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(avec H. Duday), “Des formes et du temps de la mémoire dans une nécropole de Pompéi”, Les Nouvelles de l’archéologie n°132, 2013, p. 48-54.

n° 132 Juin 2 0 1 3 Les Nouvelles de l’archéologie Une archéologie des temps funéraires ? Hommage à Jean Leclerc Éditions de la Maison des sciences de l’homme Éditions Errance Les Nouvelles de l’archéologie Sommaire Dossier : Une archéologie des temps funéraires ? Hommage à Jean Leclerc sous la direction de Grégory PEREIRA 3 Grégory PEREIRA | Introduction 1 | S OINS 8 12 17 23 Jean-Gabriel PARIAT et Florence DUSSÈRE | Sur la piste du mort habillé : les matières organiques piégées dans le mobilier métallique Sandrine BONNARDIN | La parure dans la chronologie des temps funéraires. Quatre exemples néolithiques Corinne THEVENET | La mise en bière au Néolithique ancien en Allemagne Dominique CASTEX et Sacha KACKI | Funérailles en temps d’épidémie : croyances et réalité archéologique 2 | DU 30 36 41 54 60 65 CADAVRE AUX OSSEMENTS : LE TEMPS DES TRANSFORMATIONS Pascal SELLIER et Julio BENDEZU-SARMIENTO | Différer la décomposition : le temps suspendu ? Les signes d’une momification préalable Louiza AOUDIA | Du cadavre à l’objet, de l’objet au dépôt funéraire. Exemples de modifications des os humains chez les derniers chasseurs-cueilleurs d’Algérie Isabelle LE GOFF | Brûler le défunt pour traverser le temps des funérailles 3 | DU 48 ET PRÉSENTATION : LE TEMPS DU CADAVRE SOUVENIR À L ’ OUBLI : LE TEMPS DES OSSEMENTS Henri DUDAY & William VAN ANDRINGA | Des formes et du temps de la mémoire dans une nécropole de Pompéi Fanny BOCQUENTIN | Après la mort, avant l’oubli : les crânes surmodelés du Levant sud Frédérique VALENTIN, Grégory PEREIRA & Jennifer KERNER | Du provisoire conçu pour durer ? La question du statut des restes dans les dépôts funéraires partiels Arnaud BLIN & Philippe CHAMBON | Du cadavre à l’oubli. Désindividualisation et déshumanisation des restes dans les sépultures collectives néolithiques Actualités 71 Jeanne PUCHOL | Silex and the city, ou le côté obscur du biface N° 132 Juin 2013 En couverture : Sépulture collective néolithique fouillée sous la direction de Jean Leclerc à Bazoches-sur-Vesles. Les Nouvelles de l’archéologie Rédaction Fondation de la maison des sciences de l’homme 190, avenue de France CS no 71345 75648 Paris cedex 13 Téléphone : 01 49 54 21 02 Télécopie MSH : 01 45 48 83 53 Courriel : nda@msh-paris.fr Internet : http://www.nda.msh-paris.fr Directeur scientifique François Giligny (Université de Paris-I ) Rédactrice en chef Armelle Bonis (Conseil général du Val-d’Oise, direction de l’Action culturelle) Secrétaire de rédaction Nathalie Vaillant (FMSH) Relecture et maquette Virginie Teillet (Italiques) Comité de rédaction Aline Averbouh (CNRS, Toulouse) Olivier Blin (INRAP, Centre/Île-de-France) Dorothée Chaoui-Derieux (SRA, Île-de-France, Paris) Virginie Fromageot-Laniepce ( Séverine Hurard (INRAP, Île-de-France) Claudine Karlin (CNRS, Nanterre) Sophie Méry (CNRS, Nanterre) Stéphen Rostain (CNRS, Nanterre) Nathan Schlanger (INRAP, Paris) Antide Viand (Service archéologique des Hautsde-Seine, Nanterre) Comité de lecture Peter F. Biehl (State University of New York, Buffalo, États-Unis) Patrice Brun (Université de Paris-I ) Michèle Brunet (Université de Lyon-II ) Joëlle Burnouf (Université de Paris-I ) Noël Coye (Ministère de la Culture, Paris) André Delpuech (Musée du quai Branly, Paris) Bruno Desachy (EPCI, Mont-Beuvray) François Favory (Université de Franche-Comté, Besançon) Xavier Gutherz (Université Paul-Valéry Montpellier-III ) Marc Antoine Kaeser (Musée du Laténium, Neuchâtel, Suisse) Chantal Le Royer (Ministère de la Culture, Rennes) Fabienne Médard (Université de Bâle, Suisse) Christophe Moulhérat (École française d’Athènes) Agnès Rousseau (SRA, Bourgogne) Alain Schnapp (Université de Paris-I, Paris) Stéphanie Thiébault (MNHN, Paris) Élisabeth Zadora-Rio (CNRS, Paris) Directeur de publication Michel Wieviorka (FMSH) Abonnement ÉPONA SARL, 82 rue Bonaparte, 75004 Paris. Tél. : 01 43 26 40 41. Fax : 01 43 29 34 88. Courriel : archeoli@club-internet.fr Vente http://www.lcdpu.fr/revues/?collection_id=1666 Comptoir des presses, 86 rue Claude Bernard, 75005 Paris. Tél. : 01 47 07 83 27 Revue de la Fondation de la maison des sciences de l’homme, soutenue par la sousdirection de l’archéologie (ministère de la Culture) et l’Institut national des sciences humaines et sociales du CNRS. Les articles publiés, approuvés par le comité de lecture, sont sollicités par le comité de rédaction ou envoyés spontanément par leurs auteurs. Les Nouvelles de l’archéologie proposent régulièrement un dossier de trente à cinquante pages ou des actes de colloques, séminaires, tables rondes, dont les thématiques concordent avec la ligne éditoriale. La revue publie aussi des articles d’actualité et des informations sur la politique de la recherche, l’enseignement et la formation, le financement et les métiers de l’archéologie, les expositions, publications, congrès, films, sites Internet et autres moyens de diffusion des connaissances. Ces dernières sont également mises en ligne, ce qui permet de suivre l’actualité entre deux livraisons. RECOMMANDATIONS AUX AUTEURS L’article ne peut excéder 25 000 signes, notes et bibliographie comprises. Le nombre maximum d’illustrations est fixé à cinq. Les appels bibliographiques doivent figurer dans le texte entre parenthèses, selon le système (auteur date). Les références complètes doivent être regroupées en fin d’article, par ordre alphabétique et, pour un même auteur, par ordre chronologique. Dans le cas de plusieurs articles publiés la même année par un même auteur, mettre par exemple 2001a, 2001b, 2001c. Les rapports finaux d’opération (RFO) et les mémoires universitaires sont déconseillés en bibliographie – sauf s’ils n’ont pas encore fait l’objet d’une publication. Les articles sont soumis à une évaluation anonyme par le comité de lecture et relus par le responsable éventuel du dossier. Les auteurs sont tenus d’intégrer les modifications demandées, qu’elles soient d’ordre scientifique ou rédactionnel. Dans le cas d’un article à signatures multiples, la rédaction n’entre en relation qu’avec le premier auteur, à charge pour lui de négocier les corrections avec ses coauteurs. La publication de chaque article est conditionnée par la signature et le renvoi du contrat d’auteur. Le bon à tirer final de chaque numéro est donné par la rédaction des Nouvelles de l’archéologie, qui se réserve le droit d’apporter d’ultimes corrections formelles. Après publication, l’auteur reçoit un exemplaire du numéro et une version pdf de son article. Présentation des références dans le texte et en bibliographie •฀(Auteur฀date,฀volume฀:฀pages).฀Exemple฀:฀(Dumont฀1983฀:฀113-130)฀ou฀bien฀(Lepage฀ 1756,฀ 2฀:฀ 223-598).฀ En฀ l’absence฀ d’auteur,฀ remplacer฀ le฀ nom฀ d’auteur฀ par฀ le฀ titre฀ abrégé. Exemple : (Dictionnaire des synonymes…฀1992฀:฀33-46). •฀ Pour฀ les฀ ouvrages฀:฀ Nom,฀ initiale฀ du฀ prénom.฀ Date.฀ Titre. Lieu d’édition, éditeur, nombre de pages. Ex. : LOTHAIRE,฀E.฀1989.฀Figures de danse bulgares. Paris, Dunod. •฀Pour฀un฀article฀dans฀une฀revue฀:฀Nom,฀initiale฀du฀prénom.฀Date.฀«฀Titre฀de฀l’article฀»,฀ titre de la revue, volume, numéro : page à page. Ex. : GLASSNER,฀ J.฀ 1993.฀ «฀Formes฀ d’appropriation฀du฀sol฀en฀Mésopotamie฀»,฀Journal asiatique,฀16,฀273฀:฀11-59. •฀ Pour฀ un฀ article฀ dans฀ un฀ volume฀ d’actes฀ par฀ exemple฀:฀ Nom,฀ initiale฀ du฀ prénom.฀ Date.฀ «฀Titre฀ de฀ l’article฀»,฀ in : prénom et nom des directeurs de l’ouvrage, titre de l’ouvrage. Ville d’édition, éditeur : page à page. Ex. : LEMONNIER,฀ P.฀ 1997.฀ «฀Mipela฀ wan฀bilas.฀Identité฀et฀variabilité฀socio-culturelle฀chez฀les฀Anga฀de฀Nouvelle-Guinée฀»,฀ in : S. TCHERKÉZOFF & F. MARSAUDON (éd.), Le Pacifique-Sud aujourd’hui : identités et transformations culturelles. Paris, CNRS฀Éditions฀:฀196-227. DOSSIERS à PARAÎTRE : Financement et réglementation de l'archéologie (fin du siècle - début XXe siècle) - Archéologie et art contemporain - L'archéologie du Grand Froid. XIXe Le n° 132 a été tiré à 800 exemplaires. Abonnement du 1er janvier au 31 décembre 2013 – 4 numéros : FRANCE : 40 euros (étudiants : 36 euros) ÉTRANGER : 44 euros (étudiants : 40 euros) PRIX AU NUMÉRO : 12 euros ISSN : n° 0242-7702. ISBN : 978-2-7351-1636-2. 3 | DU SOUVENIR À L ’ OUBLI : LE TEMPS DES OSSEMENTS Des formes et du temps de la mémoire dans une nécropole de Pompéi Henri Duday* & William Van Andringa** L es développements fondamentaux qu’a connus l’archéologie funéraire au cours des dernières décennies tiennent surtout aux considérations relatives à la disposition des restes osseux dans la tombe, à la prise en compte de la taphonomie du cadavre dans la restitution du micromilieu au sein duquel s’est opérée la décomposition, à l’essor des méthodes de l’ostéologie quantitative et, plus récemment, au croisement des données de l’anthropologie biologique avec les paramètres archéologiques. De fait, cette approche ne prend en compte que la première des deux composantes essentielles qui définissent la tombe : certes, celle-ci est le réceptacle des restes matériels du défunt, mais elle est aussi le point d’ancrage des cultes commémoratifs. Dans la plupart des cas auxquels nous sommes confrontés, seule la partie profonde฀des฀sépultures฀est฀préservée฀;฀il฀est฀donc฀normal฀que฀l’archéologie฀de฀la฀mort฀ ait principalement traité du dépôt funéraire, c'est-à-dire du corps ou de ce qu'il en subsiste, et du mobilier placé à ses côtés. Les gestes commémoratifs intervenant au moment de la fermeture de la tombe, ou après elle, les vestiges qui en témoignent se trouvent principalement à la surface du sol, de sorte que les archéologues ont rarement l’occasion de les observer. D’autres études portent sur les monuments ou les inscriptions funéraires mais les objets qu’elles traitent sont le plus souvent dissociés des considérations relatives aux défunts eux-mêmes et aux gestes qui ont présidé à leur mise en sépulture. Il est finalement exceptionnel de pouvoir considérer l’un et l’autre de ces deux aspects pour une même tombe, a fortiori pour un ensemble de tombes. Ce constat a été à l’origine d’un programme de recherche initié et coordonné par l’un de nous (W. V. A.) et S. Lepetz, qui a porté sur un quartier funéraire de la nécropole de la Porta Nocera à Pompéi. La fouille s’est déroulée de 2003 à 2007 sous l’égide de l’École française de Rome et de la Surintendance archéologique de Pompéi, et ses résultats ont fait l’objet d’une publication monographique récente (Van Andringa et al., 2013). Cette fouille concernait cinq puis trois enclos funéraires contigus – trois d’entre eux, à l’origine séparés, ayant ensuite fusionné – bordant la route qui part de Pompéi en direction de Nocera (fig. 1). Les occupations funéraires dans ce secteur s’échelonnent 48 * Directeur de recherche au CNRS, UMR 5199 PACEA, Université de Bordeaux et Laboratoire de Paléoanthropologie de l’École pratique des hautes études, h.duday@pacea.u-bordeaux1.fr ** Professeur à l’Université de Lille 3, william.va@free.fr Les Nouvelles de l’archéologie no 132 – Juin 2013 Henri Duday & William Van Andringa | Des formes et du temps de la mémoire à Pompéi Limite du trottoir Enclos 21 203 US 21023 1 104 105 Enclos 25a 46 41 40 3 2 45 102 101 6 108 107 201 207 32 212 43 8 25 42 Fosse 1 213 Bûchers 211 10 36 Secteur 210 Fosse 2 Enclos 25 11 Aire de crémation secteur 250 Fosse 4 44 37 30 35 Fosse 3 Enclos 23 12 13 48 Fosse 23288 56 15 14 38 22 16 24 18 9 55 54 0 2,5 m Secteur 25 sud 33 17 entre la période augustéenne et la destruction définitive de la฀ville฀antique฀en฀79฀ap.฀J.-C.,฀soit฀sur฀une฀durée฀d’environ฀ un siècle. Grâce à une observation détaillée des unités stratigraphiques, nous avons pu établir un phasage précis pour chacun des enclos. Ainsi, pour l’ensemble constitué par les enclos 23OS, 25OS et 25bOS, quatre phases subdivisées en plusieurs états ont été reconnues, avec un événement important qui survient aux alentours de 60 ap. J.-C. : Phileros, un affranchi de la maison des Vesonii, acquiert l’enclos et y fait ériger un monument orné de trois statues, la sienne et celle de son ami Marcus Orfelius Faustus encadrant celle de sa patronne, Vesonia. L’enclos voisin 21, une construction fermée à fronton de façade, n’a été qu’en partie fouillé. Il est néanmoins établi qu’il a lui aussi fonctionné entre la période augustéenne et฀ l’éruption฀ de฀ 79.฀ Fait฀ tout฀ à฀ fait฀ exceptionnel,฀ l’aire฀ sur฀ laquelle ont été incinérés sa fondatrice, Stallia Haphe, et un enfant nommé Bebryx – c’est-à-dire au moins deux des défunts dont les tombes se trouvent à l’intérieur de l’enclos –, a฀pu฀être฀étudiée฀;฀elle฀se฀trouve฀sur฀un฀terre-plein฀juste฀à฀l’arrière de l’édifice. L’histoire de l’enclos 25a, accoté au mur ouest de l’enclos 23, est beaucoup plus brève. Ce petit monument a en effet été érigé aux alentours de 60 ap. J.-C. en l’honneur d’une affranchie du nom de Castricia Prisca, morte à l’âge de 25 ans. Au total, 57 tombes à crémation ont été fouillées pour 58 sujets : une tombe double et une tombe triple dans l’enclos 23, et une tombe vide dans l’enclos 25a, qui a en outre Les Nouvelles de l’archéologie no 132 – Juin 2013 52 53 19 21 34 51 27 29 Bûchers 206 205 5 7 Fosse 5 202 204 31 39 103 106 28 47 23 Enclos 25c 208 Enclos 25b 26 Fig. 1 – Plan du quartier funéraire fouillé dans la nécropole de la Porta Nocera à Pompéi. La route antique est au nord des enclos. la particularité d’avoir livré les restes d’un individu répartis entre deux tombes. À cela s’ajoutent cinq inhumations de sujets immatures. Dans leur forme la plus courante, les tombes sont constituées de la manière suivante : les os brûlés, collectés sur l’aire de crémation et enveloppés d’un tissu (sac, linge replié ?), sont placés dans une urne culinaire en céramique, plus rarement en plomb, ou dans un contenant en matière périssable, ce réceptacle étant ensuite déposé au fond d’une fosse. Des résidus provenant du curage partiel du bûcher peuvent être déversés dans celle-ci, avant ou après que l’urne y soit placée. Un tube à libations en céramique ou en bois (?) assure la communication entre la partie profonde de la tombe et la surface, la stèle est mise en place et, enfin, la fosse est comblée. Au pied de la stèle, une plaque de scellement en pierre disposée à l’horizontal présente en général une encoche semi-circulaire qui s’emboîte sur le sommet du tube à libations. Dans quelques cas, il n’y a ni tube ni plaque de scellement mais un petit tertre de terre, délimité par quelques petites pierres disposées en arc de cercle, est constitué juste en avant de la stèle. L’ensemble est donc cohérent, son utilisation couvre une période relativement brève, elle-même subdivisée en plusieurs phases, et sa fouille nous a permis d’analyser à la fois les aménagements de surface, les restes épars sur les sols de circulation et le contenu des fosses funéraires. C’est à partir de ce corpus exceptionnel que nous aborderons diverses formes que peut prendre la mémoire dans le contexte des nécropoles romaines. 49 D os s i er Une archéologie des temps funéraires ? Hommage à Jean Leclerc Fig. 2 – Stèle funéraire d’Erotis, jeune femme morte à 14 ans, 9 mois et 21 jours. Rome, nécropole Santa Rosa, Cité du Vatican (photo H. Duday). Fig. 3 – Enclos 23, tombe 19. Le chignon à la face postérieure de la tête est ici évident (photo A. Gailliot, mission archéologique de Porta Nocera). Fig. 4 – Enclos 25b, tombe 28. Les fragments de l’urne et le couvercle ont été soigneusement replacés dans la fosse après l’extraction de la stèle et le bris de l’urne. En bas, les éléments du calage originel de la stèle (photo A. Gailliot, mission archéologique de Porta Nocera). La mémoire affichée Il s’agit bien évidemment ici d’évoquer les épitaphes qui informent le passant, d’une manière plus ou moins complète, sur l’identité du défunt et parfois sur le (ou les) dédicant(s). L’inscription indique le commanditaire du monument et les personnes destinées à y être accueillies : ainsi, un peu plus à l’est dans la nécropole, nous savons qu’un mausolée circulaire a été érigé par Barchilla, 1. VEIAN.F.BARCHILLA/SIBI.ET/N. fille de Veianus, pour elleAGRESTINO.EQUITIO/PULCHRO.VIRO.SUO. même et pour le chevalier฀ Agrestinus,฀ «฀son฀ bel฀ 2. Dans l’enclos 21, le défunt de la homme฀»1. Les stèles qui surtombe 204, Atimetus, esclave de montent les tombes portent Comicia, était l’intendant de la maison. en général des inscriptions 3. assez succinctes qui menDans l’ensemble étudié, il est toutefois tionnent le nom du défunt, certain que les stèles anépigraphes ne son statut et son âge au portaient pas d’inscriptions peintes. décès, très exceptionnellement sa fonction2. Dans l’ensemble qui nous occupe, les stèles épigraphes sont cependant assez rares – 10 cas seulement pour 39฀ stèles฀ observables฀ –฀ et฀ les฀ informations฀ qu’elles฀ délivrent฀ n’atteignent jamais la précision que l’on peut observer dans certaines nécropoles contemporaines (fig. 2). Même lorsqu’elles sont anépigraphes, ou si l’inscription peinte dessus a disparu3, les stèles apportent parfois des indications pertinentes : plusieurs, en lave ou en calcaire, ont une tête hémisphérique avec une face antérieure plane et une face postérieure฀convexe฀;฀certaines฀présentent฀à฀l’occiput฀une฀excroissance arrondie qui figure un chignon (fig. 3) et, dans ce cas, il est certain qu’elles concernent une femme. À l’inverse, les stèles de même type dépourvues de chignon signalent sans doute des tombes masculines. 50 La mémoire effacée Dans un article fondamental sous bien des aspects, J. Leclerc a฀abordé฀la฀question฀de฀la฀durée฀:฀«฀De฀façon฀très฀générale,฀et฀ dans l’intention des acteurs, une sépulture est conçue pour toujours. […] Voilà qui est très clair – car en matière de sentiment […] le mot “toujours” a un sens très précis : c’est le temps nécessaire pour oublier. Encore faut-il distinguer l’oubli individuel฀de฀l’oubli฀collectif฀»฀(Leclerc฀1990฀:฀16). L’une des fonctions essentielles de la tombe étant d’être le point d’ancrage de cérémonies commémoratives, il importe de savoir pendant combien de temps elles ont été pratiquées et, d’une manière plus large, pendant combien de temps le marquage de la sépulture a 4. été préservé et entretenu. En Un doute subsiste cependant pour des tombes dont on est sûr qu’elles général, le seul moyen dont possédaient bien à l’origine un tube à nous disposions pour traiter libations, dont la présence est attestée cette question consiste à estipar des infiltrations en profondeur mer le laps de temps minide coquilles d’escargots venus de la surface. Il est en effet possible que mal qui sépare deux tombes l’absence du tube soit due au fait qu’il dont la seconde a recoupé la ait été en matière périssable (bois ?) première. Il y a fort à parier plutôt qu’arraché ultérieurement. Dans que, dans ce cas, le souvenir le cas de la tombe 42, l’empreinte du de celle-ci s’était estompé tube à libations arraché a pu être mis en évidence à l’aplomb de l’urne. et que son marquage au sol avait disparu. La précision du phasage chronologique de l’enclos 23-25 nous a permis d’une part de prouver l’occultation de certaines sépultures au moment de la mise en place d’un remblai destiné à l’implantation de nouvelles tombes, d’autre part de retracer les gestes qui฀ont฀accompagné฀cette฀«฀condamnation฀»฀définitive.฀ La plaque de scellement a parfois été enlevée ainsi, sans doute, que le conduit à libations4฀;฀la฀stèle฀n’a฀jamais฀été฀laissée฀en฀ Les Nouvelles de l’archéologie no 132 – Juin 2013 Henri Duday & William Van Andringa | Des formes et du temps de la mémoire à Pompéi place,฀elle฀a฀pu฀être฀«฀décapitée฀»,฀c’est-à-dire฀brisée฀au฀ras฀du฀ sol (tombe 32), ou bien entièrement arrachée – auquel cas on a pu l’emporter ou l’abandonner couchée au sol, près de son฀emplacement฀originel฀(tombe฀39-40).฀En฀revanche,฀l’urne฀ cinéraire a toujours été laissée en place dans la partie profonde de la tombe, conformément au droit romain qui interdit toute atteinte aux os du défunt. L’exemple de la tombe 28 offre une illustration tout à fait saisissante du respect dont faisaient l’objet les restes humains : l’arrachement de la stèle s’est en effet accompagné du bris involontaire de l’urne dont les fragments ont été soigneusement recueillis et empilés avec le couvercle au fond de la fosse, avant que le reste du vase contenant la motte d’os brûlés et de sédiment infiltré ne soit ensuite replacé au-dessus (fig. 4). La mémoire entretenue La fréquentation régulière et continue de la nécropole s’est naturellement accompagnée d’une élévation du niveau de circulation à l’intérieur des enclos. Les parties les plus super ficielles des tombes ont été progressivement ennoyées dans le sédiment, ce qui n’a pas manqué de poser quelques problèmes pour l’entretien de la mémoire et l’exécution des gestes de commémoration. Quelques observations rendent compte de la manière dont les Pompéiens ont remédié à cet état de fait. Les premières témoignent du souci de pérenniser le souvenir du défunt en préservant la lisibilité de son épitaphe. Dans les deux cas qui nous intéressent ici, l’inscription se trouvait à Tombes 201, 202, 203 et 207, Coupe 1 l’avant de la stèle sous le rétrécissement figurant le cou, c’està-dire au niveau du thorax, de sorte qu’elle a dû rapidement être occultée par l’accumulation des terres rapportées. Quand les sépultures d’une femme adulte anonyme (tombe 203) et d’un garçonnet de 6 ans nommé Bebryx (tombe 201) ont été installées de part et d’autre de la tombe 202, datée vers 0-40 ap. J.-C. et qui entretenait la mémoire de la titulaire fondatrice de l’enclos, Stallia Haphe, la stèle de celle-ci a été exhaussée d’une vingtaine de centimètres alors que sa plaque de scellement restait en profondeur, à son niveau initial. Or, la฀ tombe฀ 203฀ est฀ attribuée฀ à฀ la฀ phase฀ 50-79฀ ap.฀ J.-C.฀ et฀ la฀ tombe฀201,฀à฀la฀phase฀70-79฀ap.฀J.-C.฀:฀le฀souci฀d’honorer฀la฀ mémoire de Stallia Haphe s’est donc perpétué sur une, voire plus probablement deux générations après son décès (fig. 5). La stèle d’Atimetus (tombe 204), dont la tombe remonte elle aussi à la période 0-40 ap. J.-C., a également été réajustée peu de temps avant l’éruption du Vésuve, de telle manière que le nom du défunt reste lisible alors que sa fonction d’intendant semblait oubliée. Dans฀ l’enclos฀ 23,฀ la฀ tombe฀ 19฀ donne฀ en฀ revanche฀ l’exemple฀ d’une surélévation du dispositif destiné au déroulement des cérémonies commémoratives. Cette fois, la plaque de scellement a été rehaussée d’environ 10 cm de manière à rester visible et fonctionnelle : alors qu’en général sa surface affleure à peu près au niveau de l’élargissement figurant les épaules, donc au-dessous du cou, elle se situe ici au quart inférieur de la face. De ce fait, l’extrémité supérieure du conduit à libations n’affleurait plus à la surface de la plaque et il a fallu rétablir Carré 28 Carré 27 Carré 27 Carré 26 stèle 21018 stèle 21013 - 1.00 - 1.00 stèle 21019 conduit 21021 lapilli 21304 = 21305 21113 21334 21110 21310 - 1.50 couvercle 21324 21322 = 21323 balsamaire conduit 21320 = 21321 couvercle co 21328 21105 urne sédiment jaune 21104 os 21109 - 1.50 couvercle couvercle 21024 Sép. 201 21107 sédiment jaune vide 21213 21025 21106 21207 infiltration sédiment gris clou 21203 dalle 21315 = 21316 balsamaire 21102 21014 21202 21311 = 21312 21313 = 21314 21317 = 21318 21205 21210 terre noire 21308 = 21309 21101 21101 calage 21301 21302 = 21303 21704 21703 21214 urne monnaie 21701 21707 urne 21216 21327 21325 21208 21326 Sép. 203 urne 21319 os 21702 21708 21709 21215 Sép. 202 21705 Sép. 207 1/10 Fig. 5 – Enclos 21, coupe frontale montrant de gauche à droite les tombes 203, 202 (Stallia Haphe) et 201 (Bebryx). La stèle de la tombe 202 a été remontée de manière à être à la même hauteur que celle de la tombe 206, alors que sa plaque de scellement est restée à son emplacement originel, c'est-à-dire au niveau du sol de l’enclos au moment de son installation. Les Nouvelles de l’archéologie no 132 – Juin 2013 51 D os s i er Une archéologie des temps funéraires ? Hommage à Jean Leclerc la฀continuité฀en฀y฀ajoutant฀un฀«฀étage฀»฀supplémentaire฀sous฀la฀ forme d’un couvercle conique retourné percé en son centre. La tombe 17 se signale par un dispositif sensiblement différent : pas de tube à libations ni de plaque de scellement mais un petit tertre de terre stérile accumulé en avant de la stèle, juste au-dessous du cou, et ceinturé d’une couronne rayonnante de petits galets blancs. L’élévation des niveaux de circulation a peu à peu ennoyé le tertre qui a alors été rechargé, avec mise en place d’une nouvelle couronne de petites pierres : il est clair que l’on a voulu maintenir la fonctionnalité de cette petite aire bien délimitée. Une forme particulière de la mémoire : la pré-programmation de dépôts consécutifs dans la même tombe Le fait de concevoir d’emblée une tombe pour qu’elle reçoive les restes de deux personnes ne renvoie pas nécessairement à la notion de mémoire. Ce peut être, en effet, la réponse apportée à deux décès simultanés ou, du moins, suffisamment proches dans le temps pour que la mise en terre des défunts se fasse au même moment. Si, dans le cas des inhumations, la déposition5 synchrone implique 5. effectivement que les décès Le terme « déposition » pourra surprendre, l’usage qui en est fait ici n’étant pas ont été contemporains6, il conforme à la définition qu’en donnent n’en va pas de même pour la plupart des dictionnaires usuels. les sépultures à crémation. Dans le Dictionnaire historique de Les os brûlés constituent en la langue française, Alain Rey écrit cependant : « Furetière signale son emploi effet une matière inerte et classique, dans le langage religieux, stable qui peut être conserpour l’enterrement d’un défunt ». Cette vée฀en฀l’état฀fort฀longtemps฀;฀ acception existe donc dans notre on peut donc imaginer que langue, elle est analogue à celle du mot quelqu’un ait conservé les « deposizione » en italien. Elle présente en outre l’avantage de ne pas créer de restes d’un de ses proches confusion avec le « dépôt funéraire », jusqu’au moment où luiexpression par laquelle on entend aussi même vient à mourir, leurs les objets (« artefacts et écofacts ») que cendres étant ensuite réul’on place dans la tombe ou au-dessus de celle-ci après sa fermeture. Le mot nies dans la même sépulture. « dépôt » peut également avoir une Opter pour l’une de ces deux connotation plus neutre qui n’implique éventualités est évidemment pas un fait intentionnel (dépôt difficile mais il est certain sédimentaire, dépôt éolien…). que, dans les cas qui se sont 6. À moins, bien sûr, que l’un des corps n’ait présentés à nous, les deux défunts n’ont pas été brûlés été conservé, notamment par le froid… sur le même bûcher puisque leurs os sont séparés entre deux urnes. On trouve ainsi associés dans une même tombe deux adultes âgés – une femme et très probablement un homme dans les tombes 25 et 7, un homme et très probablement une femme dans les tombes 12 et 30 –, ou encore un adulte accompagné d’un enfant – un homme et un enfant de 4 ans à 6 ans et demi dans les tombes 11 et 37, probablement un homme et un adolescent de 13 à 14 ans dans les tombes 40 et 13. Le nombre de dépôts doubles avérés est donc élevé puisqu’il atteint quatre cas au moins, soit 8 individus sur un effectif de 58, ce qui peut surprendre si l’on s’en tient à la seule hypothèse de morts simultanées. Cela n’est toutefois pas impossible dans le contexte pompéien, des séismes assez violents ayant affecté la cité au cours des décennies qui ont précédé sa ruine définitive. 52 Il est en revanche certain que les tombes 15 et 21 ont dès l’origine été conçues pour recevoir les restes de plusieurs sujets. Le réceptacle cinéraire est une amphore dont la capacité est très supérieure à celle des urnes habituelles et le dispositif autorise une réouverture aisée du conduit à libations qui est en fait, aussi, l’orifice par lequel les 7. restes osseux brûlés ont été Dans les autres tombes, la partie introduits dans le récipient7. inférieure du conduit à libations occupe une position variable par rapport L’épitaphe gravée sur la stèle à l’urne : il peut n’y avoir aucune de la tombe 15 concerne communication directe avec les restes un jeune homme nommé osseux, le tube débouchant soit à côté Eliodorus, mort à 18 ans. du vase, soit sur le couvercle qui le ferme hermétiquement ; dans d’autres cas, les La partie inférieure de l’amprofusiones ont pu baigner les os brûlés, phore a effectivement livré le couvercle, alors souvent disposé à les restes d’un adolescent l’envers, présentant un petit orifice (sujet 15B) mais il y avait, central obtenu par le bris du bouton de immédiatement au-despréhension. Quel que soit le dispositif, il est clair que les os brûlés n’ont pu être sus, les restes brûlés d’un introduits par le tube à libations. adulte robuste relativement âgé et de sexe indéterminé (sujet 15A). À l’interface entre les deux sujets, une myriade d’infimes particules blanches traduit la percolation de particules osseuses au travers de l’amas osseux aéré correspondant à l’adulte 15A. Le fait qu’elles se soient arrêtées à la surface du dépôt 15B montre que les infiltrations de sédiment avaient complètement colmaté celui-ci au moment où les os de l’adulte 15A ont été introduits dans l’amphore. Il n’est évidemment pas possible d’estimer le temps nécessaire à ce comblement mais il est bien certain que les deux dépôts ont été séparés par un intervalle assez long : la pré-programmation est ici avérée. L’amphore 21 a reçu les restes brûlés d’un enfant d’environ฀9฀mois฀(sujet฀21C),฀puis฀d’un฀adolescent฀sans฀doute฀de฀sexe฀ masculin (sujet 21B), enfin d’une jeune femme (sujet 21A) qui était très probablement Vesonia Urbana, dont la stèle nous apprend qu’elle est morte à l’âge de 20 ans. Entre les dépôts des sujets 21C et 21B est intervenue la construction d’un coffre฀composé฀de฀tuiles฀plates฀(tombe฀29)฀dans฀lequel฀a฀été฀ inhumé฀un฀enfant฀d’environ฀1฀an฀à฀1฀an฀et฀demi฀;฀et฀l’intervalle de temps qui a séparé les dépôts des sujets 21B et 21A a été suffisant pour que de nombreux animaux (batraciens, lézards, limaces…) tombent dans l’amphore et y restent piégés. Ici encore, il est clair que le fonctionnement s’inscrit dans la durée : les tombes 15 et 21 ont donc bien été conçues, certes a minima, comme des sépultures collectives. La mémoire négative Sur la façade du monument, au-dessous des trois statues, est฀ fixée฀ la฀ dédicace฀ suivante฀:฀ «฀Publius฀ Vesonius฀ Phileros,฀ affranchi de matrone, augustal8, a fait ce monument de son vivant pour lui et pour les 8. siens, pour Vesonia, fille de Deux mentions, que nous avons Publius, sa patronne et pour soulignées dans la transcription, ont été ajoutées au texte initial. Elles Marcus Orfellius Faustus, indiquent que Phileros, après avoir affranchi de Marcus, son érigé son mausolée, a été élevé au ami฀».฀ Dans฀ la niche bâtie statut d’augustal, et que l’enclos a reçu au dos du mausolée se les restes de membres de sa famille (« et suis ») décédés avant lui. trouvaient à l’origine deux Les Nouvelles de l’archéologie no 132 – Juin 2013 Henri Duday & William Van Andringa | Des formes et du temps de la mémoire à Pompéi stèles jumelles avec, à l’avant de chacune d’elles, l’ouverture d’un conduit à libations et une urne avec son couvercle, tous ces éléments étant pris dans la maçonnerie. La tombe de Vesonia se trouve à proximité mais en dehors de la niche funéraire et légèrement décalée vers la gauche par rapport à elle. La façade porte une deuxième inscription fixée juste audessous de la première. Il s’agit d’une plaque de défixion qui dit฀:฀«฀Passant,฀arrête-toi฀un฀instant฀si฀cela฀ne฀te฀dérange฀pas฀ et apprends ce dont tu dois te garder. Celui que j’avais espéré être un ami m’a intenté des procès, procurant des accusateurs. Grâce aux dieux et en vertu de mon innocence, je fus libéré de tout ennui. Que celui de nous deux qui a menti ne soit฀reçu฀ni฀par฀les฀pénates,฀ni฀par฀les฀dieux฀infernaux฀».฀Il฀est฀ clair que celui qui a trahi la confiance de son ami n’est autre que Marcus Orfellius Faustus. Si Phileros n’avait pas la possibilité de détruire sa statue ni d’effacer son nom de la dédicace initiale qui constituait un véritable document juridique, il s’acharna à occulter sa mémoire à l’intérieur de l’espace privé de l’enclos : la stèle de Faustus fut décapitée, puis l’ouverture du tube à libations et l’embouchure de l’urne furent condamnées par une couche de mortier sur laquelle Phileros fit inscrire son propre nom. À la fouille, l’urne initialement prévue pour recevoir les cendres de Faustus s’est révélée totalement vide. La mémoire « arrangée » La stèle en marbre blanc qui surmonte la tombe 5 de l’enclos 23 indique que le défunt se nommait Publius Vesonius Proculus et qu’il a vécu 13 ans9. Le coffre rectangulaire qui constitue le réceptacle funéraire contenait un amas de cendres et d’os humains brûlés qui se rapportent à un enfant de sexe indéterminé dont l’âge au décès peut être estimé entre 5 et 7 ans10. Ce résultat est évidemment incompatible avec l’épitaphe et, pourtant, il est certain que la tombe a été construite฀en฀une฀seule฀fois,฀qu’il฀n’y฀a฀pas฀eu฀de฀«฀vidange฀»฀ d’un éventuel dépôt initial et que la stèle n’est pas en remploi11. Comment expliquer une telle discordance ? Les tria nomina indiquent que cet enfant est né alors que son père était déjà affranchi. En l’occurrence, cette particularité faisait de lui le fondateur de la nouvelle lignée familiale des Vesonii, ce qui explique l’emplacement donné à sa tombe, dans l’axe de la niche où était aménagée celle de son père et฀à฀proximité฀de฀T2฀qui฀contenait฀les฀restes฀de฀Vesonia.฀Une฀ fouille minutieuse a en effet 9. montré que les concepteurs P VESONIO / PROCVLO / V A < XIII< de la sépulture de Proculus, dépositaire légal du nom 10. Estimation réalisée par E. Portat par familial, ont cherché à réula diagnose probabiliste de l’âge : nir de façon symbolique ses entre 5 ans 2 mois et 7 ans. dépôts osseux avec ceux de la patronne de Phileros, 11. La stèle a été façonnée dans un qui fut peut-être la dernière grand fragment de plinthe de marbre. représentante des Vesonii. Il s’agit donc d’un remploi de matériau L’installation฀ de฀ T5฀ à฀ un฀ de construction, mais en tant que endroit privilégié de l’espace stèle, elle est manifestement dans sa situation originelle. sépulcral a entraîné le dépla- Les Nouvelles de l’archéologie no 132 – Juin 2013 12. cement฀ de฀ la฀ stèle฀ de฀ T4512, Ce déplacement d’une stèle marquant les deux signalisations étant l’emplacement d’une tombe n’est pas réunies฀ au-dessus฀ de฀ T3฀ par฀ un fait isolé. La stèle de la tombe 8 a le dépôt d’un fragment de en effet été décalée au moment où la sol en béton utilisé comme tombe double 7-25 a été implantée, la fosse de grandes dimensions étant plaque de scellement. Or les prévue pour la mise en place de deux tombes 3 et 45, très proches urnes cinéraires. dans leur conception, ont livré les os de deux hommes adultes dont tout donne à penser qu’ils étaient des fils de Phileros, nés avant que celui-ci n’ait été affranchi, de sorte qu’ils sont, eux, restés dans leur statut servile. Reste à expliquer une anomalie. En effet, l’étude anthropologique des restes de P. Vesonius Proculus a montré que l’enfant n’était pas mort à 13 ans comme l’indique la stèle, mais beaucoup plus jeune, entre 5 et 7 ans. Comment expliquer un tel écart ? On pourrait penser à une erreur du lapicide qui aurait gravé sur la stèle un X pour un V. Il faudrait dans ce cas que l’enfant soit mort à 8 ans, ce qui est au demeurant parfaitement฀ plausible฀;฀ surtout,฀ il฀ faudrait฀ expliquer฀ pourquoi, alors qu’un soin particulier caractérise cette tombe, les membres de la famille n’ont pas fait corriger une erreur aussi flagrante. L’hypothèse la plus probable selon nous est que ce décalage relève d’une volonté délibérée. En vieillissant l’âge au décès de son fils, né libre, Phileros, affranchi d’une famille importante de Pompéi, affirmait l’existence d’une famille légale et libre et justifiait par la même occasion le dispositif mis en place : les os de Proculus, porteur des tria nomina, étaient mis en terre à proximité des restes de Vesonia, matrone des Vesonii, et dans l’axe de la tombe de son père. La mort prématurée du jeune enfant ruinait visiblement les espoirs de Phileros de prendre le relais de l’honorabilité des Vesonii. À vrai dire, l’évocation de ces diverses formes de la mémoire n’appelle guère de conclusions : il faudra disposer d’un corpus beaucoup plus étendu pour savoir si les faits observés sont véritablement significatifs ou bien s’ils n’illustrent que des cas particuliers ou individuels. Cependant, il nous semble essentiel de souligner deux points. Le premier est que les observations archéologiques apportent un complément absolument indispensable à l’étude des textes et des inscriptions funéraires. La confrontation des données afférentes à la même tombe se révèle une voie particulièrement féconde qu’il faudra à l’avenir systématiser aussi souvent que possible. Le second est que notre connaissance des gestes commémoratifs passe nécessairement par l’observation des niveaux de circulation à l’intérieur des espaces funéraires. La pratique archéologique offre très souvent la possibilité d’étudier la partie profonde des tombes, très rarement celle d’observer les indices des gestes commémoratifs et, plus généralement, des manifestations de la mémoire, puis de son effacement. Ce constat devrait avoir des incidences sur la prescription, notamment dans le contexte de l’archéologie préventive : ne pas accorder une priorité absolue aux niveaux de fonctionnement d’un ensemble funéraire, lorsqu’ils sont suffisamment conservés, constituerait à n’en pas douter une faute grave. 53 D os s i er Une archéologie des temps funéraires ? Hommage à Jean Leclerc Et en amont, il est indispensable que le diagnostic s’attache systématiquement à vérifier si cette possibilité s’offre à nous. C’est certes une chose difficile car les témoins des cultes de la mémoire peuvent être ténus, mais les résultats seront sans nul doute à la mesure des efforts que nous saurons consentir. Références bibliographiques LECLERC J. 1990. « La notion de sépulture », Bulletins et mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, n.s., t. 2 , n° 3-4 : 13-18. VAN ANDRINGA W., DUDAY H., LEPETZ S. et al. 1993. Mourir à Pompéi : fouille d’un quartier funéraire de la nécropole romaine de Porta Nocera (2003-2007). Rome : École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 468), 2 vol. Après la mort, avant l’oubli Les crânes surmodelés du Levant sud Fanny Bocquentin* I l n’est pas exceptionnel, dans le contexte du Néolithique proche-oriental, de trouver des squelettes acéphales en sépulture et des crânes isolés en contextes variés. Ces derniers sont parfois le support d’un visage humain modelé avec différents matériaux. Ce surmodelage n’est toutefois connu que dans deux régions distantes l’une de l’autre : le Levant sud et l’Anatolie. Alors qu’il n’apparaît qu’à partir de la fin du Néolithique céramique en Anatolie (6300-5000 av. J.-C.), il est spécifique du Néolithique précéramique B moyen et récent (8200-7200 av. J.-C.) au Levant sud. Bien que peu nombreux par rapport au nombre de squelettes découverts pour ces périodes, les crânes surmodelés focalisent l’attention et suscitent des discussions sur le traitement post mortem ou même, plus largement, sur la caractérisation des pratiques฀funéraires.฀Le฀«฀culte฀des฀ancêtres฀»,฀auquel฀un฀consensus฀général฀les฀a฀longtemps rattachés, a fait l’objet de nombreuses critiques assez récentes qui ont le mérite d’interroger des acquis scientifiques, en effet, parfois fragiles. Au-delà du débat sur la nature précise des rituels auxquels sont rattachés ces crânes, leur présence pose la question du maintien, chez et parmi les vivants, de la mémoire des morts. Dans les lignes qui suivent, nous proposons un état des lieux sur cette question qui montre l’ambiguïté des données actuellement disponibles. Les crânes surmodelés : caractéristiques Le surmodelage consiste en l’application d’une matière plastique, terre, argile, cendres, plâtre ou chaux, sur un crâne sec (fig. 1). Il couvre la face (mandibule incluse ou non selon les cas) et les temporaux sur lesquels sont modelés le visage et les oreilles, ainsi que la partie inférieure de l’occipital, généralement aménagée en socle sur lequel le crâne peut reposer. Exceptionnellement, le cou est également modelé, comme฀par฀exemple฀à฀Tell฀Ramad฀où฀les฀vertèbres฀sont฀néanmoins฀absentes.฀Le฀reste฀ de la voûte crânienne (parties hautes du frontal et de l’occipital, et pariétaux), qui correspond au cuir chevelu, n’est pas couvert. Le modelage vient pallier la disparition des parties les plus charnues de la tête. Fig. 1 – Trois crânes surmodelés découverts par K. Kenyon à Jéricho en 1953 (d’après Kenyon 1981 : pl. 53a ; photographie reproduite avec la permission du Musée d’archéologie & d’anthropologie de l’Université de Cambridge). * Centre de recherche français à Jérusalem, USR 3132 CNRS (UMIFRE 7 CNRS-MAEE), Jérusalem, Israël, fanny.bocquentin@crfj.org.il 54 Les Nouvelles de l’archéologie no 132 – Juin 2013 Sommaire Dossier : Une archéologie des temps funéraires ? Hommage à Jean Leclerc sous la direction de Grégory PEREIRA 3 Grégory PEREIRA | Introduction 1 | SOINS 8 12 17 23 36 41 54 60 65 LE TEMPS DU CADAVRE CADAVRE AUX OSSEMENTS : LE TEMPS DES TRANSFORMATIONS Pascal SELLIER et Julio BENDEZU-SARMIENTO | Différer la décomposition : le temps suspendu ? Les signes d’une momification préalable Louiza AOUDIA | Du cadavre à l’objet, de l’objet au dépôt funéraire. Exemples de modifications des os humains chez les derniers chasseurs-cueilleurs d’Algérie Isabelle LE GOFF | Brûler le défunt pour traverser le temps des funérailles 3 | DU 48 : Jean-Gabriel PARIAT et Florence DUSSÈRE | Sur la piste du mort habillé : les matières organiques piégées dans le mobilier métallique Sandrine BONNARDIN | La parure dans la chronologie des temps funéraires. Quatre exemples néolithiques Corinne THEVENET | La mise en bière au Néolithique ancien en Allemagne Dominique CASTEX et Sacha KACKI | Funérailles en temps d’épidémie : croyances et réalité archéologique 2 | DU 30 ET PRÉSENTATION SOUVENIR À L ’ OUBLI : LE TEMPS DES OSSEMENTS Henri DUDAY & William VAN ANDRINGA | Des formes et du temps de la mémoire dans une nécropole de Pompéi Fanny BOCQUENTIN | Après la mort, avant l’oubli : les crânes surmodelés du Levant sud Frédérique VALENTIN, Grégory PEREIRA & Jennifer KERNER | Du provisoire conçu pour durer ? La question du statut des restes dans les dépôts funéraires partiels Arnaud BLIN & Philippe CHAMBON | Du cadavre à l’oubli. Désindividualisation et déshumanisation des restes dans les sépultures collectives néolithiques Actualités 71 Jeanne PUCHOL | Silex and the city, ou le côté obscur du biface 12 euros ISBN : 978-2-7351-1636-2