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Rev. Sc. ph. th. 103 (2019) 565-568 RECENSIONS ET NOTICES Gavin D’COSTA, Catholic Doctrines on the Jewish People after Vatican II, Oxford, Oxford University Press, 2019 ; 23,4 × 15,3, 224 p., 60 £. ISBN : 9780198830207 Gavin D’Costa [G. D’C.] est connu pour sa contribution à la théologie chrétienne des religions du monde, dans le sillage de Vatican II. Le présent ouvrage entreprend un discernement appliqué beaucoup plus complexe que l’articulation des principes dans le monde des idées. Lumen Gentium 16 et Nostra Aetate 4 affirment, en prenant appui sur Rm 11, 29, que les dons de Dieu au peuple juif – dont, au premier chef, celui de l’élection – sont sans repentance. Reste toutefois ouverte la question épineuse de savoir si une telle affirmation dogmatique s’applique ou non au judaïsme rabbinique postbiblique. À cet égard, un développement significatif est apparu dans l’enseignement du pape Jean-Paul II depuis 1980. G. D’C. identifie et évalue ce développement en cours dans les discours et textes ecclésiaux parus depuis lors (voir p. 14-21), jusqu’au document de la Commission [vaticane] pour les relations religieuses avec le judaïsme, paru en 2015 et intitulé : « “Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables” (Rm 11, 29). Une réflexion théologique sur les rapports entre Catholiques et Juifs à l’occasion du 50e anniversaire de Nostra Aetate (n. 4) ». La conviction doctrinale suivant laquelle le caractère irrévocable des dons de Dieu vaut pour le judaïsme rabbinique soulève, selon G. D’C., trois questions aussi épineuses que décisives : 1) Une fois levée l’antique accusation de déicide envers le peuple juif, qui était assortie d’une supposée malédiction divine, les pratiques rituelles du judaïsme peuvent-elles encore être considérées comme mortes et mortifères ou doivent-elles plutôt être envisagées comme actuelles et vivifiantes ? Comment concevoir leur valeur positive ? 2) Dans quelle mesure et sous quelles conditions la promesse de Dieu concernant la terre s’applique-t-elle à Israël tel qu’il est établi comme nation depuis 1948 ? 3) L’option catholique de ne pas conduire de mission institutionnelle envers les Juifs entre-t-elle en conflit avec l’envoi des disciples à toutes les nations par le Ressuscité et avec l’universalité salvifique du Christ Jésus ? Sur chacun de ces trois axes, G. D’C. développe un discernement fin et audacieux. Il soutient que la nouveauté du développement en cours demeure compatible avec le magistère catholique antérieur, bien que les présupposés sousjacents aux diverses affirmations dogmatiques – de niveaux assurément différents (voir p. 7-14 et 188) – aient nettement changé. À propos des pratiques rituelles du judaïsme (chap. II), G. D’C. conduit une herméneutique dogmatique fine de la bulle Cantate Domino (1442). Resitué en son contexte historique, ce document magistériel ne condamne pas les pratiques juives comme mortes et mortifères considérées hors du temps, mais dénonce leur pratique ou accommodation par des chrétiens, en l’occurrence des Coptes égyptiens (dits 566 RECENSIONS ET NOTICES Jacobites), à travers la circoncision des enfants mâles, l’observance du sabbat le samedi et certaines restrictions alimentaires. G. D’C. recourt au découpage de l’histoire du salut en trois périodes par saint Augustin. Celles-ci sont reliées non seulement à l’événement décisif qu’est la passion du Christ, mais aussi aux conditions noétiques de la réception de cet événement par les croyants : 1) avant la Passion, 2) après la Passion mais avant la diffusion universelle de l’Évangile, 3) après la prédication effective de l’Évangile à tous. G. D’C. soutient que les « juifs rabbiniques », bien qu’ils aient vécu ou vivent objectivement après la passion du Christ, se situent subjectivement, pour la plupart, dans la première ou la deuxième période. Cette position est argumentée par un recours à la doctrine classique de l’ignorance invincible. Dans certains cas de figure, les pratiques cérémonielles du judaïsme contemporain seraient donc à considérer comme efficaces et sanctifiantes, bien qu’elles ne soient pas salvifiques par soi, car leur vertu est dérivée de l’unique salut accompli par le Christ Jésus. G. D’C. récuse comme hétérodoxe la thèse selon laquelle judaïsme et christianisme relèveraient de deux alliances parallèles. Il défend une théorie nuancée de l’accomplissement (fulfilment) sans « substitution dure » (hard supersessionism) de l’Église à Israël (voir p. 55-57 et 62-63). Dans les chapitres suivants (chap. III et IV), G. D’C. étudie avec grand soin différents textes officiels ou prises de position diplomatiques de l’Église catholique, ayant trait à la terre d’Israël. Celle-ci peut être considérée soit comme faisant partie des conditions légitimes d’existence de la nation Israël au même titre que les autres nations, soit en regard d’une promesse irrévocable liée à l’alliance de Dieu avec son peuple. Avec mesures et précautions, G. D’C. distingue nettement, d’une part, l’aspect proprement théologique d’une affirmation catholique concernant cette terre et, d’autre part, les questions politiques, les droits des Palestiniens, le statut des Églises de rite oriental, l’accès aux lieux saints, le découpage des territoires, la gouvernance de l’État israélien, etc. Malgré toutes les difficultés et les pièges du dossier, G. D’C. soutient qu’il existe une trajectoire et un telos en faveur d’une position catholique en germe, nommée faute de mieux « sionisme catholique minimal », distincte du sionisme évangélique américain ou du sionisme juif religieux (voir p. 141-143). Suivant la même méthode d’évaluation et de pondération des textes officiels ou semi-officiels issus de l’Église catholique, G. D’C. traite finalement dans le dernier chapitre (chap. V) de l’absence de mission envers les Juifs comme peuple religieux. Une distinction s’établit alors entre le « témoignage » et la « mission ». Cette dernière inclut en principe la tâche de bannir les faux dieux et les idoles – laquelle ne s’applique pas au judaïsme. Du point de vue collectif, le témoignage chrétien auprès du judaïsme rabbinique serait mieux porté par une Église de la circoncision, comme partie qualitative de l’unique Corps du Christ composé de Juifs et de gentils. D’où l’importance actuelle ou potentielle des catholiques hébraïques (Hebrew Catholics). La boucle est bouclée et l’ouvrage revient au discernement des rites juifs pouvant éventuellement trouver place dans la pratique chrétienne au sein d’une Église issue de la circoncision, en pleine unité avec l’Église des gentils. Théologiquement, G. D’C. favorise une ligne d’accomplissement qui tient à distance deux positions erronées : d’un côté, l’hypothèse infondée de deux voies de salut parallèles entre le judaïsme et le christianisme ; de l’autre, la théologie archaïque, aux conséquences souvent violentes, d’une substitution complète de l’Église à Israël. Par sa méthode de travail, G. D’C. se pose en fin observateur des déplacements et développements en germe dans les prises de parole issues de l’Église catholique. Il les évalue avec soin, relève leurs évolutions, traite les objections avérées ou potentielles, avance ses propres jugements avec prudence. RECENSIONS ET NOTICES 567 Cet ouvrage contient et évalue une documentation considérable. Les notes donnent de surcroît accès à de multiples prises de position issues de divers milieux juifs. Dans un domaine aussi exploratoire et complexe, les discernements proposés par des catholiques varient sensiblement d’un auteur à l’autre. Il est toutefois évident que G. D’C. livre aux partenaires du débat une œuvre majeure pour l’avancement du discernement ecclésial. Emmanuel DURAND Jacques ELLUL, Éthique de la liberté, Genève, Labor et Fides, 2019 ; 14 × 22,5, 715 p., 34 €. ISBN : 978-2-8309-1701-7. Cette nouvelle publication de l’Éthique de la liberté, corpus initialement paru en deux volumes, en 1973 puis 1975, participe de la redécouverte d'une œuvre aussi originale que féconde. Maître ouvrage de Jacques Ellul, l’Éthique de la liberté exemplifie le style d’un propos qui puise l’inspiration de ses analyses de la société de haute modernité technicienne dans les ressources de la pensée biblique. Ellul y trouve une distanciation nécessaire pour un abord critique du système technicien qui nous enserre, nous aliène et nous fait perdre le sens de ce qu’être libre signifie, par réduction au libre choix des consommables et autres parcours déterminés, les seuls autorisés en son sein. Le philosophe en reçoit aussi, d’abord, le souffle de l’espérance. Car, et c’est ici le leitmotiv des positions d’Ellul, nourries de Bible et de théologie chrétienne : s’il n’est au fond d’éthique que de la liberté, il n’est d’éthique de la liberté que greffée sur l’espérance : « la liberté est le visage éthique de l’espérance. Une éthique de la liberté ne peut que se fonder sur l’espérance et tenter de l’exprimer » (p. 18) Et Jacques Ellul non seulement d’en appeler à une « herméneutique de l’espérance » dans l’introduction de l’ouvrage, mais de la pratiquer tout au long de ses pages, et doublement, dans l’unité d’une méthode qui met en correspondance exégèse biblique et critique sociale. Une herméneutique de l’espérance pour ménager des brèches dans l’assignation du temps à la logique du monde et de sa perpétuation, pour y rendre à nouveau possible l’avenir d’un temps qui vient. Car le propre d’un système dans la pensée est d’être clos, totalisant, et de se développer de manière destinale. Et pour qui douterait de la pertinence éditoriale d’une republication, tenant que la problématique des années 1970 n’est plus celle du siècle nouveau, c’est là que la critique d’Ellul montre toute son actualité : en cinquante ans, le système technicien n’a rien cédé de sa puissance, de sa clôture totalisante, mais au contraire, il se renforce toujours plus. Jusqu’à nous faire douter aujourd’hui de ce que vivre humainement veut dire et nous inculquer, par constante immersion dans le bain médiatique, que cela ne signifierait rien de plus que ce que la technique peut en reproduire. Bref, l’éviction de l’humain dans les idéalités de l’homme-machine. L’espérance est alors plus que jamais de rigueur. Car l’espérance, et elle seule, a le pouvoir de contredire l’implacable destin d’un matérialisme, qui ne peut plus, qui ne sait pas, différencier le vivre du non-vivre : « L’espérance nous atteste qu’il y a un avenir, qu’il est possible d’échapper au destin, que devant nous est ouverte une carrière de vie [...] l’espérance est la véritable et la seule herméneutique du monde et de l’Écriture. Tout le reste est algèbre et théorie. » (p. 26-28). Oui, tout le reste n’est qu’aliénation par l’imaginaire de la technique. On se laissera volontiers porter par le souffle salutaire de ces pages inaugurales et la puissante idée d’une « herméneutique de l’espérance » pour la traversée de ce volumineux corpus. La philosophie d’Ellul y révèle au fil du texte son inactualité, au sens que Nietzsche avait donné à ce concept de méthode, inscrit au titre de ses Considérations inactuelles. Philosophie qui, à la fois, n’est plus actuelle, car très