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DEMISSION GODF

2020, Démission du Grand Orient de France

33 ans de Franc-Maçonnerie n'ont pas entamés mon idéal humaniste. Mais, je n'ai trouvé au sein de l'Ordre et en dehors des valeurs performatives clamées lors de nos travaux, nul groupe d'individus cherchant à influer le cours morbide de notre civilisation néolibérale. Se contenter d'être pour exister c'est accepter d'être mécaniquement inclus dans le système de production de richesse, par le travail et la consommation. Il est vital d'enrayer cette machine infernale qui détruit le vivant et son environnement.

Mes Très Chers Amies et Très Chers Amis, Je vous informe de ma décision de quitter la franc-maçonnerie, ce dont je fais part également par ce même courrier envoyé séparément au Grand Orient de France. Constatant l’impossibilité pour l’ordre d’opérer un changement significatif lui permettant de prendre l’initiative face aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux, je prends en démissionnant la distance nécessaire en vue de mener personnellement des actions concrètes et réelles. Je ne veux plus être réduit à une verbigération performative annuelle sous forme de réponse collective aux questions à l’ordre des loges relues et résumées avec cette condescendance permanente dont fait montre notre ordre à l’égard du pouvoir en place. Pour illustrer mes propos, je vous évoquerai les trois thèmes, social, sanitaire et environnemental que la franc-maçonnerie n’a pas pris en considération de manières constructives et pour lesquels elle n’a aucune proposition à formuler en vue de travailler à une véritable solution pour assurer la pérennité de l’humanité au sein du monde vivant. Si les initiés se targuent de travailler au perfectionnement de l’humanité encore faut-il qu’ils puissent d’abord assurer la pérennité de celle-ci. Or, sa survie même se voit menacée par les instincts cupides et autodestructeurs des individus qui la composent et par la politique économique que nos élus mettent en place pour satisfaire des pulsions mortifères et égoïstes de consommation et d’appropriation. Faire semblant de vaincre nos passions et de soumettre nos volontés ne nous exonère pas de nos responsabilités si nous sommes du nombre de ces personnes qui se veulent premières de cordée dans un monde libéral. L’humanité n’est qu’un parasite de l’ensemble du monde vivant dont elle se nourrit pour subsister mais elle détruit davantage que ce qui est nécessaire pour satisfaire ses besoins en vue de vivre en symbiose avec les autres espèces dans un espace naturel partagé. Cette notion de partage, inexistante entre l’Homo Sapiens et les autres espèces vivantes, relève de nos valeurs de liberté, égalité et fraternité. Et bien que nous les clamions à chaque ouverture et fermeture de travaux, nous ne faisons rien, en tant que francs-maçons pour empêcher que nos valeurs soient spoliées par notre propre espèce. On peut dès lors imaginer avec quelle indifférence les enfants de la veuve considèrent le reste du monde vivant. La compétitivité et la croissance sont les deux piliers sur lequel se fonde notre économie basée sur la finance et destinée au cumul de richesses acquises grâce au travail produit par les plus faibles que l’on prive de la jouissance des fruits de leurs efforts. Ce modèle est devenu l’unique récit auquel nous adhérons depuis la chute du mur de Berlin, une forme de pensée unique dont il n’est pas permis de douter. La libre circulation des biens est devenue la clef de voûte de notre vision de liberté individuelle dès lors que nous l’avons réduite à notre culte du consumérisme. Par le droit à la propriété, nous exerçons notre prérogative de jouir sans entraves ni limites de ce que nous possédons pour autant que nous respections les règles de l’économie libérale, sachant que ces règles permettent également de déposséder les perdants de la compétitivité au nom de la concurrence et que les seules normes tacitement respectées de tous sont : « ce qui n’est pas interdit est permis » et « pas vu pas pris ». 1 LES GILETS JAUNES C’est peu dire que la teinture jaune de la contestation a glissé placidement sur la toile cirée de l’obscur secret maçonnique comme le savon noir de l’ignorance profane propice à polir d’indifférence nos planches ésotériques sur le sexe des anges. Hélas, les sans dents, les laisser pour comptes, les inutiles, la faune des gueux, les réprouvés, les moins que rien, les besogneux, la fine fleur, l’élite du pavé, les mendiants rivalisant de tares, ces chevaux de retour, ces propres à rien, en somme toutes les épaves comme les surnommait le frère Georges Brassens1, n’étaient pas dignes de l’attention qu’auraient pu leur porter ces autoproclamés descendants des bâtisseurs de cathédrales devenus constructeurs du temple symbolique d’une humanité élitiste et éclairée. La contestation des gilets jaunes naquit d’un glissement progressif vers un capitalisme scélérat de notre société libérale qui s’est bâti sur les vestiges d’une solidarité sociale éclose dans les champs de ruines d’un pays meurtri par la guerre. Mais, en ce temps-là, c’était une patrie animée par la fraternité et l’égalité qui venait de surcroît de recouvrer sa liberté. Il est vrai que lorsque l’homme respecte les valeurs républicaines, il n’est nullement nécessaire de disposer d’autres moyens qu’une volonté collective pour les appliquer dans le monde réel. La croissance nécessaire à l’enrichissement des entrepreneurs par la consommation de produits à obsolescence programmée est le modèle économique des nantis. Ceux-ci regardent avec mépris ce peuple paupérisé par l’avidité des plus riches d’entre nous. Les privilégiés voient avec dégoût cette plèbe vulgaire et grossière qui se soulève comme une charogne craignant la contagion d’une quelconque épidémie dont personne ne présumait qu’elle arriverait vraiment. « Tout cela descendait, montait comme une vague, Ou s’élançait en pétillant ; On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague, Vivait en se multipliant. »2 À ces contingences subjectives évaluées à l’aune d’un mépris irréfrénable que la gente nantie, dopée à la méritocratie et au favoritisme, exprime à l’égard de ses congénères moins fortunés, s’ajoute la survenance d’évènements objectifs conséquents à la politique économique que mène l’oligarchie au service des plus aisés en vue de préserver leurs privilèges et accroître leurs richesses. Et, ces évènements soulignent l’impérieuse nécessité de changements systémiques profonds et irrémédiables du modèle économique actuel. Le réchauffement climatique et la destruction de la biodiversité qui sont à l‘origine des épidémies dont celle récente du Covid, ne nous permettent plus d’esquiver ce changement de paradigme économique, social et politique sinon à utiliser la force afin de préserver les acquis d’une minorité de prédateurs humains et c’est ce qui se joue actuellement dans le monde entier, tant à Hong Kong qu’à Minneapolis ou à Téhéran et Paris en guise d’essais. Quels que soient les motifs de mécontentement de la population, celle-ci est 1 2 http://www.brassens-cahierdechanson.fr/OEUVRES/CHANSONS/princesse.html https://www.lalanguefrancaise.com/litterature/baudelaire/une-charogne/ 2 confrontée partout à la violence d’état qui s’exerce à l’aide de nouveaux moyens de coercition tels des exercices effectués en prémices à des contestations plus globales qui apparaîtront sous forme de soulèvements populaires mondiaux. Dans l’attente de cette irrémédiable confrontation sociale mondiale et globale, les gouvernements ont choisi de nier les réalités en maintenant le modèle économique de croissance par l'extraction intensive des matières premières et l’exploitation des énergies fossiles, quel que soit le prix à payer en termes de santé publique. LE COVID Face au Covid 19, l’incurie du gouvernement, l’impéritie de nos élus, la collusion des experts autoproclamés, la compromission des organismes officiels de santé et la médiocrité des journaleux occupaient la scène publique d’où furent ostracisés ceux, que le Général de Gaule désignait déjà comme bovidés3. Et, le traitement grégaire, qui fut imposé aux troupeaux épars de veaux claquemurés à résidence, créa des « clusters » où chaque « covidé » devint un vecteur de transmission potentiel pour ses proches. Plutôt que de dépister et mettre en quarantaine les malades, le choix fut de confiner ceux-ci avec leurs proches augmentant de manière significative la contamination par l’éclosion de multiples petits foyers distincts et non contrôlables. Ce choix aurait pu immédiatement paraître pernicieux s’il ne masquait une attitude antérieure qui consistait à affaiblir intentionnellement le secteur des soins de santé par la gestion criminelle d’une politique libérale de lits d'hôpitaux à flux tendus. Cela signifie qu’il ne pouvait y avoir de lits disponibles en cas d’afflux imprévisible de malades et que les autorités sanitaires et les gouvernements successifs savaient pertinemment que la seule solution en cas d’épidémie serait d’isoler des pans entiers de la société. Le crime avait été commis par anticipation en vue de réaliser des économies avec l’intention de nuire à la population pour prétendre y parvenir. Le spectacle de l’incompétence était assuré par des intervenants sur les écrans de nos téléviseurs, tablettes et smartphones, qui ne cessèrent de se contredire. La société civile, percluse par le confinement, assistait sidérée à cette gabegie commise par nos élus qui avaient détourné le flux du financement nécessaire aux soins de santé vers les paradis fiscaux par la libération de l’impôt sur les grandes fortunes et nombre de subventions diverses accordées aux grandes entreprises. Les médias officiels vassalisés au pouvoir en place, passèrent en boucle les gesticulations indécentes des journalistes et faux experts qui répétaient à l’envi les logorrhées fétides de ces personnages publics que nous avions élus et dont ils prétendirent « décrypter » et analyser les propos. Il suintait de ces agissements de nos élus une corruption notoire dont on ne peut que subodorer qu’elle sera, a posteriori, sujette à immunité dès lors qu’il sera démontré que leurs actions et paroles sont responsables de milliers de morts et de l’appauvrissement général du tissu social tandis que les dividendes et autres bonus ont pu être distribués grâce à l’intervention financière de l’état. 3 https://www.denistouret.net/textes/Gaulle.html 3 LE CHANGEMENT CLIMATIQUE « Nous sommes peut-être la dernière génération qui vivra dans l’opulence, la santé et la consommation sans frein ? Dans trente ans, le monde n’aura plus rien à voir avec ce que nous voyons aujourd’hui. Année après année, les températures montent, les océans aussi, des milliers d'hectares de terres se transforment en désert et des millions de personnes se préparent à quitter leurs foyers pour migrer. De tout cela, nous sommes responsables. Pour la première fois de son histoire, l’enjeu pour l’humanité va être de survivre à elle-même. »4 L’ÉMOI DE LA FRANC-MAÇONNERIE ET MOI, ET MOI, ET MOI… Tandis que les détenteurs de capitaux se servent de l’économie au mépris de l’humain pour que perdure un système injuste et destructeur, il ne s’est trouvé aucune voix officielle en franc-maçonnerie pour critiquer les omissions d’actions évidentes à prendre dans le cadre de l’urgence ou les actions néfastes exigées en vue d’occulter l’impréparation face à la pandémie, et il ne s’est trouvé personne non plus dans nos rangs pour dénoncer la destruction des institutions de soins de santé qui a permis à cette épidémie de s’étioler avec aisance dans notre société comme si la France était une gigantesque boîte de Pétri entre les mains du pouvoir orwellien de la cinquième République. Le laxisme de notre ordre, en matière de réaction face aux injustices, frise la complicité par peur d’émettre un jugement, de donner des noms et d’imputer une faute, ce qui se manifeste spécialement à l’encontre des gens qui sont au pouvoir ou qui occupent des positions sociales dominantes comme l’observait Hannah Arendt. Et pour cause ! Le ministre des Cultes, JeanEtienne-Marie Portalis, énonçait déjà en 1804 : « Il a été infiniment sage de diriger les sociétés maçonniques puisqu’on ne pouvait les proscrire. Le vrai moyen de les empêcher de dégénérer en assemblées illicites et funestes a été de leur accorder une protection tacite, en les laissant présider par les dignitaires d’État. » « Dans le monde comme en Europe, se posent donc les questions de savoir quelles finalités visent la franc-maçonnerie et si ces offres correspondent à des besoins psychosociaux et culturels des sociétés et des individus du XXIe siècle ? Dans cette quête, il est nécessaire d’aller au-delà des réponses toutes faites, souvent apportées par les acteurs sociaux eux-mêmes, des discours langue de bois officiels, des pseudo-analyses par le petit bout de la lorgnette de nombreuses gazettes et étranges lucarnes privilégiant l’affairisme, le copinage (qui existe néanmoins) ou le pittoresque ou les milliers de travaux d’origines internes trop souvent descriptifs, normatifs, répétitifs ou autocentrés. […] Plutôt que d’avoir des francs-maçons partout et nulle part, peut-être faudrait-il que la franc-maçonnerie soit quelque part, c’est-à-dire à sa place. Mais quelle sera sa place ? Tempora mutantur et nos mutamur in illis5. »6 « […] Bien que la franc-maçonnerie se réclame d’une tradition opérative réinventée qui prétend remonter aux bâtisseurs des cathédrales, elle est aussi la caisse de résonance de son Le Bug Humain, Pourquoi notre cerveau nous pousse-t-il à détruire la planète et comment l’en empêcher ? Sébastien Bohler 2019 Robert Laffont 267 pages. Prix du livre Environnement décerné par la fondation Veolia. 5 « Les temps changent et nous changeons avec eux. » 6 L’Europe sous l’Acacia. Le début du XXIe siècle, chant du cygne, dilution, nouvelles frontières ou fécondes métamorphoses. Tome 4, pages 54 & 55 par Yves Hivert-Messeca, 2018 Dervy 232 pages. 4 4 temps. Rien de ce qui traverse la société ne lui est étranger, pour le meilleur comme pour le pire. Le doute, les inquiétudes, les mille fractures ou tout simplement les questions qui font débat dans les sociétés contemporaines, ont également traversé les murs des temples maçonniques. La franc-maçonnerie, toutes les franc-maçonneries, ne sont plus en mesure de maintenir (si tant est qu’elles y soient parvenues dans le passé) une séparation étanche entre elles et le reste de la société. La franc-maçonnerie apparaît comme une institution qui, au mieux, s’efforce de filtrer, de se tenir à distance des tumultes de la société environnante, mais ne peut totalement les ignorer au risque de disparaître. »7 Selon Barbara Stiegler, « la plupart de nos contemporains, en évacuant le biologique du champ du politique alors même qu’il s’agissait de le repenser comme « biopolitique », n’ont rien vu venir de ces nouveaux conflits. En s’enfermant dans un constructivisme hostile à tout naturalisme, la pensée contemporaine a largement contribué, au contraire à abandonner le gouvernement du vivant aux tendances les plus réductionnistes des sciences de la vie. Tel pourrait bien être, au fond, l’ultime enjeu de cette généalogie critique des sources évolutionnistes du néolibéralisme : que se reconstruise une nouvelle conception philosophique et politique du sens de la vie et de l’évolution, qui dépasse le face-à-face stérile du constructivisme et du biologisme, de sorte que la philosophie joue pleinement son rôle dans les combats politiques de l’évolution et qu’elle contribue à une reprise en main collective, démocratique et éclairée du gouvernement de la vie et des vivants. »8 CONCLUSION : Compte tenu des remarques ci-dessus, vous comprendrez que ma décision n’a pas été prise à la légère et que je mettrai avec effet immédiat un terme à mon parcours maçonnique qui a vu le jour, il y a plus de 33 ans, le 9 mars 1987. J’entends désormais me consacrer immédiatement et sincèrement à la vie et aux vivants sans le secours de rites mortifères et morbides qui prétendent travailler à la perfection de l’humanité par le divertissement de soi sous des formules amphigouriques ou des anagrammes logogriphiques telle celle appelant à une descente en rappel dans la profondeur des latomies de notre conscience éclairée par la Vraie Lumière grâce à notre initiation à l’Art Royal. L’urgence et la pertinence de nos réactions face aux conséquences de nos choix économiques et sociaux dévastateurs ne nous autorisent plus à nous distraire d’une approche adonhiramite anthropocentrée et prétentieusement indécente qui consiste à améliorer l’humanité à partir d‘une pseudo-perfection ésotérique de nous-mêmes. Comme Barbara Stiegler, j’ai cru à la reconstruction d’une nouvelle conception philosophique du sens de la vie et de l’évolution. J'étais convaincu que les francs-maçons, confrontés aux éléments par les épreuves de leur initiation, auraient développé cette dimension ontologique qui répondrait philosophiquement aux attentes du vivant. Nous aurions alors pu jouer pleinement ce rôle dans les combats politiques de l’évolution et éclairer démocratiquement au nom de la collectivité les projets gouvernementaux pour protéger la vie et les vivants. 7 8 Ibid. page 213. Il faut s’adapter, Barbara Stiegler, page 284, 2019 NRF Gallimard 333 pages. 5 À l’instar de Juvénal qui avait cette formule « Mens sana in corpore sano », je pensais que nous pouvions prétendre à un comportement sain par un esprit sain, que l'initiation nous aurait inspiré notre action selon la phrase de Démocrite : « La parole est l’ombre de l’action ». Hélas, il semble que le dogme laïc de la franc-maçonnerie se limite à la pensée de Sénèque selon lequel « la parole est le reflet de l’âme ». Il ne suffit pas de formuler par une négation performative que la maçonnerie n'est pas un dogme pour éviter qu’elle le soit. Si la mort du Grand Architecte de l’Univers a été officialisée par le vœu IX de Frédéric Desmons9 lors du Convent de 1877, le Grand Orient de France n’a pas évacué son cadavre qui hante encore divers rituels maçonniques. Prétendre que nous sommes détenteurs de la Vraie Lumière est en soi déjà une attitude dogmatique qui explique pourquoi les autorités du pays nous assimilent aux cultes et nous consultent dans des réunions officieuses au même titre que les représentants officiels des religions abrahamiques. J’ai tenu par ma démission à vous donner quelques pistes de réflexions sur le rôle que j'espérais voir jouer par la franc-maçonnerie et qui ferait l'unanimité auprès de ses membres. Sans doute lorsque l’Ordre en sera à l’agonie, vous semblera-t-il évident qu’il aurait dû prendre cette voie au service du vivant, mais il sera trop tard. La vanité des initiés et l’égoïsme des individus qui composent les pays à l’économie néolibérale ne présagent plus aujourd’hui d’une possibilité de solution pacifique en vue de sortir collectivement des problèmes que notre civilisation égocentrique et cupide a créés et je fais donc le choix de me retirer parce que je sais que je ne serai ni entendu ni compris. Cordialement, Albert Galoy Saint Pierre de Cormeilles, le 3 juillet 2020. 9 https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Desmons 6