Cahiers de la
sécurité
et de la
justice
Revue de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice
n°38
Sécurité, justice et libertés
en Europe
L’Europe de la sécurité et de la justice
Quels enjeux pour la france ?
Actes du colloque de l’INHESJ – Paris
14 octobre 2016
Cahiers de la
sécurité
justice
et de la
Quatrième trimestre 2016
n°38
Directrice de la publication :
Hélène CAZAUX-CHARLES
Rédacteur en chef :
Manuel PALACIO
Sommaire
3
Comité de rédaction :
AMADIEU Jean-Baptiste, Agrégé de lettres, chargé de recherches au CNRS
BERLIèRE Jean-Marc, Professeur émérite d’histoire contemporaine,
Université de Bourgogne
DOMINIQUE BERTELOOT, Inspecteur d’Académie, inspecteur pédagogique
régional
BERTHELET Pierre, Chercheur au centre de documentation et de recherches
européennes (CRDE), Université de Pau
COOLS Marc, Professeur en criminologie, Université libre de Bruxelles,
Université de Gand
DE BEAUFORT Vivianne, Professeur à l’Essec, co-directeur du CEDE
DE MAILLARD Jacques, Professeur de Science politique, Université de
Versailles Saint-Quentin
DIAZ Charles, Contrôleur Général, Inspection Générale de la Police Nationale
DIEU François, Professeur de sociologie, Université Toulouse 1 Capitole
EVANS Martine, Professeur de droit pénal et de criminologie, Université de Reims
HERNU Patrice, Administrateur INSEE
LATOUR Xavier, Professeur de droit, Université de Nice
LOUBET DEL BAYLE Jean-Louis, Professeur émérite de Science politique,
Université de Toulouse I, Capitole
NAZAT Dominique, Docteur en Sciences odontologiques, expert au Groupe
de travail permanent pour la révision des normes d’identification du DVI
d’Interpol
PARDINI Gérard, Chef du service des affaires immobilières de la Prefecture
de police de Paris
PICARD Jean-Marc, Enseignant-chercheur à l’Université de Technologie de
Compiègne
RENAUDIE Olivier, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine, Nancy
RIDEL Laurent, Directeur interrégional de l’Administration pénitentiaire
DE LA ROBERTIE Catherine, Rectrice, Professeure des universités, Paris I,
Directrice du Master2 Statégie Internationale & Intelligence Économique
ROCHE Jean-Jacques, Directeur de la formation, des études et de la
recherche de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN)
SAURON Jean-Luc, Professeur de droit à l’Université Paris Dauphine
TEYSSIER Arnaud, Inspecteur Général de l’Administration, Professeur Associé
à l’Université Paris I
VALLAR Christian, Doyen de la Faculté de droit, Nice Sophia Antipolis
WARUSFEL Bertrand, Professeur agrégé des facultés de droit, Université Lille 2
Responsable de la communication : Axelle de FONTGALLAND
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Tirage : 1 000 exemplaires
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Conditions de publication : Les Cahiers de la sécurité et de la justice publient
des articles, des comptes rendus de colloques ou de séminaires et des notes
bibliographiques relatifs aux différents aspects nationaux et comparés de
la sécurité et de ses acteurs. Les offres de contribution sont à proposer à la
rédaction pour évaluation. Les manuscrits soumis ne sont pas retournés à leurs
auteurs.
Toute correspondance est à adresser à l’INHESJ à la rédaction de la revue.
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Éditorial – Hélène CAZAUX-CHARLES
Dossier
Dossier coordonné par Pierre BERTHELET
5
L’harmonisation des incriminations pénales : jalons pour un code
pénal européen ? – Éliette RUBI-CAVAGNA
14
L’incidence de la législation européenne sur la procédure pénale
française – Jocelyne LEBLOIS-HAPPE
25
Le droit pénal de l’Union européenne face au juge
Emmanuelle GINDRE
38
Le mandat d’arrêt européen, succès de l’Europe pénale ?
Gildas ROUSSEL, François-Xavier ROUX-DEMARE
48
La présomption d’innocence selon la directive UE 2016/343
du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de
la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès
dans le cadre des procédures pénales – Jean PRADEL
54
La lutte antiterroriste dans l’espace pénal européen
Mikaël BENILLOUCHE
61
Le droit européen antiterroriste : notes en marge d’une fuite
en avant – Maria Luisa CESONI
72
La décision d’enquête européenne, nouvel instrument d’entraide
judiciaire pour la mise en état des affaires pénales
Juliette LELIEUR
75
Eurojust. Une réponse judiciaire, plus solide que jamais de
l’Union européenne – Michèle CONINSX
79
Le droit pénal allemand et le droit pénal européen. Réticences
et adaptation de la justice pénale allemande au droit pénal
européen post-Lisbonne – Julien WALTHER
88
La progression d’un statut des victimes en droit de l’Union
européenne – Claire SAAS
97
Introduction aux coopérations policières de l’Union européenne
Olivier CAHN
106
Mettre un terme à la concurrence entre les communautés
policière et de renseignement, le projet d’un « centre de fusion
européen » – Pierre BERTHELET
122
La coopération douanière en Europe. Entre intégration et
fragmentation – Bruno DOMINGO
72
132
Quelle coopération douanière européenne dans
un contexte de concurrence ? – François LAFARGE
142
L’Union européenne et la lutte contre la piraterie
maritime. Les incohérences de la dimension externe
de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
Coralie MAYEUR-CARPENTIER
151
Le nouveau règlement Europol : un cas
d’entreprenariat politique supranational
de la Commission européenne ? – Agathe PIQUET
164
L’Europe en danger d’implosion
Viviane de BEAUFORT
168
Des smart borders aux clôtures barbelées :
la revanche du low-tech ? – Denis DUEZ
Actes du colloque
L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
179
Introduction à l’Europe de la sécurité et de la justice – Cyrille SCHOTT
182
L’Europe des insécurités, quels enjeux ? – Jean-Jacques COLOMBI
185
La directive européenne sur les armes à feu – Frédéric MOLLARD
187
La directive européenne sur les armes à feu – David LEROOY
190
La nouvelle directive « terrorisme » et quelques réflexions sur l’évolution institutionnelle
en matière policière et judiciaire – Emilio de CAPITANI
193
Contrôle social total versus libertés fondamentales – Stefan BRAUM
198
Réflexions sur quelques équilibres essentiels au droit pénal européen – Anne WEYEMBERGH
203
La France et l’Europe de la sécurité : le temps des doutes ? – Xavier LATOUR
209
La coopération policière européenne : obstacles et solutions – Émile PEREZ
212
Sécurité intérieure européenne et définition de l’intérêt national : le modèle français revisité
Jacques DE MAILLARD
215
La France et l’Espace pénal européen : enjeux actuels – Sonya DJEMNI-WAGNER
48
142
132
I3
Éditorial
L
a commémoration, en 2014, par
l’institut national des hautes études de
la sécurité et de la justice (INHESJ), de
la naissance, en 1989, de son ancêtre,
l’institut des hautes études de la sécurité intérieure, a
été l’occasion de retracer l’évolution de la doctrine
sécuritaire au cours de ces 25 dernières années.
Deux étapes ont marqué la construction de cette
doctrine : d’une part, le passage du concept de
sécurité intérieure à celui de sécurité globale, c’est à
dire d’une politique publique incluant de nombreux
autres acteurs que ceux relevant du seul domaine
régalien, autour d’un objet élargi à d’autres risques
et menaces que ceux-là seuls liés aux phénomènes
criminels ; d’autre part, et cela concerne au premier
chef l’INHESJ, l’inclusion dans un même mouvement
de stratégies de sécurité intégrant la dimension
incontournable de la justice.
Ces évolutions ne sont pas spécifiques à la France.
Elles ne sont pas non plus le résultat d’une trajectoire
naturelle qui accréditerait l’idée d’un enchainement
historique évident. Elles sont le produit de débats,
d’affrontements parfois, mais toujours d’un constat
riche et documenté comme d’une réflexion
renouvelée qui ont fourni la base d’une doctrine
nouvelle, dans le champ de la pensée sur la sécurité
comme dans celui des politiques nationales.
Ainsi, lors de la réunion du Conseil européen tenue
en juin 2015 sur « la stratégie de sécurité de l’UE
notamment dans le contexte de la lutte contre le
terrorisme » , les 28 chefs d’État et de gouvernement
ont acté «la nécessité pour l’Union européenne de
contribuer à la protection des citoyens européens eu
égard à l’augmentation actuelle des menaces» en se
dotant d’une «sécurité intérieure de l’UE» autour de
différents défis à relever : lutter contre la criminalité
transnationale organisée, prévenir le terrorisme et
la radicalisation, anticiper les menaces émergentes
à l’aide du renseignement, assurer la cybersécurité
et la protection des frontières extérieures… Les
attaques terroristes à Paris, Nice, Magnanville,
Saint-Étienne-du-Rouvray en 2015 et 2016, l’attentat
du Thalys en septembre 2015, les attentats de
Bruxelles du 22 mars 2016, pour ne citer que
ceux-là, ou encore l’afflux de réfugiés chassés de
leur pays par les guerres sanglantes au levant et au
Sahel, ont mis en évidence l’impérieuse nécessité
de construire un cadre d’action international pour
apporter des réponses efficaces, à la hauteur des
drames humains et des enjeux politico-juridiques
de ce siècle. La France, en tant que pays leader
de la construction européenne, a joué un rôle actif
dans ce dossier en plaidant en faveur d’un Corps
européen aux frontières ou d’une sécurité civile
européenne plus intégrée.
L’Union européenne, elle aussi, a construit au fil de
son histoire une politique de sécurité structurellement
liée à la création d’un espace de justice. Cette
construction spécifique s’est faite dans le cadre
politique de l’Union, cadre qui soumet tout projet
commun à la négociation préalable entre les États
membres d’une part, entre les États membres et les
différentes structures de l’Union d’autre part.
En outre, et au-delà de la construction d’une
« sécurité intérieure européenne », cette nouvelle
donne conduit à relancer l’interrogation sur
l’architecture d’un « espace pénal européen ».
Cette réflexion, fil rouge de ce numéro spécial
sur l’Europe qui intègre les actes d’un colloque
de l’INHESJ tenu en octobre 2016 sur le même
sujet, aborde de façon très concrète l’analyse
des différents dossiers dans leur dimension à la
fois politique et judiciaire. Elle porte aussi sur les
rapports renouvelés entre la France et l’Europe
en matière de sécurité et de justice. Terrorisme,
criminalité, crises : dans quelle mesure l’approche
française de la menace et du risque est-elle affectée
par les grandes évolutions européennes ? Peut-on
parler, concernant la France, en matière de justice et
de sécurité, d’un mouvement « d’européanisation »?
Demeure-t-il encore des opportunités pour agir
ensemble et de façon constructive entre la France et
l’UE dans ce domaine ? Quels sont les leviers dont
dispose la France pour influencer la construction
institutionnelle en cours d’un continuum entre justice
pénale et sécurité intérieure européennes ? Il faut
ainsi saluer l’action déterminante de la France dans
la construction du paquet européen, compétent en
matière de lutte contre la fraude portant atteinte aux
intérêts financiers de l’Union, dont les fraudes à la
TVA, et dont les compétences pourraient être, un
jour, étendues à la lutte contre le terrorisme. Ainsi,
postérieurement au colloque de l’INHESJ tenu en
octobre 2016, à l’issue du Conseil « Justice-Affaires
Intérieures » de décembre 2016, le ministre de la
justice français a relancé, dans une intervention
décisive, une procédure en souffrance, et le projet
de règlement a été consolidé. Certes, l’unanimité
nécessaire pour un accord global ne sera pas
atteinte compte tenu de la position exprimée par
la Suède. Mais, conformément aux dispositions
de l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne, le Conseil européen a été
effectivement saisi le 14 février 2017. Il a désormais
mission de rechercher un consensus durant un délai
de 4 mois. A défaut, un groupe d’au moins neuf
États membres pourra engager une procédure
de coopération renforcée en vue de l’adoption
définitive du texte, après approbation par le
Parlement européen. Le Conseil européen se réunira
au mois de mars, à l’occasion des 60 ans du traité
de Rome.
La construction d’une « sécurité intérieure
européenne » soulève un ensemble de défis au
regard des menaces et des risques qui pèsent de
manière permanente sur chaque pays membre.
Affronter ensemble ces défis, c’est assumer de porter
des politiques, d’initier des actions, d’inventer de
nouveaux dispositifs qui posent immédiatement la
question du cadre juridique comme du compromis
politique dans lequel ils doivent être élaborés.
À travers toutes ces questions sur la dynamique
à l’œuvre en matière de sécurité et de justice
européennes, il s’agit toujours, en réalité, du même
enjeu politique central de l’Union, celui d’une
coopération ou d’une intégration. De nombreuses
contributions dans ce numéro et au cours du
colloque montrent l’extrême difficulté à trancher.
Et pourtant, même ceux qui, parmi les Européens
les plus convaincus, ont pu préconiser une pause
dans la construction européenne pour garantir les
conditions d’une intégration repensée à l’aune
des interrogations des peuples et à la mesure des
bouleversements majeurs du monde et du siècle,
ont exclu la sécurité et la justice de cette suspension
de la démarche européenne. C’est dire l’urgence
à agir.
Hélène CAZAUX-CHARLES,
directrice de l'INHESJ
DOSSIER I 5
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L’harmonisation des incriminations
pénales : jalons pour un code
pénal européen ?
Éliette RUBI-CAVAGNA
L
ors de la création des trois
communautés européennes, il y a
une soixantaine d’années, on est
loin d’imaginer l’impact qu’aura
la construction européenne sur les droits
nationaux et singulièrement sur le droit
pénal. Les États fondateurs considèrent
la législation pénale comme un attribut de
la souveraineté étatique et il n’est, à aucun
moment, question de compétence pénale
dans les traités fondateurs 1.
Il apparaît néanmoins très rapidement
que droit pénal et droit communautaire ne
peuvent rester totalement étrangers l’un à
l’autre et que le droit communautaire exerce
une certaine influence sur le droit pénal des
États sans toutefois que l’on puisse parler
d’une compétence pénale des communautés
européennes 2.
Les traités de Maastricht, en 1993, et
d’Amsterdam, en 1999, constituent un
tournant à cet égard. Le traité de Maastricht,
en créant l’Union européenne (UE), intègre la
coopération policière et judiciaire pénale dans
le 3e pilier de l’Union et offre un fondement
aux premiers textes d’harmonisation en
matière pénale dans l’objectif d’accroître
l’efficacité de la lutte contre certaines
formes de criminalité. Quelques années
plus tard, le traité d’Amsterdam va donner
un objectif plus ambitieux à la coopération
intergouvernementale, dans le cadre du 3e
pilier, en visant la construction d’un espace
de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ). La
Éliette RUBI-CAVAGNA
Maître de
conférences
HDR, Université
de Lyon,
UJM-SaintEtienne, CNRS,
CERCRID UMR
5137.
(1) La Commission européenne précisait, en 1974, que le droit pénal est « un sujet qui n’entre pas, en tant que
tel, dans la sphère de compétences de la Communauté, mais qui reste du ressort de chaque État membre »
(8e rapport général sur l’activité des Communautés européennes, § 145). La Cour de justice des Communautés
européennes affirmait, en 1981, que « la législation pénale et le régime des sanctions relèvent de la compétence
des États membres » (CJCE, 11 novembre 1981, Casati, 23/80)
(2) Pour un exposé des mécanismes, lire (entre autres) Gindre (E.), 2009, « L’émergence d’un droit pénal de l’Union
européenne », Clermont-Ferrand, L.G.D.J., coll. des thèses, p.14-17 ; Flore (D.) et Bosly (S.), 2014, Droit pénal
européen, Bruxelles, Larcier, 2e ed. p. 25-40 ; Rubi-Cavagna (E.), 2014, L’essentiel du Droit pénal de l’Union
européenne, Issy-les-Moulineaux, Gualino, p.15-26
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
6 I DOSSIER
réalisation d’un tel espace doit favoriser la libre circulation
au sein de l’Union européenne, et en particulier celle des
personnes, par le développement de la prévention et de la
lutte contre certaines formes de criminalité, spécifiquement
la criminalité de réseau. Afin d’atteindre cet objectif, les
États membres déclarent, lors du Conseil européen de
Tempere en octobre 1999, qu’ils souhaitent privilégier le
principe de la reconnaissance mutuelle pour construire la
coopération. La reconnaissance mutuelle qui « impose aux
autorités d’un État membre d’exécuter une décision judiciaire prise
par les autorités judiciaires d’un autre État membre comme si elle
avait été prise par les siennes propres 3 », semble un moyen de
garantir l’exécution des décisions judiciaires pénales dans
tout État membre de l’Union sans avoir préalablement
réalisé une quelconque harmonisation des règles pénales.
La pratique montrera toutefois très rapidement que
l’exécution, dans un État, des décisions pénales rendues
dans un autre État membre suppose une confiance dans
la procédure et la législation de cet État qui ne peut
se construire que sur une proximité des législations.
Autrement dit, l’harmonisation deviendra le « préalable
nécessaire 4 » du recours aux instruments de reconnaissance
mutuelle (comme le mandat d’arrêt européen).
L’utilité de l’harmonisation des incriminations est ainsi
confirmée, mais elle n’est pas une fin en soi dans la
construction de l’ELSJ. Le traité de Lisbonne 5, qui entre en
vigueur en 2009, confirme que l’harmonisation n’est qu’une
méthode au service de la coopération en matière pénale.
Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
(TFUE), issu du traité de Lisbonne, reprend l’objectif
de construction d’un espace de liberté, de sécurité et de
justice qui constitue la finalité de la compétence reconnue
à l’Union européenne en matière pénale. L’article 67
§ 3 du TFUE précise les méthodes d’intervention dont
dispose celle-ci : « L’Union œuvre pour assurer un niveau
élevé de sécurité par des mesures de prévention de la criminalité,
du racisme et de la xénophobie, ainsi que de lutte contre ceux-ci,
par des mesures de coordination et de coopération entre autorités
policières et judiciaires et autres autorités compétentes, ainsi que par
la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale
et, si nécessaire, par le rapprochement des législations pénales ».
C’est ce pouvoir de « rapprochement des législations pénales » ou
de « rapprochement des dispositions législatives et réglementaires 6 »
que la doctrine qualifie de « processus d’harmonisation ».
Dans le cadre d’une approche modélisée, Mireille DelmasMarty a présenté l’harmonisation comme l’une des formes
d’interaction de normes issues de systèmes juridiques
différents7. La modélisation propose trois formes d’intégration
et situe l’harmonisation comme la forme intermédiaire entre
l’unification et la coopération. L’unification est la forme la
plus intégrée et suppose une identité des normes nationales,
tant dans leur lettre que dans leur interprétation, tandis que la
coopération consiste en une interaction réduite des normes.
Elle vise simplement à permettre un fonctionnement
non discordant de normes non identiques et d’origines
différentes. Le processus intermédiaire qu’est l’harmonisation
aboutit à une convergence des droits nationaux tout en
laissant subsister des spécificités nationales. De façon
plus précise, selon ce modèle, l’harmonisation suppose un
rapprochement des droits nationaux par référence à une
norme supranationale laquelle ne contraint pas à l’adoption
de normes nationales identiques 8.
Par référence à cette modélisation, on peut observer que
le pouvoir reconnu à l’Union européenne pour opérer
un rapprochement des incriminations en établissant
« des règles minimales relatives à la définition des infractions
pénales… 9 » peut être qualifié d’harmonisation. En
effet, l’UE reçoit compétence pour élaborer une norme
européenne de référence fixant des règles minimales
relatives à la définition des infractions, norme que les
États membres devront transposer afin de l’intégrer
dans l’ordre juridique national sans pour autant devoir
renoncer à toute spécificité nationale. Cependant, il est
essentiel de relever que la compétence pénale reconnue
à l’UE est une compétence dite « partagée » soumise au
principe de subsidiarité, ce qui signifie que l’UE ne peut
intervenir pour harmoniser les incriminations qu’après
démonstration de la nécessité et de la proportionnalité de
son action.
Une compétence pour harmoniser les définitions des
incriminations pénales, une compétence subsidiaire… De
ces premières précisions apportées quant à la compétence
dévolue à l’Union européenne en droit pénal substantiel,
(3) Haguenaud-Moizard (C), Gazin (F) et Leblois-Happe (J), 2016, Les fondements du droit pénal de l’Union européenne, Bruxelles, Larcier, Coll.
Paradigme, p.144, §113.
(4) idem.
(5) Le traité de Lisbonne réforme l’Union européenne dorénavant construite sur le traité sur l’Union européenne (TUE) et le traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne (TFUE).
(6) Article 83 TFUE.
(7) Delmas-Marty (M.), 2008, « Introduction – Objectifs et méthodes » in Delmas-Marty (M.), Pieth (M.) et Sieber (U.) (dir.), Les chemins de
l’harmonisation pénale, Paris, Société de législation comparée, Coll. UMR droit comparé, vol. 15, p. 27.
(8) Delmas-Marty (M.), 2006, « L’intégration pénale européenne », séminaire organisé par l’Institut d’études internationales de Montréal, Université
du Québec. Disponible à l’adresse suivante : http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/Integration_penale_europeenne.pdf
(9) Article 83 TFUE.
L’harmonisation des incriminations pénales : jalons pour un code pénal européen ? – Éliette RUBI-CAVAGNA
DOSSIER I 7
il résulte clairement que l’on est loin
de l’élaboration d’un code pénal
européen présentant de façon unifiée
des incriminations pour le territoire
de l’UE. D’ailleurs un tel projet n’est
pas à l’ordre du jour de l’Union 10.
Pourtant, nonobstant le champ limité
de l’harmonisation pénale substantielle,
l’idée que le processus amorcé puisse
receler les premiers jalons d’un code
pénal européen n’est pas totalement
dénuée de pertinence. En effet,
si les traités européens semblent
dessiner une compétence limitée pour
harmoniser, l’analyse montre que
l’Union européenne exerce, en partage
avec les États membres, un pouvoir
d’incrimination et élabore un droit
pénal matériel qui présente une certaine
cohérence en terme d’intérêts protégés. On peut dès lors
s’interroger sur l’opportunité d’un code pénal européen.
De ces premières
précisions apportées
quant à la compétence
dévolue à l’Union
européenne en droit
pénal substantiel, il
résulte clairement
que l’on est loin
de l’élaboration
d’un code pénal
européen présentant
de façon unifiée des
incriminations pour
le territoire de l’UE.
D’ailleurs un tel projet
n’est pas à l’ordre du
jour de l’Union
Le pouvoir limité de l’UE pour
harmoniser des incriminations
L’article 83 du TFUE reconnaît compétence à l’UE pour
« établir des règles minimales relatives à la définition des infractions
pénales » et opérer ainsi « le rapprochement des dispositions
législatives et réglementaires des États membres » aux fins de
faciliter la coopération judiciaire en matière pénale.
Le pouvoir d’harmonisation des incriminations reconnu
à l’Union européenne apparaît très limité tel que présenté
dans le TFUE. Il se présente comme limité dans sa nature,
limité quant à son objectif et limité quant à son domaine.
Un pouvoir d’harmonisation des
incriminations limité dans sa nature
Le pouvoir d’harmonisation reconnu à l’UE est limité
dans sa nature. Il s’agit précisément de la compétence
pour « établir des règles minimales relatives à la définition des
infractions pénales » par voie de directive.
On peut observer, en premier lieu, que l’Union
européenne ne reçoit de compétence que pour intervenir
sur la définition d’incriminations particulières 11, donc en
matière de droit pénal spécial. Son intervention n’est donc
envisagée que comme ponctuelle dans le champ du droit
pénal matériel.
En second lieu, l’Union n’a pas le pouvoir de définir de
façon unifiée des infractions pénales. Sa compétence se
limite à l’adoption d’un texte européen de référence posant
des « règles minimales ». L’emploi de l’adjectif « minimal »
renvoie à des règles constituant un plancher n’interdisant
pas aux États d’adopter des mesures plus protectrices 12.
La directive précise ainsi les règles incontournables quant
à la qualification pénale et semble laisser aux États une
marge d’appréciation quant au mode d’insertion des
incriminations en droit national.
L’outil que constitue la directive ne fixe d’ailleurs que des
objectifs en termes d’incrimination et nécessite un texte
national de transposition. Par conséquent, sur le plan
formel, la compétence pour incriminer reste acquise aux
États dans le respect du principe de souveraineté pénale
auquel les États sont fortement attachés.
Un pouvoir d’harmonisation des
incriminations limité quant à son objectif
Le pouvoir d’harmonisation dont dispose l’Union est
également limité par le TFUE quant à son objectif. Dans
la continuité des traités antérieurs, et pour préserver
la souveraineté pénale des États, le rapprochement
des incriminations n’est pas une fin en soi. Certes,
l’harmonisation est un levier dont on a compris
l’importance pour impulser la confiance entre États de
l’Union et faciliter les échanges entre autorités judiciaires.
Mais elle n’est conçue que comme un moyen de favoriser
la coopération et le bon fonctionnement des outils
de reconnaissance mutuelle. C’est au demeurant au
regard de l’objectif de coopération policière et judiciaire
que sera appréciée l’intervention de l’UE en matière
d’harmonisation. La légitimité de son intervention pour
poser des règles minimales réside dans son utilité pour la
coopération en matière pénale.
(10) Actuellement, la page consacrée à la politique de droit pénal sur le site de la Commission européenne s’ouvre sur la phrase suivante : « Bien
que l’UE ne puisse pas adopter de code pénal européen général, la législation pénale de l’UE peut ajouter, dans les limites de ses compétences,
une valeur importante aux systèmes nationaux existants en droit pénal ».
(11) Le traité donne également compétence à l’Union pour poser des règles minimales relatives à la définition des sanctions, mais ce point est hors
de notre étude.
(12) Haguenaud-Moizard (C.), Gazin (F.) et Leblois-Happe (J.), 2016, Les fondements du droit pénal de l’Union européenne, Bruxelles, Larcier, Coll.
Paradigme, p.151-153.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
8 I DOSSIER
Un pouvoir d’harmonisation limité quant
à son domaine
Le pouvoir d’harmonisation reconnu à l’UE est enfin
limité, par le TFUE, quant à son domaine. La compétence
pour opérer un rapprochement des incriminations est
prévue dans deux champs distincts : pour la criminalité
grave transfrontière et pour assurer l’efficacité d’une
politique harmonisée de l’Union.
La doctrine a ainsi identifié une compétence pénale
autonome pour harmoniser la définition d’infractions
pénales graves, et une compétence pénale accessoire
lorsque le pouvoir d’harmonisation en matière pénale est
reconnu à l’Union pour assurer l’efficacité des politiques
de l’UE par le droit pénal.
La compétence pénale autonome de l’UE s’exerce pour
des domaines de criminalité qualifiée de grave en raison
d’une atteinte à la liberté, à la dignité ou à la sécurité des
personnes ou d'une atteinte à la stabilité politique ou
économique des États. L’article 83 § 1 TFUE liste les
domaines concernés : « le terrorisme, la traite des êtres humains
et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite
de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la
corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité
informatique et la criminalité organisée 13 », parfois qualifiés
d’eurocrimes 14. Il convient d’ajouter que, même s’agissant
de ces domaines de criminalité, la compétence de l’UE
pour harmoniser est soumise à une seconde condition :
l’UE ne peut établir de règles minimales que lorsque
l’infraction revêt une dimension transfrontière. Toutefois,
on peut relever que cette dimension est définie largement
par le texte puisque, outre les cas dans lesquels il existe un
élément objectif d’extranéité résultant du « caractère ou des
incidences de ces infractions », l’article 83 TFUE précise que le
caractère transfrontière peut découler « d’un besoin particulier
de les (les infractions) combattre sur des bases communes ».
S’agissant de la compétence pénale dite « accessoire », elle
désigne la compétence reconnue à l’UE dans l’article 83
§ 2 TFUE, pour établir des règles minimales relatives à la
définition des infractions « lorsque le rapprochement des dispositions
législatives et réglementaires des États membres en matière pénale s’avère
indispensable pour assurer la mise en œuvre efficace d’une politique de
l’Union dans un domaine ayant fait l’objet de mesures d’harmonisation ».
La compétence pour harmoniser est ici une compétence
accessoire au développement d’autres politiques de l’Union,
qu’il s’agisse de politiques développées dans un champ
de compétence exclusive, dans un champ de compétence
partagée ou même pour servir les objectifs transversaux des
traités (protection de l’environnement, protection de la santé
humaine…). Toutefois, concernant cette compétence pénale
accessoire, le TFUE pose une exigence plus importante en
termes de nécessité puisque l’intervention de l’Union doit
être « indispensable » pour assurer l’efficacité d’une politique
de l’Union, ce qui implique d’établir l’insuffisance de toute
intervention non pénale avant de recourir à la sanction pénale.
Le champ potentiellement très large de la compétence
pénale accessoire a conduit la doctrine à exprimer des
craintes quant à une hypertrophie du champ pénal investi
par l’Union sur ce fondement. La Commission a annoncé,
dès 2011, son souhait d’investir certains domaines comme
la politique de la pêche et les infractions graves en matière
de transport routier, mais pour l’instant le développement
redouté n’est pas intervenu.
Nonobstant les limites posées par le traité, l’exercice du
pouvoir d’harmonisation par l’UE a impulsé un processus
de création d’un droit pénal matériel européen.
La construction par l’UE d’un
droit pénal matériel européen
Quelques années après l’entrée en vigueur du traité de
Lisbonne, il est loisible de procéder à une analyse de
l’action de l’Union européenne et celle-ci confirme que le
pouvoir d’harmonisation reconnue à l’Union européenne
s’apparente à un pouvoir d’incrimination, ce qui aboutit
à un partage du pouvoir d’incriminer entre l’Union et les
États membres. Mais dans le même temps, la politique
pénale de l’UE dans le cadre de l’harmonisation des
définitions des infractions pénales peine à se dessiner
entre le souhait d’une certaine cohérence et l’exigence
d’une intervention limitée par la nécessité.
Le partage du pouvoir d’incriminer entre
l’Union européenne et les États membres
Quoique le TFUE ne confie à l’UE qu’un pouvoir
d’harmonisation des définitions des infractions pénales,
l’Union européenne exerce au-delà de ce pouvoir, une
partie du pouvoir d’incrimination 15.
(13) L’article 83 §1 TFUE in fine prévoit la possibilité, pour le Conseil de l’Union, d’intégrer d’autres champs de criminalité.
(14) Nous n’utiliserons pas le vocable d’« eurocrimes » proposé par la doctrine et repris par la Commission en 2011, car s’il a le mérite de renvoyer
à la dynamique pénale européenne, il nous semble trompeur. En effet, le terme évoque des « crimes européens » qui n’existent pas pour l’heure
alors qu’en réalité, il ne s’agit ici que de domaines de criminalité pour lesquels l’UE peut avoir compétence.
L’harmonisation des incriminations pénales : jalons pour un code pénal européen ? – Éliette RUBI-CAVAGNA
DOSSIER I 9
Le pouvoir d’incriminer confère à l’organe qui l’exerce
trois choix essentiels : la décision de pénaliser (c’està-dire de recourir à la sanction pénale), la définition
des comportements punissables et le choix du type de
peine et son quantum. L’analyse des directives opérant
un rapprochement des incriminations montre que ces
choix (décisions de pénaliser, description des éléments
constitutifs et choix de peine) sont réalisés par l’Union
européenne au titre des « règles minimales relatives à la définition
des infractions pénales et des sanctions » et qu’ils constituent les
objectifs de la directive que les États membres doivent
respecter. Certes, on peut avancer que ces règles minimales
n’interdisent pas à l’État d’aller au-delà du minimum
prévu par la directive, mais il faut bien comprendre que
cette possibilité signifie uniquement, pour l’État membre,
qu’il peut pénaliser des comportements non envisagés par
la directive ou sanctionner plus sévèrement les infractions
prévues, et encore sous réserve que les incriminations
au-delà de la directive ne constituent pas des entraves
aux libertés de circulation et ne portent pas atteinte aux
principes fondamentaux de l’UE.
L’Union européenne définit donc le contenu de la norme
d’incrimination et exerce ainsi une partie du pouvoir
d’incriminer, mais cette compétence pénale s’exerce par
le biais de directives laissant aux États le soin d’adopter un
texte de transposition pour la création ou la modification
des incriminations. La source formelle des incriminations
reste donc nationale 16 et la directive d’harmonisation
constitue une source indirecte, quoique contraignante,
des incriminations 17.
L’impact réel du pouvoir d’harmonisation reconnu à
l’UE conduit les États à développer, lors des travaux
préparatoires, une grande vigilance quant au contenu des
directives opérant une harmonisation des incriminations,
de façon à maîtriser les conséquences de ces textes sur
le droit pénal national. L’accord entre États n’est pas
toujours aisé à trouver. En conséquence, si certaines
directives posent effectivement des règles minimales
communes pour la définition d’une incrimination, d’autres
n’opèrent que des rapprochements « en trompe-l’œil 18 » ou
« binaires 19 » en juxtaposant des définitions alternatives qui
laisseront subsister les disparités nationales.
Une politique pénale de l’UE entre
cohérence et nécessité
La politique d’harmonisation développée par l’Union
permet d’identifier, avec une certaine cohérence, les
valeurs sociales que protège l’UE. Toutefois, soumise au
principe de nécessité, l’intervention de l’Union ne doit se
développer que de façon pragmatique.
La politique d’harmonisation de l’UE fait progressivement
émerger des valeurs sociales pour lesquelles une
protection pénale a semblé nécessaire. Émerge « une
communauté d’interdits » selon l’expression du professeur
Pin 20. E. Gindre a dégagé que la protection pénale se
développe autour de deux intérêts : la protection d’intérêts
économiques (héritage de la construction de la CEE et du
marché unique) et plus récemment la protection d’intérêts
démocratiques (accentuée, depuis la création de l’UE, par
l’objectif de création d’un espace de liberté, de sécurité
et de justice 21). Au regard des textes adoptés, on peut
identifier :
- la protection de la liberté et de la dignité des
personnes (lutte contre la traite des êtres humains, la
pédopornographie, le racisme et la xénophobie…) ;
- la protection de l’État de droit et de la sécurité des
personnes (lutte contre le terrorisme et les réseaux
mafieux liés au trafic de drogues, d’armes…) ;
- la protection de la sécurité financière (sanction des
atteintes aux intérêts financiers de l’UE, de la corruption,
de la contrefaçon des moyens de paiement, des abus de
marché, du blanchiment…) ;
- la protection de l’environnement (sanction des atteintes
à l’environnement, de la pollution des navires) ;
- la sécurité informatique.
(15) Lire Gindre (E.), 2009, « L’émergence d’un droit pénal de l’Union européenne », Clermont-Ferrand, L.G.D.J., Coll. Des thèses, p. 323. ;
également notre article Rubi-Cavagna (E.), 2009, « Réflexions sur l’harmonisation des incriminations et des sanctions pénales prévue par le
traité de Lisbonne », R.S.C., p.501-521.
(16) Des auteurs évoquent à ce propos la dualité de la souveraineté pénale. Gindre (E.), 2009, L’émergence d’un droit pénal de l’Union européenne,
Clermont-Ferrand, LGDJ, Coll. Des thèses, p. 326-354.
(17) Même dans l’hypothèse de directives très précises pour lesquelles le texte national de transposition se contente de reproduire le texte européen
sans modification. Flore (D.) et Bosly (S.), 2014, Droit pénal européen, Bruxelles, Larcier, 2e ed., p. 316.
(18) Flore (D.) et Bosly (S.), 2014, Droit pénal européen, Bruxelles, Larcier, 2e ed., p. 323.
(19) Manacorda (S.), 2008, « La parabole de l’harmonisation pénale : à propos des dynamiques d’intégration normative relatives à l’organisation
criminelle » in Delmas-Marty (M.), Pieth (M.) et Sieber (U.) (dir.), Les chemins de l’harmonisation pénale, Paris, Société de législation comparée,
Coll. UMR droit comparé, vol. 15, p. 267.
(20) Pin (X.), 2013, « les enjeux de l’harmonisation pénale », in Zerouki-Cottin (D.) (dir.), L’espace pénal européen : à la croisée des chemins,
Bruxelles, Dossier de la Revue de droit pénal et de criminologie, p.93.
(21) Gindre (E.), 2009, « L’émergence d’un droit pénal de l’Union européenne », Clermont-Ferrand, LGDJ, coll. Des thèses, p. 158
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
10 I DOSSIER
Toutefois l’action de l’UE en matière pénale est soumise
au principe de subsidiarité et la compétence pour
harmoniser ne peut être exercée que si elle est nécessaire
pour favoriser la coopération. Dans une communication
en 2011 22, la Commission européenne 23 a exposé que la
« nécessité » de l’intervention pénale posée par le TFUE
supposait un processus en deux étapes : première étape,
l’Union doit peser la nécessité d’une intervention pénale
et, seconde étape, l’Union doit définir le type de mesures
pénales nécessaires.
En réalité, la nécessité ne semble pas répondre aux
mêmes exigences selon que l’on se situe dans le champ
de l’harmonisation autonome ou dans le champ de
l’harmonisation accessoire.
Pour les infractions graves transfrontières, la nécessité
d’harmoniser s’apprécie par rapport à la question de savoir
si les divergences de législations nationales constituent
ou non un frein à la coopération dans la lutte contre la
criminalité. La question porte donc sur la nécessité d’une
intervention de l’UE et pas vraiment sur la question d’une
intervention pénale. Le caractère pénal de l’intervention
est d’ores et déjà légitimé par la liste des catégories
d’infractions figurant dans l’article 83 § 1 TFUE.
Dans le champ de l’harmonisation accessoire, c’est-àdire l’harmonisation aux fins d’assurer l’efficacité des
politiques de l’UE, la question de la nécessité est autre.
Elle renvoie au point de savoir si le droit pénal constitue
l’unique outil susceptible d’assurer l’application d’une
politique de l’Union. Pour l’exprimer autrement, c’est la
nécessité de l’intervention pénale de l’UE qui est posée.
construction d’un code pénal européen. Toutefois le
droit pénal européen reste une source indirecte des
incriminations et cela amène à nourrir de sérieux doutes
quant à l’opportunité d’un tel outil.
L’opportunité d’un code pénal
européen ?
Peut-on imaginer un code pénal européen ? Peut-on
regarder le processus d’harmonisation des définitions
des infractions comme apportant des jalons pour la
construction d’un tel code ?
Répondre à ces questions suppose préalablement de
repréciser ce qu’est un code. Un code est un document
regroupant des normes portant sur un même objet pour
les présenter de façon ordonnée afin d’en améliorer
l’accessibilité et d’en accroître l’intelligibilité.
Il s’agit d’un instrument juridique doté d’un fort
intérêt politique. Concernant le droit pénal européen,
l’élaboration d’un code ne présente, pour l’heure, pas
de véritable intérêt au plan juridique. D’un point de vue
politique en revanche, le code est un instrument que
l’Union pourrait souhaiter.
Un code pénal européen, un instrument
juridique actuellement sans intérêt
La compétence de l’UE pour harmoniser étant, quoiqu’en
des termes différents, totalement liée à la question de la
nécessité, la politique pénale de l’UE ne peut être que
pragmatique (orientée vers le besoin de lutter contre telle
ou telle forme de criminalité) et discontinue (n’intervenant
que pour remédier aux difficultés 24 ).
Nous envisagerons ici deux questions différentes, mais à
notre sens complémentaires afin de répondre à la question
de la création d’un code pénal européen. La première porte
sur la faisabilité actuelle d’un tel code et de son intérêt, et
la seconde sur la place que peuvent prendre les réalisations
actuelles en droit pénal matériel dans la construction d’un
éventuel code pénal européen à plus longue échéance.
Le rôle essentiel que joue l’UE dans la définition
de certaines infractions pénales et l’émergence de
valeurs sociales protégées par le droit pénal de l’Union
européenne permettent de s’interroger sur l’éventuelle
Concernant la faisabilité actuelle d’un code pénal européen,
disons d’emblée que l’instrument ne présenterait que
très peu d’intérêt. Un code pénal européen regroupant
l’ensemble des directives d’harmonisation des définitions
(22) « Vers une politique de l’UE en matière pénale : assurer une mise en œuvre efficace des politiques de l’UE au moyen du droit pénal »,
COM(2011) 573 final.
(23) La Commission s’exprime sur la politique de l’UE en matière pénale après que des universitaires de dix pays européens ont rédigé un « manifeste
pour une politique criminelle européenne » afin de rappeler les principes fondamentaux que l’Union doit respecter dans l’élaboration du droit
pénal dans la « tradition européenne des lumières ». Voir le manifeste sur le site https://sites.google.com/site/eucrimpol/manifest/francais.
(24) La doctrine pénaliste a néanmoins souligné le risque que la nécessité de recourir au droit pénal soit appréciée en s’appuyant sur son efficacité
symbolique, « ce qui risque de priver le principe de subsidiarité du droit pénal de toute pertinence ». Van De Kerchove (M.), 2012, « Le principe
de subsidiarité » in Guidicelli-Delage (G) et Lazerges (C.) (dir.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, Paris,
Société de législation comparée, Coll. UMR droit comparé, vol. 28, p. 45.
L’harmonisation des incriminations pénales : jalons pour un code pénal européen ? – Éliette RUBI-CAVAGNA
DOSSIER I 11
des infractions pénales adoptées par l’Union européenne
pour les présenter de façon ordonnée n’améliorerait ni
l’accessibilité des normes pénales pour les justiciables, ni
l’intelligibilité des normes.
Améliorer l’accessibilité des normes constitue l’un des
objectifs que l’on attribue à la codification. Dans le cas
particulier d’un code pénal, il s’agit d’un instrument de
diffusion du droit au service du principe de la légalité des
délits et des peines. Il constitue un moyen efficace pour
assurer la prévisibilité de la sanction pénale en facilitant
l’accès des justiciables aux normes d’incriminations et
de sanctions. Dans l’état actuel du droit européen, les
normes pénales d’harmonisation sont posées par voie de
directives, lesquelles ne sont pas directement applicables.
En conséquence, et même si les choix essentiels quant
à l’incrimination sont bien opérés par l’Union et que les
États exercent une forme de « compétence liée » dans la
transposition des directives posant des règles minimales
pour définir les infractions, les États conservent la
compétence de poser et de modifier les incriminations
pénales applicables sur leur territoire et les directives ne
constituent que des sources indirectes du droit pénal. Un
code pénal européen ne présenterait donc pas d’utilité quant
à l’accessibilité des normes pénales pour les justiciables, pas
plus d’ailleurs quant à l’intelligibilité de celles-ci.
Dans un code, l’intelligibilité est améliorée par la
structuration des dispositions au sein de chapitres ou
livres… de même que par la présence d’éventuelles
dispositions générales qui permettent de développer
une lecture et une interprétation cohérentes des
dispositions. Concernant la structuration des dispositions,
l’identification d’intérêts protégés permettrait sans doute
d’organiser une présentation logique des directives dans
un code pénal européen, mais cette organisation matérielle
des textes ne permettrait pas nécessairement d’améliorer
la lisibilité des dispositions dès lors que la politique pénale
de l’UE se caractérise par son caractère pragmatique et
discontinu découlant du principe de la subsidiarité de son
intervention et de l’exigence de nécessité pour réaliser une
harmonisation des incriminations. Au surplus, on peut
souligner que, dans le champ de l’harmonisation accessoire,
l’intelligibilité des directives opérant un rapprochement
des définitions des infractions pénales peut surtout être
améliorée par la lecture des textes de l’Union (règlement
ou directive) qui définissent la politique harmonisée 25.
En ce domaine, une amélioration de la lisibilité des textes
résulterait moins du regroupement des directives opérant
une harmonisation pénale que du regroupement des
textes de l’Union concernant une politique particulière.
Quant aux dispositions générales susceptibles d’améliorer
l’intelligibilité des dispositions pénales spéciales, on peut
relever qu’en l’absence de toute compétence de l’UE
pour harmoniser le droit pénal général, seuls les principes
essentiels du droit pénal moderne consacrés en droit de
l’Union (entre autres le principe de la légalité des délits
et des peines, le principe de la non-rétroactivité des lois
pénales plus sévères…) pourraient figurer dans un tel
code. Hormis ces principes, aucun concept clé du droit
pénal, faute de compétence expresse de l’UE, ne viendrait
guider l’interprète.
L’utilité d’un code pénal européen adviendrait, en revanche,
dès lors que dans un ou plusieurs domaines, l’UE se
verrait reconnaître une compétence pénale non plus pour
harmoniser des incriminations par voie de directive, mais
pour poser des règles communes de définition de certaines
infractions par la voie du règlement 26. En ce cas, le corpus
de textes d’harmonisation d’incriminations pénales élaboré
jusqu’alors constituerait une référence. Les textes pénaux
serviraient en particulier, et assez paradoxalement pour la
construction d’un droit pénal général, car d’ores et déjà des
concepts émergent au fil des textes (complicité, tentative,
intention…). De même apparaissent des analyses des
mécanismes de la responsabilité pénale, notamment dans la
réflexion que l’UE a amorcée sur la légistique en matière
pénale 27. Ces concepts et ces mécanismes sont des éléments
fondamentaux à partir desquels un code pourrait être conçu.
Sans grand intérêt en l’état actuel au plan juridique, un
code pénal européen aurait immédiatement un important
intérêt politique, du moins pour l’UE.
Un code pénal européen, un instrument
politique intéressant
Un code pénal met, en effet, en lumière les valeurs
d’une communauté humaine et un code pénal européen
montrerait, sur ce plan, la double dynamique européenne
(25) Par exemple, la Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux
abus de marché nécessite d’être lue en parallèle avec le Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014
sur les abus de marché, dont elle assure la sanction pénale.
(26) L’Union européenne a créé, par la voie du règlement et dans le champ d’une compétence exclusive, un Code des douanes de l’Union.
Règlement no952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 établissant le Code des douanes de l’Union.
(27) Rubi-Cavagna (E.), 2016, « Un droit pénal général de l’Union européenne ? », Humanisme et Justice, Mélanges en l’honneur de G. GiudicelliDelage, Paris, Dalloz.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
12 I DOSSIER
de construction d’une Union européenne travaillant
au développement économique de l’Europe tout en
organisant un espace de protection de l’État de droit et
de la sécurité des personnes. Il accroîtrait la lisibilité de
l’action européenne dans ces domaines.
Européens au même espace territorial. Concernant cet
effet de cohésion, nous souhaiterions néanmoins préciser
que bien d’autres codes devraient préalablement construire
ce sentiment d’appartenance à la même communauté et
ce, de façon plus positive qu’un code pénal.
Outre ce premier intérêt d’un point de vue politique, un
code pénal européen jouerait un rôle de « cohésion » dans
la mesure où il contribuerait à unir « géographiquement et
socialement 28 » un espace pénal. Il constituerait, sur le plan
symbolique, un instrument important pour matérialiser
l’ELSJ et renforcer le sentiment d’appartenance des
Si un tel code peut être intéressant pour l’UE, il est clair
que cet affichage politique reste actuellement inacceptable
pour des États qui conservent une souveraineté pénale,
quoique partagée dans certains domaines n
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Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, Paris, Société de législation comparée, Coll. UMR
droit comparé, vol. 28, p. 185-196.
VAN DE KERCHOVE (M.), 2012, « Le principe de subsidiarité » in GUIDICELLI-DELAGE (G) et LAZERGES (C.)
(dir.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité
de Lisbonne, Paris, Société de législation comparée, Coll.
UMR droit comparé, vol. 28, p. 27-46.
WEYEMBERGH (A.), 2002, « Le rapprochement des
législations pénales au sein de l’Union européenne : les
difficultés et leurs conséquences », in KERCHOVE (G. DE)
et WEYEMBERGH (A.) (dir.), L’espace pénal européen : enjeux
et perspectives, éd. Université de Bruxelles, p. 127-144.
MANACORDA (S.), 2008, « La parabole de l’harmonisation
pénale : à propos des dynamiques d’intégration normative
relatives à l’organisation criminelle » in DELMAS-MARTY
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
14 I DOSSIER
L’incidence de la législation
européenne sur la procédure
pénale française
Jocelyne LEBLOIS-HAPPE
L’incidence de la législation de l’Union européenne sur la procédure pénale française, qui provient
principalement de la transposition des directives d’harmonisation, est très variable. Alors que
certains actes confortent les solutions du droit interne ou n’exigent que quelques ajustements
(comme la directive du 20 octobre 2010 sur le droit à l’interprétation et à la traduction), d’autres,
au contraire (comme la directive sur le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales
du 22 mai 2012), en ébranlent l’équilibre. Les perspectives qui se dessinent confirment cet état
des lieux : si les directives adoptées en 2016 (sur la présomption d’innocence et les enfants
soupçonnés ou poursuivis) ne conduisent guère à modifier le droit français, il en ira autrement de
la création du Parquet européen, pour laquelle les négociations sont déjà bien avancées.
A
nalyser l’incidence de la
législation européenne sur la
procédure pénale française
présente un intérêt tant au
regard du droit français qu’au regard du
droit européen. L’étude permet en effet de
faire la part, au sein des réformes récentes,
entre ce qui relève des choix souverains du
législateur national et ce qui procède de la
construction d’un espace pénal européen 1.
Elle permet également de mettre au jour
les caractéristiques du droit de l’Union qui
présente, de manière exacerbée, les traits
de la législation pénale contemporaine : un
droit marqué par les circonstances politiques
de son adoption, pas toujours cohérent et de
précision variable.
(1) Il convient d’observer que le législateur français ne cultive pas la transparence sur ce point. Tantôt il n’affiche pas
la transposition à laquelle il procède (v. par ex. la loi n°2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque
de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale intégrant sans le dire en droit français
la décision-cadre 2008/675/JAI du 24 juillet 2008 relative à la prise en compte des décisions de condamnation
entre les États membres de l’Union européenne à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale), alors même que
les textes européens exigent une telle mention (v. par ex. l’art. 15, § 2, de la directive 2013/48/UE du 22
octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales), tantôt il morcelle la
transposition d’actes européens qui ont pourtant leur propre cohérence (ainsi par ex. la directive 2012/29/UE du
25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes
de la criminalité a été transposée par les lois n° 2013-711 du 5 août 2013 et n° 2015-993 du 17 août 2015, et
la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures
pénales par les lois n° 2014-535 du 27 mai 2014 et n° 2016-731 du 3 juin 2016).
L’incidence de la législation européenne sur la procédure pénale française – Jocelyne LEBLOIS-HAPPE
Jocelyne LEBLOIS-HAPPE
Jocelyne
Leblois-Happe
est professeure
de droit pénal
à l’université
de Strasbourg
(Centre de
droit privé fondamental – EA
n°1351), membre du groupe
European Criminal Policy
Initiative, du groupe d’experts
pour la politique pénale de
l’Union européenne à la
Commission européenne et
du conseil d’orientation de
l’Observatoire national de la
délinquance et des réponses
pénales (ONDRP). Elle a coécrit
avec Catherine HaguenauMoizard et Fabienne Gazin un
ouvrage intitulé Les fondements
du droit pénal de l’Union
européenne (éd. Larcier, 2015).
DOSSIER I 15
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les procédures répressives des États membres qu’entre
leurs droits matériels [Pradel, 2015, p. 16 ; Weyembergh,
2004, p. 38-39]. Le respect des principes guidant l’action
du législateur européen (subsidiarité, proportionnalité,
respect de l’identité nationale des États membres) en la
matière est donc scruté avec une attention particulière,
comme l’a montré la réaction des parlements nationaux au
projet de règlement sur le Parquet européen [HaguenauMoizard, Gazin, Leblois-Happe, 2015, n° 136 et s. p. 175
et s.].
La procédure pénale est, on le sait, un domaine sensible.
Les règles de procédure sont déterminantes pour
l’efficacité de la lutte contre la criminalité, car elles sont
– faut-il le rappeler ? – le seul moyen de mettre en œuvre
le droit pénal de fond. Ce sont aussi les normes les plus
conditionnées par la culture ou l’identité juridique nationale,
ce qui explique qu’il y ait davantage de différences entre
Si la législation européenne en matière de procédure
pénale n’est pas née avec le traité de Lisbonne 2, il n’en
demeure pas moins que 2009 a été une année charnière
sur le plan institutionnel comme sur le plan politique.
La compétence pénale de l’Union a été consacrée aux
articles 82 et 83 du traité sur le fonctionnement de l’UE
(TFUE) (auxquels il convient d’ajouter l’article 86 sur
le Parquet européen), l’instrument de la directive se
substituant à celui de la décision-cadre (excepté pour le
Parquet européen pour la création duquel un règlement
est exigé) [Haguenau-Moizard, Gazin, Leblois-Happe,
2015, n° 108 et s. p. 136 et s. 3]. Au moment où le nouveau
traité entrait en vigueur était adopté le « programme de
Stockholm 4 » entérinant la feuille de route du Conseil
visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou
des personnes poursuivies dans le cadre des procédures
pénales 5. Cette volonté politique a permis de débloquer
les choses et de rendre fructueux les travaux entamés
par la Commission plusieurs années auparavant
[Weyembergh, 2004, p. 45].
Les directives adoptées, par rafales, à partir de 2010 sont
tantôt des textes d’harmonisation 6 tantôt des instruments
(2) Plusieurs actes ont, en effet, été adoptés antérieurement, comme par ex. la décision-cadre 2001/220/JAI du 15 mars 2001 sur la situation des
victimes dans le cadre des procédures pénales, la décision-cadre 2005/212/JAI du 24 février 2005 relative à la confiscation des produits,
des instruments et des biens en rapport avec le crime ou la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009 renforçant les
droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la
personne concernée lors du procès. Plusieurs de ces décisions-cadre ont été transposées récemment par la loi n°2015-993 du 17 août 2015
portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.
(3) Alors que la décision-cadre devait être votée à l’unanimité, laissait une grande marge d’appréciation aux États membres, était dépourvue d’effet
direct et que sa non-transposition ou sa transposition incorrecte n’était pas sanctionnée, la directive est adoptée à la majorité qualifiée, comporte
des dispositions relativement précises, peut bénéficier d’un effet direct et sa non-transposition ou transposition imparfaite est susceptible de faire
l’objet d’un recours en manquement. Le règlement est, lui, un instrument d’uniformisation du droit, « obligatoire dans tous ses éléments et […]
directement applicable dans tout État membre » (art. 288 TFUE).
(4) « Une Europe ouverte et sûre qui protège les citoyens », Conclusions du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009 (EUCO 6/09), publiées
sous forme de programme au JOUE C 115/1 du 4.5.2010.
(5) Résolution du 30 nov. 2009 publiée au JOUE C 295/1 du 4.12.2009.
(6) Directive 2010/64/UE du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales ; directive
2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales ; directive 2012/29/UE du 25 octobre
2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité ; directive 2013/48/UE
du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt
européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et
avec les autorités consulaires ; directive 2016/343/UE du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence
et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales ; directive 2016/800/UE du 11 mai 2016 relative à la mise en œuvre
de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
16 I DOSSIER
de reconnaissance mutuelle 7, la première étant placée minimales » établies « pour faciliter la reconnaissance mutuelle
au service de la seconde par le nouveau traité (art. 82, des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération
§ 1er, TFUE : « La coopération judiciaire en matière pénale policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension
dans l’Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle transfrontière » peuvent porter, selon le § 82, § 2, TFUE,
des jugements et décisions judiciaires et inclut le rapprochement sur « a) l’admissibilité mutuelle des preuves entre les États
des dispositions législatives et réglementaires
membres ; b) les droits des personnes dans la
des États membres dans les domaines visés
procédure pénale ; c) les droits des victimes de
au paragraphe 2 et à l’article 83 […] »).
la criminalité ; d) d’autres éléments spécifiques
L’impact des actes d’harmonisation
de la procédure pénale, que le Conseil aura
sur le droit interne est nécessairement
identifiés préalablement par une décision ; pour
Le rapprochement
plus fort que celui des actes destinés à
l’adoption de cette décision, le Conseil statue à
des législations
faciliter la reconnaissance mutuelle. Le
l’unanimité, après approbation du Parlement
conduit en effet
rapprochement des législations conduit
européen ».
(le plus souvent)
en effet (le plus souvent) à modifier le
à modifier le fond
fond du droit alors que la promotion de
Il importe cependant de souligner que
la confiance mutuelle repose davantage
l’incidence de la législation de l’Union
du droit alors que
sur l’établissement de « passerelles »
ne se limite pas à la modification des
la promotion de la
destinées à rendre les droits des
articles du Code de procédure pénale
confiance mutuelle
États membres conciliables entre eux
résultant de la transposition des actes
repose davantage
[Lapérou-Scheneider, 2016, p. 331
juridiques européens. D’une part, le
sur l’établissement
et s. 8]. Surtout, la transposition des
juge national a l’obligation d’interpréter
de « passerelles »
instruments de reconnaissance mutuelle
son propre droit de manière à ce qu’il
destinées à rendre
n’a d’effet que sur les procédures
soit conforme aux prescriptions des
les droits des États
comportant un élément d’extranéité
directives de l’Union, même si celles-ci
membres conciliables
alors que l’intégration des directives
ne sont pas encore transposées [Flore,
entre eux
d’harmonisation modifie le déroulement
Bosly, 2014, n° 179 p. 91-92. 9]. D’autre
de tout procès, qu’il comporte ou non
part, les directives sont susceptibles de
une dimension européenne (ainsi par
produire un effet direct en droit interne,
ex. les informations qui, depuis la
une fois le délai de transposition dépassé
transposition de la directive 2012/13/
[Haguenau-Moizard, Gazin, LebloisUE du 22 mai 2012, doivent être délivrées à la personne Happe, 2015, n° 110 p. 141 10].
soupçonnée sont dues à tout suspect, même s’il est de
nationalité française et se voit reprocher une infraction Cela n’a pas échappé aux avocats aux conseils qui
commise exclusivement sur le territoire français à invoquent de plus en plus souvent de tels actes dans
l’encontre d’une victime française). L’emprise des les pourvois qu’ils soumettent à la Cour de cassation
lois d’harmonisation est d’autant plus grande que le [Thellier de Poncheville, 2016 p. 374 et s. 11]. Ainsi la
champ de compétence de l’Union est vaste. Les « règles chambre criminelle a-t-elle été amenée à faire elle-même
(7) Directive 2011/99/UE du 13 déc. 2011 relative à la décision de protection européenne et directive 2014/41/UE du 3 avril 2014 concernant
la décision d’enquête européenne en matière pénale.
(8) Il est vrai que certaines directives de reconnaissance mutuelle contiennent une partie consacrée aux garanties procédurales que les États
membres doivent prévoir, ce qui peut les conduire à enrichir leurs règles procédurales internes (v. par ex. la directive 2041/42/UE du 3 avril
2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne, art. 8). La transposition d’un
instrument de reconnaissance mutuelle peut même avoir pour effet de modifier les règles de droit pénal substantiel. Ainsi, par ex., la transposition
par la loi du 10 mars 2010 de la décision-cadre 2008/675/JAI du 24 juillet préc. a eu pour effet d’aggraver la peine légalement encourue par
les personnes commettant en France une infraction après avoir été condamnées sur le territoire d’un autre État membre de l’Union, les conditions
de la récidive se trouvant réunies (v. Cass. crim. 24 mars 2015, n° 15-80023, AJPénal 2015, p. 420, obs. J. Lasserre Capdeville).
(9) CJCE, Von Colson et Kamann, 10 avril 1984, C-14/83 ; Grande chambre, Pupino, 16 juin 2005, C-105/03, AJDA 2005, p. 2335, obs.
E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert, AJPénal 2005, p. 452, obs. J. Leblois-Happe, Europe 2005, comm. 274, obs. F. Kauff-Gazin.
(10) En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de Luxembourg (qui trouve sa source dans les arrêts SACE du 17 déc. 1970 (C-33/70) et
Van Duyn du 4 décembre 1974 (C-41/74)), les particuliers peuvent invoquer devant le juge les dispositions précises et inconditionnelles d’une
directive non transposée dans les délais prévus (v. ég. CJCE, Becker, 19 janv. 1982, C-8/81 ; Marshall, 26 fév. 1986, C-152/84).
(11) V. ainsi (pour ne citer que des arrêts parus au Bulletin) : Cass. crim. 21 oct. 2015; 4 nov. 2015, n°15-84012 ; 15 juin 2016, n° 15-8604 ; 10 août
2016, n° 16-83318 ; 4 oct. 2016 n° 16-82309. La Haute Cour a été amenée à rappeler que seules les directives dont le délai de transposition
est expiré pouvaient être ainsi invoquées. V. Cass. crim. 9 avril 2015, n° 14-87661 ; 25 fév. 2015, n° 14-86453 ; 25 mars 2015, n° 14-87403.
L’incidence de la législation européenne sur la procédure pénale française – Jocelyne LEBLOIS-HAPPE
DOSSIER I 17
application des directives 2010/64/UE du 22 octobre
2010 sur le droit à l’interprétation et à la traduction et
du 2012/13/UE 22 mai 2012 sur le droit à l’information
dans le cadre des procédures pénales. Dans le premier
cas, elle a utilisé la technique classique de l’assimilation.
Jugeant que la demande de traduction de pièces du dossier
adressée au juge d’instruction devait être analysée comme
une demande d’acte (et soumise par conséquent au régime
prévu par les articles 82-1 et 186-1 du Code de procédure
pénale (CPP) : nécessité d’une ordonnance motivée en
cas de refus et possibilité d’appel d’un tel refus devant
la chambre de l’instruction), elle a comblé une lacune du
code qui ne prévoit aucune possibilité de contestation
alors que l’article 3, § 5, de la directive exige l’ouverture
d’un recours [Thellier de Poncheville, 2016 p. 374 et s.].
Dans le second cas, elle a confronté les dispositions de
la directive à celles du Code de procédure pénale pour
en déduire que l’article visé constituait une « transposition
complète » du texte européen 12.
C’est dire si l’état des lieux que l’on tentera de dresser est
fragile. Il l’est d’autant plus que de nouveaux changements
se profilent.
État des lieux
L’influence de la législation européenne sur la procédure
pénale positive est loin d’être uniforme [Taupiac-Nouvel,
2014]. Cela n’a rien d’étonnant puisque le droit de l’Union
puise à la fois dans le droit du Conseil de l’Europe – que
le droit français n’épouse pas totalement – et dans une
comparaison des droits nationaux [Haguenau-Moizard,
Gazin, Leblois-Happe, 2015, n° 55 et s. p. 71 et s.]. Aussi la
transposition des actes européens a-t-elle tantôt conforté,
tantôt ébranlé le système pénal français.
Le système hexagonal a été conforté par le droit de l’UE
chaque fois que l’intégration des normes européennes s’est
traduite par une consolidation ou un simple ajustement
des solutions internes.
La consolidation s’observe en matière de protection des
victimes d’infractions, la volonté du législateur européen
de promouvoir leurs intérêts et de leur faire une place au
sein du procès rencontrant une position traditionnelle du
droit français.
La procédure pénale française a, en effet, toujours réservé
une place particulière à la personne lésée par l’infraction.
En exerçant l’action civile, la victime peut devenir partie
à la procédure – sans même devoir demander l’allocation
de dommages-intérêts (v. art. 418, alinéa 3, CPP) – et ainsi
corroborer l’action exercée par le ministère public. Les
autorités, policières comme judiciaires, doivent pourvoir à
son information et à sa protection (art. prélim. (II) CPP).
Dans un tel contexte, l’adoption en 2011 et 2012 d’un
« paquet législatif » en faveur des victimes n’a pas détoné.
La directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012 établissant
des normes minimales concernant les droits, le soutien et la
protection des victimes de la criminalité 13 [Cassuto, 2013,
p. 534 ; Vergès, 2013, p. 121 et s.] a été transposée par les
lois du 5 août 2013 et 17 août 2015 [Cahn, 2015, p. 1018
et s. 14]. La portée des changements est réduite ; ils portent
principalement sur l’information donnée à la victime en
début de procédure (elle est plus détaillée, v. l’art. 10-2
CPP), sur l’exigence d’une évaluation personnalisée de sa
situation (art. 10-5 CPP : « Dès que possible, les victimes font
l’objet d’une évaluation personnalisée, afin de déterminer si elles ont
besoin de mesures spécifiques de protection au cours de la procédure
pénale. […] La victime est associée à cette évaluation […] ») et
sur la possibilité qui lui est (en principe) reconnue d’être
accompagnée par la personne de son choix (art. 10-4
CPP 15). La directive 2011/99/UE du 13 décembre 2011
relative à la décision de protection européenne a été
intégrée en droit interne par la loi du 17 août 2015 (v. les
art. 696-90 et s. CPP). Le texte permet la reconnaissance
mutuelle des mesures (judiciaires) ordonnées dans un
État membre pour protéger la victime d’une agression du
renouvellement de celle-ci. Si l’application sur le territoire
hexagonal de mesures de ce type prononcées à l’étranger
est nouvelle, les mesures elles-mêmes sont familières, de
telles restrictions pouvant d’ores et déjà être imposées
(12) Cass. crim. 4 oct. 2016, préc. (« dès lors que, d’une part, l’article 7, § 1, de la directive du 22 mai 2012 […] n’exige, à tous les stades de la
procédure, qu’un accès aux documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de
manière effective la légalité de l’arrestation ou de la détention, d’autre part, les § 2 et 3 de l’article 7 de ladite directive laissent la faculté aux
États membres de n’ouvrir l’accès à l’intégralité des pièces du dossier que lors de la phase juridictionnelle du procès pénal, ce dont il résulte
que l’article 63-4-1 du Code de procédure pénale constitue une transposition complète de l’article 7 de la directive, la chambre de l’instruction
a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles et du droit de l’Union invoquées »).
(13) et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil.
(14) Loi n° 20134-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union
européenne et des engagements internationaux de la France et loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale
au droit de l’Union européenne.
(15) L’article 706-53, alinéa 1er, CPP, qui prévoit une règle équivalente pour les mineurs, est issu de la loi du 5 août 2013.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
18 I DOSSIER
« dans le cadre d’une ordonnance de protection, d’une alternative
aux poursuites, d’une composition pénale, d’un contrôle judiciaire,
d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, d’une
condamnation, d’un aménagement de peine ou d’une mesure de
sûreté » (art. 41-3-1 CPP) [ég. Ribeyre, 2015, n° 16].
Le droit de l’Union européenne s’est parfois montré plus
prégnant, contraignant la procédure pénale française à
s’adapter sans que son équilibre ne s’en trouve pour autant
modifié.
Un ajustement des solutions internes a ainsi été nécessaire
pour transposer, d’une part, la directive 2010/64/UE du
20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation ou à la
traduction dans le cadre des procédures pénales et, d’autre
part, la plupart des dispositions de la directive 2013/48/
UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un
avocat dans le cadre des procédures pénales 16.
La directive sur le droit à l’interprétation ou à la traduction,
communément appelée la directive « A », car elle est le
premier texte d’harmonisation prévu par la feuille de
route du Conseil du 30 novembre 2009 et adopté après
l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, a imposé aux
États membres de mettre la personne soupçonnée ou
poursuivie en mesure de se défendre lorsqu’elle ne parle
pas ou ne comprend pas la langue du pays du procès. Le
Code de procédure pénale s’est ainsi trouvé enrichi, par la
loi du 5 août 2013, de quelques articles transcrivant dans
une large mesure des pratiques d’ores et déjà suivies [ég.
Taupiac-Nouvel, 2014]. L’article préliminaire du code (III,
alinéa 3) érige désormais en principe directeur du procès
le droit à l’interprétation et à la traduction (« Si la personne
suspectée ou poursuivie ne comprend pas la langue française, elle
a droit, dans une langue qu’elle comprend et jusqu’au terme de la
procédure, à l’assistance d’un interprète, y compris pour les entretiens
avec son avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute
audience, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la
traduction des pièces essentielles à l’exercice de sa défense et à la
garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui
être remises ou notifiées en application du présent code »).
La majeure partie des dispositions de la directive sur
le droit d’accès à un avocat (dite directive « C ») a, elle,
été transposée par la loi du 3 juin 2016 17. Le code n’a
été retouché qu’à la marge, mentionnant désormais
explicitement que la personne soupçonnée d’un délit
puni de l’emprisonnement peut demander, primo, à être
assistée par un avocat lors de la reconstitution des faits et,
secundo, que son conseil soit présent lorsqu’elle participe
à une séance d’identification, reconnaissant au gardé à
vue le droit de « communiquer » (et plus seulement de faire
informer) un tiers (art. 63-1, 63-2 et 76-1 CPP, entrant en
vigueur le 15 nov. 2016) [Botton, 2016, p. 777 ; Perrier,
2016, n° 9]. Pour le reste, le droit français satisfaisait
d’ores et déjà aux exigences européennes, qu’il s’agisse du
droit reconnu à la personne privée de liberté ou citée à
comparaître d’être assistée par un avocat (art. 63-3-1, 317,
390, 393 CPP ; art. 3, § 1, § 2 c) et d) de la directive), en
particulier lors de ses interrogatoires et confrontations,
et de s’entretenir « librement » avec lui (art. 63-4, 63-4-2,
278, 393 CPP ; art. 3, § 3 a), b), c) ii) de la directive), de la
confidentialité des communications entre l’avocat et son
client (art. 432 CPP ; art. 4 de la directive), du caractère
effectif et concret que doit revêtir ce droit, notamment
pour la personne privée de liberté (art. prélim. (III, in
fine), art. 63-1 CPP ; art. 3, § 4, 9 et 12 de la directive),
les dérogations étant nécessairement exceptionnelles et
temporaires (art. 63-4-2 CPP ; art. 3, §§ 5 et 6, et 8 de
la directive) ou du droit d’informer un tiers (membre de
la famille, employeur, autorités consulaires, titulaire de
l’autorité parentale pour les mineurs) « sans retard indu » ou
« dans les meilleurs délais » en cas de privation de liberté (art.
63-1, 63-2 CPP ; art. 4 et 4-1 Ord. 2 fév. 1945 ; art. 5, 6 et
8 de la directive).
La directive « C » était pourtant porteuse d’un autre
changement, modifiant, lui, l’équilibre que connaissait,
avec plus ou moins de bonheur, la procédure pénale
française depuis 1958.
L’ébranlement est venu de l’article 3, § 2, a) de la directive
sur le droit d’accès à un avocat (« Les suspects ou les personnes
poursuivies ont accès à un avocat sans retard indu. En tout état de
cause, les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat à
partir de la survenance du premier en date des événements suivants :
a) avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre
autorité répressive ou judiciaire ») et de la directive 2012/13/
UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans
le cadre des procédures pénales (directive « B »). Adoptée
dans la foulée des arrêts Salduz, Dayanan et Brusco de la
Cour européenne des droits de l’homme18 [DourneauJosette, 2013, n°377 et s. ; Renucci, 2015, n° 433 et s.
p. 453 et s.], cette dernière a imposé la communication à
(16) et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées
de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires.
(17) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les
garanties de la procédure pénale.
(18) Salduz c. Turquie (GC), 27 nov. 2008; Dayanan c. Turquie, 13 oct. 2009; Brusco c. France, 14 oct. 2010.
L’incidence de la législation européenne sur la procédure pénale française – Jocelyne LEBLOIS-HAPPE
DOSSIER I 19
toute personne soupçonnée ou poursuivie d’informations
sur ses droits et sur l’accusation portée contre elle,
indépendamment de toute privation de liberté et du
caractère juridictionnel ou non de l’enquête [Beauvais,
2012, p. 881].
La loi du 27 mai 2014 19 qui a transposé les deux textes
est ainsi à l’origine d’une nouvelle conception des droits
de la défense dans la phase préparatoire du procès. Il en
résulte une fragmentation accrue de la situation juridique
du suspect pendant l’enquête et un recul du secret de
l’instruction.
Alors que naguère seule la privation de liberté déclenchait
la mise en œuvre des droits procéduraux, il n’est plus
désormais nécessaire que la personne soit retenue par les
enquêteurs pour pouvoir en bénéficier ; il faut et il suffit
qu’« il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis
ou tenté de commettre une infraction » (art. 61-1, al. 1er, 77 CPP)
et qu’elle fasse l’objet d’une audition. Préalablement à
celle-ci, elle doit être informée de la qualification, de la
date et du lieu des faits qui lui sont imputés, de son droit
de quitter à tout moment le local où elle est entendue, de
son droit à un interprète (si besoin est), de son droit de se
taire et enfin d’être assistée par un avocat (si l’infraction
dont elle est soupçonnée est punie d’une privation de
liberté) (art. 61-1 CPP [Gogorza, 2015 ; Leblois-Happe,
2016] 20 ). Si elle est placée en garde à vue, elle doit en outre
être « immédiatement » informée des motifs qui justifient
sa rétention et de la durée potentielle de celle-ci, de son
droit de faire prévenir un proche, son employeur et les
autorités consulaires de son pays (si elle est étrangère), de
son droit d’être examinée par un médecin, de son droit
de consulter dans « les meilleurs délais et au plus tard avant
l’éventuelle prolongation de la garde à vue », certaines pièces du
dossier et de son droit de présenter des observations à
l’autorité judiciaire (procureur ou juge des libertés et de la
détention). Un document écrit énonçant ces droits lui est
remis (art. 62-2 et s., et s. CPP).
C’est cependant l’audition et elle seule qui confère au
suspect les droits énumérés à l’article 61-1 CPP. Il ne peut
y prétendre ni s’il effectue des déclarations spontanées ni à
l’occasion d’une autre mesure d’investigation (comme une
perquisition ou la visite d’un véhicule) conduisant à des
échanges oraux. Cela ressort clairement du texte lui-même
(« La personne […] ne peut être entendue librement […] qu’après
avoir été informée […] ») et est confirmé par les circulaires
relatives à son application 21. En dehors de ces auditions
(et, depuis la loi du 3 juin 2016, des reconstitutions et
parades d’identification), la personne soupçonnée
demeure étrangère (ou presque) aux investigations qui la
concernent : elle n’a ni le droit d’être informée de leur
résultat 22 ni celui d’être assistée par un avocat. La Cour
de cassation l’a rappelé dans un arrêt rendu le 3 avril 2013
à propos d’une perquisition : la loi n’exige pas que la
personne soupçonnée « soit assistée d’un avocat lorsqu’elle est
présente à des actes au cours desquels elle n’est ni privée de liberté ni
entendue sur les faits qui lui sont reprochés » 23.
Il résulte des nouvelles dispositions un déséquilibre (ou un
défaut de cohérence) qui n’existait pas auparavant.
De la même manière, la loi de transposition de 2014 a
remis en cause un compromis admis de longue date – et
approuvé par la Cour européenne des droits de l’homme 24
– entre les nécessités de la défense et les besoins des
investigations.
Jusque récemment, il était de règle que le justiciable ne
pouvait accéder directement au dossier de la procédure
que dans la phase publique du procès. Ce n’est plus
le cas aujourd’hui. La personne gardée à vue peut
dorénavant demander à consulter elle-même les pièces
du dossier mentionnées à l’article 63-4-1 CPP. Au stade
de l’instruction, le mis en examen comme la partie civile
peut, après sa première audition, « se faire délivrer copie de
tout ou partie des pièces et actes du dossier » (art. 114, alinéa
4, CPP). Le législateur avait omis de prévoir un tel accès
au dossier devant la chambre de l’instruction (art. 197,
(19) Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012,
relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales
(20) Elle doit également être informée des conditions d’accès à l’aide juridictionnelle et de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques dans
une structure d’accès au droit (art. 61-1, al. 1er, 5° et 6°, art. 77).
(21) Circulaire CRIM – 2014 -12/E8 du 23 mai 2014 ayant pour objet la présentation des dispositions de procédure pénale applicables le 2 juin
2014 de la loi portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 relative au droit à
l’information dans le cadre des procédures pénales, p. 5 ; circulaire CRIM – 2014 – 27 du 19 décembre 2014 ayant pour objet la présentation
des dispositions applicables à compter du 1er janvier 2015 de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive
2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales
(accès à l’avocat dans le cadre de l’audition libre), p. 3 .
(22) Le Code de procédure pénale prévoit certes que l’officier de police judiciaire responsable de l’enquête donne connaissance à la personne
soupçonnée des résultats des examens techniques et scientifiques réalisés mais seulement « sur instruction du procureur de la République » (art.
60, al. 4, 77-1, alinéa 2, CPP).
(23) Cass. crim. 3 avril 2013, n° 12-88428, Bull. crim., n° 74.
(24) Arrêt Menet c. France du 14 juin 2005 (§§ 45 et s.).
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
20 I DOSSIER
alinéa 3, CPP : « Le dossier est déposé au greffe de la chambre de
l’instruction et tenu à la disposition des avocats des personnes mises
en examen et des parties civiles ».) ; la Cour de cassation y a
pourvu 25, avant que le Conseil constitutionnel ne déclare
le texte contraire au principe d’égalité devant la loi et n’en
prononce l’abrogation 26. Depuis la loi du 3 juin 2016,
le procureur de la République doit, à la fin de l’enquête,
mettre à la disposition de la personne qui a été entendue
et qu’il envisage de poursuivre selon les voies ordinaires,
si elle le lui demande, une copie des pièces de la procédure
(art. 77-2 CPP).
Aussi inéluctable soit cette évolution 27, elle n’en contribue
pas moins à une mise en chantier de la phase préparatoire
du procès pénal qui est loin d’être achevée.
Perspectives
À l’image de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
qu’il contribue à édifier, le droit pénal européen est en
continuelle construction. À peine certaines directives
ont-elles été transposées que d’autres attendent déjà leur
intégration en droit interne, pour ne rien dire des projets
en cours 28.
Du point de vue de la procédure, les perspectives qui se
dessinent sont contrastées : si la transposition des deux
directives adoptées au printemps 2016 ne doit guère avoir
d’incidence sur le droit français, il en ira autrement du
projet, désormais bien avancé, de création d’un Parquet
européen.
Deux nouvelles directives d’harmonisation procédurale
ont été adoptées respectivement le 9 mars et le 11 mai
2016, la directive 2016/343/UE portant renforcement
de certains aspects de la présomption d’innocence et du
droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures
pénales et la directive relative à la mise en place de
garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des
suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des
procédures pénales. L’une et l’autre poursuivent le « cycle
de réformes » [Cassuto, 2016, p. 314 29] destinées à mettre
en œuvre les principes inscrits aux articles 47 et 48 de la
Charte des droits fondamentaux [Tell, 2014, p. 364].
La première directive, non prévue par la feuille de route du
Conseil mais évoquée par le programme de Stockholm 30,
ne conduira vraisemblablement pas à modifier le droit
interne. Les règles minimales qu’elle préconise – souvent
reprises telles quelles de textes internationaux ou de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme – y figurent déjà, qu’il s’agisse de la protection
de la présomption d’innocence ou du jugement in abstentia
des personnes physiques (auxquelles la directive s’applique
exclusivement selon son article 2).
Concernant la présomption d’innocence, le texte vise
principalement les déclarations publiques des autorités
(qui ne doivent pas présenter la personne soupçonnée
ou poursuivie comme coupable, sans préjudice du droit
de diffuser des informations sur les procédures en cours
lorsque cela est « strictement nécessaire » pour l’enquête
ou au regard de l’intérêt public, art. 4), le recours à des
mesures de contrainte physique contre les suspects et
personnes poursuivies (qui ne doit pas faire apparaître
la personne comme coupable mais peut être nécessaire
pour des raisons de sécurité ou pour empêcher l’intéressé
de s’enfuir ou d’entrer en contact avec des tiers, art. 5),
la répartition de la charge de la preuve (qui doit peser
sur l’accusation, les preuves étant recherchées à charge
et à décharge et le doute profitant au prévenu, art. 6) et
le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre
incrimination (tel qu’il résulte des arrêts Funke c. France du
25 fév. 1993, John Murray c. Royaume-Uni du 8 fév. 1996
et Saunders c. Royaume-Uni du 17 déc. 1996 de la Cour de
Strasbourg), toutes exigences auxquelles les règles fixées
aux articles 9 de la Déclaration des droits de l’homme
(25) Cass. crim. 19 nov. 2014, n° 13-87965, AJPénal 2015, p. 153, obs. Dominique Luciani-Mien.
(26) Plus précisément, le Conseil a abrogé les dispositions attaquées au 31 décembre 2017 et prescrit d'autoriser, dès la publication de sa décision,
les parties non assistées par un avocat à accéder au dossier (Cons. const., déc. n° 2016-566 QPC du 16 sept. 2016, Dalloz Actualité, 29
sept. 2016, obs. Amélie André).
(27) La décision du Conseil constitutionnel du 16 septembre 2016 s’inscrit, comme le relève le commentaire publié sur le site du Conseil, dans une
jurisprudence constante de celui-ci (v. Commentaire, Décision n° 2016-566 QPC du 16 septembre 2016, Mme Marie-Lou B. et autre, p. 8 et 9).
(28) À l’heure où nous écrivons, une nouvelle directive concernant l’aide juridictionnelle provisoire pour les suspects et les personnes poursuivies
privés de liberté, ainsi que l’aide juridictionnelle dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen vient d’être adoptée et se
trouve en attente de publication au JOUE (v. le site de l’observatoire législatif du Parlement européen : http://www.europarl.europa.eu/oeil/
popups/ficheprocedure.do?reference=2013/0409(COD)&l=fr, consulté le 31-10-2016).
(29) Le cycle sera clos après la publication de la directive sur l’aide juridictionnelle.
(30) Le Conseil européen invitait la Commission « à examiner s’il y aurait lieu de compléter les droits procéduraux minimaux des suspects et
des personnes poursuivies et à déterminer si d’autres questions, par exemple la présomption d’innocence, d(evai)ent être abordées, afin de
promouvoir une meilleure coopération » (« Une Europe ouverte et sûre qui protège les citoyens », JOUE, C 115/10 du 4.5.2010).
L’incidence de la législation européenne sur la procédure pénale française – Jocelyne LEBLOIS-HAPPE
DOSSIER I 21
et du citoyen de 1789 31, préliminaire
(III), 11 (alinéa 3) (sur les « fenêtres de
À l’image de
publicité » du procureur), 61-1 et 63-1
l’espace de liberté,
(sur l’audition du suspect), 328-406de sécurité et de
535 (sur l’audition de l’accusé et du
justice qu’il contribue
prévenu), 803 (sur le menottage et
l’interdiction d’en capter l’image) du
à édifier, le droit
Code de procédure pénale et 9-1 du
pénal européen
Code civil (sur le droit au respect de
est en continuelle
la présomption d’innocence) nous
construction. À
semblent répondre.
peine certaines
La directive rappelle le droit de tout
directives ont-elles
individu d’assister à son procès
été transposées que
(celui-ci ne pouvant se tenir en son
d’autres attendent
absence qu’autant qu’il en a été
déjà leur intégration
informé, sans préjudice des règles
en droit interne,
relatives à la police de l’audience et des
procédures simplifiées, art. 8), le droit
pour ne rien dire des
à un nouveau procès en cas d’absence
projets en cours
(permettant un nouvel examen du fond
de l’affaire, art. 9), à un recours effectif
en cas de violation de ses droits (dont
on voit mal en quoi il se distingue du droit précédent)
et la nécessité de veiller à l’équité de la procédure dans
l’appréciation des déclarations faites en violation de l’adage
nemo tenetur se ipsum accusare (art. 10). Sur ce plan également,
les prescriptions françaises paraissent à la hauteur des
standards européens. Aucune condamnation ne peut être
prononcée en matière criminelle ou correctionnelle « sur le
seul fondement de déclarations (que la personne) a faites sans avoir
pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui » (art. prélim.
(III, in fine) CPP). Le prévenu absent peut être défendu (art.
379-3, 410-412, 544 CPP). En matière correctionnelle et
contraventionnelle, le jugement par défaut est susceptible
d’opposition (art. 489, 545 CPP) ; en matière criminelle,
l’arrestation ou la présentation volontaire du condamné
suffit à le rendre non avenu (art. 379-4 CPP).
La seconde directive, relative aux enfants soupçonnés ou
poursuivis, est tout aussi peu porteuse de changements,
mais pour d’autres raisons. Les normes qu’elle contient
sont parfois formulées de manière tellement lâche (ex. :
art. 4, § 1er, b), imposant une information du mineur
« au stade le plus précoce et le plus opportun de la procédure ») et
assorties de telles possibilités de dérogations que les États
membres, et la France en particulier, n’auront guère de
mal à s’y conformer (v. not. les art. 2, 4, 4-1, 5-1, 5-2, 7-1,
8, 10, 10-2, 10-3,11, 11-2, 12-1,12-3, 13,15 et s., 20-2, 20-3
et 20-4 et s. de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à
l’enfance délinquante) [Cassuto, p. 316-318].
Le texte s’applique aux personnes âgées de moins de 18
ans lors de l’ouverture de la procédure ainsi qu’à celles qui
atteignent cet âge au cours de l’instance si cette application
est « appropriée au regard de toutes les circonstances de l’espèce,
y compris de la maturité et de la vulnérabilité de la personne
concernée », les États membres pouvant décider de les écarter
lorsque la personne a atteint l’âge de 21 ans (art. 2, § 3,
et 3, 1)). Il mentionne le droit à l’information du mineur
(art. 4) et du titulaire de la responsabilité parentale (art.
5), le droit à l’assistance d’un avocat (art. 6, avec toutefois
des possibilités de dérogations telles que « les mineurs
se trouvent placés dans une situation moins protectrice
que des adultes » [Cassuto, p. 317]), celui de faire l’objet
d’une évaluation personnalisée (auquel toutefois « les États
membres peuvent déroger à l’obligation de procéder à une évaluation
personnalisée lorsque cette dérogation se justifie par les circonstances
de l’espèce, à condition que cela soit compatible avec l’intérêt supérieur
de l’enfant », art. 7) et d’être examiné par un médecin (art. 8),
l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires (« dès lors
qu’un tel enregistrement est proportionné dans les circonstances de
l’espèce, compte tenu, notamment, du fait qu’un avocat est présent
ou non et que l’enfant est ou non privé de liberté […] », art. 9, ce
qui réduit singulièrement la portée de la règle énoncée),
la limitation du recours à la privation de liberté (dont la
« durée appropriée » doit être « aussi brève que possible » compte
tenu de « l’âge et (de) la situation personnelle de l’enfant, ainsi
que (des) circonstances particulières de l’espèce », art. 10) et la
priorité qui doit être donnée (« si possible », art. 11) aux
mesures alternatives, le traitement des mineurs détenus
(qui doivent être séparés des adultes, « à moins qu’il ne soit
considéré dans l’intérêt supérieur de l’enfant de ne pas procéder de la
sorte », leurs droits à la préservation de leur développement
physique et mental, à l’éducation et à la formation et à la
vie familiale, notamment, devant être garantis, art. 12), le
traitement diligent et adapté des procédures (art. 13), les
restrictions de la publicité destinées à faire respecter le
droit à la vie privée des enfants (art. 14), le droit du mineur
d’être accompagné par le titulaire de la responsabilité
parentale ou par un autre « adulte approprié » durant la
procédure (art. 15), d’assister et de participer à son procès
(art. 16) et de disposer d’un recours en cas de violation
de ses droits (art. 19). Les personnels traitant d’affaires
concernant des enfants doivent en outre pouvoir recevoir
une formation spécifique (art. 20).
(31) Rappelons que le Conseil constitutionnel a jugé qu’il « découl(ait) » de ce texte « que nul n’est tenu de s’accuser » (déc. n°2004-492 DC du
2 mars 2004, consid. 110).
(32) La directive sur la présomption d’innocence et le droit d’assister à son procès doit être transposée au plus tard le 1er avril 2018, la directive sur
les garanties procédurales en faveur des enfants au plus tard le 11 juin 2019.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
22 I DOSSIER
Peu de changements dans les normes de procédure pénale
française sont à attendre en 2018 et 2019 32 du fait de ces
actes, à moins que le Parquet européen ne voie le jour.
Or, la création du Parquet européen est susceptible d’avoir
une incidence à la fois sur le statut du Parquet français et
sur le maintien du juge d’instruction.
La création d’un organe de poursuite au niveau européen
constituera pour les droits nationaux, et pour le droit
français spécifiquement, un bouleversement dont on n’a
pas encore mesuré toutes les implications [Leblois-Happe,
Winckelmuller, 2015, p. 279 et s.]. Une telle instauration
trouve son fondement dans l’article 86 (§§ 1 et 2) TFUE
qui permet au Conseil, statuant à l’unanimité et par voie de
règlement, d’« instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust »
qui sera compétent pour « rechercher, poursuivre et renvoyer
en jugement […] les auteurs et complices d’infractions portant
atteinte aux intérêts financiers de l’Union », « exer (çant) devant les
juridictions compétentes des États membres l’action publique relative
à ces infractions 33 ». La Commission européenne a rendu
publique en juillet 2013 une proposition déterminant,
conformément à l’article 86, § 3, « le statut du Parquet
européen, les conditions d’exercice de ses fonctions, les règles de
procédure applicables à ses activités, ainsi que celles gouvernant
l’admissibilité des preuves, et les règles applicables au contrôle
juridictionnel des actes de procédure qu’il arrête dans l’exercice de
ses fonctions » 34 [Leblois-Happe, Un parquet européen : quand,
comment et pourquoi ?, p. 129 et s. ].
En dépit du « carton jaune » décerné par les chambres
parlementaires de onze États membres à l’automne 2013
[Haguenau-Moizard, Gazin, Leblois-Happe, 2015, p. 136
et s. p. 175 et s.], un accord provisoire et partiel – il est
prévu que le texte soit revu dans son ensemble par le
Conseil après qu’un accord aura été dégagé au cours des
différentes étapes – a pu être trouvé en 2015 et 2016 sur
l’organisation et les pouvoirs de la nouvelle institution 35.
Les négociations se poursuivent actuellement sous la
présidence slovaque.
Le ministère public français est, on le sait, hiérarchisé et
dépendant de l’exécutif (v. les art. 30, 33, 35 à 37 CPP).
Tenus à un devoir d’obéissance, au moins dans leurs
réquisitions écrites (art. 33 CPP), ses membres peuvent
recevoir des ordres de leur supérieur hiérarchique et,
in fine, du ministre de la Justice qui « conduit la politique
pénale déterminée par le Gouvernement » (art. 30 CPP). La
méconnaissance de ce devoir d’obéissance constitue une
faute disciplinaire (art. 43, alinéa 3, Ord. n°58-1270 du
22 déc. 1958 relative au statut de la magistrature).
L’indépendance des membres du Parquet européen à
l’égard des États membres et des autres institutions
de l’Union a, au contraire, toujours été présentée
comme une exigence fondamentale 36. Les procureurs
européens délégués sur le territoire français, qui auront
nécessairement le statut de procureurs en France, devront
donc exercer leurs missions en étant à la fois indépendants
de l’Union et de leur État membre d’appartenance dans
leurs fonctions européennes et dépendants de celui-ci
dans leurs fonctions nationales. Comment le pourront-ils,
alors que les conflits de compétence ne manqueront sans
doute pas ? N’y a-t-il pas ici un risque de « schizophrénie »
institutionnelle ?
La solution – bien connue mais dont l’adoption a jusqu’à
présent été repoussée – serait de rapprocher le statut
des membres du Parquet de celui des juges (nomination
et promotion avec l’accord du Conseil supérieur de
la magistrature, celui-ci étant également la juridiction
disciplinaire37).
(33) Le champ matériel de compétence du Parquet européen sera défini par une directive d’harmonisation dont l’adoption est liée à celle du projet
de règlement. V. la proposition de directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du
droit pénal du 11 juillet 2012, COM (2012) 363 final et l’état d’avancement de la procédure sur le site de l’observatoire législatif du Parlement
européen (http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?reference=2012/0193(COD)&l=fr, consulté le 31-10-2016).
(34) Proposition de règlement portant création du Parquet européen du 17 juillet 2013, COM(2013) 534 final.
(35) V. J. Leblois-Happe, op. cit., p. 136 et s. et les résultats de la session du Conseil Justice et affaires intérieures des 15 et 16 juin 2015 (doc.
9951/15), 8 et 9 octobre 2015 (doc. 13293/15), 3 et 4 décembre 2015 (doc. 14937/15), 10 et 11 mars 2016 (doc. 6969/16), 9 et 10
juin 2016 (doc. 9979/16) et 13 et 16 octobre 2016 (doc. 13118/16).
(36) V. : Corpus juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’Union européenne (ss la dir. De M. DelmasMarty, 1997), art. 18-2 ; Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européen,
11 déc. 2001, COM(2001) 715 final, points 4.1.1 et 6.2.1 ; proposition du 17 juil. 2013, art. 5 §§ 1 et 2., art. 6 § 5 ; Conseil de l’Union
européenne, dossier interinstitutionnel 2013/0255 (APP), art. 6 ; Résultats de la session du Conseil justice et affaires intérieures des 15 et 16
juin 2015 (doc. 9951/15).
(37) V. Commission de modernisation de l’action publique, sous la présidence de J.-L. Nadal, procureur général honoraire près la Cour de cassation,
Refonder le ministère public, Rapport à Madame la garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Nov. 2013, p. 6 et s. (http://www.justice.gouv.fr/
publication/rapport_JLNadal_refonder_ministere_public.pdf, consulté le 31-10-2016). V. ég. l’entretien donné au Monde par Bertrand Louvel,
Premier président de la Cour de cassation (« Pour échapper à la suspicion, il faut modifier le système de nomination des juges », 23 mai 2016).
L’incidence de la législation européenne sur la procédure pénale française – Jocelyne LEBLOIS-HAPPE
DOSSIER I 23
Le recours à l’instruction est en recul constant en
France depuis deux décennies pour des raisons à la fois
techniques (le formalisme de l’instruction peut paraître
disproportionné au regard de la gravité de nombreuses
infractions) et politiques (l’Éxécutif se méfie du juge
d’instruction qui est indépendant et impartial ; le fait que
l’enquête soit dirigée par le procureur facilite en outre la
mise en œuvre de la politique pénale). La majeure partie
des affaires est donc élucidée par la police judiciaire sous
l’autorité du procureur, ce qui correspond au schéma
proposé pour le Parquet européen 38.
Une telle évolution laisse présager la disparition du juge
d’instruction qui semble pourtant être un élément de
l’« identité nationale » judiciaire française (art. 4, § 2, du traité
sur l’Union européenne (TUE)). Mis à l’écart dans la lutte
contre les atteintes aux intérêts financiers de l’UE du fait
de la création du Parquet européen, il le sera ensuite dans
d’autres contentieux, car il est vraisemblable qu’une fois
l’organe européen institué, sa compétence sera étendue
par le Conseil européen « à la lutte contre la criminalité grave
ayant une dimension transfrontière » (art. 86, § 4, TFUE). Un
nouvel équilibre devra alors être trouvé, dont la loi du 3
juin 2016, en ce qu’elle rapproche encore davantage les
règles de l’enquête de celles de l’instruction 39 [ég. Ribeyre,
2016, n° 24], contribue à poser les premiers jalons n
Bibliographie
BEAUVAIS (P.), 2012, « Nouvelle harmonisation des droits
de l’accusé dans la procédure pénale, Dir. 2012/13/UE
du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures
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(38) En 2015, moins de 3 % des affaires dans lesquelles des poursuites ont été exercées ont ainsi donné lieu à la saisine d’un juge d’instruction (soit
16 772 affaires sur 579 858 – ministère de la Justice, Les chiffres clés de la Justice 2016, p. 14).
(39) V. les articles 39-3, 77-2, 706-24-2, 706-96 CPP.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
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L’incidence de la législation européenne sur la procédure pénale française – Jocelyne LEBLOIS-HAPPE
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DOSSIER I 25
Le droit pénal de l’Union
européenne face au juge
Emmanuelle GINDRE
Le traité de Lisbonne a résorbé le déficit juridictionnel caractérisant le droit pénal de l’Union
européenne avant 2009 en le soumettant pleinement depuis la fin de la période transitoire aux
outils de contrôle de la Cour de justice de l’Union. Cette dernière n’avait pourtant pas attendu la
réforme pour contribuer à dessiner les contours du droit pénal de l’Union européenne, à garantir
son effectivité ou vérifier sa légalité. Qu’elle le contrôle ou qu’elle l’interprète, il est de plus en plus
confronté aux droits fondamentaux, garantis par la Charte européenne désormais contraignante,
qui passent pourtant au second plan face aux impératifs de l’Espace de liberté, de sécurité et
de justice.
Emmanuelle GINDRE
Maître de conférences à
l’Université de Polynésie
française.
L'
entrée en vigueur du traité de
Lisbonne consacre l’avènement
d’une véritable compétence
pénale de l’Union européenne
(UE), dans le cadre de l’instauration
d’un Espace de liberté, de sécurité et de
justice. Les articles 82 et 83 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne
(TFUE) prévoient la possibilité pour l’UE
d’établir des règles minimales dans certains
domaines de la procédure pénale, ainsi que
pour la définition des infractions et des
sanctions pénales applicables dans certains
domaines de la criminalité particulièrement
grave ou dans les domaines des politiques de
l’Union ayant fait l’objet d’une harmonisation.
Ces règles minimales, adoptées sous l’empire
du traité d’Amsterdam par voie de décisionscadres non contraignantes, sont désormais
adoptées par voie de directives européennes
s’imposant aux États membres qui doivent
les transposer dans leur droit national. Ce
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
26 I DOSSIER
sont de véritables normes pénales européennes qui, en tant
que telles, nécessitent un contrôle juridictionnel propre
à garantir non seulement le respect du droit primaire et
dérivé ou l’application correcte et uniforme de ces règles
minimales par les États membres, mais également le
respect des droits et libertés fondamentaux figurant dans
la Convention européenne des droits de l’Homme, relayée
par la Charte européenne des droits fondamentaux.
Ce contrôle juridictionnel se caractérise par la complexité.
En effet, c’est une pluralité de juges qui intervient et dont
les relations s’enchevêtrent [Sinopoli et Omarjee, 2015,
p. 545]. On peut distinguer trois niveaux de contrôle.
Le niveau national tout d’abord : le juge national est
habituellement qualifié de juge de droit commun du droit
communautaire, en ce qu’il garantit les droits des citoyens
issus des normes communautaires appliquées par les États
membres. Le niveau européen ensuite : la Cour de justice
de l’Union européenne (CJUE) qui assure l’interprétation
des normes communautaires et garantit le respect du droit
de l’Union, sans oublier la Cour européenne des droits
de l’homme (CEDH), dont la jurisprudence est appliquée
par les États membres et qui influence également la
jurisprudence de la CJUE.
Le contrôle juridictionnel national du droit pénal de l’UE,
ainsi que celui de la CEDH méritent des développements
conséquents pour en apprécier la portée et ne feront donc
pas l’objet de cette contribution, qui sera consacrée à la
préhension du droit pénal de l’UE par la CJUE.
Il a fallu attendre de longues années avant que le
droit pénal de l’Union européenne puisse se frotter à
l’appréciation de la CJUE. La construction progressive de
ce droit pénal de l’UE dès avant le traité de Maastricht
et l’apparition du « troisième pilier » [Gindre, 2009] s’est
accompagnée d’un déficit juridictionnel enfin corrigé par
le traité de Lisbonne.
En effet, la coopération en matière de justice et d’affaires
intérieures instaurée par le traité de Maastricht 1 était
exempte de toute compétence de la CJUE, hors le cas
où des conventions adoptées sur le fondement de
l’article K3c) du traité sur l’Union européenne (TUE) la
prévoyait : une simple faculté limitée à l’interprétation des
dispositions conventionnelles et au règlement des litiges
concernant leur application 2.
Le traité d’Amsterdam 3 a amorcé une évolution en
confiant à la CJUE une compétence cependant limitée à
plusieurs titres 4. Ainsi, sa compétence à titre préjudiciel
d’interprétation ou d’appréciation de validité des décisionscadres et des décisions était subordonnée à une déclaration
des États membres acceptant cette compétence lors de la
signature du traité ou plus tard. Cette déclaration précisait
en outre si toutes les juridictions nationales ou seulement
celles dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un
recours juridictionnel de droit interne ont la faculté de
soumettre une question à la Cour : aucune obligation
donc. Le contrôle de légalité était, quant à lui, limité aux
décisions-cadres et aux décisions, et l’initiative du recours
n’appartenait qu’aux États membres ou à la Commission.
Enfin, toute compétence de la Cour était exclue s’agissant
de vérifier la validité ou la proportionnalité d’opérations
de police, ou de statuer sur l’exercice des responsabilités
incombant aux états pour le maintien de l’ordre public et
la sauvegarde de la sécurité intérieure.
Le traité de Lisbonne 5, en même temps qu’il reconnaît à
l’Union européenne une compétence pénale, lui étend les
outils de contrôle juridictionnel jusque-là réservés au droit
communautaire : les recours en manquement (art. 258 s.
TFUE), recours en contrôle de légalité (art. 263 s. TFUE),
recours en carence (art. 265 TFUE) et renvoi préjudiciel
(art. 267 TFUE). La compétence de la CJUE ne connaît
plus de limite, hormis celle, classique, de l’appréciation de
la validité ou de la proportionnalité d’opérations de police
ou d’autres services répressifs ou de la responsabilité des
États membres pour le maintien de l’ordre public ou la
sauvegarde de la sécurité intérieure (art. 276 TFUE).
Aucune limite ou presque. En effet, hors le cas de l’article
276 TFUE (limitation rationae materiae de la compétence
juridictionnelle), l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne
s’accompagnait de deux autres limites de la compétence
de la CJUE, la première ratione temporis, la seconde rationae
personae.
La limite rationae temporis était imposée par les articles 9
et 10 du Protocole n° 36 annexé au traité de Lisbonne,
instaurant une période transitoire. Ils prévoyaient que
jusqu’au 1er décembre 2014, la CJUE conservait, sur les
actes adoptés antérieurement en matière de coopération
policière et judiciaire en matière pénale et non modifiés
après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, sa
(1) JOCE C 191, 29/07/1992.
(2) Art. K3 c) al. 3 TUE.
(3) JOCE C 340, 10/11/1997.
(4) Art. K7, devenu art. 35 TUE avec le traité de Nice, JOCE C 80, 10/03/2001.
(5) JOCE C 306, 17/12/2007.
Le droit pénal de l’Union européenne face au juge – Emmanuelle GINDRE
DOSSIER I 27
Malgré cette faible
affluence de la
matière pénale
dans le prétoire
européen, les arrêts
rendus permettent
cependant
d’esquisser la
façon dont la CJUE
appréhende le droit
pénal de l’UE. Que
celui-ci soit contrôlé
ou interprété,
la CJUE n’a de
cesse de donner
tout leur effet utile
aux dispositions
européennes, même
si elle doit parfois
faire un choix entre
plusieurs dispositions
dont elle garantit le
respect, et parfois au
détriment des droits
fondamentaux.
compétence telle que déterminée
par l’article 35 du traité sur
l’Union européenne, y compris
lorsqu’elle avait été acceptée par
les États membres. De même,
la Commission européenne ne
pouvait engager de procédure
en manquement d’un État
relativement à l’application de
l’un de ces actes.
Cette période transitoire ayant
pris fin, la CJUE (ainsi que la
Commission européenne en
matière de manquement) peut
désormais exercer l’ensemble
de ses compétences en matière
pénale, y compris sur les actes
adoptés avant l’entrée en vigueur
du traité de Lisbonne.
La limite rationae personae à la
compétence de la CJUE en
matière pénale est celle des
protocoles n° 21 sur la position
du Royaume-Uni et de l’Irlande à
l’égard de l’espace de liberté, de
sécurité et de justice et n° 22 sur
la position du Danemark. Ces
textes prévoient ainsi qu’aucune
décision de la CJUE interprétant
les dispositions ou mesures adoptées sur le fondement de
l’Espace de liberté, de sécurité et de justice ne lie ces États
ou n’est applicable à leur égard. Ils préservent malgré
tout une faculté d’opting in, c’est-à-dire la possibilité pour
les États concernés de choisir d’appliquer les mesures
écartées.
En dehors de ces cas particuliers, et depuis la fin de la
période transitoire, la jurisprudence de la CJUE en
matière pénale devrait donc s’épanouir, et notamment
dans le cadre de sa compétence préjudicielle, puisque
le traité de Lisbonne prévoit une obligation de renvoi
pour les juridictions nationales dont les décisions ne
sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de
droit interne (art. 267 al.3 TFUE, simple faculté pour les
autres juridictions nationales). Pour autant, à la lecture du
rôle de la CJUE, on ne constate pas une explosion de
saisines concernant le droit pénal de l’Union européenne.
Raphaelle Parizot dressait déjà ce constat [Parizot, 2012,
p. 300], mais à une date où la période transitoire était
encore en vigueur. Or, il ne s’agissait pas de la seule
explication avancée alors de la « stagnation de l’activité de
la Cour en matière pénale » : les autres arguments présentés
semblent encore pertinents aujourd’hui. « Le juge de l’Union
européenne n’est évidemment pas le juge naturel du droit pénal 6 », et
lorsqu’il est saisi, ses champs d’intervention se réduisent à
trois thématiques récurrentes : le mandat d’arrêt européen,
le principe Ne bis in idem issu de l’acquis de Schengen, et
le statut des victimes dans le procès pénal, alors que le
champ des possibles est bien plus vaste si l’on considère
l’ensemble des décisions-cadres et des directives adoptées
en matière pénale depuis le traité d’Amsterdam.
Au total, une quarantaine d’affaires intéressant le droit
pénal européen ont donné lieu à un arrêt de la CJUE
depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, dont
une vingtaine de recours introduits depuis l’entrée en
vigueur du traité de Lisbonne, et seulement sept depuis
la fin de la période transitoire. La grande majorité de ces
affaires sont des renvois préjudiciels en interprétation.
Malgré cette faible affluence de la matière pénale dans le
prétoire européen, les arrêts rendus permettent cependant
d’esquisser la façon dont la CJUE appréhende le droit
pénal de l’UE. Que celui-ci soit contrôlé ou interprété,
la CJUE n’a de cesse de donner tout leur effet utile aux
dispositions européennes, même si elle doit parfois faire
un choix entre plusieurs dispositions dont elle garantit le
respect, et parfois au détriment des droits fondamentaux.
Le droit pénal de l’Union
européenne contrôlé
La CJUE dispose de deux procédures lui permettant
de contrôler le droit pénal de l’Union européenne. Le
recours en annulation ou contrôle de légalité et le recours
en manquement permettent de contrôler la validité et
l’effectivité du droit pénal de l’Union européenne. Elle
peut également en contrôler la validité à l’occasion d’un
renvoi préjudiciel émanant d’une juridiction nationale.
Les arrêts rendus en ce domaine marquent la volonté de
la CJUE d’affirmer l’existence d’une compétence pénale
européenne dont le respect s’impose tant aux institutions
qu’aux États membres, tout en définissant ses contours de
manière assez stricte.
(6) Parizot (R.), 2012., p. 300.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
28 I DOSSIER
Le contrôle de l’effectivité du droit pénal
de l’Union européenne
Le recours en constatation de manquement d’un État
membre 7 est une procédure permettant à la Cour
de justice de s’assurer de l’effectivité du droit de
l’Union européenne, c’est-à-dire le respect du droit
primaire et dérivé par les États membres. La procédure
juridictionnelle est cependant précédée d’une procédure
administrative menée par la Commission européenne,
dont les mises en demeure efficaces limitent le nombre de
poursuites engagées. Cette procédure est ouverte pour les
dispositions de droit pénal de l’Union européenne depuis
l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne concernant
notamment les actes législatifs que les États membres
doivent appliquer, et plus particulièrement les directives
qu’ils doivent transposer en droit interne. Elle est
également ouverte depuis le 1er décembre 2014 s’agissant
des actes adoptés sur le fondement de l’ex-troisième pilier
dont les effets sont maintenus tant qu’ils ne sont pas
modifiés ou abrogés 8.
Pour l’heure, la Cour de justice n’a été saisie d’aucun
recours en constatation de manquement dans le domaine
du droit pénal de l’Union européenne. Les États membres
ne sont pas pour autant de bons élèves, mais la procédure
pré-contentieuse de la Commission européenne s’avère
efficace à les convaincre de se conformer à leurs obligations
avant toute saisine de la Cour, ou juste après, ce qui
conduit cette dernière à rendre une ordonnance constatant
le désistement de la Commission (mais condamnant l’État
concerné aux dépens). Le registre des infractions, tenu par
la Commission européenne nous indique cependant de
nombreuses mises en demeure relatives au manquement
de certains États membres à leurs obligations en matière
de droit pénal de l’Union européenne. Ainsi, pas moins
de dix-huit États membres ont été destinataires le 22
septembre 2016 d’une mise en demeure de communiquer
l’avancement de leur transposition de la directive relative
aux sanctions pénales des abus de marché 9.
C’est en revanche dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en
interprétation que la Cour de justice a posé un principe
chargé de garantir l’effectivité du droit pénal de l’Union
européenne : le principe d’interprétation conforme du
droit national à la lumière du droit pénal de l’Union
européenne.
Ce principe garantissait déjà l’effectivité du droit
communautaire lorsque la Cour de justice, dans l’affaire
Maria Pupino, l’a étendu aux dispositions du troisième
pilier 10 : « Le principe d’interprétation conforme s’impose au regard
des décisions-cadres adoptées dans le cadre du titre VI du traité sur
l’Union européenne. En appliquant le droit national, la juridiction
de renvoi appelée à interpréter celui-ci est tenue de le faire dans
toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité
de la décision-cadre afin d’atteindre le résultat visé par celle-ci »,
sous réserve des principes de sécurité juridique et de nonrétroactivité 11.
Depuis, le principe d’interprétation conforme est
régulièrement rappelé par la Cour de justice aux
juridictions nationales qui la saisissent. La Cour a encore
renforcé ce principe en soulignant que, s’il ne peut servir
de fondement à une interprétation contra legem du droit
national, proscrite par les principes généraux du droit, « il
demeure que le principe d’interprétation conforme requiert que les
juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence
en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant
application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci,
afin de garantir la pleine effectivité de la décision-cadre en cause
et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par
celle-ci 12 ».
Le contrôle de la validité du droit pénal
de l’Union européenne
Le contrôle de la validité du droit pénal de l’UE peut
concerner divers aspects de légalité. La CJUE peut
ainsi intervenir pour vérifier la compétence de l’Union
européenne, le respect des formes substantielles, le respect
du fondement juridique de l’acte, des principes de l’Union
européenne ou des droits fondamentaux, et le respect du
droit dérivé.
Parmi les arrêts rendus par la CJUE en ce domaine, la
plupart concernent le choix de la base juridique. Mais il en
est d’autres, qui pourraient se multiplier avec l’invocabilité
(7) Art. 258 et s. TFUE.
(8) Protocole n° 36 annexé au traité de Lisbonne, art. 9 et 10.
(9) Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014, JOUE L 173 du 12/06/2014, p. 179 à 189.
(10) CJCE grande ch., 16 juin 2005, Maria Pupino, aff. C-105/03.
(11) Ibid. § 43.
(12) CJUE, 5 septembre 2012, Joao Pedro Lopes Da Silva Jorge, aff. C-42/11, § 56 et 60; V. égal. CJUE, 28 juillet 2016, JZ, aff. C-294/16 PPU,
§ 32 et 33.
Le droit pénal de l’Union européenne face au juge – Emmanuelle GINDRE
DOSSIER I 29
de la Charte européenne des droits fondamentaux,
s’intéressant au respect de ces droits.
En outre, le recours en contrôle de légalité permet à
la Cour de faire respecter l’équilibre institutionnel, en
garantissant l’application des procédures de consultation
du Parlement européen dans le domaine de la coopération
policière et judiciaire en matière pénale 13.
La validité de la base juridique du droit pénal
de l’Union européenne
Avant le traité de Lisbonne, cette question était d’autant
plus fondamentale que la matière pénale n’était abordée
que dans le cadre du titre VI TUE, troisième pilier
intergouvernemental, qui ne devait pas pour autant
empiéter sur les attributions de la Communauté
européenne. Selon le principe énoncé par les articles 29
et 47 TUE, aucune disposition du traité ne peut affecter
les traités instituant les Communautés européennes. C’est
en s’appuyant sur ce principe et sur sa jurisprudence
définissant les critères de choix de la base juridique, qui
doit être fondée sur des éléments objectifs susceptibles
de contrôle juridictionnel comme la finalité et le contenu
de l’acte 14, que la CJUE a annulé deux décisions-cadres
instaurant une protection pénale du droit communautaire
respectivement dans le domaine de l’environnement et
dans celui des transports maritimes15. Elle a, en effet,
considéré que la finalité de chacune de ces décisionscadres relevait d’une politique communautaire, tandis
que le contenu, même s’il harmonisait les législations
pénales des États membres, pouvait être adopté sur un
fondement communautaire, (une directive) puisque rien
n’empêche « le législateur communautaire, lorsque l’application
de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les
autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable
pour lutter contre les atteintes graves à l’environnement, de prendre
les mesures en relation avec le droit pénal des États membres qu’il
estime nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu’il
édicte en matière d’environnement 16 ».
Dans ces arrêts, la CJUE s’est montrée précurseur
en adoptant une position validée depuis par le traité
de Lisbonne, qui confère à l’Union européenne une
compétence d’harmonisation pénale accessoire par voie
de directive (art. 83 § 2 TFUE).
Cependant, si la Cour a permis à la matière pénale, dans
ces affaires retentissantes, d’être appréhendée sur le
fondement du droit communautaire, elle en a circonscrit
les limites.
Ainsi, dans la seconde affaire, la CJUE restait plus réticente
s’agissant de la nature et du quantum des sanctions pénales
qui, jusqu’à la réforme institutionnelle, ont continué de
relever du titre VI TUE, sur le fondement d’une formule
lapidaire : « la détermination du type et du niveau des sanctions
pénales à appliquer […] ne relève pas de la compétence de la
Communauté 17 ».
De même, la Cour a refusé qu’un texte d’application
comporte une dimension pénale non prévue par la directive
dont il résulte. Ce fut l’un des arguments présidant à
l’annulation 18 de deux décisions adoptées par le Parlement
et le Conseil sur le fondement de la directive 95/46 CE
du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes
physiques à l’égard du traitement des données à caractère
personnel et à la libre circulation de ces données 19. Deux
décisions adoptées pour finaliser un accord avec les ÉtatsUnis organisant le transfert de données « Passenger name
record » (PNR) des compagnies aériennes européennes
vers les autorités américaines, visaient un traitement de ces
données relevant de la sécurité publique et du droit pénal.
Or, pour annuler l’une des décisions, la Cour retient que le
champ d’application de la directive exclut « le traitement de
données à caractère personnel mis en œuvre pour l’exercice d’activités
qui ne relèvent pas du champ d’application du droit communautaire,
telles que celles prévues aux titre V et VI du traité sur l’Union
européenne 20 ».
À l’inverse, bien qu’une directive comporte une finalité
répressive, la Cour refuse de l’invalider pour base juridique
erronée 21. Dans cette affaire 22, l’Irlande a formé un
(13) V. not. CJUE, 16 avril 2015, aff. C- 317/13 et C- 679/13, et CJUE, 23 décembre 2015, aff. C 595/14, Parlement européen c/ Conseil.
(14) CJCE 11 juin 1991, Commission c/Conseil, aff. C-300/89, § 10.
(15) CJCE 13 septembre 2005, Commission c/Conseil, aff. C-176/03 et CJCE 23 octobre 2007, Commission c/ Conseil, aff. C-440/05.
(16) CJCE 13 septembre 2005, Commission c/Conseil, op. cit. § 48.
(17) CJCE 23 octobre 2007, op. cit., § 70.
(18) CJCE 30 mai 2006, Parlement c/Conseil et Commission, aff. C-317/04 et C-318/04.
(19) JOCE L 281, 23/11/1995, p. 31 à 50.
(20) Art. 3§2 de la directive 95/46 CE précitée.
(21) Elle sera finalement invalidée au regard du respect des droits fondamentaux, CJUE, 8 avril 2014, Digital Rights Ireland et Seitlinger, aff.
C-293/12 et C-594/12.
(22) CJCE, grande ch., 10 février 2009, aff. C-301/06, Irlande c/Parlement européen et Conseil.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
30 I DOSSIER
recours en annulation de la directive 2006/24 CE du 15
mars 2006 relative à la conservation des données générées
ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de
communications électroniques accessibles au public ou
de réseaux publics de communication. Cette directive,
adoptée au lendemain des attentats de Madrid en mars
2004 et de Londres en juillet 2005, s’inscrivait explicitement
dans un objectif de lutte contre le terrorisme. L’Irlande
soutient que les mesures d’harmonisation auraient dû être
adoptées sur le fondement du titre VI TUE, car l’objectif
principal de la directive, énoncé notamment par son article
1er § 1, est de « garantir la disponibilité de ces données à des fins de
recherche, de détection et de poursuite d’infractions graves telles qu’elles
sont définies par chaque État membre dans son droit interne ». À
l’origine, les mesures litigieuses avaient fait l’objet d’une
proposition de décision-cadre, mais c’est la proposition de
directive de la Commission qui a finalement été adoptée
sur le fondement de l’article 95 CE. Plusieurs motifs de
ce choix sont repris par la Cour. Ainsi, l’objectif principal
de la directive n’est pas répressif, mais concerne le bon
fonctionnement du marché intérieur. En outre, la directive
litigieuse affectait elle-même deux directives existantes.
De ce dernier argument, la Cour tire une obligation de
protéger l’acquis communautaire, fondée sur l’article 47
TUE, interdisant de modifier par un acte du troisième
pilier une directive adoptée sur le fondement du premier.
Enfin, la directive ne comportant aucune disposition
pénale ni aucune réglementation des activités des pouvoirs
publics à des fins policières ou répressives, elle ne violait
pas les dispositions du titre VI TUE.
Le contrôle, opéré à l’occasion d’un renvoi préjudiciel, de la
validité d’une décision-cadre adoptée en matière pénale a,
par ailleurs, permis à la Cour de justice de définir largement
la notion de rapprochement des dispositions législatives et
réglementaires nationales (ex art. 34 § 2 b) TUE) et donc
la notion de droit pénal de l’Union européenne. Dans
l’affaire Advocaten voor de Wereld 23, la Cour considère
que l’harmonisation pénale des législations nationales au
moyen de décisions-cadres ne vise pas que les règles de
droit pénal mentionnées à l’article 31 § 1 e) TUE « à savoir
celles relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des
sanctions applicables dans les domaines énumérés 24 » (criminalité
organisée, terrorisme et trafic de drogue). Autrement
dit, le rapprochement englobe également les mesures de
reconnaissance mutuelle et les mesures de rapprochement
des procédures permettant cette reconnaissance mutuelle,
auxquelles participe le mandat d’arrêt européen, objet de
la question préjudicielle.
Aujourd’hui, malgré la réforme institutionnelle et la
reconnaissance d’une compétence pénale de l’Union
européenne, la question du choix de la base juridique
reste d’actualité, mais se pose différemment. L’enjeu
constitutionnel est moins pressant, même si la procédure
de veto d’un État membre n’est prévue que pour les
projets de directives fondées sur les articles 82 et 83
TFUE. Malgré tout, la Cour de justice veille au respect
strict des dispositions de droit primaire et à la répartition
des compétences entre les différentes politiques menées
par l’Union européenne. Ainsi, saisie d’un recours en
annulation d’une directive adoptée sur le fondement de
l’article 87 TFUE instaurant une coopération policière entre
les États membres, elle apprécie strictement les critères
du choix de la base juridique et notamment la finalité
du texte 25. La Cour considère que la directive facilitant
l’échange transfrontalier d’informations concernant les
infractions en matière de sécurité routière ne relève pas de
la coopération policière mais de la politique commune des
transports, car elle a pour objectif principal l’amélioration
de la sécurité routière dans l’Union européenne. Elle
annule donc la directive qui aurait dû être adoptée sur
le fondement de l’article 91 TFUE. Pourtant, elle relève
que le contenu de la directive comporte bien la définition
d’infractions concernées par l’échange d’informations,
mais il ne s’agit que de l’instrument de l’amélioration de
la sécurité routière qui ne se rattache pas aux objectifs de
l’Espace de liberté, de sécurité et de justice définis à l’article
67 TFUE. Elle n’accorde donc qu’une portée étroite à la
coopération policière, sans la définir (Michel (V.), 2014), au
contraire des conclusions de l’Avocat général 26. La CJUE
a ici été plus frileuse que dans l’arrêt Advocaten voor de
Wereld dans lequel elle n’avait pas hésité à élargir la portée
de la notion de rapprochement des législations pénales des
États membres.
La validité du droit pénal de l’Union européenne
au regard des droits fondamentaux
Avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le respect
des droits fondamentaux par l’Union européenne était
garanti par l’article 6 TUE, faisant lui-même référence
aux principes fondamentaux « tels qu’ils sont garantis par la
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
(23) CJCE, grande ch. 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld, aff. C-303/05.
(24) Op. cit., § 32.
(25) CJUE, grande ch., 6 mai 2014, aff. C-43/12, Commission c/Parlement et Conseil.
(26) Conclusions de l’avocat général Yves Bot, 10 septembre 2013, ECLI :EU :C :2013 :534.
Le droit pénal de l’Union européenne face au juge – Emmanuelle GINDRE
DOSSIER I 31
libertés fondamentales (CESDH), signée à Rome le 4 novembre
1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles
communes aux États membres, en tant que principes généraux du
droit communautaire 27 ».
La Charte européenne des droits fondamentaux, proclamée
le 7 décembre 2000 28, n’a acquis force contraignante
qu’avec le traité de Lisbonne et son intégration dans le
socle institutionnel. Elle ne pouvait donc auparavant être
invoquée à l’appui d’un recours en contrôle de légalité, ou
d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, même
si la Cour de justice n’hésite pas à y faire référence et
même à lui accorder une place de choix parmi les sources
des droits fondamentaux [Kauff-Gazin, 2007].
Ce sont donc ces différents fondements qui sont visés lors
de l’appréciation de la validité de la décision-cadre relative
au mandat d’arrêt européen 29, dans l’affaire Advocaten
voor de Wereld 30. La décision de la Cour était attendue,
tant le mandat d’arrêt européen emportait de difficultés
juridiques, et notamment constitutionnelles pour les États
membres, au regard des droits fondamentaux.
Le renvoi préjudiciel reposait sur la contestation du
respect par cette décision-cadre des principes de légalité
pénale, d’égalité et de non-discrimination, droits garantis
par la CESDH, les traditions constitutionnelles des États
membres et réaffirmés par la Charte européenne. La Cour
rejette les arguments avancés. En effet, la décision-cadre
relative au mandat d’arrêt européen n’a pas pour objet
d’harmoniser le contenu des infractions concernées par
la procédure ; l’application du principe de légalité pénale
reste donc de la responsabilité des États membres 31.
S’agissant des principes d’égalité et de non-discrimination,
la Cour considère qu’ils ne sont pas méconnus par la
suppression de la condition de la double incrimination
pour certaines infractions puisque la distinction repose
sur la différence de gravité des infractions concernées, ce
qui la justifie objectivement 32.
Le mandat d’arrêt européen a de nouveau été confronté
aux droits fondamentaux quelques années plus tard
dans l’affaire Melloni 33. La juridiction constitutionnelle
espagnole demande à la Cour d’apprécier la validité de
l’article 4 bis § 1 de la décision-cadre relative au mandat
d’arrêt européen telle que modifiée en 2009 34, au regard
des « exigences qui découlent du droit à un recours effectif et à
un procès équitable prévus à l’article 47 de la Charte ainsi que
des droits de la défense garantis par l’article 48 § 2 de celle-ci 35 ».
Autrement dit, la CJUE devait vérifier la compatibilité
avec les droits fondamentaux invoqués du fait que la
décision-cadre empêche de « refuser d’exécuter le mandat
d’arrêt européen délivré aux fins d’exécution d’une peine ou
d’une mesure de sûreté privative de liberté, si l’intéressé n’a pas
comparu en personne au procès qui a mené à la décision ». La
Charte européenne est désormais pleinement applicable
et a « la même valeur juridique que les traités », et la Cour
souligne qu’elle est « en harmonie avec la portée reconnue
aux droits garantis par l’article 6 § 1 et 3 de la CESDH par
la Cour européenne des droits de l’homme 36 ». Pour autant, la
CJUE refuse de faire prévaloir les droits fondamentaux,
et rejette l’argumentation tirée de l’article 53 de la Charte
permettant aux États d’appliquer des standards nationaux
de protection des droits fondamentaux plus élevés. Elle
privilégie au contraire l’amélioration de la reconnaissance
mutuelle induite par la réforme de 2009 et le renforcement
de l’effectivité du mandat d’arrêt européen en écartant le
motif de refus d’exécution invoqué. Cette situation n’est
selon elle pas incompatible avec les droits fondamentaux
visés puisque la personne peut renoncer de manière non
équivoque à comparaître personnellement du moment
qu’elle est informée du lieu et de la date du procès ou
qu’elle a été représentée par un avocat à qui elle a donné
mandat. Une telle décision se justifie donc pour éviter
des distorsions d’application du mandat d’arrêt européen
entre États membres qui encourageraient la pratique de
forum shopping des délinquants.
Ces deux décisions ont donc écarté toute incompatibilité
du mandat d’arrêt européen avec les droits fondamentaux
protégés par l’Union européenne, sans pour autant faire
cesser les critiques quant aux lacunes de cet instrument en
la matière [Chilstein, 2012, p. 217].
Il n’en a pas été de même en revanche de l’accès aux
données personnelles dans le cadre de la lutte contre
le terrorisme. Si la directive 2006/24 CE du 15 mars
2006 relative à la conservation des données générées
(27) Art. 6§2 TUE.
(28) Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, JOCE C 364, 14/12/2000, p.1.
(29) Décision-cadre n° 2002/584 du 13 juin 2002, JOUE L 190, 25 juin 2002, p. 1.
(30) CJCE grande ch., 3 mai 2007, aff. C-303/05, Advocaten voor de Wereld, § 44 à 60.
(31) Ibid. § 48 à 54
(32) Ibid. § 55 à 59
(33) CJUE grande ch., 26 février 2013, Melloni, aff. C-399/11.
(34) Décision-cadre n°2002/584 op.cit. modifiée par la décision-cadre n° 2009/299 du 26 février 2009, JOUE L 81, 3 mars 2009, p. 24.
(35) CJUE grande ch., 26 février 2013, op.cit., § 47.
(36) Ibid., § 48 et 50.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
32 I DOSSIER
ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de
communications électroniques accessibles au public ou de
réseaux publics de communication n’avait pas été invalidée
en raison de sa base juridique 37, elle l’a finalement été
au regard des droits fondamentaux par l’arrêt Digital
Rights Ireland et Seitlinger e.a. du 8 avril 2014 38. En effet, la
directive attaquée concerne de manière « directe et spécifique
la vie privée 39 ». Par conséquent, elle doit respecter les droits
garantis tant par l’article 7 de la Charte européenne des
droits fondamentaux, relatif au respect de la vie privée
et familiale, que par l’article 8 du même texte, relatif à
la protection des données personnelles et encadrant leur
utilisation. Or, l’obligation générale de conservation des
données personnelles et la possibilité d’accès à ces données
par les autorités nationales imposées par la directive
attaquée constituent « une ingérence dans les droits garantis
par l’article 7 de la Charte 40 ». Cependant, cette atteinte
aux droits garantis est possible sur le fondement et dans
les conditions de l’article 52 de la Charte : la limitation
doit respecter le contenu essentiel des droits et libertés
concernés ainsi que le principe de proportionnalité.
Examinant particulièrement ce dernier aspect, la Cour
de justice considère que la directive excède « les limites
qu’impose le respect du principe de proportionnalité 41 », et l’annule
dans son intégralité. La CJUE dans cette affaire se pose en
juge suprême de l’Union et sa décision constitue un guide
des garanties à respecter tant pour le législateur européen
dans l’élaboration d’une nouvelle directive, que pour les
cours suprêmes nationales dans l’examen de la validité
d’une transposition nationale [Rosas et Goebel, 2015]. Le
Conseil d’État s’interroge d’ailleurs sur la conformité de
la législation française aux principes dégagés par l’arrêt et
préconise la révision du texte national dans le sens d’un
renforcement des garanties [Conseil d’État, 2014].
Malgré cette dernière annulation, montrant le rôle
primordial de la CJUE dans la garantie du respect
des droits fondamentaux, il ne faut pas conclure trop
hâtivement à la primauté des droits fondamentaux sur
les impératifs de sécurité inhérents à la construction et
à la mise en œuvre du droit pénal de l’UE. Au contraire,
alors que les décisions rendues lors d’un contrôle de
légalité du droit pénal de l’Union européenne démontrent
une interprétation stricte des textes en la matière, celles
résultant d’une interprétation en réponse à une question
préjudicielle semblent plutôt faire primer l’efficacité du
droit pénal de l’Union européenne parfois au détriment
des droits fondamentaux.
Le droit pénal de l’Union
européenne interprété
Les renvois préjudiciels en interprétation sont plus
nombreux, cependant, à l’instar des recours en contrôle
de légalité, les thématiques restent limitées et les questions
soumises depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne
sont, pour l’essentiel, relatives au mandat d’arrêt européen.
Dans le cadre de cette compétence de la CJUE, le droit
pénal de l’Union bénéficie d’une procédure spécifique,
propre à l’Espace de liberté, de sécurité et de justice : la
procédure préjudicielle d’urgence (PPU), essentielle dans
un domaine où les droits fondamentaux des personnes
concernées par une procédure pénale nationale, voire
incarcérées, sont en jeu. Une première procédure
préjudicielle accélérée 42 avait été mise en œuvre en 2000 et
appliquée dans l’affaire Pupino 43 [Aubert, 2012], mais elle
est générale et s’applique dès lors que la nature de l’affaire
l’exige. La PPU, créée en 2008, est en revanche spécifique
aux questions soulevées dans le cadre du titre V TFUE 44.
En outre, l’article 267 TFUE relatif au renvoi préjudiciel
précise in fine que « si une telle question est soulevée dans une
affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une
personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais ». La
procédure d’urgence n’est toutefois pas automatique pour
les questions préjudicielles relevant de la coopération
policière et judiciaire en matière pénale, seules sept affaires
y ont eu recours depuis son entrée en vigueur.
La CJUE, lorsqu’elle est saisie d’un renvoi préjudiciel
en interprétation, a pour rôle de préciser le sens des
dispositions qui lui sont soumises afin de fournir aux
juridictions nationales les clefs de l’application du droit de
l’Union européenne, auquel elle s’attache à donner tout son
effet utile. En effet, la Cour recherche l’efficacité du droit
de l’Union et pour atteindre cet objectif met en œuvre une
jurisprudence originale en créant des notions autonomes
dont elle contrôle l’interprétation, ou en se livrant à une
(37) Cf. supra.
(38) CJUE, 8 avril 2014, Digital Rights Ireland et Seitlinger, aff. C-293/12 et C-594/12.
(39) Ibid. § 29.
(40) Ibid. § 37.
(41) Ibid. § 69.
(42) Règlement de procédure de la Cour de justice, du 25 septembre 2012, JO L 265 du 29.09.2012, tel que modifié le 18 juin 2013, JO L 173
du 26.06.2013, p.65, art. 105s.
(43) CJCE grande ch., 16 juin 2005, Maria Pupino, aff. C-105/03.
Le droit pénal de l’Union européenne face au juge – Emmanuelle GINDRE
DOSSIER I 33
pénale », nécessaire pour vérifier le respect du droit à un
recours effectif garanti par la décision-cadre. La Cour
commence par affirmer que cette notion, « décisive pour
Même si l’on trouve plusieurs affaires relatives à déterminer le champ d’application de la décision-cadre », « ne saurait
l’interprétation de la notion Ne bis in idem, qui révèlent la être laissée à l’appréciation de chaque État membre », et « requiert
même recherche d’efficacité et d’uniformité dans l’Espace dans toute l’Union une interprétation autonome et uniforme qui
de liberté, de sécurité et de justice, les décisions les plus doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition
emblématiques sont relatives au mandat d’arrêt européen. dans laquelle elle s’insère et de l’objectif poursuivi par cette décisioncadre 47 ». La Cour retient alors une interprétation large :
« afin de garantir l’effet utile de la décision-cadre, il convient de
recourir à une interprétation […] dans
L’interprétation réservée des
laquelle la qualification des infractions
notions autonomes du droit
par les États membres n’est pas
déterminante. Pour ce faire, il faut
de l’Union
La CJUE garantit
que la juridiction compétente au sens
notamment le
La CJUE garantit notamment le respect
de l’article 1er sous a) iii) de la décision
respect de l’exigence
de l’exigence d’application uniforme du
cadre, « applique une procédure qui réunit
droit de l’Union européenne, essentiel
les caractéristiques essentielles d’une procédure
d’application
dans un Espace de liberté, de sécurité
pénale, sans toutefois qu’il soit exigé que
uniforme du droit de
et de justice. Pour ce faire, elle est
cette juridiction dispose d’une compétence
l’Union européenne,
amenée à soustraire à l’appréciation
exclusivement pénale 48 ».
essentiel dans un
de chaque État membre les notions
Espace de liberté, de
qu’elle qualifie de notions autonomes
À l’inverse, la CJUE retient une
sécurité et de justice.
du droit de l’Union et dont elle donne
interprétation stricte des notions
Pour ce faire, elle est
la définition qui s’impose à l’ensemble
autonomes lorsqu’il s’agit d’encadrer
amenée à soustraire
des juridictions nationales.
l’utilisation des motifs de nonà l’appréciation
exécution du mandat d’arrêt européen.
de chaque État
La recherche d’efficacité conduit la
Dans l’affaire Kozlowski 49, elle devait
CJUE tantôt à interpréter largement
définir les termes « demeure » et
membre les notions
une notion, tantôt à l’interpréter
« réside » employés par l’article 4
qu’elle qualifie de
strictement.
point 6 de la décision-cadre relative au
notions autonomes
mandat d’arrêt européen 50, qui prévoit
du droit de l’Union
45
L’affaire Balaz en est un exemple .
qu’un État membre peut refuser
et dont elle donne
Dans le cadre d’une procédure de
d’exécuter une demande de remise si la
la définition
recouvrement d’une amende infligée à
personne concernée est ressortissante
qui s’impose
M. Balaz, ressortissant tchèque, pour
de l’État d’exécution, ou à défaut,
à l’ensemble
une infraction routière commise en
demeure ou réside dans cet État, et si
des juridictions
Autriche, la juridiction tchèque a saisi la
ce dernier s’engage à faire exécuter la
nationales.
CJUE en interprétation de dispositions
peine qui sera prononcée contre cette
de la décision-cadre relative à la
personne. La CJUE se fonde à la fois
reconnaissance mutuelle des sanctions
sur l’application uniforme du droit
pécuniaires 46. La demande portait
de l’Union et sur le principe d’égalité
particulièrement sur la définition et l’application de la pour préciser que les définitions des notions autonomes
notion de « juridiction ayant compétence notamment en matière s’imposent aux États membres, qui ne peuvent leur
mise en balance aléatoire des droits fondamentaux avec les
exigences de la reconnaissance mutuelle.
(44) Ibid. art. 107 à 114.
(45) CJUE, 14 novembre 2013, Marian Balaz, aff. C-60/12.
(46) Décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil du 24 février 2005, concernant l’application du principe de la reconnaissance mutuelle aux
sanctions pécuniaires, JOUE L 76, p. 16 telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, JOUE L 81,
p. 24.
(47) CJUE, 14 novembre 2013, op. cit., § 25 et 26.
(48) Ibid. § 35 et 36.
(49) CJUE, 17 juillet 2008, Kozlowski, aff. C-66/08.
(50) Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États
membres, JOUE L 190, p. 1.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
34 I DOSSIER
donner une portée plus étendue que celle déterminée par
elle 51. Dans cette affaire, la Cour définit strictement les
termes litigieux pour assurer un équilibre entre l’efficacité
du mandat d’arrêt européen et la recherche de réinsertion
sociale de la personne poursuivie : « une personne recherchée
“réside” dans l’État membre d’exécution lorsqu’elle a établi sa
résidence réelle dans ce dernier et elle y “demeure” lorsque, à la suite
d’un séjour stable d’une certaine durée dans cet État membre, elle a
acquis des liens de rattachement avec cet État d’un degré similaire
à ceux résultant d’une résidence ». Les liens de rattachement
font l’objet d’une appréciation globale et objective par
l’autorité judiciaire d’exécution, qui prend en compte
notamment la durée, la nature et les conditions du séjour
de la personne recherchée ainsi que les liens familiaux
et économiques qu’entretient cette personne avec l’État
membre d’exécution 52.
La mise en balance aléatoire des droits
fondamentaux avec les exigences
de la reconnaissance mutuelle
Outre la définition des notions autonomes, la CJUE fait
prévaloir l’efficacité de la reconnaissance mutuelle parfois
au détriment des droits fondamentaux, supplantés par les
principes de primauté et de confiance mutuelle. L’exemple
le plus éloquent concerne l’admission des motifs de refus
d’exécution du mandat d’arrêt européen. La décisioncadre relative au mandat d’arrêt européen comporte
une liste de motifs de refus obligatoires et facultatifs à
disposition des États membres sollicités, que la Cour
considère comme exhaustive 53. Elle rejette donc, dans un
premier temps et de manière ambiguë, tout motif tiré de
la violation des droits fondamentaux, motif non prévu par
la décision-cadre.
Trois affaires de 2013 illustrent la solution retenue 54. La
Cour y consacre une présomption de conformité aux droits
fondamentaux des mécanismes de remise prévus par la
décision-cadre 55, ainsi qu’une présomption d’équivalence
de protection des droits fondamentaux dans les États
membres puisque ces derniers sont soumis à la même
obligation de respect des droits garantis par la CEDH,
leur droit national ou encore la Charte européenne 56.
Ainsi, dans l’affaire Jeremy F., la Cour considère que la
procédure de remise prévue par la décision-cadre relative
au mandat d’arrêt européen respecte le droit à un recours
effectif puisque les décisions doivent être prises par
une autorité juridictionnelle. En revanche, l’existence
d’un second degré de juridiction n’étant pas exigée par
les textes de référence, la Cour renvoie cette question à
l’appréciation des États membres 57 et se contente d’une
application a minima du droit à un recours effectif.
Dans l’affaire Radu, la Cour justifie l’absence d’audition
préalable de la personne recherchée par l’État d’émission,
d’une part, par la nécessité de ne pas mettre en échec la
procédure du mandat d’arrêt européen et, d’autre part,
par le fait que le droit d’être entendu est garanti par l’État
d’exécution 58. Elle adapte ainsi le droit fondamental
d’être entendu aux exigences du mandat d’arrêt européen
[Beauvais, 2013].
Enfin, dans l’affaire Melloni, la Cour s’oppose à ce qu’un
État refuse la remise d’un individu jugé par défaut, car la
décision-cadre garantit le droit à un procès équitable par
l’information donnée à l’accusé de la date et du lieu de son
procès et de sa possibilité de se faire représenter 59. La Cour
refuse également que l’État d’exécution fasse prévaloir
ses standards constitutionnels de protection des droits
fondamentaux et subordonne la remise à la possibilité
pour la personne condamnée par défaut d’exercer un
recours contre cette condamnation : « cette interprétation de
l’article 53 de la Charte porterait atteinte au principe de primauté
du droit de l’Union, en ce qu’elle permettrait à un État membre de
faire obstacle à l’application d’actes du droit de l’Union pleinement
conformes à la Charte, dès lors qu’ils ne respecteraient pas les droits
fondamentaux garantis par la Constitution de cet État 60 ». La
valeur de la Charte européenne est supérieure à celle des
droits fondamentaux constitutionnels dans la hiérarchie
des normes établie par la CJUE.
(51) CJUE, 17 juillet 2008, op. cit, § 42 et 43.
(52) Ibid. § 54.
(53) V. not. CJUE 1er décembre 2008, Leymann et Pustovarov, aff. C-388/08 PPU, § 51 ; CJUE 29 janvier 2013, Radu, aff. C-396/11, § 36 ; CJUE,
26 février 2013, Melloni, aff. C-399/11, § 38.
(54) CJUE 29 janvier 2013, Radu, aff. C-396/11 ; CJUE 26 février 2013, Melloni, aff. C-399/11 ; CJUE 30 mai 2013, Jeremy F., aff. C-168/13
PPU ; Thellier de Poncheville (B.), 2013 ; Beauvais (P.), 2013.
(55) CJUE, Jeremy F., op. cit., § 47, CJUE Melloni § 53; CJUE Radu § 41.
(56) CJUE, Jeremy F., op. cit., §51.
(57) CJUE, Jeremy F., op. cit., § 42 à 47
(58) CJUE Radu, op. cit., § 40 et 41.
(59) CJUE , Melloni, op. cit., §52 et 53.
(60) Op. cit., § 58.
Le droit pénal de l’Union européenne face au juge – Emmanuelle GINDRE
DOSSIER I 35
Cette jurisprudence très discutable a cependant été
récemment nuancée par trois décisions notables.
Dans la première, l’affaire Aranyosi 61, face à un risque
réel de violation des droits fondamentaux de la personne
remise par l’État d’émission du mandat d’arrêt européen, la
CJUE autorise l’État d’exécution à suspendre la procédure
le temps d’obtenir de l’autorité d’émission toutes les
informations nécessaires à établir ou écarter ce risque. La
Cour ne remet pas ici en cause sa jurisprudence antérieure
quant à l’exhaustivité des motifs de refus d’exécution,
ni quant à la présomption de protection équivalente
des droits fondamentaux dans les États membres. Elle
rappelle d’ailleurs les principes de confiance mutuelle et
de reconnaissance mutuelle obligeant les États membres
à donner suite à un mandat d’arrêt européen. Elle
précise cependant que ces principes peuvent être limités
dans des circonstances exceptionnelles, ainsi qu’elle l’a
admis dans son avis 2/13 62, et rappelle que la décisioncadre peut être suspendue sur le fondement de l’article
7TUE, en cas de violation grave et persistante par un
État membre des valeurs de l’article 2 TUE, et qu’en tout
état de cause son application ne peut avoir pour effet de
modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux
consacrés notamment par la Charte 63. En outre, elle pose
des conditions strictes à ces limitations : l’exécution du
mandat d’arrêt n’est pas abandonnée mais simplement
reportée ; le risque de traitement inhumain et dégradant
doit être réel mais ne saurait suffire, l’autorité d’exécution
doit s’appuyer sur des motifs sérieux et avérés de croire
que la personne concernée subira effectivement de tels
traitements ; enfin elle doit demander en urgence toutes
informations utiles à l’autorité d’émission pour établir la
réalité de l’atteinte, cette dernière devant coopérer à sa
propre mise en accusation, ce qui laisse perplexe [Berlin,
2016].
Dans la seconde, l’affaire Dworzecki 64, la Cour précise
les modalités d’exécution d’un mandat d’arrêt européen
délivré à l’encontre d’un individu jugé par défaut dans le
pays d’émission.
Alors que dans l’affaire Melloni, la Cour avait retenu
une interprétation très stricte des conditions du refus
d’exécution d’un tel mandat, considérant que le respect
des droits de la défense et du droit à un procès équitable
était garanti par une information suffisante de l’accusé
quant au procès prévu, elle retient ici une interprétation
très protectrice du droit à un procès équitable en précisant
les modalités d’information exigées. Elle considère
ainsi, en interprétant une notion autonome du droit de
l’Union, que la condition d’information de l’accusé n’est
pas remplie lorsque la citation à comparaître n’a pas été
notifiée directement à l’intéressé, mais remise à un tiers et
que le mandat d’arrêt ne permet pas de s’assurer qu’il en a
effectivement eu connaissance 65. Une telle interprétation
révèle le choix d’un standard plutôt élevé de protection
des droits fondamentaux par la Cour [Gazin, 2016].
Enfin, dans l’affaire Bob-Dogi, la Cour de justice poursuit
son œuvre de renforcement des droits fondamentaux dans
le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen 66. Elle
exige que ce dernier repose sur l’émission préalable d’un
mandat d’arrêt national, afin que la personne concernée
puisse bénéficier dès ce premier stade de la procédure
des garanties procédurales et droits fondamentaux dont
la protection est assurée par l’État d’émission 67. La Cour
indique alors que le système du mandat d’arrêt européen
comporte une protection à deux niveaux des droits
fondamentaux : un niveau national et le niveau européen 68.
Avant ces trois affaires plus protectrices des droits
fondamentaux, la CJUE avait déjà eu l’occasion de mettre
en échec la procédure du mandat d’arrêt européen, mais
sur un tout autre fondement.
La Cour de justice, nous l’avons vu, est habituellement
réticente à étendre la liste des motifs prévue par la
décision-cadre pour refuser d’exécuter un mandat d’arrêt
européen. Elle interprète donc très strictement les motifs
de refus excipés par les États membres, sauf lorsqu’ils
répondent à un autre objectif contenu dans la décisioncadre relative au mandat d’arrêt européen : l’objectif de
réinsertion des personnes condamnées. Dans l’affaire Joao
Pedro Lopes Da Silva Jorge 69, La Cour de justice devait se
prononcer sur une disposition de la législation française
de transposition de la décision-cadre, l’article 695-24 al. 2
du Code de procédure pénale. Cette disposition prévoit la
(61) CJUE, 5 avril 2016, Aranyosi et Caldararu, aff. C- 404/15 et C-659/15 PPU.
(62) EU :C :2014 :2454, §191.
(63) CJUE, Aranyosi et Caldararu, § 81 à 83.
(64) CJUE 24 mai 2016, Dworzecki, aff. C- 108/16 PPU.
(65) Op. cit., §54.
(66) CJUE 1er juin 2016, Niculaie Aurel Bob-Dogi, aff. C- 241/15.
(67) Ibid., §55.
(68) Ibid., §56.
(69) CJUE, 5 septembre 2012, Joao Pedro Lopes Da Silva Jorge, aff. C-42/11.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
36 I DOSSIER
possibilité pour la France de refuser d’exécuter un mandat
d’arrêt européen lorsque la personne qui doit être remise
pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté
est de nationalité française et que les autorités françaises
s’engagent à faire exécuter cette peine ou mesure de sûreté.
Ce refus n’étant valable que pour les nationaux, c’est sur
le fondement de l’objectif de réinsertion et du principe
de non-discrimination que l’avocat général invite le juge
français à interpréter sa législation contra legem en ouvrant
cette cause de refus à un ressortissant portugais résidant
en France. La Cour de justice, plus subtile, propose,
sur les mêmes fondements, aux juridictions françaises
d’utiliser les dispositions de l’ordre juridique interne leur
permettant de tirer les conséquences d’une discrimination
interdite par le droit national. La loi 2013-711 du 5 août
2013 a mis fin à cette situation délicate en modifiant le
Code de procédure pénale pour le rendre conforme à
la jurisprudence de la Cour de justice [Beauvais, 2013,
p. 809].
La Cour n’a pas remis en cause l’efficacité du droit
pénal de l’Union européenne, mais seulement celle de la
reconnaissance mutuelle, en valorisant un autre objectif de
l’Espace de liberté, de sécurité et de justice : la lutte contre
la récidive permise par les mesures de réinsertion sociale
des condamnés, qui est une autre voie pour renforcer
l’efficacité du droit pénal de l’Union européenne, dans sa
dimension préventive.
La Cour de Justice, dans le cadre des recours en annulation
ou des questions préjudicielles en appréciation de validité
dont elle est saisie, contribue donc à façonner le droit
pénal de l’Union européenne en énonçant les principes
directeurs qui le gouvernent. Ainsi, elle participe à sa
définition, précise les critères du choix de la base juridique
lorsque des dispositions ont un contenu ou une finalité
pénale, sans pour autant se limiter à la lettre des traités,
mais retient une interprétation stricte de ces derniers
lorsqu’il s’agit de mettre en balance les impératifs de
l’Espace de liberté, de sécurité et de justice avec le respect
des droits fondamentaux garanti notamment par la Charte
désormais pleinement applicable n
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Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
38 I DOSSIER
Gildas ROUSSEL, François-Xavier ROUX-DEMARE
Le mandat d’arrêt européen est une procédure judiciaire de remise remplaçant la procédure
d’extradition entre les États membres de l’Union européenne. Malgré une adoption en réaction
à des attaques terroristes, cette procédure est rapidement devenue une illustration de l’efficacité
de la collaboration judiciaire européenne. Le succès de cette procédure et son efficacité pratique
démontrent l’intérêt de la poursuite de l’intégration pénale européenne.
C
e vendredi 30 mai 2014 vers 12
h 30, lors d’un contrôle de routine à bord d’un car provenant
de Bruxelles, trois douaniers
arrêtent un passager transportant des armes
dont l’une dépassait d’un sac et l’autre de
sa veste. Le passager s’appelle Medhi Nemmouche. Il est recherché pour avoir tiré
dans le Musée juif de Bruxelles et tué quatre
personnes le 24 mai précédent. Le 31 mai
2014, un mandat d’arrêt européen est émis
par la justice belge contre lui. Le 26 juin, la
chambre de l’instruction de la Cour d’appel
de Versailles ordonne sa remise. Il se désiste
ensuite de son pourvoi en cassation et se
voit remis aux autorités judiciaires le 24 juillet 2014 1.
Le 18 mars 2016 dans la commune
de Molenbeek à Bruxelles, le groupe
d’intervention de la police fédérale belge 2
procède à l’arrestation du seul survivant du
(1) Sur cette arrestation et cette remise, v. Le Monde, 1er juin 2014, Libération, 29 juill. 2014.
(2) Le Monde, 18 mars 2016.
© vchalup - fotolia.com
Le mandat d’arrêt européen,
succès de l’Europe pénale ?
DOSSIER I 39
commando suicide qui avait attaqué SaintDenis et Paris la nuit du 13 novembre
2015 faisant 130 morts, 413 blessés, des
milliers de victimes indirectes 3. Le 19 mars
2016, les juges d’instruction français en
charge de l’information judiciaire portant
sur ces attentats émettent un mandat
d’arrêt européen à l’encontre de Salah
Abdelslam 4. Il est transféré en France par
hélicoptère le 27 avril 2016 5.
Medhi Nemmouche, Salah Abdelslam,
deux suspects d’actes de terrorisme, deux
exemples de mandats d’arrêt européens à
la mise en œuvre relativement rapide entre
les autorités judiciaires belges et françaises.
Gildas ROUSSEL
Maître de
conférences à
l’université de
Brest. Directeur de
l’institut d’études
judiciaires, il
enseigne le droit
pénal et la procédure pénale. Il est
l’auteur d’articles et commentaires
de jurisprudence principalement en
droit de la police judiciaire et droit
douanier. Il est aussi auteur de
deux ouvrages (Les procès-verbaux
d’interrogatoire, L’Harmattan,
2005 ; Suspicion et procédure
pénale équitable, L’Harmattan
2010) et d’un manuel (Procédure
pénale, 7e éd. Vuibert, 2016).
François-Xavier ROUX-DEMARE
Doyen de la faculté
de droit de Brest et
directeur du master 2
droit des personnes
vulnérables. Maître
de conférences, il
enseigne le droit pénal
et la procédure pénale. Il est l’auteur
de plusieurs articles en droit pénal
européen. Son ouvrage publié aux
éditions Dalloz De l’entraide pénale à
l’Europe pénale a reçu en 2013 le Prix
de la recherche de l’École nationale de
la magistrature.
Sans mandats d’arrêt européens, ces deux
suspects auraient fait l’objet de procédures
d’extradition classiques. Ces procédures
seraient passées par la voie diplomatique,
auraient impliqué les ministres des Affaires
étrangères et de la Justice des deux pays.
Côté français, selon les articles 696-8 à
696-24-1 du Code de procédure pénale,
la procédure d’extradition aurait été mise
en œuvre par le procureur général, lequel
aurait dû, le cas échéant, saisir pour avis
la chambre de l’instruction. L’extradition
aurait enfin dû être autorisée par décret
du Premier ministre pris sur le rapport du
garde des Sceaux. Procédure plus longue,
plus lourde, plus sujette à des négociations
politiques entre les États notamment dans
un domaine aussi sensible que le terrorisme.
À l’inverse, ainsi que les deux exemples
précédents l’illustrent, le mandat d’arrêt
européen consiste dans la remise
directe d’une personne soupçonnée ou
condamnée entre les autorités judiciaires
des pays membres de l’Union européenne.
Le mandat d’arrêt est donc mû avant tout
par une logique procédurale judiciaire
horizontale. De plus, il ne s’appuie pas sur
l’exigence d’une double incrimination dans
32 cas listés par les textes européens repris
par les lois nationales.
Bien qu’il ne s’applique pas seulement en
matière terroriste, l’histoire du mandat européen est assez liée à celle du terrorisme.
Son adoption européenne est le fruit des
attentats du 11 septembre 2001 alors que
les conventions du 10 mars 1995 et du 27
septembre 1996 réformant le droit de l’extradition au sein de l’Union européenne
demeuraient encalminées par l’absence de
volonté des États de céder une part de leur
souveraineté 6. Dès le 21 septembre 2001,
le Conseil européen décida d’un plan
d’action au sein duquel figurait l’adoption
d’une décision-cadre créant le mandat
d’arrêt européen et réformant les procédures de remises au sein de l’Union européenne. Cette décision-cadre fut adoptée
le 13 juin 2002 7.
Après une révision constitutionnelle en
2003 8, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004
vient insérer en droit français le mandat
d’arrêt européen au sein des articles
695-11 à 695-51 du Code de procédure
pénale. Depuis, le régime de ce mandat
s’est enrichi pour renforcer notamment
les droits de la défense des personnes en
faisant l’objet 9.
(3) Pour un détail de ces événements, v. Fenech (G.), Pietrasanta (S.), 2016, Rapport n° 3922 fait au nom de
la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis
le 7 janvier 2015, Assemblée nationale.
(4) Son arrestation précipite les attentats suicides du 22 mars 2016 à la station de métro de Maelbeek et à
l’aéroport de Bruxelles faisant 32 morts et 340 blessés. Le Figaro, 23 mars 2016.
(5) Communiqué de presse du procureur de la République de Paris, 27 avr. 2016.
(6) Conv. du 10 mars 1995, relative à la procédure simplifiée d’extradition entre les États membres de l’UE,
JOCE, n° C 78 du 30 mars 1995, p. 2 ; Conv. du 27 sept. 1996 relative à l’extradition entre les États
membres de l’UE-Déclarations, JOCE n° C 313, 23 oct. 1996, p. 12.
(7) Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de
remise entre États membres (2002/584/JAI), JOCE n° L 190, 18 juill. 2002, p. 1.
(8) L. const. n° 2003-267 du 25 mars 2003 relative au mandat d’arrêt européen, JO 26 mars, introduisant
un article 88-2 à la Constitution du 4 octobre 1958.
(9) V. les lois n° 2009-526 du 12 mai 2009, n° 2011-392 du 14 avril 2011, n° 2013-711 du 5 août 2013,
n° 2014-535 du 27 mai 2014, n° 2014-1353 du 13 novembre 2014, n° 2015-993 du 17 août 2015,
n° 2016-731 du 3 juin 2016.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
40 I DOSSIER
Des attentats de 2001 à ceux de 2014, 2015 et 2016, le
mandat d’arrêt européen a constitué l’un des instruments
de la réponse concrète de l’Union au terrorisme, mais aussi
à d’autres infractions. Il a très vite rencontré l’adhésion
des acteurs judiciaires lesquels n’hésitent plus à y recourir.
Au-delà, le mandat d’arrêt européen illustre l’efficacité
de l’entraide pénale entre les États européens. Si le
développement d’une pratique pénale européenne a débuté
par l’apparition, le renforcement puis l’institutionnalisation
de la collaboration policière dès le début du XXe siècle
[Roux-Demare, 2014, p. 126 et s.], elle s’est poursuivie avec
la construction d’une véritable collaboration judiciaire.
Plus récente, cette coopération judiciaire se renforce
efficacement depuis le Traité d’Amsterdam de 1997, qui
prévoit l’instauration d’un « espace de liberté, de sécurité et de
justice ». Parmi les symboles de cette coopération, la création
d’une Unité européenne de coopération judiciaire décidée
lors du Conseil européen de Tampere de 1999 retient une
attention particulière. L’agence Eurojust est alors dotée de
la mission de promouvoir et de renforcer la coordination
et la coopération entre les autorités nationales dans la lutte
contre la criminalité transfrontalière grave dans l’Union
européenne. Aujourd’hui, les réflexions sont tournées
vers l’instauration d’un Parquet européen, qui combattra
les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de
l’Union en exerçant l’action publique devant les juridictions
compétentes des États membres. Aux côtés d’Eurojust,
le mandat d’arrêt européen est le symbole de l’efficacité
de cette coopération judiciaire comme mécanisme
procédural. Il démontre les possibilités et les intérêts
de la mise en œuvre de cette collaboration européenne,
promouvant le renforcement et l’approfondissement de
celle-ci.
Il est ainsi possible d’affirmer que le mandat d’arrêt
européen est un succès à la fois institutionnel et judiciaire.
Un succès institutionnel
Le mandat d’arrêt européen consiste avant tout dans une
procédure de remise directe d’une personne d’une autorité
judiciaire d’un État membre vers une autre. D’un point
de vue technique, il s’avère un instrument aux mains
des magistrats européens leur permettant de pouvoir
poursuivre et juger un individu sans que les frontières
soient un obstacle trop important. D’un point de vue
matériel, il constitue ainsi un instrument procédural de
coopération judiciaire et un instrument procédural
d’intégration judiciaire. Le mandat d’arrêt européen a été
institué comme un outil judiciaire européen et ce faisant,
a permis l’institution d’une ébauche de justice européenne
intégrée. D’une certaine manière, le mandat d’arrêt
européen est devenu une institution de l’Europe judiciaire.
Un instrument de coopération
Le mandat d’arrêt européen est un instrument plus souple
que l’extradition pour remettre ou se faire remettre une
personne suspecte ou condamnée. Un auteur [Pradel,
2004] a même parlé de « révolution copernicienne » à son
propos, car il ne met plus l’État, au sens de pouvoir
exécutif, au centre de la procédure mais le magistrat. Et
il met comme interlocuteur direct de ce magistrat un
autre magistrat dans un pays européen. Le mandat d’arrêt
européen constitue ainsi par essence un instrument de
coopération judiciaire directe et horizontale.
L’article premier de la décision-cadre et l’article 69511 du Code de procédure pénale énoncent en effet que
« Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise
par un État membre de l’Union européenne, appelé État membre
d’émission, en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État
membre, appelé État membre d’exécution, d’une personne recherchée
pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une
peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté ». Cet article
ajoute : « L’autorité judiciaire est compétente, selon les règles et
sous les conditions déterminées par le présent chapitre, pour adresser
aux autorités judiciaires des autres États membres de l’Union
européenne ou pour exécuter sur leur demande un mandat d’arrêt
européen ». Le mandat d’arrêt européen relève de la seule
compétence des autorités judiciaires.
Par conséquent, son succès dépend principalement de sa
maîtrise par les magistrats et les avocats. D’ailleurs, en 2014,
de manière à accentuer encore l’utilisation de cet outil,
le Parlement européen a adopté une résolution invitant
notamment à renforcer les réseaux d’interconnexion entre
acteurs judiciaires, renforcer la formation à l’utilisation de
cette procédure et constituer une base de données de la
jurisprudence utile 10.
L’exécution d’un mandat d’arrêt européen dépend ainsi
du dialogue permanent entre les autorités judiciaires
d’émission et d’exécution. Le droit français en est un
exemple. En cas d’émission par une autorité judiciaire
française, l’article 695-15 du Code de procédure pénale
(10) Résolution du Parlement européen du 27 février 2014 contenant des recommandations à la Commission sur la révision du mandat d’arrêt
européen (2013/2109 (INL)).
Le mandat d’arrêt européen, succès de l’Europe pénale ? – Gildas ROUSSEL, François-Xavier ROUX-DEMARE
DOSSIER I 41
LE MANDAt D’ARRêt EUROPÉEN A ÉtÉ INStItUÉ
COMME UN OUtIL JUDICIAIRE EUROPÉEN Et
CE FAISANt, A PERMIS L’INStItUtION D’UNE
ÉBAUCHE DE JUStICE EUROPÉENNE INtÉGRÉE.
D’UNE CERtAINE MANIèRE, LE MANDAt D’ARRêt
EUROPÉEN ESt DEVENU UNE INStItUtION DE
L’EUROPE JUDICIAIRE.
donne la main au procureur de la République pour
conduire la procédure. Même s’il n’en est pas à l’origine,
le ministère public s’avère l’autorité décisionnelle qui
transforme, le cas échéant, le mandat d’arrêt émis par une
juridiction d’instruction, de jugement ou d’application des
peines en mandat d’arrêt européen. Le procureur devra
alors remplir un formulaire-type en prenant bien le soin
de respecter les conditions tenant à la gravité de la peine
encourue ou prononcée, la qualification des faits, l’identité
et la nationalité de la personne, son degré de participation,
la nature de la décision judiciaire à l’origine du mandat.
Il devra de même préciser sa qualité et ses coordonnées
ou celles du magistrat de permanence de manière à ce
que les autorités judiciaires étrangères puissent prendre
directement attache avec lui.
Le parquet sera aussi à l’origine du choix du type de
coopération par le truchement du mode de diffusion du
mandat. S’il connaît la localisation précise de la personne
visée, il pourra réaliser une transmission directe à l’autorité
judiciaire compétente. La circulaire du 11 mars 2004 l’incite
néanmoins à passer par le Réseau judiciaire européen afin
de connaître précisément l’autorité judiciaire étrangère
compétente 11. Pour plus d’efficacité, le site intranet de
la Direction des affaires criminelles et des grâces dresse
un tableau pays par pays des modes de transmission. Ce
document permet ainsi au parquet de connaître le type
de transmission acceptée par les autorités étrangères :
courrier papier, courrier électronique, télécopie.
Si le parquet ne sait pas où se trouve la personne
recherchée, il transmettra le mandat à la Mission Justice
de la Chancellerie en vue d’une diffusion européenne
par la voie du Système d’information Schengen (SIS),
du Réseau judiciaire européen, ou d’Interpol, c’est-àdire des outils et organismes de coopération judiciaire ou
policière. La circulaire du 20 juillet 2009 énonce que les
mandats sont prioritairement transmis par courriel sur
la boîte structurelle de la Mission Justice ce qui permet
ainsi d’accroître la rapidité des communications vers les
organismes de coopération 12.
L’efficacité du mandat d’arrêt dépend alors de la
coopération avec l’État, lequel doit être éclairé le plus
précisément possible sur la situation pénale de la personne
recherchée au regard du droit français, mais aussi des
objectifs visés par les magistrats français à l’origine de
l’émission. L’autorité étrangère doit ainsi connaître la suite
qui sera donnée à la procédure lorsque la personne sera
remise aux autorités françaises puisque, selon l’article 69518, elle bénéficiera du principe de spécialité empêchant
toute poursuite, condamnation ou détention pour des faits
antérieurs autres que ceux ayant motivé le mandat, sauf
renonciation expresse.
Une fois la personne arrêtée à l’étranger, le parquet
émetteur sera à son tour informé par l’autorité judiciaire
étrangère ou par la Mission Justice ou le Bureau central
national Interpol.
Le mandat d’arrêt européen exige ainsi lors de son
émission un dialogue permanent entre les différentes
strates de la coopération judiciaire. Celle-ci perdure
lorsque les autorités françaises se trouvent en position
d’exécutrices du mandat.
Lorsque les autorités françaises sont destinataires d’un
mandat d’arrêt européen, la logique de coopération
avec l’État émetteur perdure. L’exécution du mandat
relève alors du parquet général. Selon les articles 695-26
à 695-28-1, il est notamment récipiendaire des mandats
directement envoyés à lui par tout moyen écrit. En cas
d’incompétence territoriale, il doit alors transmettre le
mandat à son homologue compétent tout en informant
l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission. La
centralisation de l’exécution des mandats d’arrêt émis
dans le cadre du terrorisme facilite d’ailleurs les choses en
cette matière. Lorsque la personne aura été appréhendée
puis conduite devant le procureur général et qu’il l’aura
informée de l’existence et du contenu du mandat, il devra
prendre attache avec l’autorité judiciaire émettrice.
Une fois que la chambre de l’instruction sera saisie afin
qu’elle se prononce sur la remise, elle devra se renseigner
sur les quantums de peine définis par la législation de
l’État d’émission ou sur les objectifs de cet État afin
d’éviter une remise alors que les raisons d’émission du
(11) Circ. CRIM-04-2/CAB-11.03.2004, JUS-D-04-30039C.
(12) Circ. DACG du 20 juill. 2009, NOR : JUSD0919180C.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
42 I DOSSIER
mandat sont dues aux opinions politiques de la personne
visée. D’après l’article 695-33, la chambre pourra ainsi
demander un complément d’information auprès de l’État
d’émission, lequel devra alors lui fournir dans le délai de
dix jours. Ainsi que l’énonce la Chambre criminelle dans
un arrêt du 21 novembre 2007 : « Lorsque les informations
contenues dans le mandat d’arrêt européen sont insuffisantes pour
permettre à la chambre de l’instruction de statuer sur la remise de la
personne recherchée dans le respect de ses droits fondamentaux, cette
juridiction est tenue de les solliciter auprès des autorités de l’État
d’émission 13 ». La jurisprudence enjoint très clairement à
la coopération judiciaire avec l’État émetteur direct afin
d’assurer un éclairage complet des juges en charge de la
décision de remise. Grâce à l’article 695-42, la chambre
peut aussi consulter l’unité Eurojust pour savoir à quel
État remettre la personne lorsque plusieurs ont émis un
mandat européen à son encontre.
La phase juridictionnelle de la procédure peut être
l’occasion de séquences d’interactivité judiciaire entre les
magistrats français et étrangers. Selon l’article 695-30, la
chambre de l’instruction peut ainsi autoriser l’État membre
d’émission à intervenir à l’audience, sans toutefois devenir
partie à la procédure, par l’intermédiaire d’une personne
habilitée tel un magistrat de liaison. L’article 695-46
permet aussi à l’État d’émission de saisir la chambre
de toute demande ayant pour objet d’étendre le champ
du mandat à d’autres faits que ceux faisant l’objet de la
demande de remise. En outre, lorsque la personne a déjà
été remise à la France par un autre État sous couvert du
principe de spécialité, l’article 695-26 impose au parquet
général de s’assurer du consentement de cet État.
Tant dans l’hypothèse d’émission que de réception par les
autorités judiciaires françaises, le mandat d’arrêt européen
exige ainsi un dialogue permanent, direct ou par le biais
des unités de coopération judiciaire internationale, avec
les autorités judiciaires étrangères. Ce dialogue judiciaire
devient ainsi institutionnalisé. Ce dialogue s’avère alors la
marque d’une logique intégrative toujours sous-jacente en
matière de mandat d’arrêt européen.
Un instrument d’intégration
Le mandat d’arrêt européen s’illustre par cette relation entre
les magistrats des États européens, appelés à collaborer
directement au niveau horizontal. Complètement admise
aujourd’hui, cette relation est le fruit d’une importante
évolution, ayant permis de lever les nombreuses craintes
de la part des États membres, soucieux de conserver un
contrôle sur leurs compétences régaliennes.
Si « le droit à une bonne administration de la Justice implique
que l’exécution des décisions de Justice soit elle-même effective et
efficace 14 », la mise en œuvre pratique de cette observation
de bon sens n’a pas toujours été évidente. En effet, dès
lors qu’il y avait un élément d’extranéité, une procédure
judiciaire devenait rapidement plus complexe à mettre
en œuvre, comme pour les procédures d’extradition. Elle
nécessitait alors une procédure d’exequatur, c’est-à-dire « la
mise en œuvre de l’imperium du juge auquel il est demandé d’apposer
sur un titre émanant, soit d’une autorité publique étrangère, soit d’un
tribunal arbitral, la formule exécutoire nécessaire pour poursuivre en
France l’exécution forcée du titre 15 ». Cette procédure, illustrant
la défiance envers les autorités judiciaires étrangères, se
présentait comme un véritable contrôle du juge devant
délivrer la formule exécutoire à la décision étrangère.
Pour dépasser cette complexité procédurale et à l’appui de
l’approfondissement de l’harmonisation des législations,
les institutions européennes vont développer le principe
de reconnaissance des décisions judiciaires. Ce principe
se développe dans le cadre du Conseil de l’Europe, qui
y fait recours dans plusieurs conventions. Néanmoins,
l’Union européenne va rapidement affirmer et consacrer
ce principe, usant de la confiance réciproque grandissante
entre ses États membres. Parmi les déclarations de
l’importance de ce principe, il faut plus particulièrement
citer les indications portées lors du Conseil européen de
Tampere de 1999, qui précise qu’il « devrait devenir la pierre
angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale
au sein de l’Union 16 ». Le principe est simple puisqu’il s’agit
de permettre la reconnaissance d’une décision rendue
par les autorités d’un État membre, sans avoir à recourir
à aucune procédure. Ce principe de reconnaissance
permet donc d’améliorer la prise en compte d’une
décision étrangère par l’ordre juridique des autres États
européens. Toutefois, ce principe soulève des difficultés
d’application en pratique. Les documents demandés pour
permettre l’authentification de la décision (par exemple,
un certificat signé et au contenu certifié exact par l’autorité
compétente), la procédure en cas de contestation de la
décision, l’éventuel contrôle de la double incrimination,
(13) Crim., 21 nov. 2007, Bull. crim. n° 292, Recueil Dalloz. 2008. 20 note Girault (C.).
(14) Conseil de l’Europe - Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), L’exécution des décisions de justice en Europe, Préparé par
l’équipe de recherche sur l’exécution des décisions de justice (Nancy-Université (France)/Institut suisse de droit comparé) et examiné par le
CEPEJ-GT-EVAL lors de sa 8e réunion, Strasbourg, Conseil de l’Europe, Collection « Les études de la CEPEJ », n° 8, p. 19.
(15) Santa-Croce (M.), « Exequatur », in Cadiet (L.) (dir.), Dictionnaire de la Justice, Paris, PUF, 2004, p. 500.
(16) Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, Conclusions de la présidence, point 33.
Le mandat d’arrêt européen, succès de l’Europe pénale ? – Gildas ROUSSEL, François-Xavier ROUX-DEMARE
DOSSIER I 43
la prévision de motifs de non-reconnaissance, de nonexécution et de report sont autant d’obstacles pratiques
à une véritable circulation des décisions judiciaires. Si ce
principe demeure le mécanisme privilégié pour assurer
la circulation des décisions judiciaires européennes,
l’approfondissement de la confiance réciproque entre les
systèmes juridiques et judiciaires des États membres a
permis la mise en œuvre de procédures uniformes entre
les États européens.
d’englober la très grande majorité des infractions. Selon
l’article 695-12 du Code de procédure pénale : « Les faits
qui peuvent donner lieu à l’émission d’un mandat d’arrêt européen
sont, aux termes de la loi de l’État membre d’émission, les suivants :
1° Les faits punis d’une peine privative de liberté d’une durée égale
ou supérieure à un an ou, lorsqu’une condamnation à une peine
est intervenue, quand la peine prononcée est égale ou supérieure à
quatre mois d’emprisonnement ; 2° Les faits punis d’une mesure
de sûreté privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à un
an ou, lorsqu’une mesure de sûreté a été infligée, quand la durée à
subir est égale ou supérieure à quatre mois de privation de liberté ».
Le contrôle de la double incrimination est écarté pour
une liste de 32 infractions, énumérées à l’article 695-23 du
Code de procédure pénale, parmi lesquelles la participation
à une organisation criminelle, le terrorisme, la traite des
êtres humains, l’exploitation sexuelle des enfants et la
pornographie infantile.
Dans la poursuite de la mise en application de ce principe
de reconnaissance et comme étape ultime, les États
peuvent mettre en œuvre une procédure commune pour
adopter une décision. L’avantage d’une telle procédure est
de ne plus avoir à reconnaître la décision adoptée par une
autorité judiciaire étrangère. Le mandat d’arrêt européen
est l’illustration d’une telle procédure simplifiée permettant
la remise d’une personne.
La procédure débute devant
Néanmoins, des motifs de
les juridictions de l’État
non-exécution du mandat
LE MANDAt D’ARRêt EUROPÉEN SE
d’émission du mandat. Cette
ont été prévus, mais ils
PRÉSENtE ALORS COMME UN SyMBOLE
décision est alors transmise
sont strictement énumérés.
à l’État d’exécution pour
L’article 3 de la décisionDE L’ÉVOLUtION DE L’UNION EN
qu’il mette en œuvre la
cadre et les articles 695MAtIèRE PÉNALE, ILLUStRANt LE PASSAGE
décision. La décision-cadre
22 à 695-23 du Code de
souligne, dans les termes
procédure pénale présentent
D’UNE ENtRAIDE à UNE INtÉGRAtION
utilisés, la nature impérative
les motifs obligatoires de
PÉNALE. LA RÉUSSItE PRAtIqUE DE
de l’obligation de l’État
refus par l’État d’exécution,
d’exécution. Ainsi, l’article
notamment si les faits
CEttE PROCÉDURE, VÉRItABLE SUCCèS
1er de la décision-cadre est
infractionnels sont couverts
JUDICIAIRE, ESt DE NAtURE à FAVORISER
contenu dans un paragraphe
par une amnistie, une
intitulé « définition du mandat
prescription ou l’application
L’APPROFONDISSEMENt DE CEttE
d’arrêt européen et obligation
du principe non bis in idem.
INtÉGRAtION PÉNALE.
de l’exécuter », dont nous
Il existe également des
soulignons la fin du titre.
motifs facultatifs de refus,
Cet article précise alors que
énumérés à l’article 4 de la
« les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen ». décision-cadre et contenus dans l’article 695-24 du Code
Certes, cette formulation impérative ne supprime pas de procédure pénale. Par exemple, l’exécution du mandat
toutes compétences aux autorités de l’État d’exécution. peut être refusée si les faits ont été commis en tout ou partie
En revanche, les termes utilisés illustrent bien la volonté en France ou si la personne contre qui est émis le mandat
de limiter les prérogatives des autorités d’exécution, est ressortissante française ou réside en France. Quel
favorisant une exécution automatique, minimisant que soit le refus, l’article 695-25 du Code de procédure
les formalités pour la mise en œuvre et réduisant les pénale prévoit que celui-ci doit être motivé. Ainsi, les
contrôles éventuels. L’État d’exécution possède donc des contrôles pouvant être réalisés par l’État d’exécution sont
prérogatives, mais qui tendent à se limiter à de simples strictement encadrés, même s’ils persistent, avec l’objectif
contrôles avant exécution pour authentifier la décision. Ils d’assurer l’efficacité de la procédure.
sont des « contrôles minimums 17 ». Sera notamment contrôlée
l’infraction donnant lieu à l’émission du mandat, tant du Ni la nationalité ni l’infraction dans un but politique
point de vue du quantum de la peine que de l’existence de n’apparaissent comme motifs obligatoires de nonla double incrimination 18. La fixation du quantum permet exécution. Cette observation démontre d’autant plus
(17) De Roux (X.), 2002, Rapport n° 463 relatif au mandat d’arrêt européen, Assemblée nationale, p. 14.
(18) Il s’agit de contrôler que les faits infractionnels qui motivent l’émission du mandat d’arrêt européen constituent également une infraction dans
le droit de l’État d’exécution.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
44 I DOSSIER
que cette procédure s’appuie sur la réalité de la confiance
mutuelle des États membres dans les systèmes judiciaires
respectifs, tous encadrés par les mêmes principes
fondamentaux des droits de l’homme. Il ne s’agit plus
d’une simple procédure de coopération entre les États
membres, mais d’une véritable procédure d’intégration,
puisqu’elle permet d’« unifier les partenaires en les soumettant
à des finalités communes et en faisant converger leurs comportements
suivant des procédés qui peuvent être autoritaires 19 ». Le mandat
d’arrêt européen se présente alors comme un symbole
de l’évolution de l’Union en matière pénale, illustrant
le passage d’une entraide à une intégration pénale. La
réussite pratique de cette procédure, véritable succès
judiciaire, est de nature à favoriser l’approfondissement
de cette intégration pénale.
Un succès judiciaire
Le mandat d’arrêt européen n’est pas exempt de vices :
la suppression de la double incrimination ne concerne
que 32 infractions, les motifs de refus laissent subsister
une forme résiduelle d’exequatur, la transposition de la
décision-cadre provoque des aménagements par les législateurs nationaux… Pourtant et malgré ces critiques, la
mise en œuvre globale de cette procédure se révèle être
« un succès 20 ». L’efficacité de cette procédure est rapidement acquise, comme le démontre sa forte utilisation. Pis,
le mandat d’arrêt européen soulève la question de sa trop
grande efficacité.
Un instrument d’efficacité
Comme tout instrument, le mandat d’arrêt européen ne
peut être considéré comme efficace que s’il est utilisé
par les autorités judiciaires et si celles-ci en retirent un
avantage. Le nombre de mandats émis permet ainsi
d’illustrer son appréhension par les magistrats. Ceux-ci ne
vont utiliser cette procédure que si elle s’avère rapide à
mettre en œuvre. Sur ces deux points, le bilan du mandat
d’arrêt européen s’avère relativement positif.
Selon la Direction des affaires criminelles et des grâces,
entre 2004 et 2008, 1 012 personnes, dont 291 nationaux,
ont été remises à la France en exécution de mandats d’arrêt
européens tandis que 1 084 personnes, dont 285 nationaux,
ont été remises à des États membres 21. En 2015, les
autorités judiciaires françaises ont émis 1 131 mandats
d’arrêt européens ayant abouti à 129 remises contre
1 070 émissions pour 411 remises en 2014. 844 mandats
d’arrêt européens émis ont été diffusés via le SIS et ont
donné lieu à 468 interpellations dans des États étrangers 22.
L’augmentation du nombre de mandats émis illustre le fait
que les magistrats français se sont emparés de cet outil.
Parallèlement, l’essentiel des mandats d’arrêts européens
reçus par les autorités judiciaires françaises provient
seulement de quelques pays : Roumanie, Pologne,
Espagne, Belgique, Italie, Allemagne, Pays-Bas et Portugal.
La coopération judiciaire n’est ainsi pas uniforme sur
l’ensemble du territoire de l’Union. Un noyau dur d’États
se détache tandis que d’autres ne facilitent pas la mise en
œuvre de la procédure.
De même, demeurent encore des difficultés de traduction
des mandats émis par l’Italie, l’Espagne et le Portugal.
Le principe de proportionnalité est aussi parfois quelque
peu malmené par la Pologne et la Roumanie lorsque
leurs autorités judiciaires émettent, de moins en moins
toutefois, des mandats d’arrêts européens pour des faits
anciens, ou peu graves ou encore dont le quantum de peine
s’avère très faible.
S’agissant de la durée de mise en œuvre, la Commission
européenne a noté en 2011 que la durée moyenne de
remise du suspect est passée de douze mois du temps
de l’extradition à 16 jours en cas de consentement par
l’intéressé à sa remise et à 48 jours en cas de refus 23. En
2015, selon la Direction des affaires criminelles et des
grâces, le délai moyen de remise par les autorités judiciaires
françaises a été de 10 jours lorsque les personnes visées
consentaient à la remise et 17 jours pour les nonconsentants. Ce délai est en baisse puisqu’il était de 14
jours en 2012 et 19 jours en 2014 pour les consentantes et
de 37 jours en 2012 et 34 jours en 2014 pour les personnes
non-consentantes 24.
(19) SUR (S.), 2009, Relations internationales, Paris, Montchrestien – Lextenso éditions, 5e éd., p. 273.
(20) Comm. eur., « La Commission estime que la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen est un succès », Comm. Presse, Bruxelles, 23 févr. 2005,
IP/05/207, p. 1.
(21) Lemoine (P.), 2009, « La jurisprudence de la chambre criminelle en matière de mandat d’arrêt européen », Bulletin d’information de la Cour
de cassation, n° 698, p. 6.
(22) Direction des affaires criminelles et des grâces, Bureau de l’entraide pénale internationale, « Année 2015 : le suivi de l’activité relative au
mandat d’arrêt européen », ministère de la Justice, 2016.
(23) Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la mise en œuvre, depuis 2007, de la décision-cadre du Conseil du 13 juin
2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, Bruxelles, le 11.4.2011 COM (2011) 175 final.
(24) Direction des affaires criminelles et des grâces, préc.
Le mandat d’arrêt européen, succès de l’Europe pénale ? – Gildas ROUSSEL, François-Xavier ROUX-DEMARE
DOSSIER I 45
L’abaissement du temps procédural est ainsi un acquis
majeur du mandat d’arrêt européen et l’un des principaux
arguments en faveur de son utilisation. En outre, selon
une logique vertueuse, plus il est utilisé, plus les magistrats
en maîtrisent l’usage et ainsi en réduisent la durée. Cet
abaissement provient aussi du fait que la procédure de
remise est assez rapide. Par transposition de l’article 17
de la décision-cadre, le Code de procédure pénale met
en place des délais relativement courts afin de garantir la
célérité de mise en œuvre du mandat.
Ainsi, toute personne appréhendée en exécution d’un
mandat d’arrêt européen doit être conduite dans les 48
heures devant le procureur général. Si la personne en
fait la demande, elle est aussitôt transmise à l’autorité
judiciaire compétente de l’État membre d’émission en
application de l’article 695-27. Lorsque la personne est
incarcérée, l’article 695-29 pose un délai de cinq jours
ouvrables à compter de la date de sa présentation au
procureur général pour qu’elle comparaisse devant la
chambre de l’instruction. Ensuite, d’après l’article 695-31,
si la personne consent à sa remise et que les conditions
d’exécution du mandat sont remplies, la chambre doit
statuer dans les sept jours de la comparution. Si elle n’y
consent pas, la chambre doit statuer dans le délai de 20
jours à compter de la date de sa comparution.
La remise est enfin organisée par le procureur général dans
les dix jours suivant la date de la décision définitive de la
chambre de l’instruction. En cas de force majeure, la date
de remise est décalée en accord avec l’État d’émission.
D’après l’article 695-27, la remise doit alors avoir lieu dans
les dix jours suivant la nouvelle date. Ce délai s’applique
aussi, selon l’article 695-38, lorsque la chambre de
l’instruction a ordonné qu’il soit sursis temporairement à
la remise pour des raisons humanitaires sérieuses.
Bien sûr, les délais de pourvoi en cassation s’appliquent.
Toutefois, l’article 695-43 énonce que si, notamment
en cas de pourvoi en cassation, la décision définitive
sur l’exécution du mandat ne peut être rendue dans
le délai de 60 jours à compter de l’arrestation de la
personne recherchée, le procureur général en informe
immédiatement l’autorité judiciaire de l’État membre
d’émission et lui indique les raisons du retard. Le délai
de remise est alors prolongé de 30 jours supplémentaires.
Néanmoins, le nombre de procédures pour lesquelles a
été dépassé le délai maximal de 90 jours pour rendre une
décision définitive sur l’exécution reste non seulement
faible, mais en plus, diminue. Ce nombre est ainsi passé
de 28 en 2014 à 8 en 2015 25.
Le mandat d’arrêt européen permet donc aux autorités
judiciaires nationales de se voir rapidement et directement
remettre par leurs homologues européens des personnes
recherchées pour des infractions graves. Si le succès du
mandat devait se mesurer à l’aulne de cette seule logique,
alors démonstration serait faite de celui-ci mais surtout au
sein d’un nombre restreint d’États et malgré la subsistance
de quelques difficultés matérielles ou procédurales. Le
succès, bien que réel, ne serait donc pas si éclatant.
Toutefois, si le mandat d’arrêt européen est un instrument
d’efficacité judiciaire encore améliorable dans son
utilisation concrète sur le vieux continent, il constitue aussi
un outil d’anticipation de la justice à l’échelle européenne
elle-même.
Un instrument d’anticipation
L’utilisation du mandat se recentre sur un ensemble
restreint d’infractions pour lesquelles, semble-t-il, les
autorités judiciaires estiment indispensables que leur soit
remise la personne recherchée. La gravité de l’infraction
devient un marqueur du mandat d’arrêt européen à
mettre en lien avec le principe de proportionnalité posé
par l’article 2 de la décision-cadre et rappelé dans ses
considérants.
Ainsi, les statistiques du ministère de la Justice français
laissent transparaître que le mandat d’arrêt européen
est plus mobilisé pour certaines infractions que pour
d’autres 26. En 2015, les autorités judiciaires françaises ont
émis principalement des mandats d’arrêt européens en
matière d’infractions graves : infractions à la législation
sur les stupéfiants (108), vols aggravés, destructions et
dégradations (105), homicides et atteintes aux personnes
ayant entraîné la mort (48), infractions à caractère sexuel
(36), terrorisme (25), atteintes aux personnes n’ayant pas
entraîné la mort (21), traite des êtres humains (20), fraude
et corruption (16). S’agissant plus particulièrement du
terrorisme, le parquet de Paris a augmenté de manière
importante ses émissions (+ 69 % entre 2014 et 2015) en
raison de l’intensification de son activité de lutte contre
le terrorisme à la suite des attentats. En cette matière, le
nombre de mandats émis a crû de plus de 140 % en un an
et n’est pas près de diminuer.
(25) Ibid.
(26) Ibid.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
46 I DOSSIER
L’utilisation du mandat d’arrêt européen dans le cadre
de la lutte contre le terrorisme illustre l’efficacité, parfois
même, l’éventuelle « sur-efficacité » de la procédure. La
suppression de la double incrimination associée aux
lacunes persistantes en matière d’harmonisation législative
peut donner lieu à des situations délicates. Celles-ci ont
été stigmatisées par la demande de remise délivrée par
l’Espagne à l’encontre de Mme Aurore Martin, à laquelle
étaient reprochés sa participation à plusieurs réunions
publiques, la rédaction d’un article et un engagement
politique en tant que membre du parti indépendantiste
basque « Batasuna ». Ce parti est interdit côté espagnol
en raison du soutien apporté à l’organisation terroriste
ETA 27, alors que ce parti a une activité légale côté français.
Si en Espagne, elle encourt l’emprisonnement pour
participation à une organisation terroriste, les mêmes
comportements ne font l’objet d’aucune qualification
pénale en France. Malgré tout et dans le respect de la
procédure, Mme Aurore Martin est remise à la justice
espagnole 28. Condamnée à un an et huit mois de prison, elle
n’exécutera pas sa peine à la suite d’un accord judiciaire 29.
L’histoire semble se répéter puisqu’une demande de
mandat d’arrêt européen a été lancée à l’encontre de Mme
Émilie Martin, la sœur de la précédente, pour son rôle
dans une association de soutien aux prisonniers basques.
La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Pau a
refusé, le 18 octobre 2016, la remise, car les faits reprochés
étaient survenus en France 30, usant d’un motif facultatif
de refus.
Il ne s’agit pas de critiquer le mandat d’arrêt européen,
qui montre au contraire son efficacité et sa rapidité avec
des délais de remise courts, ni la collaboration entre les
États qui démontre la réelle confiance mutuelle entre
eux. Néanmoins, des critiques doivent être adressées à
l’absence de définition commune sur des comportements
infractionnels fondamentaux comme le terrorisme. Dans
le cas d’espèce évoqué, il apparaît étonnant qu’un même
parti politique (sauf à considérer qu’il y a deux partis
différents) puisse être interdit dans un pays et autorisé dans
un autre. Cette observation invite les États à poursuivre
le travail d’harmonisation du droit pénal de fond, ce qui
permettra à l’avenir d’étendre la liste des 32 infractions
sans double incrimination à d’autres comportements
infractionnels.
De même, ces affaires font renaître les critiques relatives
à la remise des nationaux. Outre la possibilité de refuser
de façon facultative celle-ci, il semble aujourd’hui tout à
fait justifié de pouvoir remettre un individu auteur d’une
infraction à l’étranger, dès que ce pays respecte les droits
de l’homme. Au contraire, l’impunité résultant d’une
fuite dans son pays serait une possibilité éminemment
critiquable. Le mandat d’arrêt européen est donc « un succès
en termes de remise des nationaux » [Bellet, 2009, p. 148].
Parfois, cette remise est néanmoins refusée, car elle serait
de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux, par
exemple une « atteinte disproportionnée au droit au respect de
sa vie privée et familiale garanti à l’article 8 de la Convention
européenne ». Tel était le cas d’une affaire où un mandat
avait été délivré par les autorités judiciaires allemandes
à l’encontre d’une requérante française, mère élevant
cinq enfants scolarisés, aux fins d’exécution de la peine
de sept mois d’emprisonnement prononcée pour le vol
d’un porte-monnaie contenant quarante euros 31. Les
juridictions nationales sont alors amenées à mettre en
balance les risques pour les droits fondamentaux (vie
privée et familiale, conditions de détention, etc.) avec
la gravité de l’infraction, pour éventuellement refuser la
remise. De telles décisions « montrent que le respect des droits
fondamentaux a une valeur supérieure à toute autre considération »
[Haguenau-Moizard, Gazin et Leblois-Happe, 2016,
p. 112] et que l’efficacité du mandat d’arrêt européen ne
doit pas remettre en cause ces droits. La grande efficacité
du mandat d’arrêt européen trouve alors ses limites dans
la protection des droits de l’homme, ce qui ne peut être
que salué.
Conclusion
L’utilisation du mandat d’arrêt européen démontre la
confiance mutuelle des États européens appartenant à
un unique territoire européen : à l’Europe pénale. Cette
procédure simplifiée de remise remplace la complexe
procédure d’extradition entre les États membres de
l’Union européenne. Elle offre aux autorités judiciaires, qui
y recourent fortement, un cadre d’action efficace, rapide et
strictement encadré. Le mandat d’arrêt européen répond
ainsi à l’Europe de la liberté (notamment de circulation),
mais aussi à l’Europe de la sécurité et de la justice.
Le succès est bien là, même s’il n’est évident que pour
certaines infractions et entre certains États. Le bilan de sa
(27) ETA pour « Euskadi Ta Askatasuna » soit en français « Pays basque et liberté ».
(28) Castex (F.), « Aurore Martin ou les limites du mandat d’arrêt européen », Huffingtonpost, 10 nov. 2012.
(29) « Espagne : la militante basque Aurore Martin évite la prison à la suite d’un accord judiciaire », Le Monde, 13 janv. 2016.
(30) « La Cour d’appel refuse de remettre la militante basque Émilie Martin à l’Espagne », Le Monde, 18 oct. 2016.
(31) Crim., 12 mai 2010, Bull. crim., n° 86, pourvoi n° 10-82.746.
Le mandat d’arrêt européen, succès de l’Europe pénale ? – Gildas ROUSSEL, François-Xavier ROUX-DEMARE
DOSSIER I 47
mise en œuvre laisse entrevoir qu’une fois encore au sein
de l’Union, certains États coopèrent plus que d’autres et
sont prêts à aller un peu plus loin dans l’intégration.
Par conséquent, il est peu probable que le mandat d’arrêt
européen fasse l’objet d’une remise en cause, car celle-ci
signifierait un recul dans la lutte contre la criminalité,
ce que les États pourraient difficilement faire admettre
à leurs opinions publiques. Le succès du mandat d’arrêt
européen tient ainsi beaucoup à ce qu’il est in fine : un outil
pragmatique de lutte contre la délinquance à l’heure de la
mondialisation n
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Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
48 I DOSSIER
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La présomption d’innocence
selon la directive UE 2016/343
du 9 mars 2016 portant
renforcement de certains
aspects de la présomption
d’innocence et du droit
d’assister à son procès dans le
cadre des procédures pénales
Jean PRADEL
E
ncore un texte extranational sur la présomption
d’innocence, avec la directive
de l’Union européenne du 9
mars 2016 ! Il est vrai que le spécialiste
de la procédure pénale commence à
être saturé par l’avalanche de textes sur
ce thème. Longtemps, le silence régna.
Or, à partir du milieu du XXe siècle, les
textes internationaux et européens se
multiplient, comportant au plus deux
lignes, rédigés tous à l’identique et ne
posant qu’un principe. Et l’on peut citer la
Conv. EDH de 1950 en son article 6 § 2 1,
le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques de 1966 en son article
14, la Déclaration universelle des droits
de l’homme de 1945 en son article 11, et
bien sûr l’article 48 de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne de
2000, pour ne citer que les plus connus.
Dès lors pourquoi encore un texte
quand l’Europe en dispose déjà de deux,
la Convention de 1950 et la Charte
de 2000 ? Avant tout, pour une raison
fondamentale : pour assurer le principe de
la reconnaissance mutuelle des jugements
et autres décisions judiciaires nationales,
il faut bien que les systèmes de justice
nationale inspirent un degré élevé de
confiance et de respect des droits de
l’homme en procès. Or, il ne peut en
être ainsi que si s’applique de manière
satisfaisante la présomption d’innocence,
moyen d’éviter des dérives et notamment
des condamnations injustifiées. Le 11
décembre 2009, le Conseil européen
(1) La littérature est considérable, v. par ex. Renucci (J.-F.), Traité de droit européen des droits de l’homme, 2e
éd., LGDJ, 2012, p. 546 et s. ; Pradel (J.), Corstens (G.) et Vermeulen (G.), Droit pénal européen, 3e éd.,
Dalloz, 2009, p. 395 et s.
La présomption d’innocence selon la directive UE 2016/343 – Jean PRADEL
Jean PRADEL
Professeur
émérite de
l’Université
de Poitiers,
ancien juge
d’instruction.
DOSSIER I 49
de la Cour européenne des droits de l’homme 5 », ce qui veut dire
que celle-ci est respectée et peut même servir de point de
départ à la directive. Ensuite, et comme négativement, la
directive ne s’applique ni aux procédures civiles, ni aux
procédures administratives 6.
La grande question est celle du contenu de la directive
et donc de la présomption d’innocence. L’article 1er de la
directive nous renseigne ainsi : « La présente directive établit
des règles minimales communes concernant :
a) certains aspects de la présomption d’innocence dans le cadre des
procédures pénales ;
b) le droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures
pénales ».
Ces deux questions font l’objet d’un chapitre, en réalité le
second 7, intitulé « Présomption d’innocence » qui traite en
réalité des conséquences immédiates attribuées à celle-ci.
Un second chapitre, en réalité le troisième, est intitulé
« Droit d’assister à son procès » et s’attache en vérité à
l’examen des conséquences lointaines de la présomption
d’innocence. Celle-ci est donc le trait commun à toutes
les dispositions de la directive de 2016. On va le vérifier.
soulignait que « la feuille de route adoptée le 30 novembre précédent
n’était pas exhaustive 2 » et « qu’il fallait déterminer d’autres
questions telles que notamment la présomption d’innocence… afin
de promouvoir une meilleure coopération en ce domaine 3 ». D’où
la nécessité pour les autorités européennes de « définir
des règles minimales communes concernant certains aspects de la
présomption d’innocence et le droit pour l’accusé d’assister à son
procès ». C’est ainsi qu’est née la directive du 9 mars 2016,
objet de la présente étude.
Cela rappelé, le domaine de la directive de 2016 est
assez réduit. D’abord, la directive ne s’intéresse qu’aux
personnes physiques 4 dès lors qu’elles sont concernées
par une procédure pénale « sans préjudice de la jurisprudence
Conséquences immédiates
de la présomption d’innocence
Les textes européens et internationaux antérieurs à la
directive de 2016 se contentaient d’affirmer brièvement le
principe de cette présomption. Or, la nouvelle directive –
et c’est là son intérêt lié à sa nouveauté – décline diverses
conséquences, au nombre de deux si l’on veut simplifier
les choses. Il y a bien sûr des conséquences relatives à la
charge de la preuve, ce qui constitue l’aspect traditionnel
de la présomption d’innocence. Mais la directive oblige
aussi les États membres à prendre des mesures de
précaution, qui ne touchent pas directement à la preuve et
qui visent surtout le public 8.
(2) Cette feuille de route visait à renforcer les droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies et comportait plus précisément l’adoption
de mesures relatives à la traduction et à l’interprétation (mesure A), au droit à l’information concernant les droits et l’accusation (mesure B), au
droit à l’assistance d’un avocat (mesure C), au droit à la communication avec les proches, les employeurs et les consuls (mesure D) et à des
garanties particulières pour les suspects et personnes vulnérables (mesure E).
(3) Directive 2016/343, cons. 7.
(4) Le cas des personnes morales pouvant être abordé plus tard, cons. 12 et 13.
(5) Cons. 11.
(6) Cons. 11.
(7) En effet, le chapitrer I s’intitule : « Objet et champ d’application ».
(8) Dans le même esprit, le droit français distingue les mesures destinées à protéger la réputation de la personne impliquée et les mesures d’ordre
probatoire, v. Pradel (J.), Procédure pénale, 18e éd., Cujas, 2015, n° 385 et s.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
50 I DOSSIER
Les mesures de précaution imposées aux
autorités vis-à-vis du public
Sous cette appellation qui ne figure pas expressément dans
le texte de la directive, on peut envisager les références
publiques sur la culpabilité (art. 4) et celles relatives à la
présentation des suspects aux audiences publiques (art. 5).
Au titre des références publiques, le législateur européen
vise l’obligation pour les autorités publiques d’éviter
dans leurs communiqués toute phrase qui pourrait laisser
entendre que la personne est coupable. Selon l’article 4,
1°, « les États membres prennent les mesures nécessaires pour veiller
à ce que les déclarations publiques des autorités publiques… ne
présentent pas un suspect ou une personne poursuivie comme étant
coupable aussi longtemps que sa culpabilité n’a pas été légalement
établie… ». Ce texte vise une pratique assez générale
selon laquelle au début d’une affaire ayant ému l’opinion
publique (un crime de sang atroce, le déraillement d’un
train, l’écrasement d’un avion…), un magistrat, souvent
du parquet, fait un communiqué oral ou écrit à la presse.
Cette pratique présente l’avantage d’informer le public
de ce que fait la justice, voire de lui demander d’aider
la justice. Mais le risque est que le praticien écorche la
présomption d’innocence, même involontairement ou
pour bien faire. D’où l’article 9, 1.
Au titre de la présentation des suspects et des personnes
poursuivies (art. 5 de la directive), les États membres
doivent prendre « les mesures appropriées pour veiller à ce que
les suspects ou les personnes poursuivies ne soient pas présentés à
l’audience ou en public comme étant coupables par le recours à des
mesures de contrainte physique ». Le considérant 20 donne
l’exemple du prévenu qui serait présenté à l’audience
en uniforme de détention, de façon à éviter de donner
l’impression que cette personne est coupable, ce qui
implique la possession de vêtements « civils » par coupable.
On pourrait aussi bien donner l’exemple des menottes : il
faut éviter que la personne arrêtée monte les marches du
Palais de justice menottée.
Les mesures concernant la charge de la
preuve des faits
Jusqu’à la directive de 2016, les textes consacrant la
présomption d’innocence n’apportaient rien de précis sur
la mise en œuvre de la preuve. Deux articles de la directive
donnent quelques détails, l’article 6 sur la charge de la
preuve et l’article 7 sur le droit pour l’accusé de garder le
silence et de ne pas s’incriminer soi-même. Le premier de
ces articles concerne les obligations des magistrats et le
second les droits de l’accusé.
La charge de la preuve
L’article 6, 1° décide que « les États membres veillent à ce
que l’accusation supporte la charge de la preuve visant à établir la
culpabilité des suspects et des personnes poursuivies. Cette disposition
s’entend sans préjudice de toute obligation incombant au juge ou à
la juridiction compétente de rechercher des éléments de preuve tant
à charge qu’à décharge, et sans préjudice du droit de la défense de
présenter des éléments de preuve conformément au droit national
applicable ». Plusieurs remarques s’imposent sur ce texte.
La première est une évidence. C’est au poursuivant de
rapporter la preuve de l’infraction, en fait la culpabilité de
la personne suspecte ou poursuivie. Bien que l’article 6 n’en
dise mot, le poursuivant doit rapporter la preuve de tous
les aspects de la culpabilité, à savoir à la fois le préalable
de l’infraction (absence de prescription, d’amnistie,
d’un fait justificatif), l’élément matériel de l’infraction
(la commission d’un acte interdit et l’imputation de cet
acte à l’accusé) et enfin l’élément moral (intention ou
imprudence 9).
La seconde est que la charge de la preuve ne pèse pas
seulement sur l’accusation en ce que, dans les droits de
tradition inquisitoire, le juge d’instruction ou la juridiction
de jugement participe aussi à la recherche de la preuve à
charge ou à décharge 10. Il y a là, et de façon expresse, la
reconnaissance du système inquisitoire dont le symbole
est représenté par le juge d’instruction. La lecture du
considérant 23 est à cet égard révélateur de la pensée des
rédacteurs puisqu’on y lit : « Dans plusieurs États membres,
non seulement l’accusation, mais aussi les juges et les juridictions
compétentes conservent leur système actuel, à condition qu’ils
respectent la présente directive et les autres dispositions pertinentes
au droit de l’Union et du droit international ».
La France, la Belgique, l’Espagne, et dans une moindre
mesure le Portugal et les Pays-Bas, qui connaissent la
figure du juge d’instruction, sont donc en paix avec la
directive de 2016. Il est bon de le rappeler à l’heure où le
bruit se répand que le droit européen n’est pas favorable
au système inquisitoire, ce qui est faux d’ailleurs.
(9) Pradel (J.), op. cit., n° 392.
(10) Curieusement cette impartialité n’est prévue par la directive que pour les juges alors que dans beaucoup de droits, c’est le poursuivant qui
a la charge de la preuve, et il lui est demandé par la loi d’agir à charge et à décharge ou avec impartialité (par ex. art. 31 C.P.P. français).
La présomption d’innocence selon la directive UE 2016/343 – Jean PRADEL
DOSSIER I 51
La troisième remarque concerne les présomptions de droit
et de fait qui, fréquentes dans plusieurs droits d’Europe,
dispensent le poursuivant (et le juge) de rapporter la preuve
de la culpabilité sauf évidemment le droit de l’accusé de
les combattre. Ce qui est étrange, c’est que l’article 6 de
la directive est muet là-dessus alors que le considérant
22 parle expressément du « recours à des présomptions de fait
ou de droit concernant la responsabilité pénale du suspect ou de la
personne poursuivie », ajoutant certes que « de telles présomptions
devraient être enserrées dans des limites raisonnables, prenant en
compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense…
ces présomptions devraient être réfragables, et en tout état de cause ne
devraient être utilisées que si les droits de la défense sont respectés ».
On croirait relire l’arrêt Salabiaku c./France 11 où il est
écrit que l’article 6 al. 2 « commande aux États d’enserrer les
présomptions dans des limites raisonnables prenant en compte la
gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense ». La CEDH
rappelle ainsi que la présomption de responsabilité n’est
pas irréfragable 12.
La question du droit au silence et de celui de ne
pas s’incriminer soi-même
Cette question est traitée à l’article 7 de la directive 13. On
observera avant tout que la directive distingue les deux
notions, le 1° de l’article 7 décidant que « les suspects et
les personnes poursuivies ont le droit de garder le silence en ce qui
concerne l’infraction pénale qu’ils sont soupçonnés d’avoir commise
ou au titre de laquelle ils sont poursuivis » et le 2° dudit article
ajoute que ces personnes « ont le droit de ne pas s’incriminer
elles-mêmes ». La doctrine ne distingue pas toujours
entre ces deux prérogatives, car elles découlent de la
présomption d’innocence. Or, l’intérêt de la directive de
2016 est d’opérer une distinction. Les considérants 24 et
25 apportent quelque lumière : certes, le premier se borne
à rappeler que le droit de garder le silence « devrait servir
de rempart contre l’auto-incrimination », mais le second,
un peu plus précis, estime que le droit de ne pas s’auto-
incriminer a pour effet que les suspects et personnes
poursuivies « ne devraient pas être forcés, lorsqu’il leur est demandé
de faire des déclarations ou de répondre à des questions, de produire
des preuves ou des documents ou de fournir des informations pouvant
conduire à leur propre incrimination ». Précisions les choses. Le
droit au silence est le droit de ne rien dire à l’enquêteur ou
au magistrat, de se cantonner dans une attitude purement
passive. Le droit de ne pas s’incriminer est plus large : il
inclut certes le droit de rester silencieux, mais s’étend en
outre au droit de ne pas être contraint de produire des
documents « auto-incriminants 14 ». La CEDH a consacré
ces deux droits et spécialement le second pour mettre le
prévenu à l’abri d’une coercition abusive de la part des
autorités et éviter des erreurs judiciaires 15.
Le respect de la présomption d’innocence va au-delà de
ce qui vient d’être dit. Le chapitre B de la directive, titré
« Droit d’assister à son procès » confère à l’accusé un autre
train de mesures, qui indirectement certes, contribuent à
assurer la présomption.
Conséquences lointaines
de la présomption d’innocence
Les rédacteurs de la directive ont redouté que des personnes
soient condamnées in absentia, en leur absence et donc sans
avoir pu s’expliquer. La présomption d’innocence pourrait
alors être transformée en présomption de culpabilité.
Certes, la CEDH a déjà concédé que la présence de l’accusé
n’est pas indispensable devant une juridiction supérieure 16
et même que l’accusé peut renoncer à comparaître 17. Mais
ce sont là des situations très particulières qui n’entament
pas le principe du droit pour tout accusé de pouvoir
assister à son procès 18.
Il a donc fallu, pour mieux assurer le respect de la
présomption, consacrer le droit pour l’accusé d’assister
(11) CEDH, 7 octobre 1988, Série A, n° 141-A ; Revue pénale suisse, 1990, 29, obs. Bouloc ; RTDeur 1989, 167, obs. Cohen-Jonathan ; RSC 1989,
16, obs. Pettiti et Teitgen. Dans le même sens, CEDH 23 juillet 2002, Janosévic c./Suède, n° 34619/97, et 30 juin 2011, Klouvi c./France,
n° 30754/03, D. 2011, 1902, note Bachelet.
(12) CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c. France, série A, n° 243, D. 1993, somm., 386, obs. Renucci.
(13) On notera une tendance chez certains plaideurs à invoquer à tort et à travers par voie de QPC le droit de ne pas s’incriminer, par exemple
pour faire tomber une poursuite pour délit de fuite, au prétendu motif que l’obligation de s’arrêter après implication dans un accident obligeait
le conducteur à s’auto-incriminer ! Rejet de la QPC par la chambre criminelle, l’intéressé gardant le droit de ne pas parler au cours du procès,
Crim., 19 août 2015, n° 15-80.055, Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 50, janvier 2016, obs. V. Peltier, p. 103 et s.
(14) Wattier (I.), Le droit de garder le silence, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit à l’assistance de son avocat, RD
pénal, Bruxelles, 1996, 960 ; Franchimont (M.), Jacobs (A.) et Masset (A.), Manuel de procédure pénale, 3e éd., 2009, Larcier, p. 1025 et s. ;
Vergès (E.), Vial (G.)et Leclerc (O.), Droit de la preuve, PUF, 2015, n° 387.
(15) CEDH, 8 février 1996, John Murray c./Royaume-Uni, n° 1873/91 ; 17 décembre 1996, Saunders c./Royaume-Uni, n° 19187/91.
(16) CEDH, 19 décembre 1989, Kamasinski c./Autriche, RTDH 1991, 231, note J. Callewaert.
(17) CEDH, 16 octobre 2001, Einborn c./France, n° 71555/01, § 33.
(18) CEDH, 21 septembre 1993, Kremzow c./Autriche, n° 12350/86, §§ 67, 69. Ce principe est proclamé par la CEDH alors que l’article 6 Conv.
EDH ne le dit pas expressément.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
52 I DOSSIER
à son procès. De là deux articles, l’article 8 sur le « droit
d’assister à son procès » et l’article 9 sur le « droit à un
nouveau procès » pour le cas où l’accusé n’aurait pas pu
assister à son procès. Sont ainsi posés un principe et une
sanction.
Le principe du droit pour l’accusé
d’assister à son procès
L’intérêt de l’article 8 est de ne pas se contenter d’une
simple affirmation de ce droit. Ce texte, après avoir rappelé
« que les suspects et les personnes poursuivies ont le droit d’assister
à leur procès » (art. 8, 1°), délimite le domaine de ce droit.
Un procès – il s’agit évidemment de la phase de jugement
de celui-ci – peut se tenir en l’absence de l’accusé « pour
autant que… a) le suspect ou la personne poursuivie ait été informé
en temps utile de la tenue du procès et des conséquences d’un défaut
de comparution ; ou b) le suspect ou la personne poursuivie, ayant été
informé de la tenue du procès, soit représenté par un avocat mandaté,
qui a été désigné soit par le suspect ou la personne poursuivie, soit
par l’État » (art. 8, 2°).
D’où la conséquence qu’une décision prise conformément
à ces exigences « peut-être exécutée à l’encontre du suspect ou de
la personne poursuivie… » (art. 8, 3°).
Ce qu’entend exclure formellement la directive, c’est qu’une
personne soit condamnée sans avoir été informée de la
date de son procès. Ce qui tend à rejeter la condamnation
par défaut, où une personne est condamnée sans qu’ait été
rapportée la preuve qu’elle savait la date de son procès. Les
droits de common law excluent le défaut alors que certains
droits européens continentaux l’admettent, comme la
France 19. La question est importante, car la transposition
par la France de cette directive pourrait nous obliger à
supprimer le défaut 20. Or, le jugement par défaut permet
d’obtenir une condamnation et de répondre à la demande
de la victime constituée partie civile : alors l’ordre public
est satisfait et d’autant plus que le tribunal en condamnant
par défaut le prévenu lance un mandat d’arrêt. De plus,
on ne peut pas dire que le défaut est contraire au procès
équitable, car la condamnation n’est pas exécutoire, le
condamné s’il est arrêté peut faire opposition, ce qui
anéantit automatiquement et totalement la décision.
Il nous paraît regrettable que le droit français soit ainsi
condamné. C’est bien ce qu’a compris le législateur
européen. Dans le 4° de l’article 8, selon lequel un procès
peut se tenir en l’absence de l’accusé même s’il n’a pas
été informé de la date de son procès, car il n’a pas été
localisé (il peut être en fuite), il est dit que « dans de tels
cas, les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes
poursuivies, lorsqu’ils sont informés de la décision, en particulier au
moment de leur arrestation, sont également informés de la possibilité
de contester cette décision et de leur droit à un nouveau procès ou
à une autre voie de droit conformément à l’article 9 » (Droit à
un nouveau procès). Le système français échappe donc
à l’existence d’une contradiction avec le droit européen.
On s’en réjouira.
La précision de la directive est utile non seulement en ce
qu’elle sauve le défaut à la française, mais aussi car elle
met de l’ordre dans une jurisprudence européenne qui,
statuant espèce par espèce, manquait de certitude. On
rappellera que la CEDH avait condamné la France dont
la procédure criminelle de contumace excluait l’avocat 21.
Une autre jurisprudence européenne condamnait la
contumace italienne en décidant qu’un condamné ne
saurait être présumé avoir renoncé à comparaître et doit
pouvoir obtenir qu’une juridiction statue à nouveau sur le
bienfondé de l’accusation 22.
L’article 8, 5° évoque le cas particulier de l’accusé qui,
par sa conduite à l’audience, peut justifier la décision
du président de le faire expulser : en effet, « le juge ou la
juridiction compétente peut exclure temporairement du procès un
suspect ou une personne poursuivie si c’est nécessaire dans l’intérêt du
bon déroulement de la procédure pénale, pour autant que les droits de
la défense soient respectés ». Toutes les législations admettent
ce cas d’absence de l’accusé. En droit français, l’accusé
expulsé se voit donner lecture après chaque audience du
procès-verbal des débats (art. 320 al. 2 CPP).
Le droit pour l’accusé d’assister à son procès est donc
largement précisé, y compris avec ses limites. Quelles
conséquences se produisent ? Quelle sanction est prévue
en cas de violation du droit de l’accusé ?
(19) Pradel (J.), 2016, Droit pénal comparé, 4e éd., Dalloz, n° 433.
(20) Entendu d’ailleurs strictement en France, l’article 412 CPP, supposant pour qu’il y ait défaut que la citation n’ait pas été délivrée à la personne
du prévenu, qu’il ne soit pas établi qu’il ait eu connaissance de la décision et que le prévenu n’ait pas comparu.
(21) CEDH, 13 février 2001, Krombach c./France, n° 29731/96, § 89, D. 2001, 3304, note J.-P. Marguénaud ; RSC 2001, 429, obs. F. Massias.
D’ailleurs la France allait modifier sa législation avec la loi du 9 mars 2004 qui supprime la contumace et la remplace par le défaut, art. 379-2
et s. CPP.
(22) CEDH, 12 février 1985, Colozza c./Italie, n° 9024/80, § 29.
La présomption d’innocence selon la directive UE 2016/343 – Jean PRADEL
DOSSIER I 53
La sanction du droit pour l’accusé
d’assister à son procès
Selon l’article 9 de la directive, « les États membres veillent à
ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu’ils n’ont pas
assisté à leur procès et que les conditions prévues à l’article 8 § 2
n’étaient pas réunies, aient le droit à un nouveau procès ou à une
autre voie de droit, permettant une nouvelle appréciation du fond
de l’affaire, y compris l’examen de nouveaux éléments de preuve
et pouvant aboutir à une infirmation de la décision initiale. À cet
égard, les États membres veillent à ce que lesdits suspects et personnes
poursuivies aient le droit d’être présents, de participer effectivement,
conformément aux procédures prévues par le droit national, et
d’exercer les droits de la défense ».
droit de recourir devant un tribunal 23. Le droit de recourir
à un juge est d’autant plus nécessaire dans les situations
envisagées par l’article 8 que la personne poursuivie a pu
ne pas être présente à l’audience initiale.
Conclusion
Ainsi la directive de 2016, sans être révolutionnaire,
confirme ou précise des questions posées par la
présomption d’innocence. Il n’en reste pas moins que
cette présomption reste assez fragile dans la pratique 24 et
c’est sans doute pour cela que l’Union européenne a cru
devoir en réaffirmer la portée n
Le droit à un recours est fondamental dans tous les droits
et bien sûr en droit européen des droits de l’homme. La
CEDH a été amenée à le consacrer par exemple en matière
de procédures simplifiées, et plus spécialement en matière
d’amende forfaitaire quand le condamné se voit refuser le
(23) CEDH, 21 mai 2002, Peltier c./France, n° 32872/96, §§ 34 et 41, RSC 2003, 407, obs. F. Massias.
(24) J. Pradel, La présomption d’innocence : un colosse aux pieds d’argile ? Droit de la France et droits d’ailleurs, Mélanges J.-H. Robert, Lexis-Nexis,
2012, pp. 605 et .
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
54 I DOSSIER
La lutte antiterroriste
dans l’espace pénal
européen
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Mikaël BENILLOUCHE
L’espace pénal européen contient de nombreuses dispositions consacrées à la lutte antiterroriste. Pourtant,
le législateur national préfère souvent, dans un premier temps, agir seul avant, dans un second temps, de
se tourner vers les instances européennes. Ainsi, cet été, suite à l’attentat de Nice, le législateur a prolongé
l’état d’urgence (loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016), alors même qu’une nouvelle réglementation
nationale antiterrorisme venait d’entrer en vigueur.
Or, le contexte des attentats permet de démontrer que non seulement un rapprochement entre les
législations nationales est indispensable, mais également qu’une unification des droits nationaux, sur
certains points de cette lutte, est nécessaire.
S'
il est un paradoxe, c’est bien celui de
la lutte antiterroriste dans l’espace
pénal européen. Si classiquement,
80 % des règles nationales sont
d’origine européenne, il semble que cette
statistique se vérifie difficilement concernant
la matière pénale et encore plus s’agissant du
terrorisme.
En effet, le terrorisme demeure l’une des seules
matières dans lesquelles la souveraineté nationale
est le plus fréquemment mise en avant. Toutefois,
il est vrai que les compétences du droit de l’Union
européenne en matière pénale ont pris leur essor
avec le traité d’Amsterdam de 1999. Dès lors, à
l’inverse d’autres catégories d’infraction, comme
la corruption et le blanchiment pour lesquelles
l’unification semble progressivement succéder à
l’harmonisation, le terrorisme semble connaître
un phénomène inverse, dans la mesure où le droit
interne préfigure le droit de l’Union européenne.
Il reste, néanmoins, possible de constater
l’existence d’une « européanisation » de la lutte
contre le terrorisme, laquelle connaît une vigueur
particulière depuis les attentats du 11 septembre
2001. Ainsi, c’est en réaction directe à ces attentats
que le Conseil de l’Union européenne a adopté la
décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte
contre le terrorisme, modifiée par la décisioncadre 2008/919/JAI du 28 novembre 2008.
Toutefois, dans cet instrument, l’Union
européenne s’est fortement inspiré des droits
internes. Ainsi, comme en droit français, les actes
La lutte antiterroriste dans l’espace pénal européen – Mikaël BENILLOUCHE
DOSSIER I 55
de terrorisme sont déterminés par référence
à une série d’infractions de droit commun
qui deviennent terroristes en raison d’un
paramètre déterminé. Si en droit interne,
il s’agit du mobile terroriste, en droit de
l’Union européenne, cela résulte des moyens
employés et du but poursuivi par l’acte. Plus
encore, est créée une incrimination autonome
d’appartenance à un groupe terroriste ou
de direction d’un tel groupe. Enfin, sont
désignés des comportements préparatoires
au terrorisme pour l’incrimination desquels
les législations nationales doivent souligner
les liens avec le terrorisme.
Le choix pragmatique consistant à désigner
comme terroristes des infractions de droit
commun a facilité la transposition par les États
membres dans la mesure où la criminalisation
des actes est, dès l’adoption de la décision,
pratiquement acquise. Toutefois, s’agissant
des agissements périphériques au terrorisme
à proprement parler, une grande marge
d’appréciation est laissée aux États membres.
Il s’agit d’une forme de pénalisation suivie.
Le droit de l’Union européenne entérine les
droits internes.
Néanmoins, la période récente se caractérise
également par une multiplication des
initiatives de l’Union européenne autour de
textes non contraignants visant à développer
la coopération entre les États membres.
Là encore, certains États sont moteurs
en la matière. En effet, la France est ainsi
à l’initiative de plusieurs mesures comme
la création du passenger name record (PNR)
européen censé compléter le PNR français
ou encore l’adaptation du code frontières
Schengen.
Mikaël BENILLOUCHE
Maître de
conférences HDR
à l’Université
de Picardie.
Il y enseigne
notamment le
droit pénal et
la procédure pénale et dirige la
branche droit pénal du Master 2
droit privé approfondi. Il est
également directeur des études
de SupBarreau.
Par ailleurs, le Parlement européen, dans
une résolution non législative adoptée le
25 novembre 2015, a présenté des propositions afin de lutter contre le terrorisme
et a réaffirmé l’urgente nécessité d’actions
coordonnées par les États membres et
l’Union européenne. Pour ce faire, il encourage l’échange d’informations entre États
membres concernant des points précis :
établissement d’une liste noire européenne
des djihadistes et des djihadistes terroristes
présumés ; définition des combattants
étrangers afin de pouvoir les poursuivre
pénalement à leur retour dans l’UE ; mise
sous contrôle judiciaire ou placement en
rétention administrative de tout combattant
de retour en Europe jusqu’à l’engagement
des poursuites judiciaires ; instauration
de contrôles systématiques aux frontières
extérieures de l’UE.
Pour dissuader les combattants étrangers
potentiels, d’autres mesures sont envisagées
comme la confiscation des passeports et le
gel de leurs avoirs financiers ; la création
de lignes téléphoniques afin que famille
et amis puissent recevoir rapidement de
l’aide en cas de radicalisation d’un proche ;
le renforcement du dialogue interculturel
par le biais des systèmes d’éducation
afin d’empêcher la marginalisation et
d’encourager l’insertion.
Pour prévenir la propagation de l’extrémisme
violent en ligne et dans les prisons, des points
complémentaires sont évoqués comme la
séparation des détenus radicalisés des autres
détenus ou encore l’effacement du contenu
illégal propageant l’extrémisme violent sur
Internet.
Toutes ces propositions constituent autant
d’hypothèses de soft law, de « droit mou »,
non contraignant, visant à faire prendre
conscience aux États de la nécessité de
riposter, de façon concertée, au phénomène.
Pourtant, la riposte au terrorisme est
fréquemment – avant tout – nationale. En
effet, l’émotion face aux actes perpétrés
conduit les gouvernements à adopter, parfois
en urgence, des textes nouveaux allant audelà des exigences européennes et, même
parfois, qui passent sous silence la question
de la conformité de ces dispositions avec le
droit de l’Union européenne.
La lutte antiterroriste dans l’espace pénal
européen est-elle avant tout nationale ? Dans
l’affirmative, quel rôle est dévolu au droit de
l’Union européenne ?
La lutte antiterroriste actuelle est avant
tout d’inspiration nationale, bien que le
droit de l’Union européenne jour un rôle
non négligeable de contrôle des mesures
étatiques.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
56 I DOSSIER
L’inspiration nationale des modes
de lutte contre le terrorisme
Le législateur national est donc à l’origine de l’essentiel
des normes de lutte contre le terrorisme. Ce constat
s’accompagne de celui plus alarmant que les textes sont
davantage des réformes de réaction destinées à apaiser
l’option publique.
Un législateur précurseur
Le droit positif relatif au terrorisme a dû s’adapter.
En droit interne, la période récente a vu l’adoption de
nombreuses lois. Ainsi, la première législation dédiée
spécialement au terrorisme réside dans la loi n° 861020 du 9 septembre 1986 adoptée suite à une vague
d’attentats. Le texte instaure des règles de compétence
dérogatoires à l’instar des cours d’assises sans jury
compétentes pour juger les actes terroristes et aggrave
les sanctions en matière de terrorisme tout en instaurant
un statut de repenti qui permet soit une diminution de la
sanction pénale, soit une absence de sanction selon les
circonstances. Les infractions terroristes sont alors des
infractions de droit commun commises avec un mobile
terroriste. La réglementation relative au terrorisme figure
alors exclusivement dans le Code de procédure pénale
qui le définit. Le nouveau Code pénal ne rompt pas avec
cette analyse, mais insère la définition des infractions
terroristes, jusqu’ici figurant à l’article 706-16 du Code de
procédure pénale, au sein du Livre IV du Code pénal. Si
cette innovation formelle paraît peu importante, il n’en
demeure pas moins que quelques innovations, sur le fond,
attirent l’attention. Ainsi, une infraction spécifique au
terrorisme est créée, à savoir le terrorisme écologique. Les
réformes ultérieures ont progressivement allongé la liste
des infractions terroristes. Ainsi en est-il des lois n° 96647 du 22 juillet 1996, n° 2001-1062 du 15 novembre 2001
et n° 2003-239 du 18 mars 2003 qui ont incriminé à titre
autonome l’association de malfaiteurs en relation avec une
entreprise terroriste, le financement du terrorisme et la
non-justification de ressources correspondant à son train
de vie tout en entretenant des relations habituelles avec
un terroriste. Pour s’adapter au terrorisme, le législateur
est de nouveau intervenu par le biais de lois dédiées, à
savoir la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la
lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses
relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers qui
permet, dans certaines conditions bien spécifiques, une
garde à vue pouvant aller jusqu’à six jours en matière de
terrorisme et la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012
relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme qui
crée notamment un cas de compétence spécifique au
La lutte antiterroriste dans l’espace pénal européen – Mikaël BENILLOUCHE
terrorisme. De plus, la loi n° 2014-1353 du 13 novembre
2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre
le terrorisme crée de nouvelles incriminations comme la
participation individuelle à une entreprise terroriste ainsi
que des dispositions visant à interdire le territoire national.
Enfin, avant que les lois de 2016 ne soient adoptées, la loi
n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement a
légalisé et encadré ces techniques.
Un même constat peut être dressé concernant la loi
n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre
le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et
améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure
pénale qui contient un chapitre incriminant de nouveaux
agissements afin d’améliorer la lutte contre le blanchiment
et le financement du terrorisme. Outre des modifications
du Code des douanes et du Code monétaire et financier, le
législateur a incriminé le trafic de biens culturels soustraits
sur un territoire soumis au terrorisme.
Un législateur réactif
Le législateur national se préoccupe peu des dispositions
du droit de l’Union européenne lorsqu’il intervient.
Plusieurs exemples viennent en attester.
Tout d’abord, s’agissant de l’extension de l’infraction
d’association de malfaiteurs à une action individuelle par
la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014, le législateur
a incriminé certains actes préparatoires, lesquels sont
précisés par le texte d’incrimination. Pourtant, la lecture
du texte laisse transparaître son applicabilité à un « simple
“curieux” consultant des sites internet ». Il n’existe dès lors
aucune certitude de passage à l’acte pour l’auteur de
tels agissements. En conséquence, il est possible de
s’interroger, pourquoi placer ici le prisme de la répression ?
Plus encore, en l’absence de consensus européen, certains
agissements sont réprimés en France sans l’être ailleurs.
Dès lors, ces derniers États constituent autant de pays
refuges pour la commission de ces actes.
Ensuite, cette loi a également transféré de la loi du 29
juillet 1881 sur la liberté de la presse au Code pénal les
délits d’apologie et de provocation au terrorisme afin de
lutter plus efficacement contre la propagande terroriste.
En effet, le régime du droit de la presse s’avère être un
obstacle à la répression en raison de son caractère trop
favorable. Désormais, pour ces infractions, les règles
applicables en matière de criminalité organisée trouvent
à s’appliquer. Pour compléter ces infractions, l’article
12 de la loi du 13 novembre 2014 prévoit la possibilité
d’un blocage administratif des sites internet « provoquant
à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ». Les critiques
DOSSIER I 57
envers ce déplacement ont été nombreuses. Ainsi, la
Commission nationale consultative des droits de l’homme
a notamment relevé que certaines procédures d’urgence
– comme notamment la comparution immédiate et la
comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
– ne sont pas adaptées au contentieux des abus de la
liberté d’expression, dont la complexité et les valeurs en
jeu imposent un traitement plus mesuré.
Plus encore, comment veiller à l’applicabilité de ce
texte alors même que le vecteur de communication des
informations ne connaît pas de frontières ?
Cette difficulté technique est notamment pointée par le
Conseil national du numérique qui indique l’inefficacité
technique du blocage de sites internet. Un consensus
aurait été là encore indispensable. En fonction, les
propos effectués à l’étranger mais accessibles par le biais
d’Internet ne sont pas punissables en France, s’ils ne sont
pas l’œuvre de Français.
Enfin, il n’existe pas de meilleur exemple de cette absence
de prise en compte du droit de l’Union européenne que
le débat sur la déchéance de nationalité. Or, il convient de
relever que selon l’article 20 paragraphe 1er du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne : « [i] l est institué
une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne
ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union
s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ».
Le paragraphe 2 de cette disposition énumère ensuite les
droits qui résultent de cette citoyenneté.
justifié par un intérêt général et respecter un principe de
proportionnalité. La commission d’une infraction semble
correspondre à un intérêt général suffisant. S’agissant de
la proportionnalité de la mesure, elle s’apprécie au regard
des conséquences éventuelles d’une telle mesure sur les
membres de la famille. La gravité de l’infraction, le temps
écoulé depuis l’acquisition de la nationalité et la possibilité
d’en retrouver rapidement une autre sont également pris
en compte.
Par ailleurs, si la déchéance avait été inscrite dans la
Constitution, cela reviendrait pour la Cour de justice
de l’Union européenne à déclencher à nouveau la
« guerre des juges » tant redoutée suite à l’adoption de
la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). En
effet, immédiatement après l’entrée en vigueur de la
QPC, la Cour de cassation avait transmis deux questions
préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne
dont l’une visait à faire reconnaître la supériorité du droit
de l’Union européenne sur le droit constitutionnel. Or,
si en droit de l’Union européenne, cette supériorité est
énoncée, il va différemment en droit interne. Si la Cour de
justice n’avait pas rappelé explicitement cette supériorité,
prônant davantage un « dialogue des juges », elle aurait
l’occasion de contrôler l’application de dispositions
constitutionnelles à l’occasion d’une mesure de déchéance
de nationalité. Dès lors, il serait même envisageable de
considérer qu’un recours en manquement contre le France
soit exercé en la matière… Quoi qu’il en soit, c’est faute
de majorité non en raison d’interrogation autour de la
conformité au droit de l’Union européenne que le projet
de réforme constitutionnelle a été abandonné.
La citoyenneté européenne résulte de la citoyenneté d’un
pays de l’Union européenne. Or, si la citoyenneté nationale
est retirée, il serait logique qu’elle entraîne nécessairement
une perte de la citoyenneté européenne.
Pour autant, si le législateur national intervient souvent
spontanément, le droit de l’Union européenne s’affirme
de plus en plus dans le domaine de la lutte antiterroriste.
Dès lors, la Cour de justice de l’Union européenne
serait compétente pour contrôler la conventionnalité de
la mesure puisque suite à un retrait de nationalité, des
droits conventionnellement garantis seraient également
supprimés.
La consécration européenne
des formes de lutte contre le
terrorisme
Plus encore, si la Cour de justice affirme avec constance
que la définition des cas d’acquisition et de perte de la
nationalité relève de la compétence de chaque État
membre, elle ajoute que cette compétence doit s’exercer
dans le respect du droit de l’Union et notamment des droits
attachés à la qualité de citoyen européen. Une privation par
un État membre de la nationalité d’un de ses nationaux
équivaudrait à une perte de la citoyenneté européenne
et pourrait être déférée à la Cour de justice. La Cour de
justice a estimé qu’un retrait de nationalité devait être
Le droit de l’Union européenne intervient que ce soit tant
en raison du constat d’une nécessité pratique que pour
contrôler la légitimité du droit national.
Une nécessité pratique
Le droit de l’Union européenne a accompagné et même
initié le mouvement de pénalisation d’agissements
terroristes sur certains points.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
58 I DOSSIER
Le droit français ne s’était pas orienté dans cette direction
estimant qu’il s’agissait là d’actes préparatoires.
Ainsi, le droit de l’Union européenne s’est attaqué
relativement tôt au financement du terrorisme. Ont ainsi
été édictées des mesures restrictives aux mouvements de
capitaux.
En effet, le terrorisme ne dispose pas de réseaux de
financement propres, les terroristes ont donc recours aux
réseaux classiques de financement d’une activité criminelle,
notamment les réseaux de la criminalité financière et plus
précisément du blanchiment. Longtemps, la lutte contre le
financement du terrorisme a pris la forme de la lutte contre
les formes classiques du soutien au terrorisme. L’Union
européenne a donc adopté la recommandation du Conseil
du 9 décembre 1999 sur la coopération en matière de lutte
contre le financement du terrorisme 1999/C 373/01 ainsi
que la position commune 2001/154/PESC du Conseil
du 26 février 2001 concernant des mesures restrictives
supplémentaires à l’encontre des talibans, permettant
d’assurer le gel des avoirs des terroristes.
Puis, les États membres ont décidé de mettre en œuvre
collectivement les mesures de gel des avoirs imposées
par la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations
unies, par le recours aux instruments combinés du premier
et du deuxième pilier de l’Union européenne. La position
commune 2001/931/PESC du 27 décembre 2001 relative
à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter
contre le terrorisme impose le gel des fonds de personnes
à l’encontre desquelles est ouverte une enquête en matière
terroriste, et qui sont énumérées par une liste. La mise en
œuvre de cette disposition est assurée par le règlement
2580/2001/CE du Conseil du 27 décembre 2001
concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques
à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre
de la lutte contre le terrorisme. Ce règlement impose des
obligations aux organismes bancaires dans le cadre de la
lutte contre le financement du terrorisme, notamment
le gel des fonds de personnes répertoriées dans une
liste. Cette liste résulte d’une décision adoptée par le
Conseil dans le cadre du premier pilier communautaire,
la décision 2001/927/CE du Conseil du 27 décembre
2001 établissant la liste concernant l’adoption de mesures
restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes
et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Cette liste est régulièrement mise à jour et notamment par
la position commune 2008/347/PESC du Conseil du 29
avril 2008 mettant à jour la position commune 2001/931/
PESC. À côté de ces instruments a été adoptée une
position commune à vocation plus générale n° 2001/930
PESC du 27 décembre 2001 relative à la lutte contre le
terrorisme. Son article 1er impose aux États membres
La lutte antiterroriste dans l’espace pénal européen – Mikaël BENILLOUCHE
d’ériger en crime « la fourniture ou la collecte délibérée par
des citoyens ou sur le territoire de chacun des États membres de
l’Union européenne, par quelque moyen que ce soit, directement
ou indirectement, de fonds que l’on prévoit d’utiliser, ou dont on
sait qu’ils seront utilisés, pour perpétrer des actes de terrorisme ».
Enfin, depuis le 26 octobre 2005, les outils européens de
lutte contre le financement du terrorisme sont complétés
par la directive 2005/60/CE relative à la prévention de
l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment
de capitaux et du financement du terrorisme modifiée par
la directive 2008/20/CE du 11 mars 2008.
Le droit interne reprend ces dispositions au sein des
articles L. 562-1 et suivants du Code monétaire et financier.
Plus encore, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant
la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur
financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de
la procédure pénale qui contient à la fois des dispositions
nationales relatives au terrorisme, mais également la
prévision d’adoption d’une ordonnance afin de transposer
la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et
du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de
l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment
de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant
le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen
et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du
Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/
CE de la Commission et adopter toute mesure de
coordination et d’adaptation rendue nécessaire en vue de
rendre plus efficace la législation relative à la lutte contre le
blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
ainsi que de définir les modalités d’assujettissement aux
mesures de prévention du blanchiment de capitaux et du
financement du terrorisme, de contrôle et de sanction de
certaines professions et catégories d’entreprises autres que
les entités mentionnées à l’article 2 de la directive (UE)
2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai
2015. Cette transposition a été effectuée par l’ordonnance
n° 2016-1635 du 1er décembre 2016.
Sous l’impulsion du droit de l’Union européenne, le
législateur se dirige vers une pénalisation d’autres actes
préparatoires.
Ainsi, la transposition de la décision-cadre de l’Union
européenne relative à la lutte contre le terrorisme a
conduit à punir certaines tentatives de participation à une
association de terroristes. En son article 2, la décisioncadre exige en effet qu’une différence répressive soit
respectée entre la participation à un groupement terroriste
et l’organisation d’un tel groupement. Par la loi du 9
mars 2004, le législateur a intégré cette distinction en
droit interne : la direction d’un groupement terroriste est
depuis lors un crime. Le mouvement de criminalisation a
DOSSIER I 59
été poursuivi par la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006. Par
le jeu d’une nouvelle circonstance aggravante, cette loi a
criminalisé certains comportements de participation à un
groupement terroriste. Désormais, une peine de réclusion
criminelle est encourue pour toute participation à une
association établie en vue de préparer un ou plusieurs
crimes contre la vie, l’intégrité ou la liberté des personnes
– visé à l’article 421-1-1° du Code pénal –, une ou plusieurs
destructions par substances explosives ou incendiaires ou
encore un acte de terrorisme écologique lorsqu’ils sont
susceptibles d’entraîner la mort. Tenter de participer ou
d’organiser l’un de ces groupements est donc punissable.
Seule échappe à la répression la tentative de participation à
un groupement ayant pour but de commettre des atteintes
aux biens ne présentant aucun danger pour les personnes.
Le droit de l’Union européenne est donc susceptible
de jouer son rôle d’appel au droit national, même s’il se
manifeste essentiellement en neutralisant le droit national.
Une légitimité théorique
Le droit de l’Union européenne est susceptible de
neutraliser certaines dispositions nationales jugées trop
excessives.
La loi du 13 novembre 2014 a créé une interdiction
administrative du territoire national. La procédure repose
sur une décision du ministre de l’Intérieur. La violation
de l’interdiction est constitutive d’une infraction pénale,
faisant encourir une peine de trois ans d’emprisonnement.
De même, le statut de réfugié est susceptible d’être retiré
pour des raisons qui tiennent à la sécurité publique. La
Cour de justice a eu l’occasion de préciser les conditions
de révocation d’un titre de séjour accordé à un réfugié
pour des motifs de protection de la sécurité publique.
En effet, selon l’article 21 paragraphe 3 de la directive
« qualification », lorsque cela ne leur est pas interdit
en vertu de leurs obligations internationales, les États
membres « peuvent refuser d’octroyer un titre de séjour à un réfugié
qui entre dans le champ d’application [de l’article 21, paragraphe
2], le révoquer, y mettre fin ou refuser de le renouveler ».
La Cour estime que c’est à titre implicite que la directive
2004/83/CE autorise l’État membre concerné à révoquer
un titre de séjour accordé à un réfugié lorsqu’il existe des
raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre
public.
Selon la Cour, il est exclu que la simple mention sur une
liste de personnes soupçonnées de terrorisme suffise
à priver un réfugié de son titre de séjour. La juridiction
de renvoi doit donc examiner le rôle qu’a effectivement
joué l’intéressé dans le cadre de son soutien à une
organisation terroriste, en recherchant notamment s’il
a lui-même commis des actes de terrorisme ou aidé à
les commettre. La simple participation à des réunions
légales et à la célébration du nouvel an kurde, ainsi qu’à la
collecte de dons pour cette organisation n’implique pas,
nécessairement, que l’auteur de ces actes aurait soutenu la
légitimité d’activités terroristes.
Le dispositif est complété, sur le territoire français, et à
l’égard des étrangers soumis, dans l’attente de l’exécution
d’une peine d’interdiction du territoire ou d’une procédure
d’expulsion, à une mesure d’assignation à résidence, par la
possibilité, pour le ministre de l’Intérieur, de compléter
cette assignation d’une interdiction d’entrer en relation,
directement ou indirectement, avec certaines personnes
désignées, dont le comportement est lié à des activités
terroristes. L’interdiction est possible « si la préservation
de la sécurité publique l’exige ». Elle est prononcée par le
ministre de l’Intérieur. La violation de cette interdiction
est également constitutive du délit incriminé par l’article
L. 624-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et
du droit d’asile.
La Cour considère donc que les soupçons d’appartenance
à une mouvance terroriste doivent être étayés. Il en est
de même s’agissant des mesures liées au renseignement,
lesquelles doivent être fondées sur la dangerosité
potentielle d’une situation. L’indice sur lequel reposent
ces soupçons doit être établi. Ainsi, la Cour de justice de
l’Union européenne a invalidé la directive 2006/24 en
condamnant le principe d’une collecte indifférenciée des
données personnelles pour lesquelles il n’existe « aucun
indice de nature à laisser penser que leur comportement
puisse avoir un lien, même indirect ou lointain, avec
des infractions graves », car, ce faisant, l’ingérence
dans la vie privée n’était pas « précisément encadrée
par des dispositions permettant de garantir qu’elle est
effectivement limitée au strict nécessaire ».
Aucune décision de la Cour de justice de l’Union
européenne ne porte sur ce point, certainement en raison
de son caractère récent. En effet, une partie de la doctrine
s’interroge sur le point de savoir si l’interdiction d’entrer
en contact ne devrait pas résulter d’une décision de justice,
non du ministre.
Toujours dans le même sens, la Cour de justice de l’Union
européenne a également invalidé le dispositif du Safe
Harbor qui permettait le transfert de données de l’Europe
vers les États-Unis sur le fondement d’un mécanisme
d’auto-certification. L’accès général et incontrôlé des
autorités publiques américaines aux données des citoyens
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
60 I DOSSIER
européens pour des raisons sécuritaires, accès dont
l’ampleur a été révélée par Edward Snowden, viole, selon
la Cour, les droits garantis par la Charte européenne des
droits fondamentaux.
L’Union européenne joue, dans ces différentes hypothèses,
un rôle de neutralisation des applications excessives des
textes nationaux. Elle définit des limites communes aux
différentes législations, sans pour autant que celles-ci ne
tendent à l’unification.
La lutte antiterroriste est porteuse de nombreux enjeux
sécuritaires. L’émoi suscité par chaque attentat conduit
systématiquement le législateur national à intervenir
afin de renforcer la sécurité par la création de nouvelles
incriminations. Ce « réflexe » est bien évidemment
légitime, mais il n’en est pas moins dangereux. En effet,
cette multiplication de textes nationaux adoptés sans
concertation préalable conduit à des infractions imprécises
souvent peu efficaces. Il ne semble pas que les pouvoirs
publics s’interrogent suffisamment sur les modalités
La lutte antiterroriste dans l’espace pénal européen – Mikaël BENILLOUCHE
d’application des textes adoptés. Bien évidemment,
les États européens manifestent leur adhésion à une
harmonisation des techniques de lutte, mais ce réflexe
souverainiste nuit à la cohérence des législations. Il
semble aujourd’hui inconcevable de ne pas chercher à
unifier les droits sur des questions aussi fondamentales
dans la mesure où le terrorisme est désormais une menace
européenne et nécessite donc une réponse commune,
concertée et cohérente. Cette unification doit à la fois
être procédurale et fondamentale, porter sur la définition
des infractions, des peines et des moyens de les faire
appliquer…
S’agissant des citoyens européens, il faut faire preuve
de pédagogie, il faut expliquer que cette unification est
destinée à rendre la lutte plus efficace. Dès lors, l’Europe
retrouvera sa vocation en devenant véritablement un gage
de sécurité et donc de liberté aux yeux de tous… n
DOSSIER I 61
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Le droit européen antiterroriste :
notes en marge d’une fuite
en avant
Maria Luisa CESONI
L
es attentats contre des victimes
civiles se multiplient dans le
monde, qu’on soit en paix, comme
au sein de l’Union européenne
(UE), ou en guerre sur une partie du
territoire, comme en Irak ou en Syrie. Les
frontières se brouillent pourtant, car les
pays européens touchés par les attentats
participent aux conflits du Proche-Orient.
Aussi, une organisation telle que Daech ne
se limite pas à combattre pour un territoire,
mais vise aussi l’exportation de la violence
par les actions de ses membres et de ses
sympathisants.
Outre la compassion pour les victimes et
l’espoir que les civils soient enfin protégés,
on ressent une forte inquiétude. Celle-ci est
Maria Luisa CESONI
Professeur à la Faculté de
droit et de criminologie,
Université catholique de
Louvain.
renforcée par le phénomène des jeunes qui
partent en Syrie ou en Irak pour des motifs
qui nous interpellent et des objectifs qui
nous échappent souvent. Une inquiétude
certaine est aussi engendrée, pourtant, par
les politiques développées pour contrer ces
phénomènes.
En effet, les moyens mis en œuvre par
l’UE et ses États membres dans le but de
prévenir de tels attentats posent problème :
leur nécessité est sujette à discussion et leur
proportionnalité aucunement démontrée,
alors que leur efficacité est douteuse et
la mise en danger des droits et libertés
qu’ils entraînent, avérée. La proposition de
directive européenne relative à la lutte contre
le terrorisme 1, déposée par la Commission
européenne et qui fait actuellement l’objet
d’une procédure législative ordinaire, rend
indispensable d’affronter ces questions 2.
(1) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant
la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme, COM (2015) 625 final du
2 décembre 2015.
(2) Cet article a été rédigé durant un séjour au Liban destiné à d’autres activités et éloigné de mes ressources
documentaires. Je m’excuse auprès des collègues dont je n’ai pu consulter les travaux.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
62 I DOSSIER
Nous nous limiterons, cependant, aux règles de droit
pénal matériel, afin de délimiter notre champ d’analyse.
En effet, les décisions-cadres de 2002 et de 2008 avaient
déjà introduit de nombreuses incriminations en matière de
terrorisme. La proposition de directive les reprend et vise
à les compléter, notamment « compte tenu de l’évolution des
menaces terroristes » et « de façon à couvrir de manière plus complète
les comportements liés, en particulier, aux combattants terroristes
étrangers » (consid. 5).
L’effet de percolation :
qui est le législateur ?
Dans sa proposition de directive, la Commission invoque
les obligations juridiques de l’Union et des États membres
en vertu du droit international (consid. 5). En effet, de
nombreuses infractions prévues par la proposition,
dont certaines issues de la décision-cadre du 13 juin
2002 3, dérivent de textes supranationaux 4. Un tel effet
de percolation nous paraît entraver l’identification du
législateur véritable et, par conséquent, la détermination
du législateur (il)légitime.
Le principe de légalité des infractions et des peines, que
la Commission des libertés civiles (dorénavant LIBE)
du Parlement européen évoque dans son rapport du 12
juillet 2016 sur la proposition de directive 5, est un principe
général du droit international. Il est établi par l’article 7 de
la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)
et déclaré indérogeable dans son article 15.2, ainsi que par
l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. Il participe des traditions constitutionnelles
communes aux pays membres de l’UE 6 et constituait,
déjà, un principe général du droit reconnu par la Cour
de justice 7, avant d’être formalisé par l’article 49 de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
qui consacre aussi le principe général de proportionnalité
des délits et des peines. Il convient de souligner qu’il relève
de l’acquis communautaire que non seulement les États
membres, mais aussi les institutions européennes doivent
respecter 8.
S’il est si important, c’est que le principe de légalité
constitue le socle du droit pénal 9 visant à en assurer un
caractère démocratique. En effet, outre imposer la clarté
de la loi pénale, afin que ses termes « permettent à chacun
de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est
punissable ou non 10 », ce principe attribue la compétence
en matière pénale au pouvoir législatif, précisément, car
il s’agit d’une « assemblée délibérante, démocratiquement élue 11 ».
Le Parlement est, en principe, le seul à pouvoir décider de
l’incrimination de certains comportements 12.
Le déplacement progressif de la création du droit pénal
au niveau supranational, qui se produit dans l’Union
européenne depuis bientôt deux décennies 13, doit donc
être examiné d’un double point de vue : l’identification
de l’institution qui exerce le rôle de législateur, et la
vérification du respect du principe de légalité. Or, si
l’attribution de la création des normes pénales matérielles
en codécision au Parlement européen et au Conseil a
(3) Décision-cadre 2002/475/JAI du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme (JOCE, L 164 du 22 juin 2002, p. 3), ainsi que modifiée
par la décision-cadre 2008/919/JAI du Conseil de l’Union Européenne du 28 novembre 2008 (JOUE, L 330 du 9 décembre 2008, p. 21).
(4) Notamment, le protocole additionnel à la convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme du 22 octobre 2015 et la résolution
2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations unies.
(5) Parlement européen, Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, Rapport sur la proposition de directive du Parlement
européen et du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil relative à la lutte contre
le terrorisme (COM (2015) 0625 – C8-0386/2015 – 2015/0281 (COD)) du 12 juillet 2016.
(6) CJCE, arrêt du 12 décembre 1996, Procédures pénales contre X, aff. C-74/95 et C-129/95, Rec., 1996, p. I-6609, § 25. Ce principe,
caractéristique des systèmes juridiques romano-germaniques, a été progressivement intégré par des pays de common law, même en dehors des
frontières européennes (Gallant (K.S.), 2009, The principle of legality in international and comparative criminal law, Cambridge, Cambridge
University Press).
(7) CJCE, arrêt du 12 décembre 1996, Procédures pénales contre X, aff. C-74/95 et C-129/95, Rec., 1996, p. I-6609, § 2.
(8) Pradel (J.), Corstens (G.), 2002, Droit pénal européen, Paris, Dalloz.
(9) Le principe de légalité apparaît comme l’un des piliers du droit pénal (Verdussen (M.), 1995, Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal,
Bruxelles, Bruylant, p. 37).
(10) Cour d’arbitrage de Belgique (actuelle Cour constitutionnelle), arrêt n° 158 du 20 octobre 2004, B.5.4.
(11) « B.5.3. En attribuant au pouvoir législatif la compétence, d’une part, de déterminer dans quels cas et dans quelle forme des poursuites pénales
sont possibles, d’autre part, d’adopter une loi en vertu de laquelle une peine peut être établie et appliquée, les [dispositions instituant le principe
de légalité] garantissent à tout citoyen qu’aucun comportement ne sera punissable et qu’aucune peine ne sera infligée qu’en vertu de règles
adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue » (Ibid.).
(12) Tramontano (L.), 2004, Il Codice penale spiegato, Piacenza, La Tribuna. Cf. aussi les arrêts de la Cour de cassation (5655/1984, rv 164856)
et de la Cour constitutionnelle (487 du 25 octobre 1989, Giur. const., 1989, I, p. 2267) italiennes.
(13) Ce mouvement a été institutionnalisé en 1997 et développé depuis 1999 par l’application du traité d’Amsterdam qui a introduit les décisionscadre dans le troisième pilier européen.
Le droit européen antiterroriste : notes en marge d’une fuite en avant – Maria Luisa CESONI
DOSSIER I 63
constitué un pas en avant au regard de l’octroi de cette et non de moyens 15, mais les dispositions risquent d’être
compétence au seul Conseil, qui régissait l’adoption des reproduites de manière littérale, comme l’a fait la Belgique
décisions-cadres, l’intervention de ce
pour les décisions-cadres susvisées.
dernier – c’est-à-dire des représentants
des pouvoirs exécutifs nationaux – dans
Le problème de la violation du
la procédure de décision laisse persister
principe de légalité se pose encore
Le Conseil de
un écart par rapport au respect du
plus radicalement lorsque la norme
principe de légalité. De surcroît, depuis
pénale, introduite dans une directive
l’Europe qui œuvre,
quelques actes législatifs, et pour une
européenne, découle d’une résolution
depuis sa création,
partie conséquente des dispositions du
du Conseil de sécurité 16. Cet organe,
pour le respect des
projet de directive sur le terrorisme, le
politique et non représentatif, s’est
droits fondamentaux
législateur européen devient l’exécutant
autoattribué une compétence en
a adhéré à une
de décisions prises dans des enceintes
matière pénale dont il ne dispose pas.
vision instrumentale
plus larges, notamment le Conseil de
Des internationalistes relèvent que la
du droit pénal,
sécurité des Nations unies et le Conseil
lutte contre le terrorisme lui en a fourni
auquel il a dédié
de l’Europe (qui reproduit, à son tour,
l’occasion, et notamment la résolution
un certain nombre
certaines initiatives du premier).
1373 du 28 septembre 2001, par
de conventions
laquelle le Conseil a imposé l’obligation
Le Conseil de l’Europe qui œuvre,
d’adopter des incriminations en droit
internationales.
depuis sa création, pour le respect des
interne dont il a défini le contenu ;
La production de
droits fondamentaux a adhéré à une
ils tendent à exclure, cependant, que
ces conventions
vision instrumentale du droit pénal,
le Conseil de sécurité puisse agir
est essentiellement
auquel il a dédié un certain nombre
tel un législateur et s’en déclarent
l’œuvre de
de conventions internationales. La
préoccupés 17.
représentants des
14
production de ces conventions
pouvoirs exécutifs
est essentiellement l’œuvre de
Bien que le Conseil, en détenant un
assistés par des
représentants des pouvoirs exécutifs
pouvoir de crise, dispose d’une large
experts.
assistés par des experts. Le respect
compétence discrétionnaire 18, il nous
du principe de légalité impose ainsi,
paraît que les pouvoirs en matière de
nécessairement, de passer par les
maintien de la paix et de la sécurité
Parlements nationaux pour les
internationales, que lui octroie le
transposer en droit interne. Bien que ces derniers se chapitre VII de la Charte des Nations unies, ne permettent
limitent parfois (voire souvent ?) à décider de la ratification pas le recours au droit pénal. Cette compétence, que la
et transposition du texte supranational, sans véritablement Charte n’énonce pas, ne peut pas non plus être justifiée sur
discuter de son contenu, ils ont néanmoins la possibilité la base des théories destinées à élargir les compétences des
de développer un débat démocratique et d’émettre des organisations supranationales au-delà de celles attribuées
réserves à l’égard de certaines dispositions, voire de par leurs traités fondateurs. En effet, la théorie des
refuser la ratification. Ce pouvoir est mis à mal à l’égard compétences ou pouvoirs implicites – qu’une organisation
des normes reproduites dans une directive européenne, internationale pourrait s’attribuer elle-même si nécessaires
que les États membres sont obligés de transposer sous à l’exercice de ses fonctions – nous paraît inapplicable
peine d’une procédure en infraction. Certes, le texte en matière pénale, précisément en raison du principe de
pourrait être modifié lors de sa transposition, dès lors que légalité, qui ne permet pas qu’un organe politique s’arroge
cet instrument européen impose une obligation de résultat une telle compétence19.
(14) Qu’elles soient adoptées au sein du Conseil de l’Europe ou des Nations unies.
(15) Art. 288 TFUE.
(16) Encore plus grave est la référence aux normes du Groupe d’action financière (GAFI) comme source d’obligation incriminatrice, effectuée par
la Commission (proposition de directive, cit., p. 12).
(17) Klein (P.), 2007, « Le Conseil de sécurité et la lutte contre le terrorisme : dans l’exercice de pouvoirs toujours plus grands ? », Revue québécoise
de droit international, Hors-série, p. 133-147. Denis (C.), 2004, Le pouvoir normatif du Conseil de sécurité des Nations unies : portée et limites,
Bruxelles, Bruylant.
(18) Weckel (P.), 1991, « Le chapitre VII de la Charte et son application par le Conseil de sécurité », Annuaire français de droit international, n°37,
p. 165-202.
(19) Il est d’ailleurs difficile de prétendre que l’exercice de compétences pénales est nécessaire pour l’exercice des compétences propres du Conseil
de sécurité.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
64 I DOSSIER
La théorie de la pratique subséquente, permettant
qu’une pratique d’un organisme international dépassant
ses compétences soit validée par la suite par ses États
membres, nous paraît tout aussi inapplicable. D’une part,
plusieurs États ont officiellement déclaré, en diverses
occasions, leur opposition à l’accroissement des pouvoirs
du Conseil de sécurité en matière pénale 20. D’autre part,
une telle validation a posteriori de dispositions pénales nous
paraît difficile à concilier avec l’esprit, sinon avec la lettre,
du principe de légalité. Partant, en imposant aux pays
membres d’adopter des dispositions pénales, le Conseil
agit ultra vires, et le recours au chapitre VII de la Charte,
qui caractérise aussi la résolution 2178 (2014), sert la
volonté de donner effet obligatoire à ses décisions.
Comment accepter, dès lors, dans un espace politique qui
se prétend démocratique, que les Parlements nationaux
entérinent par percolation, et sans véritable discussion
contradictoire pouvant conduire à leur modification, voire
à leur rejet, des dispositions pénales imposées par directive
européenne, mais émanant d’un organe des Nations unies,
qui en établit le contenu de manière arbitraire suivant une
logique politique ?
Des infractions imprécises,
voire immatérielles
Le principe de légalité est aussi mis en échec par la
multiplication d’incriminations qui ne présentent pas les
caractères de clarté et de précision imposés pour que leur
application soit prévisible.
Certaines infractions reprises des décisions-cadres ou
nouvellement proposées par le projet de directive ne font
qu’aggraver ce problème, en éloignant toujours plus le
comportement sanctionné de tout passage à l’acte violent,
voire en créant des incriminations qui ne reposent que sur
l’élément moral.
L’article 15 du projet de directive affirme d’ailleurs (dans
toutes les versions actuellement proposées) que, pour
qu’une infraction relative au groupe terroriste ou liée à des
activités terroristes soit punissable, il n’est pas nécessaire
qu’une infraction terroriste soit effectivement commise,
pas plus qu’il n’est nécessaire d’établir un lien avec une
autre infraction spécifique visée par la directive (les
infractions concernées différant dans ce deuxième cas 21 ).
La première génération d’infractions
La définition des infractions terroristes par la décisioncadre de 2002 a été fortement critiquée d’emblée,
notamment par plusieurs parlementaires européens 22 et
par de très nombreux juristes 23, qui ont souligné le risque
de son application à des formes d’opposition politique
légitimes. Sa transposition littérale en Belgique a induit les
défenseurs des droits de l’homme à déposer un recours
en annulation pour violation du principe de légalité,
malheureusement éconduit par la Cour constitutionnelle –
avec des arguments fort faibles en l’occurrence, dont le fait
que certains termes contestés sont repris de la décisioncadre de 2002 24. Pourtant, la Cour constitutionnelle
allemande, par exemple, a décidé d’annuler une loi de
transposition d’une décision-cadre, car certaines de ses
dispositions étaient contraires à la loi fondamentale 25.
En 2009, l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter
rappelait que même le réseau d’experts indépendants mis
en place par la Commission européenne avait épinglé
l’imprécision de la définition du terrorisme figurant
dans la décision-cadre de 2002, qui comporte un risque
(20) Cf., par exemple, les déclarations émises par les États qui se sont abstenus lors du vote de la résolution 1757(2007) qui a créé le Tribunal
spécial pour le Liban (UN Doc. S/PV.5685 du 30 mai 2007). Des réticences similaires ont été exprimées à l’égard des résolutions instituant
les TPI pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda.
(21) Cf. Council of European Union, Follow up of the third trilogue of 28 September 2016, Brussels, 30 September 2016, Interinstitutional File:
2015/0281 (COD).
(22) « Europe: vers l'état d'exception ? », Le Monde, 29 novembre 2001.
(23) Cf. l’appel « Les droits démocratiques ne doivent pas devenir les dommages collatéraux de la guerre contre le terrorisme » (http://www.neueeinheit.com/mixed/terror/appeal.pdf; cons. 31.10.16).
(24) Cour d’arbitrage, arrêt n° 125 du 13 juillet 2005, B.3.1 et B.3.2. La Cour reconnaît, par ailleurs, que la définition de l’élément intentionnel de
l’infraction terroriste « pourrait dans certains cas donner lieu à des difficultés d’interprétation » ; difficulté qu’elle balaie sur la base du caractère
de gravité nécessaire des infractions, qui amènera le juge à « apprécier cette intention […] en considération des éléments objectifs constitutifs
de chaque infraction, en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire » (B.7.2).
(25) Tout en soulignant la nécessité d’adopter une nouvelle loi afin de respecter les obligations européennes, la Cour souligne le devoir du législateur
de transposer les actes européens de manière à respecter les principes constitutionnels (Judgment of the Second Senate of 18 July 2005, 2
BvR 2236/04, “European Arrest Warrant Act case”, http://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/EN/2005/07/
rs20050718_2bvr223604en.html;jsessionid=C7A3E7B0DEA981A2D559CB406231D3F9.2_cid383, cons. 31.10.16).
Le droit européen antiterroriste : notes en marge d’une fuite en avant – Maria Luisa CESONI
DOSSIER I 65
d’atteinte au principe de légalité des délits et des peines
inscrit à l’article 7 CEDH 26.
Cette incrimination a été, néanmoins, reprise telle quelle
dans la proposition de directive (art. 3), et modifiée très
marginalement par LIBE, qui parfois restreint (ce que le
Conseil conteste), parfois élargit son contenu 27.
Quant aux infractions relatives au groupe terroriste
(art. 2, c) et d) et art. 4 prop. dir.), toujours issues de la
même décision-cadre, leur lien avec des actes matériels de
terrorisme peut s’avérer très indirect, puisque la définition
se fonde uniquement sur l’existence d’un groupe – peu
structuré le cas échéant – et sur le « projet terroriste »
que celui-ci se propose de réaliser, mais dont la mise
en œuvre effective est indifférente. C’est sur cette seule
base que le dirigeant pourra être condamné. En ce qui
concerne le participant, le libellé reste substantiellement
inchangé 28 et conserve la particularité (témoignant
d’une technique législative défaillante ou d’une volonté
d’allégement excessif du fardeau de la preuve) de noyer
un élément matériel essentiel au sein de l’élément moral
de l’infraction. En effet, l’auteur de l’infraction doit
savoir que sa participation, consistant en des activités
le cas échéant anodines (fournir des informations par
exemple), contribuera aux activités criminelles (mais pas
nécessairement terroristes) du groupe terroriste : cela doit
donc effectivement être le cas, ce qui ne relève pas de la
volonté, mais constitue une caractéristique de l’acte qui
devra, par conséquent, être prouvée en tant que telle.
Notons, enfin, que suite au dernier dialogue
interinstitutionnel, on propose un élargissement
supplémentaire de la portée de ces deux infractions par
l’incrimination spécifique de leur « planification 29 ».
L’incitation publique au terrorisme
Parmi la deuxième génération d’infractions – le
recrutement, la formation et l’incitation au terrorisme –,
c’est surtout cette dernière qui retiendra notre attention.
La proposition de directive reprend, dans son article 5, le
libellé de l’incrimination introduite par la décision-cadre
de 2008. Il s’agit de la diffusion d’un message préconisant,
directement ou non, la commission d’infractions terroristes
et créant le risque qu’une de ces infractions puisse être
commise, avec l’intention d’inciter à la commission d’un
tel type d’infractions. Cette incrimination avait pourtant
fait l’objet de critiques très radicales non seulement parmi
les praticiens du droit et les défenseurs des droits de
l’homme 30, mais aussi dans les milieux universitaires, qui
ont dénoncé une atteinte grave à la liberté d’expression 31.
On a souligné, en effet, que l’incrimination de la
diffusion d’un message qui préconiserait indirectement la
commission d’infractions terroristes, et qui se limiterait à
créer le risque qu’une telle infraction puisse être commise,
fait reposer l’infraction sur le seul élément moral. Or, de
quelle manière le juge parviendra-t-il à dévoiler le contenu
implicite du message ? Comment déterminer le risque
engendré par un message qui n’est pas explicite ? Un tel
exercice ne peut qu’amener à des spéculations subjectives.
Dès lors, non seulement la présomption d’innocence,
mais aussi la liberté d’expression sont mises en danger 32.
L’insécurité juridique créée par une telle infraction est
indéniable.
L’exemple ajouté par le Conseil – « indirectly such as by
the glorification of terrorist acts » ne fait qu’augmenter la
confusion, en mélangeant incitation et apologie du
terrorisme, ce que font d’ailleurs la Commission et LIBE
dans le considérant 7 du projet de directive. Notons que
même le Secrétaire général des Nations unies a considéré
que l’incitation et l’apologie (glorification) doivent être
(26) Sénat de France, session ordinaire 2008-2009, Rapport d’information établi au nom de la Commission des affaires européennes sur l’Union
européenne et les droits de l’Homme, Annexe au procès-verbal de la séance du 4 mars 2009, http://www.senat.fr/rap/r08-246/r08-2460.
html (cons. 31.10.16).
(27) Cf. notamment les articles 3.1,b, et 3.2.i, d’une part, et l’article 3,2,b et g, d’autre part.
(28) LIBE introduit, cependant, un élément d’extra-territorialité (« que ces activités aient lieu dans un État membre ou dans un autre pays. »).
(29) Cf. Council of European Union, Follow up of the third trilogue… cit., p. 3. Nous ne disposons pas du texte de la rencontre suivante, qui devait
se tenir le 11 octobre 2016.
(30) Un recours en annulation a été introduit devant la Cour constitutionnelle belge qui l’a, une fois de plus, rejeté sur la base d’arguments qui ne
démontrent pourtant pas la clarté de la disposition : notamment, l’exigence d’un dol spécial qui doit être prouvé (Arrêt n° 9 du 28 janvier
2015, B.17.1).
(31) « Quand la lutte contre le terrorisme se transforme en censure », carte blanche publiée dans le quotidien belge Le Soir du 5 septembre 2013
(disponible sur http://www.liguedh.be/2013/1810-quand-la-lutte-contre-le-terrorisme-se-transforme-en-censure, cons. 31.10.16).
(32) Cela ne relève pas de la pure hypothèse d’école. En 2007, deux chercheurs allemands ont été poursuivis pour appartenance à une association
terroriste, et l’un d’eux incarcéré, essentiellement, car ils ont employé, dans leurs articles, des termes qu’un groupe d’activistes avait aussi utilisés
(cf. « Déclaration contre la criminalisation d’une science engagée à l’esprit critique », signée par des universitaires de nombreux pays,
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20070822.OBS1617/la-petition-de-soutien-a-andrej-holm.html, cons. 31.10.16).
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
66 I DOSSIER
distinctes et que la seconde ne doit pas être réprimée 33. Le
recours à des termes flous tels que l’apologie/glorification,
la justification ou l’encouragement du terrorisme a été
plus généralement critiqué 34.
On a constaté, d’ailleurs, une certaine réticence des États
membres à l’égard de l’étendue de cette incrimination
lors de la transposition de la décision-cadre de 2008. En
automne 2014, une majorité d’États avait choisi de recourir
soit aux dispositions générales en matière de provocation ou
d’incitation, soit à la facilitation ou au soutien d’infractions
terroristes ou, encore, d’incriminer la provocation publique,
mais seulement lorsqu’elle est directe 35.
Il faut apprécier, par conséquent, deux éléments de
l’amendement 61 proposé par LIBE. Ce dernier a éliminé
toute référence à l’incitation indirecte 36 et a qualifié
de « concret » le risque de perpétration d’une infraction
terroriste engendré par l’incitation. LIBE propose, par
ailleurs, d’introduire un considérant affirmant qu’« aucune
disposition de la présente directive ne saurait être interprétée comme
visant à restreindre ou à entraver la diffusion d’informations pour
l’expression d’une opinion ou à des fins scientifiques, universitaires
ou d’information, ainsi que l’expression d’opinions polémiques
ou controversées dans le cadre d’un débat public sur des questions
politiques sensibles » (amend. 45).
Une telle évolution positive, qui prend en compte les
critiques portées à l’égard de la disposition de 2008, n’est
toutefois pas acquise. Le Conseil souhaite maintenir une
référence explicite à l’incitation indirecte. Il réclame le
respect des termes de la décision-cadre en tant qu’acquis
communautaire et de la Convention du Conseil de
l’Europe sur la prévention du terrorisme 37. Nous avons,
ici, un exemple flagrant des graves conséquences d’un
processus législatif non démocratique : le Conseil
considère que le Parlement – c’est-à-dire l’organe électif
qui nous représente – ne peut pas réviser dans le sens d’un
meilleur respect des droits fondamentaux une disposition
législative que le Conseil avait lui-même créée.
Les voyages à des fins de terrorisme
Quant aux infractions que la proposition de directive vise
à introduire pour la première fois dans le droit européen,
l’incrimination des voyages à l’étranger à des fins de
terrorisme (art. 9) nous inquiète aussi fortement.
Cette infraction consiste, dans la proposition initiale, dans
le fait de se rendre dans un autre pays afin de commettre
une infraction terroriste ou d’y contribuer, de participer
aux activités d’un groupe terroriste ou de dispenser ou
recevoir un entraînement au terrorisme.
LIBE et le Conseil reprennent l’élément intentionnel
requis pour la participation au groupe terroriste (en
sachant que cette participation contribuera aux activités
criminelles du groupe). LIBE ajoute une condition qui
semble restrictive, mais qui ne fait qu’énoncer un principe
fondateur du droit de la preuve dans les États de droit : il
faudra prouver la finalité du voyage de manière objective 38.
Une telle infraction, envisagée dans une visée préventive
pour « endiguer le flux de combattants terroristes étrangers »
(consid. 8), fait intervenir la sanction pénale en amont de
tout acte délictueux matériel – LIBE précisant, d’ailleurs,
qu’il « n’est pas indispensable d’ériger en infraction pénale le fait
de voyager en tant que tel 39 » (amend. 19). Le comportement
matériel visé par l’infraction (voyager) étant en soi légitime,
cela revient à créer un délit d’intention, pourtant banni du
droit pénal depuis plus de deux siècles.
L’infraction similaire adoptée en Belgique avait, d’ailleurs,
inquiété le Conseil d’État, dès lors qu’elle se situe « à la frontière
du matériel et de l’intentionnel en ce qu’un acte banal comme celui de
voyager ou de se déplacer est incriminé s’il est accompli dans une certaine
intention 40 ». Des préoccupations ont aussi été exprimées par
les États membres de l’UE à l'égard de l’incrimination des
voyages à un stade si précoce et éloigné de toute infraction
terroriste, mais aucune modification de l’article 9, envisagée
actuellement, ne permet d’être rassuré 41.
(33) UN General Assembly, The protection of human rights and fundamental freedoms while countering terrorism, Report of the Secretary-General,
A/63/337, 28 August 2008, para. 61.
(34) UN Human Rights Committee, General Comment 34, CCPR/C/GC/34, 12 September 2011, para. 46 ; OSCE, Joint declarations of the
representatives of intergovernmental bodies to protect free media and expression, 13 February 2013, p. 51 et 63.
(35) Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la mise en œuvre de la décision-cadre 2008/919/JAI du Conseil du 28
novembre 2008 modifiant la décision-cadre 2002/475/JAI relative à la lutte contre le terrorisme, COM(2014) 554 final du 5 septembre
2014, p. 6.
(36) Le Parlement pourrait toutefois abandonner cette option, cf. Council of European Union, Follow up of the third trilogue…, cit., p. 53-54.
(37) Cf. Council of European Union, Exchange of views on the LIBE orientation vote of 4 July 2016, Brussels, 15 July 2016 ; Interinstitutional File :
2015/0281 (COD).
(38) Le Parlement précise, dans son amendement 19, que « le fait de voyager devrait être érigé en infraction pénale en vertu de conditions strictes et
uniquement s’il est prouvé, à partir de circonstances objectives, que l’intention du voyageur relève du terrorisme».
(39) Ce qui ne nous rassure pas quant à l’évolution possible du droit pénal antiterroriste.
(40) Doc. parl., Chambre, 2014-2015, doc. 54-1198/001, p. 17.
(41) Cf. Council of European Union, Follow up of the third trilogue…, cit., p. 2-3.
Le droit européen antiterroriste : notes en marge d’une fuite en avant – Maria Luisa CESONI
DOSSIER I 67
On a relevé, en doctrine, que le fait que c’est uniquement
l’intention de l’auteur qui permettra de déterminer si
l’action posée est illégale « ne manquera pas de soulever
d’importants problèmes de preuve, d’autant plus que le comportement
sera punissable “indépendamment de la réalisation ou non de
l’infraction terroriste” 42 ».
Un risque important de violation de la présomption
d’innocence et de renversement de la charge de la
preuve est ainsi à souligner. Par exemple, le profil socioculturel d’une personne et sa destination pourraient être
considérés comme suffisant à « prouver la finalité du voyage de
manière objective », et l’accusé condamné s’il n’apporte pas la
preuve de la licéité du but de son voyage 43.
circuler d’un individu sur la base d’une intention qui peutêtre de facto présumée, comme le font les incriminations
examinées, apparaît clairement disproportionné.
La vision du droit pénal (européen) qui ressort de l’analyse
des dispositions législatives et de la lecture de l’exposé
des motifs de la proposition de directive et du rapport de
la commission LIBE est indéniablement instrumentale :
l’essentiel est d’agir pour montrer qu’on protège les citoyens,
et le respect des droits fondamentaux, pourtant affirmé,
devient la victime collatérale de la lutte – ou « la guerre »
– contre le terrorisme. C’est donc paradoxalement que ce
processus pourrait mettre à l’écart le droit des conflits armés.
Également problématique et difficile à prouver est la
toute nouvelle incrimination de celui qui organise ou
facilite des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme
« en sachant que l’aide apportée a pour but de servir à la réalisation
d’un tel objectif » (art. 10 prop. dir.). Une fois l’intention du
voyageur qualifiée de délictueuse, ne risque-t-on pas de
condamner le « facilitateur » sur la base d’une présomption
de connaissance et, donc, d’un simple comportement qui
n’est pourtant pas, en soi, illicite ?
Le recours à la rhétorique
Restreindre les droits
fondamentaux : une pratique
instrumentale
On constate, pourtant, que la Commission ne fait
qu’énoncer des formules rhétoriques sans démontrer la
nécessité des incriminations proposées. Celle-ci découlerait
du fait que les récents attentats en Europe montrent que
« ce risque peut se matérialiser, d’où la nécessité de durcir la riposte
au niveau de l’UE » et que « l’établissement de dispositions de droit
pénal national plus cohérentes, complètes et harmonisées est nécessaire
dans l’ensemble de l’Union pour prévenir et poursuivre de manière
efficace les infractions liées à la présence de combattants terroristes
étrangers », ainsi que du constat de « failles considérables dans
la réponse apportée par la justice pénale 47 ».
Plusieurs droits et libertés fondamentaux sont mis en
danger par le projet de directive ; notamment ceux qui
entourent le droit pénal, ainsi que la liberté d’expression
et d’association 44. La libre circulation des personnes,
principe fondamental de l’ordre juridique de l’Union
européenne, est aussi limitée. Il est vrai que la plupart de
ces droits et libertés peuvent souffrir d’exceptions, mais
une telle nécessité doit être prouvée (ce qui n’est pas le
cas, comme nous le verrons) et les restrictions doivent être
proportionnées. Or, entraver la liberté de s’exprimer ou de
La commission LIBE affirme que « le principe de légalité exige
que la législation pénale soit précise et prévisible. En conséquence,
il est très important de faire de la nécessité et de la proportionnalité
des principes directeurs de la mise en œuvre et de l’application
concrète 45 ». La Commission considère que sa proposition
« définit le champ des infractions pénales en vue de couvrir tous les
comportements concernés, tout en le limitant à ce qui est nécessaire
et proportionné 46 ».
Cependant, la nécessité des nouvelles incriminations a
été mise en question dès l’adoption de la décision-cadre
de 2002 48. En effet, les actes matériels sont généralement
déjà sanctionnés par des infractions de droit commun,
(42) Beernaert (M.-A.), 2015 « Renforcement de l’arsenal législatif antiterroriste : entre symboles et prévention », Journal des Tribunaux, n° 6626,
p. 833-836 (p. 834).
(43) Le Conseil d’État belge invitait à « une vigilance particulière [qui] s’impose à toutes les étapes de la chaîne pénale afin d’éviter que l’infraction
se voie attribuer un champ d’application trop large. […]. À cet égard, on ne peut avoir recours à de simples présomptions ayant trait à des
stéréotypes (concernant l’origine, les convictions, ou le passé (judiciaire) de la personne) ou à la destination du voyage » (Doc. parl., Chambre,
2014-2015, doc. 54-1198/001, p. 17).
(44) Cf. l’avis du Conseil d’État belge à l’égard des dispositions nationales correspondantes (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, doc. 53 2502/001,
p. 28).
(45) Parlement européen, op. cit., p. 61 ; voyez aussi l’amendement 94.
(46) Proposition de directive, cit., p. 12.
(47) Proposition de directive, cit., p. 3, 4 et 7.
(48) Cesoni (M.L.), 2002, « Terrorisme et involutions démocratiques », Revue de droit pénal et de criminologie, février, p. 141-153.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
68 I DOSSIER
et la participation à un groupe terroriste peut être punie
au moyen des infractions relatives à l’association de
malfaiteurs voire à l’organisation criminelle, dont l’UE a
imposé l’adoption aux États membres 49.
Si les incriminations adoptées en 2008 ou proposées
actuellement couvrent des comportements qui n’étaient
pas déjà punis en tant que tels, leur nécessité est mise en
doute par la réalité des récents attentats et des relatives
enquêtes, la difficulté consistant en l’incapacité de prévenir
les attentats et non pas d’en sanctionner les auteurs,
finalité par nature des incriminations.
Notons, par ailleurs, que LIBE renchérit en préconisant
d’envisager des infractions supplémentaires, en raison du
« renforcement de la convergence et du lien entre le terrorisme et la
criminalité organisée » (amend. 23), ce qui aboutirait à une
redondance certaine avec les infractions existantes en
matière d’organisation criminelle et de blanchiment d’argent.
Quant à la proportionnalité, ce principe est énoncé par la
Commission dans un paragraphe dédié, qui ne comporte
toutefois aucune justification substantielle. Affirmer que
la directive proposée « est limitée à ce qui est nécessaire et
proportionné pour, d’une part, mettre en œuvre des obligations et des
normes internationales […] et, d’autre part, adapter les infractions
terroristes existantes aux nouvelles menaces terroristes […] 50 » ne
prouve en rien le respect de ce principe.
Au contraire, le principe de proportionnalité est bafoué
aussi bien par l’aggravation des peines emportée par
la qualification de l’acte comme terroriste (comment
hiérarchiser la gravité d’un infanticide et celle d'un
assassinat dans un attentat, par exemple ?) que par
l’anticipation progressive de la sanction pénale en deçà de
tout acte dommageable 51.
Par ailleurs, l’invocation de la gravité de la menace
est parfois décalée, et la rhétorique de la lutte contre
le terrorisme repose sur le postulat de l’efficacité de
l’intervention pénale.
En effet, d’une part, la Commission affirme que « les
actes de terrorisme constituent l’une des violations les plus graves
des valeurs universelles de dignité humaine,
de liberté, d’égalité et de solidarité, de
Si les incriminations
jouissance des droits de l’homme et des
adoptées en 2008
libertés fondamentales, et l’une des atteintes
ou proposées
les plus graves aux principes de la démocratie
actuellement
et de l’état de droit 52 ». Or, les attentats
couvrent des
terroristes portent indéniablement
comportements qui
atteinte au droit à la vie, fondamental
n’étaient pas déjà
s’il en est ; en revanche, le respect des
autres droits évoqués est le devoir
punis en tant que
des États, et la décision d’affaiblir les
tels, leur nécessité est
principes de la démocratie et l’État
mise en doute par
de droit est un choix délibéré de ces
la réalité des récents
derniers dans leur politique de lutte
attentats et des
contre le terrorisme. Quant à LIBE,
relatives enquêtes, la
après avoir affirmé – ce qui relève de
difficulté consistant
l’évidence – que le danger des réseaux
en l’incapacité
terroristes est réel et que les attentats
de prévenir les
laissent des stigmates profonds, elle
attentats et non pas
se réfère à « la cruauté des organisations
terroristes et la compétition brutale à laquelle
d’en sanctionner
elles se livrent », en évoquant les migrants
les auteurs, finalité
obligés à fuir le terrorisme dans leur
par nature des
pays et qui se retrouvent, ainsi, à la
incriminations.
merci de réseaux criminels 53. Outre
confondre dans une seule phrase
terrorisme, guerre et crime organisé,
une telle instrumentalisation du problème des réfugiés aux
fins du développement de la répression pénale apparaît
choquante au regard du sort qui leur est fait en Europe.
D’autre part, LIBE affirme que « les mesures visant à
lutter contre le terrorisme ne seront pleinement efficaces que
lorsqu’elles seront accompagnées d’un arsenal efficace, dissuasif
et articulé de mesures de justice pénale » et que, ce faisant, « les
États membres se doteront des outils nécessaires à l’éviction de la
radicalisation terroriste de citoyens européens et du phénomène des
combattants étrangers » (amend. 13, nous soulignons). Des
termes similaires sont employés par la Commission.
Toutefois, la preuve de cette efficacité n’a jamais été
donnée 54. D’ailleurs, il ne faut pas se méprendre sur la
référence à une « évaluation » des changements introduits
par la décision-cadre de 2008 concluant « que ces derniers
(49) Décision-cadre 2008/841/JAI du Conseil du 24 octobre 2008 relative à la lutte contre la criminalité organisée, JOUE, L 300 du 11 novembre
2008, p. 42.
(50) Proposition de directive, cit., p. 12.
(51) Si l’on considère, suivant l’enseignement de Beccaria, que les peines doivent être proportionnelles au dommage causé par l’infraction, il n’y a
pas de place pour des peines s’appliquant de manière préventive.
(52) Proposition de directive, cit., p. 2.
(53) Parlement européen, op. cit., p. 60.
(54) Les propos d’une ancienne présidente du syndicat de la magistrature français lors du projet de première décision-cadre sur le terrorisme sont toujours
d’actualité : « Une législation d’exception va donc désormais s’appliquer dans toute l’Europe à des personnes soupçonnées d’actes terroristes,
comme celle dont s’est dotée la France depuis 1986, avec le manque d’efficacité que l’on sait » (Evelyne Sire-Marin, L'antiterrorisme contre le droit,
Libération (en ligne) 2 octobre 2001, http://www.liberation.fr/tribune/2001/10/02/l-antiterrorisme-contre-le-droit_378966 (cons. 31.10.16)).
Le droit européen antiterroriste : notes en marge d’une fuite en avant – Maria Luisa CESONI
DOSSIER I 69
étaient pertinents et efficaces au regard des objectifs visés 55 », car
l’évaluation des mesures antiterroristes effectuée par la
Commission se limite à vérifier si et de quelle manière
les États membres ont transposé les dispositions
européennes 56.
Il faut relever, par conséquent, que les incriminations –
objet de la proposition de directive, sous couvert de la
recherche de leur effectivité – semblent exercer surtout une
fonction instrumentale de deux points de vue. D’une part,
soutenir le développement de dispositifs procéduraux,
éventuellement administratifs. La Commission affirme,
par exemple, que des dispositions harmonisées sont
nécessaires pour apporter une réponse appropriée aux
difficultés pratiques et juridiques accrues qui se posent
au niveau transfrontière 57. D’autre part, neutraliser
toute opposition efficace à l’égard de l’introduction de
dispositions qui limitent les droits fondamentaux de
manière excessive et non justifiée. Une telle approche
instrumentale, qui pervertit le rapport entre droit pénal
matériel et procédural, permet ainsi de faire accepter la
violation des droits et libertés fondamentaux 58.
Évoquer les droits fondamentaux ne
garantit pas leur respect
Depuis longtemps, la Cour de justice européenne considère que le respect des droits de l’homme est une condition de la légalité des actes communautaires 59 et que les
mesures incompatibles avec le respect de ces droits sont
inadmissibles 60. En 2011, le Parlement européen avait
appelé la Commission à proposer des amendements à la
décision-cadre de 2002 (telle que modifiée en 2008) « afin
de renforcer la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales 61 ».
L’exposé des motifs et le considérant 19 – mais aucune
disposition – de la proposition de directive, ainsi que
divers considérants et nouveaux articles proposés par
LIBE, contiennent de multiples évocations du respect des
droits fondamentaux en général (amend. 42, 94, 97) ou
spécifiques (liberté d’expression, amend. 45 et 96 ; droits
procéduraux, amend. 44).
Ces nombreux garde-fous pourraient apparaître
satisfaisants. Cependant, l’évocation des exceptions qui
peuvent être faites non seulement pour des motifs de
sécurité nationale (notion indéterminée, qui autorise de
trop larges dérogations), de guerre ou de menace contre la
vie de la nation, mais aussi « de politique publique » (amend.
42) est extrêmement inquiétante. Par ailleurs, comment
peut-on sauvegarder les droits et libertés fondamentaux
lors de la transposition et de la mise en œuvre de la future
directive, lorsque leurs restrictions proviennent du texte
même de celle-ci ? Il ne suffit pas d’affirmer à plusieurs
reprises la nécessité de la protection de ces droits et libertés
pour qu’elle devienne une réalité, dès lors qu’aucune
révision des infractions visant à les rendre compatibles
avec ceux-ci n’a eu lieu 62. Une telle énonciation apparaît
donc inconsistante et l’examen des dispositions proposées
mène à craindre que l’affirmation de LIBE : « Si les citoyens
européens ne peuvent plus se sentir en sécurité dans leur pays, la
stabilité de la société est en danger et doit être rétablie par tous les
moyens juridiques possibles 63 » fasse primer la recherche
à tout prix du résultat sur le respect des droits et libertés
fondamentaux.
Un espoir peut-être placé dans les cours supérieures
nationales. Mais on peut constater que, dès lors que
la menace est perçue comme grave, certaines cours
constitutionnelles tendent à accepter des entorses aux droits
fondamentaux qui n’ont pas de justification véritable, en
s’alignant ainsi, de manière implicite, sur une philosophie
malencontreuse de la fin qui justifie les moyens 64.
(55) Proposition de directive, cit., p. 12
(56) Cf. par exemple le Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil, cit.
(57) Proposition de directive, cit., p. 4.
(58) Pour une analyse de ce processus cf. Cesoni (M.L.), Roth (R.), 1998, « L’entraide internationale, moteur de l’évolution du droit pénal ? », in
Cartuyvels (Y.) et al. (Eds.), Politique, police et justice au bord du futur, Paris, L’Harmattan.
(59) CJCE, avis du 28 mars 1996, Adhésion de la Communauté à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
2/94, § 6.
(60) CJCE, arrêt du 29 mai 1997, F. Kremzov c. Republik Österreich, aff. C-299/95, Rec., 1997, p. I-2629, § 14.
(61) Résolution du Parlement européen du 14 décembre 2011, 2010/2311(INI).
(62) Une note critique déplorant la violation du principe de légalité et une interférence avec les droits de l’homme arbitraire, disproportionnée et
discriminatoire a été rédigée par diverses organisations (Joint submission by Amnesty International, the International Commission of Jurists, and
the Open Society Justice Initiative and the Open Society European Policy Institute, February 2016, p. 1, https://www.opensocietyfoundations.
org/sites/default/files/submission-ec-terrorism-directive-20160219.PDF (cons. 4.11.16)).
(63) Parlement européen, op. cit., p. 59 (nous soulignons).
(64) Outre les exemples déjà mentionnés, cf. Cesoni (M.L.), 2015, « Principe d’égalité et de non-discrimination : un contrôle de constitutionnalité
moins rigoureux en matière pénale ? », Revue de droit pénal et de criminologie, janvier, p. 81-95.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
70 I DOSSIER
Il en découle la nécessité impérative d’un arrêt de cette
fuite en avant législative, qui permette d’effectuer une
réelle évaluation, fondée sur une étude de cas, de l’impact
des dispositions existantes sur les droits fondamentaux,
réclamée depuis longtemps par des organisations de
protection des droits de l’homme 65.
soulignent la doctrine 68 et le Comité international de la
Croix-Rouge. En effet, le droit humanitaire s’applique
indépendamment de la légalité du recours à la force
armée et des motivations et des objectifs des parties 69 ; or,
qualifier de crimes de terrorisme (au sens du droit pénal
commun) des actes qui ne sont pas interdits par le DIH
risque de « dissuader les groupes armés non étatiques parties à un
conflit armé non international de respecter cette branche du droit 70 ».
Éviter la confusion de registres
Enfin, sans pouvoir développer ici cette thématique
complexe, il faut souligner l’importance d’effectuer une
distinction claire entre les champs d’application respectifs
du droit pénal du temps de paix et du droit international
humanitaire (DIH), qui régit les situations de conflit
armé et dont les violations graves sont sanctionnées
pénalement, au niveau international et dans un nombre
croissant de pays 66.
Or, la Commission n’a pas repris la clause d’exclusion des
activités des forces armées en période de conflit armé
du champ d’application de la directive, clause pourtant
prévue par la décision-cadre de 2002 (consid. 11) et que
LIBE propose de réintroduire indirectement, en affirmant
que la directive ne modifie pas les obligations découlant
du droit international, y compris du droit international
humanitaire (amend. 14 et 94). Cependant, une clause
d’exclusion explicite devrait faire l’objet d’une disposition
de droit positif, précisant par ailleurs qu’elle s’applique
aussi aux conflits armés non internationaux – caractère
prédominant des guerres contemporaines –, en raison de
l’incertitude qui caractériserait autrement son application
et de l’exercice difficile de qualification du conflit qu’elle
imposerait aux juridictions pénales.
À défaut d’une telle distinction, la superposition
problématique des deux ordres juridiques risque de
déforcer le DIH dans son objectif de limiter les méthodes
et moyens qui peuvent être employés pour combattre, afin
de les soumettre aux exigences d’humanité 67, comme le
Conclusion
L’affirmation de l’établissement de « règles minimales »
concernant la définition des infractions par la proposition
de directive relative à la lutte contre le terrorisme (art. 1er)
est paradoxale. Telle que complétée par les propositions
de la commission LIBE du Parlement européen, celle-ci
comporte un élargissement significatif de la portée du
droit pénal matériel en cette matière 71. L’affirmation de
la volonté de protéger prend, en effet, une coloration fort
répressive, sinon guerrière 72. Ainsi, bien que l’objectif de
l’Union soit d’offrir aux citoyens « un espace de liberté, de
sécurité et de justice » (art. 3 TUE et 67 TFUE), l’espace de
sécurité se développe clairement au détriment de l’espace
de liberté, mais aussi de l’espace de justice, puisque
plusieurs des incriminations en voie de confirmation ou
d’adoption s’appliquent sur la base de simples indices et
d’intentions difficiles à établir.
Du point de vue des gouvernements européens, le recours
aux législations pénales offre un double avantage : un effet
d’annonce producteur de consensus et un élargissement
du pouvoir de l’exécutif. Ce deuxième résultat est renforcé
par les mesures nationales de contrôle administratif, qui
ont amené des magistrats français à dénoncer la mise à
l’écart du pouvoir judiciaire 73 après avoir affirmé, avec les
défenseurs des droits de l’homme, que « les citoyens ne doivent
pas se méprendre : nul n’est à l’abri, car, en fait de lutte contre le
terrorisme, les mesures envisagées portent gravement atteinte aux
(65) LIBE préconise, d’ailleurs, l’évaluation des effets disproportionnés ou discriminatoires (amend. 99) et, plus généralement, de l’incidence de la
directive sur les droits et libertés fondamentaux et l’État de droit, mais seulement après l’adoption de celle-ci (amend. 100).
(66) Il faut, d’ailleurs, être cohérent : si l’on affirme que l’on est en « guerre » contre le terrorisme, comme l’a fait le Président français Hollande, ce
sont alors les règles du DIH qui s’appliquent.
(67) Pasquier (A.), 2001, « Action humanitaire : une légitimité en action ? », Revue internationale de la Croix-Rouge, n°842, p. 311-321.
(68) Cf., entre autres, Venet (O.), 2010, « Infractions terroristes et droit humanitaire : l’article 141bis du Code pénal », Journal des tribunaux, n° 6387,
p. 169-172 ; Deprez (C.), Wittorski (I.), 2015, « Des combattants qui n’en sont pas vraiment : les européens partis se battre en Syrie et en Irak
vus par le droit international humanitaire » in Jacobs (A.), Flore (D.), (dir.), Les combattants européens en Syrie, Paris, L’Harmattan.
(69) Deprez (C.), Wittorski (I.), op. cit. ; David (E.), 2002, Principes de droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant.
(70) XXXIIe conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 8-10 décembre 2015, Le droit international humanitaire et les défis
posés par les conflits armés contemporains, Rapport établi par le CICR, p. 23.
(71) Pour une analyse critique de ces élargissements cf. notamment Joint submission by Amnesty International…, op. cit.
(72) Dans le double sens de la « guerre » au terrorisme en Europe et des interventions armées à l’étranger.
(73) Lors du débat sur la mise en œuvre de l’état d’urgence en France.
Le droit européen antiterroriste : notes en marge d’une fuite en avant – Maria Luisa CESONI
DOSSIER I 71
libertés fondamentales de tous et dénaturent une société qui bascule
dans la suspicion et la surveillance généralisées 74. »
Pourtant, la Commission elle-même évoque la résolution
2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations unies (que
la proposition de directive vise à entériner), qui a réaffirmé
« l’obligation incombant à tous les États membres de veiller à ce
que les mesures qu’ils prennent pour combattre le terrorisme soient
conformes au droit international des droits de l’homme, en soulignant
que le respect des droits de l’homme et de l’état de droit sont des
éléments essentiels au succès de la lutte contre le terrorisme 75 ».
Le respect strict des valeurs et principes de la démocratie
est un élément clé, nous paraît-il, de la lutte contre les
phénomènes de violence (à caractère terroriste ou non).
D’une part, il garantit notre résistance face à la tentation
de glissements autoritaires 76. Ceux-ci nous renverraient en
miroir des éléments du système totalitaire d’organisations
telles que Daech. Ils nous paraissent d’autant plus
dangereux que des tendances à limiter les principes de
la démocratie surgissent actuellement dans certains pays
européens, indépendamment de tout phénomène de
terrorisme. D’autre part, la restriction de droits et libertés
risque d’accabler les citoyens sans garantir l’efficacité de
leur protection. La prééminence des droits de l’homme et
des libertés fondamentales nous paraît donc indispensable,
car si l’État a le devoir de protéger le droit à la vie et
l’intégrité physique de sa population en luttant contre le
terrorisme, « l’obligation de protection ne s’étend pas au point
de contraindre l’État à violer son obligation de respecter les droits
de ces personnes, puisqu’au contraire, la première obligation trouve
dans la seconde obligation sa limite 77 ».
De surcroît, développer la répression et le contrôle tous
azimuts ne donne que l’illusion de l’efficacité. Plus encore,
le recours irrationnel au droit pénal amène à considérer que
comprendre revient à justifier et entrave le développement
de politiques plus adéquates, fondées sur la recherche de
la compréhension des phénomènes de violence actuels 78,
indispensable pour agir de manière pertinente. Même le
coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme,
Gilles de Kerchove, préconise le recours à des dispositifs
alternatifs aux poursuites ou à la peine de prison 79. Il n’est,
ainsi, pas anodin de relever que le Danemark, parmi les
premiers pays à développer des dispositifs de prévention
non pénale, a refusé de prendre part à l’adoption de la
proposition de directive et ne sera pas liée par elle.
Soulignons en tout cas, à propos de la transposition de
la future directive, que l’obligation de respecter les droits
et libertés fondamentaux reste entière dans le chef des
Parlements nationaux. Il convient de rappeler que même
la Commission européenne avait affirmé l’obligation des
législateurs nationaux, lors de la transposition en droit
national, « de veiller à ce que les garanties indispensables en terme
de lisibilité et de prévoyance qui doivent caractériser toute législation
pénale soient respectées 80 ». Et d’évoquer, pour conclure, le
principe affirmé par un Président émérite de la Cour
constitutionnelle belge et qui nous paraît essentiel : « une
disposition ou une pratique qui toucherait à la substance même des
droits intangibles ne pourrait se justifier par la constatation d’une
acceptation commune des États européens 81 » n
La question de l’opportunité des moyens envisagés doit
aussi être posée et correspond à une vision plus large de
la société : ce n’est pas une Europe de la sécurité et de
l’exclusion, telle qu’elle se présente maintenant, que nous
avions espérée.
(74) « Protégeons la démocratie contre les excès de l’antiterrorisme ! », communiqué de presse du 24 juillet 2014 de l’Observatoire des libertés et
du numérique (composé notamment par la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France),
http://www.syndicat-magistrature.org/Protegeons-la-democratie-contre.html (cons. 31.10.16).
(75) Proposition de directive, cit., p. 5.
(76) Sur le rapport entre droit pénal et éléments autoritaires dans des systèmes politiques démocratiques, cf. Ferrajoli (L.), 1990, Diritto e ragione,
Roma-Bari, Laterza ; Delmas-Marty (M.), 1992, Les grands systèmes de politique criminelle, Paris, PUF.
(77) De Schutter (O.), 2002, « La convention européenne des droits de l’homme à l’épreuve de la lutte contre le terrorisme », in Bribosia (E.),
Weyembergh (A.) (dir.), Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, p. 93.
(78) Qui comprennent aussi la violence d’extrême droite, ainsi que celle liée à la recherche du défi et du risque par les jeunes.
(79) Idée exprimée lors des séminaires du projet européen « La réponse judiciaire au terrorisme en Europe » (coordonné par l’École nationale de
la magistrature française en 2014-15) et développée dans un article récent de sa conseillère (Höhn (Ch.), 2015, « Les combattants européens
en Syrie sous l’angle de la lutte contre le terrorisme », in Jacobs (A.), Flore (D.), (dir.), Les combattants européens en Syrie, Paris, L’Harmattan).
(80) Doc. Parl. Chambre, 2007/2008, doc. 52 0654/002, p. 5.
(81) Martens (P.), 2008, « Intervention », in Dialogue entre juges, Strasbourg, Cour européenne des droits de l’homme.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
72 I DOSSIER
La décision d’enquête européenne,
nouvel instrument d’entraide
judiciaire pour la mise en état
des affaires pénales
Juliette LELIEUR
La décision d’enquête européenne n’est autre que le pendant du mandat d’arrêt européen en matière
de recherche des preuves pénales. Fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de
justice, le nouveau dispositif d’entraide judiciaire prévoit qu’une décision d’enquête émise par l’autorité
judiciaire d’un État membre de l’Union européenne est exécutée par toute autorité judiciaire d’un autre
État membre, saisie pour accorder l’entraide, comme si elle émanait d’une autorité judiciaire de cet État.
Ainsi, un ordre de perquisition pris par un magistrat tchèque et transmis à un magistrat français aux
fins d’exécution devra être mis en œuvre en France comme s’il s’agissait d’une perquisition ordonnée
par un juge d’instruction français. Le succès de la décision d’enquête européenne dépendra de la bonne
transposition de la directive 2014/41 par les États membres dans leur droit interne et, lors de sa mise en
pratique, du respect des délais prévus par la directive pour accorder l’entraide par les autorités judiciaires
nationales.
E
n 2002, le mandat d’arrêt
européen succédait à l’ancienne
procédure d’extradition dans
l’Union européenne. L’extradition
était trop longue et trop aléatoire pour
répondre aux ambitions de l’espace de
liberté, de sécurité et de justice. Aujourd’hui,
le succès du mandat d’arrêt européen n’est
plus à démontrer. Son application est de
routine dans les tribunaux et la remise de
personnes recherchées dans l’Union par la
justice pénale d’un État membre ne se heurte
plus qu’exceptionnellement à des difficultés
d’ordre juridique ou politique.
Juger des personnes suspectées d’avoir
commis des crimes ou délits suppose encore
d’avoir rassemblé un certain nombre de
preuves. En droit international classique,
la recherche de preuves pénales situées
à l’étranger repose sur la commission
rogatoire internationale (CRI), qui n’est
autre qu’une demande d’entraide adressée
aux autorités d’un État dans lequel des
éléments probatoires sont susceptibles
d’être recueillis. Trop souvent, même depuis
la transmission directe « de juge à juge »
des CRI mise en place par la Convention
d’entraide judiciaire en matière pénale entre
les États membres de l’Union européenne
du 29 mai 2000, les réponses de l’autorité
étrangère tardent à venir, quand les obstacles
juridiques et linguistiques ne les bloquent
La décision d’enquête européenne, nouvel instrument d’entraide judiciaire pour la mise en état des affaires pénales – Juliette LELIEUR
Juliette LELIEUR
Maître de
conférences
à l’Université
de
Strasbourg.
© flyinglife - fotolia.com
DOSSIER I 73
pas complètement. C’est pourquoi une rénovation de
l’entraide judiciaire en matière de recherche des preuves
pénales était attendue.
d’émission) afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête
spécifiques dans un autre État membre (l’État d’exécution) en vue
d’obtenir des preuves » (art. 1 de la directive).
La décision d’enquête européenne (DEE) n’est autre que
le pendant du mandat d’arrêt européen pour la recherche
des preuves pénales. Comme le mandat d’arrêt européen,
elle est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle
des décisions de justice, qui veut que l’autorité judiciaire
d’un État membre traite une décision de justice rendue
par l’autorité judiciaire d’un autre État membre comme si
elle émanait de son propre pays. Ainsi, un mandat d’arrêt
européen émis à Strasbourg et transmis pour exécution
à la juridiction compétente de Bucarest est exécuté à
Bucarest comme s’il s’agissait d’une décision roumaine
d’arrestation – et vice-versa. Transposé à la problématique
de la recherche des preuves, le principe de reconnaissance
mutuelle implique qu’une décision judiciaire tchèque de
perquisitionner un domicile par exemple soit exécutée
à Strasbourg comme si elle avait été prise par un juge
d’instruction français. En somme, la DEE est une décision
nationale porteuse d’effets extraterritoriaux dans l’Union
européenne 1. Techniquement parlant, selon la directive
2014/41 du Parlement européen et du Conseil du 3 avril
2014 concernant la décision d’enquête européenne en
matière pénale, la DEE est « une décision judiciaire qui a été
émise ou validée par une autorité judiciaire d’un État membre (l’État
La mise en pratique de la DEE nécessite la transposition
de la directive 2014/41 en droit interne. Or, le délai
imparti à cet effet aux État membres expire le 22 mai
2017 et aucun projet de loi n’est encore discuté dans les
chambres parlementaires françaises. Le Gouvernement a
préféré requérir une habilitation législative pour légiférer
par ordonnance, que lui a accordée le Parlement par la loi
2016-731 du 3 juin 2016 (art. 118). Il est particulièrement
regrettable que le débat parlementaire soit court-circuité
dans une matière qui, portant sur l’enquête pénale, touche
au cœur des droits et libertés des personnes.
Le champ d’application de la DEE est très vaste puisque
toute mesure d’enquête peut être visée, par exemple
l’audition d’un témoin, la recherche d’informations
relatives à des comptes financiers, la perquisition du
domicile d’un suspect, la saisie d’objets ou de documents,
l’interception de télécommunications, la surveillance
de comptes bancaires ou de livraisons suspectes, etc.
La directive s’applique encore aux demandes d’entraide
qui n’obligent pas l’autorité d’exécution à effectuer un
acte d’enquête, comme le transfèrement temporaire
de personnes détenues ou la remise d’informations
(1) Marty (M.), 2011, « Un exemple de décision nouvelle : la décision d’enquête européenne », Jurisdoctoria, n° 7, p. 105.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
74 I DOSSIER
ou d’éléments de preuves déjà existants. Pour ne pas
reproduire les erreurs du mandat d’obtention de preuves,
instrument mort-né en 2008 en raison de la limitation de
son champ d’application à certains types de preuves 2, le
législateur européen a ouvert au maximum le domaine
de la DEE et facilité ainsi son appréhension par les
praticiens. Finalement, seule reste à l’écart la constitution
d’une équipe commune d’enquête, qui relève d’une autre
logique puisqu’elle donne naissance à une co-enquête
menée conjointement par plusieurs États membres, donc
à une « co-opération » au sens propre plutôt qu’à de
l’entraide (art. 3 de la directive).
Avant de prendre une décision d’enquête européenne,
l’autorité judiciaire d’émission doit s’assurer que la mesure
d’enquête qu’elle ordonne est autorisée dans le cadre
d’une procédure nationale : il ne s’agit pas de contourner
les limites procédurales nationales par le jeu de la
coopération interétatique. De plus, une nouveauté dans la
mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle est
la bienvenue : la directive impose à l’autorité d’émission
de vérifier la nécessité et la proportionnalité de la mesure
d’enquête par rapport aux finalités de la procédure.
L’introduction de l’exigence de proportionnalité était
chère au Parlement européen, en particulier parce que
les autorités de certains États abusaient du mandat
d’arrêt européen, l’utilisant pour des infractions de
faible gravité et alors qu’une demande d’audition de la
personne suspectée pouvait suffire. Cependant, l’autorité
d’exécution ne peut pas refuser l’exécution de la DEE au
motif que la mesure d’enquête est disproportionnée : elle
doit consulter l’autorité d’émission, qui peut le cas échéant
retirer la DEE.
Reconnaissance mutuelle oblige, l’autorité judiciaire
d’exécution est tenue d’exécuter la DEE. Toutefois,
lorsque la mesure d’enquête ordonnée n’existe pas
dans le droit de l’État d’exécution ou qu’elle ne serait
pas disponible si l’enquête était menée dans cet État,
l’autorité d’exécution peut recourir à une autre mesure
permettant d’aboutir aux mêmes fins. Cet élément de
souplesse sera certainement propice au succès de la DEE,
mais le législateur européen a voulu éviter qu’elle opère à
l’encontre de la proportionnalité des mesures d’enquête
par rapport au but de la procédure. La directive énumère
donc une série de mesures d’enquête peu intrusives (art.
10 al. 2) auxquelles il doit nécessairement être possible
de recourir dans l’État membre d’exécution. Cette règle
est un vecteur d’harmonisation des procédures pénales
nationales puisque chaque État membre doit veiller à
ce que son droit national permette la mise en œuvre de
ces mesures d’enquête peu intrusives le plus largement
possible. Dans la même logique, la directive autorise
l’autorité d’exécution à recourir à une mesure d’enquête
moins intrusive que la mesure ordonnée dans la DEE
lorsqu’elle permet d’atteindre le même résultat 3. Enfin,
concernant les désormais traditionnels motifs de refus
d’exécution, la directive innove en créant à l’article 11 f
un motif relatif à la protection des droits fondamentaux
tels que protégés par la charte des droits fondamentaux
de l’Union. Si cette mention voulue par le Parlement
européen est un progrès en ce qu’elle remet en cause la
présomption de conformité aux droits fondamentaux
promue par la Cour de justice de l’UE, elle laisse de côté
la question de la conformité du dispositif d’entraide
par rapport aux exigences constitutionnelles des États
membres.
En ce qui concerne l’aspect procédural, la directive
2014/41 contient en son annexe un formulaire normé
et traduit dans toutes les langues officielles de l’Union.
Ce formulaire sera en pratique, comme l’a montré le
formulaire du mandat d’arrêt européen, la clef de voûte
de la coopération. Du point de vue des délais, l’autorité
judiciaire d’exécution doit en principe statuer sur la
reconnaissance ou l’exécution de la DEE au plus tard
dans les 30 jours de sa réception. La mesure d’enquête
ordonnée doit ensuite être effectuée au plus tard 90 jours
à compter de cette décision. Peut-être davantage encore
que la rénovation du système d’entraide, l’existence du
formulaire et le respect des délais seront déterminants
du succès du nouvel instrument de répression de la
criminalité et de la délinquance transfrontières n
(2) Contrairement à la décision-cadre 2008/978 sur le mandat d’obtention de preuve, la directive sur la décision d’enquête européenne prévoit
clairement que l’objet de la reconnaissance mutuelle est la décision d’enquête et non pas l’élément probatoire. Voir Beauvais (P.), 2015, « De
l’entraide judiciaire à l’enquête pénale européenne – À propos de la directive du 3 avril 2014 concernant la décision d’enquête européenne »,
RTD Eur., p. 777.
(3) Sur les difficultés de mise en œuvre à prévoir, Cassuto (T.), 2014, « La directive concernant la décision d’enquête en matière européenne », AJ
Pénal, 2014, p. 338, spéc. p. 341.
La décision d’enquête européenne, nouvel instrument d’entraide judiciaire pour la mise en état des affaires pénales – Juliette LELIEUR
DOSSIER I 75
Eurojust
Une réponse judiciaire, plus solide
que jamais de l’Union européenne
Michèle CONINSX
La création d’un Espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union européenne (UE) et
l’existence de l’institution Eurojust sont étroitement liées. Renforcer la lutte contre la criminalité
transfrontalière grave en consolidant la coopération entre les autorités nationales était l’ambition
de la réunion du Conseil européen de Tampere (Finlande) des 15 et 16 octobre 1999, réunion
qui a abouti à la conclusion d’un accord en vue de la création d’Eurojust, entité composée de
procureurs, de juges ou d’officiers de police, de compétence équivalente, détachés par chaque
État membre en fonction de leurs systèmes juridiques respectifs.
L
Michèle CONINSX
Magistrat
fédéral,
présidente
de l’Unité de
coopération
judiciaire
de l’Union
européenne (Eurojust).
es attentats terroristes perpétrés
le 11 septembre aux États-Unis
ont fait passer la lutte contre le
terrorisme de la sphère régionalenationale à l’échelle internationale. Ces
événements ont servi de catalyseur pour
asseoir le rôle d’Eurojust en tant qu’unité de
coordination judiciaire de l’UE. Eurojust a
été instituée en 2002 1 à titre d’organisation
intergouvernementale sui generis pour
répondre à la nécessité d’instaurer une
coopération judiciaire et de créer des
passerelles entre les 30 systèmes juridiques
différents de l’Union européenne.
Eurojust réunit ainsi 28 représentants
nationaux sous son toit à La Haye, aux
Pays-Bas, dans l’optique de renforcer la
coopération judiciaire et d’assister les États
membres dans les enquêtes et poursuites
engagées dans les dossiers de criminalité
organisée transfrontalière grave. Dans un
(1) Décision 2002/187/JHA du Conseil du 28 février 2002 instituant Eurojust afin de renforcer la lutte contre les
formes graves de criminalité.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
76 I DOSSIER
esprit collégial, les membres nationaux font part des
enseignements qu’ils ont tirés de leurs expériences et
échangent leurs bonnes pratiques dans le cadre du centre
d’expertise judiciaire et juridique de l’Union européenne
que constitue Eurojust.
En 2008, une fois la pertinence d’Eurojust avérée, les États
membres ont pris l’initiative de revoir son cadre juridique
en vue de renforcer ses capacités opérationnelles 2.
L’harmonisation des pouvoirs des membres nationaux,
l’augmentation du nombre d'informations transmises
à Eurojust et la structure des systèmes de coordination
nationaux Eurojust visaient à mieux équiper Eurojust
dans son soutien aux autorités nationales chargées de
la lutte contre la criminalité organisée et la criminalité
transfrontalière grave.
Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009,
le principe de reconnaissance et de confiance mutuelles a
été réaffirmé comme socle de la coopération judiciaire en
matière de criminalité. Eurojust a poursuivi l’optimisation
du fonctionnement de ses réunions de coordination 3 et de
ses centres de coordination 4 pour rationaliser les actions
opérationnelles, notamment la prévention ou la résolution
des conflits de compétence, et confirmer les obligations
légales, par exemple le recueil de preuves, le recours à des
mesures coercitives ou encore le gel et la confiscation des
produits du crime. Eurojust a également renforcé son
rôle d’appui aux équipes communes d’enquête (ECE 5),
aussi bien sur les plans opérationnel que financier et a,
par ailleurs, créé en son sein le secrétariat du réseau ECE
afin de permettre une coopération étroite avec les experts
nationaux et une mise en commun des savoirs.
Aujourd’hui, Eurojust fait de nouveau face à une réforme.
La proposition de la Commission européenne était trop
précoce pour pouvoir traiter les aspects opérationnels
de manière exhaustive, la mise en œuvre et l’évaluation
n’étant pas encore terminées dans les États membres. Pour
Eurojust, la proposition de la Commission européenne
de 2013 6 n’est pas révolutionnaire, puisqu’elle vise
principalement à améliorer sa structure de gouvernance
sans modifier ni son caractère collégial, ni la double
fonction des membres, à la fois représentants nationaux
dans le cadre des travaux opérationnels et coresponsables
de la gestion d’Eurojust à titre de membres du Collège.
Le Collège a, d’ores et déjà, accompli de nombreuses
réalisations via une réorganisation interne en vue
d’optimiser l’efficacité des processus décisionnels
d’Eurojust.
Dans le contexte de la crise financière, la Commission
européenne a décidé d’émettre une proposition
d’établissement d’un Parquet européen 7 spécifiquement
destiné à lutter contre les infractions portant atteinte aux
intérêts financiers de l’Union de manière plus efficace
et plus cohérente 8. Le Parquet européen devant être
établi « à partir d’Eurojust 9 », et en dépit des différentes
procédures législatives associées à leur adoption, les deux
propositions ont été publiées sous la forme d’un ensemble
de mesures pour assurer les liaisons correspondantes en
termes de compétence, d’interaction opérationnelle et de
synergies administratives. Au cours des trois dernières
années de négociations, une transition s’est opérée vers
un modèle collégial, une approche décentralisée et un
système de partage des compétences tenant compte
du paysage européen actuel dans le domaine de la
coopération judiciaire en matière pénale. Avec la situation
actuelle, les infractions portant atteinte aux intérêts
financiers de l’Union européenne (appelées infractions
« PIF » 10 ) feront l’objet d’une coopération à plusieurs
niveaux entre les autorités nationales, un nouveau Parquet
(2) Décision 2009/426/JHA du Conseil du 16 décembre 2008 sur le renforcement d’Eurojust et modifiant la décision 2002/187/JAI instituant
Eurojust afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité.
(3) Les réunions de coordination permettent de réunir les autorités judiciaires et policières des différents États membres et États tiers, afin de faciliter
le partage d'informations, d'identifier et de mettre en œuvre des moyens et méthodes d'aide au traitement de demandes d'entraide judiciaire et
au recours à des mesures coercitives (ex. : mandats de perquisition et mandats d'arrêt), de coordonner les enquêtes et les poursuites en cours, et
enfin de détecter, de prévenir ou de résoudre les conflits de compétence, les litiges liés au principe ne bis in idem et les autres problèmes d'ordre
juridique ou liés aux éléments de preuve.
(4) Les centres de coordination facilitent le partage d'informations en temps réel entre les autorités judiciaires et permettent d'apporter une aide
directe lors des journées d'action commune, ainsi qu'une coordination et un suivi immédiat des saisies, arrestations, perquisitions de domicile/
d'entreprise, décisions de gel et interrogations de témoins.
(5) Une équipe commune d’enquête (ECE) est une équipe composée de procureurs, de juges et d'officiers de police créée pour une durée déterminée
et un objectif spécifique au titre d'un accord écrit conclu entre les États impliqués.
(6) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en
matière pénale (Eurojust), COM (2013) 535 final.
(7) Proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen, COM (2013) 534 final.
(8) Vӗra Jourová, « The European Public Prosecutor’s Office as a Guardian of the Taxpayers’ Money », dans eucrim 2/2016, p. 94-104.
(9) Article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
(10) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union
au moyen du droit pénal, COM/2012/0363 final.
Eurojust. Une réponse judiciaire, plus solide que jamais de l’Union européenne – Michèle CONINSX
DOSSIER I 77
européen, Eurojust, Europol et l’OLAF, chacune de ces systématiquement et à temps toute information relatives
entités ayant son rôle à jouer. Il est évident que bénéficier aux infractions terroristes conformément à l’obligation
de compétences bien définies et de
légale qui les y contraint 13. À partir des
dispositions légales cohérentes au sein
informations communiquées et recoudes différents instruments est nécessaire
pées par Eurojust, les autorités compépour pouvoir assurer sécurité juridique,
tentes des États membres peuvent être
Pour faire face aux
efficience institutionnelle et efficacité
immédiatement averties par Eurojust
menaces pesant
opérationnelle.
si un lien était détecté entre plusieurs
sur la sécurité
affaires. De plus, Eurojust peut fourdes citoyens de
Pour faire face aux menaces pesant sur
nir des analyses utiles concernant les
l’UE et à la crise
la sécurité des citoyens de l’UE et à la
réponses judiciaires associées au tersans précédent
crise sans précédent des migrants, et en
rorisme à partir des poursuites et des
des migrants, et
accord avec les priorités de l’UE établies
condamnations faisant suite à des actes
en accord avec
dans les programmes européens en
terroristes, notamment avec le Registre
les priorités de
matière de sécurité 11 et de migration 12,
des condamnations pour terrorisme
les priorités d’Eurojust portent sur
(Terrorism Convictions Monitor 14 ) , les
l’UE établies dans
l’intensification de ses capacités
rapports Eurojust sur les combattants
les programmes
opérationnelles dans les domaines du
terroristes étrangers 15 et les réunions
européens en
terrorisme, de la cybercriminalité et du
tactiques Eurojust sur le terrorisme.
matière de sécurité
trafic migrants.
et de migration,
La cybercriminalité présente 16, de par
les
priorités
Avec les terribles attentats terroristes
sa nature dépourvue de frontières,
d’Eurojust portent
de Paris et de Bruxelles, les défis et
une menace mondiale, le cyberespace
sur l’intensification
les menaces liés à la sécurité auxquels
étant devenu un élément essentiel de
de ses capacités
l’Union européenne est confrontée
la vie moderne. Son évolution étant
opérationnelles
dans le domaine du terrorisme dans son
rapide, cette situation requiert une
ensemble sont devenus une réalité pour
intensification de la coopération entre
dans les domaines
tous les citoyens de l’UE. Au fil des
les autorités judiciaires et policières
du terrorisme, de
années, nous avons réalisé d’importants
au sein des États membres mais,
la cybercriminalité
progrès dans le contexte du terroristes,
également, avec le secteur privé,
et de l’immigration
et nous devons continuer à en tirer
pour permettre un partage rapide des
illégale.
parti, par exemple avec la coopération
informations et obtenir des éléments
via les correspondants nationaux Eurode preuves électroniques aux fins
just chargés des affaires terrorisme, la
des enquêtes, des poursuites et de la
transmission d’informations spécifiques à Eurojust par prévention de la cybercriminalité. Eurojust conseille les
les États membres et leur analyse judiciaire par Eurojust. autorités nationales, en particulier sur les questions liées
Il est primordial que les États membres transmettent à la recevabilité des éléments de preuves électroniques, la
(11) Le programme européen en matière de sécurité, COM (2015) 185 final.
(12) Le programme européen en matière de migration, COM (2015) 240 final.
(13) Décision 2005/671/JHA du Conseil du 20 septembre 2005 relative à l’échange d’informations et à la coopération concernant les infractions
terroristes.
(14) Le Registre des condamnations pour terrorisme (TCM) est un document Eurojust à accès limité qui est diffusé aux procureurs et aux juges
chargés d'affaires de terrorisme et qui est régulièrement publié depuis 2008. Ce document offre un compte rendu régulier des condamnations
et acquittements liés au terrorisme dans toute l'Union européenne, avec des mises à jour juridiques et des analyses judiciaires des jugements
correspondants.
(15) Le Rapport Eurojust sur les combattants terroristes étrangers (Eurojust Report on Foreign Terrorist Fighters) est classé au niveau RESTREINT
UE. Il fournit des informations régulières au Conseil de la justice et des affaires intérieures et au coordinateur européen pour la lutte contre le
terrorisme. Ce rapport présente les travaux et les points de vue d'Eurojust concernant le phénomène des combattants terroristes étrangers et les
réponses de la justice pénale à ce sujet, et fournit des recommandations concernant des mesures à prendre en vue de renforcer l'efficacité des
enquêtes, des poursuites et de la coopération judiciaire dans le cadre des affaires liées à des combattants terroristes étrangers avec l'appui
d'Eurojust.
(16) Aux fins des activités d'Eurojust, le terme « cybercriminalité » désigne toutes les infractions comportant un élément « cyber » qui contribue à leur
perpétration. Ce terme englobe les « nouvelles infractions » qui ciblent les technologies de l'information et de la communication (TIC), telles que
les intrusions informatiques, les attaques par déni de service et les violations de données, mais également les infractions traditionnelles ayant
recours aux TIC, telles que les fraudes à la carte bancaire, l'exploitation sexuelle des enfants, la traite d'êtres humains et les actes terroristes.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
78 I DOSSIER
conservation des données et les conflits de compétence.
Au vu de ce contexte, le Conseil a décidé qu’un réseau
judiciaire de procureurs appuyé par Eurojust devrait être
établi 17 pour intensifier la lutte contre la cybercriminalité
en se basant sur les pratiques établies de convocation de
réunions d’experts judiciaires en cybercriminalité au sein
d’Eurojust. La coopération opérationnelle avec Europol
a, d’ores et déjà, été intensifiée avec le détachement
d’un procureur spécialisé d’Eurojust au sein du Centre
européen de lutte contre la cybercriminalité, qui est
hébergé par Europol. Face à la sophistication croissante
de la cybercriminalité, on peut observer un manque de
législation spécifique pour réguler la présence et l’action
des services d’application de la loi en ligne, ce qui rend
la jurisprudence encore plus importante et souligne la
nécessité de faciliter les échanges entre les praticiens du
domaine.
Les frontières externes de l’UE étant de plus en plus
le théâtre de tragédies humaines, la nécessité pour les
instances de l’Union et les États membres de procéder
à des actions immédiates dans tous les aspects liés
aux migrations s’est fait ressentir. Le rôle d’Eurojust,
avec Europol, est d’assister les États membres dans
le démantèlement des réseaux de trafic et de traite de
migrants en les privant de leurs moyens financiers et en
les traduisant en justice. Eurojust soutient l’approche des
Hotspots et a nommé des points de contact Eurojust
dédiés au sein des Hotspots en Italie et en Grèce. Comme
suite aux discussions ayant eu lieu au sein du Forum
consultatif des procureurs généraux et des directeurs de
parquet des États membres 18 et conformément au Plan
d’action de l’UE en matière de migration 19, Eurojust a
créé un Groupe thématique sur le trafic des migrants
visant à renforcer la coopération entre les procureurs
et optimiser la coopération judiciaire dans les affaires
de trafic de migrants et ce, y compris avec des États
tiers. Les premiers résultats des travaux de ce Groupe
thématique ont permis l’organisation de la réunion
tactique Eurojust sur les défis judiciaires liés au trafic
de migrants, la création de la brochure présentant les
possibilités légales d’établissement d’ECE entre les États
membres et les États tiers dans les affaires liées au trafic
de migrants, élaborée conjointement avec le Secrétariat
du réseau ECE, ainsi que l’élaboration d’analyses relatives
aux enseignements tirés de la jurisprudence en matière de
trafic de migrants à destination des praticiens du domaine.
Au fil des années, nous avons observé un accroissement
du recours à Eurojust et à ses outils de coordination 20,
ce qui confirme que notre rôle est vital et notre travail
pertinent. La dimension judiciaire de la lutte contre la
criminalité organisée et la criminalité transfrontalière grave
est essentielle pour assurer l’efficacité des poursuites et
des condamnations. Continuer à instaurer une confiance
mutuelle avec les autorités nationales compétentes,
optimiser la coopération avec les États tiers et mettre au
point des synergies au sein de nos partenariats avec les
Agences Justice et Affaires Intérieures de l'UE sont autant
de mesures à prendre pour pouvoir offrir une réponse
judiciaire solide de l’UE. La création de passerelles, la
coopération et la coordination en sont les mots d’ordre n
(17) Conclusions du Conseil « Justice et affaires intérieures » sur le réseau judiciaire européen en matière de cybercriminalité, publiées sous la forme
d'un article de presse le 9 juin 2016.
(18) La création du Forum consultatif a répondu aux attentes établies dans le Programme de Stockholm concernant la promotion de réseaux de
procureurs expérimentés en vue d'étayer la mise en œuvre de la stratégie de sécurité intérieure. Le Forum consultatif réunit tous les procureurs
généraux et les directeurs de parquets des États membres de l'Union européenne au sein d'Eurojust pour leur permettre de partager leurs
différentes expériences et bonnes pratiques associées aux poursuites en matière de criminalité transfrontalière grave et pour contribuer au
développement de la coopération judiciaire pénale dans l'UE. Les conclusions du Forum consultatif sont consultables sur le site internet d'Eurojust.
(19) Plan d'action de l'UE contre le trafic de migrants (2015 - 2020), COM (2015) 285 final.
(20) Cf. Rapports annuels d'Eurojust, consultables sur le site internet d'Eurojust.
Eurojust. Une réponse judiciaire, plus solide que jamais de l’Union européenne – Michèle CONINSX
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DOSSIER I 79
Le droit pénal allemand
et le droit pénal européen
Réticences et adaptation de la justice pénale
allemande au droit pénal européen post-Lisbonne
Julien WALtHER
A
Julien WALTHER
Doctor juris,
Universität
des
Saarlandes,
maître de
conférences
HDR à
l’Université de Lorraine.
uparavant parent pauvre du
droit européen, le droit pénal
est sur le devant de la scène du
fait d’un changement drastique
de paradigme. Là où il n’y avait pas de
compétence pénale de l’Union européenne
(UE), un transfert de souveraineté s’est
opéré depuis 2005 au détriment des États
membres. Depuis, s’ensuit une discussion
passionnée, souvent exacerbée en Allemagne,
car le droit allemand reste parfois marqué
par une profonde réticence à l’égard d’une
perte de souveraineté en matière pénale.
Si la doctrine allemande connaît d’ardents
débats, la doctrine pénale française n’a
pas (encore) connu une discussion d’une
comparable envergure. C’est le résultat
et l’illustration d’un attachement tout
particulier pour le système de protection des
droits fondamentaux tel qu’il ressort de la
constitution allemande, le Grundgesetz-Loi
Fondamentale, dans l’esprit de ce que l’on peut
qualifier de « patriotisme constitutionnel »,
« Verfassungspatriotismus », pour reprendre
un concept cher à Jürgen Habermas et Adolf
Sternberger. Le lecteur français se souviendra
des jurisprudences dites « Solange I » du 29
mai 1974, « Solange II » du 22 octobre 1986
et « Maastricht » du 12 octobre 1993 de la
Cour constitutionnelle fédérale allemande.
La Cour de Karlsruhe y posait une réserve
de principe à l’approbation des textes
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
80 I DOSSIER
européens, en considérant qu’il lui incombait en tout état
de cause de préserver un niveau intangible de protection
des droits fondamentaux [Rapport Sénat, 2009, p. 11-14].
La jurisprudence de 2009 de la même cour sur la
ratification du traité de Lisbonne que nous évoquerons
ici s’inscrit dans ce mouvement. Le droit pénal y est en
ce sens perçu comme la « citadelle de la constitution ». Et
inversement, le recours devant cette même juridiction fait
du droit constitutionnel un outil protégeant « l’identité
pénale allemande » contre ce qui est ressenti comme les
dangers nés du droit européen. Cette défiance transparaît
aussi parfois dans les travaux du législateur, ce qui est plus
grave encore. Si le discours est ferme et réservé pour ce
qui est de la compétence pénale européenne – surtout en
droit pénal de fond –, ceci n’a cependant pas empêché
des aménagements et des adaptations du droit positif
allemand, comme la mise en place d’outils procéduraux
d’entraide judiciaire. La forteresse pénale allemande
connaît donc quelques brèches.
La « forteresse pénale »
constitutionnelle allemande
Cette construction repose sur une interprétation restrictive
de la compétence pénale européenne et est défendue par
une doctrine très critique.
Une lecture protectrice de l’harmonisation
judiciaire et pénale européenne
À l’origine, les juridictions du fond allemandes cultivaient
une « ignorance feinte » du droit européen [Hecker, 2015,
p. 45-46]. Ainsi, le tribunal régional de Bonn dans une
affaire de droit pénal fiscal en 1986 1 : un contribuable
poursuivi pour fraude fiscale s’était défendu en invoquant
la directive 77/388 du 17 mai 1977 (taxe sur le CA et
la TVA). Le tribunal balaya cette argumentation : « la
chambre n’accorde aucun crédit aux déclarations du prévenu : au
vu de ses connaissances en droit fiscal, il est évident que ce dernier
n’a jamais cru une seule seconde que le droit national puisse être
écarté du fait d’une directive européenne ». La Cour fédérale
de justice (Bundesgerichtshof, BGH), l’équivalent de
la Cour de cassation pour la RFA, cassa cette décision
en invoquant la jurisprudence constante de la Cour de
justice des Communautés européennes (CJCE) selon
laquelle un citoyen d’un État membre de la Communauté
économique européenne (CEE) peut se fonder sur une
directive non encore transposée si celle-ci est assez claire
pour être applicable même sans transposition en droit
national 2.
La Cour fédérale de justice s’est en revanche préoccupée
des rapports entre droit communautaire et droit national
dès les années 1960 [Dannecker, 2000, p. 346]. Les
juges des chambres criminelles de la Cour ont ainsi évité
de donner une coloration purement nationale à leur
jurisprudence et ont pu de ce fait remplir le cahier des
charges du législateur européen. Ainsi, l’application des
normes pénales ne doit pas mener à des discriminations
des personnes au sens de l’art. 18 TFUE (art. 12 traité CE)
ou à des violations de libertés fondamentales reconnues
par le droit européen. Mais ces juges ne manquent pas
en revanche de réaffirmer que la compétence pénale
appartient en principe aux États membres 3. Dans une
affaire dite du « blé d’Allemagne du Sud » (Süddeutscher
Getreidefall 4), la Cour fédérale de justice soulignait dès
1973 que la CEE n’avait pas la compétence pour prévoir
des sanctions de nature pénale dans le cadre de la politique
agricole commune (PAC).
Les juridictions pénales allemandes peuvent ici s’abriter
derrière l’ordre constitutionnel allemand. Dans une
décision dite « Darkazanli » du 18 juin 2005 5, la Cour
constitutionnelle fédérale opposait au droit de l’UE lato
sensu une interprétation de la loi allemande conforme à
son droit constitutionnel. En l’espèce, la Cour contrôlait
la conformité de la première loi transposant la décisioncadre sur le mandat d’arrêt européen du 13 juin 2002 à
l’article 16 LF qui interdit l’extradition des ressortissants
allemands dans le cadre d’un recours intenté par un
ressortissant germano-syrien membre présumé d’AlQaïda. Pour la Cour, le législateur avait l’obligation
d’utiliser la liberté qui lui était donnée pour transposer la
décision-cadre dans le sens de la préservation maximale
des valeurs prônées par la Loi fondamentale. Ceci n’était
pas conforme à la jurisprudence Puppino de la CJCE 6,
laquelle exige une interprétation de la loi nationale
(1) LG Bonn – 12 juin 1986.
(2) BGH, 30 août 1990, Az.: 3 StR 459/87, BGHSt 37, p. 168 et s.
(3) BGH, 6 juin 1973 - 1 StR 82/72, BGHSt 25, p. 190 et s.; BGH, 13 mai 1977 - 2 StR 602/76, BGHSt. 27, p. 181 et s.; BGH, 21 avril 1995 - 1
StR 700/94, BGHSt. 41, p. 127 et s.
(4) BGH, 6 juin 1973 - 1 StR 82/72, BGHSt 25, 190.
(5) Cour constit. féd. (2 BvR 2236/04), 18 juin 2005, HRRS 2005, n° 550.
(6) CJCE, 16 juin 2005, Maria Puppino, affaire C-105/03.
Le droit pénal allemand et le droit pénal européen – Julien WALTHER
DOSSIER I 81
conforme à la décision-cadre comme le précisait même
un des juges constitutionnels allemands dans une opinion
dissidente à la décision Darkazanli 7, selon le principe de
coopération loyale (art. 10 TCE, art. 4 III TUE 8). Et il
faut noter que dans le cadre du 3e pilier, la souveraineté
nationale en matière pénale était encore relativement
préservée par la nécessité d’une décision-cadre prise à
l’unanimité.
compétence pénale prévue pour l’UE par l’art. 83 TFUE
doit donc être lue restrictivement au vu de ce déficit
démocratique. En effet, seule la légitimité démocratique,
contrepartie et fondement de la puissance publique,
permet de justifier les atteintes importantes aux libertés
individuelles existant en droit pénal.
Pour beaucoup d’auteurs allemands, il y a comme
une « citadelle de l’État constitutionnel » (Zitadelle des
Verfassungstaates) [Schorkopf, 2011, p. 111] protégeant
leur ordre constitutionnel – dont le droit pénal serait une
des incarnations principales – contre un droit européen
encore en situation de déficit de légitimité démocratique.
Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et
l’introduction d’une compétence pénale subsidiaire de
l’UE prévue à l’article 83 du traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne (TFUE), la question de la souveraineté
nationale et de la légitimité
démocratique de son contrôle
La Convention européenne
par le juge constitutionnel est
des droits de l’homme de 1950
en effet pleinement posée. Pour
a longtemps aussi été écartée
POUR LES JUGES DE KARLSRUHE,
le juge constitutionnel allemand
des préoccupations de la jurisLA LÉGItIMItÉ DÉMOCRAtIqUE
dans sa décision concernant
prudence allemande. Il faut
la loi de ratification du traité
d’emblée préciser la position de
LÉGISLAtIVE N’ESt EN EFFEt
de Lisbonne du 30 juin 2009
la Convention EDH en droit
AVÉRÉE POUR L’HEURE qUE POUR
[Ambos, Rackow, 2009, p. 397allemand. Elle est différente de
405 ; Böse, 2010, p. 76-91 ;
celle qu’elle occupe en France,
LE BUNDEStAG (Et LES AUtRES
Krüger, 2012, p. 311-317 ;
soit un rang supra-législatif et
PARLEMENtS NAtIONAUX), LE
Müller-Graff, 2009, p. 5-12 ;
infra-constitutionnel. En AuSatzger 2008, p. 17-38 et 2011,
triche par exemple, la convenSyStèME DE L’UE NE PRÉVOyANt
p. 140-147 9], si la compétence
tion a un rang constitutionnel.
PAS DE GARANtIES ÉqUIVALENtES.
pénale de l’UE est reconnue, il
En Allemagne, pays dualiste,
est entendu qu’elle doit être lue,
cette même convention a été
LA NOUVELLE COMPÉtENCE
interprétée de façon restrictive,
transposée par une loi fédérale
PÉNALE PRÉVUE POUR L’UE PAR
afin de préserver la souveraineté
simple du 7 août 1952 10 et a,
des États membres. Selon des
en conséquence, ce même staL’ARt. 83 tFUE DOIt DONC êtRE
commentateurs reprenant le
tut 11. De plus, pendant longLUE
REStRICtIVEMENt
AU
VU
DE
CE
texte de l’arrêt : « en raison de
temps, la Conv. EDH était à
l’atteinte particulièrement grave à
l’ombre de la Loi fondamentale
DÉFICIt DÉMOCRAtIqUE.
l’autodétermination démocratique
allemande, comme un doublon
par ces dispositions de droit pénal
« à l’envers » pour reprendre
et de procédure pénale, les fondements de ces compétences dans les l’image bien connue du droit français : les droits prévus
traités doivent être interprétés très strictement – en aucun cas de par la Convention existaient dans la Loi fondamentale
manière extensive » [Jessberger, Kretschmer, 2010, p. 111, et le juge de Karlsruhe était plus accessible que celui de
revoyant au cons. n° 358 ; Vogel, 2011, p. 41]. Pour les Strasbourg. Certains auteurs dénonçaient le sous-entendu
juges de Karlsruhe, la légitimité démocratique législative très répandu en doctrine allemande que la protection de
n’est en effet avérée pour l’heure que pour le Bundestag la Conv. EDH n’allait pas au-delà de ce que garantissait
(et les autres parlements nationaux), le système de l’UE la Loi Fondamentale ; le texte européen en était « comme
ne prévoyant pas de garanties équivalentes. La nouvelle plongé dans le sommeil de la belle au bois dormant » [Jung, 2003,
(7) V. l’opinion dissidente du conseiller Gerhardt, pt. n° 190, HRRS 2005, n° 550.
(8) V. CJCE, 10 avr. 1984, von Colson et Kamann, aff. C 14/83, pt 26 ; 5 oct. 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01, pt. 113 ; 24 janv. 2012,
Dominguez, aff. C-282/10, pt. 27.
(9) Cour constit. féd. (2 BvE 2/08), 30 juin 2009, BVerfGE 123, p. 267 et s. (aussi disponible en langue française sur le site internet http://www.
bverfg.de/entscheidungen/es20090630_2bve000208fr.html). Cf. le rapport du Sénat sur cette décision, www.senat.fr/rap/r09-119/r09-1191.
pdf
(10) Bundesgesetzblatt (Bulletin fédéral des lois) BGBl. II, p. 685 et s., p. 953 et s.
(11) V. Art. 59 II LF.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
82 I DOSSIER
p. 191]. Malgré un récent regain d’autorité, la Convention n’est toujours pas aussi présente dans la procédure
pénale allemande que ne le souhaiteraient bien des auteurs. Il existe des raisons tout à fait précises pour cela :
le fait que la Conv. EDH ait rang de simple loi ne permet
pas au justiciable d’avancer une violation de celle-ci pour
fonder un recours devant la Cour fédérale constitutionnelle de Karlsruhe [Ambos, 2003, p. 583 ; Grabenwarter,
2009, p. 36]. De plus, l’article 35 de la Convention EDH
exige l’épuisement des voies de recours internes, y compris constitutionnelles ; pour l’Allemagne, il faudra donc
d’abord tenter d’aller à Karlsruhe avant même de pouvoir
saisir la Cour de Strasbourg [Grabenwarter, Pabel, 2012,
p. 61 12 ]. Ce recours n’est cependant pas nécessaire s’il est
dès le départ voué à l’échec et donc ineffectif au vu de
la jurisprudence de la Cour constitutionnelle concernée
[Grabenwarter, Pabel, 2012, p. 63 13 ]. Mais la Convention
EDH est une clef de lecture, une puissante « réserve » interprétative s’imposant à toutes les juridictions, y compris
la Cour constitutionnelle fédérale elle-même, depuis notamment la décision Görgülü de cette cour 14 [Gerkrath,
2006, p. 728-729 ; Hartwig, 2005, p. 869-894 ; LübbeWolff, 2006, p. 1-9]. Une lex posterior simple devra donc
être interprétée dans un sens conforme à la Convention et
il en va de même pour la Loi Fondamentale : on parle en
doctrine allemande « d’interpréation en empathie » « EMRK
freundliche Auslegung des Grundgesetzes » [Satzger, 2016,
p. 234]. Et la CEDH à l’inverse est une aide à l’interprétation de la Loi fondamentale. Mais cette interprétation ne
doit pas affaiblir la protection des droits fondamentaux
prévus dans la Loi fondamentale [Esser, 2014, p. 119].
La Cour constitutionnelle a explicité les conditions et les
limites de cette interprétation conforme de la Loi fondamentale dans une décision du 4 mai 2011 : « La Conv. EDH
a le rang d’une loi fédérale en droit interne et est en conséquence
subordonnée à la LF (a). Cependant elle doit être prise comme une
aide à l’interprétation (Auslegungshilfe) pour comprendre les droits
fondamentaux et les principes de l’État de droit contenus dans la
LF (b). Ceci vaut également pour l’interprétation faite de ladite
Convention par la Cour européenne des droits de l’Homme (c). Cette
fonction constitutionnelle de la Convention et de la jurisprudence
de la Cour européenne repose sur une empathie générale des textes
(Völkerrechtsfreundlichkeit des Grundgesetzes) et un alignement du
contenu de la LF sur les normes du droit international public (d).
Toutefois cette implication de la Convention comme aide interprétative ne doit pas avoir comme conséquence un parallélisme formel et
schématique des contenus de celle-ci et de la LF ; elle doit être entendue comme une réception des valeurs (Wertungen) de la Convention
(e) dans la mesure où cela serait méthodologiquement compatible
avec les principes (Vorgaben) de la LF (f) 15 ».
Des critiques fondamentales
Une partie de la doctrine allemande reste très critique
à l’égard de la compétence pénale de l’UE. C’est une
véritable querelle des anciens et des modernes à laquelle se
livre la doctrine allemande. Ainsi trouve-t-on des auteurs
qui, d’un ton très polémique, utilisent des formules très
incisives, voire des attaques ad hominem. Nous ne citerons
qu’un auteur, Bernd Schünemann, le « chef de file » des
auteurs critiques au sujet du traité de Lisbonne qu’il
qualifie de « Protée et Démiurge en un », mettant en scène
des « organes européens n’ayant qu’une légitimité démocratique
sub-optimale », appliquant des principes comme celui de
la libre disponibilité des informations entre autorités
de poursuites en Europe, qui « comme le dieu hindou Shiva
déploient une force de destruction totale des garanties de l’État de
droit ». La « tentative de domestication » du droit de l’UE par
le juge constitutionnel en 2009 n’a pas suffi selon lui à
endiguer ce mouvement destructeur. Il fustige les « laquais
de l’UE » [Schünemann, 2011, p. 132]. Le ton est donné
et nous n’irons pas plus loin dans ce florilège. Cet auteur
considère de toute façon que le droit allemand occupe
une place de premier rang dans le concert des ordres
juridiques et a des mots tout aussi durs à l’encontre des
droits français et anglo-américains [Leblois-Happe, Pin,
Walther, 2006, p. 729-731]. Soulignons clairement que
nombre de voix allemandes contraires se font entendre,
évoquant que l’Allemagne n’est pas le « Praeceptor
Europae 16 » et qu’elle n’a pas de leçon à donner ici [par ex.
Vogel, 2011, p. 43]. Ce qui nous l’espérons, sera entendu
en France à l’heure d’une certaine germanophobie
latente. Si la majorité des auteurs allemands reste certes
critique – tout en usant d’un ton bien plus modéré –,
certains réclament une adaptation plus grande du droit
pénal allemand à ce contexte européen [Ambos, Satzger,
Tiedemann, Vogel, toutes réf. citées].
Plus inquiétant peut-être, le législateur allemand luimême peut se montrer sensiblement réticent. Ainsi, la
commission des lois du Bundestag (Rechtsausschuss)
(12) CEDH, 28 août 1986, Glasenapp c. Allemagne (n°9228/80), pt. n°44 ; 25 août 1987, Englert c. Allemagne (n° 10282/83), pt. n° 32 ;
19 janv. 1999, Allaoui c. Allemagne (n°44911/98), pt. n°1.
(13) V. Comm. EDH, 15 janvier 1992, Informationsverein Lentia et a. c. Autriche (n° 13914/88), pt. n°2.
(14) Cour constit. féd. (2 BvR 1481/04), 14 oct. 2004, Görgülü, BVerfGE 111 (2004), p. 307 et s. www.bundesverfassungsgericht.de/
entscheidungen/rk20041014_2bvr148104fr.html pour une version en langue française).
(15) Cour constit. féd. (2 BvR 2365/09), 4 mai 2011, HRRS 2011, n°488 (traduction de l’auteur).
(16) On peut être tenté de voir dans ce qualificatif une allusion au réformateur Melanchthon, parfois qualifié de « Praeceptor Germaniae » et même
en Angleterre de « Praeceptor Angliae ».
Le droit pénal allemand et le droit pénal européen – Julien WALTHER
DOSSIER I 83
s’opposa-t-elle dans une recommandation du 23 mai atteinte aux aspects fondamentaux de son système de
2012 à la proposition de dir. sur les abus de marché justice pénal 20. Le législateur allemand a donc suivi cette
(devenue dir. du 16 avril 2014 17)
lecture et a adopté en conséquence
en arguant de problèmes de
un texte relatif à ce frein de secours,
compétence 18. D’aucuns ont dit
(Integrationsverantwortungsgesetz
que c’était là un « texte négativement
– IntVG) lequel prévoit dans
historique », car le Rechtsausschuss
son § 9 I, II que le représentant
annonce dans son document sa
du gouvernement allemand au
AU-DELà DU DISCOURS
volonté de suivre à la lettre la
Conseil doit poser son veto et
CRItIqUE Et REStRICtIF DU
jurisprudence Lisbonne de la Cour
demander la saisine du Conseil
constitutionnelle et éventuellement
européen selon le § 3 de l’art. 83 si
LÉGISLAtEUR, IL S’AGIt DE
de faire échouer ainsi le processus
le Bundestag ou le Bundesrat en ont
LA MISE EN PLACE D’UNE
d’harmonisation pénale. Selon les
décidé ainsi 21. Ce frein de secours
termes mêmes de certains auteurs,
devrait, à titre d’exemple selon
VÉRItABLE POLItIqUE
le lecteur reste perplexe dès les
certains auteurs, être déclenché si
LÉGISLAtIVE DE CONtRôLE DE
premières lignes [Schröder, 2013, p.
l’UE devait rendre obligatoire la
254] : la Commission européenne
responsabilité pénale des personnes
CONStItUtIONNALItÉ ENVERS
n’aurait pas suffisamment motivé
morales du fait de l’importance du
LE DROIt DE L’UE.
sa proposition en expliquant en
principe constitutionnel de la faute
quoi les sanctions pénales étaient
personnelle (Schuldprinzip) [Heger,
« indispensables » au sens de l’article
2009, p. 413-415 ; Hecker, 2009,
83, § 2 du TFUE. De plus, la
p. 81-84 et 2011, p. 25-26 ; Satzger,
proposition contiendrait des
2008, p. 34-36]. D’aucuns en France
« incriminations trop imprécises pour être
ont d’ailleurs souligné l’importance
conformes au principe de légalité criminelle ». La Commission de ce garde-fou de l’art. 83 § 3 pour préserver une part
des lois somme donc la Commission européenne de de souveraineté pénale française [Eoche-Duval, 2012, p.
s’expliquer sur ces points [Schroeder, 2013, p. 254]. Le 313].
débat s’est malgré tout achevé par la transposition du texte
par une loi de 2016 qui modifia en conséquence la loi sur Malgré ces puissantes réserves, la « forteresse pénale » a été
les titres financiers 19.
aménagée.
Au-delà du discours critique et restrictif du législateur, il
s’agit de la mise en place d’une véritable politique législative
de contrôle de constitutionnalité envers le droit de l’UE.
Pour la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt
Lisbonne [Ambos, Rackow, 2009, p. 401 ; Böse, 2010, p.
85], la lecture restrictive de la compétence pénale de l’UE
évoquée plus haut ressort aussi de l’existence même du § 3
de l’art. 83 TFUE avec son « frein de secours », c’est-à-dire la
possibilité pour un État membre de bloquer le processus
législatif européen si la directive proposée devait porter
Les brèches dans les
fortifications : aménagements
et nécessités de la coopération
pratique
Si la transposition des règles européennes a emporté
des modifications ponctuelles en droit pénal de fond
(17) COM(2011) 654fin (proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux sanctions pénales applicables aux opérations
d’initiés et aux manipulations de marché).
(18) BT-Drucksache 17/9770.
(19) Erstes Gesetz zur Novellierung von Finanzmarktvorschriften auf Grund europäischer Rechtsakte (Erstes Finanzmarktnovellierungsgesetz – 1.
FiMaNoG) du 30 juin 2016, BGBl. p. 1514-1544.
(20) Pt. n° 358 : « die vertraglichen Kompetenzgrundlagen […] (sind) strikt - keinesfalls extensiv - auszulegen und ihre Nutzung bedarf besonderer
Rechtfertigung. Das Strafrecht […] steht für die besonders sensible demokratische Entscheidung über das rechtsethische Minimum. Dies erkennt
auch der Vertrag von Lissabon ausdrücklich an, wenn er die neu begründeten Kompetenzen der Strafrechtspflege mit einer sogenannten
Notbremse versieht, die es dem - letztlich parlamentarisch verantwortlichen - Vertreter eines Mitgliedstaates im Rat erlaubt, gestützt auf »
grundlegende Aspekte seiner Strafrechtsordnung « mit seinem Veto strafrechtsbedeutsame Richtlinien jedenfalls für sein Land zu verhindern
(Art. 83 Abs. 3 AEUV) ».
(21) Integrationsverantwortungsgesetz du 22 sept. 2009 (BGBl. I, p. 3022).
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
84 I DOSSIER
comme de forme, c’est surtout dans le cadre de l’entraide
judiciaire que la nécessité d’une coopération pratique a eu
des conséquences de taille.
Des modifications limitées
Concernant le droit pénal de fond 22, l’impact du droit
pénal européen dans le Code pénal allemand (StGB) ne s’y
fait sentir que pour ce qui est des incriminations de droit
pénal spécial modifiées par la transposition de telle ou telle
directive pénale. Ont ainsi été transposées par exemple
des directives prises sur le fondement de l’article 83, § 1er,
à savoir la directive 2011/92/UE du 13 déc. 2011 rel. à
la lutte contre les abus sexuels sur mineurs (modification
des § 130 et s., § 174 et s., § 184 et s. StGB) ou encore la
directive 2013/40/UE du 12 août 2013 rel. aux attaques
contre les systèmes d'information (modification des
§ 202c § 303a, § 303b StGB 23).
En matière de droit formel, le Code de procédure pénale
(StPO) est lui aussi touché par certaines modifications
européennes. Il en va ainsi des directives relatives aux
droits procéduraux. Par exemple, le Parlement allemand
avait adopté deux lois successives afin de mettre le droit
fédéral en conformité avec les règles européennes sur
l’information des personnes poursuivies. La première a
été la loi du 29 juillet 2009 modifiant le droit de la détention provisoire (Gesetz zur Änderung des Untersuchungshaftsrechts 24) qui a adapté la procédure pénale d’outre-Rhin
aux exigences de la Cour EDH, s’agissant de l’accès au
dossier des personnes privées de liberté 25 ; la seconde
la loi du 2 juillet 2013 renforçant les droits procéduraux
des personnes mises en cause dans une procédure pénale
(Gesetz zur Stärkung der Verfahrensrechte von Beschuldigten
im Strafverfahren 26) qui a transposé la directive 2012/13/
UE du 22 mai 2012 rel. au droit à l’information dans le
cadre des procédures pénales 27. C’est tout aussi vrai pour
le CPP français qui a été modifié à l’identique par la loi
n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la
directive 2012/13/UE du 22 mai 2012, [Leblois-Happe,
Walther, 2015, p. 207-216]. Il est important de préciser à
cet endroit au lecteur français une évidence allemande, à
savoir que l’organisation judiciaire est pour les deux premiers niveaux (première instance et appel) de la compétence des Länder. Seule la Cour de cassation est fédérale.
Le magistrat français sera donc, par exemple, confronté à
un magistrat sarrois, bavarois ou de Rhénanie-Palatinat,
dépendant de son ministère de la Justice particulier. Il
faut noter ensuite que la procédure allemande ne connaît
plus de juge d’instruction « à la française » depuis 1974.
L’interlocuteur central du magistrat français est donc un
membre du ministère public (Staatsanwaltschaft), celui-ci
étant le maître de l’avant-procès. Le juge de l’enquête
allemand (Ermittlungsrichter) n’a que des fonctions de
contrôle et d’assistance du parquet comparables à celles
du JLD français. On observe de toute façon en doctrine
dans la mise en place de la coopération européenne une
confirmation du rôle central du parquet. C’est le cas en
France depuis la Loi « Perben II » du 9 mars 2004. Le
parquet est devenu la principale autorité d’exécution des
demandes d’entraide, les juges d’instruction n’intervenant
plus, en tant que juges requis, que pour l’exécution de certaines commissions rogatoires [Massé, 2004, p. 470-471].
À l’origine, le ministère public n’intervenait que dans la
procédure d’extradition. Une étape importante avait été
franchie pour la France avec la convention d’application
des accords de Schengen en 1990, le procureur général
ayant été désigné comme autorité de transmission des demandes d’entraide autres que l’extradition. Les membres
du parquet général ont également été désignés comme
points de contact du Réseau judiciaire européen – ce qui
est similaire en droit allemand.
Une refonte de l’entraide judiciaire
La Convention du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l’Union
européenne 28 a révolutionné les repères habituels de l’entraide et instauré un changement complet des priorités :
les juridictions elles-mêmes deviennent les acteurs de leur
coopération, le cadre classique de la relation politico-diplomatique qui prévaut encore dans l’extradition passant
au second rang. Les demandes sont faites dans un rapport
direct entre les tribunaux et les administrations judiciaires
(22) Le Code pénal allemand connaît bien évidemment comme le droit français des règles relatives au droit pénal international et à l’application
de la loi dans l’espace. Les §§ 3-7 du StGB exposent ainsi les principes de la personnalité active et passive, de la réalité, de la territorialité.
Ce sont des textes qui permettent de définir la loi applicable, c’est-à-dire si la loi allemande peut être le fondement d’éventuelles poursuites.
(23) Neunundvierzigstes Gesetz zur Änderung des Strafgesetzbuches - Umsetzung europäischer Vorgaben zum Sexualstrafrecht (49. StrÄndG), du
21 janv. 2015, BGBl. I, p. 10 (n° 2) ; Gesetz zur Bekämpfung der Korruption (KorrBekG) du 20 nov. 2015 BGBl. I, p. 2025 (n° 46).
(24) BGBl. 2009, I, p. 2274.
(25) V. not. CEDH Grande Chambre, 9 juil. 2009, Mooren c. Allemagne, (n° 11364/03), v. § 124.
(26) BGBl. 2013, I, p. 1938.
(27) « Directive B », JOUE, 1.6.2012, L142, p. 1. La loi a également transposé en droit allemand la directive 2010/64/UE du 20 oct. 2010 relative
au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JOUE, 26 oct. 2010, L 280, p. 1 – 7).
(28) Übereinkommen v. 29. 5. 2000 über die Rechtshilfe in Strafsachen zwischen den Mitgliedstaaten der EU (EURhÜbk).
Le droit pénal allemand et le droit pénal européen – Julien WALTHER
DOSSIER I 85
(Justizbehörden). L’échange d’information peut se faire de
manière informelle, ce qui est largement utilisé en pratique.
Le principe de la reconnaissance mutuelle (posé à l’article
82 TFUE) et appliqué par de nombreuses décisions-cadre
puis directives est, avec ce changement de priorité, l’autre
bouleversement de l’entraide. Tout en rappelant que les
juridictions sont de la compétence des Länder, une telle
coopération pose parfois la nécessité d’un cadre fédéral.
Le texte allemand de référence pour ce qui est de la
transposition de mécanismes de coopération européens
et d’entraide judiciaire est ici l’IRG, la loi fédérale
sur l’entraide judiciaire internationale (« Gesetz über
die internationale Rechtshilfe in Strafsachen » (pour
une présentation exhaustive de cette loi et sa genèse,
Wilkitzki, 2010 29). Si l’entraide internationale est ainsi
de la compétence normative du Bund selon l’art. 32
de la Loi fondamentale, celui-ci a délégué une grande
partie de ses compétences aux Länder, lesquels ont, par
subdélégation, donné un grand nombre de ces pouvoirs
aux juridictions elles-mêmes. Les Länder auront donc
également un rôle central du point de vue normatif. On
y trouve dans cette loi IRG des dispositions équivalentes
à celles des arts. 695-1 et s. du CPP. À ceci s’ajoutent en
pratique des circulaires du ministère fédéral de la Justice,
Richtlinien für den Verkehr mit dem Ausland in Strafrechtlichen
Angelegenheiten (RiVaSt), reprises par les Länder. Ces
circulaires s’adressent au ministère public, le juge ne
pouvant être lié, vu son indépendance et elles n’auront
pour ce dernier qu’une valeur indicative. Ce sont là les
instruments les plus utilisés en pratique. On y trouve ainsi
des fiches pour les relations avec les autres pays de l’UE
et des fiches techniques sur les pays qui résument divers
points pratiques touchant à l’entraide judiciaire.
Si l’on examine plusieurs domaines différents de coopération, ce phénomène d’adaptation au droit européen peut
être facilement illustré.
Pour ce qui est du mandat d’arrêt européen, les normes
applicables sont les § 78 à 83i IRG [Ambos, König,
Rackow, 2015, p. 393-495] nés de la transposition de la
décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002
relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures
de remise entre États membres. L’interlocuteur est ici
le ministère public du Land concerné et les juridictions
du même Land chargées du contrôle de la régularité des
demandes. Lorsque la transmission de la demande se fait
par le biais du système d’information Schengen (SIS), le
Bundeskriminalamt, la police fédérale allemande, transmet
l’information à l’autorité judiciaire concernée (cf. RiVaSt
n° 156). En France, le CPP prévoit aux articles 695-11
et s. la compétence du parquet général territorialement
compétent sous le contrôle de la chambre de l’instruction
de la même Cour d’appel.
Il existe cependant des cas dans lesquels une institution
fédérale ad hoc va intervenir. Ainsi en est-il de la création du
Bundesamt für Justiz à Bonn pour permettre entre autres
l’exécution des sanctions pécuniaires (cf. § 86 à 87p IRG)
[Ambos, König, Rackow, 2015, p. 646-677 30]. L’Allemagne
a transposé la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil
du 24 fév. 2005 concernant l’application du principe de
reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires par
une loi du 18 oct. 2010. Le Bundesamt, autorité sous la
tutelle du ministre fédéral de la justice, a été désigné par
cette loi pour traiter des demandes entrantes et sortantes
tombant sous le coup de la DC 2005/214. C’est la Cour
d’appel de Düsseldorf dans le ressort de laquelle se trouve
ce service qui est compétent pour connaître des recours
contre les décisions de ce dernier (§ 87g à 87l IRG). La
décision-cadre de 2005 (cf. son art. 2, § 1er ) laissait le choix
aux États membres de l’organisation de la gestion et de
l’exécution de ces demandes. Choisir une autorité unique
compétente comme cela a été le cas en Allemagne et
aux Pays-Bas (avec le Centraal Justitieel Incassobureau à
Leeuwarden) permet d’avoir une gestion uniforme de ces
demandes. Beaucoup d’autres États membres ont choisi
un système décentralisé, à l’image de ce qui se passe en
général dans la mise en place de la coopération en matière
criminelle. [Johnson, 2013, p. 65-66]. La France s’inscrit
dans cette dernière tendance puisqu’elle n’a pas introduit
ici d’organe central pour l’exécution desdites sanctions.
La loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 rel. à la prévention
de la délinquance a complété l’article 707-1 du CPP aux
fins de confier au procureur de la République la poursuite
de l’exécution des sanctions pécuniaires. Les modalités
pratiques de l’exécution en France d’une sanction
pécuniaire prononcée par une autorité compétente d’un
autre État membre, ainsi que celles de la mise à exécution
dans un autre État membre des décisions françaises visant
une personne résidant à l’étranger ont été définies par le
décret n° 2007-699 du 3 mai 2007 qui a créé les arts. D.
48-6 à D.4 8-36 du CPP [Ghaleh-Marzban, 2016, n° 111112 31]. Il est permis de penser que le fait que les sanctions
pécuniaires visées soient à la fois des amendes pénales
(29) Gesetz über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen, 27 juin 1994 (BGBl. I, p. 1537).
(30) BT Drucksache 16/1827 ; Gesetz über die Errichtung des Bundesamts für Justiz (BfJG) du 17 déc. 2006 (BGBl. I p. 3171), mod. par une
ordonnance du 31 août 2015 (BGBl. I p. 1474)
(31) Circ. du 28 oct. 2011 relative à la présentation des dispositions des articles 707-1 et D.48-6 à D.48-36 du Code de procédure pénale.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
86 I DOSSIER
et des sanctions administratives ait contribué à retenir le
modèle d’une institution fédérale puisque sont concernées
ici tant les administrations du Bund et du Land, toutes
autorités sanctionnatrices potentielles.
Il n’existe pas en revanche en Allemagne de structure
semblable à l’AGRASC, l’agence en charge de la gestion
des biens saisis et confisqués (cf. arts. 706-159 à 706-163
CPP) 32. Ce sont donc les juridictions elles-mêmes qui
assument les fonctions dévolues à l’agence française et en
matière de confiscations (notamment la coopération avec
les autorités étrangères, voir en ce sens, les § 94 à 97 IRG)
[Ambos, König, Rackow, 2015, p. 920-934], les différents
règlements et lois des Länder désignent explicitement les
ministères publics locaux. Le suivi statistique en la matière
est assuré par le Bundeskriminalamt.
Un dernier exemple est celui de la coopération avec
OLAF, l’office de lutte contre la fraude de l’UE 33. Dans
ce domaine, la coopération engage tant des interlocuteurs
fédéraux que les parquets des Länder. Ces derniers sont
les interlocuteurs dans le cadre par exemple d'enquêtes
diligentées par OLAF pour des fraudes aux subventions
européennes (le Code pénal allemand connaît ici une
incrimination spéciale, le § 264, al. 7, 2° StGB – là où
le Code pénal français applique l'article 313-1 sur
l'escroquerie). Mais on trouve aussi des interlocuteurs
fédéraux en Allemagne. C'est le cas du service de
coordination antifraude 34 du ministère fédéral des
Finances (l'équivalent de la Délégation nationale à la lutte
contre la fraude du ministère de l’Économie française).
En pratique et dans les textes, le droit positif d’outreRhin s'est bien adapté aux changements induits par le
droit européen. Mais l'ordre juridique allemand n'entend
pas se laisser bouleverser sans garanties et sans débat
de fond. C'est là une invitation à cultiver sans cesse et
avec pugnacité un dialogue de qualité entre rédacteurs
nationaux et européens de la norme pénale pour construire
un espace de justice européen digne de ce nom n
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(33) Cf. Règlement (UE, Euratom) n° 883/2013 du 11 septembre 2013 rel. aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude
(OLAF) (Article 3 Enquêtes externes)
(34) Bundesministerium der Finanzen, cf. Referat E A 6 Schutz der finanziellen Interessen der Gemeinschaft; EU-Finanzkontrolle und Betrugsbekämpfung)
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Le droit pénal allemand et le droit pénal européen – Julien WALTHER
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Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
88 I DOSSIER
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La progression
d’un statut des
victimes en droit
de l’Union
européenne
Claire SAAS
à l’information, le droit à l’assistance, la
prohibition de toute discrimination, l’accès à
des services dédiés…
U
n temps oubliées de la pensée
pénale [Tulkens, Van de
Kerchove, 2007, p. 62], les
victimes vont revenir sur
le devant de la scène internationale au
cours de la deuxième partie du XXe siècle,
notamment en raison des premières enquêtes
de victimation et de l’adoption de textes les
concernant de manière spécifique à l’échelle
supra-nationale. Ainsi, le 29 novembre
1985, l’Assemblée générale des Nations
unies adopte la résolution 40/34 portant
déclaration des principes fondamentaux de
justice relatifs aux victimes de la criminalité et
aux victimes d’abus de pouvoir. Considérée
comme la Grande charte des victimes, cette
déclaration en livre une définition large 1. Les
grandes lignes de leurs droits figurent déjà
dans ce texte : l’accès à la justice, le droit
à la réparation du préjudice subi, le droit
Plus proche de l’Union européenne (UE), le
Comité des ministres du Conseil de l’Europe
adopte, le 28 juin 1985, la recommandation
(85) 11 sur la position de la victime dans le
cadre du droit pénal et de la procédure pénale,
ainsi que la recommandation 87 (21) sur
l’assistance aux victimes et la prévention de
la victimisation du 17 septembre 1987. Déjà,
la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme (CESDH) reconnaissait à
la victime le droit à un procès équitable, en
application de son article 6 § 1, sous le volet
des contestations sur des droits et obligations
à caractère civil, sous réserve, toutefois,
d’une jurisprudence assez fermée [Lanthiez,
2008, p. 145-158 ; Tulkens, 2002, p. 41-59].
Elle comporte, en outre, diverses stipulations
constituant une forme de protection à l’égard
de certains types de criminalité, à l’instar de
la prohibition de la torture ou de la réduction
(1) Art. A, 1 : « On entend par "victimes" des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice,
notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une
atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en
vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir ».
La progression d’un statut des victimes en droit de l’Union européenne – Claire SAAS
Claire SAAS
Maîtresse de conférences,
HDR à l’Université de ParisSud, CERDI.
DOSSIER I 89
en esclavage et du droit à un recours effectif. En droit
international pénal, ce mouvement de fond se confirme.
La participation des victimes à la procédure, ainsi que leur
protection, vont figurer de manière expresse dans le Statut
de Rome de 1998. C’est la première fois que la justice
internationale pénale leur aménage une place véritable
[Jacquelin, 2008, p. 179-204].
Assez logiquement, les victimes ne seront appréhendées
que plus tard par le droit de l’UE, au moment où le traité
d’Amsterdam établit, à l’article 2 du traité sur l’Union
européenne (TUE), que l’UE a pour objectif de « maintenir
et développer l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de
justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes,
en liaison avec des mesures appropriées en matière de […] prévention
de la criminalité et de lutte contre ce phénomène ». À partir de cet
instant, les parties lésées vont pouvoir faire leur apparition
sur la scène pénale de l’UE [Blostock, 2012, p. 3 2 ]. Les
conclusions de la présidence du Conseil européen de
Tampere des 15 et 16 octobre 1999 mentionnent à de
multiples reprises cette nouvelle figure de l’espace de
liberté, de sécurité et de justice, en insistant sur l’accès
à la justice et le droit à indemnisation. La décision-cadre
2001/220/JAI du Conseil du 15 mars 2001 relative au
statut des victimes dans le cadre de procédures pénales 3
constitue la première pierre tangible de la reconnaissance
des victimes de la criminalité dans l’espace de l’UE.
Déjà, les approches sectorielles se superposent à une
approche globale, puisque la décision-cadre 2002/629/
JAI du Conseil du 19 juillet 2002 relative à la traite des
êtres humains 4 ou la décision-cadre 2004/68/JAI du
Conseil du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre
l’exploitation sexuelle des enfants à la pédopornographie 5
visent de manière spécifique les victimes de ces secteurs
de criminalité. Sont également adoptés des textes touchant
spécifiquement à certains droits des victimes, à l’instar
de la directive 2004/80/CE du Conseil du 29 avril 2004
relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité 6.
À la suite du traité de Lisbonne, qui reconnaît à l’UE
compétence en matière pénale 7 et rend contraignante
la Charte des droits fondamentaux de l’UE, le Conseil
européen va prendre les victimes en considération dans le
programme de Stockholm, adopté les 10 et 11 décembre
2009 8. L’espace de liberté, de sécurité et de justice y
est présenté comme un espace de protection des droits
fondamentaux. La Commission européenne y donnera
suite par deux propositions de textes : une proposition de
directive consacrée aux droits, au soutien et à la protection
des victimes de la criminalité, et une proposition de
règlement relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures
de protection en matière civile. La feuille de route de
Budapest 9, qui reprend les grandes lignes de la Magna
Carta des Nations unies, retient trois axes principaux : la
consécration d’un statut de la victime dans les procédures
pénales, la reconnaissance mutuelle des mesures civiles de
protection et l’indemnisation. La spécificité de certains
types de criminalité est rappelée par le Conseil qui estime
qu’aux textes concernant les victimes de manière globale
peuvent s’ajouter des textes touchant spécifiquement à tel
ou tel domaine de criminalité, posant ainsi la question de
l’articulation entre ces différentes normes. La feuille de
route de Budapest constitue un jalon important pour la
reconnaissance à la victime d’un statut en droit de l’UE.
Elle sera suivie de l’adoption de plusieurs textes, certains
consacrés exclusivement aux victimes, d’autres les incluant
en considération d’un domaine particulier de criminalité,
sans que ces deux figures se superposent pleinement.
Le Conseil de l’UE réaffirme, dans ses conclusions du 4
décembre 2014, la nécessité de renforcer la protection des
victimes de la criminalité, et notamment du terrorisme 10.
Dans cette contribution, il s’agit moins d’analyser l’état
de la transposition en droit interne des dispositions
européennes [Beaussonie, 2015, p. 940 ; Vergès, 2013,
p. 121] que de tracer les grandes lignes du statut des
victimes en droit de l’UE. À la lecture des textes adoptés
par les instances de l’UE, deux questions principales
émergent, qui renvoient d’ailleurs au droit interne : qui
est victime ? Que peut-elle ? De la diversité des textes
européens et internes émerge une figure plurielle de la
victime. Il existe une mosaïque de droits qui sont énoncés
comme étant ou devant être reconnus aux victimes, sans
qu’une image d’ensemble apparaisse nettement.
(2) J. Blostock fait remonter cette possibilité au traité de Maastricht.
(3) JOCE, L. 82, 22 mars 2001, p. 1-4.
(4) JOUE, L. 203, 1er janvier 2002, p. 1-4.
(5) JOUE, L. 013, 20 janvier 2004, p. 44-48.
(6) JOUE, L. 261, 6 août 2004, p. 15-18. Ce texte porte principalement sur les situations transfrontalières.
(7) L’article 82 § 2 c) du TFUE vise expressément les droits des victimes de la criminalité au titre des domaines dans lesquels une directive peut être
adoptée pour établir des règles minimales.
(8) JOUE, C. 115, 4 mai 2010.
(9) Résolution du Conseil du 10 juin 2011 relative à la feuille de route visant à renforcer les droits et la protection des victimes, particulièrement dans
les procédures pénales 2011/C 187/01.
(10) L’élaboration d’une stratégie de sécurité intérieure renouvelée pour l’Union européenne, Conclusions du Conseil justice et affaires intérieures,
4 décembre 2014.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
90 I DOSSIER
Une figure plurielle
La définition de la victime est plurielle, en raison, d’une
part, de la diversité des approches et, d’autre part, du
renvoi au droit interne des États membres.
Les victimes, entre approche sectorielle
et approche globale
Au sein de l’Union européenne, l’approche sectorielle des
victimes devance l’approche globale, en raison notamment
de la reconnaissance progressive d’une compétence en
matière pénale couvrant d’abord des domaines spécifiques
de criminalité.
Une approche sectorielle des victimes
Dans les différents textes adoptés par les instances de
l’Union européenne, les parties lésées apparaissaient
d’abord dans des domaines couverts notamment par les
décisions-cadres précitées. Domaine de criminalité par
domaine de criminalité, les textes évoquent la situation
des victimes, après les dispositions consacrées à la
définition des infractions et à la détermination des modes
de responsabilité, sans que cette position secondaire dans
les textes soit signe d’une négligence à leur égard.
Ainsi, la directive 2011/36/UE du Parlement européen
et du Conseil concernant la prévention de la traite des
êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que
la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre
2002/629/JAI du Conseil consacre pas moins de huit
articles aux victimes, huit articles étant également dédiés
aux incriminations, à la responsabilité pénale et aux règles
de compétence et de procédure. De même, la directive
2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil relative
à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle
des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant
la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil porte une
attention particulière et renforcée aux victimes, sans
aucun doute en raison de leur qualité. Le règlement (UE)
n° 606/2013 du Parlement européen et du Conseil du 12
juin 2013 relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures
de protection civile s’adresse uniquement aux victimes
de violences domestiques ou intra-familiales, bénéficiant
déjà d’une ordonnance de
protection. Il singularise encore
une autre catégorie de victimes.
Le choix de distinguer les
AU SEIN DE L’UNION
personnes en partant du
EUROPÉENNE, L’APPROCHE
domaine de criminalité dont
elles sont victimes est parfois
SECtORIELLE DES VICtIMES
lié aux qualités particulières
DEVANCE L’APPROCHE
qui sont prêtées aux victimes.
En effet, en droit de l’Union
GLOBALE, EN RAISON
européenne, les victimes sont,
NOtAMMENt DE LA
de longue date, considérées de
manière différenciée en raison
RECONNAISSANCE
de leur sexe et de leur âge 11.
PROGRESSIVE D’UNE
Ainsi, l’article 83 § 1 du TFUE
vise expressément l’exploitation
COMPÉtENCE EN MAtIèRE
sexuelle des femmes et des
PÉNALE COUVRANt D’ABORD
enfants. La directive 2011/36/
UE relative à la traite des
DES DOMAINES SPÉCIFIqUES
êtres humains réserve un
DE CRIMINALItÉ.
sort particulier aux « enfants
12
victimes
», en distinguant
par mi eux les enfants
victimes non accompagnés à
son article 16. Son article 13 § 2 pose par ailleurs une
« présomption d’enfance », permettant de faciliter l’accès
à une protection spécifique. Sont également visés les
enfants particulièrement vulnérables, à l’article 19 § 4 de
la directive 2011/93/UE relative aux abus sexuels et à la
pédopornographie 13. À l’initiative de la Commission des
droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement
européen, ce dernier a adopté en mai 2016 une résolution
préconisant une approche sexospécifique de la traite des
êtres humains 14, démontrant le souci d’une approche
individualisée ou, a minima, catégorielle 15.
(11) Les enfants victimes de certaines infractions bénéficient en droit français d’un régime particulier, notamment s’agissant de l’enregistrement
audiovisuel de leur audition prévue depuis la loi du 17 juin 1998 à l’article 706-52 du CPP.
(12) Dans le droit fil des lignes directrices du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants du 17 novembre 2010.
(13) Renvoi est effectué à la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures
pénales.
(14) European Parliament Resolution of 12 May 2016 on implementation of the Directive 2011/36/EU of 5 April 2011 on preventing and combating
trafficking in human beings and protecting its victims from a gender perspective 2015/2118(INI).
(15) Si la qualité de ressortissant d’États tiers en situation irrégulière de la victime n’est pas entièrement occultée en droit de l’Union européenne, les
textes ne prévoient aucun droit au séjour. Voir infra.
La progression d’un statut des victimes en droit de l’Union européenne – Claire SAAS
DOSSIER I 91
Une approche globale des victimes
La directive 2012/29/UE du Parlement européen et du
Conseil établissant des normes minimales concernant
les droits, le soutien et la protection des victimes de la
criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/
JAI du Conseil est vue comme une directive horizontale
sur les droits des victimes 16. Y figure une définition de la
victime qui est considérée, à l’article 2, a), comme « toute
personne physique ayant subi un préjudice, y compris une atteinte
à son intégrité physique, mentale ou émotionnelle ou une perte
matérielle, qui a été directement causé par une infraction pénale »
et comme « les membres de la famille d’une personne dont le
décès résulte directement d’une infraction pénale et qui ont subi un
préjudice du fait du décès de cette personne ». Cette définition
large, qui intègre la victime d’une infraction commise
dans un État tiers de l’UE dès lors que la procédure
est ouverte devant une juridiction d’un État membre 17,
se rapproche de la définition française. Certains auteurs
estiment que ce texte constitue un corpus juris des droits de
victimes [Vergès, 2013, p. 121]. Il nous apparaît comme un
fragment, certes essentiel et très détaillé, d’un ensemble
plus vaste, contenant l’ensemble des textes européens
mentionnant les victimes, et notamment les textes au
champ d’application ratione personae plus limité.
Reste à définir l’articulation des textes européens entre
eux. Dans la directive relative à la traite des êtres humains,
il est précisé à l’article 12 § 4 que le texte constitue un
complément à la décision-cadre 2001/220/JAI relative
au statut des victimes dans le cadre de procédure pénale,
décision-cadre remplacée par la directive 2012/29/UE.
Le libellé du considérant (69) de cette dernière confirme
cette complémentarité des textes, la directive 2012/29/
UE constituant un socle minimal auquel s’ajoutent des
dispositions spécifiques : « La présente directive n’a pas
d’incidence sur les dispositions de portée plus large figurant dans
d’autres actes juridiques de l’Union qui répondent d’une manière
plus ciblée aux besoins spécifiques de catégories particulières de
victimes, telles les victimes de la traite des êtres humains et les
enfants victimes d’abus sexuels, les victimes d’exploitation sexuelle
et de pédopornographie ». De même, le droit interne peut être
mieux-disant que la directive, et renforcer ce socle 18.
Les victimes, entre approche nationale et
approche supra-nationale
La qualité de victime est appréciée de diverses manières
par les textes. La plupart des textes du droit de l’Union
européenne s’appuient sur le droit interne ou y
renvoient, tandis que d’autres permettent une approche
transfrontalière de certaines victimes.
La reconnaissance principalement nationale
des victimes
La reconnaissance de victimes, et par conséquent de toute
une série de droits substantiels et procéduraux, est encore
fortement marquée par le droit interne. Le considérant
(20) de la directive 2012/29/UE l’énonce clairement :
« Le rôle attribué aux victimes dans le système de justice pénale et
la possibilité qu’elles ont de participer activement aux procédures
pénales varient d’un État membre à l’autre en fonction du système
national et sont déterminés par un ou plusieurs des critères suivants :
la question de savoir si le système national prévoit un statut juridique
de partie à la procédure pénale ; la question de savoir si la victime est
juridiquement tenue de participer activement à la procédure pénale
ou est appelée à y participer activement, par exemple en tant que
témoin ; et/ou la question de savoir si la victime a le droit, en vertu
du droit national, de participer activement à la procédure pénale
et souhaite le faire, lorsque le système national ne prévoit pas de
statut juridique de partie à la procédure pénale pour les victimes. Il
revient aux États membres de déterminer lesquels de ces critères sont
applicables pour définir l’étendue des droits énoncés dans la présente
directive, lorsqu’il existe des références au rôle attribué aux victimes
dans le système de justice pénale concerné ».
Le droit français étant ouvert à la participation active
des parties lésées au procès pénal 19, l’incidence de
cette restriction est peu perceptible. D’autres systèmes
juridiques, moins enclins à laisser la victime s’immiscer
dans les procédures pénales, à l’instar de celui de
l’Allemagne, pourront exciper de cette limite. Si la
reconnaissance de la qualité de victime est réalisée à
l’échelle nationale, elle dépend moins de la nationalité de
l’intéressé que du lieu de commission de l’infraction ou
(16) DG JUSTICE GUIDANCE DOCUMENT related to the transposition and implementation of Directive 2012/29/EU of the European Parliament
and of the Council of 25 October 2012 establishing minimum standards on the rights, support and protection of victims of crime, and replacing
Council Framework Decision 2001/220/JHA.
(17) Explanatory working paper related to the implementation of directive 2012/29/UE establishing minimum standards on the rights, support and
protection of victims of crime – Comments by the Redress Trust, 31 July 2013. Il est intéressant de noter que de nombreux éléments relatifs aux
victimes extra-territoriales cités par Redress sont repris par la Commission européenne dans le Justice Guidance Document précité.
(18) Pour un état des lieux des législations internes au regard de la directive, voir Victims of Crime in the EU: the extent and nature of support for
victims, FRA, 2014.
(19) Crim. 8 décembre 1906, Bull. n° 443, Laurent-Atthalin.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
92 I DOSSIER
de la compétence d’une juridiction d’un État membre.
Le considérant (13) de la directive 2012/29/UE paraît
reconnaître, en cas d’infraction commise en dehors de
l’espace européen, l’application de la directive, dès lors
qu’une procédure pénale se déroule devant une juridiction
d’un État membre 20. Il ne s’agit toutefois que d’un
considérant.
Bien que la nationalité de la victime ne soit pas un critère
pertinent dans les textes, la protection des victimes
ressortissantes d’États tiers en situation irrégulière est une
question cruciale en pratique. Elle demeure variable selon
les droits internes. En effet, si la reconnaissance de droits
n’est pas subordonnée à un titre de séjour, la dénonciation
d’une infraction et la participation à une procédure pénale
ne confère aucun droit au séjour à la victime 21. De même,
la directive 2011/36/UE relative à la traite des êtres
humains se contente de renvoyer aux directives couvrant
ce champ, et tout particulièrement à la directive 2004/81/
CE. Cette dernière préconise, dans ses considérants (7)
et (17), la reconnaissance d’un droit au séjour, par le biais
de la délivrance d’un titre de séjour, aux victimes de la
traite à condition que leur présence soit utile à l’enquête
ou à la procédure pénale diligentée à l’encontre des
suspects. Faute de dispositions contraignantes, la qualité
de ressortissant d’États tiers en situation irrégulière risque
de l’emporter sur celle de victime. À cet égard, le droit
français se montre assez protecteur, comme en témoigne
l’article L. 316-1 du Code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile.
La complexe européanisation
de la qualité de victime
Deux textes participent toutefois à une forme de
reconnaissance européenne de la qualité de victime,
fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des
décisions de justice. Il y a d’abord le règlement (UE)
n° 606/2013 du Parlement européen et du Conseil du 12
juin 2013 relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures
de protection civile. Ce texte, qui s’adresse aux victimes
de violences domestiques bénéficiant d’une mesure
civile de protection prise par les instances d’un État
membre, prévoit une « exportabilité 22 » de l’ordonnance
de protection au-delà des frontières dudit État membre.
L’objectif est d’empêcher que la portée territoriale de
l’ordonnance de protection dissuade une personne de
faire usage de sa liberté de circulation, y compris pour
des vacances.
Cette possible extension de l’ordonnance de protection
française à l’étranger apparaît fragile à deux égards.
D’une part, la procédure à suivre ressemble fort à un
parcours d’obstacles, nécessitant d’abord que le juge
aux affaires familiales français certifie l’existence de
la mesure de protection, puis que le bénéficiaire de la
mesure de protection présente ce certificat ainsi que
l’ordonnance de protection à l’autorité compétente
dans l’État membre requis de mettre à exécution ladite
ordonnance de protection 23. D’autre part, la durée initiale
d’une ordonnance de protection, délivrée en France avec
parcimonie, est limitée à six mois aux termes de l’article
515-9 du Code civil tel que modifié par la loi du 4 août
2014. Il faudra donc que les autorités de l’État d’émission
et de l’État requis se montrent particulièrement diligentes.
Vient ensuite la directive 2011/99/UE du Parlement
européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la
décision de protection européenne 24. Également fondée
sur le mécanisme de la reconnaissance mutuelle des
décisions de justice, elle vise exclusivement les mesures
de protection de nature pénale dont le bénéficiaire
demande l’extension. En France, sont principalement
visées les interdictions de s’approcher de la victime, de
fréquenter les mêmes lieux et d’entrer en contact avec elle,
qui peuvent être imposées au titre d’un sursis avec mise à
l’épreuve ou d’un contrôle judiciaire. L’originalité de cette
directive, par rapport au règlement permettant l’extension
d’une mesure civile de protection, tient notamment
à l’autorité compétente. En effet, le bénéficiaire de la
mesure nationale de protection peut demander soit à l’État
ayant émis la mesure interne de protection 25, soit à un
autre État membre de prendre une mesure de protection
européenne.
Le développement de collectifs ou de réseaux
d’associations de défense des droits des victimes, soit
généralistes comme « Victim Support Europe » (VSE), soit
(20) Explanatory working paper related to the implementation of directive 2012/29/UE establishing minimum standards on the rights, support and
protection of victims of crime – Comments by the Redress Trust, op. cit., p. part. 5.
(21) Considérant (10) de la directive 2012/29/UE.
(22) Pour reprendre un terme cher au domaine de la propriété intellectuelle.
(23) Circulaire du 12 janvier 2015 de présentation des dispositions du règlement (UE) n°606/2013 du Parlement européen et du Conseil du 12
juin 2013 relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures de protection en matière civile NOR : JUSC1500779C, BOMJ n° 2015-01 du 30
janvier 2015 – JUSC1500779C – p. 1-47.
(24) JOUE, L. 338, 21 décembre 2011, p. 2.
(25) En France, l’article 696-93 du CPP désigne le procureur de la République comme étant l’autorité compétente.
La progression d’un statut des victimes en droit de l’Union européenne – Claire SAAS
DOSSIER I 93
spécialisés comme « Women Against Violence in Europe »
(WAVE) ou « European Network Against Racism »
(ENAR) témoigne de la volonté de partager les bonnes
pratiques, voire de proposer des services transnationaux
d’aide aux victimes afin qu’elles puissent bénéficier d’un
nombre croissant de droits.
Une mosaïque de droits
l’article 20 § 2 de la directive 2011/93/UE relative aux
abus sexuels et à la pédopornographie rappelle ce droit,
en veillant à une représentation juridique des enfants, « y
compris aux fins d’une demande d’indemnisation ». L’article 16 de
la directive 2012/29/UE relative aux droits des victimes
prévoit un droit à ce qu’il soit statué sur la demande
d’indemnisation par l’auteur de l’infraction dans le cadre
du procès pénal, sauf, tempère le texte, « dans le cas où le
droit national prévoit que cette décision est prise dans le cadre d’une
autre procédure judiciaire ».
Dans la feuille de route de Budapest, l’indemnisation des
victimes figurait parmi les mesures permettant de renforcer les droits et la protection des victimes. Le réexamen
de la directive 2004/80/CE du Conseil du 29 avril 2004
relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité y
était prévu, mais est demeuré pour
l’instant lettre morte. En droit interne, ce droit est largement garanti, notamment grâce à la Commission d’indemnisation des victimes
EN D’AUtRES tERMES, LA
d’infractions (CIVI) et au Service
DIRECtIVE ACCORDE UN
d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (SARVI).
MINIMUM DE DROItS à LA
L’ensemble des textes européens visant les victimes
permet de dessiner de très nombreux droits. Bien qu’une
tentative de classification soit nécessairement réductrice 26,
deux grandes catégories de droits apparaissent, les
premiers qu’on pourrait qualifier de droits de première
génération, auxquels vont s’ajouter
des droits de seconde génération.
Les droits de première
génération
Parmi les droits de première
génération apparaissent des droits
centraux et des droits périphériques,
qui viennent au soutien des premiers.
VICtIME, DèS LORS qUE
Concernant le droit au procès,
la participation de la victime à
LE DROIt INtERNE LA
une procédure pénale n’est de
RECONNAît COMME PARtIE
loin pas acquise dans l’ensemble
des législations européennes
AU PROCèS. ELLE N’IMPOSE
Le rappel des droits centraux
[Giudicelli-Delage, Lazerges, 2008 ;
tOUtEFOIS PAS AUX ÉtAtS
Standing up for your right (s) in Europe
Le droit à l’indemnisation et le droit
– Locus standi ; Study, European
MEMBRES DE RÉVISER LEUR
au procès constituent les deux piliers
Parliament, 2012], pas plus qu’elle
LÉGISLAtION DE MANIèRE à LUI
du statut des parties lésées, tant en
ne l’est en droit de l’UE. La
droit de l’Union européenne qu’en
directive 2012/29/UE prévoit que
CONSENtIR LE DROIt D’INItIER
droit interne.
la victime a le droit d’être entendue
UNE PROCÉDURE PÉNALE.
pendant la procédure pénale, ce
S’agissant du droit à l’indemnisation,
qui inclut le droit de produire des
l’article 17 de la directive 2011/36/
éléments de preuve. Bénéficiaire
UE relative à la traite des êtres
de l’aide juridictionnelle lorsqu’elle
humains impose d’ouvrir l’accès à
est partie au procès, la victime doit
toute victime « aux régimes existants en matière d’indemnisation pouvoir obtenir le remboursement des frais nécessaires
des victimes de la criminalité intentionnelle violente ». Cette à sa participation à la procédure. Elle doit aussi pouvoir
disposition, concise, est particulièrement intéressante. contester une décision de ne pas poursuivre. En d’autres
D’une part, elle reconnaît aux victimes de traite le droit de termes, la directive accorde un minimum de droits à la
demander à l’auteur des faits l’indemnisation du préjudice victime, dès lors que le droit interne la reconnaît comme
subi. D’autre part, elle prévoit le bénéfice des mécanismes partie au procès. Elle n’impose toutefois pas aux États
mis en place par les États membres pour assurer une membres de réviser leur législation de manière à lui
indemnisation des victimes, quelle que soit leur situation consentir le droit d’initier une procédure pénale.
au regard du droit au séjour. De manière indirecte,
(26) Il aurait également été possible de distinguer entre droits substantiels et droits procéduraux.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
94 I DOSSIER
À cet égard, le droit de l’UE apparaît en retrait par rapport
au droit français qui considère la victime comme une partie
au procès. En effet, elle peut, sauf exceptions, initier le
procès, accéder au dossier après sa constitution de partie
civile, produire les éléments qu’elle estime nécessaires,
participer à l’instruction, être présente de manière active
à l’audience…
Le renforcement des droits périphériques
Le terme de droits périphériques désigne des droits censés
renforcer l’effectivité des droits centraux 27. En effet, le
droit à l’information conditionne l’accès au juge et à une
procédure d’indemnisation. De même, la garantie d’une
protection est susceptible d’inciter la victime à se faire
connaître des services de police et à engager une action
en justice.
Le droit à l’information est largement couvert par le
chapitre 2 de la directive 2012/29/UE, qui prévoit
que la victime doit être informée, dans une langue
qu’elle comprend 28, sur ses droits, sur la plainte, sur le
déroulement de la procédure, et doit avoir accès à un
service d’aide aux victimes. Le luxe de détails en droit de
l’UE trouve son pendant en droit interne. En effet, l’article
préliminaire du Code de procédure pénale (CPP) rappelle
que l’information des victimes doit être assurée par
l’autorité judiciaire. De nombreuses dispositions éparses
dans le CPP se font l’écho, à des moments particuliers
de l’enquête ou du procès, de ce droit. Il est également
précisé, tant en droit européen 29 qu’en droit interne 30, que
la victime peut indiquer qu’elle ne souhaite pas recevoir
d’informations.
Cette accumulation de droits à l’information peut
« provoquer des vertiges » [Vergès, 2013, p. 121], sans que
le lecteur attentif des textes, qui décèlera ici ou là une
différence entre le droit de l’UE et le droit français, puisse
être éclairé sur l’incidence du non-respect de ce droit à
l’information. Le cas de l’information auprès des parties
lésées résidant à l’étranger n’est, en outre, pas considéré.
De surcroît, la protection des victimes, déjà présente dans
la Déclaration des principes fondamentaux de justice
relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes
d’abus de pouvoir, va être renforcée par la suite. Dans la
directive européenne 2012/29/UE comme dans les autres
textes sectoriels, la protection de la vie privée, le respect
de la dignité de la victime pendant son audition, la prise
en considération du risque de victimisation secondaire
sont autant d’éléments tendant à protéger la victime et sa
famille pendant le processus pénal. La directive 2011/99/
UE du 13 décembre 2011 relative à la décision de
protection européenne vient renforcer cette dimension,
transposée en droit interne par la loi n° 2015-993 du 17
août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au
droit de l’UE 31.
À cette protection classique s’ajoute un second degré de
protection, dédié aux victimes les plus vulnérables, parmi
lesquelles les enfants sont singularisés. À cet égard, la directive 2011/36/UE sur la traite des êtres humains mérite
une attention particulière, en ce qu’elle distingue la situation de l’enfant en dehors de toute procédure pénale 32 et
dans le cadre des enquêtes et procédures pénales. L’article
15 § 3 de la directive est particulièrement détaillé. Les
auditions de l’enfant victime doivent avoir lieu sans retard
injustifié et être menées par des professionnels formés
à cet effet. Dans la mesure du possible, l’enfant victime
doit toujours être interrogé par les mêmes personnes. Le
nombre des auditions doit être limité au minimum. Et
l’enfant victime doit pouvoir être accompagné par un représentant légal ou, le cas échéant, par une personne majeure de son choix. Lors des procédures pénales, les Etats
membres doivent prendre les mesures nécessaires pour
que le juge puisse ordonner le déroulement de l’audience
à huis clos et l’audition à l’audience de l’enfant victime
par le biais des nouvelles technologies de communication,
évitant ainsi à l’enfant tout contact avec les suspects. Si
l’enfant est non accompagné, l’article 16 § 1 impose aux
États membres de prendre des mesures spécifiques d’aide
et d’assistance.
Est enfin garantie une protection contre les poursuites,
à travers la reconnaissance d’une immunité pénale, par
l’article 8 de la directive 2011/36/UE relative à la traite
des êtres humains et l’article 14 de la directive 2011/93/
UE relative aux abus sexuels et à la pédopornographie.
(27) CEDH, Zontul c. Grèce, 17 janvier 2012, req. n° 12294/07.
(28) Article 7 de la directive 2012/29/UE.
(29) Article 6 § 4 de la directive 2012/29/UE.
(30) Article D. 49-72 du CPP.
(31) V. supra I. 2. 2.
(32) L’article 14 § 1 précise que les États membres « prennent les mesures nécessaires pour que les actions spécifiques destinées à assister et à aider
les enfants victimes de la traite des êtres humains, à court et à long terme, dans le cadre de leur rétablissement physique et psychosocial, soient
engagées à la suite d’une appréciation individuelle de la situation particulière de chaque enfant victime, compte tenu de son avis, de ses besoins
et de ses préoccupations, en vue de trouver une solution durable pour l’enfant ».
La progression d’un statut des victimes en droit de l’Union européenne – Claire SAAS
DOSSIER I 95
Les droits de seconde génération
Le droit à une justice réparatrice ainsi que le droit à
l’identification spécifique des besoins des victimes peuvent
être qualifiés de droits de seconde génération, en ce
qu’ils sont apparus plus récemment dans les dispositions
contraignantes des textes européens, devançant parfois le
législateur français.
Le droit à une justice réparatrice
Qualifiée d’innovation majeure [Vergès, 2013, p. 121] ou
d’avancée majeure [Sayous, Cario, 2014, p. 461], la justice
réparatrice est définie à l’article 2 § 1, d) de la directive
2012/29/UE comme « tout processus permettant à la victime et
à l’auteur de l’infraction de participer activement, s’ils y consentent
librement, à la solution des difficultés résultant de l’infraction pénale,
avec l’aide d’un tiers indépendant ». Les États doivent faciliter
le renvoi des affaires devant les services de justice réparatrice, précise l’article 12.
Si le droit français connaissait déjà des mesures relevant
de la justice réparatrice, tout particulièrement au titre
des alternatives aux poursuites ou pendant la phase
post-sentencielle 33, l’insertion par la loi n° 2014-896 du
15 août 2014 d’un article 10-1 dans le CPP entièrement
consacré à ce mode de résolution des conflits est plus
que symbolique, en ce qu’elle permet de proposer aux
parties lésées et aux suspects ou condamnés de participer
à une mesure de justice restaurative à tous les stades de
la procédure. Certainement, l’essentiel est dit par l’alinéa
2 de l’article 10-1 du CPP. Les modalités concrètes
d’application doivent toutefois encore être définies par les
acteurs français [Sayous, Cario, 2014, p. 461]. Certaines
juridictions s’inscrivent dans ce mouvement, à l’instar du
tribunal de grande instance de Lyon qui expérimente la
justice restaurative en phase pré-sentencielle à l’issue de
l’information judiciaire, après que la décision de renvoi
devant le tribunal correctionnel a été prise 34.
Le droit à l’identification
Ce qui apparaît comme un pré-requis pour que cet
ensemble de droits soit reconnu de manière efficace, n’est
évoqué qu’au considérant (63) de la directive 2012/29/
UE. Le phénomène de sous-déclaration est pourtant l’un
des points noirs de la protection des victimes 35, cette
dernière étant le plus souvent dépendante du dépôt d’une
plainte 36. En revanche, les textes visant une criminalité
spécifique se font plus précis. Ainsi, la directive 2011/36/
UE relative à la traite des êtres humains prévoit, à l’article
11 § 4, que « les États membres prennent les mesures nécessaires
pour créer des mécanismes appropriés destinés à l’identification
précoce des victimes et à l’assistance et à l’aide aux victimes, en
coopération avec les organismes d’aide pertinents ». L’article 18
§ 3 de la même directive précise que « les États membres
favorisent la formation régulière des fonctionnaires susceptibles
d’entrer en contact avec des victimes et victimes potentielles de la
traite des êtres humains, y compris les policiers de terrain, afin de leur
permettre d’identifier les victimes et victimes potentielles de la traite
des êtres humains et de les prendre en charge ». Des dispositions
similaires sont présentes dans la directive 2011/93/UE du
13 décembre 2011 relative aux abus sexuels.
Pour améliorer la détection, des lignes directrices ont été
élaborées dans divers cadres et par diverses instances, tout
particulièrement dans le domaine de la traite des êtres
humains. Celles proposées par le « International Center
for Migration Policy Development » en 2010 et reprises
par la suite apparaissent particulièrement détaillées et
pertinentes. En cas de doute sur la qualité de victimes, la
protection devrait être accordée en raison de la complexité
des infractions en lien avec la traite des êtres humains 37.
Si la détection des victimes est quasiment ignorée de la
directive 2012/29/UE, l’article 22 de cette dernière se
saisit toutefois de l’identification des besoins spécifiques
des victimes à travers l’évaluation individualisée des
victimes en matière de protection. Cette disposition a fait
l’objet de toutes les attentions 38 et a été transposée en droit
interne par la loi n° 2015-993 du 17 août 2015. L’article
10-5 du Code de procédure pénale prévoit désormais que
les victimes font, « dès que possible, […] l’objet d’une évaluation
personnalisée, afin de déterminer si elles ont besoin de mesures
spécifiques de protection au cours de la procédure pénale ».
La détection et l’identification des victimes constituent la
première étape pour assurer une protection aux victimes.
(33) « Les rencontres détenus-victimes à la maison centrale de Poissy retour d’expérience », Les chroniques du CIRAP, juillet 2011, n° 11.
(34) « Lyon impulse et expérimente la justice restaurative : un partenariat inédit entre avocats et magistrats », JCP G, 13 juin 2016, 702.
(35) HCE, Avis n°2016-09-30-VIO-022, 5 octobre 2016.
(36) Victims of Crime in the EU: the extent and nature of support for victims, FRA, 2014.
(37) Department for Equal Opportunities – Presidency of the Council of Ministers Italy ; International Centre for Migration Policy Development
(ICMPD), Guidelines for the Development of a transnational referral mechanism for trafficked persons in Europe : TRM-EU, P. 36, 2010.
(38) L’évaluation personnalisée des victimes, Rapport du ministère de la Justice, JUST/2013/JPEN/AG/4602.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
96 I DOSSIER
Conclusion
À travers différentes approches convergentes, le droit
de l’Union européenne tend à reconnaître un statut aux
victimes d’infractions pénales. En droit interne français,
le processus normatif engagé d’assez longue date en ce
sens se poursuit, en innovant parfois sous l’effet du droit
européen. Quelques regrets tout de même : la lisibilité du
statut des victimes pâtit de la diversité des normes et de leur
éparpillement, tant en droit européen qu’en droit interne ;
le moment auquel la qualité de victime est reconnue pas
plus que la distinction entre parties lésées et témoins ne
sont encore clairement déterminés ; le manque de moyens
alloués pour rendre ces droits effectifs et contraignants.
Que cette dernière note amère ne ternisse pas un tableau
général qui fait montre de réelles avancées… n
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La progression d’un statut des victimes en droit de l’Union européenne – Claire SAAS
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DOSSIER I 97
Introduction
aux coopérations policières
de l’Union européenne
Olivier CAHN
Olivier CAHN
Titulaire
d’un LLM
by research
en Droit
pénal de la
University of
East Anglia
et docteur en droit pénal
et sciences criminelles de
l’Université de Poitiers. Maître
de conférences, habilité à
diriger des recherches, à la
Faculté de droit de l’Université
de Cergy-Pontoise et chargé
de cours aux Facultés de droit
de Strasbourg et Poitiers. Il est
chercheur au CESDIP-CNRS
(UMR 8183). Ses travaux
portent sur les coopérations
en matière pénale au sein
de l’Union européenne, la
lutte contre le terrorisme, le
maintien de l’ordre et la lutte
contre la corruption.
C.
Lombois écrivait « la loi peut
bien décider de faire porter son
ombre plus loin que les frontières ;
le juge peut bien avoir assez
puissante voix pour que, parlant de sa demeure, ses
condamnations soient entendues du dehors ; le gendarme,
lui, ne peut saisir plus loin que son bras… et n’est
gendarme que chez lui », soulignant implicitement
la nécessité de la coopération policière [1979,
p. 536]. L’attachement des États à leur
souveraineté constitue, y compris au sein
de l’Union européenne (UE), un obstacle à
l’épanouissement d’une collaboration efficace
entre services de police. Ce n’est que sous la
contrainte des événements qu’ils acceptent
quelque concession.
La coopération policière, si elle est consacrée
par le droit européen, n’est jamais définie.
Cette lacune s’explique par le pragmatisme
des rédacteurs des traités, les disparités
entre les dispositifs de police des États
rendant presque impossible l’adoption
d’une conception commune. La doctrine
suggère que l’entraide policière consiste
dans l’assistance mutuelle et la coopération
opérationnelle des services nationaux
[Herran, 2012, p. 283-284]. Elle implique,
pour les autorités investies de pouvoirs de
police dans les différents États membres,
d’accomplir de manière coordonnée et/
ou conjointe, des actes allant de l’échange
spontané de renseignements jusqu’à
l’organisation d’opérations communes,
afin de préserver ou de restaurer, sur leurs
territoires respectifs et dans le respect de
leurs souverainetés, de leurs législations
nationales et des prérogatives de l’autorité
judiciaire, l’ordre public national ou
international [Cahn, 2006, p. 58-60].
Principe de subsidiarité oblige, cette entraide
se concentre, hors des zones frontalières,
essentiellement sur les formes graves de
criminalité.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
98 I DOSSIER
La coopération entre policiers s’opère selon quatre
principes : l’intuitus personae, la réciprocité, la spécialité
et la règle du tiers service. L’une des ambitions de la
construction européenne est de modifier cette culture
pour parvenir à des coopérations inter-institutionnelles,
fondées sur la disponibilité de l’information [Décisioncadre 2006/960/JAI du Conseil du 18 décembre] et sa
transmission spontanée et sur la solidarité entre services
à l’échelle de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
(ELSJ). Ce schéma idéal se heurte à des obstacles, qui
vont de la réticence des spécialistes de la coopération
internationale à voir disparaître leur compétence exclusive
jusqu’à la crainte qu’une trop grande mutualisation
du renseignement policier ne conduise à une perte
d’efficacité répressive contre la criminalité transfrontalière
– le risque étant qu’un agent corrompu permette d’avoir
accès à l’ensemble des informations disponibles au niveau
européen. En revanche, la coopération policière est
modérément affectée par certains obstacles traditionnels
à l’entraide répressive. Les disparités procédurales sont,
ainsi, plus facilement gérées par les policiers que par les
magistrats, l’habitude de composer avec la légalité étant
acquise au niveau national et facilement adaptable à
l’international et le pragmatisme orienté vers l’efficacité
répressive constituant une base culturelle commune.
Historiquement, la coopération entre les services de police
des États européens s’est développée à partir des années
1960, de manière informelle, entre services opérant dans
les zones frontalières. Toutefois, dès le début des années
1960, le Benelux a signé une convention qui constituera
ultérieurement le canevas de la Convention d’application
de l’accord de Schengen (CAAS). Dans les années 1970,
la confrontation à diverses formes de terrorisme a
conduit les ministres de l’Intérieur des États membres des
Communautés européennes à initier une collaboration
plus structurée, mais qui demeurait informelle, au sein
d’une structure ad hoc intergouvernementale dénommée
« TREVI », qui constituera la matrice sur laquelle sera
constitué Europol. Le développement des coopérations
policières suit classiquement une évolution de l’informel
vers le formel. L’UE n’y a pas échappé. La signature de
l’Acte unique européen a constitué le prétexte à l’adoption
de l’acte fondateur des coopérations policières de l’Union
européenne, l’accord de Schengen, signé le 14 juin 1985.
Il s’agit pourtant d’une convention internationale dans
les formes ordinaires du droit international public et non
d’un instrument de droit européen. Les traités instituant
les Communautés européennes ne contenaient en effet
aucune disposition susceptible de servir de support
légal à un tel instrument. La difficulté a donc consisté,
pour l’Union européenne, d’une part, à voir reconnaître
sa compétence pour contribuer à la définition de la
coopération policière entre les États membres et, d’autre
Introduction aux coopérations policières de l’Union européenne – Olivier CAHN
part, à conduire ces derniers à choisir les instruments
contraignants du droit européen pour encadrer cette
forme d’entraide.
Le traité de Maastricht a imparfaitement pourvu à ces
objectifs. Il a identifié des questions d’intérêt commun
justifiant une coopération policière, mais il a aussi initié
le découpage en piliers des compétences de l’Union,
soumettant la coopération policière à une procédure
intergouvernementale fondée sur l’unanimité, qui va la
contraindre longtemps à un développement selon le plus
petit dénominateur commun. Si le traité d’Amsterdam a
consacré l’Acquis de Schengen et amélioré quelque peu
l’efficacité des instruments susceptibles d’être adoptés, ce
n’est que par le traité de Lisbonne que l’Union a acquis
une compétence lui permettant de développer une réelle
politique de coopération policière. Par ailleurs, à la fin des
années 1990, l’Union va, sous la pression des événements,
instaurer une coopération policière avec les États tiers.
L’Union européenne est ainsi parvenue à développer des
coopérations policières, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur
de l’ELSJ.
Les coopérations policières au
sein de l’espace de liberté, de
sécurité et de justice
Les coopérations multilatérales peuvent être distinguées
des coopérations bilatérales développées dans les zones
frontalières
Les coopérations policières multilatérales
Les coopérations multilatérales sont celles qui s’opèrent
à l’échelle de l’ELSJ et peuvent impliquer plusieurs États
membres dans des enquêtes portant sur des formes graves
de criminalité transfrontalière. Elles sont régies par des
textes spécifiques et impliquent, outre les forces dotées
de pouvoirs de police des États membres, des organes
européens.
Les textes
La coopération policière multilatérale au sein de
l’Union européenne a été formalisée par la CAAS, du
19 juin 1990, qui, avec les instruments adoptés sur son
fondement, constitue aujourd’hui l’Acquis de Schengen.
Elle prévoit, en son article 39, une assistance mutuelle
entre les services de police des États parties en matière de
DOSSIER I 99
prévention, de détection et, sous réserve des procédures
réservées par les droits nationaux à l’entraide judiciaire,
d’enquête. Protectrice de la souveraineté des États,
cette disposition prévoit que l’État requis peut fournir
aux autorités requérantes des informations écrites qui
pourront, avec son accord, être utilisées à des fins
probatoires et que, si les demandes d’assistance sont
théoriquement échangées entre les organes centraux
chargés de la coopération policière internationale, une
demande peut, en cas d’urgence, être directement adressée
aux autorités de police compétentes pour la traiter. Par
ailleurs, la Convention instaure le système d’information
Schengen (SIS), aujourd’hui SIS II [décision 2007/533/
JAI du Conseil du 12 juin 2007 sur l’établissement, le
fonctionnement et l’utilisation du SIS II]. Constitué selon
une structure « en étoile », il se compose d’un système
central (CS-SIS II) et, dans chaque État Schengen, d’une
interface nationale (NI-SIS II), ces interfaces étant reliées
entre elles par un réseau virtuel crypté. Chaque État
partie doit désigner une entité (N-SIS II) en charge de
l’exploitation du SIS national. Enfin, un bureau SIREN
(Supplementary Information Request at National Entries)
est chargé de fournir les données complémentaires,
associées à une information introduite dans le SIS II. Les
autorités signalantes peuvent indiquer la conduite à tenir
envers la personne ou l’objet signalé dans le système.
Le traité de Prüm, signé le 27 mai 2005 et surnommé
« Schengen III », consacre « un niveau aussi élevé que
possible » de coopération mais, toujours, dans le respect
des droits nationaux. Il prévoit que les États parties
créent des fichiers d’analyses ADN et désignent des
points de contact nationaux qui sont autorisés à accéder
aux données indexées et à procéder à des comparaisons
automatisées. Le constat de la concordance de profils
ouvre droit à « la transmission d’autres données à caractère
personnel ». Une procédure similaire est prévue s’agissant
de l’échange de données dactyloscopiques et des données
contenues dans les registres d’immatriculation des
véhicules. Dans le cadre de manifestations de grande
envergure à dimension transfrontalière, les États membres
se transmettent, sur demande ou de leur propre initiative,
et par l’intermédiaire de points de contact nationaux
spécialement désignés, les données à caractère non
personnel susceptibles de prévenir des infractions pénales
ou d’aider au maintien de l’ordre et de la sécurité publics.
Des données personnelles ne peuvent être fournies que
si les personnes concernées constituent objectivement
une menace pour l’ordre et la sécurité publics ou si les
circonstances font présumer qu’elles vont commettre des
infractions pénales à l’occasion de ces manifestations.
Les données ainsi transmises sont soumises au principe
de spécialité. À des conditions similaires, les États
peuvent aussi se transmettre des informations destinées
à prévenir la commission d’actes de terrorisme, lorsque
des circonstances particulières laissent présumer la
commission de telles infractions. Les informations
peuvent être soumises au respect des principes de
spécialité et/ou du tiers service. Enfin, les États désignent
des autorités compétentes pour constituer « des patrouilles
communes ainsi que d’autres formes d’intervention commune […]
sur le territoire d’une autre Partie contractante ». L’État d’accueil
peut alors confier aux fonctionnaires détachés sur son
territoire des prérogatives de puissance publique, voire les
laisser exercer les pouvoirs qu’ils tiennent de leur droit
national. Ils doivent aussi se fournir un soutien mutuel
« lors de manifestations de masse et d’autres événements de grande
envergure, lors de catastrophes ainsi que d’accidents graves » en
échangeant des informations relatives à ces événements,
en coordonnant leur action policière et en se prêtant
assistance par l’envoi d’officiers de liaison ad hoc et la mise
à disposition de matériel. Aux termes des décisions du
Conseil 2008/615/JAI et 2008/616/JAI du 23 juin 2008,
les principales dispositions du traité de Prüm ont été
intégrées dans le droit de l’Union européenne.
Le traité de Lisbonne simplifie le cadre juridique régissant
l’adoption d’instruments de coopération policière. Il
prévoit que « L’Union développe une coopération policière qui
associe toutes les autorités compétentes des États membres, y compris
les services de police, les services des douanes et autres services répressifs
spécialisés dans les domaines de la prévention ou de la détection des
infractions pénales et des enquêtes en la matière » [art. 87, § 1,
TFUE]. Ainsi, la coopération policière n’est pas fondée
sur une conception organique mais fonctionnelle et elle
est autorisée au titre des missions de police administrative
et judiciaire. L’Union se voit dotée d’une compétence qui
couvre tous les domaines de la coopération policière non
opérationnelle : le renseignement, la formation, l’échange
d’officiers de liaison, la recherche et la définition des best
practices [art. 87, § 2, TFUE]. Par le recours à la procédure
législative ordinaire, une majorité d’États peut imposer
aux autres la transposition dans leurs ordres juridiques
nationaux de règles avec lesquelles ils sont en désaccord.
L’article 87, § 2 crée ainsi les conditions légales pour réaliser
l’harmonisation des législations entre les différents États
membres. À l’inverse, l’adoption de mesures relatives à la
coopération policière opérationnelle reste soumise à un
régime spécifique qui requiert l’unanimité des membres
du Conseil et une simple consultation du Parlement.
Une procédure « frein/accélérateur » est cependant
prévue permettant, d’une part, en l’absence d’unanimité
au sein du Conseil des ministres, de demander que le
Conseil européen soit saisi du projet de mesures et,
d’autre part, à au moins neuf États membres d’établir une
coopération renforcée sur la base des mesures querellées
[art. 87, § 3, TFUE]. La vocation harmonisatrice n’est que
sous-jacente : en autorisant une coopération renforcée,
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
100 I DOSSIER
le législateur européen permet que se déploie une intérêt commun qui fait l’objet d’une politique de l’Union, ainsi que
coopération policière plus aboutie ; or, les précédents dans la lutte contre ceux-ci ». L’annexe I du règlement, qui les
Schengen et Prüm témoignent de l’effet d’entraînement énumère, confirme que la compétence d’Europol couvre
de l’ensemble des États membres provoqué par de telles tous les « eurocrimes » ainsi que les infractions pénales
initiatives. Enfin, l’article 87 se référant à l’adoption connexes. L’article 4 du même texte définit les missions de
de « mesures », des directives et règlements pourront l’Agence, qui consistent à « a) collecter […], analyser et échanger
être adoptés pour renforcer la coopération policière, des informations, y compris des éléments de renseignement criminel ;
améliorant ainsi, par leur caractère contraignant, la qualité b) communiquer […] aux États membres… toute information ou
de l’implication des États membres. Par ailleurs, l’article tout lien existant entre des infractions pénales qui les concernent ; c)
89 prévoit que, par la même procédure législative spéciale, coordonner […] et réaliser des enquêtes et des actions opérationnelles
le Conseil « fixe les conditions […] dans
pour […] renforcer les actions des autorités
lesquelles les autorités compétentes des États
compétentes des États membres […] ; d)
membres […] peuvent intervenir sur le
participer à des équipes communes d’enquête,
La coopération
territoire d’un autre État membre en liaison
ainsi que proposer leur constitution ; e) fournir
et en accord avec les autorités de celui-ci ».
aux États membres des informations et une
entre les polices
aide […] lors d’événements internationaux
européennes a
Les organes
majeurs ; f) établir des évaluations de la menace,
été, depuis la fin
La coopération entre les polices
des analyses stratégiques et opérationnelles
des années 1970,
européennes a été, depuis la fin
ainsi que des comptes rendus généraux ; g)
facilitée par la
des années 1970, facilitée par la
développer […] et promouvoir une expertise
constitution de
constitution de « clubs » de policiers et
en ce qui concerne les méthodes de prévention
« clubs » de policiers
la création d’instances ad hoc. Ces entités
de la criminalité, les procédures d’enquête et les
et la création
n’avaient cependant aucune vocation
méthodes de police techniques et scientifiques
d’instances ad
opérationnelle. La plus-value apportée
[…] ; h) soutenir les activités d’échange
hoc. Ces entités
par l’UE a consisté à introduire des
d’informations, les opérations et les enquêtes
organes dotés de compétences propres
transfrontalières menées par les États membres
n’avaient cependant
pour améliorer la collaboration entre les
[…], notamment en fournissant un appui
aucune vocation
services de police des États membres.
opérationnel, technique et financier ; i) assurer
opérationnelle. La
des formations spécialisées […] ; j) coopérer
plus-value apportée
Il s’agit principalement de l’Agence
avec les organes de l’Union institués sur la base
par l’UE a consisté
de l’Union européenne pour la
du titre V du traité sur le fonctionnement de
à introduire des
coopération des services répressifs
l’Union européenne et avec l’OLAF […] ; k)
organes dotés de
(Europol). Aux termes de l’article 88
fournir des informations et un appui […] aux
compétences propres
TFUE, les tâches qui lui sont confiées
missions de gestion des crises de l’UE […] ;
pour améliorer la
peuvent comprendre, d’une part, le
l) développer des centres d’expertise spécialisée
collaboration entre
traitement et l’échange des informations
[…] pour lutter contre certaines formes de
et, d’autre part, la coordination et la
criminalité […] ; m) soutenir les actions des
les services de police
réalisation d’enquêtes et d’actions
États membres en matière de prévention »
des États membres.
opérationnelles, menées conjointement
des eurocrimes. De surcroît, l’Agence
avec les autorités compétentes des États
fournit des analyses stratégiques et des
membres. Europol ne dispose d’aucune
évaluations de la menace afin d’aider le
capacité d’action opérationnelle autonome et ses agents ne Conseil et la Commission à établir les priorités stratégiques
sont pas dotés de pouvoir de coercition. Conformément et opérationnelles de l’Union en matière de lutte contre la
au « programme de Stockholm », ses missions et pouvoirs criminalité.
ont été récemment renforcés et sa gouvernance améliorée,
l’institution étant parfois jugée trop bureaucratique par les Chaque État membre désigne une Unité nationale
praticiens.
Europol (UNE), qui constitue son organe de liaison
avec Europol. L’UNE est chargée de communiquer à
Aux termes de l’article 3 du règlement (UE) 2016/794 l’Agence les informations nécessaires à la réalisation
du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016, de ses objectifs, sous réserve des motifs énumérés à
« Europol appuie et renforce l’action des autorités compétentes des l’article 7, qui autorisent les États à ne pas transmettre
États membres et leur collaboration mutuelle dans la prévention l’information dont ils disposent. Elle doit répondre aux
de la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres, demandes de renseignements et de conseils formulées
du terrorisme et des formes de criminalité qui portent atteinte à un par Europol ; veiller à l’actualisation des informations et
Introduction aux coopérations policières de l’Union européenne – Olivier CAHN
DOSSIER I 101
les renseignements ; évaluer les informations transmises
par l’Agence et les transmettre aux autorités nationales
compétentes et adresser à Europol les demandes de
conseils, de renseignements et d’analyses émanant des
services nationaux. Chaque unité nationale désigne auprès
d’Europol au moins un officier de liaison. Il (s) constitue
(nt) le bureau national de liaison, chargé par l’UNE de
représenter les intérêts de celle-ci au sein de l’Agence. Ils
contribuent à l’échange d’informations entre Europol
et leur État membre ou avec les officiers de liaison des
autres États membres, les pays tiers et les organisations
internationales [art. 8].
Les personnels d’Europol peuvent participer à des équipes
communes d’enquête et proposer aux États membres de
créer une telle équipe [art. 5]. Les agents peuvent apporter
leur concours à toutes leurs activités, à l’exclusion de la
participation à l’exécution de mesure coercitive.
Aux termes de l’article 17 du règlement, les sources
d’information d’Europol sont les États membres, les
organes de l’Union, les pays tiers et les organisations
internationales, les parties privées et les particuliers
et les sources accessibles au public. Le traitement des
données par l’Agence a pour vocation de parvenir à une
compréhension des tendances et phénomènes criminels,
de recueillir des informations sur les réseaux criminels et de
déceler des liens entre différentes infractions pénales, tout
en garantissant un niveau élevé de protection des données
à caractère personnel [art. 18]. L’action d’Europol est
soumise au respect du principe de spécialité [art. 19] et du
tiers service [art. 22]. Néanmoins, si Europol estime que
cela est absolument nécessaire aux fins de la prévention
d’une menace imminente pour la vie des personnes, elle
peut communiquer une information à l’État membre
concerné en en informant simultanément le fournisseur
et en justifiant son analyse de la situation. Les principes
de nécessité et de proportionnalité, mais aussi de licéité
et de loyauté à l’égard des personnes concernées, doivent
également être respectés lors du traitement des données à
caractère personnel. Les États membres peuvent accéder
aux informations fournies à Europol selon une procédure
d’accès indirect fondé sur un système de concordance/
non-concordance. En cas de concordance, Europol
engage la procédure permettant de partager l’information
[art. 20]. L’article 21 permet à Eurojust et à l’OLAF
d’accéder aux informations conservées par Europol,
selon une procédure similaire. Par ailleurs, Europol
élabore des fichiers de travail à des fins d’analyse (AWF)
afin de soutenir les enquêtes diligentées par les autorités
compétentes des États membres. Outils d’analyse
criminelle opérationnelle, ces fichiers consistent dans
l’assemblage et le traitement de données afin d’appuyer
des enquêtes pénales. Ils sont élaborés conjointement par
les analystes d’Europol et les officiers de liaison et experts
des États membres. Les résultats de l’analyse sont ensuite
diffusés à l’ensemble des UNE, si l’analyse est générale
et stratégique, ou aux UNE concernées lorsqu’elle est
particulière et à visée opérationnelle.
S’agissant des « services opérationnels », le Centre de
coordination et de soutien opérationnel, plateforme
accessible de manière permanente, assure un soutien
opérationnel aux autorités compétentes des États
membres en fournissant des analyses en temps réel. Un
bureau mobile, composé d’experts et d’analystes, peut
être intégré dans les dispositifs mis en place par les États
membres et fournir un soutien opérationnel aux enquêtes
ou aux opérations transnationales de maintien de l’ordre.
Un Centre européen de lutte contre la cybercriminalité
(EC3) est en activité depuis 2013. Enfin, en juillet 2015,
une unité spéciale chargée de combattre la propagande
terroriste a été instaurée. Elle est à présent rattachée au
Centre européen de la lutte contre le terrorisme (ECTC),
qui a débuté ses travaux en janvier 2016. Ce dernier travaille
en lien avec les services de renseignements des États
membres et avec l’EC3. Il est conçu comme un « hub »
permettant d’améliorer l’échange de renseignement et
la coordination opérationnelle entre les États membres.
Il fournit des analyses au soutien des enquêtes en cours,
contribue à coordonner la réaction en cas d’attaque
terroriste majeure et procède à des évaluations de la
menace. L’expertise de l’ECTC pourra être intégrée dans
les enquêtes diligentées suite à des attentats, via l’Emergency
response team (EMRT).
L’UE dispose aussi d’une Agence de l’Union européenne
pour la formation des services répressifs (CEPOL) chargée
de mettre en œuvre et coordonner des programmes de
formation destinés aux agents des services répressifs
[Art. 3 du règlement (UE) 2015/2219 du Parlement
européen et du Conseil du 25 novembre 2015]. Chaque
État membre doit désigner une « unité nationale, qui fait office
d’organe de liaison avec le CEPOL au sein de son réseau d’instituts
nationaux de formation des agents des services répressifs » [art. 6].
L’article 71 TFUE consacre le Comité permanent de
coopération opérationnelle de sécurité intérieure (COSI),
chargé d’évaluer la coopération opérationnelle et de
formuler des recommandations concrètes. Il est composé
des représentants des ministères compétents des États
membres, assistés par les représentations permanentes
auprès de l’Union européenne et par le secrétariat du
Conseil. Instance de proposition, il n’a vocation ni à
conduire les actions opérationnelles ni à participer à
l’élaboration d’actes législatifs.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
102 I DOSSIER
Enfin, l’Union européenne a mis en place un « Centre
d’analyse du renseignement » (INTCEN), rattaché au
Service européen pour l’action extérieure (SEAE), et
chargé d’évaluer la menace qui pèse sur l’Union ou ses États
membres en se basant sur les informations qu’il collecte
auprès de leurs services de renseignement, diplomates,
militaires et services de police. Son objectif est d’assurer
une veille sur les événements qui, au plan international
ou global, sont susceptibles d’avoir une incidence sur la
sécurité. Peu impliqué dans les coopérations policières
intra-européennes, son rôle s’avère important lors
des opérations extérieures de gestion civile des crises
diligentées par l’Union européenne.
Par ailleurs, l’Union recourt de façon importante aux
officiers de liaison. Outre ceux détachés par l’UNE auprès
d’Europol, il existe des officiers de liaison Schengen et
des officiers de liaison ad hoc affectés dans un service
spécialisé d’un autre État membre. Leur mission est celle
de personne-ressource chargée de réduire les divergences
culturelles ou les difficultés induites par les disparités
procédurales afin d’améliorer l’efficacité de la coopération
entre les États membres ou avec les Agences.
Les coopérations policières bilatérales
Ces coopérations sont essentiellement prévues à titre de
mesures compensatoires à la suppression des frontières.
À nouveau, il est possible de distinguer les textes qui les
régissent des organes qui les mettent en oeuvre.
Les textes
L’article 39, paragraphes 4 et 5, CAAS prévoit que, dans
les régions frontalières, la coopération peut faire l’objet
d’accords entre les parties contractantes. Sous réserve
d’en informer les autres États parties, ils permettent de
développer une coopération plus aboutie que celle prévue
dans les dispositions générales de la CAAS, d’adapter
plus finement l’entraide aux formes spécifiques de
délinquance rencontrées dans la zone frontalière et de
recourir, s’agissant de la coopération opérationnelle, à
des arrangements administratifs, qui permettent de rester
discret sur la dimension du dispositif mis en œuvre et les
moyens déployés pour le faire fonctionner.
dès que la partie contractante sur le territoire de laquelle
elle a lieu le demande. Les agents expatriés ne peuvent
pénétrer dans les lieux non accessibles au public, ni
interpeller la personne observée. L’article 41 consacre un
droit de poursuite transfrontalière. Ce droit est limité à
certaines infractions que l’État précise. Il peut être exercé
sans demande d’autorisation préalable en raison d’une
urgence particulière. Au plus tard lors du franchissement
de la frontière intérieure, les autorités poursuivantes
doivent faire appel aux autorités compétentes de l’autre
partie qui peuvent interrompre ou reprendre elles-mêmes
la poursuite. Les autorités territorialement compétentes
sont chargées, à la demande des agents expatriés, de
procéder à l’interpellation de la personne poursuivie. Les
parties contractantes disposent de marges d’appréciation
pour définir les prérogatives susceptibles d’être exercées
sur leur territoire par les agents poursuivants, la surface
de leur territoire sur lequel la poursuite peut s’exercer et la
durée maximale de cette dernière.
L’article 24 du traité de Prüm offre une base juridique
pour permettre aux États parties de conclure entre eux des
accords spécifiques de coopération, afin de lutter contre
des formes graves de délinquance ayant des implications
transnationales [Vuelta Simon et Ollivier-Maurel, 2012].
De surcroît, l’article 25 complète les dispositions des
articles 40 et 41 CAAS et autorise, « dans une situation
d’urgence », les autorités de police d’un État à franchir sans
autorisation préalable la frontière commune « en vue de
prendre, en zone frontalière, sur le territoire » d’un autre État
partie et dans le respect du droit national de celui-ci « des
mesures provisoires nécessaires afin d’écarter tout danger présent
pour la vie ou l’intégrité physique de personnes ». Les autorités
territorialement compétentes doivent être informées et
prendre les mesures nécessaires pour succéder à leurs
homologues.
Enfin, l’article 73 TFUE prévoit que les États membres
peuvent « organiser entre eux et sous leur responsabilité des formes
de coopération et de coordination qu’ils jugent appropriées entre
les services compétents de leurs administrations chargées d’assurer
la sécurité nationale », maintenant ainsi ces instruments en
cohérence avec le dispositif européen de coopération
policière.
Les organes
Par ailleurs, la CAAS contient deux dispositions destinées
à faciliter la coopération opérationnelle transfrontalière.
L’article 40 consacre le droit d’observation
transfrontalière, c’est-à-dire la possibilité de procéder à
des « filatures » internationales. Sauf en cas d’urgence,
ce droit est soumis à la présentation préalable d’une
demande d’entraide judiciaire. L’autorisation peut être
assortie de conditions. L’observation devra être arrêtée
Introduction aux coopérations policières de l’Union européenne – Olivier CAHN
Dans le cadre des accords bilatéraux signés entre les États
membres pour prévenir et lutter contre la délinquance
transfrontalière, il peut être convenu de l’installation de
Bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ), de
Centres de coopération policière et douanière (CCPD)
ou de Commissariats communs (CC). Par ailleurs, hors
du cadre juridique fourni par les instruments européens,
les États peuvent imaginer d’autres institutions, telles
DOSSIER I 103
que le Centre de commandement et de
contrôle commun franco-britannique
installé en août 2015 dans le Calaisis.
Ces entités sont chargées de permettre
la coopération de proximité en matière
d’échange de renseignements comme
en matière opérationnelle. Les États
jouissent alors d’une grande marge
d’appréciation pour définir les missions
conjointes de leurs agents et les
prérogatives dont ils disposent pour les
accomplir.
Les opérations
extérieures de
gestion civile de
crise de l’Union
européenne
témoignent de
l’adaptabilité du
droit primaire et
du pragmatisme
de l’Europe, dès
lors qu’une volonté
politique existe pour
les laisser s’exprimer.
Par ailleurs, l’article 47 CAAS prévoit
l’échange d’officiers de liaison
entre les États contractants et leur
donne compétence pour connaître
de l’ensemble de la délinquance
transfrontalière. Ils ont pour fonction
de « promouvoir et d’accélérer la coopération » et peuvent se
voir confier des missions d’assistance allant de l’échange
d’informations jusqu’à l’exécution de demandes
d’entraide. Ils ne sont cependant pas autorisés à exécuter
de manière autonome des mesures de police et doivent se
conformer aux instructions qui leur sont données tant par
l’autorité qui les a détachés que par celle qui les accueille.
Enfin, cette disposition autorise la mutualisation des
officiers de liaison entre plusieurs États parties.
L’entraide policière ne se limite pas aux frontières de
l’ELSJ.
Les coopérations policières en
dehors de l’espace de liberté,
de sécurité et de justice
Les coopérations policières de l’Union européenne hors
ELSJ consistent dans des opérations extérieures de gestion
civile de crise et dans la coopération avec les États tiers.
Les opérations extérieures de gestion
civile de crise de l’Union européenne
Les opérations extérieures de gestion civile de crise de
l’Union européenne témoignent de l’adaptabilité du droit
primaire et du pragmatisme de l’Europe, dès lors qu’une
volonté politique existe pour les laisser s’exprimer. Les
normes juridiques européennes ne prévoyaient pas la
compétence de l’Union pour déployer des opérations de
gestion civile des crises. Néanmoins,
lorsqu’elle a été sollicitée pour succéder
à d’autres organisations internationales
et participer au processus de
restauration de l’État de droit dans les
anciennes Républiques yougoslaves,
mais aussi au Proche-Orient et
en Afrique, elle a su procéder à
l’adaptation des dispositions existantes
pour assumer ses responsabilités.
Elle va aussi proposer la notion de
retour en sécurité intérieure, selon
laquelle des opérations de police
doivent être menées hors du territoire
pour démanteler des organisations
criminelles afin de les neutraliser avant
qu’elles n’importent leurs activités au
sein de l’ELSJ.
Le Conseil européen de Santa Maria da Feira, en juin
2000, a énoncé les « objectifs prioritaires pour les aspects civils
de la gestion des crises », définis comme « améliorer les moyens
dont (l’UE) dispose pour sauver des vies humaines en situation de
crise, maintenir le minimum indispensable d’ordre public, prévenir
une nouvelle escalade, faciliter le retour à une situation durable de
paix et de stabilité, gérer les effets négatifs des crises sur les pays
de l’UE et résoudre les problèmes de coordination qui se posent ».
À l’occasion du sommet de Nice, en décembre 2000,
des « principes directeurs » ont été entérinés : « 1) l’Union
européenne doit être capable de mener toutes les missions de police,
qui vont des missions de conseil, d’assistance, ou de formation,
aux missions de substitution aux polices locales ; 2) des missions
claires et un mandat approprié ; 3) une approche intégrée : l’action
de l’Union européenne dans le cadre des missions de Petersberg
nécessite une synergie étroite entre la composante militaire et la
composante civile et 4) une coordination étroite avec les organisations
internationales ». S’agissant des concepts d’emploi des
forces de police expatriées, le renforcement des polices
locales consiste en des missions de formation, assistance,
contrôle et conseil des polices locales afin de les amener à
se conformer aux normes internationales et de renforcer
leur efficacité ; s’agissant de la substitution des polices
locales défaillantes, la tâche consiste à contribuer au
rétablissement de la sécurité publique par le maintien de
l’ordre, la protection des personnes et des biens, la lutte
contre les violences et la réduction des tensions.
Le traité de Lisbonne a pallié certaines lacunes des
instruments précédents. Aux termes de l’article 42 du
traité sur l’Union européenne (TUE) : « 1. La politique
de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la
politique étrangère et de sécurité commune. Elle assure à l’Union
une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et
militaires. L’Union peut y avoir recours dans des missions en dehors
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
104 I DOSSIER
de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des
conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément
aux principes de la charte des Nations unies » et « 3. Les États
membres mettent à la disposition de l’Union, pour la mise en œuvre
de la politique de sécurité et de défense commune, des capacités civiles
et militaires pour contribuer aux objectifs définis par le Conseil ».
L’article 43 TUE redéfinit, pour sa part, les missions dites
« de Petersberg », pour inclure une dimension civile.
L’examen des opérations extérieures de police suscite un
sentiment contrasté.
L’implication des États membres dans ces opérations
est insuffisante. Les réformes opérées par le traité de
Lisbonne s’avèrent trop limitées pour y remédier, dès lors
que l’article 42, paragraphes 4 et 5, prévoit que « les décisions
relatives à la politique de sécurité et de défense commune […] sont
adoptées par le Conseil statuant à l’unanimité » et laisse les
États membres intégralement libres de contribuer selon
leur bon vouloir. En conséquence, toutes les missions
ont fonctionné en sous-effectif. L’absence d’implication
des États membres dans ces missions se double de leur
réticence à laisser les institutions européennes développer
une compétence autonome en matière de gestion des
crises, réduisant d’autant l’efficacité de l’action de l’Union
européenne.
Il est cependant un acquis des opérations extérieures de
police de l’Union européenne qui mérite d’être souligné :
la capacité développée par certains États membres de
déployer une unité capable d’assurer le continuum guerrepaix. Il s’agit de la Force de gendarmerie européenne
(EUROGENDFOR), initiée par la déclaration d’intention
de Noordwiijk, en 2004, et consacrée par le traité de Velsen
en 2006. Elle réunit les forces de police européennes
à statut militaire et est susceptible de constituer une
force multinationale mise à la disposition de la PSCD,
conformément aux dispositions de l’article 42, § 3, TUE.
Enfin, la coopération policière européenne implique une
collaboration avec les États tiers.
La coopération policière de l’Union
européenne avec les États tiers
À la suite des attentats perpétrés aux États-Unis le
11 septembre 2001, l’Union européenne a progressivement
développé sa coopération policière avec les États tiers,
principalement aux fins de lutter contre le terrorisme et la
criminalité organisée. Un accord a été signé entre Europol
et les États-Unis le 20 décembre 2002. Il a été complété
par des accords de coopération dans d’autres domaines,
Introduction aux coopérations policières de l’Union européenne – Olivier CAHN
tels que la lutte contre le financement du terrorisme, la
surveillance des transports et des frontières ou le transfert
de données relatives aux passagers des vols aériens (PNR).
Des accords similaires existent avec le Canada et l’Australie.
Aux termes de l’article 23 du règlement Europol, l’Agence
peut établir et entretenir des relations de coopération
avec des autorités de pays tiers, des organisations
internationales et l’Organisation internationale de police
criminelle (Interpol). Pour ce faire, elle peut conclure
des arrangements de travail avec ces entités. L’article
25 précise les conditions dans lesquelles Europol peut
« transférer des données à caractère personnel à une autorité d’un
pays tiers ou à une organisation internationale, dans la mesure
nécessaire à l’accomplissement de ses missions ». Il prévoit aussi
que « le directeur exécutif peut autoriser le transfert de données
à caractère personnel vers un pays tiers ou à une organisation
internationale, au cas par cas, si ce transfert est : a) nécessaire à
la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d’une
autre personne ; b) nécessaire à la sauvegarde des intérêts légitimes
de la personne concernée […] ; c) essentiel pour prévenir une menace
grave et immédiate pour la sécurité publique d’un État membre
ou d’un pays tiers ; d) nécessaire […] à des fins de prévention et
de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en
la matière, ou d’exécution de sanctions pénales ; ou e) nécessaire
[…] à la constatation, à l’exercice ou à la défense d’un droit en
justice en rapport avec la prévention et la détection d’une infraction
pénale spécifique, les enquêtes et les poursuites en la matière, ou
avec l’exécution d’une sanction pénale spécifique ». La difficulté
induite par le caractère peu démocratique de certains
partenaires est contournée par l’exclusion des données
à caractère personnel des échanges d’informations
autorisés. La coopération consiste dans des échanges
d’expertise, de comptes rendus généraux, de résultats
d’analyses stratégiques, de bonnes pratiques et dans la
participation à des activités de formation et la fourniture
de conseils et de soutien dans des enquêtes pénales. Par
ailleurs, l’UE mène dans certains pays tiers considérés
comme stratégiques des actions d’aide et de renforcement
de leurs capacités répressives.
Aussi inachevées que puissent être les coopérations
policières, il faut conserver à l’esprit, lorsqu’il s’agit
d’apprécier ce qui a été accompli, que la compétence de
l’Union européenne en cette matière n’a pas trente ans et
qu’elle ne dispose des moyens de les faire s’épanouir que
depuis moins de dix ans. De surcroît, par comparaison
avec d’autres organisations régionales, voire avec des
États fédéraux, la coopération policière de l’Union
européenne constitue aujourd’hui le modèle le plus abouti
[Hufnagel, 2013]. Des progrès restent assurément à
accomplir ; ils impliquent d’abord que les États membres
et certains policiers manifestent une meilleure volonté à
faire fonctionner l’existant… n
DOSSIER I 105
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Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
106 I DOSSIER
Mettre un terme à la concurrence
entre les communautés policière
et de renseignement, le projet d’un
« centre de fusion européen »
Pierre BERtHELEt
« Il semble que les attentats du 13 novembre aient provoqué une prise de conscience en Europe.
Tardive, elle n’en est pas moins salutaire. En effet, il est illusoire de prétendre lutter efficacement contre
des groupes terroristes bien organisés, mobiles et capables de planifier un attentat dans un pays et de
le commettre dans un autre sans coopérer davantage avec nos partenaires 1 ».
La lutte antiterroriste à l’échelle européenne souffre d’un cloisonnement entre les communautés policière
et de renseignement. Consciente de cette séparation, obstacle à un partage optimal du renseignement,
l’Union s’est attelée depuis plusieurs décennies au défi d’un rapprochement. Désireuse de ne pas réitérer
les échecs essuyés, la proposition de la Commission européenne présentée en septembre 2016 comporte
deux volets : le renforcement du centre antiterroriste d’Europol, point de convergence du partage de
l’information policier, et la création d’un « centre de fusion européen ». Très pragmatique, sa démarche,
loin de créer une super-agence européenne de renseignement, vise plutôt, avec ce projet de centre de
fusion, à instaurer un espace d’interaction entre les communautés policière et de renseignement. Cette
proposition, qui semble trouver un écho auprès des États membres, est présentée dans un climat politique
favorable. Les obstacles liés aux principes présidant à la collaboration entre services et à la défense de
la souveraineté pourraient, selon toute vraisemblance, être surmontés, ouvrant la voie à d’autres défis,
notamment l’évaluation objective des politiques nationales de sécurité.
«
L'
Europe des polices existe. Elle s’est cristallisée
au sein d’Europol 2 ». Cette affirmation
formulée par un éminent spécialiste
de l’espace de liberté, de sécurité et
de justice, il y a plus d’une décennie, présentant
l’office européen de police comme la forme la
plus aboutie de la collaboration entre les services
répressifs nationaux a résisté admirablement à
l’outrage du temps. Europol constitue en effet
depuis plusieurs années à présent, le centre de
la collaboration des polices judiciaires. Il en va
tout autrement des services de renseignement
(non policiers) qui mènent, quant à eux, une
collaboration de nature décentralisée 3. Les
structures et les cadres de coopération informels
au sein desquels ils œuvrent sont nombreux,
(1) Rapport de l’Assemblée nationale Fenech-Pietrasanta du 5 juillet 2016 relative aux moyens mis en œuvre par
l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 (rapport n° 3922), p. 136.
(2) Gautier (Y.), 2001, « Rapport introductif », in Grewe (C.) (dir.), La convention Europol : l’émergence d’une
police européenne ?, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, p. 21.
(3) Müller-Wille (B.), 2008, «The effect of international terrorism on EU intelligence co-operation», Journal of
Common Market Studies, vol. 46, n° 1, p. 58. Et dans le même sens : Svendsen (A. D. M.), 2013, «On a
«continuum with expansion»? Intelligence cooperation in Europe in the early 21st century », in Léonard (S.),
Kaunert (C.) (dir.), European security, terrorism and intelligence: tackling new security challenges in Europe,
Londres, Palgrave MacMillan, p. 186 et 201.
Mettre un terme à la concurrence entre les communautés policière et de renseignement, le projet d’un « centre de fusion européen » – Pierre BERTHELET
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DOSSIER I 107
souvent invisibles pour l’observateur, du fait de
leur discrétion. Or, la multiplication des cercles
et des canaux de l’échange d’informations
n’est pas sans poser des difficultés quant à
l’efficacité de la lutte antiterroriste 4. Elle génère
des duplications de l’information et soulève des
problèmes de coopération entre services parfois
concurrents 5.
Ce constat, connu de tous, est clairement affirmé
par une communication de la Commission
Pierre BERTHELET
Docteur
en droit,
spécialisé en
droit de l'UE.
Diplômé
de l’Université catholique
de Louvain, Pierre
Berthelet est chercheur
au CDRE (Université de
Pau). Ancien conseiller
ministériel, il est l’auteur de
plusieurs ouvrages sur la
sécurité, dont Le Paysage
européen de la sécurité
intérieure (Peter Lang) et
administre le site www.
securiteinterieure.fr
européenne du 14 septembre 2016, reconnaissant
le cloisonnement de deux communautés, policière
d’une part, et de renseignement d’autre part 6. La
structuration en parallèle de ces communautés
cloisonnées s’opère tout logiquement autour
de lieux de rencontres séparés 7. Les services
répressifs œuvrent au sein d’Europol 8. Les
services de renseignement collaborent quant
à eux au sein de cercles informels et préfèrent
privilégier la voie bilatérale 9. L’objectif de
cette communication de la Commission de
(4) Voir notre article « L’UE et la lutte antiterroriste après les attentats de Bruxelles : forces et faiblesses d’une
action substantielle », Cahiers de la sécurité et de la justice, n° 35/36, 2016, p. 97-105.
(5) La littérature sur le renseignement est importante, mais il est possible de se reporter utilement à trois
ouvrages récents :
Chopin (O.), Oudet (B.), 2016, Renseignement et sécurité, Paris, Armand Colin, coll. U ; De Maison Rouge
(O.), 2016, Le droit du renseignement : renseignement d’État, renseignement économique, Paris, LexisNexis ;
Laurent (S.-Y.), Warusfel (B.), 2016, Transformations et réformes de la sécurité et du renseignement en
Europe, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux.
(6) Communication de la Commission du 14 septembre 2016 intitulée « Accroître la sécurité dans un monde
de mobilité : améliorer l’échange d’informations dans la lutte contre le terrorisme et renforcer les frontières
extérieures » (COM(2016)602final).
Il y est écrit que « si quelques progrès ont été enregistrés récemment et si les cellules antiterroristes des
services répressifs collaborent davantage avec le Centre européen de la lutte contre le terrorisme d’Europol,
la coopération entre les services répressifs et de sécurité est toujours inégale. […] Cette fragmentation est un
défaut bien connu, comme le soulignait déjà le Conseil européen dans sa déclaration de mars 2004 sur la
lutte antiterroriste. Or, jusqu’à présent, rien n’a été entrepris pour y remédier » (idem, p. 14).
(7) Pour une explication à cette collaboration difficile, voir Brodeur (J.-P.), 2007, « Le renseignement I. Concepts
et distinctions préliminaires», in Cusson (M.), Dupont (B.), Lemieux (F.) (dir.), Traité de sécurité intérieure,
Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, p. 268.
(8) En réalité, l’office européen de police inclut également les services chargés de la prévention des infractions,
et pas seulement de la répression. Le règlement instituant Europol précise, à l’art. 2 al. a qu’il convient
d’entendre par « autorités compétentes des États membres », « l’ensemble des autorités de police et autres
services répressifs existant dans les États membres qui sont compétents, en vertu du droit national, en matière
de prévention et de lutte contre les infractions pénales. Les autorités compétentes comprennent également
(suite page suivante)
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
108 I DOSSIER
septembre 2016 est de présenter des pistes pour faire
en sorte que deux enceintes, le Centre européen de
lutte contre le terrorisme (ECTC) inauguré au sein
de l’office le 25 janvier 2016, d’une part, et le Groupe
d’action antiterroriste (GAT), d’autre part, constituent
les deux pôles respectifs des communautés policière et
de renseignement en vue d’une coopération accrue entre
elles à l’échelle de l’Union 10.
Cette communication entend dresser des ponts entre
les communautés policière et de renseignement, mais sa
stratégie se révèle pragmatique. L’objectif est d’organiser
leur collaboration au nom d’une lutte antiterroriste efficace
et la démarche s’opère en deux temps, à savoir d’une part,
« muscler » l’ECTC et, d’autre part, renforcer les liens entre
ce centre et le GAT. La Commission suggère la création
d’un centre de fusion à l’échelle européenne 11. Toutefois,
comme il s’agit d’un sujet sensible, le but est, à ce stade,
seulement de rassembler les enseignements nationaux
dans ce domaine en vue, le cas échéant, d’élaborer un
modèle européen dans ce domaine. L’attitude est donc
mesurée et la stratégie, prudente, puisque la Commission
propose de relier ces deux communautés par « une sorte de
centre d’échange d’informations [qui] pourrait offrir une plateforme
sur laquelle les autorités qui obtiennent des informations sur le
terrorisme », tout en précisant immédiatement qu’« un tel
centre d’échange d’informations ne constituerait pas une nouveauté
dans le secteur de la sécurité européenne 12 ».
Il est question, à ce stade, seulement d’un projet et la
Commission, consciente de la sensibilité des États dans
ce domaine, se contente d’avancer une piste, à savoir
collecter les expériences nationales pour échafauder un
modèle européen de centre de fusion. L’idée semble
trouver un écho auprès des États membres et une collecte
des expériences nationales en vue de l’établissement d’un
modèle européen est actuellement en cours. L’objectif de
cette contribution est de saisir le contexte et les enjeux de
cette réforme. Le partage du renseignement en matière
antiterroriste s’opère dans un cadre intergouvernemental.
Néanmoins, les dynamiques présidant à la collaboration
du monde policier et du renseignement sont différentes.
L’une est institutionnalisée, la coopération étant réalisée
dans un cadre communautaire, selon les règles posées
par le droit européen et en vertu d’une logique de la
mutualisation du renseignement. L’autre est inverse : une
dynamique collaborative faiblement institutionnalisée, la
coopération ayant lieu en dehors du cadre communautaire
et des règles posées par ce droit européen, et d’après
une logique d’un partage segmenté du renseignement.
L’objectif de la réforme consiste plutôt à permettre à
ces deux dynamiques d’interagir, de sorte de dépasser
les cloisonnements existants. Si le défi est de taille, les
circonstances actuelles sont favorables à une telle réforme
qui, en tout état de cause, n’entend pas générer de
bouleversement dans l’Europe du renseignement actuel.
Même si la distinction entre ces deux dynamiques mérite
quelque peu d’être relativisée, la mutation du phénomène
terroriste invite néanmoins à dépasser les cloisonnements
actuels surannés et la Commission l’a bien compris
avec sa proposition de centre de fusion. Si le défi du
rapprochement entre les communautés policière et de
renseignement peut être relevé avec succès, d’autres sont
à prévoir, notamment l’évaluation objective des politiques
publiques nationales de sécurité notamment en matière de
renseignement ou de lutte antiterroriste.
d’autres autorités publiques existant dans les États membres qui sont compétentes, en vertu du droit national, en matière de
prévention et de lutte contre les infractions pénales relevant de la compétence d’Europol ». Il s’agit en France de la gendarmerie
nationale, de la direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ), de la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI),
de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et de la direction générale des Douanes, notamment la direction
nationale du Renseignement et des Enquêtes douanières (DNRED), qualifiée par la Délégation parlementaire du renseignement
de « discret service de renseignement des douanes » (p. 48 du rapport de Jean-Jacques Urvoas, relatif à l’activité de la
délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2014 (doc. n° 2482 de l’Assemblée nationale et n° 201 du Sénat)).
(9) Il s’agit en France notamment de la direction de la Protection et de la Sécurité de la défense (DPSD), de la direction générale de la
Sécurité extérieure (DGSE), de la direction du Renseignement militaire (DRM) et de Tracfin (pour « Traitement du renseignement
et action contre les circuits financiers clandestins ») (sur ces différentes structures membres de la communauté de renseignement,
voir p. 45 et s. du rapport Urvoas précité et p. 47 et s. du rapport du 25 février 2016 de Patricia Adam et Jean-Pierre Raffarin,
relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2015 (doc. n° 3524 de l’Assemblée nationale
et n° 423 du Sénat).
(10) Pour une analyse récente de la situation au niveau de l’Union, voir Gruszczak (A.), 2016, Intelligence Security in the European
Union. Building a Strategic Intelligence Community, Londres, Palgrave, coll. New Security Challenges.
(11) Les Fusion Center correspondent à un projet américain développé après les attentats du 11 septembre 2001. Face aux
difficultés de collaboration entre différences agences, le département européen de la sécurité intérieure (DHS) avait préconisé
la mise en place de ce type de structures (voir à ce sujet Laurent S.-Y., 2014, Atlas du renseignement, Paris, Presses de Sciences
Po, p. 167).
Mettre un terme à la concurrence entre les communautés policière et de renseignement, le projet d’un « centre de fusion européen » – Pierre BERTHELET
DOSSIER I 109
Le contexte de la
réforme
Le but de la communication de septembre 2016 consiste à renforcer le
pôle « policier », à savoir l’ECTC, « charpente 13 » de l’action engagée par l’Union
contre le terrorisme, inauguré au sein
de l’office le 25 janvier 2016, sachant
que son emprise, de même que celle
des autres institutions de l’Union, est
réduite sur le pôle « renseignement ».
En effet, l’Europe du renseignement
demeure intergouvernementale. Deux
dynamiques cohabitent, qualifiées par
les politistes d’« Union avec de l’européanisation » concernant le monde policier, et
d’« européanisation sans l’Union » à propos
du monde du renseignement.
Une Europe du
renseignement sur le seul
mode intergouvernemental
librement, sous forme de collaboration
« en archipels 15 », à la source de l’Europe
de la sécurité intérieure dans les années
1970. Les services de renseignement de
différents États membres opèrent dans
le cadre de communautés transnationales
qui, parfois, dépassent l’échelle
européenne. La persistance, depuis des
décennies, de structures informelles
sous forme de « niveaux de coopération »
ou de « poches de collaboration 16 » découle
du souci d’assurer le respect du principe
de réciprocité. L’information est non
seulement un moyen de lutter contre le
terrorisme, mais aussi un intermédiaire
des échanges. Elle constitue l’élément
au centre des relations entre ces services,
une ressource stratégique pour eux 17.
Un rapport du Sénat datant de 2015,
sur la lutte contre le djihadisme met
en évidence la logique qui anime la
collaboration entre ces services : leur
coopération, explique-t-il, « obéit à des
contraintes très particulières et notamment à la
nécessité pour chaque État ayant recueilli un
renseignement d’en préserver le secret, y compris
pour pouvoir s’en servir comme «monnaie
d’échange» afin d’obtenir des renseignements de
la part d’autres États, parfois non-membres de l’Union européenne, et
notamment des États-Unis 18 ».
Caractérisée par sa
grande discrétion,
la collaboration
entre les services
de renseignement
s’effectue en marge
des structures
officielles. L’opacité
de cette Europe du
renseignement est
largement admise
par les dirigeants
politiques nationaux.
Ces derniers
acceptent cette
situation comme un
mal nécessaire en
laissant la voie libre
à leurs services en
échange des résultats
opérés en matière de
lutte antiterroriste
Caractérisée par sa grande discrétion, la
collaboration entre les services de renseignement s’effectue
en marge des structures officielles. L’opacité de cette Europe
du renseignement est largement admise par les dirigeants
politiques nationaux. Ces derniers acceptent cette situation
comme un mal nécessaire en laissant la voie libre à leurs
services en échange des résultats opérés en matière de lutte
antiterroriste 14. L’accord tacite entre le monde politique et
celui du renseignement a permis à ce dernier de se structurer
Dans cette perspective, la coopération entre les services de
renseignement demeure de nature intergouvernementale.
Ceux-ci privilégient les échanges bilatéraux ou le « bimulti 19 ». À ce sujet, ils continuent toujours à préférer
des enceintes plus discrètes 20. C’est le cas également de
(12) P. 17 de la communication de la Commission du 14 septembre 2016 précitée.
(13) P. 14 de la communication de la Commission du 14 septembre 2016 précitée.
(14) Sabatier (M.), 2001, La coopération policière européenne, Paris, L’Harmattan, coll. Sécurité et société, p. 251-252, en
référence aux travaux de Brammertz (S.), De Vreese (S.), Thys (J.), 1993, La collaboration policière, Bruxelles, ministère de
l’Intérieur, Police générale du Royaume, p. 9.
(15) Bigo (D.), 2008, «Globalized (in) Security: the Field and the Ban-opticon», in Sakai (N.), Solomon (J.) (dir.), Translation,
Biopolitics, Colonial Difference, Londres, Routledge, p. 19-20.
(16) Svendsen (A. D. M.), op. cit., p. 186.
(17) Bures (O.), 2013, «Europol’s counter-terrorism role: A chicken-egg dilemma», in Léonard (S.), Kaunert (C.) (dir.), European
security, terrorism and intelligence: tackling new security challenges in Europe, Londres, Palgrave MacMillan, p. 72-75.
(18) Rapport du Sénat n° 388 (2014-2015) de Jean-Pierre Sueur, fait au nom de la CE sur les moyens de la lutte contre les réseaux
djihadistes, déposé le 1er avril 2015, p. 101-102.
(19) De Kerchove (G.), 2012, « Impact de l’incrimination de terrorisme sur la coopération européenne en matière de lutte contre le
terrorisme », in Galli (F.), Weyembergh (A.) (dir.), EU counter-terrorism offences. What impact on national legislation and caselaw?, Bruxelles, Presses de l’ULB, coll. Institut d’Études européennes, p. 216.
(20) Gill (P.), 2008, « Les nouveaux développements des réseaux de sécurité et de renseignement », in Bigo (D.), Bonelli (L.),
Deltombe (T.) (dir.), Au nom du 11 septembre… Les démocraties à l’épreuve du terrorisme, Paris, La Découverte, coll. Cahiers
libres, p. 111.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
110 I DOSSIER
la structure de rattachement du GAT, le « très confidentiel
Club de Berne 21 , qui constitue un lieu d’échange de
renseignements, permettant de mener une collaboration
allant du cyberterrorisme à la cryptologie 22. Le rapport
du Sénat de 2015 indique à cet égard que « les services de
renseignement ont une tendance naturelle à préférer les coopérations
bilatérales ou dans des instances ad hoc dont ils maîtrisent le format
et les modalités de travail 23 ». À l’écart du droit européen et
ce, depuis de nombreuses années 24, le caractère sensible
du partage du renseignement limite les avancées de
l’approfondissement de la construction européenne
dans ce domaine 25. Plus exactement, les services de
renseignement nationaux sont peu disposés à la création
de structures de nature à remettre en cause les règles
sur lesquelles ils fonctionnent : principe de réciprocité
et principe de propriété de l’information transmise
notamment. De leur côté, les leaders politiques nationaux
se montrent également peu enclins à de réelles avancées
en la matière. Tout au plus, enjoignent-ils leurs services
à transmettre l’information. C’est ce que les chefs d’État
et de gouvernement ont fait dans des conclusions
approuvées par le Conseil européen du 12 février 2015,
à la suite des attaques contre le journal de Charlie Hebdo.
Cette réticence pour les chefs d’État et de gouvernement
à dépasser le stade de l’encouragement au profit de
normes contraignantes, et pour les services à s’échanger
cette information seulement dans des cercles restreints
s’explique, sur le plan opérationnel, pour trois raisons
essentielles. Il s’agit d’abord des principes de réciprocité
et de propriété de l’information transmise. Il s’agit
ensuite de la crainte de dévoiler la capacité des services.
En soi, la crainte de révéler au grand jour cette capacité,
indépendamment de celle de perdre la maîtrise de
l’information, est un facteur conduisant à privilégier
les canaux de l’échange bilatéral. Il s’agit enfin d’une
marge discrétionnaire inhérente à l’État. Le processus
de légalisation et de contrôle du renseignement au plan
national s’accompagne, à l’échelle européenne, d’avancées
du point de vue d’une réglementation à l’échelle
européenne. C’est le cas en matière de coopération
policière. Or, le monde du renseignement reste hermétique
à cette progression. Cette limite peut s’expliquer par la
permanence de l’« État secret », ou plutôt le passage de
l’« État secret » à l’« «État secret» clandestin 26 ». Il s’agit d’un
processus de clandestinisation de l’« État secret », un État
qui cherche à conserver une certaine part d’ombre en
tentant d’échapper au processus de légalisation et de
contrôle mis en place au nom de l’État de droit.
Elle s’explique, d’un point de vue juridique, par l’existence
des articles 4 § 2 du traité sur l’Union européenne (TUE)
et 73 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE).
Ceux-ci apparaissent comme des entraves majeures à
l’approfondissement de l’intégration européenne. Ces
dispositions peuvent se comprendre comme visant à
préserver l’autonomie des services de renseignement 27.
Elles sont mises en avant par les États pour contrer
l’intégration européenne dans ce domaine. À ce titre, le
rapport du Sénat résume la position de la France pour
qui, à l’instar d’autres États membres, la collaboration
dans le domaine du renseignement demeure inhérente
à l’État nation. Il déclare qu’« au total, si les institutions de
l’Union européenne disposent ainsi d’un pouvoir d’impulsion en
matière de lutte contre le terrorisme, la coopération effective entre
les États membres sur ce sujet reste soumise à la bonne volonté
des gouvernements. En particulier, la coopération en matière de
renseignement, aspect essentiel de cette lutte, reste en grande partie en
dehors du champ communautaire. En effet, l’article 4 du traité sur
l’Union européenne (TUE) prévoit que la sécurité nationale, qui
inclut le renseignement, reste de la compétence exclusive des États.
Toutefois, l’article 73 du TFUE dispose qu’ils peuvent développer
des coopérations en la matière 28 ».
(21) Baud (J.), 2005, Le renseignement et la lutte contre le terrorisme. Stratégies et perspectives internationales, Paris, Lavauzelles, p. 262.
(22) Voir Bonnefoi (S.), 1995, Europe et sécurité intérieure, Paris, Delmas, p. 162. Dans une perspective plus critique, voir Bigo (D.),
1996, Polices en réseaux. L’expérience européenne, Paris, Presses de Sciences Po, p. 85-86.
(23) Rapport du Sénat précité, p. 101.
Et dans le même sens, voir p. 78 du rapport du 25 février 2016 relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2015 (doc. précité).
(24) Warusfel (B.), 1998, « Le cadre juridique et institutionnel des services de renseignement en France », in Lacoste (P.) (dir.), Le
renseignement à la française, Paris, Economica, 1998, p. 401.
(25) De Kerchove (G.), Weyembergh (A.), 2005, « Quelle Europe pénale dans la Constitution ? », in Dony (M.), Bribosia (E.) (dir.),
Commentaire de la Constitution de l’Union européenne, Bruxelles, Presses de l’Université libre de Bruxelles, coll. De l’Institut
d’études européennes, p. 349.
(26) Laurent (S.-Y.), 2016, « Travailler sur l’"État secret" contemporain », Revue internationale de criminologie, vol. 69, n° 3, p. 270.
(27) De Kerchove (G.), 2010, « Quels progrès pour la sécurité ? », in Kaddous (C.), Dony (M.) (dir.), D’Amsterdam à Lisbonne. Dix
ans d’espace de liberté, de sécurité et de justice, Bâle/Bruxelles/Paris, Helbing Lichtenhahn/Bruylant/LGDJ, coll. « Dossiers
de droit européen », p. 110. Et dans le même sens, voir Chopin (T.), 2015, « Le renseignement européen, les coopérations
bilatérales au secours d’une intégration introuvable ? », Politique européenne, vol. 48, n° 2, p. 45.
(28) Rapport du Sénat précité, p. 100.
Mettre un terme à la concurrence entre les communautés policière et de renseignement, le projet d’un « centre de fusion européen » – Pierre BERTHELET
DOSSIER I 111
L’affirmation du caractère intergouvernemental de la
collaboration entre les services de renseignement est
presque tautologique. L’argument avancé, telle une
ritournelle, est le respect de la souveraineté dans un
domaine, le renseignement, qui relève de la sécurité
nationale 29. Une raison complémentaire à l’absence d’une
Europe intégrée du renseignement tient à la faible valeur
ajoutée des dispositifs européens, de même qu’à l’intérêt
pratique limité de ces dispositifs, du moins, tel qu’il est
perçu par les services de renseignement eux-mêmes. Il
faut dire que l’intégration ne s’opère que si ces services y
voient une utilité, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence30.
Les enceintes de collaboration sont déjà nombreuses.
L’Europe du renseignement est, en effet, surpeuplée.
Une telle réticence permet de comprendre la raison pour
laquelle, en matière de renseignement, l’Union ne possède
pas de capacités propres 31. Ce même rapport du Sénat
précise ainsi expressément qu’Europol ne constitue pas
une structure de renseignement 32. En effet, les États ont
toujours refusé d’œuvrer dans le sens du développement
de capacités dans ce domaine. Et des projets, tels qu’une
agence européenne de renseignement proposé par
l’Autriche au Conseil « Justice et affaires intérieures » du
19 février 2004, n’ont pas eu le succès escompté 33. Cette
idée d’agence européenne réémerge périodiquement, tel
un serpent de mer, surtout après des attaques terroristes,
comme celles de novembre 2015 à Paris. Pourtant, elle
demeure à chaque fois sans lendemain et la Commission,
ayant à l’esprit les réticences qui émanent tant du haut,
des leaders nationaux, que du bas, des services de terrain,
s’est bien gardée de suggérer une telle idée dans sa
communication de 2016.
« Union avec de l’européanisation »
et « européanisation sans l’Union »
La collaboration entre les services de renseignement
s’effectue donc toujours dans un cadre intergouvernemental.
Les efforts en vue d’une centralisation du renseignement
dans une instance européenne sont un échec. Si ces
services acceptent d’intensifier leur collaboration, ils
entendent en revanche conserver une large autonomie,
si bien que toute tentative d’encadrement par l’Union de
leurs activités est vaine.
La première a eu lieu après les attentats du 11 septembre
2001. La lutte antiterroriste initiée après les attaques
contre les Tours du World Trade Center de New York a
eu un effet structurant en redynamisant la collaboration
entre les différents services de renseignement 34. La
collaboration tend à se densifier, à la fois par une
accélération des échanges, et par un développement des
réseaux. Un tel développement résulte en particulier de
la volonté des États-Unis de promouvoir ce mode de
collaboration souple 35. Or, l’Union européenne n’échappe
pas à ce phénomène 36. Le Conseil européen du 21
septembre 2001 a invité les services de renseignement à
une meilleure coopération entre eux. Il s’agit, d’une part,
d’accroître le volume d’informations échangées et, d’autre
part, d’instaurer un nouveau cadre de coopération. Une
enceinte dédiée a été mise en place au sein d’Europol à
cet effet : la Counter terrorist cell (CTC). Reste que cette
structure a été dissoute seulement après six mois de
fonctionnement en raison de la pauvreté des informations
transmises. Le problème résidait dans sa faible réactivité,
ses ressources limitées et sa faible expérience dans son
domaine de compétence 37. Surtout, cet échec peut
(29) Pour une mise en perspective de cette affirmation, voir Chopin (T.), 2014, « Renseignement (théorie et histoire politique) », in
Mbongo (P.), Hervouët (F.), Santulli (C.) (dir.), Dictionnaire encyclopédique de l’État, Paris, Berger-Levrault, p. 790-794.
(30) CE qui correspond à la thèse développée par Müller-Wille (B.), «The effect of international terrorism»,
op. cit., p. 49-73).
(31) Bossong (R.), 2012, «The fight against terrorism. Driver and yardstick for European homeland security», in Kaunert (C.), Léonard
(S.), Pawlak (P.) (dir.), European homeland strategy. A European strategy in the making?, New York, Routledge, coll. Contemporary security studies, p. 68.
(32) Rapport du Sénat précité, p. 101.
(33) Voir à ce sujet : Deflem (M.), 2006, «Europol and the policing of international terrorism: Counter-terrorism in a global perspective», Justice Quaterly, vol. 23, n° 3, septembre, p. 352.
(34) De Kerchove (G.), « Quels progrès pour la sécurité ? », op. cit., p. 110.
(35) Dupont (B.), 2005, « Les morphologies de la sécurité après le 11 septembre : hiérarchies, marché et réseaux », Criminologie,
vol. 38, n° 2, p. 123-155. URL: http://www.benoitdupont.net/ (p. 9-10 du doc. pdf).
(36) Voir Den Boer (M.), Hillebrand (C.), Nölke (A.), 2008, «Legitimacy under pressure: The European web of counter-terrorism
networks», Journal of Common Market Studies, vol. 46, n° 1, p. 101-124.
(37) De Kerchove (G.), 2004, « L’action de l’Union européenne en matière de lutte antiterroriste », Revue du Marché commun et de
l’Union européenne, n° 480, juillet-août, p. 423 ; De Kerchove (G.), 2004, « Brèves réflexions sur la coopération policière au
sein de l’Union européenne », Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé, n° 3, juillet-septembre, p. 560 ; Bures
(O.), op. cit., p. 69.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
112 I DOSSIER
s’expliquer par le fait que sa création n’était pas nécessaire
dans la mesure où il existait des cadres de coopération
situés en dehors de l’Union assumant déjà ce rôle de
centre d’échange 38.
Une deuxième tentative a eu lieu après les attentats de
Madrid de 2004. La Counter terrorist cell, devenue
entre-temps la Counter terrorism Task Force ou CTTF,
a été réactivée 39. Or, cette cellule a rencontré, à son
tour, un succès plus que mitigé. En effet, les services de
renseignement ont préféré établir des contacts bilatéraux
ou multilatéraux à l’extérieur d’Europol 40.
La structuration des communautés, policière d’un
côté, de renseignement de l’autre, se réalise donc en
parallèle. D’une part, Europol tend à prendre une place
prépondérante dans la coopération policière. C’est l’effet
de centralisation de cette coopération évoquée dans
l’introduction 41. D’autre part, la collaboration entre les
services de renseignement échappe à ce processus de
centralisation. Des liens se nouent et les relations entre
ces services se multiplient, mais en dehors de la sphère
institutionnelle de l’Union, d’où l’idée d’« européanisation
sans l’Union 42 ».
Après les attentats du 11 septembre 2001 et sur demande du
Conseil européen, le Groupe de Berne a décidé d’instituer
un « groupe antiterrorisme » chargé d’analyser le
fonctionnement du terrorisme islamiste. Constituant
une enceinte d’échange d’informations entre experts, il
fait office d’interface entre l’Union et les directeurs des
services de renseignement, et il vise à fournir aux hauts
responsables de l’Union des analyses antiterroristes 43.
Cela étant dit, le GAT reste avant tout une plateforme
de dialogue. La collaboration opérationnelle échappe à
tout effort de formalisation : elle s’opère dans le cadre de
rencontres ponctuelles ou au sein d’enceintes ad hoc qui
demeurent, en tout état de cause, de nature temporaire.
Une meilleure coordination entre les services de
renseignement est un défi en soi 44. Une synchronisation
entre le monde du renseignement et le monde policier
l’est encore davantage. Une décision du Conseil de 2005
relative à l’échange d’informations et à la coopération
dans ce domaine déclare que « la persistance de la menace
terroriste et la complexité du phénomène nécessitent des échanges
d’informations toujours plus importants 45 ». Or, cet échange en
matière d’informations demeure toujours problématique
en pratique, entre ces deux mondes.
Pour répondre à ce défi, la stratégie des institutions
européennes change, avec pour illustration la
communication de la Commission de septembre 2016.
Les déconvenues subies de ces dernières années quant
aux efforts de centralisation du renseignement au sein
d’une enceinte européenne amènent celles-ci à accepter
l’idée d’une « convergence "horizontale" 46 » du secteur du
renseignement. Plus exactement, elles admettent que
la régulation du renseignement s’opère dans un cadre
intergouvernemental, à charge pour l’Union de s’investir
dans la coordination entre les communautés impliquées,
deux sphères, celle policière et celle du renseignement,
œuvrant selon deux logiques distinctes, une « Union
avec de l’européanisation 47 » dans un premier cas, et une
« européanisation sans l’Union » dans un second cas.
(38) Müller-Wille (B.), «The effect of international terrorism», op. cit., p. 50.
(39) La CTTF a été intégrée par la suite à la First Reponse Network d’Europol qui est un réseau composé de plusieurs dizaines
d’experts provenant de différents États membres rapidement mobilisables destinés à fournir une évaluation en manière terroriste
(40) Müller-Wille (B.), 2004, For your eyes only? Shaping an intelligence community within the EU, Paris, Institut d’études de sécurité (ISS), Occasional papers, n° 50, janvier, p. 35 ; De Kerchove (G.), « Brèves réflexions »,
op. cit., p. 560. Plus précisément, elle reste une entité séparée de l’Europol Serious Crime Department, contrairement à la Task
Force de première génération, à savoir la CTC.
(41) Et mise clairement en évidence par Müller-Wille (B.), «The effect of international terrorism», op. cit., p. 54.
(42) Irondelle (B.), 2003, «Europeanization without the European Union? French military reforms 1991-1996», Journal of European
Public Policy, vol. 10, n° 2, p. 208-226.
(43) Sur le GAT, voir Baud (J.), op. cit., p. 263.; De Kerchove (G.), « Brèves réflexions », op. cit., p. 569; Müller-Wille (B.), «The
effect of international terrorism», op. cit., p. 55-56; Laurent (S.-Y.), op. cit., p. 115 ; Adrich (R.), 2009, «US-European intelligence
cooperation on counter-terrorism: low politics and compulsion», British Journal of Politics and International Relations, vol. 11,
p. 126-127.
(44) Pour une analyse éclairante quant à la question de la coordination du renseignement en France, voir p. 26 du rapport Urvoas
précité.
(45) Considérant 4 de la décision 2005/671/JAI du Conseil du 20 septembre 2005 relative à l’échange d’informations et à la
coopération concernant les infractions terroristes (JOUE L 253 du 29.9.2005, p. 22).
(46) Chopin (T.), « Le renseignement européen », op. cit., p. 31.
(47) Hoeffler (C.), Faure (S. B. H.), 2015, « «L’européanisation sans l’Union européenne». Penser le changement des politiques
militaires », Politique européenne, vol. 48, n° 2, p. 21.
Mettre un terme à la concurrence entre les communautés policière et de renseignement, le projet d’un « centre de fusion européen » – Pierre BERTHELET
DOSSIER I 113
Cette « européanisation sans l’Union » est donc prise en Du Centre européen de lutte contre
compte par la Commission européenne qui suggère, le terrorisme au centre de fusion
dans son programme européen en matière de sécurité
d’avril 2015, de réfléchir sur une centralisation accrue L’ECTC correspond à une plateforme opérationnelle
du renseignement policier en matière antiterroriste. destinée à améliorer l’échange d’informations entre les
Reprenant à son compte l’idée avancée par le Coordinateur États membres. Il a vu le jour grâce à l’élan suscité suite
européen de la lutte contre le terrorisme, elle propose aux attentats de novembre 2015 à Paris 50 . À l’origine,
la mise sur pied d’un centre européen de lutte contre le certains États étaient peu favorables au renforcement
terrorisme intégré à Europol. Elle justifie ce choix par le de cette structure 51. Le rapport du Sénat précité exprime
fait qu’« Europol a acquis une expertise de plus en plus importante clairement les réserves de la France à cet égard : « il existe
dans le domaine du terrorisme, qu’elle devrait encore enrichir en une tendance à faire entrer le renseignement dans les compétences de
regroupant ses capacités de répression du terrorisme, en pratiquant l’Union européenne. Ainsi, le dernier document du Coordinateur
la mise en commun des ressources et en maximisant l’utilisation européen de la lutte contre le terrorisme (document DS1035/15
des structures, services et outils dont dispose l’Agence, de manière à du 17 janvier 2015) évoque l’établissement d’une Task Force CT
réaliser des économies d’échelle. Cette centralisation pourrait s’opérer (Contre-Terrorisme) en résidence à Europol. Selon Europol, avec
sous la forme d’un centre européen de la lutte contre le terrorisme créé le temps et lorsque le niveau de confiance requis aura été établi,
au sein d’Europol afin d’amplifier le soutien apporté par l’UE aux cette Task Force serait appelée à faire office de centre de «fusion»
États membres, dans un environnement
(rassemblement de toutes les données) pour les
sûr garantissant une confidentialité
données policières et de renseignement. Plusieurs
maximale des communications 48 », tout
États membres, dont la France, sont toutefois
en ajoutant que « ce centre agirait
réticents devant une telle évolution ».
Cette
dans le strict respect du mandat juridique
« européanisation
d’Europol, sans empiéter sur la compétence
Toutefois, les attaques de Paris ont modifié
exclusive des États membres en matière de
la donne. La France s’est trouvée à la tête
sans l’Union » est
préservation de la sécurité nationale 49 ».
de la lutte contre le terrorisme au niveau
donc prise en compte
européen, en stimulant plusieurs projets,
par la Commission
dont la création de l’ECTC 52. Ce dernier
européenne qui
prend la suite de la Task Force Fraternité
suggère, dans
instaurée le 7 décembre 2015 au sein
son programme
d’Europol grâce à l’impulsion française
européen en
après les attaques de novembre, et dont
matière de sécurité
L’enjeu de la réforme est double :
la fonction était d’apporter un soutien
d’avril 2015, de
développer l’ECTC et permettre
aux enquêtes nationales en matière
réfléchir sur une
une meilleure articulation entre les
antiterroriste 53.
communautés, policière d’un côté,
centralisation accrue
du renseignement de l’autre, ceci à
Comme l’indique la Commission dans
du renseignement
travers une interaction accrue entre
sa communication de septembre 2016,
policier en matière
l’ECTC et le GAT. Plus précisément,
l’ECTC a pour mission d’analyser
antiterroriste.
il s’agit de créer un centre européen
le phénomène terroriste, d’évaluer
de fusion entre les deux organismes,
l’ampleur de la menace et d’établir des
point de rencontre entre ces deux
plans opérationnels antiterroristes. La
communautés. Reste qu’une telle idée, aussi louable soit- Commission suggère différents axes de réforme. D’abord,
elle, n’empêche pas de garder une certaine distanciation il s’agit de doter l’ECTC en moyens suffisants, notamment
critique à son égard.
en effectifs humains, pour lui permettre d’agir en amont,
Les enjeux de
la réforme
(48) P. 15 de la communication de la Commission du 28 avril 2015 sur le programme européen en matière de sécurité
(COM(2015)185).
(49) P. 16 de la communication.
(50) P. 13 du doc. du Conseil du 4 mars 2016, n° 6785/16.
(51) Rapport de 2015 précité, p. 101.
(52) Voir à ce propos le rapport Fenech-Pietrasanta, op. cit., p. 292-293.
(53) Pour un historique plus précis de l’ECTC, voir le doc. d’Europol repris dans le doc. du Conseil du 13 mai 2014, n° 8881/16,
COSI 83, JAI 380, ENFOPOL 139, DAPIX 74, notamment p. 2-4.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
114 I DOSSIER
par exemple la détection de mouvements internationaux
du financement du terrorisme ou de contenus internet
suspects. Ensuite, il est question d’accorder à ce centre
l’accès aux bases de données européennes, notamment au
système d’information sur les visas (SIV) ou la base de
données sur les réfugiés et les clandestins appréhendés à la
frontière (Eurodac), de même qu’au futur Système Entrée/
sortie ou encore le système européen d’information et
d’autorisation concernant les voyages (ETIAS) encore
en projet. Enfin, il s’agit de renforcer les liens avec les
agences européennes confrontées aux thématiques
sécuritaires, Europol et Frontex, ou avec des pays tiers
relevant de l’OCDE, du Moyen-Orient ou de l’Afrique
du Nord, ou avec des organismes comme Interpol ou le
Groupe antiterroriste. À cet égard, ce groupe ayant étoffé
sa plateforme visant au partage d’information entre les
services de renseignement, la Commission propose de
renforcer les liens entre cette plateforme et l’ECTC. Cela
étant, les prérogatives dont elle dispose pour renforcer
ces liens sont limitées et la communication se contente
d’encourager « les États membres à envisager d’ouvrir le Groupe
antiterroriste, forum intergouvernemental de renseignement, à une
interaction avec les autorités répressives qui coopèrent dans le cadre
d’Europol (le Centre européen de la lutte contre le terrorisme) 54 ».
La Commission propose de créer un centre de fusion
destiné à servir de plateforme d’échange d’informations
entre le monde policier et celui du renseignement. Il ne
s’agit pas tant de créer une nouvelle structure que de
créer un mécanisme de coordination visant à faciliter ce
partage d’information. Pour ce faire, le texte suggère aux
États membres de « partager leurs expériences positives 55 ».
Consciente de marcher sur des œufs, la Commission
reste prudente à l’égard des États et il s’agit, à ce stade,
seulement de collecter des informations pour présenter
l’armature d’un centre de fusion, futur point de
convergence entre deux mondes, le monde policier et
celui du renseignement.
Le Comité de sécurité intérieure (Cosi) du Conseil de l’UE,
qui est l’instance de la coopération et de la coordination
en la matière, s’est attelé au cours de l’automne 2016 à
recenser ces pratiques 56. L’idée est donc déjà de faire le
bilan des bonnes pratiques existantes avant d’établir un
éventuel modèle de centre de fusion européen. Il y a fort
à parier que ce choix se révèle judicieux, surtout si, entretemps, l’Europe subit une nouvelle attaque terroriste
requérant, de la part des chefs d’État et de gouvernement,
une réponse politique visible à l’échelle de l’Union.
Appréciation critique du projet
Comme il l’a été indiqué, la réforme s’opère en deux
temps : le développement de l’ECTC et la création d’un
centre de fusion. La marge de manœuvre de la Commission
est faible pour des raisons de contrainte institutionnelle.
D’abord, le Groupe antiterroriste constitue une enceinte
située en dehors de la sphère institutionnelle européenne.
Elle échappe donc aux compétences des institutions de
l’Union, si bien que le volant dont dispose la Commission
reste limité. Surtout, comme il l’a été dit également,
la collaboration demeure très décentralisée, le GAT
n’étant ni une enceinte opérationnelle, ni une structure
décisionnelle.
Ensuite, il s’agit d’assurer une réforme à droit constant.
L’encre du règlement modernisant le cadre juridique
d’Europol étant fraîche, car approuvé seulement en mai
2016 (et devant entrer en vigueur seulement en 2017), il
n’est pas question d’entreprendre, à ce stade, de révision
du texte 57. Au surplus, il faut rappeler qu’en matière de
lutte antiterroriste, une meilleure collaboration et une
plus grande coordination au niveau national se révèlent
être déjà un défi en soi 58. Aussi, les propositions de la
Commission, motivées par de louables intentions, à savoir
lutter efficacement contre le terrorisme, restent modestes,
l’objectif étant de faciliter un partage de l’information qui
peine déjà à s’opérer à l’échelle des États membres.
Pour autant, l’idée de créer un centre dédié à la lutte
antiterroriste, présentée dans le programme européen
en matière de sécurité d’avril 2015, et repris par la suite
par le Conseil, notamment dans ses conclusions du
20 novembre 2015, suite aux attaques terroristes du
13 novembre à Paris, laisse l’observateur perplexe. En effet,
Europol disposait déjà des capacités dans ce domaine et
ceci, à travers une unité spécialisée, l’O4, intitulée « contreterrorisme et renseignement financier », du service « opérations ».
(54) P. 17 de la communication de septembre 2016 précitée.
(55) Idem.
(56) Voir à ce sujet la communication du 12 octobre 2016 sur les progrès accomplis dans la mise en place d’une union de la sécurité
opérationnelle et effective (COM(2016)670).
(57) Pour une description de la réforme d’Europol, voir l’article d’Agathe Piquet dans le présent numéro.
(58) Dittrich (M.), 2008, «Radicalisation and recruitment: The EU response», in Spence (D.) (dir.), The European Union and terrorism, Londres, John Harper Publishing, p. 67.
Mettre un terme à la concurrence entre les communautés policière et de renseignement, le projet d’un « centre de fusion européen » – Pierre BERTHELET
DOSSIER I 115
Un regard attentif porté sur le projet conduit à penser
que, sous couvert du lancement d’un nouveau centre, il
s’agit avant tout d’une opération de communication au
bénéfice d’Europol, désireux de renforcer sa visibilité
accrue en matière de lutte antiterroriste, avec bénédiction
de la Commission, favorable au renforcement des
compétences de l’Union dans ce domaine, et du Conseil,
les ministres montrant ainsi à l’opinion publique que
l’Europe s’investit dans cette lutte aux côtés des États
membres.
L’ECTC a été présenté comme une réorganisation interne
de nature substantielle de l’office européen de police. Il
s’agit en effet de rassembler au sein d’une même structure,
divers services hébergés par Europol : le FIU.NET qui est
le réseau informatique géré par l’office, interconnectant
les cellules de renseignement financier (CRF), Tracfin
en France, l’unité compétente de l’office dans la mise en
œuvre de l’accord relatif au programme de surveillance
du financement du terrorisme (TFTP) conclu entre
l’Union et les États-Unis, le réseau européen des bureaux
nationaux de recouvrement des avoirs (BRA), de même
que les capacités de l’office dans le domaine des armes
à feu, ainsi que le point de contact « voyageurs » chargé
de la surveillance des combattants étrangers 59. Or en
pratique, ces services étaient déjà réunis au sein de l’O4.
En conséquence, plutôt que d’opérer une réorganisation
interne de l’office européen de police, l’ECTC correspond
davantage à un changement d’appellation visant à offrir
à Europol une visibilité accrue, en mettant en avant une
structure qui existait déjà.
Pour autant, il convient de ne pas réduire la création de
l’ECTC à un « coup médiatique ». Derrière ce changement
cosmétique se cache en effet une réelle volonté politique de
renforcer le pôle antiterroriste d’Europol. Il importe à cet
égard d’éviter la tentation d’une vision trop dichotomique
entre le monde policier et celui du renseignement. Ces
deux mondes relèvent, a priori, de deux dynamiques et qui
répondent à des logiques opposées. L’« européanisation sans
l’Union » s’explique par une collaboration décentralisée,
hors des institutions européennes, mettant en avant la
primauté de la règle dite du respect de la règle du tiers
service, qui requiert, avant toute communication d’un
renseignement par un service à un autre, l’accord du
service d’origine de ce renseignement, alors que l’« Union
avec de l’européanisation » correspond au phénomène
inverse : une coopération centralisée menée dans le cadre
institutionnel prévu par le droit européen et impliquant
l’abandon de cette règle du tiers service.
Cependant, la dualité entre ces deux formes
d’européanisation mérite d’être nuancée. En effet,
la centralisation du renseignement policier au sein
d’Europol n’est pas complète, en matière antiterroriste
tout du moins. Actuellement, seulement dix-huit services
nationaux coopèrent via l’ECTC. Cette absence de
centralisation totale s’explique sur le plan juridique, par
le fait que les services nationaux sont compétents, dans le
respect du droit national prévu à cet égard, du choix du
canal pour l’échange d’informations. L’office est un outil
à disposition des États membres 60. Ces services sont donc
libres d’avoir recours à Europol. Le poids des habitudes
conjugué à l’attitude délibérée de la part de certains d’entre
eux, en vue de se maintenir en dehors du cadre européen,
crée un effet d’inertie à toute tentative de réforme. Cette
résistance est observée par la commission parlementaire
d’enquête des attentats de novembre 2015, qui note que
« malgré les aspects positifs de cette évolution de la place d’Europol
dans le contre-terrorisme à l’échelle européenne, [il est à] relever son
caractère plus que tardif et poussif au vu des nombreux attentats
déjà commis sur le sol européen depuis la création de l’agence. De
plus, il note qu’il faudra malheureusement à nouveau du temps pour
que ce positionnement novateur d’Europol soit totalement intégré par
les États membres 61 ».
Une telle absence de centralisation totale s’explique pour
une raison plus pratique. Il s’agit en l’occurrence de
l’inclinaison de certains services nationaux à privilégier
des canaux autres que ceux d’Europol et ce, en dépit des
exhortations politiques ou des efforts de l’office en ce sens.
La France n’est d’ailleurs pas épargnée par ce phénomène 62.
Cette inclinaison trouve plusieurs explications, notamment
la méfiance de ces services à l’égard d’autres, y compris des
services de leur État d’appartenance.
(59) Voir p. 16 de la communication de la Commission du 28 avril 2015 précitée.
(60) Et ce, au regard de l’art. 7§7 combiné avec le considérant 1 du règlement de 2016 précité : Europol est destiné à soutenir et
à renforcer l’action des autorités compétentes des États membres et leur coopération mutuelle dans la prévention et de la lutte
contre le terrorisme. De surcroît, ces autorités ne sont pas tenues de fournir des informations contraires aux intérêts essentiels
de la sécurité de leur État d’appartenance, ou de compromettre la sûreté nationale.
(61) Rapport Fenech-Pietrasanta, op. cit., p. 293.
(62) Ce qui signifie que la Sous-direction antiterroriste (SDAT) de la DCPJ, le Bureau de la lutte antiterroriste (BLAT), unité
opérationnelle de la direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN), la DCRI, la DNRED et l’UCLAT, ne sont pas
tous investis de la même manière dans l’activité d’Europol en général, et de l’ECTC en particulier. Certains s’impliquent en effet
davantage que d’autres.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
116 I DOSSIER
Une telle inclinaison se justifie également par la délicate
question de la différence d’implication des États membres
en matière de lutte antiterroriste. Une partie d’entre eux,
notamment de grands États comme la France, ayant fourni
des efforts substantiels en matière de lutte antiterroriste,
se montrent peu désireux de partager de l’information en
dehors de la règle du tiers évoquée précédemment, avec
d’autres qui ne fournissent pas des efforts identiques. La
tentation serait grande pour les États réalisant des efforts
moindres, par exemple du point de vue de l’investissement
en termes de moyens ou de ressources, de bénéficier à
peu de frais de l’information collectée 63.
Par ailleurs, la réforme proposée repose sur l’idée
que l’ECTC et le GAT sont amenés à former les deux
pôles respectifs des communautés policière et de
renseignement 64. Or, si l’un et l’autre sont des points
de rencontre au sein de ces communautés, ils peinent à
constituer des centres où convergent le renseignement,
puisque le GAT est seulement une enceinte de dialogue et
une partie de la coopération continue, on vient de le voir,
à échapper à l’office de police.
Au vu de ces éléments, il semble donc que la réforme
entreprise à l’échelle européenne soit compromise.
Pourtant, l’évolution du phénomène terroriste constitue
un facteur plaidant en faveur de la réforme entreprise à
l’échelle européenne 65. Il est en effet désormais question
de terrorisme de masse auxquels les États membres sont
confrontés 66. L’évolution que connaît ce phénomène
nécessite de nouveaux moyens ainsi qu’une réorientation
des méthodes d’action, ce qui est un défi pour les services
nationaux. Ces derniers, conscients du changement de
paradigme de la lutte antiterroriste, à savoir une mutation
du phénomène requérant l’abandon de la règle du tiers
service, tendent à accepter progressivement l’idée qu’un
partage accru du renseignement est nécessaire 67. Or,
l’ECTC est amenée à fournir une valeur ajoutée à l’effort
de mutualisation de celui-ci, en
constituant l’enceinte idoine de par
les capacités dont il dispose, son
expertise en matière d’analyse de
La mutation du
la menace et son accès à certains
phénomène
systèmes d’information.
terroriste est telle
Europol constitue à cet égard
un organisme incontournable de
la lutte antiterroriste. D’ailleurs,
en France, un service qui n’a pas
l’habitude de collaborer avec
Europol a transmis à l’office des
informations précieuses après
les attentats de novembre 2015,
preuve d’un changement de
posture à l’égard de l’office 68.
qu’elle questionne
les cloisonnements
existants, liés
aux principes
traditionnels de
fonctionnement de
la lutte antiterroriste.
L’émoi provoqué
dans l’opinion
publique par une
attaque terroriste
et la réaction des
dirigeants politiques
désireux d’apporter
une réponse
sécuritaire conduisent
les services des
différents États
membres à
approfondir leur
collaboration.
Le cercle vicieux dans lequel se
trouve l’office, constaté par certains observateurs 69, se transforme
en cercle vertueux : en montrant
sa plus-value, l’office acquiert une
crédibilité à l’égard des services
de terrain, y compris ceux n’ayant
pas l’habitude de travailler avec lui.
La réputation acquise et la qualité
des prestations offertes renforcent
sa centralité dans la lutte antiterroriste, du moins dans le monde
policier, qui, à son tour, améliore
sa réputation et la qualité de ces
prestations, et ainsi de suite 70. Ce cercle vicieux est facilité
par l’attitude politique de certains États membres, en pre-
(63) Et ceci d’autant plus que le renseignement technique a pris une place croissante au sein des sources de renseignement (p. 54
du rapport du 25 février 2016 relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2015 (doc.
précité).
(64) p. 17 de la communication de la Commission du 14 septembre 2016 précitée.
(65) Voir p. 10 et s. du rapport TE-SAT 2016 d’Europol (EU Terrorism Situation and Trend Report), publié le 20 juillet 2016, et
disponible sur : https://www.europol.europa.eu/ Voir aussi p. 74 du rapport du 25 février 2016 relatif à l’activité de la
délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2015 (doc. précité).
(66) Voir à ce sujet le n° 35/26 des Cahiers de la sécurité et de la justice, « Terrorisme en France - Faire face ! », et notamment
l’article de Michel Wieviorka : « L’impact du terrorisme sur la France ».
(67) Il est à noter que le fait que le renseignement technique ait pris une place croissante au sein des sources de renseignement a
conduit les services de renseignement à mutualiser leurs moyens techniques et ceci, pour éviter les phénomènes de doublon,
facteurs de surcoûts (p. 54 du rapport du 25 février 2016 relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement
pour l’année 2015 (doc. précité)). Ainsi, l’idée d’une mutualisation du renseignement, tout au moins en France et à l’échelle
des moyens, est désormais une pratique répandue.
(68) Ibidem, p. 292-293.
(69) Bures (O.), op. cit., p. 65 et 91.
(70) Voir à ce propos p. 14 de la communication de la Commission du 14 septembre 2016 précitée.
Mettre un terme à la concurrence entre les communautés policière et de renseignement, le projet d’un « centre de fusion européen » – Pierre BERTHELET
DOSSIER I 117
mier lieu la France, désireuse de montrer qu’elle entend
supprimer tout obstacle à la lutte antiterroriste, et par la
Commission européenne, qui voit Europol comme un
partenaire, vecteur d’une intégration européenne qui n’est
plus verticale, mais polycentrique 71.
Par ailleurs, la mutation du phénomène terroriste est
telle qu’elle questionne les cloisonnements existants,
liés aux principes traditionnels de fonctionnement de
la lutte antiterroriste. L’émoi provoqué dans l’opinion
publique par une attaque terroriste et la réaction des
dirigeants politiques désireux d’apporter une réponse
sécuritaire conduisent les services des différents États
membres à approfondir leur collaboration. Les règles
de nature à freiner cette coopération, comme la règle du
tiers service, se révèlent, à cet égard, être problématiques.
Les cloisonnements, notamment entre le monde policier
et celui du renseignement, induits par le respect de cette
règle du tiers service, sont de nature à constituer un
obstacle à la réponse apportée. Et le refus de partager
l’information au nom du respect d’une telle règle peut se
comprendre, dans le chef de l’opinion publique, comme
une forme de rétention d’information, de nature à mettre
en position délicate les services nationaux concernés.
À l’heure où les dirigeants politiques font preuve de
volontarisme politique dans la lutte antiterroriste, et où
ceux-ci sont fortement impliqués dans la création d’une
Europe de la sécurité, y compris dans un projet de centre
de fusion, il paraît délicat pour de tels services de tenter
de vider la réforme européenne de sa substance. Certes,
pour l’heure, cette réforme présentée par la Commission
européenne n’en est qu’à ses débuts et le projet de centre
de fusion est seulement esquissé. Toutefois, il paraît
raisonnable de conjecturer qu’au regard des circonstances
(intensité de la menace terroriste, sensibilité de l’opinion
publique à cet égard, forte préoccupation des dirigeants
politiques), les résistances éventuelles favorisant le
maintien des cloisonnements traditionnels s’estompent
progressivement 72.
Conclusion
Une lecture pessimiste de la proposition de la Commission
conduirait à penser que la réforme proposée est vouée
à l’échec. Une telle réforme, aussi modeste soit-elle, se
heurte à des principes régissant la coopération entre
les services de renseignement, de même que l’obstacle
juridique présenté par les dispositions des traités relatives
à la protection de la souveraineté. Ces limites peuvent
sembler insurmontables. Néanmoins, le climat politique à
l’égard d’une Europe de la sécurité a changé ces derniers
temps. Les États, au premier rang la France, se montrent
favorables à la construction européenne. Ce changement
n’est pas mu par une europhilie subite de la part des
dirigeants nationaux, mais par un certain réalisme à
l’égard des réponses à apporter face à un phénomène qui
a profondément évolué ces dernières années 73. Ainsi que
le note la commission parlementaire d’enquête précitée,
« la lutte contre le terrorisme impose de faire preuve de pragmatisme
et celui-ci commande de faire aux instruments de coopération
internationale la place qui leur revient 74 ».
Faisant fi des questionnements philosophiques sur le
fondement du projet européen, ces mêmes dirigeants se
montrent désireux d’avancer en la matière. La légitimation
du politique sur la thématique antiterroriste est néanmoins
à double tranchant. D’un côté, elle amène les États
membres, en quête de performance en matière de lutte
antiterroriste, à user des divers leviers à leur disposition, y
compris l’approfondissement de l’intégration européenne
(71) Sur ce thème, voir Héritier (A.), Rhodes (M.) (dir.), 2011, New modes of governance. Governing in the shadow of hierarchy,
Palgrave MacMillan.
(72) L’opposition d’un service à une telle réforme portant création de ce centre, par exemple en faisant de celui-ci une coquille vide,
notamment par le refus de partager l’information sensible, est de nature à le mettre en position d’accusé, par exemple dans
l’hypothèse d’une commission parlementaire d’enquête, et ce, en cas de nouvel attentat. D’aucuns ne sont prêts à courir un tel
risque, à moins d’avoir mûrement réfléchi aux conséquences.
(73) La réponse du ministère de l’Intérieur à une question parlementaire est révélatrice de l’attitude pragmatique des autorités
françaises : « dans sa forme et son contenu, la coopération entre services de renseignement des États membres s’adapte à
l’apparition d’une menace particulière. Sur le principe, elle reste un sujet de compétence intergouvernementale, et ne doit
nullement découler vers le transfert de la compétence "sécurité nationale" en faveur de l’Union européenne. En effet, l’absence
de compétence de l’Union européenne dans le domaine de la sécurité intérieure est explicitement rappelée à l’article 4.2
du TUE […]. D’un intérêt communautaire partagé, le renseignement – notamment antiterroriste – doit être évidemment mais
intelligemment mutualisé » (réponse du ministère de l'intérieur publiée dans le JO Sénat du 28 juillet 2016, p. 3363 à la
question écrite n° 19207 d’Alain Houpert sur une agence européenne du renseignement, publiée dans le JO Sénat du 10
décembre 2015, p. 3325)
(74) Rapport Fenech-Pietrasanta, op. cit., p. 136.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
118 I DOSSIER
et ceci, en dépit de l’euroscepticisme ambiant. De l’autre,
elle questionne l’efficacité des politiques publiques. Or, la
France se montre, pour l’heure, réticente par principe à
l’évaluation des politiques publiques de sécurité et ce, au
motif que la thématique antiterroriste est éminemment
sensible pour les gouvernants. Cependant, elle sera,
tôt ou tard, confrontée à cette question de l’évaluation
objective. Autrement dit, la France, désireuse d’une action
antiterroriste efficace, sera amenée à rendre des comptes
sur l’efficacité de son action à l’aune d’une évaluation
menée par une instance extérieure. Elle le sera dès lors que
l’Union, qui dispose déjà de certains moyens juridiques
pour mener à bien cette évaluation (en l’occurrence l’art.
70 du traité FUE), se montrera attentive, via notamment
ses instances défendant les intérêts nationaux, à l’efficacité
d’une telle lutte, et soucieuse d’identifier, au sein de chaque
État membre, les freins à l’action collective 75. Il s’agit
d’ailleurs, et c’est tout le paradoxe, d’une préoccupation
de la France qui entend ne pas réaliser à elle seule une
part importante des efforts – financiers notamment
– entrepris quant aux capacités allouées aux services
de lutte antiterroriste, dont bénéficieraient indûment
d’autres États membres, et ce, au titre d’un renseignement
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(75) Sur le projet d’évaluation des mesures européennes conduite par la Commission en matière de la lutte antiterroriste, voir p. 2 de
sa communication du 12 octobre 2016 («First progress report on an effective and genuine Security Union» (COM(670)2016)).
(76) Réponse du ministère de l'intérieur, op. cit., note n° 73.
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Londres, John Harper Publishing.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
122 I DOSSIER
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La coopération douanière
en Europe
Entre intégration et fragmentation
Bruno DOMINGO
L
a coopération douanière
internationale (souvent désignée
sous la terminologie d’assistance
administrative
mutuelle
internationale ou AAMI) constitue un objet
négligé par les sciences sociales. Difficiles
à observer, les pratiques de coopération
administratives renvoient également à un
ensemble de normes relativement techniques
dont il est souvent délicat de dégager
immédiatement la cohérence globale. On
étudiera la coopération douanière qui s’est
développée en Europe en essayant de
rendre compte de sa genèse et des lignes de
force qui la structurent. Dans un premier
temps, et sans ambition d’exhaustivité, on
examinera les coopérations douanières
qui se sont historiquement construites
aux niveaux « bilatéral » et « multilatéral ».
Ces deux dimensions traversent encore
aujourd’hui les modes de coopération
douanière au sein desquels sont inscrits les
États européens. Leur appréhension permet
de mieux comprendre l’originalité de la
« coopération douanière européenne » qui
a émergé dans le cadre de la Communauté
économique européenne (CEE) puis de
l’Union européenne (UE). Contrairement
aux dynamiques strictement « bilatérales » ou
totalement « multilatérales », cette dernière
logique considère l’Europe en tant qu’espace
politique spécifique de coopération et permet
de penser la potentielle supra-nationalisation
des relations entre administrations
douanières nationales. À partir de ces jalons,
on décrira les dynamiques observables depuis
plus d’une cinquantaine d’années dans la
structuration de cette coopération douanière
européenne. Celle-ci se présente de manière
paradoxale : à la fois partiellement intégrée
sur le plan normatif et relativement atomisée
sur le plan organisationnel.
La coopération douanière en Europe. Entre intégration et fragmentation – Bruno DOMINGO
Bruno DOMINGO
Consultant
et formateur.
Ancien
auditeur de
l’INHESJ, il
est chercheur
associé en Science-Politique à
l’Université Toulouse Capitole,
et membre du bureau de
l’Association française de
criminologie.
DOSSIER I 123
Entre bilatéralisme et
multilatéralisme
Une « coopération douanière » peut être identifiée en
Europe, bien avant que l’on assiste à sa structuration au
sein de la Communauté économique européenne (CEE)
puis de l’Union européenne (UE). Ces modalités de
coopération se sont inscrites dans une double dimension :
celle du bilatéralisme d’abord, puis du multilatéralisme,
sans néanmoins qu’une logique l’emporte définitivement
sur l’autre.
Logiques bilatérales et transfrontalières
C’est d’abord par la voie bilatérale que les coopérations
entre les douanes nationales ont pu être instituées. La
France a, par exemple, conclu divers accords bilatéraux
d’assistance administrative mutuelle en matière douanière
et de lutte contre la fraude tout au long du XXe siècle.
Cette coopération douanière a été entreprise avec des
pays du continent africain (Cameroun, Tchad, Niger,
Gabon, Haute-Volta, Maroc, Algérie, Burkina Faso, Mali,
etc.), mais aussi en Europe (ex : Yougoslavie, Autriche,
RFA, Suède, Finlande, Slovaquie, Macédoine, etc.), au
niveau transatlantique (ex : États-Unis, Canada, Mexique,
Cuba, Brésil) et avec la Russie. Nombreux sont ces
accords bilatéraux qui conservent aujourd’hui une valeur
juridique en dépit des processus de multilatéralisation
et d’intégration européenne qui auraient pu en affecter
la validité. Ces textes trouvent souvent leur origine dans
la première moitié du XXe siècle, mais aussi parfois au
siècle précédent. On peut ainsi évoquer l’accord par
échange de lettres entre la France et les États-Unis en vue
de la répression des fraudes douanières par l’assistance
administrative mutuelle signé en 1936, qui prévoit que
« l’administration des douanes des États-Unis d’Amérique
et l’administration française des douanes se communiqueront
mutuellement sans délai tous renseignements dont elles pourraient
disposer à un moment quelconque au sujet des importations et
exportations qui seraient susceptibles de faciliter la répression de
la contrebande ou de la fraude dans l’autre pays ». Cet accord
demeurera longtemps en vigueur, jusqu’au milieu des
années 1990, avant d’être remplacé par une nouvelle
convention signée entre les deux parties à Paris, le
3 décembre 1993.
Si l’on prend pour autre exemple la coopération entre
États contigus, on constate également la volonté de
ces derniers de régler leur action réciproque en matière
de circulation et de contrôle transfrontière. Différents
accords ont ainsi été conclus entre les États européens
visant à régler principalement leur vie frontalière et
leur bon voisinage. Certains de ces accords bilatéraux
organisent également la coopération douanière. Prenons
pour exemple l’Espagne avec laquelle la France a établi,
depuis au moins le XIXe siècle, des relations de travail.
On peut dater la coopération douanière formelle entre
les deux États à la signature de la convention concernant
le service de surveillance et de douane sur les chemins
de fer du midi de la France et du nord de l’Espagne
(signée à Paris le 8 avril 1864), avant qu’une nouvelle
convention ne soit adoptée en 1882. On remarque que
ce rapprochement dérivait déjà de la volonté d’articuler
l’impératif du contrôle des flux de marchandises et de
personnes, avec celle d’une facilitation des circulations
transnationales (découlant alors de l’apparition du chemin
de fer). La convention de 1882 soulignait ainsi dans son
article 4 que « chaque convoi pourra être escorté par des employés
des douanes soit sur les voies internationales, soit dans le reste du
trajet, sans autre frais pour les administrations des chemins de fer
que l’obligation de les placer soit à l’aller, soit au retour, dans les
convois, aussi près que possible des wagons de marchandises ». Ces
douaniers, dénommés « douaniers convoyeurs », devaient
être admis dans les compartiments des gardes de convois
de marchandises. Les douaniers français pouvaient ainsi
surveiller la marchandise quittant le territoire national
jusqu’à la prochaine gare espagnole, à la station de Portbou.
Les mêmes dispositions étaient prévues pour les douaniers
espagnols qui pouvaient intervenir jusqu’à la gare française
de Cerbère. Des dispositions analogues concernaient les
voyageurs, les « douaniers convoyeurs » étant admis dans
les voitures de deuxième classe. À la veille des années
1930, une nouvelle convention va être signée pour la
gare espagnole de Canfranc et la voie de jonction de cette
gare avec la station française des Forges d’Abel. Ce texte
prévoyait, entre autres choses, la mise en place d’une « aide
réciproque des deux administrations douanières pour la répression
des fraudes ». Donc, dès le XIXe siècle et les débuts du XXe,
des modalités de coopération formulaient des entorses
au sacro-saint principe de souveraineté territoriale pour
les administrations douanières nationales opérant de part
et d’autre de la dyade frontalière. Elles couvraient certes
l’échange d’information, mais également toute une palette
d’autres capacités plus opérationnelles. Cette coopération
administrative douanière transfrontalière apparaissait
déjà avancée, préfigurant les « mesures compensatoires »
instituées à partir des années 1990, dans le cadre de la
convention de Schengen. Ces mesures portaient en leur
sein des dynamiques de transnationalisation du droit
répressif douanier, initiées à partir d’une logique de gestion
bilatérale et locale des intérêts des deux États contigus.
Il faut néanmoins attendre les années 1960 pour voir
fleurir une autre série d’accords bilatéraux de coopération
en matière de douane et de gestion commune des
frontières. La France et l’Espagne adoptent ainsi une
convention sur l’assistance mutuelle pour la recherche
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
124 I DOSSIER
et la répression des fraudes douanières en 1963. Deux coopération administrative bilatérale, mais dépassent
ans plus tard, une convention sous forme d’échange la simple gestion d’une zone frontière commune. Ils
de lettres du 7 juillet 1965 pose
cherchent plutôt à structurer
les modalités de coopération des
des réseaux internationaux de
services de douane, mais aussi de
coopération douanière. La douane
police, à leurs frontières. Ce texte
française dispose ainsi d’officiers
DèS LE XIXe SIèCLE
instaure une nouvelle forme de
de liaison dans des administrations
coopération, avec la mise en place
étrangères, mais aussi d’attachés et
Et LES DÉBUtS DU
de bureaux à contrôles nationaux
de conseillers douaniers implantés
XXe, DES MODALItÉS
juxtaposés (BCNJ). Le BCNJ
au siège des ambassades et couvrant
consiste dans la mise en place d’une
des zones géographiques spécifiques.
DE COOPÉRAtION
structure cherchant à organiser les
Ces derniers participent à la lutte
FORMULAIENt DES
contrôles au niveau transfrontalier
contre la fraude, à des actions de
par une coopération des différentes
coopération et de renforcement des
ENtORSES AU SACRO-SAINt
administrations, à la fois douanières
capacités douanières, et à la mission
PRINCIPE DE SOUVERAINEtÉ
et policières des deux États contigus,
économique de la douane. Ils sont
tout en facilitant le passage des flux
aussi présents en Europe. En outre,
tERRItORIALE POUR
de circulation à leurs frontières
des officiers de liaison douaniers
LES ADMINIStRAtIONS
communes. La convention de 1965
français sont directement en poste
pose ainsi les bases d’une diffusion,
au sein d’autres administrations
DOUANIèRES NAtIONALES
en de nombreux points de la
douanières étrangères ou d’instances
OPÉRANt DE PARt Et
frontière franco-espagnole, de ce
européennes (ex : Europol, OLAF)
type de structures visant à faciliter la
ou internationales (ex : Organisation
D’AUtRE DE LA DyADE
mise en œuvre des contrôles opérés
mondiale des douanes). Ce réseau
FRONtALIèRE.
sur les voies ferrées et les gares, mais
de professionnels douaniers en
aussi progressivement sur les routes.
poste à l’étranger se transforme
et se reconfigure en fonction des
Une troisième phase peut enfin
besoins. Si le rôle des attachés et des
être identifiée à la suite de la signature de la convention conseillers douaniers concerne la promotion du commerce
Schengen. Un arrangement administratif, établi le 3 juin extérieur et que ceux-ci sont souvent rattachés aux missions
1996 entre les gouvernements français et espagnol, a économiques des ambassades, ils jouent néanmoins un
ainsi donné lieu à la création de quatre commissariats rôle de passeur d’informations entre les services français
communs. Ces commissariats binationaux associaient les et les autres services étrangers de douane (mais aussi de
représentants des services français et espagnols chargés police) en matière de lutte contre la fraude et la criminalité
du contrôle transfrontalier de personnes. Les douaniers intéressant la douane.
français, chargés principalement du contrôle des
marchandises, n’avaient pas été intégrés à ces structures, On constate ainsi, au terme de ces premiers
implantées souvent sur les mêmes points fixes que les développements, que la coopération douanière en Europe
BCNJ. Les services douaniers participent en revanche aux a précédé le projet de construction européenne. Elle s’est
Centres de coopération policière et douanière (CCPD) développée à partir d’une série de relations bilatérales
installés aux différentes frontières nationales et qui ont entre les États et leurs administrations, comprenant
remplacé les commissariats communs et les BCNJ. Les des échanges d’informations, mais aussi un ensemble
accords de Schengen prévoyaient en effet que les États de relations plus opérationnelles dans le cadre de la
membres du nouvel espace pouvaient conclure des surveillance de leurs frontières communes. La construction
accords bilatéraux pour la gestion de leurs frontières de réseaux douaniers bilatéraux est également une autre
communes. Ils se sont également accompagnés d’un modalité de mise en œuvre de cette coopération douanière
certain nombre de « mesures compensatoires » conférant internationale dont l’Europe constitue également l’un des
aux services douaniers de nouveaux pouvoirs (ex : droit espaces de développement.
d’observation et droit de poursuite transfrontalières) pour
la gestion de la zone frontalière.
À ces différents instruments, il convient d’ajouter la
structuration de réseaux douaniers internationaux par les
États. Ceux-ci s’inscrivent également dans le cadre d’une
L’institutionnalisation du multilatéralisme
La lutte contre la fraude douanière a également fait
l’objet d’accords d’assistance administrative mutuelle
La coopération douanière en Europe. Entre intégration et fragmentation – Bruno DOMINGO
DOSSIER I 125
internationale dans un cadre « multilatéral ». Ces relations
se sont développées suite à la progressive libéralisation
du commerce international au lendemain du second
conflit mondial (dans le cadre de l’Accord général sur
les tarifs douaniers et le commerce ou GATT) et à
la création de nouvelles organisations internationales,
notamment du Conseil de coopération douanière (CCD,
aujourd’hui Organisation mondiale des douanes). C’est
en 1952 qu’entre en vigueur la convention portant
officiellement création du CCD dont les objectifs sont
alors d’aboutir au plus haut degré d’harmonisation
et d’uniformité des régimes douaniers, d’étudier les
problèmes relatifs au développement et au progrès de
la technique et législation douanières, et de promouvoir
la coopération douanière entre les gouvernements pour
le développement du commerce international. D’abord
composée de dix-sept pays européens (Allemagne,
Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce,
Irlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal,
Royaume-Uni, Suède, Suisse, Turquie), cette organisation
internationale a progressivement accru son audience en
accueillant de nouveaux membres. Le CCD a adopté
officiellement la dénomination d’Organisation mondiale
des douanes (OMD) en 1994 et rassemble actuellement
180 administrations douanières, traitant environ 98 % du
commerce mondial. Son activité se déploie aujourd’hui
autour de cinq grands enjeux : la définition de normes
pour un certain nombre de procédures douanières ; la
promotion de la coopération internationale, y compris
l’échange d’informations ; la gestion des risques ; le
renforcement de capacités durables, avec notamment
une assistance technique ; l’amélioration de l’image de
la douane en tant que fonction principale d’un service
d’État.
Par-delà les simples questions économiques et
commerciales, le CCD investira progressivement les
enjeux de lutte contre la fraude. L’AAMI en matière
douanière, promue par ce nouvel organisme, s’est ainsi
développée à partir du milieu des années 1950. Dès le 5
décembre 1953, le CCD adopte un premier texte, sous la
forme d’une recommandation sur l’assistance mutuelle
administrative, afin de promouvoir la structuration de
liens étroits entre les services douaniers nationaux.
Cette recommandation n’instaure aucune volonté de
centralisation des échanges d’information, valorisant
une approche encore bilatérale de la coopération
administrative, fondée sur des relations directes entre
services nationaux. La recommandation du 28 juin 1954
sur la centralisation des renseignements concernant les
personnes condamnées pour fraude douanière, institue
en revanche un système de diffusion des renseignements
faisant appel au secrétariat général du CCD. Cet embryon
de centralisation internationale des informations
douanières nationales ne concernait au départ que des
renseignements relatifs aux personnes condamnées
pour fraude douanière, avant d’être étendu, par une
recommandation du 8 juin 1967, aux renseignements
concernant les cachettes dans les moyens de transport,
aux autres méthodes de fraude, aux marchandises se
prêtant particulièrement à la fraude et alimentant des
trafics caractérisés, ainsi qu’aux renseignements portant
sur les fraudes par faux, falsification ou contrefaçon. Cette
extension de la nature des renseignements centralisés
par le secrétariat général du CCD se poursuivra : la
recommandation du 22 mai 1975 étend les dispositions de
la recommandation de 1954 aux personnes soupçonnées
de contrebande ou d’autres fraudes ou appréhendées
en flagrant délit de contrebande. De même, le rôle du
secrétariat général du CCD s’est progressivement élargi,
celui-ci n’étant plus seulement chargé d’assurer la gestion
d’un fichier central, mais aussi de l’exploiter à des fins
de diffusion avec l’élaboration de résumés et d’études
portant sur les tendances en matière de fraude douanière.
Parallèlement, le CCD a promu l’intensification des
échanges d’informations et l’assistance administrative
dans des secteurs précis tels que la lutte contre les
trafics de stupéfiants ou de biens culturels. Jusqu’à la fin
des années 1960, et le début des années 1970, l’AAMI
entre administrations douanières commence donc à
s’institutionnaliser par le biais de diverses résolutions
ou recommandations de portée générale ou ciblant un
domaine spécifique de trafic. Mais, peu à peu, vont
émerger des outils nouveaux, tels que les conventionscadre d’assistance administrative entre États membres.
En juin 1967, le CCD a ainsi proposé un « modèle
de convention bilatérale d’assistance mutuelle administrative en
vue de prévenir, de rechercher et de réprimer les infractions
douanières ». Cependant, aucune dynamique visant à créer
des instruments de coopération sur une base multilatérale
n’était encore instituée.
C’est en 1974 que le CCD entreprendra la préparation
d’un projet de convention multilatérale. Ses travaux
aboutiront à l’adoption, le 9 juin 1977, d’une convention
internationale d’assistance mutuelle administrative en
vue de prévenir, de rechercher et de réprimer les
infractions douanières. Cette « convention de Nairobi »
se présente sous la forme d’un corps de texte assorti de
11 annexes pouvant être acceptées indépendamment les
unes des autres par les États. Dans ce nouveau cadre,
l’administration douanière d’une partie contractante peut
notamment demander l’assistance mutuelle, au cours
du déroulement d’une enquête ou dans le cadre d’une
procédure judiciaire ou administrative. La coopération
prévue par la convention de Nairobi ne vise cependant ni
les demandes d’arrestation, ni le recouvrement de droits,
taxes, impositions, amendes ou de toute autre somme pour
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
126 I DOSSIER
le compte d’une autre partie contractante. Cet instrument
est entré en vigueur le 21 mai 1980. Néanmoins, le
nombre d’adhésions est demeuré relativement faible.
Seulement 52 États membres, sur les 180 que compte
l’OMD, ont aujourd’hui signé cette convention.
Prenant acte de cet échec partiel et désireux de
promouvoir ces instruments multilatéraux d’assistance
administrative mutuelle, le Conseil de l’OMD va adopter,
le 27 juin 2003, une nouvelle convention d’AAMI. Elle
constitue l’aboutissement de discussions multilatérales
menées dans le cadre d’un « Groupe d’action sur la sécurité
et la facilitation de la chaîne logistique internationale », constitué
en juin 2002 pour répondre à la demande du G8 et de
l’Organisation maritime internationale (OMI) relative
à l’utilisation éventuelle des expéditions commerciales
internationales pour la livraison en contrebande d’armes
de destruction massive. Elle fait également suite à une
autre déclaration du Conseil de l’OMD « sur l’amélioration de
la coopération douanière et de l’assistance administrative mutuelle »
(déclaration de Chypre) réalisée en juin 2000 et qui est
significative du nouveau positionnement des douaniers
pour lutter contre la criminalité transnationale. Baptisé
« convention de Johannesburg », cet outil de coopération
douanière est particulièrement lié aux nouvelles postures
douanières dans un monde où l’agenda des politiques de
sécurité se recentre autour des questions de criminalité
transnationale organisée et de terrorisme.
En dépit de la volonté de l’OMD de relancer la
coopération sur une base multilatérale, il apparaît que
cette nouvelle convention n’a pas encore recueilli un
fort appui. Les États européens ne se sont pas encore
inscrits dans ce nouveau cadre normatif. Cela n’empêche
cependant pas l’OMD de continuer à émettre diverses
déclarations ou résolutions et d’offrir une plateforme de
coopération aux administrations douanières nationales
européennes, un peu à la façon d’un Interpol douanier. Il
a ainsi mis en place, au niveau mondial, un réseau de 11
Bureaux régionaux de liaison chargés du renseignement
(BRLR), dont trois sont implantés en Europe (Bruxelles,
Cologne, Varsovie).
Les logiques d’intégration
douanière européennes
Bien que parties prenantes aux travaux de l’OMD, les
États et administrations douanières européennes ont
progressivement développé leurs propres instruments
de coopération douanière, notamment depuis les années
1960, dans le cadre de la CEE puis de l’UE. Le secteur
douanier a, en effet, fait l’objet d’une européanisation pré-
coce par rapport à d’autres secteurs d’action publique et a
constitué l’une des bases fondamentales sur laquelle s’est
adossé le processus d’intégration communautaire. Dès la
signature du traité de Rome en
1957, la nouvelle Communauté
économique européenne a eu
pour principale ambition de
LE SECtEUR DOUANIER
constituer une « union douaA, EN EFFEt, FAIt L’OBJEt
nière ». En 1957, le traité de
Rome prévoyait une période de
D’UNE EUROPÉANISAtION
transition de 12 à 15 ans pour
PRÉCOCE PAR RAPPORt
démanteler les droits de douane
aux frontières intérieures entre
à D’AUtRES SECtEURS
les États membres de l’UE. Un
D’ACtION PUBLIqUE Et
tarif douanier commun (TDC)
a été établi dès 1968, entraîA CONStItUÉ L’UNE DES
nant la substitution de la comBASES FONDAMENtALES SUR
pétence communautaire à celle
des États membres pour les
LAqUELLE S’ESt ADOSSÉ LE
négociations tarifaires avec les
PROCESSUS D’INtÉGRAtION
pays tiers et la réglementation
douanière. Si la coopération
COMMUNAUtAIRE. DèS
engagée entre les administraLA SIGNAtURE DU tRAItÉ
tions douanières nationales
était alors principalement cenDE ROME EN 1957, LA
trée sur la poursuite d’objectifs
NOUVELLE COMMUNAUtÉ
économiques et commerciaux,
elle comportait déjà une dimenÉCONOMIqUE EUROPÉENNE
sion relative à la lutte contre la
A EU POUR PRINCIPALE
fraude et la contrebande. Dès
1967, la Convention de Naples
AMBItION DE CONStItUER
(signée à Rome le 7 septembre)
UNE « UNION DOUANIèRE ».
sur l’assistance administrative
mutuelle en matière douanière
visait à instaurer des modalités
de coopération entre les différentes administrations des États membres de la CEE afin
d’assurer l’exacte perception des droits de douane et des
autres taxes, mais également pour prévenir, rechercher et
réprimer les infractions aux lois douanières.
Un groupe d’assistance mutuelle (GAM) est également
créé en 1972. Dès le début des années 1970, il a eu pour
volonté de développer des contacts opérationnels entre
les administrations douanières des États membres au
moyen de l’organisation d’exercices annuels de contrôles
conjoints. Les directeurs généraux des douanes se sont
également réunis à plusieurs reprises et ont réalisé un
certain nombre de déclarations officielles : Wiesbaden
(1971), London (1974), Munich (1975), Dromoland 1
(1976), Istanbul 1 (1977), Istanbul 2 (1977), Iraklion
(1978), Harrogate (1992), Paris (2008). Avec l’annonce de
la mise en œuvre du grand marché intérieur pour 1993,
les administrations douanières des États membres ont été
La coopération douanière en Europe. Entre intégration et fragmentation – Bruno DOMINGO
DOSSIER I 127
obligées d’engager une large concertation sur leur avenir
dans la nouvelle configuration européenne. L’annonce
par les autorités politiques de la mise en œuvre d’un
espace européen sans frontières intérieures a conduit les
administrations douanières européennes à se pencher sur
leur devenir. La création du GAM 92 (en 1989) par les
directeurs généraux des douanes visait ainsi à analyser
les implications de la réalisation du marché unique pour
les administrations douanières des États membres. Il a
notamment axé ses travaux autour de l’actualisation de
la Convention de Naples de 1967, de la définition d’une
stratégie et d’un programme d’action en matière de
renforcement des contrôles aux frontières extérieures
de la Communauté, de la mise en place d’un système
d’information permettant d’accroître les échanges de
renseignements opérationnels entre les différents services
douaniers, etc. En 1992, sera signée la déclaration
d’Harrogate qui prévoit une politique d’orientation
pour l’assistance mutuelle (échange d’officiers de liaison
et d’information, formation, assistance opérationnelle,
développement de techniques anti-contrebande, etc.).
Le GAM 92 a ensuite été englobé dans l’architecture
de travail du Conseil de l’UE qui intègre aujourd’hui un
groupe de travail « Coopération douanière », chargé des
travaux concernant la coopération opérationnelle entre les
administrations douanières nationales et ayant notamment
pour but d’accroître leurs capacités répressives. Le rôle du
GDC est également de définir les objectifs pour la mise
en œuvre d’opérations douanières conjointes (ODC).
Depuis le début des années 1990, la coopération
douanière européenne s’est donc construite autour
de l’harmonisation de l’activité des administrations
douanières nationales, de l’organisation de contrôles
conjoints aux frontières extérieures de l’UE, du
développement d’outils informatiques douaniers
transnationaux et de l’actualisation de la convention
de Naples sur l’assistance mutuelle. Elle a donc connu
une forme de renouveau conduisant les administrations
douanières à adopter de nouveaux outils normatifs et
de nouvelles démarches opérationnelles. Aujourd’hui, la
coopération douanière fait l’objet d’un article spécifique
du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE). Celuici indique que « dans les limites du champ d’application des
traités, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément
à la procédure législative ordinaire, prennent des mesures afin de
renforcer la coopération douanière entre les États membres et entre
ceux-ci et la Commission » (article 33 TFUE/ex-article 135
TCE).
Plusieurs textes juridiques européens ont été adoptés
afin d’enrichir cette coopération douanière européenne.
Le premier est relatif à la Convention sur l’informatique
dans le domaine des douanes, dite « convention SID ».
Un deuxième texte est constitué par un règlement
(CE) n°515/97 du 23 mars 1997 qui prévoit une
assistance mutuelle entre les autorités administratives
des États membres ainsi qu’une collaboration entre
celles-ci et la Commission en vue d’assurer la bonne
application des réglementations douanières et agricoles.
Ce règlement intègre diverses dispositions relatives à
l’assistance sur demande et à l’assistance spontanée ainsi
que des mesures sur le système d’information des douanes
(SID). Cependant il ne prend en considération que les
infractions relatives aux fraudes concernant le paiement
des droits de douanes communautaires et notamment
aux fraudes concernant la Politique agricole commune
(PAC). Il a été récemment modifié par le règlement
2015/1525 du Parlement européen et du Conseil du 9
septembre 2015. Celui-ci vise à améliorer la législation
existante en matière de détection et d’enquête en matière
de fraude douanière, avec notamment la création de bases
de données centralisées intégrant des informations sur
les mouvements de conteneurs et sur les marchandises
qui entrent dans l’UE, qui en sortent ou qui transitent
par son territoire. La dynamique SID s’est également
prolongée avec la volonté des administrations douanières
de partager des données en matière d’enquête. En 2001,
l’Allemagne, la Belgique et la France vont ainsi proposer
d’adopter un protocole modifiant la convention SID afin
d’y adjoindre un « fichier d’identification des dossiers
d’enquêtes douanières » (FIDE). L’instauration d’un tel
fichier était envisagée comme permettant l’information
réciproque des autorités douanières nationales sur les
enquêtes en cours menées par d’autres services douaniers
européens. Il est aujourd’hui intégré au SID et confié
pour gestion à l’Office européen de lutte antifraude
(OLAF).
L’informatisation des procédures de transit douanier
et la structuration du SID/FIDE démontrent que les
instances douanières développent leurs propres systèmes
d’information en articulant, dans le même temps,
leurs objectifs de libre circulation et de contrôle des
flux de marchandises. Cette informatisation constitue
l’un des leviers importants en matière de coopération
douanière européenne, avec la volonté d’aboutir à un
environnement « sans papier » (c’est-à-dire totalement
informatisé) pour la douane et le commerce. Cette
initiative, baptisée « e-customs », est pilotée par le
Customs Policy Group (CPG) et intégré à la direction
générale « fiscalité et union douanière » (TAXUD) de la
Commission européenne. Elle donne lieu à la mise en place
d’un groupe de coordination, le « Electronic Customs
Coordination Group » (ECCG), et à de multiples groupes
de travail, ainsi qu’à une planification pluriannuelle.
Ces technologies de l’information servent à construire
des référentiels de contrôle permettant de réaliser un
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
128 I DOSSIER
travail en réseau dépassant les cadres traditionnels de
la simple assistance administrative. L’un des autres axes
de développement majeur de la coopération douanière
européenne depuis le milieu des années 2000 concerne en
effet le développement d’un référentiel d’action organisé
autour de la « gestion des risques ». Celle-ci avait été
intégrée dans le code des douanes communautaires en
2005 et elle apparaît clairement comme une méthode
centrale de contrôle dans le nouveau Code des douanes
de l’Union européenne. Les travaux se sont ensuite
poursuivis sur ces enjeux, conduisant la Commission
européenne à publier, en janvier 2013, un premier
bilan en la matière. Ils conduiront le Conseil de l’UE à
mandater la Commission pour approfondir ce travail
avec la perspective d’aboutir à une stratégie européenne
en matière de « gestion des risques ». Cette dernière sera
publiée en 2014, accompagnée d’un plan d’action organisé
autour de sept objectifs. Stratégies d’informatisation et de
gestion des risques douaniers vont aujourd’hui de pair,
conduisant à développer des approches de coopération
douanière fondées sur un partage massif et en temps
réel d’information, en vue de déployer une plus grande
sélectivité des contrôles.
Cette intégration de la coopération douanière européenne
a été également accompagnée par la mise en œuvre d’un
programme pluriannuel dénommé « Douane 2000 ». En
décembre 1993, une action pilote « Douane 2000 » avait
été lancée par les chefs des administrations douanières
des États membres, visant à améliorer la coopération
pour mettre en œuvre des contrôles et des procédures
d’efficacité équivalente en tout point de la frontière
extérieure du territoire douanier commun. En 1996,
les autorités européennes ont décidé d’adopter un
véritable programme communautaire, toujours dénommé
« Douane 2000 », s’échelonnant du 1er janvier 1996
au 31 décembre 2000. Particulièrement dense, il visait
à sensibiliser et à responsabiliser les États membres
quant à la gestion de la frontière douanière extérieure,
notamment en matière d’application uniforme de la
réglementation et de limitation des distorsions à l’entrée,
tant en matière commerciale que de lutte contre la fraude.
Douane 2000 reprenait également les activités auparavant
soutenues par le programme « Matthaeus » telles que les
échanges de fonctionnaires et les séminaires. Enrichi,
évalué et constamment reconduit, il a pris le nom de
« Douane 2002 » (1er janvier 2001 au 31 décembre 2002),
puis de « Douane 2007 » et de « Douane 2013 » (période
2006-2013). La dernière génération de ce programme a
été baptisé « Douane 2020 » pour la période allant du
1er janvier 2014 au 31 décembre 2020. Son « objectif
général » est de soutenir le fonctionnement et la
modernisation de l’union douanière afin de renforcer
le marché intérieur grâce à une coopération entre les
pays participants, leurs autorités douanières et leurs
fonctionnaires. L’enveloppe financière de Douane 2020
est de 522 943 000 euros. Le dispositif se traduit par
un programme de travail annuel et par le financement
d’une série d’échanges entre les fonctionnaires des
administrations douanières des États membres et de pays
partenaires. C’est la Commission qui gère ce programme
avec l’appui d’un « comité Douane 2020 », composé
de délégués issus de chaque État membre de l’UE.
Parallèlement, le programme Hercule III, centré sur
la coopération en matière de protection des intérêts
financiers de l’UE (dont font partie les droits de douanes)
et géré par l’OLAF, contribue également au financement
de diverses actions de coopération, notamment sur les
enjeux de contrebande de tabac. Il dispose d’un budget
de plus de 100 millions d’euros pour la période 20142020.
Les politiques douanières européennes se préoccupent au
moins depuis le milieu des années 1990 d’homogénéiser
les contrôles opérationnels douaniers aux frontières
extérieures. Outre le programme Douane 2000, la
coopération douanière européenne va donner lieu à
l’organisation d’opérations douanières conjointes (ODC)
aux frontières extérieures. Elles existent depuis les
années 1970, mais leur format a été standardisé et leur
programmation rationalisée en 1997 par une résolution
du Conseil de l’UE qui met en place un manuel des
opérations conjointes de surveillance douanière. De
nombreuses ODC ont été organisées depuis lors, souvent
au rythme moyen de trois grandes opérations annuelles,
combinant des actions sur les vecteurs terrestres,
maritimes et aériens, mais aussi des interventions plus
ciblées sur certains types de trafics. Un État prend
généralement le leadership de l’opération conjointe qui
peut également intégrer comme partenaires des instances
telles que l’OMD, Interpol, l’OLAF, Europol, etc. Ces
ODC constituent des exercices pour les administrations
nationales de l’Union européenne et des pays candidats
ou associés. Le Groupe de coopération douanière (GDC)
met en place des procédures visant à organiser ces
opérations. L’OLAF offre également un appui à leur
coordination opérationnelle. En 2005, celui-ci a mis en
place à Bruxelles un nouveau « centre de coordination
douanière » destiné à aider les services douaniers nationaux
dans leurs opérations de coopération. Il s’agit de disposer
d’une unité permanente et non plus temporaire et
déterminée en fonction des États membres assurant
le leadership de l’ODC. Si l’on s’en tient à quelques
exemples récents menés dans le cadre de l’OLAF, trois
ODC ont été organisées en 2015 : Sasha (portant sur la
contrebande de précurseurs chimiques de drogue), Baltica
(portant sur des produits du tabac illégaux en provenance
de pays tiers comme la Biélorussie et la Russie), et
La coopération douanière en Europe. Entre intégration et fragmentation – Bruno DOMINGO
DOSSIER I 129
Romoluk (ciblant les expéditions commerciales et non
commerciales entrant dans l’UE par les axes routiers et
ferroviaires à la frontière roumaine avec l’Ukraine et la
Moldavie).
des produits ». La réunion de ces groupes permet la
constitution d’un espace d’information réciproque, le
développement de l’expertise et de stratégies coordonnées,
mais aussi un lieu de réponse aux situations de crise.
La coopération douanière européenne s’est également
construite par l’édification de « groupes de contact » plus
informels. Ralfh réunit par exemple des responsables de
plusieurs ports du nord de l’UE. Il regroupait au départ
cinq administrations douanières (Pays-Bas, Belgique,
France, Royaume-Uni, Allemagne) afin d’améliorer la
coopération entre leurs services intervenant dans les
grands ports (Rotterdam, Anvers, Le Havre, Felixstowe
et Hambourg) couvrant plus de 70 % du trafic maritime
de l’UE. Une invitation a ensuite été adressée à la
Pologne afin que le port de Szczecin devienne le sixième
membre du groupe. Puis se joindront les ports de Leixoes
(Portugal) et de Bilbao (Espagne). RALFH s’est traduit
par des échanges de pratiques et de fonctionnaires, des
visites de sites et l’élaboration de documents communs.
Ce système de « groupe de contact » a servi de modèle
pour la coopération entre les aéroports (groupe Icarius)
et les ports du sud (groupe Odyssud). Enfin, le groupe
de contact Landfrontiers réunit douze États et concerne
la coopération entre administrations pour la gestion des
frontières terrestres. Cette mise en réseau thématique
des services douaniers de l’UE a été particulièrement
appréciée par la Commission lors de l’évaluation du
programme Douane 2002. Celle-ci craignait cependant
que sa faible institutionnalisation ne se traduise par une
pérennité aléatoire. De même, la structuration informelle
de ces réseaux d’acteurs douaniers lui faisait craindre une
perte de lisibilité quant à l’articulation des procédures
de décision et des hiérarchies existantes. Si les autorités
communautaires entendent encourager la coopération
entre administrations des États membres, elles veulent
néanmoins la canaliser et la formaliser.
Si la dimension douanière a servi de socle à l’édification
de l’UE, le processus d’européanisation a profondément
progressé, dépassant les simples enjeux économiques et
commerciaux pour investir des matières relevant de la
souveraineté des États. Au début des années 1990, les
services douaniers ont été associés à la mise en œuvre
des dispositions des accords de Schengen en matière
de coopération transfrontalière. La tendance à intégrer
les dimensions douanières au sein des politiques de
sécurité intérieure européenne n’a pas empêché que soit
clairement posée l’existence de formes spécifiques et
autonomes de coopération douanière. Les administrations
douanières ont ainsi structuré leurs propres outils de
coopération dont certains sont extrêmement similaires
à ceux de la convention Schengen. Elles ont refondu
leurs accords d’assistance mutuelle avec l’adoption de
la convention de Naples II (1997) qui permet d’utiliser
des instruments de coopération opérationnelle dans un
cadre juridique purement douanier. Uniquement centrée
sur les infractions et les services douaniers, elle permet
de recourir à la « poursuite au-delà des frontières » et à
« l’observation transfrontalière » (mais aussi aux livraisons
surveillées, aux enquêtes discrètes et à des « équipes
communes d’enquête spéciale »). Cette coopération
transfrontalière peut être menée en vue de la prévention,
la recherche et la répression d’infractions douanières dans
un certain nombre de cas déterminés.
La mise en réseau des laboratoires douaniers constitue
un autre axe sur lequel les administrations douanières
se coordonnent selon ce mode thématique. Cette
coordination a d’abord été constituée par le biais d’un
« Groupe des laboratoires douaniers européens » (Group
of European Customs Laboratories ou GCL) qui a donné
lieu à la création du Réseau européen des laboratoires
des douanes (CLEN) qui coordonne aujourd’hui 87
laboratoires des douanes des États membres avec
pour ambition de créer à terme un réseau intégré. La
Commission a également créé deux groupes thématiques
qu’elle supervise, composés d’experts des 28 États
membres dans le domaine des douanes : le Groupe
d’experts sur la protection de la santé, du patrimoine
culturel, de l’environnement et de la nature (groupe
d’experts PARCS) et le « Groupe d’experts sur la sécurité
On peut identifier plusieurs dynamiques qui permettent
d’éclairer la façon dont s’organisent les relations entre
administrations douanières européennes. La première
concerne les processus d’« intégration » qui ont
progressivement conduit à une harmonisation des cadres
légaux d’intervention et parfois à une supra-nationalisation
partielle des instruments douaniers. Plusieurs exemples
ont été exposés précédemment. Une deuxième dynamique
est paradoxalement celle de la « fragmentation » des
référentiels de politiques publiques dans lesquels s’ancre la
coopération douanière, mais aussi celle des organisations
qui participent à sa mise en œuvre. Cette coopération
douanière européenne demeure en effet encore fragmentée
entre le niveau supranational et le niveau national, entre
logiques purement douanières et logiques sécuritaires, et
entre diverses organisations qui participent à sa mise en
Intégration inachevée et logique
de fragmentation
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
130 I DOSSIER
œuvre concrète. Ainsi, le processus d’européanisation ne
s’est pas traduit par une communautarisation pleine et
entière du secteur douanier. La mise en œuvre d’un Code
des douanes communautaire (1992) et d’un nouveau Code
des douanes de l’Union européenne (applicable en mai
2016), ne s’est pas traduite par la communautarisation
des dispositions pénales relatives aux infractions
douanières qui sont restées de la compétence de l’ordre
juridique national. De même, aucune organisation
douanière européenne supra-nationale n’est venue se
substituer aux administrations douanières nationales qui
continuent toujours d’exercer, sous la tutelle des États
membres, de nombreuses fonctions relevant à la fois
de compétences communautaires et de compétences
demeurées nationales. Donc si le processus d’intégration
de la réglementation douanière a été très poussé, il ne
s’est pas pour autant traduit par une intégration parallèle
des bureaucraties nationales. Le slogan du programme
Douane 2000 (« Faire agir les 28 administrations des
douanes des États membres comme si elles n’en étaient
qu’une seule ») est révélateur de ce paradoxe qui met faceà-face une intégration normative poussée avec une forte
hétérogénéité organisationnelle. Les États membres ont
désiré conserver la mainmise sur leurs administrations
douanières, si bien que l’application des réglementations
douanières européennes intégrées est aujourd’hui opérée
par l’intermédiaire d’une constellation bureaucratique
interétatique. À cela, il faudrait ajouter les différentes
instances et organisations qui, au niveau européen,
traitent des matières douanières : Groupe de coopération
douanière du Conseil, direction générale Fiscalité et Union
douanière de la Commission européenne, OLAF, mais
aussi plus marginalement Europol.
Cette fragmentation est également identifiable dans
les référentiels appliqués au développement de cette
coopération douanière européenne, notamment dans
ses relations avec le secteur de la sécurité et le champ
de la coopération policière. Le traité de Maastricht puis
celui d’Amsterdam vont très clairement consacrer la
participation du secteur douanier aux actions en matière
d’affaires intérieures et de justice, alors que les questions
douanières sont généralement traitées dans le cadre des
politiques plus intégrées des secteurs économiques et
financiers. Au cours des années 1990 et 2000, ce processus
de sécurisation des douanes tend à introduire des logiques
hétéronomes dans la structuration du secteur douanier
alors même qu’il connaît au même moment une crise liée
à la mise en place du marché intérieur. L’indifférenciation
fonctionnelle des secteurs policiers et douaniers va
imprégner les grands traités européens adoptés à la suite
des accords de Schengen.
Aujourd’hui encore, le nouveau programme européen
en matière de sécurité fait référence à 14 reprises aux
instruments douaniers et à leur participation aux politiques
européennes de sécurité. Il est donc possible d’identifier
à la fois une instrumentation du secteur douanier à des
fins de sécurité, mais également l’autonomie toujours
reconquise de ce dernier par rapport au secteur policier
dans le champ de la sécurité intérieure européen. Si le
secteur douanier y apparaît souvent comme dominé,
il n’en demeure pas moins qu’il a été capable de se
réapproprier les questionnements sécuritaires pour
construire de nouvelles positions semi-autonomes et
préserver son identité. Celui-ci élabore d’ailleurs, dans le
cadre d’une coopération douanière européenne spécifique,
des instruments souvent très proches (ex : Naples II, SID)
de ceux mis en œuvre dans le cadre de la coopération
policière à laquelle les services douaniers sont pourtant
souvent associés. Pourtant, le secteur douanier promeut
ses propres outils, à la fois pour conserver une identité et
une autonomie sectorielle au sein du champ de la sécurité,
mais aussi parce que la place qui lui est offerte au sein des
instruments de coopération policière demeure souvent
inégalitaire. Cette inégalité résulte à la fois des enjeux entre
bureaucraties, mais aussi tout simplement de la prégnance
des catégories cognitives et juridiques à partir desquelles
se construit le champ de la sécurité intérieure. Pourtant,
aujourd’hui, on pourrait soutenir que la structuration
progressive d’instruments douaniers ayant pour but de
répondre à des enjeux de sécurité a véritablement fait
émerger un référentiel proprement douanier de la sécurité
(centré sur la gestion des flux commerciaux, la gestion des
risques, la coopération avec les opérateurs du commerce
et du transport, le développement d’une assistance
administrative mutuelle).
Intégration et fragmentation se présentent ainsi comme
des processus dialectiques, non exclusifs l’un de l’autre,
donnant naissance à un modèle de coopération hybride,
ni totalement intergouvernemental, ni entièrement supranational. Mais, ces deux dynamiques de la coopération
douanière européenne renvoient seulement à des
processus endogènes. Afin d’en avoir une vision plus
complète et cohérente, il convient également de porter
le regard sur ses dimensions externes. La coopération
douanière européenne s’est ainsi progressivement
structurée sur une base exogène.
La Commission européenne publie par exemple des
« schémas directeurs relatifs aux douanes » destinés
aux candidats à l’adhésion à l’UE, mais aussi à toute
administration douanière susceptible de s’inspirer
des référentiels européens. Une première série de ces
documents avait été élaborée en 1998 pour aider les
La coopération douanière en Europe. Entre intégration et fragmentation – Bruno DOMINGO
DOSSIER I 131
autorités douanières des pays candidats à se conformer à
la législation et aux normes de l’Union. Ces référentiels,
actualisés en 2007, ont fait l’objet d’une nouvelle
publication en 2016. Ils couvrent désormais 19 domaines
clés. S’ils n’ont aucune valeur juridique contraignante, ils
participent du déploiement d’un pouvoir normatif, un soft
power douanier, déployé par les instances européennes au
niveau international.
Cependant, l’Union européenne a également signé ellemême un certain nombre d’accords internationaux en
matière de coopération douanière et de lutte contre la
fraude. Des accords ont ainsi été conclus avec le Canada,
la Corée, les États-Unis, Hong Kong, l’Inde, la Chine et le
Japon, mais aussi avec la Russie ou l’Ukraine. Il s’agit d’une
forme de « bilatéralisme de zones » qui met en relations
l’UE en tant qu’acteur surplombant les États membres
et divers partenaires étatiques. Pour l’UE, les accords
bilatéraux préexistants, établis par ses États membres
avec des partenaires extérieurs, peuvent rester en vigueur
à la condition qu’ils ne soient pas incompatibles avec les
compétences communautaires ou avec les dispositions
de ces nouveaux accords. Le droit européen prime donc
le droit national. En termes de gouvernance, chacun des
accords conclus par l’UE donne lieu à l’institution d’un
« comité mixte » de coopération douanière composé de
représentants des services compétents dans les pays tiers,
de la Commission européenne mais aussi des autorités
douanières des États membres. Le rôle de ces comités
mixtes est de superviser la mise en œuvre de l’accord et
de formaliser un espace de travail pour la préparation
des réunions avec des organisations internationales (ex :
OMD). Cette formalisation n’épuise pas les espaces
de coopération, puisque de nombreuses rencontres
informelles, souvent organisées en marge des sommets
internationaux, sont réalisées pour discuter de la mise
en œuvre de ces accords de coopération. En outre, on
assiste aujourd’hui à un processus de reconnaissance
mutuelle des programmes de certification OEA
(opérateurs économiques agréés) entre les grands acteurs
du commerce international. L’Union européenne a ainsi
conclu des accords de reconnaissance mutuelle des
programmes OEA avec la Norvège, la Suisse, le Japon,
Andorre, les États-Unis et la Chine. Cette reconnaissance
mutuelle des certifications d’opérateurs commerciaux
permet d’opérer une sorte de chaînage mondial des
espaces de contrôle douaniers. Elle véhicule une forme de
coopération douanière relativement inédite qui ne centre
plus le contrôle douanier sur la maîtrise d’un territoire,
mais sur l’attribution d’un niveau de risque à un acteur
commercial et à ses activités.
Outils multilatéraux, régionaux et souvent bilatéraux
d’assistance mutuelle tendent donc à se superposer et
à être utilisés par les administrations nationales comme
des canaux d’information mobilisables spécifiquement.
S’il existe des accords d’AAMI au niveau international,
principalement encouragés et gérés par l’Organisation
mondiale des douanes, l’Union européenne a développé
ses propres outils régionaux d’assistance mutuelle. Celleci se présente aujourd’hui à la fois comme une base de
coopération entre administrations douanières des États
membres, mais aussi comme un espace de coopération
visant l’harmonisation de cette action douanière, voire
son intégration et sa supra-nationalisation partielle. Pour
autant, on a pu constater que ce processus demeurait
largement inachevé. En outre, la coopération douanière
européenne apparaît comme l’un des maillons d’une
chaîne de coopération plus large faisant intervenir des
acteurs publics, mais aussi privés (transporteurs, courtiers
en douane, entreprises) impliqués dans la régulation
mondiale des circulations. Cette coopération douanière
européenne apparaît donc comme enchâssée dans d’autres
dynamiques de coopération douanières, devenant un îlot
d’un « archipel de coopérations » en matière de douane
plus large et en redéfinition constante n
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
132 I DOSSIER
quelle coopération douanière
européenne dans un contexte
de concurrence ?
François LAFARGE
La coopération douanière entre les États membres de l’Union européenne joue un rôle aussi
essentiel que mal connu dans le fonctionnement de l’union douanière européenne et dans la lutte
contre les fraudes douanières. Cet article, qui s’intéresse aux seuls aspects « répressifs » de cette
coopération, montre qu’elle prend place dans un contexte de concurrence entre États membres
qui ne lui est pas favorable. Il présente les instruments (de première génération) par lesquels elle
se déploie, sans cacher qu’ils sont complexes et sans doute sous-utilisés. Une nouvelle génération
d’instruments en cours de mise en œuvre pour compléter la première pourrait être plus efficace.
D
epuis 1968, les États membres
de l’Union européenne
(UE) forment une union
douanière, c’est-à-dire un
territoire douanier unique, où, en matière de
circulation de marchandises, les frontières
internes ont été supprimées et reportées aux
frontières extérieures, plus précisément, aux
frontières des États membres qui constituent
également des frontières extérieures de
l’Union (terrestres, aéroportuaires et
surtout maritimes 1). Des règles communes
européennes sont appliquées au passage de
ces frontières. Elles portent sur le calcul et la
perception des droits de douane qui frappent
les marchandises importées et sur le contrôle
des marchandises exportées et surtout
importées. Ces règles sont adoptées par
le législateur européen dans le cadre d’une
des rares compétences exclusives de l’Union
(article 3.1.a TFUE 2). Elles portent non
seulement sur le droit douanier substantiel,
mais également, jusqu’à un certain point,
sur le droit douanier procédural. Depuis
1992 ces règles font l’objet d’un code dont
la dernière version, le Code des douanes de
l’Union (CDU) date de 2013 et est entré en
vigueur en 2016 (pour sa plus grande partie 3).
Comme la plupart des autres législations
européennes, la législation douanière
suppose une double mise en œuvre. La
première est une mise en œuvre propre
à chaque État membre. Il peut s’agir, par
exemple, de l’application du tarif douanier
commun aux marchandises qui entrent,
(1) Dans le monde, 90 % des transports de marchandises sont assurés par voie de mer.
(2) Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
(3) Il est accompagné d’un règlement délégué n°2015/2446 du 28 juillet 2015 qui précise et complète ses
dispositions ainsi que d’un règlement d’exécution n°2015/2447 du 24 novembre 2015 qui doit permettre sa
mise en œuvre uniforme dans l’Union.
Quelle coopération douanière européenne dans un contexte de concurrence ? – François LAFARGE
François LAFARGE
Chercheur
HDR à l’École
nationale
d’administration et maître
de conférences associé à l’Université
de Strasbourg, CEIE.
© Xiongmao - fotolia.com
DOSSIER I 133
par leur territoire, sur le territoire douanier européen 4.
Comme les législations de l’Union en général, la
législation douanière doit être appliquée de la manière la
plus homogène possible de la part des administrations
compétentes, à savoir les administrations douanières des
différents États membres qui, chacune avec ses propres
cultures, structures, moyens juridiques à disposition et
manières de faire, sont hétérogènes 5. La seconde est une
mise en œuvre transnationale ou horizontale qui oblige les
administrations douanières non seulement à répondre aux
demandes d’informations qu’elles reçoivent de la part de
leurs homologues, mais surtout à se porter mutuellement
à connaissance celles de leurs décisions d’application qui
ont un effet sur tout le territoire douanier européen et qui
doivent donc être appliquées, le cas échéant, par n’importe
quelle administration douanière concernée 6. Pour cela, les
nombreuses décisions en question ainsi que les autres
informations nécessaires sont entrées dans des bases de
données européennes ad hoc dont le déploiement lancé
depuis les années 2000 est toujours en cours aujourd’hui 7.
Bref, les administrations doivent coopérer entre elles et
cette coopération est essentielle au bon fonctionnement et
même au fonctionnement tout court de l’Union douanière
européenne.
Parallèlement à cette coopération « de fonctionnement »,
le droit de l’Union européenne a également créé une
coopération « répressive ». Les atteintes au droit douanier
sont nombreuses et diverses : désignation erronée de
marchandises importées en vue de profiter de droits moins
élevés, fausse déclaration d’origine des marchandises dans
le but d’éviter le paiement de droits anti-dumping ou
de quotas d’importation quantitatifs, utilisation abusive
du régime de transit douanier… On sait qu’en matière
d’importation l’objectif de l’UE est de faciliter l’entrée
sur le territoire douanier européen des marchandises
et celles-ci, une fois les formalités complétées, peuvent
circuler librement sur ce territoire si tel est le choix de
l’opérateur économique (mise en libre pratique sous
réserve des formalités TVA). En conséquence, et pour
s’en tenir aux atteintes qui portent sur les marchandises
importées, il est nécessaire que les administrations
douanières des États membres coopèrent entre elles pour
repérer ces atteintes et enquêter à leur égard 8. Le présent
(4) Le tarif douanier commun permet de calculer les droits de douane par défaut lorsque d’autres tarifications, plus ou moins élevées, ne sont pas
applicables.
(5) Limbach (K.), 2015, Uniformity of Customs Administration in the European Union, Bloosmbury.
(6) C’est par exemple le cas des décisions d’agrément des opérateurs économiques. Les opérateurs économiques agréés bénéficient de facilités
procédurales ou lors de contrôles ou les deux. L’agrément est délivré par l’administration douanière de l’État où l’opérateur fait la demande,
sur la base de conditions communes, qui doivent donc être interprétées a priori de manière homogène. Son effet s’étend sur tout le territoire de
l’union douanière et donc à l’égard de toutes les autres administrations.
(7) Depuis la décision n°70/2008/CE relative à un environnement sans support papier pour la douane, les États membres coopèrent avec la
Commission pour concevoir, assurer le fonctionnement et exploiter des systèmes informatiques pour l’échange d’informations entre autorités
douanières nécessaires à la mise en œuvre complète de la législation douanière, en particulier « des systèmes pour l’importation et l’exportation,
fonctionnant en interaction avec le système pour le transit et permettant un flux continu de données d’un système douanier à un autre dans toute
la Communauté » (art. 4.1).
(8) La même constatation peut être faite en matière d’exportation et de transit.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
134 I DOSSIER
travail ne porte, pour des questions de place, que sur la
coopération à finalité répressive.
Pour comprendre cette coopération répressive, il est
nécessaire de retracer le contexte dans lequel elle s’inscrit.
En elle-même la coopération répressive comprend
plusieurs instruments, mais ils sont complexes, souffrent
de plusieurs limites et sont vraisemblablement sousutilisés. Les efforts d’amélioration sont toutefois continus
et une nouvelle génération d’instruments apparaît, qui
pourrait être plus efficace.
Un contexte peu favorable à la
coopération douanière en général
et répressive en particulier
La réalité du fonctionnement de l’Union douanière
européenne ne se comprend que lorsqu’on sait que
les États membres cherchent à attirer les flux de
marchandises (à l’import et à l’export) sur leur territoire ;
en d’autres termes à servir de point d’entrée dans et de
sortie hors de l’Union douanière européenne 9. Les enjeux,
particulièrement élevés, sont à la fois directs et indirects.
Au titre des enjeux directs, les droits de douanes sur les
marchandises importées constituent une ressource propre
à destination du budget de l’Union, mais dont les États ont
obtenu de retenir à leur profit 25 % au titre de leurs frais de
perception 10. Cette part retenue ne bénéficie qu’aux États
d’entrée des marchandises, quelle que soit leur destination
finale. En 2015, elle s’élève à 4,7 milliards d’euros sur 23,3
milliards perçus globalement. Les enjeux indirects sont plus
diffus, mais sans doute bien plus élevés encore puisqu’ils
recouvrent toutes les activités générées par le passage de
ces marchandises, aussi bien industrielles (aménagements
portuaires, conditionnement des marchandises…) que
de transports (et de plates-formes logistiques) et de
services (représentants en douane, assureurs et autres…).
Certains États membres, qui bénéficient de conditions
naturelles extrêmement favorables
sur les côtes nord-ouest de l’Europe
La réalité du
continentale à l’embouchure de
fonctionnement de
grands fleuves européens navigables
l’Union douanière
et à proximité des plus grands centres
européenne ne
industriels d’Europe, à savoir la
se comprend que
Belgique et les Pays-Bas, ont réalisé
lorsqu’on sait que
des investissements de très grande
les États membres
ampleur pour améliorer encore leur
cherchent à
position (infrastructures portuaires
attirer les flux de
capables d’accueillir les tonnages et
marchandises (à
tirants d’eau les plus élevés). Outre
les facteurs naturels, ils peuvent
l’import et à l’export)
également « jouer » sur des facteurs
sur leur territoire ;
juridiques pour renforcer leur
en d’autres termes
position. Ils disposent tout d’abord
à servir de point
des marges d’interprétation et
d’entrée dans et
d’application que le droit douanier de
de sortie hors de
l’UE laisse aux autorités nationales.
l’Union douanière
Ainsi, alors que le CDU a déjà été
européenne.
élaboré pour être au plus près des
réalités économiques et favoriser
leur développement, renforcentils encore l’approche business oriented à leur niveau en
simplifiant et en accélérant au maximum les formalités
auxquelles sont soumis les opérateurs économiques qui
mènent des activités sur leur territoire, parfois au risque
de se voir reprocher un (trop) faible taux de contrôle des
marchandises entrantes 11. Ils peuvent aussi utiliser les
domaines de compétence partagée à l’égard desquels l’UE
n’a pas exercé sa compétence, ce qui est surtout le cas de
la définition des incriminations et des sanctions relatives
aux violations du droit douanier de l’UE. À cet égard,
la Commission a fait analyser 12 la situation des États en
matière d’infractions douanières et de régimes de sanction
pénale. Cette comparaison s’inscrivait dans la préparation
d’une proposition de directive sur le cadre juridique
de l’Union régissant les infractions douanières et les
sanctions qui y sont applicables (COM/2013/884 final).
Cette analyse a constaté de très grandes disparités entre
les États membres 13 qui entraînaient des répercussions
(9) Yung (R.), 2013, Mission sur l’avenir de l’union douanière en Europe, sénateur, mission confiée par le Premier ministre, décembre, p. 11.
(10) Cette retenue constitue certes un manque à gagner certain pour les finances de l’UE, mais elle a l’avantage de responsabiliser les États
membres dans la perception des droits de douane.
(11) Charroux (G.)et Woerth (É), 2015, Rapport d’information déposé par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de l’action de la douane dans la lutte contre les fraudes et trafics, n° 2839, 3 juin, p. 12-13 ; Cour des comptes, 2015, L’action de la
douane dans la lutte contre les fraudes et trafics, janvier, p. 33. Pour la Cour, « La tendance de la Commission a jusqu’à présent été de favoriser
la libre circulation plutôt que le contrôle », p. 31.
(12) Par un groupe de projet constitué de 24 États membres volontaires.
(13) Ce malgré l’injonction du CDU, mais qui existait dès l’origine de la législation douanière européenne, selon laquelle « chaque État membre
prévoit des sanctions en cas d’infraction à la législation douanière. Ces sanctions sont effectives, proportionnées et dissuasives » (art. 42.1)
et malgré la jurisprudence de la Cour européenne de justice qui rappelle que dans ces cas, le principe de coopération loyale (art. 4.3 TUE)
impose aux États membres de prévoir des sanctions suffisamment sévères pour être dissuasives et analogues à celles applicables aux violations
du droit national d’une nature et d’une importance similaires (CJCE, 21 septembre 1989, Comm. c/Grèce, aff. C-68/88, par. 23-25 et CJUE,
28 octobre 2010, Belgisch Interventie – en Restitutiebureau, aff. C-367/09, par. 40).
Quelle coopération douanière européenne dans un contexte de concurrence ? – François LAFARGE
DOSSIER I 135
néfastes à au moins deux niveaux. Au sein de l’UE, « la
mise en œuvre hétérogène de la législation douanière rend plus
difficile la gestion efficace de l’union douanière, puisqu’un même
comportement non conforme peut être traité de façons très diverses
dans chacun des États membres » (COM/2013/884 final). Pour
les opérateurs économiques, il ressort de la comparaison
que les différences de traitement des infractions à la
législation douanière de l’Union ont une « incidence sur
l’égalité des conditions de concurrence qui devraient être inhérentes
au marché intérieur, en ce sens qu’elles fournissent un avantage à
ceux qui ne respectent pas la législation dans un État membre dont
le régime de sanctions douanières est indulgent ». La proposition
de directive en question, de même que celles relatives à
l’harmonisation minimale du droit pénal en matière de
fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union,
n’ont pas encore été adoptées 14.
L’attitude de la Belgique et des Pays-Bas s’est révélée
payante vu que c’est par les ports de Rotterdam et d’Anvers
que transite la plus grande partie des marchandises entrant
et sortant de l’UE. Mais cette véritable position dominante
a été acquise au détriment non seulement des autres États
bénéficiant aussi d’une façade maritime favorable (et au
passage d’une concurrence féroce entre ces deux ports 15),
mais surtout au risque d’une « harmonisation » par le bas
des pratiques des autres États membres qui cherchent
ainsi à rester attractifs. Pour ce qui nous intéresse ici
on comprend que ce contexte n’est pas favorable à la
coopération douanière répressive ni peut-être même à la
coopération douanière de fonctionnement.
Des instruments de coopération
répressive complexes et
sous-utilisés
Pourtant l’arsenal est d’autant plus fourni que, pour des
raisons de compétences de l’UE et de bases juridiques
de ses politiques et législations, l’UE a développé deux
grandes catégories de coopération douanière répressive.
Les instruments qu’elles contiennent permettent des
échanges de données, ainsi que la réalisation d’activités
opérationnelles pour le compte d’une autre administration
ou d’administrations en commun. Leur fonctionnement
concret est toutefois difficile ce qui explique sans doute
leur sous-utilisation.
Les deux grandes catégories
d’instruments de coopération
douanière répressive
La première catégorie d’instruments de coopération
répressive a pour but de faire appliquer des règles de
l’Union européenne (le CDU et les textes liés). Elle est
de nature administrative. Le principal instrument à cet
égard est le règlement (CE) n° 515/97 du Conseil du 13
mars 1997 relatif à l’assistance mutuelle entre les autorités
administratives des États membres et à la collaboration
entre celles-ci et la Commission en vue d’assurer la bonne
application [de la réglementation douanière]. Il détermine
« les conditions dans lesquelles les autorités administratives
compétentes collaborent entre elles ainsi qu’avec la Commission
en vue d’assurer le respect de la réglementation douanière dans le
cadre d’un système communautaire » (art. 1). Ce règlement
s’appuie sur deux bases juridiques. La première est l’article
33 TFUE qui, explicitement consacré à la coopération
douanière, offre une base juridique au Parlement européen
et au Conseil statuant conformément à la procédure
législative ordinaire pour « prendre des mesures afin de renforcer
la coopération douanière entre les États membres et entre ceux-ci et
la Commission », dans les limites du champ d’application
des traités. En quelque sorte, il « étend » la compétence
exclusive de l’UE en matière d’union douanière à la
coopération répressive de nature « administrative ». La
seconde est l’article 325 TFEU, à savoir la compétence
de l’Union et des États membres en matière de lutte
contre la « fraude et toute autre activité illégale portant atteinte
aux intérêts financiers de l’Union » vu que les droits de douane
constituent une ressource propre du budget de l’Union.
La deuxième catégorie de coopération répressive porte
sur un domaine lié à l’espace de liberté, de sécurité
et de justice où les compétences sont partagées entre
l’UE et les États membres. Elle a pour but de faire
appliquer non plus la législation de l’UE, mais des
législations nationales, plus précisément les parties des
législations policières nationales relatives à la recherche
des violations du droit douanier de l’Union. On qualifie
cette coopération de « policière » par facilité de langage. La
nécessité d’une coopération dans ce domaine a été perçue
dès la conception de l’Union douanière européenne.
En 1967 une convention entre les États membres de la
Communauté économique européenne pour l’assistance
mutuelle entre les administrations douanières respectives
(14) Proposition de directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal COM(2012)363
final et proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen COM(2013) 534 final, « avec pour mission de rechercher, de
poursuivre et de renvoyer en jugement, le cas échéant, les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE ».
(15) « Le phénomène de concurrence entre le port d’Anvers et celui de Rotterdam pour la captation de parts de marché a conduit à la baisse du
nombre et de l’efficacité des contrôles » in Charroux (G.) et Woerth (É.), Rapport d’information…, op. cit. p. 13.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
136 I DOSSIER
(dite « de Naples I ») a été adoptée 16. Le détour
conventionnel était indispensable en l’absence de base
juridique ad hoc dans le traité à l’époque. Par la suite,
la création d’un « troisième pilier » dans les traités en
1992, et son constant renforcement ultérieur, a eu deux
conséquences. Il a permis l’adoption d’instruments de
coopération répressive spécifiques aux douanes comme la
convention sur l’emploi de l’informatique dans le domaine
des douanes du 26 juillet 1995 (et ses textes liés). Cette
convention a ensuite été transformée en une décision
2009/917/JAI du Conseil du 30 novembre 2009 sur
l’emploi de l’informatique dans le domaine des douanes.
En revanche, la convention de Naples de 1967 a certes été
révisée en 1997 17 pour permettre une coopération plus
intense, mais sans être « communautarisée » par la suite
comme la précédente, alors qu’elle pourrait également
l’être. Le troisième pilier a également permis l’ouverture
des instruments « généraux » en matière de coopération
policière aux autorités douanières, ouverture consacrée
par l’article 87.1 TFUE selon lequel « l’Union développe
une coopération policière qui associe toutes les autorités compétentes
des États membres, y compris les services de police, les services des
douanes et autres services répressifs spécialisés dans les domaines de la
prévention ou de la détection des infractions pénales et des enquêtes en
la matière ». Cela signifie que les administrations douanières
peuvent utiliser les instruments de la coopération
policière 18, qu’elles sont également présentes dans certains
organes transnationaux de coopération policière comme
les Centres de coopération policière et douanière (CCPD)
ou comme les Unités information passager 19 et enfin
que les questions douanières relèvent des compétences
de l’Europol 20. Cela dit, ce travail se concentre sur les
seuls instruments de coopération douanière répressive de
nature « policière » spécifiques aux douanes.
Communication d’informations, actions
pour le compte de et actions conjointes
Les développements précédents expliquent que
chaque modalité de coopération existe en double : une
« administrative » et une « policière ». Cela ne signifie pas,
pour autant, que la symétrie soit parfaite, loin s’en faut :
le contenu, certains aspects de procédure et de garanties,
ainsi, bien sûr, que les finalités, changent. Plutôt que de
présenter le contenu de l’une puis celui de l’autre, ce qui
amènerait à des redites, on préfère présenter les objets sur
lesquels elles portent : communication d’informations et
activités opérationnelles (« actions pour le compte de »
et « actions communes »). Ce découpage, fait dans un
but didactique, n’est évidemment pas aussi net dans la
pratique ni même dans les textes.
Une large gamme d’instruments a été mise en place au
titre de la communication d’information. Deux types
de communication sont possibles aussi bien dans le
domaine de la coopération « administrative » que dans
celui de la coopération « policière » : la communication
« automatique » qui oblige chaque autorité à communiquer
systématiquement vers toutes les autres, sans demande
préalable de leur part, des informations prédéfinies (les
décisions d’application à effet européen) au moyen de
bases de données européennes et la communication en
« accès conditionnel » qui désigne l’obligation pour les
autorités compétentes d’un État membre de prendre
connaissance des informations entrées par les autres
administrations dans une base de données, en vertu
d’obligations de coopération automatique, et de leur
donner l’effet qu’elles doivent avoir auprès d’elles 21. La
base de données en question, le Système d’information
des douanes (SID), est en fait double, avec un versant
coopération « administrative » et un versant coopération
« policière », cela pour respecter la différence de bases
juridiques, et même si l’infrastructure technique est unique.
(16) Cette convention a pu être une source d’inspiration pour la convention d’application de l’accord de Schengen.
(17) Son nouveau titre est convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à l’assistance mutuelle et à la
coopération entre les administrations douanières (Naples II).
(18) Par exemple, la décision-cadre 2006/960/JAI du Conseil du 18 décembre 2006 relative à la simplification de l’échange d’informations et
de renseignements entre les services répressifs des États membres et de l’Union européenne inclut les services douaniers parmi les « services
répressifs compétents ».
(19) Mises en place pour traiter les données des dossiers passagers fournis par les compagnies aériennes par la directive n° 2016/681 relative
à l’utilisation des données des dossiers passagers (PNR) pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de
criminalité, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière.
(20) Selon le règlement (UE) 2016/794 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la
coopération des services répressifs, l’objectif d’Europol est d’« appuyer et de renforcer l’action des autorités compétentes des États membres
et leur collaboration mutuelle dans la prévention de la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres, du terrorisme et des formes
de criminalité qui portent atteinte à un intérêt commun qui fait l’objet d’une politique de l’Union, ainsi que dans la lutte contre ceux-ci ». Parmi
ces formes de criminalité, l’annexe I du règlement mentionne explicitement, les « infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ».
(21) La coopération « administrative » permet également la communication d’information sur demande ainsi que la communication « spontanée »
d’information qui oblige une autorité donnée à communiquer à une ou plusieurs autres autorités, de manière ponctuelle, à tout moment et sans
demande préalable de la part d’une autorité requérante, les informations qu’elle estime pouvoir être utiles à ces autres autorités.
Quelle coopération douanière européenne dans un contexte de concurrence ? – François LAFARGE
DOSSIER I 137
L’objectif du versant coopération « administrative » du SID homologue d’un autre État membre, aussi bien en matière
est « d’aider à prévenir, à rechercher et à poursuivre les opérations qui de coopération « administrative » que de coopération
sont contraires aux réglementations douanières,
« policière », de procéder pour son
en rendant les données plus rapidement
compte à des « surveillances spéciales »
disponibles et en renforçant ainsi l’efficacité
ou des « enquêtes administratives
La coopération
des procédures de coopération et de contrôle
appropriées » et en recevoir les
douanière
des autorités compétentes » (art. 23.2 du
résultats (actions pour le compte
« répressive » fait
règlement n° 515/1997). L’objectif du
de). Les modifications apportées
l’objet d’une relative
versant « policier » du SID « est d’aider à
par la convention Naples II de 1997
coordination au
prévenir, rechercher et poursuivre les infractions
permettent à la coopération douanière
niveau européen,
graves aux lois nationales en rendant les
« policière » de prendre des formes
d’autant plus
données plus rapidement disponibles et en
de coopérations plus « avancées »
renforçant ainsi l’efficacité des procédures de
appelées « actions transfrontalières »
nécessaire que les
coopération et de contrôle des administrations
selon lesquelles les administrations
formes qu’elle prend
douanières des États membres » (art. 1.1 de
compétentes des États membres
sont complexes.
la décision n° 2009/917/JAI). Chaque
peuvent se prêter mutuellement
Mais, alors que la
SID se compose d’une base de données
l’assistance nécessaire en terme de
coordination de
centrale accessible à partir de terminaux
personnel et d’organisation pour
la plupart des cas
placés dans chacun des États membres
la prévention, la recherche et la
de coopération
et à la Commission 22. La Commission
répression d’infractions, mais dans
semblables est
assure la gestion technique des deux.
certains domaines limitativement
exercée par une
Pour chacun des SID, des règles, qui
énumérés (trafics illicites, commerce
agence européenne,
peuvent varier, précisent les catégories
illégal transfrontalier de marchandises
de données qui peuvent être introduites
taxables dans un but d’évasion fiscale…).
en matière douanière
du moment qu’elles sont nécessaires
Les actions transfrontalières sont la
elle relève de la
à l’accomplissement de son objectif
poursuite au-delà des frontières (en
Commission.
(données relatives aux marchandises,
cas de poursuite d’un flagrant délit),
moyens de transport, entreprises…).
l’observation transfrontalière, la livraison
Des données à caractère personnel
surveillée, les enquêtes discrètes et les
peuvent également être introduites dans les deux cas, équipes communes d’enquêtes spéciales qui prennent
mais selon des règles particulières 23. Une base de données le nom d’opérations douanières conjointes (actions
spécifique, le Fichier d’identification des dossiers d’enquêtes communes). Toutes font l’objet d’un certain nombre de
(FIDE), est en outre incluse dans chaque SID. La finalité du conditions communes, comme en matière de commission
FIDE « administratif » est de permettre à la Commission ou d’infractions ou de dommages par les agents qui
aux autorités compétentes des États membres « qui ouvrent interviennent sur le territoire d’un autre État membre que
un dossier d’enquête administrative ou qui enquêtent sur une ou celui de l’administration dont ils dépendent ou l’utilisation
plusieurs personnes ou entreprises d’identifier les autorités compétentes des résultats obtenus comme éléments de preuve.
des autres États membres ou des services de la Commission qui sont
en train d’enquêter ou ont enquêté sur les personnes ou entreprises La coopération douanière « répressive » fait l’objet d’une
concernées » (art. 41 bis, règlement n° 515/1997). La finalité relative coordination au niveau européen, d’autant plus
du FIDE « policier » est « de permettre aux autorités d’un État nécessaire que les formes qu’elle prend sont complexes.
membre compétentes en matière d’enquêtes douanières, ainsi qu’à Mais, alors que la coordination de la plupart des cas
Europol et à Eurojust, d’identifier les autorités compétentes des autres de coopération semblables est exercée par une agence
États membres qui enquêtent ou ont enquêté sur ces personnes ou européenne 24, en matière douanière elle relève de la
entreprises » (art. 15.2, décision n° 2009/917/JAI).
Commission et encore uniquement en ce qui concerne
la coopération « administrative 25 ». La version d’origine
Au titre des activités opérationnelles, une administration du règlement n° 515/1997 a prévu deux instruments
douanière peut demander à une administration de coordination dont l’un a été très étoffé par la suite.
(22) Dans le cas du SID « policier » la Commission ne dispose pas de terminal.
(23) Dans son ensemble, le SID présente plusieurs traits communs avec le Système d’information Schengen.
(24) Par exemple, la coopération liée à la gestion des frontières extérieures peut être coordonnée par Frontex…
(25) Le versant coopération « policière » ne fait pas l’objet de coordination explicite.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
138 I DOSSIER
Le premier oblige les autorités compétentes de chaque
État membre à communiquer à la Commission les
métadonnées relatives aux fraudes et tendances de
fraudes douanières (types de marchandises, méthodes
utilisées, demandes d’assistance, actions entreprises et
informations échangées). En retour la Commission
communique à ces autorités, « toute information de nature à
leur permettre d’assurer le respect de la réglementation douanière ».
Le deuxième porte sur la fourniture par les États membres
de « toutes les informations appropriées […] nécessaires à la
connaissance d’opérations contraires ou paraissant être contraires »
à la réglementation douanière et « présentant un intérêt
particulier sur le plan communautaire », car concernant plus
d’un État ou pouvant se reproduire dans plus d’un État.
Les informations s’étendent aux mesures prises par les
États membres pour y faire face. L’Office européen de
lutte contre la fraude (Olaf) gère ces coordinations au nom
de la Commission au moyen d’une plate-forme d’échange
d’informations, le système d’information antifraude (Afis)
qui comprend plusieurs bases de données consacrées aux
questions douanières. Les informations obtenues dans
le cadre de ces deux coordinations peuvent être utilisées
dans deux buts. Tout d’abord, l’Olaf peut demander aux
États membres concernés soit de réagir de manière ad
hoc (surveillance spéciale…) soit de mettre en place une
enquête administrative dans laquelle ses agents peuvent
être présents. Ensuite, ces informations peuvent être
stockées, exploitées et échangées pour élaborer des
analyses stratégiques et opérationnelles dont les résultats
sont échangés. C’est à partir de cette finalité que l’UE a
développé une nouvelle génération d’instruments (cf.
infra).
Quel fonctionnement concret ?
Les instruments de coopération présentés comportent
des limites. La première est qu’ils sont complexes,
ce sur quoi on ne revient pas. La seconde est qu’ils
contiennent de nombreuses difficultés techniques.
Citons-en trois. Le fonctionnement du SID est gêné,
entre autres, par l’absence de finalité d’analyse et par
l’obligation faite aux administrations compétentes de
réexaminer chaque année les données qu’il contient,
source de charge administrative disproportionnée par
rapport aux moyens des États membres. Les potentialités
de l’Afis sont sous-exploitées par le fait que les États
membres n’ont pas la possibilité de définir les utilisateurs
des informations qu’ils y introduisent. Les procureurs
nationaux hésitent à faire usage des documents obtenus
au titre de l’assistance mutuelle comme moyen de preuve,
car les dispositions du règlement n° 515/1997 ne sont
pas suffisamment claires. Des difficultés du même ordre
peuvent également découler de l’impact de dispositions
ayant un autre objet. Par exemple, l’entrée en vigueur de
la décision n° 70/2008/CE du 15 janvier 2008 relative à
un environnement sans support papier pour la douane a
eu pour conséquence de ne plus obliger les opérateurs
économiques à transmettre les documents accompagnant
leurs déclarations d’importation et d’exportation aux
autorités douanières, mais de les conserver par-devers
eux, quitte à les communiquer sur demande. Pour l’Olaf,
cela entraîne des retards dans la réalisation de ses enquêtes
dans le domaine des douanes, car il doit faire appel
auxdites autorités pour l’aider à obtenir ces documents
des opérateurs.
Il est difficile de trouver des informations sur le
fonctionnement concret de ces coopérations. Il n’existe
pas, à notre connaissance, de rapports et de données
publics disponibles sur le SID, ni sur le FIDE. Des
quelques éléments disparates relevés, on retire toutefois
une impression de sous-utilisation. Par exemple, le
document par lequel l’Assemblée nationale française a
examiné en 2008 la proposition de décision du Conseil
transformant la convention sur l’emploi de l’informatique
dans le domaine des douanes du 26 juillet de 1995 (et ses
textes liés) en une décision 2009/917/JAI du Conseil du
30 novembre 2009 sur l’emploi de l’informatique dans le
domaine des douanes indique que le SID, dont la mise en
œuvre concrète remonte à 2003, « est très peu consulté et encore
plus rarement complété » 26.
Si cette sous-utilisation était confirmée par des retours
plus systématiques, elle pourrait vraisemblablement
s’expliquer par plusieurs facteurs. Les difficultés techniques
ci-dessus n’en constitueraient qu’un seul. Le contexte de
concurrence entre États membres qu’on a vu y jouerait
sans doute aussi un rôle non négligeable en pouvant avoir
pour effet de dissuader certains d’entre eux d’y introduire
les données qu’ils recueillent sur leur territoire. Enfin, et
plus généralement, il faudrait aussi prendre en compte
les limites structurelles des instruments de coopération
douanière répressive. Ceux-ci font en effet circuler entre
les administrations nationales et la Commission des
informations qui sont ponctuelles et portent sur celles des
« opérations [douanières] qui sont contraires aux réglementations
douanières » que les administrations ont repérées ou qu’elles
soupçonnent sur la base de ce qu’elles ont eu à connaître et à
chercher dans l’exercice de leurs fonctions. Cette approche,
« classique » pour les coopérations de ce genre, a, comme
les autres, fortement bénéficié de l’introduction de bases de
(26) AN, E4104, 25 novembre 2008.
Quelle coopération douanière européenne dans un contexte de concurrence ? – François LAFARGE
DOSSIER I 139
données informatiques et d’instruments de communication
électronique qui ont permis de faire circuler très vite et
partout de l’information déjà connue quelque part, mais
sans que cela modifie les limites en questions.
Améliorations techniques et
nouvelle génération d’instruments
L’UE cherche à répondre à ces difficultés aussi bien en
multipliant les améliorations techniques qu’en mettant
en place une nouvelle génération d’instruments, les
« répertoires » de la Commission.
Améliorations techniques
L’UE montre un réel effort de long terme pour à la fois
simplifier et rendre plus efficace le cadre juridique existant
de la coopération douanière répressive. Tout d’abord, elle
améliore la qualité de ses sources. À ce titre, la convention
de 1995 sur l’emploi de l’informatique dans le domaine
des douanes a été transformée en décision-cadre en 2009
et des améliorations sur le fond y ont été apportées au
passage 27. Ensuite, elle révise « périodiquement » le
règlement n° 515/1997 (2003, 2008 et 2015) pour remédier
à chaque fois à plusieurs des difficultés évoquées. Citons
là encore plusieurs exemples. La procédure régissant la
conservation des données dans le SID a été simplifiée,
en supprimant l’obligation de réexaminer les données
chaque année et en portant à cinq ans, voire sept, la durée
de conservation des données. Les catégories de données
pouvant être introduites ont été enrichies (retenues, saisies
ou confiscations) et précisées 28. Le transfert à l’Olaf
des documents justificatifs produits ou réunis par les
opérateurs économiques, pour les besoins des enquêtes
liées à la mise en œuvre de la réglementation douanière
a été facilité. L’utilisation des documents obtenus suite à
une opération de coopération répressive comme élément
de preuve auprès d’autres juridictions a été précisée. On
notera cependant que ces avances restent ponctuelles et
qu’elles sont parfois en deçà de ce que la Commission
proposait.
La mise en place d’une nouvelle
génération d’instruments : plus de
coordination, moins de coopération ?
À partir du milieu des années 1990, les acteurs impliqués
dans les questions douanières ont pris conscience du rôle
encore plus important que pouvaient jouer les technologies
de l’information en matière de contrôles, à savoir non
seulement faire circuler des informations, mais aussi
collecter numériquement le plus d’informations possible
relatives à la totalité des mouvements de marchandises
(et éléments connexes) et ensuite détecter les corrélations
significatives entre elles en fonction de critères d’analyse
de risques douaniers préalablement identifiés et modifiés
en feed back. Les résultats de ces analyses ne sont alors
plus des faits avérés ou soupçonnés, mais des indications
de risques.
Cette nouvelle approche des contrôles douaniers a été
actée avec l’adoption de deux textes élaborés au sein
de l’Organisation mondiale des douanes, l’un en 1999,
la convention internationale pour la simplification et
l’harmonisation des régimes douaniers (dite « convention
de Kyoto », entrée en vigueur en 2006), l’autre en 2005, les
normes SAFE visant à sécuriser et simplifier le commerce
mondial (soft law internationale). La législation douanière
de l’UE l’a reprise à son compte depuis 2005. Aujourd’hui,
le CDU la formule ainsi : « les contrôles douaniers autres que les
contrôles inopinés sont principalement fondés sur l’analyse de risques
pratiquée à l’aide de procédés informatiques de traitement des données,
et visent à déceler et à évaluer les risques et à élaborer les contremesures nécessaires, sur la base des critères établis au niveau national
ou au niveau de l’Union et, le cas échéant, au niveau international »
(art. 46). L’analyse de risques suppose l’élaboration d’un
« cadre commun de gestion des risques » fondé sur
trois éléments : tout d’abord un « échange d’informations
en matière de risques et de résultats d’analyses de risques entre
les administrations douanières » qui, étrangement, n’est pas
automatique vu qu’une marge d’appréciation est laissée à
ces administrations 29, l’établissement de « critères et de normes
communs en matière de risque 30 » et enfin l’établissement de
« critères et de normes communes en matière de mesures de contrôle
et de domaines de contrôle prioritaires ». L’analyse de risques
(27) Extension des objectifs de ce SID (réalisation d’analyses stratégiques et opérationnelles), accroissement des données pouvant y être introduites
(retenues, saisies ou confiscations) et ouverture de ces données à Europol et Eurojust.
(28) Règlement d’exécution 2016/346 de la Commission du 10 mars 2016 déterminant les éléments à introduire dans le système d’information
douanier.
(29) Qui ne doivent échanger les éléments en question que lorsqu’elles « estiment que les risques sont significatifs et requièrent un contrôle douanier
et que les résultats de ce contrôle indiquent que l’événement à l’origine des risques est survenu ou lorsque les résultats d’un contrôle n’indiquent
pas que l’événement à l’origine des risques est survenu, mais qu’elles estiment que la menace présente un risque élevé ailleurs dans l’Union ».
(30) Commission européenne, Communication relative à la stratégie et au plan d’action de l’UE sur la gestion des risques en matière douanière : faire
face aux risques, renforcer la sécurité de la chaîne d’approvisionnement et faciliter le commerce, COM/2014/0527 final.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
140 I DOSSIER
s’appuie sur un Système informatique relatif à la gestion
du risque et aux contrôles douaniers qui est « utilisé aux fins
de l’échange et du stockage des données relatives à la communication
entre les autorités douanières des États membres et la Commission
de toutes les informations relatives aux risques » 31.
Cette approche a d’abord été mise en œuvre dans le
domaine des risques en matière de sûreté – sécurité
des marchandises à destination de l’UE 32. Elle a pris la
forme du Système de contrôle des importations (SCI)
qui permet à la Commission et aux États membres, en
fonction de critères communs, d’analyser les risques et
de recommander les contrôles appropriés ; cela grâce
au traitement des données figurant dans les déclarations
sommaires d’entrées envoyées par les opérateurs avant
l’arrivée des marchandises sur le territoire douanier. Le
cas échéant, il revient à chaque État membre de réaliser
ces contrôles.
Cette approche a ensuite été mise en place dans le
domaine de la lutte contre les opérations contraires aux
réglementations douanières par les révisions de 2008
et 2015 du règlement n° 515/1997. Ces dernières ont
tout d’abord étendu les finalités du SID à l’analyse des
risques. Ensuite et surtout, elles ont créé trois répertoires
(fichiers d’autres fichiers ou leurs adresses) auprès de la
Commission (en pratique d’Olaf). Ces répertoires sont
soumis à des règles de fonctionnement et d’accès (parfois
communes, parfois propres), comme celles relatives à
l’accès des administrations nationales (en général celles
ayant accès au SID) ou celles relatives à la circulation
des analyses réalisées. Le premier est le « répertoire du
transport ». Les données qu’il contient émanent des
fournisseurs de services, publics ou privés, dont les
activités sont liées à la chaîne d’approvisionnement
internationale auxquelles la Commission a accès ou
qu’elle extrait et qu’elle peut réutiliser 33. La Commission
peut comparer et différencier les données, les indexer,
les enrichir au moyen d’autres sources, les analyser. Les
données concernent en particulier les mouvements des
conteneurs et/ou des moyens de transport ainsi que les
marchandises, les personnes et les entreprises concernées
par ces mouvements.
Le second est le répertoire des messages sur le statut
des conteneurs « répertoire CSM ». Il complète en fait le
répertoire précédent qui n’obligeait pas les transporteurs
à communiquer à la Commission les informations
dont ils se servaient pour « tracer » leurs conteneurs, ce
qu’ils doivent directement faire vers le répertoire CSM
désormais. Des dispositions, complétées par des actes
délégués, précisent la période de notification des CSM,
la fréquence de notification ainsi que les événements
déclenchant les notifications CSM 34.
Le troisième est le « répertoire des importations,
exportations et transit » qui contient les informations
relatives à ces trois mouvements. La Commission y
reproduit systématiquement les données issues non
pas directement des opérateurs comme dans les deux
répertoires précédents, mais des systèmes d’information
qu’elle coordonne en application de la législation douanière
dans le cadre de la coopération de fonctionnement qu’on
a évoquée au début de cet article.
L’intérêt de ce « système des répertoires », qui est en
cours de déploiement et dont certains éléments n’ont
pas encore été mis en place, ou ne sont volontairement
pas disponibles 35, réside non seulement dans la
quantité massive de données que ses trois composantes
permettent de traiter, mais également dans le fait que
ces données peuvent être comparées d’un répertoire à
l’autre, ce qui génère plus de possibilités de corrélations.
Il s’apparente plus à un système de coordination
européenne de l’information que de coopération entre
États membres comme les instruments décrits supra. Il
ne rend pas la coopération moins nécessaire (des liens
avec un SID renforcé sont tissés), mais la complète en la
redimensionnant. En effet, une fois opérationnel, il devrait
fournir à chaque État membre un panorama complet
des risques auxquels il est soumis et des réponses qu’il
peut apporter en termes de contrôle, ce qui, à son tour,
devrait entraîner une meilleure répartition de ses capacités
opérationnelles. Cela semble a priori plus efficace que les
informations ponctuelles apportées par les instruments
précédents.
La mise en œuvre concrète des conséquences de ces
analyses de risques, en particulier les contrôles, relève
toujours des États membres, ce qui est normal en l’état
actuel de l’intégration européenne. Cependant, les États
bénéficient de marges de manœuvre importantes qui
(31) Dont les grandes catégories de contenu sont précisées par l’art. 36 du règlement d’exécution 2015/2447 de la Commission du 24 novembre
2015 établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement n°952/2013 établissant le Code des douanes de l’Union.
(32) Avec le règlement n°648/2005 du 13 avril 2005 modifiant le règlement (CEE) n°2913/92 du Conseil établissant le Code des douanes
communautaire.
(33) Les conditions de l’accès aux données ou de leur extraction font l’objet d’un accord technique entre la Commission et le fournisseur de service.
(34) Arrivée dans/ou départ d’une installation de chargement ou de déchargement, chargement sur ou déchargement d’un moyen de transport…
(35) Comme les critères et normes communs en matière de risques et en matière de mesures de contrôle.
Quelle coopération douanière européenne dans un contexte de concurrence ? – François LAFARGE
DOSSIER I 141
peuvent faire douter d’une mise en œuvre homogène.
Premièrement, ils n’ont apparemment pas d’obligation
de procéder aux contrôles que suggèrent les analyses
de risque. Deuxièmement, les États peuvent mener
leurs propres analyses de risques. Troisièmement, les
transferts d’information en matière de risques relèvent en
partie de leur appréciation. Quatrièmement, la sanction
de la violation par les transporteurs des obligations de
transfert des données CSM leur est remise, avec ce que
cela suppose en termes de risques d’hétérogénéité 36. En
parallèle, la situation de concurrence « contre-productive »
entre certains États membres est laissée sans réponse,
même s’il est vrai que cela ne pouvait pas être réglé dans
le cadre de modifications du règlement n° 515/1997.
Chacune des marges de manœuvre ci-dessus laissée aux
États membres peut constituer un échelon d’adaptation
opérationnel nécessaire. Mais, prises dans leur ensemble,
elles sont de nature à maintenir la prévalence des intérêts
nationaux bien compris. À l’égard de cette nouvelle
génération d’instruments cela peut se manifester, de la part
de certains États membres, par l’application de la même
« retenue » que celle qu’ils ont manifestée à l’égard de la
mise en œuvre de la génération précédente d’instruments
de coopération douanière répressive n
(36) Risque réalisé en matière de sanctions douanières en général comme on l’a vu.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
142 I DOSSIER
Les incohérences de la dimension externe
de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
Coralie MAyEUR-CARPENtIER
les pirates 2. La mer est un lieu hostile et pourtant
synonyme de richesses multiples.
C
haque année, dix mille navires
européens traversent des zones
maritimes dangereuses 1 . Les
potentielles victimes de pirates
sont multiples. Les commerçants, les touristes ou
encore le personnel navigant sont exposés à ce
risque. Dans l’Antiquité, l’insécurité en mer était
déjà présente, César lui-même a été capturé par
L’image du pirate des mers semble unanimement
admise. L’avocat général Colomer 3 énonce que :
« tout enfant serait capable de décrire cet archétype, par la
simple énumération de ses traits les plus caractéristiques :
la jambe en bois, le crochet en guise de main, la barbe
hirsute et le bandeau sur l’œil, tribut pour avoir choisi ce
style de vie hasardeuse, pleine d’aventures et de dangers ».
Dans de nombreux romans, le corsaire est la figure
de l’aventurier. La description des conflits entre
(1) Selon le Parlement européen, résolution du 10 mai 2012 sur la piraterie en mer, voir le point E., JOUE, C 261, du 10 septembre
2013, p. 34.
(2) Suétone, Vies des douze Césars, César, IV ; Folio-Gallimard, Paris, p. 36.
(3) L’affaire C-132/07 concernait la piraterie commerciale et non la piraterie maritime. Au début de ses conclusions, prononcées
le 8 avril 2008, l’avocat général montre que les pirates en mer sont plus facilement identifiables que les autres. (Voir les points
1 à 3).
L’Union européenne et la lutte contre la piraterie maritime – Coralie MAYEUR-CARPENTIER
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L’Union européenne et la lutte
contre la piraterie maritime
DOSSIER I 143
pirates à l’assaut d’un navire et ses occupants est
néanmoins souvent violente.
L’acte de piraterie est défini par la Convention
de Montego Bay sur le droit de la mer 4. Il s’agit
de « tout acte illicite de violence ou de détention ou toute
déprédation commis par l’équipage ou des passagers d’un
navire ou d’un aéronef privé, agissant à des fins privées, et
dirigé 5 ». En outre, quatre conditions cumulatives
doivent être réunies pour qualifier l’acte de
piraterie : être commis par et contre un navire ou
un aéronef, être commis en haute mer, contre des
personnes ou des biens, à des fins privées.
Alors que la définition ou les conditions posées
pour caractériser l’acte commis sont acceptées par
les États sur le fondement de cette convention 6,
ils n’ont pas posé des règles de compétences du
juge pour sanctionner le criminel en mer. En
outre, l’application des textes notamment au
moment de l’arrestation de l’auteur de l’acte de
piraterie pose de nombreux problèmes aux États
concernés.
En faisant application de plusieurs résolutions de
l’assemblée générale des Nations unies, les États
et les institutions de l’Union se sont engagés
militairement à protéger la circulation en mer.
Le point de départ de cette action était destiné
à protéger l’acheminement du programme
alimentaire mondial 7. L’Union européenne se
fonde sur la Convention des Nations unies sur
le droit de la mer. Elle se fonde également sur
d’autres textes des Nations unies et s’est engagée
par le vote d’une action commune en 2008 à
lutter contre la piraterie maritime. La mission
concerne la protection des navires du programme
alimentaire mondial ainsi que de l’ensemble des
navires marchands et la prévention des actes de
piraterie et de vols en mer.
Coralie MAYEURCARPENTIER
Maître de
conférences
en droit
public à l’Université de
BourgogneFranche-Comté, CRJFC.
Les actions sont donc fondées sur la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC) alors
qu’elles relèvent pourtant matériellement aussi
bien de l’espace de liberté, de sécurité, et de
justice (ELSJ).
Plusieurs affaires tranchées par la Cour de
justice ont porté sur l’identification de la matière
concernée. Elles ont montré que la question de
la piraterie maritime « est d’une grande importance
politique, voire constitutionnelle 8 ». Dans ces affaires,
chaque fois que le Parlement européen a contesté
l’acte adopté et obtenu satisfaction, il a fait
progresser l’Union de droit en affirmant son
rôle dans les relations extérieures 9 . Par ailleurs,
les litiges relatifs au choix de la base juridique
dans ce domaine confirment l’enchevêtrement
de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et
de la politique étrangère et de sécurité commune.
L’engagement de l’Union européenne dans la
lutte contre la piraterie maritime participe en
effet aussi bien des relations extérieures que
de la matière judiciaire, car les actes adoptés
concernent l’espace de liberté, de sécurité et
de justice dans sa dimension extérieure. Cette
dernière n’est toutefois pas suffisamment
délimitée et identifiée par le traité de sorte
que les bases juridiques choisies devraient être
multipliées pour correspondre à l’action menée.
La situation est cependant fréquente lorsqu’il
s’agit d’actes relevant de la dimension extérieure
de l’espace de liberté, de sécurité et de justice,
ce qui révèle les incohérences de la matière. Cet
enchevêtrement présente un aspect technique et
peut freiner les actions envisagées.
Pour l’éviter, l’Union européenne devrait affirmer
différemment son rôle sur la scène internationale
pour lutter contre la piraterie maritime et
procéder pour cela aux évolutions nécessaires à
l’effectivité de ses actions.
(4) Convention adoptée par les Nations unies le 10 décembre 1982, recueil des traités des Nations unies, 1994, vol. 1834
I-31363.
(5) Article 101 de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, précitée.
(6) Au sujet de la définition et sur l’interprétation des règles de droit international, voir Pancracio (JP.), 2015, « Piraterie
maritime contemporaine. Questionnements du droit », in Chevalier-Geovers (c.) et Schneider (C.), L’Europe et la lutte contre
la piraterie maritime, Pédone, Paris.
(7) Action commune 2008/851/PESC du Conseil du 10 nov. 2008 concernant l’opération militaire de l’Union européenne
en vue d’une contribution à la dissuasion, à la prévention et à la répression des actes de piraterie et de vols à main armée
au large des côtes de la Somalie, JOUE, L301 du 12 nov. 2008, p. 33-37.
(8) Voir Kokott (J.), conclusions sur l’affaire C-263/14, prononcées le 28 octobre 2015, point 4.
(9) Au sujet du rôle du Parlement européen, voir l’étude de Flavier (H.), « Parlement européen et relations extérieures : une
révolution démocratique en marche ? », RTDE, 2016, p. 293-317.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
144 I DOSSIER
L’affirmation imprécise du rôle
de l’Union pour lutter contre
la piraterie
Le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale
est parfaitement affirmé dans les matières relevant d’une
compétence exclusive. Ce n’est pas le cas en matière de
politique étrangère ou de coopération policière et judiciaire.
Ces domaines sont toujours marqués ensemble par
l’intergouvernementalisme qui les identifiait avant l’entrée
en vigueur du traité de Lisbonne et les États gardent une
compétence pour agir, ce qui peut être générateur de
confusion pour les États tiers. La répartition horizontale
des compétences n’est pas non plus clairement établie
en raison de la particularité des domaines concernés. La
matière est alors un terreau favorable au contentieux de
la base juridique et l’effectivité des actions menées repose
sur des aspects exogènes.
La compétence disputée
La piraterie maritime peut être éradiquée par la dissuasion
des comportements criminels en mer et au moyen d’une
sanction appropriée. Pour y procéder, les institutions ont
conclu des accords externes avec les États tiers concernés.
Le contenu des accords renseigne sur la particularité de la
matière et notamment sur la diversité des actions. Cette
particularité est aussi présente dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme. En dépit de l’importance des aspects
judiciaires, la Cour de justice affirme le rattachement
matériel de la lutte contre la piraterie à la politique
étrangère et de sécurité commune.
limités pour garantir la mise en place d’une politique des
transports sûre. Les actes adoptés n’ont pas pour objet de
prévoir la participation des institutions communautaires à
la lutte contre la piraterie maritime. Le premier acte adopté
par les institutions dans cet objectif est fondé sur le traité
sur l’Union européenne, adopté en 2008 ; il repose sur les
résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies afin
de protéger l’acheminement du programme alimentaire
mondial. L’action commune adoptée est la base juridique
de l’opération militaire Atalanta créée « en vue d’une
contribution à la dissuasion, à la prévention et à la répression des
actes de piraterie et de vols à main armée au large des côtes de la
Somalie 10 ». Le texte identifie l’action menée comme étant
une opération militaire en conformité avec les règles de
droit international. Le texte prévoit également que les
États concernés peuvent « appréhender, retenir et transférer les
personnes suspectées d’avoir l’intention de commettre, commettant ou
ayant commis un acte de piraterie 11 ».
Afin de renforcer la sécurité en mer, les institutions de
l’Union européenne ont conclu des accords externes avec
les États tiers concernés par la piraterie. Deux accords
ont été conclus : avec l’île Maurice 12, d’une part, et avec la
Tanzanie 13, d’autre part. Leur objet est le même, il s’agit
de prévoir les conditions et les modalités de transfert des
personnes retenues par les forces militaires de l’Union
européenne dans le cadre de l’opération Atalanta en
raison de leur participation avérée ou soupçonnée à un
acte de piraterie maritime.
Le rattachement matériel de la lutte
contre la piraterie
La base juridique de conclusion de ces deux accords a été
contestée par le Parlement européen. Les actes ayant été
conclus sur le fondement de la politique étrangère et de
sécurité commune, le Conseil a agi seul et le Parlement n’a
pas été associé à leur procédure de conclusion. Pourtant,
le Parlement estime que ces accords ne concernent
pas exclusivement la politique étrangère et de sécurité
commune, mais relèvent également de la coopération
judiciaire en matière pénale.
Les premiers textes des institutions qui évoquent la piraterie
maritime ont été adoptés au milieu des années 1970, au
moment de l’affirmation d’une politique communautaire
des transports. Les comportements criminels commis en
haute mer menacent la liberté de circulation et doivent être
La Cour de justice a donné en partie raison au Parlement.
En effet, dans ces deux affaires 14 tranchées par la grande
chambre de la Cour, elle a montré que les aspects de droit
pénal et de coopération judiciaire sont des outils destinés
à permettre la réalisation de la mission Atalanta. L’opé-
(10) Action commune 2008/851/PESC du Conseil, du 10 nov. 2008, précitée.
(11) Voir l’article 2 de l’action commune 2008/851/PESC précitée.
(12) Accord entre l’Union européenne et la République de Maurice, relatif aux conditions de transfert, de la force navale placée sous la direction de
l’Union européenne à la République de Maurice, des personnes suspectées d’actes de piraterie et des biens associés saisis et aux conditions
des personnes suspectées d’actes de piraterie après leur transfert, JOUE, du 30 sept. 2011, L254, p. 3.
(13) Accord entre l’Union européenne et la République unie de Tanzanie relatif aux conditions de transfert, de la force navale placée sous la
direction de l’Union européenne à la République unie de Tanzanie, des personnes soupçonnées d’actes de piraterie et des biens associés saisis,
JOUE, du 11 avril 2014, L108, p. 3.
(14) CJUE, 24 juin 2014, Parlement c./Conseil, aff. C-658/11 et CJUE, 14 juin 2016, Parlement européen et Commission c./Conseil, aff. C-263/14.
L’Union européenne et la lutte contre la piraterie maritime – Coralie MAYEUR-CARPENTIER
DOSSIER I 145
ration fondée sur la PESC pouvait donc présenter des les régimes distincts des dispositions de la politique étrangère
aspects relevant de la coopération judiciaire et pénale sans d’une part, et de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
d’autre part, empêchent de les associer
remettre en cause son fondement jupour adopter un acte. Contrairement
ridique. Cependant le Parlement auaux affirmations de la Cour de justice
rait dû être informé, c’est pourquoi
selon lesquelles le choix de la base
la Cour de justice annule l’acte de
LA LUttE CONtRE LA
juridique repose sur la finalité et le
conclusion de l’accord dans les deux
PIRAtERIE MARItIME LE
contenu de l’acte, la procédure imposée
cas, mais en maintenant ses effets.
pour l’adopter contribue autant au
CONFIRME. LA COUR DE
choix de sa base juridique.
Ces deux arrêts font une application
JUStICE AFFIRME SON
classique des principes posés par la
La lutte contre la piraterie maritime le
Cour de justice au sujet du contenRAttACHEMENt à LA
confirme. La Cour de justice affirme
tieux de la base juridique. Elle rapPOLItIqUE ÉtRANGèRE DE
son rattachement à la politique étranpelle le principe selon lequel une base
gère de sécurité commune et énonce
juridique unique doit être privilégiée,
SÉCURItÉ COMMUNE Et
que les aspects relevant de l’espace
ce qui a pour effet de laisser la lutte
ÉNONCE qUE LES ASPECtS
de liberté, de sécurité et de justice
contre la piraterie dans le domaine de
sont considérés comme accessoires
la politique de sécurité.
RELEVANt DE L’ESPACE DE
à la politique étrangère de sécurité
LIBERtÉ, DE SÉCURItÉ Et DE
commune. Dans les deux affaires 17,
L’examen de la lutte contre
le Parlement ne conteste pas que
JUStICE SONt CONSIDÉRÉS
le terrorisme
l’accord, conclu avec la République
et les incohérences des
COMME ACCESSOIRES à LA
de Maurice dans un cas et avec la
Tanzanie dans l’autre cas, relève de
affirmations de l’Union
POLItIqUE ÉtRANGèRE DE
la politique étrangère et de sécurité
SÉCURItÉ COMMUNE.
Le raisonnement de la Cour de justice
commune, mais il en conteste la nadoit être rapproché de celui qu’elle
ture exclusive.
a suivi au sujet de la lutte contre le
terrorisme. Dans son arrêt rendu le
En effet, l’objet de l’accord repose
19 juillet 2012 15, la grande chambre de la Cour de justice sur l’opération militaire Atalanta afin de permettre le
affirme que l’objectif du règlement portant sur les mesures transfert des personnes soupçonnées ou convaincues
restrictives à l’encontre des personnes soupçonnées de d’avoir commis un acte de piraterie. Ces dernières se
terrorisme est de prévenir les actes terroristes et leur trouvent alors sous la juridiction des États membres
financement. Il contribue de cette manière au maintien participant à l’opération militaire. L’accord prévoit que
de la paix et de la sécurité internationale. Le fondement les suspects peuvent être transférés pour être poursuivis,
des actions menées relève pour cette raison de la politique jugés et sanctionnés. Après leur transfert, ils doivent être
étrangère de sécurité commune.
jugés dans un délai raisonnable. L’accord rappelle par
ailleurs les exigences de respect des droits de l’homme
Au sujet de la lutte contre le terrorisme, la Cour de justice dans les conditions de rétention et de transfert. Ces
aurait pu envisager matériellement une double base juridique ; accords de transferts traduisent ainsi le « volet judiciaire 18 »
elle indique en effet « si la lutte contre le terrorisme et son financement de la lutte contre la piraterie.
est certes susceptible de relever des objectifs poursuivis par l’espace de
liberté, de sécurité et de justice, tels qu’ils ressortent notamment de l’article
3, paragraphe 2, TUE, l’objectif visant à lutter contre le terrorisme L’effectivité de la lutte contre la piraterie
international et son financement afin de préserver la paix et la sécurité
au niveau international correspond toutefois aux objectifs des dispositions Pour lutter contre les formes les plus graves de criminalité,
des traités relatives à l’action extérieure de l’Union 16 ». Cependant, les institutions de l’Union peuvent faire appel aux
(15) CJUE, 19 juillet 2012, Parlement européen c./Conseil, aff. C-130/10.
(16) Arrêt précité, point 61.
(17) CJUE 24 juin 2014 et 14 juin 2016, précitées.
(18) L’expression est celle de Bosse-Platiere (I.), 2011, « Le volet judiciaire de la lutte contre la piraterie maritime en Somalie : les accords de transfert
conclus par l’Union européenne avec les États tiers », Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre-André Lecocq, Imprimerie du nord, p. 91.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
146 I DOSSIER
moyens militaires 19. La lutte contre la piraterie maritime
n’a d’ailleurs pas d’autres fondements. Elle bénéficie en
outre de la contribution financière d’États tiers à l’Union
européenne.
Les opérations militaires, moyen de lutter contre
la criminalité internationale
Dans le cadre de la politique étrangère de sécurité et de
défense commune (PSDC), l’Union européenne s’engage
dans des missions humanitaires, de prévention des conflits
et de stabilisation des accords après un conflit. Les missions
peuvent également concerner le désarmement, le conseil
et l’assistance militaire à l’égard d’un État tiers fragilisé
par un conflit 20. Le traité confie à l’Union européenne
des missions étendues pour agir dans cet objectif général
de sécurité internationale. Il énonce que la lutte contre le
terrorisme est un objectif poursuivi également dans le cadre
de ces opérations. Il faut probablement l’étendre aussi à la
lutte contre la piraterie maritime bien qu’elle ne soit pas
expressément mentionnée, car les missions trouvent toujours
leur ancrage dans la gestion des crises et plus largement dans
l’objectif de renforcer la sécurité internationale.
Dans cet objectif, plusieurs opérations sont en cours
dans les États tiers afin de garantir la paix et la stabilité
dans des zones fragilisées 21. Une dizaine d’opérations
civiles de gestion des crises est en cours ainsi que six
opérations militaires. L’opération en cours la plus
ancienne 22 est l’opération Atalanta destinée à lutter contre
la piraterie maritime, engagée en 2008, elle a été plusieurs
fois prolongée et devrait s’achever en décembre 2016.
L’opération militaire la plus récente est destinée à lutter
contre le trafic des migrants, elle concerne l’ensemble du
pourtour méditerranéen. Engagée pendant l’été 2015,
cette opération est destinée à arrêter, saisir, arraisonner,
fouiller en haute mer les navires utiles à la traite des êtres
humains ou au trafic de migrants.
Grâce aux moyens militaires et à l’ensemble des forces
humaines et matérielles en mesure d’être déployés,
les objectifs de lutte contre la criminalité peuvent être
effectivement poursuivis. Ce sont donc bien les opérations
militaires qui rendent effectives la lutte contre la criminalité
transfrontalière.
Aux opérations militaires menées dans le cadre de l’Union
européenne, il faut aussi associer celles engagées dans
le cadre de l’OTAN. En outre, les opérations civiles de
l’Union européenne menées dans le cadre de la politique
étrangère et de sécurité commune participent elles aussi
à la réussite de la lutte contre la piraterie dans les zones
géographiques concernées 23. Ces opérations sont des
opérations de l’Union européenne fondées sur les articles
28, 42 et 43 du traité sur l’Union européenne.
Le financement des opérations destinées
à lutter contre la piraterie maritime
La particularité de ces opérations porte aussi sur leur
financement. Dans le cadre de la politique étrangère
de sécurité commune, le financement des opérations
fait l’objet de nombreuses critiques. Son manque de
transparence, d’une part, et le déséquilibre entre les
contributions des États, d’autre part, sont souvent
soulignés 24. Au sujet du financement des opérations, on
peut ajouter une spécificité liée aux contributions d’États
tiers à l’Union européenne.
L’opération Atalanta représente un budget en moyenne
de 8 millions par an. Elle nécessite l’utilisation de navires
de combat, de navires auxiliaires ainsi que des avions de
reconnaissance et des patrouilles maritimes. La mission
est géographiquement étendue, elle concerne la mer
Rouge, le golfe d’Aden avec une partie de l’océan Indien
et notamment les Seychelles. Le financement est assuré
par diverses contributions. Les contributions des États
(19) Selon Cassuto (Th.), 2012, « La lutte contre la piraterie maritime », AJPénal, p. 277 ; pour l’auteur, il s’agit « d’un glissement du recours à des
moyens militaires pour lutter contre les formes les plus graves de la criminalité ».
(20) Article 43§1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
(21) Voir Tardy (Th.), 2005, «CSPD in action–What contribution to international security?», Les Cahiers de Chaillot, Institut d’études et de sécurité
de l’Union européenne, n° 134, 12 juin 2015, p.17-20 en particulier.
(22) Elle est la plus ancienne des opérations militaires en cours. Les premières opérations communes de sécurité ont été engagées en 2003, il
s’agit d’Artemis destinée à sécuriser l’acheminement de l’aide alimentaire en République démocratique du Congo. La même année débutait
aussi l’opération Concordia en Macédoine. Sur ces questions portant sur la nature des différentes missions, voir Auvrey-Finck (J.), Jurisclasseur
Europe, PESC, 2600 Historique et 2610 PESC-Acteurs, Lexis, 2013 et 2014. Voir également pour le bilan et les réformes à envisager, du même
auteur, Vers une relance de la Politique de sécurité et de défense commune ?, Actes du colloque international de Nice CEDORE/CEJM UNS
des 16 et 17 mai 2013, sous la dir. de Auvret-Finck (J.), Deboeck/Larcier, 2014.
(23) Voir en particulier l’action commune 2012/389/PESC du 16 juillet 2012, JOUE, L187 du 17 juillet 2012 p. 40-43 ; adoptée pour mettre en
place la mission EUCAP Nestor. À son sujet, voir Chevallier-Govers (C.), « La mission EUCAP Nestor, et sa contribution à la lutte contre la
piraterie maritime », in Chevalier-Geovers (C.) et Schneider (C.), L’Europe et la lutte contre la piraterie maritime, précité, p.75.
(24) Voir notamment Saoudi (M.), 2015, « Le budget de la PSDC une Europe de la défense ou une Europe des défenses ? », in Clinchamps (N.),
Monjal (P-Y.), L’autonomie stratégique de l’Union européenne : perspectives, responsabilité, ambitions et limite, Larcier, p.181-192 ; ou encore
notre article Mayeur-Carpentier (C.), 2014, « La coordination des dépenses étatiques par la Commission. L’exemple de la PESC », Revue
française des finances publiques, n°125, février, p.35-44.
L’Union européenne et la lutte contre la piraterie maritime – Coralie MAYEUR-CARPENTIER
DOSSIER I 147
tiers à l’Union sont acceptées par le Comité politique et
de sécurité 25, elles peuvent être financières et militaires.
Ainsi la Nouvelle-Zélande, la Corée 26 contribuent
matériellement à l’opération militaire et de manière
importante sans participer financièrement 27.
Les opérations civiles de gestion des crises sont inscrites
au budget de l’Union européenne, alors que les opérations
militaires et de défense relèvent des contributions
des États engagés 28. Le financement des opérations
militaires est prévu par le traité, à l’article 41 du traité sur
l’Union européenne en particulier. Sur son fondement,
un mécanisme nommé Athéna et destiné à financer les
opérations militaires et de défense a été mis en place 29. Les
coûts communs de l’opération Atalanta sont financés par
Athéna à hauteur de 7,35 millions d’euros en 2015.
Dans un rapport parlementaire français, remis au Sénat
en février dernier, une réforme des contraintes financières
de la sécurité est envisagée 30. Le rapport souligne la
particularité de la lutte contre le terrorisme en rappelant
que la Commission a proposé de ne pas comptabiliser
dans la vérification de la dette des critères du pacte de
stabilité ou encore pour l’engagement d’une procédure
pour déficit excessif 31. Ces propositions devraient pouvoir
s’appliquer à toute contribution au fonds pour la sécurité
et pourraient ainsi bénéficier également à certaines
missions de lutte contre la piraterie pour encourager les
interventions des États.
Les évolutions nécessaires
pour lutter effectivement
contre la piraterie
L’Union européenne et les États membres avec les États
tiers concernés s’engagent dans la lutte contre la piraterie
en affirmant leur volonté d’arrêter et de poursuivre
les suspects dans le respect de leurs engagements
internationaux et européens. Les textes ne permettent
cependant pas de reconnaître un véritable ensemble
commun de règles juridiques européennes. Du point
de vue de la sanction et des modalités procédurales, les
actes restent en effet très imprécis. L’affirmation d’une
compétence de l’Union dans le domaine de l’espace de
liberté, de sécurité et de justice favoriserait pourtant
l’efficacité des procédures engagées.
L’affirmation souhaitable de règles
communes en matière de sanction
et de procédure
En Europe, les règles communes de protection des
personnes en matière pénale et procédurale sont inscrites
dans la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme
a eu l’occasion de se prononcer en décembre 2014 au sujet
des actes de piraterie maritime, elle a précisé les obligations
procédurales à la charge de l’État. Des précisions au sujet
de la sanction et de l’exécution de la peine devraient
encore être apportées.
Précisions au sujet de la mise en œuvre
de la procédure d’arrestation et de poursuite
du pirate suspect
L’action menée sera effective seulement si les États
membres respectent des règles précises et communes pour
sa mise en œuvre. Leur absence entraîne des conséquences
opposées à l’objectif poursuivi. L’exemple de la France,
condamnée par la Convention européenne des droits
de l’homme dans deux affaires portant sur la poursuite
de pirates en Somalie, est significatif. Au large des côtes
(25) Le Conseil l’a autorisé sur le fondement de l’article 10§2 de l’action commune 2008/851/PESC, précitée. Et sur le fondement de l’action
commune 2008/749/PESC adoptée pour prévoir la coordination militaire des actions, JOCE, 20 sept. 2008, L 252, p.39.
(26) Décision (PESC) 2015/711 du Comité politique et de sécurité du 28 avril 2015 relative à l'acceptation de la contribution d'un État tiers à
l'opération militaire de l'Union européenne en vue d'une contribution à la dissuasion, à la prévention et à la répression des actes de piraterie et
de vols à main armée au large des côtes de la Somalie (Atalanta) (ATALANTA/4/2015), JOUE, L 113 du 1er mai 2015, p. 58–59.
(27) Décision Atalanta 2/2014 du Comité politique et de sécurité du 29 avril 2014 relative à l'acceptation de la contribution d'un État tiers à
l'opération militaire de l'Union européenne en vue d'une contribution à la dissuasion, à la prévention et à la répression des actes de piraterie
et de vols à main armée au large des côtes de la Somalie (Atalanta) et modifiant la décision ATALANTA/3/2009, JOUE, L132, du 3 mai
2014, p. 63.
(28) La règle est posée par l’article 41 du traité sur l’Union européenne.
(29) Décision 2015/528/PESC du 27 mars 2015, créant un mécanisme de gestion du financement des coûts communs des opérations de l'Union
européenne ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense (Athena), JOUE, L83 du 28 mars 2015, p.39-63.
(30) Rapport d’information n° 397, du 10 février 2016, par Keller (F.), « Mieux financer la sécurité de l’Union européenne », voir en particulier,
p. 13 au sujet des contributions des États membres et p.28-31 au sujet des propositions de réforme des financements de la défense.
(31) Rapport précité, p.34.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
148 I DOSSIER
somaliennes, deux voiliers, Le Ponant
et le Carré d’As sont accostés et
leurs occupants pris en otage. Les
pirates somaliens sont arrêtés par
les militaires alors qu’ils fuient après
avoir obtenu la rançon exigée. Ils
seront alors rapidement transférés
vers la France 32. Les autorités
judiciaires placent les suspects en
garde à vue malgré la privation de
liberté de plusieurs jours qu’ils ont
subie lors de leur transfert. La garde
à vue associée aux délais du transfert
est alors contestée par les suspects.
Ils estiment que la France n’a pas
respecté leur droit à la liberté et à la
sûreté au regard de la Convention
européenne de sauvegarde des droits
de l’homme. La Cour 33 va leur donner
raison et reconnaître la violation de
l’article 5 § 3 de la Convention.
L’UNION EUROPÉENNE
Et LES ÉtAtS MEMBRES
AVEC LES ÉtAtS tIERS
CONCERNÉS S’ENGAGENt
DANS LA LUttE CONtRE
LA PIRAtERIE EN AFFIRMANt
LEUR VOLONtÉ D’ARRêtER
Et DE POURSUIVRE LES
SUSPECtS DANS LE RESPECt
DE LEURS ENGAGEMENtS
INtERNAtIONAUX Et
EUROPÉENS. LES tEXtES NE
PERMEttENt CEPENDANt
PAS DE RECONNAîtRE
cadre d’opérations spécifiques qui
leur permettent de poursuivre et
d’arrêter les pirates en haute mer et
en ajoutant ensuite également quelles
sont les procédures de rétention puis
d’arrestation et les règles en matière
d’incrimination. La Convention
de Montego Bay sur le droit de
la mer peut servir de référence à
l’incrimination, mais en l’absence
d’effet direct de ce texte 36, il serait
souhaitable d’adopter un acte de droit
dérivé de l’Union européenne. Cet
acte pourrait être fondé sur l’article
82 § 3 du traité FUE. Il énoncerait
ainsi pour le droit de l’Union
européenne, les définitions du crime
de piraterie maritime, les procédures
à respecter par le représentant de
l’autorité et les règles en matière de
coopération judiciaire pénale.
UN VÉRItABLE ENSEMBLE
La disposition en cause impose en
Précisions au sujet du jugement
effet que la personne privée de sa
COMMUN DE RèGLES
et de l’exécution de la peine
liberté soit aussitôt présentée à un
JURIDIqUES
EUROPÉENNES.
juge ou à un magistrat. Autant la
définition du juge a pu être sujette
Les moyens techniques et humains
à interprétation autant celle de
permettent désormais de localiser
l’adverbe « aussitôt » semblait beaucoup moins difficile 34. et d’arrêter rapidement le pirate après la commission de
La Cour européenne énonce que la garde à vue de deux l’infraction. En revanche, il est rarement poursuivi ensuite 37.
jours est excessive parce qu’elle succède à une privation Il est même régulièrement relâché après avoir été arrêté 38.
de liberté de plusieurs jours qui correspond au délai Pourtant la compétence juridictionnelle est inscrite dans la
de transport. Pour la Cour, les difficultés techniques Convention sur le droit de la mer, à l’article 105 qui énonce :
ou matérielles ne sauraient justifier une violation de la « Les tribunaux de l’État qui a opéré la saisie peuvent se prononcer sur
Convention ou conduire à une interprétation différente 35. les peines à infliger, ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne
le navire, l’aéronef ou les biens, réserve faite des tiers de bonne foi ». Les
Le droit de l’Union européenne devrait se doter d’une précisions apportées quant aux peines et aux transferts des
réglementation destinée à éviter ces situations, en personnes arrêtées sont les garanties nécessaires à une lutte
rappelant d’abord le rôle des militaires agissant dans le efficace contre la piraterie maritime.
(32) La prise d’otages du voilier du Ponant a lieu en avril 2008, celle du Carré d’as au mois de septembre 2008. À ces deux exemples peut être
ajoutée une autre prise d’otages, celle du voilier Tribal Kat qui a donné lieu aussi à une arrestation grâce à l’aide des forces militaires Atalante
et qui n’a pas conduit à une condamnation des États concernés, à son sujet, voir Launay (J.), 2011, « Sécurité et Défense », Dossier « Les pièges
de la sécurité », RFDA, 6, p.1100-1101.
(33) CEDH, 4 déc. 2014, Ali Samatar et autres c/ France, req n° 17110/10 et 17301/10 et Hassan et autres c./France, req n° 46695/10 et
54588/10
(34) Tel que l’explique Renucci (JF.), 2015, « L’obligation de présenter “aussitôt” le gardé à vue à l’autorité judiciaire : présentation “à court délai”
ou présentation “sans délai” ? », Dalloz, p. 303.
(35) Selon Renucci (JF.), référence précitée, p. 304 et voir en particulier la note 20, au sujet de l’article 6 de la Convention que l’auteur transpose
aux cas de délai de garde à vue.
(36) CJCE, 3 juin 2008, aff. C-308/06, International Association of independent tanker owners ; au point 65 de l’arrêt, la Cour énonçait : « Il
s’ensuit que la nature et l’économie de la convention de Montego Bay s’opposent à ce que la Cour puisse apprécier la validité d’un acte
communautaire au regard de cette dernière ».
(37) Voir Cassuto (Th.), « La lutte contre la piraterie maritime », AJPénal, précité.
(38) Voir Daemers (J.), La répression pénale de la piraterie maritime au large de la Corne de l’Afrique, Mémoire, Aix-en-Provence, juin 2010, et voir
également « La lutte contre l’impunité au large de la corne de l’Afrique », IHEDN, 2011.
L’Union européenne et la lutte contre la piraterie maritime – Coralie MAYEUR-CARPENTIER
DOSSIER I 149
Les recherches montrent très bien que la piraterie maritime
pourra être éradiquée seulement à condition de mettre en
place un partenariat entre les autorités maritimes et terrestres
de police et de sécurité. La crainte que le succès d’Atalanta
soit « réversible » tient à cette exigence de continuité sur terre
des opérations en mer contre la piraterie 39. Ce sont aussi les
autorités judiciaires qui doivent être le relais de ces missions.
Dans l’une de ses résolutions, le Conseil de sécurité des
Nations unies affirme d’ailleurs que « le défaut de traduction en
justice des personnes responsables d’actes de piraterie et de vols à main
armée commis au large des côtes somaliennes nuit à l’action menée par
la communauté internationale contre la piraterie 40 ».
Dans un rapport 41 remis à l’assemblée générale des Nations
unies, deux aspects sont soulignés en matière judiciaire et
pénitentiaire pour renforcer la lutte contre la piraterie. Les
États doivent s’engager à incriminer la piraterie telle qu’elle
est indiquée dans la Convention des Nations unies sur le
droit de la mer et se doter d’une compétence universelle
pour connaître des actes de piraterie.
Sur le fondement des accords de transfert des pirates
conclus avec les États concernés, par l’Union européenne
et entre États voisins, ce sont en principe les États de la
région qui sont compétents pour juger l’acte commis.
Cependant, l’État qui a procédé à l’arrestation peut aussi
procéder lui-même au jugement, notamment lorsque les
victimes sont de sa nationalité. Dans le cadre de la mission
Atalanta, les pirates arrêtés sont placés en rétention par les
forces militaires de l’Union européenne jusqu’à leur remise
à l’État voisin compétent. Ce dernier peut être le Kenya 42,
les Seychelles 43, l’Île Maurice 44, la Tanzanie 45. Dans tous
les cas, les autorités répressives de l’État concerné gardent
la faculté d’exercer ou non leur compétence.
En se fondant sur des règles communes, les accords
constituent une partie de la réglementation nécessaire à
la lutte contre la piraterie maritime. Certaines dispositions
devraient être insérées dans le droit dérivé de l’Union
européenne de façon à renforcer l’action externe de
l’Union dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité
et de justice. L’acte adopté serait une véritable garantie
de continuité des actions menées au terme de la mission
Atalanta. Cette dernière, plusieurs fois renouvelée, devait
s’achever en décembre 2016.
L’affirmation souhaitable
d’une compétence externe de l’espace
de liberté, de sécurité et de justice
La dimension extérieure de l’espace de liberté, de sécurité
et de justice n’existe donc pas suffisamment, car elle
s’efface trop souvent au profit de la politique étrangère de
sécurité commune. L’obligation de cohérence des actions
menées devrait contribuer à un partage plus équilibré des
actions envisagées.
Une reconnaissance limitée d’une dimension
extérieure de l’espace de liberté, de sécurité
et de justice
Dans l’arrêt portant sur l’identification matérielle de la
lutte contre le terrorisme, la Cour de justice indique que la
lutte contre le terrorisme et son financement pourraient
relever de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, mais
elle l’écarte en considérant que l’objectif de paix et de
sécurité relève de l’action extérieure de l’Union dans le
cadre de la politique étrangère et de sécurité commune 46.
Le juge de l’Union applique aussi un raisonnement finaliste
dans son appréciation de la nature des accords externes
destinés à lutter contre la piraterie. Dans l’affaire relative
à l’accord conclu avec la Tanzanie, la Cour se fonde sur
les conclusions de son avocat général pour rappeler que
l’acte doit être apprécié dans sa globalité 47. Elle confirme
ainsi l’appréciation donnée sur l’accord conclu avec la
République de Maurice 48.
(39) L’expression et la démonstration de cette exigence sont celles de Chevallier-Govers (C.), « La mission eucap-Nestor de l’Union européenne
et sa contribution à la lutte contre la piraterie maritime », in Chevallier-Govers (C.) et Schneider (C.), L’Europe et la lutte contre la piraterie
maritime, précité, p. 75.
(40) Résolution 1918 du 27 avril 2010, adoptée lors de la 6 301e séance ; point 1, p.3 ; site de l’ONU, www.un.org.
(41) Rapport de Lang (J.), Pour les questions juridiques liées à la piraterie au large des côtes somaliennes, consultable en ligne : http://fr.scribd.com/
doc/72705271/Le-rapport-de-Jack-Lang-sur-la-piraterie-maritime-en-Somalie.
(42) Selon l’accord conclu avec le Kenya, sous forme d’échanges de lettres, voir l’article 2.b. ; JOCE, L79 du 25 mars 2009, p. 51.
(43) Selon l’accord conclu avec les Seychelles sous forme d’échanges de lettres, le 2 décembre 2009, JOUE, L315, p. 37.
(44) Voir l’article 1 de l’accord conclu avec l’île Maurice, le 30 septembre 2009, JOUE, L254, p. 3 ; l’accord concerne le transfert aux autorités
de la République de Maurice pour les actes commis en haute mer au large des eaux territoriales de Maurice, de Madagascar, des Comores,
des Seychelles et de La Réunion.
(45) Voir l’article 3 de l’accord conclu avec la Tanzanie, le 11 avril 2014, JOUE, L108, p.4.
(46) Voir CJUE, 19 juil. 2012, Parlement européen c./ Conseil, aff. C-130/10.
(47) Voir CJUE, 14 juin 2016, Parlement européen et Commission c./Conseil, aff. C-263/14, point 47.
(48) Voir CJUE, 24 juin 2014, Parlement européen c./Conseil, aff. C-658/11, précitée, points 44 et 45.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
150 I DOSSIER
Pourtant, l’examen matériel de l’acte conduit à un
rattachement à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
Cet examen ne s’oppose d'ailleurs pas à l’interprétation
finaliste avancée par la Cour de justice. En effet, le juge
aurait pu tout aussi bien affirmer que l’opération militaire
Atalanta est un moyen destiné à garantir la répression des
actes de piraterie, en prévoyant notamment de sécuriser
l’acheminement de certaines denrées alimentaires et en
mettant en place des règles de transfert et de sanction des
auteurs des actes de piraterie et de vol à main armée. La
Cour de justice énonce plutôt que l’accord conclu avec
la Tanzanie est un instrument de l’opération Atalanta 49.
La contribution militaire impose le rattachement à la
politique étrangère et de sécurité commune.
Pourtant le cas de la lutte contre la piraterie maritime
interroge notamment en raison de l’affirmation selon
laquelle les accords de transfert sont des accessoires de
l’opération Atalanta, car une fois l’opération terminée, les
accords seront alors dépourvus d’objet et de fondement.
L’opération sera pourtant encore nécessaire à la stabilité
dans la région, mais ce sont les aspects civils destinés à
garantir la sécurité sur le territoire, maritime et terrestre, qui
devront être développés. La scission entre les fondements
de la politique étrangère de sécurité commune et ceux
relevant de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
présentera le risque de voir s’achever l’action militaire
sans qu’une action en matière de justice et de sécurité lui
succède. Pour l’éviter, il faut que la mission soit continuée
après l’achèvement de l’opération militaire en se fondant
alors sur la compétence extérieure de l’Union en matière
de justice et de police.
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les actes
adoptés sont eux aussi désormais rattachés à la politique
étrangère et de sécurité commune, cependant tous les
accords externes qui y sont associés ne sont pas fondés
sur les dispositions de la politique étrangère et de sécurité
commune. L’exemple caractéristique est celui de l’accord
sur le « Passenger Name Record » (PNR). Ce dernier est
destiné à prévenir et lutter contre le terrorisme et d’autres
formes graves de criminalité transnationale, pourtant il
ne se fonde pas sur la politique étrangère et de sécurité
commune et ne la mentionne pas. La complémentarité
des actions ne fait pourtant pas de doute. Il faudrait
d’ailleurs développer l’autonomie et la complétude des
actions sur les deux fondements 50. Ainsi, en dépit des
affirmations de la Cour de justice, le caractère accessoire
et les justifications en faveur d’une matière ne sont pas
convaincants.
La nécessité d’une base juridique nouvelle pour
lutter contre les formes graves de criminalité
Dans l’affaire portant sur la contestation de l’accord
conclu avec la Tanzanie, le Parlement conteste la base
juridique 51 matérielle utilisée pour la conclusion de
l’accord de transfèrement des pirates et estime en outre
que la procédure associée à la base juridique de conclusion
de l’accord externe de la PESC n’est pas adaptée. La Cour
de justice écarte le premier moyen, mais elle lui reconnaît
un droit d’intervention dans les négociations en exigeant
qu’il en soit pleinement informé.
Pour le Parlement européen, il y a une véritable avancée
dans les arrêts rendus dans les deux affaires portant sur la
contestation de l’accord de transfert des pirates. La victoire
n’est pas entière, mais la Cour montre par conséquent que
les bases juridiques présentent des lacunes.
L’affirmation pourrait d’ailleurs être appliquée à tous les
accords externes conclus avec des États tiers afin de lutter
contre les formes de criminalité les plus graves. Même si
l’article 218 du traité paraît suffisamment développé, il
reste lacunaire. Une disposition destinée à la procédure
de conclusion des accords conclus pour lutter contre la
criminalité internationale pourrait y être insérée.
Dans cet objectif, il faudrait au moins apporter des
précisions à l’un des alinéas à l’article 218 du traité, en
ajoutant par exemple un point supplémentaire à l’alinéa 6,
qui pourrait être ainsi rédigé : « accords destinés à lutter contre
les formes graves de criminalité dans les domaines cités à l’article 83
du traité FUE et en particulier le terrorisme, la piraterie maritime,
les trafics illicites d’armes, de drogue ». Au-delà du rappel de la
spécificité de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
dans l’Union européenne, cet ajout identifierait la base
juridique matérielle et devrait contribuer à limiter les
contentieux. Il serait également la manifestation de la
reconnaissance d’une dimension extérieure de l’espace de
liberté, de sécurité et de justice n
(49) Voir CJUE, 14 juin 2016, Parlement et Commission c./Conseil, aff. C-263/14, point 54, la Cour énonce : « il constitue un instrument par lequel
l’Union poursuit les objectifs de l’opération Atalanta […] ».
(50) Cette évolution souhaitable en renforçant la complémentarité des actions tout en préservant leur autonomie est déjà proposée par l’avocat
général Y. Bot dans ses conclusions sur l’affaire précitée, C-130/10, voir notamment les points 77 et 78 des conclusions.
(51) Voir Hugo Flavier (H.), 2016, "Parlement européen et relations extérieures : une révolution démocratique en marche", RTDE, p.293.
L’Union européenne et la lutte contre la piraterie maritime – Coralie MAYEUR-CARPENTIER
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DOSSIER I 151
Agathe PIQUET
Diplômée
de l’Institut
d’études
politiques de
Toulouse et
doctorante
en science politique au
sein du Centre d’études et
de recherches de sciences
administratives et politiques
(CERSA, Université
Panthéon-Assas, Paris). Sa
thèse de doctorat porte sur
les acteurs, dynamiques et
rationalités au cœur de la
création et de l’expansion
de l’Office européen de
police. Elle vient de publier
un article intitulé « Europol
et la ‘‘sécuritisation” des
migrations irrégulières » dans
la revue Migrations Société.
Le nouveau règlement Europol :
un cas d’entreprenariat politique
supranational de la Commission
européenne ?
Agathe PIqUEt
L’adoption en cours du règlement Europol qui entrera en vigueur le 1 avril 2017 suscite des
interrogations quant aux potentielles évolutions de l’Office qu’il pourrait inclure. Cet article
s’intéresse plus particulièrement aux luttes entre la Commission européenne, le Parlement
européen et les représentants des États membres qui ont structuré les négociations de ce
texte et le résultat final. À cette fin, le concept d’« entrepreneur politique supranational » est
mobilisé pour analyser le rôle de la Commission européenne et ses propositions concernant
trois dimensions clés distinctes d’Europol : son mandat, ses fonctions et sa gouvernance. Cette
analyse révèle alors l’activisme de la Commission européenne qui a exprimé ses ambitions
de supranationalisation de l’agence dans son projet de règlement et négocié dans ce sens.
Toutefois, le Parlement européen et surtout les représentants nationaux ont grandement
encadré et restreint ces dernières, acceptant uniquement certaines évolutions qui garantiraient
plus d’efficacité à l’agence. Europol reste par conséquent encore éloigné d’une éventuelle police
européenne, mais certaines dynamiques enclenchées amènent à se questionner sur son avenir.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
152 I DOSSIER
L'
Office européen de police (Europol) est
l’agence européenne en charge d’assister
les autorités répressives nationales dans la
lutte contre les formes graves de criminalité
internationale. La convention, la base juridique à l’origine
de sa création, signée en 1995 1, a été remplacée par une
décision du Conseil en 2009 2 qui sera elle-même très
prochainement remplacée par un règlement, comme
le prévoit l’article 88 du traité de Lisbonne. Disposant
du pouvoir d’initiative, la Commission européenne a
inauguré la dynamique des discussions en soumettant le
27 mars 2013 une proposition de règlement 3. Le 24 février
2014, le Parlement européen a voté les amendements
au projet de la Commission 4, et les 5 et 6 juin 2014, le
Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) a adopté son
orientation générale 5. Puis, ont suivi dix trilogues entre
la Commission, le Parlement européen et le Conseil JAI,
jusqu’à ce qu’un compromis sur le texte final soit obtenu
le 26 novembre 2015 6.
Un contexte spécifique a entouré les négociations du
règlement qui entrera en vigueur le 1er avril 2017. En
effet, ces dernières années, le soutien au développement
d’Europol de la part des acteurs politiques nationaux et
européens semble s’être intensifié. Europol a obtenu de
nouvelles prérogatives face à la perception de multiples
crises de sécurité intérieure, comme l’illustre par exemple
la création en 2016 au sein d’Europol d’un centre européen
de lutte contre le trafic de migrants et d’un centre européen
de contre-terrorisme. Dans ces circonstances récentes,
certains acteurs ont même plaidé pour la transformation
d’Europol en une « véritable agence européenne », à l’instar des
députés européens socialistes et démocrates 7, considérant
que ce serait la seule réponse efficace aux problèmes
rencontrés en matière de sécurité intérieure.
La Commission européenne tend également à soutenir la
transformation d’Europol en une agence supranationale :
« La Commission défend l’intérêt supranational et les outils mis en
place doivent profiter à l’Europe […], c’est pour ça que les positions
d’Europol tendent toujours vers plus de pouvoir en tant qu’instance
supranationale 8 ». De ce fait, la transformation d’Europol
en une agence supranationale offrirait des prérogatives
supplémentaires à la Commission. En outre, la création
d’une police européenne supranationale représenterait une
étape majeure vers l’instauration de la fédération d’États que
la Commission désire 9, puisque le pouvoir de police est une
prérogative régalienne à la base de tout État [Walker, 2003,
p. 112 ].
En encourageant cette évolution d’Europol, la Commission
européenne peut être considérée comme un « entrepreneur
politique supranational » [Kaunert, 2010, p. 3], c’est-à-dire
une institution supranationale active qui cherche à affirmer
ses propres préférences et représentations en faveur de la
supranationalisation à d’autres acteurs [Sandholtz et Stone
Sweet, 1998]. Pour cela, trois options se présentent à elle
[Kaunert, 2010, p. 42] : l’avantage du « premier arrivé » si
elle arrive plus rapidement avec ses propositions que ses
rivaux ; la stratégie de persuasion si les autres acteurs
doivent être convaincus des raisons données ; la création
d’alliances s’il lui est vital de former des alliances avec
d’autres acteurs puissants pour créer un effet « locomotive »,
attirant des acteurs supplémentaires.
Par conséquent, cet article s’interrogera sur la potentielle
transformation d’Europol en une agence supranationale que
pourrait contenir le règlement en cours d’adoption du fait de
l’activisme de la Commission européenne. Cela signifie donc
chercher à comprendre dans quelle mesure la Commission
a joué un rôle d’entrepreneur politique supranational et a
réussi à imposer certaines de ses préférences dans le texte
final du règlement en se saisissant notamment du contexte
de la sollicitation récente de l’agence.
(1) Convention sur la base de l’article K.3 du traité de l’Union européenne sur la création d’un Office européen de police, JO C 316/1, 27/11/1995.
(2) Décision du Conseil 2009/371/JAI du 4 juillet 2009, établissant l’Office européen de police, JO L 121/37, 15/05/2009.
(3) Proposition d’un règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération et la formation
des services répressifs (Europol) et abrogeant les décisions 2009/371/JAI et 2005/681/JAI, COM (2013) 173 final.
(4) Proposition d’un règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération et la formation
des services répressifs (Europol) et abrogeant les décisions 2009/371/JAI et 2005/681/JAI, COM (2013) 173 final – Résultat de la première
lecture du Parlement européen, 6745/1/14 REV 1.
(5) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération et la formation des
services répressifs (Europol) et abrogeant les décisions 2009/371/JAI et 2005/681/JAI (première lecture) - Orientation générale du Conseil,
document 10033/14.
(6) Règlement relatif à l'Agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) et remplaçant et abrogeant les
décisions du Conseil 2009/371/JAI, 2009/934/JAI, 2009/935/JAI, 2009/936/JAI et 2009/968/JAI.
(7) http://www.socialistsanddemocrats.eu/fr/newsroom/pour-vaincre-le-terrorisme-20-europol-doit-devenir-le-fbi-europ-en-affirme-gianni-pittella
(8) Entretien avec deux officiers de la direction de la Coopération internationale de la direction centrale de la Police judiciaire, décembre 2015.
(9) Voir par exemple le discours sur l’état de l’Union de José Barroso en 2012, http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-12-596_
fr.htm?locale=fr
Le nouveau règlement Europol : un cas d’entreprenariat politique supranational de la Commission européenne ? – Agathe PIQUET
DOSSIER I 153
Nous supposerons alors dans cet article que la Commission
a principalement mobilisé la stratégie du « premier arrivé »
du fait d’un projet de règlement ambitieux. Les stratégies
de persuasion et d’alliances semblent moins probables
dans la mesure où la Commission avance principalement
des justifications légales et qu’elle rencontre souvent des
résistances de la part des représentants nationaux, et que
sur le cas du règlement Europol, le Parlement européen
paraît avoir plutôt soutenu ces derniers (« Le Parlement
européen, qui est parfois perçu comme posant des problèmes, avait
finalement très fréquemment des positions proches des nôtres 10) ». Ce
sont justement ces tensions avec le Conseil et le Parlement
européen qui seront considérées comme ayant entravé
la capacité d’entreprenariat politique supranational de
la Commission européenne durant les négociations.
Cette analyse permettra alors de comprendre l’équilibre
interinstitutionnel à l’œuvre dans le cas d’Europol, ainsi
que les dynamiques fondamentales qui structurent les
évolutions de l’agence.
À cette fin, cet article se fondera sur l’étude des
propositions de la Commission européenne, sur les
amendements effectués par le Parlement européen et le
Conseil, sur des documents de travail et sur des entretiens
avec des acteurs impliqués dans les négociations. Trois
dimensions seraient particulièrement révélatrices d’un
processus de supranationalisation d’Europol : un mandat
étendu et plus « européanisé » ; des fonctions plus exécutives
et supranationales ; une gouvernance par les institutions
européennes [Occhipinti, 2003 p. 230]. Seront donc étudiées
successivement les évolutions du mandat d’Europol, de
ses capacités d’action et de ses missions, et enfin de sa
gouvernance afin de déterminer si le règlement prévoit des
évolutions dans ce sens et à qui elles sont imputables.
La poursuite de la dynamique
d’élargissement du mandat
d’Europol
Initialement, Europol n’était compétent que sur la lutte
contre la criminalité en matière de drogue et le blanchiment
de capitaux qui y était lié, comme le prévoyait l’accord
ministériel de 1993. Cependant, le mandat de l’Office a été
grandement modifié par diverses décisions ad hoc, par la
convention Europol de 1995 et par la décision de 2009 qui
constitue le cadre de référence jusqu’à l’entrée en vigueur
du règlement. Le règlement contient deux nouveaux
éléments majeurs concernant le mandat d’Europol par
rapport à 2009 : un mandat plus européen et une évolution
de l’annexe qui énumère les formes de criminalité pour
lesquelles Europol est compétent
Un mandat plus européen
De prime abord, l’article 3 stipule que « Europol appuie et
renforce l’action des autorités compétentes des États membres et leur
collaboration mutuelle dans la prévention de la criminalité grave
affectant deux ou plusieurs États membres, du terrorisme et des
formes de criminalité qui portent atteinte à un intérêt commun qui
fait l’objet d’une politique de l’Union, ainsi que dans la lutte contre
ceux-ci, énumérées à l’annexe I ». Cette évolution est proposée
par la Commission européenne qui la justifie en précisant
qu’Europol est une « agence de l’UE 11 ». Le Conseil ne
s’oppose pas à l’idée de la Commission, bien que cette
modification du mandat d’Europol semble représenter
un changement marquant dans la mesure où Europol
n’est plus seulement au service des États membres, mais
soutient également l’Union européenne (UE).
Cet article permet de ce fait à l’Office de travailler
notamment sur la fraude au budget de l’UE 12 qui est
citée dans l’annexe, sous la forme des « infractions portant
atteinte aux intérêts financiers de l’Union ». Premièrement, par
cet ajout, la Commission européenne veut rapprocher les
mandats d’Europol et d’Eurojust qui est déjà compétent
sur cette question 13 pour créer de la cohérence dans le
cadre de la négociation parallèle des règlements respectifs
des deux agences. Toutefois, en plus de cet alignement,
la Commission est l’institution en charge de défendre
l’intérêt de l’Union, et l’action d’Europol en matière
de lutte contre la fraude au budget de l’UE permet
d’ajouter un instrument à la « boîte à outils » qu’elle tente de
développer, déjà composée entre autres de son projet de
règlement relatif à un parquet européen sur ce sujet 14 ; ou
encore de son projet de directive relative à la lutte contre
la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union
au moyen du droit pénal 15.
(10) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
(11) COM (2013) 173 final, considérant 8.
(12) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
(13) Décision du Conseil 2002/187/JAI du 28 février 2002 instituant Eurojust afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité, JO
L 63/1, 06/03/2002.
(14) Proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen, 17/07/2013, COM (2013) 534 final.
(15) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union
au moyen du droit pénal, 11/07/2012, COM (2012) 363 final.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
154 I DOSSIER
Cette « européanisation » du mandat d’Europol peut
également être porteuse de manière plus large pour
l’agence dans la mesure où aucune autre autorité policière
nationale ne dispose de prérogatives similaires sur les
questions européennes. Ce développement rappelle
alors la capacité d’action très marquée d’Europol en
matière de faux monnayage de l’euro, car il a bénéficié
du manque de volonté des autorités nationales dans ce
domaine plus européen, ce qui lui a permis de jouir d’un
champ d’activités propre [Busuioc, Curtin et Groenleer,
2011, p. 859]. Dans ce sens, cette nouvelle compétence
d’Europol pourrait renforcer la crédibilité de l’agence
qui comblerait des failles entre les systèmes nationaux,
acquerrait une légitimité supérieure et davantage
d’autonomie, ce que la Commission européenne souhaite,
tandis que les représentants des États membres ne s’y
opposent pas pour des raisons d’efficacité.
Des formes de criminalité additionnelles
dans le champ d’action d’Europol
Un deuxième changement majeur apporté par le règlement
au mandat de l’agence est la modification de l’annexe qui
précise les formes de criminalité pour lesquelles Europol
est compétent. De ce fait, par rapport à la décision de 2009
qui reprenait à l’identique l’annexe de la convention de
1995, sont ajoutées les « infractions portant atteinte aux intérêts
financiers de l’Union », comme développé précédemment.
Sont également intégrés les « délits d’initiés et manipulation des
marchés financiers », ainsi que les « abus sexuels et exploitation
sexuelle, y compris matériel pédopornographique et sollicitation
d’enfants à des fins sexuelles ». Comme dans la logique évoquée
supra, l’inclusion de ces deux formes de criminalité permet
un alignement du mandat d’Europol sur celui d’Eurojust
puisque les textes relatifs à ce dernier identifient clairement
sa compétence sur ces formes de criminalité 16. Cependant,
ces évolutions de l’annexe permettent également de
mettre en exergue l’action d’Europol dans le traitement
de ces questions. D’une part, le travail d’Europol a été
intensifié récemment dans le domaine de la criminalité
économique 17. D’autre part, Europol jouit d’une certaine
légitimité reconnue en matière de lutte contre les abus
sexuels et l’exploitation sexuelle, surtout dans la lutte
contre la pédopornographie 18, avec un soutien très actif
de la Commission.
Enfin, l’apparition des « génocides, crimes contre l’humanité et
crimes de guerre » dans le champ de compétences d’Europol
est liée à une proposition du Conseil qui semble suivre les
recommandations de la stratégie du réseau Génocide de
novembre 2014 19. Ce dernier offre en effet de « modifier le
mandat d’Eurojust et d’Europol pour y incorporer les grands crimes
internationaux 20 » et cette idée est alors intégrée lors de la
révision des règlements respectifs des deux agences.
En définitive, l’ensemble de ces éléments contribue
à l’élargissement de la capacité d’action d’Europol,
dynamique à l’œuvre depuis la création de l’agence.
Plusieurs modifications du règlement ont pu être proposées
par la Commission européenne qui vise à affirmer le
rôle et l’expertise d’Europol dans certains domaines.
Les représentants nationaux, face à la justification des
bases légales avancée par la Commission, ainsi que par
pragmatisme pour obtenir plus de résultats dans la lutte
contre les formes graves de criminalité internationale,
ne tendent pas à s’opposer à ces changements, d’autant
plus qu’eux-mêmes ont souvent été prompts à étendre
le mandat d’Europol. Il s’avère alors pertinent de
s’interroger sur la portée de ces changements et sur la
façon dont Europol les utilisera pour justifier son activité
dans la mesure où aucune définition précise n’est apportée
aux formes de criminalité, laissant diverses possibilités
d’interprétation.
Un FBI européen en filigrane ?
La convention Europol prévoyait de confier à l’Office des
capacités d’action relativement limitées, essentiellement
la facilitation des échanges d’information, la collecte et
l’analyse de données. La décision de 2009 ajoute certains
éléments majeurs, comme la possibilité de suggérer la
constitution d’équipes communes d’enquête, de demander
aux services nationaux d’ouvrir, de mener ou coordonner
des enquêtes, ou encore un rôle d’évaluation et d’analyse
stratégique des menaces. Pour analyser les évolutions des
missions d’Europol prévues dans le règlement, seront
(16) Décision du Conseil 2002/187/JAI ; décision du Conseil 2009/426/JAI du 16 décembre 2008 sur le renforcement d’Eurojust et modifiant
la décision 2002/187/JAI instituant Eurojust afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité, JO L 138/12, 04/06/2009.
(17) Entretien avec deux officiers de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, décembre 2015.
(18) Entretien avec un officier de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, avril 2016.
(19) Ce dernier, abrité à Eurojust, a été créé en 2002 dans la dynamique post-11 septembre 2001 et est composé de procureurs, d’inspecteurs de
police et d’autres experts de tous les États membres.
(20) http://www.eurojust.europa.eu/Practitioners/Genocide-Network/Documents/Strategy-Genocide-Network-2014 -11-FR.pdf
(21) Par exemple, http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/jean-vincent-place-devrait-avoir-un-fbi-europeen-1291916; ou encore l’intervention de
Guy Verhofstadt au Parlement européen, le 12 avril 2016.
Le nouveau règlement Europol : un cas d’entreprenariat politique supranational de la Commission européenne ? – Agathe PIQUET
DOSSIER I 155
considérées successivement les quatre grandes fonctions
d’Europol envisagées par ce texte : la formation, les
activités opérationnelles sur le terrain, le traitement de
l’information et l’expertise. Cette étude visera à déterminer
si les transformations d’Europol le rapprochent du « FBI
européen » que certains acteurs ont appelé de leurs vœux 21.
problème, car « le Cepol s’intéresse à tout le spectre de l’activité
policière et donc ce n’était pas la même dimension avec un problème de
culture 26 ». Même le directeur d’Europol semblait réticent à
cette idée craignant une insuffisance de moyens financiers
pour pouvoir assumer l’ensemble de ces missions : « [Le
directeur] a dit clairement une fois qu’il ne voulait pas, car quand on
avait créé le centre européen de cybercriminalité, on lui avait promis
tant de millions d’euros, puis ça a diminué, puis on lui a dit de faire
à budget constant et là ce sera la même chose avec le Cepol 27 ». De
La capacité de formation d’Europol
plus, le Parlement européen était opposé à cette fusion,
en débat
car il considérait qu’Europol et le Cepol avaient « des
objectifs et des missions très différents en matière de coopération 28 ».
De prime abord, la capacité d’action d’Europol en matière Cependant, la proposition de la Commission européenne
de formation a suscité d’importants débats puisque la n’a pas été totalement vaine puisque, par l’article 4,
Commission européenne voulait
le règlement permet à présent à
fusionner Europol et le Collège
Europol de financer des formations
européen de police (Cepol). Elle
réalisées au sein des États membres.
LES REPRÉSENtANtS
s’appuyait sur l’approche commune
concernant les agences décentralisées
NAtIONAUX ÉtAIENt
de l’UE de juillet 2012 qui prévoit
Vers un Office plus
OPPOSÉS à UN EUROPOL
qu'« une fusion devrait être envisagée
opérationnel ?
lorsque les missions des agences se recoupent,
DOtÉ DE POUVOIRS
que des synergies sont possibles entre elles
EXÉCUtIFS AFIN D’ÉVItER
Deuxièmement, la dimension
ou que leur efficacité serait accrue dans une
22
opérationnelle d’Europol n’a été que
plus grande structure ». Ainsi, pour la
tOUtE POtENtIELLE
très peu modifiée par le règlement.
Commission, une fusion des deux agences
tRANSFORMAtION
Dans ce sens, il est clairement précisé
aurait été synonyme de gains d’efficience
à l’article 4 qu’Europol « n’applique pas
dans ce sens, assurant une certaine continuité
D’EUROPOL EN UN
de mesures coercitives dans l’exercice de ses
et cohérence entre la formation et les besoins
OFFICE SUPRANAtIONAL
missions », c’est-à-dire que les agents
opérationnels, tout en limitant les doublons
d’Europol ne peuvent pas procéder
et en permettant des économies 23.
qUI POURRAIt êtRE EN
à des arrestations, participer aux
MESURE DE DONNER
fouilles ou encore porter d’arme.
Néanmoins, les représentants
Cette proposition est déjà présente
nationaux s’y sont farouchement
DES INStRUCtIONS AUX
dans le projet de règlement de la
opposés, donnant lieu à un « bras
OFFICIERS NAtIONAUX
Commission européenne, qui se
de fer entre la Commission européenne et
révèle être pragmatique, et n’est
les États membres 24 ». En effet, ces
DE POLICE.
pas remise en question par les
derniers « craignaient que la fusion fasse
représentants nationaux qui refusent
disparaître le Cepol du fait des budgets et
car la formation n’est jamais prioritaire au sein d’une structure par l’attribution de pouvoirs exécutifs à Europol : « La ligne
rapport à l’opérationnel 25 », avec le risque que ces économies rouge c’est d’arriver là où on en est avec coopération, coordination,
d’échelle nuisent à la qualité de la formation, et même analyse, échange d’information, mais aucun pouvoir exécutif,
aux missions d’Europol. En outre, la fusion aurait posé aucun pouvoir direct opérationnel dans les États 29 ». L’octroi de
(22) Déclaration commune du Parlement européen, du Conseil de l'UE et de la Commission européenne sur les agences décentralisées, http://
europa.eu/european-union/sites/europaeu/files/docs/body/joint_statement_and_ common_approach_2012_fr.pdf
(23) COM (2013) 173 final, p. 4.
(24) Entretien avec un officier de police de la section JAI de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, avril 2016.
(25) Entretien avec deux officiers de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, décembre 2015.
(26) Ibid.
(27) Ibid.
(28) Rapport du 07/02/2014 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’Agence de l’Union européenne pour
la coopération et la formation des services répressifs (Europol) et abrogeant les décisions 2009/371/JAI et 2005/681/JAI, par Agustin Diaz
de Mera, document A7-0096/2014, p.6.
(29) Entretien avec un ancien directeur du secteur JAI du Secrétariat général du Conseil, avril 2016.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
156 I DOSSIER
pouvoirs exécutifs à Europol aurait alors, premièrement,
posé des problèmes juridiques en relation avec les modalités
d’intervention des agents d’Europol et avec la nature de
l’autorité juridique qui aurait contrôlé l’action d’Europol.
En second lieu, les représentants nationaux étaient opposés
à un Europol doté de pouvoirs exécutifs afin d’éviter
toute potentielle transformation d’Europol en un Office
supranational qui pourrait être en mesure de donner des
instructions aux officiers nationaux de police : « On veut
qu’Europol reste dans des fonctions d’appui même si on les optimise,
de coordination, mais on veut que les États membres conservent leurs
prérogatives, qu’il puisse y avoir un échange accru, pas de problème,
mais on ne veut pas glisser vers une organisation supranationale 30 ».
De plus, dans le règlement, la dimension opérationnelle
d’Europol est très peu modifiée, malgré le flou d’une
capacité évoquée à l’article 4 de « coordonner, organiser et
réaliser des enquêtes et des actions opérationnelles pour soutenir et
renforcer les actions des autorités compétentes des États membres ».
En effet, le seul véritable changement apporté par l’article
5 au rôle d’Europol dans les ECE est la mise en exergue
de la possibilité de l’agence de financer des ECE, du fait
de l’insistance notamment des représentants nationaux
qui considèrent la valeur ajoutée financière d’Europol.
De même, la capacité d’Europol à demander l’ouverture
d’enquête pénale est peu transformée par l’article 6 par
rapport à 2009, si ce n’est qu’Europol informe Eurojust
immédiatement et non plus avant de déposer la demande
d’ouverture d’une enquête. Malgré l’accent mis sur
l’intérêt de ces modalités d’action de l’agence, ce manque
d’évolution peut être compris à la lumière des difficultés
encore persistantes de mise en œuvre des ECE incluant
Europol, ainsi que du très faible recours d’Europol à la
demande d’enquêtes pour éviter toute tension avec les
services nationaux [Groenleer, Busuioc et Curtin, 2010,
p. 16]. Par conséquent, ces points n’ont pas impliqué un fort
investissement de la Commission européenne qui a repris
les dispositions déjà existantes de la décision de 2009.
Le traitement de l’information comme
modalité d’action centrale d’Europol
Le préambule du règlement reprend le programme de
Stockholm qui considère qu’Europol doit devenir le
« centre névralgique de l’échange d’informations entre les services
répressifs des États membres et jouer le rôle de prestataire de services
et de plate-forme pour les services répressifs ». Ainsi, les capacités
opérationnelles précédemment évoquées contribuent à
cette ambition, mais le cœur de cette idée est de renforcer
Europol dans le traitement des données.
En premier lieu, si les sources potentielles d’information
d’Europol ne sont pas réellement modifiées, leur utilisation
par l’agence est facilitée. Ceci est spécifiquement avéré
pour les parties privées puisqu’Europol peut traiter des
données à caractère personnel issues de parties privées
originaires d’un plus grand nombre de sources par
rapport à 2009, et peut transmettre des données à ces
parties privées, bien que ce soit de manière très encadrée
et limitée à des situations exceptionnelles. Il ne peut
néanmoins ni traiter de données à caractère personnel
reçues directement des parties privées, ni entrer en contact
avec ces dernières, point sur lequel le Parlement européen
a insisté. La plupart de ces facilités d’action n’étaient pas
prévues dans le projet de règlement de la Commission,
mais ont été intégrées du fait d’un nouveau besoin,
suite aux attentats de Paris de janvier 2015, car Europol
a étendu son activité dans le domaine de la lutte contre
la propagande radicale sur Internet, par le biais d’une
unité chargée du signalement des contenus sur Internet
(Internet Referral Unit, IRU 31), créée en juillet 2015 et
évoquée à l’article 4. L’objectif était également plus
généralement de soutenir le travail du centre européen de
cybercriminalité (EC3) au sein d’Europol 32, d’offrir des
capacités d’action supérieures à Europol, ainsi qu’une
autonomie plus marquée, mais encadrée.
Un deuxième changement majeur est l’introduction d’un
nouveau concept de traitement de l’information. En effet,
la décision de 2009 décrit différents éléments du système
de gestion de l’information par Europol, leurs fonctions
et contenus propres (système d’information Europol,
fichiers de travail à des fins d’analyse, etc.). Le règlement
ne fait plus mention d’aucun de ces éléments de manière
distinctive, car « l’ensemble du traitement de l’information est
pris par ses finalités. On décrit des finalités possibles aux données
qui seront fournies à Europol, on dit qu’Europol a des systèmes de
traitement de l’information, mais sans dire lesquels, on dit que ces
systèmes doivent tous respecter un certain nombre de contraintes et
exigences […] en matière de sécurité, de protection des données, de
respect de la propriété de l’information 33 ».
Selon l’article 19, la finalité des données est déterminée
par les fournisseurs des informations qui précisent
(30) Entretien avec deux officiers du secteur Sécurité de l’Espace européen du Secrétariat général des affaires européennes, octobre 2015.
(31) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
(32) Note des services de la Commission européenne au Comité permanent de coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure du
29/03/2012, 8261/12, p. 4.
(33) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
Le nouveau règlement Europol : un cas d’entreprenariat politique supranational de la Commission européenne ? – Agathe PIQUET
DOSSIER I 157
dans le même temps les éventuelles limitations d’accès
et d’utilisation des données. Europol ne peut traiter
les données transmises pour d’autres finalités que
celles déterminées en obtenant l’autorisation des
fournisseurs des données. Les finalités sont précises
et les suivantes selon l’article 18 : les recoupements
d’information ; les analyses stratégiques ou thématiques ;
les analyses opérationnelles (qui impliquent des précisions
supplémentaires à apporter par le fournisseur des données
sur demande du Parlement européen) ; la facilitation de
l’échange entre les États membres, les États tiers et les
organisations internationales, les organes de l’Union et
Europol, finalité ajoutée par les représentants nationaux.
La Commission européenne considérait que le système
de 2009 diminuait l’efficacité opérationnelle d’Europol 34
et le contrôleur européen de la protection des données
(CEPD) était également favorable à cette approche, car
les précisions des finalités étaient considérées comme
plus protectrices pour les données 35. Europol a, de
même, insisté sur ce nouveau système pour disposer
de plus de flexibilité puisque ce concept intégré de
gestion des données lui permet notamment de créer
davantage d’interconnexions entre ses bases de données
et de disposer d’une plus grande liberté d’arbitrage 36.
Cependant, pour les représentants nationaux, notamment
français, l’octroi d’une finalité à des données pourrait se
révéler assez contraignant, car chaque finalité implique
un traitement spécifique de l’information alors qu’une
même information pourrait être traitée pour des finalités
différentes : « Cela semblait réducteur de prédéfinir quatre finalités
uniquement et de faire comme si derrière il n’y avait pas un système
et comme si un État membre pouvait choisir juste une finalité, et que
s’il en choisissait deux, il fallait voir quelles conséquences en tirer
et ce qui prévalait comme régime de protection 37 ». Toutefois, les
représentants nationaux, n’ayant pas réussi à trouver une
alternative crédible, durent s’incliner sur ce point.
Un troisième changement majeur du règlement est
lié aux relations d’Europol avec des États tiers et des
organisations internationales pour l’échange de données,
y compris à caractère personnel. En effet, la décision de
2009 prévoyait des coopérations sous la forme d’accords
conclus entre Europol et ces acteurs sur la base d’une liste
approuvée par le Conseil, avec de possibles dérogations.
Néanmoins, outre certaines exceptions, l’article 25 du
règlement prévoit qu’Europol peut transférer des données
à caractère personnel à des États tiers et organisations
internationales s’ils bénéficient d’une décision
d’adéquation de la Commission ; d’un accord international
conclu avec l’Union offrant des garanties suffisantes en
matière de protection de la vie privée et des libertés et des
droits fondamentaux des personnes ; ou d’un accord de
coopération avec Europol conclu avant l’entrée en vigueur
du règlement. Cela signifie donc qu’Europol ne peut plus
nouer de nouvelles relations spécifiques individuelles avec
des organisations et États tiers avec la seule approbation
du Conseil, mais qu’il doit attendre un accord de l’Union
ou une décision de la Commission. En effet, ces accords
d’Europol ne sont plus reconnus par le traité de Lisbonne,
et la Commission a souligné le besoin d’une rationalisation
par une conformité aux bases légales 38. Compte tenu
de l’intérêt de ces accords en termes de données pour
Europol et les États membres, ceux déjà conclus ne sont
pas annulés, mais seront évalués par la Commission d’ici
2021. Cette dernière peut également présenter au Conseil
une recommandation de décision autorisant l’ouverture
d’un accord international de l’Union avec l’un des États
tiers qui a un accord de coopération avec Europol.
Enfin, la protection des données et l’encadrement des
activités d’Europol sont accentués dans le règlement du
fait d’un activisme de la Commission européenne et du
Parlement européen principalement. Ainsi, le chapitre VI
du règlement par rapport à la décision de 2009 établit très
clairement des principes généraux en matière de protection
des données ; met en place une évaluation de la fiabilité
des sources et de l’exactitude des données transmises ;
prévoit des articles inédits sur la protection des données
dès la conception, sur la notification aux autorités et
aux personnes concernées de la violation des données
personnelles, sur la consultation préalable pour tout
nouveau type d’opérations de traitement. Les représentants
des États membres ont été particulièrement insistants sur
le contrôle des fournisseurs d’information sur les données
transmises et sur la nécessité pour Europol de se référer
à ces derniers s’il souhaite les transmettre, en modifier la
finalité, les conserver au-delà des délais prévus, etc.
Les centres d’expertise comme nouvelle
source de crédibilité d’Europol
La quatrième grande fonction d’Europol selon l’article 4,
inédite, est la capacité de l’Office à « développer des centres
(34) Document 8261/12, p. 6.
(35) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016
(36) Ibid.
(37) Ibid.
(38) Document 8261/12, p. 6-7.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
158 I DOSSIER
d’expertise spécialisée de l’Union pour lutter contre certaines formes
de criminalité relevant des objectifs d’Europol, notamment le Centre
européen de lutte contre la cybercriminalité ». Le règlement
reprend sur ce point une pratique déjà existante au sein
d’Europol puisque l’EC3 a été mis en place en 2013, le
Centre européen d’antiterrorisme en janvier 2016 et le
Centre européen de lutte contre le trafic de migrants en
février 2016, soit avant l’entrée en vigueur du règlement.
L’idée de créer ces structures semble principalement
émaner de propositions du directeur d’Europol,
soutenu par la Commission européenne, qui coïncident
avec des moments de pression politique de la part des
représentants nationaux pour trouver des solutions face à
des événements spécifiques ou face à la perception d’une
menace de long terme.
Ces centres sont de nouvelles structures internes d’Europol
qui remplissent des fonctions d’analyse stratégique et
opérationnelle, de facilitation des échanges, de soutien
aux enquêtes, de formation. Ils permettent d’engager
de nouvelles personnes et de rassembler le personnel
existant spécialisé sur des questions particulières,
concentrant de ce fait l’ensemble des activités d’Europol
sur un domaine précis. Par conséquent, la création de
ces structures confère à l’agence plus de visibilité et de
crédibilité : « C’est assez cohérent, c’est plus lisible, ça pourrait
avoir l’air de n’être que de l’affichage, mais derrière ça facilite
des synergies, des logiques de cohérence interne de l’action, de
renforcement des moyens 39 ». La Commission européenne
semble avoir insisté sur l’inclusion de cette prérogative
dans le règlement 40. Elle justifiait cette capacité par la
valeur ajoutée majeure qu’elle représenterait pour les États
membres et l’Union en avançant la qualité de ces centres
et leurs multiples tâches 41. La mise en place de ces centres
pourrait donc se révéler particulièrement importante dans
le développement d’Europol, justifiant sa compétence et
son expertise, surtout en considérant les temporalités de
« crise » dans lesquelles ces centres ont été créés. Dans
ce sens, « un certain nombre de dispositions comme les créations
de centres d’analyse, comme sur les migrants, le centre européen
d’antiterrorisme, l’Internet Referral Unit sont des avancées pour
une autonomisation accrue de l’agence 42 ».
Le règlement Europol a offert certaines évolutions des
missions et capacités d’action d’Europol qui renforcent
son autonomisation, comme la gestion intégrée du
traitement de l’information, l’élargissement de ses sources
potentielles d’information, la possibilité de créer des
centres d’expertise. La Commission européenne a souhaité
aller plus loin, notamment en connectant les relations
extérieures d’Europol à celles de l’Union, ce qui reflète
une aspiration à la supranationalisation. Cependant, la
supranationalisation des prérogatives de l’agence ou sa
transformation en un « FBI européen » semblent être des
horizons encore éloignés du fait des multiples restrictions
imposées par les représentants nationaux, notamment sur
les dimensions exécutives, en quête d’une agence utile, mais
au soutien des services nationaux.
Une gouvernance d’Europol
entre intergouvernementalisme
et supranationalisme ?
La gouvernance d’Europol est un enjeu sur lequel la
Commission européenne a été particulièrement active,
comme l’illustre notamment son insistance passée sur
la transformation d’Europol en agence de l’Union
européenne avec la décision de 2009. Cette évolution
avait mené à un renforcement général du rôle des
institutions européennes sur le fonctionnement d’Europol
alors qu’Europol avait été créé comme une structure
intergouvernementale. Par conséquent, il se révèle
intéressant d’analyser si la Commission a une nouvelle
fois réussi à obtenir certaines avancées dans ce sens. À
cette fin, nous considérerons les changements de deux
éléments spécifiques du fonctionnement d’Europol (la
supervision de la protection des données et le rôle des
Unités nationales Europol) ; puis, ceux de la structure
administrative d’Europol (le conseil d’administration
et le directeur) ; enfin, les évolutions des institutions de
l’Union.
Un contrôle européen renforcé
sur la protection des données
Ont eu lieu des discussions tendues sur l’instance en charge
du contrôle de la protection des données puisque l’autorité
de contrôle commune (ACC), créée par la convention
Europol et qui est une unité indépendante composée de
représentants des autorités de contrôle nationales (ACN),
est supprimée dans le règlement au profit du contrôleur
(39) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
(40) Ibid.
(41) COM (2013) 173 final, p. 8.
(42) Entretien avec un officier de police de la section JAI de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, avril 2016.
Le nouveau règlement Europol : un cas d’entreprenariat politique supranational de la Commission européenne ? – Agathe PIQUET
DOSSIER I 159
européen de la protection
des données (CEPD). Ce
dernier est une autorité
de contrôle indépendante
LA GOUVERNANCE
globale, qui s’assure
D’EUROPOL ESt UN
que les institutions et
organes communautaires
ENJEU SUR LEqUEL LA
respectent leurs obligations
COMMISSION EUROPÉENNE
en matière de protection
des données. Selon l’article
A ÉtÉ PARtICULIèREMENt
43, le CEPD dispose de
ACtIVE, COMME L’ILLUStRE
missions et prérogatives
bien supérieures à celles
NOtAMMENt SON
qui étaient accordées à
INSIStANCE PASSÉE SUR
l’ACC, et il peut, entre
autres, ordonner que les
LA tRANSFORMAtION
demandes d’exercice de
D’EUROPOL EN AGENCE DE
certains droits à l’égard des
données soient satisfaites
L’UNION EUROPÉENNE.
même si elles ont été
rejetées précédemment,
donner un avertissement
ou une admonestation à
Europol, exiger la rectification, la limitation, l’effacement
et même la destruction des données dont le traitement
aurait été effectué en violation des dispositions
visant à protéger les droits des personnes, interdire
temporairement ou définitivement des opérations à
Europol, saisir le Parlement européen, le Conseil, la
Commission européenne ainsi que la Cour de justice de
l’Union européenne.
Cette évolution a été proposée par la Commission
européenne en invoquant le besoin de renforcement de
l’indépendance du contrôle du traitement des données 43.
Toutefois, l’octroi de ces capacités d’action à un organisme
européen a lieu au détriment d’une unité composée de
représentants nationaux, même si ces derniers étaient
censés agir de manière indépendante. Les négociateurs
nationaux du règlement ont donc mis en œuvre une
certaine résistance à ce changement, d’une part, par crainte
d’une efficacité moindre liée à la spécificité du travail
d’Europol puisque « l’ACC connaît intimement l’agence […] et
on faisait aussi valoir que le CEPD qui s’occupait d’une myriade
de structures ne pourrait pas avoir la même finesse de connaissance
des mécanismes de l’agence 44 ».
D’autre part, le texte initial de la Commission européenne
prévoyait un rôle très minime des ACN, malgré les termes
de « supervision commune ». Toutefois, les représentants
nationaux exigeaient un rôle bien plus important des
ACN : « On a beaucoup bataillé pour être sûrs qu’il n’y avait pas
d’autre option que le CEPD et une fois qu’on en a été sûrs on a,
surtout les Allemands, ensuite beaucoup bataillé pour que le règlement
crée une vraie association des ACN au contrôle exercé par le CEPD
et que cela revienne presque à créer une ACC au format actuel avec
des représentants des États Membres autour du CEPD 45 ». De ce
fait, les représentants nationaux craignaient une véritable
mainmise de l’Union sur le contrôle des données alors
que les services nationaux étaient les fournisseurs et les
propriétaires de l’information.
Par conséquent, ils ont réussi à intégrer dans le règlement
un article beaucoup plus détaillé sur la coopération entre
les ACN et le CEPD, l’article 44. De plus, suite à leur
insistance, est créé à l’article 45 un comité de coopération
qui est composé du CEPD ainsi que d’un représentant
de chaque ACN qui est consultatif et doit se réunir au
moins deux fois par an pour discuter de la politique
et de la stratégie générales de contrôle des données,
examiner les difficultés d’interprétation ou d’application
du règlement, etc. Ce point illustre donc la tension entre
la volonté de la Commission de renforcer la dimension
européenne d’Europol en l’alignant sur les autres agences
européennes, et la résistance des représentants nationaux
qui veulent garder le contrôle sur leurs données et sur
l’Office.
Le maintien des UNE comme signal
du contrôle national
De manière assez similaire, la Commission européenne
et les représentants nationaux ont pu s’opposer sur
la question des Unités nationales Europol (UNE).
Chaque État membre dispose d’une UNE qui est la
structure en charge d’effectuer la liaison entre Europol
et les services nationaux compétents. La Commission
européenne souhaitait réduire le rôle d’intermédiaire
des UNE entre Europol et les services nationaux en
étendant les possibilités de contact direct, les UNE restant
toutefois informées de ces échanges 46. Cependant, les
représentants nationaux voulaient maintenir le rôle de
(43) COM (2013) 173 final, p. 9.
(44) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
(45) Ibid.
(46) Document 8261/12, p. 4.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
160 I DOSSIER
plateforme des UNE puisque, du fait de leur connaissance
des organisations des systèmes nationaux, les UNE
permettaient une distribution appropriée des demandes
d’information et des données 47. Les représentants des
États membres ont été soutenus par le Parlement européen
qui souhaitait conserver également le rôle d’intermédiaire
des UNE en tant que « garante [s] et protectrice [s] des intérêts
nationaux au sein de l’Agence » et comme assurant « un rôle
centralisé et coordinateur 48».
En outre, la Commission européenne proposait de mettre
en place un contrôle du travail et de l’organisation des
UNE pour s’assurer de l’alimentation suffisante des
services nationaux en données. Une nouvelle fois, les
représentants nationaux se sont opposés à ce projet par
crainte de l’imposition d’un modèle unique d’organisation
et de fonctionnement, en invoquant que justement ces
éléments étaient liés aux différences constitutionnelles et
administratives des États membres. Par conséquent, cette
idée d’évaluation, couplée avec le premier point supra
d’accès direct d’Europol aux services nationaux, était
ressentie par certains représentants nationaux comme une
ambition de la part de la Commission de transformer sur
le long terme les UNE en « antennes nationales de l’agence 49 ».
L’article 7 du règlement maintient donc la possibilité
exceptionnelle de contacts directs entre Europol et les
services nationaux en conservant le rôle central des UNE,
et ne fait aucunement mention de cette évaluation des
UNE, mais concède la mise en place d’un rapport annuel
sur les informations fournies par chaque État membre.
Luttes d’influence autour du conseil
d’administration
Le conseil d’administration est composé d’un représentant
national par État membre, d’un représentant de la
Commission européenne et du directeur d’Europol, mais
qui n’a pas de droit de vote. Cependant, la Commission
proposait de disposer de deux représentants, sans
qu’aucune justification particulière ne soit avancée.
Les représentants nationaux se sont opposés à cette
proposition puisqu’ils ne souhaitaient pas renforcer
le poids de la Commission européenne. De même, le
Parlement européen était réticent à ce changement, car
il considérait comme « plus approprié de maintenir un seul
représentant de la Commission, de façon à avoir une situation plus
équitable 50 ».
Une autre tentative échouée de la Commission européenne
pour s’imposer a été sa volonté de créer un comité
exécutif qui aurait assisté le conseil d’administration
en préparant ses décisions, en en garantissant la mise
en œuvre et en pouvant prendre certaines décisions
en son nom en cas d’urgence. Ce comité aurait été
composé du président du conseil d’administration, d’un
représentant de la Commission européenne et de trois
autres membres nommés par le conseil d’administration,
avec la participation du directeur dénué de droit de vote.
L’objectif de la Commission européenne, en créant cette
structure, était de s’assurer une plus grande influence sur
le fonctionnement d’Europol puisque son poids aurait
été davantage prépondérant dans une enceinte réduite
qui aurait pré-arbitré certains débats, donné certaines
orientations préalables qui auraient été ensuite plus
difficiles à modifier. Une nouvelle fois, les représentants
nationaux ainsi que le Parlement européen étaient opposés
à cette clause qui était considérée comme n’ayant pas lieu
d’être 51. Ils ont cependant accepté que, selon l’article
13, le président et le vice-président soient à présent
élus et non plus sélectionnés, et que les décisions soient
prises principalement à la majorité simple au lieu de la
majorité des deux tiers à l’article 15, ce qui diminue la
capacité de blocage des États membres et facilite donc le
fonctionnement de l’agence.
Un certain changement dans les fonctions du conseil
d’administration est également notable à l’article 11, en partie
lié aux propositions de la Commission. Dans ce sens, les
nouvelles dispositions du règlement reprises du projet de cette
dernière sont, entre autres, adopter les programmes annuels
et pluriannuels de travail d’Europol, une stratégie anti-fraude,
des règles pour prévenir et gérer les conflits d’intérêt des
membres du conseil d’administration. Dans la mesure où la
Commission participe au conseil d’administration, comptait
y posséder une voix supplémentaire et davantage d’influence
par le biais du comité exécutif, ces requêtes peuvent se
comprendre à la lumière de ses ambitions d’imposer une
dimension plus européenne sur la gouvernance d’Europol.
Les représentants nationaux, soucieux également de garder
le contrôle de l’agence et représentant l’écrasante majorité
du conseil d’administration, ont aussi intégré certaines
(47) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
(48) Document A7-0096/2014, p. 13.
(49) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
(50) Document A7-0096/2014, p. 54.
(51) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
Le nouveau règlement Europol : un cas d’entreprenariat politique supranational de la Commission européenne ? – Agathe PIQUET
DOSSIER I 161
évolutions majeures des fonctions et de l’autonomie de ce
dernier notamment : la fixation des lignes directrices des
procédures de traitement de l’information par Europol ;
l’autorisation de conclure des arrangements administratifs
ou de travail ; la mise en place de structures internes à
Europol sur proposition du directeur exécutif. Seulement,
il est intéressant de noter certaines concessions faites par le
Conseil et la Commission européenne comme la possibilité
d’inviter « toute personne dont l’avis peut être pertinent aux fins des
débats, y compris, le cas échéant, un représentant du groupe de contrôle
parlementaire conjoint, à participer aux réunions en tant qu’observateur
sans droit de vote », afin de concilier les demandes du Parlement
européen de participer également aux réunions.
Le directeur exécutif au cœur de débats
La procédure de désignation du directeur exécutif
d’Europol a soulevé des débats entre la Commission
européenne et les représentants des États membres, ainsi
qu’avec le Parlement européen. La décision de 2009 prévoit
que le directeur est nommé pour quatre ans par le Conseil
qui vote à la majorité qualifiée, à partir d’une liste d’au moins
trois candidats présentée par le conseil d’administration.
Le Conseil, sur proposition du conseil d’administration,
qui a évalué l’action du directeur, peut renouveler son
mandat. D’une part, la Commission souhaitait s’imposer
davantage dans cette procédure puisque son projet de
règlement prévoyait que c’était elle-même qui devait
établir la liste restreinte de candidats pour le poste de
directeur et que c’était le conseil d’administration, au
sein duquel elle a une voix, qui prenait la décision finale,
qui choisissait de renouveler le mandat du directeur ou
de le démettre de ses fonctions à partir d’une évaluation
de la Commission. D’autre part, le Parlement européen
aspirait également à renforcer sa propre influence dans la
procédure de sélection du directeur puisqu’il offrit l’idée
que les candidats et le directeur en poste dont le mandat
était renouvelé devaient s’exprimer devant le groupe de
contrôle parlementaire conjoint, que l’avis de ce groupe
devait être pris en compte par le conseil d’administration
lorsqu’il désignait le directeur et lors du renouvellement
du mandat du directeur, et que le conseil d’administration
devait justifier au groupe de contrôle parlementaire
conjoint son éventuelle décision de renvoi du directeur.
selon l’article 54, le Conseil nomme le directeur, sur la
base d’une liste restreinte de candidats proposée par le
comité de sélection qui est composé de représentants des
États membres et d’un représentant de la Commission.
Le Conseil décide également de renouveler le mandat
du directeur suite à une évaluation par la Commission
et le conseil d’administration du travail effectué et peut
le démettre de ses fonctions, sur proposition du conseil
d’administration dans les deux cas. Le Parlement européen
bénéficie seulement d’une possibilité de poser des
questions au candidat retenu et d’un avis non contraignant.
Cette question a été particulièrement épineuse, d’autant
plus que le Parlement européen invoquait des besoins
de transparence et de démocratie et que la Commission
européenne avançait la nécessaire harmonisation
d’Europol avec les autres agences communautaires. Elle
s’appuyait ainsi sur l’approche commune concernant les
agences décentralisées de l’UE de juillet 2012 que les
États membres avaient signée, alors que les représentants
nationaux défendaient eux la spécificité de l’agence : « Vu
l’importance de l’agence, ses effectifs, son caractère stratégique, les
informations données, cela justifiait qu’elle ait un régime particulier
par rapport aux autres agences avec une investiture du directeur au
niveau politique 52 ».
Plus globalement, le directeur de l’agence obtient quelques
nouvelles prérogatives à l’article 16, comme l’élaboration du
projet de programmation pluriannuelle et des programmes
de travail annuels et leur mise en œuvre ; la possibilité de
proposer de nouvelles structures internes ; la protection
des intérêts financiers de l’Union et l’élaboration d’un
projet de stratégie antifraude interne pour Europol. La
majorité de ces idées ont été soumises par la Commission
et renforcent véritablement le rôle du directeur dans la
gestion d’Europol du point de vue de la cohérence et de la
transparence. La Commission a donc cherché à accroître le
rôle du directeur pour renforcer le dynamisme de l’agence,
d’autant plus qu’elle tend à être relativement proche de ce
dernier 53. De même, les représentants des États membres
ont accepté ces évolutions dans la mesure où le directeur
d’Europol sait faire preuve de pragmatisme et du fait de
son statut d’officier national de police, il tend à comprendre
les réalités et besoins nationaux et à entretenir des relations
privilégiées avec un certain nombre de membres du conseil
d’administration notamment 54.
Cependant, les modalités finales du règlement s’éloignent
quelque peu de ces idées et offrent un rôle bien plus limité
à la Commission et au Parlement européen. En effet,
(52) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, février 2016.
(53) Entretien avec un officier de police de la section JAI de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, avril 2016.
(54) Entretien avec un officier de police de la direction des Relations internationales de la direction centrale de la Police judiciaire, octobre 2015.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
162 I DOSSIER
Un équilibre institutionnel délicat
à trouver
Une interrogation majeure du nouveau règlement
Europol était la question du contrôle parlementaire.
Le règlement exprime à plusieurs reprises le besoin
d’un contrôle parlementaire européen et national plus
marqué sur Europol pour s’aligner avec l’article 88 du
traité de Lisbonne. L’inclusion des parlements nationaux
représente déjà un changement radical puisque leur rôle
était très minime en matière de contrôle d’Europol,
surtout depuis le remplacement de la convention Europol
par une décision qui n’impliquait plus de ratification par les
parlements nationaux en cas de modification. Le projet de
règlement de la Commission européenne propose diverses
modalités de contrôle parlementaire, mais qui restent
limitées, s’alignant sur certaines déclarations passées 55.
Le Parlement européen est beaucoup plus ambitieux et
propose de créer un « groupe de contrôle parlementaire conjoint »
avec des capacités d’actions plus étendues qui sont
intégrées à l’article 51 du règlement de 2016. Ce groupe
est en charge d’assurer le contrôle politique des activités
d’Europol, et à cette fin : il peut demander au président
du conseil d’administration et au directeur de se présenter
devant lui pour expliquer leurs activités ; inviter le CEPD
au moins une fois par an et quand il le désire ; il est consulté
pour la programmation pluriannuelle ; il reçoit d’Europol
ses évaluations de la menace, ses analyses stratégiques, ses
rapports d’activités, etc.
Toutefois, même en considérant les changements du
groupe de contrôle parlementaire conjoint, peu de
modifications sont réellement apportées aux capacités de
contrôle du Parlement européen puisque, bien qu’il soit
davantage impliqué dans la procédure de désignation et
de contrôle du directeur, son avis reste non contraignant ;
il est simplement informé des activités d’Europol dans
la mesure où lui sont transmis divers documents ; et sa
principale capacité d’action reste le contrôle du budget
d’Europol au chapitre X, car il doit approuver celui-ci et
donner la décharge de l’exécution du budget au directeur.
Par conséquent, malgré ces évolutions progressives, le
Parlement européen demeure un acteur marginal dans
la gouvernance d’Europol, un changement radical étant
difficilement envisageable.
Le Conseil ne constate pas une grande évolution de ses
prérogatives non plus, mais plutôt une confirmation de
son rôle du fait de la similarité de ses capacités d’action
entre 2009 et 2016, dans la mesure où il dispose déjà d’une
possibilité de contrôle importante et où les capacités
d’action du conseil d’administration ont été renforcées. Le
règlement semble alors surtout bénéficier à la Commission
européenne dont les possibilités d’intervention sont
étendues avec le règlement. En effet, en 2009, son
rôle était surtout limité à sa présence dans le conseil
d’administration, une information passive des activités
d’Europol et une participation aux questions budgétaires
et financières. Cependant, en 2016, son rôle est reconnu
dans la planification de la lutte contre la criminalité
internationale au niveau de l’Union dès les considérants
du règlement ; elle adopte les décisions d’adéquation,
évalue les accords de coopérations d’Europol et peut
proposer des recommandations au Conseil en vue de la
conclusion d’accords internationaux de l’Union ; son
avis est pris en compte pour la programmation annuelle
et pluriannuelle selon l’article 12 ; elle est à l’origine de
différents rapports d’évaluation sur le directeur ou sur
l’impact, l’efficacité, l’efficience de l’action et des méthodes
de travail d’Europol tous les cinq ans à l’article 68, etc.
Ces différentes compétences, toutes proposées
par la Commission, lui offrent des possibilités de
contrôle et même d’impulsion bien plus marquées
concernant Europol, ce qui semble aller dans le sens
d’un renforcement de la dimension européenne, voire
communautaire, d’Europol. Ces évolutions peuvent être
corrélées au rôle de « premier arrivé » de la Commission
qui a intégré de nombreuses propositions dans ce sens,
même si certaines ont été rejetées. En fournissant
la base des discussions, la Commission a modelé les
orientations du règlement et il est difficile pour les autres
acteurs de revenir complètement dessus, d’autant plus
face à des justifications légales. Cette acceptation par les
représentants nationaux a été facilitée par la légitimité
progressivement acquise par la Commission européenne
sur la gouvernance d’Europol, par la manne financière
qu’elle représente et par la place plus globale qu’elle occupe
au niveau européen sur le domaine JAI. Cette dynamique
rappelle ainsi un processus de « path dependence », les étapes
précédentes de consolidation du rôle de la Commission
menant progressivement à cet accroissement qui est
difficile à enrayer [Pierson, 2000].
Les enjeux de la gouvernance d’Europol ont finalement
été sujets à des débats interinstitutionnels très marqués
dans la mesure où ils illustrent clairement la dimension
intergouvernementale ou supranationale d’Europol et le
jeu d’influences. Différentes concessions ont été faites par
les représentants nationaux face aux propositions de la
(55) C’est par exemple le cas en 2002 lorsqu’elle considère que le niveau de contrôle parlementaire est suffisant en raison des pouvoirs
opérationnels limités d’Europol, et ce malgré les multiples requêtes du Parlement européen de renforcement de son contrôle, Communication
de la Commission européenne du 26 février 2002 relative à l’exercice d’un contrôle démocratique sur Europol, COM (2002) 0095 final.
Le nouveau règlement Europol : un cas d’entreprenariat politique supranational de la Commission européenne ? – Agathe PIQUET
DOSSIER I 163
Commission européenne, mais ces derniers ont également
fait preuve de résistance, imposant des limites claires sur
la dimension encore intergouvernementale d’Europol, et
bénéficiant généralement du soutien du Parlement européen
qui a lui aussi cherché à développer son propre rôle.
En conclusion, la Commission européenne a véritablement
joué un rôle d’entrepreneur politique supranational en
multipliant les propositions qui visent à renforcer Europol
en tant qu’agence supranationale par le biais de l’extension
de son mandat, de capacités d’action lui offrant plus
d’autonomie et d’une gouvernance plus européenne. Sur
ce dernier point, la Commission a véritablement défendu
la « normalisation » de l’Office par rapport aux autres
agences communautaires. Par conséquent, la Commission
s’est déjà positionnée de manière critique par rapport au
règlement, soulignant sa non-conformité à l’approche
commune concernant les agences décentralisées. Elle a
donc déjà manifesté ses intentions de batailler de nouveau
pour l’adoption de certains points, notamment la création
d’un comité exécutif et la suppression du comité de
coopération entre le CEPD et les ACN.
De leur côté, les représentants nationaux et le Parlement
européen se sont montrés prêts à accepter les dispositions
qui amélioreraient l’efficacité et le fonctionnement
d’Europol, en particulier concernant le mandat et les
fonctions de l’agence, d’autant plus dans les circonstances
récentes. Cependant, l’accent a été clairement mis sur
l’encadrement des activités de l’agence et le maintien de
sa fonction d’appui, sur la prépondérance des acteurs
nationaux. Les représentants nationaux, en particulier,
se sont opposés aux mesures qui promeuvent une
supranationalisation de l’agence non justifiée par ses
besoins quotidiens.
En définitive, le règlement n’implique pas d’évolutions
majeures concernant l’agence, mais entérine certaines
orientations qui seront difficiles à remettre en cause dans
l’avenir et qui seront probablement accentuées, en suivant
une dynamique de « path dependence ». Les négociations
ont donc pu être saisies comme une opportunité par la
Commission européenne, ainsi que par Europol dans une
certaine mesure, pour modeler sur le moyen terme les
évolutions de l’agence. Ainsi, le règlement révèle les tensions
encore non résolues intrinsèques à Europol qui oscille
entre intergouvernementalisme et supranationalisme, entre
efficacité et encadrement, et qui demeureront au cœur des
interrogations sur le futur d’Europol n
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OCCHIPINTI (J.), 2003, The politics of EU Police Cooperation :
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Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
164 I DOSSIER
L’Europe en danger d’implosion
Viviane de BEAUFORt
Le volet externe de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la politique
d’immigration se joue en lien avec une situation interne dégradée quant à l’acceptabilité du
projet Europe.
L
a construction européenne est
un projet unique dans l’histoire
de notre civilisation : elle a établi
l’union d’États, la plus aboutie de
l’Histoire, et si d’autres projets ont tenté de
l’égaler (Mercosur, CEDEAO, ASEAN…),
aucun n’a réussi à mettre en place une
structure politico-institutionnelle et juridique
aussi poussée.
Et pourtant, quel avenir imaginer pour
l’Europe, désormais en difficulté face au défi
externe de sa sécurité, pollué par la double
problématique interne : gestion des immigrés
– maintien de l’Espace Schengen, terrorisme
– liberté des citoyens et terrible recul du
sentiment de citoyenneté européenne ?
Les États, habitués à travailler ensemble afin
de construire pas à pas un tissu commun
devraient enfin prendre le parti de créer une
communauté politique. Car la suite n’est pas
possible sans les peuples européens !
Seule l’Union peut entraîner dans un
scénario vertueux à échelle du monde, le
rapprochement des États arabes, d’Israël et
de la Palestine, de la Russie et de l’Ukraine,
L’Europe en danger d’implosion – Viviane de BEAUFORT
jouer son rôle de puissance régionale,
alors même que les USA passent le témoin
dans des conditions non souhaitées et non
souhaitables, etc.
Rêver à la naissance d’une démocratie
mondiale et, avec elle d’une nouvelle
citoyenneté fondée sur des valeurs
communes et non des fondements raciaux
ou religieux, c’est bien le projet de l’Union
européenne. Une question se profile alors :
pourquoi et comment les peuples européens
ont pu renouer avec un individualisme
exacerbé qu’on pensait dissipé, au sortir
de la Seconde Guerre mondiale ? Une
crise économique suffit-elle à transformer
les mentalités ou n’est-elle qu’un prétexte
pour déresponsabiliser les foules ? Il est
incontestable que la récession et la pauvreté
ont plus que contribué au renfermement
des individus sur eux-mêmes. Cette réaction
humaine est difficile à blâmer. Mais les États
membres doivent se ressaisir sous peine de
voir s’effilocher gravement le « tricot de
l’Europe » qui comme celui de Pénélope
dans l’Odyssée semble se faire le jour et se
défaire la nuit. Le Brexit, dont nous n’avons
pas envisagé les possibles conséquences,
traduit cette rupture gravissime, même s’il
faut relativiser du fait des spécificités de
l’engagement du Royaume-Uni à nos côtés
depuis l’origine.
Viviane de BEAUFORT
Professeure
de droit
européen
à l’Essec et
co-directeur
du Centre
européen de droit et
d’économie (CEDE)
© ibreakstock - fotolia.com
DOSSIER I 165
La menace externe : une politique
d’asile de l’Europe mise à mal
depuis l’été 2015
Les événements qui ont marqué l’été 2015 et continuent
font froid dans le dos. Les images bouleversent, tandis
que le nombre de migrants portés disparus ou retrouvés
sans vie ne cesse de grimper. L’indignation est présente,
mais est-elle un moteur suffisant pour lancer de nouvelles
politiques d’accueil qui tardent depuis tant d’années et des
politiques communes efficaces tout de suite, mais surtout
viables sur le long terme ?
Entre les conditions terribles des traversées et la cupidité
de passeurs mal intentionnés, le bilan humain est lourd
pour ces personnes qui ont traversé la Méditerranée ou
marché du côté turc pour fuir la guerre dans l’espoir de
trouver asile dans les pays européens. On estime à plus
de 40 000 le nombre de migrants morts sur les routes,
sans compter les disparus. C’est un exode et cette vague
migratoire, la plus importante depuis la Seconde Guerre
mondiale, met à mal une Europe déjà affaiblie par la
crise économique et les disparités régionales. Le « Vieux
Continent » doit faire front pour régler la situation et
accueillir ces populations vulnérables. Cette énième crise
après celle des banques, puis de l’économie (Grexit),
des affrontements politiques (Ukraine, etc.) et internes
(Brexit) parce qu’elle touche à l’humain nous donnera-telle enfin le ressort pour agir ensemble ?
Où en est-on concrètement ? La prise de conscience des
peuples européens s’est largement fait sentir ces derniers
temps, exacerbée par les événements choc relatés dans
les médias. D’abord réticents à l’égard de ses migrants,
les politiques européens multiplient les mesures d’urgence
pour accueillir ces populations déplacées parce que les
peuples d’Europe ont protesté. Le sort de ces personnes
n’est pas sans rappeler l’exode des Juifs au sortir de la
guerre mondiale, pour le cas spécifique des Syriens
chrétiens et musulmans fuyant leur pays en feu depuis
quatre ans sans que personne n’ait bougé, au-delà de
quelques protestations et missions d’études sur le terrain.
Les pays européens tentent de se répartir la lourde charge
de l’accueil des migrants. L’ONU a appelé à l’instauration
de quotas par pays, lié aux capacités d’accueil respectives.
L’Allemagne a déjà débloqué plus de 6 milliards d’euros sur
le budget 2016 pour permettre à ses municipalités d’offrir
des conditions de vie décentes aux populations arrivantes
et d’autres hommes et femmes politiques suivent le
mouvement, ailleurs en Europe sans que la démarche ne
fasse l’unanimité. La Commission européenne a proposé
une clé de répartition, il y a des mois ; mais les États sont
tous « en négociation » avec Bruxelles. L’Italie, la Hongrie
et la Grèce ont saturé leurs capacités d’accueil et il y a des
réactions de rejet violentes (Hongrie). L’émotion, moteur
d’action dans l’urgence, soit !
Mais comment trouver à présent des réponses juridiques
communes aux demandeurs d’asile ? Sont-ils des réfugiés
politiques, des migrants économiques ? Actuellement,
la règle de l’UE prévoit que seul le pays par lequel sont
entrés les migrants est tenu d’examiner la demande d’asile.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
166 I DOSSIER
L’Allemagne a accepté de déroger à cette règle, mais un
problème de statut va vite émerger pour ces populations
déracinées. Des discussions sont en cours pour élaborer
des mesures de long terme. Réflexion mise à mal par
une grande disparité des consciences européennes. Si
certains dirigeants, d’Angela Merkel à David Cameron
(mais il a démissioné), ont appelé à une vaste politique
d’accueil, la Hongrie, directement touchée étant donné
sa position géographique, est réfractaire : Viktor Orban,
réélu en 2014, prône une fermeture des frontières ; une
clôture de barbelés de 175 km a été érigée entre le pays
et la Serbie. La politique anti-migrants est assumée, « leur
origine menacerait en effet l’identité chrétienne du continent ». En
Grèce, les déboires économiques vécus par la population
amoindrissent le sentiment de solidarité. Ce sont bien les
valeurs mêmes de l’Europe, valeurs d’accueil et de respect
de la vie humaine qui sont brutalement interpellées. Si
l’Union européenne ne trouve pas de réponse humanitaire,
mais également diplomatique et militaire, a-t-elle encore la
moindre raison d’exister ?
La menace interne : une crise
de la confiance du citoyen
En parallèle, cause ou conséquence, le citoyen a désormais
perdu confiance. Même si ce phénomène n’est pas
nouveau, il atteint aujourd’hui des sommets, touche au
cœur du projet politique de l’Europe et le compromet
gravement.
L’écart grandissant entre les citoyens et le projet d’Europe
ne peut plus être nié. Il nous confronte à quelques
questions essentielles en termes de pédagogie, de travail de
conviction, car le ferment de l’Europe, ce sont ses peuples
dont on dit si clairement qu’ils sont « unis dans leur
diversité ». Le risque est grand que la diversité évolue vers
des oppositions mortifères, le repli sur soi et l’intolérance.
Les dissensions des États quant à l’attitude à adopter
à propos de ce que l’on nomme pudiquement
« l’immigration » vers l’Europe est révélatrice de l’abîme
dans lequel l’Europe risque de tomber si elle n’accepte pas
le débat citoyen.
La citoyenneté européenne se décline aujourd’hui par des
droits en plus, eux-mêmes bien souvent peu valorisés,
tandis que le sentiment citoyen ou affectio societatis est
largement manquant ?
Pour aller de l’avant en Europe, répondre au défi de la
citoyenneté européenne est incontournable : il est de plus
en plus difficile de faire sans nos peuples. Dans quelles
L’Europe en danger d’implosion – Viviane de BEAUFORT
conditions concrètement recréer cette dimension d’affect
et d’adhésion nécessaire pour que le projet démocratique le
plus moderne au monde et s’affranchissant des frontières,
des races, des langues, etc. demeure un modèle inspirant
un monde en danger de repli sur les communautarismes
de tous poils.
Au-delà des aspects économiques, l’Europe modèle
de civilisation est citoyenne du monde. Du moins, elle
pourrait l’être si elle conservait ses valeurs d’ouverture
et de solidarité et pour cela elle doit avancer sur son
intégration et séduire les citoyens d’Europe !
Union européenne, le sens de l’histoire ? L’Union
européenne, construction évoluant au fil des traités
interagit avec ses États membres, au travers d’institutions
au pouvoir de plus en plus important. Elle est au-delà de
la construction d’un marché, même de manière hésitante
et parfois chaotique, un projet politique. Et parmi d’autres
défis vitaux, un enjeu crucial est sa capacité à continuer à
porter des valeurs humanistes et conserver un sens pour
ses citoyens.
Une citoyenneté en droit à qui
il manque un affectio societatis
La citoyenneté européenne se décline autour des axes
essentiels suivants : une citoyenneté politique (droit
d’élire et d’être élu aux municipales, d’élire et d’être élu
au SUD pour les membres du Parlement européen, une
citoyenneté individuelle : pétition, plainte au médiateur,
utilisation du contentieux préjudiciel et plainte pour
manquement contre un État membre, initiative citoyenne,
une citoyenneté socio-économique articulée autour de
l’individu (et sa famille) qui bénéficie, outre de ses droits
nationaux, du droit de libre établissement au sein de l’UE
sans discrimination.
La crise rend nécessaire une fédéralisation croissante des
décisions de politique économique dans des domaines
sensibles touchant au cœur de la souveraineté nationale.
Or, les institutions ne disposent plus d’un capital de
légitimité suffisant. Les réformes éludent soigneusement
des questions politiques fondamentales : comment
simplifier le processus de décision européen pour qu’il
soit plus transparent et compréhensible pour les citoyens ?
Comment renforcer la légitimité démocratique de
décisions qui sont pour l’instant essentiellement le résultat
d’un processus technocratique et diplomatique ?
Focalisés sur des questions économiques et internationales,
nos décideurs ont oublié que le ferment de l’Europe est
DOSSIER I 167
son peuple et qu’il faut donner du sens à la construction
européenne : associer le citoyen à ce projet et dépasser
la construction européenne par les seules élites. C’est
à ces élites que revient la charge de transcender le
projet européen et de l’apporter aux peuples en parlant
d’intégration européenne et en associant le citoyen. Les
citoyens ressentent un déficit de communication et une
insuffisante association au projet alors que celui-ci, dans
le même temps, est clairement perçu, à raison, comme
limitant de plus en plus la souveraineté nationale. Près
de quatre Français sur cinq (78 %) considèrent que la
construction européenne se fait sans que les peuples
soient suffisamment consultés.
Pourtant faut-il encore et encore le dire, l’UE respecte
les particularités de chaque État, sa devise « Unie dans la
diversité » évoque le fait que l’Union européenne respecte les
États et leur système institutionnel dans leurs différences
d’organisation, valorise les régions et l’échelon local. Cette
construction politique n’a jamais détruit les cultures. L’UE
est organisée sur un modèle ultra-décentralisé puisque
ce sont les États qui mettent en œuvre l’essentiel des
politiques européennes (la Commission n’a ni les moyens
ni les pouvoirs d’exécution). L’UE, c’est la coexistence
intégrée des identités, avec l’acceptation de ce qui nous
distingue, et pourtant nous enrichit, mais aussi de ce qui
nous rassemble, notamment ce socle de valeurs issues
des Lumières et judéo-chrétien. L’Union contribue
à la préservation et au développement de ces valeurs
communes dans le respect de la diversité des cultures
et des traditions des peuples de l’Europe, ainsi que de
l’identité nationale des États membres et de l’organisation
de leurs pouvoirs publics aux niveaux national, régional
et local.
Conclusion
Une meilleure conscience du haut niveau de démocratie
sociale que porte le projet européen pourrait renforcer
l’estime de soi des populations européennes et favoriser
un sentiment citoyen européen. Expliquer que le projet
d’Europe repose sur la phrase de Jean Monnet : « nous ne
coalisons pas des États, nous unissons des hommes ».
Créer le désir de vivre ensemble en assumant nos
diversités, la fierté partagée d’être européen comme un
message de tolérance à l’égard du monde.
Pour que l’Europe soit comprise, admise, souhaitée, elle
doit être perçue et vécue comme quelque chose de positif.
Cela confronte à une obligation de pédagogie, à un travail
de conviction et à la nécessité de simplifier le discours
envers le public. L’éducation et la communication
sont donc des clés. En outre, il faut tenir compte des
différences entre générations de citoyens de l’Union pour
communiquer et s’adapter selon les publics (marketing
politique et segmentation des cibles). Par exemple,
l’argument de la paix et de la stabilité ne parle pas aux
jeunes.
Ce n’est que par un travail de terrain que les Européens
pourront comprendre l’essence du projet européen et par
là même se l’approprier… La visibilité de ses actions de
soutien aux Européens est ici essentielle : elle doit plus et
mieux communiquer.
Je veux croire qu’il est encore temps ! n
Bibliographie
BERTONCINI (Y.), CHOPIN (T.), 2010, Politique européenne
- États, pouvoirs et citoyens de l’UE, Sciences-Po et Dalloz,
collection « Amphi ».
Autres références
Rapports Schuman, « l’État de l’Europe », 2012, 2013,
2014, 2015,2016.
CHALTIEL (F.), 2007, « La citoyenneté européenne », Les
Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 23, Paris, Dalloz.
Le Monde, 25 avril 2013, dossier Europe : les remèdes.
Commission européenne, L’opinion publique dans l’Union
européenne, 2013.
Conférence « Faut-il être fier d’être européen ? », 14 mai
2013, Maison de l’Europe de Paris, Viviane de Beaufort,
Atelier de la République, www.touteleurope.eu
STOLERU (L.), 2015, « L’Europe appartient à la Grèce »,
les Échos, 4 août.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
168 I DOSSIER
Des smart borders
aux clôtures barbelées :
la revanche du low-tech ?
Denis DUEz
L
es développements récents de
l’action de l’Union européenne
(UE) dans les domaines de la
justice et des affaires intérieures
laissent à voir un univers dominé par les
nouvelles technologies. Fichiers, données,
réseaux informatiques et Big Data sont
désormais les éléments constitutifs, pour ne
pas dire l’essence même, du projet européen
de sécurité intérieure. Plus que tout autre
domaine, celui de la gestion intégrée des
frontières extérieures de l’UE semble
marqué par ce prisme de la technologisation.
Mieux, les contrôles aux frontières ont
servi de laboratoire pour de nouvelles
pratiques de sécurité, tant et si bien que la
problématique des frontières est désormais
indissociablement liée à l’enjeu de la mise en
place de « frontières intelligentes » (« smart
borders »).
En une quinzaine d’années à peine, ce
mouvement de « smartening » des frontières a
conduit à l’élaboration ou au développement
d’un nombre croissant de dispositifs
technologiques dont les acronymes émaillent
désormais les débats tant politiques que
scientifiques relatifs aux contrôles aux
frontières de l’Union [Jeandesboz, 2016,
p. 292-293]. La communication de la
Commission Stronger and Smarter Information
Systems for Borders and Security d’avril 2016
constitue à cet égard un exemple parfait de
ce nouveau jargon techno-administratif de la
gestion des frontières extérieures. Le lecteur
ne peut qu’être dérouté lorsqu’il rencontre à
chaque page de cryptiques AFIS, API, EES,
EU-LISA, EURODAC, EUROSUR, RTP,
SIS II, SLTD ou encore VIS.
Cette approche technologique de la frontière
s’est récemment vue concurrencée par
des pratiques et des discours alternatifs
renvoyant à l’inverse à des conceptions
autrement plus traditionnelles, pour ne
pas dire anachroniques, de la frontière et
des modalités de son contrôle. La crise des
réfugiés de l’été 2015 combinée aux attaques
terroristes de Paris, de Bruxelles et de Nice
ont fait ressurgir au cœur de l’Europe – et
Des smart borders aux clôtures barbelées : la revanche du low-tech ? – Denis DUEZ
Denis DUEZ
Professeur
de science
politique à
l’Université
Saint-Louis
– Bruxelles
et président de l’Institut
d’études européennes.
DOSSIER I 169
L’hypothèse que nous développons ici est que le renouveau
de certains dispositifs low-tech, renouveau parfois très
spectaculaire dans ses manifestation matérielles lorsqu’il
prend la forme de barrières frontalières, s’explique peutêtre moins par la croyance dans l’efficacité plus grande
de ces dispositifs comparativement aux dispositifs
technologiques élaborés dans le cadre du projet européen
de frontières intelligentes qu’en raison de leur capacité
supérieure à témoigner, auprès des citoyens, de l’action
des pouvoirs publics dans la gestion des risques et des
défis se présentant aux frontières de l’UE. Corollairement,
il nous semble que le « retour des frontières » [Foucher,
2016], en tant que ligne de démarcation qu’il convient
d’abord de tracer dans l’espace et ensuite de contrôler
ostensiblement, procède d’une logique de mise en scène
de la frontière traduisant une réaffirmation du caractère
éminemment politique de cette dernière.
Les « smart borders » : gestion
des risques aux frontières
© photo 5000 - fotolia.com
même parfois au cœur de l’Union européenne – des
barrières frontalières dont la matérialité semble opposer
un démenti cinglant au projet de frontières intelligentes
supposées être aussi efficaces en termes de contrôle
qu’invisibles pour les voyageurs de bonne foi.
Dans cet article nous nous attachons à comprendre
comment s’articulent ces deux mouvements
contradictoires de virtualisation et de (re)matérialisation
des contrôles aux frontières. Poursuivant sur la voie
ouverte par les travaux récents de Laurent Bonelli et de
Francesco Raggazzi [2014] consacrés à la permanence
des pratiques dites « low-tech » – rédaction de notes, de
rapports, de dossiers – dans le domaine de la lutte contre
le terrorisme en France, cet article entend transposer
ce type préoccupation au domaine de la gestion des
frontières extérieures de l’Union afin d’en saisir les enjeux
politiques. Conceptuellement, et sans trop élaborer sur ce
point, nous entendons par pratiques low-tech l’ensemble des
pratiques ne s’appuyant pas au premier chef sur des outils
électroniques et informatiques de collecte, de stockage,
de traitement et de diffusion de données digitales. Sont
donc visés ici des dispositifs relativement simples, voire
rudimentaires, tels que des clôtures de fil barbelé, des
blocs de béton, des murs végétalisés ou des pratiques de
patrouille et de surveillance réalisées par des personnels
« humains », qu’ils soient policiers ou militaires.
Le projet européen de smart borders s’inscrit dans le
contexte d’un recours croissant aux technologies digitales
dans les pratiques de sécurité. Fréquemment décrite
comme correspondant à l’avènement de l’ère du Big Data,
cette évolution repose sur une confiance sans borne dans
les potentialités des nouvelles technologies, tant pour la
répression que pour la prévention de la criminalité. Elle
révèle aussi la diffusion dans le champ de la sécurité d’une
logique de gestion des risques largement inspirée du
paradigme économiste libéral.
La sécurité intérieure à l’heure
du Big Data
L’imaginaire de la sécurité intérieure européenne
est aujourd’hui peuplé de dispositifs à haute teneur
technologique. Les bases de données, réputées massives et
tentaculaires, les réseaux intégrés de caméras intelligentes,
les technologies de reconnaissance faciale, les drones, les
marqueurs biométriques, les dossiers passagers (Passenger
Name Record – PNR) ou encore les pratiques de dataveillance
consistant à surveiller des individus par l’entremise de
leurs traces digitales – relevés de cartes de crédit, activité
sur Internet, e-mails, usage de la téléphonie mobile,
consommation électrique, etc. – ont acquis, dans l’esprit
des citoyens européens, une forme d’évidence à défaut
de toujours correspondre à une réalité incontestable sur
le terrain. Ce serait la conjugaison de divers phénomènes
tels que l’évolution exponentielle des capacités de calcul
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
170 I DOSSIER
informatique, l’augmentation tout aussi exponentielle
des capacités de stockage de données, les progrès de la
miniaturisation, de la portabilité des devices ou encore le
développement des computer sciences et des travaux relatifs
à l’Intelligence artificielle – learning machines, deep learning
– qui auraient permis l’avènement du Big data et, partant,
de ce que d’aucuns dénomment la gouvernementalité
algorithmique des sociétés [Rouvroy & Berns, 2013].
À l’ère digitale, cette gouvernementalité algorithmique
offre de nouvelles opportunités d’agrégation, d’analyse
et de corrélations statistiques au départ d’un agglomérat
massif de données. Elle s’éloigne à l’inverse des approches
statistiques plus traditionnelles et semble permettre
de saisir la réalité sociale comme telle, de façon directe et
immanente, dans une perspective émancipée de tout
rapport à « la moyenne » ou à la « normale », ou, pour
le dire autrement, affranchie de la « norme » [Rouvroy &
Berns, 2013, p. 165 ; Berns, 2009].
Cette vision « futuriste » ou « science fictionnelle » de
la gouvernance des sociétés contemporaines en général
et du champ de la sécurité intérieure en particulier est
à l’évidence alimentée par des œuvres de fiction, anglosaxonnes mais aussi européennes, – romans, séries
télévisées, films, jeux vidéos – faisant de ce type de
dispositifs un ressort narratif central [voir à ce propos
Muller, 2010, p. 71-88]. Pour autant, ces pratiques et ces
outils ne peuvent être réduits à de simples chimères. Ils
correspondent pour partie à une réalité, celle de pratiques
de surveillance électronique à grande échelle que le
dévoilement de vastes programmes de surveillance, tel
le programme PRISM de l’Agence nationale de sécurité
américaine [Lyon, 2014], a contribué à rendre un peu plus
tangible pour les citoyens.
Plus près de nous, l’action de l’UE dans les domaines de
la justice et des affaires intérieures est incontestablement
technlogy-driven, c’est-à-dire dominée par les outils et les
perspectives offertes par les nouvelles technologies. Le
programme de Stockholm [Commission, 2010a], qui
établissait les priorités de UE dans le domaine de la
justice, de la liberté et de la sécurité pour la période 20102014, et la Stratégie européenne de sécurité de 2010 ont,
en effet, jeté les bases d’un modèle européen de sécurité
intérieure privilégiant une action fondée sur la prévention
et l’anticipation, rendues possibles par la collecte et le
traitement automatisé de l’information [Conseil, 2010 ;
Commission, 2010]. L’évaluation de la Stratégie européenne
de sécurité intérieure, en 2014, puis l’adoption, en 2015,
du Programme européen en matière de sécurité pour la
période 2015-2020 [Commission, 2015] n’ont fait que
renforcer ce mouvement vers une technologisation accrue
de la sécurité intérieure européenne. Parfois décrit comme
Des smart borders aux clôtures barbelées : la revanche du low-tech ? – Denis DUEZ
un environnement juridiquement et institutionnellement
dense [Wolff, Wichmann & Mounier, 2009, p. 17], le
champ de la sécurité intérieure apparaît donc également
comme un environnement « socio-techniquement dense »
[Bellanova & Duez, 2012, p. 110].
En matière de sécurité, les nouvelles technologies jouent
cependant un rôle ambivalent. Elles apparaissent tout à la
fois comme constitutives de nos sociétés contemporaines
et comme une menace pour ces dernières. Elles ouvrent
les sociétés, effacent les frontières, favorisent les échanges
et la mobilité des personnes, mais leurs potentialités sont
aussi exploitées par des criminels, des terroristes ou des
trafiquants de toute nature. Les technologies créent des
espaces virtuels où les citoyens européens doivent être
protégés. Elles créent des failles dans le monde réel, failles
qu’il convient de combler. De manière intéressante, les
menaces liées aux nouvelles technologies, loin de remettre
en cause ces dernières donnent à l’inverse lieu à la création
de nouveaux outils technologiques à disposition des
acteurs européens en charge de la sécurité de l’UE, de ses
États membres et de leurs citoyens. Qu’elles représentent
une menace ou une solution, voire « la » solution, les
nouvelles technologies façonnent les sociétés globalisées
contemporaines.
Le laboratoire frontalier
La gestion des frontières extérieures de l’UE a, plus que
tout autre domaine de l’espace de liberté, sécurité et justice,
été marquée par le processus de technologisation des
pratiques de sécurité. À cet égard, les dispositifs mis en
place dans le cadre des projets de « frontières intelligentes »
ont permis de tester de nouvelles pratiques de contrôle et
de surveillance appliquées dans un premier temps aux seuls
étrangers, puis élargies à tous les voyageurs avant, enfin,
d’être étendues à des populations dans leur ensemble.
Il a souvent été dit, non sans raison, que le projet
européen de frontières intelligentes s’inspirait d’un
projet similaire conçu aux États-Unis au lendemain des
attentats du 11 septembre 2001 [Ceyhan, 2004]. Les smart
borders seraient donc intimement liées à l’objectif de la
lutte contre le terrorisme. Pour autant, si l’initiative smart
borders européenne vise bel et bien à l’origine, et au même
titre que son alter ego américain, à prévenir l’irruption de
la menace terroriste par le développement d’un Système
d’information Schengen de seconde génération (SIS II) et
la création d’un Système d’information sur les visas (VIS)
[Brouwer, 2005 ; Duez, 2008 ; Ceyhan, 2010], cette initiative
ne peut être tout entière expliquée par les attentats de 2001.
En d’autres termes, si l’ambition des Européens de se
doter de frontières intelligentes se voit conjoncturellement
DOSSIER I 171
soutenue par les attaques du réseau Al Qaeda, elle répond
surtout à une réalité structurelle, la globalisation, et à son
corollaire, la mobilité des biens et des personnes. Dans ce
contexte, la technologisation des contrôles aux frontières
s’inscrit dans une économie politique globale, à la fois
libérale et centrée sur la logique du marché. Elle répond
à un besoin fondamental : garantir et promouvoir les flux
de biens, de personnes, d’informations et de capitaux
indispensables au développement économique mondial
dans un contexte de risques et d’incertitudes appelant une
meilleure sécurisation des flux en question [Smith, 2013].
Claudia Aradau et Rens van Munster ont décrit cette
évolution comme correspondant à l’avènement d’une
forme de « gouvernement par le risque » (« governement
through risk ») [Aradau, van Munster, 2007]. S’appuyant
sur les travaux du sociologue allemand Ulrich Beck
[2001], mais aussi sur les réflexions d’Anthony Giddens
[1994], le concept de gouvernement par le risque permet
de souligner que les sociétés contemporaines sont
aujourd’hui confrontées à la question non plus de la
distribution des richesses, comme l’étaient les sociétés du
XIXe siècle, mais à celle de la distribution des risques issus
du processus de la modernisation avancée. Pour reprendre
l’expression d’Ulrich Beck, la « société de pénurie » aurait cédé
la place à la « société du risque » [Beck, 2001]. Pour autant,
Beck ne prétend pas que le risque serait proprement
contemporain. Les risques ont toujours existé. Ce qui
est mis en évidence, c’est une évolution de la nature du
risque. Longtemps assimilé à une réalité essentiellement
personnelle touchant la vie et les biens des individus, il
change d’échelle à l’époque contemporaine. Les périls
deviennent globaux et dépassent le niveau individuel
pour concerner des collectivités entières, voire l’humanité
dans son ensemble. Pour Beck, les risques contemporains
ne sont rien moins que « le produit global de la machinerie
industrielle du progrès, et ils sont systématiquement amplifiés par la
poursuite de son développement » [Beck, 2001, p. 40].
De ce cadrage des enjeux de sécurité et de contrôle aux
frontières en termes de gestion du risque découlent des
effets sociopolitiques majeurs. Premièrement, parce
qu’il est à la fois global et diffus, le risque aux frontières
s’accompagne paradoxalement d’une disparition quasi
complète de la figure de l’altérité. Dans la perspective
de la gestion intégrée des frontières extérieures de l’UE,
l’appréhension des flux de voyageurs et des phénomènes
migratoires s’opère uniquement à travers une logique
managériale et gestionnaire. Le risque ne s’affronte pas, il
se gère. Il est ni plus ni moins qu’un paramètre dans une
équation économique.
Deuxièmement, le référentiel du risque porte en lui
le ferment d’une dépolitisation des enjeux. Constitué
indépendamment de toute stratégie individuelle ou
collective prédéterminée, le risque est le produit
d’une irresponsabilité généralisée [Beck, 1998, p. 15].
Développée dans le contexte de la prise de conscience
environnementaliste dans l’Allemagne des années
1970, cette conception du risque suggérée par Ulrich
Beck « voyage mal » [Aradau & Van Munster, 2008, p.
23] lorsqu’il s’agit de rendre compte des phénomènes
terroristes ou criminels. Elle s’applique par contre déjà
mieux au « risque » migratoire – et nous utilisons à
dessein des guillemets tant l’idée d’un risque migratoire
semble déconnectée de toute réalité. Chaque migrant
est en effet simultanément perçu comme cause et effet,
auteur et victime, et personne ne peut donc être considéré
comme étant la cause de quoi que ce soit. En ce sens, la
notion de risque semble impliquer une double négation du
politique : elle dilue l’idée d’adversité dans une conception
holiste de la communauté ou de l’humanité, d’une part,
et dans une mise en valeur du concept d’individu, d’autre
part. En définitive, la société du risque décrite par Ulrich
Beck et les pratiques de gouvernement qui en découlent
apparaissent comme des archétypes de la société libérale.
Elles marquent la victoire du paradigme économique
de la gestion sur les paradigmes politiques de la sécurité ou
encore de la souveraineté. Elles contribuent, au moins en
apparence, à dissoudre l’idée de communauté politique et
son corollaire, l’idée de l’Autre.
Troisièmement, la notion de risque est opérateur de
délégitimation des acteurs politiques traditionnels, qu’ils
soient nationaux, infranationaux ou supranationaux. Le
caractère intrinsèquement transnational du risque postule
en effet l’incapacité des autorités publiques à répondre
efficacement au danger. À cet égard, il est symptomatique
de relever le rôle croissant joué par les acteurs privés dans
la gestion des frontières. Qu’il s’agisse des opérateurs
du transport aérien, terrestre ou maritime, des sociétés
privées de sécurité, des sociétés informatiques concevant
et mettant en œuvre les différents outils technologiques
de gestion des frontières, ou encore des entreprises
auxquelles sont aujourd’hui sous-traités certains aspects
de la procédure de délivrance des visas, tout semble
indiquer un retrait de l’autorité publique au profit d’acteurs
économiques issus du secteur privé.
Retour des frontières,
retour du politique
Le paradigme économiste et technoscientifique de la
gestion intégrée des frontières extérieures de l’Union se
voit aujourd’hui déstabilisé sous l’effet conjugué de la
crise des réfugiés de l’été 2015 et des attaques terroristes
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
172 I DOSSIER
perpétrées en Europe pour le compte de l’État islamique.
L’idéal d’une frontière virtuelle et intelligente qui agirait
comme un filtre capable tout à la fois de se rendre
invisible pour les voyageurs de bonne foi et à l’inverse
infranchissable pour les migrants irréguliers, les criminels
et les terroristes s’est vu fondamentalement remis en
cause. L’image des vagues de réfugiés rejoignant l’Europe
par la route des Balkans et la crainte de voir des djihadistes
se mêler à ces flux de personnes – phénomène avéré
mais largement exagéré tant il apparaît limité au regard
du million et demi de réfugiés arrivés en Europe en
2015 – ont contribué à la réactualisation de la frontière
comme ligne de démarcation, mais aussi comme ligne de
protection.
En quelques mois à peine, les contrôles frontaliers
et, dans certains cas, les barrières frontalières se sont
multipliés dans et autour de l’espace Schengen. Ce que
nous pourrions décrire comme la « mécanique » de la crise
Schengen trouve son origine dans la décision française
de rétablir des contrôles à la frontière franco-italienne, à
Vintimille, en juin 2015 et, plus encore, dans la décision
prise le même mois par le gouvernement hongrois d’ériger
une barrière de quatre mètres de haut tout au long des 175
kilomètres de frontière séparant la Hongrie de la Serbie.
L’objectif de cette barrière est alors de bloquer les arrivées
de candidats réfugiés, essentiellement Afghans, Syriens
et Irakiens, sur le territoire hongrois. La mise en place
de cette barrière, faite d’une clôture métallique et de fils
barbelés, sera achevée dès le mois d’août 2015.
Ces quelques exemples n’épuisent pas tous les cas de
renforcement ou, pour reprendre les termes d’Évelyne
Ritaine [2009] et d’Élisabeth Vallet [2012], de « blindage »
de leurs frontières par des États européens 1. Ils ont
par contre un point commun : ils concernent tous des
frontières extérieures de l’espace
Schengen. La frontière entre
la Slovénie et la Hongrie d’une
LE PARADIGME
part et la Croatie d’autre part est
certes particulière en ce qu’elle
ÉCONOMIStE Et
sépare deux États membres de
tECHNOSCIENtIFIqUE DE
l’Union, mais elle n’en reste pas
moins une frontière extérieure
LA GEStION INtÉGRÉE DES
du point de vue de l’espace
FRONtIèRES EXtÉRIEURES
Schengen. La Croatie fait partie
de l’Union mais elle n’est encore
DE L’UNION SE VOIt
que candidate à l’adhésion à
AUJOURD’HUI DÉStABILISÉ
l’espace Schengen, au même titre
que la Bulgarie, la Roumanie et
SOUS L’EFFEt CONJUGUÉ
Chypre. À cet égard, les projets de
DE LA CRISE DES RÉFUGIÉS
barrières frontalières qui ont été
évoqués, s’ils se multiplient, ne
DE L’ÉtÉ 2015 Et DES
se distinguent pas véritablement
AttAqUES tERRORIStES
d’autres projets similaires parfois
beaucoup plus anciens. Pensons
PERPÉtRÉES EN EUROPE
notamment au renforcement,
POUR LE COMPtE DE L’ÉtAt
au début des années 2000, des
clôtures ceinturant les enclaves
ISLAMIqUE.
espagnoles de Melilla et de Ceuta
sur la rive Sud de la Méditerranée.
Ou, plus récemment, l’érection en 2011 d’une barrière
frontalière entre la Grèce et la Turquie dans la région
d’Oriestada.
Dans les mois qui suivent, plusieurs États Schengen vont
se lancer dans des programmes comparables. L’Estonie
et la Lettonie décident, en août, de dresser une barrière le
long de leur frontière avec la Russie. Le dispositif combine
des dispositifs de surveillance tels que des caméras,
des radars, des systèmes électroniques de détection, ou
encore des drones d’observation, mais aussi une barrière
physique sur le modèle hongrois. Le projet sera par ailleurs
étendu à la frontière biélorusse. En novembre, la Slovénie
décide à son tour d’installer une barrière, de taille plus
réduite, sur une portion de sa frontière avec la Croatie. Si
l’objectif du gouvernement slovène n’est pas de bloquer
l’accès des réfugiés au territoire national, mais plutôt de les
« canaliser » vers des points d’entrée précis où ils pourront
être identifiés et pris en charge, le choix des instruments –
la barrière frontalière et des gardes-frontières sur le terrain
– reste le même.
L’annonce faite par l’Allemagne, en septembre 2015, de
rétablir des contrôles à ses frontières avec l’Autriche, la
République tchèque et dans une moindre mesure avec
la France, et, ce, après l’arrivée de plusieurs centaines de
milliers de candidats réfugiés sur son territoire au cours de
l’été, est d’un autre ordre. S’il n’est pas question d’ériger
une barrière, il s’agit bien de déroger à l’esprit des accords
de Schengen. Une nouvelle étape est franchie en octobre
lorsque l’Autriche s’engage à son tour dans un projet de
barrière frontalière le long d’une portion de frontière avec
la Slovénie. Pour la première fois, un obstacle physique
s’immisce entre deux États Schengen. Suite aux attentats du
13 novembre et dans la perspective de la COP21 de Paris,
la France rétablit elle aussi des contrôles aux frontières.
Enfin, en janvier 2016, la Suède décide d’effectuer des
contrôles d’identité lors du franchissement du pont-tunnel
de l’Oresund, reliant le Danemark à la Suède. Elle rétablit
Clôtures, barrières et points de passage
(1) Nous aurions pu encore évoquer le cas de la Bulgarie ou celui de la République de Macédoine.
Des smart borders aux clôtures barbelées : la revanche du low-tech ? – Denis DUEZ
DOSSIER I 173
également des vérifications d’identité pour les ferrys
en provenance des ports danois et allemands de la mer
baltique. Le Danemark fait de même à sa frontière avec
l’Allemagne.
Ces décisions successives des États européens de rétablir
des frontières « tangibles », ne constituent pas en ellesmêmes une remise en cause de Schengen. Il ne s’agit ni
de « fermetures des frontières » – le passage est toujours
possible pour les personnes autorisées à se mouvoir dans
l’espace Schengen – ni même d’une « suspension des
accords de Schengen 2 ». Pas plus d’ailleurs qu’il ne s’agit
d’une remise en cause du principe de libre circulation des
personnes entendu ici comme droit des citoyens européens
à s’établir dans un autre État membre que le leur. Ce droit
s’accommode très bien – du moins théoriquement – d’un
rétablissement des contrôles aux frontières. Il s’agit donc
plutôt d’une suspension du libre franchissement des
frontières effectuée dans le cadre des accords de Schengen
et d’une réinscription dans la géographie des tracés de
frontières qui avaient été progressivement effacés au cours
des vingt dernières années.
Les barrières et les contrôles,
ou la politique du spectacle
De même, qu’ils ne sont pas une violation des accords de
Schengen, du moins pas tant qu’ils restent temporaires,
les contrôles aux frontières ne sont pas non plus des
dispositifs de sécurité efficaces. Étant question des flux
de personnes – qu’il s’agisse de migrants, de réfugiés, de
criminels ou de terroristes – il a été largement démontré
que les dispositifs de contrôle, ceux mis en place aux
checkpoints [Ritaine, 2009] et aux points de passage, et les
dispositifs de surveillance, ceux installés entre deux points
de passage le long des frontières « verte » ou « bleue 3 »
[Hobbing, Koslowski, 2009, p. 25-27], s’ils peuvent se
révéler localement efficaces échouent presque toujours au
plan global [Duez, 2008]. Les expériences européennes,
israéliennes ou nord-américaines en témoignent. Les
points de passages peuvent être évités ; les barrières
peuvent être surmontées, contournées, abattues, voire
franchies grâce à des tunnels creusés sous elles.
À cet égard, les mesures prises par la France au lendemain
des attentats de Paris ont valeur d’exemples. Depuis le 20
décembre dernier, les voyageurs empruntant les lignes
Thalys à destination de Bruxelles ou d’Amsterdam sont
confrontés, en gare du Nord et en gare de Lille, à de
nouveaux dispositifs de sécurité. Ces derniers comprennent
notamment un portique pour le contrôle des voyageurs
et un scanner à rayon X pour le contrôle des bagages.
Dans le même temps, aucun dispositif comparable n’a été
mis en œuvre du côté belge et néerlandais, où l’accès aux
quais reste parfaitement libre. Dans le même registre, on
se souviendra de ces reportages télévisés et de ces articles
de presse soulignant le caractère à la fois très visible et
complètement dérisoire, car aisément contournable, des
obstacles frontaliers – des blocs de béton – installés au
milieu de certaines routes traversant la frontière francobelge [voir Quatremer, 2016]. Ce qui semble essentiel dans
les deux cas, c’est moins l’effectivité du contrôle que la
réaffirmation, sur le terrain, de l’autorité publique dans sa
fonction de protecteur de la communauté politique. Ce qui
importe c’est le marquage de la frontière par l’installation
d’obstacles frontaliers à la matérialité palpable : points
de contrôle, checkpoints et présence visible de gardesfrontières, de policiers ou de militaires.
Poursuivant le raisonnement, on ne peut que s’interroger
sur la fonction politique des images qui, cet été, ont choqué
nombre d’Européens, celles de familles, de femmes et
d’enfants, massés devant des grillages barbelés gardés
par des militaires. Ces images terribles symbolisaient-elles
le coût politique, aussi regrettable qu’« inévitable », qu’il
convenait alors de payer pour assurer une meilleure gestion
des frontières ou bien, à l’inverse, étaient-elles précisément
ce qui était recherché : l’incarnation dans l’image d’un
message politique de fermeté en matière de contrôle des
flux de personnes en Europe ? Sans doute serait-il trop
manichéen de trancher dans un sens ou dans l’autre. Sans
doute la réalité se trouve-t-elle, comme toujours, quelque
part entre ces deux extrêmes. Mais nous ne pouvons ici
que repenser à l’analyse que nous proposait, en 2009 déjà,
Olivier Razac dans sa passionnante Histoire politique du
barbelé. Ce dernier nous rappelait alors que le barbelé est
un « opérateur spatial exemplaire » [Razac, 2009, p. 88]. Sa
fonction est, certes, de rendre plus efficace l’action qui
repousse vers l’extérieur et donc protège l’intérieur, mais
(2) Les mesures d’exception prises par une série d’États membres sont permises par le chapitre II du Règlement (CE) établissant un code communautaire
relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes. L’article 26 de ce code, modifié en 2013, relatif à la procédure de
réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global
de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, prévoit même la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières intérieures pour une durée
de 6 mois renouvelable trois fois, soit deux ans au total.
(3) Les expressions frontières « verte » et « bleue » désignent les portions de frontières situées entre deux points de passage officiels [Hobbing,
Koslowski, 2009, p. 25-27].
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
174 I DOSSIER
le premier effet du barbelé est surtout de reconfigurer en
« meutes » ceux qui tentent de pénétrer à l’intérieur de
l’espace ainsi délimité. Du fait des barbelés, ce sont des
« hordes », bien plus qu’un ensemble d’individus porteurs
de droits, qu’il convient de canaliser, de regrouper et, in
fine, de repousser [Razac, 2009, p. 171].
croire tant certains n’hésitent plus aujourd’hui à faire
« l’éloge des frontières » [Debray, 2010] ou à postuler leur
caractère « indispensable » [Baudet, 2015]. À rebours de
ces approches, il nous semble toutefois que ce qui est
actuellement à l’œuvre n’est pas tant une réaffirmation du
fait national, qu’un retour du politique dans la gestion des
frontières. Ce que l’on voit ressurgir, c’est l’idée, finalement
En définitive, le rétablissement des contrôles aux frontières très banale, selon laquelle la frontière est bien plus qu’un
intérieures, et peut-être plus encore l’érection de barrières simple « site » de la globalisation où s’exerceraient, pour
anti-immigrants là où elle intervient,
des motifs purement fonctionnels,
vise sans doute moins à empêcher
des mécanismes néolibéraux de
les franchissements des frontières
gestion des risques visant à garantir
des États membres qu’elles ne jouent
une régulation optimale des flux de
la carte de la spectacularisation du
personnes, de biens et de capitaux.
DE MêME, qU’ILS
contrôle et de la dissuasion. Chaque
À la faveur des crises récentes, la
NE SONt PAS UNE
État gagne aujourd’hui à adopter la
frontière se voit en effet (re)convoquée
posture la moins accueillante afin de
dans sa fonction première, celle de
VIOLAtION DES
canaliser les réfugiés vers d’autres
marqueur politico-symbolique. Les
ACCORDS DE SCHENGEN,
routes et d’autres États membres. Le
discours politiques sur les frontières
caractère explicitement défensif des
et les pratiques de contrôle qui
DU MOINS PAS tANt
rétablissements des contrôles aux
leur sont liées – que ces discours
qU’ILS REStENt
frontières semble dès lors largement
soient nationaux ou européens –
déconnecté de toute idée d’efficacité
participent de l’affirmation ou de
tEMPORAIRES, LES
opérationnelle. Dans une Europe,
la réaffirmation de l’existence de
CONtRôLES AUX
où plus de 900 millions de voyageurs
communautés supposément mises
entrent et sortent chaque année
en danger par la globalisation et les
FRONtIèRES NE SONt
de l’UE par l’un de ses aéroports
flux transnationaux. Plus ou moins
PAS NON PLUS DES
internationaux, où les franchissements
conscient, plus ou moins volontaire,
terrestres des frontières intérieures et
ce processus se traduit par une
DISPOSItIFS DE SÉCURItÉ
extérieures se comptent en milliards
tendance à faire frontière, voire à faire
EFFICACES.
et où la durée moyenne d’une
front contre. Il réinjecte ce faisant une
vérification d’identité à la frontière
dose de politique là où le paradigme
dure en moyenne douze secondes
de la gestion intégrée des frontières
[Frontex, 2014], les contrôles aux
extérieures tendait au contraire à
frontières fonctionnent nécessairement sur le mode du dépolitiser les pratiques frontalières.
spectaculaire. Ils ne peuvent être que l’exception, pas la
règle. De fait, la barrière hongroise annoncée à grand On pourra se réjouir ou à l’inverse regretter cette
renfort de communication politique a, par exemple, repolitisation de la frontière, mais force est de constater
rapidement montré ses limites en ne permettant pas que ce mouvement de repolitisation produit des
d’empêcher complètement les franchissements irréguliers. définitions du « dedans » et du « dehors », de Soi et de
Ces défaillances n’ont pourtant pas empêché la Hongrie l’Autre, socialement et politiquement construites. En
d’entreprendre l’installation d’un dispositif similaire, posant la question de ce qui est dedans et de ce qui est
forcément tout aussi peu efficace, à ses frontières avec la dehors, mais aussi celle du passage de l’un à l’autre, les
Croatie et la Roumanie.
régimes frontaliers fournissent un principe d’identification
à l’entité politique et posent les limites de la communauté
politique [Huysmans, 2006 ; Duez, 2014]. Mais, dans
un contexte dominé par la peur du terrorisme et une
inquiétude croissante quant aux effets des flux de réfugiés
sur les États européens, cette repolitisation et cette
Au terme de notre réflexion, une question s’impose : réaffirmation des limites de la communauté s’opèrent sur
assiste-t-on, avec le retour des contrôles frontaliers, au le mode de la fermeture, du repli sur soi et du rejet de
retour du fait national, à une forme de réimposition du l’Autre ; et non sur un mode alternatif qui serait quant à
paradigme national-souverainiste à la faveur de la crise lui fondé sur l’accueil et l’inclusion.
des réfugiés et de la menace terroriste ? On pourrait le
Conclusion
Des smart borders aux clôtures barbelées : la revanche du low-tech ? – Denis DUEZ
DOSSIER I 175
De ce point de vue l’opposition structurante qui peut
être décelée dans la problématique actuelle des frontières
européennes n’est pas tant celle qui opposerait des États
d’un côté et l’UE de l’autre. Ce ne sont pas les souverainetés
nationales et la supranationalité européenne qui entrent en
tension, mais bien plutôt des pratiques gestionnaires et
dépolitisées de gestion des flux de personnes, d’une part,
et, d’autre part, une conception éminemment politique
de la frontière. À ce titre, la décision récente consistant
à transformer l’Agence Frontex en un véritable Corps
européen de gardes-frontières et gardes-côtes révèle
certes un glissement de certaines fonctions régaliennes
vers l’échelon européen, mais elle témoigne surtout d’une
politisation croissante des enjeux frontaliers, politisation
qui consiste, une fois de plus, à enfermer ces enjeux dans
le seul registre de la sécurité n
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Actes du colloque
L'Europe de la sécurité
et de la justice
quels enjeux pour la France ?
14 octobre 2016
Le 14 octobre 2016, l’Institut des hautes études de la sécurité et
de la justice organisait à Paris un colloque consacré à « L’Europe
de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ? ».
Cette manifestation s’inscrivait dans le cadre de la démarche de
réflexion engagée avec l’élaboration de ce numéro des Cahiers de
la sécurité et de la justice consacré exclusivement à la question
européenne. Les intervenants à ce colloque, universitaires et
responsables institutionnels, Français et Européens, ont développé,
dans le champ de compétence qui leur était propre, plusieurs
thèmes représentant un enjeu fort sur les questions de sécurité
et de justice pour la construction européenne. Les textes qui
suivent constituent la restitution des conférences qui y ont été
prononcées.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
L’Europe de la sécurité
et de la justice
quels enjeux pour la France ?
Colloque
le 14 octobre 2016
Programme et inscription
www.inhesj.fr
Contact
communication@inhesj.fr
ACTES DU COLLOQUE I 179
Introduction à l’Europe de
la sécurité et de la justice
Cyrille SCHOtt
Préfet de région, ancien directeur de l'INHESJ
L
e thème de l’Europe de la sécurité et de la
justice est d’une brulante actualité. Il s’est
invité au cœur de l’agenda européen. Lorsque
les chefs d’État et de gouvernement veulent
relancer l’Europe, c’est dans le champ de la sécurité, de
la sécurité aux frontières, de la lutte contre le terrorisme
et dans la réponse aux défis migratoires qu’ils situent les
avancées nécessaires et possibles. Cette thématique est
devenue centrale dans la conscience de nos gouvernants,
ainsi que des peuples européens. Ce n’est pas sans raison
qu’il y a désormais un commissaire à temps plein au sein
de la Commission européenne en charge des questions de
sécurité, le commissaire britannique Julian King.
L’évolution est significative. Jusqu’il y a peu, lorsqu’il
s’agissait de l’Union européenne, on faisait référence
au marché unique, à la monnaie unique, à la finance
européenne ou à la politique agricole, mais guère à
la sécurité. Pourtant, si l’on élève un peu le regard et
considère l’histoire de la construction européenne depuis le
début, il n’y a rien d’incongru à ce que la sécurité soit ainsi
venue au cœur de l’agenda européen. Après la Seconde
Guerre mondiale, il y a eu des hommes, des prophètes
de l’Europe, les Schuman, Adenauer, Gasperi, Spaak, qui
ont dit : « Plus jamais la guerre, plus jamais l’insécurité en
Europe ! ». Et, pour commencer, ils ont proposé de mettre
en commun les industries de guerre, celles du charbon et
de l’acier. Ensuite, l’Europe a choisi la voie de l’économie
pour réaliser cet espace de paix. Aujourd’hui, il n’est pas
interdit de considérer que si l’Europe valorise tant le thème
de la sécurité, c’est qu’elle revient à l’idée fondatrice selon
laquelle elle devait être fondée sur la sécurité pour ses
peuples et au sein de ses nations.
Ainsi les questions de sécurité et de justice sont devenues
centrales. Il faut néanmoins rappeler que l’Europe a déjà
parcouru du chemin dans ce domaine, alors qu’on lui fait
le reproche de ne pas être assez efficace, voire, pour les
plus critiques, d’être impuissante. Et paradoxalement, dans
le même temps, on se tourne vers elle pour lui demander
d’intervenir. Je vais m’arrêter sur cette évolution.
Sur le chemin parcouru, rappelons quelques éléments de
base. Dès 1957, dans le traité de Rome, est évoquée la
libre circulation des personnes. La sécurité intérieure n’est
toutefois pas à l’ordre du jour. L’objectif est de construire
le marché commun, la communauté économique. Une
coopération policière très informelle se met néanmoins
en place dans les commencements du Marché commun.
À partir de 1975, des ministres s’associent à cette
coopération, dans le cadre de ce que l’on appelle alors les
réunions de TREVI. En réalité, le véritable coup d’envoi
de la coopération en matière de sécurité au sein de l’Europe
accompagne la création de l’espace Schengen. Schengen
est souvent critiqué à travers une vision simpliste, selon
laquelle, grâce à l’ouverture des frontières, tout le monde,
et en particulier les criminels et les terroristes, peut
circuler n’importe où et n’importe comment. On oublie
de dire que, dès la mise en œuvre de la convention de
Schengen, il est décidé, afin de lutter contre la criminalité,
de prendre des mesures compensatoires et de développer
la coopération policière, judiciaire et douanière. Se
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
180 I ACTES DU COLLOQUE
et la radicalisation, la lutte contre la grande criminalité, la
lutte contre la cybercriminalité, la sécurité des frontières.
D’autre part, est développée une politique de sécurité et
de défense commune, animée par le haut représentant
ou la haute représentante à l’action extérieure de l’Union
européenne, fonction créée par le traité de Lisbonne. À
cette politique de sécurité et de défense commune sont
rattachés le coordinateur de la lutte contre le terrorisme ou
encore des structures comme le service de renseignements.
met alors en branle une démarche de coopération qui
dépasse la seule question de l’ouverture des frontières. La
« coopération Schengen » va constituer le laboratoire de
la construction européenne dans le champ de la sécurité.
C’est à partir de là que se renforcent les coopérations
et se crée cette énorme base de données, le système
d’information Schengen (S.I.S.), qui, aujourd’hui, contient
les données relatives à plus de 1,2 million de personnes et
50 millions d’objets recherchés.
En 1992, le traité de Maastricht crée le pilier justice et
affaires intérieures (JAI), lequel est intergouvernemental.
En 1997, le traité d’Amsterdam intègre la coopération
Schengen dans le cadre juridique communautaire. Il instaure
l’espace de liberté, de sécurité et de justice. En 2007, le
traité de Lisbonne constitue une autre étape décisive, car
il va « communautariser » les questions liées à cet espace
de liberté, de sécurité et de justice. Le traité de Lisbonne
affirme la compétence particulière du Conseil européen
et, par voie de conséquence, du Conseil des ministres
de l’Union européenne, lequel est assisté par un Comité
opérationnel de sécurité intérieure (COSI). En même
temps, Lisbonne reconnaît la compétence du Parlement
européen, ce qui fait entrer les questions de sécurité dans le
mécanisme de la codécision. L’évolution est considérable :
de l’intergouvernemental, l’on passe au communautaire.
En 1999, une réunion du Conseil européen consacrée à
cet espace de liberté, de sécurité et de justice va déboucher
sur la déclaration de Tampere, qui elle-même est suivie
par le programme de La Haye pour 2005-2009, puis celui
de Stockholm pour 2009-2014. Il est décidé d’arrêter une
stratégie européenne de sécurité intérieure. La première est
adoptée en 2010. La deuxième l’est en juin 2015 et passe
plutôt inaperçue, malgré son importance. Des objectifs
majeurs y sont fixés comme la lutte contre le terrorisme
Toutes ces étapes ont abouti à un certain nombre
de résultats significatifs. Par exemple, Europol est
aujourd’hui une structure très solide, forte de nombreuses
coopérations policières. De même, Eurojust, dans le
domaine de la coopération judiciaire, et Frontex sont des
agences constituées dans les champs de la sécurité et de
la justice. D’autres outils importants ont été développés,
comme le mandat d’arrêt européen, qui a permis de
renvoyer rapidement en Belgique le terroriste arrêté
en France pour des attentats commis à Bruxelles. Des
équipes d’enquête mixte ont été créées. La reconnaissance
mutuelle des décisions de justice en matière pénale a
été décidée. Des bases de données ont été connectées,
notamment les bases de données qui concernent les casiers
judiciaires. Tout cela est méconnu, voire mal interprété par
l’opinion publique. On ne voit pas vraiment, en dehors
des instances européennes, le chemin parcouru en matière
de coopération policière, judiciaire et douanière.
Il reste que, malgré ce chemin parcouru, l’Europe n’a pas
encore l’efficacité suffisante en proportion des défis à
relever. Des faiblesses subsistent, qu’il faut regarder en
face, ce qui va être fait lors de ce colloque. Je vais m’arrêter
un moment sur certaines de ces faiblesses, que certains
d’entre vous ont sûrement à l’esprit. Il y a d’abord des
faiblesses liées à l’organisation même de l’Europe, à
ses structures institutionnelles. Les grandes institutions
européennes doivent se mettre d’accord. Entre le Conseil
européen ou le Conseil des ministres et la Commission, les
relations ne sont pas toujours aisées, comme en témoigne
le débat qu’il y a eu sur les quotas de migrants. Le débat le
plus vif a parfois lieu entre le pôle exécutif et le Parlement,
qui depuis Lisbonne est codécideur. Le Conseil est plutôt
orienté vers la sécurité et le Parlement plutôt orienté vers
la protection des personnes. Pierre Berthelet, à qui ce
colloque doit beaucoup, a écrit un article dans les Cahiers
de la sécurité et de la justice où il expliquait que s’affirmaient
au sein de l’Union, d’un côté, un pôle davantage soucieux
de la sécurité et, de l’autre, un pôle plus soucieux de la
protection des personnes et des libertés publiques.
Selon de nombreux observateurs, la plus grande faiblesse
de l’Union européenne se situe cependant, d’une part,
dans les rapports entre l’Union et les États membres
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 181
et, d’autre part, dans les rapports des États membres
entre eux. Dans le champ de la sécurité et de la justice,
les choses ne sont pas forcément faciles à l’échelon
communautaire. Il faut mettre cela en relation avec ce
qui se passe dans le domaine monétaire où une véritable
structure fédérale agit, la Banque centrale européenne.
Ce n’est pas le cas dans le domaine de la sécurité et de
la justice, car, ici, ce sont les compétences des États qui
sont en jeu, dans le cadre de la souveraineté nationale.
Autant les États sont d’accord pour que la coopération
se développe entre police, instances judiciaires et autres,
autant ils sont extrêmement réticents à créer une structure
qui soit vraiment de nature fédérale. Il ne faut pas oublier
que les gouvernements doivent aussi tenir compte de
leur opinion publique. Le champ de la sécurité et de la
justice reste, en définitive, prioritairement national. Il n’y
existe pas de véritable institution fédérale. Les agences
européennes doivent travailler dans le cadre juridique qui
définit leur mission et leur organisation. Des évolutions
sont néanmoins perceptibles, comme le montre le cas de
Frontex, qui doit désormais créer un corps de gardesfrontières européens, de nature plus fédérale, ou le cas
du parquet européen, qui doit constituer une instance
également de nature fédérale, avec des compétences certes
limitées, dans un premier temps, aux infractions commises
à l’égard du budget européen, des finances européennes.
La tension entre le niveau européen et celui des États est
permanente dans l’histoire de l’Europe. On le constate à
travers les grands débats qui ont lieu autour des questions
migratoires. Cependant, les tensions existent tout autant
entre les États eux-mêmes. Sur ces questions toujours,
entre l’Europe de l’Occident et le groupe de Visegrád
– qui réunit Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie –,
on voit bien que les positions ne sont pas les même et
ces divisions se retrouvent également sur d’autres sujets,
comme la traite des êtres humains, le trafic d’armes ou
même les législations en matière de drogue. La confiance
n’est pas toujours présente entre les États et le niveau
communautaire ou au sein des États entre eux.
Face au défi migratoire, on taxe l’Europe d’inefficacité, on
élève des murs et l’on se rend compte ensuite que ces murs
sont également inefficaces. On se tourne alors de nouveau
vers l’Europe pour lui demander des réponses. C’est un
grand paradoxe. On se tourne vers l’Europe parce que
l’on a conscience que le défi migratoire se pose à l’échelle
du continent et que les réponses doivent être données
à ce niveau. De même, si la lutte contre le terrorisme
demande d’engager à fond les moyens d’une nation,
elle exige la vision communautaire et l’action à l’échelon
communautaire. Le Passenger Name Record (PNR) a son sens
à l’échelon communautaire et non à l’échelon national.
Pour lutter contre le terrorisme, il faut que les nations
soient capables, dans le cadre européen, de travailler entre
elles et de confier certaines missions à l’Union.
L’Union européenne a toujours progressé avec la crise.
Si l’on a surtout à l’esprit les crises actuelles, il faut se
souvenir aussi qu’en 1965, pendant six mois, la France
avait pratiqué la politique de la chaise vide. À chaque fois,
l’Europe avance de crise en crise. Actuellement, nous
vivons ce que l’on appelle à Bruxelles, la « poly-crise »,
c’est-à-dire une accumulation de crises. L’Euro a connu sa
crise, le Brexit en est aujourd’hui une autre tout comme
la question migratoire. Ces crises obligent l’Europe à
avancer, car soit elle les surmonte soit elle meurt. Jusqu’à
présent, elle les a surmontées et j’espère pour ma part
qu’elle continuera à le faire.
Il en va de même pour les questions de sécurité et de justice.
Lors du déplacement des auditeurs de la session nationale
de l’INHESJ à Bruxelles, nous avons pu mesurer le chemin
parcouru, par exemple à l’agence Europol dont l’action
s’est renforcée, qui est devenue plus opérationnelle et qui
a créé un centre spécifique de lutte contre la criminalité.
De la même manière, on note des avancées significatives
sur un sujet aussi important que la coopération entre la
communauté du renseignement et la communauté policière.
Aujourd’hui, l’Europe bouge. Après les attentats de New
York de 2001, le mandat d’arrêt européen, qui était bloqué
depuis des années, est enfin institué. La crise migratoire,
qui vient d’éclater, permet l’adoption de la directive PNR
et la création d’un corps de gardes-frontières européens,
dont personne ne voulait auparavant.
L’Europe est une dynamique, mais elle est également la
délicate rencontre du pragmatisme et de l’idéal. L’idéal
des pères fondateurs d’une véritable union pacifique et
prospère est sans cesse confronté aux intérêts des nations
qui la constituent. Le compromis est, au total, la marque
de fabrique de l’Europe. Elle avance au fil des crises
qu’elle doit surmonter impérativement, sauf à remettre
en cause sa construction même. Ensuite, c’est à l’abri du
bruit médiatique, avec beaucoup de mécanismes de soft
law, de programmes, de stratégies et de plans d’action, que
l’Union tisse une sorte de toile d’araignée qui conduit les
États à aller de l’avant n
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
182 I ACTES DU COLLOQUE
De gauche à droite : Emilio de CAPITANI, Jean-Jacques COLOMBI, Jörg MONAR, Denis DUEZ, David LEROOY, Frédéric MOLLARD
L’Europe des insécurités,
quels enjeux ?
Jean-Jacques COLOMBI
Chef de la division des relations internationales de la Direction centrale
de la police judiciaire (DCPJ)
L'
état de la coopération policière en Europe
incite à avoir une vision optimiste. Les progrès
que nous avons faits au cours des dernières
années, en général à la suite de crises graves,
sont impressionnants. Je livre ici une anecdote significative.
Je rentre de Corée, où j’ai participé pour la France à la
première convention internationale sur le terrorisme et
la coopération internationale vue par le monde asiatique.
J’y ai rencontré des collègues de toutes origines dont
un responsable pakistanais, l’un des chefs des services
de renseignements pakistanais. L’intervention française
était attendue. J’ai montré combien la pression était forte
dans notre pays en matière de terrorisme, comment, sous
l’égide du parquet de Paris, la sous-direction antiterroriste,
depuis l’affaire Merah, avait été saisie de 13 attentats ou
tentatives et comment nous avions eu à faire face, avec
des partenaires étrangers, à 6 attentats au cours desquels
des ressortissants français avaient été tués. Ce responsable
pakistanais me disait en retour que lui-même était très
satisfait parce que cette année, depuis le 1er janvier 2016, il
n’y avait eu au Pakistan que 648 attentats alors que l’année
précédente il y en avait eu 1 500, ce qui est le rythme
habituel, et que le service qu’il dirigeait avait été deux fois
la cible d’attentats par voiture piégée, attentats au cours
desquels il avait perdu 5 collaborateurs la première fois,
puis 80 la deuxième fois à Lahore. Il me disait alors à quel
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 183
point nous avions de la chance avec ce mandat d’arrêt
européen qu’il trouvait formidable.
Et c’est tout à fait vrai. Depuis que ce mandat d’arrêt
européen existe, toutes les semaines, nous faisons des
choses que l’on ne faisait pas auparavant. Aujourd’hui,
toutes les semaines, un individu qui entre dans les phares
de la justice française, peut être arrêté deux heures plus tard
à la frontière bulgaro-turque et, dans les trois semaines,
si ce n’est pas dans la semaine qui suit, être ramené en
France pour être présenté au magistrat qui a délivré la
pièce de justice. Tous les ans, il y a environ 500 personnes
recherchées par la justice française qui sont arrêtées en
Europe. Et nous arrêtons environ 800 personnes pour
le compte de nos partenaires. Il faudrait ajouter à cela
les arrestations qui sont faites dans le cadre d’Interpol,
hors l’espace européen, mais ce n’est pas le sujet qui nous
occupe principalement aujourd’hui.
Il faut donc être optimiste. Est-ce que la coopération
policière au niveau européen marche ? La réponse est
oui et cela plus que jamais. Je suis à la tête d’un service
qui opère pour le compte de tous, police, gendarmerie,
douane, avec l’assistance de la direction des Affaires
criminelles et des Grâces du ministère de la Justice, et qui
est le seul en Europe à avoir une mission justice, ce qui
me permet d’être plus réactif pour valider telle ou telle
demande étrangère ou accélérer telle ou telle demande
française. Ce service a vu passer entre ses mains l’année
dernière 385 000 messages internationaux en entrée ou en
sortie avec nos partenaires. Nous travaillons évidemment
beaucoup plus avec l’Allemagne qu’avec l’Argentine. Sur
ces 385 000 messages, 300 000 concernent l’Europe.
Cette activité explose ; plus de 100 000 messages tous les
ans. Bien sûr, il y a la crise migratoire. Bien sûr, il y a la
crise terroriste. J’y reviendrai. La coopération policière au
niveau européen fonctionne et on peut encore l’améliorer.
Des défis importants nous attendent. Si je me réfère à un
document de la Commission paru il y a quelques mois,
1,8 million de franchissements illégaux des frontières
de l’Union au cours de l’année dernière. Il ne vous a
pas échappé que plusieurs terroristes qui ont participé
à l’attaque du Stade de France se sont introduits dans
l’espace de l’Union en utilisant l’existence de cette vague
migratoire. Il ne vous a pas échappé non plus que nous
avons des foreign fighters qui, tous les jours, tentent de
partir pour rejoindre les zones de combat, même s’il
y en a beaucoup moins maintenant que par les années
passées. Il n’en demeure pas moins que si je me fie aux
chiffres du directeur général de la Sécurité intérieure, nous
avons actuellement environ 650 personnes qui sont sur les
théâtres de combats, plus de 200 qui en sont revenues et
200 qui y sont mortes. Il y en a à peu près autant qui sont
dans les pays tiers, c’est-à-dire essentiellement la Turquie
et il y a environ 911 garçons et filles qui ont manifesté des
velléités de départ. Le premier enjeu est donc le contrôle
des frontières et le deuxième la lutte contre le terrorisme.
Mais quels sont les autres enjeux ? Les autres défis ? La
criminalité organisée, plus personne n’en parle maintenant.
Charlie, le Bataclan, Nice et les autres attaques occupent
bien sûr le devant de la scène. Mais le crime organisé
reste une réalité très grave. Ses membres, je vous l’assure
profitent du moment actuel. Nous avons des indications
très claires sur le fait que, dans nos prisons ou en dehors
de nos prisons, les membres du Crime organisé national
mettent en place des stratégies tirant profit de notre
implication totale dans les crises que je viens de rappeler
pour faire leur business. Ce qu’il faut craindre d’ailleurs,
c’est que, si nous relâchons notre attention, le jour où l’on
sortira de la crise terroriste, il se produira une sorte d’effet
tunnel. Nous prendrons alors le soleil en plein visage.
Le crime organisé qui impacte la France et l’Europe se
structure autour d’organisations criminelles étrangères,
caucasiennes, balkaniques, qui s’appuient souvent sur des
implantations territoriales locales. Elles sont claniques,
familiales le plus souvent et très difficiles à pénétrer. Elles
profitent de la séquence terroriste pour décloisonner leurs
activités. Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails, mais
il faudrait citer la criminalité sérielle, les cambriolages à
répétition ou encore ces raideurs qui partent de Moldavie
ou de Lituanie et écument l’Europe entière pour finir à
Dieppe au bout de cinq jours de raid.
C’est un fait nouveau à relever. Lorsque j’ai commencé
mon travail en police judiciaire, il y a très longtemps, si
vous étiez « de plainte » dans un commissariat de police
le matin et que vous aviez une file de plaignants devant
vous, vous saviez que cette vague de cambriolages était
le fait d’individus du lieu même ou de la ville d’à côté.
Aujourd’hui, vous avez les mêmes vagues, mais avec
des individus qui peuvent venir de Lituanie, de Pologne
ou même de Mongolie ; nous avons effectivement des
groupes de Mongols qui viennent faire des cambriolages
dans notre pays. C’est le crime organisé décloisonné.
Autre phénomène préoccupant, le blanchiment qui
constitue un vecteur irradiant du crime organisé et se
développe à grands pas. Des systèmes de compensation,
des plus simples aux plus sophistiqués, passent en dessous
ou au-dessus des radars de nos institutions spécialisées
comme Tracfin. Aujourd’hui, et il y a dix ans encore ce
n’était pas le cas, le blanchisseur est identifié et reconnu
comme tel dans le panorama criminel. Dans le monde
des voyous, le blanchisseur exerce un « métier » à part
entière. Le corollaire immédiat en est la corruption. La
grande, celle qui implique également les fameux États dits
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
184 I ACTES DU COLLOQUE
« paradis fiscaux », mais aussi la petite, la corruption de
proximité qui est presque endémique et qui est souvent
portée par des habitudes communautarisées, cela dit
sans « criminaliser » aucune population particulière parce
qu’elle existe en tant que système. Si vous êtes Tamoul
ou originaire d’une tribu africaine ou de n’importe où
ailleurs et que vous retrouvez dans un pays de l’Europe
de l’Ouest dont vous ne parlez pas la langue et dont vous
ne connaissez pas les codes et les fonctionnements, vous
allez naturellement vous appuyer sur quelqu’un de votre
communauté qui va vous servir d’entremetteur moyennant
finances. C’est de la petite corruption de proximité.
la globalité d’un problème par une seule recherche. Les
institutions européennes sont traversées par le sujet de
l’interopérabilité, terme lourd et assez incompréhensible,
sur les systèmes d’information. Les enquêteurs européens
se moquent de savoir si c’est interopérable, interconnecté
ou inter ce que vous voulez. Ce qu’ils veulent, c’est avoir
une interface unique de recherche où lorsqu’ils entrent un
nom, ils ont en réponse, de manière transparente, tout
ce qui existe dans nos mémoires sur ce nom, en accès
direct ou indirect parce que l’on sait parfaitement qu’on ne
peut pas tout avoir et qu’il faudra trouver des mécanismes
ultérieurs pour désanonymiser les données.
Les progrès en matière de coopération européenne
sont réels. Tout le monde a décrié Schengen après les
événements du Bataclan. Or, le système d’information
Schengen est celui qui fonctionne le mieux dans la
coopération policière européenne de police et cela sans
que les utilisateurs sachent exactement qu’ils l’utilisent.
N’importe quelle patrouille de police en Europe
effectuant un contrôle sur le terrain au jour J interroge en
fait Schengen lorsqu’elle interroge ses bases nationales.
C’est aussi la limite de Schengen parce que lorsque l’on
demande aux policiers ce qu’ils pensent de Schengen, ils
répondront qu’ils ne savent pas ce que c’est. Dans cet
état des lieux de ce qui progresse, on peut également
citer Europol. L’Office est très différent de ce qu’il était
il y a quelques années. Europol aussi existe aujourd’hui à
cause des événements du Bataclan. C’est la France, qui
a conduit les partenaires belges à partager l’ensemble de
nos données d’analyse de l’enquête Paris Bruxelles et de
la faire traiter par Europol. C’est au niveau de la direction
centrale de la Police judiciaire que nous avons amené nos
collègues des services de renseignement à accepter ce
partage. On a fait gagner ainsi vingt ans à Europol.
Il faut également sécuriser les identités, car il y a là un
vrai problème. Je rencontre des collègues du Maghreb ou
du monde arabe pour qui cette question ne se pose pas
du tout de la même manière qu’en France. Même chose
d’ailleurs pour l’ex-Yougoslavie. La même personne peut
avoir légitimement trois ou quatre identités différentes.
Il faut donc sécuriser l’identité et comment le faire si ce
n’est par la biométrie. Il faut par conséquent continuer
sur le chemin de l’implémentation de la biométrie dans
les fichiers de police. Il faut « boucher les quelques trous qui
existent encore dans la raquette ».
Que peut-on alors faire de mieux ? Par exemple au
niveau des enquêtes. Une enquête, cela suppose des
moyens d’action pour perquisitionner, intercepter, suivre,
cela repose également sur des systèmes d’information
et des systèmes permettant de faire de l’analyse
criminelle. Des progrès conséquents ont eu été réalisés.
Les outils existent pour couvrir la quasi-totalité du
champ d’action, des plus simples aux plus sophistiqués,
permettant la mise en commun des informations. Il est
possible de suivre des personnes de Paris à Rome par
les observations transfrontières comme d’avoir accès à
toutes les bases de données européennes. Ce qui mérite
d’être amélioré aujourd’hui c’est l’alimentation de nos
bases de données de manière à les rendre plus faciles
d’utilisation et de permettre aux enquêteurs d’aborder
Enfin, dans un monde qui bouge, de plus en plus
internationalisé, il faut arriver à faciliter les accès à des
données qui relèvent complètement de la coopération
judiciaire. Il est impossible aujourd’hui de mener à bien
une investigation quelle qu’elle soit, si l’on n’a pas accès à
des serveurs de sociétés qui, par exemple, sont localisées
au Portugal, en Irlande ou ailleurs ; il faut d’abord passer
par la voie de la demande d’entraide pénale pour obtenir
une réponse en sachant que celle-ci ne sera pas positive,
qu’elle constituera juste un moyen pour faire une nouvelle
réquisition. Tout cela pourrait être grandement amélioré si,
comme cela a été fait pour les observations transfrontières
ou la gestion des mandats d’arrêt européens, l’on confiait
aux organes de coopération policière, sous forme
normalisée, la possibilité de requérir directement sur
accord du magistrat.
Continuer ce travail, poursuivre ces avancées, représente un
objectif incontournable. Après la pérennisation de la paix
qui a constitué le premier enjeu pour la construction de
l’Europe, le deuxième enjeu, l’enjeu actuel, est de construire
une politique européenne de sécurité stabilisée n
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 185
La directive européenne
sur les armes à feu
Frédéric MOLLARD
Lieutenant-colonel de la gendarmerie nationale, chef du secteur sécurité
de l’espace européen au Secrétariat général des affaires européennes
J
e vais aborder ici, sous forme de témoignage, les
conditions de préparation de la négociation de la
révision de la directive sur les armes à feu et tenter
de montrer de quelle manière on est passé d’un
sujet extrêmement technique à un enjeu en partie
politique.
Cette négociation représente un enjeu fort pour la France
comme pour l’Union européenne. Un enjeu pour la France
parce que, tout simplement, celle-ci a été particulièrement
touchée, notamment au moment des attentats de l’année
2015, et a joué à ce titre un rôle majeur dans l’impulsion
vers la révision de cette directive. L’année 2015 a constitué
le point de départ d’un parcours où l’on est passé d’un
sujet technique, les armes à feu, à un sujet dont le monde
politique s’est emparé pour le porter, dans une relative
urgence, devant les instances européennes.
En 2014, l’enjeu est principalement technique et la question
est portée par les ministères, notamment de l’Intérieur et
de la Défense, qui travaillent essentiellement au sein du
Conseil sur des sujets très concrets comme la définition
de glossaires techniques ou encore les conditions dans
lesquelles mettre en place les techniques de neutralisation
des armes. Il s’agit d’un travail relativement confidentiel.
Le point de départ effectif de ce processus se situe en
2015, à partir des attentats et avec des retours d’expérience.
On prend conscience de faits que l’on connaissait déjà,
par exemple qu’il pouvait y avoir des failles dans la
réglementation sur la détention et l’acquisition des armes
à feu, mais l’on réalise surtout que l’on se trouve devant
le meilleur moment pour accélérer les choses et faire
en sorte d’aboutir à une révision de cette directive pour
combler les failles repérées. Les attentats, notamment
ceux du 7 et 8 janvier à Paris, font prendre conscience
à tous de l’importance de la question, à la fois par le
nombre de victimes mais aussi par l’utilisation des armes,
qui va investir le champ politique au travers de la force des
images. Il y a eu une prise de conscience générale du fait
que tous les Européens étaient susceptibles de se trouver
face à une menace où les armes à feu joueraient un rôle
décisif, des armes parfois légalement mises sur le marché
ou parfois techniquement modifiées pour pouvoir être
utilisées sans enfreindre la législation.
Les autorités françaises ont alors réalisé qu’il fallait
effectivement réviser cette directive. Celle-ci encadre
le marché légal, ce qui a pu poser quelques questions,
notamment celle de savoir si le marché légal constituait
le bon point d’entrée ou la meilleure approche. Nous
étions en fait convaincus que c’était la bonne approche,
tout simplement parce que les armes qui se trouvent à un
moment donné dans la zone grise ou même sur le marché
illégal, ont toutes été produites légalement. Soit à la faveur
d’un vol, soit à la faveur d’un détournement, il y a toujours
un passage du marché légal vers une zone de criminalité.
Le problème était de durcir, dans des proportions qu’il
nous restait à définir, la législation sur le marché légal
des armes pour pouvoir contrer, dans les meilleures
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
186 I ACTES DU COLLOQUE
conditions possibles, la partie qui concerne le trafic, pour
faciliter la mise en œuvre des politiques de lutte contre
la criminalité organisée, entendue de manière générale ou
contre l’action terroriste.
Dans quelles conditions cette modification législative a-telle été préparée ? Il y a d’abord une condition de temps
avec une démarche qui comprend traditionnellement
plusieurs phases :
- une phase de préparation d’un acte législatif ;
- une phase de négociation et d’adoption lorsque les textes
sont présentés au Parlement et au Conseil ;
- une phase de transposition de ces textes ;
- enfin une quatrième phase qui porte sur le retour
d’expériences et l’évaluation pour savoir si les États
membres appliquent bien les textes adoptés.
Dans un premier temps, le défi était d’agir rapidement par
l’élaboration, entre janvier et novembre 2015, d’un texte
qui prévoyait la révision de la directive sur la détention
et l’acquisition des armes. Il a d’abord fallu faire au
niveau national un tour d’horizon tenant compte des
compétences souvent multiples des différents ministères,
ministère de l’Intérieur, ministère de la Défense, ministère
de la Justice, puis produire une contribution française
destinée à informer les services de la Commission, mais
également le Parlement européen, des failles que nous
avions détectées et qu’il fallait combler en proposant
essentiellement des modifications législatives pertinentes.
Au cours de cette phase préparatoire, la Commission s’est
appuyée sur les expériences de la société civile par la mise
en place d’une consultation publique. L’aboutissement
en a été, le 18 novembre 2015, ce qu’on a appelé un
« paquet » constitué de deux textes. L’un qui envisageait
la révision de la directive dans le cadre de l’encadrement
du marché légal et l’autre qui concernait ce que l’on
appelle un règlement d’exécution. Il s’agit là d’un texte
plus technique visant à définir les normes communes en
matière de neutralisation. Ces deux textes constituent ce
que l’on a appelé le paquet législatif sur les armes à feu.
La présentation de ces deux textes par la Commission, le
18 novembre 2015, a ouvert la voie à la phase suivante,
celle des négociations et de l’adoption. Cette dernière
s’est achevée par la prise de position du Conseil et du
Parlement européens à l’été 2016.
Nous nous trouvons actuellement dans la phase dite des
« trilogues », où l’on va tenter de concilier les approches
du Conseil avec celles du Parlement. Qu’est-ce qui
est en jeu dans cette négociation ? En premier lieu
la classification des armes. L’actuelle classification va
évoluer avec l’interdiction de certaines armes qui ont
été jugées les plus dangereuses, des armes automatiques,
« de guerre », transformées en armes semi-automatiques
et parfois utilisées dans le tir sportif. Un certain nombre
d’armes parmi les plus dangereuses vont être classées
différemment et ne pourront pas faire l’objet d’acquisition
sauf conditions particulières. D’autres armes également
seront soumises à déclaration, les armes de chasse, les
armes d’alarme, de signalisation, les armes acoustiques, et
feront l’objet d’un contrôle plus grand.
Un autre enjeu concerne l’extension du champ
d’application de la directive. L’émergence d’Internet a été
prise en compte, ce qui n’était pas le cas avec la directive
précédente, une directive de 1991 modifiée en 2008. En
2016, la vente sur Internet, toujours sur le marché légal,
s’est développée, tout comme s’est développé le courtage.
Il s’agissait de soumettre notamment les courtiers, les
collectionneurs, aux mêmes conditions que celles fixées
aux armuriers, dans l’objectif d’améliorer la connaissance
concernant l’acquisition de la détention des armes, ce qui
pose le problème de la traçabilité des armes, à la fois lors
des transactions « classiques » physiques, celles que l’on
peut connaître près de l’armurerie locale, mais aussi lors
des transactions qui s’opèrent sur Internet.
Dernier enjeu, l’échange d’informations, cette fois-ci à un
échelon douanier, lors des transferts d’armes en Europe.
Selon les États, et c’est le cas en France, on avait affaire
à un suivi qui était largement perfectible, pour savoir, du
moment où une autorisation est donnée pour importer une
arme, comment suivre cette arme de bout en bout, entre le
moment où une personne va acheter son arme à l’autre bout
de l’Europe et celui où elle la ramène chez elle. Un certain
nombre de failles ont là aussi été identifiées. La question de
l’échange d’informations entre États membres a fait l’objet
de discussions, l’enjeu de ces discussions étant de garantir
une certaine proportionnalité dans la révision, car il était
nécessaire de prendre en compte la particularité d’utilisateurs
massifs d’un certain nombre d’armes comme les chasseurs
ou les tireurs sportifs, tout en ramenant les exigences de
sécurité à la situation que nous vivons aujourd’hui.
Il fallait enfin prendre en compte le fait que l’on allait
légiférer pour les dix années à venir, concernant des
phénomènes déjà identifiés en 2008 et d’autres qui sont
à venir comme l’arrivée sur le marché, d’ici quelques
années, d’armes qui proviendront des zones de conflit
à la périphérie de l’Europe. Alors que nous travaillons
aujourd’hui sur des phénomènes qui datent des
années 1990, par exemple le fait de solder des stocks
d’armes issus des conflits européens des années 1990,
voire, pour certaines armes, la Seconde Guerre mondiale,
il va falloir maintenant légiférer sur les phénomènes à
venir et sur le long terme n
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 187
La directive européenne
sur les armes à feu
David LEROOy
Commissaire de la police nationale, premier conseiller du corps des
tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel, ancien chef
du secteur sécurité de l’espace européen au SGAE
S
i vous le permettez, avant d’aborder le sujet
central de mon intervention je souhaiterais
introduire une remarque de caractère général
sur l’Europe des insécurités en complément
de ce que je viens d’entendre. Force est de constater que
l’espace Schengen, du fait du terrorisme et de la crise
migratoire, est devenu anxiogène pour les Européens.
C’est ce que montre bien l’Eurobaromètre. Pourtant,
même si beaucoup a été fait, même si les échanges et la
coopération n’ont jamais atteint un niveau aussi élevé en
Europe, même si Schengen est un espace de coopération
efficace qu’il ne faut pas réduire à l’abolition des contrôles
aux frontières intérieures, même si c’est une véritable
coopération qui existe depuis plus de trente ans en
Europe, force est de constater qu’aujourd’hui l’espace
Schengen qui était synonyme d’opportunités est vécu à la
fois comme une menace et une cible. Face à ce constat,
quelles réponses visibles et efficaces peut-on apporter ?
On en a évoqué ici quelques-unes comme la protection
des frontières extérieures ou encore le renforcement
de la collecte et du partage des informations entre
États membres. Sur toutes ces questions, une marge de
manœuvre importante subsiste et il y a encore une sousutilisation des instruments existants. Le traité de Prüm a
été évoqué et il est tout à fait exact qu’il n’est pas encore
totalement et intégralement appliqué alors qu’il a été
adopté en 2008.
Il est devenu impératif de retrouver la maîtrise et le
contrôle du territoire de l’Union européenne et de
retrouver la maîtrise de la circulation des personnes, des
biens et des capitaux. Sur ce dernier point, c’est tout l’enjeu
du financement de la lutte contre le blanchiment et de la
lutte contre le financement du terrorisme. Nous verrons
à travers la directive sur les armes à feu l’importance des
sujets comme la circulation de certains biens pas comme
les autres. S’agissant de la circulation des individus,
l’objectif est de garantir la traçabilité de potentiels
terroristes circulant dans l’Union européenne. C’est à cet
objectif que répond, par exemple, le PNR (Passenger Name
Record) européen. Celui-ci a été l’objet de négociations
longues et laborieuses et a abouti, en 2015, d’une manière
assez rapide sous la pression des événements. Cette
négociation a illustré le rôle du Parlement européen
ainsi que les divergences entre le Conseil et le Parlement
européens.
Tout d’abord, rapidement, qu’est-ce que le Passenger Name
Record ? Il s’agit du recensement des données des dossiers
passagers ; ce sont des informations non vérifiées qui sont
communiquées par les passagers, recueillies et conservées
par les transporteurs aériens parce qu’elles sont nécessaires
à la réservation commerciale. Elles comportent un certain
nombre d’informations. Il y a dix-neuf données PNR qui
sont recensées comme le nom de la personne, les dates
du voyage, l’itinéraire, le numéro de siège, les données
relatives aux bagages, les coordonnées ou encore le
moyen de paiement utilisé… Quel est l’intérêt de récolter
ces données ? La plupart des activités liées au terrorisme
et à la criminalité organisée impliquent des déplacements
internationaux. Le PNR permet de croiser ces données
avec les fichiers de police pour détecter des individus déjà
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
188 I ACTES DU COLLOQUE
connus dans ces fichiers. Il permet aussi, c’est un avantage
important, d’identifier des suspects qui étaient jusqu’alors
inconnus des services. Il possède une fonction de ciblage
qui explique la difficulté dans les négociations d’aboutir à
un équilibre. Il présente également l’intérêt de prendre en
compte les vols aériens et d’utiliser les données recueillies
dans les enquêtes judiciaires.
Pourquoi un PNR européen sachant que certains
États membres se sont déjà dotés de PNR nationaux ?
L’avantage était d’harmoniser la gestion et l’utilisation
des données PNR à l’échelle de l’Union européenne et
d’éviter ainsi que ces systèmes nationaux en cours de
création soient incompatibles entre eux et prennent place
dans un certain vide juridique européen. Le deuxième
point important, c’est que l’on pouvait également créer
un modèle européen d’utilisation des données PNR
pouvant être présenté aux pays tiers qui sont de plus en
plus désireux d’obtenir ces données. Là aussi, il y a sur ce
sujet des désaccords, comme le montre l’accord PNR UeCanada qui n’a pas encore été validé par la Cour de justice
de l’Union européenne.
En définitive, il s’agit bien d’un outil utile pour l’Europe,
pour sa sécurité intérieure, même si c’est un outil parmi
d’autres.
Une première proposition de la Commission avait été
déposée en 2007 puis retirée. Une proposition postLisbonne a été déposée et présentée par la Commission
en 2011. Le texte a fait l’objet d’une motion de rejet au
Parlement européen en 2013. Lorsque je suis arrivé au
Secrétariat général aux affaires européennes, le PNR était
un sujet presque enterré. On n’en parlait plus vraiment.
Les discussions n’avaient pas repris au Parlement
européen. Tout un travail de pédagogie a commencé à la
faveur des premiers attentats. Il y a eu d’abord l’attentat
contre le Musée juif de Bruxelles en mai 2014. Fin 2014,
nous avions aussi une certaine pression, à la faveur des
différents événements, pour reprendre les discussions
au Parlement européen et essayer d’aboutir sur ce texte.
Ça figure dans les conclusions des différents conseils en
permanence. Évidemment, l’attentat de Charlie Hebdo en
janvier 2015 a changé la donne. Les discussions ont repris
dès février-mars 2015. Un texte au Parlement européen a
été voté en juillet 2015 et un accord politique a été obtenu
en décembre 2015. Comme quoi finalement, sous la
pression de l’événement, les choses ont pu s’accélérer et
nous avons pu aboutir à un texte.
Qu’est-ce qui concrètement a fait que ces négociations ont
été difficiles ? J’évoquerai trois points pour entrer un peu
dans le détail de la négociation. Le premier point, c’est le
champ d’application de la directive. Il n’était pas question
pour nous d’avoir un mini-PNR avec des failles béantes
dans le dispositif. Nous souhaitions, au niveau national,
l’inclusion des vols intra-européens, pas seulement extraeuropéens comme il était prévu. Nous souhaitions aussi
que puissent être inclus les agences de voyages et les tours
opérateurs. Il ne s’agissait pas de permettre des stratégies
de contournement et d’avoir un outil totalement inefficace.
Le compromis a été assez difficile sur ces points-là. Le
texte a abouti à ce que ces deux points soient des clauses
facultatives dans le texte de compromis. Il a fallu même
qu’au dernier conseil de décembre 2015, à la demande de
la France, à la demande du ministre de l’Intérieur, qu’il y
ait une déclaration des vingt-huit qui s’engagent à faire
usage de ces clauses facultatives dans la transposition
du texte. Maintenant, dans la phase de transposition du
texte, ce n’est pas une obligation juridique, mais c’est un
engagement politique qui a été pris en décembre 2015, là
aussi parce qu’on n’avait plus le temps de renégocier le
texte et poursuivre indéfiniment la négociation. Il fallait
aller vite et c’est le compromis qui a été trouvé sur ce
point.
Le deuxième point clé de la négociation a concerné les
sujets liés à la finalité de la directive. La finalité du PNR,
dans la proposition de la Commission, c’est la lutte contre
le terrorisme et la criminalité grave. Sur ce dernier point, la
criminalité grave, on n’avait pas totalement de consensus.
Le Parlement européen souhaitait réduire la liste. On avait
plutôt la référence de la liste du mandat d’arrêt européen,
le Parlement souhaitait la réduire et ajouter un critère de
transnationalité dans les infractions graves. Ce qui était
source de complexité majeure pour avoir un instrument
efficace et pratique au quotidien. Alors le compromis qui
a été trouvé, c’est qu’on a une liste ad hoc, qui n’est pas la
liste du mandat d’arrêt européen, mais une liste de vingtsix infractions. Nous sommes revenus à la mention de
la criminalité grave sans critère de transnationalité, mais
là aussi, ça a généré un certain nombre de débats sur ce
point.
Enfin, le troisième point clé de la négociation, et sans
doute le plus complexe, le plus tendu, a été la question
de la protection des données qui, pour le Parlement
européen, était une exigence fondamentale, sachant que
parallèlement, on négociait le règlement et la directive
sur la protection des données, et que l’objectif, c’était de
pouvoir, a minima, adopter le PNR en même temps que
ces deux textes, ce qui a finalement été le cas en avril 2016.
Rapidement, la durée de conservation des données sur le
PNR est de cinq ans. Elle n’a pas bougé par rapport à ce
qui était le texte initial et à nos demandes. En revanche, la
durée des données qui était avant le masque des données
a fait l’objet de beaucoup de débats. Suivant le texte de
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 189
la Commission, on était à sept jours. Les États membres
avaient proposé deux ans avant qu’on masque les données.
Le Parlement européen était à trente jours. On a trouvé
un compromis à six mois en évitant également une
procédure de démasquage qui soit trop lourde et qui aurait
nui également au caractère opérationnel du dispositif. Il
y a aussi tout un nombre de garanties de protection des
données qui ont été renforcées dans le texte et qui ont
permis d’aboutir en décembre 2015 à ce compromis, en
particulier la nomination d’un délégué à la protection
des données qui seront dans les unités d’information
des passagers, ce qui permettra un contrôle, au moins a
posteriori, du traitement des données PNR.
crise à surmonter ces divergences institutionnelles pour
aboutir sur un texte. Je rejoins ce que disait Monsieur De
Capitani, c’est que le travail aurait pu être aussi sur tout
un tas de sujets préparés à l’avance. Aujourd’hui, on est
en train d’adopter de nombreux textes dans un temps
très court : des textes sur l’asile, l’Agence européenne des
gardes-frontières, la révision du code frontière Schengen,
le système d’entrée/sortie, le projet Ethias. L’exemple de
l’Agence européenne des gardes-frontières et des gardecôtes montre bien pourtant qu’on est capable de le faire
et qu’on est capable de le faire rapidement. On a abouti,
en six mois, sur un texte majeur avec beaucoup d’articles.
C’est peut-être la meilleure raison d’être optimiste, en tout
cas sur la capacité de l’Europe à faire face aux crises n
Pour conclure sur ce point, je dirais que cette négociation
illustre la longueur du processus européen, il a fallu
quand même neuf ans pour aboutir au texte, et en même
temps, malgré tout, sa capacité dans ce contexte de
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
190 I ACTES DU COLLOQUE
La nouvelle directive « terrorisme »
et quelques réflexions sur l’évolution
institutionnelle en matière policière
et judiciaire
Emilio de CAPItANI
Directeur exécutif du Fundamental Rights European Experts Group (FREE Group)
et professeur associé à la Queen Mary’s Law School de Londres
A
u regard du nombre d’années nécessaires à
l’élaboration du mandat d’arrêt européen,
la préparation de la décision-cadre terrorisme
a pris très peu de temps. Le travail sur ce
texte a débuté avant les attentats du 11 septembre 2001.
Le 5 septembre 2001, le Parlement européen avait adopté
une résolution de mon ancien président Watson sur le
terrorisme et le mandat d’arrêt européen. Sept jours plus
tard, on a vu ce qui s’est passé et qui a changé l’histoire du
monde des dernières années. Cela a permis au commissaire
Vitorino, à l’époque commissaire pour la justice et les
affaires intérieures, de présenter les deux propositions un
mois plus tard. La leçon à tirer est qu’il faut se préparer
avant que l’incendie n’éclate et ne pas creuser le puits pour
chercher l’eau alors que l’incendie est déjà déclaré. C’est
qui s’est passé malheureusement ces dernières années, au
moment où ont éclaté des crises que l’on aurait très bien
pu préparer à l’avance, tant sur les questions financières,
migratoires ou relatives au terrorisme.
Au début, ces mesures étaient celles dites « du troisième
pilier ». Le problème a été l’absence de prise en compte
des conséquences de telles mesures. Cela a pris plus de
dix ans et aujourd’hui encore, nous n’avons pas une
vision claire sur leur impact réel. C’est comme si un
législateur légiférait sans savoir vraiment sur quoi ses
décisions vont déboucher. Il n’est même pas possible
d’apprendre de ses propres erreurs afin d’améliorer le
texte. Cela est dû pour partie au caractère très technique
de ces questions qui ont été traitées lors de la période
transitoire prévue par le traité de Lisbonne (et laissant
perdurer le régime intergouvernemental existant avant ce
traité concernant les matières policière et judiciaire). Au
cours de cette période de transition, ni la Commission,
ni la Cour de justice ne pouvaient intervenir en cas de
non-transposition par les États membres des mesures
prises au niveau de l’Union européenne (si celles-ci avaient
été adoptées avant le traité de Lisbonne). Cette période
s’est achevée en décembre 2014. Or, la semaine dernière
encore, au sein d’un groupe de travail du Conseil, les États
membres en étaient encore à se dire qu’il faudrait peutêtre se transmettre des informations sur le pourquoi et
le comment de l’adoption de certaines de ces mesures.
Il y a deux semaines également, la Commission a mis
sur la sellette quelques États membres qui n’appliquent
toujours pas aujourd’hui les décisions de Prüm (lesquelles
permettent l’interconnexion des services de police
nationaux concernant notamment l’échange des profils
ADN). Au bout de cinq ans, des États dans l’Union
européenne ne le encore font pas, faute de transposition
correcte de ces décisions prises avant l’entrée en vigueur
du traité de Lisbonne.
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 191
Je voudrais aborder aussi le thème des foreign figthers qui
avait été bien entrevu déjà en 2013 par le coordinateur de
la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, lorsqu’il
intervenait au Parlement européen et devant le Conseil sur
le risque du retour des personnes radicalisées d’Afrique
centrale et également, déjà à l’époque, de Syrie. Par je
ne sais quel parcours mystérieux, cette préoccupation
est parvenue jusqu’à la table du Conseil de sécurité des
Nations unies. Lors d’une séance d’une durée d’un peu
plus de trente secondes et sous la présidence pour la
première fois du président des États-Unis, Barack Obama,
une résolution prévoyant la criminalisation des personnes
qui se rendent sur des territoires où se déroule un conflit
armé a été adoptée à l’unanimité. Cette résolution essayait
d’une part de réprimer et, d’autre part, de préserver
les principes essentiels du droit humanitaire. Le droit
international prévoit en effet la participation à un conflit
armé mais il n’admet pas que soient commis des actes qui
violent la Convention de Genève.
Évidemment, les foreign fighters par leurs actes violent les
mesures du droit international, mais encore faut-il le
prouver, ce qui n’est pas évident lorsqu’ils se trouvent
dans des territoires comme ceux de la Syrie. Le problème
était de prévenir d’éventuels attentats, alors qu’il est
presque impossible d’avoir une coopération judiciaire
dans les pays où se trouvent ces foreign fighters. Comment
les intercepter à leur retour ? L’idée la plus pertinente était
de le faire avant leur départ, ce qui a ouvert un nombre
important de débats qui ont abouti à une convention sur
le terrorisme du Conseil de l’Europe. Celle-ci a permis
de travailler sur des hypothèses de criminalisation de
certaines activités préparatoires, très préparatoires dans
certains cas, comme le fait de collecter des données sur
l’achat d’un billet d’avion pour se rendre en Turquie, et de
la Turquie passer ensuite en Syrie.
Ayant déjà adopté une décision de 2002, modifiée en
2008, l’Union européenne a pu intervenir sur ce domaine
du terrorisme parce qu’il était devenu, paradoxalement,
de compétence exclusive. L’Union européenne en train de
négocier pour adopter une directive sur le terrorisme. Je
dis bien une directive et non plus décision-cadre comme
avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Dans
certains cas, où les situations sont claires et précises, elle
peut être directement être appliquée, mais elle continue à
être, à mon avis, entachée, du fait qu’elle prétend obtenir
des résultats tout en prenant les précautions nécessaires.
C’est ce qui permet de dire que l’on criminalise, mais
dans le respect des droits fondamentaux. Qu’en serat-il réellement lorsqu’elle sera adoptée ? Elle permettra
à la police de criminaliser beaucoup de monde, mais elle
donnera aussi au juge la possibilité de ne pas poursuivre
si, selon son interprétation, les éléments pour ne sont pas
réunis. Ce qui fait que, à mon avis, ce n’est pas un bon
texte de loi.
J’en viens à l’un des aspects les plus intéressants de mon
expérience au Parlement européen, aspect qui concerne
le fait que les mesures doivent être à la fois nécessaires,
justifiées et équilibrées, lorsque l’on appréhende
des malfaiteurs, principalement des terroristes. La
proportionnalité et la nécessité, sont les deux mots-clés
de la protection des données personnelles. Ç’est ce qui
explique que le Parlement européen a joué le rôle de Robin
des bois et le Conseil celui du shérif de Nottingham. En
insistant sur la proportionnalité et la nécessité, je dois
avouer que le Parlement européen ne visait pas seulement
la protection des données de la personne, mais également
le contrôle de la politique de sécurité, ces conditions
permettant de voir si certaines mesures prises en matière
sécuritaire étaient réellement proportionnées ou pas. Pour
pouvoir l’affirmer, il fallait voir s’il y avait des alternatives.
Pour trouver ces alternatives, il fallait regarder ce qui se
faisait dans les États membres. Et comme l’on n’avait pas
d’informations sur ce qui se passait dans ces États, c’est
un retour à la case départ.
Lorsque l’on parle d’une politique aussi sensible que la
politique sécuritaire, on comprend que les États membres
n’aiment pas être contrôlés par les autres États membres,
et encore moins par les institutions européennes.
Pourtant, ces politiques sont importantes. Si l’on
n’implique pas dans leur définition et leur mise en œuvre,
les représentants du peuple, les parlements nationaux ou
le Parlement européen, le risque est grand d’ouvrir un
dialogue de sourds. C’est malheureusement ce qui se passe
aujourd’hui.
Le législateur doit intervenir alors que les stratégies
et le côté opérationnel sont séparés, ce qui n’est pas
exactement ce à quoi on pourrait s’attendre. Qu’est-ce
qui se passe exactement ? Le Parlement européen essaye
de lancer toute une série de recherches pour essayer
de comprendre la nature du besoin, tant au niveau
financier, qu’aux niveaux opérationnel et législatif. Je
trouve particulièrement scandaleux que, depuis tous les
attentats qui se sont produits ces dernières années, il n’ait
pas encore été créé au sein de l’Union européenne, une
commission d’enquête sur le déroulement et l’évolution de
ces attentats. Il y a eu des enquêtes nationales, mais il n’y
a pas eu d’enquête européenne. Et pourtant, il y a eu des
morts de tous les pays de l’Union européenne. Je pense
qu’une commission Nine Eleven de l’Union européenne
pourrait nous apprendre beaucoup de choses, par exemple
que nous sommes peut-être tombés dans les mêmes
erreurs que les Américains ont commises.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
192 I ACTES DU COLLOQUE
Nonobstant toutes ces critiques, il y a malgré tout
des aspects positifs. Quelque chose de nouveau s’est
produit, notamment pour ce qui concerne le contrôle
des frontières. En 2001, on avait déjà pensé aux gardesfrontières européens, c’était une proposition francoitalienne qui n’a pas été retenue. On a alors créé Frontex
en 2004 qui a été renforcé en 2007, puis en 2011 et
encore en 2013. En 2016, l’agence est le cœur du premier
système de contrôle intégré des frontières. C’est un
concept tout à fait nouveau parce qu’il introduit la notion
de mandatory. Ce n’est plus une collaboration volontaire
comme c’est encore le cas dans la coopération policière
classique. C’est une coopération structurée qui donne
la possibilité au directeur de Frontex de vérifier ce qui
se passe sur le terrain sans préavis. Elle lui donne aussi
le pouvoir de prendre et de recommander des mesures
dans l’hypothèse où des pays qui ne seraient pas assez
réactifs, et le cas échéant, de déclencher, sur proposition
à la Commission et par la suite au Conseil, des actions
de sécurisation de certaines parties de la frontière. Cette
possibilité, assez extraordinaire, montre qu’au niveau de
l’Union européenne, la notion classique du contrôle des
frontières est en train de muter vers une notion de police
intérieure. Ce n’est pas un hasard si la dernière mesure de
l’agence prend la stratégie de sécurité intérieure comme
cadre de référence. En effet, ce que l’on contrôle, ce
n’est pas la frontière, mais aussi l’avant-frontière, ce qui
signifie que l’on contrôle l’intérieur de la frontière et
donc, tous les territoires. C’est ce que disait très justement
Monsieur Colombi avant moi, le système Schengen
n’est pas un système de contrôle aux frontières, c’est un
système de contrôle de tout le territoire. Le problème qui
subsiste est que le système Schengen reste alimenté par
la bonne volonté des États. Or, ce qui est en train de se
passer, et vous le verrez l’année prochaine, c’est que le
système Schengen va devenir le système nerveux de la
sécurité intérieure européenne, dans la mesure où il y aura
l’obligation de transmettre des informations. Aujourd’hui,
par exemple, l’Allemagne transmet des données sur les
personnes expulsées, mais d’autres pays ne le font pas.
Si tout le monde en vient à suivre les mêmes standards,
nous aurons un système que même les États-Unis ne
possèdent pas. L’avantage d’arriver tard, c’est que l’on
peut apprendre de ce que les autres ont fait.
Le traité possède encore des ambiguïtés qui sont le fait
des États membres eux-mêmes. La séparation entre
sécurité extérieure et sécurité intérieure était très chère à
la France et au Royaume-Uni. Maintenant, il se trouve que
l’on utilise un outil de la sécurité extérieure sur les eaux
extraterritoriales : il s’agit de l’opération Euronavfor Med
(Sophia). On utilise, ce qui est logique, tous les moyens
dont on dispose. Mais sur le plan juridique, il reste très
compliqué de comprendre quelles seront les mesures
réellement applicables et qui en aura la responsabilité.
Pour finir, je trouve assez choquant que l’on soit en train
d’adopter une version alambiquée du procureur européen
dans le but de protéger les finances de l’Union européenne,
alors même que personne n’a remarqué que, dans le traité
de Lisbonne, ce procureur européen pourrait constituer
l’amorce d’un nouvel instrument chargé de lutter contre
le terrorisme n
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 193
De gauche à droite : Anne WEYEMBERGH, Stefan BRAUM
Contrôle social total versus
libertés fondamentales
Stefan BRAUM
Doyen de la Faculté de droit, d’économie et de finance, et professeur en
droit à l’Université du Luxembourg
Le nouveau droit pénal :
ni répressif, ni préventif :
le contrôle social post-moderne
C
lassiquement, le droit pénal reposait sur deux
volets : la répression et la prévention 1. Ces
deux volets fondent le droit pénal en tant
qu'instrument, nécessairement formalisé, du
contrôle social. La répression, découlant de la philosophie
politique des XVIIIe et XIXe siècles, constitue une réponse
catégorique à une violation grave d'un droit fondamental
d'autrui. La prévention quant à elle peut avoir plusieurs
visages : celui de la dissuasion, celui de la réintégration
ou encore celui du maintien de la confiance dans le bon
fonctionnement des systèmes sociaux.
Toutes les théories ont un point de référence qu'il s'agisse
de l'individu dont les droits ne sont pas respectés ou de
(1) Van de Kerchove (G.), 2005, « Les fonctions de la sanction pénale. Entre droit et philosophie », Sanctions, Informations sociales, n° 127, p. 22-31.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
194 I ACTES DU COLLOQUE
la société supposée tirer avantage de la sanction pénale
du fait de ses effets présumés. Déjà, souhaiter assurer
à travers le droit pénal la confiance que l'on peut avoir
dans le bon fonctionnement des systèmes sociaux est une
formule qui entraîne un changement fondamental pour le
droit pénal qui s'ouvre à la gestion de risques. En utilisant
la sanction pénale, le système politique croit pouvoir éviter
des risques systémiques. On établit alors un lien entre la
règle pénale et son effet social même si cet effet n'est pas
mesurable et s'évapore dans la complexité des rapports
sociaux.
Ces formes traditionnelles de contrôle social sont peutêtre encore en vigueur, mais sont dépassées par un
autre modèle ; les infractions perdent leurs éléments
d'imputation et font référence aux risques systémiques.
Les éléments de l'infraction deviennent généraux, sans
être soumis à un contrôle juridictionnel restrictif. Cela
ne conduit à aucune condamnation, ce qui n'est pas un
hasard. De telles infractions ouvrent la porte aux autorités
d'investigation. Des enquêtes sont déclenchées par la
police, par les procureurs. Plus encore, la structure de
l'infraction est motivée par des stratégies d'échanges des
données et d'informations. Cet échange est de plus en plus
appuyé sur un réseau de bases de données interconnectées.
La relation entre la structure de l’infraction et le rôle
assigné dans ce contexte au droit pénal, en tant que simple
instrument du contrôle social, fait disparaître les points
de références traditionnels. La structure sert finalement
à l'établissement d'un réseau d'informations collectées
par différents acteurs de la justice criminelle : la police,
les procureurs, mais aussi les services de renseignement.
Ces autorités peuvent utiliser ces informations et leurs
algorithmes en fonction des besoins politiques. Ces
algorithmes peuvent donner lieu à des poursuites ou non,
à des condamnations ou non, à des surveillances ou à des
mesures secrètes d'investigation ou non. Les mesures
antiterroristes et les structures systémiques en lien avec
ces mesures n’ont ni plus ni moins qu’un objectif de
contrôle total.
La « Postmodernité » est, en réalité, un bon terme
sociologique pour désigner ce phénomène qui révèle
surtout une situation inquiétante, tant l'érosion des droits
fondamentaux semble irrévocable.
Les Libertés oubliées
La liberté se construit au sein de la société civile grâce
à un espace public qui rend possible la participation au
processus démocratique en étant préservé du politique,
du pouvoir et de l'autorité. Cet espace public est aussi
le fondement sur lequel repose l'ordre démocratique.
Lorsqu'il est question d'identifier l'ordre légitime, l'action
morale, la décision juste, la réponse adéquate doivent être
recherchées dans les principes qui sont communs, publics,
indérogeables et au cœur de nos sociétés européennes. La
liberté naît du respect pour les autres et de la rencontre
entre l'estime réciproque et la pratique de la tolérance. Les
libertés individuelles sont la source de toute intégration
sociale aboutie et de tout ordre étatique légitime. Soit la
législation des États et leur constitution respectent cette
liberté, soit celle-ci cesse d'être un droit.
Le principe de légalité remplacé
par une technique de contrôle
Après le 11 septembre 2001, une série de mesures
législatives, aussi bien au niveau européen qu’au niveau
national, ont donné à la sécurité une priorité sur les
libertés. Nous avons progressivement étendu le champ
du pénal, renforcé systématiquement les pouvoirs des
autorités policières et des services secrets. Les méthodes
d'enquête secrètes sont devenues la règle, la procédure
pénale traditionnellement engagée sur base de soupçons
suffisants dans un but de répression est devenue
l'exception. Les pouvoirs d'intervention de l'État qui
affectent le patrimoine des individus ont été renforcés,
l'échange d'informations facilité, l'accès aux données
personnelles déverrouillé. Les initiatives des législateurs
nationaux et européens se lisent comme une liste de vœux
de l'exécutif, dont les compétences ont été bâties par une
lutte politique aux dépens des principes de l'État de droit.
Dans le Code pénal s'ajoutent des incriminations issues
de lois européennes sécuritaires, qui ouvrent le champ
d'application du droit pénal à la volonté de contrôler la
dangerosité. Les articles 135. 1 à 135. 8 du Code pénal
luxembourgeois, ainsi que le paragraphe 129 a. du Code
pénal allemand incriminant les infractions à but terroriste
en sont l'exemple. Ces dispositions ne servent pas à punir.
Elles permettent à la police, aux procureurs et aux services
secrets d'accroître leurs pouvoirs de contrôle. Un droit
pénal aux libellés flous et épars constitue le cheval de Troie
d'un contrôle social total, certains diront même totalitaire.
En faisant du paradigme sécuritaire la clef de voûte de
la réponse au terrorisme, les techniques d'investigation
secrète deviennent une constante de la procédure pénale.
Elles visent non seulement l'infraction, mais s'étendent au
contexte qui l'entoure. Le nombre d'écoutes téléphoniques
à l'échelle européenne qui, depuis des années, ne cesse
d'augmenter, illustre à lui seul un intolérable système de
traitement de données amplement généralisé et diversifié
qui relie les fonctionnaires de police européens.
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 195
Les pénalistes ont depuis longtemps observé l'apparition
de formes de « procès clandestin » : l'accès aux actes est
en partie refusé à la défense et les conditions légales et
factuelles des enquêtes sont dissimulées bien que les
moyens de preuve collectés admis, de sorte que les droits
de la défense ne semblent plus avoir prise sur la procédure.
Sur l'autel de la sécurité sont depuis longtemps sacrifiés les
principes d'un droit pénal fondé sur le procès équitable.
Cela débouche sur un système de justice pénale qui ne
se veut plus uniquement répressif ou préventif, mais qui
aspire avant tout au contrôle des risques et des menaces.
Le droit à la vie privée, élément
de « constitutionnalisation »
de la protection des données
personnelles
À mesure que l'information devenait un précieux objet
de convoitise au sein de la société, le droit à la protection
des données personnelles s'affirmait en tant que droit
fondamental dont chaque individu est détenteur 2. Dans
un premier temps, la protection des données personnelles
a été rattachée au droit à la vie privée. Ainsi, la Cour
européenne des droits de l'homme (CEDH) a considéré
la mémorisation et l’utilisation par une autorité publique
de données relatives à la vie privée d'un individu comme
autant d’ingérences au regard du droit conféré par
l'article 8 al. 1 de la CEDH 3. Son interprétation extensive
rattache au droit à la vie privée les données à caractère
public collectées et stockées de façon systématique par les
autorités 4. De façon similaire, la Cour de justice de l'Union
européenne (CJUE) a affirmé le droit fondamental de
la protection des données personnelles comme étant le
corollaire du droit à la vie privée 5. Dans un second temps,
le traité de Lisbonne a consacré l'autonomie du droit à la
protection des données. D'une part, la Charte des droits
fondamentaux fait suivre le droit au respect de la vie
privée 6 d’une disposition qui fait spécifiquement mention
au droit à la protection des données personnelles 7 et,
d’autre part, l’article 16 du traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne (TFEU) rappelle de nouveau ce droit
tout en introduisant une base légale spécifique à l'action
de l'Union dans ce domaine.
Le droit à la vie privée est ébranlé par les défis de la
société postmoderne. La Cour constitutionnelle allemande
a souligné que la conservation de données n'est pas en
soi contraire au droit au secret des correspondances en
matière de télécommunications (Grundrecht auf Schutz des
Telekommunikationsgeheimnisses 8). Elle en constitue pourtant
une ingérence grave et nécessite d'être strictement
encadrée 9. La gravité de l'ingérence dans la vie privée
de l'individu résulte notamment du progrès technique
en matière de technologies de l'information, au point
que l'algorithme semble désormais régner sur notre vie
quotidienne. L'ère du digital décrypte nos comportements
en qualité de consommateurs, de citoyens ou simplement
en tant qu’individus et génère ainsi tout un flux
d’informations mis à disposition des acteurs publics et
privés.
Nous sommes « déchiffrables », rien ne semble désormais
pouvoir être occulté 10. Le danger qui en découle pour les
droits fondamentaux est double. D'une part, le traitement
des données personnelles n'entraîne pas de préjudice
matériel immédiat pas plus qu’il ne porte atteinte à
l'intégrité physique de la personne, au contraire, sa nature
abstraite fait de l'utilisation des données une atteinte
immatérielle dont il est plus aisé de minimiser la gravité.
D'autre part, la nouvelle « génération Facebook » dévoile
une tendance profonde à divulguer l'information, même
celle strictement privée. Une divulgation insouciante
et désinvolte d'informations personnelles risque de
conforter une conscience apathique, au lieu de renforcer
la conviction que la protection de notre vie privée fait
partie intégrante de la démocratie. Exposé aux mutations
de la sphère publique et du contrôle social, le droit à la
vie privée doit être d'autant plus protégé qu'il contribue à
stabiliser les valeurs de l’État de Droit.
(2) Burket (H.), Dualities of privacy. An introduction to personal data protection and fundamental rights, in Pérez Asinaari (V), Palazzi (P.) (eds.), op.
cit., p. 13-23.
(3) CEDH, 6 mars 1987, Leander c. Suède, Req. n° 9248/81. Pour une analyse de la protection des données personnelles au regard des
dispositions de la CEDH voy. Busser (E. de), 2009, Data protection in the EU and US Criminal Cooperation, A Substantive Law approach to the
EU Internal and transatlantic Cooperation in Criminal Matters between Judicial and Law enforcement authorities, Maklu, p. 84 et ss.
(4) CEDH, 4 mai 2000, Rotaru v. Romania, Req. n° 28341/95.
(5) CJCE, 29 janvier 2008, Promusicae c. Téléfonica de España SAU, aff. C-275/06, §63.
(6) Art. 7 de la Charte des droits fondamentaux.
(7) Art. 8 de la Charte des droits Fondamentaux.
(8) Voy. BVerfG, 1 BvR 256/08 de 2.mars 2010, (« 1. Leitsatz »). L’arrêt est discuté à partir de la page 25.
(9) BVerfG, ibidem, « 2. Leitsatz ».
(10) Pour une réflexion sur l’impact de la « société d’information » sur le droit à la vie privée, voir Gutwirth (S.), 2001, Privacy and the Information
Age, Rowman and Littlefield Publishing, p. 152, en particulier p. 61 et s.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
196 I ACTES DU COLLOQUE
L’importance grandissante de la protection des données
personnelles et sa protection par les Cours est démontrée
par l'arrêt de la CJUE qui a invalidé la directive sur la
conservation des données en raison de son caractère
disproportionné et de l'absence de conformité avec le droit
fondamental à la protection des données personnelles.
Dans l'arrêt Schremps, la Cour a suivi la jurisprudence
de la CEDH, en estimant que le transfert de données à
caractère personnel vers des États tiers, en l’occurrence
les États-Unis, présuppose le respect des standards de
protection européens. Le message est clair. Tout ce qui
est fait au nom de la sécurité n'est pas automatiquement
légitime et, inversement, les mesures qui protègent les
droits fondamentaux sont au service de la sécurité. Ce qui
pousse le pouvoir judiciaire à contrôler l'expansion des lois
sécuritaires réside dans l'éloignement par le législateur et,
à plus forte raison par l'exécutif, des principes de l’État de
droit, tout en compromettant la capacité de ces derniers
à contenir les élans sécuritaires. De même, la prise de
conscience que le respect de ces principes permet une mise
en œuvre ciblée et efficace des lois fait aujourd’hui défaut.
Au lieu de cela, se multiplient les autorités nationales
et européennes qui collectent des données dans le but
d'évaluer les menaces et les risques structurels, mais,
également, de surveiller les individus. Elles dressent des
profils à risque, mesurent le potentiel de dangerosité et
même, lorsque cela est politiquement opportun, apportent
leur soutien aux poursuites pénales. Pour autant, peu
importe que le stockage de données augmente en taille,
nombre et étendue, les promesses de sécurité demeurent
trompeuses. Les politiques ne reconnaissent pas les
dysfonctionnements qui caractérisent le système européen
de collecte des données. En France, au Luxembourg, en
Allemagne, mais aussi dans toute l’Europe, de nouvelles
lois sécuritaires sont en discussion. Faut-il réformer
les mécanismes d'échange des données PNR 11 malgré
les limites dressées par les autorités judiciaires, faut-il
optimiser les systèmes de traitement des données et élargir
toujours plus les incriminations ? L'inflation de ces lois
sécuritaires dépasse cependant les limites normatives que
défend l’État de droit démocratique.
La puissance de la liberté
Pourtant, l’État de droit ne reste pas entièrement démuni.
Il puise sa puissance dans la légitimité qui se nourrit à
son tour des libertés et principes cardinaux qui protègent
les citoyens. Lorsque ces principes sont violés, les
prérogatives répressives de l’État entrent en jeu, encore
faut-il que cela soit fait de manière légale. Pour être
légitimes, les sanctions doivent reposer sur le principe
de légalité pénale. La loi pénale doit être suffisamment
claire, son champ d'application certain (lex certa) et
son application non rétroactive. Procédure pénale et
immunité du danger sont deux choses distinctes. Enfin,
les États de droit démocratiques doivent se protéger des
attaques étrangères par les règles de droit international
public. Nous disposons de ce moyen et nous pouvons
y avoir recours précisément parce qu'il repose sur la
force légitime du droit et s'oppose à un arbitraire brutal.
Dès lors que la terreur devient un danger concret et une
menace extérieure les crimes contre la liberté appellent
une réaction ferme. Toutefois, l'efficacité de la loi qui,
dans la bouche des responsables politiques s'exprime
par des slogans sécuritaires, réside précisément dans la
solidité des principes que nous ne devons pas oublier. Une
réaction appropriée ne nécessite pas de nouvelles lois, elle
réclame d'appliquer avec précision et prudence les cadres
juridiques existants.
Il convient de rappeler que l’État de droit démocratique
est capable de défendre son ordre constitutionnel garant
des libertés, ce qui signifie avant tout le refus de voir dans
la guerre la réponse politique instinctive à la violence
du terrorisme. Envisager la lutte contre la criminalité
dans des termes belliqueux n'est que la conséquence de
l'oubli des principes protecteurs des libertés qui fragilise
l’État de droit démocratique. Lorsque l'expérience d’une
politique sécuritaire omnipotente a eu lieu, elle aboutit
au constat que l’État sécuritaire ne peut rien garantir. La
déclaration de guerre au terrorisme est également un acte
de faiblesse politique. L’analyse des mesures politiques
dans la lutte contre le terrorisme montre une tragique
perte de conscience de la part d’une société occidentale
originellement inspirée par les valeurs libérales. La guerre
présuppose des ennemis. Un crime grave devient alors un
acte de guerre et son auteur un ennemi. Cette confusion
conduit les autorités à riposter par des moyens qui sortent
des cadres de la démocratie et de l'État de droit.
Les discours et les
représentations sur la sécurité
Depuis les attentats de Paris nous revivons la même
logique qui justifiait la réaction politique sécuritaire au
(11) Passenger Name Record.
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 197
lendemain du 11 septembre. En son nom, les principes
constitutionnels fondateurs ont été bafoués dans le même
temps où les moyens militaires ont été augmentés. Les
images de la politique sécuritaire sont toujours les mêmes.
Elles montrent des soldats qui patrouillent, des bouchons
à des frontières qui étaient ouvertes la veille, des avions
militaires qui décollent des porte-avions. Un monde qui
se veut rassurant face à la perte de certitudes fait irruption
dans notre conscience, ce même monde qui paraît
pourtant rendre la disparition de repères irréversible.
L'état d'urgence s'est affiché en sauveur de la société de
l'insouciance. Ces deux mondes sont pourtant aveugles
face à une réalité complexe et insensible à la puissance
normative des principes démocratiques dont nous ne
suivons plus l'idéal. Mener une guerre contre l'ennemi
simplifie dangereusement le problème, car elle n'est en fin
de compte qu’une traque de boucs émissaires aux profils
prédéfinis.
ne cesse de s'étendre. Pourtant, cette stratégie n'échappe
pas à la marginalisation, bien au contraire. La liberté
entendue comme modèle d'ordre social présuppose
dans une perspective nationale une intégration sociopolitique aboutie. Sur le plan international, elle repose sur
une contrainte militaire qui doit suivre une conception
équitable de développement politique durable. La genèse
de ce qu'on appelle l'État islamique réside dans deux
guerres illégitimes de l'Occident, la subséquente tentative
échouée de rétablir la paix en Irak et en Afghanistan et
se prolonge dans l'intégration manquée des quartiers
sensibles des capitales européennes. Un plan Marshall
pour le Proche et Moyen-Orient n'a jamais été lancé. La
composante sociale de la politique d'intégration peine à
être le contrepoids efficace aux sollicitations quotidiennes
et insouciantes de la société de consommation. Qui peut
nous expliquer le sens de la liberté, si nous sommes à la
merci d'un monde en constante accélération ? n
L'étiquette d'ennemi ne définit et ne délimite le problème
qu'en apparence, plaçant confortablement les bons d'un
côté et les méchants de l'autre. La notion d'ennemi
et la rhétorique de la guerre engendrent cette même
radicalisation que l'on croit sous contrôle alors qu’elle
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
198 I ACTES DU COLLOQUE
Réflexions sur quelques équilibres
essentiels au droit pénal européen
Anne WEyEMBERGH
Professeur et présidente de l’Institut d’études européennes
de l’Université Libre de Bruxelles
L
e droit pénal européen se doit d’être équilibré.
Cinq équilibres lui sont ou devraient lui être
essentiels. Il s’agit des équilibres entre les
États membres et l’Union européenne, entre
institutions européennes, entre liberté et sécurité, entre
diversité et unité et, enfin, entre acteurs de la justice pénale.
subsidiarité et de la proportionnalité 3. Sans rentrer dans la
substance de cette répartition, il convient de souligner que
cet équilibre est à l’heure actuelle fragilisé par le contexte
actuel de crise que traverse l’intégration européenne, et
en particulier par la perspective de Brexit qui pourrait
avoir des conséquences fâcheuses sur le rôle de l’UE en
la matière.
L’équilibre entre les États membres
et l’Union européenne (UE)
elle-même
Une des grandes questions soulevées par la perspective du
Brexit est de savoir ce qui va remplacer les instruments de
l’UE en matière pénale, qui lient actuellement le RoyaumeUni, c’est-à-dire principalement les textes de coopération
judiciaire pénale 4 et de coopération policière 5.
La répartition des compétences entre le national (les États
membres) et le supranational (l’UE) est une problématique
éminemment sensible en termes de souveraineté nationale.
À la différence de la sécurité nationale qui reste du ressort
exclusif des États 1, les compétences en matière pénale
sont partagées entre les deux niveaux de pouvoir 2, les
interventions de l’UE devant satisfaire au principe de la
Va-t-on retomber sur une coopération traditionnelle, peu
ambitieuse et retomber sur des instruments préexistants
comme les conventions du Conseil de l’Europe en matière
judiciaire pénale 6 ou sur Interpol en matière policière ? Ce
serait en quelque sorte l’hypothèse d’un « hard Brexit » en
matière pénale…
(1) Articles 4 § 2 TUE et 73 TFUE.
(2) Article 4, § 2 j) TFUE.
(3) Article 5 § 3 et 4 TUE.
(4) Entre autres la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise
entre États membres et la directive 2014/41/UE du 3 avril 2014 concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale.
(5) Comme la partie law enforcement du SIS ou la décision-cadre 2006/960/JAI du 18 décembre 2006 relative à la simplification de l’échange
d’informations et de renseignements entre les services répressifs des États membres de l’UE.
(6) Convention sur l’extradition de 1957 et ses protocoles et convention sur l’entraide judiciaire en matière pénale de 1959 et ses protocoles.
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 199
Ou va-t-on plutôt conclure de nouveaux accords
avec le Royaume-Uni ? Reste à voir bien entendu quel
sera dans cette hypothèse le degré d’ambition de la
coopération mise en place, le degré de confiance mutuelle
entre partenaires. S’agira-t-il d’un « copier-coller » des
instruments actuels de l’Union européenne, avec un même
niveau d’ambitions et de confiance mutuelle ? Ou s’agirat-il d’un régime identique à celui réservé aux partenaires
privilégiés de l’UE que sont les États associés Schengen,
comme l’Islande et la Norvège. Ce serait en quelque
sorte l’hypothèse d’un « soft Brexit » en matière pénale…
Autre question importante pour notre propos ici : celle
de savoir qui sera aux manettes des négociations ? Qui va
adopter l’accord ou les accords à conclure si l’on choisit
cette voie ? Soit l’accord ou les accords avec le RoyaumeUni sera/seront conclu (s) par l’Union européenne, ce qui
serait évidemment la solution la plus souhaitable en ce
qu’elle permettrait entre autres d’éviter la fragmentation
des approches et de maintenir la place et la visibilité de
l’UE, soit l’accord ou les accords avec le Royaume-Uni
sera/seront conclu (s) par les États membres eux-mêmes
avec le Royaume-Uni, ce qui serait évidemment nettement
moins positif du point de vue de l’UE et aboutirait en tout
cas à une certaine dilution de la spécificité et visibilité de
l’UE en matière pénale.
Quelle sera la position des États membres sur cette
question, et en particulier la position des États qui
collaborent le plus dans la pratique avec le Royaume-Uni ?
Il est encore trop tôt pour le dire, mais il y a un réel risque
que le pragmatisme l’emporte sur l’attachement à l’Europe
et l’européanisme, les États souhaitant aller de l’avant afin
d’être le plus rapides et efficaces possible.
Au plan stratégique également, vu l’importance du
Royaume-Uni en matière de sécurité, il y a un risque
d’une certaine aspiration des travaux hors du cadre
institutionnel de l’UE. Pensons ici, entre autres, au
Groupe des onze qui se réunit en marge du Conseil JAI
avec le coordinateur pour la lutte antiterroriste (Gilles
de Kerchove), la Commission et dont le Royaume-Uni
est un des membres les plus actifs. Que va-t-il se passer
lorsque le Royaume-Uni sortira de l’UE ? Dans quel cadre
ces réunions vont-elles avoir lieu ? Va-t-on se passer de
l’expertise du Royaume-Uni ? Ne court-on pas le risque
que ces réunions se tiennent hors du cadre de l’UE ?
L’équilibre entre
les institutions de l’UE
De ce point de vue, le traité de Lisbonne a eu cette
immense plus-value de réaliser un espace pénal européen
beaucoup plus équilibré qu’auparavant puisque, sous
l’effet de la communautarisation qu’il a réalisée, il a
conféré le pouvoir de co-décision au Parlement européen
et une compétence (quasi) pleine et entière à la Cour de
justice de l’UE.
Le Parlement européen a un rôle essentiel à jouer,
entre autres parce que, au plan législatif, c’est la seule
institution qui a conservé une vision transversale de
l’espace de liberté, de sécurité et de justice alors que tant la
Commission que le Conseil (surtout le secrétariat général
du Conseil) ont été affectés par la division entre justice
et sécurité intérieure. Quant à la Cour de justice, elle a
bien entendu un rôle tout à fait essentiel également, entre
autres quant au respect des valeurs fondamentales sur
lesquelles repose l’UE.
L’équilibre entre sécurité
et liberté
Si l’équilibre entre sécurité et liberté a quelque chose de
caricatural, l’équilibre entre les fonctions épée et bouclier
du droit pénal nous semble davantage représentatif de la
complexité du rapport entre le droit pénal et les droits
fondamentaux. Pour rappel, la fonction épée du droit
pénal vise à protéger les individus contre la criminalité
tandis que la fonction bouclier vise à les protéger contre
les abus et l’arbitraire des autorités répressives. Un droit
pénal équilibré implique de trouver la juste balance entre
ces deux fonctions.
De ce point de vue, une évolution positive s’est fait jour
au plan législatif depuis l’entrée en vigueur du traité
de Lisbonne. Il suffit de songer au développement
du rapprochement des garanties procédurales et à
l’adoption de six directives en la matière 7. Les réformes
institutionnelles (la co-décision) introduites par le traité de
(7) Directive 2010/64/UE du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, directive
2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, directive 2013/48/UE du 22 octobre
2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen,
directive (UE) 2016/343 du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son
procès dans le cadre des procédures pénales, directive (UE) 2016/800 du 11 mai 2016 relative à la mise en place de garanties procédurales en
faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, et la dernière non encore publiée
au JO sur l’aide juridictionnelle.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
200 I ACTES DU COLLOQUE
Lisbonne n’y sont pas étrangères. À cet égard, je renvoie
le lecteur à l’ouvrage édité sous la direction de Florian
Trauner et Ariadna Ripoll Servent, qui s’intitule Policy
Change in the Area of Freedom, Security and Justice : how EU
institutions matter, publié chez Routledge en 2015.
Si l’existence de ce risque ne peut pas être écartée dans un délai
raisonnable, cette autorité doit décider s’il y a lieu de mettre fin à la
procédure de remise ». Cet arrêt fait particulièrement bien la
balance entre les préoccupations liées à la liberté et celles
liées à la sécurité 9.
Il n’en demeure pas moins que cet équilibre entre les
fonctions épée et bouclier du droit pénal est mis à rude
épreuve dans le contexte actuel de lutte antiterroriste.
De nombreux exemples en témoignent, entre autres
bien entendu la nouvelle directive sur les infractions
terroristes 8. De ce point de vue on ne peut que souligner
l’importance du rôle de la CJUE et appeler celle-ci à le
jouer pleinement. De nombreux arrêts pourraient être
cités ici, mais nous en épinglerons deux relatifs à la
coopération judiciaire en matière pénale.
Le second arrêt est celui de la CJUE du 6 sept 2016 dans
l’aff. C-182/15 (Aleksei Petruhhin), concernant cette fois
non pas un mandat d’arrêt européen entre États membres
de l’UE, mais une demande d’extradition adressée par
les autorités russes aux autorités lettones concernant
Petruhin, un ressortissant estonien, aux fins de poursuites
pour trafic de stupéfiants. Cet arrêt est lui aussi très
intéressant. Entre autres parce qu’il en ressort que traiter
différemment ses propres citoyens et les citoyens d’autres
États membres aux fins d’extradition vers un État tiers
affecte les articles 18 (non-discrimination fondée sur
la nationalité) et 21 TFUE (liberté de circulation).
En d’autres termes, les citoyens de tout État membre
doivent bénéficier du même niveau de protection que les
citoyens de l’État membre requis. Et la Cour de déclarer
également que, pour éviter l’impunité, l’État membre
requis (Lettonie) doit informer l’État de nationalité de
la personne (Estonie) et le cas échéant lui remettre la
personne si celui-ci émet un mandat d’arrêt européen à
son encontre. Enfin, La Cour rappelle également en se
référant entre autres à son arrêt dans les affaires Aranyosi
et Caldararu, que lorsqu’un État membre est saisi d’une
requête d’un État tiers, il doit vérifier si cette extradition
ne portera pas atteinte aux droits de l’homme, entre autres
à l’interdiction de la torture, des traitements inhumains et
dégradants… D’autres affaires pendantes sont par ailleurs
à suivre dans cette matière 10.
Le premier est l’arrêt de la CJUE du 5 avril 2016 dans
les affaires jointes C-404/15 et C-659/15 PPU, Aryanosi
et Caldararu. Il s’agissait de savoir s’il y a lieu de refuser
l’exécution d’un MAE lorsque la remise entraîne le risque
d’une violation de l’art. 3 CEDH et de l’art. 4 de la Charte
des droits fondamentaux de l’UE (interdiction de la torture
des traitements inhumains et dégradants) en raison des
conditions de détention dans le pays d’émission (Hongrie
et Roumanie). Selon la Cour, lorsque « l’autorité judiciaire de
l’État membre d’exécution dispose d’éléments attestant d’un risque
réel de traitement inhumain ou dégradant des personnes détenues
dans l’État membre d’émission, […], elle est tenue d’apprécier
l’existence de ce risque lorsqu’elle doit décider [d’une remise] ». À
cette fin, un test en deux étapes doit être mené. Dans un
premier temps, « l’autorité […] d’exécution doit, tout d’abord, se
fonder sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés
sur les conditions de détention qui prévalent dans l’État membre
d’émission et démontrant la réalité de défaillances soit systémiques
ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit
encore certains centres de détention ». Dans un deuxième temps,
une fois constatée l’existence d’un tel risque, l’autorité
d’exécution doit encore apprécier « de manière concrète
et précise, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la
personne concernée courra ce risque en raison des conditions de
sa détention envisagées dans l’État membre d’émission ». Si, au
regard de ces informations, cette autorité conclut qu’il y a
un tel risque réel, l’exécution du mandat doit être reportée
jusqu’à ce que l’autorité d’exécution « obtienne les informations
complémentaires lui permettant d’écarter l’existence d’un tel risque.
Enfin, dans le contexte de la lutte antiterroriste et de
la volonté de toujours davantage prévenir les attentats
terroristes, le circuit pénal tend parfois à s’effacer
au profit du droit administratif. Cette tendance est
problématique en ce qu’elle contribue à une certaine
dépossession ou effacement du judiciaire. Je renvoie ici
aux travaux d’Anthony Rizzo (ULB) qui travaille sur les
confiscations et qui démontre que, sous l’impact de la lutte
contre le terrorisme, on laisse progressivement de côté
les confiscations, relevant du processus judiciaire, pour
utiliser des outils de prévention plus rapides, c’est-à-dire
les listes noires de terroristes et les mesures de gel des
(8) Proposition de directive relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil relative à la lutte contre
le terrorisme, COM/2015/0625 final.
(9) À cet égard voir entre autres Bribosia (E.) et Weyembergh (A.), 2016, Arrêt « Aranyosi et Caldararu » : imposition de certaines limites à la
confiance mutuelle dans la coopération judiciaire pénale », Journal de droit européen, n° p. 225 et s.
(10) Voir les affaires C-473/15 et C-191/16.
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 201
avoirs qui les accompagnent. Cette « administrativisation »
des procédures pose bien entendu question au vu du
contournement de certaines garanties procédurales…
Elle contribue aussi au développement d’une certaine
confusion ambiante entre disciplines, autorités et acteurs 11.
L’équilibre entre la diversité
et l’unité
La question est ici de savoir jusqu’où il faut aller dans le
rapprochement, voire l’uniformisation en matière pénale.
Cette question est au cœur de l’articulation du rapport
de complémentarité qui existe entre reconnaissance
mutuelle et rapprochement des législations. Bien entendu
le rapprochement des législations facilite la reconnaissance
mutuelle en ce qu’il favorise la confiance mutuelle qui la
fonde. Il la légitime aussi d’une certaine manière. De ce
point de vue, on peut se réjouir du développement du
rapprochement des garanties procédurales intervenu
depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Les
directives adoptées en la matière et mentionnées
précédemment sont le complément nécessaire de la
reconnaissance mutuelle.
Mais beaucoup reste encore à faire. Ainsi la directive
précitée sur la décision d’enquête européenne a été adoptée
et doit être transposée par les États pour le printemps
2017, mais très peu existe en termes de rapprochement
du droit de la preuve. Évidemment, on peut espérer que
comme pour le mandat d’arrêt européen, l’application
pratique de la décision d’enquête européenne révélera
la nécessité d’adopter des mesures de rapprochement
complémentaires.
Et, par ailleurs, cette relation de complémentarité entre
reconnaissance mutuelle et rapprochement des législations
est mise en péril par la géométrie variable qui affecte le
droit pénal européen. En vertu de l’article 82 TFUE on
ne peut faire du rapprochement en matière procédurale
que s’il est nécessaire à la coopération et entre autres à la
reconnaissance mutuelle, mais on laisse le droit à certains
États (Royaume-Uni, Irlande et Danemark) de participer
à la reconnaissance mutuelle sans être liés par les textes
de rapprochement en matière procédurale… Il y a là un
paradoxe qui n’est pas des moindres.
Cette question de l’équilibre entre diversité et unité
est aussi au cœur du futur règlement sur le procureur
européen (Proposition de règlement portant création du
Parquet européen, COM (2013) 534). J’ai toujours été
convaincue de l’intérêt de mettre sur pied un tel procureur
européen. J’ai toujours pensé que, si un procureur devait
voir le jour, le texte qui le mettrait en place donnerait
une définition unique des infractions pour lesquelles il
est compétent et lui fixerait aussi un cadre procédural
uniforme. Mais, dès la proposition initiale de règlement
présenté par la Commission en juillet 2013, le champ
de compétences du procureur européen a été défini par
référence à la directive PIF et donc aux lois nationales de
transposition qui pourront bien entendu varier. Et quant
aux règles procédurales applicables, elles sont elles aussi
définies par référence aux lois nationales d’application.
Avec toutes les questions que cela pose en termes entre
autres de sécurité juridique pour les justiciables 12.
L’équilibre entre les différents
acteurs de la justice pénale
Il convient enfin de mettre en exergue deux réels
déséquilibres au niveau de l’Union européenne.
Le premier est le déséquilibre justice-police : il suffit de
faire une comparaison entre les ressources tant budgétaires
qu’humaines des deux agences compétentes, c’est-à-dire
Europol, d’une part, et Eurojust, d’autre part. Il va sans
dire que ces deux agences sont essentielles dans le secteur,
mais Europol est bien plus « équipé » que ne l’est Eurojust.
Il a, par ailleurs, un rôle majeur dans la stratégie de l’UE en
matière de sécurité intérieure (EU Internal Security Strategy
(ISS) et dans le EU policy cycle, ce qui contraste avec la
« discrétion » d’Eurojust 13.
(11) Galli (F.), Weyembergh (A.) (eds), Do labels still matter? Blurring boundaries between administrative and criminal law. The influence of the EU,
Bruxelles, Université de Bruxelles, 2014.
(12) K. Ligeti et A. Weyembergh, « The European Public Prosecutor’s Office : certain constitutional issues », The European Public Prosecutor’s Office
An extended Arm or a two-headed Dragon?, Springer, 2014, p. 53 et s.
(13) À cet égard voir Weyembergh (A.), Armada (I.)et Brière (C.), 2014, Research paper for the Committee on Civil Liberties, Justice and Home
Affairs of the European Parliament on «the interagency cooperation and future architecture of the EU criminal justice and law enforcement area»,
http://www.europarl.europa.eu/thinktank/fr/document.html?reference=IPOL_STU(2014)510000).
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
202 I ACTES DU COLLOQUE
Le second est le déséquilibre entre les autorités de
poursuites et la défense : beaucoup d’instruments
ont été adoptés au niveau de l’UE pour renforcer la
coopération au niveau des poursuites dans les dossiers
transfrontaliers tandis que très peu a été réalisé pour
renforcer la coopération entre avocats de la défense. Or,
beaucoup pourrait être fait, concernant par exemple la
formation, la préparation de manuels UE spécifiquement
destinés aux avocats de la défense, la création d’un réseau
institutionnalisé d’avocats de la défense 13.
Conclusion
Concernant ces cinq équilibres essentiels – ou qui
devraient être essentiels – au droit pénal européen, il
y a certes des raisons de se réjouir, mais il y en a aussi
de s’inquiéter. Espérons que les nombreuses crises que
traverse l’UE à l’heure actuelle seront le point de départ
d’une réelle réflexion sur l’Europe, entre autres sur le droit
pénal européen et ses équilibres n
(14) À cet égard, voir Weyembergh (A.), Armada (I.)et Brière (C.), 2014, Research paper on «Critical assessment of the existing European Arrest
Warrant Framework Decision» aimed to feed into an EU added value assessment, requested by the Committee on Civil Liberties, Justice and
Home Affairs of the European Parliament and supporting the ongoing Own-legislative initiative report on «Revising the European Arrest Warrant»
of MEP Baroness Ludford, (http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2013/510979/IPOL-JOIN_ET(2013)510979_
EN.pdf).
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 203
De gauche à droite : Xavier LATOUR, Denis DUEZ, Sonya DJEMNI-WAGNER, Emile PEREZ, Jacques de MAILLARD
La France et l’Europe de la sécurité :
le temps des doutes ?
Xavier LAtOUR
Professeur de droit public, Université Côte d’Azur, CERDACFF (EA 7267), faculté de droit
et de science politique de Nice. Secrétaire général de l’Association française
de droit de la sécurité et de la défense
D
eux sujets majeurs retiennent particulièrement
l’attention des observateurs : la lutte contre
le terrorisme et la maîtrise des frontières
extérieures. Ils ont ravivé les incertitudes
relatives aux objectifs et aux modalités de fonctionnement
de l’Union européenne. D’un côté, la nécessité d’une
coopération accrue pour lutter contre le terrorisme est
soulignée 1, d’un autre, les difficultés de l’Europe à gérer
ses frontières extérieures et à lutter contre les mafias
qui organisent le passage des migrants sont largement
dénoncées.
L’Europe semble se déliter et subir plus que piloter.
Comme le souligne le professeur Labayle à propos
de sa façon de gérer l’afflux des migrants, elle est « en
plein doute 2 ». Or, les doutes de l’Europe sont aussi
(1) Voir en particulier Fenech (G.) et Piatrasanta (S.), 2016, rapport n° 3922, 5 juillet, relatif aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutte contre
le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.
(2) Labayle (H.), 2016, « Schengen : un espace dans l’impasse », Europe, mars, dossier 2 ; dans le même sens, Leconte (J.-Y.) et Reichardt (A.), 2016,
La réforme de l’espace Schengen et la crise des réfugiés, Rapport d’information du Sénat, n° 499, 24 mars ; Legendre (J.) et Gorce (G.), 2016,
Rapport d’information du Sénat, n° 795, 13 juillet.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
204 I ACTES DU COLLOQUE
ceux des États, en particulier de la France 3. Le sommet
extraordinaire de Bratislava du 16 septembre 2016 ne
contribue pas vraiment à lutter contre le scepticisme
ambiant. La déception tranche avec le volontarisme de la
Commission qui ne se dément pas comme en témoigne
son premier rapport mensuel, du 12 octobre 2016, « sur
les progrès accomplis dans la mise en place d’une union
de la sécurité effective et pérenne ».
La crise aux frontières extérieures a provoqué des réactions
très tranchées pour au moins trois raisons.
D’abord, elle implique une forte pression économique sur
les États membres, puisque l’immigration clandestine a
un prix. Régulièrement, la presse se fait l’écho de données
alarmistes relatives au coût de cette immigration. Rien que
les dépenses relatives à l’asile se chiffreraient à 2 milliards
d’euros par an. À la difficulté pour l’État d’en supporter
la charge (mobilisation de moyens de sécurité, rétention
administrative et reconduite à la frontière…), s’ajoute celle
des collectivités territoriales parfois placées en première
ligne. Un récent rapport du Sénat évalue à 10,2 milliards
d’euros le coût européen de la crise des migrants en 20152016 4.
Ensuite, la pression est politique, car l’immigration
clandestine alimente les tensions nationales et locales.
Enfin, la pression est sécuritaire puisque l’immigration
clandestine n’est pas l’affaire d’individus isolés, tentant
l’aventure d’une vie nouvelle. Elle est liée à des réseaux
criminels, des mafias grandes ou petites.
Dans le même temps, les États en général et la France en
particulier sont confrontés à une menace terroriste accrue.
Or, ils sont dans l’incapacité d’y répondre sans l’Europe 5.
S’il est faux d’établir un lien systématique entre les deux
phénomènes, les routes de l’immigration clandestine sont
aussi celles des terroristes (attentats de Paris en novembre
2015 par exemple).
Les doutes provoqués ne sont pas uniquement ceux des
politiques. Ils sont aussi ceux des populations.
Si pour certains décideurs la construction européenne est
une évidente nécessité, force est de constater qu’elle n’est
pas comprise par tous, à commencer par les peuples. À
tous les niveaux de la société, la valeur ajoutée de l’Union
est mise en cause. Des praticiens aux simples citoyens, au
pire c’est l’objectif même de la construction européenne
qui est contesté, au mieux ce sont les méthodes suivies.
En matière de sécurité, les incertitudes prennent une
tournure particulière. La lutte contre les malveillances,
quelle que soit leur intensité, est, en effet, indissociable
de la souveraineté de l’État. Beaucoup soutenaient sans
réserve la suppression des contrôles aux frontières
intérieures de l’Union lorsque la situation géopolitique était
moins troublée. Dorénavant, les discours eurosceptiques
ont pris de l’ampleur, sans exclusive politique.
La France mobilise massivement ses forces de sécurité
civiles et militaires dans un environnement conceptuel
marqué par l’émergence de la stratégie de sécurité
nationale (article L1111-1 Code de la défense).
Son action s’inscrit aussi dans un réseau de dépendances
et d’interdépendances. Cela la conduit à travailler
avec ses partenaires européens soit dans un cadre
intergouvernemental, soit dans le cadre intégré de l’Union.
Dans un environnement troublé, les questions fusent :
qu’apporte l’Union européenne ? Quelle est son efficacité ?
Doit-elle assumer seule la responsabilité des difficultés à
trouver des réponses cohérentes ?
En d’autres termes, la France est tiraillée. Elle n’est pas
la seule.
Elle a bien conscience qu’elle ne peut pas agir de manière
isolée. Elle adhère sans hésitation à l’objectif de la
coopération en matière de sécurité. En revanche, elle
s’interroge sur les réalisations de l’Union européenne, ce
qui est inhérent à des doutes sur ses méthodes.
Les doutes sur les réalisations
L’intégration anime la construction européenne. À ce
titre, les réalisations sont réelles, et les perspectives
nombreuses. Souvent sous l’impulsion de la France, la
Commission promeut une politique de sécurité intégrée et
poursuit cet objectif avec détermination. Les instruments
de droit dérivé se multiplient. Ils concernent les armes,
l’échange des données 6, le contrôle des déplacements
(3) Institut Montaigne, Refonder la sécurité nationale, septembre 2016.
(4) Mieux financer la sécurité de l’Union européenne, Rapport d’information n° 397 (2015-2016) de Mme F. Keller, fait au nom de la commission
des affaires européennes, déposé le 11 février 2016.
(5) Berthelet (P.), 2016, « L’UE et la lutte antiterroriste après les attentats de Bruxelles : forces et faiblesses d’une action substantielle », Cahiers de
la justice et de la sécurité, n° 35-36, p. 83.
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 205
(PNR européen 7 ), la lutte contre la radicalisation… En
d’autres termes, l’Union pousse les États à coopérer dans
une matière sensible pour leur souveraineté.
La coopération européenne n’est pas une nouveauté 8.
En plus de la construction d’un espace de liberté, de
sécurité et de justice, elle s’inscrit dans le prolongement
de la solidarité qui doit guider les États membres (article
222 TFUE). Alors que l’Union a depuis longtemps ajouté
une dimension politique à sa dimension économique, les
instruments de coopération entre les États membres en
matière de sécurité se sont développés. Compte tenu de
la justesse des objectifs, comment pourrait-on contester
les orientations des stratégies intérieures européennes de
sécurité 9 ?
En France, tant à l’échelon politique qu’aux échelons
opérationnels, les apports de l’UE sont connus aussi
bien dans le cadre des accords de Schengen, que de
l’Office européen de police (EUROPOL), qu’en matière
de protection des frontières extérieures. Pour autant, les
doutes existent.
1) Avec Schengen 10, tout a commencé dans un cadre
intergouvernemental, au point d’y revenir ? La probabilité
que la Grande-Bretagne négocie des aménagements
en matière de contrôles aux frontières et d’échanges
d’informations (comme cela existe d’ailleurs avec des États
tiers) accentue les limites de l’intégration. Signés en deux
temps (1985 et 1990), puis entrés en vigueur en 1995 avant
d’être communautarisés par le traité d’Amsterdam (1997),
les accords étaient une belle idée qui s’est transformée en
un problème politico-juridique et sécuritaire majeur.
La suppression des contrôles aux frontières intérieures
ne s’est pas accompagnée d’une gestion efficace des
frontières extérieures 11 et de mesures compensatoires en
matière de sécurité suffisamment performantes.
La clé de voûte du dispositif, le Système d’information
Schengen (SIS), ne satisfait pas forcément les utilisateurs 12.
Si son utilité est souvent mise en avant, ses défauts
le sont tout autant. En plus des interrogations quant à
sa gestion (alimentation, actualisation des données),
se pose la question de son utilisation par des services
contraints d’agir une fois la frontière franchie. À ce
titre, comment évoluera la demande du Conseil qui vise
à rendre obligatoire l’introduction dans le SIS de toutes
les interdictions d’entrée et des décisions de retour ? De
plus, les États travaillent sur un fichier des entrées et des
sorties du territoire européen dont l’utilité réelle dépendra
néanmoins de la capacité des forces de sécurité à retrouver
les individus restés illégalement.
Tout n’est cependant pas négatif. Les États ont été incités
à coopérer sur le terrain, ce qui a pris, notamment, la
forme de commissariats communs et de Centres de
coopération policière et douanière en plus de nouvelles
règles en matière de visa.
2) EUROPOL est l’autre moyen pour l’Europe d’améliorer
sa sécurité. Depuis sa création en 1995, le rôle de l’Office
n’a pas cessé de s’accroître, y compris récemment 13. Les
États les plus exposés au terrorisme tentent de favoriser
le partage d’informations.
Bien qu’ayant quitté la sphère intergouvernementale
depuis le traité de Lisbonne, l’agence conçue pour
favoriser les échanges d’informations et les coopérations
opérationnelles se heurte encore à la réticence de certains
États et au poids des souverainetés. Les services de sécurité
eux-mêmes préfèrent parfois une coopération bilatérale
(6) Décision du Conseil 2008/615/JAI du 23 juin 2008 relative à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment pour lutter
contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière.
(7) Directive (UE) 2016/681 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à l’utilisation des données des dossiers passagers (PNR)
pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en
la matière
(8) Berthelet (P.), 2009, Le paysage européen de la sécurité intérieure, PIE Peter Lang, 573 pages ; Renaudineau (G.), 2016, « L’Union européenne,
acteur de la sécurité intérieure », Sécurité intérieure, les nouveaux défis, loc. cit., p. 209 ; Dossier « La sécurité intérieure en Europe », Revue
européenne de l’action publique, mars 2016, n° 2.
(9) Mayeur-Carpentier (C.), 2016, « La stratégie de sécurité intérieure de l’Union européenne », Revue de l’Union européenne, juin, p. 351.
(10) Pascouau (P.), 2016, « “Crise des réfugiés” et contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen : quand les faits invitent à une relecture
du droit », Europe, mars, dossier 3.
(11) La gestion des frontières extérieures de l’Union européenne. Défis et perspectives en matière de sécurité et de sûreté (sous la dir. J.-C. Martin),
Pedone, 2011.
(12) Berthelet (P.), 2012, « La gouvernance Schengen : le sentier périlleux de la réforme », Revue de l’Union européenne, p. 655 ; Bockel (J.-M.),
2016, L’agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de
sécurité et de justice, Rapport Sénat n°455, 9 mars.
(13) Règlement (UE) 2016/794 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération
des services répressifs (Europol) et remplaçant et abrogeant les décisions du Conseil 2009/371/JAI, 2009/934/JAI, 2009/935/JAI,
2009/936/JAI et 2009/968/JAI
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
206 I ACTES DU COLLOQUE
ou informelle fondée sur des liens de confiance, mieux
perçus qu'une relation à 28 (27 ?), donc très inégale et
diluée. Cela ne facilite pas la mise en œuvre des stratégies
de sécurité intérieure. La première (2010-2015) insistait
déjà sur la nécessité de perturber les réseaux criminels
transnationaux et d’améliorer la sécurité aux frontières.
La libre circulation des terroristes tragiquement illustrée
par les attentats de Paris, en novembre 2015, fait douter
de la réalité des avancées. Le désespoir n’est toutefois pas
de mise puisque ces mêmes objectifs (et d’autres) ont été
intégrés dans la nouvelle stratégie européenne de sécurité
intérieure (2015-2020).
3) L’Europe c’était aussi l’Agence européenne pour la
gestion de la coopération opérationnelle aux frontières
extérieures (FRONTEX), créée par le règlement (CE)
n° 2007/2004 du Conseil.
FRONTEX 14 était censée coordonner la coopération
opérationnelle entre les États membres en matière de
gestion des frontières extérieures.
De réunion en réunion, l’Union affichait son volontarisme,
mais les résultats étaient inégaux et lents. La création
de l’Agence européenne des gardes-frontières et des
gardes-côtes opère un tournant 15, depuis son entrée
en action début octobre 2016. La coopération laisse
progressivement la place à une intégration plus poussée
en raison des prérogatives conférées à l’Agence (contrôle
des dispositifs nationaux, propositions d’assistance…).
Matériellement, ses moyens humains et financiers
sont renforcés avec, notamment, la création d’une
réserve permanente de 1 500 personnels. L’UE engage,
parallèlement, une politique volontariste en matière de
contrôle des documents de voyage (fichier des entrées/
sorties, autorisation de voyage). Si la souveraineté étatique
est préservée, l’UE ne pouvant rien imposer à un État, un
petit pas vers une formule contraignante est à remarquer.
En effet, les États limitrophes d’un voisin défaillant
seraient autorisés à rétablir les contrôles à leurs frontières.
En raison de résultats pour le moins contrastés, les doutes
se déplacent sur le terrain des méthodes.
Les doutes relatifs aux méthodes
En matière de sécurité, l’Union agit plus souvent dans la
réaction, voire la précipitation, que dans l’anticipation, au
point de fragiliser juridiquement ses propres dispositifs. À
cet égard, rien ne garantit l’avenir des accords PNR, tant
les exigences du juge européen sont élevées.
1) Grâce à l’Union, des progrès coordonnés ont été
obtenus dans des temps parfois courts. La mise au point
d’Eurojust s’est faite en une dizaine d’années. La création
du Centre européen de lutte contre le terrorisme au sein
d’Europol a été une réponse rapide aux attentats. Créé en
janvier 2016, combien de temps aurait-il fallu pour obtenir
le même résultat dans un cadre intergouvernemental
traditionnel ? La mobilisation d’équipes conjointes qui
permettent une analyse de données a été saluée.
Mais, quand l’Union européenne n’agit pas ou agit
mal, les choses avancent quand même. La méthode
intergouvernementale traditionnelle témoigne aussi de
sa vitalité. La coopération bilatérale avec les États-Unis
et la mobilisation d’Interpol sont utiles aux services
compétents. Quoi qu’en pensent les thuriféraires de
l’intégration, la souveraineté n’est pas systématiquement
un obstacle à la sécurité.
Le ministère de l’Intérieur a d’ailleurs récemment insisté
sur la prééminence de cette façon d’agir en matière de
renseignement. Parce que ce sujet est indissociable des
intérêts fondamentaux de la nation, le ministère met
en avant l’article 4.2 TUE pour justifier l’absence de
compétence de l’Union en la matière et plaider en faveur
d’une gestion strictement gouvernementale 16.
L’intégration seule ne suffit pas. À l’inverse,
l’intergouvernemental atteint ses limites lorsque les
accords sont fragmentés.
2) Concrètement, dans le cas du contrôle des frontières
extérieures, les actions les plus visibles ont pris la forme
d’une coopération des marines nationales en Méditerranée.
D’abord, elles sauvent les migrants (opération Triton), et,
officiellement, démantèlent les réseaux au plus près des
zones de départ (opération Sophia). Approuvée par le
(14) Mattera (P.), 2015, « La gestion de la crise des réfugiés », Revue de l’Union européenne, p. 645 ; Chassin (C.-A.), 2016, « La crise des migrants :
l’Europe à la croisée des chemins », Europe, mars, dossier 3.
(15) COM(2016) 602 final, Accroître la sécurité dans un monde de mobilité : améliorer l’échange d’informations dans la lutte contre le terrorisme
et renforcer les frontières extérieures ; Règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2016 relatif au corps
européen de garde-frontières et de garde-côtes, modifiant le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le
règlement (CE) n° 863/2007 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (CE) n° 2007/2004 du Conseil et la décision 2005/267/
CE du Conseil.
(16) Question écrite du Sénateur Houpert, n° 19207 du 10 décembre 2015, réponse JO Sénat 28 juillet 2016, p. 3363.
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 207
Conseil de sécurité des Nations unies, cette dernière reçoit
également le soutien de l’OTAN.
Malgré le caractère prioritaire de la question prioritaire
pour l’Union, il a fallu attendre une réunion informelle des
chefs d’État et de gouvernement, le 23 septembre 2015,
pour entendre des annonces fortes, parmi lesquelles le
renforcement des moyens de FRONTEX et l’activation
de centres d’accueil et de filtrage des migrants (hotspots).
Les deux axes retenus ont été l’accueil, d’un côté, pour les
véritables réfugiés et la fermeté, de l’autre, en expulsant
les migrants économiques grâce à un renforcement
de FRONTEX 17. À cette fin, les chefs d’État et de
gouvernement ont, les 18 et 19 février 2016, annoncé
l’accélération des négociations sur la création d’un
corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (à
partir d’une réserve constituée par les forces des États
membres et d’un droit d’intervenir dans un État membre
défaillant 18). L’accélération s’imposait en effet pour un
projet vieux de quinze ans… L’intégration ne manque pas
de lourdeurs.
Pendant ce temps, les résultats se font attendre non pas en
matière de sauvetage, mais en matière d’actions de police,
comme en témoigne le rapport d’activité 2014 de l’Agence.
Avec un budget d’un peu moins de 90 millions d’euros, elle
a secouru 173 000 personnes. Elle a parallèlement géré le
retour de 2 271 d’entre elles. Quant aux Hotspots, leur mise
en place a été sévèrement critiquée 19, États et Union se
renvoyant la responsabilité de leur sous-dimensionnement
et de leur modeste déploiement.
Si le but répressif (arraisonnement et destruction des
navires) est affiché, le droit de la mer et le droit des
réfugiés en limitent la portée. Les flux ne se réduisent
pas. Sophia est davantage une opération humanitaire
qu’une opération de police menée par des militaires, au
point d’être qualifiée « d’accélérateur migratoire 20 ». Seuls 48
passeurs ont été déférés à la justice. La nouvelle Agence
fera-t-elle réellement mieux ? À cet égard, l’Union est sans
doute victime d’une incompréhension, car elle n’est pas
responsable des obligations internationales imposées aux
forces de sécurité.
À l’inverse, faut-il un cadre intégré pour monter ces
opérations ou des opérations intergouvernementales ne
seraient-elles pas aussi adaptées ?
Quant à la perspective d’une intervention dans les eaux
territoriales et sur le sol de la Libye, elle reste aussi
hypothétique que la reconstruction rapide de l’État libyen.
Mais, sur ce terrain, l’Union peut-elle faire mieux que
d’autres, à commencer par l’ONU et l’OTAN ?
Plus grave, l’Union en vient à s’appuyer sur l’appareil
sécuritaire d’un État autoritaire, la Turquie, pour gérer la
crise 21. Réaliste, mais peu flatteur pour l’image de l’Union,
cet accord s’applique difficilement (exigences turques,
transferts financiers, difficultés d’organiser l’accueil des
migrants).
Face aux défis à relever et sous l’apparence de la légalité
du Code Frontière Schengen (CFS), plusieurs États se
sont ouvertement affranchis des règles applicables aux
contrôles aux frontières. En mettant la Commission
devant le fait accompli et en interprétant largement les
possibilités de restauration des contrôles aux frontières
intérieures (article 23 CFS), ils ont fragilisé Schengen
et renvoyé de facto son fonctionnement à la sphère
intergouvernementale.
Les souverainetés, loin d’être affaiblies, sont revigorées.
Les frontières se referment, alors que plusieurs États
affirment la primauté des droits nationaux. Ils revendiquent
la maîtrise de l’entrée et du séjour sur leur territoire, avec
le souci de prévenir les menaces pour l’ordre public et la
sécurité intérieure.
Dès lors, comment décourager la pression aux frontières
extérieures ? Les mesures de l’Union y contribuent-elles
davantage que les réactions isolées des États pour fermer
la route des Balkans ? La Commission essaie de reprendre
le contrôle du processus 22. Mais la libre circulation peutelle encore être sauvée ?
(17) Communication de la Commission européenne, COM(2015) 453 final du 9 septembre 2015, Plan d’action de l’UE en matière de retour.
(18) Karamanli (M), La Verpillère (C. de), 2016, La proposition de règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes
(COM(2015) 671 final)), Rapport d’information de l’Assemblée nationale, n° 3738, 11 mai.
(19) Buffet (F.-N.), 2016, La mission de suivi et de contrôle du dispositif exceptionnel d’accueil des réfugiés, Rapport d’information du Sénat, n° 422,
24 février.
(20) Puyeo (J.), Fromion (Y.), 2016, Rapport d’information, AN, L’opération PSDC « Sophia » en Méditerranée centrale, n° 3563, 9 mars.
(21) Conseil européen du 18 mars 2016 ; Simon (D.) 2016, « L’accord UE/Turquie sur les migrants : une sinistre comptabilité », Europe, avril, repère
3.
(22) COM(2016) 120 final, Revenir à l’esprit de Schengen.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
208 I ACTES DU COLLOQUE
3) Les avis sur les responsabilités d’un bilan mitigé
divergent.
Pour les uns 23, les États brideraient l’Union européenne en
refusant d’admettre que les souverainetés sont dépassées.
Cette attitude serait à combiner avec des défauts de l’Union
elle-même. Comme le souligne le professeur Jacqué,
elle a été conçue pour « des temps calmes 24 », permettant
la recherche de consensus. Face aux crises, les modes de
fonctionnement seraient à corriger sans remettre en cause
les objectifs communs. Au contraire, le renforcement de
l’intégration s’imposerait en l’accompagnant d’un dialogue
plus étroit entre les États et l’Union.
L’UE garantirait la mise en œuvre de politiques
concertées, soucieuses des impératifs sécuritaires et, aussi,
respectueuses des libertés fondamentales.
Pour d’autres, en particulier certains responsables
politiques français et une partie de l’opinion publique,
l’Union serait inadaptée à la prise en charge de problèmes
touchant de trop près au régalien. Son incapacité à
apprécier l’ampleur des défis à relever s’ajouterait à un
processus décisionnel décalé par rapport aux urgences.
Des institutions divisées, car porteuses de logiques
contradictoires, fragiliseraient les politiques de sécurité.
La quasi-obstruction du Parlement européen sur de
nombreux sujets (dont le PNR) et la jurisprudence de la
Cour de Luxembourg mettant en avant la protection des
droits fondamentaux constitueraient des obstacles à des
réactions efficaces en situation de crise.
Si la coopération est nécessaire, elle devrait préserver les
particularismes étatiques, sans faire craindre une intégration
que beaucoup refusent. Lorsque les souverainetés sont à
ce point concernées, faut-il s’acharner à vouloir avancer
tous ensemble et dans un cadre intégré ?
Si en France comme ailleurs l’Union est exposée à la
critique, n’est-ce pas parce qu’elle a voulu entrer sur un
terrain difficile ? La construction politique la conduit
à demander aux États ce qu’ils n’étaient pas tous prêts
à admettre. Le passage d’un projet économique à la
construction d’une Europe fédérale inavouée ne se fait
pas sans heurt.
Les concepteurs du changement ont donné l’impression
d’oublier les peuples et leurs craintes. Ils se manifestent
pourtant au gré des référendums et des refus d’un
supranationalisme dont ils comprennent difficilement le
sens. À l’Europe sans frontière promue par la Commission
européenne, répondent les doutes des peuples accentués
par le terrorisme.
Avec un tel bilan, le statu quo enfonce l’Union dans la crise.
Un choix s’impose sans tarder entre plus d’Europe ou une
Europe plus modeste.
Pour conclure, des réponses aux doutes des États doivent
intervenir sans tarder. Car non seulement les dégâts
humains sont considérables, mais encore l’Union vacille
de plus en plus.
Les solutions ne viendront pas uniquement des juristes,
elles incombent avant tout aux politiques, lesquels ne
doivent pas oublier qu’ils n’imposeront pas aux peuples ce
qu’ils ne veulent pas. Pour les convaincre, une bonne dose
d’habileté et de pédagogie sera indispensable, d’abord
pour revigorer l’Union sans faire resurgir le spectre d’un
fédéralisme redouté ; ensuite pour concilier l’intégration
et le respect des souverainetés ; enfin, voire surtout, pour
trouver des réponses réalistes en matière de conciliation
entre la sécurité et les libertés n
Comme souvent, les réponses sont nuancées et les
responsabilités partagées entre des États apeurés et des
institutions européennes en partie dépassées.
(23) Par exemple, Soldatos (P.), 2015, « L’UE, Prométhée enchaînée par les États membres », mai, www.fenetreeurope.com<http://www.
fenetreeurope.com>
(24) Jacqué (J.-P.), 2016, « Crise des valeurs dans l’Union européenne », RTDE, p. 213.
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 209
La coopération policière européenne :
obstacles et solutions
Émile PEREz
Directeur de la direction de la Coopération internationale (DCI)
J
e suis, pour la DCI, représentant de la France au
sein du Comité de sécurité intérieure (COSI) et
je dirige également le service de la direction de la
Coopération internationale qui développe toute la
coopération bilatérale du ministère de l’Intérieur
un peu partout dans le monde. Il ne s’agit pas d’un
service de renseignements proprement dit ni d’un service
d’investigations à part entière, mais d’un service qui traite
une grande masse de renseignements et d’investigations. Il
s’agit également de la seule direction commune à la police
et à la gendarmerie. Lorsque l’on parvient à concilier
police et gendarmerie en France, à travailler avec tous
les services du ministère de l’Intérieur et, en dehors du
ministère de l’Intérieur, avec la Justice, les Douanes, la
Défense et ses services de renseignements, je pense que
l’on peut avoir une idée de ce qui peut être fait au niveau
international et au niveau européen.
criminels, ceux qui exploitent les flux migratoires sont,
eux, des criminels. Il y a donc une hybridation forte qui fait
se rejoindre des gens qui, il y a encore quelques décennies,
ne travaillaient pas dans le même espace.
En introduction, quelques mots sur ce qui a permis
le développement de la coopération internationale
européenne au niveau des services de sécurité ainsi que
quelques informations sur les freins à cette coopération,
sur ses résultats et ses perspectives. Nous le savons
tous, nous sommes dans un monde caractérisé par la
mondialisation et par une hybridation des menaces qui
nous affectent s’agissant du terrorisme et de la criminalité
organisée. Je préfère d’ailleurs parler des réseaux criminels
et des flux migratoires. Les migrants ne sont pas des
Pour anticiper, il faut trouver des solutions au sein d’un
espace qui aujourd’hui est pour nous européen, un
espace où plus de 500 millions d’habitants souhaitent
vivre en toute sécurité face à de nouveaux risques et de
nouvelles menaces. Or, cet espace n’est pas si unifié que
cela en termes de normes juridiques ou administratives.
Progressivement, face aux évolutions de la menace, le
monde de la sécurité et le monde de la justice se sont
structurés et rassemblés pour tenter de trouver ces
solutions et être en capacité d’évoluer. Il y a maintenant
La mondialisation engendre ce que l’on pourrait nommer
une « glocalisation », c’est-à-dire une situation dans
laquelle le fait criminel ou la menace terroriste ont un
caractère global, mais s’expriment toujours à un endroit
très précis : Bataclan, Ouagadougou, Grand-Bassam ou
Orlando… Il faut en tout cas systématiquement être prêt
au niveau local.
Notre approche est définitivement réactive. C’est dans
la culture policière et nous avons beaucoup à faire pour
éviter de rester prisonniers de cette réactivité et être
capables d’anticiper.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
210 I ACTES DU COLLOQUE
près de cent ans, quelques policiers et autres spécialistes
en charge de la sécurité se sont retrouvés dans ce qui est
devenu, par la suite, Interpol, du nom de cette adresse
télégraphique que l’Organisation internationale de la
police criminelle (OIPC) utilisait. C’était la première étape
dans un long processus de construction de coopérations.
Il y eut ensuite TREVI, puis différents traités sur l’Union
européenne, différents accords et enfin Schengen. Les
outils ont été créés. Lentement, par empilements successifs,
avec une approche dans un premier temps pragmatique et
discrète, on a essayé de construire au niveau européen une
réponse aux attentes de nos concitoyens, dans un premier
temps une réponse politique, puis une réponse sécuritaire,
policière, permettant à l’ensemble des services concernés
de prendre la nouvelle dimension de cette criminalité qui
dépassait largement nos anciennes frontières.
Les frontières d’aujourd’hui sont largement éclatées. On
n’en est plus, comme au siècle dernier, à courir derrière
des malfaiteurs qui utilisaient les nouveaux moyens de
circulation, les véhicules automobiles. Nous courrons
aujourd’hui derrière des criminels qui utilisent des moyens
bien plus rapides dans le monde de la « Cyber ». Dans ce
monde, les frontières sont totalement explosées. Sommesnous en capacité de patrouiller dans ces domaines-là ?
Cette interrogation montre d’emblée les limites de
l’exercice.
Malgré tout, la coopération s’est construite à travers
le rassemblement des différents acteurs pour faire en
sorte qu’ils puissent travailler ensemble. La première
phase a été lancée autour de la nécessité du partage de
l’information, la nécessité d’introduire une certaine forme
de communication entre les services. C’est le temps de
l’OIPC, d’Interpol. On a ensuite décidé d’aller un peu plus
loin en ouvrant un dialogue véritable entre services, en
essayant de mettre en place une approche concertée. Ce
furent les premiers exercices avec TREVI dans les années
1970. On a continué à vouloir dans l’action, ce qui a abouti
à Schengen. Enfin, face à cette multiplication d’initiatives,
on a pris conscience de la nécessité d’une meilleure
coordination. C’est la quatrième phase et Europol en est
l’une des manifestations comme Interpol l’avait été en son
temps.
Tous les pôles qui existent aujourd’hui de par le monde,
Europol, Africapol, Ameripol, etc. sont la preuve de cette
volonté de coordination. La dernière tentative possible, ou
la dernière tentation, vient d’être évoquée ici : c’est celle
de la fédération. Quand la situation s’aggrave, ressort la
vieille histoire du FBI à l’européenne. Je connais un peu
les États-Unis et, sachant où cela peut conduire, il faut
savoir rester prudent.
Ce développement de la coopération doit beaucoup au
volontarisme de la Commission. Mais, pour m’en occuper
depuis une quinzaine d’années maintenant, je dirais qu’il
s’agit d’un volontarisme à secouer régulièrement parce qu’il
existe réellement une forme « d’eurocratisation », produit
direct d’une approche souvent trop bureaucratique. Cela
n’est d’ailleurs pas propre au niveau européen, la France
est soumise à des dérives similaires et avant de donner
des leçons sur ce qui se passe au niveau européen, nous
avons nous-mêmes des progrès à faire. Néanmoins des
différences significatives d’approche existent entre le
niveau européen et le niveau national et le ministre de
l’Intérieur actuel s’est largement impliqué pour secouer
les inerties existantes. J’en ai fait l’expérience à ses côtés
à l’occasion de tous les drames qui ont frappé la France,
mais également d’autres pays européens et certains pays
africains. Il a, dans ce contexte, tenu à faire entrer dans la
doctrine d’action, et dans le droit européen, des mesures
qui permettaient de progresser. Ce n’est qu’une première
avancée. Les réticences sont encore fortes et les freins
sont encore puissants. La souveraineté nationale, cela a
été plusieurs fois dit ici, est l’un de ces freins, d’autant plus
fort que la sécurité représente la matière régalienne par
excellence. Les États n’entendent pas y renoncer.
Bien des différences entre États ralentissent le
développement de la coopération : différences
entre législations nationales, même si on entend
les homogénéiser quelque peu au niveau européen,
différences entre systèmes policiers, entre systèmes
judiciaires, différences linguistiques… La question que
l’on doit se poser est, quel est le danger le plus important ?
L’intensification de la criminalité internationale et de ses
revenus ou l’intensification de la coopération policière
au risque d’entamer un minimum cette souveraineté
nationale que chacun veut préserver. Le grand défi est de
parvenir à trouver le bon équilibre pour faire en sorte que
nos concitoyens soient protégés tout autant et en même
temps que nos États.
En France, depuis cinquante ans, nous avons développé
une coopération bilatérale forte, formelle et informelle.
Le ministère de l’Intérieur est ainsi doté aujourd’hui
du plus grand réseau intégré de coopération bilatérale :
74 services à l’étranger, plusieurs centaines de policiers,
de gendarmes, quelques pompiers également, 153 pays
couverts et dans certains d’entre eux avec une présence
datant parfois de plus de cinquante ans. Nous poursuivons
dans ce sens en tentant de nos liens avec l’ensemble de
nos partenaires, y compris dans des pays, et je ne parle
pas ici de l’Europe, qui constituent des démocraties des
plus improbables, voire qui ne sont pas des démocraties
du tout. Il est en effet indispensable de maintenir toutes
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 211
ces relations partenariales si l’on veut protéger les intérêts
de nos concitoyens français ou européens.
C’est pour cela que l’on a progressivement mis en place
un système totalement intégré qui s’est appelé « Service
de coopération technique internationale de police » dans
un premier temps, puis « direction de la Coopération
internationale » depuis 2010. Cette direction essaye
d’abord de rassembler au niveau français, et ce n’est pas
la tâche la plus mince, avant d’essayer de rassembler au
niveau européen et au niveau international. Coordination,
cohérence et efficience sont les trois piliers fondamentaux
qui doivent nous guider en la matière, en nous permettant
de développer, principalement au niveau européen,
les coopérations techniques et les échanges de bonnes
pratiques nécessaires. Il est remarquable de constater que
nos services les plus importants se trouvent en Europe
ainsi que les services de coopération les plus importants de
nos partenaires européens. Si nos institutions européennes
fonctionnaient aussi bien que cela, pourquoi aurions-nous
besoin de conserver ce deuxième niveau de coopération
bilatérale ? C’est une question qu’il faut toujours avoir en
tête pour essayer d’apporter des solutions pragmatiques.
En conclusion, j’avancerai l’idée qu’il faut mettre en œuvre
la « politique des trois étages », le maillage, le réseautage et
le partage. J’insisterai surtout sur la nécessité du partage
qui constitue la clé de toute réussite, surtout dans un
domaine aussi spécifique que celui de la sécurité. Si nous
sommes incapables de partager, nous échouerons. Nous
pouvons être les détenteurs de la plus belle information sur
la création de l’univers, si elle reste dans notre seul esprit,
c’est à la rigueur une idée et au mieux un rêve. Nous avons
besoin de partager pour faire en sorte de mieux protéger.
Il revient au politique d’engager les administrations à faire
preuve d’une volonté non plus réactive, mais créative et
d’être en capacité de rendre possible ce qui dans l’immédiat
ne l’est pas. C’est à sa portée et à la nôtre n
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
212 I ACTES DU COLLOQUE
Sécurité intérieure européenne et
définition de l’intérêt national :
le modèle français revisité
Jacques DE MAILLARD
Professeur de science politique, Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines,
CESDIP
J
e vais effectuer, dans le cours de ce colloque, un
pas de côté. Nous avons davantage évoqué jusqu’à
présent la substance des principaux enjeux en
matière de sécurité et de justice en Europe. Je vais
évoquer quant à moi le processus de fabrication
des positions françaises sur les questions européennes.
Comment la France prépare-t-elle ses positions et
comment les défend-elle ensuite sur la scène européenne ?
La première difficulté résulte du fait qu’il faut déjà
permettre l’entente au sein d’un même ministère, la
permettre ensuite entre les différents ministères et, au
final, jouer avec les alliances instables à Bruxelles, ce
qui impose d’accorder des traditions administratives
nationales par rapport à des domaines d’actions définis
par l’Union européenne. Il s’agit là d’une question
complexe impliquant un chaiînage à la fois politique et
administratif à plusieurs niveaux (capitales et Bruxelles),
question à laquelle les différents États membres répondent
traditionnellement de façon différente. Il y a, par exemple,
un système de formulation des positions très décentralisé
en Allemagne, alors que la France et le Royaume-Uni
possèdent des dispositifs beaucoup plus centralisés. Un
exemple en a été donné ici à propos du Secrétariat général
aux affaires européennes qui est le point de passage obligé
sur toutes les négociations européennes.
J’avais abordé cette question au milieu des années 2000 avec
un collègue, Andy Smith. La Revue française d’administration
publique nous a demandé d’actualiser ce que nous avions
écrit à l’époque, ce qui nous a donné l’occasion de revenir
sur le terrain pour conduire de nouveaux entretiens au
sein de la Représentation permanente à Bruxelles, du
Secrétariat général aux affaires étrangères (SGAE), de
la direction de la Coopération internationale (DCI), du
cabinet du Ddirecteur général de la Police nationale avec
les différents acteurs impliqués dans ces négociations 1.
Quel était le constat fait au milieu des années 2000 ? Nous
étions face à un dispositif bureaucratique, impliquant de
nombreux acteurs mais il s’agissait, en même temps, d’un
dispositif robuste de fabrication des positions nationales.
La France arrivait ainsi, bon an mal an et compte tenu
des divisions à la fois internes et interministérielles, à
(1) Maillard, (J. de), Smith, (A.), 2007, « Les administrations répressives françaises et l’Union européenne : adaptations, concurrences et ancrages
nationaux », Politique européenne, 23, 2007, p. 17-35 ; Dravigny, (J.), Maillard, (J. de), Smith, (A.), 2016, “« «Sécurité intérieure européenne et
définition de l’intérêt national : le modèle français revisité », Revue française d’administration publique, n°158, 2016, p. 405-418.
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 213
produire, parfois dans la douleur, des positions communes
qu’elle défendait ensuite au Conseil. La contrepartie était
la lourdeur et la faible anticipation. C’est sur ce point que
nous avons voulu revenir et je vais vous présenter très
brièvement nos résultats.
En premier lieu, nous confirmons l’existence d’un
dispositif de fabrication des positions nationales en
matière de justice et affaires intérieures qui fonctionne
correctement et qui parvient à rendre compatibles la
très forte fragmentation du système interne français et
l’intégration de l’expertise des multiples services associés.
Au sein du seul ministère de l’Intérieur, en dépit du fait
que la DCI joue un rôle de tête de pont, on trouve de
multiples services avec les unités qui leur sont associées. Je
reviendrai ultérieurement sur les questions, les paradoxes,
que cette coordination pose et je conclurai sur les enjeux
nouveaux qui sont posés par la situation post-Lisbonne,
avec principalement la question suivante : comment
l’intégration du traité de Lisbonne redistribue-t-elle les
cartes et conduit-elle ce dispositif à s’adapter ?
Ce dispositif robuste s’appuie sur trois logiques. La
première est une logique de diffusion de l’information
en cascade. L’information part de la Représentation
permanente qui la diffuse au Secrétariat général aux
affaires européennes et elle irrigue ensuite dans les
différentes directions. La très forte fragmentation du
ministère de l’Intérieur nous avait déjà frappés au début
de notre étude en 2005. La DAIE (Délégation aux
affaires internationales et européennes, remplacée depuis
par la DCI) avait joué un rôle important au moment
de la présidence française en 2000, mais le ministère
de l’Intérieur arrivait généralement avec des bataillons
extrêmement dispersés. La situation a changé depuis, la
DCI, après avoir intégré les policiers et les gendarmes,
a rempli cette fonction de diffusion de l’information
au sein du ministère de l’Intérieur, avec toutefois des
spécialisations métiers (la Ddirection centrale de la Police
judiciaire, des unités centrales comme l’UCLAT sur les
questions de terrorisme ou encore la Ddirection centrale
de la Police aux frontières pour, notamment, la question
des centres de coopération policière et douanière).
Cette spécialisation métier pose d’ailleurs une question :
s’agit-il d’une bonne ou d’une mauvaise chose ? Il ressort de
nos entretiens que, malgré la fragmentation organisationnelle
qu’elle génère, la spécialisation renforce l’expertise dans
la préparation des réponses françaises. Deuxième point
important : la redondance de l’information ; les négociateurs
nous disaient préférer redoubler l’information et courir le
risque qu’elle parvienne à ses destinataires trois fois de
suite plutôt que pas du tout. Le système de diffusion de
l’information reste néanmoins très lourd.
En deuxième lieu, on voit s’exercer une logique
de compromis permanent à la fois intra- et interministérielinterministériel. La logique de compromis
interministériel (Intérieur, Justice, mais aussi Affaires
étrangères et Finances avec les douanes) est vraiment
au cœur de la dynamique française. Elle porte sur des
textes, c’est l’un des rôles centraux du SGAE et de la
Représentation permanente, mais aussi sur des postes. De
ce point de vue, on observe au niveau de l’organisation,
qu’il s’agisse du SGAE ou de la Représentation
permanente, un savant dosage entre diplomates, policiers,
gendarmes, magistrats et douaniers.
J’insisterai sur le point qui nous a semblé le plus
important : la logique de traduction. L’un des enjeux
constants pour les négociateurs français, policiers et
magistrats, est d’arriver à intéresser leurs collègues. On a
mentionné dans ce colloque le décalage des temporalités
avec des textes qui ne s’appliquent pas tout de suite, qui
sont de plus en plus formulés en anglais et techniquement
peu familiers aux services spécialisés. Le plus difficile
alors est de mobiliser ces derniers sur des sujets qui leur
paraissent hors du réel. Ils ne voient pas toujours l’intérêt
d’assister à une réunion à Bruxelles qui débouchera sur
un résultat peut-être dans deux ou trois ans au minimum.
Cela nécessite une jonction entre le National et l’Européen
qui se heurte à des temporalités différentes. De ce point
de vue, l’un des gages de bon fonctionnement du système
français est la capacité de traduction de policiers et de
magistrats qui ont une véritable spécialisation sur les
questions internationales, qui ont été attachés de sécurité
intérieure, en poste à la Représentation permanente ou
au Secrétariat général aux affaires européennes et qui,
par conséquent, disposent des savoir-faire nécessaires à
la négociation, de la connaissance du jeu bruxellois qui
constitue un monde opaque lorsqu’on ne le connaît pas.
Nous avons été frappés par la lourdeur du dispositif dès
notre première enquête au milieu des années 2000 lorsque
nous avions comparé la France et le Royaume-Uni. La
France parvenait à toujours prendre des positions, mais elle
se retrouvait davantage en difficulté lorsqu’il fallait avoir
un coup d’avance et peser sur les négociations futures,
alors que les Anglais étaient beaucoup plus en pointe dans
la capacité de lobbying auprès de la Commission, même
quand ils avaient des positions minoritaires.
Nous avons vu évoluer la situation lors de la deuxième
phase de notre enquête l’année dernière, notamment en ce
qui concerne ce que l’on peut appeler la culture européenne
du ministère de l’Intérieur, et constaté l’existence d’un
intérêt accru pour les questions européennes. Ainsi l’un
de nos interlocuteurs avait fait la remarque suivante :
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
214 I ACTES DU COLLOQUE
on ne nous dit plus « On ne traite pas cette affaire, car on ne
parle pas anglais », mais plutôt « C’est dommage qu’on n’ait
pas plus d’agents qui parlent anglais pour qu’on puisse s’y investir
davantage ».
Le rapport au temps, marqué par la longue durée des
négociations, représente également une question centrale.
Nous l’avons vu avec le thème du PNR (pour Passenger
Name Record) ; huit ans de négociation pour l’adoption
du texte. Mais les négociations européennes peuvent
être également – apparent paradoxe – - caractérisées par
l’urgence. Ce thème revient de manière récurrente ; la
nécessité d’adopter une position française le jour même
pour le lendemain, et cela alors qu’il y a un nombre
important d’interlocuteurs entre les différentes unités
du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice.
C’est ce qui peut conduire à positionner le Secrétariat
général aux affaires européennes en position non plus de
traducteur, mais d’arbitre pour élaborer une position dans
le temps imparti.
En ce qui concerne le rapport au politique, nous
avions remarqué en 2005 que les négociateurs étaient
extrêmement investis, mais qu’ils avaient le sentiment de
ne pas être suffisamment suivis par l’échelon politique.
Le ministre de l’Intérieur de l’époque n’était pas toujours
présent au Conseil. La situation a également changé sur ce
point pour des raisons qui tiennent à un contexte nouveau,
notamment au profil du ministre, qui a été auparavant
secrétaire d’État aux affaires européennes. Cela se traduit
par un appui plus résolu dans le cours des négociations.
Néanmoins, l’ajustement avec l’échelon politique reste
difficile. L’impératif de communication ministérielle
relève avant tout du discours politique alors que les
négociations européennes avancent avec des contraintes
et un rythme qui leur sont propres. On a pu le constater de
façon très claire, pendant l’été 2015, lors de l’attaque dans
le Thalys, avec la tenue d’une réunion des ministres des
Transports et des ministres de l’Intérieur européens qui
proposaient immédiatement une sécurisation des gares
par la généralisation des portiques électriques, ce qui non
seulement était inconcevable du point de vue pratique de
la mise en œuvre, mais aussi en décalage complet avec ce
qui était en discussion dans les négociations européennes.
J’en viens maintenant à la situation post-Lisbonne qui
a permis de redistribuer les cartes dès lors qu’il y a une
majorité qualifiée au Conseil et, donc, plus de possibilité
de blocage de l’unanimité. La Commission est renforcée
dans son rôle de proposition et le Parlement européen
codécide avec le Conseil. Ce qui n’est pas sans compliquer
les processus de négociation, car il existe toujours une
méfiance ou tout au moins une vigilance critique vis-àvis de la Commission. Lorsqu’il s’agit de négocier avec
les autres États membres, il faut trouver un maximum
d’alliés et, règle numéro un du négociateur, toujours
choyer la présidence. Par contre, dans le cas d’un trilogue,
entre Commission, Présidence et Parlement, on entre
dans une plus grande complexité pour ce qui est des jeux
d’influence.
Au Parlement européen, les parlementaires ne parlent pas
tout à fait la même langue que les négociateurs au sein
du Conseil des ministres. Ils ont une approche beaucoup
plus politique des propositions en débat, mais également
des modes de raisonnement différents. On vient de voir,
dans le cas du PNR, la différence de logique qui existe :
les représentants des États membres, lesquels pensent
en termes de boîte à outils (quels sont les outils les plus
efficaces à fournir aux enquêteurs ?) ; les parlementaires
européens raisonnent en termes de proportionnalité (ces
nouveaux droits sont-ils proportionnés aux risques ?).
Des enjeux nouveaux sont donc apparus qui nécessitent
un ajustement du dispositif de négociations. À qui faut-il
parler ? Comment faire pour peser sur le Parlement
européen ? Faut-il parler avec les parlementaires français et
uniquement avec eux ? Faut-il parler, lorsque l’on est un
gouvernement socialiste, avec les seuls parlementaires
socialistes ? Toutes ces questions se posent légitimement.
Il faut parvenir à anticiper les évolutions des positions
des autres États membres, point par point et Bruxelles
devient alors un enjeu central de plus en plus important.
Il faut également, c’est le rôle de la DCI, être en capacité
de mobiliser les attachés de sécurité intérieure présents
dans les différentes capitales européennes en tant que
« capteurs de terrain ». Comment dans cette nouvelle
situation redéployer le système d’influence française dans
une Europe qui échappe à la logique centrale traditionnelle
des relations entre États membres ?
Ces développements me conduisent à deux brèves
conclusions concernant la France, et, plus largement, les
questions de coopérations policière et judiciaire pénales. La
première conclusion porte sur le constat de la réactivité du
dispositif français : la transformation du jeu institutionnel
lui impose de s’adapter pour maintenir une capacité
d’influence en amont même des propositions ensuite
discutées. La deuxième concerne le travail normatif et
la bureaucratie communautaire : l’Europe et les États
membres disposent d’un nombre important d’outils
normatifs. La question posée maintenant concerne donc
non seulement le travail sur la production normative, mais
aussi, en aval, l’évaluation de l’usage de ces outils n
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 215
La France et l’Espace pénal européen :
enjeux actuels
Sonya DJEMNI-WAGNER
Sous-directrice de la négociation et de la législation pénale à la direction
des Affaires criminelles et des Grâces au ministère de la Justice
A
près les excellentes interventions
précédentes, je vais apporter mon point
de vue qui est celui d’un magistrat qui
dirige un service du ministère de la Justice
en charge des négociations européennes, c’est-à-dire
chargé de négocier des directives et des règlements en
matière pénale et de les transposer ensuite dans notre
système pénal français. C’est donc le point de vue de
quelqu’un devant faire preuve du minimum d’optimisme
indispensable pour travailler au quotidien avec la pleine
conscience des difficultés qu’il y a à négocier dans un
espace qui réunit maintenant 27 pays. Je vais ici présenter
quelques-unes de ces difficultés et mettre en exergue
l’originalité de la position française au sein du Conseil.
Dans un premier temps je vais revenir sur trois actions
prioritaires qui nous occupent tout particulièrement ces
derniers mois et qui sont la lutte contre le terrorisme, la
gestion et l’échange des données au sein de l’espace pénal
et, enfin, le parquet européen. Dans un deuxième temps,
j’aborderai des enjeux plus spécifiquement internes
comme la position de la France dans un espace qui tend
à se fragmenter et les coopérations renforcées qui nous
attendent. J’évoquerais également la question de savoir
comment la France s’intègre dans les réseaux pénaux
européens.
S’agissant de ces trois actions prioritaires, les questions
concernant le terrorisme, largement évoquées précédemment,
sont centrales mais, comme l’a rappelé l’avocat général
Yves Bot, le terrorisme n’est pas le seul sujet qui doit nous
occuper. Je le dis d’entrée, il y a certes beaucoup d’autres
enjeux mais le terrorisme est celui qui, ces derniers temps
en matière de négociation, est le plus chronophage et
constitue le point d’horizon immédiat. L’actualité en est la
principale raison mais si l’on veut mettre cette question en
perspective, il est intéressant de rappeler que la lutte contre
le terrorisme a été largement à l’origine des premiers
travaux de l’Europe en matière de justice, de construction
de l’espace pénal, et que la France y a toujours occupé une
place particulière. L’Union européenne (UE) a toujours
fait preuve de réactivité sur cette question comme le
montre la création du mandat d’arrêt européen après
les attentats de 2001. Cette réactivité a été de nouveau
à l’œuvre après les attentats de Madrid et la création du
poste de coordinateur de la lutte antiterroriste tenu par
Monsieur Gilles de Kerckhove en 2006 mais aussi, bien
évidemment, après les attentats de Paris.
Les 29 et 30 juin 2015, les ministres de la Justice et des
Affaires intérieures ont adopté à Riga une déclaration par
laquelle ils incitaient fortement la Commission européenne
à agir. C’est ce qui explique que la directive dont a parlé ce
matin Monsieur Emilio Capitani, la directive sur la lutte
contre le terrorisme, ait été présentée par la Commission
européenne très rapidement en novembre 2015 après ces
attentats.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
216 I ACTES DU COLLOQUE
Quel est l’objectif visé par cette directive ? Il est de prendre
en compte le phénomène des foreign fighters, et notamment
les retours des zones de combat. Il est intéressant de
souligner, du point de vue de la France, que l’ensemble
des directives ou des décisions-cadres en matière de
terrorisme n’ont pas constitué des avancées fondamentales
en matière de droit pénal interne, tout simplement parce
que notre droit pénal était déjà largement conforme.
Lorsque nous avons eu à transposer des directives ou des
décisions-cadres en matière pénale, nous avions déjà une
bonne partie de l’arsenal pénal dans notre propre Code.
L’enjeu pour la France était plus simplement de faire en
sorte que l’ensemble des États membres puisse appliquer
des standards et des normes au même niveau, notamment
s’agissant de cette incrimination dont nous disposons
dans notre Code pénal qui est l’association de malfaiteurs
en matière de terrorisme. Cette incrimination nous
permet pour l’heure de prendre en compte, en grande
partie, le phénomène des foreign fighters, mais lorsque nous
en débattons au sein du Conseil, nous pouvons constater
qu’il n’en va pas de même pour un certain nombre
d’États membres. Cela explique que les négociations ont
alors parfois du mal à aboutir dans la mesure où nous ne
faisons pas face aux mêmes difficultés, outre celle, déjà
mentionnée, de parvenir à s’entendre à 27.
Pour cette directive, la France a proposé un certain nombre
de mesures particulières comme le fait qu’il soit acté que
nous puissions avoir recours à des techniques spéciales
d’enquête, comme l’incrimination relative à l’apologie
du terrorisme ou encore l’incrimination relative au trafic
de biens culturels en lien avec le terrorisme. Le rôle du
Parlement européen a été évoqué ce matin. Une caricature
en vogue montre un Parlement européen qui serait
exclusivement défenseur des droits fondamentaux face à
un Conseil essentiellement répressif. Le rôle du Parlement
européen ne correspond pas à cette représentation
communément répandue : il fonctionne actuellement
en trilogue avec la Commission et le Conseil et procède
à l’examen de cette directive en veillant à la fois à la
protection des droits fondamentaux et à l’efficacité du
texte.
La France est également préoccupée par le rôle qui est
attribué à Eurojust en matière de terrorisme. Le bureau
français qui est particulièrement actif a ouvert près d’une
trentaine de dossiers en une dizaine d’années et joue un
rôle extrêmement important. La France craint que la
décision de 2005 favorisant les échanges d’informations
en matière de terrorisme et dont il est évident qu’elle
n’est pas suffisamment mise en œuvre ne puisse être
pleinement appliquée.
Sur cette question de l’échange d’informations, une
négociation est en cours concernant les casiers judiciaires
européens. Les autorités judiciaires des États membres de
l’Union européenne s’échangent actuellement les casiers
judiciaires, depuis 2009 et notamment à l’initiative de la
France. La négociation porte sur une directive qui vise
à compléter cette précédente directive de 2009 pour
prendre également en compte et de façon exhaustive,
avec une identité vérifiée, les non-ressortissants des États
membres.
Il a été évoqué précédemment la question de la protection
des données comme exemple d’un insuffisant souci des
droits fondamentaux dans l’espace pénal européen. La
directive protection des données a enfin été adoptée. Elle
a pour objectif d’encadrer les échanges d’informations en
matière pénale et les fichiers dits « fichiers de souveraineté ».
C’est une nouvelle directive que nous sommes en train
de transposer. Elle fera bien évidemment l’objet d’un
contrôle par la Cour, ce qui permet d’espérer l’élaboration
d’un cadre cohérent d’autant plus important que l’échange
d’informations se trouve au cœur de nos débats dans ces
négociations et au fondement de la frontière dont il a été
question ce matin entre sécurité et justice.
À la suite des conclusions prises en juin 2016, la
formation « justice-affaires intérieures » du Conseil de
l’Union européenne s’est assigné l’objectif d’adapter
la justice pénale aux contraintes du cyberespace à
travers le lancement d’un certain nombre de réflexions
sur l’amélioration de la coopération des opérateurs,
notamment des opérateurs de téléphonie, et sur la
modification des règles de compétence territoriale.
Les enquêteurs font face à des difficultés extrêmement
importantes en matière de chiffrement et les procureurs
européens et américains se sont d’ailleurs prononcés sur
la question. Comment avoir accès à certains terminaux,
à certains téléphones portables dans les enquêtes
en matière de terrorisme ? Nous ne disposons pas,
actuellement des outils nécessaires. Le débat a eu lieu en
interne à l’Assemblée nationale et la loi du 3 juin 2016
n’a pas fait exception. Le garde des Sceaux a dû répondre
à la forte demande des parlementaires qui souhaitaient
définir d’ores et déjà des règles, et notamment des règles
pénales, pour sanctionner, par exemple, le fait pour
certains opérateurs de refuser de remettre des « clés », de
fournir des données. Il a à cette occasion rappelé que cela
ne pouvait être fait qu’à plusieurs et exclusivement dans le
cadre de l’Union européenne.
De fait, depuis les présidences néerlandaise et slovaque,
cette question est au centre de nos débats, à la fois dans
la composante Intérieur et dans la composante Justice du
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 217
Conseil. Pour ce qui concerne la Justice, nous abordons la
nécessité d’élaborer des règles de compétence territoriale,
notamment en utilisant la règle du « business Link », c’està-dire le fait que les opérateurs ont une activité qu’ils
développent sur le territoire de l’Union européenne,
ce qui entraîne alors de nouveaux débats autour de la
circulation des données à l’intérieur de ce territoire.
Dans quel cadre ces données sont-elles obtenues ? S’agitil d’une coopération policière qui a l’avantage d’être
directe, rapide, et sans doute plus efficace, ou s’agit-il
d’une coopération judiciaire, c’est-à-dire d’une variante
d’entraide pénale encadrée par des magistrats ? C’est
un débat qui n’est pas tranché mais sur lequel, en tant
que magistrat, je pense qu’il est important que nous
conservions un certain nombre de pouvoirs et de règles
pour faire en sorte que cette circulation des données et de
l’information soit contrôlée.
Je souhaite aborder maintenant la question du parquet
européen et à cette occasion changer de casquette.
Comme dans tout procès équitable, il faut évidemment
une accusation et une défense. Étant procureur, je vais
prendre néanmoins la place de l’avocat de la défense
pour présenter un point de vue nécessairement quelque
peu subjectif puisque c’est celui du négociateur ; c’est en
effet la direction des Affaires criminelles et des Grâces
du ministère de la Justice qui porte la négociation sur le
parquet européen au sein des instances européennes.
Quel est ce « monstre » qui a été décrit ce matin, pour
reprendre les mots utilisés par une intervenante ?
L’étymologie du mot monstre est intéressante. Un
monstre est quelque chose de repoussant et même de
fascinant parce qu’il s’écarte de la norme. Si l’on prend le
sens donné par l’étymologie latine, le monstre renvoie à
un présage, annonce le futur et, tout en dérangeant, ouvre
des horizons. C’est ainsi que l’on pourrait parler du parquet
européen. En premier lieu, le parquet européen est ce que
les constituants, les auteurs du traité, ont bien voulu qu’il
soit. L’article 86, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est déjà en
soi un petit miracle dans la mesure où les chefs d’État et
les gouvernements ont réussi à s’entendre pour l’intégrer
dans le traité, ce qui au départ n’allait absolument pas de
soi. Cet article pose d’abord la nécessité de se prononcer à
l’unanimité. Cela constitue une première difficulté ; nous
ne sommes pas dans le cadre traditionnel de la majorité
qualifiée, mais dans celui de l’unanimité. Ce cadre n’est
pas facilitateur, car il impose à toutes les parties de
s’entendre sur le même objet. L’article 86 dit ensuite
que le procureur européen enquête et poursuit jusque
devant les juridictions de jugement. Cela constitue une
deuxième difficulté, car tout le monde sait que la création
d’une justice pénale européenne absolument intégrée
n’est pas encore à portée de main, si tant est qu’elle soit
souhaitable. Le jugement interviendra en réalité, à la fin
des fins, devant les juridictions nationales.
Ce parquet européen possède une première qualité, il est
indépendant. C’est ainsi qu’il a été prévu et c’est comme
cela qu’il figure dans le traité. Contrairement à ce qui
se passe dans la plupart des États membres, le parquet
européen sera un parquet pleinement indépendant,
indépendant des institutions européennes comme des
autorités des États membres et il aura un chef à sa tête. Ce
dernier point a été obtenu par la Commission qui n’a pas
obtenu par ailleurs tout ce qu’elle aurait souhaité. Il est
très possible, très probable même, que ce chef puisse être
adoubé par le Parlement européen, ce qui lui conférera
une onction, une légitimité tirée des élus de l’Union
européenne. Il s’agit en outre d’un parquet collégial : non
pas un procureur assisté de quelques adjoints, mais une
réelle collégialité qui fonctionnera d’ailleurs peut-être
mieux encore que dans le cas d’Eurojust, ce parquet étant
un organe intégré, doté de pouvoirs propres et possédant
une compétence partagée avec les États membres. Certes,
pour l’heure, le champ de compétence délimité présente
peu d’attraits, car, il faut bien le dire, la protection des
intérêts financiers de l’Union européenne ne fait rêver
personne. Pourtant, il faut dépasser cette dénomination
minimaliste et réaliser que la lutte contre les fraudes
(peut-être aurait-il fallu plutôt utiliser cette expression)
représente un enjeu réel qui est loin d’être mince.
Lorsque l’on parle de budget de l’Union européenne, cela
représente des politiques agricoles communes, des fonds
structurels et bien d’autres dispositifs relevant d’une
réalité concrète. Le ministère de la Justice et le ministère
des Finances ont réussi à s’entendre, ce qui n’a pas été une
mince affaire, pour prôner l’ajout de l’objectif de la lutte
contre les fraudes à la TVA, cela grâce à la jurisprudence
de la Cour de justice de l’Union européenne avec le récent
arrêt Taricco, lequel établit que les fraudes à la TVA
relèvent du champ des intérêts à protéger. Dans ce cas de
figure, un parquet européen pourrait par exemple lutter
contre les fraudes aux droits carbone qui, d’après la Cour
des comptes, ont coûté à la France 1,6 milliard d’euros
et à l’échelle de l’Union européenne plus de 5 milliards
d’euros. Ce n’est pas rien. J’aurais pour ma part souhaité,
à titre personnel, un champ d’application plus large mais
il n’est pas très réaliste de penser, dans le contexte actuel
d’euroscepticisme, qu’il serait possible de commencer
d’entrée de jeu par la création d’un parquet européen
compétent pour le terrorisme.
Le parquet européen est purement et simplement
l’illustration de ce qu’est la construction européenne.
Celle-ci a toujours suivi la tendance à mettre la charrue
avant les bœufs et avancé ainsi à petits pas.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
218 I ACTES DU COLLOQUE
La prochaine échéance sera, à la fin de l’année, d’un
accord global sur le règlement parquet européen. La
procédure est telle que nous n’aurons pas l’unanimité,
nous le savons mais le traité a tout prévu. Nous
basculerons ensuite le dossier vers les chefs d’État et de
gouvernement. J’émets, à titre personnel, le souhait que
sera possible et envisageable, puisque les chefs d’États
et de gouvernements devront se prononcer au début
de l’année prochaine, un appel à un nouveau Tampere
au sein duquel les chefs d’États et de gouvernements
s’exprimeraient de nouveau sur les questions de justice,
comme ils l’ont fait en 1999, ce qui permettrait de passer
à une nouvelle phase de coopération renforcée.
Dans cette nouvelle phase, la France aura son rôle à
jouer dans les enjeux de différenciation qui ont été
mentionnés ce matin ; le Brexit, les opt-in et les opt-out
que nous connaissons… Pour reprendre une expression
de mon homologue en Belgique – Daniel Flore, il y a les
« en dedans », les « presque en dedans » et les « en dehors ».
Nous avons en quelque sorte une Europe pénale à la
carte et le parquet européen permettra de faire un pas
supplémentaire vers la coopération renforcée. La France
devra rester volontariste comme elle l’a toujours été,
présente et active dans les différents réseaux. L’espace
pénal européen fonctionne pour beaucoup grâce
aux réseaux au sein desquels la France s’est révélée
particulièrement efficace. En premier lieu, il y a le réseau
des magistrats de liaison dont la France a eu l’initiative
avant même qu’il ne soit repris officiellement par l’Union
européenne. Nous avons aujourd’hui le premier réseau
de magistrats de liaison en Europe avec huit magistrats
en poste. Le dernier poste a été créé à Bruxelles dans
le but de renforcer l’efficacité des équipes communes
d’enquête dans la lutte contre le terrorisme. Enfin, un
autre enjeu capital dont il faudra se saisir concerne la
dimension de coopération extérieure de l’espace pénal,
c’est-à-dire l’instauration d’une coopération avec les États
non-membres de l’Union européenne sur le modèle de ce
que la France a fait en constituant des équipes communes
d’enquête avec des États comme la Bosnie-Herzégovine,
les États-Unis et, tout récemment, avec la Serbie n
Actes du colloque. L'Europe de la sécurité et de la justice. Quels enjeux pour la France ?
ACTES DU COLLOQUE I 219
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°38
Les sessions nationales de l’INHESJ
Le recrutement des sessions 2017-2018 est ouvert. Les programmes sont disponibles sur le site
de l’INHESJ ainsi que les formulaires d’inscription.
Les sessions sont réparties sur dix séminaires de septembre à juin à raison de 4 jours par
semaine.
Session nationale
« Sécurité et Justice »
Elle dispense une formation à l’identification et à
l’analyse des risques, menaces et vulnérabilités qui
pèsent sur les États et les populations ainsi qu’à
l’appréhension des moyens de sécurité et de justice
à mettre en œuvre pour y faire face.
Cette session rassemble une centaine d'auditeurs,
des hauts fonctionnaires des trois fonctions
publiques, des magistrats , des militaires, des élus,
ainsi que des personnalités civiles exerçant des
responsabilités dans les secteurs économiques et
associatifs concernés par les questions de sécurité
et de justice. L’objectif est de décloisonner les
univers professionnels pour une meilleure efficience.
La session a pour finalité générale d’approfondir,
mutualiser et diffuser une culture commune sur
l’ensemble des sujets abordés.
Elle alterne des conférences, des tables rondes, des
travaux de groupe, des visites de sites sensibles,
des stages dans des services opérationnels et deux
voyages d'études à l'étranger.
Contact : formation@inhesj.fr
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SÉCURITÉ
ET JUSTICE
PROTECTION
DES ENTREPRISES
ET INTELLIGENCE
ÉCONOMIQUE
Session nationale
« Protection des entreprises
et Intelligence économique »
Elle a pour ambition de délivrer aux managers
sécurité/sûreté des entreprises, aux praticiens de
l’intelligence économique et aux gestionnaires
de crises, les connaissances théoriques et savoirfaire directement opérationnels leur permettant
d’appréhender les différentes menaces susceptibles
de remettre en cause la pérennité des entreprises.
La formation s’organise autour de trois composantes :
- des interventions de type académique,
- des travaux de groupe,
- des visites en entreprise.
Le département, pour compléter la formation des
auditeurs, organise en partenariat avec de grands
groupes, des exercices de diagnostic de sécuritésûreté et de gestion de crise en entreprise.
Contact : securite-economique@inhesj.fr
➔
MANAGEMENT
STRATÉGIQUE
DE LA CRISE
Session nationale
« Management stratégique
de la crise »
L’objectif de la session nationale « Management
stratégique de la crise » est de mettre les participants
en capacité d’initier, dans leur structure, une
politique efficace de gestion des risques et de
réponse aux crises et de créer les conditions d’une
culture de crise adaptée aux contraintes sociétales
et économiques.
Les modules de formation intégrent les questions de
planification de crise et de continuité d’activité, de
communication de crise et de prise de décision dans
des environnements incertains. Ils allient corpus
théorique, études de cas, mises en situation de
crise, création d’outils de planification et d’aide à
la décision, des travaux de groupe et des visites de
centres opérationnels.
Contact : formationcrise@inhesj.fr
Les principaux partenaires de l'Institut
L’École nationale d’administration (ENA), l’École nationale de la magistrature
(ENM), l’École nationale supérieure de police (ENSP), l’École des officiers de
la gendarmerie nationale (EOGN), l’École supérieure de l’Éducation nationale
(ESEN), l’Institut national des études territoriales (INET), l’École des hautes études
en santé publique (EHESP), l’Institut national de veille sanitaire (INVS), l’Institut
national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), le Commissariat
à l’énergie atomique (CEA), l’École des Mines d’Alès, le Pôle de compétitivité
risques, l’Université Paris V-Descartes (Licence sécurité des personnes et des
biens), l’Université technologique de Troyes (Master Ingénierie et management
en sécurité globale appliquée), l’Université Paris-Ouest la Défense (Master
Management du risque), le Centre européen de droit et d’économie de l’ESSEC,
Skema Business School, le Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE),
le Club informatique des grandes entreprises françaises (CIGREF, Réseau de
Grandes Entreprises), le Cercle des dirigeants propriétaires de sécurité (CDPS),
l’Union des entreprises de sécurité privée (USP).
INHESJ
École militaire – 1 place Joffre, Case 39
75700 PARIS 07 SP
Tél. : +33(0)1 76 64 89 00
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RDN
Le débat stratégique
en 800 revues
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2017
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Revue Défense
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Suivez l’actualité stratégique dans la Tribune de la RDN en ligne
Revue Défense Nationale
École militaire, 1 place Joffre, Case 64, 75700 Paris SP 07
Sherlock Holmes et les nombreux enquêteurs
qui sont régulièrement érigés en héros de nos
soirées télévisées actuelles doivent beaucoup
à Alphonse Bertillon (1853-1914) qui tient une
place essentielle dans l'histoire des savoirs sur le
crime durant la période comprise entre la fin du
XIXe et le début du XXe siècle.
Déterminer infailliblement « qui est qui »,
classer et archiver rationnellement les données
personnelles des délinquants, photographier
méthodiquement les scènes où des meurtres ont
été commis, analyser rigoureusement les diverses
traces laissées par les malfaiteurs sur les lieux de
leurs forfaits… Rien ne semble échapper à ce
fin limier qui, premier directeur du service de
l'Identité judiciaire de la préfecture de Police
de Paris, modernise les savoirs, les méthodes
et les outils des forces de l'ordre et influence
ainsi de manière déterminante les pratiques,
les recherches et les enquêtes policières tant en
France qu'à l'étranger.
Revêtant la forme d'un abécédaire illustré par
une iconographie riche et originale, cet ouvrage
permet de découvrir à travers 26 entrées
détaillées le rôle crucial joué par Bertillon dans
l'avènement et l'essor de la police scientifique.
Editeur : OPREP éditions
Prix : 18,00 euros
Parution : 16 décembre 2016
Pagination : 80
Format : 200x240 mm
Biographie de l'auteur
Pierre Piazza est Maître de Conférences en
Science politique à l'Université de CergyPontoise et membre du CESDIP/LEJEP.
Spécialiste de la socio-histoire des dispositifs
étatiques d'identification et de leurs enjeux, il a
publié de nombreux ouvrages et articles sur le
bertillonnage, la dactyloscopie, les fichiers de
police, l'encartement et la biométrie.
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* Tarifs applicables jusqu’au 31 décembre 2016
Signature