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L'aide de l'Union européenne : du développement à la sécurité, l'exemple du Fonds européen de développement

European Development Fund support has been for many years based on infrastructures investment and manages in partnership with ACP countries.Step by step the European partner has introduced more and more political issues and conditions and nowadays a larger part of EDF ressources are used to fulfill security, stability and migration issues.

Note de l’Ifri ______________________________________________________________________ L’aide de l’Union européenne : du développement à la sécurité, l’exemple du Fonds européen de développement ______________________________________________________________________ Dominique LECOMPTE Thierry VIRCOULON Juin 2014 . Programme Afrique subsaharienne L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche, d’information et de débat sur les grandes questions internationales. Créé en 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une association reconnue d’utilité publique (loi de 1901). Il n’est soumis à aucune tutelle administrative, définit librement ses activités et publie régulièrement ses travaux. L’Ifri associe, au travers de ses études et de ses débats, dans une démarche interdisciplinaire, décideurs politiques et experts à l’échelle internationale. Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), l’Ifri s’impose comme un des rares think tanks français à se positionner au cœur même du débat européen. Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur. ISBN : 978-2-36567-286-3 © Ifri – 2014 – Tous droits réservés Ifri 27, rue de la Procession 75740 Paris Cedex 15 – FRANCE Tél. : +33 (0)1 40 61 60 00 Fax : +33 (0)1 40 61 60 60 Email : accueil@ifri.org Ifri-Bruxelles Rue Marie-Thérèse, 21 1000 – Bruxelles – BELGIQUE Tél. : +32 (0)2 238 51 10 Fax : +32 (0)2 238 51 15 Email : info.bruxelles@ifri.org Site Internet : Ifri.org Sommaire INTRODUCTION ................................................................................... 3 LES ORIGINES : L’HERITAGE COLONIAL ................................................ 5 LES ANNEES 1990 : LA POLITISATION DE L’AIDE EUROPEENNE AU DEVELOPPEMENT .............................................................................. 10 L’AUBE DU XXIE SIECLE : LA « SECURITISATION » DE L’AIDE EUROPEENNE AU DEVELOPPEMENT .............................................................................. 14 CONCLUSION .................................................................................... 21 ANNEXES ......................................................................................... 25 Annexe 1 : Principaux instruments financiers de l’action extérieure européenne ..................................................... 25 Annexe 2 : Enchaînement des FED successifs .................................. 27 Annexe 3 : Montants des allocations aux secteurs de concentration liés à la sécurité dans les Programmes e Indicatifs Régionaux (PIR) 10 FED ...................................................... 28 1 © Ifri Introduction Au fil de son développement institutionnel et de la multiplication de ses activités, l’Union européenne (UE) a eu tendance à empiler plutôt qu’à rationaliser ses politiques, en créant un outil financier par objectif. De ce fait, les fonds européens sont devenus un labyrinthe dont le coût de gestion est élevé. L’action extérieure de l’UE n’échappe pas à cette tendance puisque ses multiples objectifs, définis par la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, comme « promouvoir nos propres valeurs et intérêts fondamentaux tels que les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit, mais aussi… contribuer à la lutte contre la pauvreté, la préservation de la paix et la résolution des conflits dans le monde 1 », s’appuient sur neuf ou dix instruments différents, certains qualifiés de « géographiques » et d’autres de « thématiques » : Instrument de coopération au développement (ICD), Instrument de Partenariat (IP), Instrument de stabilité (IdS), Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH), etc. (Annexe 1). Les domaines et les champs géographiques d’intervention de ces outils financiers s’entremêlent et représentent un budget total de 96,2 milliards d’euros pour la période 2014-2020 2, faisant de l’UE le premier fournisseur d’aide au développement. Le Fonds européen de développement (FED) est le Thierry Vircoulon est chercheur associé au programme Afrique subsaharienne de l’Ifri. Ancien élève de l'Ecole Nationale d'Administration et titulaire d'un DEA de science politique à la Sorbonne, il a travaillé pour le Quai d'Orsay et la Commission européenne sur le continent, notamment en Afrique du Sud et en République Démocratique du Congo. Dominique Lecompte, docteur en géographie, consultant indépendant. Il a travaillé une quarantaine d’années dans le domaine du développement sur des projets de la Banque Mondiale, des Nations Unies, de la coopération française et durant dix-huit ans en Afrique, dans la Caraïbe et dans le Pacifique sur des programmes de la Commission européenne en tant que conseiller des services de l’Ordonnateur national du Fonds européen de développement de huit Etats ACP. 1 Disponible sur : <www.touteleurope.eu/fr/actions/relations- exterieures/politique-de-voisinage/actualite/actualitesvue-detaillee/afficher/fiche/5600/t/44267/from/2387/br>. 2 Ibid. 3 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... plus ancien de ces instruments, bien antérieur au traité de Maastricht de 1992 qui donna le jour à la politique étrangère de l’UE. Son objectif (l’investissement pour le développement) et son champ d’intervention géographique (postcolonial) étaient à l’origine clairement circonscrits mais il a dû au fil des temps s’adapter à la consolidation de l’action extérieure de l’UE et à la multiplication de ses objectifs. Démembré en une série d’instruments, le FED se présente actuellement comme un millefeuille, résultat de la sédimentation de modalités d’interventions apparues au cours des âges 3. Mais au-delà de sa complexité d’usage, l’évolution du FED reflète l’évolution de l’aide européenne qui est au départ un investissement pour l’infrastructure, et devient progressivement un investissement pour la sécurité. La structuration d’une diplomatie coopérante européenne après le traité de Maastricht a politisé l’aide au développement et est en train de lui donner une orientation de plus en plus sécuritaire sans que l’on sache clairement si le but ultime est de sécuriser les citoyens des pays du Sud ou de l’Europe. L’objet de cet article n’est pas de juger cette évolution mais d’en rendre compte à travers l’analyse du principal fonds de développement de l’UE (le FED) et d’un de ses démembrements (la Facilité de paix pour l’Afrique) puis de mettre en évidence les difficultés et apories que cette évolution génère dans le cadre des relations entre l’UE et les pays en développement. 3 Au fil de plus de 50 ans d’existence, pratiquement seuls le STABEX (Système de Stabilisation des Recettes d'Exportation) et le SYSMIN (Système de Développement du potentiel minier) ont disparu du système d’aide au développement européen. 4 © Ifri Les origines : l’héritage colonial Les origines du Fonds européen de développement remontent à la naissance même de l’Union européenne. Le traité de Rome, signé en 1957 entre les six États fondateurs de ce qui était alors la Communauté économique européenne (CEE), prévoyait 4 que les « États membres conviennent d’associer à la Communauté les pays et territoires non européens entretenant avec la Belgique, la France, l’Italie et les Pays-Bas des relations particulières » et que ces mêmes États membres « contribuent aux investissements que demande le développement progressif de ces pays et territoires 5 ». L’annexe IV du Traité dressait la liste de 25 territoires coloniaux ou sous tutelle concernés par cette association. Un instrument financier, le premier FED, abondé directement par les États membres et partie non intégrante du budget européen, fut mis sur pied afin de remplir les objectifs fixés par l’article 132 du Traité, dans l’esprit des fonds d’équipement des États membres, en particulier du FIDES (Fonds d’Investissement et de Développement Économique et Social) français ou du Fonds du Bien-être Indigène (FBEI) belge 6. Ce « caprice colonial 7 » comme d’aucuns le considéraient alors était promis à une longue vie puisque dès 1963, suite à l’indépendance des États africains liés à la France et à la Belgique, fut signée la première convention de Yaoundé avec les 18 premiers EAMA (États africains et malgaches associés). La machine était alors enclenchée et ne devait plus s’arrêter, l’adhésion du Royaume-Uni puis de l’Espagne et du Portugal entraînant un élargissement concomitant du groupe des États bénéficiaires aux anciennes colonies des nouveaux 4 Art.131 du Traité de Rome. Art. 132 du Traité de Rome. 6 Pour un historique du FED et de la Direction Générale Développement chargé de sa mise en œuvre, lire Véronique Dimier, « Institutionnalisation et bureaucratisation de la Commission européenne : l'exemple de la DG développement », in Politique européenne, n° 11 , 2003/3, p. 99-121 et Raymond-Marin Lemesle, « La convention de Lomé : principaux objectifs et exemples d’actions 1975-1995 ». C.H.E.A.M., Paris, 1995, 193 p. 7 Véronique Dimier, op.cit. p. 102. 5 5 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... membres de l’UE 8. Les pays du Sud se dotèrent le 6 juin 1975 d’une structure politique suite à l’Accord de Georgetown en créant le groupe des États ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Une architecture politique originale faite de structures paritaires (Comité des Ambassadeurs ACP-UE, Conseil des Ministres ACP-UE, Assemblée paritaire ACP-UE, etc.) fut bâtie et permit d’organiser la négociation et le dialogue entre deux groupes d’États : d’une part, la CEE qui devait devenir l’UE avec 28 membres et, d’autre part, le groupe ACP qui regroupe aujourd’hui 79 pays. Le FED constitue aujourd’hui le principal instrument d’action extérieure de l’UE (environ 35 % des fonds alloués à son action extérieure) avec près de 34,3 milliards d’euros prévus pour la période 2014-2020. La première originalité du FED est qu’il ne constitue pas à proprement parler un « instrument » du budget de la CEE. Adossé dès son origine au traité de Rome, il a toujours reposé sur « un contrat pluriannuel, de droit public international, négocié entre deux unions d’États 9 » – les pays européens d’une part et le groupe ACP d’autre part (Annexe 2) : conventions de Yaoundé I et II (19631975), puis de Lomé (quatre fois révisée de 1975 à 2000) et enfin Accord de Partenariat de Cotonou en 2000 (deux fois révisé depuis sa signature). En tant que fonds abondé directement par les États membres de l’UE 10, il ne fait financièrement pas partie du budget de l’Union et ne relève donc pas juridiquement des règles communes votées par le Parlement pour les autres instruments 11. 8 Outre d’anciennes possessions ultramarines des États membres, le groupe ACP s’est étendu par proximité et pour des raisons diverses à des pays qui n’avaient jamais été colonisés (Libéria, Éthiopie), ou qui l’avaient été il y a fort longtemps (Haïti, République Dominicaine, Cuba), à des territoires du Pacifique qui étaient sous tutelle des États-Unis, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, ainsi qu’à TimorLeste. Séquelle de ses origines coloniales, une partie marginale des ressources du FED bénéficie également à 25 Pays et Territoires d’Outre Mer (PTOM) non indépendants éparpillés de l’Arctique à l’Antarctique (12 territoires liés au RoyaumeUni, 6 à la France, 2 aux Pays-Bas et 1 au Danemark). 9 Claude Cheysson, ancien commissaire au développement lors de la signature de la convention de Lomé I dans sa préface à Raymond-Marin Lemesle, op. cit. 10 Le FED a toujours été abondé directement par des apports de chacun des États membres de l’UE en fonction de grilles de répartition qui sont chaque fois l’objet de ème FED, quatre États – l’Allemagne (20 %), la discussions serrées. Concernant le 10 France (19 %), le Royaume Uni (15 %) et l’Italie (13 %) apportaient plus des 2/3 des ressources du Fonds. Voir Ulrike Kilne, Niels Keijzen, Jesque van Seters, Sheriff th Andrew, « More or Less? A Financial Analysis of the Proposed 11 European Development Fund », ECDPM (Bruxelles Maastricht), Briefing Note n°29, mars 2012, 31 p. 11 Étant lié à un accord international, le FED, à la différence des autres instruments liés au budget de l’UE, relève d’un accord interne qui requiert l’unanimité, et non pas d’une réglementation qui peut être adoptée à la majorité qualifiée ; il ne requiert 6 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... Seconde originalité du FED, liée précisément à ce qu’il a toujours été le fruit d’accords bilatéraux entre deux groupes d’États, « l’esprit de Lomé », basé sur un « partenariat entre égaux », a institué dès sa naissance un système de cogestion des ressources du fonds. Dès l’origine une distinction était établie entre les domaines qui étaient clairement de la seule responsabilité des États ACP 12 – définition de leurs objectifs et priorités, choix des projets, passation des marchés et gestion contractuelle – et ce qui relevait d’une responsabilité conjointe entre l‘État ACP et la CE 13 – élaboration du Programme Indicatif National, instruction des projets et, ce qui n’était pas le moins important pour la Commission, « assurer l’égalité des conditions de participation aux appels d’offres et aux marchés ». L’Accord de Cotonou a repris cette architecture puisque son annexe IV reprend souvent mot à mot les dispositions qui figuraient déjà dans la convention de Lomé. Cette volonté affichée d’appropriation de la gestion du FED par les États bénéficiaires se traduit par une mise en œuvre conjointe des projets et programmes. Du côté de l’État ACP, l’Ordonnateur national du FED, personnalité nommée par les pouvoirs publics, dont les prérogatives définies par l’article 35 de l’annexe IV de l’Accord de Cotonou 14, est responsable de la présentation et instruction des projets et programmes présentés pour financement, du lancement des appels d’offres et de l’organisation des évaluations et propositions d’attribution, de la liquidation et ordonnancement des paiements et de tout ce qui relève de la maîtrise d’ouvrage (aménagements, modifications, application des pénalités, etc.). La Communauté (désormais Commission) dispose quant à elle d’un représentant auprès de l’État ACP 15 dont les prérogatives sont dans les faits le pendant exact de celles de par contre pas d’accord du Parlement. Voir ECDPM, Differentiation in ACP-EU cooperation. Implication of the U’s Agenda for change for the 11th EDF and beyond, Discussion paper nº134, octobre 2012, p.10. 12 Art. 222.2, « définir les objectifs et les priorités sur lesquels se fondent les programmes indicatifs… choisir les projets et programmes… préparer et présenter les dossiers des projets et programmes… préparer, négocier et conclure les marchés… exécuter et gérer les projets et programmes ». 13 Art.222.3, « les lignes directrices de la coopération…les programmes indicatifs… l’instruction des projets et programmes… ». 14 Article 35 de l’annexe IV de l’Accord de Cotonou qui reprend pratiquement mot pour mot l’article 313 des conventions de Lomé successives. 15 Dans les faits, sur les 139 délégations de l’UE dans le monde, une cinquantaine seulement sont établies dans un État ACP, certaines d’entre elles couvrant plusieurs pays, notamment dans le cas des petits États insulaires (par exemple la délégation aux Fiji représente l’UE auprès de tous les micro-États insulaires du Pacifique, celle de la Barbade pour les petites Antilles, de Maurice pour les Comores et les Seychelles, etc.) 7 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... l’Ordonnateur national 16 puisqu’il doit participer et offrir assistance à celui-ci en ce qui concerne l’instruction des projets et programmes, approuver les demandes d’attribution de marché, et s’assurer de leur exécution financière correcte 17. Alors que ce n’est qu’en 2005, avec la fameuse « Déclaration de Paris », que les donneurs s’engagèrent à « respecter le rôle prédominant des pays partenaires et les aider à renforcer leur capacité à exercer ce rôle 18 » et à « faire reposer l’ensemble de leur soutien – stratégies-pays, dialogue sur les politiques à suivre et programmes de coopération pour le développement – sur les stratégies nationales de développement des pays partenaires et les rapports périodiques sur l’avancement de l’exécution de ces stratégies 19 », le FED a donc fonctionné depuis ses origines selon ces principes, l’Accord de Cotonou pouvant en quelque sorte être considéré comme une « proto-Déclaration de Paris 20 ». Troisième originalité du FED : sa prévisibilité. Dès l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE et la signature de la convention de Lomé I en 1975 21, la répartition des enveloppes budgétaires entre les divers pays bénéficiaires a répondu à des critères objectifs et connus, faisant du FED une aide programmable et prévisible. 16 L’article 36 de l’annexe IV de l’Accord de Cotonou reprenait mot pour mot l’ancien article 317 des conventions de Lomé jusqu’à la révision de 2005. Il a alors été remanié et réduit sans que cela ait de répercussions quant à l’étendue de ses pouvoirs dans le cadre de la réglementation financière du FED, de plus en plus calquée sur celle de l’ensemble des aides extérieures de l’UE. 17 Voir l’article de Véronique Dimier, « Préfets d'Europe : le rôle des délégations de la Commission dans les pays ACP (1964-2004) », in Revue française d'administration publique, Paris, No. 111, 2004/3, p. 433-445. Cet article retrace l’histoire des représentants de l’UE depuis les simples « contrôleurs techniques du FED » contractuels des années 1960 et 1970 jusqu’au « chef de délégation » à statut diplomatique apparu dans la convention de Lomé IV révisée à Maurice en passant par le « contrôleur-délégué » puis le simple « délégué ». La nouvelle formulation de ses attributions telle qu’elle apparaît dans l’Accord de Cotonou révisé à Luxembourg marque cette évolution d’un rôle essentiellement technique de représentant de la CE/UE dans la mise en œuvre des ressources du FED à celui de diplomate représentant l’UE dans toutes ses dimensions dans l’État ACP, un « chargé de coopération » se chargeant plus précisément des aspects liés au développement. 18 Forum à haut niveau, Paris, 28 février-2 mars 2005, Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement, point 15. 19 Idem point 16. 20 Ce n’est pourtant que lors de la révision de l’Accord de 2010, à Ouagadougou, qu’une référence explicite à la Déclaration de Paris apparaît pour la première fois dans le texte. 21 Véronique Dimier, « Institutionnalisation et bureaucratisation de la Commission européenne : l'exemple de la DG développement », in Politique européenne, n° 11, 2003/3, p. 99-121 et sa présentation du « Waterloo bis » qu’a constitué pour les anciens administrateurs coloniaux français en charge du FED l’entrée du RoyaumeUni dans la CE. 8 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... Cela se traduisait dans l’Accord de Lomé par un « droit à l’aide », chaque État se voyant affecter en début de période quinquennale de programmation, correspondant alors à un FED 22, une enveloppe intangible. Le système a depuis gagné en sophistication : l’allocation peut à présent être revue à la hausse ou à la baisse en fonction des performances du pays et les programmes nationaux et régionaux doivent à présent ne présenter qu’un nombre limité de « secteurs de concentration » afin d’éviter la dispersion et le saupoudrage 23. Cependant, le FED, contrairement par exemple aux banques de développement, qui financent généralement les projets au coup à coup, ou aux autres instruments européen de politique extérieure, fonctionnant souvent par le biais d’appels à proposition de projets ou selon un système de « first in, first out », continue à être basé sur une programmation quinquennale de l’utilisation d’une enveloppe financière connue. Dernière spécificité enfin, jusqu’aux années 1990, le FED a fonctionné sur le modèle des fonds d’investissements créés après la Seconde Guerre mondiale. Durant des années, il a essentiellement permis de doter les pays ACP d’infrastructures dont la réalisation dépassait leurs capacités techniques et financières. Des milliers de kilomètres de routes, pistes, d’infrastructures hydrauliques, etc., ont permis « d’équiper » les États ACP, souvent pour le plus grand bonheur des entreprises de BTP européennes. La « culture d’entreprise » du fonds était essentiellement une culture d’ingénieurs, le « contrôleur technique du FED » étant en contact étroit avec ses collègues de l’administration et des entreprises attributaires des marchés de travaux ou de surveillance payés par le Fonds, essentiellement préoccupé par l’aboutissement physique parfois coûte que coûte des travaux, le formalisme financier et procédural passant alors bien souvent au second plan. 22 er Depuis le 1 FED qui a couvert la période 1959-1964, onze FED se sont ème FED (1995-2000). succédés, chacun pour exactement cinq ans jusqu’au 8 ème Les choses se sont depuis lors compliquées, le 9 FED correspondant à la période ème à 2008-2013. 2000-2007, le 10 23 Il s’agit là d’une volonté louable de canaliser les fonds vers des actions dans lesquelles la « valeur ajoutée » et l’expertise européenne sont maximales et de favoriser une meilleure articulation avec ce que font les États membres dans l’État ACP concerné. Dans les faits pourtant, le choix fréquent de « secteurs de concentration » aussi vastes que la « lutte contre la pauvreté » ou la « gouvernance » permet encore de monter des programmes touchant des cibles les plus variées. 9 © Ifri Les années 1990 : la politisation de l’aide européenne au développement Jusqu’aux années 1990, dans le contexte de la Guerre Froide, il était généralement considéré « que l’aide soit efficace ou non n’ [a] pas vraiment d’importance, par exemple, si elle [consolide] des régimes amis » 24. Au début des années 1990, alors que les donateurs occidentaux n’avaient plus besoin d’utiliser l’aide comme un outil politique dans le cadre de la Guerre Froide et que la France vantait soudainement les mérites de la démocratie en Afrique francophone, les bailleurs introduisirent dans leurs programmes des conditionnalités politiques sans cesse accrues. Dans le cas du FED, ce changement de paradigme de l’aide se traduisit tout d’abord en 1990 avec Lomé IV où apparaît pour la première fois une timide référence indiquant que « la politique de développement et la coopération sont étroitement liées au respect des droits et libertés fondamentales de l’homme 25 », détaillant par la suite l’ensemble des droits économiques, sociaux et culturels en question. De plus, les parties contractantes réaffirmaient leurs obligations pour combattre et éliminer toutes formes de discriminations « fondées sur l’ethnie, l’origine, la race, la nationalité, la couleur, le sexe, la langue, la religion 26… », mais sans que cela n’aille au-delà de la simple déclaration de bonnes intentions. Suite au traité de Maastricht et à la consécration de la politique extérieure comme l’une des politiques de l’Union, Lomé IV bis en 1995 indique que « dans l’appui aux stratégies de développement des États ACP, il sera tenu compte à la fois des objectifs et priorités de la politique de coopération de la Communauté et des priorités de développement des États ACP 27. » Il marque ainsi le passage de la Commission du 24 Jean-Michel Severino, « La résurrection de l’aide », in OCDE, Coopération pour le développement 2011, Éditions OCDE, Paris, 2012, p. 137-150. 25 Art. 5.1. 26 Art. 5.2. 27 Art. 4. 10 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... rôle de partenaire non actif, se contentant de financer les programmes présentés par les pays ACP, à celui d’un acteur entendant être engagé dans un dialogue politique avec ces derniers et conditionnant dans une certaine mesure son soutien au respect des objectifs et priorités propres à la Communauté. L’Accord de Cotonou signé en 2000 s’inscrit dans cette perspective. Au fil de ses révisions quinquennales, on y trouve un inventaire à la Prévert de préoccupations dont on peut douter qu’elles aient été introduites par les États ACP : références à l’Organisation Mondiale du Commerce, à l’Organisation Internationale du Travail, à l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle en relation avec le commerce, à la Convention sur la Diversité Biologique, à la Cour Pénale Internationale, etc. L’article 86 de l’Accord de Cotonou institue pour la première fois, dès 2000, une « procédure de consultation et mesures appropriées concernant les droits de l’homme, les principes démocratiques et l’État de droit », applicable lorsque l’une des parties considère que « l’autre manque à une obligation découlant du respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’État de droit 28 », procédure qui peut avoir pour conséquence la suspension de la coopération avec l’État en question. Il va sans dire que cette procédure a jusqu’à présent toujours été activée à l’initiative de la partie européenne de l’Accord et à l’encontre d’un partenaire ACP 29. L’article 96 consacre pleinement l’aide européenne au développement comme un instrument de la politique extérieure de l’UE. Du fait des réticences de nombreux États ACP à cette évolution, la pratique du dialogue politique prévu par l’Accord de Cotonou est très variable au sein des ACP : elle va de l’inexistence à un dialogue régulier et fréquent entre représentants de l’UE et ministres du pays concerné. Cette importance accrue des critères politiques dans la coopération ACP-UE s’est encore renforcée grâce au développement 28 Art. 96.2 a. L’article 96 est généralement mis en œuvre en cas de coups d’État (Côte d’Ivoire en 2001, Centrafrique en 2003, Mauritanie en 2005, etc.) et l’aide européenne n’est interrompue qu’en dernier ressort ou lorsque l’État partenaire est failli. Pour une analyse détaillée de l’application de l’article 96, lire Liisa Laakso, Timo Kivimaki et Maria Sepanen, « Evaluation of Coordination and Coherence in the Aplication of the Article 96 of the Cotonou Partnership Agreement », in Studies in European Development Cooperation Evaluation, n°6, avril 2007. Cet article consacre en fait une position de la partie européenne qui était déjà présente à l’époque des dernières conventions de Lomé. En 1993 déjà, par exemple, sept pays était touchés par des mesures de suspension de l’aide prises par la Communauté, certains pays ayant alors connu de très longues périodes de suspension (Congo-Zaïre, Haïti, Malawi, Somalie, Libéria…). 29 11 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... concomitant d’une nouvelle modalité de l’aide : l’appui budgétaire, apparu dans le sillage des programmes d’ajustement structurel. Suite au constat que « les États ACP et la Communauté sont d’avis que la situation de la dette extérieure des États ACP est devenue un problème critique de développement 30 », la décision est alors prise de « favoriser… l’utilisation accélérée des ressources des programmes indicatifs précédents qui n’ont pas été engagées, à travers les instruments à déboursement rapide prévus dans la Convention en vue de contribuer à atténuer la charge de la dette 31 » Cette nouvelle orientation en matière de mise en œuvre des ressources du FED n’allait pas forcément de soi : le système bâti par Lomé reposait sur le financement de l’investissement comme moteur de la croissance et sur un ensemble de préférences commerciales qui était aux antipodes des conceptions libérales sous-tendant les politiques d’ajustement menées par les institutions de Bretton Woods 32. Les PAS (Programmes d’Ajustement Structurel) de ces instances reposaient alors sur une logique de développement par l’accroissement de la compétitivité, ce qui impliquait que les producteurs devaient adapter leurs prix en fonction des prix relatifs. Ce système allait à l’encontre des mécanismes de correction des fluctuations de prix traditionnellement mis en œuvre par le FED, ne considérant plus l’investissement public comme l’élément moteur de la croissance, alors que c’était là le « cœur de métier » du FED et, basé sur des dons, remettait ainsi en question le pouvoir de créancier de ces institutions. Après un démarrage timide, puisque la part des fonds du FED affectés à l’ajustement structurel ne dépassait pas les 10 % du total tant pour le 7e que pour le 8e FED, les appuis budgétaires devaient rapidement devenir la principale modalité de mise en œuvre avec 30 % des financements du 9e FED puis 48 % du 10e FED. De nombreuses raisons se sont conjuguées pour entraîner ce glissement de l’aide-projet traditionnelle vers les appuis budgétaires. L’aide budgétaire est d’une mise en œuvre plus rapide et moins onéreuse que l’aide-projet (elle requiert moins de personnel) et surtout elle est devenue, selon la Cour des Comptes européenne, 30 Convention de Lomé IV, art. 239. Convention de Lomé IV, art.240. 32 Voir Jean Coussy, « L’appui de l’Union européenne aux ajustements structurels », in Cahiers du GEMDEV, nº25, 1997, p.195-211. 31 12 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... « la solution de première intention 33 » consacrée par le dialogue entre bailleurs et pays récipiendaires. Les gouvernements des partenaires ACP se sont immédiatement montrés favorables à cette nouvelle modalité de l’aide, y voyant, peut-être naïvement, un moyen de s’exonérer du suivi tatillon, souvent considéré comme vexatoire, que les services de la Commission exercent sur l’utilisation des fonds affectés aux projets. Mais cela s’est révélé une stratégie à courte vue. En effet, l’aide budgétaire est beaucoup plus aisée à moduler au gré des fluctuations du « dialogue politique » que les aides-projets reposant sur des marchés publics qui, une fois signés, peuvent difficilement être suspendus, permettant ainsi au partenaire européen d’être, lorsqu’il le souhaite, beaucoup plus directif quant au déblocage des fonds en fonction de critères politiques sur lesquels il dispose d’un pouvoir pratiquement discrétionnaire. 33 Cour des Comptes européenne, La gestion, par la Commission, de l’appui budgétaire général dans les pays ACP, ainsi que dans les pays d’Amérique Latine et d’Asie, rapport spécial nº11, 2010, p. 77. On peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de cette adaptation d’une terminologie d’origine médicale au domaine de l’aide au développement, le « traitement de première intention » étant celui donné à un patient qui n’a pas reçu précédemment de traitement pour soigner son affection, les pays ACP ayant au contraire généralement déjà été soumis à de multiples « médications ». 13 © Ifri L’aube du XXIe siècle : la « sécuritisation » de l’aide européenne au développement Après avoir été politisée dans les années 1990, l’aide européenne est entrée de plain-pied dans le domaine de la sécurité avec le XXIe siècle. Loin d’être une rupture, cette évolution est plutôt une continuité logique. Le développement de zones de non-droit et d’États faillis (Afghanistan, Haïti, Somalie, République démocratique du Congo, etc.) a été perçu et vécu comme générant des problèmes de sécurité en Europe 34 tandis qu’un nouveau paradigme liait développement et sécurité et que le 11 septembre 2001 faisait sauter un « verrou psychologique » parmi les puissances occidentales. Ces évolutions politiques, sécuritaires et conceptuelles se traduisirent par la montée en puissance de la question de la sécurité dans l’agenda européen (illustrée par la Stratégie européenne de sécurité en 2003) et par la multiplication des missions policières et militaires de l’UE 35. Cette évolution générale n’a pas épargné l’aide européenne qui a été dotée de nouveaux instruments ad hoc censés répondre à ces nouvelles priorités sécuritaires. Comme dans le cas précédent, l’Accord de Cotonou a incorporé ces préoccupations sécuritaires européennes. Le texte original comportait, dès 2000, des références aux enfants-soldats, à la lutte contre le crime organisé, à la drogue, à la prolifération des armes légères, problèmes qui préoccupaient déjà la partie européenne. La première révision de 2005 inclut la lutte contre le terrorisme et les armes de destruction massive, conséquence directe 34 L’apparition d’une nouvelle route de la drogue entre l’Amérique du Sud et l’Europe via l’Afrique de l’Ouest a beaucoup contribué à cette vision. 35 Ces dix dernières années, l’UE a déployé plusieurs missions militaires et policières en Afrique. Certaines de ces missions étaient plus ou moins permanentes (comme celles chargées de la réforme du secteur de sécurité en RDC et en Guinée Bissau, ou des missions de formation militaire comme en Ouganda et au Mali) tandis que d’autres étaient des interventions militaires ponctuelles (Artémis et EUFOR en RDC en 2003 et 2006, EUFOR au Tchad et en Centrafrique de 2007 à 2009) ou durables 14 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... du 11 septembre et de la guerre d’Irak. La troisième révision en 2010 étend le champ des problèmes au trafic d’êtres humains et à la piraterie 36, conséquence directe de l’insécurité affectant une des routes maritimes les plus fréquentées du monde au large de la Somalie. La montée en puissance des problèmes sécuritaires dans l’agenda européen en Afrique apparaît aussi et surtout dans le partenariat stratégique entre l’UE et l’Afrique. La paix et la sécurité font partie des priorités de ce partenariat : les deux signataires s’engagent à agir de concert pour instaurer la paix et la sécurité en Afrique mais aussi à travailler ensemble sur des problèmes de sécurité mondiaux tels que le trafic des armes de petits calibres et la prolifération des armes de destruction massive 37. Par ailleurs, par souci de cohérence et de clarté, l’UE conçoit dorénavant des stratégies régionales qui énoncent sa politique pour certaines zones spécifiques et reposent sur une approche intégrée de la sécurité et du développement 38. Financièrement, cette approche s’est traduite encore une fois par la création d’un nouvel instrument, la Facilité de Paix pour l’Afrique (APF). Sa création fait suite à l’engagement renouvelé de l’Afrique sous sa forme d’organisation continentale (l’Union africaine, UA) à œuvrer pour la paix sur le continent. À la fin du XXe siècle, le désir d’affirmation politique et d’une meilleure maîtrise de leur devenir par certains dirigeants africains a coïncidé avec le désir de désengagement d’Afrique des Occidentaux consécutif à la fin de la Guerre Froide et aux mésaventures américaines et belges en Somalie et au Rwanda 39. Cette convergence des agendas politiques a abouti à l’idée de l’africanisation de la gestion des conflits dont le slogan est « African solutions for African problems. » La transformation de l’Organisation de l’Unité Africaine en UA s’est accompagnée d’un nouvel accent mis sur la prévention, gestion et résolution de conflits sur et par le continent. L’objectif était de substituer des interventions de paix africaines aux interventions occidentales en Afrique et, avec la Facilité de Paix, l’UE est devenue le premier bailleur de l’africanisation de la prévention, gestion et (l’opération navale Atalante qui vise à sécuriser les eaux au large de la Somalie a débuté en 2008 et dure toujours.) 36 Article 11.1. 37 Articles 10 et 13 du Partenariat stratégique Afrique-UE, 2007. 38 L’UE a ainsi élaboré une stratégie pour le développement et la sécurité du Sahel et un cadre stratégique pour la Corne de l’Afrique en 2011. 39 Échec de l’opération « Restore Hope » en Somalie en 1993 et exécution de dix militaires belges participant à l’opération des euros au Rwanda (MINUAR) en 1994. 15 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... résolution des conflits. Créée en réponse à une demande formulée par le Sommet de l’UA à Maputo en juillet 2003, la Facilité de Paix fut initialement dotée de 250 millions d’euros pour une période de trois ans. Cette dotation budgétaire provenait alors du 9e FED. Depuis sa création en 2003, la Facilité de Paix a toujours été prolongée, son budget augmenté (elle a fait l’objet d’une allocation budgétaire de 600 millions dans le cadre du 10e FED) et son champ d’action élargi. La Facilité de Paix doit financer la capacité de l’UA et des organisations régionales africaines à prévenir, gérer et résoudre les conflits sur le continent. À ses débuts, elle a été utilisée pour financer des opérations de maintien de la paix mais son champ s’est élargi rapidement. La mission de l’UA au Darfour (AMIS) fut la première mission à recevoir un financement au titre de la Facilité de Paix en juin 2004 pour un montant de 12 millions d’euros. Désormais, elle ne finance plus seulement les opérations de paix mais aussi toute l’architecture de paix et de sécurité (APSA), c’est-à-dire les médiations et l’infrastructure institutionnelle dédiée à la prévention, gestion et résolution des conflits. En revanche, les dépenses d’équipement militaire à proprement parler (armes) sont exclues. En 2007, l'UA et l'UE ont décidé d'élargir le champ de la Facilité de Paix afin de couvrir la prévention des crises et la stabilisation postconflit ainsi que d'accélérer le processus décisionnel et la coordination. Cela implique de soutenir les structures et les initiatives de prévention et de résolution des crises, c’est-à-dire le Conseil de Paix et de Sécurité, le Système Continental d'Alerte Rapide et la Force africaine en attente. Conformément aux priorités du Partenariat stratégique Afrique-UE, les fonds de la Facilité de Paix pour l'Afrique ont été alloués comme suit : 1) Un montant de 100 millions a été alloué au renforcement des capacités. Le soutien de l'UE a pour objectif de renforcer la capacité et l'effectivité du fonctionnement des différentes composantes de l'APSA et de renforcer le dialogue politique. À ce titre, la Facilité de Paix a été utilisée pour améliorer la communication institutionnelle entre l’UA et les organisations, à la fois la communication matérielle (équipement) et humaine (financement à ce jour de quatre officiers de liaison des organisations régionales auprès de l’UA). Actuellement, 40 millions d’euros sont affectés aux tâches comprises dans la feuille de route pour l’opérationnalisation de l’APSA dont une nouvelle mouture est en cours d’élaboration pour la période 2014-2017. 16 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... 2) Avec un montant de 600 millions d’euros, le financement des opérations de soutien à la paix représente la principale dépense de la Facilité de Paix pour l'Afrique. 3) Un montant de 15 millions a été alloué au financement des mécanismes d’alerte, des phases préparatoires des opérations de soutien à la paix et aux étapes préliminaires des processus de médiations, lorsque des fonds sont requis de manière urgente. En termes de bilan, la Facilité de Paix a permis de financer la construction d’une capacité institutionnelle de gestion des conflits de l’Union africaine et d’une myriade d’organisations régionales africaines 40 et de financer cinq opérations de paix africaines depuis sa création, à savoir l’AMIS (la mission de l’UA au Soudan de 2004 à 2007), l’AMISEC aux Comores (une opération ponctuelle de sécurisation des élections en 2006 conduite par l’UA avec le concours de l’armée sud-africaine), la MICOPAX en Centrafrique (une mission de la CEEAC qui a débuté en 2008 et est toujours en cours), l’AMISOM en Somalie (une mission de l’UA qui a débuté en 2007, toujours en cours), la Regional Task Force de l’UA contre la LRA (une autre mission pilotée par l’UA, commencée en 2011, toujours en cours). Parmi toutes ces missions, l’AMISOM est de loin la plus coûteuse car elle est aussi la plus importante : de sa création en 2007 jusqu’en 2012, elle a bénéficié de 600 millions d’euros d’aide européenne et compte 6 000 hommes 41. Une sixième mission va être financée par la Facilité de Paix. En effet, l’Union européenne a décidé de réserver un montant de 50 millions pour soutenir le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA 42). L’activation de la Facilité de Paix a un point de passage obligé : l’UA, qui est le pivot central de l’architecture de paix et de 40 Il s’agit en l’occurrence de l’East African Community (EAC), du Marché Commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), de la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC), de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de la Communauté des États Sahélo-Sahariens (CEN-SAD), de l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD), de l’Union du Maghreb Arabe et de la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC). 41 Commission européenne, The EU renewed its commitment to foster peace and security in Somalia, 21 février 2012. Le niveau de pertes humaines de cette opération est aussi particulièrement élevé (environ 3 000 de 2007 à 2013) car il s’agit davantage d’une mission de maintien que d’une mission de combat. « Somalie : l’Amisom a perdu 3 000 soldats en six ans », RFI, 10 mai 2013. 42 Commission européenne, L’UE accélère son soutien à la résolution de la crise au Mali, Bruxelles, 17 janvier 2013. 17 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... sécurité continentale. En règle générale, l’UA adresse une requête de financement à l’UE et, quand il s’agit du financement d’une opération de maintien de la paix, une approbation, ne serait-ce que tacite et informelle, des Nations Unies est aussi requise. Ainsi, la transformation de la mission de la CEEAC en Centrafrique (MICOPAX) en une mission de l’UA (MISCA) a impliqué des négociations entre les deux organisations ainsi qu’un nouveau concept d’opérations conçu par l’UA qui a été envoyé à Bruxelles en même temps que la requête de financement 43. Si cette requête était acceptée, la Facilité de Paix financerait cette année une septième mission africaine. Mais le contrôle de l’UA sur la Facilité de Paix est informellement contesté par les organisations régionales qui souhaiteraient obtenir un droit de tirage propre sur ce fonds 44. Toutefois, le financement des efforts de paix et de sécurité des organisations africaines ne se traduit pas par un bilan très satisfaisant. La feuille de route pour l’opérationnalisation de l’architecture de paix et de sécurité qui a été élaborée permet de mesurer l’écart entre les objectifs affichés et les objectifs atteints. Les organisations régionales africaines n’ont pas démontré leur efficacité dans la mise en œuvre de leur mandat de paix et de sécurité et se classent en trois catégories : celles qui n’ont effectué aucun progrès dans l’opérationnalisation de la feuille de route et n’ont consommé aucun crédit (comme, par exemple, la CEN-SAD et l’Union du Maghreb Arabe), celles qui ont commencé à l’appliquer et sont en mesure de présenter un bilan d’activités cohérent (comme l’EAC, la COMESA) et celles qui ont commencé à l’appliquer et qui ne sont pas en mesure de présenter un bilan d’activités cohérent (la SADC, la CEDEAO, la CEEAC). La qualité de la gestion financière des fonds affectés est aussi un sujet de préoccupation pour l’UE, notamment en ce qui concerne la CEEAC et la CEDEAO. Quant à la Force en attente, elle est toujours attendue. Élément clé de l’architecture de paix et de sécurité, la Force en attente est censée être la force de maintien de paix de l’Afrique et être formée par la contribution de cinq organisations régionales (Union du Maghreb 43 Cette mission devra protéger les civils et restaurer la sécurité, contribuer à la stabilisation du pays et à la restauration de l’autorité centrale, à la réforme du secteur de sécurité et à la création des conditions nécessaires à la fourniture de l’aide humanitaire. 44 Une telle évolution n’est pas exclue, notamment après la signature d’un accord de financement direct entre l’UE et la CEDEAO pour la mission de paix au Mali. Afin de sauver les apparences du contrôle politique de l’UA, cet accord a été validé par cette organisation. 18 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... Arabe, CEEAC, CEDEAO, SADC et EASFOM 45). Reconnaissant finalement l’incapacité à atteindre cet objectif, l’UA y a substitué une capacité de déploiement rapide qui serait une version allégée de la Force en attente 46. Si une capacité de planification militaire a été instaurée au niveau de l’UA, cela est loin d’être le cas dans les cinq organisations régionales concernées et la capacité de déploiement rapide est peut-être encore une force virtuelle. En 2013, l’incapacité de déployer une force de la CEDEAO lors de la crise malienne et une force de la SADC lors de la crise du M23 dans les Kivus congolais a démontré par les faits l’échec de la constitution de forces en attente. Face au caractère virtuel de certaines réalisations de l’APSA, le retour au réalisme s’est imposé et les mesures de sauvegarde sont déjà engagées du côté de l’UE : plafonnement du budget de soutien à l’APSA, réorientation du programme vers le renforcement de capacités et l’évaluation, notamment en incluant les Délégations qui sont au contact quotidien des bénéficiaires. D’évidence, la capacité de gestion des organisations africaines a été surestimée et les obstacles politiques propres au grand dessein de l’africanisation de la gestion, prévention et résolution des conflits ont été gravement sous-estimés. Par ailleurs, plusieurs divergences de conception du maintien de la paix sont apparues entre l’UE et les partenaires africains de l’APSA. Les seconds ont une appréhension surtout militaire de la mission et négligent sa dimension civile tandis que l’UE a une appréhension plus « civil affairs » du maintien de la paix. Cela a conduit à des tentatives de recadrage de la préparation des Forces en attente avec un accent mis sur le développement et l’intégration de la composante civile dans les brigades prétendument en attente. De plus, la multiplication des missions de l’UA s’accompagne d’une extension ou d’une dilution de l’objectif initial de maintien de la paix : si certaines missions correspondent à la conception classique du peacekeeping ou du peacebuilding, d’autres comme la Regional Task Force contre la LRA sont atypiques tant sur le fond que sur la forme et ressemblent davantage à des missions de combat. Cela conduit certains à s’interroger sur une dérive sécuritaire de la Facilité de Paix, 45 Cette Force doit être composée d’une brigade d’environ 5 000 hommes chacune, et comporter une composante civile et policière. Communication de Jean-Baptiste Natama, directeur de cabinet de la présidente de la Commission de l’Union africaine, Paris, juin 2013. 46 Raport de la présidente de la Commission sur l’opérationnalisation de la capacité de déploiement rapide de la Force africaine en attente et la mise en place d’une ème réunion capacité africaine de réponse immédiate aux crises, Union africaine, 6 ordinaire du Comité spécialisé sur la défense, la sûreté et la sécurité, 29-30 avril 2013. 19 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... en particulier, et de la politique de l’UE en Afrique en général. Comme il se doit, la Facilité de Paix est aussi critiquée en raison de l’effet d’éviction qu’elle aurait sur les dépenses spécifiquement dédiées au développement puisqu’elle est financée par le FED. Parallèlement à la Facilité de Paix, les préoccupations sécuritaires se sont graduellement étendues à l’ensemble du dispositif de programmation FED, qu’il s’agisse des Programmes Indicatifs Nationaux (PIN) ou Régionaux (PIR). Actuellement plus de 10 % du montant total des enveloppes prévisionnelles des six PIR (soit plus de 225 millions d’euros) sont prévus pour être affectés à des projets dans le domaine de la sécurité dont une partie directement en relation avec des activités de nature purement militaire (Annexe 3). Des projets dans le domaine de la sécurité sont également financés dans le cadre des PIN de nombreux États, et parfois même des programmes d’appui budgétaire incluent des indicateurs en relation avec la sécurité 47. L’inclusion des problèmes sécuritaires (trafic de drogues, d’êtres humains, blanchiment, etc.) dans l’aide européenne aux États ACP illustre et renforce en même temps la politisation accrue du dialogue entre l’UE et ses partenaires, d’autant plus que ces projets sont bien souvent conçus en synergie avec des interventions de l’UE plus strictement militaires financées par d’autres instruments de la Commission, voire du Conseil 48. Le dispositif de pilotage de l’aide dans les États ACP s’adapte à cette nouvelle donne comme le montre l’évolution sociologique des chefs de Délégations : les ingénieurs qui occupaient traditionnellement pratiquement tous les postes depuis l’époque des « contrôleurs du FED », sont progressivement remplacés par des diplomates du Service Européen d’Action Extérieure ou des États membres 49, illustrant bien la prégnance de l’approche politique, de plus en plus axée sur les questions sécuritaires. 47 Dans le cas du récent programme d’appui budgétaire pour le Cap-Vert, 8 des 39 indicateurs de performance sont liés au domaine de la sécurité, couvrant des activités aussi variées que la Garde Côtière, l’organisme chargé de la lutte contre le blanchiment et le système carcéral. 48 Le Conseil de l’UE finance les opérations militaires européennes par le biais d’un fonds ad hoc, Athena. 49 Lors du renouvellement de 15 chefs de Délégation, il est vrai en grande partie hors ACP, effectué au printemps 2012, seuls 2 des ambassadeurs nommés n’étaient pas des diplomates du SEAE ou des États membres, encore s’agissait-il des Délégations à la Barbade et au Timor-Leste (cf. Nicolas Gros-Verheyde, « Rotation 2012 de la diplomatie européenne, 17 nommés », in Bruxelles 2, 16 mai 2012, disponible sur : <www.bruxelles2.eu/tag/seae/page/5)>. 20 © Ifri Conclusion Cinquante-cinq ans après sa création, le FED, plus ancien instrument de l’action extérieure de l’Europe, a fait preuve d’une remarquable capacité à s’adapter face aux mutations de son environnement international et des objectifs tant de la partie européenne que de la part des partenaires ACP. Né comme un fonds d’investissement dans un cadre de clientélisme postcolonial entre certains États membres et des partenaires uniquement africains, il s’est adapté aux élargissements successifs de l’Europe et à l’intégration de nouveaux bénéficiaires dans le système de Lomé. Il a permis d’appuyer les efforts d’ajustement des économies ACP dans le contexte de crise de la dette des années 1990, a survécu à la disparition des préférences commerciales qui constituaient l’un des piliers des conventions de Lomé successives, a graduellement été politisé en intégrant la promotion de la démocratie et de l’État de droit et est de plus en plus utilisé comme l’un des instruments pour préserver la paix et résoudre les conflits, particulièrement en Afrique. Démembré en de multiples sous-fonds, ce qui reste spécifique au FED depuis les années 1950 c’est son champ d’action géographique limité pratiquement à des pays ayant autrefois été attachés à l’Europe par des liens coloniaux. Toutefois, force est de reconnaître que l’évolution actuelle pose problème, et ce, en premier lieu, en termes d’appropriation. Par rapport à l’esprit originel des conventions de Lomé puis de l’Accord de Cotonou, qui instauraient, bien avant Paris et Accra, un mécanisme de concertation et de cogestion de l’aide, basé sur des projets véritablement décidés en commun, on ne peut nier qu’un certain glissement se soit produit. Les objectifs introduits depuis une vingtaine d’années dans les conventions successives correspondent de plus en plus à des préoccupations propres à la partie européenne, acceptés souvent du bout des lèvres par la partie ACP. La complexification des procédures de l’aide européenne et le transfert de tâches vers le pays récipiendaire ont été, dans certains cas, pris à contre-pied par la réduction de la capacité administrative de ces pays (exode ou non renouvellement des élites administratives). Paradoxalement alors que se développait au niveau des bailleurs un discours sur les notions d’appropriation et d’alignement, les partenaires ACP ont connu un certain 21 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... désenchantement, ayant de plus en plus l’impression d’être mis à l’écart des décisions. Ce sentiment de marginalisation par rapport à la programmation et à la mise en œuvre des ressources du Fonds devient de plus en plus prégnant au sein des responsables ACP et risque de délégitimer l’aide européenne. Il est à cet égard symptomatique de noter que les ACP assistent quant à eux essentiellement en spectateurs aux débats liés à l’Agenda du changement qui animent les services de la CE 50. Un autre problème a trait à la politisation du FED, incarnée par l’objectif de « promouvoir nos propres valeurs et intérêts fondamentaux » tel qu’exposé par la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères. On peut en effet se demander dans quelle mesure, au-delà du pathos qui irrigue les textes des conventions, accords et autres stratégies et agendas de l’UE, l’instrument FED est véritablement le mieux habilité pour ce faire. La particularité du FED est en effet d’être techniquement un bailleur bilatéral, mais se comportant dans les faits comme un bailleur multilatéral, les États membres devant constamment s’accorder sur un plus grand dénominateur commun entre leurs positions sur tel ou tel point. Du côté du groupe ACP également, les 79 États membres relèvent de cultures et de traditions historiques fort diverses. Se mettre d’accord dans ces conditions sur ce que pourraient être ces valeurs communes et intérêts fondamentaux et les promouvoir auprès d’États si divers est en quelque sorte une gageure. Il faut d’autre part noter que cette fréquente incapacité à définir une ligne d’action commune, les diplomaties des divers États membres ayant chacune des intérêts particuliers pour certaines zones géographiques plutôt que d’autres et des sensibilités politiques diverses, se traduit souvent par une pusillanimité collective et oblige l’Europe et par conséquent le FED à intervenir en situation de subsidiarité, par rapport à la Banque mondiale et au FMI pour ce qui concerne les appuis budgétaires et par rapport à l’ONU en ce qui concerne la Facilité de Paix, éludant ainsi le problème de la définition d’un discours et de valeurs propres à l’UE. Quant à l’objectif de sécurité énoncé par la Haute Représentante à l’action extérieure, à savoir « la préservation de la paix et la résolution des conflits dans le monde », le bilan de ce qu’a pu apporter le FED en tant que tel est mitigé. Conçue pour financer 50 ECDPM, Differentiation in ACP-EU Cooperation. Implication of the EU’s Agenda for Change for the 11th EDF and Beyond, op.cit. 22 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... une politique (l’africanisation de la prévention, gestion et résolution des conflits) qui reflète les intérêts et normes européens, la Facilité de Paix correspond à un souhait politique réel mais paradoxal : le souhait de désengagement non pas de l’Afrique mais des conflits africains. Toutefois, l’UE ne peut se résoudre à se détourner complètement des problèmes de sécurité de l’Afrique en raison de la proximité des deux continents, de l’immigration et des intérêts sécuritaires de certains pays européens en Afrique. Ces intérêts ont été récemment illustrés par l’intervention militaire française pour stopper la progression des djihadistes au Mali, au moment même où toutes les diplomaties européennes ne juraient que par l’africanisation de la gestion des conflits. La Facilité de Paix incarne aussi une norme européenne très prégnante : celle du régionalisme. En finançant une architecture de paix et de sécurité continentale qui repose sur un réseau d’organisations régionales, elle promeut explicitement un régionalisme sécuritaire qui reflète à la fois l’histoire et la philosophie de l’UE, ayant elle-même été initialement conçue comme un rempart et une association économique contre le bloc de l’Est. Les faiblesses intrinsèques de ces organisations régionales limitent l’impact des sommes injectées tant dans le cadre de la Facilité que sur les ressources issues des PIR et des PIN. L’utilisation des ressources du Fonds, lorsqu’elle se situe dans une approche globale, articulée avec d’autres interventions de l’UE comme les missions PESD (politique européenne de sécurité et de défense), peut par contre avoir un effet stabilisateur dans certains pays en crise profonde. L’inclusion de critères de performance liés au secteur de la sécurité dans le cadre de programmes d’appui budgétaire devrait en revanche faire l’objet d’une réflexion plus poussée, les indicateurs utilisés dans le cadre de ces programmes ne laissant pas toujours augurer un impact réel sur la sécurité, la lutte contre la délinquance internationale et le crime organisé. Une réflexion commune entre praticiens des aides budgétaires et spécialistes des questions de sécurité permettrait d’éviter de se fourvoyer et de trouver des incitations plus efficaces surtout si l’on considère qu’en tant que secteurs de souveraineté, la défense et la sécurité sont ceux qui ont jusqu’à présent été les plus imperméables aux changements en faveur d’une meilleure gouvernance et d’une plus grande transparence, et qui ont affecté pratiquement tous les autres domaines de la dépense publique. Une réflexion sur instrument géographique d’investissements publics, infrastructures (secteur l’articulation entre d’une part le FED, historiquement voué au financement essentiellement dans le domaine des par essence même prévisible et 23 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... programmable), dont la mise en œuvre est basée sur la négociation de programmes pluriannuels, et les autres instruments financiers de l’action extérieure de l’UE d’autre part, en particulier les thématiques recouvrant bien souvent les mêmes problématiques – gouvernance, sécurité…– et procédant bien souvent par le biais d’appels à propositions, devrait être menée. De par sa nature et ses mécanismes d’identification et instruction des programmes et de gestion des fonds, le FED n’est probablement pas le mieux adapté pour permettre apporter des réponses rapides telles que celles qu’exigent les situations de crise et de troubles politiques pouvant évoluer d’heure en heure. À ce titre, les réflexions en cours à l’occasion de la préparation du 11e FED, qui devrait, avec un montant très légèrement supérieur à celui du 10e, financer la coopération UE-ACP sur la période 2014-2020, ne permettent pas vraiment d’augurer de changements significatifs. Le « serpent de mer » de l’intégration du FED dans le budget de l’UE – souhait depuis des années de beaucoup au sein de la Commission ou du Parlement européen – va sans doute ressurgir mais sans espoir de devenir une réalité. Les problèmes particuliers liés à la sécurité et aux objectifs propres à la Facilité pour la Paix n’apparaissent au mieux dans l’« Agenda for Change 51 » que lors de timides références au lien développementsécurité et aux situations de fragilité, soit une dizaine de lignes dans un document de douze pages. Le plaidoyer des organisations de la société civile pour détacher l’approche gouvernance des intérêts géostratégiques et avoir des procédures plus souples concernant les décaissements en situation de crise 52 semble de ce point de vue avoir peu de chance de rencontrer une oreille bienveillante de la part des services de la Commission, même si l’argument de la « différentiation » de l’aide en fonction des besoins, des capacités de mise en œuvre, des performances et de l’impact pourrait en théorie jouer en faveur d’un tel changement. 51 European Commission, Communication of the Commission to the European Parliament, the Council, the European Committee and the Committee of the Regions increasing impact of the EU Development Policy: an Agenda for change, Bruxelles, octobre 2011, 12 p. 52 Voir par exemple la note d’information du Groupe de travail Cotonou de CONCORD (Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement) à ème assemblée parlementaire ACP-EU en juin 2013, disponible l’occasion de la 25 sur : <www.coordinationsud.org/plaidoyer/europe/fondseuropeen-de-developement> 24 © Ifri Annexes Annexe 1 Principaux instruments financiers de l’action extérieure européenne Nom et acronyme de l’instrument Hauteur du financement 2014-2020 Bénéficiaires Éléments financés (en milliards d’euros) Instruments de préadhésion et de voisinage Instrument de préadhésion (IPA) Instrument de voisinage (ENPI) 14,11 6 pays des Balkans occidentaux et Turquie Faciliter la transition de ces États avant leur entrée dans l’UE 18,182 17 pays en périphérie de l’UE : Méditerranée, Europe de l’Est, Russie, Caucase, Moyen orient Coopération transfrontalière avec les États géographiquement proches de l’UE mais n’ayant pas vocation à y entrer Instruments de coopération et d’aide au développement Fonds européen de développement (FED) Instrument au développement I (DCI I) 34,276 78 pays ACP Aide au développement basée sur l’Accord de Cotonou Amérique latine, Asie centrale, Moyen Orient, Afrique du Sud Aide au développement des États et régions 25 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... Instrument au développement II (DCI II) Instrument au développement III (DCI III) Instrument au développement (DCI) total 18 pays ACP Aide à la restructuration de la production de sucre Tous les pays tiers (sauf les industrialisés et en préadhésion) Développement humain et social, environnement, acteurs non étatiques, sécurité alimentaire, migration et asile 23,295 Démocratie et droits humains (EIDHR) 1,587 Tous les pays tiers Démocratie (observation des élections), bonne gouvernance, droits humains, libertés fondamentales Instrument de stabilité (IFS) 2,829 Tous les pays tiers (sauf industrialisés) Réponse aux crises et problèmes frontaliers transrégionaux Instrument de sécurité nucléaire (NSI) 0,631 Tous les pays tiers (sauf industrialisés) Sureté nucléaire et protection contre les radiations Coopération et échanges en soutien à la diplomatie publique, convergence réglementaire et promotions des échanges Instrument de partenariat (IP) 1,0 Pays industrialisés et émergents Instrument pour le Groenland 0,219 Groenland Source : Commission européenne Cadre financier 2014-2020 26 © Ifri Annexe 2 Enchaînement des FED successifs Période Nombre d’États européens abondant le fonds Nombre d’États 1) 2) associés Base juridique er 1959-1963 6 30 territoires associés Traité de Rome e 1964-1970 6 17 EAMA Convention de Yaoundé I e 1970-1975 6 20 EAMA Convention de Yaoundé II e 1975-1980 9 46 États ACP Convention de Lomé I e 1980-1985 10 59 États ACP Convention de Lomé II e 1985-1990 12 66 États ACP Convention de Lomé III e 1990-1995 15 70 États ACP Convention de Lomé IV e 1995-2000 15 70 États ACP Convention de Lomé IV bis 9 FED e 2000-2007 25 77 États ACP Accord de Cotonou e 2008-2013 27 79 États ACP Accord de Cotonou révisé à Maurice e 2014-2020 28 79 États ACP Accord de Cotonou révisé à Ouagadougou FED 1 FED 2 FED 3 FED 4 FED 5 FED 6 FED 7 FED 8 FED 10 FED 11 FED 1 Il faut tenir compte du fait que certains États intègrent le groupe ACP en cours de certains accords et conventions et que certains États ACP ne sont pas signataires des conventions (cas de Cuba et de la Somalie) ou ne bénéficient pas du FED (cas de l’Afrique du Sud). 2 Outre des États indépendants le FED a toujours financé des projets dans des territoires liés aux États membres dont la liste a constamment évolué du fait en particulier de l’accession à l’indépendance de certains d’entre eux, devenant des ACP et de l’accession d’autres au statut de « Régions Ultrapériphériques » (RUP, cas des Départements français d’Outre-mer). 27 © Ifri T. Vircoulon et D. Lecompte/ L’aide de l’Union européenne... Annexe 3 Montant des allocations indicatives aux secteurs de concentration liés e à la sécurité dans les Programmes Indicatifs Régionaux (PIR) 10 FED Région ACP Montant (millions d’euros) % du PIR Total PIR Sécurité CEDEAO 597 119 39,9 Afrique Centrale 165 15 9,1 Afrique de l’Est, du Sud et Océan Indien 645 64 9,9 SADCC 116 17,4 15,0 Caraïbe 165 9,9 6,0 Pacifique 95 0 0,0 1 783 225,3 12,6 Total e Source : documents des PIR 10 FED 28 © Ifri