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Le dossier numérique au ministère de la Justice

2002, Document numérique

Le dossier numérique au ministère de la Justice Françoise Banat-Berger Ministère de la Justice, service des archives 13, place Vendôme, F-75042 Paris cedex 01 Francoise.Banat-Berger@justice.gouv.fr Parler de dossier numérique au ministère de la Justice peut sembler encore prématuré, dans la mesure où bien que l’informatisation des procédures soit largement avancée au sein de cette institution, la notion de dossier, qui reflète l’état d’avancement des affaires au sein d’une juridiction, est encore intimement liée à l’univers du papier, pour lequel l’attachement est encore bien réel. Et pourtant, de nombreux projets dont certains ont été mis en place, avec plus ou moins de bonheur, témoignent du désir de profiter des nouvelles technologies de l’information. Cet article témoignera des difficultés multiples qui sont apparues, en raison d’écueils tant organisationnels que techniques. Finalement, derrière ces difficultés, on se rend compte que la notion même de dossier (et de son articulation avec le document) n’a pas été véritablement pensée tandis qu’est généralement absente une réflexion sur l’intégration des projets dans les systèmes d’information existants ainsi que sur les procédures et les circuits de l’information qui conditionnent la constitution du dossier. Plus généralement, le manque de savoir-faire en matière de structuration de l’information (basée sur des plans de classement et des indexations cohérentes) constitue un facteur d’échec important. RÉSUMÉ. ABSTRACT. Though the computerization of the processes at the Ministry of Justice has begun, it is not yet appropriate to speak of electronic files. The judicial file within a court is mainly linked to paper and users still appreciate paper files. Nevertheless, a lot of projects are developed in relation with information technologies. This article explains what kind of difficulties arose here and there, concerning the scope of the project, its purposes, underevaluated risks, preservation over time, financial issues, technical matters and so on. Generally, it appears that the very concept of the file (what it is and what it means, its relation with others documents) has not been evaluated sufficiently ; then, the impact of the "file thinking" on the electronic data management system and on the procedures themselves has not been properly considered. More generally, the lack of know-how in managing structured information, classification or indexing, is involved when the project fail. : gestion électronique de documents, information numérique, structuration, indexation, informatisation, justice, juridictions, archives. MOTS-CLÉS KEY WORDS: electronic documents management, digital information, structured information, indexing, computerization, Justice, courts, archives. Document numérique. Volume 6 – n° 1-2/2002, pages 61 à 80 62 DN – 6/2002. Les dossiers numériques 1. Introduction L’idée d’écrire un article sur le dossier numérique au sein du ministère de la Justice m’a tout d’abord laissée relativement perplexe, dans la mesure où la notion de dossier, élément primordial qui reflète l’état d’avancement des affaires, de la simple liasse du procès verbal arrivant au bureau d’ordre du Parquet, jusqu’aux énormes tomes se rapportant aux affaires complexes et encombrant les chambres puis les bureaux, cette notion est encore intimement liée à l’univers papier. Bien évidemment, l’informatisation a largement pénétré le monde de la justice mais n’a pas encore entraîné l’idée d’une dématérialisation massive de l’information, même si la « déploration » sur la masse des archives judiciaires est générale. Quant au groupe de travail constitué sur la dématérialisation des actes authentiques, dont le rapport va être publié dans les semaines à venir1, s’il a été question de la possibilité de constituer des collections de minutes électroniques, les débats ont surtout porté sur les actes d’état civil ou les minutes notariales. Ceci étant, des projets, voire quelques réalisations, existent ici et là tandis que des demandes insistantes de dématérialisation pour des objectifs précis commencent à se faire entendre dans les juridictions. Il nous a semblé intéressant dans ces conditions d’interroger les contextes et limites de ces projets ou de ces réalisations, voire les raisons des échecs déjà constatés et ce, d’autant que le professionnel des archives sait qu’un projet de gestion électronique de documents peut le concerner directement, dès lors qu’une substitution du support papier au support numérique est envisagée et qu’il lui faut alors faire entendre cette problématique de la conservation à long terme, dès la mise en place du projet. 2. Le contexte de l’informatisation des juridictions Depuis plusieurs années déjà, l’enregistrement des affaires civiles et pénales est informatisé. Cette enregistrement tend à remplacer de plus en plus systématiquement les anciens outils papier (répertoires, registres et fichiers) permettant d’accéder aux minutes et dossiers papier. S’il reste encore certains outils papier, c’est soit en raison de certaines applications anciennes qui ne permettent pas de couvrir l’ensemble de la chaîne, soit en raison de particularités locales très marginales. Chaque affaire fait par conséquent l’objet d’un enregistrement contrôlé par des nomenclatures. Les applications permettent en outre, à partir des données stockées, de générer un certain nombre d’éditions (depuis les convocations aux parties, jusqu’aux jugements) adossées à des outils de traitement de texte. Ces éditions ne sont pas conservées en tant que telles dans la base. Ces applications ont bien été conçues pour faciliter le 1. I. de Lamberterie (dir.), Les actes authentiques électroniques, Réflexion juridique prospective, Paris, La Documentation française, 2002. Le dossier numérique judiciaire 63 travail des juridictions et améliorer la traçabilité des affaires, mais en aucun cas pour modifier les règles concourant à la production des documents papier. Ceci étant, la situation est encore loin d’être homogène, dans la mesure où à côté des grandes applications nationales, ont fleuri des dizaines d’applications d’initiative locale, visant à combler certaines lacunes ou répondre à des besoins spécifiques. Le degré d’informatisation des types de juridictions est inégal tandis que les couvertures fonctionnelles ne sont pas forcément identiques2. Les architectures techniques sont différentes, dans la mesure où les différentes applications ont été mises en œuvre à des dates différentes. Aujourd’hui, la tendance est à l’homogénéisation et à la mise en cohérence de l’ensemble avec une réflexion accrue portée à un référentiel technologique et à des cadres communs. De même, les couvertures fonctionnelles des applications en projet ou nouvellement mises en œuvre sont de plus en plus complètes : globalement, de plus en plus de données sont stockées dans des centaines de tables3, qui visent peu à peu à se passer dans certains cas de la consultation des dossiers papier. En ce qui concerne l’administration centrale, l’informatisation des procédures est relativement récente et ne couvre pas tous les domaines, dans la mesure où l’effort des maîtrises d’ouvrage et des maîtrises d’œuvre s’est surtout concentré sur l’informatisation des procédures dans les services déconcentrés. L’informatisation touche en priorité les procédures qui génèrent la production de dossiers papier sériels : enregistrement des recours en grâce, des consultations en matière de nationalité… et bien évidemment de la gestion des personnels. Il reste cependant un nombre non négligeable de bureaux qui en restent à des méthodes d’enregistrement traditionnels ou qui ont développé en interne des outils à partir des produits du marché (notamment Accès et Excel). Cependant, des innovations se font jour notamment au sein de la direction des services judiciaires, notamment en matière d’applications intranet, réalisations qui sont plutôt le fait d’initiatives soutenues parfois par une seule personne, assez éloignées dans l’esprit et la méthode des applications « lourdes » portées par des équipes bien constituées. 3. Les réalisations et projets de gestion électronique de documents au sein de l’administration centrale Il s’agit principalement d’une application dénommée Pack-web d’une part, et du projet de numérisation des dossiers de magistrats, d’autre part. 2. Tous les domaines d’activités des juridictions ne sont pas systématiquement couverts par les grandes applications civiles ou pénales. 3. Pour une durée limitée au sein des services utilisateurs, suivant les déclarations faites à la CNIL. 64 DN – 6/2002. Les dossiers numériques 3.1. Le Pack-web Concernant le Pack-web, il s’agit d’une application développée par un bureau de la direction des Services judiciaires, avec comme objectif affiché, de permettre un meilleur partage de l’information au sein d’une structure donnée (généralement au niveau d’un bureau comportant entre 10 et 40 personnes). Le principe en est simple : les courriers reçus ou émis, les notes et les documents divers produits ou reçus par un bureau sont numérisés (format PDF) et répliqués sur un serveur intranet, l’accès à ces documents (recherche et consultation) étant réservé à un certain nombre de personnes pourvues d’habilitations. L’enregistrement est centralisé au sein d’un bureau sur un poste (secrétariat généralement) ayant une habilitation, et possédant une messagerie avec l’adresse fonctionnelle du bureau. La personne en charge de l’enregistrement procède aux opérations de numérisation, enregistrement4, établissement du lien entre l’enregistrement et le document, avant d’effectuer l’action de réplication qui va mettre à jour le serveur intranet et éventuellement opérer l’envoi automatique de mails aux personnes concernées. Cette application est pour l’instant utilisée par le bureau porteur de l’application, par la sous-direction de la magistrature (pour la diffusion des notes et circulaires) de la direction des Services judiciaires, par la Comirce (commission de l’informatique, des réseaux et de l’information électronique), ainsi que par certains services déconcentrés, à la demande. Elle fonctionne bien et donne généralement satisfaction. Ceci étant, son point faible par exemple au bureau qui l’a développée, est la qualité de son indexation qui est en réalité une indexation libre qui ne s’appuie sur aucun plan de classement structuré, ni sur une nomenclature contrôlée, ce qui nuit bien évidemment à la pertinence des réponses. Une des propositions du service des archives du ministère a consisté en l’occurrence à apporter son aide à l’élaboration d’un plan de classement à partir duquel les termes d’indexation seront choisis ainsi qu’à intégrer dans l’outil un thesaurus déjà existant et servant à l’indexation dans d’autres services des Archives nationales. Autre faiblesse qui ne renvoie pas aux qualités techniques de l’outil, mais à un défaut d’organisation interne : personne n’a été désigné officiellement pour assurer la maintenance du produit, notamment pour aider à sa mise en œuvre dans d’autres services. Les demandes arrivent à la personne ayant développé le produit, qui n’a bien évidemment pas le temps d’assurer la maintenance. Enfin, l’application n’a pas intégré la dimension de l’archivage : ceci fera l’objet d’un développement spécifique, avec la mise en place d’un transfert automatique des données sur un serveur d’archivage, après conversion des fichiers et de leurs fiches d’identification associés, en XML. Concernant l’articulation entre le Pack-web et les dossiers papier, on peut constater que dans le bureau qui l’utilise depuis le plus longtemps, les dossiers 4. Dans trois répertoires « courriers reçus », « courriers émis », « notes et documents » (à l’intérieur, classement chronologique dans l’ordre des dates d’enregistrement des documents). Le dossier numérique judiciaire 65 papier n’ont absolument pas disparu en raison d’une non-résolution de la question de la signature électronique mais surtout finalement pour des raisons d’attachement au papier : tout document arrivé dans le bureau est conservé dans un dossier et tout document produit dans le bureau est conservé en copie dans un dossier. Seul, l’outil a permis d’éliminer toute la production papier des copies, les documents papier étant transmis aux seuls rédacteurs en charge du dossier concerné. Les dossiers papier sont même parfois plus riches que les données stockées dans le Pack-web dans la mesure où certains documents difficilement numérisables en raison de leur qualité médiocre sont restés uniquement sur support papier. En outre, il est intéressant de noter qu’à l’origine de la mise en place du Packweb, la notion de dossier au sens commun du terme, à savoir les documents se rapportant à une même affaire qui sont regroupés dans un dossier physique (pouvant lui-même être découpé en sous-dossiers), n’a pas été prise en compte. Ce qui a été pris en compte dans l’application, est le document lui-même : courrier, note, document isolé… qui est enregistré, identifié et indexé. L’outil permet cependant de créer un lien entre un courrier arrivée et la réponse qui y a été apportée. L’outil permet de répondre à la question suivante : « A-t-on répondu à cette demande ? montrez-moi la réponse ». En revanche, la question : « Où en est le dossier X ? » sera plus complexe à résoudre : on sortira alors en effet tous les documents se rapportant aux différentes rubriques du plan de classement et/à différents termes ayant un rapport avec X et on aura en sortie, un certain nombre de documents, pouvant faire effectivement partie du même dossier, comme pouvant également provenir d’autres dossiers, que la seule consultation du dossier physique n’aurait donc pas permis de retrouver. On pointe ainsi à la fois une force et une faiblesse de l’outil : une force dans la mesure où l’interrogation permet dans certains cas de transcender la notion de dossier et de trouver une information provenant d’un autre dossier et permettant d’éclairer différemment la question ; une faiblesse : il n’est pas sûr que l’interrogation ait été suffisamment pertinente pour faire apparaître l’ensemble des documents conservés dans le dossier et, par conséquent, de correctement contextualiser et interpréter le document. Comment remplacer une lecture linéaire d’un dossier qui met en relation visuellement, par manipulations successives, différentes pièces ? Il semblerait judicieux d’introduire dans l’outil un nouveau champ correspondant au dossier, qui s’intercalerait entre la rubrique du plan de classement et l’enregistrement du document. C’est ainsi d’ailleurs qu’une cour d’appel (pour des documents administratifs) qui utilise l’outil Pack-web a ressenti ce besoin puisqu’elle a réintroduit à sa manière la notion de dossier, avec une extension de son plan de classement, chaque rubrique pouvant se décliner en autant de fois, correspondant en fait à l’ouverture d’un dossier : c’est ainsi que le plan de classement se combine avec une identification de dossiers. Un tri automatique peut ensuite être lancé permettant de relier l’ensemble des documents intégrés dans un dossier. 66 DN – 6/2002. Les dossiers numériques La notion de dossier est une notion délicate à manier d’autant que généralement se combinent papier et numérique. Le dossier numérique qui serait créé correspondil parfaitement au dossier papier correspondant ? Parle-t-on de dossier dans le sens de documents traitant d’une même affaire qui peut correspondre à plusieurs dossiers physiques, ou doit-on enregistrer uniquement les dossiers physiques ? Dans le cas du bureau qui nous occupe, l’introduction de la notion de dossier poserait des problèmes au secrétariat en charge de l’enregistrement des documents : outre une lourdeur supplémentaire pour l’enregistrement, comment savoir pour des dossiers thématiques, à quel dossier rattacher tel document ? Si le chef du bureau connaît à peu près son plan de classement et l’indique aux secrétaires, en revanche, il ne sait pas forcément dans quel dossier le document va être rangé, dans la mesure où c’est le rédacteur en charge de telle affaire qui gère ses propres dossiers et choisit d’ouvrir un dossier à tel niveau ou tel autre. Si un document concernant le déploiement de telle application dans une cour d’appel arrive dans le bureau, le rédacteur en charge du déploiement de l’application rangera-t-il son document dans un dossier général comportant des sous-cotes par cour, ou ouvrira-t-il un dossier par cour d’appel ? En outre, dans le bureau, le besoin n’a jamais été exprimé tel quel par les utilisateurs. Cette absence, dans de nombreux cas, d’une demande d’introduire la notion de dossier peut s’expliquer de deux manières différentes : soit que la notion de dossier soit devenue, dans cet environnement informatique et avec l’arrivée des nouvelles technologies, inopérant ; soit, que les utilisateurs, toujours dans l’urgence de l’action, n’éprouvent pas le besoin d’une réflexion prospective qui leur fasse désirer d’apprécier un document dans son contexte et de l’éclairer par les documents qui lui sont reliés. La question en effet, mérite d’être posée quant à la pertinence du concept de dossier avec l’arrivée des nouvelles technologies et le progrès des nouveaux moteurs de recherche de plus en plus « intelligents », non plus simplement syntaxiques mais sémantiques, qui permettent de faire entrer en relation de plus en plus de données entre elles sans qu’il soit besoin de préciser à quel dossier ces documents appartiennent pourvu qu’ils soient identifiés par des termes d’indexation et des rubriques de plan de classement véritablement fiables. On l’a vu pour le Pack-web, cette condition même n’est pas aisée à remplir. Dans ce cas, la prise en compte du dossier, qui permet de structurer l’information, peut pallier dans ce cas un plan de classement et une indexation médiocres. Une distinction peut également être faite suivant le type de dossiers produits par le service. Ainsi, dans un bureau instruisant par exemple des demandes de recours en grâce, des dossiers nominatifs individuels sont constitués et conservés, dans lesquels on trouve tous les échanges et les productions relatives à cette demande. Dans ce cas, la notion de dossier est centrale dans la mesure où le dossier permet de rassembler toute l’information qui, en quelque sorte, se suffit à elle-même. Il en est de même dans un bureau gérant du personnel, la notion de dossiers de personnel Le dossier numérique judiciaire 67 étant clairement définie. Dans un bureau produisant des dossiers thématiques, les documents sont en relation les uns avec les autres à l’intérieur du dossier bien évidemment mais également entre les dossiers eux-mêmes conservés dans le bureau. La notion de dossier est moins centrale car finalement très subjective, les pratiques de chacun en matière d’ouverture, d’enrichissement ou de fermeture d’un dossier, dans le cadre d’un thème (indexation) et d’une activité définie (plan de classement) étant différentes suivant les rédacteurs. Celui qui ouvrira un dossier papier n’y rangera pas forcément toutes les pièces pertinentes, de la même façon que les réponses à l’interrogation d’une base peuvent être partielles. 3.2. Le projet de numérisation des dossiers de magistrats Nous nous trouvons là dans un environnement très différent, où la notion de dossier est bien définie : le contenu d’un dossier de personnel est clairement structuré. Le projet de numérisation des dossiers de magistrats s’est accompagné, dans un premier temps, de la mise en place d’une application dans un environnement intranet (utilisant le réseau privé du ministère) de gestion des dossiers de magistrats5, les finalités de cette base étant de développer une interactivité avec les magistrats en développant des téléprocédures. Les données de l’ancien outil de gestion encore utilisé par le ministère ont été importées pour alimenter cette base M, tandis que son architecture permettra un interfaçage avec la future nouvelle application commune du ministère en matière de gestion du personnel. La base alimente en outre automatiquement l’annuaire électronique de la magistrature en ligne sur l’intranet justice. Le projet de numérisation repose sur la nécessité de permettre aux membres du conseil supérieur de la magistrature (CSM) d’une part, et, d’autre part, de la commission d’avancement, une consultation des dossiers de magistrats (comme le prévoit le statut de la magistrature). Le projet concerne plus de 7 000 magistrats. Le projet ne remet pas en cause la tenue et la conservation des dossiers papier des magistrats. Il est évidemment très lourd et risqué d’aménager la consultation des dossiers papier en exemplaire unique, qui peuvent être demandés à la fois par les deux organismes. Leurs membres, exerçant par ailleurs des fonctions sur tout le territoire et ne se déplaçant que pour les réunions du CSM et de la commission d’avancement, sont bien évidemment très intéressés par la possibilité de pouvoir consulter à distance (par un accès à l’intranet justice). 5. Enregistrement de toutes les données concernant l’état civil, la situation familiale, les diplômes, les décorations, la carrière, la mobilité, les desiderata, qu’il sera prochainement possible de remplir en ligne dès lors que chaque magistrat pourra se connecter au réseau. Aucun historique des desiderata n’étant gardé, il est prévu de faire une copie de la base chaque année. 68 DN – 6/2002. Les dossiers numériques Outre ces organismes, des personnes habilitées de la sous-direction de la magistrature pourront avoir accès aux dossiers ainsi que chaque magistrat, pour son propre dossier. Dans la mesure où la direction des services judiciaires dispose déjà d’un outil de GED qui lui est propre et qui fonctionne bien (le Pack-web), son architecture sera reprise pour le projet dossiers de magistrats, le principe étant dans un premier temps, de scannériser les dossiers dans un format donné (PDF, choisi en fonction de sa capacité à figer l’information sans possibilité de la modifier), de remplir – grâce à un logiciel d’indexation – une fiche d’indexation pour chaque document contenu dans le dossier et, dans un second temps, de dupliquer le dossier et ses fiches et le basculer sur un serveur intranet. La première étape sera par conséquent de préparer le dossier pour la scannérisation, soit par sous-cote6, dégrafer les pièces agrafées, photocopier des documents si nécessaire, bien reclasser les documents dans un ordre chronologique, les coter 7 (numéro composé d’une lettre pour chaque type de sous-cote suivie d’un numéro d’ordre). Lors de la numérisation, l’agent donnera pour chaque document, comme nom de fichier le numéro de la cote. Le lien avec le magistrat (et par conséquent avec le dossier) ne se fera que lors de l’étape suivante : l’indexation des pièces. Pour chaque document en effet, cinq zones doivent être remplies : le nom du magistrat, la date du document, son objet – zone libre, le type du document8 et le type de sous-cote. Le lien entre ces différents documents sera bien sûr le nom du magistrat, les dossiers papier ne portant pas de numéro spécifique (ils sont rangés par ordre alphabétique). Ainsi, lors de l’interrogation au nom d’un magistrat, s’affichent les types des documents scannés, classés par sous-cotes, avec possibilité évidemment de visualiser celui que l’on désire. Les documents toutefois ne s’affichent qu’un à un et ne permettent pas de reproduire à l’écran, la possibilité de « feuilleter » le dossier, d’autant que les membres du CSM et de la commission d’avancement ne sont généralement intéressés que par un seul type de documents (les desiderata). Des devis suivant les types de matériels et de logiciels ont été établis, le volume estimé de documents à numériser s’élevant à plus de 1 200 000 feuillets, sur la base d’une ou de deux stations de numérisation à monter sur place. L’idée initiale était de faire réaliser le travail en interne par des fonctionnaires et agents de la sous-direction de la magistrature. 6. Correspondant aux grandes parties structurant le dossier : recrutement, gestion, desiderata, évaluation… qui, dans le dossier papier, sont identifiées par des sous-cotes physiques sur lesquelles sont portés les intitulés. 7. Les pièces d’un dossier ne sont d’ordinaire cotées que si le dossier est demandé en communication. 8. Nomenclature à élaborer. Le dossier numérique judiciaire 69 En fait, la lourdeur de la reprise de l’ensemble des dossiers fait que l’on s’orienterait plutôt vers une sous-traitance pour les dossiers les plus anciens, étant bien entendu que cette sous-traitance ne pourrait se faire que sur place, dans un local à proximité des lieux de stockage des dossiers et que, de fait, il s’agirait alors d’un travail « d’équipe » qui pourrait se répartir ainsi : préparation du dossier à numériser, contrôle de la numérisation et de son exhaustivité, remise en l’état du dossier après scannérisation, contrôle de l’indexation, de son exhaustivité et des liens établis entre les fiches et les documents par les agents du ministère/travail de scannérisation et d’indexation par la société. Pour les dossiers les plus récents (notamment les nouvelles promotions d’auditeurs), le travail serait entièrement fait en interne. Il en serait de même pour les travaux ponctuels (à l’occasion d’une demande de consultation d’un dossier). Finalement, les promoteurs du projet, s’ils en ont posé clairement les contours, restent peu précis sur sa mise en œuvre réelle : part respective du travail en interne et sous-traité (critères à définir relatifs à l’ancienneté des dossiers, travail et contrôle à accomplir par les agents du ministère pour les dossiers qu’ils ne traiteront pas euxmêmes) ; organisation à mettre en œuvre concernant la mise à jour, au fil de l’eau, de la numérisation, pour un dossier qui s’enrichit de nouvelles pièces, organisation à préciser suivant qu’il s’agit de numériser un document papier, ou d’intégrer dans le système un document numérique : conversion dans le format PDF, à quel moment ? Réflexion à affiner concernant les procédures de validation : contrôle de conformité entre le document papier et le document numérisé, entre le document issu d’un logiciel de traitement de texte et le document converti en mode image. De même, les réponses ne sont pas claires quant aux liens entre la base sur intranet, la base des documents numérisés et la base de données d’indexation. Plus généralement, si le principe de la conservation des dossiers papier n’est pas remis en cause, ces dossiers papier sont perçus comme des traces d’un certain passé, qui ne seront plus utilisés finalement qu’en bout de chaîne, comme une sorte de sécurité extrême. En effet, ils ne rendront bientôt plus compte des nouveaux modes de travail qu’annoncent, d’une part, la facilité de consultation et l’ergonomie de la base sur intranet, d’autre part, le futur développement, sous condition de penser de nouvelles modalités de validation (sans forcément passer par la lourdeur d’une signature électronique au sens d’une signature cryptographique), des téléprocédures et enfin, la production de plus en plus massive – et à terme, la réception, de documents qui seront natifs sous un format électronique. Il s’ensuit une sorte de flottement, témoignage d’une période transitoire, d’où finalement de nombreuses questions restent ouvertes concernant le projet et les procédures à précisément spécifier. 70 DN – 6/2002. Les dossiers numériques 4. Les réalisations et réflexions concernant la gestion électronique de documents dans les juridictions 4.1. L’application « instruction assistée par ordinateur » (IAO) L’IAO, ou instruction assistée par ordinateur, est un outil métier conçu à l’origine (années 1996-1997) par un magistrat visant à mettre en place une application qui permettrait de moderniser le métier du juge d’instruction, à partir de la numérisation du dossier d’instruction, qui retrace l’intégralité des diligences accomplies par ce magistrat. Il est important par conséquent de noter ici qu’il ne s’agit pas d’un projet de GED au sens classique du terme, mais que cet outil est bien présenté comme un outil métier qui se trouve utiliser une GED. Ce magistrat s’est appuyé, pour mettre en place les fonctionnalités de l’outil, sur un groupe d’utilisateurs particulièrement concernés (des juges d’instruction en charge de gros dossiers), tandis que la mise en œuvre effective était confiée à une société extérieure. L’objectif était double : faciliter le traitement de dossiers dont la complexité pouvait être redoutable et notamment résoudre le problème de la durée parfois longue d’une instruction, afin que des données engrangées à telle date puissent, grâce à l’outil, être mises en relation avec des données entrées des années après. La GED permettait en outre de résoudre le problème classique de maniement physique des gros dossiers9 – sans que la conservation des dossiers papier soit jamais remise en cause – et, par là même, permettre aux juges de travailler sur leur portable, hors de leur lieu de travail. Une autre amélioration induite était une sécurité accrue du dossier conservé en plusieurs exemplaires : papier/électronique. Cet outil remplace en quelque sorte les notes manuscrites du juge d’instruction, qui reflètent son travail personnel, son travail de réflexion, d’investigation. Le système permet en effet au juge de lui suggérer des relations, des liens entre des personnes et des événements s’étant déroulés dans les lieux et à des époques différentes, pour peu que le magistrat ait accepté de se livrer à un travail d’analyse du dossier – ce que nous verrons plus loin. Il s’agit d’un outil dédié à un magistrat donné, pour une affaire donnée, dans un environnement fermé : les informations confidentielles ne circulent évidemment pas sur des réseaux. L’IAO se compose par conséquent d’un double module : de GED d’une part et d’aide à la décision, d’autre part. Ceci étant, l’intégralité du dossier n’est pas scanné mais uniquement la partie dite « de fond », le dossier dans son intégralité comportant les « cotes » A (pièces de forme, soit les documents d’intérêt secondaire), B (renseignements et personnalité concernant chacune des personnes 9. Le plus gros dossier d’instruction qui ait été traité durant ces dernières années, se compose de 120 tomes, chaque tome contenant en moyenne 5 à 700 pages. Le dossier numérique judiciaire 71 mises en examen), C (tout ce qui concerne la détention) et enfin D (pièces de fond)10. Dans un second temps, l’outil a été entièrement revu du point de vue de ses performances techniques, les fonctionnalités restant identiques et le ministère en assurant la complète maîtrise. La prise en charge par les services informatiques du ministère a été d’autant plus importante que jusqu’alors aucune compétence particulière en matière de gestion électronique de documents, de scannérisation, d’océrisation, de moteurs de recherche, n’était développée, les services informatiques s’étant consacrés au développement d’outils plus classiques types bases de données relationnelles. Si un juge d’instruction doit disposer de l’IAO11, une station de numérisation est installée au sein de la juridiction qui peut être gérée par le service reprographie du tribunal. Elle est composée d’un ordinateur auquel est raccordé un scanner à haut débit (1 page à la seconde), qui numérise en noir et blanc des pages dans un format TIFF compressé par la machine (1 pour 10) sans perte ainsi que d’un graveur de cédéroms et des logiciels pour piloter le scanner, l’océrisation et le gravage. Une formation d’un jour et demi à 2 jours est alors assurée d’une part au magistrat futur utilisateur de l’IAO et au technicien de la station, par les services informatiques dans un premier temps et, aujourd’hui, par les services judiciaires suffisamment au fait du produit pour gérer la formation. Le dossier papier est transféré du bureau du juge à la station. Au préalable, le magistrat a numéroté des « blocs »12 de pièces (qui composent un document), les pièces étant numérotées de 1 à n par bloc. Le dossier est mis en état : dégrafage, photocopies pour certains cas particuliers ; préparation pour une indexation quasi automatique des cotes (blocs et numéro de la pièce) par un système de codes à barres : le document portant le code à barre pour telle cote est inséré sur la pile et sera reconnu automatiquement par le scanner comme faisant partie d’un même ensemble (au préalable, bien évidemment, les pièces par bloc doivent être mises en ordre par le technicien). En revanche, l’ordre dans lequel les différentes cotes sont scannées, est indifférent. Les images sont de bonne qualité tandis que des options permettent de zoomer, d’utiliser une fonction loupe, de surligner des passages jugés importants, d’annoter par un système de postit le document, de le visualiser dans son ensemble... 10. Une cinquième cote « E » rassemble toutes les pièces postérieures à l’ordonnance. 11. Au départ, les critères de choix, au-delà des demandes personnelles que pouvaient faire tel ou tel juge, étaient la complexité et la lourdeur d’un dossier, en raison notamment des coûts importants liés à l’implantation dans une juridiction de l’IAO. La diffusion sera vraisemblablement plus large désormais, les coûts s’étant nettement abaissés. 12. Appelés « cotes ». 72 DN – 6/2002. Les dossiers numériques Les documents scannés sont alors stockés sur le disque dur de l’ordinateur et océrisés13. Les fichiers texte sont alors produits. Aucune correction de l’OCR n’est opérée, d’une part en raison de la lourdeur de l’opération et, d’autre part, en raison des problèmes qui pourraient résulter d’une correction opérée par un agent ne connaissant pas le fonds. C’est alors que la gravure sur un cédérom est opérée : sur ce cédérom, sont par conséquent stockés les images, les fichiers texte issus de l’océrisation ainsi qu’une procédure d’installation d’un programme qui offre un visionnage de l’ensemble, indépendamment de l’outil IAO, permettant de naviguer dans les documents image et les fichiers texte. Un double du cédérom est gravé tandis que le dossier papier est réintégré et le cédérom remis au magistrat. Le dossier grossira dans les semaines et mois à venir : généralement, lorsqu’un nouveau tome sera réalisé, il partira à la station de numérisation : lors du gravage, le choix initial étant qu’il est impossible de réinscrire sur le cédérom initial pour des raisons évidentes de sécurité, le programme qui sait qu’il ne s’agit pas d’un premier cédérom, permet, sur le nouveau, de fusionner les anciennes données (images et textes) avec les nouvelles données. Le cédérom initial remis au magistrat est soit cassé par ce dernier, soit conservé par lui, qui, sur une étiquette, indique manuellement, de quelle version il s’agit. Parallèlement, les doubles qui ont été effectués sont également conservés. En fait, il n’existe pas de règle claire en la matière. Il n’était pas prévu à l’origine qu’un cédérom puisse être saturé (les volumes actuellement atteints, d’informations traitées, étaient inimaginables) : l’outil ne permet pas par conséquent une gestion multivolumes14. Le système crée par conséquent un nouveau dossier par CD. Le cédérom est installé sur le poste du magistrat : sont alors mises à jour, d’une part la base de données relationnelles qui sert à l’analyse et, d’autre part, la base de recherches plein-texte. Le magistrat peut, dès lors, sans aucun traitement complémentaire, profiter des potentialités offertes par la GED (consultation, navigation, recherches) sans aller au-delà. Les possibilités de recherches possibles sont étendues, notamment parce qu’a été choisie une technologie permettant les « recherches floues » : au-delà des possibilités des troncatures, le système peut opérer des recherches sur des caractères approchant, en changeant tant de caractères par mot au choix (dans le cas où le magistrat n’est pas sûr d’une orthographe, d’un nom précis). Cette recherche floue permet dans une certaine mesure de pallier les contre-performances de l’océrisation pour les documents de médiocre qualité. Différents types d’interrogations sont évidemment possibles avec diverses combinaisons. Ceci étant, toutes les potentialités de l’outil IAO sont exploitées dès lors que le magistrat accepte de se livrer à un travail d’analyse du dossier numérisé : il qualifie 13. Un système de codes à barres permet éventuellement, lors de la préparation du dossier par le technicien, de spécifier des cotes qui ne seraient pas océrisées. 14. Ce que permettra une prochaine version du produit. Le dossier numérique judiciaire 73 alors les documents numérisés par types d’actes (procès-verbal, interrogatoire…), entre des noms de personnes, de sociétés, de lieux, d’objets. Il travaille sur la base de listes d’autorité qui sont ouvertes, l’outil étant personnel d’où une utilisation différenciée suivant les habitudes, les formes de raisonnement de chacun. L’outil permet de créer des relations15 entre les différentes entités et données du dossier, autant de types de relations de nature différente que le magistrat le souhaite. Ceci permet à l’outil de rappeler au magistrat d’anciennes données qu’il a antérieurement entrées et dont il n’avait plus de souvenir, voire de proposer avec un taux de certitude plus ou moins important, des relations indirectes. Actuellement, l’outil est implanté auprès d’environ 80 magistrats. Le degré de l’utilisation d’IAO n’est pas véritablement connu, excepté pour des magistrats en charge de gros dossiers dont on sait qu’ils utilisent toutes les fonctionnalités de l’outil. Quelques remontées se font auprès des services judiciaires, dont certaines seront reprises lors de l’évolution de l’outil. Concernant la pérennité des données enregistrées dans l’outil, elle n’a pas été prise en compte lors de la conception du projet. Deux remarques s’imposent à cet égard : les cédéroms sur lesquels sont stockés les images et les fichiers texte pourraient faire l’objet d’un archivage pérenne dans la mesure où le support retenu et le format (TIFF) sont standard. L’avantage pour les futurs chercheurs serait évident : facilité de consultation par rapport aux multiples tomes papier, facilité de traitement de l’information pour peu qu’on applique aux données un moteur de recherche documentaire. Si l’option d’archiver ces cédéroms est prise, des procédures claires devront être écrites, concernant le moment où les transferts aux archives départementales doivent s’opérer ainsi que la détermination du sort des doubles ainsi que des CD initiaux. Pour ce qui est des données enregistrées dans l’IAO, le problème de la conservation, aux yeux des concepteurs, n’a pas lieu d’être : en effet, de même que les notes manuscrites du juge, informelles, produits de son travail personnel ne restaient jamais dans le dossier d’instruction dont elles ne faisaient pas à proprement parler partie, suivant le code de procédure pénale, de même, le raisonnement est similaire pour les données de l’IAO : aide à la décision pour le juge d’instruction, elles n’ont pas vocation à être conservées dès lors que le travail d’instruction est terminé. C’est une conception qu’on peut regretter, en se plaçant du point de vue de la future recherche historique, mais qui était déjà celle existant pour le papier. 4.2. Des réalisations de GED ayant échoué Un outil de GED a été mis en place en 1995-1996 dans une juridiction pour des gros dossiers d’enquête au Parquet, l’objectif étant de pallier l’enregistrement sommaire qui existait dans le SGBD en place dans cette juridiction, à ce stade de la 15. Des types de relation sont définies par défaut et sont par ailleurs alimentées au fur et à mesure par le magistrat. 74 DN – 6/2002. Les dossiers numériques procédure (au niveau du bureau d’ordre) et de pouvoir mettre en relation des éléments de plusieurs dossiers distincts. Il s’agissait par conséquent comme pour l’IAO d’un outil d’aide au travail des magistrats dans le cas des dossiers complexes, avec entre autres, la possibilité de développer le travail en commun. Le principe était classique : une scannérisation doublée d’une océrisation ainsi qu’une indexation relativement lourde. Pour chaque document scanné, une fiche de synthèse était associée dont il fallait renseigner un certain nombre de champs, indexation complétée par des indexations par fiche personne et par type d’acte. Les données étaient stockées sur un serveur en réseau, chaque magistrat disposant d’un répertoire à son nom, les accès étant gérés par des systèmes d’habilitation. En fait, cet outil a très rapidement quasiment cessé d’être utilisé pour toute une série de raisons tant techniques et surtout organisationnelles. Le périmètre du projet a été défini par un magistrat à l’initiative du projet, qui a fixé les critères permettant de savoir quelles pièces du dossier seraient numérisées. Ces critères ont en fait été remis en cause et non acceptés. De même, la réflexion n’a pas été menée sur l’articulation entre ce produit et l’enregistrement dans l’application existant au sein de la juridiction, ni sur l’utilisation possible du produit dans les services voisins, en charge des affaires après le passage au Parquet. A l’origine, il était prévu un seul poste de numérisation avec un gros scanner, où seraient centralisées les opérations : en fait, pour des raisons pratiques, les magistrats ont préféré pouvoir numériser de leurs bureaux, avec leurs secrétariats. Peu à peu, le gros scanner n’a plus été utilisé mais les secrétariats n’ayant pas véritablement d’expérience en matière de scannérisation, n’ont pas non plus réellement su utiliser le matériel qui a été mis à leur disposition. Les charges liées à l’indexation ont été jugées trop lourdes. Des problèmes techniques se sont également superposés à ces difficultés organisationnelles tandis que la maintenance de l’outil (suivi des différentes versions des logiciels) n’a pas été prise en charge, d’autant que la personne ayant suivi une formation est partie. Les postes de GED « plantaient » régulièrement. Ceci illustrait le fait que l’inexpérience en matière de gestion électronique de documents était encore totale que ce soit au niveau de la juridiction ou au niveau de l’administration centrale et que la transition était trop brutale entre la période des registres papier dont on sortait à peine et les projets de workflow. Finalement, le produit a été peu à peu abandonné, le découragement ne cessant de croître avec les années. Un audit a été mené mais l’outil, s’il existe encore pour des fonctions qui n’ont plus grand chose à voir avec les objectifs initiaux (numérisation des courriers, intégration de documents électroniques natifs sous divers formats…), est uniquement utilisé ici et là, d’autant que les magistrats depuis un à deux ans, utilisent les potentialités des outils de messagerie qui leur permettent une grande souplesse en développant facilement un véritable travail collaboratif. Le dossier numérique judiciaire 75 4.3. Les réflexions en cours sur le sujet Actuellement des réflexions concernant la GED sont en cours, notamment à la suite de demandes des juridictions concernant deux axes. D’une part, dans le domaine pénal, les juridictions doivent faire face à l’enregistrement des procès verbaux de police et de gendarmerie classés sans suite, les auteurs étant inconnus. La masse de ces procédures est considérable dans les grosses juridictions et l’enregistrement des données les concernant peut occuper jusqu’à 6 à 8 personnes à temps plein. Le problème est tel dans certaines juridictions que l’enregistrement proprement dit est impossible et que seul un compostage de ces procédures est effectué (comptage uniquement). La demande est donc d’examiner la possibilité de numériser ces procès-verbaux pour permettre leur repérage, leur identification et faciliter leurs recherches ultérieures, ainsi que des comptages statistiques. En fait, dans ce cas, une solution de GED ne semble pas appropriée dans la mesure où la numérisation liée à une océrisation permettant des recherches plein texte ne serait pas suffisante, étant donné la qualité médiocre des documents papier mais devrait être complétée par une indexation, qui reviendrait à enregistrer les procédures, dont la lourdeur est justement dénoncée par les juridictions. La solution serait plutôt d’obtenir de l’amont (Intérieur et Défense) un échange de données : exportation de données au moment de leur propre enregistrement pour un import de ces données (en les complétant) dans le système d’information de la juridiction. Ceci pose d’autres difficultés (compatibilité des formats, sécurité des données durant le temps des transferts, vérification que les données transférées correspondent bien aux documents papier que la juridiction recevra quelques jours plus tard…) mettant face à face plusieurs administrations avec leurs propres systèmes, leurs propres nomenclatures… Il est intéressant de noter qu’à ce stade-là, il n’est pas encore envisagé de renoncer à l’envoi de la procédure papier. En effet, celle-ci, au-delà des classements sans suite auteurs inconnus (pour lesquels hormis la décision de classement, aucune diligence produisant du papier n’est effectuée par la juridiction), le procès-verbal est la pièce composant la base du dossier papier de procédure de l’affaire, pivot du fonctionnement des juridictions. D’autre part, l’autre grande demande concerne la possibilité de numériser les dossiers de procédure, l’objectif étant de pouvoir délivrer aux avocats et aux parties, une copie sur cédérom du dossier, dont les demandes ne cessent de croître depuis la loi sur la gratuité des copies. Cette possibilité permettrait, pour les juridictions qui le souhaitent (notamment les grosses juridictions) d’éviter de recourir aux dossiers papier pour réaliser à la demande des photocopies, ces opérations de reprographie pouvant devenir très lourdes en raison de l’augmentation des demandes d’une part et, d’autre part, du volume de plus en plus important que peuvent revêtir les « gros » dossiers relatifs aux affaires les plus complexes. Le principe peut sembler simple : la juridiction acquiert un système de gestion électronique de documents. Le service de reprographie réalise une photocopie de l’intégralité des pièces du dossier (afin d’harmoniser les formats) ; les documents 76 DN – 6/2002. Les dossiers numériques sont cotés de 1 à n, chaque document étant composé de pièces elles-mêmes numérotées (cote 1, pièces 1 à n ; cote 2, pièces 1 à n….). Des codes à barres sont alors générés. La scannérisation est effectuée et une océrisation lancée qui permettra de générer outre l’image du document, un format texte à partir duquel les recherches plein texte seront possibles. Les données sont transférées sur le disque dur d’un serveur, tandis qu’à chaque cote scannée est associée une fiche d’identification pouvant être très simplifiée (numéro du dossier, nom des personnes apparaissant dans le dossier, dates...), cette indexation permettant des recherches complémentaires par rapport aux recherches plein texte dans les cas où la reconnaissance optique de caractères a échoué, en raison de la qualité médiocre de la copie papier. Chaque dossier est stocké dans un répertoire. A chaque demande d’un avocat ou d’une partie, un cédérom est gravé concernant le dossier demandé. En fait, le problème est beaucoup moins simple qu’il n’y paraît. Une première question concerne l’articulation de cette scannérisation avec l’outil d’enregistrement des affaires existant dans la juridiction : il semble nécessaire de faire un lien entre l’image du dossier et son enregistrement par la récupération automatique des données rentrées dans le SGBD, pour alimenter les index, complétant l’océrisation. Dans le cas contraire, l’utilisateur resaisit des données. De même, pour des dossiers à l’instruction ayant déjà fait l’objet d’une scannérisation dans le cadre de l’IAO, il semblerait logique de ne pas recommencer l’opération de numérisation. Or, d’une part, l’IAO n’a pas été conçu pour pouvoir « communiquer », et, d’autre part, seule une partie du dossier d’instruction (les pièces de fond) est scannée dans le cadre de l’IAO et non la totalité du dossier. Deuxième type de problème : la mise en place d’une scannérisation systématique des dossiers est possible, si elle concerne une catégorie de dossiers précise, produite et conservée dans un service précis, limitée à ce service : type dossiers de l’instruction. Si, en revanche, il est envisagé de profiter d’une scannérisation d’un dossier (réalisé par exemple au niveau du Parquet) pour poursuivre cette scannérisation tout au long de la chaîne pénale (et ne pas recommencer à chaque étape la numérisation suivant la logique propre du service), les problèmes sont très complexes à régler : par exemple, le dossier est restructuré au niveau de l’instruction et la cotation initiale sur laquelle repose la numérisation initiale ne serait plus valable. Il faudrait par conséquent étudier précisément, étape par étape, les différents modes de constitution, de structuration et d’accroissement du dossier, afin de réfléchir à la façon de faire évoluer les numérisations successives d’un dossier. Il faudrait également étudier précisément les modalités d’accès au dossier dématérialisé (systèmes d’habilitation) suivant les différents services où il est censé passer et les différentes personnes susceptibles d’y accéder. Là encore, deux possibilités s’offrent : soit le produit est bien dédié à la seule délivrance de CD pour les avocats et les parties et on peut imaginer que les données soient uniquement stockées sur le serveur du service de reprographie de la juridiction (sans réseau), soit les magistrats peuvent, pour des raisons de commodité, avoir eux aussi accès aux Le dossier numérique judiciaire 77 dossiers dématérialisés et là aussi deux possibilités s’offrent : soit c’est le service de reprographie qui, à la demande des magistrats, donne un cédérom aux magistrats habilités (ce qui implique un outil de gestion de la production de ces cédéroms), soit les magistrats ont accès aux données depuis leurs postes et ceci implique alors un réseau : le problème déjà délicat des habilitations à régler au niveau du simple enregistrement des affaires sera nettement plus complexe s’agissant de tout le contenu du dossier lui-même, la complexité étant moins technique qu’induite par les habitus des magistrats. Quatrième type de problème : la gestion des copies. Devra être enregistrée la personne qui demande la copie, sur quelle partie du dossier, à quelle date, de façon à pouvoir gérer conformément à la législation ces demandes. Le problème se pose par exemple pour les demandes portant sur le même dossier auquel on a ajouté de nouveaux tomes. Il n’est pas sécuritaire de graver les données sur un CD réinscriptible. Ceci impose par conséquent lors d’une seconde demande portant sur les tomes supplémentaires, de graver sur un nouveau CD les anciennes données auxquelles on aura rajouté les nouvelles mais dans ce cas, la juridiction se conformet-elle à la législation qui recommande de ne délivrer gratuitement un dossier qu’une seule fois ? Ceci nécessite de toutes manières un outil de gestion interne à la juridiction et la mise en place de procédures précises. Il est nécessaire avant même de lancer un projet de GED, de réfléchir aux conditions de conservation ou non des données stockées sur les serveurs. Si l’on s’en tient à la finalité première (délivrance des copies), il semble raisonnable de prescrire l’effacement des données dès que l’affaire est close (plus un délai supplémentaire par exemple d’une année). La conservation des données pour un temps plus long est inutile dès lors qu’il n’est plus besoin de délivrer des copies, ou alors très exceptionnellement et dès lors que le dossier papier est bien conservé par la juridiction, les archives départementales ne pouvant accueillir les dossiers papier avant l’expiration du délai d’utilité administrative. De même, si un même avocat se voit délivrer plusieurs cédéroms, correspondant à des affaires ayant évolué dans le temps, il faudra prescrire qu’il rende à la juridiction le cédérom ancien qui sera physiquement détruit par le service de reprographie (et la traçabilité de cette destruction devra être assurée). Etant donné ces difficultés pressenties, il semblerait par conséquent pertinent que cette GED soit strictement limitée à des objectifs modestes et parfaitement circonscrits, à savoir la possibilité de délivrer des copies sur cédérom à des avocats et des parties, dans un service donné. Ceci implique que chaque juridiction étudie à partir du nombre de demandes de copies qu’elle reçoit, si elle a intérêt ou non à demander une GED et pour quels types de dossiers. Ainsi, on peut imaginer que des outils de GED soient développés dans tel ou tel service, la numérisation étant réalisée et centralisée au niveau du service de reprographie avec une personne qui sera formée à cette tâche, pour tel type de dossiers, répondant à un besoin spécifique et représentant un gain réel par rapport aux procédures habituelles, sans qu’on cherche à la généraliser à l’ensemble de la production et/ou des services. 78 DN – 6/2002. Les dossiers numériques De même, on peut imaginer que le service de reprographie grave un cédérom pour un magistrat donné, qui le demandera soit par goût personnel, soit parce que les dossiers qu’ils manipulent sont particulièrement volumineux pour une affaire particulière, mais ceci doit rester limité aux demandes particulières et répondre à un véritable besoin de facilité de consultation et de recherche. Dans ce cadre, l’administration centrale pourrait élaborer des recommandations générales visant à aider les juridictions qui souhaitent utiliser un outil de GED (limites fonctionnelles du projet, type de matériel recommandé, procédures à mettre en place…). 5. Conclusions Nous sommes dans une période complexe dans la mesure où nous avons tous l’impression que nous y allons inévitablement (« y » signifiant la dématérialisation de l’information avec la mise en place des téléprocédures, la puissance des nouveaux moteurs de recherche…) et cependant, nous sentons bien combien « y » aller serait dangereux sans une très grande préparation et réflexion. Il est paradoxal de se trouver face à des potentialités techniques immenses et de s’apercevoir en même temps qu’un outil de GED dès qu’il prétend sortir de son périmètre étroit, devient très rapidement une « usine à gaz » qui ne fonctionne plus : ainsi de la fiction qui consisterait en l’état actuel des choses à vouloir dématérialiser toute la production papier d’une juridiction. Le danger de « glisser » est d’autant plus grand que, vu du côté des décideurs, les potentialités semblent évidentes : gain de place, gain de temps, souplesse, facilités accrues de traitement… Cependant, les raisons de « dérapage », voire de « ratage » d’une gestion électronique de documents sont multiples. On citera les difficultés classiques liées à la gestion documentaire : temps passé à préparer correctement le travail d’indexation, sur la base de nomenclatures contrôlées. Ce problème est d’autant plus lourd à gérer que les services ont relativement peu de connaissances en la matière et que, par conséquent, ils appliquent aux documents numériques, l’empirisme qu’ils déployaient pour le classement de leurs dossiers papier, dont les résultats sont davantage gênants dans un environnement électronique. On citera également pour les documents à valeur probante le problème de la signature électronique, problème qui à mon sens n’en est pas vraiment un si on résiste aux sirènes de l’outil qu’est la signature cryptographique : en effet, celle-ci peut être une réponse pour une des fonctions de la signature (garantir au moment de l’établissement de l’acte et lors de la circulation du document sur des réseaux ouverts qu’il a conservé son intégrité16) mais il faudra également inventer d’autres 16. Vérification qui ne sera possible que dans le très court terme, en raison d’une part, de la lourdeur induite par la gestion des infrastructures de clé publique et d’autre part, en raison de l’impossibilité technique de conserver dans le long terme les signatures cryptographiques. Le dossier numérique judiciaire 79 modes de validation pour remplir les fonctionnalités classiques de la signature (identification et manifestation de son consentement) ne serait-ce que par la capture de la signature manuscrite dans l’outil de GED, encadrée par des procédures précises. Au-delà de cette difficulté, il faut tenir compte de la méfiance que peut inspirer la dématérialisation notamment concernant l’accès et la confidentialité, dans un contexte de mise en réseau, pour une plus grande efficacité, méfiance qui peut être forte notamment dans une institution produisant des données confidentielles (l’application IAO fonctionne d’autant mieux qu’elle est réservée à un magistrat, dans le cadre de son travail personnel) et que l’informatisation de cette institution est encore relativement récente, sans qu’elle ait encore remis en question sérieusement les procédures qui, elles, sont très liées à l’environnement papier. Il ne faut pas davantage négliger l’attachement porté au papier par la plupart des personnels, même si ces derniers utilisent volontiers et de plus en plus l’outil informatique pour leur propre production, en termes de confort de lecture, d’aide à la réflexion (action de feuilleter un dossier papier, de passer d’une note à une note en lisant en diagonale…). En fait, il semble bien que les réalisations de GED qui fonctionnent correctement sont celles qui sont bien limitées dans leurs périmètres et parfaitement définies dans leurs objectifs. De même, la notion de dossier, et par là même de dossier à numériser s’énonce d’autant mieux qu’il s’agit d’un dossier résultant d’une procédure bien précise (type dossier de personnel, dossier de l’instruction…) tandis que, à l’inverse, la notion de dossier thématique est davantage complexe et son contenu varie suivant la personnalité des personnes qui instruisent les dossiers. Il ressort bien qu’un système de GED est adapté à la gestion de documents et beaucoup moins à la gestion de dossiers : dans une juridiction notamment, les procédures et les circuits sont extrêmement complexes et lourds à gérer. Or, la production des dossiers n’a jamais été étudiée en tant que telle, condition qui me semble indispensable si on veut pouvoir envisager une dématérialisation du dossier tout au long de la chaîne de son traitement. En tout état de cause, il semblerait pour le moins prématuré dans le cas présent que cette GED soit vue comme une alternative à la production de papier dans les juridictions et non pas seulement comme une facilité de gestion, de recherche (délivrance de copies sur cédérom) : outre les problèmes techniques induits par les signatures électroniques (impossibilité de pérenniser dans le moyen et long terme les signatures cryptographiques), la gestion électronique de documents, si elle doit se substituer au papier, devrait être pensée dans une perspective de pérennisation à très long terme (30 ans pour une grande masse de dossiers, avant transfert dans les services d’archives départementales). Un archivage électronique doit dès lors être mis en place, qui implique des choix techniques (choix des formats, outils standards et ouverts conformément aux préconisations gouvernementales, migration des données…) et des choix organisationnels lourds et coûteux, d’autant que 80 DN – 6/2002. Les dossiers numériques l’inexpérience dans le domaine est totale pour les personnels des juridictions (que ce soit au niveau de la hiérarchie ou des personnels de greffes). Dans ce contexte, l’apport des professionnels de l’information que sont les archivistes ou les documentalistes en matière de structuration de l’information, peut être déterminant. 6. Bibliographie Bodin (B)., Roux-Fouillet (J-P.), La gestion électronique de documents, Dunod, Paris, 1992. Chabin (M.A.), « La communication des archives : l’information, le document, le dossier », dans La Revue administrative, n° 286, sept. 1995. Chabin (M.A), Je pense donc j’archive : l’archive dans la société de l’information, Paris, L’Harmattan, 1999. Chabin (M.A.), Le management de l’archive, Paris, Hermès Science Publications, 2000. Direction des Archives de France, Les archives électroniques. Manuel pratique, Paris, 2002. Drouhet (G.), Keslassy (G.), Morineau (E.), Records management : mode d’emploi, Paris, ADBS Editions, 2000. 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