Nothing Special   »   [go: up one dir, main page]

Academia.eduAcademia.edu
RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXE SIÈCLE DANS LES PAYS HÉRITIERS DU CODE NAPOLÉON (FRANCE, PAYS-BAS, BELGIQUE) Vincent Gourdon Belin | Annales de démographie historique 2006/2 - n° 112 pages 33 à 55 ISSN 0066-2062 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2006-2-page-33.htm Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gourdon Vincent, « Réseaux des femmes, réseaux de femmes. Le cas du témoignage au mariage civil au xixe siècle dans les pays héritiers du Code Napoléon (France, Pays-Bas, Belgique) », Annales de démographie historique, 2006/2 n° 112, p. 33-55. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 2006 n° 2 p. 33 à 55 RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE DANS LES PAYS HÉRITIERS DU CODE NAPOLÉON (FRANCE, PAYS-BAS, BELGIQUE) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Si les listes des présents dans les contrats de mariage de l’Ancien Régime ont depuis longtemps été utilisées pour cerner les réseaux relationnels des grandes familles, ce n’est que depuis un peu plus de vingt ans que les historiens du long XIXe siècle s’intéressent aux témoins de la cérémonie de mariage civil dans les pays ayant hérité du Code Napoléon. Pourquoi cet intérêt ? Pour le dire aussi directement que l’historienne des migrations Leslie Page Moch, « records of wedding witnesses are among the few sources of information about friendships and networks » (Moch, 2003, 447). Partant de ce constat, trois grands axes d’étude ont été privilégiés. Dans un premier mouvement dominé par l’histoire de la classe ouvrière, les témoins de mariage ont servi à mesurer l’ampleur des contacts sociaux entre le prolétariat urbain et les autres groupes sociaux (en particulier la bourgeoisie) et à jauger la force des solidarités et identités professionnelles et de voisinage dans la ville industrielle (Accampo, 1982 ; Jacquemet, 1984 ; Gould, 1995). Au même moment – et souvent en lien avec la démarche précédente –, la thématique de l’histoire des sociabilités a inspiré des études dans lesquels les témoins de mariage étaient considérés comme le reflet des modes de sociabilité des différentes couches sociales analysées (urbaines ou rurales) : il s’agissait là encore de mesurer les contacts interclassistes mais aussi d’évaluer les poids respectifs des parents et des amis, voisins, collègues (Dupâquier, 1989 ; Hamel, 1997 ; Jacquemin, 1994 ; Garden, 1998 ; Pauquet, 1998). Enfin, depuis quelques années, les témoins de mariage sont considérés comme une des rares possibilités d’observer des réseaux sociaux effectifs des individus dans le cadre d’études inspirées par les principes de l’analyse configurationnelle. Les tenants de cette approche cherchent à saisir le spectre des liens individuels concrets plutôt que de s’en tenir à des catégorisations par attribut, quitte à définir de nouvelles catégories d’analyse à partir de la structure du réseau relationnel dégagé par le biais de l’étude des témoins de mariage (Rosental, 1999 ; Moch, 2003). Non sans un certain paradoxe, il est très exceptionnel que le choix des témoins de mariage soit abordé en soi, c'est-à-dire comme un élément de la ritualisation du mariage. Ainsi, tandis que bien des auteurs ont signalé la forte 33 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin par Vincent GOURDON Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin présence de témoins « permanents » ou « professionnels » (secrétaire de mairie, huissier…) dans les corpus du XIXe siècle (Kok, 2001 ; Jacquemin, 1994 ; Accampo, 1982), ce n’est qu’en 2003 que Koen Matthijs a suggéré, à partir de données flamandes, que la privatisation du mariage au cours du XIXe siècle avait suscité une progressive familialisation du choix des témoins (Matthijs, 2003), thèse que nous avons à la fois confortée sur un exemple de commune de la banlieue lyonnaise (Gourdon et Joz, 2006) et nuancée à un niveau local à partir d’un village d’Île-de-France (Gourdon, à paraître). De même, l’éventuelle marginalité du mariage civil par rapport à la cérémonie religieuse pour les contemporains, et son implication sur le choix des témoins du rite civil, n’est jamais prise en compte dans l’analyse. Un autre point négligé est la question du genre. Très minoritaires sont en effet les études qui distinguent par exemple les témoins de l’époux et ceux de l’épouse. Ce désintérêt frappant, surtout lorsqu’on le compare au poids donné aux variables socio-professionnelles ou géographiques (opposition ville/campagne ou différences régionales)1, traduit le fait que les historiens les plus enclins à travailler sur les témoins de mariage sont d’abord issus de l’histoire sociale (dont la démographie historique), peu de l’histoire de la famille (même si cela évolue), encore moins de la « gender-history ». Il semble pourtant pertinent de réintroduire le genre dans l’analyse du témoignage au mariage. Ainsi que l’a suggéré Matthijs Koen, sans pouvoir toutefois le vérifier, il n’est pas certain que la privatisation et la familialisation du rite de mariage se soient produites au même rythme et selon les mêmes modalités pour 34 les hommes et les femmes du XIXe siècle. De même, du point de vue de l’histoire de la famille et de celle des sociabilités, il est intéressant d’utiliser les témoins de mariage pour mieux cerner ou nuancer les éventuelles spécificités des réseaux familiaux et sociaux des deux sexes dans une société du XIXe siècle décrite comme marquée par l’opposition, posée en nature, de deux sphères d’intervention sexuées, la vie publique et professionnelle, d’un côté, la famille, de l’autre. Pour l’exprimer de manière simple, observe-t-on, compte tenu de la forte légitimation dans la culture du XIXe siècle de l’enfermement des femmes dans des rôles presque uniquement familiaux, un choix spécifiquement féminin de témoins qui traduirait justement ce bornage identitaire ? Cette interrogation, loin de négliger les clivages sociaux dégagés par les autres travaux, ne peut qu’aboutir à complexifier leur analyse : n’est-il pas utile, avant d’opérer des déductions fondées sur la composition des témoins de mariage, de mieux saisir selon quels mécanismes ils sont choisis, et notamment par qui ? Nous aborderons d’abord ces enjeux en nous penchant sur des échantillons constitués à partir de mariages célébrés avant l’adoption de la loi française du 7 décembre 1897 autorisant enfin les femmes à être témoins dans les actes d’état civil. Nous nous pencherons ensuite sur les modifications liées à cette évolution législative majeure, qui permet de ne plus seulement parler de réseaux des femmes, mais aussi de réseaux de femmes. RAPPELS LÉGISLATIFS Depuis l’époque moderne, le mariage est une cérémonie publique supposant Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin VINCENT GOURDON Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin des témoins. Désireux d’éviter les mariages clandestins et les procès qui en découlaient, les pères présents au concile de Trente avaient affirmé par le décret Tametsi de 1563 qu’un mariage valide nécessitait la présence d’un curé (et non celle du notaire) ainsi que celle de « deux ou trois témoins » (Gaudemet, 1987, 290-293). En France, la législation royale s’est vite superposée à la législation religieuse dans le but d’imposer un contrôle plus strict encore du mariage. Dans la déclaration du 26 décembre 1639, il est dit qu’ « à la célébration du mariage assisteront quatre témoins dignes de foi outre le curé qui recevra le consentement des parties » (Le Mée, 1999, 38), le rôle de ces témoins se bornant à une fonction d’attestation (notamment validation des renseignements fournis par les futurs) qui ne comporte aucune contrainte particulière – ce qui reste vrai jusqu’à nos jours. Le choix des témoins est a priori ouvert. En droit canon, il n’est pas d’exclusion de principe, y compris pour les femmes. Mais les jurisconsultes français ont interprété très tôt la notion de « témoins dignes de foi » dans un sens restrictif : les femmes, jugées incapables de remplir les fonctions publiques, furent aussi considérées comme incapables d’assister en tant que témoins dans des actes aussi importants que les mariages (Imbert, 1993). Le Code napoléonien qui régit les formes du mariage au XIXe siècle est, sur la question du témoignage, le continuateur de l’Ancien Régime. Si la Révolution française et la laïcisation de l’état civil en septembre 1792 (qui crée le mariage civil) ont autorisé les femmes à témoigner, la réaction napoléonienne et le patriarcalisme du Code civil mettent vite fin à cette présence potentielle des femmes2. Le décret du 11 mars 1803 prescrit pour les mariages civils (seuls valides en droit) la présence de quatre témoins, de sexe masculin, majeurs (c’està-dire ayant au moins 21 ans), apparentés ou non. Ce n’est que par la loi du 7 décembre 1897 que les femmes retrouvent en France le droit de témoigner aux actes d’état civil. Quant au nombre de quatre témoins, maintenu dans le droit intermédiaire, il reste en vigueur pendant tout le XIXe siècle. En 1919, cependant, l’article 75 du Code civil l’abaisse à deux, mais depuis 1966, la loi française consent à une certaine souplesse puisque le nombre de témoins est désormais fixé à « au moins deux, quatre au plus » (Code civil, 1997, 57-63). Héritant du même Code Napoléon, des pays comme la Belgique ou les PaysBas ont connu des prescriptions législatives similaires en matière de témoignage au mariage civil, avec des évolutions comparables au début du XXe siècle. Ainsi ce fut à partir de 1908 que le droit belge ne requit plus que deux témoins de mariage (Matthijs, 2003, 391) et admit le choix des femmes (Le Moniteur Belge, 15 janvier 1908, 1 ; Gérin, 1969, 264). Aux Pays-Bas les femmes obtinrent le droit de témoigner en 1927, trente ans après les Françaises (Van Poppel, Schoonheim, 2005, 196). UNE LÉGÈRE PRÉDILECTION FÉMININE POUR LA PARENTÉ Parmi la littérature disponible, il est encore peu d’échantillons au sein desquels il est possible de distinguer parfaitement les témoins de l’époux et ceux de l’épouse. Il est vrai que la source ne désigne pas toujours avec une extrême clarté par qui précisément sont sollicités les 4 témoins. Cette ambiguïté 35 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin découle en partie de la rédaction de l’article 76 du Code Napoléon. Celui-ci ne signale pas explicitement que chaque conjoint doit choisir 2 témoins (ce qui se produit cependant en pratique), il demande que l’on inscrive dans l’acte « le côté » et la parenté aux parties des témoins. Lorsque le témoin n’est pas parent d’un futur, la négligence des rédacteurs des actes amène souvent un grand flou sur l’identité de celui qui l’a choisi. Par ailleurs la mention du lien à l’un au moins des époux se substitue ou s’ajoute souvent à celle de la partie qui a opéré la désignation. Que faire par exemple d’un témoin « ami des deux époux » ou « frère de l’épouse et ami de l’époux » ? Il est en outre évident que la sollicitation d’un témoin émane dans bien des cas d’un choix conjoint des deux parties et relève d’une stratégie concertée du couple ou de leurs familles. Enfin, problème classique pour l’historien usant de ce type de sources, il est de nombreuses communes où le rédacteur s’abstient d’appliquer la loi et de mentionner lien de parenté et côté des témoins… (ce que nous dévoilent les homonymies entre participants ou une connaissance plus approfondie du terrain d’étude). Dans ces conditions, certains chercheurs font le choix logique de ne fournir que la liste des liens mentionnés pour tous les témoins sans s’interroger plus avant sur leur instance de désignation. Dans un échantillon de 15 792 témoins présents dans 3 948 mariages célébrés à La Haye (Pays-Bas) entre 1858 et 1902, Marloes Schoonheim et Frans Van Poppel recensent 2 786 témoins explicitement liés à l’épouse (17,6 % de l’ensemble), 2 713 liés à l’époux (17,2 %), et 22 aux deux (0,1 %) – le lien mentionné étant une relation de parenté ou d’affinité 36 dans plus de 99 % des cas (Van Poppel, Schoonheim, 2005, 182). Pour une grande majorité des témoins (65 %), aucun lien aux conjoints n’est fourni, vraisemblablement parce qu’il s’agit d’amis ou de relations, ce qui est le cas de la majorité des témoins dans la plupart des échantillons urbains3. Au sein des villages belges du Pays de Herve dans la seconde moitié du XIXe siècle, la part des témoins de lien « inconnu » est plus basse (38,3 %) et l’on compte respectivement 31,0 % et 30,7 % des témoins qui sont désignés comme ayant un lien – systématiquement familial – à l’époux et à l’épouse (Neven, 2000, 286). Ce sont des proportions proches de celles de Louvain (Belgique) vers 1840-50, à savoir un tiers de parents de l’époux, un tiers de parents de l’épouse, un tiers de témoins « non liés » (Matthijs, 2003, 394). Du point de vue de notre questionnement sur le caractère plus ou moins familial des réseaux respectifs des époux masculins et féminins, il est d’ores et déjà utile de constater que, dans ces trois échantillons issus de milieux sociaux dissemblables (métropole, petites villes, milieu rural 4), un équilibre s’établit à un niveau global entre la parenté des maris et celle des épouses. Bien entendu, cette parité ne se retrouve pas dans le cas des mariages impliquant certains groupes aux caractéristiques très spécifiques (par exemple les migrants italiens mariés à Rotterdam et Amsterdam entre 18671890, qu’a étudiés Margaret Chotkowski 5), mais si l’observation se fait au niveau de l’ensemble d’une population, il est difficile de discerner une prédilection pour la parenté de l’épouse, y compris dans les villes industrielles qui reçoivent les grandes vagues de migration. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin VINCENT GOURDON Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Il convient cependant de rester prudent à ce stade. On peut certes estimer que les témoins pour lesquels un lien à un conjoint est mentionné ont généralement été choisis par ce dernier, il n’empêche que ceci est loin d’être systématique. On peut, pour l’illustrer d’une référence littéraire, se souvenir que dans L’Assommoir, d’Émile Zola, Coupeau désigne un petit patron habitant l’immeuble de sa sœur et un camarade de travail, tandis que Gervaise choisit le mari de sa concierge et le mari de la sœur de son futur époux… Elinor Accampo, dans son étude sur les mariages ouvriers de Saint-Chamond, le signale avec justesse : il n’est pas rare qu’un époux choisisse comme témoin un camarade de travail ou un ami apparenté de son épouse parce que c’est par lui qu’il a été mis en contact avec sa future femme ou simplement parce qu’ils s’appréciaient déjà auparavant (Accampo, 1982, 53). Ce constat complexifie d’ailleurs le problème, puisqu’il est alors vraisemblable que parmi les nombreux « beauxfrères de l’époux/se » mentionnés dans les registres de mariage se cachent non pas des maris d’une sœur, mais plutôt des frères du futur conjoint : dans ces cas, c’est bien parce qu’ils ont été choisis par un côté précis qu’ils lui sont rattachés sur un plan familial dans les actes, alors qu’ils relèvent autant, si ce n’est plus, de l’autre parenté… Dans ce contexte, mieux vaut se concentrer sur les corpus où l’identité des conjoints désignant chaque témoin est peu ou prou acquise du fait de la qualité de la rédaction des registres. Pour la période précédant 1897, nous disposons de quelques terrains français : le Berry en 1845 (Pauquet, 1998) ; Samois-sur-Seine entre 1837 et 1889, un village d’Île-de-France vivant pour l’essentiel de la viticulture et de la batellerie (Gourdon, à paraître) ; Elbeuf en 187273, une ville normande alors en pleine extension de son industrie textile (Hamel, 1997). Le tableau 1 résume les parts respectives de témoins parents ou « amis » selon le sexe du conjoint qui les a sollicités. Il nous faut cependant insister sur le fait que le terme d’amis ne doit pas être pris dans un sens proprement affectif : mieux vaudrait parler de « non-parents » puisque cette catégorie regroupe certes des « amis » au sens strict, mais encore des supérieurs hiérarchiques (patrons, maîtres pour les domestiques, officiers pour les soldats…), des collègues de travail, des voisins, des notabilités locales (maire, marchand de vin, instituteur…) avec lesquelles on entend entretenir une relation sans doute utile, des agents de l’administration qui permettent de remplir le quorum requis de témoins (dont les fameux témoins « professionnels »). Sans oublier d’éventuels parents pour lesquels les rédacteurs des actes ont négligé de mentionner les liens familiaux aux conjoints… En valeurs agrégées, il apparaît d’abord que les femmes sont loin de restreindre leur choix de témoins à des membres de leur parentèle. Cette proportion varie d’ailleurs de manière assez nette selon les milieux, suivant parfaitement en cela les grandes tendances qui se dégagent de l’analyse des témoins des maris. La sélection par les femmes s’inscrit donc en premier lieu dans un milieu social autorisant plus ou moins de recours à la parenté : comme nous l’avons déjà signalé, la place des témoins familiaux est souvent plus réduite dans les villes, en particulier lors des phases d’expansion industrielle forte qui suppose l’arrivée de migrants (comme à Elbeuf ). Le genre ne transcende pas la classe ou le milieu6. 37 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE VINCENT GOURDON Tab. 1 Proportions de témoins explicitement apparentés à ceux des conjoints qui les ont choisis. Échantillons français XIXe siècle Commune Samois 1837-1889* Elbeuf 1872-1873 Berry 1845** Témoins du mari 1 006 910 1 791 % d’apparentés 60,7 44,0 56,0 Témoins de l’épouse 1 008 910 1 758 % d’apparentés 64,6 47,7 64,0 Tous témoins 2 014 1 820 3 549 % d’apparentés 62,7 45,8 60,0 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Il ressort néanmoins aussi que les épouses choisissent un peu plus de témoins familiaux que les maris, conformément à l’hypothèse de départ. Le phénomène est attesté dans les trois échantillons qui correspondent, soulignons-le une fois encore, à des milieux hétérogènes et à des périodes différentes. Notons cependant que l’écart est assez réduit en pourcentage (au maximum 8 % d’écart en Berry), ce qui est assez cohérent avec les données équilibrées qui se dégageaient des corpus indiquant uniquement auquel des deux conjoints étaient liés familialement les témoins. En somme, si la parenté de l’épouse et celle de l’époux sont à peu près également représentées, ce qui traduit un souci global d’équilibre entre les branches familiales qui se lient par une alliance (par delà les déséquilibres propres à chacune des unions en particulier), il apparaît que les épouses sont malgré tout amenées à choisir davantage d’apparentés que leur futur conjoint. Cette préférence relative pour des témoins familiaux a déjà donné lieu à interprétations. Alain Pauquet considère qu’elle peut « s’expliquer par le statut plus “domestique” des femmes qui restaient souvent à la maison alors que les hommes avaient, de par leur travail et leurs activités 38 extérieures, de multiples occasions de nouer des liens d’amitié. En outre, on peut supposer qu’il y avait parfois quelque ambiguïté pour l’épouse à présenter un ami comme témoin et il est probable que bien des jeunes filles se voyaient imposer par leurs parents un membre de la famille, jugé plus respectable dans ce rôle » (Pauquet, 1998, 309). Le premier point n’emporte pas totale adhésion. On peut en effet remarquer qu’un très grand nombre de femmes travaillaient à l’extérieur au XIXe siècle, surtout avant leur mariage, en particulier dans les classes populaires des villes (Scott, 2002, 479490 ; Schweitzer, 2002, ch. 2 et 3). D’autre part, dans le cas des actes de mariage civil, l’épouse ne doit pas fournir une longue liste de témoins (contrairement à ce qui se produit dans les contrats de mariage devant notaire), mais seulement deux et il paraît peu vraisemblable que ses relations non familiales soient si réduites qu’elle soit obligée de se cantonner « par force » à des parents. En revanche, la seconde explication paraît assurée : la contrainte légale qui imposait aux épouses de choisir des témoins masculins alors que les sociabilités amicales du XIXe siècle étaient largement sexuées (par exemple, pour n’en citer Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin * À Samois, les actes mentionnent systématiquement le type de lien au conjoint désignant, y compris en précisant « ami de l’époux » lorsque la relation n’est pas d’ordre familial. Il n’est qu’un seul acte entre 1837 et 1889 où les liens manquent, en l’occurrence pour les deux témoins du mari. Dans les quelques cas où des liens à l’épouse et au mari existaient pour un même témoin, nous n’avons retenu que celui au mari lorsque le témoin était le premier ou le second sur la liste, et inversement s’il était le troisième ou quatrième. À Samois, comme dans les autres échantillons ici présentés – Karine Hamel le signale pour Elbeuf, puisqu’elle ne repère qu’un cas d’inversion (Hamel, 1997) –, il est d’usage que les rédacteurs mettent en premier et deuxième témoins dans l’acte ceux qui sont choisis par le futur, et en troisième et quatrième, ceux choisis par l’épouse. ** L’échantillon correspond à un corpus de 943 mariages de 1 845 extraits de différentes municipalités du Cher, couvrant l’ensemble des sous-régions du département et prenant en compte les différences entre villes industrielles, villes administratives et campagnes. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin qu’un cas extrême et bien connu, chez les jeunes filles de la bourgeoisie), ne pouvait que les pousser à se rabattre davantage que leurs futurs maris sur des membres masculins de leur famille. Enfin, le poids de la pression familiale dans la désignation était certainement plus élevée pour les jeunes filles. À cet égard, Karine Hamel délivre une indication précieuse lorsqu’elle remarque qu’à Elbeuf en 1872-73, respectivement 60,5 % et 68,1 % des époux et épouses ne vivant plus chez leurs parents au moment du mariage ont un ami témoin au moins, tandis que cette proportion n’est que de 45 % et 35,6 % pour ceux qui y demeurent encore (Hamel, 1997, 41). Non seulement cela montre que l’émancipation domiciliaire renforce le choix des amis, mais encore que l’écart est particulièrement fort pour les femmes7. Une des difficultés de l’analyse réside cependant dans l’interpénétration des variables qui sont susceptibles d’expliquer le choix privilégié des témoins familiaux. Si le fait de vivre chez ses parents au moment du mariage joue un tel rôle, n’est-ce pas tout simplement parce que les personnes concernées sont plus jeunes en moyenne, donc plus « influençables », ou encore moins souvent orphelines, ce qui garantit mieux la pérennité du réseau familial, ou encore moins migrantes ? Bien plus, derrière l’impact apparent de la variable du « genre », n’y aurait-il pas les effets d’autres variables, certes sexuellement discriminées, telles l’âge au mariage, la mobilité, la profession, etc. ? En somme, en dernière instance, choisiton des témoins familiaux parce que l’on est femme, ou parce que l’on est jeune, moins mobile, moins souvent en état de veuvage, etc. ? Pour mieux saisir ce qui joue véritablement dans le choix plus ou moins élevé de témoins familiaux entre maris et femmes, nous avons cherché à mesurer l’effet propre de plusieurs variables explicatives en réalisant une analyse de type économétrique sur l’un des échantillons à notre disposition, en l’occurrence Samois-sur-Seine. Rappelons que l’intérêt des analyses économétriques multivariées est justement de cerner si chaque variable a une influence statistiquement significative ceteris paribus dans le cadre d’une modélisation prenant en compte simultanément chacune des variables envisagées. Le modèle mobilise divers types de variables : le sexe bien sûr, l’âge au mariage, l’état matrimonial antérieur du conjoint (célibat ou veuvage). Un second ensemble tente de mesurer l’impact éventuel du parcours spatial individuel de chaque époux : son domicile au mariage, et surtout la mobilité, comprise ici comme le fait d’avoir un domicile au mariage différent de son lieu de naissance. On peut en effet supposer que la mobilité joue dans le choix de témoins familiaux, d’une part en réduisant le nombre de parents vivant à proximité, c’est-à-dire en relation intense avec le conjoint ou susceptibles d’être facilement mobilisés comme témoin, d’autre part, en favorisant le recours à des témoins non apparentés membres de la commune d’arrivée de manière à mieux s’intégrer dans le nouveau milieu de vie. Un troisième ensemble cherche à mesurer le poids des ascendants et de la parenté en général dans le choix des témoins familiaux : le domicile des parents plus ou moins proche du lieu de célébration de l’union, la présence ou l’absence des pères et mères à la cérémonie. Enfin le découpage en quatre périodes est utilisé comme une variable de contrôle permettant de prendre en compte les effets propres à la 39 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE VINCENT GOURDON Tab. 2 Choix de témoins apparentés. Samois 1837-1889. Tous conjoints LR chi2 = 247,11 Pseudo R2 = 0,1223 Modèle probit ordonné Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Coefficient t. de Student Écart-type État matrimonial du conjoint (référence : célibataire) Veuvage .180 0,91 .197 Inconnu -.088 -0,39 .224 Comparaison entre lieu de naissance et domicile au mariage (référence : stabilité) Mobilité -.608*** -6,12 .099 Domicile au mariage (référence : communes limitrophes) Samois .154 0,85 .181 Reste de la Seine-et-Marne .040 0,15 .257 Hors Seine-et-Marne .201 0,80 .253 Domicile des parents (référence : communes limitrophes) Samois -.054 -0,26 .206 Reste de la Seine-et-Marne -.291 -1,16 .250 Hors Seine-et-Marne -.193 -0,79 .243 Parents morts -.425 -1,58 .269 Situation du père (référence : vivant et absent au mariage) Vivant et présent .751*** 3,00 .250 Père inconnu .332 0,93 .357 Père mort .930*** 3,70 .251 Situation de la mère (référence : vivante et absente au mariage) Vivante et présente .531** 2,14 .248 Mère inconnue -6.487 -0,00 786442.7 Mère morte .505* 1,95 .259 Âge du conjoint Croissant 1851-1863 1864-1876 1877-1889 Épouse -.020*** -2,59 Période du mariage (référence : 1837-1850) -.106 -0,96 -.349*** -3,13 -.488*** -4,34 Sexe du conjoint (référence : mari) -.074 -0,85 .008 .110 .111 .113 .087 * Significatif au seuil de 10 % ** Significatif au seuil de 5 % *** Significatif au seuil de 1 % Nombre d’observations : 965 transformation socio-économique du village et aux éventuelles modifications de la prédilection pour les témoins familiaux sur une soixantaine d’années8. Le tableau 2 récapitule les résultats. On note que plusieurs variables ont un effet statistiquement significatif sur le fait de choisir plus de témoins familiaux. Les conjoints plus âgés (t. de Student égal à –2,59), de même que les plus mobiles (t. de Student égal à –6,12), sollicitent moins d’apparentés. La présence des pères et mères est aussi une variable clé : un père ou une mère participant à la cérémonie de mariage réduisent le choix de témoins 40 amis des conjoints, si on le compare au cas des époux dont les parents pourtant en vie ne se rendent pas au mariage – souvent à cause de l’éloignement géographique9. Mais le grand enseignement est évidemment que le sexe du conjoint ne joue pas en soi (t. de Student égal à –0,85). En réalité, le facteur « genre » semble se dissoudre dans d’autres variables qui, bien entendu, reflètent la position spécifique des femmes dans la société du XIXe siècle : moindre mobilité10, mariage de préférence dans leur commune de domicile (d’où une présence plus fréquente des parents à la Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Variables Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin cérémonie), mariage plus précoce (souvent avant la majorité, ce qui est rarement le cas des maris) (voir tableau 3). Si le sexe a un impact, c’est donc de manière médiatisée. La vision mitigée de l’impact du sexe qui se dégage du terrain villageois samoisien – mais il faudrait opérer une validation sur d’autres échantillons –, explique en partie que les écarts entre mari et femme ne soient pas si élevés qu’attendus. Une impression renforcée quand on les met en regard des larges différences dans la proportion de témoins familiaux qui apparaissent en fonction des variables géographiques ou socio-professionnelles. Dans le Cher en 1845, Alain Pauquet oppose ainsi l’industrielle Vierzon où plus des trois-quarts des témoins sont des amis, à des cantons ruraux (Chateauneuf, Levet…) où ils en représentent parfois moins d’un sur huit, voire à une ville administrative traditionnelle, Bourges, où amis et parents s’équilibrent (Pauquet, 1998, 308-309). Au sein des unions célébrées à Samois, 63 % des maris domestiques et 48 % de ceux qui sont employés par l’administration ou les chemins de fer n’ont aucun témoin apparenté, alors que cette proportion s’abaisse à 4,6 % pour les vignerons et 7 % pour les mariniers… De fait, le choix des témoins semble découler davantage d’un choix familial, ou du moins impliquant largement les pères et mères11. C’est ce que suggère l’impact de certaines variables du modèle économétrique précédent. C’est aussi ce qui ressort de l’étude de l’âge moyen des témoins choisis. En effet, comme le montre le tableau 3, ils sont loin d’appartenir systématiquement à la génération des conjoints, alors que la loi n’interdit que les témoins d’âge inférieur à 21 ans. Bien plus âgés en moyenne que les époux, les témoins sont au contraire souvent très proches de la génération des parents. Ce trait rejoint, soulignons-le, le point de vue des codes de savoir-vivre de la seconde moitié du XIXe siècle qui décrivent sur un plan normatif les mœurs de la grande bourgeoisie à usage d’un public élargi à l’ensemble des classes moyennes. Le souci mêlé de choisir des parents ou des amis notables et plutôt âgés y est souvent exprimé comme dans le cas d’un manuel de 1897, Le savoir-vivre et les bonnes manières (Paris, Vermot, 1897, cité in Gamba, 1998, 109) : « [Les témoins] sont choisis de préférence parmi les parents notables ou parmi les amis qui, par leur situation sociale, ont acquis une certaine notoriété. Le rôle du témoin est un rôle purement honorifique. Aussi sont-ce, en général, des hommes d’un âge mur qui le remplissent. » La mobilisation de personnes bien plus âgées est particulièrement sensible dans le cas des témoins des épouses. Celles-ci ont un écart d’âge moyen à leurs témoins qui va de 14-16 ans à Elbeuf à presque 20 ans à Samois. Le poids des ascendants pèse visiblement plus lourd sur elles, puisque, mariées à un âge plus précoce, elles ont malgré tout en moyenne des témoins plus âgés que leurs conjoints. Pour autant, le même phénomène touche les futurs maris, surtout dans le village de Samois où justement le choix de témoins familiaux est plus élevé que dans la ville ouvrière d’Elbeuf. Dans ce contexte où la désignation des témoins est largement le fruit, sinon d’un diktat parental, du moins d’une négociation familiale dans laquelle les enjeux dépassent la simple mise en avant d’un lien affectif privilégié par les futurs, on ne sera guère étonné de voir que le sexe du conjoint ne joue pas un rôle aussi crucial qu’attendu dans la propension à choisir 41 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE VINCENT GOURDON Tab. 3 Âge moyen des témoins et des conjoints lors du mariage (en années). Échantillons français 1800-1914 des membres ou non de la parentèle. Et ce même si tout semble indiquer que les filles ne disposent pas des mêmes atouts ou de la même légitimité dans la négociation que les garçons… ONCLES ET DÉPENDANCE Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Des proportions proches peuvent toutefois cacher des différences de composition. Les résultats précédents montrent que les hiérarchies intergénérationnelles pèsent davantage sur les filles. Cela se traduit-il dans les types de parents choisis par chaque sexe ? Rares sont les études qui se sont penchées spécifiquement sur cette question. Maurice Garden, dans son travail sur Paris en 1885, a signalé l’équilibre existant entre la parenté de l’époux et celle de l’épouse, se contentant d’indiquer que de chaque côté le choix privilégié consistait à solliciter un frère et un oncle ou un cousin (Garden, 1998, 126). La plupart des autres études ont seulement relevé les niveaux de choix des différentes formes de relation familiale. En revanche Cyril Grange est allé plus loin dans son travail sur les témoins civils des mariages juifs, plutôt bourgeois, célébrés à la synagogue de la Victoire à Paris entre 1875 et 1914 : il note en effet une opposition entre les parents choisis par les époux et ceux désignés par l’épouse. Il constate que les époux ont tendance à choisir des égaux générationnels (frères, cousins, beauxfrères), dans une proportion des deux 42 Époux 31,9 33,7 27,0 Témoins de l’épouse 41,0 43,7 42,0 Épouse 27,6 27,3 22,6 tiers, alors que les épouses sollicitent plutôt des supérieurs (oncles, grandsparents). Selon lui, ces résultats traduisent deux stratégies différentes : pour le mari, il s’agit d’activer le réseau familial de sa génération, pour l’épouse, il s’agit plutôt de marquer du respect pour les ascendants et de témoigner « de l’importance à la cohésion familiale », ce qui le pousse d’ailleurs à s’interroger sur les véritables acteurs du choix des témoins des épouses (Grange, 2004, 209). Retrouve-t-on de telles tendances en dehors du milieu de l’élite juive parisienne des débuts de la Troisième République ? Nous avons réalisé deux tableaux récapitulatifs, correspondant aux deux formes de données dont nous disposons. Dans un cas, nous n’avons que la liste des liens familiaux existant au sein de chacune des deux parentés (La Haye, Pays de Herve), dans l’autre, nous connaissons la relation familiale au conjoint qui a sollicité le témoin. La quasi-totalité des relations se réduit à quatre catégories : frère, oncle, beau-frère, cousin. C’est pourquoi nous ne donnerons que les résultats les concernant. Bien entendu il arrive que des grandsparents soient témoins, mais le phénomène est marginal, ne serait-ce qu’en raison de l’espérance de vie à l’âge adulte de la période (Gourdon, 1997). Ils représentent 0,8 % des témoins à La Haye entre 1858 et 1902, dont environ 60 % du côté des épouses, ce qui s’explique largement par leur âge plus faible au mariage (Van Poppel, Schoonheim, 2005, 182). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Elbeuf 1872-73 (455 mariages) Elbeuf 1910-11 (307 mariages) Samois 1837-89 (504 mariages) Témoins de l’époux 39,1 39,5 41,9 RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE De même, on ne compte qu’une quarantaine d’aïeuls sur 2 014 témoins à Samois, du côté des épouses pour plus des troisquarts. À Elbeuf en 1872-73, ils sont 19 sur 1 820 témoins possibles (1 %), 7 choisis par le mari, 12 par la future (Hamel, 1997, 40). Les autres liens (neveu, gendre, beau-père…) ne concernent généralement qu’une poignée d’individus. Les quatre catégories retenues présentent un certain schématisme, auquel il faut prendre garde. Il est très rare que les actes précisent si les collatéraux relèvent de la branche paternelle ou maternelle ; de même les degrés de cousinage sont peu spécifiés. Par ailleurs, il n’est pas possible, en l’absence de reconstitution pointue, de distinguer entre un oncle consanguin et un oncle par alliance. Plus gênant est le cas des beaux-frères. Frère du conjoint ou mari d’une sœur ? La réalité des choses est toujours incertaine. La Haye 1858-1902 3 948 unions* Pays de Herve 1850-1900 1 221 unions** Branche familiale Mari Femme Mari Femme Oncles Frères Beaux-frères Cousins 566 781 306 355 1 736 1 582 607 610 73 85 283 239 201 190 288 281 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Sources : Van Poppel, Schoonheim, 2005, 182 ; Neven, 2000, 286. * La catégorie « cousins » à La Haye comporte les neveux. Les parents signalés comme liés aux deux époux sont comptés deux fois. Les 4 grands-oncles ne sont pas comptés dans la catégorie « oncles » (de même à Samois – 6 cas seulement – et dans le Pays de Herve où il n’y en a pas de toutes manières). ** La catégorie « frère » comporte, semble-t-il, quelques sœurs, même si, sur le plan légal, les femmes n’ont pu témoigner en Belgique qu’à partir de 1908 (Gérin, 1969, 264). Tab. 4b Types de liens familiaux entre les témoins et les conjoints qui les ont choisis Berry 1845 Samois 1837-89 Elbeuf 1872-73 Elbeuf 1910-11* Mari Femme Mari Femme Mari Femme Mari Femme Oncles 229 343 239 275 100 183 74 79 Frères 349 365 137 93 136 99 109 100 Beaux-frères 178 196 92 110 90 61 72 60 Cousins 191 173 119 127 48 70 32 46 Tous témoins 1 791 1 758 1 006 1 008 910 910 614 614 Sources : Pauquet, 1998 ; Hamel, 1997, 40-41 ; Arch. communales de Samois. * Seuls les témoins de sexe masculin sont ici pris en compte. Les résultats sont plutôt contrastés selon les échantillons. De fait, la hiérarchie des différentes parentés oscille selon les lieux (le poids des oncles à Samois étant très nettement supérieur aux autres exemples), y compris pour un même sexe. Il ressort néanmoins quelques éléments forts : 1) Du côté des maris, les oncles sont en général moins importants que les frères (parfois lourde- ment) alors que c’est très variable du côté des épouses. 2) Du côté des maris ou dans la parenté de l’époux, les égaux générationnels (frères, beaux-frères, cousins) sont au moins 2,5 fois plus nombreux que les oncles (sauf à Samois où le rapport est cependant de 1,512). 3) La majorité des oncles désignés est toujours choisie par les femmes ou appartient à la parenté de l’épouse. 43 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Tab 4a Types de liens familiaux entre les témoins et les conjoints Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin 4) Oncles et frères arrivent presque toujours aux deux premières places du classement. Ces quelques points vont dans le même sens que les conclusions de l’étude de Cyril Grange, puisqu’ils marquent eux aussi une prédilection des épouses pour des choix avunculaires tandis que les égaux générationnels sont davantage choisis par les maris. C’est du reste cohérent avec les données concernant les âges moyens des témoins, où l’écart est plus accentué du côté des femmes. On peut donc estimer que les analyses en termes de stratégies différenciées selon les sexes émises par Cyril Grange valent pour d’autres milieux sociaux et d’autres périodes. Cependant on ne saurait trop insister sur le fait que le choix des oncles par les femmes est sujet à de très grandes variations et dépend largement du contexte social, géographique, voire temporelle (comme le suggère l’évolution vers une certaine égalisation des choix entre sexes à Elbeuf entre 1872-73 et 1910-11). De nouveau, il convient de mesurer si c’est le sexe en soi qui joue dans le choix des différents parents. Nous avons donc mené à partir d’un des échantillons, Samois, une enquête économétrique reprenant les mêmes variables que dans le modèle précédent, mais en considérant comme variables expliquées le choix de 0, 1 ou 2 oncles, celui de 0, 1, 2 frères, et ainsi de suite avec les quatre catégories retenues (voir tableau 5). Il apparaît que le sexe joue bel et bien un rôle significatif en soi dans le choix de certains parents. Mais, paradoxalement, toutes choses égales par ailleurs, il apparaît que les femmes ont plutôt tendance à moins choisir de frères et d’oncles que leurs conjoints (coefficients respectivement égaux à –0.259 et –0.182). C’est donc par le fait d’autres variables discriminées 44 sexuellement que les écarts entre maris et épouses s’opèrent. La stabilité du domicile entre naissance et mariage, la jeunesse au mariage, la présence du père à la cérémonie, le fait que la cérémonie ait lieu au domicile parental, tous ces éléments favorisent significativement l’appel à des oncles. Or toutes ces caractéristiques qui marquent une moindre autonomie de l’individu par rapport à ses parents et une plus grande insertion dans un réseau familial local, s’appliquent d’abord aux épouses. On notera qu’à l’inverse les variables citées n’ont pas d’impact positif sur la sollicitation des frères. Le fait d’être domicilié dans le village du mariage aurait même tendance à réduire ce choix (coefficient égal à –0,394, significatif au seuil de 7 %)13. La prédilection féminine pour les témoins avunculaires est donc bien le fruit de la dépendance féminine vis-à-vis de sa famille qui caractérise la société du XIXe siècle, mais le même processus ne fonctionne pas pour toutes les relations de parenté. Il paraît évident que le choix des oncles est la marque spécifique de l’emprise supérieure qu’ont les parents et la parenté sur les jeunes filles. La sollicitation des témoins leur échappe dans une large mesure au profit d’une réactivation symbolique des solidarités entre germains de la génération précédente, d’autant que, par rapport aux jeunes gens, elles ont moins à stimuler un réseau extrafamilial pour le bon déroulement de leur vie future ou de leur carrière. VERS DES RÉSEAUX DE FEMMES ? La loi du 7 décembre 1897, adoptée à la suite d’une campagne en faveur de l’égalité des droits civils menée depuis 1894 par un groupe féministe modérée, l’Avant-Courrière (Klejman, Rochefort, 1989, 103-105), redonne aux femmes Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin VINCENT GOURDON RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE Variables Choix de témoin frère Sexe du conjoint (ref : mari) Domicile au mariage (réf : villages limitrophes) Modalité ayant un effet statistiquement significatif t. de Student Coefficient (au sein du modèle) Écart-type (au sein du modèle) Épouse -2,56 -.259** .101 Samois -1,87 -.394* .211 Hors Seine-et-Marne -2,59 -.865** .334 1,82 .646* .355 -1,92 -.252* .131 -2,35 -.324** .138 2,07 .223** .108 1,87 .619* .331 -1,77 -.246* .139 Épouse -1,93 -.182* .094 Mobilité -2,81 -.317*** .113 Samois 2,12 .474** .224 Samois -1,88 -.442* .235 Parents morts -1,80 -.553* .306 Vivant et présent 2,49 .881** .354 Père mort Croissant 2,31 -5,48 .818** -.063*** .354 .011 Mobilité -4,47 -.606*** .135 Vivant et présent 1,67 .671* .402 Père mort 1,65 .664* .402 Situation de la mère (réf : vivante mais absente au Vivante et présente mariage) Période du mariage 1864-76 (réf : 1837-50) 1877-89 Choix de témoin beau-frère Sexe du conjoint (réf : mari) Épouse Domicile au mariage Hors Seine-et-Marne (réf : villages limitrophes) Période du mariage 1864-76 (réf : 1837-50) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Choix de témoin oncle Sexe du conjoint (réf : mari) Comparaison entre lieu de naissance et domicile au mariage (réf : stabilité) Domicile au mariage (réf : villages limitrophes) Domicile parental (réf : villages limitrophes) Situation du père (réf : vivant mais absent au mariage) Âge du conjoint Choix de témoin cousin Comparaison entre lieu de naissance et domicile au mariage (réf : stabilité) Situation du père (réf : vivant mais absent au mariage) * Significatif au seuil de 10 % ; ** significatif au seuil de 5 % ; *** significatif au seuil de 1 % Les quatre modèles sont de type « probit ordonné ». Tous adoptent les variables explicatives du modèle décrit par le tableau 2. La significativité globale de chacun des modèles est attestée. Seules les variables ayant un effet significatif au seuil de 10 % ont été rapportées dans le tableau 5. Un coefficient positif signifie que la modalité de la variable favorise le choix d’un parent du type concerné par rapport à la modalité de référence. françaises le droit de témoigner aux actes d’état civil qu’elles avaient temporairement obtenu au moment de la Ire République14. Quelques années plus tard, en Belgique, Louise Van den Plas et son groupe constitué autour de la revue Le féminisme chrétien de Belgique obtiennent un succès comparable avec le vote de la loi du 7 janvier 1908 (Gérin, 1969, 264)15. Pour mesurer dans la pratique si cette ouverture s’est traduite par un appel puissant à des témoins féminins, nous ne disposons à l’heure actuelle que de trois terrains d’étude français16. Le premier est le travail de Cyril Grange sur 45 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Tab. 5 Variables ayant un effet significatif sur le choix de certains types de témoins apparentés. Tous conjoints, Samois 1837-89. Modèles explicatifs multivariés n°1 VINCENT GOURDON la société juive parisienne entre 1875 et 1914, dans lequel la plupart des mariages civils analysés relèvent du milieu bourgeois (Grange, 2004)17. Le second est Elbeuf en 1910-11, une ville ouvrière confrontée alors à un véritable marasme économique (par opposition à la période 1872-73). Enfin, nous avons constitué un petit corpus parisien à partir des mariages célébrés en 1902 dans deux arrondissements aux caractéristiques opposées, le très populaire XIe et le très bourgeois XVIe18, de manière à rendre compte de manière grossière de la situation existant à Paris quelques années après l’adoption de la loi. Tab. 6 Part des témoins de sexe féminin dans les actes de mariage. Échantillons français 1898-1914 Juifs Paris 1898-99 Juifs Paris 1902 Juifs Paris 1910-14 Elbeuf 1910-11 e Paris 16 1902 e Paris 11 1902 e e Paris 11 -16 1902 Nombre de témoins féminins 10 9 150 130 136 266 En % des témoins 2,3 6,1 7,9 12,2 13,3 13,9 13,6 Nombre total de témoins 431 148 1 228 978* 976 1 954* Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Dans l’ensemble, l’accès des femmes au témoignage est resté limité avant 1914. Il n’y a pas de bouleversement qui traduirait une incompressible attente des familles en faveur d’une évolution législative ! Même si, à en juger par la lente progression de leur place dans les mariages des israélites de Paris, les femmes grignotent quelques pourcentages à la Belle Époque, leur part ne dépasse pas un septième dans les échantillons étudiés, dont certains, rappelons-le, se situent quinze ans après l’adoption de la loi. En dépit de l’ouverture législative, le témoignage reste donc affaire d’hommes, signe, s’il en fallait, de la puissance du consensus entourant le principe de marginalisation publique des femmes dans la société du long XIXe siècle. Le phénomène est particulièrement net parmi les mariages israélites de Paris (6,1 % de témoins féminins en 1902, soit deux fois moins que dans les mariages du XIe et du XVIe arrondissements). À ce stade, il est cependant difficile, compte tenu des décalages temporels entre les échantillons, de déterminer avec fermeté si certains milieux sociaux ou culturels sont plus favorables à la 46 présence féminine19. Par ailleurs, nous ne disposons d’aucun corpus rural. Il est cependant intéressant de noter qu’en 1902 les femmes ont à peu près la même place en moyenne dans deux arrondissements prolétaire et bourgeois de Paris. En revanche, il est net que les femmes sont davantage choisies par les épouses que par les maris20. Pour l’ensemble de la période 1898-1914, Cyril Grange note que parmi les femmes témoins des mariages d’israélites parisiens, 56 % sont sollicitées par l’épouse (ou sa famille), contre 44 % par les maris (Grange, 2004, 206). Dans les deux arrondissements parisiens que nous avons étudiés en 1902, 74 femmes sont choisies par les épouses, contre 56 par les maris, soit une répartition presque identique à celle des mariages juifs (56,9 % contre 43,1 %)21. Ce résultat qui marque le caractère sexué des sociabilités était attendu. Constatons simplement que l’opposition n’est pas aussi radicale qu’on aurait pu le penser22. Des hommes choisissent des témoins femmes, tandis que le choix de femmes est loin d’être majoritaire chez les épouses : à Paris en 1902, 10,6 % des témoins des maris sont des femmes, tandis Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin * Deux actes ne mentionnent que 3 témoins. RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE que la proportion ne s’élève qu’à 16,6 % du côté des épouses. Mondes masculin et féminin s’entrecroisent. Et, encore une fois, l’impact du genre est visiblement contrecarré par d’autres processus, à commencer par le fait, rappelons-le, que la désignation des témoins n’émane pas de la décision individuelle des conjoints, mais d’une volonté largement familiale, surtout pour ce qui concerne les filles. Est-ce d’ailleurs parce que ce choix est particulièrement encadré dans les milieux de la bourgeoisie israélite parisienne que la proportion de femmes témoins y est apparemment si faible ? Il est encore difficile de conclure. La comparaison des résultats du XIe arrondissement et du XVIe arrondissement en fonction du sexe du conjoint (tableau 7) suggère que dans les milieux populaires de la capitale, une plus grande latitude était laissée aux femmes pour choisir des témoins de leur sexe. Dans le XVIe arrondissement, en revanche, le décalage en fonction du sexe des époux est limité, comme si, dans les deux cas, le choix ne relevait pas vraiment de leur réseau relationnel individuel, mais émanait donc plus fortement d’un choix familial global : une hypothèse cohérente avec ce que l’on sait du contrôle parental extrême sur le processus matrimonial qui s’exerce dans les milieux bourgeois. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin e Mari Paris XVI e Femme Paris XVI e Mari Paris XI e Femme Paris XI Femmes témoins (v. a.) 58 72 46 90 En % 11,8 14,8 9,4 18,4 Total des témoins 490 488* 488 488 * Deux actes ne mentionnent que 3 témoins. Féminisation des témoins rime-t-elle avec familialisation ? C’est ce que l’on pourrait penser a priori aux vues des principes normatifs de la famille bourgeoise, dont le modèle domine largement la société française jusqu’au milieu du XXe siècle. Cyril Grange, au sein de son échantillon israélite parisien, note d’ailleurs que les femmes témoins choisies sont davantage des parentes que les témoins masculins. Il ajoute même que le phénomène est plus marqué lorsque celles-ci ont été choisies par les épouses : ainsi 72 % des femmes choisies par les futures ou leur famille seraient des parentes, contre 63 % pour celles qui seraient désignées par le côté du mari (Grange, 2004, 209). Cependant ces traits ne se retrouvent pas tous dans l’ensemble de la société française de l’époque. Prenons le cas d’Elbeuf en 1910-11, où 12,2 % des témoins sont de sexe féminin (soit 150 personnes). On y observe certes que les parentes sont deux fois plus nombreuses parmi les témoins des épouses que parmi ceux des époux (7,3 % contre 3,7 % de leurs témoins respectifs), mais l’ensemble des témoins féminins apparentés aux conjoints ne regroupent que 68 individus soit 5,5 % des 1 228 témoins des mariages elbeuviens. Concrètement, cela signifie que, parmi les 150 femmes témoins, moins de la moitié sont des parentes (45,3 %). Or la proportion totale de témoins choisis par un parent atteint 54,2 % dans la ville normande à cette période. À Elbeuf donc, les témoins masculins sont plus souvent apparentés aux conjoints (55,5 %) que les témoins féminins. Il en est de même à Paris en 1902. La proportion de témoins pour lesquels est mentionné un lien familial aux conjoints qui les ont choisis n’atteint 47 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Tab. 7 Femmes témoins à Paris en 1902, selon le sexe du conjoint et l’arrondissement de mariage VINCENT GOURDON que 26,6 %23, et la part est plus faible au sein des témoins féminins (66 parentes sur 266 femmes, soit 24,8 %) que chez leurs homologues masculins (453 apparentés sur 1 688, soit 26,8 %). En revanche, dans les deux villes, la répartition des types de liens familiaux ne diffère pas de manière très sensible de celles des témoins masculins (tableau 8) : on y retrouve grosso modo la domination des germains puis des germains des parents. L’écart entre tantes et cousines semble peut-être un peu moins fort qu’entre oncles et cousins. Cependant les effectifs sont un peu minces pour s’assurer d’une telle impression, de même que pour saisir une éventuelle nuance selon le sexe du conjoint (voir tableau 8). Contrairement aux attentes, tout se passe donc comme si l’accès des femmes au témoignage n’avait pas accru, voire avait légèrement réduit, la part des témoins familiaux à Paris et à Elbeuf. Comment saisir ce paradoxe qui, à Paris, se double d’ailleurs d’un second constat imprévu puisque les femmes témoins des épouses n’apparaissent pas plus fréquemment parentes que les femmes témoins des époux (24,1 % contre 26,0 % pour l’ensemble du corpus parisien)24 ? (voir tableau 9.) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Elbeuf 1910-11 Parentes du mari Elbeuf 1910-11 Parentes de l’épouse Paris 1902 Parentes du mari Paris 1902 Parentes de l’épouse Aïeule Tante/Grand-tante Sœur Belle-sœur Cousine Autres 1 7 12 1 2 0 1 11 15 4 12 2 2 4 13 0 6 0 1 6 30 1 3 0 Tab. 9 Caractéristiques des témoins selon le sexe du conjoint et l’arrondissement de mariage, à Paris en 1902 Paris XVI (245 mariages) Témoins apparentés Témoins féminins Témoins parentes Parentes parmi les femmes e Paris XI (244 mariages) Témoins apparentés Témoins féminins Témoins parentes Parentes parmi les femmes Témoins des maris 200/490 (40,8 %) 58/490 (11,8 %) 21/490 (4,3 %) 21/58 (36,2 %) 71/488 (14,5 %) 46/488 (9,4 %) 6/488 (1,2 %) 6/46 (13,0 %) D’après nous, l’hypothèse la plus pertinente est d’y voir un trait propre à la sociabilité des milieux populaires urbains. Elbeuf, nous l’avons dit, est une ville industrielle, où la plupart des mariages impliquent des ouvriers (Hamel, 1997, 30). De même, dans notre corpus parisien de 1902, les classes populaires dominent. On note d’ailleurs une opposition entre le 48 Témoins des épouses 192/488 (39,3 %) 72/488 (14,8 %) 28/488 (5,7 %) 28/72 (38,9 %) 56/488 (11,5 %) 90/488 (18,4 %) 11/488 (2,3 %) 11/90 (12,2 %) XVIe arrondissement et le XIe arrondissement. Nous avions déjà remarqué que si les proportions de femmes témoins étaient équivalentes entre les deux arrondissements, l’écart entre maris et femmes ne se révélait très sensible que dans l’arrondissement populaire. Il apparaît aussi que la proportion d’apparentées parmi les femmes choisies est à peu près équivalente Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Tab. 8 Liens familiaux aux conjoints des témoins parentes. Paris 1902, Elbeuf 1910-11 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin selon le sexe du conjoint dans le XIe arrondissement, alors qu’elle est légèrement plus forte pour les témoins des épouses du XVIe arrondissement par rapport aux choix de leurs maris – ce qui serait la marque de la présence bourgeoise dans ce quartier. La faiblesse des effectifs concernés incite certes à la prudence. Néanmoins on peut clairement voir que la forte sollicitation de témoins féminins propres aux épouses de l’arrondissement populaire ne se traduit pas du tout par un appel renforcé à des membres de la famille, et que donc les épouses du XIe arrondissement constituent de très loin la catégorie de conjoints qui sollicite le plus des amies25. Comment ne pas y voir la marque d’une sociabilité féminine populaire donnant beaucoup plus de place aux liens du voisinage, aux relations professionnelles proprement féminines et aux amitiés de même sexe26 ? Ou le fruit d’un équilibre familial ne constituant pas la parenté en citadelle protégeant, contrôlant et cloisonnant les jeunes filles ? Le modèle inverse ou du moins décalé, somme toute, de celui de la bourgeoisie, illustré, peut-être à son paroxysme, par le cas des mariages de l’élite israélite parisienne. En acceptant une relative féminisation du témoignage, la loi de 1897 a donc autorisé l’expression publique d’une certaine forme de sociabilité féminine non familiale propre aux milieux populaires27. CONCLUSION Au terme de ce rapide tour d’horizon, il apparaît que la prise en compte du genre dans l’analyse des témoins de mariage civil28 ouvre plusieurs perspectives. À un niveau général, conformément aux attentes, le sexe du conjoint joue sur le choix des témoins. Les épouses tendent à choisir davantage d’apparentés que les maris, et spécialement des oncles. Après 1897, on note aussi qu’elles choisissent davantage de témoins féminins que leurs conjoints. Tout ceci entre en parfaite cohérence avec les modèles de sociabilité sexuée qui dominent un long XIX e siècle qui s’écoule jusqu’au mitan du XX e siècle. Cependant, ce n’est pas forcément directement que le sexe joue, mais plutôt par le biais de variables qui lui sont fortement corrélées et qui marquent sans conteste la faible autonomie des jeunes femmes dans la société et les familles du XIX e siècle : âge précoce au mariage, moindre mobilité, mariage au domicile parental, présence supérieure des parents à la cérémonie, tous ces éléments expriment et favorisent une plus grande implication de la parenté, qui se traduit par la sollicitation d’un plus grand nombre de témoins familiaux, bien plus âgés que l’épouse et plus souvent oncles que du côté de l’époux. D’une certaine manière, les familles des épouses utilisent plus aisément que celles des maris la mobilisation des témoins de mariage pour exprimer symboliquement le souci de cohésion familiale, le respect de l’ascendance, le désir de respectabilité, la réactivation des relations de germanité entre générations âgées. Cependant, ce constat global souffre bien des nuances. D’abord, l’écart entre maris et femmes est plus réduit qu’on n’aurait pu l’imaginer. Ce trait s’explique en premier lieu par le fait que, du côté du mari aussi, le choix des témoins est largement le fruit d’une décision familiale29, ce qui nécessairement limite l’impact propre du sexe du conjoint concerné. Les deux parentés entendent se retrouver dans un équilibre symbolique dans la liste 49 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin des témoins, ce que marque l’égalité globale de la place des deux branches dans l’ensemble des corpus, un phénomène qui se maintient avec la montée des témoins familiaux dans le contexte d’une privatisation progressive de la cérémonie de mariage après 1850, comme l’a signalé Koen Matthijs (2003). Par ailleurs, mondes masculin et féminin ne sont pas si cloisonnés, ainsi que le montre après 1897 l’appel à des témoins féminins aussi bien du côté des maris que du côté des épouses. Autre nuance d’importance, le genre est loin d’être responsable des plus grandes variations dans le choix des témoins familiaux. Si, quels que soient les lieux, les femmes ont recours à plus de parents, le niveau de cette sollicitation dépend d’abord du milieu social (la parenté est plus sollicitée dans les mariages des élites sociales (Grange, 2004, 210 ; Van Poppel, Schoonheim, 2005)), de l’espace concerné (ville, campagne, banlieue ; quartiers de transit ou d’installation durable), de la région, de la période. Ce n’est que dans les marges de ces grandes tendances que l’impact du genre se fait sentir. Il faut d’ailleurs rester très prudent au moment d’affirmer des constats généraux tant les diversités locales sont fortes : la prise en compte du contexte local est nécessaire avant de tenir pour assurée une certaine tendance « anthropologique »… Pour autant, il semble se dégager une plus grande autonomie de choix par les conjoints dans les quartiers populaires que dans les milieux bourgeois, en conformité avec ce que l’on sait du processus matrimonial lui-même, sans doute aussi parce que la ritualisation est moins fortement investie par les parties30. Cela s’exprimerait dans la possibilité davantage affirmée 50 dans le XIe arrondissement de Paris en 1902 que dans le XVIe arrondissement de faire appel à des témoins issus justement d’une sociabilité amicale, professionnelle et de voisinage plus sexuée. Un fait particulièrement remarquable, et qui mériterait validation par d’autres corpus, serait à cet égard la tendance des épouses des quartiers populaires à solliciter des amies, voisines, collègues, plutôt que des parentes. Des arguments démographiques peuvent certes jouer : la jeunesse au mariage rend peut-être plus difficile l’appel à des sœurs ou cousines. Mais le trait est intéressant en ce qu’il suggère que l’ouverture du témoignage aux femmes, la relative féminisation qu’il a introduite, n’a pas joué (sauf sans doute dans les milieux les plus bourgeois, comme le suggère Cyril Grange) dans le sens d’une familialisation renforcée du choix des témoins. Si l’on reprend le propos de Koen Matthijs et si l’on suppose qu’en effet on assiste à une privatisation progressive du mariage dans la période (par exemple par réduction du nombre de témoins « professionnels » sollicités), la loi de 1897 a abouti à la découpler quelque peu du processus de familialisation en luimême. Comme si une privatisation renforcée avait conduit à une mise en avant de liens essentiels autres que ceux de la parenté après les avoir longuement favorisés… au moins du côté féminin. En ce sens, peut-être assistons-nous à une certaine différenciation du processus de privatisation entre hommes et femmes, comme le suggérait Matthijs ? Vincent GOURDON CNRS-Centre Roland Mousnier, UMR 8596. Dipartimento di Scienze Demografiche Universita degli Studi di Roma « La Sapienza » vincent.gourdon@aliceposta.it Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin VINCENT GOURDON RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE NOTES the industrial suburb of Saint-Denis and the heterogeneous XIVe arrondissement” (Moch, 2003, 451). 7. Sur ce dernier point, le constat reste valide dans les mariages d’Elbeuf en 1910-11. Alors que l’écart pour les témoins des maris est désormais inexistant, il y a encore 14 points de différence entre les proportions de femmes ayant un ami témoin selon que celles-ci vivent ou non chez leurs parents : 28,05 % contre 42,25 % (Hamel, 1997,41). 8. La part des témoins familiaux s’abaisse en effet à Samois au cours de la période 1837-89 (Gourdon, à paraître), sans doute sous l’impact d’un déclin accentué de l’organisation socio-économique propre aux deux secteurs anciennement dominant de la vigne et de la batellerie. 9. 76,5 % des conjoints dont le père est vivant mais absent à la cérémonie n’ont aucun témoin parent, 72,1 % lorsque le critère choisi est l’absence de la mère pourtant vivante. En revanche, quand le père est présent, seuls 16,9 % des conjoints ne sollicitent aucun parent (16,6 % quand la mère est présente). 10. 63,8 % des époux samoisiens sont domiciliés au mariage dans leur commune de naissance, contre 69,8 % des épouses. 11. À Montréal (Québec) dans les années 1930, cette pression parentale était encore plus explicite, puisque, dans les mariages religieux catholiques, les pères, s’ils étaient encore en vie, se retrouvaient presque systématiquement témoins de leurs enfants : l’expression « servir de père » signifiait d’ailleurs dans le langage populaire québécois, être témoin de mariage (Girard, 2000, 92, 106, 173). 12. Plus précisément 1,46. Parmi les témoins des épouses, le rapport « égaux générationnels/oncles » est de 1,2. 13. Bien entendu, ces résultats concernent un seul village, Samois, qui a la particularité de donner beaucoup de place aux oncles. Il faudrait opérer une même validation à partir d’autres communes. 14. En 1897, le droit des femmes à témoigner aux actes d’état civil existait déjà ailleurs, notamment dans les pays scandinaves, aux États-Unis ou dans les pays germaniques (Plessix-Buisset, 2002, 222). 51 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin 1. Pour illustrer ces orientations privilégiées, voir Dupâquier, 1989. 2. Lors des discussions du Conseil d’État sur le projet de Code civil, l’exclusion des femmes du droit d’être témoin dans les actes d’état civil fut peu débattue. Seul le conseiller Roederer s’en étonna dans la séance du 6 fructidor an IX. Mais il pensait essentiellement aux actes de naissance, ayant en tête le rôle de la marraine dans les baptêmes. Thibaudeau lui répondit qu’il confondait les déclarants et les témoins, dont les parents spirituels remplissaient anciennement le double ministère : si les femmes pouvaient effectivement être déclarantes, les témoins, nécessaires à la solennité des actes d’état civil, ne pouvaient qu’être « mâles », comme pour les testaments (Discussion du Conseil d’État…, 1841, 66-67). 3. Notamment à Elbeuf en 1872-73 (Hamel, 1997), à Paris en 1885 (Garden, 1998), à Vierzon en 1845 (Pauquet, 1998), à Liège entre 1840 et 1890 (Jacquemin, 1994). 4. Ajoutons à cette typologie le cas des banlieues : à Tassin, en banlieue lyonnaise, entre 1793 et 1895, 608 des 958 mariages célébrés civilement ne comprennent aucun parent de l’époux (soit 63,47 %), contre 612 (63,88 %) qui ne comprennent aucun parent de l’épouse (Gourdon, Joz, 2006). 5. À cette époque, les migrants italiens installés aux Pays-Bas sont presque uniquement des hommes. Ceux qui se marient dans les grandes villes d’Amsterdam et Rotterdam trouvent donc des partenaires hollandaises qui, elles, disposent localement de parents. D’où un décalage important entre les deux parentés parmi les témoins : sur 180 témoins issus de 45 mariages célébrés entre 1867 et 1890, 4 % sont parents du mari italien, 19 % sont apparentées à l’épouse hollandaise. Cependant, comme souvent dans les milieux populaires des grandes villes, la part des témoins professionnels est très élevée : 24 % des témoins sont des employés publics (Chotkowski, 2004, 7). 6. Même constat de la part de Leslie Page Moch pour les mariages impliquant des Bretons dans le XIVe arrondissement et à Saint-Denis en 1910 : “Men and women were roughly equal in calling on kin at their wedding : indeed the striking difference is not between men and women, but Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin 15. Le texte du nouvel article 75 de la loi belge prévoit cependant que « le mari et la femme ne pourront être témoins dans le même acte », élément absent de la loi française de 1897 (Le Moniteur Belge, 15 janvier 1908, 1). Je remercie vivement Muriel Neven pour son aide dans la recherche des données concernant la législation belge. 16. N’oublions pas que les actes de mariage ne sont accessibles (sauf autorisation spéciale) aux chercheurs qu’après une période de 100 ans… 17. Je remercie Cyril Grange de m’avoir fourni des résultats complémentaires non publiés dans son article. 18. Il ne s’agit pas d’un dépouillement exhaustif. Nous avons relevé 1/5e des actes de mariage enregistrés à la mairie du XVIe arrondissement, en partant de l’acte numéro 2 (7, 12, 17, 22, 27…). Dans le XIe où les mariages sont encore plus nombreux, nous avons procédé de la même manière, mais en sélectionnant un acte tous les dix mariages (actes 2, 12, 22…). Au total, on obtient 245 mariages dans le XVIe arrondissement et 244 dans le XIe. Je remercie vivement Nicolas Labéjof et Céline Georges de leur aide pour le dépouillement. 19. Difficile donc d’affirmer par exemple une opposition des classes moyennes ou de la haute bourgeoisie. D’ailleurs, il faut signaler que, très vite, des codes de savoir-vivre précisent à leurs lecteurs bourgeois le changement de législation sans marquer aucune réticence particulière à l’idée de solliciter des témoins féminins (ainsi Baronne d’Orval, Usages mondains. Guide du savoir-vivre moderne dans toutes les circonstances de la vie, Paris, Havard et Cie, 1901, 512-513, cité in Gamba, 1998, 110). 20. Le travail sur Elbeuf ne fournit pas la répartition de l’ensemble des femmes témoins en fonction du sexe du conjoint qui les a choisies. 21. En l’absence de mention systématique, ont été considérés comme témoins du mari, les premiers et seconds témoins des listes fournies dans les actes, et comme témoins de l’épouse, les troisièmes et quatrièmes. À en juger par la répartition des parentés en fonction du rang de témoignage (sur 154 premiers et seconds témoins explicitement liés aux conjoints, 142 sont apparentés à l’époux, tandis que sur 119 troisièmes et quatrièmes témoins explicitement liés aux conjoints, 107 sont apparentés à l’épouse), ceci ne cause pas de problème majeur. 52 22. Même remarque chez (Moch, 2003, 451). 23. Ce résultat, très bas, diffère selon l’arrondissement. Dans le XVIe, la proportion de témoins familiaux monte à 40,1 %, alors que dans le XIe, elle ne serait que de 13,0 %. Ces proportions, surtout la dernière, paraissent très sous-estimées, et une lecture plus précise des actes montre des cas d’homonymie entre futurs et témoins. Cependant, on notera qu’elles ne sont pas si éloignées de celles obtenues par Maurice Garden à Paris en 1885 : 35,6 % de témoins apparentés pour les mariages de Paris, 41,1 % parmi ceux de la banlieue (calculs opérés à partir des résultats présentés dans Garden, 1998, 126). Par ailleurs, Maurice Garden confirme qu’au sein de la capitale, les mariages des arrondissements populaires donnent moins de place aux témoins familiaux que ceux des quartiers plus aisés. De toutes manières, comme nous analysons des proportions relatives, la sous-estimation globale des liens de parenté ne doit pas influer sur le constat final. 24. Les résultats par arrondissements sont plus nuancés que ceux à l’échelle du corpus global. Le grand nombre de femmes témoins des épouses dans le XIe arrondissement, où le choix de témoins familiaux est faible de manière globale, aboutit d’une certaine manière à cette impression générale « d’infériorité » de la part des femmes apparentées parmi les témoins des futures. Nous ne disposons pas des données permettant de mener ce même calcul à Elbeuf. 25. La proportion de témoins féminins non explicitement apparentés aux conjoints solliciteurs est de 16,2 % pour les épouses du XIe arrondissement, contre 9,0 % pour celles du XVIe (et respectivement 8,2 % et 7,6 % pour leurs époux). Notons qu’ici le terme d’« amies » est sans doute plus approprié que dans le cas des témoins masculins, puisque les femmes ne sont pas en mesure de faire partie des témoins administratifs « professionnels » (huissiers, secrétaires de mairie…) que l’on retrouve fréquemment en ville. 26. Dans le XIVe arrondissement de Paris en 1910, Leslie Page Moch signale que, dans la moitié des cas, les nombreuses bretonnes qui sont venues à Paris pour devenir de modestes infirmières dans les hôpitaux du quartier choisissent comme témoins de mariage une collègue infirmière (Moch, 2003, 450). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin VINCENT GOURDON RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE 27. Il est cependant possible que le niveau d’ouverture aux témoins féminins dépendent au sein des quartiers populaires de la plus ou moins grande stabilisation de la population : le recours à des femmes dans les mariages impliquant des Bretons est, selon Leslie Page Moch, plus important dans un arrondissement de prime-installation et de transit comme le XIVe arrondissement présentant une certaine hétérogénéité, qu’à SaintDenis, où une « communauté » s’est constituée dans la durée (Page Moch, 2003, 451). Cependant, dans les deux quartiers populaires, on note que la présence d’une femme dans la liste des quatre témoins est le cas majoritaire (ce qui n’est le cas que de 37,8 % des mariages dans notre échantillon des deux arrondissements parisiens… mais huit ans plus tôt). 28. Nous n’insisterons pas ici sur le fait que les témoins de mariage civil ne sont qu’une partie des témoins de mariage, puisque rien n’oblige à choisir les mêmes à la cérémonie religieuse, à laquelle très peu de couples se dérobent dans les sociétés française, belge et hollandaise des années 18001914. 29. Les codes de savoir-vivre ne font pas de prescription particulière sur les témoins de mariage en fonction du sexe des conjoints, ce qui est fort significatif pour cette source si attachée aux nuances de sexe et aux hiérarchies. 30. D’où le choix d’ailleurs plus fréquent de « témoins professionnels » parmi les couches populaires (Jacquemin, 1994 ; Van Poppel, Schoonheim, 2005). ACCAMPO, Elinor (1982), « Entre la classe sociale et la cité : identité et intégration chez les ouvriers de Saint-Chamond, 1815-1880 », Le Mouvement social, 118, janvier-mars, 39-59. CHOTKOWSKI, Margaret (2004), “Colleagues, friends and partners ? Nature and composition of the personal relationships of the Italians in the Netherlands (1860-1880)”, communication à l’ESSHC, Berlin, 24 mars 2004. Code civil. Textes antérieurs et version actuelle (1997), Paris, Garnier-Flammarion. Discussion du Conseil d’État et du Tribunat sur le Code civil... (1841), Paris, FirminDidot frères. DUPÂQUIER, Jacques (1989), « Le choix des témoins dans les mariages civils au XIXe siècle », 155-160, in Aux sources de la puissance : sociabilité et parenté, Françoise Thélamon (textes réunis par), Rouen, Publications de l’Université de Rouen. GAMBA, Béatrice (1998), Histoire du mariage d’après les codes de savoir-vivre (XIXe- XXe siècles), maîtrise d’histoire, dir. J.-P. Bardet, Université de Paris IV. GARDEN, Maurice (1998), « Mariages parisiens à la fin du XIXe siècle : une microanalyse quantitative », Annales de Démographie Historique, 111-133. GAUDEMET, Jean (1987), Le mariage en Occident, Paris, Cerf. GÉRIN, Paul (1969), « Louise Van den Plas et les débuts du “Féminisme chrétien de Belgique” », Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 1969, 2, 254-275. GIRARD, Denise (2000), Mariage et classes sociales. Les Montréalais francophones entre les deux guerres, Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval. GOULD, Roger V. (1995), Insurgent Identities. Class, Community and Protest in Paris from 1848 to the Commune, ChicagoLondon, Chicago University Press. GOURDON, Vincent (1997), Les grandsparents en France, du XVIIe siècle au début du XXe, Thèse d’histoire, Université Paris-IV. GOURDON, Vincent (à paraître), « La mobilisation symbolique de la parenté à travers le témoignage au mariage civil : Samoissur-Seine (Seine-et-Marne) au XIXe siècle ». 53 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin GOURDON, Vincent, JOZ, Émilie (2006), « Les témoins de mariage civil dans une commune de la banlieue lyonnaise au XIXe siècle. Tassin-la-Demi-Lune (17931895) », in Images et pratiques de la ville (vers 1500-vers 1840), Philippe Castagnetti (dir.), Cahier de l’IERP., n° 2, SaintÉtienne, Presses universitaires de SaintÉtienne. GRANGE, Cyril (2004), « Les choix de témoins au mariage des Israélites à Paris : intégration à la société globale et cohésion socio-professionnelle (1875-1914) », 197232, in Les minorités. Une démographie culturelle et politique, XVIIIe-XXe siècles, Guy Brunet, Michel Oris et Alain Bideau (dir.), Berne, Peter Lang. HAMEL, Karine (1997), « Le mariage civil comme facteur de sociabilité. L’exemple de la ville d’Elbeuf 1872-73 et 1910-11 », Bulletin de la Société d’Histoire d’Elbeuf, 27, juin, 30-47. IMBERT, Jean (1993), « Les témoins de mariage du Concile de Trente à 1792, en France », 307-313, in Le Droit de la famille en Europe. Son évolution de l’Antiquité à nos jours, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg. JACQUEMET, Gérard (1984), Belleville au XIXe siècle. Du faubourg à la ville, Paris, EHESS. JACQUEMIN, Anne (1994), « Un éclairage de la sociabilité en milieu urbain à partir des actes de mariages liégeois (1840-1850) », 346-360, 4e Congrès de l’association des cercles francophones d’Histoire et d’Archéologie de Belgique, Actes du Congrès de Liège, 20-23 octobre 1992, Liège. KLEJMAN, Laurence, ROCHEFORT, Florence (1989), L’égalité en marche. Le féminisme sous la Troisième République, Paris, Presses de la FNSP. KOK, Jan (2002), « Commentaire autour du livre de Paul-André Rosental », Annales de Démographie Historique, 2, 135-140. LE MÉE, René (1999), « La réglementation des registres paroissiaux en France », Dénombre- 54 ments, espaces et société, Cahier des Annales de Démographie Historique, 1, 21-62. MATTHIJS, Koen (2003), “Demographic and Sociological Indicators of Privatisation of Marriage in the XIXth Century in Flanders”, Revue Européenne de Démographie, 19, 375-412. MOCH, Leslie Page (2003), “Networks among Bretons ? The Evidence for Paris, 1875-1925”, Continuity and Change, 18 (3), 431-455. Moniteur Belge Le, 15 janvier 1908. NEVEN, Muriel (2000), Dynamique individuelle et reproduction familiale au sein d’une société rurale. Le pays de Herve dans la seconde moitié du XIXe siècle, Thèse d’histoire de l’université de Liège, 3 vol. PAUQUET, Alain (1998), La société et les relations sociales en Berry au milieu du XIXe siècle, Paris, L’Harmattan. PLESSIX-BUISSET, Christiane (dir.) (2002), Ordre et désordre dans les familles. Études d’histoire du droit, Rennes, Presses universitaires de Rennes. ROSENTAL, Paul-André (1999), Les sentiers invisibles. Espace, familles et migrations dans la France du XIXe siècle, Paris, EHESS. SCHWEITZER, Sylvie (2002), Les femmes ont toujours travaillé. Une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles, Paris, Odile Jacob. SCOTT, Joan (2002), « La travailleuse », in Histoire des femmes en Occident, t. IV. Le XIXe siècle, 479-511, Geneviève Fraisse et Michel Perrot (dir.), Paris, Plon, coll. « Tempus ». SEGALEN, Martine (1998), Rites et rituels contemporains, Paris, Nathan, coll. 128. VAN GENNEP, Arnold (1998), Le Folklore français, Paris, Armand Colin (1re édition, 1943-48). VAN POPPEL, Frans, SCHOONHEIM, Marloes (2005), “Measuring cultural differences between religions with network data. An example based on nineteenth-century Dutch marriage certificats”, Annales de Démographie Historique, 1, 173-197. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin VINCENT GOURDON RÉSEAUX DES FEMMES, RÉSEAUX DE FEMMES. LE CAS DU TÉMOIGNAGE AU MARIAGE CIVIL AU XIXe SIÈCLE Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin SUMMARY This article analyzes the impact of gender of wedding witnesses was more familial on the selection of civil wedding witnesses than individual. But some characteristics of during the nineteenth-century in three female spouses, as their younger age at European countries dominated by the marriage, explain the little existing diffeNapoleonic Code (France, Belgium, Nether- rences. After 1897 in France, women have lands). The legislations and the dates of been able to witness, but few have been female witnessing acceptation are first chosen before the Great War. Unexpectedly, studied. Available datas show that the selec- this new opportunity don’t seem to have tion of kin-witnesses is not a privilege of the reinforced kin selection. On the contrary, brides, as was presumed because of the urban working-class brides have used the family-oriented vision of female destiny in new legislation to honour their own female the Bourgeoisie culture, because the choice friendly or professional networks. 55 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Gourdon Vincent - 90.46.237.62 - 10/07/2013 13h51. © Belin RÉSUMÉ Cet article s’intéresse aux témoins de mariage caractérisent davantage les conjoints fémicivil au XIXe siècle dans trois pays (France, nins, par exemple la précocité du mariage ou Belgique, Pays-Bas) ayant hérité du Code la célébration du mariage dans la commune Napoléon et à l’impact du facteur « genre » de domicile, favorisent l’appel à la parenté. dans le processus de choix. Après un rappel En France, la loi de 1897 a permis de choisir des législations qui n’autorisent le témoignage des femmes témoins, mais cette possibilité n’a féminin qu’aux alentours de 1900 (1897 en été que modestement utilisée en pratique France, 1908 en Belgique, 1927 aux Paysavant 1914. Contrairement aux attentes, il Bas), l’analyse se penche sur les corpus disponibles et montre que l’appel à des témoins n’apparaît pas, sauf peut-être dans les milieux familiaux dépend assez peu du sexe du bourgeois, que cette féminisation des témoins conjoint, malgré la radicalité des oppositions ait conduit à un renforcement des choix sexuées dans la culture du XIXe siècle, notam- intra-familiaux. Au contraire, les femmes des ment parce que la sollicitation des témoins milieux populaires urbains semblent en avoir dépend plus des familles que des individus profité pour mobiliser leur sociabilité amicale eux-mêmes. Cependant des facteurs qui et professionnelle propre.