof-Recht nicht. » Ibid.
27. Voir le protocole des réceptions édicté en 1739 à la résidence de Munich : « En conséquence
de quoi, si Son Altesse Électorale le permet, [il faudrait] pour plus d’ordre à la cour, pour une
meilleure organisation de l’étiquette, pour rehausser le faste de Son antichambre et pour être
plus honoré par ceux qui Lui rendent visite, augmenter le nombre de ces derniers [...]. »
(« Demnach Ihro Churfrtl. Drtl. sich genädigist gefallen lassen zu mehrer Ordnung Ihres Hofs, und besserer
einrichtung selbigen Ethiquets, forderist zu mehreren Splendor Ihrer AntiCamera, und grosseren Ehr deren,
so sye betretten, selbige zu vermehren [...] ») ; cité d’après K LINGENSMITH 1993, p. 216.
28. « Ich kann zu Versailles machen, was ich will [...]; begreifet ihr es nun, was die Ausländer an
Frankreich so lüstern macht? Gedenket, wie spanisch ist es dagegen in vielen kleinen fürstlichen Höfen? »
WILLEBRANDT 1758, p. 180-181.
29. « Jedermann kann im Palaste des Königs erscheinen; alles, was man von ihm verlangt, ist, dass er wohl
gekleidet sei ». KÜTTNER 1792, p. 30.
30. Voir à ce sujet GROSSER 1989, p. 349.
31. Kurze Beschreibung einer Reise von Arcot 1788, p. 87. Il y est mentionné que les officiers ont pu
visiter la galerie des Glaces et qu’ils ont même été autorisés ensuite à se rendre jusqu’aux
chambres de Leurs Majestés.
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RÉSUMÉS
Nombreux sont les voyageurs qui, aux
XVIIe
et
XVIIIe
siècles, ont visité les grands centres de
pouvoir européens. Leurs comptes rendus nous aident à déchiffrer les réseaux, à localiser les
objets, à reconstituer les opinions, à retracer aussi la genèse des modèles, et peut-être même à
établir un best-of de la culture de cour. Toutefois, dans le présent article, nous nous attacherons
surtout à la question de savoir s’il est également possible d’apprendre de ces récits de voyageurs
quelque chose sur la perception des espaces dits « privés » et « publics ». Avec toute la prudence
qu’impose le délicat maniement du concept de « vie privée », nous tâcherons de voir si (et de
quelle manière) les diverses imprégnations culturelles et sociales des voyageurs ont aussi
conditionné leur perception des espaces et influencé par là-même leur perception de l’art et de
l’architecture. En tout état de cause, il se révèle indispensable de garder à l’esprit que, dans les
châteaux et résidences du Saint-Empire romain germanique, une forme de restriction faisait
partie de la mise en scène, alors que dans les châteaux français – celui de Versailles notamment –,
c’est l’ouverture qui jouait un rôle clé dans la stratégie de représentation.
In the 17th and 18th centuries, many travellers visited the principal centres of European power.
Their accounts help us to decipher networks, localise objects, recreate opinions and trace the
genesis of models, and perhaps even to establish a court culture ‘best of’. However, in the present
article, we will focus above all on the question of whether these travellers’ accounts tell us
anything about the perception of so-called ‘private’ and ‘public’ spaces. With the appropriate
caution dictated by the delicate interpretation of the concept of ‘private life’, we will attempt to
see if (and in what way) the various cultural and social influences on travellers also conditioned
their perception of spaces and, in the process, had an impact on their perception of art and
architecture. At any rate, it should be borne in mind that in the châteaux and residences of the
Holy Roman Empire a form of restriction was part of the mise en scène, while in French châteaux –
in particular that of Versailles – it was opening up that played a key role in the representational
strategy.
INDEX
Mots-clés : vie privée, sphère publique, cérémonial, résidences, châteaux, récit de voyage,
modèle versaillais, perception, adaptation, Versailles, Munich
Keywords : private life, public sphere, ceremonial, residences, châteaux, travelogue, Versailles
model, perception, adaptation, Versailles, Munich
AUTEURS
EVA-BETTINA KREMS
Eva-Bettina Krems a étudié l’histoire de l’art ainsi que les langues et littératures anglo-saxonne et
allemande dans les universités de Münster, Bonn et Wurtzbourg. Après sa bourse d’études à la
Bibliotheca Hertziana de Rome (Institut Max-Planck, 1995-1997), elle a obtenu son doctorat avec
une thèse intitulée Raffaels römische Altarbilder : Kontext, Ikonographie, Erzählkonzept (« Retables
romains de Raphaël : contexte, iconographie, concept narratif »), publiée en 2002, et poursuivi
ses recherches post-doctorales à l’université de Bonn, au sein du programme « La Renaissance en
Italie et sa réception européenne », financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). De
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2001 à 2010, elle a été assistante de recherche à l’Institut d’histoire de l’art de l’université de
Marbourg où elle a obtenu, en 2008, son habilitation avec un mémoire portant sur « Les
Wittelsbach et l’Europe : transfert culturel dans une cour des débuts de l’ère moderne » (Die
Wittelsbacher und Europa: Kulturtransfer am frühneuzeitlichen Hof), publié en 2012. En 2008-2009 et
2010-2012 elle a été professeure vacataire à l’université de Marbourg. Depuis 2012 elle est
titulaire de la chaire d’histoire de l’art et professeure à l’université de Münster (WWU). Ses
principaux domaines de recherche sont les transferts culturels aux débuts de l’ère moderne, la
représentation au sein de la cour, ses médias et ses rituels, l’art de Raphaël, la culture du portrait
et les médialités du sacré.
Eva-Bettina Krems studied the history of art as well as English and German language and
literature at the universities of Münster, Bonn and Würzburg. After receiving a grant to study at
the Bibliotheca Hertziana in Rome (Institut Max Planck, 1995–7), she obtained a PhD with a thesis
titled Raffaels römische Altarbilder: Kontext, Ikonographie, Erzählkonzept (‘Raphael’s Roman
altarpieces: context, iconography, narrative concept’), published in 2002, and continued her postdoctoral research at the University of Bonn, as part of the programme ‘The Renaissance in Italy
and its European reception’, financed by the Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). From 2001
to 2010, she was a research assistant at the Institute of Art History at the University of Marburg
where, in 2008, she obtained her teaching qualification with a dissertation on the ‘Wittelsbachs
and Europe: cultural transfer in a court at the beginning of the modern era’ (Die Wittelsbacher und
Europa: Kulturtransfer am frühneuzeitlichen Hof), published in 2012. In 2008–9 and 2010-2, she was a
substitute professor at the University of Marburg. Since 2012 she has occupied the history of art
chair and is full professor at the University of Münster (WWU). Her main areas of research are
cultural transfers at the beginning of the modern era, representation in the royal court, its media
and rituals, the art of Raphael, the culture of the portrait and medialities of the sacred.
eva.krems[at]uni-muenster.de
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