Note de l’Ifri
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L’aide de l’Union européenne :
du développement à la sécurité,
l’exemple du Fonds européen de développement
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Dominique LECOMPTE
Thierry VIRCOULON
Juin 2014
.
Programme
Afrique subsaharienne
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Sommaire
INTRODUCTION ................................................................................... 3
LES ORIGINES : L’HERITAGE COLONIAL ................................................ 5
LES ANNEES 1990 : LA POLITISATION DE L’AIDE EUROPEENNE AU
DEVELOPPEMENT .............................................................................. 10
L’AUBE DU XXIE SIECLE : LA « SECURITISATION » DE L’AIDE EUROPEENNE AU
DEVELOPPEMENT .............................................................................. 14
CONCLUSION .................................................................................... 21
ANNEXES ......................................................................................... 25
Annexe 1 : Principaux instruments financiers
de l’action extérieure européenne ..................................................... 25
Annexe 2 : Enchaînement des FED successifs .................................. 27
Annexe 3 : Montants des allocations aux secteurs de
concentration liés à la sécurité dans les Programmes
e
Indicatifs Régionaux (PIR) 10 FED ...................................................... 28
1
© Ifri
Introduction
Au fil de son développement institutionnel et de la multiplication de
ses activités, l’Union européenne (UE) a eu tendance à empiler plutôt
qu’à rationaliser ses politiques, en créant un outil financier par
objectif. De ce fait, les fonds européens sont devenus un labyrinthe
dont le coût de gestion est élevé. L’action extérieure de l’UE
n’échappe pas à cette tendance puisque ses multiples objectifs,
définis par la Haute Représentante de l’UE pour les affaires
étrangères, Catherine Ashton, comme « promouvoir nos propres
valeurs et intérêts fondamentaux tels que les droits de l’homme, la
démocratie et l’État de droit, mais aussi… contribuer à la lutte contre
la pauvreté, la préservation de la paix et la résolution des conflits
dans le monde 1 », s’appuient sur neuf ou dix instruments différents,
certains qualifiés de « géographiques » et d’autres de
« thématiques » : Instrument de coopération au développement
(ICD), Instrument de Partenariat (IP), Instrument de stabilité (IdS),
Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme
(IEDDH), etc. (Annexe 1). Les domaines et les champs
géographiques d’intervention de ces outils financiers s’entremêlent et
représentent un budget total de 96,2 milliards d’euros pour la période
2014-2020 2, faisant de l’UE le premier fournisseur d’aide au
développement. Le Fonds européen de développement (FED) est le
Thierry Vircoulon est chercheur associé au programme Afrique subsaharienne de
l’Ifri. Ancien élève de l'Ecole Nationale d'Administration et titulaire d'un DEA de
science politique à la Sorbonne, il a travaillé pour le Quai d'Orsay et la Commission
européenne sur le continent, notamment en Afrique du Sud et en République
Démocratique du Congo.
Dominique Lecompte, docteur en géographie, consultant indépendant. Il a travaillé
une quarantaine d’années dans le domaine du développement sur des projets de la
Banque Mondiale, des Nations Unies, de la coopération française et durant dix-huit
ans en Afrique, dans la Caraïbe et dans le Pacifique sur des programmes de la
Commission européenne en tant que conseiller des services de l’Ordonnateur
national du Fonds européen de développement de huit Etats ACP.
1
Disponible sur :
<www.touteleurope.eu/fr/actions/relations-
exterieures/politique-de-voisinage/actualite/actualitesvue-detaillee/afficher/fiche/5600/t/44267/from/2387/br>.
2
Ibid.
3
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
plus ancien de ces instruments, bien antérieur au traité de Maastricht
de 1992 qui donna le jour à la politique étrangère de l’UE. Son
objectif (l’investissement pour le développement) et son champ
d’intervention géographique (postcolonial) étaient à l’origine
clairement circonscrits mais il a dû au fil des temps s’adapter à la
consolidation de l’action extérieure de l’UE et à la multiplication de
ses objectifs. Démembré en une série d’instruments, le FED se
présente actuellement comme un millefeuille, résultat de la
sédimentation de modalités d’interventions apparues au cours des
âges 3. Mais au-delà de sa complexité d’usage, l’évolution du FED
reflète l’évolution de l’aide européenne qui est au départ un
investissement pour l’infrastructure, et devient progressivement un
investissement pour la sécurité. La structuration d’une diplomatie
coopérante européenne après le traité de Maastricht a politisé l’aide
au développement et est en train de lui donner une orientation de
plus en plus sécuritaire sans que l’on sache clairement si le but ultime
est de sécuriser les citoyens des pays du Sud ou de l’Europe. L’objet
de cet article n’est pas de juger cette évolution mais d’en rendre
compte à travers l’analyse du principal fonds de développement de
l’UE (le FED) et d’un de ses démembrements (la Facilité de paix pour
l’Afrique) puis de mettre en évidence les difficultés et apories que
cette évolution génère dans le cadre des relations entre l’UE
et les pays en développement.
3
Au fil de plus de 50 ans d’existence, pratiquement seuls le STABEX (Système de
Stabilisation des Recettes d'Exportation) et le SYSMIN (Système de Développement
du potentiel minier) ont disparu du système d’aide au développement européen.
4
© Ifri
Les origines : l’héritage colonial
Les origines du Fonds européen de développement remontent à la
naissance même de l’Union européenne. Le traité de Rome, signé en
1957 entre les six États fondateurs de ce qui était alors la
Communauté économique européenne (CEE), prévoyait 4 que les
« États membres conviennent d’associer à la Communauté les pays
et territoires non européens entretenant avec la Belgique, la France,
l’Italie et les Pays-Bas des relations particulières » et que ces mêmes
États membres « contribuent aux investissements que demande le
développement progressif de ces pays et territoires 5 ». L’annexe IV
du Traité dressait la liste de 25 territoires coloniaux ou sous tutelle
concernés par cette association. Un instrument financier, le premier
FED, abondé directement par les États membres et partie non
intégrante du budget européen, fut mis sur pied afin de remplir les
objectifs fixés par l’article 132 du Traité, dans l’esprit des fonds
d’équipement des États membres, en particulier du FIDES (Fonds
d’Investissement et de Développement Économique et Social)
français ou du Fonds du Bien-être Indigène (FBEI) belge 6. Ce
« caprice colonial 7 » comme d’aucuns le considéraient alors était
promis à une longue vie puisque dès 1963, suite à l’indépendance
des États africains liés à la France et à la Belgique, fut signée la
première convention de Yaoundé avec les 18 premiers EAMA (États
africains et malgaches associés). La machine était alors enclenchée
et ne devait plus s’arrêter, l’adhésion du Royaume-Uni puis de
l’Espagne et du Portugal entraînant un élargissement concomitant du
groupe des États bénéficiaires aux anciennes colonies des nouveaux
4
Art.131 du Traité de Rome.
Art. 132 du Traité de Rome.
6
Pour un historique du FED et de la Direction Générale Développement chargé de
sa mise en œuvre, lire Véronique Dimier, « Institutionnalisation et bureaucratisation
de la Commission européenne : l'exemple de la DG développement », in Politique
européenne, n° 11 , 2003/3, p. 99-121 et Raymond-Marin Lemesle, « La convention
de Lomé : principaux objectifs et exemples d’actions 1975-1995 ». C.H.E.A.M., Paris,
1995, 193 p.
7
Véronique Dimier, op.cit. p. 102.
5
5
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
membres de l’UE 8. Les pays du Sud se dotèrent le 6 juin 1975 d’une
structure politique suite à l’Accord de Georgetown en créant le
groupe des
États ACP (Afrique, Caraïbes,
Pacifique).
Une architecture politique originale faite de structures paritaires
(Comité des Ambassadeurs ACP-UE, Conseil des Ministres ACP-UE,
Assemblée paritaire ACP-UE, etc.) fut bâtie et permit d’organiser la
négociation et le dialogue entre deux groupes d’États : d’une part, la
CEE qui devait devenir l’UE avec 28 membres et, d’autre part, le
groupe ACP qui regroupe aujourd’hui 79 pays. Le FED constitue
aujourd’hui le principal instrument d’action extérieure de l’UE (environ
35 % des fonds alloués à son action extérieure) avec près de
34,3 milliards d’euros prévus pour la période 2014-2020.
La première originalité du FED est qu’il ne constitue pas à
proprement parler un « instrument » du budget de la CEE.
Adossé dès son origine au traité de Rome, il a toujours reposé sur
« un contrat pluriannuel, de droit public international, négocié entre
deux unions d’États 9 » – les pays européens d’une part et le groupe
ACP d’autre part (Annexe 2) : conventions de Yaoundé I et II (19631975), puis de Lomé (quatre fois révisée de 1975 à 2000) et enfin
Accord de Partenariat de Cotonou en 2000 (deux fois révisé depuis
sa signature). En tant que fonds abondé directement par les États
membres de l’UE 10, il ne fait financièrement pas partie du budget de
l’Union et ne relève donc pas juridiquement des règles communes
votées par le Parlement pour les autres instruments 11.
8
Outre d’anciennes possessions ultramarines des États membres, le groupe ACP
s’est étendu par proximité et pour des raisons diverses à des pays qui n’avaient
jamais été colonisés (Libéria, Éthiopie), ou qui l’avaient été il y a fort longtemps
(Haïti, République Dominicaine, Cuba), à des territoires du Pacifique qui étaient sous
tutelle des États-Unis, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, ainsi qu’à TimorLeste. Séquelle de ses origines coloniales, une partie marginale des ressources du
FED bénéficie également à 25 Pays et Territoires d’Outre Mer (PTOM) non
indépendants éparpillés de l’Arctique à l’Antarctique (12 territoires liés au RoyaumeUni, 6 à la France, 2 aux Pays-Bas et 1 au Danemark).
9
Claude Cheysson, ancien commissaire au développement lors de la signature
de la convention de Lomé I dans sa préface à Raymond-Marin Lemesle, op. cit.
10
Le FED a toujours été abondé directement par des apports de chacun des États
membres de l’UE en fonction de grilles de répartition qui sont chaque fois l’objet de
ème
FED, quatre États – l’Allemagne (20 %), la
discussions serrées. Concernant le 10
France (19 %), le Royaume Uni (15 %) et l’Italie (13 %) apportaient plus des 2/3 des
ressources du Fonds. Voir Ulrike Kilne, Niels Keijzen, Jesque van Seters, Sheriff
th
Andrew, « More or Less? A Financial Analysis of the Proposed 11 European
Development Fund », ECDPM (Bruxelles Maastricht), Briefing Note n°29, mars 2012,
31 p.
11
Étant lié à un accord international, le FED, à la différence des autres instruments
liés au budget de l’UE, relève d’un accord interne qui requiert l’unanimité, et non pas
d’une réglementation qui peut être adoptée à la majorité qualifiée ; il ne requiert
6
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
Seconde originalité du FED, liée précisément à ce qu’il a
toujours été le fruit d’accords bilatéraux entre deux groupes d’États,
« l’esprit de Lomé », basé sur un « partenariat entre égaux »,
a institué dès sa naissance un système de cogestion des ressources
du fonds. Dès l’origine une distinction était établie entre les domaines
qui étaient clairement de la seule responsabilité des États ACP 12 –
définition de leurs objectifs et priorités, choix des projets, passation
des marchés et gestion contractuelle – et ce qui relevait d’une
responsabilité conjointe entre l‘État ACP et la CE 13 – élaboration du
Programme Indicatif National, instruction des projets et, ce qui n’était
pas le moins important pour la Commission, « assurer l’égalité des
conditions de participation aux appels d’offres et aux marchés ».
L’Accord de Cotonou a repris cette architecture puisque son
annexe IV reprend souvent mot à mot les dispositions qui figuraient
déjà dans la convention de Lomé. Cette volonté affichée
d’appropriation de la gestion du FED par les États bénéficiaires se
traduit par une mise en œuvre conjointe des projets et programmes.
Du côté de l’État ACP, l’Ordonnateur national du FED, personnalité
nommée par les pouvoirs publics, dont les prérogatives définies par
l’article 35 de l’annexe IV de l’Accord de Cotonou 14, est responsable
de la présentation et instruction des projets et programmes présentés
pour financement, du lancement des appels d’offres et de
l’organisation des évaluations et propositions d’attribution, de la
liquidation et ordonnancement des paiements et de tout ce qui relève
de la maîtrise d’ouvrage (aménagements, modifications, application
des pénalités, etc.). La Communauté (désormais Commission)
dispose quant à elle d’un représentant auprès de l’État ACP 15 dont
les prérogatives sont dans les faits le pendant exact de celles de
par contre pas d’accord du Parlement. Voir ECDPM, Differentiation in ACP-EU
cooperation. Implication of the U’s Agenda for change for the 11th EDF and beyond,
Discussion paper nº134, octobre 2012, p.10.
12
Art. 222.2, « définir les objectifs et les priorités sur lesquels se fondent les
programmes indicatifs… choisir les projets et programmes… préparer et présenter
les dossiers des projets et programmes… préparer, négocier et conclure les
marchés… exécuter et gérer les projets et programmes ».
13
Art.222.3, « les lignes directrices de la coopération…les programmes indicatifs…
l’instruction des projets et programmes… ».
14
Article 35 de l’annexe IV de l’Accord de Cotonou qui reprend pratiquement mot
pour mot l’article 313 des conventions de Lomé successives.
15
Dans les faits, sur les 139 délégations de l’UE dans le monde, une cinquantaine
seulement sont établies dans un État ACP, certaines d’entre elles couvrant plusieurs
pays, notamment dans le cas des petits États insulaires (par exemple la délégation
aux Fiji représente l’UE auprès de tous les micro-États insulaires du Pacifique, celle
de la Barbade pour les petites Antilles, de Maurice pour les Comores
et les Seychelles, etc.)
7
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
l’Ordonnateur national 16 puisqu’il doit participer et offrir assistance à
celui-ci en ce qui concerne l’instruction des projets et programmes,
approuver les demandes d’attribution de marché, et s’assurer de leur
exécution financière correcte 17. Alors que ce n’est qu’en 2005, avec
la fameuse « Déclaration de Paris », que les donneurs s’engagèrent
à « respecter le rôle prédominant des pays partenaires et les aider à
renforcer leur capacité à exercer ce rôle 18 » et à « faire reposer
l’ensemble de leur soutien – stratégies-pays, dialogue sur les
politiques à suivre et programmes de coopération pour le
développement – sur les stratégies nationales de développement des
pays partenaires et les rapports périodiques sur l’avancement de
l’exécution de ces stratégies 19 », le FED a donc fonctionné depuis
ses origines selon ces principes, l’Accord de Cotonou pouvant en
quelque sorte être considéré comme une « proto-Déclaration
de Paris 20 ».
Troisième originalité du FED : sa prévisibilité. Dès l’entrée de
la Grande-Bretagne dans la CEE et la signature de la convention de
Lomé I en 1975 21, la répartition des enveloppes budgétaires entre les
divers pays bénéficiaires a répondu à des critères objectifs et connus,
faisant du FED une aide programmable et prévisible.
16
L’article 36 de l’annexe IV de l’Accord de Cotonou reprenait mot pour mot l’ancien
article 317 des conventions de Lomé jusqu’à la révision de 2005. Il a alors été
remanié et réduit sans que cela ait de répercussions quant à l’étendue de ses
pouvoirs dans le cadre de la réglementation financière du FED, de plus en plus
calquée sur celle de l’ensemble des aides extérieures de l’UE.
17
Voir l’article de Véronique Dimier, « Préfets d'Europe : le rôle des délégations de la
Commission dans les pays ACP (1964-2004) », in Revue française d'administration
publique, Paris, No. 111, 2004/3, p. 433-445. Cet article retrace l’histoire des
représentants de l’UE depuis les simples « contrôleurs techniques du FED »
contractuels des années 1960 et 1970 jusqu’au « chef de délégation » à statut
diplomatique apparu dans la convention de Lomé IV révisée à Maurice en passant
par le « contrôleur-délégué » puis le simple « délégué ». La nouvelle formulation de
ses attributions telle qu’elle apparaît dans l’Accord de Cotonou révisé à Luxembourg
marque cette évolution d’un rôle essentiellement technique de représentant de la
CE/UE dans la mise en œuvre des ressources du FED à celui de diplomate
représentant l’UE dans toutes ses dimensions dans l’État ACP, un « chargé de
coopération » se chargeant plus précisément des aspects liés au développement.
18
Forum à haut niveau, Paris, 28 février-2 mars 2005, Déclaration de Paris sur
l’efficacité de l’aide au développement, point 15.
19
Idem point 16.
20
Ce n’est pourtant que lors de la révision de l’Accord de 2010, à Ouagadougou,
qu’une référence explicite à la Déclaration de Paris apparaît pour la première fois
dans le texte.
21
Véronique Dimier, « Institutionnalisation et bureaucratisation de la Commission
européenne : l'exemple de la DG développement », in Politique européenne, n° 11,
2003/3, p. 99-121 et sa présentation du « Waterloo bis » qu’a constitué pour les
anciens administrateurs coloniaux français en charge du FED l’entrée du RoyaumeUni dans la CE.
8
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
Cela se traduisait dans l’Accord de Lomé par un « droit à l’aide »,
chaque État se voyant affecter en début de période quinquennale de
programmation, correspondant alors à un FED 22, une enveloppe
intangible. Le système a depuis gagné en sophistication : l’allocation
peut à présent être revue à la hausse ou à la baisse en fonction des
performances du pays et les programmes nationaux et régionaux
doivent à présent ne présenter qu’un nombre limité de « secteurs de
concentration » afin d’éviter la dispersion et le saupoudrage 23.
Cependant, le FED, contrairement par exemple aux banques de
développement, qui financent généralement les projets au coup à
coup, ou aux autres instruments européen de politique extérieure,
fonctionnant souvent par le biais d’appels à proposition de projets ou
selon un système de « first in, first out », continue à être basé sur une
programmation quinquennale de l’utilisation d’une enveloppe
financière connue.
Dernière spécificité enfin, jusqu’aux années 1990, le FED a
fonctionné sur le modèle des fonds d’investissements créés après la
Seconde Guerre mondiale. Durant des années, il a essentiellement
permis de doter les pays ACP d’infrastructures dont la réalisation
dépassait leurs capacités techniques et financières. Des milliers de
kilomètres de routes, pistes, d’infrastructures hydrauliques, etc., ont
permis « d’équiper » les États ACP, souvent pour le plus grand
bonheur des entreprises de BTP européennes. La « culture
d’entreprise » du fonds était essentiellement une culture d’ingénieurs,
le « contrôleur technique du FED » étant en contact étroit avec ses
collègues de l’administration et des entreprises attributaires des
marchés de travaux ou de surveillance payés par le Fonds,
essentiellement préoccupé par l’aboutissement physique parfois
coûte que coûte des travaux, le formalisme financier et procédural
passant alors bien souvent au second plan.
22
er
Depuis le 1 FED qui a couvert la période 1959-1964, onze FED se sont
ème
FED (1995-2000).
succédés, chacun pour exactement cinq ans jusqu’au 8
ème
Les choses se sont depuis lors compliquées, le 9
FED correspondant à la période
ème
à 2008-2013.
2000-2007, le 10
23
Il s’agit là d’une volonté louable de canaliser les fonds vers des actions dans
lesquelles la « valeur ajoutée » et l’expertise européenne sont maximales et de
favoriser une meilleure articulation avec ce que font les États membres dans l’État
ACP concerné. Dans les faits pourtant, le choix fréquent de « secteurs de
concentration » aussi vastes que la « lutte contre la pauvreté » ou la
« gouvernance » permet encore de monter des programmes touchant des cibles les
plus variées.
9
© Ifri
Les années 1990 :
la politisation de l’aide
européenne au développement
Jusqu’aux années 1990, dans le contexte de la Guerre Froide, il était
généralement considéré « que l’aide soit efficace ou non n’ [a] pas
vraiment d’importance, par exemple, si elle [consolide] des régimes
amis » 24. Au début des années 1990, alors que les donateurs
occidentaux n’avaient plus besoin d’utiliser l’aide comme un outil
politique dans le cadre de la Guerre Froide et que la France vantait
soudainement les mérites de la démocratie en Afrique francophone,
les bailleurs introduisirent dans leurs programmes des conditionnalités
politiques sans cesse accrues.
Dans le cas du FED, ce changement de paradigme de l’aide
se traduisit tout d’abord en 1990 avec Lomé IV où apparaît pour la
première fois une timide référence indiquant que « la politique de
développement et la coopération sont étroitement liées au respect
des droits et libertés fondamentales de l’homme 25 », détaillant par la
suite l’ensemble des droits économiques, sociaux et culturels en
question. De plus, les parties contractantes réaffirmaient leurs
obligations pour combattre et éliminer toutes formes de
discriminations « fondées sur l’ethnie, l’origine, la race, la nationalité,
la couleur, le sexe, la langue, la religion 26… », mais sans que cela
n’aille au-delà de la simple déclaration de bonnes intentions. Suite au
traité de Maastricht et à la consécration de la politique extérieure
comme l’une des politiques de l’Union, Lomé IV bis en 1995 indique
que « dans l’appui aux stratégies de développement des États ACP,
il sera tenu compte à la fois des objectifs et priorités de la politique de
coopération de la Communauté et des priorités de développement
des États ACP 27. » Il marque ainsi le passage de la Commission du
24
Jean-Michel Severino, « La résurrection de l’aide », in OCDE, Coopération
pour le développement 2011, Éditions OCDE, Paris, 2012, p. 137-150.
25
Art. 5.1.
26
Art. 5.2.
27
Art. 4.
10
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
rôle de partenaire non actif, se contentant de financer les
programmes présentés par les pays ACP, à celui d’un acteur
entendant être engagé dans un dialogue politique avec ces derniers
et conditionnant dans une certaine mesure son soutien au respect
des objectifs et priorités propres à la Communauté. L’Accord de
Cotonou signé en 2000 s’inscrit dans cette perspective. Au fil de ses
révisions quinquennales, on y trouve un inventaire à la Prévert de
préoccupations dont on peut douter qu’elles aient été introduites par
les États ACP : références à l’Organisation Mondiale du Commerce,
à l’Organisation Internationale du Travail, à l’Accord sur les droits de
propriété intellectuelle en relation avec le commerce, à la Convention
sur la Diversité Biologique, à la Cour Pénale Internationale, etc.
L’article 86 de l’Accord de Cotonou institue pour la première fois, dès
2000, une « procédure de consultation et mesures appropriées
concernant les droits de l’homme, les principes démocratiques et
l’État de droit », applicable lorsque l’une des parties considère que
« l’autre manque à une obligation découlant du respect des droits
de l’homme, des principes démocratiques et de l’État de droit 28 »,
procédure qui peut avoir pour conséquence la suspension de la
coopération avec l’État en question. Il va sans dire que cette
procédure a jusqu’à présent toujours été activée à l’initiative de la
partie européenne de l’Accord et à l’encontre d’un partenaire ACP 29.
L’article 96 consacre pleinement l’aide européenne au développement
comme un instrument de la politique extérieure de l’UE.
Du fait des réticences de nombreux États ACP à cette évolution, la
pratique du dialogue politique prévu par l’Accord de Cotonou est très
variable au sein des ACP : elle va de l’inexistence à un dialogue
régulier et fréquent entre représentants de l’UE et ministres du pays
concerné.
Cette importance accrue des critères politiques dans la
coopération ACP-UE s’est encore renforcée grâce au développement
28
Art. 96.2 a.
L’article 96 est généralement mis en œuvre en cas de coups d’État (Côte d’Ivoire
en 2001, Centrafrique en 2003, Mauritanie en 2005, etc.) et l’aide européenne n’est
interrompue qu’en dernier ressort ou lorsque l’État partenaire est failli. Pour une
analyse détaillée de l’application de l’article 96, lire Liisa Laakso, Timo Kivimaki et
Maria Sepanen, « Evaluation of Coordination and Coherence in the Aplication of the
Article 96 of the Cotonou Partnership Agreement », in Studies in European
Development Cooperation Evaluation, n°6, avril 2007. Cet article consacre en fait
une position de la partie européenne qui était déjà présente à l’époque des dernières
conventions de Lomé. En 1993 déjà, par exemple, sept pays était touchés par des
mesures de suspension de l’aide prises par la Communauté, certains pays ayant
alors connu de très longues périodes de suspension (Congo-Zaïre, Haïti, Malawi,
Somalie, Libéria…).
29
11
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
concomitant d’une nouvelle modalité de l’aide : l’appui budgétaire,
apparu dans le sillage des programmes d’ajustement structurel. Suite
au constat que « les États ACP et la Communauté sont d’avis que la
situation de la dette extérieure des États ACP est devenue un
problème critique de développement 30 », la décision est alors prise
de « favoriser… l’utilisation accélérée des ressources des
programmes indicatifs précédents qui n’ont pas été engagées, à
travers les instruments à déboursement rapide prévus dans la
Convention en vue de contribuer à atténuer la charge de la dette 31 »
Cette nouvelle orientation en matière de mise en œuvre des
ressources du FED n’allait pas forcément de soi : le système bâti par
Lomé reposait sur le financement de l’investissement comme moteur
de la croissance et sur un ensemble de préférences commerciales
qui était aux antipodes des conceptions libérales sous-tendant les
politiques d’ajustement menées par les institutions de Bretton
Woods 32.
Les PAS (Programmes d’Ajustement Structurel) de ces instances
reposaient alors sur une logique de développement par
l’accroissement de la compétitivité, ce qui impliquait que les
producteurs devaient adapter leurs prix en fonction des prix relatifs.
Ce système allait à l’encontre des mécanismes de correction des
fluctuations de prix traditionnellement mis en œuvre par le FED, ne
considérant plus l’investissement public comme l’élément moteur de
la croissance, alors que c’était là le « cœur de métier » du FED et,
basé sur des dons, remettait ainsi en question le pouvoir de créancier
de ces institutions. Après un démarrage timide, puisque la part des
fonds du FED affectés à l’ajustement structurel ne dépassait pas les
10 % du total tant pour le 7e que pour le 8e FED, les appuis
budgétaires devaient rapidement devenir la principale modalité de
mise en œuvre avec 30 % des financements du 9e FED puis 48 % du
10e FED. De nombreuses raisons se sont conjuguées pour entraîner
ce glissement de l’aide-projet traditionnelle vers les appuis
budgétaires. L’aide budgétaire est d’une mise en œuvre plus rapide
et moins onéreuse que l’aide-projet (elle requiert moins de personnel)
et surtout elle est devenue, selon la Cour des Comptes européenne,
30
Convention de Lomé IV, art. 239.
Convention de Lomé IV, art.240.
32
Voir Jean Coussy, « L’appui de l’Union européenne aux ajustements structurels »,
in Cahiers du GEMDEV, nº25, 1997, p.195-211.
31
12
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
« la solution de première intention 33 » consacrée par le dialogue entre
bailleurs et pays récipiendaires.
Les gouvernements des partenaires ACP se sont
immédiatement montrés favorables à cette nouvelle modalité de
l’aide, y voyant, peut-être naïvement, un moyen de s’exonérer du
suivi tatillon, souvent considéré comme vexatoire, que les services de
la Commission exercent sur l’utilisation des fonds affectés aux
projets. Mais cela s’est révélé une stratégie à courte vue.
En effet, l’aide budgétaire est beaucoup plus aisée à moduler au gré
des fluctuations du « dialogue politique » que les aides-projets
reposant sur des marchés publics qui, une fois signés, peuvent
difficilement être suspendus, permettant ainsi au partenaire européen
d’être, lorsqu’il le souhaite, beaucoup plus directif quant au déblocage
des fonds en fonction de critères politiques sur lesquels il dispose
d’un pouvoir pratiquement discrétionnaire.
33
Cour des Comptes européenne, La gestion, par la Commission, de l’appui
budgétaire général dans les pays ACP, ainsi que dans les pays d’Amérique Latine et
d’Asie, rapport spécial nº11, 2010, p. 77. On peut d’ailleurs s’interroger sur la
pertinence de cette adaptation d’une terminologie d’origine médicale au domaine de
l’aide au développement, le « traitement de première intention » étant celui donné à
un patient qui n’a pas reçu précédemment de traitement pour soigner son affection,
les pays ACP ayant au contraire généralement déjà été soumis à de multiples
« médications ».
13
© Ifri
L’aube du XXIe siècle :
la « sécuritisation » de l’aide
européenne au développement
Après avoir été politisée dans les années 1990, l’aide européenne est
entrée de plain-pied dans le domaine de la sécurité avec le
XXIe siècle. Loin d’être une rupture, cette évolution est plutôt une
continuité logique. Le développement de zones de non-droit et
d’États faillis (Afghanistan, Haïti, Somalie, République démocratique
du Congo, etc.) a été perçu et vécu comme générant des problèmes
de sécurité en Europe 34 tandis qu’un nouveau paradigme liait
développement et sécurité et que le 11 septembre 2001 faisait sauter
un « verrou psychologique » parmi les puissances occidentales.
Ces évolutions politiques, sécuritaires et conceptuelles se traduisirent
par la montée en puissance de la question de la sécurité dans
l’agenda européen (illustrée par la Stratégie européenne de sécurité
en 2003) et par la multiplication des missions policières et militaires
de l’UE 35. Cette évolution générale n’a pas épargné l’aide
européenne qui a été dotée de nouveaux instruments ad hoc censés
répondre à ces nouvelles priorités sécuritaires.
Comme dans le cas précédent, l’Accord de Cotonou a
incorporé ces préoccupations sécuritaires européennes. Le texte
original comportait, dès 2000, des références aux enfants-soldats, à
la lutte contre le crime organisé, à la drogue, à la prolifération des
armes légères, problèmes qui préoccupaient déjà la partie
européenne. La première révision de 2005 inclut la lutte contre le
terrorisme et les armes de destruction massive, conséquence directe
34
L’apparition d’une nouvelle route de la drogue entre l’Amérique du Sud
et l’Europe via l’Afrique de l’Ouest a beaucoup contribué à cette vision.
35
Ces dix dernières années, l’UE a déployé plusieurs missions militaires et policières
en Afrique. Certaines de ces missions étaient plus ou moins permanentes (comme
celles chargées de la réforme du secteur de sécurité en RDC et en Guinée Bissau,
ou des missions de formation militaire comme en Ouganda et au Mali) tandis que
d’autres étaient des interventions militaires ponctuelles (Artémis et EUFOR en RDC
en 2003 et 2006, EUFOR au Tchad et en Centrafrique de 2007 à 2009) ou durables
14
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
du 11 septembre et de la guerre d’Irak. La troisième révision en 2010
étend le champ des problèmes au trafic d’êtres humains et à la
piraterie 36, conséquence directe de l’insécurité affectant une des
routes maritimes les plus fréquentées du monde au large de la
Somalie. La montée en puissance des problèmes sécuritaires dans
l’agenda européen en Afrique apparaît aussi et surtout dans le
partenariat stratégique entre l’UE et l’Afrique. La paix et la sécurité
font partie des priorités de ce partenariat : les deux signataires
s’engagent à agir de concert pour instaurer la paix et la sécurité en
Afrique mais aussi à travailler ensemble sur des problèmes de
sécurité mondiaux tels que le trafic des armes de petits calibres et la
prolifération
des
armes
de
destruction
massive 37.
Par ailleurs, par souci de cohérence et de clarté, l’UE conçoit
dorénavant des stratégies régionales qui énoncent sa politique pour
certaines zones spécifiques et reposent sur une approche intégrée de
la sécurité et du développement 38.
Financièrement, cette approche s’est traduite encore une fois
par la création d’un nouvel instrument, la Facilité de Paix pour
l’Afrique (APF). Sa création fait suite à l’engagement renouvelé de
l’Afrique sous sa forme d’organisation continentale (l’Union africaine,
UA) à œuvrer pour la paix sur le continent. À la fin du XXe siècle,
le désir d’affirmation politique et d’une meilleure maîtrise de leur
devenir par certains dirigeants africains a coïncidé avec le désir de
désengagement d’Afrique des Occidentaux consécutif à la fin de la
Guerre Froide et aux mésaventures américaines et belges en
Somalie et au Rwanda 39. Cette convergence des agendas politiques
a abouti à l’idée de l’africanisation de la gestion des conflits dont le
slogan est « African solutions for African problems. » La
transformation de l’Organisation de l’Unité Africaine en UA s’est
accompagnée d’un nouvel accent mis sur la prévention, gestion et
résolution de conflits sur et par le continent. L’objectif était de
substituer des interventions de paix africaines aux interventions
occidentales en Afrique et, avec la Facilité de Paix, l’UE est devenue
le premier bailleur de l’africanisation de la prévention, gestion et
(l’opération navale Atalante qui vise à sécuriser les eaux au large de la Somalie a
débuté en 2008 et dure toujours.)
36
Article 11.1.
37
Articles 10 et 13 du Partenariat stratégique Afrique-UE, 2007.
38
L’UE a ainsi élaboré une stratégie pour le développement et la sécurité du Sahel
et un cadre stratégique pour la Corne de l’Afrique en 2011.
39
Échec de l’opération « Restore Hope » en Somalie en 1993 et exécution de dix
militaires belges participant à l’opération des euros au Rwanda (MINUAR) en 1994.
15
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
résolution des conflits. Créée en réponse à une demande formulée
par le Sommet de l’UA à Maputo en juillet 2003, la Facilité de Paix fut
initialement dotée de 250 millions d’euros pour une période de trois
ans. Cette dotation budgétaire provenait alors du 9e FED.
Depuis sa création en 2003, la Facilité de Paix a toujours été
prolongée, son budget augmenté (elle a fait l’objet d’une allocation
budgétaire de 600 millions dans le cadre du 10e FED) et son champ
d’action élargi.
La Facilité de Paix doit financer la capacité de l’UA et des
organisations régionales africaines à prévenir, gérer et résoudre les
conflits sur le continent. À ses débuts, elle a été utilisée pour financer
des opérations de maintien de la paix mais son champ s’est élargi
rapidement. La mission de l’UA au Darfour (AMIS) fut la première
mission à recevoir un financement au titre de la Facilité de Paix en
juin 2004 pour un montant de 12 millions d’euros. Désormais, elle ne
finance plus seulement les opérations de paix mais aussi toute
l’architecture de paix et de sécurité (APSA), c’est-à-dire les
médiations et l’infrastructure institutionnelle dédiée à la prévention,
gestion et résolution des conflits. En revanche, les dépenses
d’équipement militaire à proprement parler (armes) sont exclues.
En 2007, l'UA et l'UE ont décidé d'élargir le champ de la Facilité de
Paix afin de couvrir la prévention des crises et la stabilisation postconflit ainsi que d'accélérer le processus décisionnel et la
coordination. Cela implique de soutenir les structures et les initiatives
de prévention et de résolution des crises, c’est-à-dire le Conseil de
Paix et de Sécurité, le Système Continental d'Alerte Rapide et la
Force africaine en attente. Conformément aux priorités du Partenariat
stratégique Afrique-UE, les fonds de la Facilité de Paix pour l'Afrique
ont été alloués comme suit :
1) Un montant de 100 millions a été alloué au renforcement
des capacités. Le soutien de l'UE a pour objectif de renforcer la
capacité et l'effectivité du fonctionnement des différentes
composantes de l'APSA et de renforcer le dialogue politique.
À ce titre, la Facilité de Paix a été utilisée pour améliorer la
communication institutionnelle entre l’UA et les organisations, à la fois
la communication matérielle (équipement) et humaine (financement à
ce jour de quatre officiers de liaison des organisations régionales
auprès de l’UA). Actuellement, 40 millions d’euros sont affectés aux
tâches comprises dans la feuille de route pour l’opérationnalisation de
l’APSA dont une nouvelle mouture est en cours d’élaboration
pour la période 2014-2017.
16
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
2) Avec un montant de 600 millions d’euros, le financement
des opérations de soutien à la paix représente la principale dépense
de la Facilité de Paix pour l'Afrique.
3) Un montant de 15 millions a été alloué au financement des
mécanismes d’alerte, des phases préparatoires des opérations de
soutien à la paix et aux étapes préliminaires des processus de
médiations, lorsque des fonds sont requis de manière urgente.
En termes de bilan, la Facilité de Paix a permis de financer la
construction d’une capacité institutionnelle de gestion des conflits de
l’Union africaine et d’une myriade d’organisations régionales
africaines 40 et de financer cinq opérations de paix africaines depuis
sa création, à savoir l’AMIS (la mission de l’UA au Soudan de 2004
à 2007), l’AMISEC aux Comores (une opération ponctuelle de
sécurisation des élections en 2006 conduite par l’UA avec le
concours de l’armée sud-africaine), la MICOPAX en Centrafrique
(une mission de la CEEAC qui a débuté en 2008 et est toujours en
cours), l’AMISOM en Somalie (une mission de l’UA qui a débuté en
2007, toujours en cours), la Regional Task Force de l’UA contre la
LRA (une autre mission pilotée par l’UA, commencée en 2011,
toujours en cours). Parmi toutes ces missions, l’AMISOM est de loin
la plus coûteuse car elle est aussi la plus importante : de sa création
en 2007 jusqu’en 2012, elle a bénéficié de 600 millions d’euros d’aide
européenne et compte 6 000 hommes 41. Une sixième mission va être
financée par la Facilité de Paix. En effet, l’Union européenne a décidé
de réserver un montant de 50 millions pour soutenir le déploiement
de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite
africaine (MISMA 42).
L’activation de la Facilité de Paix a un point de passage
obligé : l’UA, qui est le pivot central de l’architecture de paix et de
40
Il s’agit en l’occurrence de l’East African Community (EAC), du Marché Commun
de l’Afrique orientale et australe (COMESA), de la Communauté Économique des
États de l’Afrique Centrale (CEEAC), de la Communauté Économique des États
d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de la Communauté des États Sahélo-Sahariens
(CEN-SAD), de l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD), de
l’Union du Maghreb Arabe et de la Communauté de Développement d’Afrique
australe (SADC).
41
Commission européenne, The EU renewed its commitment to foster peace and
security in Somalia, 21 février 2012. Le niveau de pertes humaines de cette
opération est aussi particulièrement élevé (environ 3 000 de 2007 à 2013) car il s’agit
davantage d’une mission de maintien que d’une mission de combat. « Somalie :
l’Amisom a perdu 3 000 soldats en six ans », RFI, 10 mai 2013.
42
Commission européenne, L’UE accélère son soutien à la résolution de la crise au
Mali, Bruxelles, 17 janvier 2013.
17
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
sécurité continentale. En règle générale, l’UA adresse une requête de
financement à l’UE et, quand il s’agit du financement d’une opération
de maintien de la paix, une approbation, ne serait-ce que tacite et
informelle, des Nations Unies est aussi requise. Ainsi, la
transformation de la mission de la CEEAC en Centrafrique
(MICOPAX) en une mission de l’UA (MISCA) a impliqué des
négociations entre les deux organisations ainsi qu’un nouveau
concept d’opérations conçu par l’UA qui a été envoyé à Bruxelles en
même temps que la requête de financement 43. Si cette requête était
acceptée, la Facilité de Paix financerait cette année une septième
mission africaine. Mais le contrôle de l’UA sur la Facilité de Paix est
informellement contesté par les organisations régionales qui
souhaiteraient obtenir un droit de tirage propre sur ce fonds 44.
Toutefois, le financement des efforts de paix et de sécurité
des organisations africaines ne se traduit pas par un bilan très
satisfaisant. La feuille de route pour l’opérationnalisation de
l’architecture de paix et de sécurité qui a été élaborée permet de
mesurer l’écart entre les objectifs affichés et les objectifs atteints.
Les organisations régionales africaines n’ont pas démontré leur
efficacité dans la mise en œuvre de leur mandat de paix et de
sécurité et se classent en trois catégories : celles qui n’ont effectué
aucun progrès dans l’opérationnalisation de la feuille de route et n’ont
consommé aucun crédit (comme, par exemple, la CEN-SAD et
l’Union du Maghreb Arabe), celles qui ont commencé à l’appliquer et
sont en mesure de présenter un bilan d’activités cohérent (comme
l’EAC, la COMESA) et celles qui ont commencé à l’appliquer et qui
ne sont pas en mesure de présenter un bilan d’activités cohérent
(la SADC, la CEDEAO, la CEEAC). La qualité de la gestion financière
des fonds affectés est aussi un sujet de préoccupation pour l’UE,
notamment en ce qui concerne la CEEAC et la CEDEAO.
Quant à la Force en attente, elle est toujours attendue. Élément clé
de l’architecture de paix et de sécurité, la Force en attente est censée
être la force de maintien de paix de l’Afrique et être formée par la
contribution de cinq organisations régionales (Union du Maghreb
43
Cette mission devra protéger les civils et restaurer la sécurité, contribuer à la
stabilisation du pays et à la restauration de l’autorité centrale, à la réforme du secteur
de sécurité et à la création des conditions nécessaires à la fourniture de l’aide
humanitaire.
44
Une telle évolution n’est pas exclue, notamment après la signature d’un accord de
financement direct entre l’UE et la CEDEAO pour la mission de paix au Mali. Afin de
sauver les apparences du contrôle politique de l’UA, cet accord a été validé par cette
organisation.
18
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
Arabe, CEEAC, CEDEAO, SADC et EASFOM 45). Reconnaissant
finalement l’incapacité à atteindre cet objectif, l’UA y a substitué une
capacité de déploiement rapide qui serait une version allégée de la
Force en attente 46. Si une capacité de planification militaire a été
instaurée au niveau de l’UA, cela est loin d’être le cas dans les cinq
organisations régionales concernées et la capacité de déploiement
rapide est peut-être encore une force virtuelle. En 2013, l’incapacité
de déployer une force de la CEDEAO lors de la crise malienne et une
force de la SADC lors de la crise du M23 dans les Kivus congolais a
démontré par les faits l’échec de la constitution de forces en attente.
Face au caractère virtuel de certaines réalisations de l’APSA, le
retour au réalisme s’est imposé et les mesures de sauvegarde sont
déjà engagées du côté de l’UE : plafonnement du budget de soutien
à l’APSA, réorientation du programme vers le renforcement de
capacités et l’évaluation, notamment en incluant les Délégations qui
sont au contact quotidien des bénéficiaires. D’évidence, la capacité de
gestion des organisations africaines a été surestimée et les obstacles
politiques propres au grand dessein de l’africanisation de la gestion,
prévention et résolution des conflits ont été gravement sous-estimés.
Par ailleurs, plusieurs divergences de conception du maintien
de la paix sont apparues entre l’UE et les partenaires africains de
l’APSA. Les seconds ont une appréhension surtout militaire de la
mission et négligent sa dimension civile tandis que l’UE a une
appréhension plus « civil affairs » du maintien de la paix. Cela a
conduit à des tentatives de recadrage de la préparation des Forces
en attente avec un accent mis sur le développement et l’intégration
de la composante civile dans les brigades prétendument en attente.
De plus, la multiplication des missions de l’UA s’accompagne d’une
extension ou d’une dilution de l’objectif initial de maintien de la paix :
si certaines missions correspondent à la conception classique du
peacekeeping ou du peacebuilding, d’autres comme la Regional Task
Force contre la LRA sont atypiques tant sur le fond que sur la forme
et ressemblent davantage à des missions de combat. Cela conduit
certains à s’interroger sur une dérive sécuritaire de la Facilité de Paix,
45
Cette Force doit être composée d’une brigade d’environ 5 000 hommes chacune,
et comporter une composante civile et policière. Communication de Jean-Baptiste
Natama, directeur de cabinet de la présidente de la Commission de l’Union africaine,
Paris, juin 2013.
46
Raport de la présidente de la Commission sur l’opérationnalisation de la capacité
de déploiement rapide de la Force africaine en attente et la mise en place d’une
ème
réunion
capacité africaine de réponse immédiate aux crises, Union africaine, 6
ordinaire du Comité spécialisé sur la défense, la sûreté et la sécurité, 29-30 avril
2013.
19
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
en particulier, et de la politique de l’UE en Afrique en général.
Comme il se doit, la Facilité de Paix est aussi critiquée en raison de
l’effet d’éviction qu’elle aurait sur les dépenses spécifiquement
dédiées au développement puisqu’elle est financée par le FED.
Parallèlement à la Facilité de Paix, les préoccupations
sécuritaires se sont graduellement étendues à l’ensemble du
dispositif de programmation FED, qu’il s’agisse des Programmes
Indicatifs Nationaux (PIN) ou Régionaux (PIR). Actuellement plus de
10 % du montant total des enveloppes prévisionnelles des six PIR
(soit plus de 225 millions d’euros) sont prévus pour être affectés à
des projets dans le domaine de la sécurité dont une partie
directement en relation avec des activités de nature purement
militaire (Annexe 3). Des projets dans le domaine de la sécurité sont
également financés dans le cadre des PIN de nombreux États, et
parfois même des programmes d’appui budgétaire incluent des
indicateurs en relation avec la sécurité 47. L’inclusion des problèmes
sécuritaires (trafic de drogues, d’êtres humains, blanchiment, etc.)
dans l’aide européenne aux États ACP illustre et renforce en même
temps la politisation accrue du dialogue entre l’UE et ses partenaires,
d’autant plus que ces projets sont bien souvent conçus en synergie
avec des interventions de l’UE plus strictement militaires financées
par d’autres instruments de la Commission, voire du Conseil 48.
Le dispositif de pilotage de l’aide dans les États ACP s’adapte à cette
nouvelle donne comme le montre l’évolution sociologique des chefs
de Délégations : les ingénieurs qui occupaient traditionnellement
pratiquement tous les postes depuis l’époque des « contrôleurs du
FED », sont progressivement remplacés par des diplomates du
Service Européen d’Action Extérieure ou des États membres 49,
illustrant bien la prégnance de l’approche politique, de plus en plus
axée sur les questions sécuritaires.
47
Dans le cas du récent programme d’appui budgétaire pour le Cap-Vert, 8 des 39
indicateurs de performance sont liés au domaine de la sécurité, couvrant des
activités aussi variées que la Garde Côtière, l’organisme chargé de la lutte contre le
blanchiment et le système carcéral.
48
Le Conseil de l’UE finance les opérations militaires européennes par le biais d’un
fonds ad hoc, Athena.
49
Lors du renouvellement de 15 chefs de Délégation, il est vrai en grande partie hors
ACP, effectué au printemps 2012, seuls 2 des ambassadeurs nommés n’étaient pas
des diplomates du SEAE ou des États membres, encore s’agissait-il des Délégations
à la Barbade et au Timor-Leste (cf. Nicolas Gros-Verheyde, « Rotation 2012 de la
diplomatie européenne, 17 nommés », in Bruxelles 2, 16 mai 2012, disponible sur :
<www.bruxelles2.eu/tag/seae/page/5)>.
20
© Ifri
Conclusion
Cinquante-cinq ans après sa création, le FED, plus ancien instrument
de l’action extérieure de l’Europe, a fait preuve d’une remarquable
capacité à s’adapter face aux mutations de son environnement
international et des objectifs tant de la partie européenne que de la
part des partenaires ACP. Né comme un fonds d’investissement dans
un cadre de clientélisme postcolonial entre certains États membres et
des partenaires uniquement africains, il s’est adapté aux
élargissements successifs de l’Europe et à l’intégration de nouveaux
bénéficiaires dans le système de Lomé. Il a permis d’appuyer les
efforts d’ajustement des économies ACP dans le contexte de crise de
la dette des années 1990, a survécu à la disparition des préférences
commerciales qui constituaient l’un des piliers des conventions de
Lomé successives, a graduellement été politisé en intégrant la
promotion de la démocratie et de l’État de droit et est de plus en plus
utilisé comme l’un des instruments pour préserver la paix et résoudre
les conflits, particulièrement en Afrique. Démembré en de multiples
sous-fonds, ce qui reste spécifique au FED depuis les années 1950
c’est son champ d’action géographique limité pratiquement à des
pays ayant autrefois été attachés à l’Europe par des liens coloniaux.
Toutefois, force est de reconnaître que l’évolution actuelle
pose problème, et ce, en premier lieu, en termes d’appropriation.
Par rapport à l’esprit originel des conventions de Lomé puis de
l’Accord de Cotonou, qui instauraient, bien avant Paris et Accra, un
mécanisme de concertation et de cogestion de l’aide, basé sur des
projets véritablement décidés en commun, on ne peut nier qu’un
certain glissement se soit produit. Les objectifs introduits depuis une
vingtaine d’années dans les conventions successives correspondent
de plus en plus à des préoccupations propres à la partie européenne,
acceptés souvent du bout des lèvres par la partie ACP.
La complexification des procédures de l’aide européenne et le
transfert de tâches vers le pays récipiendaire ont été, dans certains
cas, pris à contre-pied par la réduction de la capacité administrative
de ces pays (exode ou non renouvellement des élites
administratives). Paradoxalement alors que se développait au niveau
des bailleurs un discours sur les notions d’appropriation et
d’alignement, les partenaires ACP ont connu un certain
21
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
désenchantement, ayant de plus en plus l’impression d’être mis à
l’écart des décisions. Ce sentiment de marginalisation par rapport à la
programmation et à la mise en œuvre des ressources du Fonds
devient de plus en plus prégnant au sein des responsables ACP et
risque de délégitimer l’aide européenne. Il est à cet égard
symptomatique de noter que les ACP assistent quant à eux
essentiellement en spectateurs aux débats liés à l’Agenda
du changement qui animent les services de la CE 50.
Un autre problème a trait à la politisation du FED, incarnée
par l’objectif de « promouvoir nos propres valeurs et intérêts
fondamentaux » tel qu’exposé par la Haute Représentante de l’UE
pour les affaires étrangères. On peut en effet se demander dans
quelle mesure, au-delà du pathos qui irrigue les textes des
conventions, accords et autres stratégies et agendas de l’UE,
l’instrument FED est véritablement le mieux habilité pour ce faire.
La particularité du FED est en effet d’être techniquement un bailleur
bilatéral, mais se comportant dans les faits comme un bailleur
multilatéral, les États membres devant constamment s’accorder sur
un plus grand dénominateur commun entre leurs positions sur tel ou
tel point. Du côté du groupe ACP également, les 79 États membres
relèvent de cultures et de traditions historiques fort diverses.
Se mettre d’accord dans ces conditions sur ce que pourraient être
ces valeurs communes et intérêts fondamentaux et les promouvoir
auprès d’États si divers est en quelque sorte une gageure. Il faut
d’autre part noter que cette fréquente incapacité à définir une ligne
d’action commune, les diplomaties des divers États membres ayant
chacune des intérêts particuliers pour certaines zones géographiques
plutôt que d’autres et des sensibilités politiques diverses, se traduit
souvent par une pusillanimité collective et oblige l’Europe et par
conséquent le FED à intervenir en situation de subsidiarité,
par rapport à la Banque mondiale et au FMI pour ce qui concerne les
appuis budgétaires et par rapport à l’ONU en ce qui concerne la
Facilité de Paix, éludant ainsi le problème de la définition d’un
discours et de valeurs propres à l’UE.
Quant à l’objectif de sécurité énoncé par la Haute
Représentante à l’action extérieure, à savoir « la préservation de la
paix et la résolution des conflits dans le monde », le bilan de ce qu’a
pu apporter le FED en tant que tel est mitigé. Conçue pour financer
50
ECDPM, Differentiation in ACP-EU Cooperation. Implication of the EU’s Agenda
for Change for the 11th EDF and Beyond, op.cit.
22
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
une politique (l’africanisation de la prévention, gestion et résolution
des conflits) qui reflète les intérêts et normes européens, la Facilité
de Paix correspond à un souhait politique réel mais paradoxal :
le souhait de désengagement non pas de l’Afrique mais des conflits
africains. Toutefois, l’UE ne peut se résoudre à se détourner
complètement des problèmes de sécurité de l’Afrique en raison de la
proximité des deux continents, de l’immigration et des intérêts
sécuritaires de certains pays européens en Afrique. Ces intérêts ont
été récemment illustrés par l’intervention militaire française pour
stopper la progression des djihadistes au Mali, au moment même où
toutes les diplomaties européennes ne juraient que par
l’africanisation de la gestion des conflits.
La Facilité de Paix incarne aussi une norme européenne très
prégnante : celle du régionalisme. En finançant une architecture de
paix et de sécurité continentale qui repose sur un réseau
d’organisations régionales, elle promeut explicitement un
régionalisme sécuritaire qui reflète à la fois l’histoire et la philosophie
de l’UE, ayant elle-même été initialement conçue comme un rempart
et une association économique contre le bloc de l’Est. Les faiblesses
intrinsèques de ces organisations régionales limitent l’impact des
sommes injectées tant dans le cadre de la Facilité que sur les
ressources issues des PIR et des PIN. L’utilisation des ressources du
Fonds, lorsqu’elle se situe dans une approche globale, articulée avec
d’autres interventions de l’UE comme les missions PESD (politique
européenne de sécurité et de défense), peut par contre avoir un effet
stabilisateur dans certains pays en crise profonde. L’inclusion de
critères de performance liés au secteur de la sécurité dans le cadre
de programmes d’appui budgétaire devrait en revanche faire l’objet
d’une réflexion plus poussée, les indicateurs utilisés dans le cadre de
ces programmes ne laissant pas toujours augurer un impact réel sur
la sécurité, la lutte contre la délinquance internationale et le crime
organisé. Une réflexion commune entre praticiens des aides
budgétaires et spécialistes des questions de sécurité permettrait
d’éviter de se fourvoyer et de trouver des incitations plus efficaces
surtout si l’on considère qu’en tant que secteurs de souveraineté, la
défense et la sécurité sont ceux qui ont jusqu’à présent été les plus
imperméables aux changements en faveur d’une meilleure
gouvernance et d’une plus grande transparence, et qui ont affecté
pratiquement tous les autres domaines de la dépense publique.
Une réflexion sur
instrument géographique
d’investissements publics,
infrastructures (secteur
l’articulation entre d’une part le FED,
historiquement voué au financement
essentiellement dans le domaine des
par essence même prévisible et
23
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
programmable), dont la mise en œuvre est basée sur la négociation
de programmes pluriannuels, et les autres instruments financiers de
l’action extérieure de l’UE d’autre part, en particulier les thématiques
recouvrant bien souvent les mêmes problématiques – gouvernance,
sécurité…– et procédant bien souvent par le biais d’appels à
propositions, devrait être menée. De par sa nature et ses
mécanismes d’identification et instruction des programmes et de
gestion des fonds, le FED n’est probablement pas le mieux adapté
pour permettre apporter des réponses rapides telles que celles
qu’exigent les situations de crise et de troubles politiques pouvant
évoluer d’heure en heure.
À ce titre, les réflexions en cours à l’occasion de la
préparation du 11e FED, qui devrait, avec un montant très légèrement
supérieur à celui du 10e, financer la coopération UE-ACP sur la
période 2014-2020, ne permettent pas vraiment d’augurer de
changements significatifs. Le « serpent de mer » de l’intégration du
FED dans le budget de l’UE – souhait depuis des années de
beaucoup au sein de la Commission ou du Parlement européen –
va sans doute ressurgir mais sans espoir de devenir une réalité. Les
problèmes particuliers liés à la sécurité et aux objectifs propres à la
Facilité pour la Paix n’apparaissent au mieux dans l’« Agenda for
Change 51 » que lors de timides références au lien développementsécurité et aux situations de fragilité, soit une dizaine de lignes dans
un document de douze pages. Le plaidoyer des organisations de la
société civile pour détacher l’approche gouvernance des intérêts
géostratégiques et avoir des procédures plus souples concernant les
décaissements en situation de crise 52 semble de ce point de vue
avoir peu de chance de rencontrer une oreille bienveillante de la part
des services de la Commission, même si l’argument de la
« différentiation » de l’aide en fonction des besoins, des capacités de
mise en œuvre, des performances et de l’impact pourrait en théorie
jouer en faveur d’un tel changement.
51
European Commission, Communication of the Commission to the European
Parliament, the Council, the European Committee and the Committee of the Regions
increasing impact of the EU Development Policy: an Agenda for change, Bruxelles,
octobre 2011, 12 p.
52
Voir par exemple la note d’information du Groupe de travail Cotonou de
CONCORD (Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement) à
ème
assemblée parlementaire ACP-EU en juin 2013, disponible
l’occasion de la 25
sur :
<www.coordinationsud.org/plaidoyer/europe/fondseuropeen-de-developement>
24
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Annexes
Annexe 1
Principaux instruments financiers de l’action extérieure européenne
Nom et acronyme
de l’instrument
Hauteur du
financement
2014-2020
Bénéficiaires
Éléments financés
(en milliards
d’euros)
Instruments de préadhésion et de voisinage
Instrument de
préadhésion (IPA)
Instrument de
voisinage (ENPI)
14,11
6 pays des
Balkans
occidentaux et
Turquie
Faciliter la transition
de ces États avant
leur entrée dans l’UE
18,182
17 pays en
périphérie de
l’UE :
Méditerranée,
Europe de l’Est,
Russie, Caucase,
Moyen orient
Coopération
transfrontalière avec
les États
géographiquement
proches de l’UE mais
n’ayant pas vocation
à y entrer
Instruments de coopération et d’aide au développement
Fonds européen
de développement
(FED)
Instrument au
développement I
(DCI I)
34,276
78 pays ACP
Aide au
développement
basée sur l’Accord de
Cotonou
Amérique latine,
Asie centrale,
Moyen Orient,
Afrique du Sud
Aide au
développement des
États et régions
25
© Ifri
T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
Instrument au
développement II
(DCI II)
Instrument au
développement III
(DCI III)
Instrument au
développement
(DCI) total
18 pays ACP
Aide à la
restructuration de la
production de sucre
Tous les pays tiers
(sauf les
industrialisés et
en préadhésion)
Développement
humain et social,
environnement,
acteurs non
étatiques, sécurité
alimentaire,
migration et asile
23,295
Démocratie et
droits humains
(EIDHR)
1,587
Tous les pays tiers
Démocratie
(observation des
élections), bonne
gouvernance, droits
humains, libertés
fondamentales
Instrument de
stabilité (IFS)
2,829
Tous les pays tiers
(sauf
industrialisés)
Réponse aux crises et
problèmes frontaliers
transrégionaux
Instrument de
sécurité nucléaire
(NSI)
0,631
Tous les pays tiers
(sauf
industrialisés)
Sureté nucléaire et
protection contre les
radiations
Coopération et
échanges en soutien
à la diplomatie
publique,
convergence
réglementaire et
promotions des
échanges
Instrument de
partenariat (IP)
1,0
Pays industrialisés
et émergents
Instrument pour le
Groenland
0,219
Groenland
Source : Commission européenne Cadre financier 2014-2020
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Annexe 2
Enchaînement des FED successifs
Période
Nombre
d’États
européens
abondant le
fonds
Nombre
d’États
1) 2)
associés
Base juridique
er
1959-1963
6
30 territoires
associés
Traité de Rome
e
1964-1970
6
17 EAMA
Convention de
Yaoundé I
e
1970-1975
6
20 EAMA
Convention de
Yaoundé II
e
1975-1980
9
46 États ACP
Convention de
Lomé I
e
1980-1985
10
59 États ACP
Convention de
Lomé II
e
1985-1990
12
66 États ACP
Convention de
Lomé III
e
1990-1995
15
70 États ACP
Convention de
Lomé IV
e
1995-2000
15
70 États ACP
Convention de
Lomé IV bis
9 FED
e
2000-2007
25
77 États ACP
Accord de
Cotonou
e
2008-2013
27
79 États ACP
Accord de
Cotonou révisé
à Maurice
e
2014-2020
28
79 États ACP
Accord de
Cotonou révisé
à Ouagadougou
FED
1 FED
2 FED
3 FED
4 FED
5 FED
6 FED
7 FED
8 FED
10 FED
11 FED
1
Il faut tenir compte du fait que certains États intègrent le groupe ACP en cours de
certains accords et conventions et que certains États ACP ne sont pas signataires des
conventions (cas de Cuba et de la Somalie) ou ne bénéficient pas du FED (cas de
l’Afrique du Sud).
2
Outre des États indépendants le FED a toujours financé des projets dans des territoires
liés aux États membres dont la liste a constamment évolué du fait en particulier de
l’accession à l’indépendance de certains d’entre eux, devenant des ACP et de l’accession
d’autres au statut de « Régions Ultrapériphériques » (RUP, cas des Départements
français d’Outre-mer).
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T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne...
Annexe 3
Montant des allocations indicatives aux secteurs de concentration liés
e
à la sécurité dans les Programmes Indicatifs Régionaux (PIR) 10 FED
Région ACP
Montant (millions
d’euros)
% du PIR
Total PIR
Sécurité
CEDEAO
597
119
39,9
Afrique Centrale
165
15
9,1
Afrique de l’Est, du Sud et Océan Indien
645
64
9,9
SADCC
116
17,4
15,0
Caraïbe
165
9,9
6,0
Pacifique
95
0
0,0
1 783
225,3
12,6
Total
e
Source : documents des PIR 10 FED
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