Vocabulaire
Arpenter le domaine
du sans-abrisme
Coordonné par Marine Maurin
Avec Katia Choppin, Édouard Gardella, Claudia Girola,
Élodie Jouve, Pascale Pichon, Shirley Roy1
Ce vocabulaire ne forme pas un dictionnaire au sens strict du terme.
Le parti pris qui a présidé à sa réalisation a consisté à rassembler des
expressions, notions ou concepts mobilisés et réinterprétés de manière
significative et cohérente par des chercheurs francophones explorant un
même domaine de recherche au cours de ces deux dernières décennies.
Pour autant, les acceptions proposées n’offrent pas un ensemble stabilisé qui dessinerait les contours d’une nouvelle spécialité, d’un glossaire
spécifique ou d’un lexique raisonné. Il s’agit plutôt d’inviter le lecteur à
pénétrer dans l’atelier de la recherche en sciences sociales, en donnant à
lire des pensées au travail où s’affûtent les catégories de la description,
de l’interprétation, de l’analyse et de la théorie. Ces outils sont parfois
provisoires ou en tout cas pourront être délaissés au profit de nouveaux
outils plus adéquats. C’est en cela que ce vocabulaire n’a pas pour vocation à être clôturé. Il invite au contraire à ouvrir l’espace de l’intuition,
de l’interprétation et de l’analyse.
Parce qu’il n’a aucune prétention à l’exhaustivité, ce vocabulaire,
élaboré collectivement, propose une boussole pour le lecteur qui souhaiterait arpenter, avec quelques repères, le domaine de la recherche
sur le sans-abrisme et ses espaces connexes, comme ceux de la pau1. Avec également la participation de Marc Breviglieri pour la définition d’« épuisement capacitaire » et
une partie de celle de « maintien de soi », de Christophe Blanchard pour la définition de « propriétaires de chien en situation d’exclusion », de Florence Bouillon pour celles de « compétences précaires » et « terrains sensibles », d’Émilie Duvivier pour celle de « mineur isolé étranger », de Lucia
Katz pour celle de « asiles de nuit », de Jean-François Laé pour celle de « grand célibataire », de
François Chobeaux pour celle de « nomades du vide », ainsi que de Bertrand Ravon pour celle de
« pair-aidant ». Nous tenons à remercier en particulier Lucia Katz, qui a attentivement relu l’ensemble
du vocabulaire.
Vocabulaire du sans-abrisme
vreté, de la marginalité, de l’habiter, de la ville. Ainsi, le lecteur qui
entrerait par ce vocabulaire, est incité par un astérisque* à aller voir
dans la recension bibliogaphique les références développées par une
notice.
On notera que certains mots de la langue courante et usuelle sont
repris par les chercheurs qui explorent la richesse de leurs significations
dans l’expérience vécue du sans-abrisme. Par exemple, l’ensemble des
contenus signifiants du mot débrouille est explicité au long des comptes
rendus d’enquête et des publications de recherche ; on lui donne ainsi une
valeur heuristique autre que celle d’un simple jargon entre initiés. Ainsi
en va-t-il également de la manche ou encore de la maraude, terme utilisé
quant à lui par les professionnels et parfois les bénévoles qui pratiquent
cette forme d’aide qui consiste à aller à la rencontre des personnes à la
rue. Quant aux concepts issus de l’anthropologie ou de la philosophie,
mis à l’épreuve des terrains de recherche, ils ont besoin d’être réexaminés
au plus près des réalités sociales observées. Ainsi en va-t-il des termes de
mémoire, culture, identité ou encore espace public. Tous les autres
concepts, expressions, notions2, ne peuvent être simplement classés et
rapportés à un lexique scientifique spécifique qui serait celui de la sociologie, voire plus largement des sciences sociales. Ils forment un ensemble
« hétéroclite et instrumental3 » qui compose le vocabulaire des chercheurs
nourrissant les interprétations et sur lequel s’appuient les commentaires
et les théorisations.
Pour des raisons pratiques, l’ordre alphabétique du classement des
expressions, notions et concepts a été retenu. Chaque terme renvoie à
2. Nous avons distingué trois types d’entrées : les expressions, les notions et les concepts. Les expressions relèvent de l’usage courant de la langue, comme la débrouille, la mendicité ou SDF. Les
notions sont quant à elles indexées au monde du sans-abrisme : ce sont des termes couramment
utilisés dans cet univers social, souvent devenus des catégories de l’action publique, comme hébergement, inconditionnalité ou ciblage. Les concepts sont des mots qui ont été travaillés par des chercheurs dans un sens précis, souvent empruntés au patrimoine théorique commun des sciences
humaines, comme présentation de soi, habiter, épreuve ou carrière. Il est cependant relativement
arbitraire d’établir de telles distinctions dans la mesure où il y a une circulation entre ces trois types
d’entrées. Nous sommes en présence de frontières très étanches. À titre d’exemple, la notion d’insertion, propre à l’action sociale, est largement passée dans les expressions courantes. Puis certains
concepts, comme pauvreté ou assistance, sont des détournements de termes qui peuvent en même
temps être des expressions communes ou être des notions d’expertise. Nous ne faisons donc pas la
généalogie de chaque terme, mais nous précisons l’usage principal qui en est fait dans le domaine
du sans-abrisme.
3. Patrice Maniglier qualifie ainsi le vocabulaire philosophique de Lévi-Strauss : « Composé de termes
techniques issus, virtuellement de tous les discours théoriques […] il ne peut être compris qu’en se
confrontant à l’“usage” que Lévi-Strauss en fait […]. », préface de l’ouvrage consacré au Vocabulaire de
Lévi-Strauss (Maniglier P., 2002).
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Arpenter le domaine du sans-abrisme
des contextes d’usages profanes ou savants, à un ou des auteurs, signalant ainsi des points de rencontre, des nuances ou encore des considérations divergentes, parfois des controverses. C’est l’ultime intérêt de
ce vocabulaire : ouvrir sans ambiguïté l’espace de la discussion, parce
qu’il est à même de déborder de toute part l’entreprise d’exposition
inachevée et imparfaite d’un corpus de recherches.
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Arpenter le domaine du sans-abrisme
A
Abandon de soi : concept qui s’entend, dans les approches interactionnistes, comme la désaffection ou le désintérêt de sa propre personne.
Ces attitudes se manifestent dans les interactions publiques ou privées où certains signes du détachement des codes sociaux se lisent
sur le corps et l’apparence. Cette attitude constituerait de ce point de
vue un signe patent d’une crise identitaire où le corps de l’individu
devient un obstacle même à l’échange. Le travail de la présentation
ou de l’exposition de soi est troublé par les sens et les affects qui surgissent au moment des face à face, comme le montre précisément sur
ces deux registres Pascale Pichon (1995). Cette notion peut être mise
en relation avec celle de déréliction (voir ce concept).
Affranchissement : concept forgé par Bertrand Bergier (2000) pour
rendre compte des processus de sortie de carrières de la toxicomanie, de l’inemployabilité, de la prostitution ou de l’errance (voir
Errance) lorsque l’individu parvient à se dégager de contraintes avilissantes et recouvre une liberté d’agir dans le monde et sur le
monde. Pour Bertrand Bergier, sortir de la carrière d’errance revient
ainsi à se déprendre de l’enfermement et de la dépendance servile
aux services d’assistance, première face du processus qui conduit à
rejoindre le monde du travail et qui comprend, deuxième face, la
sortie d’une sous-culture de la rue développée entre pairs, soit les
retrouvailles avec les valeurs de la culture dominante. L’auteur utilise le terme d’« affranchissement » pour décrire le passage que doit
traverser la personne en s’arrachant à une condition pour en intégrer une autre. Ce faisant, elle quitte un mode de vie qui a été le
sien pendant des années, mais dont les critères de normalité ne sont
pas la référence. Pour autant, elle le vit à présent sur le mode de la
servitude. Ce concept d’affranchissement évoque ainsi le passage
d’un statut d’esclave à celui d’affranchi dans la Grèce Antique, et
non pas d’homme libre. De servus, il lui est impossible de devenir
ingenus, il doit se contenter du statut de liberti, affranchi, ce qui suppose que son passé d’esclave lui est irrémédiablement attaché. Il ne
pourra jamais se comporter en homme libre, les ingenui le tiendront
toujours à distance, et formé par son maître au statut d’esclave, il
ne s’en émancipe que difficilement dans les faits. Remarquons que
les trajectoires des anciens SDF qui deviennent intervenants
sociaux et ainsi ne quittent pas le milieu de l’assistance semblent
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Vocabulaire du sans-abrisme
plus particulièrement correspondre à ce processus (Paltrinieri F. et
Bergamaschi M., 2005).
Aller vers : notion signalant une action typique de l’urgence sociale
(voir cette notion), qui s’institutionnalise en France au tournant des
années 1980-1990, à un moment où la régulation juridique du sansabrisme passe de la gestion pénale à l’assistance d’État. Pratiquée
par une grande diversité d’acteurs (associations de bénévoles ou
salariés, services municipaux, groupes d’intérêt public), cette action
recouvre un large éventail de modalités, qui indiquent ses multiples
emprunts, à la charité chrétienne, au secours humanitaire, au SAMU
médical ou au travail social de rue. Cette hétérogénéité n’empêche
pas de l’analyser comme un type spécifique d’assistance, caractérisé
par sa démarcation vis-à-vis de la logique de l’aide sociale dans
laquelle c’est le demandeur qui se rend à un guichet. Aller vers, c’est
proposer une assistance à des personnes perçues en détresse et
pourtant sans demande, sur les lieux publics où se rend visible leur
souffrance. Aller vers c’est donc, pour le professionnel ou le bénévole, s’engager sur le front de l’action sociale, être affecté, compatir
et s’exposer à des tensions parfois insolubles entre le désir de faire
du bien et le respect du refus de l’aide (Ravon B. dir., 2000). Mais
aller vers, c’est aussi se confronter à un paradoxe où la reconnaissance d’une commune appartenance se conjugue à l’enfermement
dans une condition de victime : comme le montre l’enquête ethnographique sur les maraudes (voir cette notion), l’aller vers est un
terrain où s’observent de façon privilégiée les rapports entre éthique
de la sollicitude (care) et politisation de la question SDF (Cefaï D. et
Gardella É., 2011).
Asile de nuit : expression encore utilisée par certains anciens travailleurs
sociaux pour faire référence aux centres d’hébergement (urgence ou
réinsertion). Les asiles de nuit constituent une forme spécifique de
prise en charge de la pauvreté valide et flottante. Le premier à Paris
est créé en juin 1878 par une société privée, l’Œuvre de l’Hospitalité
de Nuit, composée d’une élite sociale diversifiée. Avant l’ouverture de
cette première maison, Paris ne possède aucun dispositif d’assistance
par le logement pour les personnes sans-abri. Cette nouvelle forme de
gestion de la pauvreté est d’abord une nouvelle forme d’assistancecharité, qui participe à la transition conduisant d’une charité privée et
personnelle à une charité collective et publique, même si l’aumône
subsiste. Ce type de structure (dont les pauvres valides pouvaient
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Arpenter le domaine du sans-abrisme
bénéficier) avait été condamné pendant la Révolution Française,
mais, au début de la Troisième République, il apparaît nécessaire et
se multiplie. À partir de 1886, la municipalité parisienne ouvre ses
propres maisons d’hospitalité. Les asiles de nuit, œuvres d’hospitalité
et de philanthropie, sont venus remplacer à la fin du XIXe siècle la fonction d’asile, tout à la fois refuge et redressement moral par le travail et
l’enfermement, de l’hôpital général en direction des plus pauvres.
Cette émergence est rendue possible par la dénonciation des dépôts
de mendicité.
Mais le mot asile fait également écho à la prise en charge des malades
mentaux et à la fonction d’enfermement asilaire des hôpitaux psychiatriques jusqu’aux années 1970. À ce moment clef de l’histoire de
la prise en charge de la maladie mentale, la désinstitutionnalisation
est repérée comme l’une des origines conjoncturelles du sans-abrisme
actuel, en particulier par les chercheurs nord-américains (Lovell A.,
1992 ; Nouvelles Pratiques sociales, 1998). C’est sur ce versant de la
pathologisation du clochard que s’inscrit la proposition du psychanalyste Patrick Declerck (2001) et c’est en cela qu’elle fait controverse
(Pichon P., 2005a). En effet, celui-ci promeut le rétablissement de
l’asile pour les clochards signalant en cela la prédominance de la
psychopathologie mentale et son incurabilité sur toute autre détermination, qu’elle soit d’ordre économique, historique, psychologique et
sociologique. Il ne propose néanmoins pas le retour de l’enfermement asilaire mais plutôt une prise en charge protectrice de l’asile
pensé comme un refuge thérapeutique.
Assistance : notion générique fréquemment utilisée pour nommer toutes
les formes d’aide qui, à la différence des assurances, sont obtenues
sans contribution préalable (Borgetto M. et Lafore R., 2009). En tant
que droits garantis par la puissance publique, l’assistance s’est continuellement développée, depuis les premières lois assistancielles
votées sous la IIIe République, jusqu’à la lutte contre l’exclusion portée par les bénévoles et professionnels des œuvres caritatives et
humanitaires, en passant par le développement de l’État providence
(Bec C., 1998). En tant que notion de l’action publique, le terme d’assistance n’est cependant plus utilisé depuis longtemps, repoussé
d’un univers administratif qui cherche à se démarquer de ce qu’on
appelle communément et bien souvent péjorativement l’« assistanat » : depuis la grande réforme de 1953, l’assistance publique est
devenue l’aide sociale, notion régulièrement associée ensuite à celles
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Vocabulaire du sans-abrisme
d’action sociale et de cohésion sociale. Dans le monde de la recherche,
le terme d’assistance prend une tout autre signification. Depuis le
célèbre essai sur Les Pauvres paru en 1908 du sociologue allemand
Georg Simmel (1998), l’assistance constitue une voie d’entrée théorique dans l’analyse des situations de pauvreté (voir ce terme). Cellesci ne doivent pas être étudiées comme un niveau de vie qui serait
mesuré par des ressources monétaires, mais elles doivent s’appréhender comme une relation aux dispositifs d’assistance. La sociologie de
la pauvreté devient ainsi une sociologie de la relation d’assistance,
qui s’oriente d’une part sur l’expérience que les assistés ou les bénéficiaires font des aides qui leur sont proposées (Paugam S., 2004),
d’autre part vers la façon dont une société définit, désigne et traite des
personnes reconnues comme pauvres (Paugam S., 2002). C’est depuis
cette relation que le rapport moral entre une société et ses pauvres
s’observe de façon privilégiée.
Automatisme ambulatoire : catégorie nosographique du XIXe siècle
forgée par Jean-Baptiste Charcot, célèbre aliéniste, pour décrire une
nouvelle maladie mentale, celle des hommes qui quittent soudainement leur foyer pour partir sur les routes et qui se perdent sans se
souvenir du trajet effectué ni même de l’endroit où ils habitent.
L’automatisme ambulatoire est essentiellement constitué par des
accès intermittents d’impulsion irrésistible à la marche. Ces symptômes maladifs renvoient donc à des comportements répétitifs et
mécaniques analogues aux rythmes des machines générées par les
progrès scientifiques et technologiques de ce siècle. Ainsi, à côté
du vagabondage d’ordre socio-économique, les psychiatres distinguent dès lors un vagabondage d’ordre psychique. Le terme n’est
plus en usage aujourd’hui mais certaines théories se situent dans la
tradition d’une pathologisation des comportements des vagabonds,
errants ou clochards. Jean-Claude Beaune (1983), par ses travaux
historiques critiques est l’un des passeurs principaux de ces théories
psychiatriques auprès des contemporains dont il explicite le
contenu et les conditions d’élaboration. On doit également citer
Ian Hacking (2002) qui s’est intéressé à ces « fous voyageurs » et qui
restitue la niche écologique par laquelle ce phénomène en vient à
être observé, décrit, répertorié et discuté dans un contexte social et
psychiatrique nouveau. Le lien socio-historique entre le vagabond
et le clochard proposé par Alexandre Vexliard en 1957 a initié un
travail généalogique pour élucider les continuités et les discontinui-
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Arpenter le domaine du sans-abrisme
tés historiques sur fond de crise de la mobilité, de désignation du
problème et de construction de la figure contemporaine du sans
domicile fixe (Pichon P., 2005a).
Autonomie : notion de l’action publique utilisée dans différents domaines
de l’insertion sociale, que ce soit l’emploi ou le logement. Dans le cadre
du contrat d’insertion, les bénéficiaires du RSA sont invités à proposer
des actions leur permettant de développer ou de retrouver leur autonomie sociale. Dans la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action
sociale et médico-sociale les institutions sont amenées à promouvoir
l’autonomie des usagers. La loi DALO porte quant à elle la garantie
d’un logement autonome. Cette catégorie et ses dérivés sont largement mobilisés par les intervenants sociaux et inspirent des actions
en direction des usagers des services d’aide dont on présuppose a
priori l’absence d’autonomie individuelle. Il arrive également qu’aux
actions d’accompagnement social se substituent des injonctions à
l’autonomie, alors même que le bénéficiaire prend les traits du
pauvre assisté, passif et dépendant (de l’alcool, des drogues, de ses
relations néfastes, voire de l’action sociale). Ce sont ces paradoxes
que relève la critique de Nicolas Duvoux (2009) portant sur la finalité
même de l’action sociale : la perspective d’autonomisation inscrite
dans l’objectif d’insertion met en cause la capacité de l’assisté à devenir autonome. L’enquête de terrain dans le domaine de l’accès au
logement étaye la critique portant sur la mise en œuvre de l’objectif
d’autonomie. Certains auteurs (Pichon P. dir., Jouve É., Choppin K. et
Grand D., 2010) observent que l’autonomie est rattachée, au cours
des évaluations qui scandent l’accompagnement mis en œuvre par
les intervenants sociaux, aux capacités de l’individu à habiter, alors
même que celui-ci se trouve en situation d’hébergement institutionnel précaire. L’effet paradoxal de cette relation d’aide est qu’elle
construit une succession d’obstacles pour l’accès au droit au logement et cantonne les individus dans les limites du système d’habitat
précaire (voir cette notion). La remise en cause par les intervenants
sociaux des capacités à habiter des ayants-droit est l’un des freins
récurrents à l’accès au logement dit « autonome ». Cette articulation
entre capacité et autonomie est observable sur les terrains d’enquête
comme dans les théories de la capabilité développées par l’économiste Amartya Sen (1983) et largement reprises par d’autres auteurs,
comme l’économiste du développement et de la lutte contre la pauvreté Esther Duflo (2010). La capabilité advient avec l’ouverture des
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Vocabulaire du sans-abrisme
conditions de possibilités de choix des individus dans une société
donnée, une liberté désentravée fondée sur le développement de
vecteurs indispensables à l’épanouissement humain tels que l’éducation et la santé. Prolongeant le pragmatisme d’Amartya Sen, la
philosophe Martha C. Nussbaum (Goldstein P., 2011) propose quant
à elle de fonder philosophiquement la capabilité en développant
une théorie de la vulnérabilité humaine en étroite articulation avec
la notion d’autonomie.
B
Bricolage : notion qui désigne à la fois une caractéristique de la vie quotidienne des SDF et le fonctionnement de l’assistance. Le mot bricolage est utilisé par les personnes elles-mêmes, dans un sens proche de
celui proposé par Michel de Certeau (1980), pour décrire leur
débrouillardise (voir le terme débrouille), leur vie quotidienne étant
caractérisée par des adaptations à de fortes contraintes, des tactiques
de survie et des négociations avec les institutions d’assistance. À un
autre niveau d’analyse, le bricolage souligne la faible coordination
des divers partenaires de l’action publique, qui en vient à former un
« complexe bureaucratico-assistanciel ». Ce qui génère deux types
d’effets (Damon J., 2012) : le jeu de ping-pong dans lequel les sansdomicile sont orientés de structure en structure ou de ville en ville,
par un renvoi de responsabilité entre acteurs de la prise en charge ; le
jeu de l’oie qui par la multiplication et l’accumulation de services entre
la rue et le logement complexifie le parcours des SDF. Le bricolage de
l’action publique, par son manque récurrent de coordination, renforce ainsi les contraintes qui pèsent sur les SDF et auxquelles ils
répondent par du bricolage quotidien.
C
Carrière de survie : extension d’un concept sociologique, forgée par
Pascale Pichon (1995, 2005b). Elle emprunte à la sociologie de l’enfermement psychiatrique d’Erving Goffman (1968, p. 177-225) la dimension morale du concept de carrière. Ce concept a été rendu célèbre
dans la discipline sociologique francophone par Howard S. Becker
(1985) décrivant et analysant les parcours des déviants toxicomanes
et musiciens de jazz. La carrière du malade mental comme celle du
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Arpenter le domaine du sans-abrisme
déviant se construit à la suite d’expériences réussies et d’apprentissages permettant de franchir des étapes de socialisation et/ou de
désocialisation au sein d’un groupe avec lequel on partage un même
mode de vie, provisoire ou plus durable. Les individus sont ainsi
désignés comme anormaux ou déviants, ce qui nécessite des mesures
de moralisations ciblées, et légitime aux yeux du groupe dominant
des actions spécifiques de privation de liberté, de répression et de
redressement. Poursuivant cette tradition théorique, le concept de
« carrière de survie » propose d’une part de considérer la signification
totalisante de l’expérience de la survie (voir ce terme), en ce qu’elle
structure le temps présent sur le mode de l’urgence et indique une
temporalité dans un parcours de vie délimité par un début et une fin,
à la manière d’une aventure risquée qui, une fois vécue, aura transformé la vie toute entière (Simmel G., 1989). La « carrière de survie »
permet d’autre part, de considérer le processus de socialisation/désocialisation à l’œuvre dans la succession des expériences vécues et partagées avec les pairs et face aux entrepreneurs de morale (Becker H.,
Ibid.). La carrière de survie se bâtit par étapes au fur et à mesure des
épreuves réussies, qu’il s’agisse de la mendicité ou de la quête auprès
des institutions d’aide, de l’entrée à l’asile de nuit, de la consommation excessive d’alcool ou de drogues ou encore de l’expérience valorisée de la route. Ces épreuves de survie (voir ce concept) forment des
apprentissages par l’initiation, l’imitation et la participation à travers
lesquelles une personne à la rue acquiert une expérience du milieu
où elle vit et développe des stratégies pour y survivre et maintenir
l’unité de soi.
Chez-soi : nouvelle notion des politiques publiques et concept scientifique issus de l’expression courante. Dans la littérature anglo-saxonne,
et notamment le triptyque home/housing/shelter, elle renvoie à l’action
politique. Dans le paysage français, elle porte une critique des limites
de l’urgence sociale, dont l’expérience historique a montré qu’elle a
finalement été trop confiante dans la capacité du modèle en escalier
d’enclencher un retour au chez-soi à partir d’une mise à l’abri à court
terme (shelter). Depuis la conférence de consensus organisée en
novembre 2007 par la Fédération nationale d’accueil et de réinsertion
sociale (FNARS), puis le transfert depuis la ville de New York de la
politique de Housing first par le médecin Vincent Girard, le chez-soi
commence à devenir une catégorie de l’action publique. Les premières expérimentations publiques du principe de Chez-soi d’abord,
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Vocabulaire du sans-abrisme
traduction du Housing first, mises en œuvre dans quatre villes françaises (Lille, Toulouse, Marseille et Paris), ciblent des personnes ayant
des troubles de santé mentale sévères, pour leur faire bénéficier d’un
accompagnement médico-social dans un logement dit « autonome »
(voir Autonomie). En cas d’évaluation positive, cette politique
publique devrait être généralisée à partir de 2014. En tant que concept
anthropologique et sociologique, le chez-soi a donné lieu à de nombreuses investigations et théories. Dans le domaine plus spécifique
du sans-abrisme, la distinction a été clairement effectuée entre le
chez-soi et le logement, quelles que soient ses qualités pour répondre
aux nécessités qui y sont généralement attachées (Girola C., 2006b,
2007*). Les dernières enquêtes de terrain (Pichon P. dir., Jouve É.,
Choppin K. et Grand D., 2010) ont plus particulièrement mis en évidence quatre propriétés essentielles du chez-soi : l’aménagement, l’attachement, l’appropriation et l’ancrage. L’aménagement ne relève pas
seulement de la dimension matérielle de l’occupation des lieux mais
consiste également sur le plan relationnel et symbolique à s’arranger
avec les lieux, à aménager ses relations avec son entourage, le voisinage, les accompagnants sociaux, à se présenter aux autres à travers
son espace habité. L’aménagement est une manière d’explorer la projection dans un logement, les rôles et les statuts sociaux à venir.
L’attachement, quant à lui, repose sur un processus d’accrochages et
de décrochages successifs aux personnes et aux produits (alcool,
drogues), considérés comme nocifs par les intervenants sociaux mais
pouvant être gérés de façons très contrastées selon les moments biographiques. L’appropriation implique les plaisirs de l’habiter et la préservation de l’intimité, mêlant au confort moderne le confort discret
des perceptions sensibles liées au bien-être. L’ancrage, enfin, a trait à
l’inscription sociale et territoriale des personnes, ouvrant la possibilité
de participer à la vie de la cité, de s’en sentir un membre reconnu. Ces
quatre propriétés n’apparaissent pas toutes avec la même intensité
selon le mode d’habitat et l’environnement social. Mais pour être
chez-soi quelque part, elles doivent nécessairement coexister.
Choc de la ressemblance : concept qu’on pourrait dire anthropologique,
développé dans la thèse de Claudia Girola (2007*, p. 41-43), rendant
compte d’un sentiment et d’une attitude d’incompréhension et de
stupeur qui émergent lorsque l’on se confronte aux personnes sansabri se trouvant dans une situation extrême de vie. Contrairement
aux explications selon lesquelles ce sentiment et cette attitude pren-
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Arpenter le domaine du sans-abrisme
draient leur source dans l’expérience d’une altérité insoutenable,
l’auteure affirme qu’ils proviendraient de l’intense similitude que
l’observateur ressent avec ces personnes. C’est que celui-ci partage
d’une manière universelle avec l’autre-dans-le-besoin sa propre
humanité : une ressemblance essentielle où toute particularité identifiable reste en suspens. Girola remarque que ce choc de la ressemblance apparaît d’une manière indifférenciée tant parmi les acteurs
engagés humainement, sur un mode politique ou humanitaire avec
celui qui souffre que parmi les acteurs non engagés, indifférents aux
malheurs des autres. C’est l’attention que ces deux types d’acteurs
portent au choc de la ressemblance et ce qu’ils en font qui va les distinguer et orienter leurs actions en conséquence.
Chronopolitique : concept, à peine émergent dans le domaine du sansabrisme, qui a reçu plusieurs acceptions différentes. Pour l’essayiste
Paul Virilio, il souligne la disparition de l’espace derrière le temps
suite aux innovations technologiques : à l’heure où l’on peut communiquer en instantané, ce n’est plus l’espace qui est la source du pouvoir, mais le temps. La géopolitique tend à devenir une chronopolitique (Sarthou-Lajus N., 2009). Plus proche des sciences sociales, il a
reçu deux grandes acceptions : le sociologue George Wallis (1970)
l’utilise pour montrer la relation existant entre les façons de percevoir
le rapport entre passé, présent et futur et les conceptions politiques
(téléologiques, déterministes, présentistes) ; le philosophe espagnol
Daniel Innerarity (2008) et le sociologue allemand Hartmut Rosa
(2010), pointent par ce concept l’étroite relation existant entre temporalités et relation de pouvoir. Il commence à être utilisé dans le
domaine du sans-abrisme, en particulier dans la description et la
compréhension de la relation d’assistance et les impositions de
rythme que les pouvoirs publics peuvent accomplir, notamment
quand il s’agit d’aménager un espace touristique (Gardella É., 2010).
Si le temps, non pas en tant que catégorie objectivante mais en tant
que catégorie de l’action, a été largement utilisé pour étudier les relations entre monde du travail et monde domestique, il semble jusqu’à
maintenant avoir été quelque peu délaissé par les enquêtes sur le
monde de l’assistance. En sensibilisant à l’intrication des dimensions
temporelle et politique de la prise en charge des personnes sans-abri,
le concept de chronopolitique ouvre un certain nombre de pistes en
reproblématisant des aspects abordés de façon éparse dans la littérature. Par exemple, le temps est un appui pour l’urgence sociale dans sa
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Vocabulaire du sans-abrisme
tentative de régulation du problème public. Ainsi, la durée d’hébergement, limitée ou continue (voir Continuité), pourrait faire l’objet
d’une véritable « écologie temporelle » (Grossin W., 1996, p. 259-265),
en abordant non seulement ses modalités diverses de fonctionnement
d’un centre d’hébergement à un autre, les raisons qui l’expliquent, les
conséquences qu’elle a sur la vie à la rue ou en institution, mais aussi
et surtout les mobilisations et les conflits dont elle fait l’objet dans
l’espace public : comment ont été justifiées la durée limitée et la continuité dans les hébergements d’urgence ? Quelles sont les possibilités
de leur mise en œuvre ? Quelles sont les mobilisations judiciaires qui
visent l’effectivité de la temporalité continue de l’hébergement ?
Quelles en sont les conséquences, en particulier sur l’inconditionnalité de l’accueil ? Autre exemple : le temps, ou plutôt les temporalités,
sont au cœur de la relation d’aide, que ce soit en termes d’impositions de rendez-vous à respecter comme mises à l’épreuve de l’individu, comme rythme, partagé et synchronisé, dans l’éthique de l’accompagnement (Ravon B., 2008 ; Breviglieri M., 2010*) ou comme
emprise institutionnelle (shelterization) sur l’expérience du sansabrisme (Gounis K., 1992). L’intrication des temporalités avec les
divers niveaux de l’action publique peut également être rapportée
aux perspectives temporelles des individus censés bénéficier de
l’aide qui leur est proposée (Bresson M., 1998 ; voir aussi Temporalité
multiple et rapport au passé).
Ciblage : notion classique dans l’analyse des politiques sociales, devenue
courante dans les administrations des pouvoirs publics (Informations
sociales, 2003). S’opposant aux conceptions universalistes, elle désigne
une tendance générale à la particularisation des politiques sociales.
Celles-ci délimitent des bénéficiaires aux contours précis, dans une
triple logique d’adaptation aux besoins spécifiques d’une population,
d’équité (accorder la priorité à ceux qui en ont le plus besoin) et d’efficience (une politique serait plus efficace et moins coûteuse en visant
des populations bien délimitées). Le ciblage des personnes sans-abri
en France autour d’une politique sociale spécifique conduite sous la
responsabilité de l’État, s’est progressivement consolidé au début des
années 1990, à un moment où la pauvreté est de nouveau devenue
une priorité sur l’agenda des politiques sociales. D’abord pris en
charge au cours des années 1980 dans le vaste cadre des Plans d’action contre la pauvreté et la précarité, qui touchaient aussi bien des
personnes avec un logement que des personnes sans logement, le
170
Arpenter le domaine du sans-abrisme
problème des personnes en détresse, sans toit, nécessitant des aides
d’urgence, a fait l’objet d’une politique publique à part entière, avec
son propre budget, au tournant des années 1980 et 1990 (Damon J.,
2001). L’action publique, à travers des plans hivernaux et le financement d’associations, a développé des dispositifs qui ciblent les SDF,
cible critiquée en raison de son caractère « flou » (Damon J., 2012*).
Encore aujourd’hui, aucune définition légale, ouvrant l’accès aux
droits, ne délimite les contours précis de la cible nommée dans les
textes de loi non pas « SDF » mais « personnes sans-abri et en
détresse ». On peut ainsi prolonger l’analyse de ce ciblage flou : comment expliquer que le ciblage pénal, dont faisaient l’objet les vagabonds (voir Vagabondage), était beaucoup plus précis que le ciblage
assistanciel des personnes sans-abri ? Et quelles en sont les conséquences dans la mise en œuvre de l’action publique, notamment en
termes d’égalité dans l’accès aux droits ?
Circuit assistanciel : expression qui vise à regrouper l’ensemble des
dispositifs et institutions qui proposent un accueil, diurne et/ou
nocturne, et différents services aux personnes sans-abri. Cette expression possède une signification expérientielle. En effet, les enquêtes de
terrain montrent combien les personnes tournent à l’intérieur du circuit, tant les conditions d’accueil demeurent limitées dans le temps.
Ainsi, au niveau de l’hébergement, c’est « la règle des cinq nuits »
décrite par le journaliste d’investigation Jean-Luc Porquet (1987)
dans le premier ouvrage d’enquête journalistique approfondie, qui
prévaut (voir Chronopolitique). Cette expression suggère des formes
d’enfermement dans la sphère de l’assistance par la dépendance aux
institutions et la soumission à des allers-retours d’une structure à une
autre, sans linéarité ni cohérence apparente.
Citoyenneté : concept politique clef, inscrit dans l’un des programmes
de recherche sur les représentations et les trajectoires des SDF initié
par le PUCA4 (Ballet D. dir., 2005). Dans ce cadre programmatique,
certains chercheurs ont plus particulièrement mis en évidence et
documenté des formes de citoyenneté inédites, au travers des activités de survie (écriture et vente de journaux de rue par exemple),
des mobilisations collectives (légalisation de squats arrachée de
4. Plan urbanisme construction et architecture. Le PUCA est un organisme de recherche qui dépend du
ministère de l’Équipement. Depuis le début des années 1990, il constitue une interface importante
pour la recherche sur les SDF en finançant des programmes.
171
Vocabulaire du sans-abrisme
haute lutte) ou des changements de rôles et de statuts au sein même
de l’assistance (coopération avec les travailleurs sociaux et action
militante associative) en France et dans d’autres pays européens et
nord-américains.
Clochard : désignation qui, sous la plume d’Alexandre Vexliard (1956) a
remplacé celle du vagabond du XIXe siècle. Au début des années 1950,
il est l’un des premiers psychosociologues français à s’intéresser à
ces citadins. Pour lui, les clochards ne constituent pas un groupe
homogène mais regroupent de multiples situations et parcours de
vie. Toutefois, les clochards, tels qu’il les observe, possèdent des traits
communs : ils se sont extraits de la vie sociale, ce que montrent leurs
trajectoires sociales, économiques et affectives. La désocialisation
(voir ce terme) qui a accompagné leur clochardisation s’est conjuguée
aux nécessités de survie et à une resocialisation dans le monde des
clochards. Cette désocialisation-resocialisation signale une dégradation des besoins et une économie des expédients. Elle provient selon
Alexandre Vexliard à la fois des origines sociales, de l’environnement
social dans lequel il vit, avec ses contraintes structurelles (chômage,
formation), des interactions auxquelles il participe et des problèmes
psychosociaux liés à l’histoire personnelle.
Dans les années 1980, Patrick Declerck (2001*), psychanalyste et
anthropologue, opte lui aussi pour ce terme de clochard en ciblant
exclusivement les personnes rencontrées dans le cadre de son activité
de soin au Centre d’hébergement et d’assistance aux personnes sansabri (CHAPSA) de Nanterre. Cette désignation ne reflète donc pas
précisément la réalité des situations multiples et instables. L’auteur
insiste plus particulièrement sur les origines sociales pauvres des
clochards ainsi que sur leurs psychopathologies personnelles. En ce
sens, Patrick Declerck désigne les clochards comme les plus désocialisés des SDF.
Au début des années 1990, dans une approche ethnographique,
Patrick Gaboriau (1993*) s’intéresse également à un petit groupe de
personnes à la rue vivant dans le 16e arrondissement de Paris qu’il
désignera sous le terme de clochard, en mettant en évidence l’héritage d’une culture de la place publique (voir ce concept).
Compassion : concept recouvrant un sentiment moral, revendiqué
parfois par les bénévoles et les professionnels dans leur expérience
de l’aller vers (voir cette notion) et de l’accueil inconditionnel, qui
accompagne l’action d’aide et de secours. Ce sentiment, également
172
Arpenter le domaine du sans-abrisme
partagé par le quidam, face à l’expression du plus grand dénuement
dans l’espace public, a été documenté dans la pratique mendiante et
contraste alors avec d’autres sentiments moins altruistes tels que la
crainte, voire le rejet ou le mépris qui génèrent l’offense (Pichon,
2010* ; CerPHi, 20115). Dans l’approche de philosophie morale et politique, le sentiment de compassion fait l’objet d’une critique lorsqu’il
s’affiche au front des politiques publiques comme vecteur déterminant l’action politique (Joseph I., 2003* ; Revault d’Alonnes M., 2008 ;
Fassin D., 2010). À la compassion, peut être préférée la sympathie,
concept qu’a développé le philosophe et économiste Adam Smith
(2007), pour désigner non plus uniquement « notre affinité avec le
chagrin d’autrui » mais plus généralement, « notre affinité avec toute
passion quelle qu’elle soit » (p. 27). La sympathie désigne alors moins
un sentiment moral particulier, que l’opérateur par lequel la compréhension d’autrui est possible.
Compétences précaires : concept forgé par Florence Bouillon (2009*)
qui combine l’analyse des capacités d’action sur le monde des individus disqualifiés et la prise en compte des rapports sociaux de
domi-nation. Elle se fonde sur le pari d’une pertinence à la fois heuristique et politique du dévoilement de ces capacités (RoulleauBerger L., 1999 ; Berry-Chikhaoui I. et Deboulet A. dir., 2000), tout en
affirmant leur dépendance aux déterminismes structurels et aux
inégalités. Les compétences précaires ont donc pour caractéristique
d’être enclavées dans des contraintes particulièrement prégnantes.
Elles constituent de ce fait des supports inégalement efficaces de
constructions iden-titaires et de neutralisation de l’incertitude,
sans bouleverser radi-calement la structure des positions sociales
ni leur reproduction. Acquises par l’expérience, elles permettent en
revanche de voir ce qui s’acquiert (et se perd) chez ceux qui ont peu
hérité. Elles ne sont pas données une fois pour toutes, et ne peuvent
être appréhendées du seul point de vue de la position de l’individu
(ou du groupe) dans l’espace social, ni à partir d’une catégorie statistique. Ainsi les compétences précaires sont-elles : 1) communément partagées (dans le sens où aucun individu n’en est totalement
privé) ; 2) acquises, transmises et actualisées en situation (elles
n’existent que parce que les individus impliqués dans l’interaction
et/ou un autrui les interprètent comme telles) ; 3) inégalement dis5. Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie.
173
Vocabulaire du sans-abrisme
tribuées (en fonction des ressources acquises lors de la socialisation
primaire, de l’expérience biographique et du contexte socio-historique) ;4) inégalement protectrices et convertibles sur d’autres scènes
sociales (en fonction de leur nature et de leur agencement, de l’environnement social et des dynamiques de reconnaissance à l’œuvre
dans un contexte donné).
Continuité : notion qui renvoie à un droit reconnu par la loi DALO (voir
cette notion) et confirmé par l’article 73 de loi de Mobilisation pour
le logement et contre l’exclusion (n° 2009-323) : « Toute personne
accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir
y bénéficier d’un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès
lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d’hébergement
stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ».
Cette mesure signe un changement important dans la régulation du
sans-abrisme ; elle marque l’entrée dans une nouvelle chronopolitique (voir ce concept). Elle met fin, du moins légalement, à la règle
de durée d’hébergement limitée, jamais inscrite dans le droit mais largement pratiquée par les centres d’urgence. Ce principe de remise à
la rue a fait l’objet de nombreuses critiques, en raison notamment de
l’épuisement des bénéficiaires qu’il engendrait. L’effectivité du droit
à la continuité semble encore loin d’être réelle : de nombreux centres
n’accordent des places que pour des durées limitées, et les fermetures
saisonnières de certains hébergements d’urgence se poursuivent
encore en 2012. Mais cette reconnaissance juridique constitue un
appui à la lutte judiciaire pour la défense des droits des personnes
sans-abri.
Culture de la place publique : concept proposé par l’ethnologue Patrick
Gaboriau (1993*). Suivant le développement des travaux de l’historien et théoricien russe de la littérature, Mikhaïl Bakhtine (1982), sur
la place publique et la culture populaire, Patrick Gaboriau définit la
culture de la place publique comme une sous-culture du monde des
clochards, constituée de codes, de valeurs et de rites du quotidien.
Cette sous-culture de la place publique est marquée par des modes
d’occupation de l’espace public, mais aussi par des habitudes de
consommation dans l’excès comme l’alcoolisation. Par ailleurs, l’organisation du groupe de clochards emprunte son modèle à la famille
et ce, même si les membres peuvent être remplacés au rythme des
174
Arpenter le domaine du sans-abrisme
départs et des arrivées dans le groupe. Dans cette perspective, la culture de la place publique emprunte à plusieurs influences : la culture
ouvrière, la culture sous-prolétaire ou la culture de la rue, en tant que
soumises à des rapports de domination. Cette vision culturaliste des
modes de vie des hommes à la rue a été critiquée par d’autres sociologues qui préfèrent recenser une communauté d’expériences partagées par les personnes à la rue, cette expérience commune (voir ce
terme) se constituant à travers l’apprentissage de la survie (voir cette
notion) (Pichon P., 2005b, 2010*).
D
DALO : sigle qui signifie « Droit au logement opposable », institué par
la loi du 5 mars 2007 (loi n° 2007-290). Cette loi fait suite à la mobilisation des Enfants de Don Quichotte en novembre-décembre 2006
(Bruneteaux P. dir., 2013), qui a permis d’accélérer la mise à l’agenda
d’une solution promue auparavant par le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (Houard N., 2012). Cette loi donne
la possibilité aux demandeurs de logement, dont le dossier est en
attente, de faire un recours, amiable auprès d’une Commission spécifique, ou contentieux devant une juridiction administrative. La
Commission examine le dossier du demandeur et établit si celui-ci
est prioritaire ou non. Si le dossier est reconnu comme prioritaire,
l’État se doit de (re)loger la personne dans les six mois qui suivent,
sous peine de payer une astreinte financière. Cette loi institue aussi
un droit à l’hébergement, via le principe de continuité (voir cette
notion) et un droit à l’hébergement opposable (DAHO). Les personnes sans-abri et hébergées dans des centres d’hébergement d’urgence font partie des publics reconnus prioritaires dans la loi.
Malgré les espoirs qui ont porté cette loi à ses débuts, les rapports
annuels du Comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable constatent invariablement que l’État reste hors la loi
et ne parvient pas à assumer l’obligation de résultat qu’il s’est fixée
concernant l’accès au logement pour tous. Le dernier rapport de 2011
montre même que la part des recours en hébergement, qui représente
15 % de l’ensemble, est en hausse (Comité de suivi de la mise en
œuvre du droit au logement opposable, 2011) et ce, malgré l’orientation vers le « Logement d’abord » (voir cette notion), nouveau modèle
de l’action publique.
175
Vocabulaire du sans-abrisme
Débrouille : expression substantivée du verbe pronominal se débrouiller.
Le verbe, dans le sens courant (se comporter habilement, se tirer
d’affaire, contrôler une situation compliquée, ou plus familièrement
encore, se dépatouiller, se démerder), est employé dans nombre
d’interactions d’entre soi ou en situation institutionnelle par les
personnes sans-abri, face aux personnels, professionnels ou bénévoles : « je me débrouille, il se débrouille, etc. ». Il signale les ruses et
les tactiques que les personnes mettent en œuvre pour survivre et
surmonter des obstacles de différents ordres : administratif, juridique, économique, relationnel. Comme substantif, il est employé
plus largement par les agents de l’intervention sociale, les journalistes ou les chercheurs pour recouvrir de façon générique toute la
palette des actions de survie accomplies et racontées par les personnes. Les expressions anthropologie de la débrouille ou encore
anthropologie des expédients, forgées depuis les enquêtes de terrain
qui décrivent et analysent la survie quotidienne, donnent force aux
capacités individuelles pour s’en sortir. Mais elles mettent en relation
ces capacités avec la prégnance de l’environnement (droit, institutions, politiques publiques, dispositifs de prise en charge) et la
responsabilité collective, elle-même saisie à travers les liens qui
attachent les individus d’une même société entre eux : « Une anthropologie des expédients [est] capable de nous faire comprendre la
pauvreté contemporaine sans dissocier les histoires personnelles
des configurations historiques dans lesquelles elles sont saisies »
(Joseph I., 2003*, p. 330). D’un point de vue critique, Claudia Girola
(2007*) affirme que la diversité des pratiques que ce terme désigne,
valorisées par le regard social comme étant des compétences propres
d’une vie à la rue sont dans le parcours institutionnel dit de réinsertion souvent disqualifiées, et considérées par les intervenants sociaux
comme des obstacles (parce que réduites à des simples adaptations
de survie, hors norme). Les personnes subissent des injonctions à
refaçonner voire à abandonner leurs pratiques et leurs compétences
précaires (voir ce concept), pour bénéficier d’aides qui peuvent faire
office de dispositifs de normalisation en l’absence de toute compréhension de cette débrouille.
Délires identificatoires : concept forgé par Anne Lovell (2001). Elle
désigne les fictions identitaires par lesquelles sont prises certaines
personnes sans-abri pour se préserver de la rue. La rue est un espace
interstitiel où dans le jeu des interactions, en particulier sur le mode
176
Arpenter le domaine du sans-abrisme
de l’inattention civile, sont attribuées et endossées des identités
sociales. Pour les personnes sans-abri, ces interactions sont vécues
comme des épreuves de survie sociale. Dans ce contexte, ces délires
identificatoires mettent en scène des identités familiales et/ou sociales
qui sont des altérations biographiques, et racontent un roman social.
Ces délires, délivrés aux intervenants sanitaires et sociaux qui vont
à leur rencontre, relèvent d’une logique sociale permettant aux individus d’avancer dans les espaces stigmatisants où ils sont habituellement relégués. Le concept de délires identificatoires montre que
les fictions narratives des personnes sans-abri se mettent en scène à
travers les interactions quotidiennes.
Déréliction : concept emprunté à la philosophie, employé en particulier
par Jean-Samuel Bordreuil (1995) pour décrire la crise de l’urbanité
contemporaine dans les grandes villes occidentales, en particulier à
New York. L’analyse interactionniste des troubles dans l’espace
public pointe la crise urbaine via le retour de la question sociale. Les
situations d’interaction critiques observées dans les espaces publics,
par exemple entre mendiant et passants, montrent les impossibilités
de réparation des offenses qui font, en d’autres circonstances, le grain
des rituels de la vie publique. Le constat est sévère : les significations
de la dignité humaine, dans ces mises en scène de la déréliction, ne
peuvent plus être partagées par les personnes en coprésence.
Dérive urbaine : concept, issu d’une métaphore, permettant de souligner les mobilités sous contraintes des personnes à la rue (Pichon P.,
2010*) qui limitent leur liberté et les dévient de leur trajectoire. Ce
concept idéaltypique, forgé en vue de comparer différents contextes
nationaux, invite à saisir les caractéristiques qui forment le noyau dur
de cette expérience urbaine entre rue et assistance. La dérive urbaine
implique une lutte pour la survie et pour le maintien de soi (voir ce
concept) : mobilisations, résistances, adaptations aux situations de
survie. En ce sens, dans la carrière de survie (voir ce concept) les personnes en dérive urbaine ne sont pas détachées de toute inscription
mais elles dérivent entre rue et assistance pour se maintenir et ainsi
garder le cap, autre signification de la dérive comme instrument du
navigateur (voir aussi Circuit assistanciel).
Désaffiliation : concept forgé par Robert Castel (1991) à partir de la
trame événementielle du roman de Tristan et Iseult. Dans Les Métamorphoses de la question sociale (1995), Robert Castel montre que la
177
Vocabulaire du sans-abrisme
question sociale s’est transformée dans nos sociétés modernes laissant place aujourd’hui non plus à une pauvreté considérée comme
résiduelle mais à une vulnérabilité de masse (voir Vulnérabilité). La
désaffiliation correspond aux étapes socio-historiques d’un double
processus renvoyant sur le plan des parcours collectifs et individuels
à des décrochages au niveau des modalités d’intégration des individus dans le monde du travail et en particulier du travail salarié d’une
part et à des modes d’insertion relationnelle, d’autre part. Pour comprendre plus précisément les effets de ce processus, Robert Castel distingue plusieurs zones de cohésion sociale : la zone d’intégration, la
zone de vulnérabilité, la zone d’assistance et la zone de désaffiliation.
La porosité entre ces différentes zones se manifeste par une montée
de la vulnérabilité, voire d’une vulnérabilité de masse alimentant la
zone de désaffiliation par la précarisation générale du travail, l’insécurité sociale liée au désengagement de l’État dans les protections
sociales ainsi que par la perte de liens sociaux qui encadraient et assuraient la protection des individus.
Désocialisation : concept désignant en sociologie un processus, vécu par
les individus, de délitement des cadres sociaux intégrateurs. Dans le
domaine, il a été défini avec précision par le psychosociologue
Alexandre Vexliard en 1957. L’auteur rappelle que les clochards (voir
ce terme) qu’il rencontre ont des parcours singuliers, des spécificités
individuelles et que tous, ou presque, ont expérimenté une vie « normale » avant d’être dans la rue (p. 239). Ainsi, lorsqu’il décrit la
personnalité du clochard, il précise qu’il s’agit d’une acquisition tardive, résultant d’un processus de désocialisation puisque le clochard
devient ce qu’il est après avoir épuisé les moyens de lutte sociale ou
après avoir été épuisé par cette lutte. Le désocialisation est donc une
évolution, psychologique, physique et sociale, qui s’articule le long
de quatre phases schématiques (p. 241-245) : pendant la première,
dite « agressive », l’individu tente de sortir de sa situation ; dans la
deuxième, dite de « régression » ou de « repli », où la honte lui fait
relâcher certains liens, cette situation lui devient familière. La troisième phase correspond au moment de tension maximale entre le
passé et le présent, qui se régule par une « résolution du conflit » et
une « rupture avec le passé ». La quatrième et dernière phase, celle de
« résignation », correspond à une valorisation de la nouvelle situation. Si ce schéma génétique du processus de désocialisation est
encore en usage aujourd’hui chez certains acteurs de l’action sociale,
178
Arpenter le domaine du sans-abrisme
et en particulier de l’urgence sociale (voir cette notion ; Pichon P.,
2005a), il est souvent oublié de faire mention d’un élément essentiel
précisé par Alexandre Vexliard : le processus de désocialisation se
réalise de concert avec une forme de resocialisation auprès des pairs,
clochards eux-aussi, même si celle-ci reste fragile. Le processus est
analogue à une conversion à un nouvel univers : dans la quatrième
phase, les individus commencent « à apprécier certains compagnons,
avec lesquels on a eu des contacts utiles. Le mode de vie fait perdre les
anciennes habitudes, les anciennes attaches, les liens affectifs, les
besoins du passé et en crée de nouveaux, dont la faiblesse est la principale caractéristique : on s’attache à ce que l’on ne soit lié à rien ni à
personne. Le monde nouveau est devenu familier. L’ancien ne mérite
que mépris et indifférence » (p. 245). La désocialisation ne peut donc
pas se caractériser uniquement par une perte de repères et un sentiment d’abandon.
Disqualification sociale : concept développé par Serge Paugam (2004*)
dans son ouvrage éponyme. La disqualification sociale résulte de
processus d’étiquetage, de stigmatisation et de discrimination. Ce
concept renvoie aux phénomènes d’affaiblissement ou de rupture
des liens de l’individu à la société par l’exclusion progressive des
occasions de protection et reconnaissance sociales. Il met l’accent à
la fois sur le caractère multidimensionnel, dynamique et évolutif de
la pauvreté et sur le statut social des pauvres pris en charge au titre
de l’assistance. Le processus de disqualification sociale prend en
compte l’expérience de la relation d’assistance, dans ses différentes
phases (fragilité, statut d’assisté, marginalité) et qui est vécue comme
une succession de cérémonies de dégradation statutaire.
Domiciliation : notion administrative de l’action publique en France
(décret n° 2007-893 du 15 mai 2007 relatif à la domiciliation des personnes sans domicile stable). Ce décret donne droit aux SDF qui
bénéficient d’action d’insertion dans une commune de s’y domicilier.
Comme le rappelle Didier Renard (1988), la catégorie est héritière
du domicile de secours, fondement de l’assistance tiré de l’article 1er
du titre V de la loi du 24 Vendémiaire an II, dont le contenu donne à
voir la définition institutionnelle du lien social. L’impératif de domiciliation (prenant les traits du domicile de secours) inscrit chaque
individu dans une communauté territoriale mais avant tout sociale.
Robert Castel rappelle que « l’assistance est d’abord une protection
rapprochée » (Castel R., 1995, p. 64). D’un point de vue scientifique,
179
Vocabulaire du sans-abrisme
la catégorie est souvent critiquée, notamment par Kim Hopper (2005)
qui démontre que pour le cas de New York, il s’agit plus de la mise en
place d’une administration qui réglemente à outrance l’absence de
logement plus qu’elle n’y remédie. Claudia Girola montre comment
la domiciliation constitue une frontière pour l’accès aux bénéfices
sociaux de la commune et un instrument pour mettre à distance et
reléguer les personnes sans-abri à des espaces « hors sol », des territoires sans borne visible auxquels s’attacher (1995, 2007*, 2011a).
Quant à l’usage qu’en font Danielle Laberge et Shirley Roy, il fait plus
référence à l’occupation d’un habitat qu’à l’élection d’un domicile
dans un lieu non prévu à cet effet (pour une définition de la domiciliation concrète et symbolique, voir Laberge D. et Roy S., 2001).
Domination sociale : concept et théorie dévoilant une distribution
inégale des ressources sociales et symboliques et les mécanismes
d’assignation identitaire qui en résultent. Les chercheurs développant cette théorie dans le domaine du sans-abrisme construisent des
analyses critiques des catégories et dénominations (Gaboriau P.,
1998 ; Bruneteaux P. et Terrolle D. dir., 2010*), des politiques sociales,
de l’assistance (Amistani C., 2001*), des institutions et des théories
déjà existantes (Gaboriau P. et Terrolle D. dir., 2003* ; Gaboriau P. et
Terrolle D., 2007). Dans cette perspective, la critique de la domination sociale est indissociable du travail de recherche. Pour Patrick
Bruneteaux (2006, 2007a*) par exemple, les sous-prolétaires à la rue
(voir ce concept) subissent une domination sociale, car ils sont considérés comme des surnuméraires : ils sont dominés dans le monde du
travail et subissent des rapports de domination de la part des institutions et de l’État. Pour Carole Amistani, les femmes sans-domicile
subissent une double domination : celle d’être sans-abri et celle d’être
femme. Plus globalement, le paradigme de la domination sociale
permet de penser les rapports qu’entretiennent les personnes sansabri avec le reste de la société et de les situer dans celle-ci.
E
Épreuves de la rue : concept souvent utilisé par les chercheurs du
domaine, qui renvoie à la vie quotidienne des personnes sans-abri
entre rue et assistance. S’il fait écho à celui d’« épreuve » développé
par la sociologie des sciences et de la traduction (Akrich M.,
180
Arpenter le domaine du sans-abrisme
Callon M. et Latour B. dir., 2006), puis par la sociologie pragmatique
de Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991), dans le domaine du
sans-abrisme, il prend néanmoins sa propre source dans les observations de terrain, à la manière d’une « théorie ancrée » (Glaser B. et
Strauss A., 2010). Les personnes sans-abri sont confrontées à de nombreuses épreuves et mises à l’épreuve : soit à travers l’assistance et les
institutions pour avoir accès à certaines ressources, soit à travers le
regard omniprésent de l’autre, dans la rue par exemple. Obstacles,
barrières, frontières, empêchement à agir, contraintes administratives,
problèmes du quotidien, les différentes épreuves de la rue auxquelles
les personnes sans-abri font face via la débrouille (voir ce terme), la
narration de soi (voir Histoire de survie), le travail quotidien de la
justification dans de multiples interactions de face à face, sont autant
de mises à l’épreuve de leur expérience, située dans des environnements de coexistence avec d’autres personnes et de survie au jour le
jour. Les épreuves de la rue sont vécues individuellement, mais elles
donnent à voir des fragments de l’expérience commune de la rue.
Cette acception empirique documente la définition proposée par la
sociologie pragmatique, développée par le Groupe de sociologie politique et morale (GSPM), et plus particulièrement travaillée par Marc
Breviglieri. Dans cette perspective pragmatique, une épreuve peut être
définie comme une tension (ou une série de tensions), que les acteurs
rencontrent dans des circonstances singulières, c’est-à-dire inscrites
dans des dispositifs matériels et qu’ils surmontent (ou échouent à
surmonter) en mobilisant des compétences (Lemieux C., 2009, p. 69).
Une autre définition du concept d’épreuve a également été proposée
par Danilo Martucelli (2006) dans le prolongement des réflexions du
Centre d’analyse et d’intervention sociologique (CADIS) et d’une
sociologie de l’expérience subjective et des dimensions sociétales
(Dubet F., 1995) qui ouvre au dialogue entre les objets de recherche et
les courants de pensée.
Épuisement capacitaire : concept forgé par Marc Breviglieri (2010*), afin
de décrire et comprendre les états affectés des sans-abri, et notamment
les dynamiques de décrochage de l’aide sociale et les situations de
déficit relationnel rencontrées dans les politiques d’activation. Ce
concept se rapproche de celui d’anthropologie capacitaire établi par
Paul Ricœur et repris par ailleurs par Jean-Louis Genard (Genard J.-L.,
1999). Marc Breviglieri s’intéresse, quant à lui, aux anthropologies
capacitaires du point de vue institutionnel : les institutions déploient
181
Vocabulaire du sans-abrisme
des présupposés anthropologiques sur ce dont sont capables et ce en
quoi sont vulnérables les usagers (Breviglieri M., 2008a). L’épuisement capacitaire correspond à un état-limite susceptible de mettre en
question ces présupposés anthropologiques sur lesquels se fondent
notamment les politiques sociales d’activation, y compris dans les
prises en charge dites de « bas seuil » par les professionnels de l’accueil et de l’hébergement des personnes sans-abri. Ce concept permet
de faire « descendre » l’analyse sociologique d’inspiration phénoménologique de l’auteur vers le problème de la « vitalité affectée » de la
personne (que les sciences sociales abandonnent généralement aux
domaines « psy »). Sont ainsi appréhendés certains moments, plus ou
moins durables, dans lesquels les sans-abri peuvent se retrouver :
mutisme, hébétude ou agitations nerveuses qui viennent questionner
l’interface entre le social et le médical (Breviglieri M., 2008b). Devant
la perte progressive ou brutale de la capacité première à vouloir et
pouvoir faire l’expérience du contact, qui altère l’intersubjectivité
dans la relation, il est alors question d’analyser les formes d’interventions professionnelles, dans leurs dimensions techniques, éthiques et
politiques.
Errance : notion polysémique qui a été peu théorisée dans le champ des
sciences sociales. Elle signifie à la fois flânerie et déambulation ; vagabondage, nomadisme ou itinérance (voir cette notion) ; ou encore pèlerinage, périple ou voyage. Dans l’histoire du vagabondage, l’errance
indique le danger que représentent les hommes sans plus d’attaches
territoriales ; au XIXe siècle, l’errance devient une pathologie de la
mobilité (Beaune J.-C., 1983 ; voir Automatisme ambulatoire). Cette
catégorisation sera appliquée au XXe siècle aux jeunes fugueurs et
demeurera encore aujourd’hui une manière de désigner des troubles
psychologiques et des carences relationnelles ou encore une déviance.
Sur le modèle de la sociologie interactionniste de la déviance,
Bertrand Bergier forge le concept de carrière d’errance (voir Carrière
de survie) mais c’est surtout François Chobeaux qui rejoint cette
lignée généalogique en qualifiant d’errance sans but la mobilité des
jeunes nomades du vide (voir ce concept) dont il a étudié les modes
de vie. Sur un registre plus littéraire, l’errance reçoit une connotation
romantique et est associée à des formes de liberté. Dans son célèbre
ouvrage, Nels Anderson refuse d’associer la liberté des travailleurs
itinérants de la première moitié du XXe siècle (les hobos) à un quelconque romantisme (Wanderlust), à l’attrait de l’errance, du voyage,
182
Arpenter le domaine du sans-abrisme
de la migration. Pour lui, leur mobilité est un impératif dans cette
Amérique de la conquête des territoires (Anderson N., 1993, p. 32 et
suiv.). Aujourd’hui, l’association entre errance et liberté peut être
revendiquée par les intéressés eux-mêmes, en référence au mythe de
la route construit à la fin des années 1950 par Jack Kérouac et le mouvement de la beat generation. Selon les contextes et selon les auteurs,
l’errance renvoie à des dimensions organisées et planifiées ou signifie
plutôt désorganisation ou non-planification. Au Québec, la notion
vaut pour synonyme des termes itinérance (voir cette notion) ou
situation SDF (Laberge D. dir., 2000*). Elle sert davantage à qualifier
une dimension de la vie à la rue (circulation au hasard des rencontres)
ou à désigner l’une de ses formes spécifiques (Roy S., 1988). Dans ce
dernier cas, l’errance prend le sens de la forme la moins ancrée de la
vie à la rue, laissant sous-entendre une désorganisation sensible, et
des modalités d’ancrage plus souples et moins pérennes.
Espace intime-espace privé : expressions complémentaires permettant
d’aborder les tensions auxquelles les personnes à la rue sont confrontées dans l’espace public. L’intimité est souvent vue comme le pendant de l’espace privé et en opposition avec l’espace public : selon
Jean-François Laé (2003), l’intimité est à la fois la propriété d’un lieu
et la propriété de soi. Pour les personnes à la rue, l’espace intime
devient problématique : elles n’ont pas de domicile et sont surexposées dans l’espace public. Dans cette perspective, l’exposition de
l’intimité dans l’espace public, à travers le corps notamment, peut
devenir un déni d’intériorité, voire une non reconnaissance de la
personne. L’espace intime-espace privé pour les personnes sans-abri
pose alors la question des aménagements d’un lieu en propre, de la
construction de territoires, d’espaces personnels dans l’espace
public, dans les institutions (les hébergements par exemple) ; mais
aussi de présentation de soi dans les interactions permettant le maintien de soi (Breviglieri M., 2002) (voir Maintien de soi et Chez-soi).
Espace public : concept qui, concernant la situation des SDF, s’entend
comme un espace d’accessibilité au politique (Rancière J., 1998) et
comme un espace concret avec ses ressources et ses aspérités. Dans la
première acception, l’espace public politique est un espace sensible
d’apparition des individus mettant en scène la pluralité des mondes,
des conventions et des appartenances. Notons que le travail statistique participe de cette apparition (Quaglia M., 2005). De cet espace
sensible surgissent des conflits d’usages qui peuvent parfois atteindre,
183
Vocabulaire du sans-abrisme
par un travail de traduction juridique par exemple, la sphère publique
de communication, telle que l’a définie Jürgen Habermas (1987). Les
arrêtés dits « anti-mendicité », discutés en France dans les années
1995, en sont un exemple (Gardella É., 2004) ; les réglementations des
espaces publics à Montréal en sont un autre (Thomas G., 2000). Dans
les travaux portant sur les modes de survie dans la ville, le concept
d’espace public s’entend complémentairement dans sa matérialité
physique, comme un espace de pratiques, d’usages, instaurant des
formes de coprésence et d’inattention civile depuis l’expérience du
citadin de la grande ville explorée d’abord par Georg Simmel et la
sociologie interactionniste, puis prolongée à la fin des années 1980 et
le début des années 1990 (Joseph I., 1992 ; Bidet A. et Le Méner E.,
2013). C’est ainsi que ces formes de coprésence impliquent des ajustements multiples, des rapports discrets ou plus ostentatoires à l’altérité, par exemple dans la pratique de la manche (Pichon P., 1993).
Cette matérialité physique n’est pas étrangère aux dimensions symbolique et imaginaire de la vie collective et engage tout un chacun
dans une expérience sensorielle et morale. Dans la tradition ethnographique, l’analyse des relations en public construit une culture de
la place publique (voir ce concept). Conflits d’usages et d’occupations, visibilité et invisibilité introduisent enfin la question même de
l’habiter (Stavo-Debauge J., 2003 ; Hatzfeld M., 2003).
Exclusion : notion qui apparaît dans les années 1970 (Lenoir R., 1974) et
renvoie, dans la tradition de l’action sociale, aux inadaptations
sociales. Avec la persistance des crises économiques et la remise en
question de certaines mesures de protection sociale, de plus en plus
de personnes sont en marge de la participation et de la production
sociales. On parlera alors d’exclusion sociale comme de la question
sociale marquant les années 1990 (Castel R., 1995). L’exclusion est
interprétée comme un changement de paradigme dans le sens d’une
renonciation à l’idée de progrès continu (Paugam S. dir., 1996).
Malgré ces critiques, elle s’impose autant dans le champ politique
que scientifique. Ainsi, l’exclusion sociale caractérise des situations
de cumul de handicaps et de ruptures de liens sociaux qui plongent
les individus et les familles dans une extrême misère (Paugam S.,
2006). Elle est marquée par une certaine dépendance aux institutions
sociales de prise en charge ou de supports supplétifs ; elle renvoie
aux phénomènes, aux individus et aux situations qui sont dans un
rapport inversé à l’intégration et à l’insertion (Châtel V. et Roy S. dir.,
184
Arpenter le domaine du sans-abrisme
2008). Elle se matérialise dans un cumul de ruptures au niveau économique, matériel et symbolique. Elle évoque désormais la mal-intégration (souffrance de l’échec à l’intégration) et l’infra-intégration (indignité et sous-humanités) (Soulet M.-H. dir., 2004). D’autres notions
ont été proposées pour réintroduire la dimension processuelle de la
pauvreté comme celles de désaffiliation ou de vulnérabilité (voir ces
concepts).
Expérience commune : concept qui renvoie aux visées, regards, perceptions, émotions partagées par un ensemble de personnes ou de
groupes en situation. Ces dimensions qui, tout en n’étant pas exactement de même nature et ne correspondant pas à des situations identiques, comprennent cependant des caractéristiques essentielles. On
dira qu’entre la vie en asile et la vie en prison, il y a une expérience
commune (dépendance, addiction, conséquences personnelles et
environnementales semblables). Pascale Pichon (2010*) emploie cette
notion, non pas dans un sens seulement idéal-typique, comme une
matrice comparative, mais également pour signifier la dimension
historiquement située de la vie à la rue, pour indiquer la conscience
collective du partage de cette expérience extrême vécue, qui donne
lieu à la construction d’une mémoire collective.
Exposition de soi / Présentation de soi : concepts repris à Erving
Goffman (1973) et appliqués aux situations d’interaction des sansabri, dans l’espace public ou au guichet des institutions d’assistance.
L’exposition de soi traduit le moyen pour les personnes sans-abri
d’exprimer face au public les formes de résistances qui s’offrent à
elles, notamment à travers l’activité de la manche. Dans l’exposition
de soi, l’acteur met en jeu sa personne sans vraiment maîtriser les
effets des attributs exposés : pauvreté, dénuement, isolement, alcoolisme (Pichon P., 1995). Dans le travail de la présentation de soi, c’est
de façon plus ferme que les narrations de soi cadrent les interactions.
« L’affichage du corporel comme ruse du faible » est un pendant de
ces deux concepts. La ruse découle d’une analyse de type interactionniste stratégique qui considère ce type de présentation de soi comme
une tactique pour esquiver, ou du moins amortir, diverses formes de
domination sociale (Memmi D. et Arduin P., 2002).
185
Vocabulaire du sans-abrisme
F
Foyer : notion qui fait pendant à celle de domicile, mais sur le registre
plus expérientiel de l’habiter. L’usage du terme de foyer s’inscrit
dans la longue durée historique. Le pauvre sans feu ni lieu décrit par
les historiens du Moyen Âge (Mollat M., 1984) n’a plus d’attache au
lieu d’origine là où sont les protections dans la société féodale. Mais
le mot foyer est également plus concrètement le nom donné aux institutions d’hébergement et autres asiles de nuit par les intéressés.
G
Géographie du savoir-survivre : concept proposé par la géographe
Djemila Zeneidi-Henry (2001), qui apporte une autre dimension à
la première formulation descriptive d’une géographie de la charité
urbaine (Pichon P., 1995) : celle du territoire vécu. La géographie du
savoir-survivre désigne tout d’abord le grand nombre de ressources
plus ou moins accessibles à tous et situées principalement en centreville (ce qui redouble son attractivité). Elle permet ensuite de dessiner les parcours assistanciels personnalisés des SDF dans la ville.
Elle montre enfin l’enfermement des personnes dans le circuit qui en
découle (voir Circuit assistanciel). La géographie du savoir-survivre
renvoie plus précisément à l’appropriation de territoires à l’intérieur
et/ou à l’extérieur de la ville. Elle permet de mieux appréhender les
différents ancrages urbains des personnes à la rue. Celles-ci habitent
l’espace public en le personnalisant, par exemple en dénommant
familièrement les lieux occupés de façon éphémère au cours des activités routinières, sinon en le privatisant, c’est-à-dire en érigeant des
frontières physiques et symboliques pour le préserver des intrus
possibles. Ces espaces constitutifs d’une identité sociale au même
titre que l’adresse pour une personne domiciliée, deviennent alors
des espaces politiques pour les SDF, au sens où ils en revendiquent
ostensiblement l’appropriation et l’usage face aux autres habitants.
Les mobilisations collectives, comme celles initiées par Médecins du
Monde puis poursuivies par les Enfants de Don Quichotte, se sont
appuyées sur ces formes discrètes de revendication de l’habiter en
démultipliant leur visibilité par l’usage de tentes et l’effet de nombre,
en ouvrant le débat public et la négociation politique via une forte
médiatisation.
186
Arpenter le domaine du sans-abrisme
Grand célibataire : ni notion ni concept, le grand célibataire est plutôt un
personnage conceptuel, suivant la proposition de Gilles Deleuze
(1972) en parlant de Vendredi sur son île qui doit s’approprier ses
territoires, aussi réduits soient-ils, pour vivre. Jean-François Laé et
Numa Murard reprennent ce terme (1995) pour parler des hommes
expulsés par le groupe domestique d’appartenance. Ce personnage
conceptuel répond aux caractéristiques suivantes : une désocialisation marquée, une désaffiliation co-produite au fil d’une décennie
dans sa famille, une mémoire en morceaux, une biographie inventée.
L’aboutissement extrême se manifeste par la perte de la structure
autrui qui ordinairement permet de se situer dans de multiples relations sociales. À terme, autrui devient impossible. Grand célibataire,
cela veut dire que ce n’est que dans l’écart violent à autrui que
l’homme à la rue peut faire territoire, comme seul lieu d’expression
d’un monde possible. Raison pour laquelle il ne supporte pas les institutions et les dortoirs, les aides et les rendez-vous, les assignations
et les injonctions (voir Syndrome d’exclusion).
H
Habitat précaire : notion qui rend compte de la diversité des types de
lieux d’habitations possibles relevant de l’expérience de la vie à la rue
(Pichon P., 2002, 2010*). Cette notion basée sur l’approche ethnographique rejoint les résultats d’un ensemble de travaux statistiques qui
cherchent à classifier les différentes formes d’habitat (Clanché F.,
2000). Elle ne recouvre pas exclusivement les situations matérielles de
survie la nuit mais également celles de jour et comprend deux types :
l’abri précaire et l’hébergement social. Le premier est souvent traduit
par « abri de fortune » par les experts en statistiques. Dans ce cadre,
on distingue les lieux privés (cave, usine, voiture, cage d’escalier),
l’espace public et les lieux fermés (station de métro, gare, centre commercial) ou lieux ouverts (rue, jardin public, bois) (Brousse C.,
Massé E. et Rochère B. (De la), 2002). L’habitat précaire désigne ainsi :
« tous les lieux possibles d’occupations des espaces publics et toutes
les réserves territoriales d’appropriation nocturnes » (Pichon P., 2002,
p. 13). L’abri de fortune n’est pas à confondre avec l’habitation de
fortune considérée dans les enquêtes INSEE (Brousse C., Massé E. et
Rochère B. (De la) dir., 2006) qui elle, désigne les constructions non
destinées à l’habitation mais transformées en logement (caravane
187
Vocabulaire du sans-abrisme
immobilisée, baraque de chantier) que l’on retrouve dans la classification « abri précaire ». Le second type, l’hébergement social, s’est
considérablement développé au cours de ces vingt dernières années
offrant une diversité d’hébergements collectifs ou semi-collectifs distincts du logement en termes de droit (voir Hébergement).
Habiter : concept qui s’est imposé dans la seconde moitié du XXe siècle et
largement travaillé par la philosophie, la sociologie, la géographie,
l’anthropologie, l’architecture et l’urbanisme. Les chercheurs sont toutefois nombreux à faire référence à Martin Heidegger (1958a, 1958b) et
Gaston Bachelard (1957) lorsqu’ils utilisent le terme et donc à reconnaître la paternité du concept à la philosophie (Serfaty-Garzon P.,
2003). Dans ce champ d’étude, il sert à distinguer le logement ou le
domicile pour ainsi mettre en exergue la dimension existentielle de
l’habiter et du « ne plus habiter » (Breviglieri M., 2002). Sous cet
angle, la notion est à rapprocher de celle du chez-soi mais également
de celle du maintien de soi (voir cette notion) lorsque l’habiter n’est
plus (Pichon P. dir., 2010 ; Lion G., 2013). Les chercheurs n’interprètent pas tous de la même façon la crise de l’habiter qui se manifeste
sur ce terrain d’enquête. Pour certains, les SDF habitent la ville et ses
interstices en s’appropriant et en marquant les lieux de leur survie
quotidienne (Gaboriau P., 1993* ; Hatzfeld M., 2006), provoquant des
conflits d’usage qui sont alors analysés sur le registre du partage de
l’espace public par les habitants (Stavo-Debauge J., 2003).
Hébergement : notion de l’action publique, distincte de celle du logement. Elle désigne un habitat temporaire, renvoyant « à une idée de
transition et à quelque chose de ponctuel » (Alfandari É. et Tourette F.,
2011, p. 742). Utilisé dans de nombreux domaines des politiques
publiques (tourisme, immigration, santé, vieillissement, handicap,
aide à l’enfance, entre autres), il est, depuis le milieu du XXe siècle, au
cœur de l’assistance de l’État aux personnes dépourvues de logement. Le terme lui-même dans ce secteur est plutôt récent. Son institutionnalisation connaît deux moments importants : d’abord en 1953,
par un décret créant l’aide sociale au logement et à l’hébergement,
puis en 1974 avec la réforme qui crée les Centres d’hébergement et
de réadaptation sociale (CHRS), pendant que subsistent toujours la
Maison de Nanterre (ancien dépôt de mendicité), les asiles de nuit et
les foyers hérités du XIXe siècle (Brégeon P., 2008). L’hébergement social
se développe et se consolide depuis les années 1980 (Alfandari É. et
Maurel E. dir., 1996), connaissant un double processus d’autonomisa-
188
Arpenter le domaine du sans-abrisme
tion (il devient un secteur à part entière de l’action sociale) et de
diversification (les types d’hébergements vont se multiplier, entre
l’urgence, la stabilisation, la réinsertion, les hôtels sociaux, les centres
d’accueil pour demandeurs d’asile et d’autres types d’habitats atypiques ; pour un bilan rapide en Île-de-France, voir Madelaine R.,
2009). Instaurant au sein de l’assistance un rapport à l’espace, au
temps et aux autres, l’hébergement peut être analysé doublement.
D’une part, il fait partie des épreuves de survie (voir cette notion)
centrales du sans-abrisme (Teysonnières G., 1993 ; Pichon P., 1990),
imposant des conditions d’habitat difficiles, voire indécentes, et tendant à sélectionner ses usagers (Soulié C., 2000 ; Brousse C., 2006a*).
D’autre part, du point de vue de l’action publique, il a formé le
« noyau dur » (Damon J., 2012*) des modes de régulation du sansabrisme, se retrouvant au cœur de certaines controverses. Depuis
2009, sa place et sa fonction dans l’assistance sont revisitées dans le
cadre du modèle d’action politique « Logement d’abord » (voir cette
notion). Ces deux axes d’analyse montrent que ce dispositif pourrait
être analysé comme un « instrument » de la régulation du problème
public, c’est-à-dire « un dispositif à la fois technique et social qui
organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique
et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur » (Lascoumes P. et Le Galès P., 2004, p. 13).
Histoire des malheurs / Récits du malheur : concept emprunté à Erving
Goffman (1968, p. 111-112, 207-210), utilisé par de nombreux chercheurs pour désigner les histoires de vie que racontent les personnes
sans-abri. L’histoire des malheurs, « souvent triste, sorte de complainte et d’apologie » (Goffman E., 1968, p. 112), est une histoire qui
justifie leur situation biographique. Ce type de narration advient
dans nombre d’interactions sociales qui nécessitent de fournir
quelques preuves de la situation présente, depuis la plainte mendiante jusqu’au témoignage médiatique. En ce dernier cas, l’histoire
est reconstruite comme celle de la chute sociale, sur un mode positiviste où l’explication logique des causes à effets est privilégiée. C’est
bien souvent une histoire des malheurs qui est également co-produite
avec les intervenants sociaux, quand ceux-ci visent à cerner les
besoins de chacun pour mieux les satisfaire selon les possibilités
qu’offrent les dispositifs sociaux (Girola C., 1996 ; Girola C., 2005,
p. 67). Dans une autre perspective, les récits du malheur sont considérés par les chercheurs (Laé J.-F. et Murard N., 1995) comme un
189
Vocabulaire du sans-abrisme
mode d’exposition qui ouvre à la dimension sensible de l’enquête.
Les récits du malheur permettent d’accéder, comme les archives de
l’historien, aux traces, fragments à partir desquels se forme peu à peu
la connaissance de ces vies vécues.
Histoire de survie : concept qui désigne l’histoire de l’expérience présente, de la vie vécue dans la rue et/ou dans les services d’assistance,
renvoyant aux compétences mises en œuvre pour se maintenir face
aux situations de survie, aux activités quotidiennes. Pour Pascale
Pichon (1995), la forme fragmentée et incomplète de l’histoire de survie répond à la forme de la vie vécue. Plus qu’aux informations que
ces fragments délivrent, il convient d’être attentif à leur forme même,
à l’agencement des contenus, parfois purement imaginaires ou délirants (voir Délires identificatoires), comme le souligne Anne Lovell
(2001). Obstacles à l’unification d’un récit cohérent, ces fragments
sont à déchiffrer comme des symptômes, ouvrant à la compréhension de ces vies. Ces fragments dévoilent la recherche du sens des
épreuves traversées, entre réalité et fiction, et les variations du sentiment de dignité. Le recueil des histoires biographiques au temps de
la survie ouvre à une ethnographie du quotidien de la survie, entre
rue et services d’assistance et permet la compréhension des épreuves
collectives vécues, de leurs impacts sur les personnes. L’histoire de
survie est à distinguer de l’histoire de vie en sociologie (Peneff J.,
1990). Celle-ci est mieux ordonnée, moins fragmentée et se déploie en
situation de ressaisissement de soi. Elle ne peut se délivrer que si le
narrateur se sent suffisamment en sécurité et s’il peut aborder la survie dans une mise à distance réflexive. La tentative de recomposer
l’unité biographique est alors manifeste. L’enchaînement des événements cherche à donner le sens du parcours de vie. Sans aucun doute,
ce travail de la narration de soi est facilité par la mise en récit des
épreuves (voir Épreuves de la rue) ou des événements exceptionnels
de la vie, lorsqu’ils ont été surmontés par le narrateur. La reconstruction biographique opère alors inévitablement une mise en série
d’événements dramatiques ou traumatiques qui n’efface pas l’enjeu
identitaire sous-jacent : se dire même tout en étant autre (Pichon P.,
2011b).
Hospitalité : concept utilisé par les scientifiques du champ d’étude pour
rendre compte de l’accueil réservé à la personne sans-abri dans les
villes. La dimension historique de cet accueil est souvent étudiée,
notamment par Julien Damon (1997) et Marc Hatzfeld (2003). Le
190
Arpenter le domaine du sans-abrisme
premier discute d’hospitalité limitée pour caractériser l’accueil des
institutions, interprété comme un palliatif au sens où il est spécifiquement réservé au pauvre.
Anne Gotman, dans le cadre du programme Ville et Hospitalité (19952001) mobilise le terme d’hospitalité comme une « valeur inspiratrice
de pratiques ou en contradiction avec elles et comme un ensemble
de pratiques (politiques, juridiques et sociales) plus ou moins codifiées destinées à encadrer l’arrivée et le séjour non seulement de
l’étranger stricto sensu mais de tout groupe, famille ou individu qualifié comme “autre” en vertu de sa provenance, de sa mobilité, de sa
culture ou de sa religion, susceptible de devoir compter avec cette
altérité pour pénétrer la cité économique ou simplement l’organisation » (Gotman A., 2004, p. 3). Elle signale que les « étrangers de l’intérieur » (les « miséreux », les « vagabonds », les « sans domicile
fixe ») « sont les voyageurs pauvres dont les localités se protègent
en les installant dans le provisoire, en organisant une intégration à
la marge… » (Gotman A., 2004, p. 2) « suivant sur ce point le modèle
asymétrique de l’hospitalité qui confère à l’étranger une infériorité
de droit et de position » (Gotman A., 2004, p. 5). Dans sa recherche
sur la polémique centenaire autour de la présence dérangeante de
la Maison de Nanterre – établissement né à l’époque de la répression par l’enfermement des mendiants et vagabonds qui accueille
aujourd’hui des personnes en grande difficulté et sans logement –
dans la commune éponyme, Claudia Girola rend compte quant à
elle de la construction d’un discours produit par différents acteurs
(Mairie de Nanterre, Mairie de Paris, personnel et direction de l’institution et habitants riverains) qui tend à toujours séparer les habitants de la commune et les hébergés de la Maison de Nanterre. Ces
derniers sont considérés comme des « étrangers à la ville » que
« rien n’enracine et qui traverseraient les territoires sans laisser des
traces : les hommes ni d’ici ni d’ailleurs ». L’auteure montre ainsi les
limites de l’hospitalité de la ville qui ne serait ici que le pouvoir de
choisir, de sélectionner et surtout de tracer les frontières (Girola C.,
2000). L’inhospitalité de la ville renvoie enfin aux arrêtés dits antimendicité que les chercheurs ont analysés de façon critique tant
dans leur fondement que dans leur application (Mazet P., 1998* ;
Fournier F., 1998 ; Bonnaure M., 2001 ; Gardella É., 2004), ainsi
qu’aux pétitions des commerçants ou encore à des mouvements qui
ont été qualifiés de NIMBY (Not In My Back Yard ; LoisonLeruste M., 2009).
191
Vocabulaire du sans-abrisme
I
Identité revendiquée / Identité assignée : concepts issus de la sociologie interactionniste pour rendre compte des multiples compositions
identitaires dans les processus de stigmatisation où le stigmate,
selon sa visibilité et sa reconnaissance par autrui en situation, opère
une distinction entre les individus, discrédités ou discréditables
(Goffman, 1975). Dans l’héritage de Ralph Linton (1968), qui distinguait entre les statuts attribués (ascribed) et les statuts conquis (achieved), Erving Goffman (1975) a par ailleurs distingué entre l’identité
assignée et l’identité revendiquée pour soutenir l’idée de la capacité
de la personne à dépasser voire renverser son image stigmatisante.
Pascale Pichon montre comment l’identité sous tension du sans-abri
conduit à des ajustements identitaires entre assignation et revendication dans les interactions publiques telles que la manche ou les
regroupements entre pairs. L’installation du phénomène dans la
sphère publique a par ailleurs permis à certains de gravir les étapes
de la reconnaissance publique (Pichon P., 2002) via la sphère médiatique. Plus largement, le dipôle identité assignée/revendiquée est
souvent repris par les travaux sur les mobilisations collectives des
personnes à la rue (voir Supra, chapitre III.1).
Inclusion périphérique : concept qui désigne une précarité institutionnellement aménagée par le circuit assistanciel (Bruneteaux P., 2006*).
À travers l’analyse des centres d’hébergement d’urgence (CHU),
Patrick Bruneteaux souligne l’enfermement paradoxal des personnes
sans-abri dans les dispositifs censés les aider à sortir de la rue.
L’urgence sociale a pour objectif la mise à l’abri en vue d’une solution
pérenne dans le système d’hébergement d’insertion. Mais cette organisation des CHU (règlements, espaces collectifs, accueil de courte
durée, absence d’intimité) a pour effet non voulu d’inscrire les sansabri dans un « système » qui les met en flux (Soutrenon E., 2001) et
les épuise (circulation d’un service à un autre, d’une ressource à
une autre, impossibilité de se poser et de se reposer). Le concept
d’inclusion périphérique pointe le fait que l’urgence sociale est
détachée du reste du système assistanciel, et qu’elle maintient « les
surnuméraires » dans une précarité extrême. Au niveau des politiques publiques, la mise en place de la politique dite du Logement
d’abord (voir cette notion) provient également du constat de la crise
de l’urgence sociale.
192
Arpenter le domaine du sans-abrisme
Inconditionnalité : notion de l’action publique, qui désigne un principe
central dans l’assistance aux personnes sans-abri telle qu’elle s’est
développée depuis les années 1980 autour d’actions d’urgence sociale
et institutionnalisée dans les dispositifs de veille sociale (Gardella É.,
2013). Héritée de la charité chrétienne et de la tradition universaliste
des droits de l’Homme (qu’elle prenne la forme solidariste ou qu’elle
se rapproche de l’éthique humanitaire), elle signifie que toute « personne en détresse », au nom de sa dignité, doit être accueillie dans les
dispositifs d’urgence sociale et bénéficier de nourriture, de vêtements,
de soins primaires, d’orientations sociales et d’un abri. Ce principe
s’est institutionnalisé depuis le début du siècle nouveau : d’abord
recommandé par les instances du logement (voir le Rapport du Haut
comité pour le logement des personnes défavorisées, 2004), il a ensuite
été inscrit dans le droit (art. 73 de la loi 2009-323 du 25 mars 2009, art.
L. 345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles), pour récemment
faire l’objet d’une ordonnance du Conseil d’État qui, suite à une
requête en contentieux soutenue par le DAL, précise que le non
respect de la loi constitue une « atteinte grave à une liberté fondamentale » (ordonnance du 10 février 2012, M. A. n° 356456). C’est un
devoir politique et moral que s’impose la collectivité, au nom des
droits fondamentaux. Elle fait exception dans le paysage des politiques sociales, au sens où, n’imposant aucune contrepartie en droit,
elle se démarque de la logique de la contractualisation et de l’éthique
du projet qui constituent le socle de l’aide sociale et en particulier de
l’insertion. Son effectivité est cependant compliquée par un manque
de ressources, en particulier de places d’hébergement, ce qui place les
intervenants sociaux face à des dilemmes de justice sociale, tiraillés
qu’ils sont entre inconditionnalité de droit et équité de fait (Cefaï D.
et Gardella É., 2011*, p. 69-108).
Insertion / Réinsertion : notions de l’action sociale devenues courantes
chez les travailleurs sociaux et les intéressés depuis la mise en place en
1988 de l’allocation française du Revenu minimum d’insertion (RMI).
Il peut s’agir d’une insertion/réinsertion orientée vers différents
domaines de la vie sociale, soit le travail, le logement, la famille ou
encore la santé. Cette insertion/réinsertion est bien souvent l’enjeu du
contrat passé entre l’institution et la personne aidée. Concrètement,
celle-ci doit, dans un temps donné, (ré)affirmer sa position sociale
dans un environnement dans lequel il n’a pas ou plus sa place. Un
nombre conséquent de chercheurs ont analysé de manière critique les
193
Vocabulaire du sans-abrisme
tenants et les aboutissants de cette démarche professionnelle auprès
des personnes sans-abri (Rouay-Lambert S., 2001 ; Poirier M., 2003 ;
Thalineau A., 2003). Daniel Terrolle dénonce dans son enquête sur les
morts de la rue les faibles possibilités de réinsertion des personnes
sans-abri ; la prise en charge assistancielle apparaît inefficace face au
nombre de morts (Terrolle D., 2003*).
Invisibilité : notion descriptive et critique, le plus souvent associée à
son contraire : la visibilité. La tension entre visibilité et invisibilité
des personnes sans-abri dans l’espace public, mais aussi dans le
débat public, apparaît de manière transversale dans la plupart des
travaux des chercheurs. L’invisibilité semble plus aiguë lorsqu’elle
concerne la mise en circulation (Gardella É., 2004) ou la mise en flux
(Soutrenon E., 2001 ; voir ces deux concepts) des personnes dans les
espaces publics, quand elle est au point de départ d’une interrogation
sur les morts de la rue (Terrolle D., 2005) ou quand elle est liée aux
questions de genre. Concernant ce dernier point, la visibilité est ambiguë pour les femmes à la rue : minoritaires par rapport aux hommes
dans l’espace public, elles sont plus souvent prises en charge par les
professionnels du circuit assistanciel qui les orientent dans des institutions spécifiquement réservées aux femmes (Amistani C., 2005,
2001*). Leur quasi invisibilité dans l’espace public résulte également
d’une plus grande possibilité d’être hébergées chez un tiers (famille,
entourage) (Marpsat M., 1999a). Enfin, certains auteurs se penchent
plus particulièrement sur la tension entre visibilité et invisibilité en
observant les relations entre les personnes sans-abri et les passants
(Haztfeld M., 2005).
Itinérance : notion ou concept qui qualifie le mode de vie des gens qui
vivent à la rue, que l’on nomme au Québec les personnes itinérantes
(Laberge D. dir., 2000*). Tandis que le terme franco-français sans-domicile-fixe est une catégorie juridico-administrative, devenue depuis le
début des années 1990 un sigle et une désignation de sens commun
(SDF), le terme itinérance a muté en une construction sociologique
québécoise. Au départ, la désignation « itinérant », provient des
milieux de la pratique professionnelle. De fait, dans les années 1970
et 1980, les intervenants sociaux nommaient ainsi les individus fréquentant les refuges et les ressources communautaires dédiées aux
personnes à la rue en raison de leur itinéraire quotidien caractérisant
leur circulation entre les ressources d’aide. Tout au long de ces trente
dernières années et en partenariat avec des milieux de la pratique
194
Arpenter le domaine du sans-abrisme
professionnelle, les travaux des chercheurs ont dessiné les limites
d’une définition du concept d’itinérance en quatre temps (Roy S.,
2012). Au début des années 1980, une attention plus grande est portée
au processus d’arrivée à la rue, afin de marquer une distance avec
une analyse reposant uniquement sur des caractéristiques individuelles de ceux qui étaient jusqu’alors nommés « les robineux ».
L’usage du terme itinérant permet, en second lieu, de lever l’hypothèque d’une désignation strictement négative et de placer le lieu
d’explication au niveau de la mobilité et du déplacement. En troisième
lieu, le terme itinérant va être délaissé par les chercheurs au profit de
celui de « personne itinérante ». L’itinérance ne devient ainsi que l’une
des caractéristiques des personnes ; plus encore, l’expression « personne itinérante » réintroduit le statut d’acteur : une personne capable
de choix, de réflexivité, d’actions, même si ce ne sont pas celles généralement attendues des instances sociales qui les accueillent. Enfin,
une ultime étape marque le passage d’un regard porté sur la personne
itinérante à la situation d’itinérance. Ici, l’analyse s’attarde sur cette
production sociale à la jonction du politique et de l’individuel.
L’itinérance n’est ni un statut, ni ne recouvre stricto sensu une population, mais dessine plutôt une constellation de situations. Elle englobe
une diversité de problématiques, depuis l’absence d’adresse fixe et de
logement stable, sécuritaire et salubre, la faiblesse des revenus jusqu’à
l’accessibilité discriminatoire aux services. L’accent est mis sur les
contextes et les conditions dans lesquels des personnes se trouvent et
qui se caractérisent par une très grande fragilisation des repères et des
ancrages : diversité et multiplicité des problèmes de santé physique,
santé mentale, toxicomanie, violence familiale, désorganisation sociale
ou détachement des groupes d’appartenance stable (Hurtubise R. et
Roy S., 2008). La situation d’itinérance se comprend au croisement
d’explications de nature structurelle, institutionnelle et individuelle
qui construisent la biographie individuelle des personnes à la rue.
L
Liminarité : concept classique de l’anthropologie, utilisé pour l’analyse
du sans-abrisme de façons différentes par les anthropologues Daniel
Terrolle (1995) et Claudia Girola (1996, 2007*). Daniel Terrolle reprend
les travaux d’Arnold Van Gennep (1909) sur les rites de passage afin
d’analyser le statut de SDF. Il met l’accent sur l’accumulation des
195
Vocabulaire du sans-abrisme
pertes sociales qu’ils subissent et affirme que c’est lorsque ces derniers accèdent à la liminarité, étape transitionnelle qui suit la perte de
leurs différents statuts (travailleur, père de famille) qu’ils entrent
dans une zone dangereuse où le comportement des êtres devient
« antisocial ». Dans cette étape, c’est surtout la durée qui, aux yeux de
Daniel Terrolle, détermine le degré de « décomposition sociale » et
les conditions d’accès à l’étape de réintégration qui rendraient à la
personne SDF un nouveau statut. « Plus la durée est étalée plus la
décomposition se déploie » affirme l’auteur. La liminarité devient
ainsi synonyme de mort sociale et/ou de mort tout court. Claudia
Girola reprend aussi ce concept mais dans le sens de Victor Turner
(1988). Ce dernier, tout en s’inspirant d’Arnold Van Gennep, approfondit la notion de liminarité en mettant en évidence sa dimension
positive : la libération des restrictions des rôles sociaux prescrits.
Claudia Girola, insistant sur le fait que les personnes sans-abri se trouvent dans une situation de vie extrême qu’elle associe à la liminarité,
propose d’analyser cette dernière comme une véritable expérience où
se déploie une tension quotidienne entre une identité fondée sur la
dépossession économique et identitaire (liminarité imposée ou subie)
et la lutte pour l’affirmation et reconnaissance de soi (liminarité
construite). Cette liminarité n’est plus conçue comme un état passif
vers la chute inexorable des personnes mais comme une condition
active où se joue, de manière indissociable, leur survie matérielle et
morale.
Logement d’abord : issue de la traduction de « Housing first », programme de politique publique mis en œuvre en Amérique du nord
et dans certains pays d’Europe (Finlande, Danemark), cette notion
symbolise le nouveau modèle dominant de l’assistance aux personnes
sans-abri dans les pays occidentaux (Pleace N., 2011). Ce modèle
s’oppose explicitement au modèle dit « en escalier », où le passage de
la rue au logement autonome (voir Autonomie) devait se faire par
étapes dans différents types d’hébergements, depuis l’urgence jusqu’à l’insertion en passant par la stabilisation. Il tente de dépasser les
critiques faites à la politique publique précédente : le coût (multiplication des offres d’hébergements atypiques), l’inefficacité (le statut de
locataire n’advient que très rarement), l’injustice (les personnes les
mieux dotées en ressources sont favorisées). En France, le Logement
d’abord est l’axe directeur de l’action publique du Secrétariat d’État
au Logement et à l’Urbanisme depuis le 10 novembre 2009 mais sa
196
Arpenter le domaine du sans-abrisme
mise en œuvre semble largement rhétorique, les hauts fonctionnaires
comme les acteurs du logement social et de l’hébergement établissant
des distinctions entre « personnes prêtes au logement » et « personnes en préparation au logement », ces dernières devant encore et
toujours en passer par la case hébergement (Houard N., 2011). Encore
largement inappliquée, cette politique publique se fait uniquement
dans le cadre d’expérimentations touchant des personnes souffrant
de troubles sévères de santé mentale dans le programme « Chez-soi
d’abord » (voir Chez-soi).
M
Maintien de soi : concept né de l’anthropologie philosophique (Ricœur P.,
1985, 1990 ; Abel O., 1995). Dans le champ d’étude propre à cet
ouvrage, le maintien de soi est largement développé dans les analyses qui portent sur les questions identitaires. Pascale Pichon et Marc
Breviglieri sont les auteurs principaux qui reprennent cette notion au
regard de la question de l’habiter, mais avec des nuances significatives. Pascale Pichon met au centre de son concept le récit de soi (pour
soi et pour les autres), qui se construit dans les interactions de face à
face et qu’elle relie directement au fait de ne pas habiter dans un lieu
à soi, sécurisé et pérenne. Marc Breviglieri détache le maintien de soi
du récit, en l’opposant notamment au concept de présentation de soi
(voir ce concept), et le tient en réserve pour y faire figurer les éléments matériels et affectifs de sédimentation stabilisatrice nécessaires
à la personne pour se maintenir dans un futur et se rendre digne de
confiance (Breviglieri M., 2002). Les deux auteurs empruntent des
voies différentes, pour montrer en quoi le maintien de soi est mis en
tension, voire totalement ébranlé pour les personnes vivant une expérience de rue ou d’habitat précaire. Dans cette épreuve du maintien
de soi, la personne sans-abri peut faire face en trouvant par exemple
dans l’espace urbain des lieux suffisamment sûrs pour se préserver.
Sur le versant opposé au maintien de soi, les chercheurs observent
des formes d’abandon de soi (Laé J.-F., 1993), d’épuisement capacitaire (Breviglieri M., 2010* ; voir ces termes) ou de perte du souci de
soi (Pichon P., 1995) marquant d’une part l’effacement progressif de
la frontière entre le dedans et le dehors, d’autre part le début d’un
cheminement qui rend impossibles les échanges avec le reste de la
société.
197
Vocabulaire du sans-abrisme
Maraude : terme métaphorique utilisé par Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social de Paris, pour nommer l’action des équipes
mobiles qui vont à la rencontre des personnes SDF dans la rue (voir
Aller vers). Il fait référence aux taxis qui tournent à vide à la recherche
de clients. Ce terme est loin de faire consensus dans le monde de
l’assistance des personnes sans-abri. D’autres acteurs associatifs, qui
critiquent aussi l’urgence sociale, lui préfèrent la notion de travail
de rue, afin d’affilier leur travail à la profession des éducateurs de
rue. Maraude et travail de rue pointent ainsi vers deux généalogies et
deux mondes professionnels différents : le premier, vers le monde de
l’urgence médicale, de la médecine coloniale et de l’action humanitaire ; le second, vers les métiers du travail social institutionnalisés
au cours de la seconde moitié du XXe siècle (Céfaï D. et Gardella É.,
2011*).
Marginalité : notion de l’action publique qui apparaît au cours des
années 1970 et qui participe à envisager la pauvreté comme un problème social. Dans le champ des sciences sociales, elle est utilisée
comme concept pour décrire les continuités historiques des perceptions de la pauvreté (Gueslin A., 2004). La catégorie est relevée dans
les traitements publics de la pauvreté qui considèrent les pauvres en
marge de la société et qui développent l’idée selon laquelle les individus portent l’entière responsabilité de leur pauvreté ou de leur
retard, plaçant – à l’instar du concept d’exclusion – le marginal ou
l’exclu en dehors de la société. L’approche socio-historique du traitement de la question sociale (Castel R., 1995), dans sa visée critique
des théories actuelles de l’exclusion, insiste surtout sur les processus
sociaux structurels, législatifs et réglementaires qui conduisent, via
la marginalisation, à la désaffiliation*. Cette approche a largement
influencé le domaine du sans-abrisme, sans que ne soit véritablement discutée la marginalité que représentent, dans cette théorie, les
incarnations actuelles de ce que Castel nomme « l’individu négatif ».
A contrario, l’homme marginal de la tradition sociologique de Chicago
(Grafmeyer Y. et Joseph I. dir., 1979), n’est pas un personnage négatif mais bien un personnage conceptuel de l’urbanité contemporaine
qui dévoile des formes de désorganisation et d’organisation sociales
et territoriales. Dans cette tradition théorique, et sur le plan de la
marginalité urbaine, tout à la fois géographique et sociologique, certains chercheurs accordent une attention soutenue à la dimension
spatiale de l’inscription sociale des personnes sans-abri, dans leur
198
Arpenter le domaine du sans-abrisme
lutte pour survivre dans les métropoles (Snow D. et Mulcahy M.,
2002*).
Médicalisation : concept qui décrit un processus au cours duquel un
problème social passe d’une définition en termes de déviance, à une
définition en termes de santé (Conrad P. et Schneider J., 1992).
Identifié par Talcott Parsons dans sa comparaison des rôles de
malade et de déviant, ce processus est repérable dans la qualification
et la catégorisation de nombreux problèmes sociaux, comme la prostitution, la toxicomanie, l’alcoolisme ou l’homosexualité. Le vagabondage entre clairement dans cette classe de phénomènes : longtemps
pris entre charité privée et répression d’État, il a fait l’objet d’une première médicalisation à la fin du XIXe siècle (Guillou J., 2006 ; voir aussi
Automatisme ambulatoire). Cette médicalisation a coexisté avec la
répression pénale, à la différence du deuxième type de médicalisation
qui a eu lieu à la fin des années 1980, avec le développement de l’urgence sociale (voir cette notion). Celle-ci s’inscrit dans un contexte de
très faible application des délits de mendicité et de vagabondage, et
accompagne même leur dépénalisation votée en juillet 1992, dans le
cadre du Nouveau Code pénal. Mais ce vaste processus prend de multiples visages : la pathologisation de la vie à la rue (voir Syndrome
d’exclusion), la psychologisation de l’intervention sociale (Bresson M.
dir., 2006) auprès des personnes sans-abri par le développement
d’équipes mobiles spécialisées dans le soin psychiatrique, la mobilisation de médecins faisant de l’accès aux soins la priorité dans l’assistance aux « grands exclus », l’étude de la prévalence de certaines
maladies mentales chez les personnes sans-domicile (Laporte A. et
Chauvin P. dir., 2010), l’usage diffus et pluriel de la notion de désocialisation par les intervenants sociaux pour catégoriser les situations
sur lesquelles ils travaillent. Si la médicalisation est assurément un
processus central dans l’évolution contemporaine du sans-abrisme,
elle n’est certainement pas réductible à une pathologisation de la vie
à la rue.
Mendicité : notion d’une grande densité historique qui a donné lieu à
tout un ensemble de recherches analysant cette activité sociale sous
de nombreux angles. Les recherches sur la mendicité dans le champ
renvoient à l’histoire même de cette activité (Damon J., 1995* ;
Pichon P., 1995, 2010*) ; au statut de celui qui la pratique : mancheur,
mendiant, vagabond ou exclu (Pichon P., 1993 ; Sayah J., 1998 ;
Veysset N., 1999 ; Stettinger V., 2003a* ; Deslhoste F., 2001) ; à la nature
199
Vocabulaire du sans-abrisme
de l’activité en elle-même : un travail ou un délit (Pichon P., 2010* ;
Deschamps E., 2000) ; à sa reconnaissance dans l’espace public : droit
de mendier, arrêté anti-mendicité, délit, historicité des représentations sociales dans le discours juridique et dans l’arène publique
(Sayah J., 1997 ; Mazet P., 1998* ; Bertrand V., 2003 ; Gardella É., 2004 ;
Viret J.-L., 2006 ; Choppin K., 2006).
Mineur isolé étranger : le « mineur isolé étranger » est une catégorie
récente qui a émergé en France au début des années 2000. Ce terme
qui recouvre une multiplicité de parcours, désigne des jeunes étrangers âgés de moins de 18 ans entrés sur le territoire national sans être
accompagnés de leur référent légal ou qui se retrouvent seuls ensuite.
En raison de la situation de danger dans laquelle ils se trouvent au
regard de leur isolement juridique, ceux-ci bénéficient en principe
d’une protection au titre de l’enfance en danger. Situé au croisement
de deux champs législatifs distincts que sont celui de l’enfance en danger et celui de l’immigration, le traitement social et politique de ces
mineurs atteste des tensions qui demeurent entre deux logiques
contradictoires : protection inconditionnelle de l’enfant et surveillance
de l’étranger qu’il représente. Oscillant tour à tour entre la figure du
mineur, enfant victime à protéger et à insérer dans le cadre des dispositifs institutionnels, et celle de l’étranger à éloigner ou délinquant
à réadapter, ces jeunes migrants demeurent soumis aux injonctions
paradoxales de l’État dans le traitement de leur situation. Lorsqu’ils
demeurent à l’écart des dispositifs d’aide, ces mineurs et anciens
« mineurs étrangers non accompagnés » se déplacent entre les interstices de la ville, à travers la rue, les squats, les institutions du travail
social, subissant également pour certains l’expérience de l’enfermement, et en empruntant d’autres chemins pour trouver l’existence à
laquelle ils aspirent depuis leur départ.
Mise en flux / Mise en circulation : concepts issus d’expressions courantes, visant à caractériser le mode d’exercice du contrôle social
sur les personnes sans-abri, dans un contexte historique inédit qui
a vu la dépénalisation des délits de mendicité et de vagabondage
(juillet 1992). Cette disparition, concomitante d’une institutionnalisation croissante des dispositifs d’assistance, ne signifie pas la fin de
pratiques multiséculaires de répression des individus ou des groupes
ne disposant pas d’un logement ou recourant à la mendicité. Après
s’être appuyé sur les hôpitaux généraux, les dépôts de mendicité et les
prisons, le contrôle social s’exerce au niveau local, dans les espaces
200
Arpenter le domaine du sans-abrisme
publics, par l’intermédiaire des forces de l’ordre mettant en œuvre une
répression sans pénalité par le déplacement d’un site à un autre.
Cette pratique de régulation a reçu plusieurs interprétations. Le
concept de mise en flux, dans une veine d’inspiration critique, intègre
non seulement les activités des forces de l’ordre, mais également le
fonctionnement des dispositifs d’assistance. Il rapproche les pratiques
de déplacement contraint (via les arrêtés anti-mendicité municipaux
ou des pratiques de police économique), de l’organisation des centres
d’hébergement d’urgence, où la durée de séjour limitée contraint les
usagers à mener une quête perpétuelle d’un lieu où se reposer. Selon
une logique analogue à celle de l’activation, où l’intérêt de la protection sociale rencontre celui de la personne assistée, assistance et
contrôle social convergent quand il s’agit de faire sortir les personnes
sans-abri du métro parisien, pour la tranquillité des voyageurs, la
santé commerciale de la RATP et le bien-être des personnes ellesmêmes (Soutrenon E., 2001 ; pour le cas de Montréal, voir Bellot C. et
Cousineau M.-M., 1996). Dans ces divers cas, la mise en flux pointe un
mode de contrôle social commun à l’assistance et à la répression, dont
l’objectif plus ou moins voilé est l’invisibilisation des pauvres dans les
espaces publics. En témoignent les dispositifs anti-SDF qui fleurissent
dans de nombreuses villes (Bonnaure M., 2001 ; Terrolle D., 2004).
Le concept de mise en circulation, fidèle à une perspective qui se
veut d’abord compréhensive avant d’être critique, s’appuie quant à
lui sur une démarcation entre dispositifs d’assistance et dispositifs
de contrôle social. Si les intervenants sociaux peuvent être amenés à
exercer des formes diverses de pouvoir sur les personnes sans-abri, il
paraît difficile de rabattre sur cette seule dimension leurs pratiques
de soin, d’écoute, d’attention, de reconnaissance. La spécificité de la
pratique répressive peut ainsi être caractérisée, en se focalisant sur les
controverses qui ont eu lieu au cours des années 1990 autour des arrêtés anti-mendicité et de leur judiciarisation devant les tribunaux administratifs (Gardella É., 2004). La conformation à la loi de la répression
municipale des personnes sans-abri s’est appuyée sur le droit à la
libre circulation dans les espaces publics. La mendicité a été mise en
équivalence avec la vente de glaces, afin de rendre compatible avec
les catégories du droit la prise d’arrêtés restreignant la mendicité
dans l’espace et dans le temps. Le raisonnement répressif est le suivant : en tant qu’entraves à la libre circulation, les personnes sans-abri
installées dans les espaces publics doivent elles-mêmes être mises en
circulation (Gardella É., 2004 ; Gardella É. et Le Méner E., 2005). Cette
201
Vocabulaire du sans-abrisme
logique s’inspire également de la criminologie américaine qui a théorisé les « incivilités ». Dans cette perspective de contrôle social, ce
n’est plus tant la déviance vis-à-vis des institutions (famille, travail,
sédentarité) qui est réprimée, que le risque de dégradation du fonctionnement, de l’image et de la valeur d’un espace public (Wilson J. et
Kelling G., 1982 ; pour le cas des homeless vendeurs de rue à New
York, voir Duneier M., 1999). Le concept de mise en circulation permet alors de porter attention aux variations spatiales des stratégies de
contrôle social. Elles s’effectuent essentiellement dans les espaces dits
« principaux » et de « transition », les espaces « marginaux » étant
moins touchés par ces pratiques répressives (Snow D. et Mulcahy M.,
2002*). Ces variations dans la qualification des espaces sont l’une des
causes des sporadiques convergences entre assistance et répression.
Ainsi, c’est lorsque des espaces marginaux deviennent des espaces
centraux, que les services d’assistance se retrouvent instrumentalisés
comme dispositifs de mise en circulation (Gardella É., 2010)
Mobilité : concept qui s’entend dans le sens sociologique classique
comme mobilité sociale ascendante ou descendante et comme mobilité
résidentielle ou a-résidentielle. En ce dernier cas, le concept signale les
personnes non logées qui n’accèdent pas au droit au logement et qui
tournent à l’intérieur du circuit assistanciel (voir cette expression)
sans en sortir. Il s’entend également au sens géographique pour indiquer les parcours quotidiens des personnes dans la ville et la manière
dont elles l’appréhendent à travers leurs itinéraires de survie, comme
l’a par exemple montré Djemila Zeneidi-Henry au moyen de cartes
mentales réalisées avec les personnes (2002*). Il se rapproche en ce
cas de la notion d’« itinérant » utilisée par les professionnels québécois des milieux de pratiques communautaires (voir Itinérance). Dans
une approche plus généalogique, la mobilité est rattachée à la figure
du vagabond et signale d’autres types d’itinérance au long court ou
d’errance (voir cette expression).
Mobilisation de soi : expression utilisée dans l’analyse du processus de
la sortie de la rue (Pichon P., 2005b, 2005c). Faisant suite à l’analyse
du maintien de soi (voir ce concept), cette expression tente de saisir
une autre dynamique que celle de la survie. C’est dans le processus
de reconversion biographique (voir ce concept) que s’attestent des
formes différenciées de mobilisation de soi. Bien que personnelles,
celles-ci s’inscrivent dans des cadres sociaux institutionnels ou plus
informels où la part de la rencontre avec autrui devient significative
202
Arpenter le domaine du sans-abrisme
dans l’action. Elles s’inscrivent également dans des mouvements collectifs et rendent visibles, en ce dernier cas, des engagements collectifs dans l’espace public, tels que les occupations de squats ou les
modes coopératifs d’engagement militant dans l’action. Elles participent à la construction d’une mémoire et d’une conscience collectives
de l’expérience commune (voir ce concept) de la survie. Les formes
de mobilisation de soi s’accompagnent de récits personnels et/ou
collectifs qui étayent la conquête de nouvelles prises identitaires.
Elles participent au ressaisissement de l’histoire biographique.
Monde(s) de la rue : expression utilisée par de nombreux journalistes ou
chercheurs mais aussi par les personnes sans-abri. Cette notion renvoie à une vision d’un mode de vie rude et risqué, spécifique à ceux
qui vivent à la rue. Lorsqu’elle est référée à la théorie culturaliste
(Lewis O., 1963, 1969), la notion dessine un univers en soi, composé
d’une culture propre au groupe social qui y vit, une culture ou une
sous culture dominée qui s’acquiert et se transmet (Gaboriau P.,
1993*). Dans la tradition sociologique de Chicago, explorer les mondes
de la rue, comme dans la sociologie de la déviance (Becker H., 1985),
c’est s’engager dans l’observation de territoires urbains marginaux
(voir Marginalité), ici au sein même du monde ordinaire de la précarité et de la pauvreté. Les codes, rites, stratégies sont des indices des
mondes de la rue où se cotoient les expériences de la prostitution, de
la drogue, de la survie, sans que celles-ci ne soient forcément toutes
vécues par les personnes sans-abri.
N
Nomades du vide : notion forgée par François Chobeaux (1996, 2009*).
L’auteur use de cette formule imagée, pour montrer combien le
nomadisme, ou plutôt les déplacements aléatoires et impulsifs font le
quotidien de ces « jeunes en errance » et structurent leur vie : pas d’itinéraires pré-établis, pas de but ; l’agir est leur seul moteur. L’auteur
interprète la revendication de leur statut, aux antipodes de la plainte
sociale et du rêve d’insertion normalisée. En accord avec la vision des
intervenants sociaux qui travaillent avec eux, il observe que la revendication radicale, anarchiste et punk, se manifeste envers et contre
toute logique : l’errance, ou plutôt leur forme d’errance, leur façon
d’habiter l’errance, est pour eux une façon de résister, de se protéger.
203
Vocabulaire du sans-abrisme
François Chobeaux observe que peu à peu les déplacements font
place à une sédentarisation socialement assistée. Il ne reste alors des
« starlettes punks des places publiques » que les blousons et les souvenirs, dans un devenir de clochards inhabituels, toujours aussi
revendicatifs et rebelles à la société malgré toutes les évidences de la
souffrance intime et de la dépendance au social.
Norme logement : extension conceptuelle forgée par Maryse Bresson
(1997*), dans le but de compléter le modèle d’analyse élaboré par
Robert Castel dans Les Métamorphoses de la question sociale (1995). Dans
les années 1980, le thème de l’exclusion est travaillé par les chercheurs en référence à la norme du travail. Les dysfonctionnements
sur le marché de l’emploi conduisent des individus à vivre dans la
honte et l’humiliation. La visibilité croissante des personnes sans-abri
dans les années 1990 montre qu’une personne peut tout à fait travailler, mais pourtant subir une forme d’exclusion en raison de dysfonctionnements sur le marché du logement. La norme logement
désigne ainsi la nécessité d’avoir un toit et une adresse pour pouvoir
être intégré au corps social et éviter des sanctions diffuses.
P
Pair-aidant : notion adoptée au Québec au tournant des années 2000 à la
suite d’expériences nord-américaines menées dès les années 1980, qui
désigne initialement des intervenants recrutés parmi des usagers de
santé mentale en situation de rémission ou de stabilisation et pouvant, par leur expérience spécifique, soutenir leurs pairs dans leur
rétablissement (Lagueux N., Charles N. et Harvey D., 2008). Elle s’est
ensuite diffusée dans des champs connexes de l’intervention auprès
de personnes en situation de grande vulnérabilité : travail de rue
auprès des « itinérants », soutien à l’autonomie de personnes en
situation de handicap, réduction des risques auprès des usagers de
drogues. Dans tous les cas, l’expérience et le savoir profane de ces
patients devenus experts sont en effet mobilisés dans l’accompagnement social, dans le processus de reprise du pouvoir sur sa vie
(empowerment), la prévention de la stigmatisation (Roelandt J.-L.,
Daumerie N. et Caria A., 2007 ; Bolle A., 2007), l’adhésion aux traitements ou services proposés. Bénévoles ou salariés (travailleurs pairs),
partenaires, médiateurs ou auxiliaires des intervenants classiques, les
204
Arpenter le domaine du sans-abrisme
pairs-aidants occupent des statuts complexes, oscillant entre entraide
(à visée thérapeutique ou de mutualisation) et citoyenneté (participation des usagers à la définition des politiques publiques les concernant) (Rhizome, 2010).
Parcours de vie / Trajectoires de vie : notions ou concepts utilisés par de
nombreux chercheurs (Bellot C., 2000a) afin de comprendre les étapes
biographiques et les « épreuves de la rue » (voir ce concept) auxquelles les personnes sans-abri sont confrontées. Nombreux sont les
chercheurs qui ont reconstitué et analysé les parcours et/ou les trajectoires de vie des personnes sans-abri : soit à un niveau individuel à
travers des entretiens biographiques ou des récits de vie, insistant
alors sur l’histoire singulière saisie dans la complexité de chaque trajectoire familiale, professionnelle, résidentielle et éclairant la situation d’absence de domicile fixe (voir supra, chapitre IV.3) ; soit à un
niveau collectif par l’approche statistique, insistant sur le rapport
entre les caractéristiques socio-démographiques et les déterminants
sociaux (voir supra, chapitre I.1). Dans ces deux grandes approches,
les comparaisons entre des contextes nationaux occidentaux distincts
ont montré que les différences de cultures et d’histoires des politiques
de prise en charge construisaient des parcours de vie et des trajectoires de précarité et de pauvreté différenciés dans leur réalité et leur
perception, mais des épreuves de la rue assez similaires. Parcours de
vie et trajectoires de vie sont également à mettre en lien avec l’organisation des prises en charge sociales qui tend à marquer et à cadrer les
biographies des personnes sans-abri (par exemple le système d’insertion dit « en escalier » depuis l’accueil et l’hébergement d’urgence
jusqu’au logement dit autonome). Dans le champ du travail social,
ces deux notions sont de fait largement utilisées pour développer et
mettre en œuvre des dispositifs d’aide. Elles permettent enfin d’interroger les continuités et les discontinuités biographiques, la linéarité
ou la non-linéarité de la vie à la rue et complémentairement la sortie
de la rue (voir cette expression) des personnes sans-abri (voir aussi
Carrière de survie).
Partenariat : notion générale de l’action publique, qui souligne la façon
dont des acteurs de la société civile, en particulier les associations,
coopèrent avec les pouvoirs publics (État, collectivités territoriales)
dans la régulation des problèmes publics (Duran P. et Thoenig J.-C.,
1996). Cette notion est largement utilisée par les acteurs de la gouvernance de la question SDF en France depuis les premiers Plans
205
Vocabulaire du sans-abrisme
d’action contre la pauvreté et la précarité (automne 1984). Ce terme
est parfois critiqué parce qu’il masquerait une extrême hétérogénéité
de situations, et parce qu’il ne mettrait en avant que l’unanimisme
ambiant, négligeant les dépendances réciproques, les tensions voire
les conflits entre les divers acteurs engagés (Damon J., 2002). Cette
acception du terme est à distinguer du partenariat organisé entre le
milieu académique et les milieux de la pratique sans lequel il n’y
aurait pas de travaux de recherche sur la question de l’itinérance au
Québec (Roy S., 2008).
Pauvreté : notion qui, pendant plusieurs décennies, a fait l’objet de
débats entre économistes, pour savoir comment mesurer cette réalité
sociale. La notion de pauvreté absolue désigne un niveau monétaire
en-dessous duquel la personne ou le ménage est défini comme
pauvre. Cette mesure ne permettant pas de prendre en compte la
société dans laquelle les personnes vivent, une mesure relative a ainsi
été proposée. Un taux de pauvreté monétaire des ménages peut ainsi
être défini comme la proportion de ménages dont les revenus par
unité de consommation sont en dessous de la moitié du revenu
médian dans la société considérée. D’autres critiques sont venues
pointer ce caractère unidimensionnel de la pauvreté vue comme seulement monétaire. L’isolement social, la place sur le marché de l’emploi, l’accès aux biens culturels, à la santé, au logement, contribuent
aussi à définir la pauvreté (Paugam S., 2005). La notion d’exclusion
(voir ce terme) a été défendue pour mettre l’accent sur ce caractère
multidimensionnel. En allant plus loin dans l’appréhension relationnelle de la pauvreté, certains sociologues, à la suite du travail de
conceptualisation de Georg Simmel, analysent la pauvreté à partir de
la relation d’assistance : « Les pauvres, en tant que catégorie sociale,
ne sont pas ceux qui souffrent de manques et de privations spécifiques, mais ceux qui reçoivent assistance ou devraient la recevoir
selon les normes sociales. Par conséquent, la pauvreté ne peut, dans
ce sens, être définie comme état quantitatif en elle-même, mais seulement par rapport à la réaction sociale qui résulte d’une situation spécifique » ; ceci est analogue à la manière dont le crime, dont la définition substantive engendre de semblables difficultés, est défini comme
« une action punie par des sanctions publiques » (Simmel G., 1998,
p. 96-97). La plupart des chercheurs du domaine situent leurs travaux
dans une perspective multidimensionnelle et relationnelle, voire
situationnelle. C’est sans doute cette dernière acception d’une pau-
206
Arpenter le domaine du sans-abrisme
vreté sans cesse réévaluée en situation, nécessitant des négociations
perpétuelles, qui est un apport spécifique du domaine.
Prise en charge : notion des politiques publiques qui caractérise les aides
dévolues au public cible des personnes sans-abri, et dont on peut
faire l’histoire (Damon J., 2003). Ces mesures sont fonction d’une
coopération territoriale entre les collectivités locales et l’État, concernant des acteurs très divers tels que la police, les institutions privées
et publiques et rassemblant l’ensemble des propositions offertes aux
personnes sans-abri, de l’accueil d’urgence au logement dit autonome. Cette prise en charge est souvent remise en cause et critiquée,
pour son inefficacité (Damon J., 1997), son inhumanité (Amistani C.,
2003), en particulier dans les grands centres d’hébergement d’urgence (Teissonnières G., 1993). La mobilisation des Enfants de Don
Quichotte, en décembre 2006, a été un moment de radicale remise en
question de l’urgence sociale (Schvartz A., 2007 ; voir cette notion).
Les modalités concrètes de la prise en charge sont paradoxalement
méconnues. Il est courant d’évoquer les dépôts de mendicité pour
exemplifier la prise en charge répressive au XIXe siècle des indigents
valides, mais leur mission effective est tout aussi complexe que leur
évolution dans le temps (Veysset N., 1999), ces institutions apparaissent finalement comme peu documentées. Les monographies historiques manquent, et celles qui émergent actuellement pointent l’existence d’une fonction d’hospitalité en cas d’assistance volontaire,
montrant ainsi toute la complexité de l’articulation entre assistance et
répression au sein de ces établissements (Braga É., 2012). De même,
les modalités précises de l’assistance actuelle, le plus souvent interprétées comme des entreprises de contrôle social ou comme du simple
bricolage peu efficace, apparaissent plus complexes. L’approche ethnographique de la prise en charge, telle qu’elle s’accomplit au quotidien, permet de saisir les tensions qui la traversent, en réintroduisant
un peu de relief moral au sein du paysage aplani par les critiques
dans lequel elle est parfois cantonnée. Les intervenants sociaux manifestent aussi le souci de bien faire, ils cherchent à aider du mieux
qu’ils peuvent les personnes sans-abri en leur manifestant des
formes de sollicitude et d’attention, tout en étant conscients des
limites de leurs actions (Ravon B. dir., 2000 ; voir aussi Compassion
et Aller vers). C’est dans l’articulation (et les tensions) entre l’engagement professionnel au quotidien, la réflexivité sur les limites de
l’action et le déclenchement de mobilisations collectives que s’observe
207
Vocabulaire du sans-abrisme
le sens moral et politique ordinaire de la prise en charge (Cefaï D. et
Gardella É., 2011*).
Problème social / Problème public : concepts issus de la philosophie
pragmatiste (Dewey J., 2003), et définis par la tradition sociologique
interactionniste, qui visent à souligner la nature construite, ou du
moins non naturelle, des problèmes sociaux (Blumer H., 1971 ;
Spector M. et Kitsuse J. I., 2008). Tous les troubles privés ne sont pas
forcément des problèmes sociaux, et encore moins des problèmes
publics. Un trouble devient un problème social selon un processus
qui implique des acteurs qui le portent dans l’espace public, pour en
faire une cause à défendre et pour demander des solutions collectives. Lorsque les pouvoirs publics s’engagent dans sa résolution, le
problème social devient un problème public.
Le problème posé par les individus sans domicile de secours est de
longue date un problème public, au sens où l’État intervient pour le
réguler, d’abord de façon répressive au XIVe siècle (Castel R., 1995),
puis par la combinaison de dispositifs d’assistance et de répression,
comme le Grand Bureau des pauvres de Paris (1544) ou l’Hôpital
général (1656). Ce n’est que depuis la seconde moitié du XXe siècle que
sa définition publique a changé de valence, passant d’une dominante
répressive à une dominante assistancielle (Damon J., 2012). Des entrepreneurs de morale, pour reprendre le concept interactionniste
(Becker H., 1985), se sont mobilisés pour défendre la cause des
pauvres (Viguier F., 2010), comme le père Joseph Wresinski, Geneviève Antonioz de Gaulle, ou encore l’abbé Pierre, pour ne mentionner que les plus connus. Puis des professionnels de la médecine se
sont joints à ce mouvement social, et ont contribué à l’institutionnalisation de dispositifs ciblés sur les personnes sans-abri au cours des
années 1990, selon un processus de médicalisation (voir ce concept).
Les délits de mendicité et de vagabondage ont ainsi été dépénalisés
(juillet 1992) et la loi de lutte contre les exclusions (juillet 1998) a finalement ancré dans le droit les dispositifs de veille sociale, chargés
dans chaque département de répondre aux situations d’urgence et de
venir en aide aux personnes en difficulté. L’urgence sociale (voir cette
notion) est devenue la culture publique (Gusfield J., 2009) de l’assistance aux personnes sans-abri, avec ses propriétaires (les médecins
du Chapsa de Nanterre puis du SAMU social de Paris), sa définition
du problème en termes de désocialisation (voir ce concept), ses responsabilités politiques (les associations, financées par les pouvoirs
208
Arpenter le domaine du sans-abrisme
publics) et ses dispositifs de prise en charge (accueils de jour, centres
d’hébergement, équipes mobiles, régulation téléphonique). Un processus analogue de qualification du problème, de légitimation, de
mobilisation et d’institutionnalisation est observable dans d’autres
pays, comme le Québec ou la Belgique (Pichon P. dir., 2008*). Il
semble pourtant que cette culture publique soit entrée dans une
phase de transformation vers des solutions plus structurelles, selon
un processus de routinisation classique dans les solutions d’urgence
(Lipsky M. et Smith S. R., 2011). Mais la nouvelle définition dominante du problème public, censée s’établir autour du Logement
d’abord (voir cette notion), n’est pas encore stabilisée.
Propriétaires de chien : concept issu d’expressions du sens courant, travaillé par Christophe Blanchard (Blanchard C., 2009), premier chercheur en France à s’être exclusivement intéressé à ces jeunes hommes
et femmes accompagnés de chiens qui occupent le plus souvent en
groupe les espaces publics centraux des villes. Parfois appelés de
façon abusive « punks à chiens » (Blanchard C., 2012, à paraître), ces
binômes maître/chien ont, jusqu’à présent, assez peu intéressé les
sciences humaines et sociales. Si quelques micro-analyses autour des
Homeless Pet Owners ont bien été amorcées par certains psychologues
anglo-saxons (Kidd A. H. et Kidd R. M., 1994 ; Singer R. S. et al., 1995 ;
Rew L., 2000), celles-ci demeurent relativement limitées au regard des
enjeux relatifs à cette problématique.
La présence d’animaux auprès de ces propriétaires en situation d’exclusion influe en effet directement sur leurs parcours de vie (voir
cette notion). Auxiliaire fonctionnel ou exutoire affectif, l’animal permet notamment à ces maîtres fragilisés de mieux (sur)vivre dans un
contexte urbain souvent difficile (Blanchard C., 2009*). Mieux, leur
présence reste un vecteur social important facilitant souvent le lien
entre le propriétaire et le reste de la population.
Pourtant, la présence du chien demeure également une source d’exclusion supplémentaire pour une population déjà stigmatisée (Chobeaux F., 2004 ; Blanchard C., 2009*). En effet, peu de structures censées lui venir en aide s’avèrent aujourd’hui préparées à accueillir des
animaux. Refusant systématiquement de se défaire, même épisodiquement, de leurs compagnons à quatre pattes, les maîtres, parfois
sans-abri en arrivent donc souvent à sacrifier leur suivi social ou
médical, renforçant l’implacable logique de marginalisation dans
laquelle la vie à la rue peut les enfermer.
209
Vocabulaire du sans-abrisme
Q
Question SDF : notion par laquelle Julien Damon synthétise trois questions qui occupent acteurs et chercheurs à partir du début des
années 1980 concernant les personnes privées de logement : « de qui
parle-t-on ? Comment expliquer le phénomène ? Quelles formes
prend l’action publique pour y répondre ? » (Damon J., 2012). On
peut remarquer que cette notion n’est pas anodine, venant pointer la
critique de l’auteur : les SDF, en tant qu’ils forment une population
aux contours imprécis, restent une question, et les politiques qui
cherchent à les cibler semblent bien condamnées à échouer.
R
Raison humanitaire : concept construit par Didier Fassin (2010), à partir
de diverses enquêtes de terrain conduites en France et à l’étranger. Il
est étroitement associé à celui de gouvernement humanitaire, défini
comme « le déploiement des sentiments moraux dans les politiques
contemporaines » (Fassin D., 2010, p. 8), en particulier celui de compassion (voir ce terme). La compassion dans l’action publique désigne
« une sensibilité au malheur, une valorisation des sentiments, une passion pour l’intime, une attention portée à l’autre, une recherche de
proximité comme gage d’authenticité » (Fassin D., 2006, p. 155).
Ce concept s’applique particulièrement bien à certaines dimensions
de la régulation de la question SDF telle qu’elle s’est institutionnalisée depuis les années 1980 autour de l’urgence sociale (voir cette
notion). Autant qu’une dimension analytique, ce concept a une portée critique. Il rappelle une des limites classiques de l’humanitaire :
la dépolitisation des problèmes qu’il provoque en les recouvrant de
sentiments compassionnels. Or l’observation de l’urgence sociale en
action montre d’une part que la compassion peut côtoyer d’autres
sentiments moraux, comme ceux de la sollicitude et de la reconnaissance, qui, d’autre part, ne sont pas exclusifs de ressorts de politisation (Cefaï D. et Gardella É., 2011*).
Reconversion biographique : notion empruntée à la sociologie des professions et documentée par Pascale Pichon (2005c) pour donner signification au processus de la sortie de rue (voir cette expression). La
notion de reconversion marque ainsi, dans sa première signification,
210
Arpenter le domaine du sans-abrisme
le passage de la dernière position occupée dans une carrière professionnelle à une nouvelle équivalente ou non dans une autre carrière,
un autre champ professionnel. La mobilité qui accompagne ce changement peut être désignée par la notion de transférabilité. Celle-ci
signifie qu’un ensemble de compétences acquises et présentes dans la
précédente carrière peut devenir un ensemble de dispositions utiles
pour s’adapter à la nouvelle carrière. Le changement de carrière
implique de se départir d’un ancien habitus pour en acquérir un autre,
plus adapté à la nouvelle position occupée et au rôle endossé.
Appliqué aux biographies des personnes ayant vécu à la rue, le processus de reconversion marque empiriquement une double conversion : la première est celle qui se produit avec l’entrée dans le monde
des sans-abri (attachement progressif aux modes de survie), et la
deuxième est celle qui consiste à en sortir (détachement progressif).
Comme un mouvement de flux et de reflux qui en constitue la dynamique, le processus de reconversion indique également sur le plan
identitaire, le passage de l’expérience singulière de chacun à l’« expérience commune » (voir ce concept) de sans domicile fixe (être désigné et se dire SDF), puis en retour une re-singularisation, fondée sur
l’expérience commune. Ce processus n’est pas linéaire mais procède
bien d’un mouvement vital fait de réussites et d’échecs pour s’en
sortir (voir cette expression). In fine, la reconversion dévoile une inscription sociale et une reconnaissance publique via les administrations et le droit. Elle s’atteste en sus par la reconnaissance de l’expérience vécue de la personne sans-abri à travers notamment une
valorisation des compétences acquises dans la carrière de survie. Le
travail de reconversion nécessite des supports importants passant de
la stabilité relationnelle (qui dépasse le seul réseau d’assistance), à
des conditions matérielles suffisantes, et encore à une sécurité psychique. Dans cette perspective, « s’en sortir » revient à prendre une
place, une part dans le monde commun, c’est-à-dire à accéder à une
reconnaissance de sa qualité pleine et entière de personne (Pichon P.
et Torche T., 2010*).
Réseau de survie : extension conceptuelle renvoyant à un ensemble de
supports essentiels dans le processus de la sortie de la rue (Pichon P.
et Torche T., 2010*). Elle offre des prises dans un environnement spatial, social et affectif. Le réseau de survie est composé de diverses
relations stables basées notamment sur la confiance et permettant la
valorisation de soi. Il a donné lieu à une formalisation dans le travail
211
Vocabulaire du sans-abrisme
sociologique d’exploration biographique par une adaptation libre de la
notion de réseau égocentré, issue de la sociologie américaine urbaine
(Hannertz U., 1983).
Résistance : concept issu d’expressions courantes et utilisé par différents chercheurs décrivant la dureté de la vie quotidienne et le rapport délicat à l’assistance des personnes à la rue. Il recouvre deux
formes de résistances dans des univers différents. La première forme
rend compte des rapports conflictuels des personnes sans-abri face à
l’assistance ou au monde de la rue. Dans ce cadre, les chercheurs
mettent en évidence les débrouilles, les tactiques, les stratégies, les
ruses, voire les adaptations mises en œuvre par les personnes afin
d’améliorer la survie au quotidien. Vanessa Stettinger (2001, 2003a*)
montre quant à elle, de façon plus générale, le renversement qu’opèrent les personnes qui vivent la précarité afin d’échapper à la pression sociale, au poids des obligations, aux affrontements avec autrui.
Elles développent ainsi des modes d’action de remplacement, des
échappatoires leur permettant de gérer les difficultés et frustrations
quotidiennes, et ce faisant, mènent un long combat intérieur, sorte
d’auto-contrôle de leurs émotions. Les histoires de malheurs (voir ce
concept) peuvent ainsi être interprétées comme des formes de résistance. La seconde forme rassemble les études qui portent sur les
mobilisations collectives des SDF. Pour la dernière mobilisation en
date, on peut citer le mouvement des Enfants de Don Quichotte
(Choppin K., 2007 ; Bruneteaux P. dir., 2013). Pour la plupart, les
chercheurs s’intéressent à la place des personnes SDF dans ces mobilisations (ou mouvements) et quelques-uns livrent des monographies. À ce titre, on peut citer quelques petites coordinations de
SDF pour défendre un squat à Bordeaux (Villeneuve M., 2002), pour
s’élever contre un arrêté anti-mendicité ou encore pour s’opposer au
fonctionnement des centres d’hébergement (Grand D., 2004).
Rue : expression par laquelle on parle des personnes à la rue, des personnes de la rue, ou encore des personnes dans la rue. Attentifs aux
significations de l’expérience des personnes sans-abri, nombreux
sont les chercheurs qui ont exploré les multiples facettes de la vie
entre rue et assistance. La rue est ainsi un singulier générique qui
indique les lieux de la survie quotidienne au sein d’un réseau d’assistance et de ressources publiques, relevant des politiques publiques
ou encore de l’entraide, de l’entre soi, selon une séparation diurne et
nocturne liée aux conditions de vie les plus misérables. De fait, ce lieu
212
Arpenter le domaine du sans-abrisme
n’est pas un mais multiple, et il désigne plutôt des intervalles, des
interstices et des circulations, comme celle entre le domicile privé et
la rue (Laé J.-F., 1993). La rue fonde concrètement l’expérience du
citadin sans-abri qui marche et arpente la ville à la recherche de biens
de première nécessité. Se donnent à voir des compétences qui renvoient à cette expérience princeps (Gaboriau P., 1993*) nécessitant des
adaptations aux contraintes de l’environnement et néanmoins des
attachements à celui-ci : la rue se mue en territoire où s’inscrit une
mémoire individuelle et collective (Girola C., 2004). Vivre à la rue
devient alors une manière de dire la totalité d’une expérience
humaine limite, de courte ou de longue durée : elle pointe tout à la
fois cette itinérance urbaine dans des sociétés sédentarisées et centralisées et dans le même temps une urbanité en péril puisque ses trois
fondements, l’habiter, la mobilité et la citoyenneté sont en panne
(Pichon P., 2010*, 2011b).
Ruptures : expression plus particulièrement employée au pluriel par les
intéressés eux-mêmes mais également par les agents du monde associatif et caritatif pour signifier les moments critiques de basculement
racontés par les personnes bénéficiaires des services et, en particulier,
le rôle prédominant accordé aux ruptures familiales dans les histoires
de vie. Les mots proches comme brisure, cassure, déchirure, accidents
sont également largement utilisés dans le langage commun et médiatique. L’expression de rupture permet en effet de filer les métaphores
en termes d’accidents de parcours, de vies brisées ou déchirées. Du
côté des personnes, elle sert par analogie à les qualifier d’hommes
brisés, cassés ou d’accidentés de la vie, entre autres dénominations.
Le terme de ruptures, signale également les crises de vie qui, quant à
elles, renvoient plus directement aux actions menées dans l’urgence
(voir Urgence sociale). Dans leur finalité ces actions visent à retisser
des liens, et se disent en termes de raccommodage, de recollage, de
réparation mais également visent à retrouver l’accord : la rupture
se conjugue également avec le désaccord, voire d’opposition aux
conduites et aux normes sociales dominantes, comme il est dit de
certains jeunes qu’ils sont « en rupture ». Les ruptures signalent
donc le changement mais également le décalage, l’écart à la norme
et se rapprochent également des significations liées à la notion d’exclusion (voir Exclusion).
213
Vocabulaire du sans-abrisme
S
Sans-abri : notion générale qui recouvre une importance plus ou moins
centrale dans les institutions des divers pays. C’est en Belgique
qu’elle a une définition légale. Elle désigne « une personne qui n’a
pas de résidence habitable, qui ne peut, par ses propres moyens, disposer d’une telle résidence et qui se trouve dès lors sans résidence ou
dans une résidence collective où elle séjourne de manière transitoire,
passagère en attendant de pouvoir disposer d’une résidence personnelle » (loi du 12 janvier 1993). En 2012, en France, en vue de la
seconde enquête nationale sur les personnes sans-domicile effectuée
par l’INSEE, une définition restrictive a été adoptée, qui diffère de la
définition de sans-domicile (voir ce terme) utilisée lors de l’enquête
nationale précédente (en 2001). Pour l’INSEE, une personne sans-abri
est une personne qui dort « habituellement dans un lieu non prévu
pour l’habitation » au moment de l’enquête (Briant P. et Donzeau N.,
2011, p. 1), cette catégorie rassemblant rue, cave, parking, jardin
public, dessous d’un pont, terrain vague, hall de gare, cage d’escalier,
voiture, tente. Cette définition, calquée sur l’expression courante
vivre dans la rue, exclut donc les personnes hébergées dans des structures, qu’elles soient d’urgence ou non. Par exemple, les personnes en
centre d’urgence sont recensées au titre de « communautés » tout
comme les maisons de retraite ou encore les camps militaires. Dans
l’usage courant, mais également au niveau des organisations internationales (par exemple 1987 : année internationale des sans-abri
décrétée par l’ONU – International Year of shelter for the homeless), la
dénomination sans-abri insiste sur la dimension de l’habitat ou du
domicile comme explication de la pauvreté ou de l’exclusion. Elle a
également une portée plus large en s’appliquant aux phénomènes
liés à des catastrophes naturelles ou non (tremblement de terre, inondations, guerre) et désigne alors les personnes qui ont perdu leur lieu
de résidence. Dans ce cas, la situation de sans-abri est considérée
davantage comme collective qu’individuelle. Les chercheurs usent
d’une catégorie ou d’une autre – sans-abri, SDF, sans-logis, clochard,
sans-domicile – selon qu’ils souhaitent soit se démarquer des désignations officielles les plus courantes, voire les déconstruire, soit en
montrer au contraire la performativité, ou encore se rapprocher de la
désignation choisie par les personnes enquêtées. Un même chercheur
peut user de plusieurs catégories en fonction de ses terrains d’enquête et de ses questionnements.
214
Arpenter le domaine du sans-abrisme
Sans-domicile : catégorie statistique forgée par et pour les besoins des
enquêtes conduites par l’INED au milieu et à la fin des années 1990 à
Paris, puis par l’INSEE au niveau national en 2001. Une personne est
ainsi définie comme sans-domicile au sens de l’INSEE si, rencontrée
dans un lieu d’assistance (services d’hébergement, distributions de
repas chauds midi ou soir), elle a passé la nuit précédant l’enquête
dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri de fortune, etc.) ou
dans un service d’hébergement gratuit (Brousse C., 2006a, p. 20). En
2001, en France, dans les agglomérations d’au moins 20 000 habitants,
on compte 53 000 adultes sans-domicile, avec environ 16 000 enfants
les accompagnant (Ibid., p. 20). En 2012, une nouvelle enquête est réalisée par l’INSEE et ses partenaires. Si cette méthodologie, tant en
termes d’échantillonnage qu’en termes de définition, inspirée des
États-Unis (Firdion J.-M. et Marpsat M., 1994), a fait la preuve de sa
pertinence statistique, elle a aussi fait l’objet de critiques, tant sur
l’étroitesse de son champ (les personnes en squat en sont exclues) que
sur la restriction temporelle de la définition qui mesure un stock et
non des flux (pourquoi seulement « la veille de l’enquête » et non pas
une nuit au cours du mois, voire de l’année précédente ?) ou sur les
lieux de passation de l’enquête (qu’en est-il des personnes qui n’ont
pas recours aux services d’aide ? Pour cette dernière limite, une
enquête spécifique auprès des personnes rencontrées par les équipes
mobiles a montré que leur profil sociodémographique est le même
que celles couvertes par l’enquête « Sans-domicile » [Marpsat M.,
Quaglia M. et Razafindratsima N., 2002]).
Sans-logis : terme plus particulièrement utilisé par Patrick Gaboriau et
Daniel Terrolle qui définit les personnes comme des individus vivant
« dans une situation de précarité qui constitue le type même de la
misère » (2003*, p. 6). Ces auteurs cherchent à révéler les rapports de
domination dont sont victimes les sans-logis, et qu’ils perçoivent
dans la constitution même de dénominations permettant d’unifier un
ensemble hétérogène de personnes et de situations. Pour ce faire, ils
se détachent de l’appellation SDF et y substituent celle de sans-logis,
tout en rappelant que la visée de leurs travaux n’est pas de définir les
pauvres, ni d’établir une définition du terme sans-logis mais bien de
mettre à jour les enjeux de catégorisation.
SDF : Expression qui s’est imposée dans le langage courant à la fin des
années 1980, dont l’origine est d’abord administrative. Cette catégorie
désigne des personnes dépourvues de lieu de résidence. En ce sens,
215
Vocabulaire du sans-abrisme
les gens du voyage, les forains ou toute autre personne non sédentaire
étaient désignés ainsi. C’est à partir des années 1990, que cette désignation fera l’objet d’un travail de définition et de restriction de sens.
Le terme « sans » pointe notamment un manque : un déficit de logement mais aussi un écart à la norme de la sédentarité. Selon Claudia
Girola le terme SDF parle surtout du conflit entre l’État et les intérêts
locaux. Depuis la décentralisation, les populations en grande précarité sont sous la responsabilité financière de l’État. Mais cela ne peut
se matérialiser qu’à travers l’action concrète des communes, qui ne
reconnaissent pas ceux qui ne peuvent prouver qu’ils sont des habitants de la commune (Girola C., 2005, 2007*, 2011a). Cette catégorie
s’imposera dans le sens commun notamment par son utilisation et sa
construction par les médias. Ce travail de catégorisation, au lieu de
mettre en valeur les différences des personnes SDF va plutôt homogénéiser ce groupe et contribuer à l’enfermer dans cette catégorie.
Situation extrême : concept qualifiant un ensemble d’événements où des
êtres humains sont directement confrontés à la mort physique et/ou
psychique. Le concept de situation extrême recouvre les expériences
où sont atteintes les dernières limites de ce qui est considéré comme
humainement acceptable et vivable. Les situations extrêmes comprennent des épreuves extrêmes mais aussi des violences extrêmes. Ce
concept a tout d’abord été utilisé pour l’explicitation des conditions de
vie des réfugiés des camps de concentration (Pollack M., 1990) mais il
est également utilisé aujourd’hui pour décrire, à des degrés différents
et dans des contextes de non enfermement, les situations de survie des
personnes à la rue (Lanzarini C., 1998 ; Namian D., 2011).
Situation limite : concept parfois utilisé de façon empirique et synonyme
de situation extrême. Il peut également se référer à la philosophie existentielle de Karl Jaspers. Pris dans ce sens, il permet de considérer tout
à la fois les limites de la raison scientifique dans l’explication et la
compréhension du phénomène et la pluridimensionnalité de l’existence humaine qui se révèle indirectement à travers les épreuves de
l’agir et du pâtir : la faute, l’échec, la souffrance ou la mort. Il est en ce
cas le fil conducteur choisi pour développer le cadre d’une sociologie
de la fragile urbanité (Pichon P., 2007a).
S’en sortir / Sortir de la rue : expression requalifiée en concept, pour désigner un processus analysé par les auteurs qui travaillent sur la question de la sortie. Les deux analyses les plus connues sont celles de
216
Arpenter le domaine du sans-abrisme
Bertrand Bergier (2000*) et de Pascale Pichon. L’un traite des conditions de l’affranchissement (voir ce terme) tandis que l’autre décrit le
travail de reconversion (voir ce terme) de la personne SDF. Pour chacun des auteurs, cela nécessite des inscriptions sociales (par le droit et
par le choix reconnu à habiter) et des conditions socio-économiques
de possibilité. Pour d’autres sociologues, comme Marc-Henry Soulet,
sortir de la rue, changer de vie, constitue un travail réflexif : sur soi et
sur le rapport aux institutions et aux autres. Ce changement s’opère
par la reconnaissance de l’expérience biographique et par l’acception
de l’appartenance au monde commun. En ce sens, changer de vie n’est
pas une rupture mais un mouvement qui oscille entre continuité et
discontinuité attestant alors le maintien de soi (voir ce concept) et la
reprise de soi. Toutefois, pour d’autres, comme Daniel Terrolle, la sortie de la rue peut aussi être une sortie définitive du monde des vivants.
Il faut également souligner qu’il s’agit d’une notion utilisée depuis peu
par les politiques publiques et plus particulièrement par les nouveaux
programmes axés sur le Logement d’abord (voir cette notion) dont on
voit naître l’usage dans les études commanditées par les pouvoirs
publics français (FNARS et Ministère du logement, 2007 ; Pichon P. dir.,
2010), en demande d’expertise sur le chez-soi (voir ce terme) pour la
mise en œuvre du programme Housing first (voir Logement d’abord).
Sous-prolétaires : concept ayant pour objectif de déconstruire d’autres
catégories comme SDF ou jeunes de banlieue, qui tendent à consolider l’idée que la société serait séparée en deux : les inclus et les exclus,
faisant ainsi disparaître les rapports d’exploitation et de domination
(voir ce concept) exercés par le système capitaliste. Il réinscrit ainsi
ces divers individus dans une condition socio-économique commune
plus vaste, caractérisée par une situation de domination extrême et
une circulation entre aide sociale, petits boulots et contrats précaires ;
ce qui les différencie et les place en dessous du monde des prolétaires.
Se produisent au sein même de ce groupe des désaffiliations (voir ce
terme), qui conduisent à la situation de « sous-prolétaire à la rue ».
Selon Corinne Lanzarini (2000*), ces personnes marquées par la fragilisation de leurs bases anthropologiques (habitat, nourriture, soutien
social, sexualité), ne peuvent que développer des tactiques de survie
face aux violences institutionnelles qu’elles subissent. Les sous-prolétaires, et encore plus les sous-prolétaires à la rue, habitent ainsi un
autre monde que le monde ordinaire. Cette conception entre en tension avec celle qui décloisonne plus encore la compréhension du
217
Vocabulaire du sans-abrisme
monde de la rue (voir cette notion) par le concept d’expérience commune (voir cette notion).
Stabilisation : notion utilisée par les acteurs associatifs et administratifs,
pour nommer le dernier né des types d’hébergement, entre l’urgence
et l’insertion. Mais plus qu’un nouveau type de centre d’hébergement, il signale un changement de définition des solutions à apporter au problème SDF, selon certains des acteurs experts du secteur
(Noblet P., 2010) : l’action publique serait passée d’une logique de
fluidification des parcours, épuisante au niveau de l’urgence en raison de la saturation des dispositifs, à une logique de mise au repos et
de consolidation des trajectoires.
Survie : expression fréquemment utilisée par les chercheurs pour rendre
compte des dimensions extrêmes et indécentes de la vie à la rue (voir
Carrière de survie), la survie a été décrite avec précision : multiplicité
des contraintes instituées par les activités ordinaires pour obtenir des
biens et des services de première nécessité ; développement des stratégies et des tactiques, inscrites dans une quotidienneté de l’urgence
et du présent immédiat, au coup par coup, au jour le jour (voir supra,
chapitre IV.1). La survie renvoie au paradoxe de l’enfermement via
l’itinérance au sein du circuit assistanciel (voir ces termes). Certains
chercheurs interprètent la survie comme des formes d’impuissance à
agir dans le cours normal des échanges sociaux. Cette impuissance
renvoie au concept de capabilité (Sen A., 1999) car elle est exacerbée
par l’organisation de l’assistance, l’inaccessibilité aux droits et l’absence de supports pour sortir de la pauvreté économique.
Syndrome de désocialisation : concept développé par Patrick Declerck
(2001*) qui préconise une reconnaissance nosologique de cette psychopathologie des clochards. Ce syndrome consiste en une altération
du sujet dans son fondement, dans son rapport au monde et à luimême et permet d’élucider la dissension entre pauvreté et exclusion,
termes flous pour l’auteur. Selon lui, la vie à la rue ne peut être expliquée par les seules raisons économiques, culturelles ou psychiatriques
déjà répertoriées. Le syndrome de désocialisation lui permet de saisir
pourquoi certains individus sont en situation de clochardisation, envisagée comme une folie de l’exclusion. Ce syndrome consisterait en un
ensemble de comportements et mécanismes psychiques par lesquels
l’individu, vivant une forme d’exil intérieur, se détournerait du réel,
de ses besoins propres et chercherait à aménager le pire puisqu’il
218
Arpenter le domaine du sans-abrisme
refuserait de se projeter dans l’avenir. Les traumatismes liés à l’enfance de l’individu y joueraient une place déterminante.
Syndrome d’exclusion : concept élaboré par le psychiatre Jean Maisondieu (1997, 1998) qui désigne « la réponse pathologique d’un individu
à une situation pathogène » (Ibid., p. 166). Le syndrome d’exclusion
entend rendre compte d’un type de souffrance inhérent aux conditions de vie des individus exclus. Le syndrome d’exclusion entraîne
des troubles psychiques spécifiques trouvant leur assise sur le « trépied symptomatique associant honte, désespérance et inhibition
affectivo-cognitive, qui permet de le reconnaître et de le différencier
d’une maladie mentale » (Ibid., p. 166). C’est en cela que le syndrome
d’exclusion se différencie de la dépression, puisqu’il est uniquement
le fruit d’évènements externes à l’individu et qu’il peut s’évanouir si
les conditions de vie de la personne sont améliorées. Ce concept
recoupe le processus psychique dynamique d’auto-exclusion défini,
à partir de sa pratique pluridisciplinaire, par le psychiatre Jean
Furtos (2009).
T
Temporalité multiple et rapport au passé : expressions qui structurent
le sens commun lorsqu’il s’agit des personnes sans-abri (Girola C.,
1996, 2005, 2007*, 2011a) en produisant des équations réductrices et
simplistes. D’après l’auteure, ce sens commun filtre dans les explications de nombreux acteurs sociaux et politiques et également parfois
dans celles des chercheurs en sciences sociales : à une situation de
précarité socio-économique passée ou actuelle correspondrait une
précarité identitaire de la personne et, à l’immédiateté d’une vie
incertaine correspondrait l’immédiateté de la pensée de soi et du
monde social (Girola C., 2007*). Ces équations agissent particulièrement sur l’analyse du rapport que les personnes sans-abri établissent
avec leur passé, via leur identité narrative, et avec la gestion du temps
de leur vie quotidienne. C’est ainsi que l’« histoire des malheurs »
(voir ce concept) « est interprétée comme le signe de l’incapacité de la
personne à pouvoir investir sa propre histoire de vie » (Girola C.,
2007*, p. 207). « C’est l’histoire de ceux qui n’ont plus de souvenirs,
qui sont réduits à un présent de la survie, un présent déshistoricisé »
(Girola C., 2011, p. 27). S’inscrivant dans la filiation des travaux sur la
219
Vocabulaire du sans-abrisme
mémoire de Maurice Halbwachs (1925, 1950), Claudia Girola affirme
que cette lecture constitue une véritable violence sociologique car
elle vide les êtres de leur dimension existentielle, construisant des
hommes sans histoire, hors du temps. Or ceux-ci ne sont pas en rupture avec le passé mais ont un rapport particulier au passé et au
temps (Ravon B., 2008). La mise en rapport de la territorialisation de
l’espace de la ville avec les actions quotidiennes montre que l’espace
de vie est fragmenté par la logique de l’assistance ainsi que par la dispersion des ressources plus informelles. Cette logique fragmente à
son tour le vécu corporel des personnes, jamais expérimenté pourtant comme dissocié de leur soi. C’est là que se manifeste une énergie pratique visant à recomposer leur intégrité qui se traduit par une
routinisation des activités, jusqu’à l’épuisement. Cette routine vitale
constitue paradoxalement un combat nécessaire, un temps en soi, un
bien temporel identitaire à exploiter sans mesure, preuve de leur être
au monde. Et cette énergie met en forme une identité narrative au
présent qui ne doit pas être détournée par un avant ou par un après :
« le temps présent est un temps actif, et en tant que tel producteur
même du temps, donc contrôleur et protecteur du passé et garant du
futur » (Girola C., 2007*, p. 564). Claudia Girola conclut à l’émergence
d’une temporalité multiple qui permet de préserver le soi dans le présent : elle distingue la mémoire identitaire tactique (la réflexivité), la
mémoire pour se différencier des autres humiliés (mémoire stratégique), la mémoire qui fait mal (le lieu de l’intimité, de l’affliction, de
la désolation), la mémoire des hauts faits, entre réalité, démesure et
vantardise (pour marquer la généalogie sociale). Dans cette logique
temporelle multiple, le futur a aussi sa place. L’auteure montre que
« les personnes sans-abri sont conditionnées par l’incertitude et l’exigence de vivre au jour le jour et confèrent aux catégories de l’incertain,
de l’occasion, du rêve, du soudain et du temps sans limite, une valeur
particulière qui paradoxalement permet la production d’un temps
futur, ce qui peut arriver d’une manière inattendue ». Le temps pour
les personnes sans-abri a pris une consistance, celle d’une vie éprouvante. Il est « temps vécu et surtout temps de l’action » (Girola C.,
2007, p. 565).
Terrains sensibles : expression qui est née du constat de ce que l’enquête
ethnographique conduite sur des terrains caractérisés par l’illégalité,
la stigmatisation ou la violence induisait un certain nombre de questionnements spécifiques. Ces termes font référence à la fois à des
220
Arpenter le domaine du sans-abrisme
espaces (ghettos, squats, centres de rétention) et à des situations
sociales (sans-papiers, sans-abri, réfugiés) que les institutions traitent
ou définissent comme déviantes. Le qualificatif « sensible » recouvre
dès lors une triple acception : les terrains sont sensibles en ce qu’ils
sont porteurs de souffrance sociale, d’injustice, de domination. En
second lieu, ils sont sensibles parce qu’ils impliquent de renoncer à
un protocole d’enquête trop canonique, l’ethnographe devant ici
mettre ses méthodes à l’épreuve pour inventer de nouvelles manières
de faire. Les espaces enquêtés sont isolés, fermés, à la marge, et le
caractère éphémère de certaines situations est susceptible de précipiter la recherche, ou de la clore. Le chercheur est alors pris dans une
temporalité sur laquelle il n’a plus prise, face à des lieux qui peuvent
se faire et se défaire à tout moment. En dernier lieu, ces terrains s’avèrent sensibles en ce qu’ils relèvent d’enjeux sociopolitiques cruciaux.
La « détresse » des populations enquêtées, les tentatives d’instrumentalisation et les velléités d’engagement du chercheur le contraignent
ainsi à s’interroger avec une acuité particulière sur l’implication qui
est la sienne : on ne se retrouve jamais par hasard sur ces terrains qui
s’inscrivent en réalité dans le fil d’une interrogation politique et d’un
engagement citoyen plus anciens.
Tout terrain est par nature sensible : il n’y a pas de naturalité de l’enquête ethnographique qui rendrait sa réalisation évidente ici, et
impossible là. Cela étant, les expériences évoquées dans l’ouvrage
éponyme (Bouillon F. et al. dir., 2005) présentent un ensemble de difficultés méthodologiques et épistémologiques qui leur sont propres,
et qui peuvent se différencier en partie des problèmes que tout chercheur en sciences sociales rencontre, depuis le recueil des données
jusqu’à leur interprétation et leur restitution.
U
Urgence sociale : notion utilisée par les acteurs associatifs et administratifs, pour désigner à la fois des situations de détresse et des formats de
réponse : actions d’urgence, « urgence sociale ». Elle a constitué la forme
dominante des réponses au problème SDF dans nombre de pays occidentaux depuis le début des années 1980 (Lipsky M. et Smith S. R., 2011). En
France, elle a d’abord été mise en œuvre dans le cadre des Plans d’action
contre la pauvreté et la précarité commencés en 1983 (Damon J., 2012),
221
Vocabulaire du sans-abrisme
puis a connu au cours des années 1990 une médicalisation de sa définition, portée par des médecins faisant usage du concept de désocialisation
(voir ce concept) (Pichon P., 2005a). Elle s’est enfin institutionnalisée dans
des dispositifs de « veille sociale », inspirés du modèle de l’urgence
médicale : régulation téléphonique, équipes mobiles, centres d’urgence
temporaires (loi 98-657, art. 157). Elle a essuyé un grand nombre de critiques, portant autant sur son inefficience que sur les injustices qu’elle
produit (Rullac S., 2004 ; Bruneteaux P., 2006*), reprises aujourd’hui par
les promoteurs du Logement d’abord (voir cette notion). Mais l’observation attentive de ces divers dispositifs, en particulier les maraudes (voir
ce terme), montre qu’elle peut aussi être porteuse d’une politique du
soin et de reconnaissance (Cefaï D. et Gardella É., 2011*).
V
Vagabondage : notion de l’action publique d’une grande densité historique. Dès le XVIIIe siècle, le vagabondage, c’est-à-dire circuler et vivre
sur le territoire sans adresse permanente et sans moyen de subsistance
certain et régulier, est considéré comme un délit (articles 269 à 273 du
Code pénal de 1810) qui peut être puni de trois à six mois de prison.
Cette catégorie est largement reprise dans le champ d’étude pour rendre
compte de la vie et du statut du vagabond du Moyen Âge à nos jours
(Cubéro J., 1998). Les vagabonds sont aussi appelés miséreux, indigents,
loqueteux, gens sans aveu, ou encore hobos. Le Hobo (Anderson N., 1993),
figure propre aux États-Unis de la moitié du XIXe siècle jusqu’au début du
XXe siècle, désigne un ouvrier migrant ne possédant ni domicile, ni véritable attache territoriale. Le hobo a été un acteur économique essentiel
de l’expansion industrielle des États-Unis, figure qui disparaît avec la
Grande Dépression des années 1930 (Anderson N., 1940).
Vulnérabilité : concept désignant un ensemble de situations et processus, individuels et collectifs liés à la nature des rapports sociaux dans
nos sociétés contemporaines. Elle qualifie les processus dynamiques de
fragilisation des rapports sociaux dans les sociétés salariales (Castel R.,
1992) autant que les étapes de la vie liées aux caractéristiques individuelles (handicap), environnementales (famille dysfonctionnelle) ou économiques (manque de ressources) (Bolduc N. et Clément M., 2004). La
vulnérabilité peut être vue comme une insécurité sociale, mais aussi symbolique et éthique. Elle est accentuée par une injonction individuelle à se
222
Arpenter le domaine du sans-abrisme
réaliser, être autonome et responsable de ses succès ou échecs. Liée à la
décollectivisation des supports sociaux, elle se présente comme une fragilisation des groupes ou des personnes en situation de non-intégration
ou d’exclusion. Elle renvoie à l’incertitude caractérisant nos sociétés
contemporaines, à la constante adaptation à une normativité changeante
ainsi qu’aux inégalités sociales. La vulnérabilité ramène le focus sur les
rapports sociaux, s’éloignant ainsi des catégories désignant les plus faibles
et les plus démunis de nos sociétés (Châtel V. et Roy S. dir., 2008).
Vulnérabilité narrative : concept proposé par Pascale Pichon (2012),
qui prolonge le travail d’interprétation des récits de vie des personnes
sans-domicile et indique combien la narration de soi est soumise aux
contraintes de la survie et comment elle se redéploie dans les moments
de ressaisissement de soi, ou encore dans le processus de sortie de la rue.
La vulnérabilité narrative articule les petites histoires des cartons de la
manche à l’histoire des malheurs (voir ce concept) et encore à l’histoire
autobiographique. La vulnérabilité narrative invite ainsi à penser l’identité avec l’agir humain, en relation avec toute action accomplie pour tenter de s’en sortir (voir cette expression). Elle réintroduit l’importance
des conditions de possibilité offertes par la société pour choisir et agir
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