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La Réception par la Pologne de la Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

2016

LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA CEDH THE POLISH RECEPTION OF THE ECTHR CASE LAW Thèse de doctorat en droit public / Public law PhD Thesis Résumé Cette étude propose de dégager une trame empirique de l’impact des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur le développement des libertés et droits fondamentaux dans un État d’Europe centrale entré en transition démocratique en 1989, à partir d’un régime socialiste post-totalitaire. Elle met dès lors en lumière l’influence du juge européen en appréhendant son apport à la transformation de l’État polonais, de l’entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l’homme sur son territoire jusqu’aux plus récents arrêts prononcés à Strasbourg. La réponse apportée par la République de Pologne aux condamnations de la CEDH varie en fonction de l’origine et de la finalité des normes en cause (droit hérité ou lié à l’ancien régime ; droit édicté par l’État démocratique). L’analyse souligne enfin les difficultés éprouvées par la Pologne du XXIe siècle, confrontée aux préoccupations contemporaines morales, sociales ou sécuritaires de ses citoyens. Summary This study proposes to identify a empirical frame of the impact of judgments of the European Court of Human Rights (ECtHR) on the development of fundamental rights and freedoms in a state of Central Europe, that came into democratic transition in 1989 from a post-totalitarian socialist regime. Light is therefore put on the influence of the European Court apprehending his contribution in the transformation of the Polish state, from the entry into force of the European Convention on Human Rights on its territory to more recent judgments in Strasbourg. The answer given to the convictions of the ECtHR by the Republic of Poland depends on the origin and purpose of the rules in question (inherited law from / linked to the old regime ; law enacted by the democratic state). The analysis finally underlines difficulties experienced by Poland of the XXI century, faced with contempory moral, social or security concerns of its own citizens.

CENTRE DE RECHERCHE MICHEL-DE-L’HOSPITAL, EA 4232 ÉCOLE DOCTORALE DES SCIENCES ÉCONOMIQUES, JURIDIQUES ET DE GESTION, ED 245 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ESSAI SUR L’INFLUENCE DU JUGE DE STRASBOURG SUR UNE JEUNE DÉMOCRATIE D’EUROPE CENTRALE Thèse pour le doctorat mention droit public soutenue publiquement le 10 juin 2016 par Pierre-Henri PAULET MEMBRES DU JURY Mme. Marie-Elisabeth BAUDOIN, Maître de conférences HDR à l’Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand I). M. Mirosław GRANAT, Professeur de droit à l’Université Cardinal Stefan-Wyszyński (Varsovie), ancien juge du Tribunal constitutionnel de Pologne. M. Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Professeur de droit privé à l’Université de Limoges. Rapporteur. M. Frédéric SUDRE, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier. Rapporteur. M. Dominique TURPIN, Professeur émérite de droit public à l’Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand I), Président honoraire de l’Université d’Auvergne, Doyen honoraire de l’École de Droit de Clermont-Ferrand. Directeur de recherche. LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ESSAI SUR L’INFLUENCE DU JUGE DE STRASBOURG SUR UNE JEUNE DÉMOCRATIE D’EUROPE CENTRALE L’Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand I) n’entend accorder aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse. Elles doivent être considérées comme celles de leur auteur. À mes proches, dont le soutien constant me fut indispensable « Tantôt l’emportait en eux une sorte de doctrine du pire où leur désespoir puisait d’enivrantes illusions, comme la musique de Chopin tire le rêve de la douleur. Tantôt ils caressaient l’espoir d’une solution qui étendrait la Pologne vers l’Ouest, concéderait à la Russie une partie des terres galiciennes et lithuaniennes et obtiendrait d’elle qu’elle s’abstînt de régner à Varsovie en y imposant un gouvernement communiste. » Charles DE GAULLE, Mémoires de guerre (Tome 1), 1954 R EMERCIEMENTS Je tiens avant tout à exprimer mes plus sincères remerciements et ma profonde déférence au professeur Dominique Turpin, directeur prestigieux de cette thèse de doctorat. Ses conseils et le suivi régulier de mes travaux ont constitué une invitation permanente à l’enrichissement de mon savoir, ainsi qu’une source inestimable de motivation. J’adresse par ailleurs toute ma reconnaissance aux membres du jury, Mme. MarieElisabeth Baudoin, maître de conférences HDR, et MM. les professeurs Mirosław Granat, Jean-Pierre Marguénaud et Frédéric Sudre, qui ont accepté d’évaluer la présente thèse et de siéger, ce vendredi 10 juin 2016, à la soutenance qui en constitue l’achèvement. À celles et ceux qui m’ont apporté leur aide, leurs encouragements et leurs suggestions au cours de ces six années de recherche, j’exprime ma gratitude, en particulier : - Aux juristes qui ont bien voulu me rencontrer et répondre à mes questions : Maciej Bernatt, Adam Bodnar, Zoe Bryanston-Cross, Philippe Chauvin, Lech Garlicki, Mirosław Granat, Szymon Janczarek, Natalia Kobalarz, Piotr Korzec, Jacek Kowalewski, Hannah Machińska, Angélique Matynia, Ada Paprocka et Jakub Urbanik. - À Małgorzata Ulla, docteur en droit public de l’Université d’Auvergne, qui m’a fait profiter de ses précieuses connaissances et n’a cessé de porter de l’intérêt à mon travail ; à Paula Rewers, diplômée en science politique de l’Université de Varsovie, qui m’a tant appris sur son pays. - À l’équipe pédagogique de l’École de Droit de Clermont-Ferrand, et tout particulièrement : Charles-André Dubreuil et Jean-Baptiste Perrier, directeurs successifs du Centre Michel-de-l’Hospital dont le dynamisme et l’attention accordée aux doctorants contribuèrent à l’aboutissement de ce travail ; Christine Bertrand, Doyen de l’École de droit de Clermont-Ferrand, et Florent Garnier, Doyen honoraire de ce même établissement, pour leur disponibilité et leur assistance sans faille. Je n’oublie pas de saluer affectueusement tous mes collègues et amis du Centre MiI chel-de-l’Hospital. Ils ont su produire une atmosphère studieuse, conviviale et créative tout au long de ces années passées ensemble. Je souhaite enfin remercier mes professeurs de polonais Jacek Olczyk, Justyna Klyszcz, Aleksandra Skarżyńska, Barbara Gołębiowska et Piotr Kajak. De Clermont-Ferrand à Varsovie, ils m’ont enseigné patiemment les fondements de cette langue aussi difficile qu’envoûtante. II L ISTE DES ABRÉVIATIONS I. Institutions, organisations internationales Ass. CdE : Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe CAT : Comité contre la torture des Nations Unies CDH : Comité des droits de l’homme des Nations Unies CEDH : Cour européenne des droits de l’homme CIA : Agence centrale du renseignement (États-Unis – Central Intelligence Agency) CPI : Cour pénale internationale CPJI : Cour permanente de justice internationale Com. EDH : Commission européenne des droits de l’homme Com. Min. : Comité des ministres du Conseil de l’Europe Commiss. DH : Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Congr. Pv. loc. : Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe Conv. EDH : Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales CPT : Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe CSCE : Commission sur la sécurité et la coopération en Europe (Commission on Security and Cooperation in Europe) CSDH : Conseil des droits de l’homme des Nations Unies HCDH : Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies ONU : Organisation des Nations Unies OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe SDN : Société des Nations II. Droit interne polonais CASP : Cour administrative suprême (Naczelny Sąd Administracyjny) III CC : Code civil CFT : Code de la famille et de la tutelle CP : Code pénal CPA : Code de procédure administrative CPC : Code de procédure civile CPP : Code de procédure pénale CEM : Code de l’éthique médicale CEP : Code d’exécution des peines CSP : Cour suprême (Sąd Najwyższy) Dz. U. : Dziennik Ustaw (l’un des journaux officiels) FRGP : Fondation pour la réconciliation germano-polonaise IMN : Institut de la Mémoire Nationale M. P. : Monitor Polski (l’un des journaux officiels) OTK ZU : Orzecznictwo Trybunału Konstytucyjnego (recueil de jurisprudence du Tribunal constitutionnel) OSN : Orzecznictwo Sądu Najwyższego (recueil de jurisprudence de la Cour suprême) OSP : Orzecznictwo Sądów Polskich (recueil de jurisprudence des cours de justice) PiS : Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość), parti politique PO : Plateforme Civique (Platforma Obywatelska), parti politique PZPR : Parti Ouvrier Unifié Polonais (Polska Zjednoczona Partia Robotnicza), parti politique SLD : Alliance de la Gauche Démocratique (Sojusz Lewicy Demokratycnzej), parti politique TCP : Tribunal constitutionnel (Trybunał konstytucyjny) UD : Union démocratique (Unia demokratyczna), parti politique III. Périodiques AIJC : Annuaire International de Justice Constitutionnelle Baltic YIL : Baltic Yearbook of International Law EJIL : European Journal of International Law IV EHRAC Bulletin : European Human Rights Advocacy Centre Bulletin EHRLR : European Human Rights Law Review JCP G : La Semaine Juridique, Édition générale JOUE : Journal Officiel de l’Union européenne LPA : Les Petites Affiches NCCC : Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel L&P : The Law and Practice of International Courts and Tribunal Rec. : Recueil des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme Rec. Dalloz : Recueil Dalloz Sirey RDC : Revue des Contrats RDLF : Revue des Droits et Libertés Fondamentaux (périodique en ligne) RDP : Revue du Droit Public et de la Science Politique en France et à l’Étranger RDSS : Revue de Droit Sanitaire et Social RECEO : Revue d’Études Comparatives Est-Ouest REPCEE : Revue d’Études Politiques et Constitutionnelles Est-européennes RFDA : Revue Française de Droit Administratif RFSP : Revue Française de Science Politique RIDC : Revue Internationale de Droit Comparé RJCE : Revue de Justice Constitutionnelle Est-européenne RSC : Revue de Science Criminelle et Droit Pénal Comparé RTD Civ. : Revue Trimestrielle de Droit Civil RTDH : Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme RUDH : Revue Universelle des Droits de l’Homme V. Autres DEM : Code ISO désignant le Deutschmark, ancienne devise allemande EUR : Code ISO désignant l’Euro, devise européenne IMG : Interruption médicale de grossesse IVG : Interruption volontaire de grossesse V ONG : Organisation non-gouvernementale PECO : Pays d’Europe centrale et orientale PLN : Code ISO désignant le Złoty (nouveau), actuelle devise polonaise PLZ : Code ISO désignant le Złoty (ancien), devise polonaise jusqu’en 1994 URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques VI S OMMAIRE INTRODUCTION GÉNÉRALE………………………………………………………………………… p. 1 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE : LA « RÉCEPTION DE CONFORT »……………………………….…….………p. 59 Titre I – Réparer les préjudices causés par l’ancien droit...................................................p. 64 Chapitre I – Le traitement contrôlé des conflits relatifs au passé………………...……...….p. 66 Chapitre II – L’annulation accélérée des décisions d’expropriation……………………….p. 125 Titre II – Révoquer les principes hérités de l’ancien droit................................................p. 179 Chapitre I – Les fondements renouvelés de la procédure pénale……………………….… p. 182 Chapitre II – La protection apportée aux droits d’essence libérale.......................................p. 256 DEUXIÈME PARTIE – L’AMÉLIORATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : LA « RÉCEPTION DE CONFLIT »……………………………......…….p. 329 Titre I – Remédier aux défaillances liées au nouveau droit.............................................p. 333 Chapitre I – Les lenteurs atténuées du système juridictionnel………..……………....……p. 335 Chapitre II – Les atteintes raréfiées à la propriété et au procès équitable………..….…….p. 414 Titre II – Repenser les spécificités issues du nouveau droit..........................................p. 468 Chapitre I – La hausse sanctionnée des violences aux personnes………………...…….… p. 471 Chapitre II – Un clivage affirmé sur les questions sociétales...............................................p. 544 CONCLUSION GÉNÉRALE……………………………………………….……………………….…p. 613 ANNEXES………………………………………………………………………………………….………..p. 625 INDEX GÉNÉRAL…………………………………………………………….…………………….…..….p. 651 INDEX DES AUTEURS CITÉS………………………………………………………..……...…….…….p. 657 INDEX JURISPRUDENTIEL………………………………………………………………….………….p. 665 BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………………………….p. 685 TABLE DES MATIÈRES……………………………………………………………..……………...…….p. 741 VII INTRODUCTION GÉNÉRALE « Le totalitarisme est d’abord une perversion religieuse ; c’est le soubresaut d’un universel qui, ayant perdu son attache à la transcendance, se constitue en savoir et en pouvoir qui veulent récapituler et contrôler le passé, le présent et l’avenir. » Jean-Marie DOMENACH, « Dieu dans l’Histoire », Esprit (n°7-8), 1978 1 - Noyées dans l’épaisse brume matinale, les cimes des arbres de la forêt de Smolensk ont déchiré la coque du Tupolev TU-154. L’avion transportait la délégation polonaise sur les lieux de la commémoration du massacre de Katyń, perpétré soixante-dix ans auparavant1. La tragédie qui frappait la République de Pologne, ce samedi 10 avril 2010, revêtait les allures d’un flash-back. La jeune démocratie devait faire face à un drame humain inévitablement mû en un traumatisme national aux répercutions institutionnelles. Parmi les victimes de l’accident figuraient des membres du Parlement issus de la majorité et de l’opposition, plusieurs ministres, les principaux responsables de l’état-major des armées, le Défenseur des droits civiques2, le dernier Président de la République en exil3 Ryszard Kaczorowski et le Président de la République alors en exercice, Lech Kaczyński, accompagné de son épouse Maria. Confor- 1 Alexander ETKIND, Rory FINN (et al.), Remembering Katyn, Cambridge/Malden, Polity, 2012, p. 132. Au total, l’accident aérien fit 96 victimes. 2 Le Défenseur des droits civiques (Rzecznik Praw Obywatelskich) est l’ombudsman polonais. Créé par la loi du 15 juillet 1987 (Dz. U., 1987, n°21, texte 123, pp. 221-223), il est entré en fonctions le 1er janvier 1988. Il est compétent pour examiner toute affaire dans laquelle les droits et libertés des citoyens, le respect de la loi et les principes de vie commune et de justice sociale sont menacés par l’action ou l’abstention des autorités administratives (agences, institutions, organisations). Il rédige également des rapports et il est compétent pour saisir le Tribunal constitutionnel. Voir Lesław KANSKIN, « Human Rights in Poland from a Historical and Comparative Perspective », in Kenneth W. THOMPSON, Rett R. LUDWIKOWSKI, Constitutionalism and Human Rights: America, Poland and France – A bicentennial colloquim at Miller Center, Boston, University Press of America, 1991, pp. 135-136. 3 Depuis l’installation à Lublin en 1944 d’un gouvernement provisoire proche des Soviétiques et jusqu’à la disparition de la République Populaire de Pologne en 1990, a perduré un symbolique « gouvernement en exil », prolongement direct du gouvernement polonais expatrié à Londres pendant les hostilités de la Seconde guerre mondiale. INTRODUCTION GÉNÉRALE mément aux dispositions constitutionnelles fixant les modalités d’intérim au sommet de l’État en cas de décès du Président de la République4, le maréchal (marszałek) de la Diète Bronisław Komorowski prit sans délai les fonctions de chef de l’État et les exerça jusqu’aux élections présidentielles anticipées dont le premier tour se déroula le 20 juin 2010. 2 - La catastrophe de Smolensk a longuement nourri les passions du peuple polonais. Lorsqu’elle se produisit, vingt années déjà s’étaient écoulées depuis le retrait des communistes. La Pologne vivait alors une épreuve susceptible de démontrer la stabilité de son régime démocratique. Figure du parti libéral Plateforme Civique (PO)5, Bronisław Komorowski fut élu Président de la République le 4 juillet 2010, à l’issue du second tour de scrutin au suffrage universel direct qui l’opposait à Jarosław Kaczyński, frère jumeau6 du défunt chef de l’État, malgré l’élan de sympathie dont bénéficia celui-ci dans un contexte pesant de deuil national. Quelques mois plus tard, en octobre 2011, se tinrent les élections parlementaires à l’occasion desquelles les électeurs renouvelèrent leur confiance à la majorité sortante, dominée par PO. Ce choix de la continuité et de la stabilité, observé pour la première fois en Pologne depuis 19897, permit le maintien de Donald Tusk dans ses fonctions de Premier ministre. Homme d’État à la stature internationale, il devint le second Président permanent du Conseil de l’Union européenne le 1er décembre 2014. Cette consécration parachevait un retour en Europe désiré dès la révolution de 1989-1990, par laquelle disparut le régime prosoviétique. 3 - L’histoire du retour de la Pologne dans l’Europe avait été celle de son admission dans le cénacle des défenseurs des droits de l’homme et des libertés. Le rapprochement de la patrie de Mickiewicz avec les valeurs libérales du vieux continent fut auguré dès la signature à Helsin- 4 Il s’agit de l’article 131 § 2 de la Constitution du 2 avril 1997, entrée en vigueur le 17 octobre 1997 (Dz. U., 1997, n°78, texte 483, pp. 2413-2470), lequel dispose : « Le maréchal de la Diète exerce les fonctions de Président de la République à titre provisoire, jusqu’à l’élection du nouveau Président de la République en cas de : a) décès du Président de la République […] ». 5 En polonais : Platforma obywatelska. Créé en 2000, le parti suit une ligne politique de centre-droit, libéraleconservatrice. Voir Georges MINK, « Pologne : un bilan politique contrasté », Politique étrangère, n°3, 2009, pp. 503-515. 6 Découverts par les Polonais à travers les rôles qu’ils interprétèrent au cinéma dans le film Histoire de deux enfants qui volèrent la lune (O dwóch takich, co ukradli księżyc, réalisé par Jan Batory, 1962), Jarosław et Lech Kaczyński sont devenus des figures de proue du mouvement Solidarité (Solidarność) avant d’incarner la droite conservatrice polonaise après 1989, présidant aux destinées du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość – PiS). Fondée en 2000, cette formation politique, désormais la plus importante du pays, est porteuse d’un discours nationaliste et étatiste (voir Georges MINK, « Pologne : un bilan politique contrasté », préc., p. 504 et p. 512). 7 Cf. Annexe n°1. La vie institutionnelle polonaise a été marquée, entre 1989 et 2007, par d’incessants changements de majorité. Certes, ces alternances témoignaient du pluralisme politique et ainsi d’une certaine réussite de la transition démocratique. Elles inquiétaient par l’insatisfaction permanente que semblaient montrer les électeurs. 4 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ki8 en 1975 des fameux accords par lesquels les États socialistes et capitalistes s’engageaint à garantir le respect des droits et des libertés de l’homme9. La Pologne devait poursuivre dans la voie de la reconnaissance de ces droits et libertés avec la ratification du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques le 18 mars 197710. Demeurait pourtant, dans le quotidien des Polonais, un décalage entre l’ouverture progressive de l’État à la protection internationale des droits de l’homme et la réalité de ces droits sur le terrain. Cette frustration citoyenne a perduré jusqu’à ce que la transition offrît l’occasion aux Polonais d’accomplir enfin leur quête d’une démocratie libérale. 4 - Une telle quête passait par le regain de la souveraineté nationale. Entre 1989 et 1991, alors que la doctrine Brejnev faisait place à la « doctrine Sinatra »11, la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie œuvrèrent activement à la désintégration des structures internationales qui avaient servi la domination de l’Union soviétique au centre de l’Europe. Le Conseil d’assistance économique mutuelle12 fut dissout en juin 1991, quelques jours avant la disparition du Pacte de Varsovie13. Quelques années plus tard, ces trois mêmes États furent accueillis de conserve dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Leur adhésion a été 8 La Finlande était l’endroit idéal pour la signature car il s’agissait d’un pays neutre qui coopérait avec l’URSS depuis 1948 sans pour autant appartenir à l’OTAN ou au Pacte de Varsovie (Nuala MOLE, « The importance of the Court’s case-law in Central and Easterne Europe », in Joseph CASADEVALL (et al.) (dir.), Freedom of Expression – Essays in honor of Nicolas Bratza, Oisterwik, Wolf Legal Publishers, 2012, p. 435). 9 L’Acte final d’Helsinki a été signé le 1er août 1975, à l’issue de la première Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE). S’il témoigne du dégel entre les deux grandes puissances mondiales que sont les États-Unis (et leurs alliés d’Europe occidentale) et l’Union soviétique (et ses alliés d’Europe centrale et orientale), il entend surtout redéfinir les règles de la coexistence, proscrivant le recours à la force et prescrivant le respect des droits fondamentaux par ses signataires. Les dissidents politiques ne manquèrent pas de l’invoquer pour appuyer leur combat contre les régimes socialistes. Mais la nature non-conventionnelle de l’accord d’Helsinki et le dualisme strict (séparation des ordres interne et international) qui prévalaient dans ces pays rendaient les droits fondamentaux reconnus à l’échelle internationale non-invocables en droit interne (voir sur ce point Florence BENOÎT-ROHMER, « L’application de la Convention européenne des droits de l’homme dans les pays d’Europe centrale et orientale », in Liberté, Justice, Tolérance – Mélanges en hommage au doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 219-220). 10 Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, Pacte International relatifs aux Droits Civils et Politiques. La Pologne avait signé le texte dix ans avant de le ratifier, le 2 mars 1967. Mais elle n’accepta la compétence du Comité des droits de l’homme pour contrôler le respect de ses engagements au titre du Pacte que le 25 septembre 1990. 11 Après l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev, la doctrine Brejnev de la « souveraineté limitée » vis-à-vis des satellites est abandonnée au profit d’une doctrine surnommée avec humour « doctrine Sinatra ». En clin d’œil à la chanson My Way, les États vassalisés peuvent aller leur propre chemin… (Denis HUBER, Une décennie pour l’Histoire – Le Conseil de l’Europe 1989-1999, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 1999, p. 5). 12 Connu sous les acronymes CAEM ou COMECON, cet organe bureaucratique coordonnait les économies de l’URSS et ses satellites. Parmi les membres de la communauté, la Pologne détenait la spécialisation des secteurs sidérurgique, énergétique, mécanique, chimique et pétrochimique, ainsi que les chantiers navals. Le CAEM avait été créé à Moscou par les Soviétiques, inquiets des conséquences politiques du plan Marshall (article « CAEM », in Stéphane COURTOIS (dir.), Dictionnaire du communisme, Paris, Larousse, Coll. « À présent », 2007, p. 129). 13 Georges MINK, « Retour dans le concert des nations », Questions internationales, n°69, 2014, p. 16. 5 INTRODUCTION GÉNÉRALE officiellement enterinée le 12 mars 199914. Par ailleurs, la Pologne s’était empressée en 1991 de reconnaître l’Ukraine indépendante15, ce qui marquait le retour d’une libre diplomatie. 5 - La Pologne franchit l’étape de la demande d’adhésion au Conseil de l’Europe le 30 janvier 199016. Par une résolution du 23 octobre 1990, le Comité des ministres l’invita officiellement à intégrer l’organisation17. Le 26 novembre 1991, vingt jours seulement après la Hongrie, la Pologne en obtint le statut de membre. Restait enfin à convaincre l’Union européenne du bien-fondé d’une candidature polonaise18. La Hongrie et la Pologne, à l’issue de négociations de plusieurs semaines, signèrent un accord européen d’association avec les Communautés européennes, le 16 décembre 1991 (entré en vigueur le 1er février 1994), avant la République tchèque et la Slovaquie. L’aboutissement de la démarche tenait à des réformes juridiques au moins autant qu’économiques. Du point de vue de l’adaptation du droit aux exigences communautaires, le doyen Langeais a relevé dans l’un de ses ouvrages que la nouvelle Pologne démocratique avait su bien réorganiser son système juridique, en vue de son adhésion, en se dotant d’un droit privé qui la rattache à la famille des systèmes romano-germaniques19. Cette ultime étape de l’acquisition d’un rang européen complet fut franchie le 1er mai 2004, lors de l’élargissement de l’Union européenne à dix nouveaux États. La bénédiction de Bruxelles à l’adhésion polonaise traduisait la satisfaction des critères de Copenhague20. Aux yeux du 14 L’absence de défenses naturelles du territoire polonais était une explication de sa profonde vulnérabilité au cours de son histoire. Elle faillit même coûter à la Pologne son admission à l’OTAN ! Certains stratèges de l’organisation avaient estimé peu opportun de faire entrer ce pays aux plaines indéfendables dans l’alliance (David CADIER, « Les contraintes géopolitiques », Questions internationales, n°69, 2014, p. 35). 15 Elle fut le premier État au monde à reconnaître l’Ukraine (Georges MINK, « Retour dans le concert des nations », Questions internationales, n°69, 2014, p. 19). 16 Arnold KOLLER, « Le patrimoine juridique du Conseil de l’Europe : son rôle dans le rapprochement avec les pays de l’Europe de l’Est », RUDH, vol. 2, n°10, 31 octobre 1990, p. 389. 17 Com. Min., Résolution (90)18, Invitation à la République de Pologne à devenir membre du Conseil de l’Europe, 23 octobre 1990. 18 La ratification de la Conv. EDH et l’assimilation des standards du Conseil de l’Europe doivent être regardées comme une véritable étape vers l’accession à l’Union européenne (Michał MATYASIK, « Polska w systemie ochrony praw człowieka Rady Europy », in KOBA (L.), WACŁAWCZYK (W.), Prawa człowieka : wybrane zagadnienia i problemy, Warszawa, Wolters Kluwer Polska, 2009, pp. 87). 19 Raymond LANGEAIS, Grands systèmes de droit contemporains – Approche comparative, 2e édition, Paris, Litec, 2008, pp. 171-173. Il faut aussi mettre au crédit de l’intégration de l’acquis communautaire la réforme des structures administratives (voir Émilie CHEVALIER, « La justice administrative dans les Pays d’Europe centrale et orientale, la formation d’un modèle sous influences », RFDA, n°2, 2008, pp. 252-257.) À propos de l’implication des acteurs internes dans la procédure d’accession de la Pologne à l’Union européenne, voir Jowanka JAKUBEK, « Polish experience with European policy coordination 2001-2006 », in Martin MYANT, Terry COX (dir.), Reinventing Poland – Economic and political transformation and evolving national identity, New-York, Routledge, 2008, pp. 91-106. 20 Il existe trois critères d’adhésion à l’Union européenne, définis lors du Conseil européen de Copenhague des 22 et 23 juin 1993 : le respect des exigences démocratiques, le respect de l’économie de marché et l’acceptation par les États candidats de l’acquis communautaire (Claude BLUMAN, Louis DUBOUIS, Droit institutionnel de 6 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME monde entier, la Pologne était élevée au rang de démocratie pleine et entière, ralliée de surcroît à l’économie de marché. 6 - Une fois organisées ses premières élections parlementaires entièrement libres en 1991 et sa candidature au Conseil de l’Europe acceptée, la Pologne a œuvré au renforcement de la protection des libertés fondamentales au fur et à mesure des réformes de son droit interne. Dès le 1er mai 1993, toute personne physique ou morale a pu saisir directement la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’une requête individuelle21 dirigée contre la Pologne, sur le fondement de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH)22, pour se plaindre de la violation d’une disposition de ce même texte. Depuis cette date et jusqu’au 31 décembre 2015, 1 099 arrêts concernant la République de Pologne ont été rendus, dont 925 constatant au moins une violation de la Convention ou ses protocoles23. De fait, la Pologne compte parmi les États les plus souvent condamnés à Strasbourg. Seules la Turquie, l’Italie, la Russie et la Roumanie la devancent24. 7 - La Conv. EDH comprend un ensemble de droits limités, dans le texte original, aux libertés et droits civils et politiques25, droits-libertés par excellence. L’adjonction de protocoles additionnels26 et surtout la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en ont pourtant fait l’instrument l’Union européenne, 5e édition, Paris, Lexis-Nexis, Coll. « Manuel », 2013, p. 50, § 62). Sur le plan politique (premier critère), les États d’Europe centrale et orientale ont vocation à rejoindre l’Union européenne à condition de garantir : des institutions démocratiques stables, la primauté du droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection. Ces « valeurs » communes sont aujourd’hui reprises à l’article 2 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne. 21 La Pologne n’a, à ce jour, jamais été visée par une requête étatique prévue à l’article 33 de la Conv. EDH. 22 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, STCE n°005, Rome, 4 novembre 1950. La Conv. EDH est entrée en vigueur en Pologne le jour de sa ratification, le 19 janvier 1993. 23 Cf. Annexe n°3 pour le graphique de l’évolution des arrêts en annexe. Pour interpréter les données y figurant, il convient de garder à l’esprit que la réforme introduite à compter du 1er juin 2010 et l’entrée en vigueur du Protocole n°14 ont modifié les conditions de recevabilité des requêtes. Depuis cette date, ces conditions sont plus strictes : la recevabilité d’une requête permettant un examen au fond est conditionnée par l’existence d’un « préjudice important » subi par le requérant (article 35 § 3 de la Conv. EDH). Un juge unique est chargé de statuer sur la recevabilité de chaque requête et se prononce par une décision insusceptible de recours (article 27 de la Conv. EDH). Lire à ce sujet l’analyse de Vincenzo STARACE, « Modifications provided by protocol n°14 concerning proceedings before the European Court of Human Rights », L&P, n°5, 2006, pp. 183-192. 24 CEDH, Rapport annuel 2015 (version provisoire), Strasbourg, 2016, pp. 208-209. 25 Jean-Sylvestre BERGÉ, Sophie ROBIN-OLIVIER, Droit Européen, 2e édition, Paris, PUF, coll. « Thémis droit », 2011, p. 201, § 206. 26 Il faut distinguer les protocoles procéduraux qui amendent le système de protection des droits de l’homme par les organes de la Conv. EDH (protocoles 2, 3, 5, 8, 9, 10, 11 14, 15 et 16) des protocoles matériels qui ajoutent des droits absents du texte de la Convention stricto sensu. Ces derniers sont les protocoles n°1 (droits au respect des biens, à des élections libres, à l’instruction) ; n°4 (interdiction de l’emprisonnement pour dette, liberté de circulation, interdiction d’expulsion de nationaux) ; n°6 (abolition de la peine de mort en temps de paix) ; n°7 (garanties procédurales en cas d’expulsion d’étrangers, droits à un double degré de juridiction pénale et de ne pas être jugé deux fois, égalité entre époux) ; n°12 (interdiction générale de la discrimination) et n°13 (abolition de la peine de mort en toutes circonstances). 7 INTRODUCTION GÉNÉRALE privilégié en Europe pour la protection de droits toujours plus nombreux, touchant à la sphère des droits économiques, sociaux et environnementaux27 tout en imposant progressivement aux États des obligations positives. Ainsi, la CEDH s’intéresse-t-elle aux aspects essentiels de l’existence des individus vivant ou transitant sur le territoire des Hautes Parties Contractantes. Les requêtes individuelles transmises au greffe du Palais des Droits de l’Homme sont le reflet de la santé de la démocratie28. Elles révèlent les petites et grandes défaillances de l’ordre juridique, les lacunes et les ambiguïtés normatives, les agissements archaïques des administrations. Les arrêts rendus à la faveur de leur examen fournissent des indications essentielles sur l’état du droit. Une lecture attentive des statistiques reflète les difficultés que rencontre fréquemment une société ; elle permet de constater les progrès ou les régressions de l’État concerné. Mais un arrêt de la CEDH n’est jamais une fin en soi, même lorsqu’il se conclut par la condamnation de l’État défendeur pour la méconnaissance de stipulations de la Conv. EDH. Le prononcé de l’arrêt marque au contraire l’ouverture d’un processus interne qui doit en principe conduire à l’éradication des sources potentielles de nouvelles violations de la Convention et à la réparation du préjudice subi par le requérant. 8 - Les arrêts rendus par la CEDH ont un caractère obligatoire pour les Hautes Parties Contractantes, ainsi qu’en dispose l’article 46 § 1 de la Conv. EDH29. Toutefois, ils ne sont pas exécutoires en ce qu’« ils n’annulent ou ne modifient aucun acte de l’État fautif, que ce soit une loi, un règlement, un acte administratif ou une décision judiciaire », ainsi que l’écrit le jurisconsulte de la Cour Vincent Berger30. Il appartient aux États, en principe, d’adopter les mesures générales et individuelles qu’ils estiment adéquates pour exécuter les arrêts de la CEDH. Quant à la portée des arrêts, elle serait uniquement inter partes, suivant la lettre de 27 À propos de l’extension de la Convention aux droits sociaux par les différentes techniques interprétatives, voir par ex. Frédéric SUDRE, « La protection des droits sociaux par la Cour européenne des droits de l’homme : un exercice de ‘‘jurisprudence fiction’’ ? », RTDH, n°55, 2003, pp. 755-779. Le professeur Turpin relève pour sa part l’utilisation par la CEDH de la Charte européenne des droits sociaux et de la pratique du Comité européen des droits sociaux pour « ‘‘interpréter’’ de façon évolutive la Convention », avec pour conséquence de rendre « ainsi ‘‘justiciables’’ » les dispositions de la Charte (Dominique TURPIN, « Droits de l’homme et mondialisation : menaces sur l’universalisme ? », texte inédit en français, p. 10). 28 En 1959, la mise en place d’une juridiction pour contrôler le respecter par les Hautes-parties contractantes de leurs engagements conventionnels n’avait pas manqué de susciter craintes et oppositions. Ont été avancés tour à tour l’inutilité de l’institution, l’atteinte aux souverainetés étatiques et le privilège du « dernier mot » qu’aurait cette cour sur les tribunaux nationaux (Françoise TULKENS, « Pour les 60 ans de la Convention européenne des droits de l’homme : bilan, questions critiques et défis », RTDH, n°98, 2014, pp.336-337, § 8). 29 « Les Hautes-parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ». 30 Vincent BERGER, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, 13e édition, Paris, Sirey, 2014, p. 843, § 2. 8 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’article 46 § 1 précité31. C’est pourquoi cette étude s’intéressera essentiellement à la réponse de la Pologne à la suite d’un arrêt de la CEDH la condamnant. Une partie de la doctrine s’interroge néanmoins sur la reconnaissance d’effets erga omnes qui auraient pour vertu d’inviter les États à modifier préventivement leur législation lorsqu’une jurisprudence rendue à l’égard d’un État-tiers est susceptible de les concerner32. Les auteurs s’appuient notamment sur la volonté des États exprimés lors des conférences d’Interlaken (février 2010) et Brighton (avril 2012)33 mais également sur les indications données par la CEDH elle-même à l’occasion de ses arrêts34. Selon le professeur Patrick Wachsmann, qui plaide en faveur de l’autorité de la chose interprétée et par conséquent de l’effet erga omnes des arrêts de la CEDH, « [f]aire comme s’il n’y avait pas de jurisprudence, c’est enfermer le juge dans une succession d’espèces dont il n’aurait pas à tenter de dépasser les particularités »35. 9 - La doctrine juridique fait usage régulier du terme « réception » pour évoquer tant l’intégration au niveau interne de normes élaborées à l’échelle internationale36 que l’exécution 31 Techniquement, les arrêts de la CEDH ne produisent qu’un effet inter partes selon Helen KELLER, Alec STONE-SWEET, « The Reception of the ECHR in National Legal Orders », in Helen KELLER, Alec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, New York, Oxford Press University, 2008, p. 11. Cet avis est partagé par l’ancien agent du gouvernement polonais près la CEDH, qui estime que les obligations de l’article 46 se rapportent à l’État concerné par l’arrêt rendu (Jakub WOŁĄSIEWICZ, « Wpływ orzecznictwa Europejskiego Trybunału Praw Człowieka na przemanię narodowego poczucia sprawiedliwości », in Hanna MACHIŃSKA (dir.), Polska i Rada Europy 1990-2005, Varsovie, Biuro informacji Rady Europy, 2006, p. 153) 32 Voir en ce sens Samantha BESSON, « The erga omnes effect of judgments of the European Court of Human Rights – What’s in the name? », in Samantha BESSON (dir.), La Cour européenne des droits de l’homme après le Protocole 14 – Premier bilan et perspectives, Genève-Zurich-Bâle, Schulthess, 2011, pp. 125-175 ; Adam BODNAR, « Res Interpretata: Legal effect of the European Court of Human Right’s judgments for other States than those which were party to the proceedings », in Yves HAECK, Eva BREMS, Human Rights and Civil Liberties in the 21st century, Berlin, Springer, 2014, pp. 223-262. 33 Dans la Déclaration d’Interlaken du 19 février 2010, l’un des points du plan d’action décidé est particulièrement explicite : les États-parties doivent s’engager à « tenir compte des développements de la jurisprudence de la Cour, notamment en vue de considérer les conséquences qui s’imposent suite à un arrêt concluant à une violation de la Convention par un autre Etat partie lorsque leur ordre juridique soulève le même problème de principe » (Point B, c.). Dans celle de Brighton, en date du 20 avril 2012, les États invitent les juridictions internes « à tenir compte des principes pertinents de la Convention, eu égard à la jurisprudence de la Cour, lorsqu’elles conduisent leurs procédures et élaborent leurs décisions, et leur en donner les moyens ; et en particulier, permettre aux parties au litige – dans les limites appropriées de la procédure judiciaire nationale, mais sans obstacles inutiles – d’attirer l’attention des juridictions et instances nationales sur toutes dispositions pertinentes de la Convention et la jurisprudence de la Cour » (point A, § 9, IV). 34 Voir par ex. l’arrêt CEDH, Irlande c. Royaume-Uni, n°5310/71, 18 janvier 1978, Série A, n°25. La Cour juge que « ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes » (§ 154). 35 Patrick WACHSMANN, « Entre deux lacs – Quelques réflexions sur la conférence d’Interlaken sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, n°83, 2010, p. 519. 36 Béatrice Jaluzot définit la réception comme étant « le concept […] selon lequel certaines institutions juridiques seraient reçues depuis les législations étrangères » (Béatrice JALUZOT, « Méthodologie du droit comparé : bilan et prospective », RIDC, n°1, 2005, p. 45). 9 INTRODUCTION GÉNÉRALE stricto sensu des décisions de juridictions internationales. Le terme peut très bien s’entendre, dans le cadre purement interne, de la réception par un organe juridictionnel du droit provenant d’un autre organe ou de règles de droit dont il n’assure pas directement l’exécution37. 10 - Dans sa Théorie pure du droit, Hans Kelsen aborde la notion de « réception » au sein d’un même ordre juridique, dans le contexte des anciennes lois maintenues lors d’un changement de Constitution. Ces normes seront reçues – en cela légitimées – par le nouvel ordre constitutionnel38. La « réception » est aussi le terme choisi par Mirosław Granat, ancien juge du Tribunal constitutionnel polonais, pour évoquer l’imprégnation par les systèmes juridiques des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), à partir de 1989, de l’exigence d’un contrôle constitutionnel des normes. Il s’agissait essentiellement d’introduire dans le droit nouveau le modèle kelsénien du contrôle concentré et de s’inspirer des méthodes et solutions dégagées dans l’exercice de leur fonction par les juridictions constitutionnelles occidentales39. 11 - Dans le cadre de la réception en droit interne de normes externes, Helen Keller et Alec Stone-Sweet, avec leur ouvrage A Europe of Rights, recourent au mot reception (en anglais). Ils entendent à travers lui étudier et comprendre la façon dont les autorités nationales résistent, s’inspirent ou interprètent la Conv. EDH. Ils s’attachent alors aux mécanismes utilisés à ces fins40. Pour Marie-Elisabeth Baudoin, la réception de la jurisprudence européenne peut s’entendre comme l’étude de l’exécution des arrêts de la CEDH mais aussi comme l’analyse 37 Voir par ex. la définition que posait le doyen Vedel de la réception lorsqu’il s’est attaché à retrouver dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français des logiques ou des solutions empruntées à la jurisprudence administrative. L’auteur précisait alors que le terme de réception « ne doit pas évoquer, dans le sens où il est employé ici, la réception du droit international ou d’un droit étranger par le droit français. L’analogie devrait plutôt être recherchée dans la réception de certaines règles de droit privé par le Conseil d’État » (Georges VEDEL, « Réflexions sur quelques apports de la jurisprudence du Conseil d’État à la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in Marcel LONG (dir.), Droit administratif – Mélanges René Chapus, Paris, LGDJ, Coll. « Anthologie du droit », 2014, p. 652). 38 « Il ne s’agit pas d’une création de droit complètement nouvelle, mais de réception par un ordre juridique de normes d’un autre ordre, telle que fut la réception du droit romain par le droit allemand. Mais une telle réception est quand même bien création de droit. Car la validité des normes juridiques qui ont été reçues sous l’empire de la Constitution nouvelle établie par voie révolutionnaire ne peut plus trouver son fondement immédiat dans l’ancienne Constitution, qui a été abrogée ; ce fondement ne peut plus être que la Constitution nouvelle » (Hans KELSEN, Théorie pure du droit, Bruxelles/Paris, Bruylant/L.G.D.J., Coll. « La Pensée Juridique », 1999, p. 210). 39 Mirosław GRANAT, « La réception de la justice constitutionnelle dans les pays d’Europe centrale orientale », in L’État et le droit d’Est en Ouest – Mélanges offerts au professeur Michel Lesage, Paris, Société de Législation Comparée, 2006, pp. 141-148 40 Helen KELLER, Alec STONE-SWEET, « The Reception of the ECHR in National Legal Orders », in Helen KELSTONE-SWEET (dir.), A Europe of rights…, op. cit., pp. 3-28. « Par réception, nous entendons comment – c’est-à-dire par quels mécanismes – les autorités nationales affrontent, utilisent, résistent ou donnent corps aux droits de la Convention » (p. 4). Les auteurs ambitionnaient ainsi d’évaluer « l’impact de la Convention sur les ordres juridiques internes » (p. 15). LER, Alec 10 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME de la perception par les acteurs juridiques internes du droit émanant de la Cour41. Un article consacré par Fanny Jacquelot à l’exécution des arrêts de la CEDH en Italie, fournit un autre exemple du recours à la « réception » dans ce même contexte42. L’auteur s’intéresse à l’intégration du droit de la Conv. EDH au sein du système juridique italien dont le dualisme est consacré par la Constitution républicaine du 27 décembre 1947. Cela a nécessité la prise en compte de la spécificité de la Conv. EDH puis son utilisation (problématique !43) dans l’ordre interne. Se trouve inclus dans la définition de la réception le comportement négatif de l’État, comme chez Helen Keller et Alec Stone-Sweet44. La réception n’est donc pas entendue par ces différents auteurs comme la simple mise en conformité du droit interne à la jurisprudence européenne, mais comme toute réaction aux décisions rendues, l’action comme l’abstention. En d’autres termes, la réception s’intéresse au comportement de l’État-partie à la suite d’un arrêt prononcé par la CEDH, qu’il s’agisse de s’y conformer ou d’y résister. 12 - Dans leur étude comparative de la réception de la jurisprudence de la CEDH dans divers États européens, à l’instant évoquée, Keller et Stone-Sweet se sont intéressés à l’action des fonctionnaires nationaux, c’est-à-dire « tous les agents d’autorité publique, incluant les juges, le législateur et l’administration, qui sont autorisés à prendre des décisions capables d’affecter la position de la Conv. EDH dans l’ordre juridique interne »45. S’il apparaît approprié de suivre cette démarche et de considérer avec attention l’action des trois grands pouvoirs institutionnels chargés respectivement d’élaborer, d’exécuter et de veiller au respect des normes internes, cela ne doit pas exclure du champ d’étude l’intervention d’autres institutions capables d’exercer une influence sur le droit. Parmi elles figurent le Défenseur des droits civiques et les ONG spécialistes des droits fondamentaux, telle la Fondation d’Helsinki en Pologne46. D’un point de vue matériel, les normes juridiques (textes législatifs, textes règlemen- 41 Marie-Elisabeth BAUDOIN, « La réception des normes européennes : le juge constitutionnel russe et la Convention européenne des Droits de l’Homme », REPCEE, n°2, 2008, pp. 83-108. 42 Fanny JACQUELOT, « La réception de la Convention européenne des droits de l’homme par l’ordre juridique italien : itinéraire du dualisme italien à la lumière du monisme français », RDP, n°5, 2011, pp. 1235-1254. 43 Problématique puisqu’il n’est toujours pas unanimement admis par les juridictions italiennes que la Convention produise des effets juridiques directs dans l’ordre interne, en application du principe dualiste. Les juges italiens tendent à faire primer leur interprétation de la Convention sur celle de la CEDH, quitte à contredire cette dernière. 44 « La réception peut aussi impliquer la résistance à la Convention » (Helen KELLER, Alec STONE-SWEET, « The Reception of the ECHR in National Legal Orders », préc., p. 17). 45 Ibidem, p. 17. 46 Créée en 1989, cette ONG siège à Varsovie. Elle entend s’inscrire dans l’esprit des Accords d’Helsinki de 1975 et du Comité d’Helsinki qui œuvra clandestinement en Pologne entre 1982 et 1989. La Fondation observe et alerte sur la situation des droits fondamentaux en Pologne mais aussi dans d’autres États d’Europe centrale et orientale (Biélorussie, Russie, Ukraine, pays du Caucase…), rédige des rapports et communiqués, organise des 11 INTRODUCTION GÉNÉRALE taires le plus souvent) édictées par les institutions polonaises ainsi que l’interprétation de ces normes par les diverses juridictions nationales constitueront les objets principaux de cette étude. Seront incluses également les mesures, fort nombreuses, adoptées à l’intérieur des administrations (lettres circulaires, publications imprimées ou en ligne, programmes de formation des fonctionnaires, etc.). 13 - La recherche des acteurs et des actes qui font œuvre de réception ne saurait se dispenser d’un jugement qualitatif, lequel va au-delà du seul recensement des mesures adoptées pour exécuter un arrêt donné. Plus profonde, l’analyse qualitative passe par la confrontation des rapports et bilans dressés à propos du nouveau droit par diverses institutions ou organismes : l’État lui-même, qui rend compte de l’exécution des arrêts de la CEDH au Comité des ministres du Conseil de l’Europe ; ce dernier, qui contrôle l’exécution desdits arrêts47 ; les autres institutions du Conseil de l’Europe, notamment l’Assemblée parlementaire48 ; toute organisation internationale ayant compétence sur les droits de l’homme, voire les ONG qui surveillent l’état des libertés à différentes échelles et apportent un regard extérieur et complémentaire. Ce recours à des sources multiples peut aider à pallier les lacunes ponctuelles de la documentation en provenance du Conseil de l’Europe (résolutions ou rapports datés et en nombre relativement faible, opinion basée en grande partie sur les informations apportées par le gouvernement, décalage de plusieurs années entre la commission de la violation et son constat par la CEDH, etc.). Le bilan des réformes entreprises par la Pologne afin de répondre aux condamnations de la CEDH sera donc dressé tant au regard du gouvernement que du Conseil de l’Europe et de toute autre source pertinente. Par ailleurs, s’il ne faut pas négliger le pouvoir de contrôle que s’octroie occasionnellement la CEDH sur l’exécution de ses propres arrêts49, son conférences et des formations, intervient auprès des organes de la Conv. EDH (devant la CEDH en tant qu’amicus curiae et auprès du Comité des ministres) pour apporter son expertise. 47 Il s’agit, du moins à l’origine, d’un contrôle politique. Dans une organisation internationale de coopération comme le Conseil de l’Europe, ce type de contrôle n’avait rien de surprenant. Depuis, la mission de surveillance de l’exécution tend à devenir plus technique (dialogue avec l’État-partie ; possibilité de demander à la CEDH d’éclairer l’interprétation d’une jurisprudence ; prise en compte de rapports transmis par les ONG concernant la réponse de l’État à une violation de la Convention…). Voir sur le sujet Jean-François FLAUSS, « L’effectivité des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme : du politique au juridique et vice-versa », RTDH, n°77, 2009, pp. 27-72. Depuis, le contrôle exercé par le Comité tend à se dépolitiser, notamment grâce à des recours de plus en plus fréquent aux experts (Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par le Comité des ministres (2013) : bilan et perspectives d’avenir », RTDH, n°99, 2014, p. 597). 48 Celle-ci prend une part de plus en plus active au suivi de l’exécution des arrêts de la CEDH. De sa propre initiative, elle publie des rapports depuis l’année 2000, et participe à l’amélioration des mécanismes permettant l’exécution des arrêts par les États grâce à ses recommandations et résolutions (voir Ass. CdE., Résolution 1516(2006), Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 2 octobre 2006). 49 En considération de la jurisprudence CEDH, Verein Gegen Tierfabriken Schweitz (VgT) c. Suisse (n°2) [GC], 12 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME activité juridictionnelle au quotidien apporte déjà des éléments indicatifs importants quant à l’évolution du droit interne dans les États soumis à sa juridiction. 14 - Jusqu’à présent, aucune étude exhaustive n’a été publiée sur l’influence directe de la CEDH en Pologne. Le terrain n’est pas vierge pour autant puisqu’un bilan aussi provisoire que précoce a tout d’abord été esquissé par Andrzej Drzemczewski et Marek Antoni Nowicki50 en langue française. En 2006, un article synthétique rédigé par l’avocat bruxellois Pierre Lambert pour la Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme offrit un aperçu du contentieux européen de la Pologne sous la forme d’un bilan des difficultés rencontrées par cet État au cours de sa consolidation démocratique sans réellement aborder la question des moyens mis en œuvre pour exécuter les arrêts de la CEDH51. Enfin, une étude comparative Pologne/Slovaquie a été publiée en anglais en 2008 par la juriste polonaise Magda Krzyżanowska-Mierzewska, spécialiste des droits de l’homme. Elle s’intéressait aux principales réformes entreprises par ces deux États en réponse aux condamnations prononcées par le juge européen52. Les travaux publiés en langue polonaise sont fort logiquement les plus nombreux. Ils abordent souvent des problématiques ciblées53 et tentent plus rarement d’offrir une vision générale de l’influence de la Cour en droit interne54. Des ouvrages de référence répertorient les grands arrêts concernant la Pologne sans considération des mesures d’exécution qui n°323772/02, 30 juin 2009, Rec. 2009-IV, par laquelle la Cour a condamné la Suisse pour la violation de l’article 10 de la Conv. EDH pour des faits qui avaient déjà fait l’objet d’un précédent arrêt en 2001 et conduit à la même violation (CEDH, VgT Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse, n°24699/94, 28 juin 2001, Rec. 2001-VI). La Cour motive son contrôle de l’exécution du premier arrêt rendu dans cette affaire à l’occasion de l’examen d’une seconde requête en invoquant les articles 19 et 46 de la Conv. EDH (voir §§ 84-90 de l’arrêt de 2009). 50 Andrzej DRZEMCZEWSKI, Marek Antoni NOWICKI, « Les effets de la CEDH en Pologne : un bilan quatre ans après », in Protection des Droits de l’Homme : la perspective européenne – Mélanges à la mémoire de Rolv Ryssdal, Köln/Berlin/Bonn/Munich, Carl Heyman Verlag, 2000, pp. 415-445. 51 Pierre LAMBERT, « La transition démocratique de la Pologne au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, n°65, 2006, pp. 151-162. 52 Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The reception process in Poland and Slovakia », in Helen KELSTONE-SWEET (dir.), A Europe of rights…, op. cit., pp. 531-602. LER, Alec 53 Voir par ex. les articles régulièrement consacrés au suivi des arrêts de la CEDH concernant la Pologne dans la revue éditée par de la Fondation d’Helsinki Kwartalnik o prawach człowieka (« Le Trimestriel des Droits de l’Homme ») et les chroniques publiées dans la revue Polski Rocznik Praw Człowieka i Prawa Humanitarnego (« Annuaire polonais des Droits de l’Homme et du Droit Humanitaire »). 54 C’est le cas du bilan rapide effectué à l’occasion du soixantième anniversaire du Conseil de l’Europe par Michał MATYASIK, « Wpływ wybranego orzecznictwa Europejskiego Trybunału Praw Człowieka na poski porządek prawny », in GŁUSZYŃSKA (I.), LANKOSZ (K.) (dir.), Rada Europy – 60 lat na rzecz jedności europejskiej, Bielsko-Biała, Wyższa Szkoła Administracji, 2009, pages 129-135. Pour une analyse globale mais très synthétique de la mise en cause de l’action des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif en Pologne à travers les arrêts de la CEDH, lire par ex. Norbert SZCZĘCH, « Konsekwencje prawne objęcia Rzeczypospolitej Polskiej kognicją Europejskiego Trybunału Praw Człowiecka », in JASKIERNIA Jerzy (dir.), Rady Europy a przemiany demokratyczne w Państwach Europy środkowej i wschodniej w latach 1989-2009, Toruń, Wydawnictwo Adam Marszałek, 2010, pp. 197-213. 13 INTRODUCTION GÉNÉRALE leur succèdent55. La présente thèse s’inscrit dans la lignée de ces recherches en proposant une analyse complète et critique de l’ensemble du processus de réception engagé par la Pologne pour se conformer aux arrêts de la CEDH, depuis le premier d’entre eux rendu en 1997 jusqu’aux plus récents, dans la mesure où des éléments de réception peuvent être identifiés. L’étude de la réception des standards européens par la Pologne est de nature à fournir un éclairage triple. En premier lieu, le degré de sensibilité de l’État aux prescriptions de la CEDH est un marqueur important du respect des droits et libertés sur son territoire. La mauvaise réception d’un arrêt révèle les limites de cette protection à l’échelle interne et les points d’achoppement dans la construction de l’État de droit (I). Le deuxième éclairage proposé dépasse les frontières polonaises puisqu’il porte sur le Conseil de l’Europe et son rôle auprès des anciens États socialistes. Le présent travail entend bien contribuer au bilan général de cette organisation régionale, qui fit le choix à partir de 1989 d’accueillir en son sein des États nouvellement ralliés aux principes démocratiques et aux droits fondamentaux malgré la crainte légitime de leur immaturité politique. Ainsi la réussite du Conseil de l’Europe comme « école de la démocratie » pourra-t-elle être partiellement jugée à travers l’exemple polonais (II). Enfin, le régime politique de la Pologne se trouve lui-aussi éclairé par la nature même des questions sur les droits de l’hommes portées par les requérants devant la CEDH et par la réaction de l’État en cas de condamnation. Étudier la réception de la jurisprudence de la CEDH fournis un argument dans le débat politico-juridique qui est celui de l’achèvement de la démocratisation, en d’autres termes du dépassement de la période de transition (III). I. UN RÉVÉLATEUR DE L’ÉTAT DES LIBERTÉS EN POLOGNE 15 - Le démantèlement du régime socialiste ouvre la voie à une nouvelle conception de l’execice du pouvoir. Le rapport du citoyen au politique et le rôle du politique pour le citoyen évoluent. Le rapprochement immédiat de la Pologne de 1989 avec les institutions européennes témoigne indiscutablement de sa volonté d’épouser le modèle de la démocratie56. À 55 Voir par ex. l’ouvrage de Tadeusz JASUDOWICZ (et al.), Orzcznictwo Europejskiego Trybunał Praw Człowieka w sprawach polskich, Olsztyn, Wydział Prawa i Administracji UWM, 2012, 728 pages. Marek Antoni Nowicki a signé lui aussi une série d’ouvrages consacrés à la jurisprudence de la CEDH, mais sans focalisation particulière sur les affaires polonaises (cf. Bibliographie). 56 Le terme démocratie est ici entendu comme le régime fondé essentiellement sur la démocratie représentative, l’un des trois modèles démocratiques (avec la démocratie directe, inconciliable avec le fonctionnement des so- 14 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’évidence, l’instauration d’une démocratie au sens de Schumpeter, uniquement procédurale, ne suffit pas à considérer aujourd’hui un État comme étant une démocratie57. L’acception contemporaine du terme inclut bien entendu « des élections libres et impartiales » mais encore « l’état de droit, la séparation des pouvoirs, et la protection des libertés fondamentales de parole, de réunion, de religion, ainsi que du droit de propriété », ce qui définit en fin de compte la démocratie dite libérale58. 16 - La finalité recherchée par les États-parties, déjà formellement démocratiques, lors de l’exécution des arrêts de la CEDH est par conséquent le développement des droits et libertés fondamentaux, sachant que la jurisprudence dynamique de la Cour conduit à un renforcement continu de ces droits et libertés. À l’évidence, aborder la jurisprudence de la CEDH concernant un État comme Pologne soulève une problématique différente de celle qui aurait court pour un État fondateur du Conseil de l’Europe comme la France ou le Royaume-Uni. La ratification de la Conv. EDH par la Pologne est intervenue quatre ans seulement après la disparition d’un régime de parti unique, en place durant les quarantes-cinq précédentes années et hostile aux droits de l’homme. Quel type d’État était la Pologne, juste avant qu’elle n’intègre le Conseil de l’Europe ? Il faut d’abord s’entendre sur la nature de régime à partir duquel allait naître et s’affirmer la nouvelle démocratie. Pour bien cerner les problématiques propres à la Pologne à l’heure d’appliquer la Conv. EDH, l’évocation de l’histoire du pays, incluant son approche du droit, de la liberté, et son degré d’expérience démocratique paraît incontournable. En 1989, la Pologne a renoué avec la démocratie et les libertés davantage qu’elle ne les a découvertes. Ses expériences politiques passées furent chaotiques mais culturellement marquantes : l’existence d’un parlementarisme nobiliaire, puis la découverte du constitutionnalisme et de la démocratie (§ 1) composèrent le terreau de la résilience des Polonais face au totalitarisme, qui ne put réellement s’enraciner dans le pays (§ 2). ciétés modernes, et la démocratie semi-directe, qui implique le gouvernement par consultations référendaires) identifiés par Jean-Marie Denquin dans sa contribution au Dictionnaire des droits de l’homme (op. cit., pp. 262267). Les soi-disant « démocraties populaires », en ne permettant pas la libre compétition pour l’accès aux mandats électifs représentatifs, ne peuvaient naturellement être assimilées à des démocraties représentatives. 57 La démocratie procédurale de Schumpeter se définit à partir des critères de la désignation des titulaires du pouvoir politique. Au rang dedits critères, vont figurer le droit de vote, la liberté de choix et d’opinion, la libre concurrence des partis politiques. Cette définition essentiellement organique de la démocratie ne correspond plus à ce qu’impliquent de nos jours les régimes démocratiques (Mirosław GRABOWSKA, Tadeusz SZAWIEL, Budowanie democracji – Podziały społeczne, partie polityczne i społeczeństwo obywatelskie w postkommunistycznej Polsce, Varsovie, PWN, 2003, pp. 73-74). 58 Fareed ZAKARIA, L’Avenir de la liberté – La démocratie illibérale aux États-Unis et dans le monde, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 17. 15 INTRODUCTION GÉNÉRALE § 1. LE LONG CHEMIN VERS LA LIBERTÉ : L’AUTORITARISME DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES DU ROYAUME DES DIÉTINES À 17 - Depuis la christianisation du peuple des Polanes59 par le baptême du premier roi de la dynastie des Piast60, Mieszko Ier en 966, la culture de la Pologne s’inscrit dans celle de l’Europe occidentale61. Les luttes séculaires pour la souveraineté traversent toute l’histoire du pays62. Un temps appuyés par le Pape et l’Empereur germanique puisqu’en l’an Mil, Sylvestre II et Othon III firent de la première capitale, Gniezno, un archidiocèse, les princes de Pologne ne cessèrent de se battre pour conserver la reconnaissance et l’unité du royaume63. Le développement politique de la Pologne fut remarquable en ce qu’il suivit une logique opposée à celle des États d’Europe occidentale. À la monarchie absolue centralisée, la noblesse polonaise préféra la limitation du pouvoir royal par le parlementarisme décentralisé64. 18 - Dans le roman national, le fonctionnement de la monarchie jagellonienne, instaurée à la fin du XIVe siècle, fait l’objet d’idéalisations. Sous le long règne de Casimir IV (1447-1492), s’établit la coutume par laquelle le Roi gouvernait en prenant appui sur la noblesse dont les représentants se réunissaient à intervalles réguliers au sein d’une Diète : le parlementarisme germait. Sur le territoire existaient par ailleurs dix-huit « diétines », où siégeait la noblesse moyenne. L’historien Daniel Beauvois a évoqué la singularité de ces diètes nobilières. Les nobles qui y siégeaient, « contemporains polonais de l’Utopie de Thomas More, imbus de l’exemple de la Rome antique, cherchèrent à réaliser, dans leur microcosme nobiliaire, une 59 Peuple qui donna son nom au pays et qui s’établit autour de la région de Gniezno. Le substantif pole signifie « champ » ou « plaine » en polonais. 60 Les Piasts régnèrent de 966 jusqu’à la mort sans descendance de Casimir III, qui désigna son neveu pour héritier. Une seconde grande période de l’histoire s’ouvrit à partir de 1386 après le mariage de la reine Hedwige et du grand-duc lituanien Jagełłon. Durant l’ère jagellonne, le principe de transmission héréditaire de la couronne disparut pour laisser la place à une monarchie élective. 61 L’historien Daniel Beauvois écrit que, dès les premiers rois Piasts, la Pologne atteignit « déjà un certain degré d’occidentalisation », notamment grâce à l’œuvre de Gallus Anonymus, premier témoignage en latin de l’histoire polonaise. (Daniel BEAUVOIS, La Pologne, Paris, Éditions de la Martinière, 2004, p. 25). 62 Le fragile royaume de Pologne était au cœur des conflits politiques de l’Europe et fut confronté à de multiples invasions. Une Pologne indépendante tentait de s’affirmer, notamment à travers la promotion de la langue polonaise. Au XIIIe siècle, l’archevêque Jakub Świnka parvint à imposer le culte en polonais dans sa paroisse et couronna le roi Przemyśl sans l’assentiment du pape ni de l’Empereur (ibidem, pp. 35-37). Un siècle plus tard, Casimir III le Grand entreprit une grande œuvre de codification juridique pour souder et unifier son royaume, tout en reconnaissant la division entre la Grande et la Petite Pologne, la première se fondant sur le statut de Piotrków, la seconde sur le statut de Wiślica. Il créa en outre l’Université de Cracovie (ibid., p. 45). 63 Celles-ci parurent acquises à partir du règne de Ladislas Ier, dit le Bref (1320-1333). Voir Henry BOGDAN, Histoire des pays de l’Est, Paris, Perrin, Coll. « Tempus », 2008, p. 70. 64 Tadeusz WYRWA, « La genèse du parlementarisme polonais – Contexte socio-économique et interférences des idées européennes », RECEO, vol. 8, 1977, n°1, p. 132. 16 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME organisation sociale nouvelle plus ou moins idéale ». Aucun autre pays européen ne poursuivit « si loin l’expérimentation collective de la liberté démocratique. Que ce rêve fût inaccessible et que son développement n’ait eu que des conséquences assez pitoyables au XVIIe siècle ne saurait effacer l’impression que la Pologne de la Renaissance fut un exceptionnel foyer d’innovation »65. Il était fort tentant de voir là un embryon de parlementarisme. Une véritable tradition juridique se développait par ailleurs : à l’initiative du secrétaire du Roi fut publié en 1506 un recueil des lois : le statut de Łaski66. 19 - À tout cela s’ajoutait la règle de non praestanda obedientia, sorte de Magna Carta qui légitimait la résistance civile contre le Roi en cas de mépris par celui-ci des privilèges et des droits, essentiellement ceux de la noblesse. Aussi l’expression flatteuse d’« Âge d’or de la Liberté » fut-elle attribuée au XVIIe siècle polonais67, alors que le royaume était multiethnique et multiconfessionnel. Le système dériva en pratique vers la paralysie du pouvoir central. Tout élan réformateur devait pâtir de l’usage du liberum veto68 à la Diète nobiliaire. Le développement économique et politique du pays s’en trouva freiné et, plus grave, la construction de l’État demeura inachevée69. 20 - Que penser enfin de la première Constitution de l’Europe continentale, celle du 3 mai 1791, acte d’une inestimable puissance symbolique70 mais adopté en pleins partages de la Pologne (1772, 1793, 1795) par la Prusse et par la Russie de Catherine II ? Ses rédacteurs71 65 Daniel BEAUVOIS, La Pologne, op. cit., p. 105 66 Ibidem, p. 84 67 Lesław KANSKIN, « Human Rights in Poland from a Historical and Comparative Perspective », préc., p. 122. 68 Le principe du vote était l’unanimité. Un seul député pouvait par son opposition mener à la dissolution de la Diète. Elle le fut d’ailleurs à quinze reprises dans la seconde moitié du XVIIe siècle (Daniel BEAUVOIS, op. cit., p. 151). « Quand les lois polonaises faisaient dépendre le choix du roi du veto d’un seul homme, elles invitaient au meurtre de cet homme, ou constituaient d’avance l’anarchie », écrivit Tocqueville à propos de ce système (Alexis DE TOCQUEVILLE, De la Démocratique en Amérique, Paris, Flammarion, Coll. « Le Monde de la Philosophie », 2008, p. 189). Pour Rousseau, ce système n’était pas condamnable en soi, mais appliqué à toute matière, il se révélait stérile : « Le liberum veto serait moins déraisonnable s’il tombait uniquement sur les points fondamentaux de la constitution : mais qu’il ait lieu généralement dans toutes les délibérations de la Diète, c’est ce qui ne peut s’admettre en aucune façon » (Jean-Jacques ROUSSEAU, Sur l’économie politique – Considérations sur le gouvernement de Pologne – Projet pour la Corse, Paris, Flammarion, 1990, p. 210). 69 C’est en tout cas l’avis du juriste allemand Carl Schmitt pour qui « le royaume de Pologne n’a pas dépassé le stade féodal et n’a pas atteint la forme d’organisation de l’État européen moderne. Ce n’était pas un État, et il put donc être partagé entre États dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Il n’eut alors même pas la force d’opposer une guerre étatique aux partages et prises territoriales du sol polonais. » (Carl SCHMITT, Le Nomos de la Terre, Paris, PUF, Coll. « Quadrige », 2012, p. 166). 70 Un historien polonais évoque ce texte comme étant « la déclaration des droits de l’homme de la tradition polonaise, l’incarnation de tout ce qui fut éclairé et progressiste dans l’histoire de la Pologne, un monument élevé à la volonté nationale de vivre en liberté » (Jerzy MALEC, « Problem stosunku Polski do Litwy w dobie Sejmu Wielkiego (1788-1791) », Czasopismo Prawno-Historyczne, tome 34, 1982, p. 31). 71 La décision prise par la Diète le 7 septembre 1789 d’améliorer les institutions par la rédaction d’une Constitu- 17 INTRODUCTION GÉNÉRALE eurent la sagesse d’abolir le liberum veto et de prévoir un élargissement de certains droits aux petits propriétaires et aux Juifs, mais les jours de la souveraineté polonaise étaient comptés72. Malgré sa bonne volonté, malgré ses efforts pour préserver l’intégrité de la Nation, Stanislas II Auguste, le monarque qui promulgua cette Constitution, fut le dernier à régner sur le royaume73, lequel disparut de la carte d’Europe en 1795 pour les cent-vingt-trois années à venir74. L’indépendance perdue, le droit étranger imprégna le territoire. Le Duché de Varsovie75, créé sous contrôle de la Russie, reçut le Code Napoléon à partir de 1808 tandis que d’autres anciennes provinces étaient soumises aux législations allemande ou autrichienne76. 21 - La renaissance de la Pologne fut l’œuvre des vainqueurs du premier conflit mondial. Avec le Traité de Versailles du 28 juin 191977, les frontières d’un État souverain étaient enfin établies par le droit international. Le Parlement polonais adopta une « Petite Constitution » dès le 20 février 1919. Par cet acte, il s’accorda temporairement la plupart des pouvoirs. La représentation étrangère et le pouvoir exécutif étaient assurés par le Président de la République, désigné pour sept ans par le Parlement et responsable devant lui. La IIIe République française servit de source première d’inspiration pour la Constitution du 17 mars 1921 qui, sans retenir toutes les solutions provisoires de 1919, conservait une répartition déséquilibrée des prérogatives, une « primauté accablante du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif »78. Il s’agissait d’un régime parlementaire bicaméral composé d’une Diète élue à la proportionnelle, au suffrage universel (ouvert aux hommes et aux femmes pour les citoyens de plus de 21 ans) et d’un Sénat désigné suivant le même mode de scrutin (mais la condition d’âge était tion a été prise en réaction à la Révolution française. La menace d’un nouveau partage du royaume par ses voisins a hâté les travaux de la commission ad hoc (Daniel BEAUVOIS, La Pologne, op. cit., pp. 187-189). 72 Alors en plein dépecage, la Pologne « est dans les fers, et discute les moyens de se conserver libre ! » (JeanJacques ROUSSEAU, Sur l’économie politique – Considérations sur le gouvernement de Pologne…, op. cit., p. 164). 73 Lesław KANSKIN, « Human Rights in Poland from a Historical and Comparative Perspective », préc., p. 123. 74 Après les guerres napoléoniennes, le Tsar de Russie devint de jure le souverain du « Royaume du Congrès » (appelé parfois « Royaume de Pologne » ; en polonais : Kongresówka, 1815-1918), qui correspondait à l’ancien territoire polonais. De facto, l’État polonais n’existait plus, et le royaume fantoche fut incorporé à l’Empire russe en 1874 (Daniel BEAUVOIS, La Pologne, op. cit., pp. 217). 75 Ce duché naquit en 1807 de la volonté de Napoléon Ier au cours de l’expansion vers l’est de son empire. Il disparut dès 1815 lorsque le tsar Alexandre Ier, au lendemain du Congrès de Vienne, le transforma en « Royaume du Congrès » partiellement autonome mais sous dépendance russe. En 1863, il perdit toute autonomie en devenant simplement le « territoire de la Vistule » (Sophie CASSAR, La Pologne – Géopolitique du phénix de l’Europe, Perpignan, Artège, Coll. « Initiation à la géopolitique », 2010, pp. 36-38). 76 Raymond LANGEAIS, Grands systèmes de droit contemporains…, op. cit., p. 170. 77 Convention précédée par le traité de Brest-Litovsk du 3 mars 1918 par lequel les puissances d’Europe centrale et la Russie reconnaissèrent l’indépendance de la Pologne. 78 Tomasz NAŁĘCZ, « La renaissance et la consolidation de la Pologne indépendante », in François BAFOIL (dir.), La Pologne, Paris, Fayard, 2007, pp. 64-72. 18 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME élevée à de 30 ans). Le Président de la République pouvait dissoudre la Diète, bien que l’accord d’une majorité qualifiée de sénateurs (les trois quarts) fût nécessaire79. 22 - Malgré ces augures favorables, l’ère nouvelle qui s’ouvrit pour deux petites décennies ne fut véritablement propice ni à l’affermissement démocratique, ni à l’essor des libertés, guère plus à la stabilisation politique. L’assassinat du Président Gabriel Narutowicz le 16 décembre 1922 précéda une période d’autoritarisme. L’homme fort de l’entre-deux-guerres fut le maréchal Józef Piłsudski, héros du conflit russo-polonais80. Chef d’État provisoire de 1919 à 1921, il exerça concrètement le pouvoir, après une courte retraite politique, à partir du coup d’État de 192681 et jusqu’à sa mort le 12 mai 1935. La Pologne vécut une période de dictature militaire mal dissimulée sous le fard constitutionnel du texte de 192182. Aux élections législatives du 16 novembre 1930, les partisans de Piłsudski obtinrent la majorité absolue des sièges. L’opposition politique fut la première victime du pouvoir de celui-ci. Sa disparition ne mit nullement fin à la mainmise de l’armée sur les institutions83. 23 - Alors même que la démocratie se réduisait au simulacre, les libertés d’association et de réunion subirent des sérieuses restrictions au cours des années 1930. L’indépendance des juges fut remise en cause par de nouvelles procédures de révocation. Le nombre de prisonniers politiques augmenta sensiblement (9 000 en 1931, 17 000 en 1933)84. Ce radicalisme a été allègrement nourri par le sentiment de marginalisation qu’éprouvaient les diverses minorités nationales, malgré l’intégration dans le droit interne des textes pertinents de la Société des Nations (SDN). Entre 1919 et 1934, non moins de 154 plaintes contre la Pologne ont été dé- 79 Henry BOGDAN, Histoire des pays de l’Est, op. cit., p. 305. 80 Dès qu’elle a lutté pour recouvrer son indépendance pendant la Première guerre mondiale, la Pologne s’est heurtée de plein fouet « à la volonté révolutionnaire de Moscou pour qui Varsovie est le verrou à ouvrir impérativement si l’on veut porter la révolution en Allemagne ». Ceci explique la guerre russo-polonaise (1919-1921), provoquée par Lénine, qui s’achève avec la paix de Riga, favorable à la Pologne (Andrzej PACZKOWSKI, Karel BARTOŠEK, « L’autre Europe victime du communisme », in Stéphane COURTOIS (et al.), Le Livre noir du communisme : crimes, terreur, répression, Paris, Robert Laffont, Coll. « Bouquins », 1997, p. 423) Piłsudski dirigea la troupe qui mit en déroute l’Armée rouge aux portes de Varsovie en août 1920 : le « Miracle de la Vistule ». 81 Une armée de fidèle du maréchal Piłsudski marcha sur Varsovie le 12 mai 1926 et l’emporta sur les régiments réguliers deux jours plus tard. Politiquement, Piłsudski fut bien aidé par le mouvement de grève générale déclenché en solidarité pour sa personne par les socialistes polonais. Il devint en juin 1926 ministre de la Guerre, laissant son ami Ignacy Mościcki endosser le costume de Président de la République (Henry BOGDAN, Histoire des pays de l’Est, op. cit., pp. 306-307). 82 À la même époque, la Tchécoslovaquie et la Roumanie entamaient l’expérience du contrôle de constitutionnalité de lois (Lech GARLICKI, « The influence of American constitutional ideas on the developpement of constitutionalism in Poland and Eastern Europe », in Kenneth W. THOMPSON, Rett R. LUDWIKOWSKI, Constitutionalism and Human Rights…, préc., p. 55). 83 Henry BOGDAN, Histoire des pays de l’Est, op. cit., p. 307. 84 Daniel BEAUVOIS, La Pologne, op. cit., p. 334. 19 INTRODUCTION GÉNÉRALE posées par des représentants de minorités à la SDN ou au greffe de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) de la Haye pour des accusations de discriminations85. Cette amertume nourrie contre l’État lui-même86 explique, aux yeux du politologue Aleksander Smolar, pourquoi la double agression allemande et soviétique de l’été 1939 était une « occasion de se réjouir »87 pour les minorités biélorusses, ukrainiennes ou juives. 24 - Le martyr que subirent tout au long de la Seconde guerre mondiale tant ces minorités que le peuple polonais, pris au piège de l’étau soviético-nazi, laissa la Pologne exsangue. Alors même que son existence comme État indépendant était sauvée par les puissances alliées lors de la conférence de Yalta (février 1945), ses frontières de 1939 étaient remises en cause et son avenir politique s’assombrissait. Sur le terrain, la lutte entre les groupes de résistance tournait à l’avantage des communistes : les partisans de Moscou (le Comité Polonais de Libération Nationale) prenaient le soin de liquider par des arrestations et des assassinats ce qui restait de l’Armée nationale des patriotes (Armia Krajowa), mouvement rival de résistance, délégitimaient le gouvernement en exil et scellaient, depuis Lublin, le sort du pays88. L’ennemi nazi vaincu, les Polonais ne purent donc espérer longtemps la reconstitution d’un État parfaitement indépendant. Le régime socialiste qui s’installait fit obstacle à une autre expérience démocratique et restreignit les droits individuels. Dans la mémoire collective, le combat mené depuis la fin du XVIIIe siècle contre l’oppression des puissances occupantes était toujours présent. Le nouveau pouvoir allait apprendre à ses dépends que le totalitarisme s’implante difficilement chez un peuple qui a connu le goût de la liberté. § 2. LA POLOGNE, UNE ANCIENNE RÉPUBLIQUE SOCIALISTE POST-TOTALITAIRE 25 - Lorsqu’il s’agit d’aborder la République Populaire de Pologne (1945-1989), la documen85 Sandrine KOTT, « L’Allemagne et la Pologne dans l’entre-deux-guerres. La construction d’un couple d’ennemis », in François BAFOIL (dir.), La Pologne, op. cit., p. 111. 86 Hannah Arendt a expliqué que les États, sous la pression de leurs nationaux, avaient été contraints d’interpréter les traités de la SDN sur les minorités dans un sens limitant leurs obligations mais insistant sur les devoirs des minorités elles-mêmes. Durant l’entre-deux guerres, il apparaissait donc « que les Traités avaient été purement et simplement conçus comme une méthode d’assimilation humaine et sans douleur, interprétation qui mettant naturellement les minorités en rage » (Hannah ARENDT, Les Origines du totalitarisme – L’Impérialisme, tome 2, Paris, Fayard, Coll. « Points Essais », 1982, p. 247). 87 Propos rapportés par Yves PLASSEREAUD, « Les minorités nationales de la Pologne, 1918-1945 », in François BAFOIL (dir.), La Pologne, op. cit., p. 140. 88 Voir not. Henry BOGDAN, Histoire des pays de l’Est, op. cit., p. 445-448 ; Daniel BEAUVOIS, La Pologne, op. cit., pp. 377-383. 20 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME tation officielle, la littérature historique et les écrits scientifiques incluant la doctrine juridique peuvent recourir sans distinction explicite aux qualificatifs « communiste » et « socialiste » 89. Inévitablement, le choix d’un terme pour désigner les expériences politiques d’Europe centrale et orientale renvoie à l’histoire et à la philosophie politique. 26 - Le terme « socialisme » aurait été employé à partir des années 1830, notamment par Robert Owen et Pierre Leroux, auteurs réformateurs90. Il comprendrait plus de deux-centcinquante définitions91. Initialement, le choix de Karl Marx et de Friderich Engels de nommer « communiste »92 leur Manifeste s’explique par l’assimilation des socialistes de la seconde moitié du XIXe siècle à des utopistes qui n’allaient pas jusqu’à ébranler la structure capitaliste de la société93. Les préceptes de Marx avaient directement inspiré la révolution bolchévique de 1917 à Petrograd. Le socialisme « scientifique » inspirait dorénavant la pratique du pouvoir et ouvrait la voie à la phase du socialisme « réel » : le marxisme se confrontait à l’épreuve des faits et permettait de définir une politique94. Une première rupture historique décisive s’est opérée avec la distinction entre les socialistes révolutionnaires (Bolchéviks) partisans du passage forcé à la révolution, tandis que les socialistes réformateurs (Menkeviks) 89 À titre d’exemples : le professeur Emeri a pu utiliser le terme d’« État socialiste » (Claude EMERI, « Quelques questions d’ingénierie électorale », in Slobodan MILACIC, La Démocratie constitutionnelle en Europe centrale et orientale…, op. cit., pp. 192) ; dans un domaine non-juridique : les géographes Yann Richard et André-Louis Sanguin ont évoqué « l’effondrement rapide du système socialiste en Europe de l’Est » en 1989 mais ont qualifié dans la même étude l’Albanie et la Yougoslavie de « pays communistes » (Yann RICHARD, André-Louis SANGUIN (dir.), L’Europe de l’Est quinze ans après la chute du mur – Des pays baltes à l’ex-Yougoslavie, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 7-8). L’anthropologue américaine Katherine Verdery, dans un article publié en 1999) s’est penchée sur les implications socio-économiques du socialisme dans les pays d’Europe centrale et orientale : elle évoque le « Parti communiste », le concept général de « Communisme » (placé entre guillemets), mais recourt dans l’ensemble de son texte, systématiquement, au mot « socialisme » et ses dérivés (Katherine VERDERY, « What was socialism, and why dit it fall? », in Vladimir TISMANEANU (dir.), The Revolutions of 1989, London/New York, Routledge, 1999, pp. 63-85). 90 Voir Olivier NAY, « Socialisme », in Dictionnaire des idées, Paris, Encyclopedia Universalis, 2005, p. 729. Pour Georges Lescuyer, c’est en 1831 dans un article de l’hebdomadaire protestant Le Semeur qu’apparaît le mot « socialisme », alors opposé par l’auteur, le pasteur Alexandre Vinet, à l’individualisme (Georges LESCUYER, Histoire des idées politiques, 14e édition, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2001, p. 491, § 395). 91 Une tentative de définition commune a été ébauchée par Gaetan Pirou : serait socialiste « toute doctrine qui se propose l’égalité des conditions par la suppression de la propriété individuelle et la socialisation de l’économie » (Ibidem, p. 492, § 397). 92 Le terme lui-même existe depuis le XIe siècle et a servi dans l’histoire à définir des réalités bien différentes (voir l’article « L’éternel communisme » in Stéphane COURTOIS (dir.), Dictionnaire du communisme, op. cit., pp. 22-28. 93 Engels évoque dans sa préface à l’édition allemande de 1890 du Manifeste les « charlatans sociaux de tous bords qui […] voulaient faire disparaître les anomalies sociales sans faire aucun mal au capital et au profit ». Engels rappelait ainsi que les socialistes étaient, à ses yeux et à ceux de Marx, en dehors du mouvement ouvrier lorsque le Manifeste fut rédigé : « Socialisme signifiait, en 1847, un mouvement bourgeois, communisme un mouvement ouvrier. Le socialisme, tout au moins sur le continent, pouvait figurer dans les salons, le communisme était complètement à l’opposé. » (Karl MARX, Friedrich ENGELS, Manifeste du Parti communiste, Paris, Le Livre de Poche, Coll. « Les Classiques de la Philosophie, 1973, pp. 107-108). 94 Marie-Hélène RENAUT, Histoire des idées politiques de l’Antiquité à nos jours, Paris, Ellipses, 2005, p. 131. 21 INTRODUCTION GÉNÉRALE décidèrent d’agir dans le cadre d’une société démocratique libérale. Institutionnellement, cette opposition se traduisit par la création en 1919 de la IIIe Internationale par scission95 de l’Internationale ouvrière (IIe Internationale) qui regroupait les partis socialistes d’Europe96. Après guerre, les Constitution des républiques situés à l’est du Rideau de fer définissaient l’État comme « socialiste »97. Mais l’usage des termes « communiste » et « socialiste » en Occident semble avoir été plutôt conditionné par la coexistence des partis dits communistes (d’essence révolutionnaire, soutiens de l’Union soviétique, inscrits à la IIIe Internationale dont le Parti communiste soviétique était le fer de lance) et les partis dits socialistes ou sociauxdémocrates (partis réformateurs, démocratiques). L’écroulement du monde soviétique a d’ailleurs marqué la fin de l’expérience menée par les partis communistes européens, non la fin de la social-démocratie. 27 - Le socialisme au XXe siècle, sous l’impulsion de Marx et Engels, fut un socialisme dit « scientifique », par opposition aux analyses plus utopiques qui imaginaient la société égalitaire qu’il fallait construire98. Ce socialisme, pour paraphraser une formule chère à Jean Jaurès, serait donc ce réel qu’il faut prendre en compte si l’on veut un jour atteindre l’idéal, celui de la société égalitaire rêvée par le communisme99. Pour Lénine lui-même, le communisme était un aboutissement supposant l’abolition de l’asservissement des travailleurs par la division du travail. Le héraut de la Révolution bolchévique considérait qu’avec Octobre 1917 s’était ouverte la première phase de la construction d’une société communiste, phase qualifiée de socialiste et traduite par la dictature du prolétariat100. Le professeur Jean-Luc Aubert a bien synthétisé l’articulation de ce couple de notions : « l’avènement du communisme ne se fait pas du jour au lendemain, sitôt que le prolétariat accède au pouvoir. Entre la phase capitaliste bourgeoise et le communisme, il se trouve, nécessairement, une phase intermédiaire, dite so95 Cette scission est sans doute plus circonstantielle que programmatique. C’est ce que pense Alexandre Adler, pour qui le mouvement communiste, à la différence de la Ie et de la IIe internationale, n’est pas né de la volonté d’hommes différents. Il serait dès lors purement phénoménologique, résultant des clivages au sein des sociodémocrates russes (Alexandre ADLER, Le Communisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2014, pp. 4-5). 96 L’internationale socialiste qui existe à l’heure actuelle en est l’héritière. Voir Olivier NAY, « Socialisme », préc., pp. 730-731. 97 Małgorzata ULLA, La Lustration dans les États postcommunistes européens, Clermont-Ferrand, Éditions du Centre Michel-de-l’Hospital – LGDJ, coll. des thèses, 2014, p. 31, § 63. 98 Le socialisme « utopiste » du XIXe siècle a été porté notamment par les idées de Robert Owens, Louis Blanc ou Pierre-Joseph Proudhon. Voir Marie-Hélène RENAUT, Histoire des idées politiques…, op. cit., pp. 122-129. 99 « Le courage, c'est d'aimer la vie et de regarder la mort d'un regard tranquille ; c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel ; c'est d'agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l'univers profond, ni s'il lui réserve une récompense. » (Jean JAURÈS, Discours à la Jeunesse, prononcé à Albi le 30 juillet 1903). 100 22 Bernard PUDAL, « Communisme », in Dictionnaire des idées, op. cit., p. 177. LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME cialiste »101. Le socialisme constitue de ce point de vue une étape précédant l’instauration du communisme. L’un n’est pas assimilable à l’autre et pour cause : la phase socialiste est marquée par la subsistance du droit102. Ce dernier a pour fonction tant de « garantir la sauvegarde du nouveau pouvoir » que de « contribuer à l’éducation de chacun », favorisant la mise en place du communisme103. Le communisme était envisagé comme la phase ultime de l’évolution du monde, la fin de l’histoire, couronnant la victoire universelle des partis communistes. Avec la disparition des régimes capitalistes de la surface de la terre, devait dépérir l’État lui-même104. Cette lecture possèderait le mérite de la clarté, n’était le manque d’unanimité qui l’affecte. Ainsi Bourgin et Rimbert, auteurs d’un ouvrage sur le socialisme, proposent une autre terminologie. Assimilant socialisme et communisme, ils distinguent eux aussi une période de transition nécessaire qu’ils nomment simplement « économie d’État »105. 28 - L’anéantissement des États, devenus obsolètes suite au triomphe du communisme, n’est jamais resté qu’une hypothèse. L’espoir de la réalisation prophétique de Marx s’est probablement évaporé au-dessus des ruines de l’Empire soviétique. Les PECO ont connu le dogme marxiste-léniniste dans toute sa rigueur (affectant la philosophie, l’art, les sciences106) sans pour autant dépasser le stade socialiste. Raymond Aron écrivit en 1958 que la finalité du régime soviétique était de bâtir le communisme selon les conceptions de Marx bien que ce régime en fût encore à cette époque « à la phase socialiste, où le revenu de chacun est proportionnel au travail effectué ». Ce n’était qu’à « l’horizon de l’histoire » que pourrait être aper- 101 Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 11e édition, Paris, Sirey, 2006, p. 25. 102 Cette construction théorique n’était-elle pas avant tout un aveu de l’impossible avènement de la société communiste ? Castoriadis semblait s’orienter dans ce sens en écrivant que « le socialisme n’est pas une étape nécessaire de l’histoire » mais plutôt « le projet historique d’une nouvelle institution de la société, dont le contenu est l’auto-gouvernement direct, la direction de la gestion collective par les humains de tous les aspects de leur vie sociale et l’auto-institution explicite de la société ». Il en découle inévitablement la critique du socialisme réel puisque, en le réduisant « à une affaire ‘‘purement économique’’ et la réalité économique aux formes juridiques de la propriété ; en présentant comme socialistes l’étatisation et la ‘‘planification’’ bureaucratique, ces conceptions ont pour fonction sociale de masquer la domination de la bureaucratie, d’en occulter les racines et les conditions, pour justifier la bureaucratie en place ou camoufler les visées des bureaucrates ‘‘révolutionnaires’’ candidats au pouvoir » (Cornelius CASTORIADIS, « Le régime de la Russie », Esprit, n°7-8, 1978, pp. 14-15). 103 Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, op. cit., p. 32. 104 Voir not. Raymond ARON, Introduction à la Philosophie Politique – Démocratie et Révolution, Paris, Le Livre de Poche, 1997, p. 197. 105 Georges BOURGIN, Pierre RIMBERT, Le Socialisme, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? », 1986, p.83. 106 La Pensée Captive, merveilleux essai de l’écrivain et Prix Nobel de littérature Czesław Miłosz (cf. Bibliographie pour la référence de l’ouvrage) illustre à travers cinq parcours individuels authentiques l’aliénation d’intellectuels polonais par l’idéologie officielle. 23 INTRODUCTION GÉNÉRALE çue « la phase communiste, où le besoin commandera la répartition »107. Jamais le droit – pourtant voué à disparaître puisque assimilé à un instrument d’oppression aux mains de la classe dominante par Marx108 – n’a cédé la place à une société autorégulée dans laquelle l’harmonie et l’égalité sociale se suffisaient à elles-mêmes et rendaient caduque la norme juridique, dépouillée de ses finalités. Bien au contraire, les États du bloc de l’Est se sont plutôt confortés dans une logique socialiste en développant un droit spécifique et téléologique109. Staline avait lui-même admis que l’État tendait à se renforcer au cours de la phase socialiste parce qu’il était encore environné par le capitalisme110. Il en serait ainsi tant que le socialisme ne deviendrait pas mondial111. Le dépérissement de l’État était reporté sine die par Staline, convaincu de sa nécessité face aux risques d’agressions extérieures112. Enfin, dans une démocratie populaire comme la Pologne, la propriété privée n’a jamais totalement disparu, en dépit d’une importante politique de nationalisations et d’expropriations menée après la Seconde guerre mondiale113. Cela n’a pas préservé de réelles incompatibilités entre le droit interne en transition et la propriété privée telle que protégée par la Conv. EDH, après 1989. 29 - En s’en tenant à la définition initiale des termes et surtout aux concepts qu’ils renferment dans la théorie marxiste, ni l’Union soviétique ni aucun régime qui lui était inféodé au centre et à l’est du Vieux continent ne pourrait être qualifié de « communiste ». Du point de vue de la philosophie politique et juridique, l’usage de « socialisme » et de ses dérivés paraîtrait plus approprié. Deux éléments pouvaient néanmoins plaider en faveur de l’usage du mot « com- 107 Raymond ARON, Démocratie et Totalitarisme, Paris, Gallimard, Coll. « Folio Essais », 2007, pp. 300-301. 108 Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, op. cit., p. 25. 109 La fin politique justifie les moyens juridiques... Pour une illustration de ce phénomène au niveau du droit constitutionnel, voir Jean-Pierre MASSIAS, Justice constitutionnelle et transition démocratique en Europe de l’Est, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires de la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand – LGDJ, 1998, 456 pages. L’auteur montre que l’Union soviétique et les États satellites ont rejeté le contrôle constitutionnel par la voie de juridictions pour privilégier un contrôle politique (par ex. : contrôle par le biais du Comité Central Exécutif Pan Russe des Soviets dans la Constitution soviétique de 1918 ; contrôle par la Diète dans la Constitution polonaise de 1952). Selon lui « [p]uisque le droit ne vaut que comme expression d’une politique, le contrôle de l’application de la Constitution ne vaudra qu’en tant que contrôle de l’application de cette politique au travers des actes juridiques. » (p. 108, § 215) 110 Raymond Aron, dans sa jeunesse, eut la prémonition que le socialisme « dans la mesure où il impose la propriété et la gestion étatiques des instruments de production » allait nécessairement renforcer « le nationalisme au double sens de volonté d’indépendance par rapport aux autres unités politiques et d’attachement des masses à leur nation ou État » (Raymond ARON, Marxismes imaginaires – D’une sainte famille à l’autre, Paris, Folio, Coll. « Essais », 1970, p. 11). 111 Marie-Hélène RENAUT, Histoire des idées politiques…, op. cit., p. 131. 112 Bernard PUDAL, « Communisme », préc., p. 179. 113 François Bafoil, dans une note introductive de son ouvrage La Pologne (op. cit., p. 150), insiste sur cette particularité qui n’est pas étrangère à « l’érosion continue du socialisme en Pologne ». Ainsi, le gouvernement de Gomułka, dès 1956, a lancé la décollectivisation, provoquant la fuite des paysans des structures collectives. 24 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME munisme ». Le premier d’entre eux repose sur une analyse non pas philosophique mais organique des régimes d’Europe centrale et orientale. Les partis au pouvoir – parti unique ou, comme en Pologne, coalition de partis en réalité subordonnés au plus important d’entre eux, le Parti communiste114 – étaient membres de la IIIe Internationale. Ces formations ambitionnaient de faire naître une société communiste mondiale. Ensuite, la notion de « communisme » est la qualification retenue par le Conseil de l’Europe dans son évocation des anciens régimes d’Europe centrale et orientale. Les deux résolutions de l’Assemblée parlementaire relatives au démantèlement de l’héritage de ces régimes et à la condamnation des crimes qu’ils perpétrèrent n’évoquent jamais le « socialisme », y compris comme synonyme115. En l’absence de consensus sur la terminologie, cette étude priviligiera le mot « socialisme » (et ses dérivés) pour qualifier l’État116, le droit ou le régime politique polonais antérieur à 1990, particulièrement lorsqu’il s’agira d’aborder les caractéristiques de la société étudiée, l’idéologie qu’elle imposait, la législation qui la régentait117. Pourront, éventuellement, être qualifiés de « communistes » le gouvernement, le parti politique dominant et ses membres sans que cela n’entraîne de distorsion conceptuelle ni de contradiction. 30 - Le débat autour de la nature du régime – « totalitaire » ou « autoritaire » – constitue une seconde difficulté terminologique. L’émergence du concept de totalitarisme reste étroitement liée à la singularité des régimes à parti monopolistique qu’a connus le monde au XXe siècle, qu’ils se fondent sur l’idéologie nationale-socialiste ou l’idéologie communiste. Leurs particularités les ont distinguées des régimes autoritaires précédemment rencontrés au fil de l’histoire. Emprunté à la rhétorique mussolinienne118, le terme de totalitarisme était déjà régu- 114 « L’habilité des dirigeants communistes polonais et des Soviétiques dès l’époque de Lublin avait été de susciter la formation de partis politiques apparemment non communistes, portant des sigles voisins de ceux des Partis démocratiques traditionnels, mais dirigés par des hommes de paille, transfuges des Partis traditionnels et dévoués aux communistes. […] Il était ainsi facile de tromper la population » (Henry BOGDAN, Histoire des pays de l’Est, op. cit., pp. 446-447). 115 Ass. CdE, Résolution 1096(1996) relative aux mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes, 27 juin 1996 ; Ass. CdE, Résolution 1481(2006), Nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires, 25 janvier 2006. 116 Le communisme étant marqué par le dépérissement de l’État, alors parler d’État communiste est un non-sens (voir Georges LESCUYER, Histoire des idées politiques, op. cit., p. 541, § 433). 117 Le choix est ainsi fait d’évoquer la « législation socialiste » puisque l’expression « législation communiste » serait un autre non-sens : si communisme il y a, règle de droit il ne saurait y avoir. 118 Le mot est en effet dérivé de la sémantique propre au fondateur du parti fasciste Benito Mussolini, lequel avait évoqué le projet d’un État total résultant de sa conception nationaliste du pouvoir. Le philosophe Giovanni Gentile se l’appropria ensuite, dans sa volonté de théorisation du fascisme (Brigitte STUDER, « Totalitarisme », in Dictionnaire des idées, op. cit., p. 793). Ironie de l’histoire, le régime fasciste italien n’atteignit jamais le stade du totalitarisme au sens où il fut ultérieurement conceptualisé. Un régime totalitaire se fonde sur une idéologie révolutionnaire qui entend bien bouleverser l’ordre social pour qu’émerge un homme nouveau. Ce sera le cas du national-socialisme et du marxisme-léninisme, non du fascisme italien. Le parti fasciste italien s’était efforcé de 25 INTRODUCTION GÉNÉRALE lièrement employé dans le contexte de la Seconde guerre mondiale119. L’historien français Léon Poliakov admettait la difficulté de cerner complètement le totalitarisme, ce « phénomène historique aux contours imprécis »120. Dans l’esprit des sociologues Hannah Arendt et Raymond Aron, le totalitarisme a été le vecteur d’une conception inédite du pouvoir. 31 - Dans ses travaux préliminaires, Hannah Arendt avait très bien saisi la forme inédite des régimes hitlérien et soviétique mais elle songea à recourir à l’expression « d’impérialisme radical »121 avant de retenir finalement le terme de « totalitarisme » dans son œuvre majeure publiée sous la forme d’un triptyque : Les Origines du totalitarisme122. Ces régimes hitlérien et soviétique marquèrent une rupture par rapport aux traditions politiques, remettant en question tant les classifications traditionnelles que les critères de jugements moraux123. La sociologue a considéré que leurs origines – qui ne sont pas entendues dans sa pensée comme étant des causes – devaient être recherchées pour que soit compris le phénomène de cristallisation de certains éléments qui avaient conduit à cette nouvelle construction politique. Ce qui ressort de son analyse est la place très importante accordée à la terreur. Le gouvernement totalitaire, qui entend précipiter la marche logique de l’histoire, s’affirme par la terreur, laquelle « fige les hommes de manière à libérer la voie pour le processus naturel ou historique »124. Arendt a identifié cinq éléments constitutifs principaux du totalitarisme : l’atomisation de la société, un parti unique, une idéologie s’étendant à tous les aspects de la vie individuelle et collective, l’usage de la propagande et, enfin, la terreur. La terreur exercée par le totalitarisme est spéci- sauvegarder les structures traditionnelles de l’État, l’Église catholique et la monarchie (Raymond ARON, Démocratie et Totalitarisme, op. cit., pp. 231-232). Léon Poliakov rejoignit tout à fait cette idée dans l’essai qu’il consacra au totalitarisme. Il a estimé que le régime de Mussolini « tout en se durcissant au fil des années, n’a pas abouti à l’asservissement des esprits qui caractérisait les totalitarismes authentiques et n’a pas pratiqué une terreur à vaste échelle, puisque ses victimes se comptèrent par milliers, et non par millions » (Léon POLIAKOV, Les Totalitarismes du XXe siècle – Un phénomène historique dépassé ?, Paris, Fayard, 1987, p. 165). 119 À titre d’exemple, Friedrich Hayek l’évoque dès l’introduction de son célèbre essai La Route de la servitude (paru en 1944) : « On dirait que nous refusons de comprendre l’évolution qui a mené au totalitarisme, comme si cette compréhension devait anéantir certaines de nos illusions les plus chères » (Friedrich A. HAYEK, La Route de la servitude, 5e édition, Paris, PUF, Coll. « Quadridge », 2010, p. 12). 120 Léon POLIAKOV, Les Totalitarismes du XXe siècle – Un phénomène historique dépassé ?, op. cit., p. 8. 121 Hannah ARENDT, La Nature du totalitarisme, Payot, Paris, 2006, préface de Michelle-Irène Brudny-De Launay, p.17. 122 L’auteur aborde successivement les aspects historiques de l’antisémitisme et l’exacerbation de ce sentiment sous le régime nazi (tome 1), la construction des systèmes impériaux coloniaux, ancêtres du totalitarisme mais distincts de lui (tome 2) et enfin les traits caractéristiques du régime totalitaire, nazi ou socialiste (tome 3) (cf. Bibliographie). 123 124 Hannah ARENDT, La Nature du totalitarisme, op. cit., p. 37. Ibidem, p. 87. Dans le régime totalitaire, la terreur est l’instrument qui met en pratique l’idéologie : la terreur ne devient permanente que lorsque l’idéologie en question est acquise par la majorité (Hannah ARENDT, Les Origines du totalitarisme, Sur l’antisémitisme, tome 1, p. 31). 26 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME fique puisqu’elle frappe les opposants du régime puis ses propres partisans avant de se déchaîner contre les innocents, à l’inverse des tyrannies classiques125. La méthodologie suivie par Hannah Arendt n’a pas été épargnée par les critiques de ses pairs. Quoique Raymond Aron la rejoignît en partie, il contesta son choix de positionner sur un plan analogue les régimes hitlérien et stalinien et de faire l’assimilation entre camp de concentration soviétique et camp de concentration nazi126. 32 - À l’occasion d’un cours professé en Sorbonne (1957-1958), Aron fonda son étude des sociétés industrialisées contemporaines sur la distinction entre les régimes constitutionnelspluralistes (c'est-à-dire les démocraties libérales occidentales) et les régimes à parti monopolistique (les démocraties populaires orientales). La caractéristique du parti unique est donc le premier élément qu’a dégagé Aron sans suffire à définir le totalitarisme. Le régime de parti monopolistique de type totalitaire rassemblerait plusieurs critères : « le monopole de la politique réservé à un parti, la volonté d’imprimer la marque idéologique officielle sur l’ensemble de la collectivité, l’effort pour renouveler radicalement la société vers un aboutissement défini par l’unité de la société et de l’État »127. Ainsi, le parti monopolistique du régime totalitaire est porteur d’une idéologie « à laquelle il confère une autorité absolue et qui, par la suite, devient vérité officielle de l’État »128. Cette idéologie est révolutionnaire. Elle vise à bâtir un ordre nouveau en prétendant accomplir l’histoire129. Aron mentionnait pour troisième élément du totalitarisme la propagande, définie comme « possession par l’État du monopole de la force de persuasion » bien qu’il eût peu développé cet aspect-là dans son analyse du système soviétique. Le quatrième élément était enfin la mise en place d’un « absolutisme bureaucratique » correspondant concrètement à la soumission à l’État de la plupart des activités professionnelles et économiques « colorés par la vérité officielle »130. 33 - En écartant les différences tenant aux tournures sémantiques131, Aron et Arendt conver- 125 Hannah Arendt oppose la terreur dictatoriale à la terreur totalitaire, la première ne menaçant que les opposants authentiques, non les inoffensifs citoyens qui n’ont pas d’opinion politique (Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, Le Système totalitaire, tome 3, p. 30). Voir aussi Hannah ARENDT, La Nature du totalitarisme, op. cit., p. 94. 126 Ibid., préface de Michelle-Irène Brudny-De Launay, p. 21. 127 Raymond ARON, Démocratie et Totalitarisme, op. cit., pp. 91-92. 128 Ibidem, p. 284. 129 Cela n’empêche pas une opposition philosophique radicale entre les idéologies totalitaires : le nationalsocialisme se fonde sur le nationalisme raciste quand le communisme entend quant à lui aboutir à l’universalisme humanitaire. 130 Raymond ARON, Démocratie et Totalitarisme, op. cit., pp. 284. 131 Quand Arendt évoque le « parti unique », Aron parle de « parti monopolistique ». L’« idéologie qui s’étend à 27 INTRODUCTION GÉNÉRALE gent vers un ensemble de cinq éléments qui, rassemblés, servent à l’identification du régime totalitaire, par opposition à tout autre type de régime tyrannique : un seul parti légal exerçant le pouvoir ; une idéologie incarnée par le parti révolutionnaire et destinée à tout justifier et à légitimer le régime lui-même ; l’usage exclusif par le parti des instruments médiatiques et intellectuels aux fins d’imposer l’idéologie officielle ; la confusion totale entre la société (quelles que soient ses activités) et l’État ; l’exercice par le régime d’une répression qui touche tour à tour les opposants politiques, les ennemis désignés de la société à établir, les partisans du régime suspectés de lui nuire, même innocents. 34 - Hélas, cette théorisation du totalitarisme a été débattue, dévoyée, déconstruite et dépouillée d’une part de son originalité. Hannah Arendt elle-même s’en désola, qui fit le constat de l’emploi abusif du mot « totalitarisme », pourtant élaboré pour désigner un phénomène historique sans précédent132. Aussi préconisa-t-elle de s’abstenir d’employer ce terme pour qualifier n’importe quel type de tyrannie. Les régimes totalitaires sont ceux dans lesquels ni l’armée, ni l’Église, ni les administrations ne sont en mesure de contrôler ou de contenir un pouvoir exercé par la police secrète et les formations d’élites. Tout groupe ou institution doit à la fois soutenir et s’articuler au régime, ce qui fit reconnaître à Hannah Arendt que certaines « dictatures à parti unique, qu’elles soient de type fasciste ou communiste, ne sont pas totalitaires, même si ce sont bien des dictatures »133. Et Raymond Aron d’aller résolument dans le même sens, considérant qu’il allait de soi que l’essentiel, dans la définition du totalitarisme était « le monopole du parti, ou bien l’étatisation de la vie économique, ou bien la terreur idéologique » mais que le phénomène n’atteignait sa plénitude que lorsque tous les éléments étaient réunis. Tout régime de parti monopolistique n’aboutit donc pas à la terreur extrême134. 35 - L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a qualifié dans ses résolutions pertinentes135 de « régimes communistes totalitaires » les États situés derrière le Rideau de Fer136. tous les aspects de la vie individuelle » pour Arendt devient l’« idéologie qui constitue la vérité officielle de l’État » chez Aron. Le terme de « propagande » est employé par Arendt tandis qu’Aron préfère le « monopole sur les moyens de force et de persuasion ». L’« atomisation de la société » observée par Arendt trouve pour équivalent l’« absolutisme bureaucratique » d’Aron. Enfin la « terreur » qui caractérise pour Arendt la société totalitaire est déclinée par Aron en « terreur policière et meurtrière ». 132 Hannah ARENDT, La Nature du totalitarisme, op. cit., p. 92. 133 Ibidem, p. 96 134 Raymond ARON, Démocratie et Totalitarisme, op. cit., p. 285. 135 Les résolutions 1096(2006), préc., et 1481(2006), préc. 136 Il est loisible de penser que la qualification « totalitaire » avait pour fonction, dans ces textes, de marquer une nuance importante avec les partis communistes existants dans les démocraties européennes et qui ont parfois même « contribué à la réalisation de la démocratie ». (Ass. CdE, Résolution 1481(2006), préc., § 1). 28 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME La résolution n°1086 de 1996 fait en particulier l’inventaire de ce totalitarisme : la centralisation excessive, la militarisation des institutions civiles, la bureaucratisation, la monopolisation, l’excès de réglementation, le collectivisme et le conformisme à l’obéissance aveugle et d’autres modes de pensée totalitaire137. Il apparaît dès lors que le Conseil de l’Europe n’attache pas la même importance à la terreur que les sociologues138. 36 - Il semble admis que les régimes hitlériens et soviétiques ont connu – au moins temporairement – une phase de totalitarisme pur. Le premier a été détruit avec la capitulation allemande tandis que le second s’est progressivement défait de la lourdeur du dogme marxiste, d’une partie de son système répressif et a atténué le verrouillage de l’opposition. Placées dans le sillage de l’Union soviétique, les démocraties populaires d’Europe centrale adoptèrent des normes venues de Moscou, et la Pologne n’y fit pas exception139. Leur destin commun semblait bien être le totalitarisme140. La frontière a probablement été franchie par la plupart des démocraties populaires qui traversèrent une période initiale que l’on peut qualifier de « stalinienne ». Elles ont connu des évolutions propres menant vers la libéralisation progressive141 et le relâchement du dogme142 : en d’autres termes, vers le « dégel »143. Toute la question est, in 137 Ass. CdE, Résolution 1096(2006), préc., § 1. 138 Cela ne signifie en aucun cas la négation des atrocités commises par les régimes en question puisque la résolution 1481 reconnaît que les « pouvoirs communistes totalitaires qui étaient en place en Europe centrale et orientale au siècle dernier, et qui existent toujours dans plusieurs pays du monde sont, sans exception, caractérisés par des violations massives des droits de l’homme » (ibidem, § 2). 139 Les autorités polonaises suivirent l’URSS en construisant un système politique fondé sur un parti se réclamant du marxisme-léninisme, en engageant l’étatisation de l’économie et l’industrualisation à marche forcée, en encourageant l’urbanisation, la mobilité sociale et l’émergence d’une culture de masse, en rejoignant les intérêts politiques, militaires et économiques du « bloc » de l’Est. La Pologne se distingua en revanche par le maintien de l’indépendance de son Église, d’un secteur privé important, de la possibilité pour ses ressortissants de voyager dans les pays occidentaux et d’une préservation relative de la liberté individuelle (Bruno DRWESKI, « La nouvelle Pologne : un bon élève sceptique », in Yann RICHARD, André-Louis SANGUIN (dir.), L’Europe de l’Est quinze ans après la chute du mur – Des pays baltes à l’ex-Yougoslavie, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 219). 140 Raymond Aron estimait que tout régime de parti unique dans les sociétés industrielles comportait un risque d’épanouissement totalitaire (Raymond ARON, Démocratie et Totalitarisme, op. cit., p. 286). 141 La libéralisation ne fut point linéaire pour autant. Aux tentations trop fortes d’un changement et d’une remise en cause du régime, même partielle, l’allié et tuteur soviétique répondit par le coup de force. L’insurrection de Budapest en 1956, le Printemps de Prague en 1968 furent tous deux écrasés sous les chenilles des chars soviétiques quand, en Pologne, le gouvernement dirigé par le général Wojciech Jaruzelski mit un terme à plusieurs mois d’agitation sociale en décrétant l’état martial le 13 décembre 1981. 142 L’idéologie marxiste fut le dogme qui permit d’imposer le régime politique. Mais au fil des années, perdant de sa force mobilisatrice et contredit par la réalité des faits (le pouvoir en place ne lutte pas pour les intérêts du prolétariat), le régime n’est plus que « le ‘‘complément solennel de justification’’ dont parlait Marx, qui permet à la fois d’enseigner obligatoirement aux étudiants L’État et la Révolution et de maintenir l’appareil d’État le plus oppressif et le plus rigide qu’on ait connu, qui aide la bureaucratie à se voiler derrière la ‘‘propriété collective’’ des moyens de production » (Cornelius CASTORIADIS, L’Institution imaginaire de la société, Paris, Points, coll. « Essais », 1999, p. 16). 143 L’historien Emmanuel Le Roy Ladurie identifie sous l’expression « détente et dégel » une série de manifestations dans le régime autoritaire : des relations plus apaisées avec les grandes puissances rivales, une meilleure 29 INTRODUCTION GÉNÉRALE fine, de savoir si la Pologne peut être qualifiée, entre 1945 et 1989, d’État totalitaire. 37 - La Pologne a connu une période de terreur généralisée entre 1948 et 1956. Au sortir de la Seconde guerre mondiale furent créés différents organes de contrôle tels que la Commission de sécurité (émanation du bureau politique du Parti communiste), les services de protection (chargés de surveiller les ouvriers au sein des entreprises) et la redoutable Commission extraordinaire pour la lutte contre les abus et le sabotage (agissant sur les coopératives agricoles)144. Pour l’historien Andrzej Paczkowski « la soviétisation de la Pologne n’a pas été marquée par un procès à grand spectacle similaire à ceux de Rajk à Budapest ou de Slansky à Prague »145, encore qu’une vaste répression eût été exercée146. Le dégel est intervenu en 1956 (« l’octobre polonais »), année ou coïncidèrent le XXe congrès du Parti communiste d’Union soviétique ouvrant la voie de la déstalinisation, la circulation en Pologne du rapport secret de Krouchtchev147, la disparition de la figure centrale du régime polonais, Bolesław Bierut148, l’avènement au pouvoir de Władysław Gomułka149, la libération de 28 000 prisonniers politiques par le gouvernement polonais150 et une série d’autres mesures symboliques151. prise en compte des besoins de la population (augmentation relative du niveau de vie) et un adoucissement des relations entre les élites et le reste de la société, notamment les dissidents (Emmanuel LE ROY LADURIE, « Détente et dégel ; ou comment faire évoluer un régime autoritaire », in Droit, institutions et systèmes politiques – Mélanges en hommage à Maurice Duverger, Paris, PUF, 1987, p. 648). 144 Andrzej PACZKOWSKI, Karel BARTOŠEK, « L’autre Europe victime du communisme », in Stéphane COURTOIS (et al.), Le Livre noir du communisme…, op. cit., p. 444. 145 Paczkowski a ajouté qu’il « s’agissait d’écarter de la vie publique tout opposant potentiel et d’interdire toute liberté d’action. Un des buts principaux du système de terreur généralisée était la diffusion dans la société d’un sentiment de la peur permanente, de favoriser la délation et ainsi l’atomiser » (ibidem, pp. 443-444). 146 Ibid., p. 446. 147 Article « 1956, l’année de la fracture », in Stéphane COURTOIS (dir.), Dictionnaire du communisme, op. cit., p. 49. 148 Premier secrétaire du Parti communiste polonais après avoir été Président de la République, Bierut est décédé d’une maladie foudroyante le 12 mars 1956 à Moscou, juste après avoir participé au XXe congrès… (Henri BOGDAN, Histoire des pays de l’Est, op. cit., p. 505). 149 Tout juste assis dans le fauteuil de premier secrétaire du Parti communiste, le 20 octobre 1956, Gomułka prononça un discours-programme dans lequel il dénonça le système stalinien de la Pologne : « Sous ce système, on brisait les caractères et les consciences humaines, on piétinait les gens, on crachait sur leur honneur. La calomnie, le mensonge et la falsification, et même les provocations, servaient d’instruments du pouvoir. Chez nous également, nous en sommes venus à des faits tragiques, des gens innocents ont été envoyés à la mort. De nombreux autres innocents ont été emprisonnés, et quelquefois même, pendant de nombreuses années. Maintes personnes ont été soumises à des tortures bestiales. On avait semé la peur et la démoralisation. Sur le terrain du culte de la personnalité se développaient des phénomènes qui violaient et qui annihilaient même le sens le plus profond du pouvoir populaire. Nous en avons fini avec ce système et nous en finissons une fois pour toutes » (cité par Kosta PAPAIOANNOU, Marx et les marxistes, Paris, Gallimard, Coll. « Tel », 2001, pp. 440441). 150 151 Sophie CASSAR, La Pologne – Géopolitique du phénix de l’Europe, op. cit., p. 67. L’autorisation accordée d’organiser des « conseils ouvriers » dans les grandes villes, la fin du brouillage des radios étrangères, la libération d’évêques emprisonnés et du primat Stefan Wyszyński, le retour en URSS de nombreux militaires soviétiques, la dissolution de l’organisation totalitaire de la jeunesse, etc. (Daniel BEAU- 30 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Quand bien même les purges des premières années méritent partiellement la comparaison avec l’URSS stalinienne au plus fort de sa violence152, quand bien même l’instauration de l’état martial en 1981 constitua un évident recul pour les libertés des Polonais153, il reste discutable de qualifier la République populaire de Pologne de régime totalitaire après 1956 si le critère de la terreur est tenu pour essentiel. 38 - Dans une étude de référence publiée en France en 2006, le politologue espagnol Juan José Linz prit le parti d’écarter la terreur comme critère déterminant du totalitarisme, considérant que « ces formes de coercition se manifestent indéniablement aussi dans des régimes qui, autrement, sauf extension du terme, ne pourraient se qualifier de totalitaires »154. Il choisit d’appuyer la définition du totalitarisme sur la particularité du parti au pouvoir, porteur d’une idéologie155 destinée à transformer la société et déterminer les comportements. Linz introduit bien une nuance au cœur de son analyse en évoquant la possibilité pour des régimes socialistes d’entrer dans une phase post-totalitaire lorsque le poids de l’idéologie dans la vie publique tend à diminuer sensiblement. Il estime ainsi qu’un certain nombre de régimes totalitaires (incluant la Pologne) ont perdu « une part variable de leurs caractères réputés totalitaires sous l’influence de processus de transformation complexes »156. Néanmoins, il évoque VOIS, La Pologne, op. cit., p. 409). 152 La période la plus violente identifiée par Raymond Aron dans son ouvrage Démocratie et Totalitarisme (op. cit.) correspondait aux purges et aux procès de Moscou entre 1934 et 1937. En Pologne, devenue communiste après la Seconde guerre mondiale, le comble de la violence politique fut atteint au début des années 1950. Dans sa contribution au Livre noir du communisme, l’historien Andrzej Paczkowski dresse le bilan de la période stalinienne de la Pologne : « Le 1er janvier 1953, les fiches de la Sécurité répertoriaient 5 200 000 personnes, un tiers de la population adulte. Malgré l’élimination des organisations illégales, les procès politiques se poursuivaient. Le nombre de prisonniers augmenta au fur et à mesure des diverses ‘‘opération de prévention’’. Ainsi, en octobre 1950 dans le cadre de l’opération K, 5 000 personnes furent arrêtées au cours d’une même nuit. Après un ralentissement qui suivit les arrestations des années 1948-1949, les prisons recommencèrent à se remplir : en 1952, 21 000 personnes furent arrêtées. Selon les données officielles, il y avait dans le second semestre 1952 49 500 prisonniers politiques. On avait même ouvert une prison spéciale pour les ‘‘délinquants politiques’’ mineurs (2 500 en 1953). » (Andrzej PACZKOWSKI, Karel BARTOŠEK, « L’autre Europe victime du communisme », préc., p. 445). La période 1956-1981 est appelée par contraste « le socialisme réel ou le système de répression sélectif ». Le rôle des services de sécurité marqua une évolution, ceux-ci se consacrant désormais à « un contrôle plus discret mais toujours aussi serré de la population, avec une surveillance renforcée des milieux d’opposition légale et illégale, de l’Église catholique et des milieux intellectuels » (ibidem, p. 448). 153 L’opposant polonais au régime communiste Jacek Kuroń (1934-2004) situait la fin de la période totalitaire en Pologne à l’instauration de l’état martial en 1981. Ce n’est un paradoxe qu’en apparence. Cet événement possèdait, pour Kuroń, une double symbolique : l’émergence d’une puissante contestation populaire autour du syndicat Solidarność et la fin de l’illusion d’un système démocratique, illusion construite par le totalitarisme et destinée à le conforter (Jacek KUROŃ, « Overcoming totalitarianism », in Vladminir T ISMANEANU (dir.), The Revolutions of 1989, op. cit., pp. 198-201). 154 Juan J. LINZ, Régimes totalitaires et autoritaires, Paris, Armand Colin, 2006, p. 81 155 « [L]es systèmes de croyance idéologiques sont, pour leur part, symptomatiques des totalitarismes » (ibidem, p. 161). 156 Ibid., p. 131 31 INTRODUCTION GÉNÉRALE cette particularité en étudiant les pistes de stabilisation ou la persistance des systèmes totalitaires dans la durée, tendant donc à signifier que le relâchement de certains caractères propres au totalitarisme ne faisait pas, pour autant, sortir les pays concernés du système totalitaire. 39 - Les démocraties populaires sont-elles devenues au fil du temps des États post-totalitaires voire autoritaires ? Le régime autoritaire repose, selon Juan Linz157, sur l’exercice du pouvoir par un parti dominateur mais non lié à une idéologie clairement définie, dans un contexte de pluralisme politique limité. Il en a posé une définition limpide : les régimes autoritaires sont « des systèmes politiques au pluralisme limité, politiquement non responsables, sans idéologie élaborée et directrice, mais pourvus de mentalités spécifiques, sans mobilisation politique extensive ou intensive – excepté à certaines étapes de leur développement – et dans lesquels un leader ou, occasionnellement, un petit groupe exerce le pouvoir à l’intérieur de limites formellement mal définies mais, en fait, plutôt prévisibles »158. Lorsqu’il évoque l’URSS poststalinienne, Nicolas Werth qualifie d’« autoritaire et policier » le régime qui se contente essentiellement du souvenir de la terreur pour prolonger sa domination159. Un autre historien, Enzo Traverso, s’inscrit dans cette analyse. Les pays satellites, ces « pâles imitations du stalinisme », pratiquaient une répression policière qui n’avait pas connue « sauf exception, de véritable terreur ». La répression cimentait l’idéologie, qui « n’était que la simple façade d’un appareil étatique dont le but était sa propre perpétuation »160. Pour la Pologne, le sociologue François Bafoil préfère parler d’« autoritarisme communiste (d’origine totalitaire) »161. 40 - Qu’en était-il des autres éléments constitutifs du régime totalitaire en Pologne ? Ils subsistaient, à des degrés très variables. En 1989, la transition démocratique polonaise s’opère à partir d’un État dirigé par une force politique hégémonique. Le pluralisme politique officiellement affiché était évidemment illusoire puisque les partis politiques subsistant aux côtés du dominant Parti Ouvrier Unifié de Pologne (Polska Zjednoczona Partia Robotnicza, PZPR) n’étaient que des satellites non menaçants. Le critère du parti unique, essentiel pour identifier le système totalitaire, s’observait encore, même si Juan Linz évoqua l’émergence d’un plura- 157 Juan Linz distingue les régimes totalitaires d’autres types de régimes atypiques, souvent traditionnels ou personnels, comme le sultanat ou le caudillisme. 158 Juan J. LINZ, Régimes totalitaires et autoritaires, op. cit., p. 157. 159 Un régime « où la Terreur allait être, une génération durant, l’un des garants les plus efficace de l’ordre post-stalinien » (Nicolas WERTH, « Un État contre son peuple – Violences, répressions, terreurs en Union soviétique », in Stéphane COURTOIS (et al.), Le Livre noir du communisme – Crimes, terreur, répression, p. 294). 160 Enzo TRAVERSO, Le Totalitarisme – Le XXe siècle en débat, Paris, Seuil, Coll. « Points Essais », 2001, 923, p. 80. 161 32 François BAFOIL, « Les Partis politiques 1989-2006 », in François BAFOIL (dir.), La Pologne, op. cit., p. 268. LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME lisme politique limité dans les années 1980, au crépuscule du régime socialiste, dans certains États (dont l’Union soviétique et les États d’Europe centrale et orientale)162. 41 - Ce constat n’exclut en rien qu’une progressive « dépolitisation des activités », qu’un « affaiblissement de l’idéologie »163 permette d’envisager le parallèle avec les régimes purement autoritaires. En Pologne, jamais le pouvoir communiste n’a été en mesure de détruire les lieux de culte malgré la force d’opposition qu’était susceptible d’incarner l’Église catholique romaine164. Jamais il n’a pu imposer sur la durée un art officiel165. Jamais la société civile n’a été totalement jugulée par la bureaucratisation : une opposition politique s’est développée (mouvements syndicaux, Église), passant progressivement de la clandestinité au grand jour. Il en fut ainsi du puissant syndicat d’opposition Solidarność166 jusqu’à la plus anecdotique des initiatives militantes, telle l’iconoclaste Alternative orange167. Tout comme la Hongrie, la Pologne soumise à l’idéologie marxiste est parvenue à préserver un certain degré d’autonomie 162 Juan J. LINZ, Régimes totalitaires et autoritaires, op. cit., p. 180. 163 Stephen LAUNAY, « Autoritaire (Régime –) », in Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA (et al.) (dir.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, Paris, PUF, Coll. « Quadridge », 2008, p. 89. 164 La première visite officielle du pape Jean-Paul II (né Karol Wojtyła) sur sa terre natale a été effectuée du 2 au 10 juin 1979. L’historien politique et journaliste britannique Timothy Garton Ash relève que ce pèlerinage historique a été suivi par la naissance de Solidarność ; il le considère donc comme « le début de la fin » pour le régime communiste polonais (Timothy GARTON ASH, « The Year of Truth », in Vladimir TISMANEANU (dir.), The Revolutions of 1989, op. cit., p. 110). 165 La salle des spectacles du très stalinien Palais de la Science et de la Culture à Varsovie a accueilli des artistes occidentaux dès les années 1960, notamment le groupe britannique The Rolling Stones (1967). À l’écran, le cinéaste Andrzej Wajda réalisa en Pologne une fresque en deux volets de la vie d’un ouvrier militant pour les droits sociaux – l’Homme de Marbre (1977) puis l’Homme de Fer (1981) récompensé par la Palme d’Or au Festival de Cannes – où la critique d’un régime brutal, dissimulateur et sclérosé ne manque pas de transparaître. 166 Né du comité organisateur d’une grève sur les chantiers navals de la Baltique en 1976, Solidarność est devenu en quelques mois un syndicat puissant de 10 millions d’adhérents et de 40 000 dévoués à plein-temps. Dans les régimes socialistes, l’opposition a souvent connu des difficultés à s’organiser pour devenir un mouvement massif et cohérent. La résistance se caractérisait dès lors par des actes individuels et quotidiens dirigés contre le système (pratique religieuse, larcins au travail, marché noir…). La Pologne fait figure d’exception, essentiellement grâce à la force de Solidarność (Jason C. SHARMAN, Repression and Resistance in Communist Europe, Londres/New York, Routledge, 2003, pp. 94-97). Solidarność a bénéficié dès 1976 du soutien d’un groupe d’intellectuels, tels Jacek Kuroń et Adam Michnik, défenseurs du combat ouvrier : le KOR (Komitet Obrony Robotników – Comité de défense des ouvriers). Celui-ci gagna une influence considérable grâce à la publication non-censurée d’un bulletin d’informations sur la situation des ouvriers emprisonnées et leurs familles. En 1977, il ajouta le combat pour les droits de l’homme en général à ses missions (Daniel BEAUVOIS, La Pologne, op. cit., p. 436-438). 167 Dans les années 1980, la culture alternative qui commençait à s’étendre au sein de la jeunesse a donné naissance à des mouvements de dissidence spontanés, baroques, dont le plus célèbre est l’Alternative orange. Apparue à Wrocław, étendue à Varsovie puis à d’autres villes, l’Alternative orange a organisé de 1986 à 1989 des manifestations parodiques, non-violentes, mélant costumes identifiables (bonnets de nains orange, déguisements de saint Nicolas) et slogans absurdes censés mettre à l’épreuve le sens de l’humour de la milice ! Des graffitis de lutins apparurent également sur les murs situés en regard des bâtiments publics… En ne formulant aucune revendication claire, en ne scandant nul message politique explicite, l’organisation ne pouvait être réprimée mais continuait de semer le trouble à chaque fête nationale ou célébration encadrée par les pouvoirs publics (lire à ce sujet Patryk WASIAK, « Y’a-t-il encore des nains de jardin en Pologne ? L’Alternative orange avant et après 1989 », Tumultes, numéro 32-33, 2009, pp. 241-253). 33 INTRODUCTION GÉNÉRALE pour la sphère universitaire168. Au fil des années, les spécialistes et les scientifiques ont pu, dans certaines limites, exprimer leurs points de vue personnels, assurant ainsi une ouverture intellectuelle que Juan Linz lui-même qualifiait d’« autoritarisme consultatif »169. Le régime autoritaire post-totalitaire a conservé certains traits du stalinisme170. Il a évolué grâce au contexte socio-économique qui rendait indispensables des réformes administratives, de décentralisation ou encore de formation des cadres171. En 1970, le spécialiste du monde communiste Richard Löwenthal avait décrit avec sévérité l’état du parti monopolistique des pays du bloc de l’Est : « [i]ncapable de poursuivre plus avant son offensive révolutionnaire contre la société sans se résoudre pour autant à se réduire à une simple expression de la constellation des forces sociales à un moment donné », le parti n’est plus « ni totalitaire, ni démocratique, mais autoritaire »172. Hannah Arendt, observant l’évolution de l’URSS dans les dernières années du stalinisme, percevait dans la renaissance des arts et lettres « le signe le plus clair que l’Union soviétique ne [pouvait] plus être qualifiée de totalitaire au sens strict du mot »173. 42 - Antérieurement à l’instauration du régime socialiste, les Polonais entretenaient des rapports complexes avec la démocratie et les libertés, caractérisés par un attrait réel pour ces produits de l’Europe occidentale sans en avoir éprouvé une pratique pleinement satisfaisante, malgré des traditions juridiques vieilles et diversifiées. En 1989, forte de son expérience juridique174 et des luttes engagées pour la liberté, la Pologne était indéniablement prête à s’engager dans un processus d’assimilation des standards européens en matière de droits fondamentaux. Le Conseil de l’Europe a opéré le choix terminologique du « totalitarisme » pour l’Europe centrale et orientale d’avant 1989, en dépit des difficultés qui subsistent à en identifier sur la durée les caractères propres et incontestables. Privilégier dans cette étude le terme d’autoritarisme post-totalitaire175 relèvera par conséquent d’une volonté de comprendre le 168 « La fierté nationale et la tradition étaient utilisées comme barrières de protection de la pensée scientifique » a écrit Csaba Varga, universitaire hongrois (Csaba VARGA, Transition to Rule of Law, Budapest, Faculté de droit de Lorán Eötvös, 1995, p. 67. 169 Juan J. LINZ, Régimes totalitaires et autoritaires, op. cit., p. 280. 170 Dans le dessin de « conserver sa stabilité, le post-totalitarisme doit s’obliger à ne se dégager de l’héritage totalitaire que de façon sélective et graduelle, sous peine de déboucher sur une explosion révolutionnaire conduisant à un changement radical mettant en danger le pouvoir de l’élite », ibidem., p. 273. 171 Ibid., p. 270 172 Propos cités par Juan LINZ, ibid., pp. 275-276. 173 Hannah ARENDT, Les Origines du totalitarisme – Le Système totalitaire, tome 3, Paris, Seuil, Coll. « Points Essais », 1972, p. 22. 174 Notamment constitutionnelle. Voir l’ouvrage de Grzegorz GÓRSKI, Polonia Restituta – Ustrój Państwa polskiego w XX wieku, Lublin, KUL, 2007, 248 pages. 175 34 Francis Fukuyama a évoqué l’URSS de l’ère Brejnev et l’Europe de l’Est de la même période comme des LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME plus précisément possible la Pologne de 1956 à 1989, en évitant de l’assimiler pleinement à un autoritarisme ordinaire comme de remettre en cause l’existence d’une courte période totalitaire. C’est à partir d’un régime autoritaire post-totalitaire, dans lequel des niches de liberté avaient pu subsister et se développer, que s’est effectuée la transition démocratique. 43 - Lorsque la Conv. EDH entre en vigueur en Pologne le 19 janvier 1993, l’État est redevenu formellement une démocratie pluraliste. La jurisprudence de la CEDH portant sur l’application des dispositions relatives à la liberté d’opinion et de manifestation, à l’équité des procédures juridictionnelles (pénales en particulier) et au droit de propriété présente un intérêt évident. Ces droits-là avaient été particulièrement mis à mal par le pouvoir déchu. Vingt-cinq ans plus tard, l’évolution du contentieux vers des préoccupations nouvelles, touchant à la vie familiale, à la lutte antiterroriste ou encore à l’efficacité des procédures face au développement des règles de droit, nourrit l’impression d’une démocratie en mouvement et confrontée à des problématiques semblables à celles qui tourmentent les démocraties européennes sans passé socialiste. L’identification des violations caractéristiques du texte conventionnel par la Pologne et l’amélioration des droits et libertés, grâce à la réception des arrêts de la CEDH en droit interne, représenteront le premier niveau d’analyse proposé par cette étude. À côté de l’influence positive apportée par l’héritage historique de la Pologne, riche de combats pour la liberté et l’indépendance, le rôle moteur d’une organisation comme le Conseil de l’Europe dans le succès de la transition démocratique peut être concrètement mis en exergue par le suivi de l’exécution des arrêts de la CEDH. II. UNE ÉVALUATION DU RÔLE D’« ÉCOLE DE LA DÉMOCRATIE » DU CONSEIL DE L’EUROPE 44 - Pour le Conseil de l’Europe comme pour sa juridiction emblématique, la CEDH, la forme démocratique est l’horizon indépassable des États européens. Il s’agit de « l’unique modèle politique envisagé par la Convention [.EDH] et, partant, le seul qui soit compatible avec systèmes ne pouvant plus être décrits comme totalitaires mais plutôt, en reprenant l’expression de Vacláv Havel, comme « post-totalitaires » (Francis FUKUYAMA, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, Coll. « Champs Essais », 2009, p. 57). 35 INTRODUCTION GÉNÉRALE elle »176. Lorsque les PECO se sont progressivement libérés du poids idéologique du marxisme-léninisme avec la chute simultanée des gouvernements communistes, le Conseil de l’Europe s’est retrouvé confronté à un dilemme : opérer au plus vite la réunification du continent au moyen de l’adhésion d’États en cours de transformation ou attendre que la démocratie se fût véritablement installée pour en accepter la candidature. Le choix opéré a été celui de l’élargissement vers l’est de l’Europe, pour accompagner la démocratisation des anciennes sociétés socialistes, plutôt que de leur imposer une sorte de « quarantaine » à l’issue aléatoire (§ 1). Parmi les nouveaux membres du Conseil de l’Europe, la Pologne s’est adaptée rapidement aux standards européens. Elle représente ainsi un modèle particulièrement pertinent pour évaluer l’action du Conseil de l’Europe comme « école de la démocratie » à travers l’application de la Conv. EDH (§ 2). § 1. L’ÉLARGISSEMENT DU CONSEIL DE L’EUROPE À L’EST DE L’EUROPE 45 - Le Conseil de l’Europe, « Maison de la démocratie »177 européenne, avait été initialement dévolu à la protection des valeurs démocratiques piétinées de Vienne à Vichy, de Rome à Berlin, entre l’avènement des régimes fascistes et leur chute au terme de la Seconde guerre mondiale. D’abord imaginée lors du congrès décisif organisé à la Haye du 8 au 10 mai 1948 à l’initiative du Mouvement Européen placé sous l’égide de Winston Churchill, cette première organisation européenne vit concrètement le jour avec la signature de son statut le 5 juin 1949 au palais Saint-James de Londres178. Dans son article Ier, le Statut du Conseil de l’Europe exprime bien l’idée de préservation de l’idéal démocratique et de protection des libertés mais marque également la volonté de faire triompher ces valeurs sur le continent179. Il préfigure ainsi l’action future du Conseil auprès des États concernés par la disparition de régimes non176 CEDH, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, n°19392/92, 30 janvier 1998, Rec. 1998-1, § 45. 177 Florence BENOÎT-ROHMER, « Conseil de l’Europe », in Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA (et al.) (dir.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, Paris, PUF, Coll. « Quadridge », 2008, p. 189. L’expression équivalente « club des démocraties » apparaît sous la plume de Yannick LÉCUYER, « Splendeurs et misères de l’ordre politique européen – Contribution à l’étude de la construction jurisprudentielle d’un ordre constitutionnel européen », RTDH, n°97, 2014, p. 127. 178 Robert BLACKBURN, « The Institutions and Process of the Convention », in Robert BLACKBURN, Jörg PO(dir.), Fundamental rights in Europe – The ECHR and its member states 1950-2000, Oxford, Oxford Press University, 2001, pp. 3-4. LAKIECZ 179 Article Ier, al. 1 : « Le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont le patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social. » (Statut du Conseil de l’Europe, STCE n°001, Londres, 5 mai 1949). 36 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME démocratiques. Dans une Europe alors en cours de déchirement, la fondation du Conseil de l’Europe était bien loin d’être exempte d’anticommunisme180. 46 - Après la naissance des Communautés européennes (1951 et 1957), le Conseil de l’Europe était devenu, selon Denis Huber, fonctionnaire au sein de l’organisation, une Europe « du deuxième choix ». Mais lorsque se dessinèrent la fin de la Guerre froide et la réunification du continent, le Conseil de l’Europe est bel et bien « revenu dans l’Histoire »181. Il peut même être porté au crédit du Conseil d’avoir œuvré au rapprochement des deux Europe. L’idée d’une Ostpolitik doit beaucoup au ministre allemand des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher (1927-2016), instigateur d’une réunion ministérielle spéciale en janvier 1985182. Les discussions aboutirent à l’adoption par le Comité des ministres de la résolution (85)6 sur l’identité culturelle européenne183. Les ministres y chargèrent leurs délégués « de mettre en évidence et de proposer des domaines dans lesquels il serait possible de resserrer la coopération avec les États d'Europe qui ne sont pas membres du Conseil de l'Europe ou parties à la Convention culturelle européenne et de faire rapport au Comité » (§ 7). Ainsi, le rapprochement désiré devait être réalisé grâce à la Convention culturelle européenne de 1954184, ouverte aux États non-membres du Conseil. La Yougoslavie fut le premier État au-delà du Rideau de Fer à la signer, le 7 octobre 1987. La Pologne, pour sa part, n’a accepté le texte que le 16 novembre 1989. Au printemps 1987, le secrétaire général du Conseil de l’Europe, l’Espagnol Marcelino Oreja effectua une visite en Hongrie, considérée déjà comme le pays le plus émancipé parmi les PECO. Les 10 et 11 mars 1988, il se rendit à Varsovie et y rencontra le général Jaruzelski et des membres du syndicat d’opposition Solidarność. En octobre de la même année, ce fut au tour du président de l’Assemblée Parlementaire Louis Jung d’entreprendre un 180 Le Congrès de la Haye de 1948 contribue à faire naître un esprit européen militant dans l’opinion publique. La communion européaniste est encouragée par l’Église catholique, notamment la « Compagnie de Jésus » qui influence les chrétiens-démocrates, par les partis sociaux-démocrates, par les libéraux mais aussi par « un certain anticommunisme nourri des premiers effets de la guerre froide, conduisant quelques hommes politiques européens à rechercher dans la construction de l’Europe une manière d’ ‘‘endiguer’’ encore plus sûrement un ‘‘péril rouge’’ présent (ou supposé tel) dans certains États d’Europe occidentale comme la France et l’Italie » (Jean PETAUX, L’Europe de la démocratie et des droits de l’homme – L’action du Conseil de l’Europe, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2009, pp. 61-62). 181 Denis HUBER, Une décennie pour l’Histoire – Le Conseil de l’Europe 1989-1999, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 1999, pp. 3-4. 182 Ibidem, §§ 8-9. 183 Com. Min., Résolution 85(6) sur l’identité culturelle européenne, 25 avril 1985, 76e session. 184 Convention culturelle européenne, STCE n°018, Paris, 19 décembre 1954. Cette stratégie n’était pas complètement nouvelle : elle avait déjà servi à maintenir une relation entre le Conseil de l’Europe et l’Espagne de Franco entre 1957 (date de la signature par cet État de la Convention culturelle européenne) et la mort du dictateur en 1975 (voir Jean PETAUX, L’Europe de la démocratie et des droits de l’homme…, op. cit., pp. 92-93). 37 INTRODUCTION GÉNÉRALE déplacement en Hongrie et en Pologne185. Avant même le processus de la Table ronde, le Conseil de l’Europe s’est ainsi tenu prêt à porter assistance aux États socialistes. 47 - Les organisations régionales – le Conseil de l’Europe comme les Communautés européennes – ont fait montre d’un certain activisme en proposant d’intervenir aux côtés des PECO dans l’espoir de leur épargner l’isolement et le chaos à la suite de la chute du mur de Berlin. Pour ces pays, l’alternative était la suivante : affermir leur indépendance en demeurant hors des systèmes régionaux ou quitter le giron soviétique pour tomber dans les bras des organisations d’Europe de l’Ouest. Cette dernière possibilité ne tombait pas sous le sceau de l’évidence186, malgré le désir de prendre exemple sur la démocratie occidentale. Les bouleversements de 1989 ont convaincu le Conseil de l’Europe de fixer de nouveaux objectifs et l’option de l’intégration rapide des anciens États socialistes a été privilégiée. Un premier pas dans cette direction fut franchi lorsque, le 11 mai 1989, l’Assemblée parlementaire du Conseil décida d’accorder à la Hongrie, à la Pologne, à l’Union soviétique et à la Yougoslavie le statut d’invité spécial187. Jusqu’en 1992 au moins, les invitations à rejoindre le Conseil ont été formulées « dans un climat très consensuel, pour ne pas dire unanimistes », avait noté le professeur Flauss188. 48 - Le Conseil de l’Europe prit le parti de refuser d’attendre en spectateur que s’épanouisse la démocratie à l’est de l’Elbe. La décision d’accompagner le mouvement de démocratisation fut enterinée officiellement à Vienne en octobre 1993, à l’occasion du premier sommet des chefs d’État et de gouvernement. D’un commun accord, les États-membres décidèrent d’attribuer au Conseil de l’Europe une fonction nouvelle « d’école de la démocratie » aux fins d’exercer « une mission d’assistance auprès des États d’Europe centrale et orientale »189. En 185 Ibidem, pp. 99-100. 186 « Alors que la désagrégation du monde communiste se traduit par la réaffirmation des nations et la scission des États, la construction européenne peut apparaître comme un anachronisme », écrivit Marie-Hélène RENAUT, « De l’Europe carolingienne à l’Europe de Maastricht ou de l’européanisation des nations-États par le déclin du pouvoir législatif national », LPA, n°3, 5 janvier 1996, pp. 16-20. 187 Jean PETAUX, L’Europe de la démocratie et des droits de l’homme…, op. cit., p. 102. 188 Jean-François FLAUSS, « Les conditions d’admission des pays d’Europe centrale et orientale au sein du Conseil de l’Europe », EJIL, n°5, 1994, p. 402. L’auteur explique que la dégradation de l’ambiance à partir de 1993 résulte des rivalités entre ex-pays du bloc de l’Est. Ainsi, la Russie tenta de faire pièce à la candidature des pays baltes tandis que la Hongrie émettait des réserves à l’arrivée de la Slovaquie au Conseil. 189 Philippe CLARET, « Le Conseil de l’Europe : la politique du standard européen des droits fondamentaux », in Slobodan MILACIC (dir.), La démocratie constitutionnelle en Europe centrale et orientale : bilan et perspectives, Bruylant, 1998, pp. 58-59. L’expression « école de la démocratie » est également reprise par : Jean PETAUX, L’Europe de la démocratie et des droits de l’homme – L’action du Conseil de l’Europe, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2009, p. 38 ; Giuseppe DE VERGOTTINI, « Transitions constitutionnelles et consolidation de la démocratie dans les ordonnancements d’Europe centrale et orientale », in Jean DU BOIS DE GAUDUSSON (et al.) (dir.), Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation – Mélanges en l’honneur de Slobodan Mila- 38 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME confirmant que le Conseil était devenu la structure d’accueil privilégiée des nouvelles démocraties libérées du joug soviétique et en assumant pleinement leur politique d’ouverture, les États-membres ouvraient la voie à une nécessaire réforme du système de la Convention par l’instauration d’une « Cour unique » des droits de l’homme »190. Un temps, une régression des exigences démocratiques du Conseil à l’égard de ses membres éveilla des craintes, dans la mesure où certains PECO « ne répondaient qu’imparfaitement aux requis de l’Organisation »191. De l’avis de l’universitaire Philippe Claret, il n’en fut rien, bien au contraire : « loin de traduire un abaissement du standard constitutionnel et politique requis pour l’entrée dans l’organisation européenne, [l’adhésion] a été réalisée au contraire à partir d’un niveau d’exigence plus élevé que celui imposé jusqu’alors aux pays candidats »192. La réévaluation des critères minimaux imposés aux États candidats d’Europe centrale et orientale avant leur adhésion justifie ce point de vue. Pour prétendre à l’admission, chacun d’eux devait offrir la garantie d’un régime démocratique pluraliste, le respect des droits fondamentaux et la protection des minorités nationales tout en s’engageant à signer puis ratifier la Conv. EDH dans les plus brefs délais193. Seule la Biélorussie y échoua : elle n’entra jamais de plain-pied au Conseil de l’Europe et perdit même son rang d’invité spécial en 1997. Pour l’ancienne secrétaire générale (1989-1994) Catherine Lalumière, il avait été facile aux anciens États socialistes de rentrer au Conseil de l’Europe en limitant les conditions d’accès194. 49 - Le Conseil fut loin d’être avare en solutions pour permettre aux nouveaux candidats de résoudre leurs difficultés : il proposa l’instauration de tribunaux spéciaux des droits de cic, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 708. 190 Voir Déclaration de Vienne, 9 octobre 1993. Cet objectif sera concrétisé par l’adoption du Protocole n°11 à la Convention, STCE n°155, Strasbourg, 11 mai 1994. 191 Florence BENOÎT-ROHMER, « Conseil de l’Europe », préc., p. 190. 192 Philippe CLARET, « Le Conseil de l’Europe : la politique du standard européen des droits fondamentaux », préc., p. 59. Cette lecture positive n’est pas unanime. S’appuyant sur des déclarations de l’ancien secrétaire adjoint du Conseil de l’Europe Peter Leuprecht, Andrzej Drzemczewski estime plutôt que certains pays ont été admis alors même qu’ils ne satisfaisaient pas les exigences statutaires de l’organisation (Andrzej DRZEMCZEWSKI, « Le ‘‘monitoring’’ du Comité des ministres du Conseil de l’Europe : un aperçu de son évaluation », in Liberté, Justice, Tolérance – Mélanges en hommage au doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 707-708). Malgré cela, la CEDH n’a pas abaissé ses exigences à l’égard des nouvelles démocraties, de l’avis de Florence BENOÎT-ROHMER, « L’application de la Convention européenne des droits de l’homme dans les pays d’Europe centrale et orientale », préc., pp. 219-237 193 Philippe CLARET, « Le Conseil de l’Europe : la politique du standard européen des droits fondamentaux », préc., pp. 59-63. 194 « On leur a juste demandé de ratifier la Convention européenne des droits de l’homme et quelques autres grands textes fondateurs. Peut-être que la faiblesse structurelle du Conseil de l’Europe était devenue son atout numéro un : il n’est pas étonnant dès lors qu’il ait été en première ligne pour accueillir ces États. Ce fut sa force ! » (propos cités par Jean PETAUX, L’Europe de la démocratie et des droits de l’homme…, op. cit., p. 106). 39 INTRODUCTION GÉNÉRALE l’homme195 et s’intéressa à la formation des élites des pays en transition aux problématiques contemporaines196. Il mit également en place des programmes destinés aux anciens pays du bloc communiste, tels le programme Démosthène lancé en 1990 pour favoriser les premières réformes démocratiques, le programme Thémis, portant sur la refonte de leur sytème légal et judiciaire, ou encore le programme Local Democracy qui proposait une assistance pour le développement de la démocratie locale197. 50 - Par l’admission des PECO, le centre de gravité du Conseil de l’Europe venait de se déplacer au cœur du continent. Détail révélateur, le 29 décembre 1995 le nouveau bâtiment accueillant la CEDH était inauguré par le Président de la République tchèque Vacláv Havel198. L’accession de la Pologne au Conseil de l’Europe fut, aux yeux de son ancien secrétaire général (1994-1999) Daniel Tarschys, un événement doté d’une « force directrice », allant bien au-delà du symbole d’une transformation historique en cours199. Il est vrai que la Pologne avait été, avec la Hongrie, le précurseur de l’effondrement des régimes socialistes en Europe. Elle avait même été, quelques années auparavant, l’épicentre de la contestation populaire organisée à grande échelle avec la création du syndicat Solidarność. La confiance que lui accorda le Conseil de l’Europe dès 1991 récompensait un encrage européen profond, qui lui avait donné tout au long des siècles l’amour de la liberté et l’avant-goût de la démocratie200. 195 Par ex., la résolution (93)6 du Comité des ministres de 1993 a ouvert aux États non-membres la possibilité de recevoir l’assistance du Conseil de l’Europe pour la mise en place tribunaux spéciaux en matière de droit de l’homme. « L’idée de base était de permettre à un État qui a demandé l’adhésion […] de se doter aussitôt que possible d’un dispositif de mise en application de la Convention européenne des droits de l’homme avec un contrôle rapproché de celui auquel cet État se soumettrait après l’adhésion » (Hans-Peter FURRER, « L’exigence du Conseil de l’Europe face au problème des droits de l’homme, in Slobodan MILACIC (dir.), La démocratie constitutionnelle en Europe centrale et orientale…, op. cit., p. 79). 196 En 1992 sont créées sous l’égide du Conseil les Écoles d’études politiques, destinées à promouvoir la construction européenne, la citoyenneté, les défis de notre temps (environnement, lutte contre le terrorisme) et bien entendu les droits fondamentaux. La première école s’est ouverte à Moscou, une dizaine d’autres ont suivi dans des États d’Europe centrale, orientale et balkanique (Géorgie, Bulgarie, Kosovo, Bosnie, ex-République yougoslave de Macédoine, Moldavie, Serbie, Roumanie, Albanie, Ukraine, Azerbaïdjan…). Elles organisent des rencontres, séminaires et universités d’été à destination de la jeune élite politique de ces États et des respondables de la société civile (journalistes, enseignants, juristes…). À travers ce réseau, le Conseil de l’Europe souhaite accroître les chances d’enracinement de la démocratie (lire à ce sujet l’ouvrage de Denis ROLLAND (et al.), Construire l’Europe, la démocratie et la société civile de la Russie aux Balkans – Les Écoles d’études politiques du Conseil de l’Europe, Paris, L’Harmattan, 2011, 344 pages). 197 Denis HUBER, Une décennie pour l’Histoire…, op. cit., p. 24. 198 Ce chantier avait été officiellement lancé en mai 1992 sous le patronage de deux chefs d’États de l’Europe occidentale : la reine Élisabeth II et le président François Mitterrand (Robert BLACKBURN, « The Institutions and Process of the Convention », préc., p. 7). 199 « Accession of Poland to the Council of Europe was not only a symbol of a historical transformation but also a fact which was its driving force » (Propos rapportés à l’occasion de l’exposition marquant le 50e anniversaire du Conseil de l’Europe et présentée à l’Université de Varsovie en septembre 2011). 200 40 Il fallut plusieurs années supplémentaires à des États comme la Croatie (ratification du statut de Londres en LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME L’intérêt porté par la Pologne aux instruments conventionnels et aux programmes du Conseil de l’Europe fut immédiat. La prise en considération croissante de la Conv. EDH par les universitaires et les praticiens du droit a contribué à instaurer une culture favorable à la réception des arrêts de la CEDH dans l’ordre interne. § 2. LA POLOGNE ET LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 51 - Une fois déposée la candidature officielle d’un État pour devenir membre de l’organisation, conformément à ses statuts201, il appartient au Comité des ministres d’adopter la décision finale202. Celle-ci n’intervient qu’après l’avis de l’Assemblée Parlementaire, laquelle enquête sur la situation du pays candidat. Or, le cas de la Pologne a fait débat lorsque l’Assemblée étudia sa demande au cours la cession d’octobre 1990. Les parlementaires, tout en étant conscients du rôle déterminant joué par cet État dans la sortie pacifique du communisme, grâce aux élections semi-libres de 1989, lui reprochèrent de n’avoir pas encore organisé d’élections totalement libres. L’Assemblée émit finalement un avis favorable conditionné néanmoins à l’organisation de nouvelles élections législatives en 1991 ; elle plaça ces dernières sous la surveillance d’une délégation d’observateurs dépêchée par ses soins203. 52 - L’instrument majeur de l’organisation, la Conv. EDH, fut signé par le ministre des Affaires étrangères polonais le 26 novembre 1991 et moins d’un an s’est écoulé avant l’adoption par le Parlement de la loi autorisant sa ratification, le 2 octobre 1992. Comme il était d’usage depuis l’adhésion de la Finlande, du Liechtenstein ou encore de l’Espagne, c’est-à-dire avant même la réunification européenne, l’adhésion au Conseil de l’Europe des États candidats dépendait de l’engagement exprès de ratifier la Conv. EDH204. Cette dernière est entrée en vi- 1996), la Roumanie (1993), la Lettonie (1995), la Moldavie (1995) et bien sûr la Russie (1996) pour devenir membres du Conseil de l’Europe. 201 Statut du Conseil de l’Europe, préc., article 4 : le Comité des ministres est compétent pour inviter tout État à devenir membre du Conseil. Ces stipulations sont complétées par la résolution statutaire du Conseil adoptée en mai 1951 (8e session), laquelle entérine la pratique de la consultation préalable de l’Assemblée parlementaire avant toute décision portant sur l’invitation ou l’exclusion d’un État-membre. 202 Le Comité exerce une surveillance de la situation des droits de l’homme dans chacun des États dès la phase de la pré-adhésion et la poursuit ensuite, une fois ceux-ci devenus membres. Lire à ce sujet Andrzej DRZEMCZEWSKI, « Le ‘‘monitoring’’ du Comité des ministres du Conseil de l’Europe : un aperçu de son évaluation » préc., pp. 707-725. 203 Ass. CdE, avis n°154 relatif à la demande d’adhésion de la Pologne au Conseil de l’Europe, 1er octobre 1990. Lire à ce sujet Denis HUBER, Une décennie pour l’Histoire…, op. cit., pp. 41-42. 204 Cette condition supplémentaire à l’adhésion a été officialisée lors du Sommet de Vienne de 1993 (JeanFrançois FLAUSS, « Les conditions d’admission des pays d’Europe centrale et orientale au sein du Conseil de 41 INTRODUCTION GÉNÉRALE gueur sur le territoire polonais le 19 janvier 1993 et le droit de recours individuel est ouvert aux individus depuis le 1er mai de cette même année. La Pologne a ratifié l’ensemble des protocoles procéduraux et matériels à la Convention, à l’exception du protocole n°12 interdisant les discriminations en toutes circonstance et du procotole n°16 ouvrant aux hautes juridictions nationales la faculté de saisir la CEDH d’une question préjudicielle205. Enfin, la Pologne a pour particularité d’être l’État le plus peuplé des anciennes républiques satellites de l’Union soviétique qui applique la Conv. EDH. Ce n’est pourtant pas celui qui fut le plus souvent condamné devant la CEDH206. 53 - L’entrée en vigueur le 17 octobre 1997 de la nouvelle Constitution207 a permis de lever un obstacle à l’application directe de la Conv. EDH par les juridictions internes. Le texte constitutionnel de 1952 qui l’avait précédée était remarquablement évasif quant à la valeur juridique des conventions internationales ratifiées208. La Constitution de 1997 confère pour sa part une valeur infra-constitutionnelle mais supra-législative209 aux traités internationaux ratifiés par la loi210, à l’instar de la Conv. EDH. De surcroît, la lettre de cette Constitution est imprégnée des standards internationaux211 : son titre II sur les droits et libertés est largement l’Europe », préc., p. 408). 205 Protocole n°12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STCE n°177, Rome, 4 novembre 2000 ; Protocole n°16 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STCE n°214, Strasbourg, 2 octobre 2013. La Pologne ne les a pas même signés. 206 Le dernier rapport de la Cour publié à ce jour, celui pour l’année 2015, comptabilise 925 condamnations au total pour la Pologne mais la Roumanie, moins peuplée pourtant, atteint l 076 condamnations. La Pologne devance toutefois largement la Bulgarie (524), la Hongrie (388), la Slovaquie (300) et la République tchèque (183). Le rapport du nombre de requêtes par nombre d’habitants place la Pologne clairement en dessous de la moyenne basse des États d’Europe centrale : en 2015, la CEDH a attribué 0,57 requêtes pour 10 000 habitants à la Pologne contre 4,30 à la Hongrie, 2,32 à la Roumanie, 1,43 à la Bulgarie, 0,60 à la Slovaquie mais seulement 0,32 à la République tchèque (CEDH, Rapport annuel 2015 (version provisoire), préc., pp. 202-207). 207 Le texte avait été préalablement adopté par le Parlement le 2 avril 1997 puis approuvé par référendum, le 25 mai 1997. Il recueillit 52,7 % de votes favorables mais la grande déception provint du taux de participation, plutôt faible : 42,86 % de votants (Grzegorz GÓRSKI, Polonia Restituta…, op. cit., p. 227). 208 Piotr KORZEC, « Poland », in Leonard HAMMER, Frank EMMERT (dir.), The European convention on Human Rights and Fundamental Freedoms in Central and Easter Europe, Den Haag, Eleven International Publishing, 2012, p. 357. 209 Par comparaison, l’Autriche accorde à la Convention valeur constitutionnelle depuis une révision de sa Constitution en 1964. Ses dispositions sont d’application directe. En Allemagne, la Convention a valeur de législation fédérale : elle s’impose donc aux lois des Länder mais pas aux lois fédérales postérieures à son entrée en vigueur sur le territoire (Mark JANIS, Richard S. KAY, Anthony W. BRADLEY, European Human Rights Law : Text and Materials, New-York, Oxford University Press, 2008, pp. 849-853) 210 Cette place des traités internationaux dans la hiérarchie des normes est déduite des dispositions constitutionnelles, faute d’une formulation expresse. L’article 87 § 1 de la Constitution reconnaît les traités ratifiés comme « sources du droit obligatoires erga omnes ». L’article 188 qui fixe les compétences du Tribunal constitutionnel dispose que celui-ci statue sur « la conformité à la constitution des lois et des traités » et « la conformité des lois aux traités ratifiés dont la ratification exige l’autorisation préalable d’une loi ». 211 En Europe centrale et orientale, en raison du passé socialiste, les constitutions comprennent en règle générale des listes détaillées de droits et libertés protégés, qu’inspirèrent la Conv. EDH comme la DUDH. La Pologne n’y 42 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME inspiré par la Conv. EDH et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme212. Le Tribunal constitutionnel fait régulièrement référence à la Conv. EDH et aux arrêts de la CEDH, exprimant dès lors son souhait d’interpréter la Constitution à la lumière du droit européen213. 54 - Le droit interne reconnaît par ailleurs les effets de certains arrêts de la Conv. EDH lorsqu’ils se concluent par la condamnation de l’État pour l’inconventionnalité d’une procédure pénale. L’article 540 § 3 du Code de procédure pénale entré en vigueur le 1er septembre 1998 prévoit en effet la possibilité pour le requérant de demander le réexamen de son dossier214. Il dispose : « La procédure est rouverte en faveur de l'accusé quand un tel besoin résulte d'une décision d'un organisme international agissant en vertu d'un accord international ratifié par la République de Pologne ». 55 - De l’aveu du professeur Adam Zieliński, la Convention a néamoins souffert, dans les premières années de son application sur le territoire polonais, d’une certaine méconnaissance, même chez les professionnels de la justice, lesquels confondaient fréquemment les différents instruments internationaux de protection des droits fondamentaux. Plus positivement, l’administration polonaise a eu très tôt conscience de la nécessité pour la Pologne de s’intégrer dans les structures européennes, ce qui passait par la prise en compte des standards européens215. Par bonheur, la considération des juristes polonais pour l’étude de la Conv. EDH et son invocation à l’occasion d’un contentieux n’a cessé de croître depuis 1993216, ce fait pas exception (Jörg POLAKIEWICZ, « The Status of the Convention in National Law », in Robert BLACKBURN, Jörg POLAKIECZ (dir.), Fundamental rights in Europe – The ECHR and its member states 1950-2000, Oxford, Oxford Press University, 2001, p. 46). 212 Déclaration Universelle des droits de l’homme, résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies n°217 (III), Paris, 10 décembre 1948. 213 Voir par ex. les jugements TCP, n°SK 10/00, 2 avril 2001, OTK ZU, 2001, n°3, texte 52 (alors qu’il contrôle la conformité de dispositions du Code de procédure pénale, le Tribunal évoque les articles 6 et 13 de la Conv. EDH) ; TCP, n°P 4/04, 7 septembre 2004, OTK ZU, 2004, n°8A, texte 81 (le Tribunal mentionne plusieurs arrêts de la CEDH relatifs au droit d’accès à un tribunal, not. l’arrêt Golder c. Royaume-Uni ([GC], n°4451/70, 21 février 1975, Série A, n°18). 214 Il s’agit d’une solution encouragée à partir de 2000 par le Comité des ministres pour exécuter les arrêts de la CEDH. Voir Com. Min., Recommandation n°R(2000)2 aux États membres sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 19 janvier 2000, 694e réunion des délégués, § 5. 215 Adam ZIELIŃSKI, « L’application des standards européens de protection des droits de l’homme – Expériences polonaises », in Philippe CHAUVIN, Mirosław WYRZYKOWSKI (dir.), Contrôle de l'administration en France et en Pologne (actes du colloque des 4 et 5 mai 1998), Varsovie, Biblioteka Studia Iuridica, 1999, pp. 153-157. 216 Małgorzata Ulla a souligné l’imprégnation des valeurs de la Conv. EDH et de leur interprétation par la CEDH au sein des chaires universitaires et de la doctrine, son intégration à la formation des magistrats et sa prise en compte par le juge constitutionnel polonais à travers la problématique de la lustration. Voir Małgorzata ULLA, « La CEDH – Un accélérateur des réformes démocratiques en Pologne », Annuaire de droit européen – Volume VI, 2008, Bruylant, Bruxelles, 2010, pp. 1077-1089. Andrzej Drzemczewski a cité en exemple le Tribunal constitutionnel polonais (ou encore la Cour constitutionnelle slovaque) pour évoquer l’inspiration donnée par la Con- 43 INTRODUCTION GÉNÉRALE qui est observable chez d’autres signataires récents de la Convention, telle la Roumanie217. L’ancien Bureau d’information du Conseil de l’Europe à Varsovie expérimenta entre septembre 2004 et mars 2009 la consultation d’une avocate formée aux problématiques de la Conv. EDH. Celle-ci délivrait des conseils et de la documentation aux requérants potentiels ou actuels devant la CEDH, les sensibilisant notamment aux critères de recevabilité218. Il s’agissait vraisemblablement d’un effort entrepris pour rompre avec une certaine vision mythifiée de la Cour, sorte de « Robin des Bois » aux yeux du justiciable polonais219. Il faut ajouter à cette oeuvre générale de promotion de la Convention les initiatives du ministère de la Justice, qui assura très tôt la traduction et la diffusion de tous les arrêts importants de la CEDH rendus à l’égard de la Pologne. Il a contribué à rendre accessible au grand public le droit de la Convention. En cela, le gouvernement polonais se conformait à une recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe220. Désormais, le volume de publications de cours universitaires et de commentaires ainsi que le niveau d’enseignement concernant la Conv. EDH est comparable, en Pologne, à ce qu’ils sont dans des pays comme la France ou l’Allemagne, selon le nouveau Défenseur des droits civiques Adam Bodnar221. Or, en Pologne, la doctrine représente plus que la simple interprétation du droit : elle influence notoirement celui-ci parce que de nombreux juges des hautes juridictions (Cour suprême, Tribunal constitutionnel) sont des professeurs de droit222. 56 - Le 17 mai 2007, en Conseil des ministres, le gouvernement a adopté un plan d’action vention aux juridictions internes (Andrzej DRZEMCZEWSKI, « Quelques réflexions sur l’autorité de la chose interprétée par la Cour de Strasbourg », in La Conscience des droits – Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, Paris, Dalloz, coll. « Études, mélanges, travaux », 2011, p. 246). 217 Lire à ce sujet Bogdan RAILEANU, « La Roumanie et l’intérêt pour le droit de la Convention européenne des droits de l’homme », Annuaire de droit européen, vol. 6, 2008, pp. 1103-1111. Après la révolution roumaine, la doctrine ignorait les standards portés par la Convention. Ceux-ci ne sont devenus un sujet d’étude qu’à partir des premières requêtes contre la Roumanie et, par la suite, les universitaires ont pris une part active dans la diffusion de la connaissance de ce droit, avec les professions juridiques elles-mêmes. À partir de 1994, la Cour constitutionnelle roumaine a mentionné la jurisprudence de la Cour de Strasbourg dans ses décisions pour guider l’interprétation des droits protégés par sa Constitution. 218 Lire à ce sujet Katarzyna LAKOMA, « The Warsaw Lawyer. A Pilot project of the European Court of Human Rights », in Pilot Judgment Procedure in the European Court of Human Rights - 3rd Informal Seminar for Government Agents and other Institutions, Varsovie, Kontrast, 2009, pp. 212-224. 219 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: The Popularity of the Convention in Poland », EHRLR, n°4, 2004, p. 413. 220 Com. Min., Recommandation Rec(2002)13 du Comité des ministres aux États membres sur la publication et la dissémination dans les États membres du texte de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, 18 décembre 2002, 822e réunion des délégués. 221 222 Entretien avec Adam Bodnar, Varsovie, 29 mai 2015. C’est le constat du juriste français Philippe Chauvin, directeur de l’école de droit français à l’Université de Varsovie (Entretien avec Philippe Chauvin, Varsovie, 17 novembre 2011). 44 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME pour améliorer l’exécution des arrêts rendus par le juge de Strasbourg. Intitulé « Programme du gouvernement pour l’exécution des arrêts de la CEDH concernant la Pologne », il contenait des propositions pour conformer le droit interne au droit de la Convention, surveiller la préparation des projets de loi destinés à exécuter les arrêts de la Cour et à évaluer cette exécution de ces arrêts. Il a été préparé par un groupe de travail au sein du ministère des Affaires étrangères auquel se sont joints des représentants des autres ministères et des services du Premier Ministre. À l’été 2012, un rapport-bilan sur la mise en oeuvre des mesures du Programme a été publié. Il résume les avancées législatives accomplies pour répondre aux arrêts de la CEDH et comprend un ensemble de graphiques et tableaux statistiques223. Ces mêmes données se retrouveront dans les différents bilans d’action transmis au Comité des ministres du Conseil de l’Europe dans le cadre de son activité de suivi des arrêts de la Cour. 57 - En décembre 2009, le ministère de la Justice dota son administration d’un département des droits de l’homme subdivisé en unités. L’une d’elles (unité n°2) a été chargée des affaires portées devant la CEDH. Sa mission est de préparer la position défendue par le gouvernement sur ces affaires. L’opinion élaborée est par la suite transmise à l’agent du gouvernement polonais auprès de la Cour, mais elle demeure un avis d’experts facultatif. Le gouvernement décide en dernier ressort de sa ligne de défense devant la CEDH224. En avril 2012, le Parlement polonais a décidé de l’instauration d’un comité de suivi de l’exécution des arrêts de la CEDH, en collaboration étroite avec le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Justice225. Cette initiative s’inscrit dans la droite ligne de la résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative aux parlements nationaux226. 223 Sprawozdanie z realizacji Programu Działań Rządu w sprawie wynywania wyrokywania wyroków Europejskiego Trybunału Praw Człowieka wobec Rzeczypospolitej Polskiej za okres 07.2008 – 07.2012 [Rapport sur la mise en œuvre du Programme du gouvernement pour l’exécution des arrêts de la CEDH concernant la Pologne pour la période juillet 2008-juillet 2012], Varsovie, 7 juillet 2012. 224 Entretien avec Szymon Janczarek (alors à la tête de l’unité chargée des affaires portées devant la CEDH au sein du ministère de la Justice), Varsovie, 22 novembre 2011. 225 Andrzej DRZEMCZEWSKI, « Recent parliamentary initiatives to ensure compliance with Strasbourg Court judgments », in Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, David SZYMCZAK, Sébastien TOUZÉ (dir.), L’Homme et le droit – En hommage au professeur Jean-François Flauss, Paris, Editions A. Pedone, coll. « Mélanges », p. 302. Il faut ajouter que le Bureau des études et des expertises techniques de la Diète et son équivalent dans la haute assemblée, le Bureau des études et des analyses de la Chancellerie du Sénat, interviennent au cours de la phase des travaux parlementaires pour exercer une sorte de contrôle de conformité de la loi à la Conv. EDH. Non systématique cependant, ce contrôle permet de s’assurer de la compatibilité du droit interne avec les exigences européennes, tout du moins de soulever des questions quant à cette compatibilité. 226 Ass. CdE, Résolution 1823(2011), Les parlements nationaux : garants des droits de l’homme en Europe, 23 juin 2011. Dans ce document, le constat du manque d’implication des parlements dans le suivi de l’exécution des arrêts de la CEDH est posé. L’Assemblée, au regard des compétences et de la situation privilégiée de ces organes, les invite à prendre une part plus active dans le processus d’exécution et, de manière générale, dans le développement des droits de l’homme. Cette résolution avait été précédée par une recommandation de 2006 par 45 INTRODUCTION GÉNÉRALE 58 - Au-delà de l’estime portée au texte par les professionnels du droit à la Conv. EDH, dans quels domaines en particulier la CEDH a-t-elle pu imposer directement un changement du droit interne pour l’aligner sur les standards européens ? Les résultats des présents travaux doivent fournir un élément de réponse à la nouvelle problématique qui a intéressé le Conseil de l’Europe à partir de 1989 : assister ses membres dans leur démocratisation. Cette seconde dimension de l’étude de la réception polonaise se situe donc au-delà des frontières du pays. Vu de la Cour, institution phare de l’Europe des Quarante-sept, l’apprentissage de la démocratie libérale a-t-il été facilité, accéléré ou même directement induit par le Conseil de l’Europe ? Si le Conseil de l’Europe reste essentiellement une organisation internationale de coopération, l’œuvre de la CEDH participe d’un « dépassement de l’approche purement coopérative »227 tant elle est dynamique et fait autorité pour les États. En acceptant de ratifier la Conv. EDH et de se soumettre à la juridiction de la Cour, ceux-ci renoncent bien à une part de leur souveraineté228. L’expérience assez positive de la Pologne avec la CEDH ne saurait être établie, à l’évidence, en vérité générale mais elle livre des clefs essentielles pour situer le véritable rôle de la CEDH dans l’évolution du droit des jeunes démocraties de l’Europe centrale après 1989. Intimement lié à la question du succès du Conseil de l’Europe dans son œuvre pédogique auprès des anciens États socialistes l’ayant rejoint après 1989, le constat de l’achèvement de la transition démocratique est le dernier intérêt d’une étude portant sur la réception des arrêts de la CEDH en Pologne. III. UN BILAN DE LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE POLONAISE Un troisième et dernier niveau d’analyse doit conduire, à partir des spécificités de la réception polonaise, à prendre la mesure de la qualité de la transition. L’exercice consistant à déterminer le moment exact où s’est déclenchée la transition démocratique en Pologne est laquelle l’Assemblée intimait au Comité des ministres de promouvoir auprès des États la création si nécessaire de mécanismes au niveau des gouvernements et des parlements pour garantir la mise en œuvre prompte et efficace des arrêts de la CEDH (Ass. CdE, Recommandation 1764(2006), Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, 2 octobre 2006). 227 Jean-Sylvestre BERGÉ, Sophie ROBIN-OLIVIER, Droit Européen, op. cit., p. 73, § 108. 228 Ibidem, p. 438, § 586. 46 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME délicat. Mais qu’il se situe aux premières marques de désintégration du régime socialiste ou lors de l’ouverture des négociations officielles avec l’opposition en 1989, l’existence d’une transition démocratique en Pologne est acquise (§ 1). Est-elle achevée ? L’état des libertés, que reflète la jurisprudence de la CEDH, fournit un élément de réponse essentiel (§ 2). § 1. L’EFFONDREMENT DU RÉGIME SOCIALISTE : L’AMORCE D’UNE TRANSITION 59 - Le déclenchement de l’état martial le 13 décembre 1981 en réaction aux grandes grèves ouvrières de 1978-1981 apparaît rétrospectivement comme le prodrome de l’effondrement du régime populaire polonais. Dissimulé derrière d’épais verres fumés, le regard du général Jaruzelski ne manquait point de lucidité sur la situation économique, politique et sociale du pays. La réaction brutale de 1981 hante la mémoire des Polonais et celle des citoyens occidentaux solidaires qui observèrent, impuissants, l’Europe socialiste dévoiler son vrai visage, toute propagande devenue désuète. Image en trompe-l’œil des dernières années de la Pologne socialiste, elle en ferait oublier la libéralisation amorcée par Wojciech Jaruzelski lui-même. Succédant à la suspension de l’état martial le 22 juillet 1983229, la création d’une juridiction constitutionnelle230, d’une Cour administrative suprême231 et d’un ombudsman constituèrent les réformes emblématiques d’un tournant politique comme d’une révolution juridique. L’attribution officielle, en mars 1989, de la responsabilité du massacre de Katyń à l’URSS de Staline est également à mettre au crédit du gouvernement du général Jaruzelski232. 60 - La décennie 1980 s’est conclue par l’organisation de la Table ronde ouverte à 229 Il faut y ajouter la fermeture des centres d’internement dès décembre 1982 (Stéphane COURTOIS (et al.), Le Livre noir du communisme, op. cit., p. 453). 230 L’ouverture du Tribunal constitutionnel était en soi une entorse au dogme, le grand juriste socialiste Viktor Diablo ayant rejeté dès 1925 tant le modèle américain que le modèle européen du contrôle de constitutionnalité. (Marie-Elisabeth BAUDOIN, « Justice constitutionnelle et État post-soviétique », Clermont-Ferrand, Presses Universitaires de la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand – LGDJ, 2005, pp. 9-11). Très vite, le Tribunal constitutionnel polonais a endossé le rôle de contre-pouvoir qui permit d’imposer l’idée que les normes constitutionnelles s’imposaient aux pouvoirs institués. De nombreuses décisions ont abouti à l’annulation d’actes infralégislatifs adoptés par le Conseil des Ministres (Jean-Pierre MASSIAS, « La justice constitutionnelle dans la transition démocratique postcommuniste », in Slobodan MILACIC (dir.), La démocratie constitutionnelle en Europe centrale et orientale…, op. cit., pp. 117-176). 231 Ustawa z dnia 31 stycznia 1980 r. o Naczelnym Sądzie Administracyjnym oraz o zmianie ustawy - Kodeks postępowania administracyjnego [Loi du 31 janvier 1980 sur la Cour administrative suprême et portant modification de la loi sur le Code de procédure administrative], Dz. U. n°4, texte 8, pp. 25-46. 232 Article « 1988-1991, l’effondrement du système communiste mondial », in Stéphane COURTOIS (dir.), Dictionnaire du communisme, op. cit., p. 56. 47 INTRODUCTION GÉNÉRALE l’opposition politique et syndicale233. Aucun des acteurs, réunis autour de la fameuse table ne se doutait pourtant de l’ampleur du changement qui s’annonçait234. Usé et impopulaire, le pouvoir socialiste fut terrassé au moment où il eut la faiblesse de s’ouvrir au dialogue. Les négociations ont permis à la Pologne d’évoluer sans soubresaut. Ce qui devait être un relâchement salvateur du dogme et un partage du pouvoir fondé sur le compromis235 a conduit vers une transition démocratique totale, devenue inévitable après le résultat des élections des 4 et 18 juin 1989236. L’opposition conquit 99 des 100 sièges du Sénat. Elle obtint 160 sièges (l’intégralité du quota qu’elle avait négocié) des 460 sièges de la Diète. Le taux d’abstention fut de 40 % néanmoins. La Pologne entrait alors dans ce que le professeur Slobodan Milacic a qualifié de « cycle diachronique : révolution, transition, consolidation »237. 61 - Le sociologue américain Daniel Chirot a remarquablement synthétisé l’ensemble des causes qui menèrent à la dislocation du bloc de l’Est : échec de l’économie socialiste et pénuries ; endettement dans des États comme la Pologne et la Hongrie ; rupture des intellectuels avec le communisme après la désillusion du Printemps de Prague ; émergence d’une société civile ; corruption généralisée ; abandon par Gorbatchev de toute menace d’intervention militaire soviétique en cas de réformes libérales dans les États satellites ; mort de l’utopie collectiviste. Pour le cas particulier de la Pologne, il faut encore ajouter l’alliance de circonstance nouée entre les ouvriers, les intellectuels dissidents et l’Église catholique à partir des années 1970238. Leszek Kolakowski ne considère pas qu’une cause ait pu l’emporter sur les autres et devenir déterminante. C’est en quelque sorte un alignement favorable des planètes qui a per- 233 Cette réunion fut ouverte à l’opposition, sans condition préalable et sans ordre du jour défini à l’avance, conformément aux déclarations télévisées du ministre de l’Intérieur, le général Czesław Kiszczak (1925-2015), faites le 26 août 1988 (Daniel Beauvois, La Pologne, op. cit., p. 453). 234 Ni Jaruzelski, ni son gouvernement, pas même les représentants de Solidarność n’envisageaient à l’ouverture de la négociation qu’il en résulterait la chute rapide du régime socialiste. Lire à ce sujet Jacqueline HAYDEN, The Collapse of Communist Power in Poland, London/New York, Routledge, 2006, 178 pages. 235 Voir Arend LIJPHART, « Democratization and constitutional choices in Czecho-Slovakia, Hungary and Poland 1989-91 », Journal of Theoretical Politics, vol. 4, n°2, pp. 207-223. Lijphart reprend et étend à l’Europe centrale et orientale l’analyse de Stein Rokkan, pour qui le choix de s’appuyer sur le bicamérisme avec une chambre où la concurrence est limitée, ainsi que le choix d’un régime semi-présidentiel, ressortissent à la logique du compromis, le gouvernement autoritaire présumant ainsi de ses capacités à garder la main sur le régime tout en l’ouvrant à l’opposition. 236 Le pouvoir en place aurait commis la maladresse de choisir pour ces élections semi-libres un mode de scrutin majoritaire qui lui était particulièrement défavorable, induit en erreur par une surestimation du support populaire dont il bénéficiait encore (Jacqueline HAYDEN, The Collapse of Communist Power in Poland, op. cit., pp. 135137). 237 Slobodan MILACIC, « Exposé d’ouverture : vers l’Europe par la démocratie interne », in Slobodan MILACIC (dir.), La démocratie constitutionnelle en Europe centrale et orientale…, op. cit. p. 17. 238 Daniel CHIROT, « What happend in Eastern Europe in 1989? », in Vladminir T ISMANEANU (dir.), The Revolutions of 1989, op. cit., pp. 19-50. 48 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME mis, quasi-accidentellement, les bouleversemenrs politiques de 1989239. Les changements de régimes survenus en Europe centrale et orientale s’inscriraient dans le cadre de la « troisième vague » des démocratisations du XXe siècle identifiées par le politologue américain Samuel Huntington240. Toutefois, cette analyse a ses détracteurs, comme le montrent les travaux de Guy Hermet. Pour ce dernier, l’histoire contemporaine aurait comporté huit grands mouvements de démocratisation241, l’implosion du monde socialiste représentant la septième. À peine le sud de l’Europe (Espagne, Grèce, Portugal) eut-il accompli sa transition politique que le continent se trouvait à nouveau confronté à la problématique de la chute collective de régimes non démocratiques et économiquement très fragiles. 62 - Le concept de transition démocratique lui-même n’a pas été exempt de critiques, puisqu’il suppose une transformation qui mènerait nécessairement vers la démocratie, à travers la succession logique d’étapes prédéterminées, en dépit des différences d’ordres politique, culturel, historique et juridique dans les États concernés242. Se borner à cette observa- 239 Leszek KOLAKOWSKI, « Amidst moving ruins », in Vladminir TISMANEANU (dir.), The Revolutions of 1989, op. cit., pp. 51-62 240 Samuel P. HUNTINGTON, The Third Wave – Democratization in the Late Twentieth Century, Norman, University of Oklahoma Press, 1993, 366 pages. Pour Huntington, la première vague de démocratisation a longuement déferlé (de 1828 à 1926) à la suite des révolutions américaine et française et concerne essentiellement l’Europe et le continent américain. La seconde vague a touché les mêmes pays (à l’exception des États baltes), après la régression connue dans l’entre-deux-guerres, mais s’est étendue à un certain nombre de régions africaines, asiatiques ou du Proche-Orient sous l’effet, notamment, de la décolonisation (1943-1962). Enfin, la troisième vague débuterait en 1974 avec le déclenchement de la Révolution des Œillets au Portugal, traversant principalement l’Europe du Sud, l’Amérique du Sud, pour s’achever au pied du mur du Berlin, avec la chute de l’Europe communiste en 1989-1990. L’ensemble des continents serait en réalité touché par une progression du fonctionnement démocratique des régimes au cours de cette dernière période (pp. 15-26). Il est loisible de s’interroger, toutefois, sur la cohérence de cette analyse. Si des coïncidences temporelles évidentes plaident en faveur d’une telle typologie, la lecture des événements n’en ressort pas forcément facilitée puisque des transitions à partir de systèmes politiques bien différents s’opèrent. La troisième vague de démocratisations regroupe ainsi dictatures militaires sud-américaines, régimes autoritaires conservateurs européens et régimes post-totalitaires européens. Ceci est d’autant plus étonnant qu’Huntington insiste préalablement sur la distinction de nature entre les régimes autoritaires traditionnels et le totalitarisme (pp. 12-13). 241 Hermet situe la première vague de démocratisations aux États-Unis, sous la présidence d’Andrew Jackson, de 1829 à 1837 et la dernière dans les pays du Moyen-Orient bouleversés par la politique américaine de l’ère Bush (Afghanistan, Irak). Voir Guy HERMET, L’hiver de la démocratie ou le nouveau régime, Paris, Armand Colin, 2007, pp. 127-156. Faudra-t-il à l’avenir voir une nouvelle vague à travers le « Printemps arabe » (Égypte, Lybie, Tunisie, Yémen) survenu en 2011 ? 242 Voir not. Isabelle MICHEL, « Le Paradigme de la transition : chronique d’une fin annoncée – Le cas de l’Europe centrale et orientale », REPCEE, 2006, numéro spécial, pp. 25-34 ; Christian BIDÉGARAY, « Réflexions sur la notion de transiton démocratique en Europe centrale et orientale », Pouvoirs, n°65, 1993, pp. 129-144. Pour le professeur Bidégaray, la notion de transition démocratique est « équivoque » et elle lui paraît même « conceptuellement dangereuse, car véhiculant l’idée d’une progression linéaire fort discutable » (p. 130). Il souligne les difficultés entraînées par la distinction entre transition et consolidation (identification du point de départ de la transition, détermination du passage de la transition à la consolidation, impossibilité d’expliquer les phases de régression, etc.) (pp. 133-135). En Europe centrale, la création d’un État de droit est d’autant plus difficile que l’État a été « dévalorisé (simple courroie de transmission entre le Politburo et la société) et pratiquement identifié au parti unique » (p. 142). 49 INTRODUCTION GÉNÉRALE tion serait ainsi faire une lecture trop orthodoxe des pistes que propose la transitologie pour comprendre et analyser les bouleversements globaux rencontrés après la chute d’un régime. 63 - Une seconde difficulté est apparue, liée au champ d’étude de la transition. Lorsqu’un État connaît la transformation d’un régime non-démocratique vers le pluralisme libéral, ce n’est pas le droit seul qui se trouve soumis à des transformations radicales, matérielles et idéologiques. La société dans son ensemble entame une période de grands bouleversements : le rapport au commerce, la conception de l’économie243 évoluent, la société se régénère. Le professeur Jean-Pierre Massias a identifié trois piliers de la transition : la transition politique, la transition économique et la transition sociale, chacune d’elles suivant son propre rythme244. Dans le cadre d’une étude juridique de la transition, la prise en considération des trois piliers est essentielle puisque le droit irrigue l’ensemble de la société, ses règles définissant le fonctionnement des institutions publiques comme celui du système économique et social. Une fois engagée la transition, il appartient au juriste de rechercher les éléments qui peuvent permettre de se prononcer sur l’achèvement ou non de la phase transitionnelle. Le développement des droits fondamentaux rejoint naturellement la transition économique et sociale puisque ces droits accompagnent en réalité les mutations sociales dont ils deviennent la traduction. § 2. LES CRITÈRES DE L’ACHÈVEMENT DE LA TRANSITION 64 - Qu’en est-il du temps de la transition ? Quelle période de l’histoire de l’État doit-elle être considérée comme transitoire ? La transition est avant tout un passage, une période progressive entre un avant (l’État non-démocratique) et un après (l’État démocratique)245. Non uniforme, elle est marquée par deux grandes phases qui, sous l’angle du droit constitutionnel, correspondent à la période déconstituante et à la période reconstituante246. La première, que 243 La Pologne a fait le choix de l’économie de marché, grandement influencée par les thèses de la fameuse École de Chicago. Jeffrey Sachs, discipline de Milton Friedman, a travaillé comme conseiller auprès de Solidarność et il fut l’auteur, avec David Lipton, du projet de transition de l’économie polonaise. Celui-ci fut mis en œuvre par le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque Leszek Balcerowicz. Lire à ce sujet Noami KLEIN, La Stratégie du choc, Paris, Leméac – Actes Sud, 2008, pp. 217-221. 244 Jean-Pierre MASSIAS (dir.), Droit constitutionnel des États d’Europe de l’Est, 2e édition, Paris, PUF, Coll. « Droit fondamental », 2008, p. 8. 245 Ibidem, p. 7. 246 Ibid., p. 19. 50 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME couronne l’abrogation de la Constitution alors en vigueur, est associée au démantèlement des institutions de l’ancien régime. La seconde – qui lui succède en principe mais peut coïncider avec elle – correspond à l’élaboration et à l’adoption d’un nouveau texte fondamental destiné à mettre en place un système institutionnel démocratique. L’adoption sur le papier de nouvelles procédures démocratiques ne sauraient être pour autant le point final de la démocratisation, du changement de régime247. Une phase de consolidation248 est rendue nécessaire et débute logiquement lorsque la démocratie a été formellement rétablie. Dit autrement, la démocratie doit vivre, se développer, se renforcer et surtout se stabiliser, sous l’action de différents acteurs, au premier rang desquels les partis politiques mais encore toutes les autres institutions et forces de la société249. L’étape de la consolidation démocratique « a pour objet de concrétiser et de rendre effectifs les principes contenus dans la Constitution » pour aboutir in fine « à un stade de démocratie effective – on parle de ‘‘démocratie avancée’’ – qui seule met un terme au processus transitionnel », analyse le professeur Massias250. Cette définition intègre clairement la consolidation au sein du procès global de transition, dont elle est l’étape ultime. 65 - En Pologne, la phase reconstituante de la transition s’est déroulée en deux temps : un texte provisoire surnommée « Petite Constitution »251 a d’abord été adopté, laissant temps et réflexion pour l’élaboration de la véritable Constitution qui, en 1997, installa la IIIe République polonaise. Une coïncidence plutôt heureuse situe la fin de la transition institutionnelle avec les premiers rapports rendus par la Commission européenne des droits de l’homme 247 Nicolas GUILHOT, Philippe C. SCHMITTER, « De la transition à la consolidation – Une lecture rétrospective des democratization studies », RFSP, vol. 50, n°4-5, 2000, p. 619. 248 Laquelle « ne semble pas davantage faire l’unanimité que la transition » (Isabelle MICHEL, « Le Paradigme de la transition : chronique d’une fin annoncée… », préc., p. 30) en raison du manque de critères établissant la stabilisation du régime. 249 Pour certains théoriciens de la consolidation, cette dernière devrait être conçue « comme l’extension de pratiques démocratiques […] au-delà de la sphère étroite des partis politiques et des relations entre l’exécutif et le législatif. Dans cette perspective, la consolidation ne serait pas seulement le processus de stabilisation d’un unique arrangement politique du type ‘‘libéral-compétitif’’, mais aussi un processus de transformation continue qui n’exclurait pas d’autres extensions – politique, sociale ou économique – de la citoyenneté » dans le but de mieux expliquer le processus de stabilisation (Nicolas GUILHOT, Philippe C. SCHMITTER, « De la transition à la consolidation… », préc., p. 627). 250 Jean-Pierre MASSIAS (dir.), Droit constitutionnel des États d’Europe de l’Est, op. cit., p. 27. La démocratie dite « avancée » constitue le troisième stade de la consolidation dans la terminologie d’Andrea Shedler, lequel identifie démocratie électorale, démocratie libérale et démocratie avancée. 251 Mała konstytucja. Il s’agit d’une allusion directe à la « Petite Constitution » de 1919, qui mit en place un régime d’assemblée, républicain, dans l’attente de la rédaction de la futur Constitution (achevée en 1921) de la Pologne indépendante (Tomasz NAŁĘCZ, « La renaissance et la consolidation de la Pologne indépendante », préc., p. 64). Des textes institutionnels provisoires, eux-aussi surnommés « Petite constitution », avaient été rédigés en 1947 (Michel LESAGE (dir.), Constitutions d’Europe centrale, orientale et balte, Paris, La Documentation française, 1995, p. 150). 51 INTRODUCTION GÉNÉRALE (Com. EDH) et surtout avec les premiers arrêts de la CEDH à l’égard de la Pologne252. L’intervention de la Cour de Strasbourg se conjugue parfaitement avec le commencement de la consolidation démocratique, qu’en 2001 le professeur Slobodan Milacic reconnaissait comme entamée dans les États du groupe de Visegrad253. 66 - L’inévitable question des critères par lesquels doit être déterminée la démocratie stabilisée vient à se poser. Coïncidant nécessairement avec l’arrivée à son terme de la consolidation, la transition s’achèverait lorsque serait fait le constat de la stabilité. Pour Michel Lesage, il faut savoir allier stabilité et démocratie puisque la seconde reste susceptible de disparaître si la première n’est pas garantie254. Raymond Aron estimait acquise la stabilité lorsque la démocratie « est acceptée comme légitime par la masse de la population et qu’elle atteint à une efficacité suffisante » (compétition électorale, majorité stable qui se dégage des élections, incarnation de la volonté commune par les élus), encore faut-il que la « compétition organisée […] suppose une minimum d’accord entre les rivaux sur les règles du jeu » (avec possibilité de recours à la force contre la minorité récalcitrante, si besoin)255. 67 - La définition même de la démocratie alimente bien des débats puisque tout régime démocratique demeure par essence perfectible et tend à la recherche d’un fonctionnement toujours plus démocratique sans pouvoir engendrer la chimère du système politique idéal256. L’évolution de la démocratie vers son inaccessible perfection est semblable à l’asymptote condamnée à tendre indéfiniment vers le point zéro, hors d’atteinte. Et si la démocratie peut 252 Le tout premier arrêt prononcé par la Cour a été rendu dans l’affaire Proszak le 16 décembre 1997 (CEDH, Proszak c. Pologne, n° n°25086/94, 16 décembre 1997, Rec. 1997-VIII) et s’est soldé par le constat de nonviolation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH. L’ancienne Com. EDH a quant à elle rendu son premier rapport concernant la Pologne en 1996 (Com. EDH, Gibas c. Pologne, n°24559/94, 4 septembre 1996 ; violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH). 253 Hongrie, Pologne et République tchèque, au contraire des États d’Asie centrale selon l’auteur (Slobodan MI« L’État de droit postcommuniste à contre-temps entre les urgences politiques et les récurrences culturelles », in Patrick Rambaud (dir.), Mélanges Paul Sabourin, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 260). LACIC, 254 « J’ai toujours considéré qu’il devait y avoir un rapport direct entre la démocratie et la stabilité. La stabilité est aussi importante que la démocratie, car l’instabilité en période de transition est toujours une menace pour la démocratie. Il faut donc combiner les deux. » (Michel LESAGE, « Les nouvelles configurations des exécutifs », in Slobodan MILACIC (dir.), La démocratie constitutionnelle en Europe centrale et orientale…, op. cit., p. 94). 255 256 Raymond ARON, Essai sur les libertés, Paris, Hachette, Coll. « Pluriel », 1998, pp. 139-140. Dans la conclusion de son ouvrage de droit constitutionnel, Joël Mekhantar déplore l’usage qui consiste à qualifier de démocratie « les systèmes politiques occidentaux où l’on ne voit pourtant au mieux, guère autre chose qu’une mise en forme de cette théorie vieillotte du gouvernement représentatif », comme si, finalement, il était admis que la démocratie directe et donc idéale était impossible : « L’idée de représentation a supplanté partout l’idéal démocratique. Pire on n’imagine plus qu’il ne puisse y avoir de Démocratie autre que représentative ». Aussi, l’auteur en appelle à recourir à des formes renouvelées de débats et de participation directe des citoyens à la vie publique, notamment grâce aux technologies modernes, pour en finir avec ce qu’il nomme « la volonté générale sous curatelle » (Joël MEKHANTAR, Droit politique et constitutionnel, Paris, Éditions Eska, 1997, pp. 667-668). 52 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME être stabilisée, elle n’est jamais pleinement sécurisée. Les « vieilles » démocraties parlementaires occidentales ne connaissent-elles pas actuellement des turbulences multifactorielles (crises politique, économique, financière et monétaire, terrorisme, défiance envers les partis exerçant traditionnellement le pouvoir, montée des communautarismes et du populisme, flux migratoires liés aux conflits frontaliers…) ? Il est toujours possible de tenter d’évaluer la stabilité d’un régime politique au regard de son fonctionnement des dernières années voire des dernières décennies, toujours acceptable de l’estimer délivré d’une menace imminente ou prévisible. Tout retour en arrière ne peut être exclu malgré cela257 quoique la démocratie libérale tendrait à se renforcer et à devenir, sur le long terme, le régime politique universel, selon le philosophe Francis Fukuyama258. Un ensemble de facteurs explique la propension des jeunes démocraties à l’instabilité et la nécessité de ne pas considérer trop hâtivement la fin de la transition : cohabitation des anciens responsables du régime déchu et de leurs victimes, réflexes sociologiques acquis sous le régime totalitaire ou autoritaire, absence ou insuffisance de culture démocratiques dans le corps électoral, etc. Lorsque l’État en transition est à même de réguler ces contradictions, alors la stabilisation paraît accomplie à l’achèvement de la période de consolidation, même si « en matière de démocratie comme en matière de droits de l’homme, il n’y a jamais d’acquis définitif »259. 68 - La Pologne est-elle aujourd’hui sortie de la transition en réussissant l’épreuve de la consolidation démocratique ? Ses institutions politiques fonctionnent depuis 1990 sur le modèle de la démocratie libérale, pluraliste et concurrentielle. Les premières élections législatives totalement libres se sont déroulées en 1991 et furent marquées par une surabondance de candidatures : 29 partis acquirent un siège à la Diète (un seuil minimum d’éligibilité de 5 % des suffrages pour un parti au plan national ne sera introduit qu’avec la loi du 28 mai 1993260) mais aucun d’entre eux ne put dépasser les 13 % de suffrages exprimés261, offrant l’image 257 Samuel Huntington identifia bien ces périodes de reflux démocratiques suite aux deux premières vagues de démocratisations, qui laissaient craindre qu’un tel phénomène puissent être observé dans les États principalement concernés par la troisième vague de démocratisations, donc les PECO (Samuel P. HUNTINGTON, The Third wave…, op. cit., pp. 17-21). 258 Francis FUKUYAMA, La Fin de l’histoire…, op. cit., 451 pages. Sur les traces d’Hegel, Fukuyama identifie la démocratie libérale comme étant le dessein politique vers lequel tend l’humanité entière, avançant ainsi l’idée qu’il n’y aurait pas d’autre modèle plus abouti. Mais il n’exclut ni ne nie les retours en arrière conjoncturels. 259 Arnold KOLLER, « Le patrimoine juridique du Conseil de l’Europe : son rôle dans le rapprochement avec les pays de l’Europe de l’Est », préc., p. 385. 260 Ustawa z dnia 28 maja 1993 r. Ordynacja wyborcza do Sejmu Rzeczypospolitej Polskiej [Loi du 28 mai 1993 – Ordonnance électorale de la Diète de la République de Pologne], Dz. U., 1993, n°45, texte 205, pp. 841-863. Le seuil minimal de représentativité de 5 % est fixé à l’article 3 § 1 de la loi. 261 Dominique TURPIN, Droit constitutionnel, Paris, PUF, Coll. « Quadrige Manuels », 2007, p. 363. 53 INTRODUCTION GÉNÉRALE d’une démocratie morcelée et ainsi fragile. Depuis, l’alternance politique a été expérimentée aussi bien à la tête de l’État qu’au Parlement262 et aucun parti politique ne propose aujourd’hui la disparition du régime démocratique ni le retour au socialisme263. 69 - Les premiers arrêts rendus à propos de la Pologne, comme cela a pu déjà être souligné, se situent à la jonction historique de la fin du démantèlement de l’ancien régime et du début de la consolidation démocratique. C’est ainsi que la CEDH a eu à connaître de questions relatives au traitement du passé (crimes politiques, place des agents communistes dans l’administration après 1989, expropriations forcées…). Bien que fût achevée la transition constitutionnelle dès 1997, des pans entiers du droit interne dépendaient encore de normes de l’époque socialiste. Sur les relations mutuelles entre la Cour de Strasbourg et le gouvernement de Varsovie repose le rapprochement du droit polonais avec les critères de la démocratie européenne. Ce sont tout autant les particularités du contentieux (les violations de la Conv. EDH sont-elles, ou non, le fruit de normes et usages issus de la légalité socialiste ?) que le comportement de l’État face à des problèmes de nature variée qui orientent vers des conclusions. 70 - L’étude de la réception de la jurisprudence européenne est dès lors un instrument d’évaluation de l’avancement de la transition, apte à détecter les acquis, les progrès, les atermoiements, les résistances. C’est à la nature des questions posées et à l’efficacité de la réponse que peut être déclarée persistante ou achevée la phase de consolidation et, dans ce dernier cas de figure, qu’un regard pourra alors être porté sur les forces et faiblesses de la démocratie enfin stabilisée. La jurisprudence de la CEDH à l’égard de la Pologne et le processus de réception qui l’accompagne servent de miroir de la démocratisation polonaise. Elles attirent l’attention sur les problématiques actuelles que doit résoudre l’État démocratique (durée des procédures, conditions de détention, restrictions de l’avortement…). 71 - La consolidation démocratique de la Pologne est loin d’avoir été linéaire. L’élection à la présidence de la République du conservateur Lech Kaczyński le 23 décembre 2005 et la no- 262 Cf. Annexe n°1. Quelques exemples peuvent être cités : à Lech Wałęsa (de la mouvance Solidarność) succéda dans le fauteuil de Président de la République Aleksander Kwaśniewski (sociale-démocratie), Lech Kaczyński (droite conservatrice), Bronisław Komorowski (droite libérale) puis Andrzej Duda (droite conservatrice). Au gouvernement, depuis 1995, droite, gauche et centre-droit ont exercé le pouvoir en fonction des majorités parlementaires. 263 Le pouvoir constituant a souhaité ériger une barrière protectrice contre la résurgence des menaces envers la démocratie. L’article 13 de la Constitution de 1997 interdit « les partis politiques et organisations qui ont recours dans leurs programmes aux méthodes et pratiques totalitaires du nazisme, du fascisme et du communisme, ainsi que ceux dont le programme ou les activités admettent ou autorisent la manifestation de la haine raciale ou ethnique, le recours à la violence en vue de s’emparer du pouvoir ou d’exercer une influence sur la politique nationale ou encore prévoient des structures ou une participation secrète ». 54 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME mination de son frère Jarosław à la tête du gouvernement le 14 juillet 2006 fragilisa brièvement les acquis démocratiques. La régression s’observa dans les discours comme dans les actes, ce que l’avocat et universitaire polonais Adam Bodnar qualifia de « démocratie illibérale »264. La victoire triomphale de l’opposition libérale emmenée par Donald Tusk lors des élections d’octobre 2007 mit un terme provisoire à la menace de corrosion des mécanismes démocratiques. Trois ans plus tard, alors que le pays fêtait le vingtième anniversaire de la démocratie, la catastrophe de Smolensk jeta une lumière crue sur les antagonismes profonds que couvait la société polonaise265. Le contexte du drame est resté polémique et l’opinion publique se fractura comme jamais depuis 1989 entre les défenseurs de la thèse du complot ourdi par Moscou, telle une nouvelle page sanglante dans l’histoire conflictuelle des peuples russe et polonais, et ceux qui ne voyaient dans la disparition du Président Kaczyński qu’un malheureux accident aérien266. Malgré l’épanchement des passions, les Polonais ont majoritairement choisi la modération en désignant Bronisław Komorowski pour le fauteuil présidentiel en 2010. Bien davantage que l’année 2004, déterminante néanmoins puisque marquant l’entrée dans l’Union européenne, le début des années 2010 pourrait le mieux la stabilisation du régime démocratique polonais. L’étude de la réception des arrêts de la CEDH entre 1997 et 2015 va pleinement dans le sens de cette analyse. 72 - Aujourd’hui pourtant, les déclarations et les premières dispositions législatives adoptées par le nouveau gouvernement, issu de la majorité absolue obtenue par le parti PiS aux élections parlementaires de novembre 2015, mettent à l’épreuve le pluralisme politique et les garde-fous institutionnels267. À la mi-avril 2016, la crise constitutionnelle était toujours en 264 Cette expression figure dans le titre d’un article publié par Adam Bodnar dans un ouvrage collectif, Free to Protest: constituent power and street demonstration, dirigé par András Sajó. Elle reprend le concept formé au début des années 2000 par le journaliste américain Fareed Zakaria, auteur de l’étude L’avenir de la liberté : la démocratie illibérale aux États-Unis et dans le monde (Cf. Bibliographie pour les références complètes de ces deux ouvrages). 265 À cet égard, l’affrontement autour de la présence d’une grande croix devant le palais présidentiel à Varsovie en hommage à Lech Kaczyński – la « Controverse de Smolensk » – fut symptomatique de la division de l’opinion publique entre les défenseurs des valeurs nationales et catholiques proches du parti PiS et les partisans, souvent plus jeunes, d’un État sécularisé, plutôt proche des formations politiques de gauche comme la SLD. Voir Ewa OCHMAN, Post-communist Poland – Contested Pasts and future identities, Londres/New York, Routledge, 2013, pp. 65-66. Mais la pomme de la discorde était essentiellement la cause du drame : accident aérien pour le gouvernement Tusk, attentat fomenté par la Russie pour les sympathisant de PiS (Cédric PELLEN, « Les recompositions de la scène politique nationale », Questions internationales, n°69, 2014, p. 67). De l’avis de la constitutionnaliste polonaise Ada Paprocka (Université de Varsovie), le système démocratique polonaise apparaissait suffisamment mature pour affronter la catastrophe et la franche polariation de la société, radicalisée sur son aile droite, qu’elle entraîna (Entretien avec Ada Paprocka, Varsovie, 2 décembre 2011). 266 Voir Alexander ETKIND, Rory FINN (et al.), op. cit., pp. 132-152. 267 Les deux principaux textes qui ont provoqué des manifestations dans les plus grandes villes du pays et la convocation d’une réunion de la Commission européenne le 13 janvier 2016 sont la loi modifiant les conditions 55 INTRODUCTION GÉNÉRALE cours et le Tribunal, figure essentielle de l’état de droit, paralysé. Il manque le recul nécessaire pour déterminer si cette politique fera figure de parenthèse (comme en 2006-2007) vite tournée ou si la démocratie polonaise sera durablement atteinte au point de remettre en cause la thèse de la stabilisation acquise du système268. La crise ouverte depuis l’automne est, sans nul doute, la plus grave en Pologne depuis 1989. À l’avenir, le Conseil de l’Europe en général269 et la CEDH en particulier pourraient bien sûr compter parmi les contre-pouvoirs externes nécessaires pour contenir les tentations autoriaires et préserver la démocratie. * * * 73 - Plan de l’étude – L’analyse de l’intégralité des arrêts de la CEDH concernant la Pologne et de leur réception par le droit interne laisse apparaître deux grands modèles de réception, basés sur la prise en considération des comportements dominants observés dans l’État défendeur : un modèle de réception réussie car s’inscrivant dans la conformité des choix opérés par l’État antérieurement ou concomitamment à l’arrêt de la CEDH concerné ; un modèle de réception plus complexe identifié en cas de désaccord entre les préconisations de la CEDH et la position de l’État ou face à une difficulté particulière pour exécuter promptement un arrêt. En soi, l’existence de ces schémas opposés ne surprend pas. Il importait naturellement de les qua- de nomination des juges du Tribunal constitutionnel et la procédure de décision de celui-ci (Ustawa z dnia 22 grudnia 2015 r. o zmianie ustawy o Trybunale Konstytucyjnym [Loi du 22 décembre 2015 modifiant la loi sur le Tribunal constitutionnel, Dz. U., 2015, texte 2217) et la loi sur les médias publics, dont la direction est désormais directement nommée par le ministre des Finances (Ustawa z dnia 30 grudnia 2015 r. o zmianie ustawy o radiofonii i telewizji [Loi du 30 décembre 2015 modifiant la loi sur la radiophonie et la télévision], Dz. U., 2016, texte n°25). Les principales dispositions de la loi du 22 décembre 2015 relative au Tribunal constitutionnel ont été jugées inconstitutionnelles par le Tribunal constitutionnel dans un jugement du 9 mars 2016 (TCP, n°K 47/15, 9 mars 2016, OTK ZU, 2006, n°A, texte 2). Les deux nouveaux juges élus en décembre dernier par la majorité conservatrice à la Diète ont émis chacun une opinion dissidente. Long de 287 pages, le jugement a été publié sur le site Internet du Tribunal et dans le journal des jugements et décisions du Tribunal. Le gouvernement a cependant déclaré que cet arrêt était sans effet juridique. Il en a à ce jour refusé la publication au Journal des Lois (Dziennik Ustaw) au motif que le quorum imposé par la loi du 22 décembre 2015 pour adopter une décision (13 des 15 juges présents) n’était pas atteint. 268 Lire à cet égard l’excellente synthèse de la situation élaborée par l’universitaire Frédéric ZALEWSKI, « Pologne, la victoire des perdants de la transition démocratique », lemonde.fr, 13 janvier 2016, <http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/13/pologne-la-victoire-des-perdants-de-la-transition-democratique _4846626_3232.html> [consulté le 13-01-2015] Pour ce politiste, la « révolution conservatrice » initiée par PiS a pour finalité principale de conserver le pouvoir. Elle est particulièrement difficile à interpréter car elle défie « les catégories les plus familières de l’analyse des crises politiques ». Son issue dépendra des obstacles rencontrés par la nouvelle majorité sur sa route, notamment du risque que constituerait pour elle une « extension de la crise aux arènes européennes ». 269 Conformément aux articles 3 et 8 du Statut du Conseil de l’Europe, un État qui ne respecterait plus ses obligations au regard de l’organisation pourrait être suspendu de son statut de membre. En l’absence de précédent à ce jour, l’applicabilité de ces dispositions dans les faits est sujette à caution… 56 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME lifier et de les définir plus précisément, d’en dégager les critères d’identification et de découvrir, le cas échéant, une relation entre l’observation des modèles de réception et la nature des affaires pour lesquels ils s’appliquent. 74 - Lorsque l’arrêt de la CEDH vient sanctionner l’État pour une méconnaissance des dispositions de la Conv. EDH alors même que les faiblesses des normes internes avaient déjà été identifiées et en tout ou partie corrigées par l’État lui-même, la sanction européenne apporte une confirmation de ce qu’avaient déjà admis les autorités étatiques. La réception de l’arrêt n’en est que facilitée et l’État corrige son droit de manière généralement convaincante. En plus d’influencer le milieu universitaire et les professionnels du droit, le juge européen vient accompagner les réformes : ses condamnations appuient leur nécessité et favorisent leur amplification lorsqu’elles se sont révélées insuffisantes. Le processus de réception est en fin de compte destiné à conforter les évolutions du droit en cours : c’est une « réception de confort ». Ce type de réaction s’observe très distinctement, dans le cas de la Pologne, pour répondre à des violations de la Conv. EDH entraînées par les dispositions ou les usages résiduels du droit de l’ancien régime. Un tel constat laisse à penser que la Pologne a tourné définitivement la page du communisme en introduisant des règles de droit nouvelles, destinées à remplacer celles dont il y avait lieu de douter de la conformité à la Conv. EDH. Ainsi, l’élimination de ces causes d’inconventionnalité est facilitée par la réception de la jurisprudence de la CEDH, devenue l’accompagnatrice des réformes (PREMIÈRE PARTIE). 75 - À l’opposé, il est frappant de constater que la Pologne réagit avec moins de spontanéité, parfois avec davantage de réticences lorsque la CEDH remet en cause le droit nouveau, né de la transition et correspondant à la nouvelle identité démocratique polonaise. L’arrêt de la CEDH vient ici souligner la nécessité d’un changement et se montre critique du droit posttransitionnel sur le fond ou sur l’application qui en est faite. Les problèmes concernés sont dans bien des cas structurels, compliqués à résorber. L’État s’engage sur la voie des réformes et peut aller jusqu’à apporter des modifications substantielles à sa législation, mais les effets bénéfiques apparaissent lentement. Il arrive heureusement que des violations de la Convention soient le fruit de circonstances isolées, d’attitudes individuelles davantage que de dysfonctionnements systématiques. Elles ne nécessiteraient que des modifications non substantielles du droit interne. La bonne réception de la plupart des affaires rencontre des obstacles, soit en raison de désaccords et d’interprétations du droit différentes entre la Cour et les autorités étatiques, soit à cause d’une contrainte juridique, matérielle ou financière, propre à l’exécution d’un arrêt : c’est « une réception de conflit ». La CEDH joue davantage un rôle d’initiatrice 57 INTRODUCTION GÉNÉRALE des réformes pour mener l’État vers le perfectionnement de son système de protection des libertés (SECONDE PARTIE). 58 PREMIÈRE PARTIE L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE : LA « RÉCEPTION DE CONFORT » « Peut-être avant-nous cru, nous aussi, qu’il ne fallait pas laisser le passé interférer avec le présent, mais je pense que c’était une erreur. Dans une période de changement révolutionnaire, où tout est tourné vers l’avenir, l’histoire est forcément présente, car chaque fois que l’on regarde en arrière, c’est elle qui fixe les limites à ne pas dépasser, c’est elle, d’une certaine façon, qui dessine l’avenir par opposition au passé. » Bronisław GEREMEK, L’Historien et le Politique (entretiens), 1999 76 - Malgré les changements politiques de 1989-1990 « les actes normatifs datant de la période socialiste n’ont pas été retirés et demeurèrent en vigueur », rappelle le professeur Adam Zieliński. Le juriste polonais estime incorrect de voir dans cette particularité la preuve d’une continuité des systèmes puisque de nombreuses dispositions légales incompatibles avec l’idéal démocratique furent abrogées dès 19901. Cette même année, le pouvoir constituant débuta ses travaux pour donner à la Pologne un texte constitutionnel répondant aux nouvelles aspirations démocratiques. Les droits contenus dans la Constitution de 19522 ne formaient en rien une arme contre le pouvoir politique ; ils ne pouvaient être invoqués devant les juridictions internes et n’étaient donc nullement contraignants3. 77 - Au cours des premières années de la démocratie, le droit interne se trouvait devant deux défis. Le premier d’entre eux était la mise en conformité rapide des principes et des procédures juridiques avec les engagements internationaux souscrits par l’État, parmi lesquels la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH). 1 Adam ZIELIŃSKI, « Changes in court décision-making in Poland since 1989 », in Jiři PŘIBÁŇ, Pauline ROBJames YOUNG (dir.), Systems of justice in transition: Central European experiences since 1989, Farhnam, Ashgate Pub Ltd., 2003, p. 111. L’auteur cite pour exemples la fin du contrôle préventif de la presse, le remplacement des règles organisant le travail des policiers, l’introduction de la liberté de créer des partis politiques, la levée des restrictions sur les voyages à l’étranger… ERTS, 2 Konstytucja Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej uchwalona przez Sejm Ustawodawczy w dniu 22 lipca 1952 r. [Constitution de la République Populaire de Pologne adoptée par la Diète législative le 22 juillet 1952], Dz. U., 1952, n°33, texte 232, pp. 344-371. 3 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: The Popularity of the Convention in Poland », EHRLR, n°4, 2004, p. 406. La même logique était de mise dans un État politiquement proche comme la Roumanie, dont la Constitution de 1965 énumérait des droits totalement ignorés dans les faits (lire Adrian VASILIU, « Bref exposé historique concernant l’évolution de la législation roumaine dans le domaine des droits de l’homme depuis le 22 décembre 1989 », RUDH, vol.4, n°10-11, 21 décembre 1992, pp. 389-391). PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE Il était nécessaire pour la jeune démocratie polonaise de garantir aussi bien les droits politiques4 que l’indépendance et l’impartialité de la justice, lesquelles sont « par nature au cœur de la construction de l’État de droit »5. L’adoption de standards exigeants de protection des droits de l’homme apparaissait aussi, pour les anciens pays socialistes, comme un moyen « de rechercher l’approbation de leur nature démocratique et des opportunités de rapprochement avec les autres structures d’Europe occidentale », selon l’analyse de la politologue Agnieszka Bieńczyk-Missala6. L’entrée en vigueur de la Constitution de la IIIe République, le 17 octobre 1997, offrit par conséquent aux individus la protection d’une large gamme de droits et libertés, pour l’essentiel équivalents de ceux que protège la Conv. EDH7. 78 - Assurer sa propre capacité à résoudre les tensions suscitées par les rapports sociaux de l’ancien régime représentait le second défi du droit transitionnel. Il devait par exemple déterminer l’attitude à adopter à l’égard des anciens fonctionnaires ou collaborateurs du pouvoir déchu, les moyens de réhabiliter les victimes et les opposants, de remédier à la spoliation. L’enracinement de la démocratie dépend grandement de la capacité du droit interne à opérer sa mue afin que ses règles permettent « à la société de vivre dans la concorde », attendu que le droit exerce un « rôle de stabilistateur et de régulateur de la vie sociale »8. Il n’est guère surprenant de constater qu’après 1989, les partis politiques polonais ne se sont pas affrontés sur la politique économique ou étrangère (la plupart soutenait l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne) mais sur l’attitude à adopter vis-à-vis du passé national9. 79 - La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) n’a compétence pour juger des vio4 Du point de vue de Yannick Lécuyer, la lettre de la Conv. EDH et ses protocoles, enrichie par l’interprétation de la CEDH, permettrait de dégager un « ordre politique européen » autour d’un corpus de règles : droit à des élections démocratiques régulières à bulletin secret pour élire le corps législatif ; liberté de réunion et d’association ; pluralisme de la parole politique pour exprimer des idées mais aussi des critiques contre des dirigeants (Yannick LÉCUYER, « Splendeurs et misères de l’ordre politique européen – Contribution à l’étude de la construction jurisprudentielle d’un ordre constitutionnel européen », RTDH, n°97, 2014, pp. 127-151). 5 Jean-Marc SAUVÉ, « Un juge indépendant et impartial », in La Conscience des droits – Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, Paris, Dalloz, coll. « Études, mélanges, travaux », 2011, p. 544. 6 Agnieszka BIEŃCZYK-MISSALA, Human rights in Polish Foreign Policy after 1989, Polish International Institute of Polish Affaires, Warsaw, 2006, p. 29. 7 Piotr KORZEC, « Poland », in Leonard HAMMER, Frank EMMERT (dir.), The European convention on Human Rights and Fundamental Freedoms in Central and Easter Europe, Den Haag, Eleven International Publishing, 2012, pp. 364-377. L’auteur développe aussi dans cette étude quelques contre-exemples de droit protégés par la Convention ou ses protocoles et absents de la Constitution polonaise : l’interdition de l’esclavage et du travail forcé, la règle non bis in idem ou encore l’interdiction de l’emprisonnement pour dettes. 8 Marie-Elisabeth BAUDOIN, « Le droit constitutionnel et la démocratie à l’épreuve du temps », in Jean DU BOIS GAUDUSSON (et al.) (dir.), Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation – Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 41. DE 9 Ewa OCHMAN, Post-communist Poland – Contested Pasts and future identities, Londres/New York, Routledge, 2013, p. 6. 62 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME lations de la Conv. EDH par un État partie qu’à compter de son entrée en vigueur sur son territoire. C’est donc par le biais de contentieux internes postérieurs au 1er mai 1993 (date d’entrée en vigueur du recours individuel) et portés devant son greffe par des requêtes individuelles que la CEDH a contribué à la résolution des conflits du passé, au premier rang desquels celui des biens abandonnés par les populations déplacées en 1945 depuis l’ancien territoire polonais conquis par l’URSS. Il a donné lieu au tout premier arrêt pilote de l’histoire de la CEDH. Engagé dans le traitement de ces affaires aux origines déjà lointaines, l’État a profité de l’assistance de la CEDH pour en venir à bout avec succès (Titre I). 80 - Refermer la page du socialisme impliquait de révoquer les principes qui régissaient l’ancien droit. Dans le domaine des procédures pénales, l’État a abrogé en 1997 les plus importantes dispositions qui légitimaient le déséquilibre en faveur du Parquet (procurature) et au détriment de l’accusé. La CEDH n’a été en la matière qu’un acteur d’appoint. Elle a retrouvé un rôle de tutrice avec un second arrêt pilote prononcé dans une affaire relative aux droits des propriétaires immobiliers – particulièrement défavorisés sous l’empire de la législation socialiste – puis en encourageant l’État à éliminer les quelques vestiges de la limitation de la liberté d’expression (Titre II) 63 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE T ITRE I – R ÉPARER LES PRÉJUDICES CAUSÉS PAR L ’ ANCIEN DROIT 82 - La fin du pouvoir socialiste sonnait le glas des intérêts individuels sacrifiés au bien commun par idéologie. Ce que n’avait pas su ni voulu réparer l’ancien droit, même en se libéralisant progressivement (années 1970-1980), le droit fondé sur les principes démocratiques devait s’en préoccuper. Il en fut ainsi de l’annulation des condamnations politiques, de l’indemnisation des victimes de l’occupation allemande et de la compensation de la perte des biens subie par les familles déplacées des confins des frontières polonaises à l’issue de la Seconde guerre mondiale. Sur cette dernière question, l’apport de la CEDH a été essentiel. La Cour, qui se refuse à indiquer les moyens adéquats de l’exécution – l’État restant libre de ses choix10 – a rendu ce principe plus théorique grâce à l’introduction prétorienne de la procédure dite de l’arrêt-pilote. Dans l’arrêt Broniowski, elle choisit de guider la Pologne vers le type de mécanisme interne apte à remédier à la violation persistante du droit de propriété des personnes déplacées depuis l’ancien territoire polonais. De plus, la Cour a borné la politique de lustration introduite à partir de 1997 pour identifier les anciens collaborateurs des services de sécurité. Elle en comprit la nécessité dans l’État en transition mais en sanctionna les dérives pour les individus11 (Chapitre I). 83 - Après 1990, l’État n’avait d’autre choix que de rouvrir les lourds dossiers liés aux différentes formes d’expropriations. Il s’agissait pour le nouveau pouvoir converti aux lois du marché et à la propriété privée d’être en cohérence avec lui-même. Comme l’a expliqué le professeur Garlicki, dans les pays qui devaient réaliser la transformation de l’économie socia10 Voir par ex. CEDH, Vermeire c. Belgique, n°12849/87, 29 novembre 1991, Série A n°214C, § 26. 11 Cette position sage et équilibrée entre le besoin de savoir et le danger de stigmatiser n’aurait pas déplu à Václav Havel, qui n’ignorait rien de la gravité des enjeux de la sortie d’un système qui fut totalitaire ni de l’ambiguïté pesant sur les hommes : « aucun individu ne peut être la simple victime d’un système dont chacun a contribué à l’édification et au maintien par accoutumance. Ainsi, la séparation cruciale ne se situe pas entre l’État et le peuple mais au cœur de chaque individu » (propos évoqués par Timothy GARTON ASH, « The Year of Truth », in Vladimir T ISMANEANU (dir.), The Revolutions of 1989, London/New York, Routledge, 1999, pp. 112113. 64 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME liste vers l’économie libérale, l’un des problèmes a été de trouver la priorité entre la modernisation des structures économiques (passant par des privatisations et l’entrée de nouveaux capitaux) et la réparation12 des dommages du passé (restitutions de propriétés nationalisées)13. Toute la difficulté résidait dans la solution à trouver pour satisfaire les anciens propriétaires dépossédés de leurs terrains, maisons, fermes ou usines par la République Populaire de Pologne. Entre la reprivatisation des immeubles cédés à l’État ou aux collectivités locales, la restitution d’un bien à son ancien détenteur et l’indemnisation de ce dernier, les gouvernements successifs ont refusé de trancher, se gardant d’adopter une loi spécifique. Pourtant, le droit d’obtenir l’annulation des décisions d’expropriation illégales et celui d’obtenir une compensation pour la privation subie ont été garanties par la loi. Les retards et l’inertie des autorités dans le traitement de ces dossiers ont été sanctionnés à bien des reprises par la CEDH, qui encouragea ainsi l’accélération des procédures (Chapitre II). 12 « Réparation » ou « indemnisation », ces termes peuvent être considérés comme synonymes selon le dictionnaire juridique de Gérard Cornu, lequel réfute la nuance qu’il existerait entre les deux. L’indemnisation est définie comme « l’opération consistant à rendre indemne la victime d’un dommage en réparant celui-ci de la manière la plus adéquate, soit en nature (reconstruction, attribution d’un bien équivalent), soit en argent (indémnité) » (Gérard CORNU, ASSOCIATION HENRI-CAPITANT, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. « Quadridge », 10e édition, 2014, p. 535, voir aussi p. 896). Enfin, la « compensation » revêt une acception plus large puisqu’elle désigne « toute espèce de dédommagement, not. la réparation du préjudice résultant de l’inexécution d’une obligation » (ibidem, p. 212). 13 Lech GARLICKI, « L’application de l’article 1er du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’Homme dans l’Europe centrale et orientale : problèmes de transition », in Hugo VANDENBERGHE (dir.), Propriété et droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 131 65 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE CHAPITRE I – LE TRAITEMENT CONTRÔLÉ DES CONFLITS RELATIFS AU PASSÉ 84 - Le premier arrêt de la Cour de Strasbourg concernant la Pologne a été rendu en 199714, l’année même de la transition constitutionnelle. Le passé socialiste était encore présent dans les esprits et dans les prétoires du pays15. Pour une évidente raison d’incompétence ratione temporis, la CEDH ne pouvait connaître des violations des droits fondamentaux commises antérieurement au 1er mai 1993, date de l’entrée en vigueur du recours individuel en Pologne. La période socialiste a par conséquent échappé à son contrôle mais les procédures propres aux questions de transition permirent au passé de s’inviter fréquemment à Strasbourg. Les requêtes individuelles communiquées au greffe abordent l’histoire de façon incidente (par exemple en contestant la durée d’une procédure interne portant sur des événements de la période socialiste16) ou plus frontalement, en mettant en cause une violation des droits individuels commise par l’ancien régime mais que les institutions démocratiques n’ont pas su réparer (essentiellement, le droit de propriété). 85 - Parmi les contentieux purement liés à l’histoire du pays, l’affaire Broniowski occupe une place à part dans la jurisprudence de la CEDH comme modèle de la procédure de l’arrêt pilote. Au-delà de l’interprétation novatrice de la Conv. EDH qui permit aux juges de guider l’État-défendeur en vue de l’exécution de l’arrêt, cette affaire confrontait la Pologne à la réparation des dommages du passé, abordant les conséquences du redécoupage des frontières étatiques en 1945. Pour le professeur Jean-François Flauss, l’arrêt Broniowski (rendu à propos 14 CEDH, Proszak c. Pologne, n°25086/94, 16 décembre 1997, Rec. 1997-VIII. 15 L’année 1997 est aussi celle du vote de la première loi de lustration (cf. infra, section II). 16 Des Polonais ont même envisagé la réparation de faits survenus dans les premiers mois de la Seconde guerre mondiale. Ainsi, plusieurs requérants ont saisi la CEDH d’une plainte contre la Russie pour la responsabilité du gouvernement de l’Union soviétique dans le massacre de Katyń, commis en forêt de Smolensk. Incompétente ratione temporis, la Cour a rejeté la violation alléguée de la branche procédurale de l’article 2 de la Conv. EDH et n’a pas retenu la violation de l’article 3 pour le chagrin causé aux proches des victimes en raison de l’écoulement du temps entre la certitude de leurs décès et l’entrée en vigueur de la Convention en Russie (CEDH, Janowiec et autres c. Russie [GC], n°55508/07 et n°29520/09, 21 octobre 2013, Rec. 2013-V). 66 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME des affaires dites du « Boug ») était l’illustration d’une nécessité pour la CEDH de prendre en compte des événements historiques pour considérer le fond d’un litige17. 86 - Se pencher sur le passé consista aussi à marquer une rupture nette avec le régime disparu et ses sous-bassements idéologiques. La Constitution de 1997, dans son article 13, proscrivit dès lors les partis politiques d’essence totalitaire se revendiquant du nazisme, du fascisme, ou du communisme. Pour le professeur Granat, il apparaissait pour une bonne partie de la nouvelle élite dirigeante que « l’élimination de toute influence des ex-communistes [était] devenue une condition sine qua non de l’efficacité des transformations »18. Cette volonté d’écarter les complices du gouvernement déchu, perçue comme une nécessité, s’est traduite par l’instauration d’une politique de lustration, laquelle ne satisfit pas toutes les conditions du procès équitable imposées par la Conv. EDH. Les affaires du « Boug » trouvent leur origine dans le déplacement forcé des populations polonaises situées à l’est de la rivière Boug (en polonais Bug), sur un territoire appartenant à la Pologne avant 1939. Elles symbolisèrent parfaitement les difficultés rencontrées sur le terrain du droit par l’État en transition démocratique invité à introduire des procédures d’indemnisation efficaces, tout comme une autre série d’arrêts relative aux préjudices individuels résultant des travaux forcés de Polonais sous l’administration nazie (Section I). Traiter juridiquement le passé peut aussi conduire à rouvrir les archives pour faire la lumière sur le rôle de chacun. Le travail de mémoire entrepris par la Pologne a posé des difficultés de nature procédurale, conduisant la CEDH à le contrôler (Section II). SECTION I – LA RÉGULATION DES MÉCANISMES D’INDEMNISATION 87 - La CEDH n’a imposé aux États nouvellement démocratiques aucune obligation de réparer les dommages causés sous le précédent régime ni d’en indemniser les victimes. Ce choix 17 Selon ses mots, « l’Histoire est mise en service de la compréhension factuelle de l’affaire à juger » avec la possibilité in fine que ce contexte historique « constitue l’élément unique faisant varier l’amplitude de la marge d’appréciation ». Cela est vrai pour la Pologne, ex-État socialiste, et pour l’Allemagne confrontée à l’épreuve de la réunification (Jean-François FLAUSS, « L’Histoire dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, n°65, janvier 2006, pp. 5-22. Voir aussi en ce sens Peggy DUCOULOMBIER, « L’arrêt Broniowski c. Pologne, grande chambre, du 22 juin 2004 : les enseignements d’un arrêt pilote », L’Europe des Libertés, n°15, 2005, pp. 12-18). 18 Mirosław GRANAT, « L’essence des transformations politiques et constitutionnelles dans les pays d’Europe centrale et orientale », RECEO, 1992, n°4, p. 6. 67 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE est laissé à la discrétion des gouvernements19. Dès lors que l’État ouvre la voie à l’indemnisation des préjudices causés au cours de l’histoire, par désir de régler l’héritage du passé, il crée un droit patrimonial dont il doit par la suite assurer le respect pour les justiciables en situation d’en bénéficier. De surcroît, dans sa jurisprudence, la CEDH n’a manifesté aucune forme d’indulgence à l’égard des États d’Europe centrale et orientale quant à la protection du droit de propriété, quand bien même ce droit fut particulièrement mis à mal par le socialisme20. Après 1989, outre la question particulière des expropriations prévues par la législation socialiste21, la Pologne s’est penchée sur la réparation des préjudices causés à l’occasion de deux grands événements de son histoire contemporaine. Elle a tout d’abord tenté de tenir une promesse de longue date en instaurant des procédures d’indemnisation des personnes déplacées à la fin de la Seconde guerre mondiale sous l’effet du grignotage territorial engagé par l’Union soviétique à l’est, non sans contrevenir aux standards européens établis en matière de protection des biens (§ 1). Le retour à la démocratie a également été marqué par la volonté d’indemniser des victimes de la déportation et du travail forcé imposés par le IIIe Reich durant l’occupation allemande. Or, la procédure instaurée auprès de la Fondation pour la Réconciliation Germano-Polonaise contrevenait aux exigences de l’article 6 de la Conv. EDH (§ 2). § 1. LA COMPENSATION DES BIENS ABANDONNÉS SUR LES ANCIENS TERRITOIRES POLONAIS Par son ampleur, la question de l’indemnisation insatisfaisante des populations des anciens territoires de l’est de la Pologne autorise la grande chambre de la CEDH à parler de « dysfonctionnement systémique » dans son arrêt Broniowski (A). Consécutivement à la con19 Voir not. CEDH, Păduraru c. Roumanie, n°63252/00, 1er décembre 2005, Rec. 2005-XI, § 89 : « [La Cour] réaffirme que la Convention n’impose aux États contractants aucune obligation spécifique de redresser les injustices ou dommages causés avant qu’ils ne ratifient la Convention. [...] L’adoption de lois prévoyant la restitution de biens confisqués ou l’indemnisation des personnes victimes de pareilles confiscations nécessite un vaste examen d’un grand nombre de questions d’ordre moral, juridique, politique et économique » surtout « pour des modifications aussi fondamentales du système d’un pays que la transition d’un régime totalitaire à une forme démocratique de gouvernement et la réforme de la structure politique, juridique et économique de l’Etat, phénomènes qui entraînent inévitablement l’adoption de lois économiques et sociales à grande échelle ». 20 Ainsi que le relève l’ancien juge polonais de la CEDH Lech GARLICKI, « L’application de l’article 1er du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’Homme dans l’Europe centrale et orientale : problèmes de transition », in Hugo VANDENBERGHE (dir.), Propriété et droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 133. 21 Ces questions feront l’objet du prochain chapitre (cf. infra). 68 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME damnation prononcée contre la Pologne au titre de l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH, la Cour et l’État ont œuvré de concert pour aboutir à un mécanisme de compensation individuelle de nature à garantir le droit au respect des biens des nombreuses victimes (B). La collaboration étroite rendue nécessaire par les contraintes de l’arrêt pilote a été fructueuse, s’imposant comme la garantie d’une résolution complète des affaires dites « du Boug » (C). A. L’existence d’un dysfonctionnement systémique Le rapatriement forcé des populations polonaises vivant sur le territoire oriental conquis par l’Union soviétique à l’issue de la Seconde guerre mondiale devait faire l’objet d’une réparation (1). Or, de nombreuses victimes ou leurs héritiers n’ayant pu obtenir la compensation promise durant la période socialiste, l’obligation pesait encore sur la nouvelle démocratie polonaise après 1990. Incapable d’y faire face malgré l’adaptation de sa législation (2), la Pologne a été condamnée par la CEDH en 2004 (3). 1) Les limites à la réparation proposée aux rapatriés des anciens territoires polonais La trame de fond de l’arrêt Broniowski est le déplacement forcé des populations vivant sur l’ancien territoire national, conquis par l’Union soviétique (a). Le requérant comptait parmi ces Polonais dont l’abandon de la propriété familiale n’avait pu être compensé (b). a) La situation générale des déplacés du Boug 88 - Les régions polonaises situées à l’est de la rivière Boug ont été envahies par l’Union soviétique dès 1939. L’armée rouge s’y est maintenue une fois achevée la guerre, conformément aux décisions arrêtées par les Alliés lors des conférences de Téhéran, Yalta et Potsdam22. En 22 Les accords de Postdam ont cependant permis à la Pologne d’étendre sa souveraineté à l’ouest sur d’anciens territoires allemands (régions de Stettin/Szcecin, Breslau/Wrocław et Dantzig/Gdańsk). Pour le juge Anatoly Kovler, ce fait est passé sous silence par la CEDH dans l’exposition de la trame historique de l’arrêt Broniowski. L’auteur estime que la Cour s’est attachée à faire ressortir l’injustice subie par les déplacés du Boug alors même que la majorité d’entre eux a reçu une bonne compensation (Anatoly KOVLER, « La Cour devant l’histoire, l’histoire devant la Cour ou comment la Cour européenne ‘‘juge’’ l’histoire », in La Conscience des droits – Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, Paris, Dalloz, 2011, pp. 337-352). Par un décret du 8 mars 1946 (Dekret z dnia 8 marca 1946 r. o majątkach opuszczonych i poniemieckich [Décret du 8 mars 1946 sur les biens allemands abandonnés], Dz. U., 1946, n°13, texte 87, pp. 165-172), les autorités polonaises exproprièrent les propriétés délaissées par les Allemands sur les territoires « récupérés ». Dans les années 1970, alors que la Pologne n’était pas encore partie à la Conv. EDH, des citoyens allemands expulsés des nouveaux territoires polonais de l’ouest avaient tenté de faire valoir devant la Com. EDH l’inconventionnalité des accords conclus en 1970 entre la RFA et la Pologne au sujet de ces terres cédées. Depuis l’entrée en vigueur de la Convention et surtout du Protocole n°1 en Pologne, aucune affaire n’a pourtant été soulevée à ce sujet (Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The problem of claims arising out of expropriations of property from German owner in 69 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 1944, le Comité Polonais de Libération Nationale23 a signé, avec les républiques fédérées soviétiques limitrophes24 les Accords des Républiques. À travers ceux-ci, l’État polonais s’engagea à verser une indemnisation aux populations vivant au-delà du Boug et visées par une procédure de rapatriement vers l’intérieur des nouvelles frontières de l’État. La Pologne a dû accueillir environ 1 240 000 rapatriés dépourvus de leurs biens immobiliers et leur fournir ainsi l’assistance financière et l’aide au logement nécessaires25. Les accords conclus prévoyaient de surcroît que la Pologne versât une somme de 76 millions de roubles à l’Union soviétique en compensation des opérations de rapatriement. La majorité des rapatriés perçut effectivement l’indemnisation promise, aucune restitution des biens n’étant à l’évidence envisageable26. Restait un nombre élevé d’individus qui, plus d’un demi-siècle après la conclusion the case law of the European Court of Human Rights », in Witold M. GORALSKI (dir.), Polish-German relations and the effets of the Second World War, Varsovie, Polish Institute of International Affairs, 2006, pp. 343-363). En 2004, la Pologne a seulement été condamnée au titre des articles 6 § 1 et 13 de la Conv. EDH pour la durée de procédures administratives portant sur la compensation d’un bien pris par l’État sur la base du décret de 1946 (CEDH, Zynger c. Pologne, n°66096/01, 13 juillet 2004). En 2006, la requête d’une association allemande fut introduite devant la CEDH contre la Pologne à propos des expulsions de ressortissants allemands à l’ouest du territoire polonais (dans ses frontières de 1945) et de la perte de leurs biens en résultant. Au total, vingt-deux requêtes similaires ont été déposées. Elles firent l’objet d’une procédure commune. « Perçue à Varsovie comme une provocation, l’initiative fait bondir le ministre des Affaires étrangères Anna Fotyga, qui exige une renégociation du traité de coopération signé en 1991 » (Sophie CASSAR, La Pologne – Géopolitique du phénix de l’Europe, Perpignan, Artège, Coll. « Initiation à la géopolitique », 2010, p. 132). L’affaire fut toutefois jugée irrecevable en 2008, la Convention ne faisant pas peser sur la Pologne une obligation de restitution des biens perdus en l’absence de législation ouvrant droit à une telle action (CEDH, Preussische Treuhand Gmbh et Co. KG. A. A. c. Pologne (déc.), n°47550/06, 7 octobre 2008). Sur les limites de la compétence de la CEDH dans ce type d’affaires, lire en complément Barbara GARLACZ, « Niemiecki roszczenia odszkodowawczo-windykacyjne z tytułu majątków pozostawionych w Polsce w świetle kompetencji ratione materiae Europejskiego Trybunału Praw Człowieka », Studia Europejskie, n°4, 2005, pp. 121-146. 23 Installé à l’été 1944 dans la ville de Lublin, à l’est du pays, le Comité était essentiellement composé de communistes militants ou sympathisants. L’écrasement de la résistance patriote polonaise à Varsovie lui permit de jouer les premiers rôles dans la reconstitution des municipalités. Bien loin de faire l’unanimité, le Comité ne fut pas reconnu par le gouvernement polonais en exil à Londres mais cela ne l’empêcha pas de poser les fondements de ce qui allait devenir bientôt, sous l’œil vigilant de Moscou, la République Populaire de Pologne (voir Henry BOGDAN, Histoire des pays de l’Est, Paris, Perrin, Coll. « Tempus », 2008, p. 446). 24 La Biélorussie et l’Ukraine le 9 septembre 1944, la Lituanie le 22 septembre 1944. 25 La plupart de ces rapatriés ont été installés sur les territoires de l’ouest de la Pologne, appartenant à l’Allemagne avant la guerre et d’où étaient organisées des expulsions des populations allemandes, cela en vue d’obtenir dans ces régions nouvellement acquises une population ethniquement homogène. Deux tiers environs des déplacés provenaient de la région ukrainienne passée sous contrôle soviétique et d’où partirent les premiers convois en décembre 1944 (Catherine GOUSSEFF, « Subir et impulser : les transferts de population d’est en ouest de la Pologne (1944-1947) », in Marie-Claude MAUREL, Françoise MAYER (dir.), L’Europe et ses représentations du passé – Les tourments de la mémoire, Paris, L’Harmattan, Coll. « Logiques Sociales », 2008, pp. 8399). 26 En droit international général, la restitutio in integrum est la règle prioritaire, l’indemnisation la solution subsidiaire. Elle est d’ailleurs apparue dans une affaire polonaise avec l’arrêt de la CPJI, Usine de Chorzów, n°13, 13 septembre 1928, Série A, n°17. La jurisprudence de la CEDH ne se départit pas de ce principe, et fait de la restitutio in integrum une obligation de l’État au titre de l’article 46 de la Conv. EDH. Voir Frédéric SUDRE (et al.), Les Grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’homme, 7e édition, Paris, PUF, 2015, pp. 874-885 pour le commentaire de l’arrêt de la CEDH, Papamichalopoulos c. Grèce (satisfaction équitable), n°14556/89, 31 octobre 1995, série A, n°330-B. 70 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME des Accords, n’avaient perçu aucun dédommagement. Dans la mesure où existait à l’égard des dépossédés un « droit à être crédité » non limité dans le temps, « le droit en question a acquis une existence autonome et permanente »27, ce qui justifiait ratione temporis la compétence de la CEDH sur cette question dont les faits initiaux se sont pourtant produits au sortir de la Seconde guerre mondiale. Le requérant de l’affaire Broniowski comptait parmi les rapatriés n’ayant pas été indemnisés de la perte de leur propriété en 1945. b) Les faits à l’origine de l’affaire Broniowski soumise à la CEDH 89 - La grand-mère du requérant possédait un terrain dans l’ancienne ville polonaise de Lwów (actuellement Lviv, en Ukraine) ainsi qu’une villa, jusqu’à son déplacement forcé à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le 19 août 1947, l’Office national des rapatriés de Cracovie attesta qu’elle avait été propriétaire du terrain et de la villa en question. À sa mort, sa fille, la mère du requérant, s’adressa au maire de la ville de Wieliczka en tant qu’héritière des biens et aux fins d’obtenir le droit d’usage perpétuel28 d’un terrain appartenant au Trésor public29. Sa demande fut acceptée le 25 mars 1981. Le requérant hérita du terrain mais décida de le céder en 1992. Postérieurement à cet acte, Jerzy Broniowski réclama auprès du bureau du district de Cracovie le solde de l’indemnisation correspondant à la propriété familiale abandonnée à Lwów, arguant du fait que la valeur du terrain reçu par sa mère à titre de compensation était très inférieure à celle des biens perdus en 1945. Enregistrée par le service d’urbanisme du bureau de district de Cracovie, sa demande ne fut pas immédiatement traitée tant en raison de l’obsolescence de la loi du 29 avril 1985 sur l’administration et l’expropriation des biens immobiliers30 que du manque de disponibilité des terrains détenus par le Trésor public. En août 1994, confronté à la carence des autorités polonaises qui n’avaient pas modifié la législation, le requérant s’est adressé à la Cour administrative suprême et a demandé à être indemnisé en 27 Lech GARLICKI, « L’application de l’article 1er du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’Homme dans l’Europe centrale et orientale : problèmes de transition », préc., p. 143. 28 Dans la législation socialiste, l’usage perpétuel concernait les terrains aliénés par l’État. Leurs titulaires pouvaient conserver l’usufruit des immeubles construits sur ces terrains. Voir Tomasz WARDYŃSKI, « Un nouveau concept de propriété en Pologne », RIDC, vol. 49, n°3, 1997, pp. 587-591. 29 Le droit d’usage (ou usufruit) perpétuel (użytkowanie wieczyste), défini aux articles 232 et suivants du Code civil, est un droit réel transmissible à cause de mort et inaliénable, valable pendant quatre-vingt-dix-neuf ans. Il accorde à son bénéficiaire l’usufruit d’un terrain dont le Trésor public ou une commune est propriétaire (Ustawa z dnia 23 kwietnia 1964 – Kodeks cywilny [Loi du 23 avril 1964 – Code civil], Dz. U., 1964, n°16, texte 93, pp. 129-187). 30 Ustawa z dnia 29 kwietnia 1985 r. o gospodarce gruntami i wywłaszczaniu nieruchomości [Loi du 29 avril 1985 sur la gestion foncière et l’expropriation], Dz. U., 1985, n°22, texte 99, pp. 249-260. 71 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE bons du Trésor public. Estimant que l’inaction alléguée n’avait pas été démontrée, les juges rejetèrent son recours. 90 - Jerzy Broniowski a saisi la CEDH le 12 mars 1996 d’une requête individuelle, considérant que la compensation insuffisante reçue pour la perte de la propriété familiale portait atteinte au droit au respect de ses biens, protégé par l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH. Il fit valoir que l’État polonais avait l’obligation d’indemniser les rapatriés du Boug, selon les termes des Accords des Républiques, convention incorporée depuis au droit interne. Il plaidait ainsi pour un droit spécifique à faire déduire la valeur des biens familiaux abandonnés du prix des propriétés immobilières vendues par l’État. Les juridictions polonaises avaient par ailleurs reconnu à ce droit une nature patrimoniale tandis que le Tribunal constitutionnel l’avait qualifié de « droit à être crédité ». Le gouvernement défendeur avança que le requérant n’avait pas respecté les exigences procédurales requises pour le dépôt de sa demande, ce qui aurait empêché les autorités d’établir les documents nécessaires pour qu’il pût participer à la vente aux enchères des biens du Trésor public31. L’examen de la requête par la CEDH est intervenu deux ans plus tard, au cœur du débat interne sur l’évolution de la législation relative à l’indemnisation des rapatriés. 2) L’évolution de la législation interne amorcée avant l’intervention de la Cour À la suite de l’adoption de nouvelles dispositions législatives en 1997 modifiant la situation juridique des rapatriés, le Tribunal constitutionnel a su mesurer les difficultés de compensation des propriétés perdues (a). Sa jurisprudence a conduit le législateur à intervenir à nouveau, en 2003 (b). Quant aux juridictions de droit commun, elles prirent leur part à l’évolution du système d’indemnisation (c). a) Le jugement du Tribunal constitutionnel du 19 décembre 2002 91 - Une loi sur l’administration et l’expropriation des biens avait été adoptée le 29 avril 198532, dans la dernière période de l’ère communiste. Elle fut abrogée pour être remplacée par la loi du 21 août 1997 sur l’administration foncière33. Entre le dépôt de la requête de l’affaire Broniowski au greffe de la Com. EDH le 12 mars 1996 et le premier arrêt rendu dans cette 31 CEDH, Broniowski c. Pologne [GC], n°31443/96, 22 juin 2004, Rec. 2004-V, §§ 14-24. 32 Loi du 29 avril 1985 sur la gestion foncière et l’expropriation, préc. 33 Ustawa z dnia 21 sierpnia 1997 r. o gospodarce nieruchomościami [Loi 21 août 1997 sur l’administration foncière], Dz. U., 1997, n°115, texte 741, pp. 3545-3584. 72 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME affaire en juin 2004, le droit interne avait ainsi évolué sous l’impulsion du Défenseur des droits civiques34. Celui-ci avait saisi le Tribunal constitutionnel au nom des rapatriés et soulevait l’inconstitutionnalité de plusieurs dispositions de la loi du 21 août 1997, en ce qu’elles restreignaient la possibilité pour les rapatriés des anciens territoires polonais35 d’obtenir une compensation satisfaisante. 92 - Dans son jugement en date du 19 décembre 200236, le Tribunal constitutionnel a fait droit à la demande du Défenseur et reconnu la non-conformité à la Constitution des dispositions attaquées. La loi en cause faisait peser sur les autorités une obligation d’indemniser les rapatriés des anciens territoires polonais tout en comportant une série de restrictions encore accentuée par le règlement d’application adopté en Conseil des ministres le 13 janvier 199837. Par la combinaison de ses articles 212 et 213, cette loi excluait notamment que soit déduite du prix de vente des biens agricoles de l’État la valeur de biens abandonnés sur les anciens territoires. Le Tribunal constitutionnel a estimé ces dispositions non-conformes à l’article 2 (garantie de la justice sociale par l’État) et aux deux premiers paragraphes de l’article 64 (protection du droit de propriété) de la Constitution. Il a rappelé qu’il incombait à l’État polonais de remplir son obligation d’indemniser les déplacés ayant perdu des biens personnels lors de la redéfinition des frontières à l’issue de la Seconde guerre mondiale. Ce « droit à être crédité »38 bénéficiait dès lors de la protection des droits patrimoniaux constitutionnellement garantis et le législateur ne pouvait, pour cette raison, apporter des restrictions trop sévères de sorte qu’elles aboutissent à un droit sans contenu pratique. Il le fit pourtant en excluant une catégorie spécifique de biens immobiliers de la liste des biens susceptibles de déduction de la valeur 34 Cf. paragraphe n°1, note n°2, p. 3. 35 Non spécifiquement les rapatriés au-delà du Boug, lesquels ne furent explicitement visés que par une loi ultérieure, adoptée le 12 décembre 2003. 36 TCP, n°K 33/02, 19 décembre 2002, OTK ZU, 2002, n°7A, texte 97, Droit à compenser la valeur des biens abandonnés sur les anciens territoires orientaux de la Pologne (I) (résumé en français disponible en ligne), <http://trybunal.gov.pl/fileadmin/content/omowienia/K_33_02_FR.pdf> [consulté le 16 juillet 2015]. Coïncidence étonnante, cette décision a été rendue le jour-même où la requête de Jerzy Broniowski a été jugée recevable par la CEDH. Voir CEDH, Broniowski c. Pologne [GC] (déc.), n°31443/96, 19 décembre 2002, Rec. 2002X. 37 Rozporządzenie Rady Ministrów z dnia 13 stycznia 1998 r. w sprawie sposobu zaliczania wartości nieruchomości pozostawionych za granicą na pokrycie ceny sprzedaży nieruchomości lub opłat za użytkowanie wieczyste oraz sposobu ustalania wartości tych nieruchomości [Règlement du Conseil des ministres du 13 Janvier 1998 sur la méthode de compensation de la valeur des biens abandonnés à l'étranger pour couvrir le prix de vente de biens immobiliers ou l’usufruit perpétuel ainsi que sur la méthode de détermination de la valeur de ces propriétés], Dz. U., 1998, n°9, texte 32, pp. 333-334. 38 Qualification créée à cette occasion par le Tribunal constitutionnel ; elle sera reprise par la suite par les juridictions. Le Tribunal constitutionnel a affirmé dans son jugement que ce droit « relève de la catégorie des droits protégés par l’article 1er du Protocole n°1 » à la Conv. EDH. 73 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE des propriétés abandonnées. Le « droit à être crédité » constituait pour le Tribunal constitutionnel « une sorte de substitut au droit de propriété perdu », n’étant pas « qu’une expectative vers le droit aux compensations mais un droit public patrimonial reconnu dans l’ordre juridique de la République »39. Et le Tribunal d’ajouter que des mesures restreignant l’accès des rapatriés du Boug aux biens du Trésor public avaient pour résultat une expropriation de fait au sens de la jurisprudence de la CEDH, alors même que le droit à être crédité était devenu au fil du temps la seule solution permettant de compenser les pertes matérielles subies par les citoyens polonais à la suite des modifications territoriales de l’après-guerre40. La décision du Tribunal constitutionnel prit effet le 8 janvier 2003 et l’Office des biens agricoles du Trésor Public, a le jour-même, publié un communiqué sur son site Internet informant que les ventes aux enchères étaient suspendues tant que ne seraient pas définies les conditions dans lesquelles les opérations de vente s’effectueraient. La première conséquence de l’arrêt du Tribunal constitutionnel a été l’adoption de deux nouvelles lois en 2003, dont l’une concernait le cas particulier des rapatriés du Boug. b) Les lois de 2003 relatives à l’Office des biens agricoles et aux propriétés abandonnées sur les anciens territoires polonais 93 - Entrée en vigueur le 16 juillet 2003, la loi du 13 avril 200341 établit un « Office des biens agricoles » en lieu et place de l’ancien « Office des biens agricoles du Trésor Public ». Ce nouvel organisme a repris l’ensemble des biens appartenant à son prédécesseur et reçu pour attribution de gérer l’organisation des ventes aux enchères des biens agricoles. Le règlement d’application de la loi, adopté le 1er août 2003 par le ministre du Trésor, a fixé le détail des règles régissant les ventes des biens agricoles. En vertu du § 8 de ce texte, les rapatriés des anciens territoires polonais sont dispensés de l’obligation de verser préalablement à une vente aux enchères la caution garantissant le paiement de la vente42. 94 - Le Parlement, réagissant à l’arrêt du Tribunal constitutionnel, œuvra dès le printemps 39 TCP, n°K 33/02, préc. § 5. 40 CEDH, Broniowski c. Pologne [GC], préc., §§ 79-84. 41 Ustawa z dnia 13 kwietnia 2003 r. o kształtowaniu ustroju rolnego [Loi du 13 avril 2003 de réforme du système agricole], Dz. U., 2003, n°64, texte 592, pp. 4189-4196. 42 Rozporządzenie Ministra Skarbu Państwa z dnia 1 sierpnia 2003 r. w sprawie szczegółowego trybu sprzedaży nieruchomości Zasobu Własności Rolnej Skarbu Państwa i ich części składowych, warunków rozkładania ceny sprzedaży na raty oraz stawek szacunkowych gruntów [Règlement du ministre du Trésor public du 1er août de 2003 sur la procédure détaillée de vente de biens immobiliers de la propriété agricole du Trésor public et de ses composants, les conditions de propagation du prix de vente en versements et les taux estimés de terres], Dz. U., 2003, n°140, texte 1350, pp. 9486-9492. Voir CEDH, Broniowski c. Pologne [GC], préc., §§ 91-92. 74 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 2003 pour l’élaboration d’une nouvelle loi destinée à régler les demandes relatives aux biens abandonnés au-delà du Boug. Le texte était d’autant plus attendu que la médiatisation de ces affaires avait entraîné l’augmentation des demandes individuelles. Une proposition de loi portant modification de la loi sur l’administration des biens agricoles du Trésor public et d’autres lois a été émise par le Sénat. Présentée pour la première fois au Parlement le 10 mars 2003, elle prévoyait de placer l’ensemble des terrains de l’État à disposition des personnes concernées par les biens abandonnés au-delà du Boug. Le gouvernement, de son côté, a présenté son propre projet le 10 juillet 2003, lequel entendait limiter le droit à être crédité en établissant la valeur maximale de l’indemnisation possible des personnes déplacées à 20 000 PLN. Le Parlement a finalement décidé de travailler simultanément sur les deux textes. Le projet fut amendé à l’occasion des débats devant les deux chambres pour aboutir dans son article 3 § 3 à une limitation de l’indemnisation rehaussée à 50 000 PLN. Le même article prévoyait en outre une restriction quantitative alternative au droit à être crédité, la somme allouée en compensation ne pouvant dépasser 15 % de la valeur initiale des biens abandonnés43. La nouvelle loi a été votée en dernière lecture par le Parlement le 12 décembre 2003 et signée par le Président de la République le 5 janvier 200444. 95 - Conformément à la loi du 12 décembre 2003, l’Office des biens agricoles a procédé à 30 000 ventes aux enchères entre le 30 janvier et le 31 octobre 2004. Ces ventes étaient donc en cours lorsque la CEDH rendit l’arrêt Broniowski. Elles portaient sur un total de 60 000 hectares de terrains. Les personnes désignées par la loi de décembre 2003 comme bénéficiaires du droit d’obtenir des propriétés à titre d’indemnisation ont participé à 60 ventes et ont conclu 33 contrats d’achats avec l’Office45. Les juridictions civiles et administratives ont aussi pris leur part dans l’évaluation du processus de compensation en rappelant aux autorités leurs obligations conventionnelles. 43 « La déduction de la valeur des biens abandonnés au-delà des frontières actuelles de l’État […] est plafonnée à une valeur égale à 15 % de la valeur de ces biens ; la somme à déduire ne peut excéder 50 000 zlotys polonais ». 44 Ustawa z dnia 12 grudnia 2003 r. o zaliczaniu na poczet ceny sprzedaży albo opłat z tytułu użytkowania wieczystego nieruchomości Skarbu Państwa wartości nieruchomości pozostawionych poza obecnymi granicami Państwa polskiego [Loi du 12 décembre 2003 sur la compensation de la valeur des biens abandonnés au-delà des frontières actuelles de l’État polonais par le prix d’achat ou le droit d’usage perpétuel des biens de l’État], Dz. U., 2004, n°6, texte 39, pp. 202-205. 45 Com. Min., Résolution ResDH(2005)58 (exécution de l’arrêt Broniowski c. Pologne), 5 juillet 2005, 933e réunion des délégués, annexe à la résolution, § II. 75 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE c) Les arrêts des juridictions suprêmes 96 - Deux décisions majeures, l’une émanant de la Cour administrative suprême, l’autre de la Cour suprême ont largement contribué à attirer l’attention des autorités sur la question de l’indemnisation des rapatriés et de leurs ayants-droit et à hâter le processus réformateur. Le 29 mai 2003 tout d’abord, la Cour administrative suprême46 a considéré sur le fondement de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 que les obligations découlant des Accords des Républiques étaient toujours contraignantes car non pleinement exécutées. Elle a par ailleurs enjoint le gouvernement de publier en bonne et due forme les accords des Républiques au journal des lois. Cette décision fut ultérieurement reproduite par deux autres arrêts de la même juridiction en date du 12 décembre 200347. 97 - De son côté, la Cour suprême polonaise est intervenue à la suite du rejet par des juridictions civiles subalternes d’une demande d’indemnisation financière de biens abandonnés audelà du Boug au motif que l’auteur du recours n’avait pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice allégué et une faute résultant d’une action ou d’une omission de l’État. La Cour suprême rendit un arrêt de principe48 dans lequel elle sembla se calquer sur la logique du Tribunal constitutionnel49 et de son jugement du 19 décembre 2002, précédemment abordé. Elle assimila à un droit patrimonial transmissible à cause de mort le droit à être crédité de la valeur des biens abandonnés et releva que la législation adoptée au cours des années précédentes avait eu pour effet d’amoindrir la valeur de ce droit et donc de générer une perte matérielle relevant de la notion de dommage. Bien que la mise en œuvre de ce droit à être crédité n’impliquât pas, selon la Cour Suprême, un remboursement intégral de la valeur des biens abandonnés, il ne saurait être toléré que ce droit devînt dans la pratique illusoire. Tandis que les autorités polonaises étaient engagées dans un long processus législatif pour rendre effectif le droit à être crédité des rapatriés du Boug, la CEDH s’est invitée dans le débat en rendant en juin 2004 l’arrêt pilote Broniowski, déclencheur de nouvelles réformes. 3) L’arrêt pilote Broniowski de la grande chambre de la Cour 98 - La CEDH a rendu un premier arrêt dans cette affaire le 22 juin 2004. L’article 1er du pro46 CASP, n°II SAB 419/02, 29 mai 2003, OSP, 2004, n°7-8, texte 90. 47 Ibidem, §§ 104-106. 48 CSP, n°I CK 323/02, 21 novembre 2003. 49 Marek Antoni NOWICKI, Nowy Europejski Trybunał Praw Człowieka – Wybór orzeczeń 1999-2004, Cracovie, Kantor Zakamycze, 2005, p. 1228. 76 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME tocole n°1 à la Conv. EDH, tel qu’interprété par la Cour, impose que les restrictions au droit au respect des biens ne soient posées qu’à travers une mesure légale poursuivant un but légitime et proportionnée à ce dernier. La CEDH s’est rangée du côté de Jerzy Broniowski, le requérant, en reconnaissant que celui-ci détenait avant comme après l’entrée en vigueur du protocole n°1 en Pologne un droit à être crédité duquel il pouvait se prévaloir et que l’État polonais se devait de satisfaire sous peine de méconnaître les exigences conventionnelles50. Selon elle, le comportement de l’État polonais avait constitué une entrave à l’exercice effectif du droit en question, malgré l’existence d’un cadre législatif depuis les années 1944-1947 et l’adoption de textes plus récents (lois de 1997 et de 2003). L’évolution de la législation polonaise aurait au contraire rendu plus difficile l’octroi d’une indemnisation pour les rapatriés et leurs héritiers, à l’instar du requérant. Les juges européens ont admis que les restrictions du droit au respect des biens résultant de la législation interne poursuivaient un but légitime en facilitant notamment le développement des collectivités locales et la restructuration du système agricole. Ces réformes nécessaires dans la période transitionnelle traversée par la Pologne ne pouvaient cependant exempter l’État de veiller à la préservation d’un juste équilibre entre l’intérêt général de la communauté et le respect de la liberté fondamentale du requérant. 99 - La CEDH a fondé en grande partie son raisonnement sur les propres constatations émises par les juridictions internes, notamment le Tribunal constitutionnel qui avait jugé en 2002 que le droit d’être crédité s’était réduit à « une obligation vide de contenu »51. Ainsi, la cessation par les autorités publiques des ventes aux enchères et la loi modificative de 2001 entrée en vigueur le 1er janvier 2002 avaient privé le requérant de toute possibilité d’obtenir une indemnisation en rapport avec la valeur des biens perdus par sa grand-mère. L’Office des biens agricoles du Trésor public et l’Office des biens militaires ont cependant fait obstruction à l’exécution de l’arrêt du Tribunal constitutionnel susmentionné, ce qu’ont condamné les autorités judiciaires, notamment la Cour suprême le 21 novembre 2003, mais sans que le gouvernement ou le législateur ne réagît. Le requérant ne pouvait plus prétendre à être indemnisé depuis l’entrée en vigueur le 30 janvier 2004 de la loi du 12 décembre 2003 qui éteignit l’obligation de dédommagement à l’égard des rapatriés ou des héritiers ayant déjà bénéficié d’une compensation partielle. La CEDH n’a pas jugé déterminants les contre-arguments du gouvernement reprochant au requérant de n’avoir jamais participé à l’une des ventes aux enchères proposées puisque la quantité de terrains mis en vente était de toute façon insuffisante 50 CEDH, Broniowski c. Pologne [GC], préc., §§ 126-133. 51 Ibid. § 84 ; TCP, n°K 33/02, préc., thèse de motivation n°7. 77 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE au regard du nombre de réclamants. 100 - Rappelant que la marge nationale d’appréciation52 dont disposent les États dans la mise en œuvre des obligations découlant de l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH n’est pas illimitée, la CEDH a considéré que l’État polonais n’avait pas été en mesure d’expliquer pourquoi il avait failli, durant de nombreuses années, à concrétiser un droit à être crédité conféré par la législation interne. Les autorités avaient au contraire imposé des limitations successives à ce droit pour en faire « un droit inexécutoire et inutilisable sur le plan concret. » Enfin, en l’espèce, le requérant a vu son droit éteint par l’adoption de la loi de décembre 2003 alors même qu’il n’avait été indemnisé qu’à hauteur de 2% de la valeur du bien abandonné par sa famille et la CEDH n’a relevé aucune raison impérative pour qu’il ne pût réclamer l’obtention d’une part plus importante de la valeur en question53. 101 - Les circonstances particulières entourant cette affaire – l’existence de nombreuses requêtes pendantes reposant sur des griefs similaires – ont conduit la Cour de Strasbourg à innover à travers la procédure dite de « l’arrêt pilote » dont la vertu cardinale est de superviser l’État dans les réformes internes qu’il devra engager pour résoudre le problème systémique identifié. La décision de recourir à cette procédure aurait été prise dans la dernière phase du jugement54. Lorsque la CEDH a rendu l’arrêt Broniowski, elle a estimé qu’environ 80 000 personnes en Pologne pouvaient être les victimes potentielles de ce dysfonctionnement du système de compensation des biens abandonnés au-delà du Boug. Un total de 167 requêtes individuelles similaires à celle de Jerzy Broniowski étaient déjà parvenues au greffe de la Cour. Or le Comité des ministres du Conseil de l’Europe venait d’adopter quelques jours auparavant deux actes qui servirent de fondement juridique à la CEDH pour prendre une part plus active à l’exécution des arrêts par les États condamnés55. La Cour s’en est prévalue56 52 La marge nationale d’appréciation a été appliquée pour la première fois par la CEDH dans son arrêt Handyside c. Royaume-Uni (n°5493/72, 7 décembre 1976, série A n°24, §§ 47-57). Si cette latitude relative laissée aux États entraîne un certain risque de briser « l’idée même d’Europe », le professeur Delmas-Marty pense malgré tout que ladite marge « n’est pas seulement respecteuse des susceptibilités nationales, elle maintient les spécificités qui constituent sans nul doute la richesse de l’héritage commune européen » (Mireille DELMAS-MARTY, « A ‘‘reasoned’’ conception of the reason of state », in Mireille DELMAS-MARTY (dir.), The European Convention for the Protection of Human Rights – International Protection versus National Restrictions, DordrechtBoston-Londres, Martinus Nijhoff Publishers, 1992, p. 281). 53 CEDH, Broniowski c. Pologne [GC], préc., §§ 147-158. 54 Alice DONALD, « Responding to Systemic Human Rights Violations – An analyse of ‘Pilot judgments’ of the European Court of Human Rights and their impact at National Level », Strasbourg, Human Rights and Social Justice Research Institute, 14 juin 2010, <https://metranet.londonmet.ac.uk/fms/MRSite/Research/HRSJ/ Publications%20&%20reports/Pilot%20Seminar%20Report_php.pdf> [consulté le 05-08-2015]. 55 Com. Min., Res(2004)3, Résolution sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent, 114e réunion, 12 mai 2004 ; Com. des Min., Rec(2004)6, Recommandation sur l’amélioration des recours internes, 114e 78 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME pour intimer à l’État polonais d’adopter des mesures générales et de mettre en place un mécanisme permettant aux personnes concernées de faire valoir sans obstacle leur droit à être crédité, conformément aux exigences de la Conv. EDH. Sans doute le retard accumulé dans le processus d’élaboration du Protocole n°14 a-t-il également joué un rôle dans l’introduction de l’arrêt pilote57. La Cour, pour la première fois, invoque l’article 46 (force obligatoire des arrêts) de la Conv. EDH indépendamment de son article 41 (satisfaction équitable) et, ce faisant, rappelle solennellement à l’État ses obligations juridiques58. Au regard des insuffisances de la loi du 12 décembre 2003, laquelle ne pouvaient être regardée comme « une mesure propre à mettre un terme à la situation structurelle »59 préjudiciable aux victimes des déplacements forcés, la CEDH a manifesté l’intention d’aider l’État-partie dans la recherche de solutions susceptibles de faire disparaître les sources de la violation retenue en l’espèce. La procédure prétorienne employée à cette occasion et baptisée par la suite « arrêt pilote » est inédite : la Cour « dans l’attente de la mise en œuvre des mesures générales pertinentes, qui devront être adoptées dans un délai raisonnable, […] ajourne son examen des requêtes résultant de la même cause générale »60. Ainsi, elle se refuse à juger la Pologne dans les autres affaires nées des mêmes circonstances tant que l’État n’aura pas procédé aux réformes qu’exige la bonne exécution de l’arrêt Broniowski. 102 - La procédure de l’arrêt pilote fut abondamment commentée par la doctrine juridique. La CEDH avait contribué à ouvrir elle-même le débat en avançant un argument justificatif fondé sur sa propre surcharge de travail61 due à l’accumulation de requêtes soulevant des questions réunion, 12 mai 2004. Dans cette dernière apparaît l’expression d’« arrêt pilote » pour désigner les affaires qui révèlent « des défaillances structurelles ou générales dans le droit ou la pratique de l’État » et nécessitent de mettre à la disposition des requérants une voie de recours interne pour redresser les violations de la Convention, conformément au principe de subsidiarité (§ 13). 56 CEDH, Broniowski c. Pologne [GC], préc., §§ 190-191. 57 Lech GARLICKI, « Zakres zobowiązań państwa w świetle orzecznictwa Europejskiego Trybunału Praw Człowieka », in GRANAT (M.), Stosowanie prawa międzynarodowego i wsponotowego w wewnetrzynym porzadku prawnym Francji i Polski : materialy z polsko-francuskiej konferencji naukowej, Varsovie, Wydawnictwo Sejmowe, 2007, p. 132, § 6. 58 Voir Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « La Cour européenne au secours du Comité des ministres pour une meilleure exécution des arrêts ‘‘pilote’’ (en marge de l’arrêt Broniowski) », RTDH, n°61, 2005, pp. 203-224. L’auteur ne voit cependant pas un revirement jurisprudentiel qui mettrait fin au principe selon lequel la Cour se refuse à indiquer aux États les moyens de se conformer aux arrêts rendus : il s’agirait surtout de répondre à une situation exceptionnelle impliquant un très grand nombre de requêtes individuelles engendrées par un problème spécifique du droit interne. 59 CEDH, Broniowski c. Pologne [GC], préc., §§ 194. 60 Ibidem, § 198. 61 Qui a pu être déjà qualifiée à l’époque de « nouveau leitmotiv pour prendre des mesures contestables » (Peggy DUCOULOMBIER, « L’arrêt Broniowski c. Pologne… », préc., p. 17). De plus, devait se poser légitimement la question de savoir si cette procédure ne s’imposait pas au détriment du droit de recours individuel (Magdalena 79 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE identiques, avec pour conséquence finale une fragilisation du système conventionnel62. Dans l’opinion concordante jointe à l’arrêt que rédigea le juge slovène Boštjan Zupančič, cette idée reçue une première critique. Le juge Zupančič a effectivement récusé l’argument de la surcharge de travail pour justifier la démarche entreprise de la CEDH tout en déplorant que cette dernière se soit fondée, sans nécessité apparente, sur des recommandations du Comité des ministres au lieu de s’en tenir au seul texte de la Conv. EDH. Par la suite, l’arrêt pilote a posé de réelles difficultés théoriques aux juristes qui se penchèrent sur la question, l’élaboration d’une définition universellement acceptée de la procédure se révélant fort délicate63. La Pologne s’est employée rapidement après sa condamnation dans l’affaire Broniowski à mettre en place un mécanisme interne garantissant l’indemnisation satisfaisante des victimes du Boug et de leurs ayants-droits. Déjà entreprise avant l’arrêt de la CEDH, la réforme s’est poursuivie et achevée en 2005. B. L’encadrement des réformes internes par la procédure de l’arrêt pilote 103 - Parce que le constat de violation de l’article 1er du Protocole n°1 dans l’arrêt Broniowski n’était « pas accidentel mais lié à des défaillances consubstantielles de l’ordre juridique in- KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Kilka uwag o obecności polski przed Europejskiego Trybunałem Praw Człowieka w ostatnich latach », in Hanna MACHIŃSKA (dir.), 60 lat Rady Europy : tworzenie i stosowanie standardów prawnych, Varsovie, Wydawnictow Wiedza i Praktyka, 2009, p. 241). À l’inverse, Steven Green, professeur à l’Université de Bristol, encourage à la multiplication des arrêts pilotes pour désengorger la Cour et lui permettre d’abandonner l’idéal d’une justice individuelle pour se rapprocher du modèle de la justice constitutionnelle, qui ne se prononcerait que sur les questions essentielles (Steven GREER, « What’s wrong with the European Convention on Human Rights? », Human Rights Quarterly, n°30, 2008, pp. 680-702). Une critique d’un autre ordre a été formulée : l’atteinte à la séparation des fonctions juridictionnelles et politiques commise par la CEDH à travers l’arrêt pilote, selon le juge Zagrebelsky dans son opinion dissidente sur l’arrêt Lukenda (CEDH, Lukenda c. Slovénie, n°23032/02, 6 octobre 2005, Rec. 2005-X). 62 CEDH, Broniowski c. Pologne [GC], préc., § 193. 63 L’arrêt pilote est perçu tantôt comme une garantie d’efficacité pour l’exécution des arrêts, tantôt comme un mécanisme aux contours ambigus. La Cour a elle-même peiné à déterminer ses critères exacts d’identification, ouvrant la porte à des sous-catégories (comme le quasi-arrêt pilote) sur lesquelles la doctrine reste dubitative. Voir not. Jakub WOŁĄSIEWICZ, « Pilot judgements from the perspective of the Polish Governement Agent and a proposal of provisions related to the existing pilot judgments procedure and so-called simplified pilot judgment procedure », in Pilot judgment Procedure in the European Court à Human Rights (3rd Informal Seminar for Government Agents and other Institutions), Varsovie, Kontrast, 2009, p. 30 ; Mustapha AFROUKH, « La Cour européenne des droits de l’homme et l’exécution de ses arrêts », RDLF [en ligne], 2012, chron. n°5 ; Alice DONALD, « ‘‘The most creative tool in 50 years’’? The ECHR’s pilot judgment procedure », EHRAC Bulletin, Issue 14, winter 2010, pp. 13-14 ; Philip LEACH, « Resolving systemic human rights violations – Assessing the European Court’s pilot judgment procedure », in Samantha BESSON (dir.), La Cour européenne des droits de l’homme après le Protocole 14 – Premier bilan et perspectives, Genève-Zurich-Bâle, Schulthess, 2011, pp. 215-233. Pourtant, le Règlement de la Cour s’est enrichi le 21 février 2011 d’un long article 61 consacré à cette procédure. Mais il ne précise pas si l’examen des requêtes similaires doit être nécessaire ajournée, ni même dans quelles limites la Cour peut dicter les mesures d’exécution adéquates. 80 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME terne de l’État »64, son exécution nécessitait la modification en profondeur de la législation interne relative aux compensations accordées aux déplacés du Boug et à leurs héritiers. La situation était complexe, puisqu’il y avait eu « interaction entre les omissions reprochées à l’État et les actions connexes de celui-ci », d’où résultait bien « une ‘‘ingérence’’ dans l’exercice effectif du droit patrimonial du requérant »65. Cinq jours avant le prononcé de l’arrêt Broniowski par la grande chambre, la Pologne a voté une loi modifiant le Code civil (CC) afin de permettre d’engager la responsabilité du Trésor public et d’obtenir une indemnisation en cas de carence des autorités (1). Insuffisante, cette première réforme a été suivie de l’adoption en 2005 d’une autre loi spécifique à la situation des populations déplacées à partir des anciens territoires, consécutivement à une décision du Tribunal constitutionnel (2). Il en a résulté la résolution des affaires du Boug et ainsi la fin du contrôle exercé par la CEDH et le Comité des Ministres (3). 1) La loi du 17 juin 2004 relative à la responsabilité du Trésor public en cas de carence des pouvoirs publics 104 - Le 17 juin 2004, soit cinq jours avant l’arrêt Broniowski, le Parlement avait adopté une loi modifiant le CC et d’autres dispositions législatives, entrée en vigueur le 1er septembre 200466. Elle permit d’étendre la portée de la responsabilité civile du Trésor public prévue à l’article 417 du CC et d’instaurer la responsabilité civile de l’État dans les situations de carence. Cet article dispose désormais que « [l]e Trésor public […] est responsable de tout dommage causé par une action ou une omission légale dans l’exercice de la puissance publique ». Un nouvel article 417-1 a été ajouté ; il instaure la possibilité de demander réparation pour tout dommage causé par « l’adoption d’une loi », « la non-adoption d’un arrêt ou d’une décision » ou « la non-adoption d’une loi »67. 105 - Il est intéressant de mentionner à titre complémentaire l’arrêt rendu le 30 juin 2004 par 64 Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « La Cour européenne au secours du Comité des ministres pour une meilleure exécution des arrêts ‘‘pilote’’ (en marge de l’arrêt Broniowski) », préc., p. 207. 65 Corneliu BÎRSAN, « Indemnisation des rapatriés pour la perte des biens consécutives à leur rapatriement », Rec. Dalloz, n°35, 2004, p. 2542. 66 Ustawa z dnia 17 czerwca 2004 o zmianie ustawy – Kodeks cywilny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 17 juin 2004 de modification législative – Code civil et autres lois], Dz. U., 2004, n°162, texte 1692, pp. 1140911410. 67 CEDH, Broniowski c. Pologne [GC] (règlement amiable), préc., §§ 104-106. 81 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE la première chambre civile de la Cour suprême polonaise68, sur la saisine d’un justiciable concerné par l’indemnisation de biens abandonnés au-delà du Boug. Dans cette décision, la Cour suprême a estimé que les dommages causés par l’État lorsqu’il ne s’acquittait pas de ses obligations lui incombant en vertu des Accords des Républiques engageaient sa responsabilité au titre de l’article 417 du CC et de l’article 77 § 1 de la Constitution. Dans un autre arrêt, daté celui-ci du 6 octobre 200469, la Cour suprême a précisé que la législation excluant ou rendant illusoire la possibilité pour les personnes titulaires du « droit à être crédité » d’en avoir la jouissance avait constitué une perte matérielle couverte par la notion de dommage, et qu’il convenait de définir ce dommage en comparant la valeur du droit à être crédité « dans une situation juridique hypothétique exempte des éventuelles omissions et lois jugées défectueuses et dans la situation à laquelle on aboutit en réalité, c'est-à-dire en prenant en compte la réserve réduite des biens de l’État et, en conséquence, la valeur du ‘‘droit à être crédité’’ due à l’application des lois jusqu’à leur abrogation »70. La mesure centrale permettant l’exécution de l’arrêt Broniowski a été l’adoption de la loi sur la compensation des propriétés abandonnées du Boug, en date du 8 juillet 2005. 2) L’évolution de la législation sur la compensation des propriétés abandonnées La réception de l’arrêt Broniowski est passée tout d’abord par le Tribunal constitutionnel, qui reprit à son compte les arguments de la CEDH (a). Sous la double pression du juge européen et du juge interne, le législateur a produit un nouveau mécanisme de compensation conforme à l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH (b). a) Le jugement du Tribunal constitutionnel du 15 décembre 2004 106 - Déjà saisi une première fois en 2002 sur la question des modalités de compensation des biens abandonnés par les citoyens polonais au-delà du Boug, le Tribunal constitutionnel a dû se prononcer sur la compatibilité à la Constitution de l’ensemble des dispositions de la loi du 12 décembre 200371. Étaient particulièrement visée l’instauration d’un double-plafond de 68 CSP, n°IV CK 491/03, 30 juin 2004. 69 CSP, n°I CK 447/03, 6 octobre 2004. 70 CEDH, Broniowski c. Pologne [GC] (règlement amiable), préc., § 28. 71 Dès le premier jour de son application, la loi avait été déférée dans son intégralité devant le Tribunal constitutionnel par un groupe de parlementaires du parti PO. Les auteurs de la saisine invoquaient la violation des principes constitutionnels de l’État de droit, de l’égalité devant la loi, de la protection de la propriété et des droits acquis (CEDH, Broniowski c. Pologne [GC], préc., §§ 111-120). 82 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME compensation à 15 % de la valeur des biens pour un maximum de 50 000 PLN. L’arrêt de la CEDH, rendu quelques mois plus tôt, a sans nul doute pesé sur la décision du Tribunal, lequel y a perçu une « critique indirecte » de la loi du 12 décembre 2003 et « une signification indirecte pour l’appréciation générale de la loi qu’il doit examiner »72. 107 - Le juge constitutionnel s’est prononcé tout d’abord sur la différence de traitement existant entre les différents demandeurs concernés par les compensations selon leur situation : ceux qui ont acquis le droit d’usage perpétuel d’un bien, ceux qui ne l’ont pas acquis. Il a jugé cette différence non-conforme aux principes constitutionnels de l’égalité dans la protection des droits patrimoniaux (garantie par l’article 64 § 2 de la Constitution), de l’égalité de traitement et de la non-discrimination (garanties par l’article 32 de la Constitution). 108 - Sur la question des plafonds légaux fixés à 15 % de la valeur initiale des biens abandonnés ou à 50 000 PLN, le Tribunal constitutionnel a jugé ces mesures excessives et par conséquent incompatibles avec le principe de la protection des droits acquis, avec le principe de la confiance des citoyens en l’État et avec celui de justice sociale. Furent également déclarées inconstitutionnelles les dispositions ouvrant au bénéfice de la compensation les héritiers de rapatriés dans l’unique hypothèse où ceux-ci étaient résidents permanents en Pologne à dater au minimum du jour de l’entrée en vigueur de la loi. Enfin, le Tribunal censura des dispositions secondaires (recevabilité des témoignages des seules personnes majeures au moment de la conclusion des Accords des Républiques, procédure de l’établissement d’une attestation du droit de compensation, etc.) contribuant plus encore à vider la loi de sa substance. 109 - Le jugement du Tribunal est entré en vigueur le 30 avril 2005 seulement ; cet ajournement a été justifié par « le besoin d’une estimation complexe et transparente de la réelle, globale et autant que faire se peut définitive, possibilité de satisfaction des prétentions liées au droit de compensation » ainsi que par « l’établissement de réglementations légales constitutionnellement propres, supprimant les obstacles mais aussi les irrégularités dans la procédure menée par les organes et les institutions de l’État »73. Le Tribunal constitutionnel, par ce jugement, a explicitement invité le législateur à élaborer dans les plus brefs délais une nouvelle loi compatible avec les exigences constitu- 72 TCP, n°K 2/04, 15 décembre 2004, OTK ZU, 2004, n°11A, texte 117. (résumé en français disponible en ligne : « Droits à compenser la valeur des biens abandonnés sur les anciens territoires polonais orientaux de la Pologne (II) »), <https://trybunal.gov.pl/fileadmin/content/omowienia/K_2_04_FR.pdf,> [consulté le 16 juillet 2015] 73 Ibidem, thèse de motivation n°10. 83 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE tionnelles. b) La loi du 8 juillet 2005 sur la reconnaissance du droit de compensation pour les propriétés situées au-delà des frontières actuelles de l’État polonais 110 - Poussé à réagir tant par la CEDH que par le Tribunal constitutionnel, le Parlement polonais a voté le 8 juillet 2005 un nouveau texte dont l’effet principal fut de transformer, par son article 26, le « droit à être crédité » en un véritable « droit à indemnisation »74. Cette loi sur la reconnaissance du droit de compensation pour les propriétés situées au-delà des frontières actuelles de l’État polonais établit deux modalités d’exécution possibles. Le 1er alinéa de l’article 13 prévoit en effet la déduction de la valeur des biens ou l’indemnité pécuniaire. Pour assurer le versement de cette dernière, l’article 16 de la loi crée un fonds d’indemnisation alimenté par la vente des biens appartenant aux ressources du Trésor public, par les intérêts générés par l’argent placé sur les propres comptes du fonds et au besoin par des emprunts sur le budget de l’État dont le montant est alors fixé par une loi budgétaire. Le 2e alinéa de l’article 13 instaure en outre un nouveau plafond pour la compensation des biens abandonnés, fixé non plus à 15 mais à 20 % de la valeur de ces biens75. Une fois créé un nouveau recours au niveau interne pour réguler l’afflux des recours des rapatriés ou de leurs héritiers, la CEDH a procédé à un contrôle de la réforme à l’occasion de l’examen de la satisfaction équitable, qui avait été repoussé lors de l’arrêt au principal en 2004. 3) Le règlement-amiable Broniowski de 2005 : un contrôle par la Cour de l’avancée des réformes 111 - À l’origine de l’arrêt Broniowski, il y avait d’abord un justiciable lésé. Le 7 mars 2005, le gouvernement polonais a sollicité l’assistance du greffier de la CEDH comme médiateur 74 Ustawa z dnia 8 lipca 2005 r. o realizacji prawa do rekompensaty z tytułu pozostawienia nieruchomości poza obecnymi granicami Rzeczypospolitej Polskiej [Loi du 8 juillet 2005 sur la réalisation d’un droit à une indemnisation pour les biens abandonnés en dehors des frontières actuelles de la République de Pologne], Dz. U., 2005, n°169, texte 1418, pp. 10288-10294. 75 CEDH, Broniowski c. Pologne (règlement amiable), préc., §§ 18-20. Lech Garlicki remarque que ce plafond, même s’il paraît peu élevé, se révèle conforme au Protocole n°1 grâce à une marge d’appréciation relativement ample que justifie le manque « de précédents établis de restitutions, afin de constituer des standards pouvant servir de référence pour l’appréciation des décisions rendues en Europe centrale et orientale » (Lech GARLICKI, « L’application de l’article 1er du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’Homme dans l’Europe centrale et orientale : problèmes de transition », préc., p. 148). 84 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME pour négocier le règlement amiable76 avec le requérant, ceci en raison de l’apparition de difficultés particulières au cours des négociations77. Devant la Cour, le gouvernement s’est engagé à verser à Jerzy Broniowski la somme globale de 237 000 PLN, comprenant 213 000 PLN d’indemnisation et 24 000 PLN de frais et dépens. L’indemnisation proposée couvrait 20 % de la valeur transactionnelle convenue des biens hérités par le requérant et abandonnés audelà du Boug, ainsi que des compensations pour tout préjudice subi en conséquence de la violation de son droit patrimonial. Cela couvrait tant le dommage moral résultant des sentiments d’incertitude et de frustration éprouvés à cause de la situation subie que le dommage matériel présumé (mais non chiffré). Quant aux frais et dépens cités, ils s’ajoutent à ceux que la CEDH avait déjà alloués au requérant dans son arrêt au principal78 et que l’État avait versés dès le 9 septembre 2004, dans le délai imparti par la Cour, ce dont a pris note le Comité des ministres dans sa résolution intérimaire du 5 juillet 200579. Enfin, M. Broniowski s’est vu garantir la faculté de demander et d’obtenir à titre d’indemnisation un montant au-delà des 20 % de plafonnement fixé par la loi de juillet 2005 dans l’hypothèse où le droit polonais le prévoirait à l’avenir80. 112 - Plus d’un an après le prononcé de l’arrêt au principal, le règlement amiable conclu à Varsovie au terme des réunions des 5 et 6 septembre 2005 fait suite à l’adoption par le Parlement d’une nouvelle loi sur l’indemnisation des populations ayant abandonné leurs biens audelà du Boug81. En statuant le 28 septembre 2005, la grande chambre de la CEDH a saisi l’opportunité de faire le point sur l’avancement des réformes engagées par la Pologne, pour- 76 Avant l’entrée en vigueur du Protocole n°14 à la Conv. EDH, la Cour rendait ces règlements sous la forme d’arrêts, non pas de décisions. Il s’agissait d’une pratique dépourvue de base dans le texte conventionnel. En tant qu’arrêts, ils étaient donc soumis au suivi du Comité des ministres. Depuis le 1er juin 2010, les règlements amiables sont rendus sous formes de décisions (ils sortent ainsi des statistiques des arrêts rendus), mais leur exécution reste confiée au Comité des ministres (Helen KELLER, David SUTER, « Friendly Settlements und Unilateral Declarations : An analysis of the ECtHR’s case law after the entry into force of Protocol No. 14 », in Samantha BESSON (dir.), La Cour européenne des droits de l’homme après le Protocole 14..., op. cit., p. 60). Pour la Pologne, se reporter par ex. à la récente résolution du Comité mettant un terme au suivi de 29 règlements amiables (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2016)69 (exécution des décisions dans 29 affaires contre la Pologne), 13 avril 2016, 1253e réunion des délégués). 77 Jakub WOŁĄSIEWICZ, « Les arrêts-pilotes : l’expérience d’un agent du gouvernement », in La réforme de la Convention européenne des droits de l’homme : un travail continu, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2009, p. 559. 78 CEDH, Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], n°31443/96, 28 septembre 2005, Rec. 2005-IX. § 31. 79 Com. Min., Résolution ResDH(2005)58 (exécution de l’arrêt Broniowski c. Pologne), préc. 80 CEDH, Broniowski c. Pologne (règlement amiable), préc., § 43. 81 L’arrêt pilote, en prévenant « une accumulation de violations ayant la même origine », est par conséquent le point de départ et non « la fin du processus d’une justice accomplie » (Alice DONALD, « ‘‘The most creative tool in 50 years’’? The ECHR’s pilot judgment procedure », préc. p. 13). 85 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE suivant ainsi sa logique d’encadrement de l’État dans la résolution du dysfonctionnement systémique précédemment identifié. Satisfaite par l’évolution du droit polonais, la Cour a rayé l’affaire de son rôle82. La voie s’ouvrait à la résolution des litiges similaires, toutes les affaires répétitives ayant été renvoyées en Pologne afin d’y être traitées à l’échelon interne83. 113 - Demeurait en suspens la question de savoir si le nouveau mécanisme adopté et concrètement mis en œuvre n’allait pas se révéler à son tour défectueux. Le gouvernement a œuvré pour en assurer l’effectivité, allant jusqu’à prévoir qu’un certain nombre de victimes seraient prioritaires pour obtenir la compensation demandée, soit en raison de leur âge, soit à cause d’une situation personnelle difficile84. Une délégation gouvernementale placée au greffe de la CEDH avait été spécialement chargée de mettre en œuvre cette initiative85. La grande chambre n’avait-elle pas rappelé que l’arrêt au principal établissait clairement que « des mesures générales au niveau national s’imposaient dans le cadre de l’exécution de l’arrêt », mesures qui « devaient comprendre un mécanisme offrant aux personnes lésées une réparation pour la violation de la Convention établie »86 ? La radiation du rôle de cette affaire Broniowski nécessitait donc que la Cour se penchât sur les mesures générales adoptées en Pologne, dans la mesure où « il est évidemment souhaitable pour le bon fonctionnement du mécanisme de la Convention que redressement individuel et redressement général aillent de pair »87. La Cour de Strasbourg a pris note du rôle joué par le Tribunal constitutionnel et des modifications législatives présentées par le gouvernement, constatant – et ce fut primordial – que « l’existence d’une voie de droit civil pour le dommage matériel causé par l’action ou l’omission de l’État semble clairement établie à la lumière de la jurisprudence des tribunaux polonais, en particulier de la Cour suprême »88. En revanche, la CEDH a émis une réserve quant au bon fonctionnement du mécanisme de recouvrement d’une indemnisation auprès des autorités publiques pour le préjudice moral. Le gouvernement s’étant néanmoins engagé à fournir une base légale pour la formulation par les victimes des déplacements du Boug d’une demande de compensation du dommage moral subi, la Cour a retenu « la volonté tangible [du 82 CEDH, Broniowski c. Pologne (règlement amiable), préc., § 31. 83 Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme (2006) », RTDH, n°71, 2007, p. 687. 84 Jakub WOŁĄSIEWICZ, « Pilot judgements from the perspective of the Polish Governement Agent… », préc., p. 33. 85 CEDH, Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), n°50003/99, 14 décembre 2007, Rec. 2007-XIV, § 13. 86 CEDH, Broniowski c. Pologne (règlement amiable), préc., § 34. 87 Ibidem, § 36. 88 Ibid, § 41. 86 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME gouvernement défendeur] de prendre des mesures destinées à remédier aux défaillances structurelles constatées par elle dans son arrêt au principal »89. Au regard des mesures individuelles et générales déjà adoptées par la Pologne, la Cour a donc décidé de rayer l’affaire Broniowski de son rôle. Il faut souligner que cette décision ne signifiait nullement que la Pologne avait rempli à ce stade l’ensemble des obligations qui étaient les siennes dans sa mission d’exécution de l’arrêt pilote puisqu’il appartenait in fine au Comité des ministres d’établir le bilan définitif des mesures mises en œuvre. À l’évidence, ce règlement-amiable a fourni une indication rassurante sur la qualité des réformes en cours90. Dans les mois qui suivirent, tant la CEDH – qui a dû examiner la recevabilité de nouvelles requêtes individuelles – que le Comité des ministres – dans son rôle de surveillance – ont jugé convaincant l’ensemble des mesures adoptées. C. La résolution complète des « affaires du Boug » Le bilan du long processus réformateur dans lequel s’est engagée la Pologne doit être dressé à la lumière d’un ensemble de décisions successives émanant des organes de la Conv. EDH. Le Comité des ministres s’est, le premier, penché sur le suivi de l’exécution de l’arrêt Broniowski par la Pologne (1) avant qu’une série de décisions de la CEDH ne lève les ultimes doutes quant à sa bonne réception par l’État (2). Enfin, le Comité des ministres a adopté sa résolution finale en septembre 2009 (3). 1) La résolution intérimaire du Comité des ministres du 5 juillet 2005 114 - Lorsque le Comité des ministres s’est penché sur l’examen de l’exécution de l’arrêt Broniowski le 5 juillet 2005, la Pologne avait d’ores et déjà entrepris d’adopter une nouvelle législation visant à réglementer la mise en œuvre du droit de propriété des rapatriés du Boug. De plus le jugement rendu le 15 décembre 2004 par le Tribunal constitutionnel avait précipité l’abrogation des dispositions législatives responsables de la violation de l’article 1er du Proto- 89 Ibid, § 42. 90 « Sans doute, la Cour ne décerne-t-elle pas formellement à l’État polonais, un brevet de bonne exécution de l’arrêt pilote. Néanmoins, la vérification opérée s’en proche sensiblement en substance […]. Mais au-delà de la terminologie spécifique au contexte dans lequel elle intervient, la Cour conclut son investigation comme pourrait le faire, mutatis mutandis, le Comité des ministres » (Jean-François FLAUSS, « L’effectivité des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme : du politique au juridique et vice-versa », RTDH, n°77, 1er janvier 2009, pp. 66). 87 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE cole n°1 sanctionnée par la CEDH. À travers une résolution intérimaire91, le Comité des ministres a dressé un premier bilan encourageant mais s’est dit néanmoins préoccupé par la mise en œuvre des droits des demandeurs concernés par l’abandon de biens au-delà du Boug, dans l’attente de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives. Il a ainsi encouragé les autorités polonaises à continuer leurs efforts tout en déclarant devoir poursuivre l’examen de l’exécution de l’affaire. Le Comité des ministres rendra sa résolution finale en 2009 mais, entretemps, la CEDH s’est prononcée sur la pertinence des mesures législatives adoptées par la Pologne à travers les décisions de recevabilité d’affaires similaires. 2) La clôture des affaires du Boug par la CEDH 115 - Les décisions sur la recevabilité, rendues par la CEDH postérieurement au règlementamiable Broniowski à propos des requêtes fondées sur des faits similaires, confirment l’opinion favorable précédemment exprimée par les juges. Le 4 décembre 2007, la quatrième section de la CEDH a examiné la recevabilité des requêtes Wolkenberg et autres et Witkowska-Toboła92. Passant au crible les dispositions de la loi du 8 juillet 2005, elle a estimé « qu’en plafonnant à 20 % de la valeur actuelle des biens concernés le montant de l’indemnité pouvant être versée aux requérants et aux autres titulaires de créances portant sur des biens délaissés outre-Boug et en retenant l’indice des prix de détail pour la revalorisation des créances, la loi de juillet 2005 a ménagé, d’une manière compatible avec les exigences de l’article 1 du Protocole n°1 à la Convention, un juste équilibre entre la protection des droits de propriété des personnes concernées et l’intérêt général »93. La Cour a, en outre, dressé un nouveau bilan des mesures prises par le gouvernement polonais, signalant à cette occasion que 11 012 créanciers avaient, au 30 mai 2007, obtenu la reconnaissance de leur droit à compensation, tandis que le fonds d’indemnisation des rapatriés mis en place par la Pologne dis- 91 Com. Min., ResDH(2005)58 (exécution de l’arrêt Broniowski c. Pologne), préc. Destinée à constituer une pression supplémentaire sur l’État puisque le Comité se refuse de clore le suivi d’une affaire, la résolution intérimaire ne produit pas d’effets spectaculaires dans la pratique, et il n’est pas rare qu’une même affaire fasse l’objet de plusieurs résolutions intérimaires successives (voir l’avis d’Élisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (2010) », RTDH, n°88, 2011, pp. 950951). 92 CEDH, Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), préc. ; CEDH, Witkowska-Toboła c. Pologne (déc.), n°11208/02, 14 décembre 2007. Voir également Élisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD (« L’exécution des arrêts de la CEDH (2007) », RTDH, n°75, 2008, p. 667. 93 CEDH, Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), préc., § 66. 88 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME posait déjà en 2007 de 421 128 000 PLN. Les quelques réserves émises par la CEDH concernaient la capacité logistique de l’État à maintenir une indemnisation rapide et efficace des créanciers toujours en attente, dont le nombre étaient estimé à environ 50 000. Ces critiques devaient cependant être atténuées par la Cour devant la propre lucidité du gouvernement sur les difficultés évoquées94. Au regard de l’ensemble des changements intervenus en Pologne au cours des mois précédents, la CEDH a considéré comme levés les « obstacles pratiques et juridiques à l’exercice par les intéressés de leur ‘‘droit de créance’’ qui, dans l’arrêt Broniowski, avaient été jugés constituer une violation de l’article 1 du Protocole n°1 »95. Les requêtes introduites ont en conséquence été déclarées irrecevables. Quant à savoir si la question de fond avait été résolue au-delà de l’aspect individuel de cette affaire majeure, la CEDH a estimé que « les procédures mises en place par la loi de juillet 2005 ont fourni aux requérants ainsi qu’aux autres titulaires de créances similaires des possibilités de réparation au niveau interne qui font qu’il ne s’impose plus de poursuivre l’examen de la présente requête et des requêtes analogues », bien qu’il reste envisageable de réinscrire des requêtes similaires au rôle « si les circonstances, en particulier le fonctionnement à l’avenir du système de compensation mis en place par la loi de juillet 2005, le justifient ». Ceci pouvait alors s’analyser comme un sursis accordé à la Pologne. 116 - La particularité de la procédure de l’arrêt pilote est d’inviter l’État condamné à la mise en place d’un mécanisme interne efficace permettant aux victimes d’un dysfonctionnement systémique relevé d’obtenir réparation à l’échelle nationale. Cela peut se traduire concrètement par la radiation du rôle de la CEDH de toutes les requêtes « clones » en lieu et place de la poursuite de leur examen individuel, lequel se solderait par une excessive perte de temps pour la Cour96. Le 23 septembre 2008, à l’occasion de l’examen de la recevabilité du groupe d’affaires E. G.97, la CEDH s’est décidée à adopter une solution globale en confirmant que l’affaire des compensations des rapatriés des anciens territoires polonais était définitivement close. La tâche qui incombait à la Cour en vertu de l’article 19 de la Conv. EDH a été accomplie et, dans ces conditions, la poursuite de la procédure d’arrêt pilote ne se justifiait plus98. 94 Ibidem, §§ 21-22. 95 Ibid, § 71. 96 Jakub WOŁĄSIEWICZ, « Pilot judgements from the perspective of the Polish Governement Agent… », préc., p. 32. 97 CEDH, E. G. et 175 autres affaires de la rivière Boug c. Pologne (déc.), n°50425/99, 23 septembre 2008, Rec. 2008-IV 98 Ibidem, § 29. 89 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE Les 176 requêtes restantes contre la Pologne ont été rayées du rôle de la Cour99. L’évaluation de la qualité de la réception polonaise repose en dernier lieu sur les conclusions du Comité des ministres. Comme l’a rappelé la CEDH, il appartenait à cet organe de superviser l’exécution complète de l’arrêt. 3) La résolution finale du Comité des ministres du 30 septembre 2009 117 - La radiation des requêtes, précédemment évoquée, marque l’achèvement de l’affaire Broniowski et la bénédiction des réformes internes par la CEDH. Ceci invite à considérer comme définitivement résolues les affaires des rapatriés du Boug. Une semaine après la décision E. G., fort des constats déjà dressés par la Cour elle-même, le Comité des ministres est intervenu une ultime fois pour mettre logiquement un terme au suivi de l’exécution de l’arrêt Broniowski et clôturer l’affaire. Au regard de l’ensemble des mesures individuelles (versement dans les délais d’une satisfaction équitable et règlement amiable avec indemnisation) et générales (nouveau mécanisme de compensation pour les rapatriés du Boug ou leurs ayantsdroit), le Comité a précisé qu’aucune autre mesure d’exécution ne s’imposait dans cette affaire100. D’un spectre du passé, l’autre… Avant d’être placée dans le giron de l’Union soviétique, la Pologne a payé un lourd tribut à l’Allemagne nazie, qui l’avait envahie le 1er septembre 1939 aux aurores. Avec la démocratie est arrivée la réconciliation germano-polonaise et la possibilité d’indemniser les victimes de déportation et de travail forcé. § 2. L’INDEMNISATION DES VICTIMES DU TRAVAIL FORCÉ EN ALLEMAGNE NAZIE 118 - Avant même l’achèvement du processus de réunification de l’Allemagne, l’embellie des relations diplomatiques avec la Pologne – largement conditionnée par la sécurisation de la frontière commune par la reconnaissance de la ligne Oder-Neisse101 – a permis d’envisager 99 Voir le dispositif de la décision E.G. c. Pologne (ibid.) ainsi que l’ouvrage de Jean-Baptiste RUEExécution des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme : Procédure, obligations des États, pratique et réforme, Helbring Lichtenhan, Bâle, 2009, p. 64. DIN, 100 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2009)89 (exécution de l’arrêt Broniowski c. Pologne), 30 septembre 2009, 1065e réunion des délégués. 101 Traité bilatéral signé à Varsovie le 14 novembre 1990 confirmant la frontière entre l’Allemagne et la Pologne, complété par le Traité de bon voisinage et de collaboration amicale du 17 juin 1991. 90 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’indemnisation des victimes polonaises soumises à la déportation, au travail forcé ou à l’esclavage sur le territoire du IIIe Reich. D’un accord bilatéral signé le 16 octobre 1991 entre la République de Pologne et la République Fédérale d’Allemagne naquit la Fondation pour la Réconciliation Germano-Polonaise (FRGP). Celle-ci se composait de plusieurs organes dont deux s’intéressaient au traitement des dossiers individuels transmis : la commission de vérification et la commission d’appel. Ses membres étaient nommés par le conseil de surveillance et le conseil d’administration, et la Fondation demeurait sous la tutelle du ministre du Trésor. Les deux commissions devaient décider, au regard de la situation de chaque victime, de l’octroi d’indemnisations financées par un fonds de 500 millions de Deutschemarks (DEM) mis à disposition de la Fondation par l’État allemand. Conformément à la législation polonaise de 1984 régissant le fonctionnement des fondations102, la FRGP n’était pas une institution publique, le gouvernement n’intervenait pas dans son fonctionnement interne, nonobstant le placement sous tutelle, se contentant d’une mission de contrôle. La CEDH fut saisie par des administrés, parties-demanderesses dans des procédures d’indemnisation, qui contestaient à juste titre l’impossibilité d’interjeter appel des décisions de la Fondation devant un tribunal indépendant (A). La bonne réception des arrêts de la CEDH par la Cour suprême polonaise a permis à la Pologne de remplir ses obligations en matière d’exécution (B). A. Les deux voies d’indemnisation devant la Fondation pour la Réconciliation GermanoPolonaise contraires à l’article 6 de la Convention 119 - La nature des indemnisations accordées par la FRGP a posé des problèmes au regard de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH, entraînant le dépôt de requêtes individuelles et une série d’arrêts rendus par la CEDH en 2006 et en 2010103. L’affaire inaugurale Woś, concernait la première voie d’indemnisation ouverte par la Fondation conformément à la législation allemande dans les cas de déportations sur le territoire du Reich ou un territoire annexé par celui-ci (1). Les arrêts suivants jugés par la CEDH 102 Ustawa z dnia 6 kwietnia 1984 r. o fundacjach [Loi du 6 avril 1984 sur les fondations], Dz. U., 1984, n°21, texte 97, pp. 253-255. 103 CEDH, Woś c. Pologne, n°22860/02, 8 juin 2006, Rec. 2006-VII ; CEDH, Krosta c. Pologne, n°36137/04, 2 février 2010 ; CEDH, Kadłuczka c. Pologne, n°31438/06, 2 février 2010 ; CEDH, Kostka c. Pologne, n°29334/06, 16 février 2010 ; CEDH, Szal c. Pologne, n°41285/02, 18 mai 2010 ; CEDH, Belka c. Pologne, n°20870/04, 18 mai 2010 ; CEDH, Czekień c. Pologne, n°25168/05, 18 mai 2010. 91 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE eurent trait aux décisions prises selon le second schéma d’indemnisation pour le travail forcé (2). 1) La première voie d’indemnisation 120 - Dans l’affaire Woś, le requérant avait été soumis au travail forcé par l’Allemagne nazie de février 1941 à janvier 1946, tout d’abord à proximité de son lieu de résidence dans une ferme près de Cielcza (février-mars 1941), puis dans la forêt de Cielcza comme bûcheron (avril 1941-mai 1944), et enfin comme ouvrier sur les ouvrages défensifs allemands dans la région de Wielkopolska, à 200 kilomètres de chez lui (mai 1944-janvier 1945). Le droit à indemnisation devant la FRGP était à cette époque ouvert pour toute personne ayant été déportée en dehors de son lieu de résidence permanente pour effectuer un travail forcé sur le territoire du IIIe Reich. Le requérant avait obtenu de la FRGP en février 1994 le versement d’une indemnisation pour les travaux effectués entre 1941 et 1945, sans que ne soit évoquée la question de sa déportation. En 1999, par la résolution 29/99 qu’elle édicta, la FRGP conditionna l’octroi d’une d’indemnisation des victimes polonaises du travail forcé à une déportation sur le territoire allemand ou sur un territoire annexé par le Reich, à l’exception du territoire polonais dans ses frontières de 1939. Cette condition limitative ne s’appliquait pas aux mineurs de moins de seize ans à l’époque des faits. Conformément à cette résolution, le FRGP accorda au requérant une indemnité complémentaire pour la période comprise avant février 1944, c'est-àdire avant son seizième anniversaire, excluant ainsi les derniers mois où il fut forcé à travailler loin de chez lui. Il se plaignit de l’exclusion de cette période dans le calcul de son indemnisation mais la commission d’appel de la Fondation rejeta son recours en avril 2001. Pour le président de cet organe d’appel, la déportation du requérant en Wielkopolska ne correspondait pas aux critères établis par la résolution 29/99 étant donné qu’il s’agissait d’une région polonaise sous contrôle allemand. Le requérant envisagea dès lors un pourvoi en cassation devant la Cour administrative suprême, laquelle se jugea incompétente et rejeta son recours le 3 décembre 2001104. La contestation des décisions de la commission d’appel de la FRGP conduisait donc à une sorte de conflit de compétence négatif105. C’est vers la CEDH que Bronisław 104 105 CEDH, Woś c. Pologne, préc. §§ 14-23 La Cour suprême avait d’abord considéré (CSP, n°III ZP 44/97, 31 mars 1998) que les prestations délivrées par la Fondation ne relevaient pas du droit civil, ce qui semblait bien compromettre un contrôle par les juridictions civiles. En revanche, elle avait explicitement déclaré dans le même arrêt que les décisions de la FRGP n’étaient pas de nature administrative et que la Cour administrative suprême était incompétente. Cette dernière confirma son incompétence l’année suivante, dans un arrêt du 19 février 1999 (n°V SAB 7/99). La Cour suprême leva en 2001 (CSP, n°III CZP 46/01, 5 octobre 2001) l’ambiguïté qui caractérisait sa décision de 1998 en 92 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Woś se tourna en dernier lieu, estimant que l’impossibilité de contester une décision rendue par la commission d’appel de la FRGP ne satisfaisait pas les obligations résultant de l’article 6 de la Convention. 121 - Dans l’arrêt qu’elle rendit le 8 juin 2006, la quatrième section de la CEDH a considéré que les indemnisations sollicitées auprès de la FRGP revêtaient un caractère civil106 au sens du premier paragraphe de l’article 6 de la Conv. EDH et devaient ainsi être entourées des garanties procédurales imposées par ce texte. À l’évidence, la commission d’appel de la FRGP ne pouvait être regardée comme un tribunal impartial : ses membres étaient nommés et révoqués par les organes d’administration de la Fondation, eux-mêmes sous tutelle gouvernementale, et ses décisions étaient prises à huis-clos, sans suivre une procédure clairement définie. Enfin, l’impossibilité d’un contrôle par une juridiction indépendante n’étant justifiée par aucun argument convaincant, la procédure devant la FRGP contrevenait dès lors à l’article 6 § 1 de la Conv. EDH107. La question du droit d’accès à un tribunal des demandeurs de prestations s’est posée à nouveau et dans les mêmes termes par une série d’arrêts rendus par la CEDH en 2010 à propos de la seconde voie d’indemnisation ouverte par la Fondation. 2) La seconde voie d’indemnisation 122 - Le 2 février 2010, la CEDH prononça deux arrêts retenant la violation de l’article 6 § 1 pour l’impossibilité de contester les décisions délivrées par la commission d’appel de la FRGP devant un tribunal impartial. Six ans après l’arrêt Woś, la Cour a saisi l’opportunité de se prononcer sur l’évolution du droit interne. Les arrêts Kadłuczka et Krosta et ceux qui les excluant l’examen d’un recours devant une juridiction civile contre une décision de la FRGP, au motif que l’octroi d’une indemnisation par cet organisme ne créait pas un droit de nature contractuelle (voir CEDH, Woś c. Pologne, préc. §§ 41-43). 106 La Cour ne s’estime pas liée par la qualification de la nature de la prestation retenue par les tribunaux internes puisque les « droits et obligations de caractère civil » forment une notion autonome en droit de la Convention. Les prestations sociales et les actions en réparation, par exemple, ont un caractère civil au sens de la Convention (Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, 12e édition, Paris, PUF, coll. « Droit fondamental », 2015, pp. 240-241, § 58). Dégager des notions autonomes « permet à la Cour européenne d’attirer l’attention du juge national sur le sens qu’elle entend donner à certaines notions » présentes dans la Conv. EDH et dans le droit national d’un État-partie (Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, « Les méthodes d’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme, instrument de dialogue ? », in François LICHÈRE (et al.) (dir.), Le Dialogue entre les juges européens et nationaux : incantation ou réalité ?, Bruxelles, Bruylant, Coll. « Droit et Justice », 2004, p. 175). 107 CEDH, Woś c. Pologne, préc. §§ 41-43. 93 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE suivirent cette même année 2010108 concernaient la deuxième voie d’indemnisation devant la FRGP, instaurée par un autre accord entre l’Allemagne et la Pologne, conclu le 17 juillet 2000 après de longues négociations. Le gouvernement allemand s’était engagé à créer une Fondation pour la Mémoire, la Responsabilité et l’Avenir (loi du 2 août 2000) qui devait servir à financer les indemnisations pour les victimes de l’esclavage109 et du travail forcé au service d’entreprises allemandes sous le régime nazi. Un contrat passé le 16 février 2001 entre la Fondation allemande et la FRGP prévoyait le versement de plus 1,8 milliard de DEM pour alimenter le fonds d’indemnisation en Pologne110. Les requérants devant la CEDH avaient tous été engagés entre 2001 et 2007 dans des procédures en reconnaissance de leur situation d’anciens travailleurs forcés et demandaient une indemnisation à la FRGP. Ce n’est qu’à partir de 2007, en application de la jurisprudence Woś, que les juridictions internes avaient opéré des revirements de jurisprudence déterminants. Tout en en prenant acte, la CEDH n’a donc pu faire autrement que de retenir systématiquement la violation de l’article 6 § 1 dans ces affaires antérieures auxdits revirements. La Pologne s’est conformée sans délai aux exigences de la CEDH en ouvrant aux juridictions civiles les litiges relatifs aux décisions de la FRGP. B. L’ouverture au contrôle du juge de droit commun des décisions de la Fondation Tout juste un an après l’arrêt Woś, la Cour suprême polonaise a opéré un revirement de jurisprudence permettant aux décisions de la FRGP d’être examinées par les tribunaux de droit commun (1). Cette évolution du droit interne a convaincu le Comité des ministres de clore l’examen des affaires concernées (2). 1) La réception de l’arrêt Woś par la Cour suprême et le Tribunal constitutionnel 123 - Entre 2005 et 2007, la contestation devant la justice des décisions rendues par la FRGP n’était possible que dans une hypothèse particulière, illustrée par un arrêt de la cour d’appel de Poznań du 14 janvier 2005. Les justiciables étaient fondés à saisir une juridiction civile pour exiger le versement d’une somme que lui avait octroyée la Fondation par une déci108 Cf. supra, note de bas de page n°103. 109 L’un des requérants a d’ailleurs soulevé devant la CEDH la violation de l’article 4 de la Conv. EDH, moyen évidemment jugé irrecevable ratione personae, la Pologne ne pouvant être tenue responsable des crimes de l’Allemagne nazie (CEDH, Krosta c. Pologne, préc., §§ 36-37). 110 94 CEDH, Kadłucka c. Pologne, préc., §§ 24-40. LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME sion111. Il s’agissait là d’une première brèche ouverte pour la juridictionnalisation du contentieux de la FRGP, toutefois insusceptible d’assurer par anticipation la bonne exécution de l’arrêt Woś, rendu l’année suivante. 124 - La Cour suprême a opéré une avancée significative à l’occasion de sa saisine en 2006 par le Défenseur des droits civiques. Par une résolution du 27 juin 2007 mentionnant dès son visa la jurisprudence européenne Woś112, la haute juridiction civile a mis un terme aux pratiques qui avaient jusqu’alors conduit les administrés à saisir la CEDH, faute de pouvoir contester devant un tribunal les décisions de la FRGP. Opérant un franc revirement de jurisprudence, la Cour suprême a confié aux juridictions de droit commun la compétence d’accueillir les recours contre ces décisions. Son raisonnement s’est fondé sur une double motivation, tenant à la fois à l’interprétation du droit interne (la présomption de compétence des juridictions ordinaires découlant de la lecture de la Constitution, ainsi que les deux premiers articles du CC) et à l’application du droit international (notamment de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH). 125 - La position de la Cour Suprême a été ralliée par le Tribunal Constitutionnel quelques mois plus tard, dans un arrêt du 14 novembre 2007. Saisi par l’un des requérants devant la CEDH (en l’occurrence Stanisław Kostka), le Tribunal a considéré qu’en saisissant par erreur une cour administrative au lieu d’une juridiction civile, l’intéressé n’avait pu obtenir sur son litige une « décision finale » au sens de l’article 79 de la Constitution113. Le Tribunal a cité à l’appui de son argumentation la jurisprudence Woś de la CEDH114. L’évolution du droit positif et l’adoption de mesures individuelles a permis au Comité des ministres de clore l’examen de ce groupe d’affaires. 2) La clôture de l’examen des affaires Woś et autres par le Comité des ministres 126 - Consécutivement à la condamnation prononcée dans l’affaire Woś, le gouvernement polonais a diffusé une traduction de l’arrêt de la CEDH via le site Internet du ministère de la 111 CEDH, Kadłuczka c. Pologne, préc., § 43. 112 CSP, n°III CZP 152/06, 27 juin 2007. 113 Lequel dispose dans son premier alinéa : « Toute personne dont les libertés ou les droits ont été violés, a le droit, conformément aux principes définis par la loi, de porter plainte devant le Tribunal constitutionnel en matière de conformité à la Constitution de la loi ou d'un autre acte normatif en vertu duquel l'autorité judiciaire ou l'autorité de l'administration publique se sont définitivement prononcées sur les libertés ou les droits de cette personne ou sur ses devoirs définis par la Constitution.» 114 TCP, n°SK 53/06, 14 novembre 2007, OTK ZU, 2007, n°10A, texte 139, I § 2.1. 95 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE Justice. Le texte fut par ailleurs transmis aux présidents des cours d’appel du pays et relayé auprès du grand public par le Bulletin du Bureau d’Information du Conseil de l’Europe. Outre le versement de la satisfaction équitable dont s’est assuré le Comité des ministres, les requérants ont eu la possibilité – à l’instar de tous les bénéficiaires potentiels des indemnités versées par la FRGP – de déposer un recours contre une décision de la Fondation devant une juridiction ordinaire, ce que fit concrètement la requérante de l’affaire Belka, avec un procureur agissant à ses côtés115. 127 - La source des violations de l’article 6 dans les six affaires ici étudiées est aujourd’hui tarie puisque le FRGP a cessé d’indemniser les victimes polonaises du nazisme, faute d’argent. Le fonds constitué par l’Allemagne a été épuisé et les deux voies de compensation ont expiré : la première à la suite d’une résolution de la direction de la Fondation du 7 juin 2002, la seconde par la résolution du 30 septembre 2006116. Il restera certainement regrettable que la CEDH se soit prononcée tardivement (elle n’avait été saisie par Bronisław Woś qu’en mai 2002), son arrêt n’ayant eu qu’une influence limitée pour les hypothétiques bénéficiaires des indemnisations versées par FRGP puisqu’il est intervenu bien après la clôture de la première voie d’indemnisation et peu de temps avant le terme de la seconde. 128 - Il n’en demeure pas moins que l’ensemble des mesures individuelles et générales adoptées par la Pologne ont convaincu le Comité des ministres de mettre un terme à la supervision de l’exécution de cette série d’affaires par une résolution du 30 avril 2013117. Une transition démocratique revêt aussi un aspect psychologique collectif et individuel. Elle invite à une réflexion critique sur le passé. Cette démarche n’est pas anodine et comporte le risque d’aviver les plaies existant entre les tenants de l’ordre ancien et leurs opposants politiques, risque d’autant plus grand lorsque les premiers ont opprimé les seconds. La Pologne n’a pas renoncé à construire une société démocratique dans laquelle le travail de mémoire permettrait de lever le voile sur le passé des citoyens polonais, sans volonté exacerbée de revanche. 115 Com. Min., Résolution CM/Res(2013)67 (exécution des arrêt de l’arrêt Woś c. Pologne et des arrêts dans six autres affaires), 30 avril 2013, 1169e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 116 Ibidem (bilan d’action). 117 Ibid. (clôture des affaires). 96 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME SECTION II – L’ENCADREMENT DU TRAVAIL DE MÉMOIRE NATIONALE 129 - Le travail de mémoire, dont l’ampleur et les moyens varient profondément d’un État à l’autre118, suit une double logique de recherche de la vérité et de réconciliation nationale. Cela passe par exemple par la levée de la confidentialité des archives historiques, ainsi que l’encourage le Conseil de l’Europe par la voix du Comité des ministres119. Le gouvernement polonais s’est intéressé à la responsabilité des dirigeants du régime socialiste autoritaire120 et de leurs complices. La République Populaire de Pologne, comme la plupart des autres régimes similaires d’Europe centrale, n’a pas perpetré des crimes de masse mais elle a instauré une surveillance de masse121, ce qui justifie l’absence de purges ou de grands procès pénaux. Leur a été préférée une politique dite de lustration, visant les collaborateurs et employés des services secrets communistes. Insuffisamment protectrice des droits et libertés, la lustration « à la polonaise » a été dénoncée par des recours individuels devant la CEDH (§ 1). Après 1989, les autorités se sont également penchées sur le sort des opposants persécutés en révisant les procédures les concernant. Les dysfonctionnements observés dans certaines procédures individuelles ont conduit à une intervention de la CEDH (§ 2). § 1. LA POLITIQUE DE LUSTRATION À L’ÉPREUVE DE LA CEDH 130 - La lustration a pu être qualifiée par le professeur Marek Safjan de « thème le plus émotionnel de la justice transitionnelle »122. La jurisprudence de la CEDH ne frappe pas 118 Sur les différentes politiques pour résoudre et interpréter les conflits du passé, en fonction de la nature des événements (colonialisme, affrontements de minorités, sortie d’un régime autoritaire…) lire not. Georges MINK, Laura NEUMAYER (dir.), L’Europe et ses passés douloureux, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2007, 268 pages. 119 Com. Min., Recommandation n°R(2000)13, 13 juillet 2000, 717e réunion. Le texte invite les États-membres à se doter d’une législation en matière de communication des archives, « [c]ompte tenu de l’intérêt croissant du public pour l’histoire, des réformes des institutions en cours dans les nouvelles démocraties et de l’ampleur exceptionnelle des changements qui s’opèrent partout dans la production des documents » et considérant également « qu’un pays n’accède pleinement à la démocratie que lorsque chacun de ses habitants dispose de la possibilité de connaître de manière objective les éléments de son histoire ». 120 Le procès retentissant du général Wojciech Jaruzelski, tenu pour responsable des répressions et privations commises pendant la période de l’état martial, n’a jamais abouti. Le prévenu est décédé le 25 mai 2014. 121 Natalia LETKI, « Lustration and Democratisation in East-Central Europe », Europe-Asia Studies, vol. 54, n°4, June 2002, p. 534. 122 Marek SAFJAN, « Justice transitionnelle : l’exemple polonais, le cas de la lustration », European Journal of 97 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE d’inconventionnalité les procédures de lustration elles-mêmes, pas plus que le Conseil de l’Europe ne les proscrit. Ce dernier a pris le soin de préciser néanmoins que les mesures de lustration « ne sont compatibles avec un État de droit démocratique que si plusieurs critères sont respectés »123. Il est imposé aux États d’apporter la preuve de la culpabilité des personnes visées et de respecter leur droit à la défense, tout en se gardant de mener une politique de lustration dans un objectif de vengeance ou de détournement politique et social. Ainsi témoins des dérives occasionnées par ces procédures, les juges strasbourgeois se sont décidés à prononcer des condamnations lorsque les droits fondamentaux de l’individu n’étaient pas respectés. Le premier État à en faire les frais fut la Slovaquie dans l’affaire Turek. Fut reconnu en l’espèce la violation de l’article 8 de la Conv. EDH124. La Cour a sanctionné la lustration lorsque celle-ci avait été déclenchée à des fins politiciennes en Lettonie, dans l’affaire Ādamsons125. Dernièrement, l’ex-République Yougoslave de Macédoine a été condamnée pour la violation des articles 6 de la Conv. EDH à cause de l’iniquité de la procédure de lustration dirigée contre le président de la Cour constitutionnelle macédonienne126. La Pologne n’a pas échappé non plus à plusieurs condamnations127. Legal Studies, vol.1, n°2, 2007, <http://cadmus.eui.eu/dspace/bitstream/1814/7711/3/EJLS_2007_1_2_10_ SAF_FR.pdf> [consulté le 15-08-2013] 123 Ass. CdE., Résolution 1096(1996), Résolution relative aux mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes, 25 juin 1996, § 12. 124 CEDH, Turek c. Slovaquie, n°57986/00, 14 février 2006, Rec. 2006-II. Le requérant, employé dans l’éducation nationale, avait été inscrit au registre des anciens collaborateurs des services de sécurité communistes, conformément à la législation interne relative à la lustration. La diffusion de cette information (à son employeur, puis via la presse et Internet) l’avait contraint à quitter son travail. Il fit valoir devant les juridictions internes le droit à la protection de sa réputation et de sa bonne renommée (art. 11 du Code civil slovaque). À l’issue d’une procédure particulièrement longue (violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH), la justice considéra que le requérant n’avait pas su prouver que son inscription sur la liste des anciens collaborateurs était injustifiée. Mais la Cour a jugé que la procédure interne ne laissait pas au requérant de véritable chance de protéger le droit au respect de sa vie privée (violation de l’article 8 de la Conv. EDH). 125 CEDH, Ādamsons c. Lettonie, n°3669/03, 24 juin 2008. Après l’indépendante lettone et la fin du régime soviétique, le requérant avait exercé de hautes fonctions militaires et politiques. Toutefois, il fut déclaré inéligible aux élections législatives de 2002 au motif qu’il avait été par le passé employé des forces gardes-frontières du KGB. Or, pour la CEDH, la loi sur la lustration, en n’opérant aucune distinction parmi les différents agents des services secrets (quelles que fussent les circonstances, périodes, fonctions exercées) s’avérait manifestement disproportionnée aux objectifs d’intérêt public poursuivis par le législateur. 126 CEDH, Ivanovski c. ex-République Yougoslave de Macédoine, n°29908/11, 21 janvier 2016. La première section de la Cour a également retenu une violation de l’article 8 de la Conv. EDH. Le tribunal de lustration n’avait pas pris en compte le fait que l’accusé, mineur au moment des faits, avait collaboré contre son gré avec les services secrets. Sa condamnation à cinq ans de suspension de ses activités professionnelles était dès lors disproportionnée au but légitime poursuivi. 127 Douze au total : CEDH, Matyjek c. Pologne, n°38184/03, 24 avril 2007 ; CEDH, Bobek c. Pologne, n°687661/01, 17 juillet 2007 ; CEDH, Luboch c. Pologne, n°37469, 15 janvier 2008 ; CEDH, Górny c. Pologne, n°37469/05, 15 janvier 2008 ; CEDH, Rasmussen c. Pologne, n°38886/05, 28 avril 2009 ; CEDH, Jałowiecki c. Pologne, n°34030/07, 15 février 2009 ; CEDH, Wrona c. Pologne, n°23119/05, 5 janvier 2010 ; CEDH, Tomasz Kwiatkowski c. Pologne, n°24254/05, 19 avril 2011 ; CEDH, Moczulski c. Pologne, n°49974/08, 19 avril 2011 ; 98 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME La première législation sur la lustration adoptée en 1997 (A) a été remise en cause par la CEDH dans une série d’arrêts rendus de 2007 à 2011 concernant des hommes politiques, avocats ou fonctionnaires. Depuis, les règles de la lustration en Pologne sont conformes aux exigences du procès équitable (B). A. Le choix de la lustration par la Pologne : la loi du 11 avril 1997 131 - En Pologne, le débat sur la lustration, devant le Parlement comme devant le juge constitutionnel128, s’est ouvert au printemps 1992. Porté principalement par les partis de droite et du centre, il n’a pu aboutir au vote d’un texte en raison des élections survenues à la Diète en mai 1993129. Il fallut attendre 1997 et une coalition dominée par le centre-gauche pour que soit adoptée la première loi de lustration130, entrée en vigueur le 3 août 1997. Dans son article 3, le texte énumérait les fonctions dites publiques dont ceux qui les exercèrent étaient tenus de témoigner de leur probité devant une commission de lustration. S’il avait « collaboré » (volontairement ou secrètement) ou « travaillé » pour les services de sécurité de l’État communiste, un individu devait alors fournir une « déclaration de lustration » (article 6 de la loi). Toute déclaration mensongère provoquait pour lui, selon l’article 30, « la perte des qualités morales nécessaires pour exercer des fonctions publiques […], la révocation de la fonction exercée jusque-là si les qualités morales susmentionnées sont nécessaires à l’exercice de cette fonction […] et [la privation pour] celui-ci du droit de se porter candidat à l’élection présidentielle pendant une période de dix ans »131. Pour la politologue polonaise Natalia Letki, « la lustration ne doit pas être perçue comme une punition ou une revanche » et, à cet effet, la lustration en Pologne ne sanctionne pas un acte de collaboration mais simplement l’insincérité CEDH, Zabłocki c. Pologne, n°10104/08, 31 mai 2011 ; CEDH, Mościcki c. Pologne, n°52443/07, 14 juin 2011 ; CEDH, Zawisza c. Pologne, n°37293/09, 31 mai 2011. 128 Le Tribunal constitutionnel a statué pour la première fois sur la lustration dans sa décision du 19 juin 1992 (TCP, n°U 6/92, 19 juin 1992, OTK ZU, 1992, texte 13) portant sur l’arrêté de la Diète du 28 mai 1992 ([Uchwała sejmu Rzeczypospolitej Polskiej z 28 maja 1992 r.], M.P., 1992, n°16, texte 116) qui visait à établir une liste d’élus et de fonctionnaires, sans prévoir de sanction. Jugé inconstitutionnel et inconventionnel, notamment pour des motifs tenant à la légalité externe, l’arrêté a été suspendu par le Tribunal (Małgorzata ULLA, La Lustration dans les États postcommunistes européens, Clermont-Ferrand, Éditions du Centre Michel-de-l’Hospital – LGDJ, coll. des thèses, 2014, pp. 141-147, §§ 367-385) 129 Anna NAPIÓRKOWSKA, « Lustracja ,,po polsku’’ », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°2, 2011, p. 149. 130 Ustawa z dnia 11 kwietnia 1997 r. o ujawnieniu pracy lub służby w organach bezpieczeństwa państwa lub współpracy z nimi w latach 1944-1990 osób pełniących funkcje publiczne [La loi du 11 avril 1997 sur la divulgation par les personnes exerçant des fonctions publiques du fait qu’elles ont été employées par les services de sécurité de l’État, ont travaillé pour eux ou ont collaboré avec eux entre 1944 et 1990], Dz. U., 1997, n°70, texte 443, pp. 2189-2196. 131 CEDH, Matyjek c. Pologne, préc., § 34. 99 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE de la déclaration individuelle132. Sur le fondement de l’article 40 de la loi du 17 avril 1997, n’étaient pas concernés les seuls anciens employés des services secrets de la République Populaire de Pologne mais toute personne occupant une fonction publique à la date d’entrée en vigueur de la loi. C’est d’ailleurs essentiellement ce cas de figure qui a permis le développement d’un contentieux s’élevant jusqu’à la CEDH. 132 - La procédure de lustration ne reposait pas seulement sur cette loi mais également sur la combinaison d’articles pertinents du Code de procédure pénale (CPP), notamment sur l’article 100 § 5 ainsi libellé : « Si l’affaire a été examinée à huis clos parce qu’elle met en jeu des intérêts fondamentaux de l’État, notification sera donnée non des motifs eux-mêmes mais du fait que des motifs ont été rédigés ». La procédure s’appuyait aussi sur la loi du 14 décembre 1982 relative à la protection des secrets d’État133 (en vigueur jusqu’au 11 mars 1999) et sur la loi du 22 janvier 1999 sur la protection des informations non publiques (abrogée le 2 janvier 2011)134 puisque la lustration était placée sous le sceau du secret et de la confidentialité, positionnant inévitablement l’accusé en situation de net désavantage face au pouvoir d’un procureur spécial : le Défenseur de l’intérêt public135, institution-clef136. 133 - La procédure débutait par la déclaration remplie par chaque individu entrant dans le champ d’application de la loi sur la lustration. Le Défenseur de l’intérêt public était par la suite libre d’étudier la déclaration, de collecter les informations pertinentes pour en évaluer l’authenticité et de soumettre une demande d’ouverture de procédure de lustration contre l’auteur d’une déclaration apparaissant comme mensongère au tribunal de lustration (article 17d 2). Le déséquilibre entre les parties était d’autant plus important que la loi assurait au Défenseur de l’intérêt public et à ses services le « plein accès à la documentation et aux autres sources d’informations, quel qu’en soit le support, à condition qu’elles aient été créées 132 Natalia LETKI, « Lustration and Democratisation in East-Central Europe », préc., p. 535. 133 Ustawa z dnia 14 grudnia 1982 r. o ochronie tajemnicy państwowej i służbowej [Loi du 14 décembre 1982 relative à la protection des secrets d’État], Dz. U., 1982, n°40, texte 271, pp. 724-727. 134 Ustawa z dnia 22 stycznia 1999 r. o ochronie informacji niejawnych [Loi du 22 janvier 1999 sur la protection des informations non publiques], Dz. U., 1999, n°11, texte 95, pp. 381-423. 135 La CEDH, dans ses arrêts disponibles en langue française, choisit de l’évoquer par les termes « Commissaire représentant l’intérêt public ». La traduction la plus proche de l’intitulé polonais de cette institution (Rzecznik interesu publicznego) serait plutôt « Défenseur de l’intérêt public ». 136 En charge de l’examen des déclarations de lustration, il était partie à la procédure et bénéficiait d’un accès illimité aux documents des dossiers, ce qui n’était pas le cas des individus assurant leur défense dans les procédures de lustration. Voir Małgorzata ULLA, La Lustration dans les États postcommunistes européens, op. cit., pp. 160-162, §§ 420-426. 100 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME avant le 10 mai 1990 » (article 17 e)137. 134 - De son côté, la défense ne jouissait que d’un droit d’accès fort restreint aux documents du dossier lorsque ceux-ci étaient placés sous la mention « secret » ou « ultra-secret », conformément aux dispositions de la loi de 1982 puis à la loi de 1999 sur la protection des données secrètes138. La législation de 1999 prévoyait dans son article 86 § 2 qu’en l’absence de remise à niveau des documents contenant des informations classées comme « secrets d’État », ces documents seraient classés simplement « secrets ». Sur le fondement de l’article 52 § 2 du même texte, lorsque des documents portaient la mention « ultra-secret » et « secret », ceux-ci pouvaient « sortir de la salle de consultation au secret seulement si la personne à qui ils sont remis peut en assurer la protection contre toute divulgation non autorisée ». Nonobstant cette disposition qui semblait ouvrir aux personnes concernées un droit à la consultation, les autorités ont régulièrement fait jouer une autre disposition du même article, beaucoup plus contraignante : « [e]n cas de doute concernant les conditions de protection, le document ne peut être consulté que dans la salle de consultation, au secret ». L’usage probablement abusif de cette précaution a rendu extrêmement difficile l’établissement de la défense des personnes lustrées, tout individu soupçonné de déclaration mensongère ne pouvant pas même emporter les notes qu’il prenait lors de la consultation de ces documents139. 135 - Un dernier aspect de la procédure de lustration soulevait de sérieux doutes quant au principe du droit au procès équitable : le recours imposé au huis-clos des audiences. Initialement, la loi de 1999 prévoyait dans son article 21 § 4 que le tribunal bénéficiât de la possibilité de siéger à huis-clos d’office ou à la demande d’une partie. Cette disposition litigieuse a été révisée par un amendement entré en vigueur le 8 mars 2002 et disposant qu’un huis-clos ne pouvait être décidé qu’à la demande de la personne visée par la procédure de lustration140. 136 - Il convient de souligner enfin que la procédure de lustration ne respectait pas la compétence classique des juridictions polonaises en raison de son caractère exceptionnel. C’est la cour d’appel de Varsovie qui était compétente comme tribunal de lustration de première instance et, si nécessaire, comme tribunal d’appel mais dans une composition différente. L’arrêt 137 CEDH, Matyjek c. Pologne, préc., § 31. 138 La question de la conformité de ces restrictions avec la recommandation R(2000)13 du Comité des ministres (préc.) peut être posée, même si la recommandation prévoit des exceptions à la libre communication des archives pour la protection « d’intérêts publics prépondérants » tels « la défense nationale, la politique étrangère et l’ordre public » (voir annexe au texte, partie III). 139 Ibidem, §§ 37-38. 140 Ibid., §§ 32-33. 101 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE prononcé en seconde instance pouvait ensuite être cassé par la Cour suprême polonaise141. De l’application pratique de ces dispositions ont résulté des procédures de lustration restreignant considérablement les droits de la défense et se heurtant aux garanties du procès équitable de l’article 6 de la Conv. EDH. À partir de 2007, la Pologne a fait l’objet de plusieurs condamnations à Strasbourg. B. La politique de lustration neutralisée par la jurisprudence de la CEDH 137 - Les arrêts prononcés dans des affaires mettant en cause des lois de lustration montrent comment la CEDH a été amenée à affirmer sa position quant à ce phénomène. Considérant « qu’il n’existe pas d’approche uniforme au sein des Hautes Parties contractantes en ce qui concerne les mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes »142, elle reconnaît que les anciens États socialistes pouvaient avoir un intérêt à mener des procédures de lustration contre des individus appelés à exercer des fonctions élevées. La condition est toutefois d’accompagner ce type de procédure de certaines précautions pour le respect des droits de la défense143. S’il y eut une condamnation à la clef dans l’ensemble des affaires polonaises, ce n’est donc pas en raison de l’existence d’un système de lustration en Pologne dix ans après la chute de l’ancien régime mais bien par la faute de certaines modalités problématiques dans l’exécution des procédures de lustration, notamment les limitations d’accès aux éléments des dossiers (1). De concert avec le juge constitutionnel polonais, la CEDH a mis un terme à l’empiètement de cette politique sur les libertés individuelles (2). 1) La Pologne condamnée pour la restriction excessive de l’accès aux documents lors des procédures de lustration Entre 2007 et 2011, les arrêts jugés à Strasbourg concernaient des personnalités soumises à une déclaration de lustration en raison de leurs activités professionnelles et dont la sincérité avait été remise en cause (a). Dans une autre affaire nettement moins commentée et examinée en 2012, la requérante s’était plainte de la violation de son droit au respect de la vie privée en raison des restrictions d’accès à des documents la concernant, en marge d’une procédure d’auto-lustration (b). 141 Ce que permet l’article 24, al. 6 de la loi de 1997 modifiée. 142 CEDH, Wrona c. Pologne, préc., §§ 33. 143 CEDH, Turek c. Slovaquie, préc., § 115. 102 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME a) Les affaires Matyjek et autres : une atteinte à l’égalité des armes 138 - Le premier arrêt relatif à la Pologne a été rendu par la quatrième section de la CEDH le 24 avril 2007 dans l’affaire Matyjek. Le requérant était député de la Diète à l’époque où la loi de 1997 entra en vigueur. En tant que parlementaire, il avait dû se soumettre à ses dispositions et avait alors déclaré ne pas avoir collaboré avec les services secrets communistes. Le 1er juin 1999 pourtant, le Défenseur de l’intérêt public a saisi la cour d’appel de Varsovie, accusant le requérant d’avoir menti dans sa déclaration. Le 17 décembre 1999, la cour d’appel a effectivement conclu que le texte incriminé était mensonger, des éléments du dossier laissant apparaître que Tadeusz Matyjek avait volontairement et secrètement collaboré avec les services de sécurité de l’État socialiste. L’intéressé a pu prendre connaissance du dispositif de l’arrêt, mais non sa motivation. Encore considérés comme « secrets » au sens de l’article 100 § 5 du Code de procédure pénale, les motifs ne pouvaient être consultés que dans une salle spéciale de la juridiction concernée. Le requérant interjeta appel, arguant de son enregistrement comme collaborateur par le service de sécurité sans son consentement et sans même en avoir été informé, encore qu’il précisa avoir connu personnellement l’un des agents du service de sécurité. Dans l’arrêt de seconde instance rendu le 17 février 2000, la cour d’appel de Varsovie a rejeté le recours sans préciser davantage ses motifs à l’appelant. Celui-ci format un pourvoi en cassation le 20 avril 2000 et la Cour suprême polonaise cassa l’arrêt attaqué au motif que les demandes du requérant visant à l’audition de nouveaux témoins n’avaient pas été prises en compte. Elle renvoya ce faisant l’affaire devant la cour d’appel de Varsovie qui prononça, le 19 janvier 2001, l’annulation de l’arrêt de première instance. Entre temps, en décembre 2000, le chef du bureau de la sécurité de l’État avait décidé de lever la confidentialité du dossier personnel de Tadeusz Matyjek. Le 4 décembre 2001, il fut à nouveau déclaré coupable de mensonge sur sa déclaration de lustration par la cour d’appel de Varsovie. Son appel et son pourvoi furent par la suite rejetés144. Devant la CEDH qu’il avait saisie par une requête datée du 15 octobre 2003, le requérant fit grief à l’État polonais d’avoir méconnu les dispositions de l’article 6 de la Conv. EDH en le privant du droit de se défendre équitablement au cours de la procédure de lustration à laquelle il était partie. Il dénonça en particulier le caractère secret et confidentiel des documents datant de l’époque socialiste dont résultait l’impossibilité de prendre des notes et en conséquence de construire sa défense. La Fondation d’Helsinki, tierce intervenante dans la procédure devant la Cour145, a insisté sur les consé144 CEDH, Matyjek c. Pologne, préc., §§ 6-26 145 Les victimes de la lustration en Pologne ont pu compter sur l’aide de la Fondation d’Helsinki (ONG polonaise 103 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE quences sérieuses que pouvaient engendrer les procédures de lustration à l’égard des individus reconnus coupables de déclarations mensongères. Dès lors, l’accès aux pièces du dossier pour la préparation de la défense aurait dû être garanti, ce qui n’avait pas été le cas avec la procédure issue de la loi de 1997 puisque de nombreux documents demeuraient classés secrets146. 139 - Mention doit être faite de l’impossibilité concrète pour le requérant de remettre en cause la législation sur la lustration devant le Tribunal constitutionnel, comme l’avait pourtant suggéré le gouvernement. Dans sa décision portant sur la recevabilité de la requête, la CEDH a souligné l’échec de tous les recours intentés en pratique devant le juge constitutionnel147. Onze autres requêtes portant sur des faits similaires ont été transmises à la Cour de Strasbourg. Elles ne se distinguaient de l’affaire Matyjek que par la personnalité de leurs auteurs148, les griefs contre la procédure de lustration étant strictement identiques. 140 - Confrontée à la procédure de lustration polonaise, la CEDH a fait application de sa jurisprudence Turek c. Slovaquie. Les possibilités pour la personne lustrée de contester la version des faits présentée par les services de sécurité de l’État se trouvaient considérablement réduites par le refus d’accès à la majorité voire à la totalité des pièces classées secrètes. Pour la Cour, deux caractéristiques de la procédure contrevenaient aux principes posés par l’article 6 de la Conv. EDH. Tout d’abord, le pouvoir accordé au chef de bureau de la sécurité de l’État de pouvoir décider souverainement de la déclassification de documents secrets « ne se conciliait pas avec l’équité de la procédure et notamment avec le principe de l’égalité des armes »149. La CEDH a estimé ensuite qu’il appartenait au gouvernement de prouver l’intérêt de maintenir le caractère secret de certains documents et donc de placer l’individu accusé d’avoir menti dans une situation désavantageuse. La restriction imposée à l’accès aux documents des requérants et la situation privilégiée dont bénéficiait le Défenseur de l’intérêt public ont fait peser sur les individus concernés un fardeau excessif, rompant l’égalité des armes150. ayant son siège à Varsovie), qui a lancé un programme (2007-2010) destiné à seconder les personnes lustrées dans leurs démarches. La Fondation est intervenue en tant qu’amicus curiae devant le Tribunal constitutionnel et devant la CEDH et s’est lancée dans un travail analytique des arrêts de celle-ci concernant la lustration (voir Małgorzata ULLA, La lustration dans les États postcommunistes européens, op. cit., pp. 415-458, §§ 1089-1213). 146 CEDH, Matyjek c. Pologne, préc., §§ 51-52. 147 CEDH, Matyjek c. Pologne (déc.), n°38184/03, §§ 27-29, 30 mai 2006, Rec. 2006-VII. 148 Wanda Bobek, Zbigniew Luboch, Jacek Mościcki, Tomasz Kwiatkowski et Kazimierz Górny étaient avocats, Stanisław Jałowiecki, Robert Leszek Moczulski et Jerzy Zawisza, hommes politiques, Alicja Rasmussen et Elżbieta Wrona magistrates, Grzegorz Zabłocki membre du conseil de supervision d’une station radiophonique. 149 CEDH, Matyjek c. Pologne, préc., § 57 ; voir aussi CEDH, Turek c. Slovaquie, préc., § 115. 150 CEDH, Matyjek c. Pologne, préc., § 63. Il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, même un motif de sécurité nationale ou d’intérêt public ne permet pas de dissimuler des documents si cette dissimulation a pour effet de porter atteinte à l’équilibre des forces en présence au procès (CEDH, Rowe et Da- 104 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Dans les douze affaires évoquées, la Pologne a donc été condamnée sur le fondement des articles 6 § 1 et 6 § 3 combinés. 141 - L’État polonais, ainsi blâmé devant la Cour de Strasbourg, avait échoué à assortir la lustration de garanties suffisantes assurant le respect de l’égalité des armes tel qu’exigé par la Conv. EDH, ce que la Cour ne pouvait admettre quand bien même une politique de lustration était nécessaire. Au-delà de l’identification des causes de violations de l’article 6 de la Conv. EDH, il faut considérer les conséquences qui en découlent pour les justiciables, étant entendu, comme l’affirme le professeur Frédéric Sudre, que « [l]a protection de la liberté serait vide de sens si elle n’était pas confiée à une justice indépendante et impartiale, garantie d’un procès équitable »151. Si la série des arrêts de la CEDH mettant en cause la lustration en Pologne semble s’être définitivement achevée en 2011, encore faut-il dire quelques mots de l’intéressante affaire jugée en 2012 à propos de l’accès aux archives de l’Institut de la Mémoire Nationale, avec en trame de fond la collaboration soupçonnée de la requérante avec les services secrets. b) L’affaire Joanna Szulc : une atteinte au droit au respect de la vie privée 142 - Dans cette dernière affaire152, n’était pas en cause directement la procédure de lustration mais l’accès aux informations conservées au sujet de la requérante par l’Institut de la Mémoire Nationale (IMN), créé par la loi du 18 décembre 1998153. Dans les années 1970, la requérante avait été approchée à plusieurs reprises par les services secrets polonais qui l’invitèrent à devenir l’un de leurs informateurs. Elle s’y refusa toujours. Le 15 janvier 2001, elle s’adressa à l’IMN aux fins de vérifier les informations conservées à son égard dans les dossiers des services secrets. En mars 2004, elle reçut une certification l’informant qu’elle ne pouvait consulter les dossiers, n’étant pas une « victime » au sens de la section 6 de la loi de 1998. Selon ce texte, étaient considérées comme des « personnes victimes », seules autorisées vies c. Royaume-Uni, n°28901/95, 16 février 2000, Rec. 2000-II, § 62). 151 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., p. 530, § 357. 152 CEDH, Joanna Szulc c. Pologne, n°43932/08, 13 novembre 2012. 153 Ustawa z dnia 18 grudnia 1998 r. o Instytucie Pamięci Narodowej - Komisji Ścigania Zbrodni przeciwko Narodowi Polskiemu [Loi du 18 décembre 1998 relative à l’Institut de la Mémoire Nationale – Commission pour la poursuite des crimes contre la Nation polonaise], Dz. U., 1998, n°155, texte 1016. Selon Ewa Ochman, cet organisme devait « promouvoir un récit historique allant dans le sens d’une identité nationale enracinée dans l’héritage chrétien et les traditions nationales polonaises, et centré sur le martyrologue, l’héroïsme et la fierté à travers la contribution de la Pologne aux combats contre les régimes totalitaires » (Ewa OCHMAN, Postcommunist Poland – Contested Pasts and future identities, Londres/New York, Routledge, 2013, p. 5). En 2007, il fut critiqué pour son manque d’indépendance supposé à l’égard du pouvoir en place, notamment du parti PiS et de son programme nationaliste surnommé « IVe République » (ibidem, p. 81). 105 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE à consulter les archives, celles qui avaient été surveillées à leur insu par les services secrets et sur lesquelles des informations avaient été rassemblées. En octobre 2004, un journaliste publia une liste censée être une fuite en provenance de l’IMN, constituée des noms et numéros de dossiers des collaborateurs ou prétendus collaborateurs des services de sécurité de l’ancien régime : la liste dite de Wildstein154. Découvrant que son nom figurait parmi les nombreuses personnalités cataloguées, Joanna Szulc a demandé des clarifications sur ses informations personnelles. En janvier 2006, l’IMN confirma que les informations divulguées par la liste Wildstein correspondaient bien aux données contenues dans les dossiers des services secrets mais ne suffisaient pas à faire d’elle une « victime » autorisée d’accéder au contenu de ces dossiers. En octobre 2007, conformément aux dispositions de la seconde loi de lustration du 18 octobre 2006155, elle déposa auprès de la cour régionale de Varsovie une demande d’autolustration156. Sa demande fut rejetée en décembre 2007 au motif qu’elle n’avait pas été « publiquement accusée » de collaboration, au sens de l’article 20(5) de la loi de 2006. La décision fut ensuite confirmée en appel. Parallèlement, Joanna Szulc continua de se battre pour accéder aux archives la concernant au sein de l’IMN. Elle n’y parvint qu’à l’issue d’une longue procédure, et grâce notamment à une modification en 2010 de la loi de 1998 sur l’Institut de la Mémoire Nationale157. 143 - Reconnaissant que la requérante n’avait pu accéder aux informations pertinentes qu’après diverses procédures étalées sur dix ans et grâce à la levée des obstacles par un amendement du 18 mars 2010 aux dispositions législatives relative à l’Institut de la Mémoire Nationale, la CEDH a jugé que la Pologne n’avait pas rempli les obligations positives lui incombant au titre de l’article 8 de la Convention158. À partir de 2007, les procédures de lustration en Pologne vont s’entourer de nouvelles garanties pour les justiciables, garanties exigées par la CEDH et immédiatement prises en compte par le Tribunal constitutionnel. 154 Elle contenait non moins de 16 000 noms. La publication de cette liste a grandement contribué à relancer le débat sur la lustration en Pologne (Anna NAPIÓRKOWSKA, « Lustracja ,,po polsku’’ », préc., p. 150.) 155 Ustawa z dnia 18 października 2006 r. o ujawnianiu informacji o dokumentach organów bezpieczeństwa państwa z lat 1944-1990 oraz treści tych dokumentów [Loi du 18 octobre 2006 sur la divulgation d’informations sur les documents des organes de sécurité de l’État des années 1944-1990 ainsi que sur le contenu de ces documents], Dz. U., 2006, n°218, texte 1592, pp. 10809-10837. 156 Procédure permettant à toute personne dont le nom est présent dans les fichiers de l’IMN de se soumettre volontairement à la procédure de lustration. 157 CEDH, Joanna Szulc c. Pologne, préc., §§ 6-43. 158 Ibidem, §§ 83-95. 106 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 2) La lustration polonaise désormais conforme aux standards européens Pour le gouvernement polonais, la prise en considération des droits des personnes lustrées aurait commencé avant l’arrêt Matyjek par le biais, notamment, de la seconde loi de lustration de 2006 modifiée (a). Saisi par un groupe de députés de la conformité à la Constitution de cette loi de 2006, le Tribunal constitutionnel a porté un coup fatal à la volonté du législateur de durcir la politique de lustration, une quinzaine de jours après l’arrêt de la CEDH à propos de l’affaire Matyjek (b). Le droit pour la personne accusée d’obtenir copie des documents et de prendre des notes a été finalement ouvert par un règlement du ministre de la Justice édictée en 2012 (c). Enfin, la bonne exécution des arrêts de la CEDH a été permis par les mesures individuelles adoptées au bénéfice des requérants victorieux (d). a) Les effets positifs sur les droits des personnes lustrées des évolutions législatives survenues entre 2005 et 2007 144 - La loi du 15 avril 2005159 a produit des conséquences directes sur le volume des documents classifiés en modifiant la notion de « secret d’État ». Sous l’effet de ce texte, les données permettant l’identification des personnes ayant aidé les agences, services ou institutions de l’État ne sont plus répertoriées comme matériel classé. Impropres à éliminer totalement les sources de violation de l’article 6 de la Conv. EDH identifiées dans les affaires de lustration, ces nouvelles dispositions n’ont produit que des conséquences marginales sur la procédure en question. 145 - Beaucoup plus intéressante apparaît la seconde loi de lustration de 2006, modifiée en 2007 à la demande du Président de la République. Par sa volonté de durcir encore la politique de lustration, cette loi a été présentée par Małgorzata Ulla dans sa thèse sur le sujet comme défavorable aux droits des personnes lustrées160. Il apparaît dès lors assez surprenant que le gouvernement de centre-droit (opposé au parti conservateur PiS, initiateur de la loi) ait mentionné ce texte comme un élément de remédiation partielle aux insuffisances observées et sanctionnées par la CEDH à propos de la première loi de lustration de 1997. Le plan d’action 159 Ustawa z dnia 15 kwietnia 2005 o zmianie ustawy o ochronie informacji niejawnych oraz niektórych innych ustaw [Loi du 15 avril 2005 modifiant la loi relative à la protection des informations classifiées ainsi que d’autres lois], Dz. U., 2005, n°85, texte 727, pp. 5592-5664. 160 Małgorzata ULLA, La Lustration dans les États postcommunistes européens, op. cit., pp. 181-198, §§ 478530. L’auteur appuie son point de vue sur l’élargissement du nombre de professions concernées par la lustration, sur l’introduction d’un délit de lustration contre les personnes rédigeant une déclaration mensongère ou celles qui déposent un faux-témoignage dans une affaire de lustration. 107 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE du gouvernement161 validé par le Comité des ministres en 2014 présente la loi comme réceptacle d’une « série de modifications législatives visant à améliorer la position des personnes soumises aux procédures de lustration ». Par contraste avec la première forme de lustration, les procédures ne sont plus centralisées devant la cour d’appel de Varsovie mais décentralisées devant les cours régionales, en fonction du lieu de résidence de la personne concernée. Des procureurs, attachés au bureau central de l’IMN ou à une branche régionale initient et conduisent la procédure, en lieu et place du Défenseur de l’intérêt public. La personne lustrée bénéficie désormais des droits de la défense garantis par le CPP. Cette situation positive résulte en réalité non du texte de 2006 proprement dit mais des modifications introduites à celui-ci par les amendements présidentiels votés le 14 février 2007162. S’ajoutent à ces avancées la publicité de la procédure à moins que l’individu visé ne demande un huis-clos ou que le procureur ne l’exige lorsque l’affaire touche au secret d’État. Enfin, la loi de 2006 est venue modifier la loi du 18 décembre 1998 relative à l’IMN en donnant compétence conjointe au directeur du bureau de lustration et au président de l’IMN pour déclassifier les archives confidentielles concernées par une procédure en cours163. La loi de lustration de 2006 modifiée, toujours en vigueur, n’aurait pu être présentée sous un jour aussi favorable si le Tribunal constitutionnel ne l’avait vidée d’une grande partie de sa substance. En mai 2007 en effet, le Tribunal, saisi par l’opposition de gauche au Parlement, avait invalidé de nombreuses dispositions de cette seconde loi de lustration. b) L’arrêt historique du Tribunal constitutionnel du 11 mai 2007 146 - Dans son jugement du 11 mai 2007164, long de 201 pages, le Tribunal a déclaré non conforme à la Constitution – principalement à son article 2, généraliste165 – la procédure de lustration mise en place par les lois de 2006 et 2007. Il a en outre fait mention à plusieurs reprises des engagements internationaux contractés par la Pologne, notamment auprès du Conseil de l’Europe. Sont citées pertinemment la résolution n°1096 de l’Assemblée parlemen- 161 Com. Min., Document DH-DD(2014)1057 (communication de la Pologne concernant les affaires Matyjek et autres), 8 septembre 2014. 162 Małgorzata ULLA, La Lustration dans les États postcommunistes européens, op. cit., p. 188, § 496. À propos du veto présidentiel, cf. Annexe n°2. 163 Com. Min., Document DH-DD(2014)1057, préc., partie II. 164 TCP, n° K 2/07, 11 mai 2007, OTK ZU, 2007, n°5A, texte 48. Résumé en français disponible en ligne : <http://www.trybunal.gov.pl/fr/resumes/documents/jugementdu11mai2007_arret.pdf> [consulté le 17-07-2015]. 165 L’article 2 de la Constitution de 1997 dispose : « La République de Pologne est un État démocratique de droit mettant en œuvre les principes de la justice sociale ». 108 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME taire166 (de nombreuses occurrences peuvent être relevées dans la décision) et la jurisprudence de la CEDH. Les défenseurs de la loi, trop conscients du contexte dans lequel le Tribunal devait trancher, ont fait allusion à l’arrêt Matyjek, excipant de l’impossibilité d’établir une comparaison entre les circonstances de l’affaire sur laquelle la CEDH venait de se prononcer (l’application de la loi de lustration de 1997) et les dispositions soumises au juge constitutionnel167. 147 - Le Tribunal constitutionnel a cité nommément non l’arrêt au principal mais la décision de recevabilité rendue par la CEDH dans l’affaire Matyjek en 2006, prenant note de la naissance d’un contentieux européen à l’égard de la Pologne sur la question de la lustration, quand bien même la loi interne concernée était celle de 1997, alors abrogée. Cette référence à la CEDH est une indication de la volonté de réception de la jurisprudence européenne rendue sur la thématique de la lustration, bien que le juge constitutionnel soit invité à se prononcer sur des dispositions différentes d’une part et qu’il se contente de citer la décision de recevabilité, non l’arrêt au fond, d’autre part. Le jugement du Tribunal constitutionnel se fonde évidemment sur la Constitution polonaise mais recourt dans son argumentation au droit européen qui, avec la résolution n°1096168, propose un encadrement des procédures de lustration afin d’en prévenir les dérives. 148 - La finalité initiale de la lustration au cœur de la justice transitionnelle de la démocratie centrale et est-européenne est bien celle d’« accélérer la transformation de cette nouvelle démocratie en stimulant le processus de remplacement de l’ancien système communiste », a rappelé Marek Safjan. Dès lors que la lustration se meut en une « espèce de vengeance contre les personnes impliquées dans les structures de l’État communiste »169, le Tribunal constitutionnel a sanctionné la méconnaissance des standards démocratiques sous le prétexte de liquidation de l’ancien régime communiste. 149 - Cette prise de position, fût-elle juridiquement étayée, a suscité l’indignation des responsables du parti PiS, lesquels remirent en cause l’impartialité du Tribunal constitutionnel. De leur côté, les partis d’opposition saluèrent naturellement la déconvenue des instigateurs de cette loi dure, objet de tant de polémiques voire de rébellions émanant de personnalités aussi 166 Ass. CdE., Résolution Res1096(1996) relative aux mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes, 27 juin 1996. 167 TCP, n°K 2/07, préc., p. 28. 168 Ass. CdE., Résolution Res(1096)1996, préc. 169 Marek SAFJAN, « Justice transitionnelle : l’exemple polonais, le cas de la lustration », préc., B. et F.1. 109 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE influentes en Pologne que l’ancien ministre des affaires étrangères Bronisław Geremek (19322008)170. 150 - La loi du 18 octobre 2006 ainsi censurée a néanmoins ouvert un second volet de la politique de lustration, consécutif à l’expiration du précédant texte de 1997, dont les effets prenaient fin le 15 mars 2007171. La législation nouvelle mettait fin au principe de déclaration de lustration pour lui substituer un système de certificat destiné à informer les catégories de personnes visées par la lustration de l’existence ou non d’un dossier des organes de sûreté de l’État les concernant. Cette loi devait être complétée par la loi du 14 février 2007 qui proposait finalement de rétablir l’obligation de déclaration préalable. Combinées ensemble, les lois de 2006 et 2007 rendaient plus répressive encore la procédure de lustration, d’autant plus qu’elles s’appliquaient à des personnes non concernées par la législation de 1997. Elles complétaient aussi la liste des institutions considérées comme des organes de sûreté de l’État socialiste172. 151 - Le cadre imposé par la CEDH pour contenir les dérives procédurales liées à la lustration a sans aucun doute pesé dans l’évolution de cette politique en Pologne. La volte-face du Tribunal constitutionnel polonais, qui avait appuyé dans ses grandes lignes la première loi de lustration de 1997173, témoigne de la prise en compte des exigences de la Conv. EDH telles qu’interprétées par la juridiction strasbourgeoise. Si le juge constitutionnel a intégré très rapidement les exigences conventionnelles vis-à-vis de la lustration, tel ne fut pas le cas du juge ordinaire qui n’a pas tiré toutes les leçons de la condamnation prononcée dans l’affaire Matyjek. L’arrêt de la CEDH a été rendu le 24 avril 2007 ce qui n’a pas empêché la Cour suprême, statuant un mois plus tard sur le pouvoir formé par une personnalité lustrée, de regarder comme conforme aux exigences du procès équitable la manière dont s’était déroulée la procédure174. 170 Zbigniew TRUCHLEWSKI, « L’Affaire Geremek », Nouvelle Europe, 30 avril 2007, < http://www.nouvelleeurope.eu/l-affaire-geremek> [consulté le 17 juillet 2015]. 171 CEDH, Bobek c. Pologne, préc., § 19. 172 Avec la procédure de lustration de 2006-2007, étaient concernés les organes des États tiers considérés comme « similaires » aux organes de sûreté existant sous le régime de la République Populaire de Pologne. 173 TCP, n°K 39/97, 10 novembre 1998, OTK ZU, 1998, n°6, texte 99. L’arrêt comporte néanmoins quatre longues opinions dissidentes des juges Zdzisław Czeszejko-Sochacki, Wiesław Johann, Ferdynand Rymarz et Marian Zdyb. 174 Le gouvernement a justifié cette position de la Cour suprême par le fait que le requérant n’avait pas mis en cause devant les juridictions internes la restriction imposée à l’accès aux documents et l’impossibilité de conserver les notes prises lors de la consultation de ceux-ci dans la salle spéciale du Tribunal de lustration (CEDH, Górny c. Pologne, préc., § 26). 110 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 152 - Le Tribunal constitutionnel a bien sanctionné en 2007 une forme de lustration répressive portée à bout de bras par le parti PiS lorsqu’il dirigea le pays de 2005 jusqu’à la sévère défaite électorale subie lors des élections législatives d’octobre 2007. La disparition accidentelle du Président Kaczyński, fondateur de PiS, le 10 avril 2010 conduisit à l’organisation d’élections anticipées les 20 juin et 4 juillet 2010. Elles consacrèrent la victoire du libéral Bronisław Komorowski, issu du parti PO. La lustration n’apparut plus à l’ordre du jour, le conservateur Jarosław Kaczyński s’abstint d’inscrire ce thème qui lui fut jadis si cher au programme de sa campagne électorale. Il en fut de même pour le candidat PiS à l’élection présidentielle suivante, Andrzej Duda, élu aux plus hautes fonctions le 24 mai 2015. Au fil des élections et du renouvellement des élites, il est évident que la lustration perd peu à peu sa raison d’être, même si elle fait partie de l’ordre juridique et s’applique aujourd’hui encore aux citoyens polonais qui prétendent à de hautes fonctions. Le garde-fou juridictionnel reste quant à lui intact, le Tribunal constitutionnel ayant rappelé dans un jugement d’avril 2015 relatif aux procédures pénales les exigences de la CEDH en citant en toutes lettres l’affaire Matyjek (la décision de recevabilité de 2006)175. La réception des arrêts Matyjek et autres ne s’est pas circonscrite à la vigilance du juge constitutionnel. Le problème de fond demeurait en partie : les restrictions opposées à l’accès aux documents qui nuisaient à la préparation de la défense des personnes lustrées. c) Les évolutions de 2010-2011 affectant le fonctionnement de l’Institut de la Mémoire Nationale 153 - La loi du 18 décembre 1998 relative à l’IMN176 a été amendée le 18 mars 2010 par le Parlement, pour introduire un droit d’accès aux documents déposés à l’institut. Par ce texte, entré en vigueur le 27 mai 2010, disparaissaient les possibilités pour l’Institut de s’opposer au désir des individus de consulter les archives les concernant. L’accès aux documents est désormais accordé sur demande par une décision administrative susceptible d’un recours devant le président de l’IMN, recours lui-même ouvert à l’appel devant les juridictions administratives177. Par ce biais, la Pologne éliminait de son droit positif les causes de la violation de l’article 8 de la Conv. EDH dans l’arrêt Joanna Szulc, rendu en 2011. Une fois encore, la 175 TCP, n°P 31/12, 2 avril 2015, OTK ZU, 2015, n°4A, texte 44, III § 3.2 et § 8.1. 176 Loi du 18 décembre 1998 relative à l’Institut de la Mémoire Nationale – Commission pour la poursuite des crimes contre la Nation polonaise, préc. 177 Com. Min., Document DH-DD(2014)206 (communication de la Pologne concernant l’affaire Joanna Szulc), 5 février 2014. 111 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE CEDH venait confirmer un problème dont les autorités avaient déjà pris conscience et une solution a été apportée avant même la condamnation à Strasbourg. 154 - Depuis le 1er janvier 2011, s’appliquent les dispositions de la nouvelle loi relative à la protection des informations classées, adoptée le Parlement le 5 août 2010178. Elle pose le principe selon lequel les données obligatoirement rassemblées au sein de l’IMN n’appartiennent pas à la catégorie des informations classées. Cela concerne les données relatives aux personnes collaborant avec les services d’espionnage ainsi que les officiers, employés et soldats œuvrant pour les agences de sécurité de l’État socialiste. Un contrôle systématique des documents classifiés est désormais programmé tous les cinq ans pour vérifier la pertinence de la classification, ce qui peut conduire à une modification voire à la levée de la confidentialité les affectant. Cependant, l’article 39 de la loi de 1998 sur l’IMN modifiée prévoit toujours que le directeur du bureau de sécurité de l’État, le directeur des services secrets ou le ministre de la Défense puisse demander au président de l’IMN que certains documents ne soient pas accessibles et soient alors placés sous protection spéciale pour une période déterminée. Les juridictions et les procureurs conservent le pouvoir de demander la levée de la limitation de l’accès à des documents179. L’ensemble des mesures adoptées a permis de diminuer drastiquement le nombre de documents classés, ceux-ci ne concernant plus qu’une très petite minorité de procédures de lustration180. Restait à fixer un cadre satisfaisant pour la consultation des documents classés dans les procédures concernées. d) Le règlement ministériel du 20 février 2012 relative à la consultation des documents classés 155 - Le dernier acte de la longue succession de mesures générales destinées à conformer la procédure de lustration aux exigences de la CEDH a été posé par la voie administrative. Le ministre de la Justice a adopté le 20 février 2012 un règlement181 qui offre enfin la possibilité 178 Ustawa z dnia 5 sierpnia 2010 r. o ochronie informacji niejawnych [Loi du 5 août 2010 sur la protection des informations classifiées], Dz. U., 2010, n°182, texte 1228, pp. 13778-13859. 179 Com. Min., Document DH-DD(2014)1057, préc. partie II. 180 Selon les statistiques gouvernementales, du 1er janvier 2012 au 1er juillet 2014, 25 038 déclarations de lustration ont fait l’objet d’une procédure en vérification, et seuls 7 dossiers impliquaient des documents classés (ibidem). 181 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 20 lutego 2012 w sprawie sposobu postępowania z protokołami przesłuchań i innymi dokumentami lub przedmiotami, na które rozciąga się obowiązek zachowania w tajemnicy informacji niejawnych albo zachowania tajemnicy związanej z wykonywaniem zawodu lub funkcji 112 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME de créer des copies et d’obtenir des extraits de documents classifiés, de créer un support permanent destiné à la prise de notes sur des documents classifiés et de le mettre à la disposition du preneur de notes dans une salle du tribunal au cours d’un procès. Le règlement prévoit également, pour les besoins de la procédure, de garantir l’accès des documents classifiés aux experts, traducteurs ou autres spécialistes. Il est entré en vigueur le 13 mars 2012. 156 - Si cet acte met un terme aux dispositions auparavant en vigueur, portées notamment par le règlement du ministre de la Justice du 18 juin 2003182 proscrivant toute possibilité pour l’intéressé d’emporter des notes ou encore d’obtenir des copies des documents, l’accès aux documents reste néanmoins très contrôlé et s’effectue dans les locaux du tribunal pour des raisons de sécurité, sous le contrôle de la juridiction compétente ou de son président. L’objectif est d’éviter la divulgation de documents confidentiels à des tiers. Le gouvernement a estimé devant le Comité des ministres que, dans la pratique, ces nouvelles garanties donnaient entière satisfaction en termes de respect du principe d’égalité des armes183. L’exécution des affaires relatives à la lustration nécessitait enfin l’adoption de mesures individuelles, notamment la possibilité de rouvrir les procédures concernant les requérants. e) Le versement de la satisfaction équitable et la réouverture des procédures individuelles 157 - Dans les douze affaires dans lesquelles la CEDH a retenu la violation des articles 6 § 1 et 6 § 3 combinés, les satisfactions équitables ont été versées aux requérants (les sommes allaient de 400 à 3 000 euros, selon les cas), en règle générale dans le délai prescrit, à deux exceptions près. Dans l’affaire Matyjek, le requérant a reçu le paiement une dizaine de jours après échéance et dans l’affaire Wrona, seuls trois jours de retard étaient à déplorer. Parmi les mesures individuelles, figurait aussi la possibilité pour les requérants de solliciter le réexamen de leur dossier par la justice, ce que six d’entre eux choisirent. Dans chacune des nouvelles procédures, les autorités judiciaires ont garanti la levée de la confidentialité sur les documents [Règlement du ministre de la Justice du 20 février 2012 relatif aux méthodes de gestion des protocoles des audiences et des autres documents ou objets couverts par l’obligation de confidentialité des informations ou secrets classés en relation avec l’exécution d’une profession ou d’une fonction], Dz. U., 27 février 2012, texte 219. 182 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 18 czerwca 2003 r. w sprawie sposobu postępowania z protokołami przesłuchań i innymi dokumentami lub przedmiotami, na które rozciąga się obowiązek zachowania tajemnicy państwowej, służbowej albo związanej z wykonywaniem zawodu lub funkcji [Règlement du ministre de la Justice du 18 juin 2003 sur les moyens de procéder avec les protocoles d’interrogatoire et les autres documents ou objets auxquels s’étend le secret d’État, les affaires ou les connexions en lien avec les professions ou les fonctions], Dz. U., 2003, n°108, texte 1023, pp. 7119-7120. 183 Com. Min., Document DH-DD(2014)1057, préc. partie II. 113 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE classés. Seule fait figure d’exception l’affaire Luboch, pour laquelle le requérant n’a pu bénéficier d’un libre accès aux documents mais leur consultation fut heureusement aménagée : les éléments du dossier était à disposition lors de l’audience à laquelle Zbigniew Luboch participa. Son avocat n’a d’ailleurs soulevé aucun grief relatif au principe d’égalité des armes au cours de cette procédure184. Enfin, dans l’affaire Joanna Szulc, la dernière en date liée à la lustration polonaise, la satisfaction équitable de 5 000 euros a bien été versée avant échéance185. 158 - Satisfait des mesures individuelles et générales adoptées par le gouvernement polonais, le Comité des ministres, après avoir déjà déclaré exécuté l’arrêt Joanna Szulc le 30 avril 2014186, a cessé de superviser les autres affaires relatives à la lustration à l’automne 2014187. Alors que la lustration est destinée à identifier les agents ayant collaboré avec l’ancien pouvoir politique, la réhabilitation des victimes de celui-ci, à travers la révision des procédures impliquant des opposants, est une autre facette du travail de mémoire effectué en Pologne. § 2. LA RÉVISION DES PROCÉDURES IMPLIQUANT DES OPPOSANTS POLITIQUES 159 - Parmi les victimes du régime autoritaire, figurent aussi ces Polonais condamnés pour des motifs politiques188. L’arrivée d’un gouvernement démocratique a été l’occasion de revenir sur des procédures regardées a posteriori comme illégales, contraires aux droits fondamentaux, à travers la loi du 23 février 1991 prévoyant l’annulation des condamnations des personnes persécutées en raison de leur action politique189. La CEDH n’a pas eu, sur ce point, 184 Com. Min., Document DH-DD(2014)1057, préc. partie I. 185 Com. Min., Document DH-DD(2014)206, préc. 186 Com. Min., Résolution ResDH(2014)60 (exécution de l’arrêt Joanna Szulc c. Pologne), 30 avril 2014, 1198e réunion. 187 Com. Min., Résolution ResDH(2014)172 (exécution de l’arrêt Matyjek c. Pologne et des arrêts dans onze autres affaires), 25 septembre 2014, 1208e réunion. 188 Les répressions politiques ont été particulièrement violentes dans les premières années qui suivirent la fin de la guerre, mais également après les élections de 1952 qui virent la victoire de la coalition fondée autour du Parti communiste. Des procès politiques furent organisés contre des individus sur le fondement de leur origine bourgeoise, leur participation à la guerre d’Espagne, leur appartenance à l’AK (Armia Krajowa), pour des liens soupçonnés avec des agents occidentaux, etc. (Daniel BEAUVOIS, La Pologne, Paris, Éditions de la Martinière, 2004, p. 401). 189 Ustawa z dnia 23 lutego 1991 r. o uznaniu za nieważne orzeczeń wydanych wobec osób represjonowanych za działalność na rzecz niepodległego bytu Państwa Polskiego [Loi du 23 février 1991 sur l’annulation des arrêts 114 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME à connaître d’un dysfonctionnement majeur ni même d’un nombre très important de requêtes. Le contentieux n’est que marginal et l’évoquer permet avant tout de mentionner le rôle qu’a pu jouer la Cour pour faciliter l’aboutissement des procédures de réhabilitation concernées, lesquelles s’inscrivent bien dans un contexte de transition et du traitement des rapports entre bourreaux et victimes du système socialiste. Trois de ces affaires ont été examinées sous l’angle de la durée excessive de la procédure (A), une autre sous l’angle de la protection du droit à la vie, pris dans sa branche procédurale (B). A. La durée excessive des procédures de réhabilitation des opposants politiques La Pologne a méconnu les exigences de l’article 6 de la Conv. EDH dans deux affaires relatives à la réhabilitation de condamnés politiques, la première fois pour la révision de la condamnation (1), la seconde fois pour l’indemnisation consécutive à la reconnaissance d’une condamnation illégale (2). 1) L’annulation tardive de la condamnation d’un ancien combattant des Forces Nationales Armées Engagé dans une procédure en révision de la condamnation de son frère, le requérant a subi les lenteurs proverbiales de la justice polonaise (a). Il put obtenir réparation grâce à la CEDH (b). a) Les faits à l’origine de l’affaire Kurzac 160 - Il s’agit, chronologiquement, de la première des trois affaires relatives à des condamnations politiques. Un ancien combattant des Forces Nationales Armées190 avait été jugé le 10 rendus contre les personnes persécutées pour leurs activités en faveur de l’indépendance de l’État polonais], Dz. U., 1991, n°34, texte 149, pp. 473-475. Le législateur, dans l’article 1er du texte, a limité la possibilité d’obtenir la révision des condamnations aux décisions prononcées dans la période allant du 1er août 1944 au 31 décembre 1956, ce qui correspond globalement à la période stalinienne de la Pologne, lorsque la répression des opposants était la plus sévère. Toutefois, le retour de la démocratie a permis également d’obtenir une annulation et un dédommagement pour des sanctions prononcées au-delà de cette période de terreur. Voir par ex. les faits de l’arrêt CEDH, Humen c. Pologne [GC], n°26614/95, 15 octobre 1999, à propos de la contestation de la durée d’une procédure civile portant sur l’attribution de dommages-intérêts au requérant, emprisonné à la suite d’une manifestation publique contre la politique du gouvernement en 1982 (non-violation de l’article 6 § 1). Le requérant avait déposé un recours extraordinaire auprès du Procureur général et obtenu l’annulation de sa condamnation par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour suprême du 3 mars 1993 (§ 10). 190 Narodowe Sily Zbrojne en polonais, connues sous le signe NSZ. Ces formes de résistances constituées en septembre 1942 pour lutter contre l’Allemagne nazie se sont ensuite soulevées contre l’Union soviétique, lançant des attaques contre l’Armée Rouge (CEDH, Kurzac c. Pologne, n° 31382/96, 22 février 2001, § 9) et assassinant 115 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE février 1948 par la cour militaire du district de Varsovie pour sa participation aux activités de cette organisation jugée illégale et condamné à sept ans de prison. Le 7 août 1956, alors qu’il avait purgé sa peine, il fut abattu par un officier de l’armée. Sur le fondement de la loi du 23 février 1991 précédemment évoquée, le frère de la victime a demandé en septembre 1993 à ce que soit déclarée nulle et non avenue la condamnation prononcée en 1948. Un an s’écoula sans qu’aucune audience ne fût programmée, et la chambre pénale de la cour régionale de Varsovie justifia ces retards par le grand nombre de requêtes semblables à traiter (10 000). En 1995, le requérant a saisi la CEDH pour se plaindre de la durée de la procédure. Une audience s’est finalement tenue le 25 mai 1998 et s’est achevée par l’annulation de la condamnation du frère du requérant191. Malgré l’aboutissement de l’affaire par cette décision judiciaire de 1998, devenue définitive, la CEDH a retenu la violation de l’article 6 § 1 pour la durée excessive de la procédure civile en accordant au requérant 20 000 PLN de satisfaction équitable. La CEDH a jugé que les retards dans le traitement de la demande d’annulation étaient dus aux autorités polonaises, qui avaient attendu cinq ans pour statuer sur un recours simple (une seule audience a suffi pour qu’un jugement soit prononcé) et avaient commis une maladresse législative en prévoyant, par un amendement du 20 février 1993 à la loi du 23 février 1991, que seule la cour régionale de Varsovie fût compétente pour l’annulation des condamnations des opposants politiques192. À la suite de cet arrêt, le gouvernement polonais a adopté la seule mesure susceptible de corriger la violation de la Convention : le versement de la satisfaction équitable. b) La réception assurée par le seul versement de la satisfaction équitable 161 - Dans une résolution du 10 mars 2011 relative à un groupe de dix-sept affaires contre la Pologne, le Comité des ministres a confirmé la clôture de l’examen de l’exécution de l’affaire Kurzac, avec le constat du versement au requérant de la satisfaction équitable imposée par la Cour193. La condamnation européenne était venue sanctionner un dysfonctionnement procédu- des communistes (Sophie CASSAR, La Pologne – Géopolitique du phénix de l’Europe, Perpignan, Artège, Coll. « Initiation à la géopolitique », 2010, p. 58). 191 CEDH, Kurzac c. Pologne, préc., §§ 10-14. 192 Ibidem, §§ 22-35. Voir Ustawa z dnia 20 lutego 1993 r. zmieniająca ustawę o uznaniu za nieważne orzeczeń wydanych wobec osób represjonowanych za działalność na rzecz niepodległego bytu Państwa Polskiego [Loi du 20 février 1993 modifiant la loi sur l’annulation des arrêts rendus contre les personnes persécutées pour leurs activités en faveur de l’indépendance de l’État polonais], Dz. U., 1993, n°36, texte 159. 193 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution des arrêts dans 17 affaires contre la Pologne), 11 mars 2011, 1108e réunion. 116 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ral qui avait empêché le requérant d’obtenir une décision dans un délai raisonnable. L’État polonais était lui-même à l’origine de l’ouverture à la révision des condamnations pour des motifs politiques et avait par ailleurs pris la mesure de l’engorgement du traitement des requêtes en ce sens, puisque la loi de 1991 avait été amendée le 3 février 1995 pour mettre un terme au monopole de la chambre criminelle de la cour d’appel de Varsovie194. À compter du 1er avril 1995, toutes les cours régionales recevaient compétence pour examine les recours en réhabilitation. Si l’effet produit par cette modification législative bien antérieure à la condamnation de la CEDH ne fut pas immédiat – dans l’affaire Kurzac, trois ans passèrent avant que le dossier porté par le requérant ne fût examiné – les statistiques fournies par le gouvernement mettent en évidence la très nette diminution du nombre de requêtes introduites entre 1995 et 1998195. Ainsi, aucune mesure générale postérieure à l’arrêt Kurzac n’était nécessaire pour en assurer la bonne exécution. En 2003, deux arrêts ont été rendus par la CEDH dans des affaires où les requérants dénonçaient les lenteurs de la justice pour indemniser des condamnations à tort prononcées après la guerre. 2) Le délai excessif de la procédure d’indemnisation d’une condamnation politique L’annulation d’une condamnation politique et la demande d’indemnisation qui en découlait furent à l’origine de l’affaire Ciągadlak, qui entraîna la condamnation de la Pologne pour la violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH (a). Dans une autre affaire portant sur une condamnation politique, la CEDH et le requérant ont pu s’entendre pour une solution par la voie du règlement amiable (b). a) La violation du droit d’obtenir une décision dans un délai raisonnable dans l’affaire Ciągadlak 162 - Le 2 avril 1992, le requérant avait saisi la cour régionale de Varsovie en vue de l’annulation d’une condamnation pénale prononcée à son encontre en 1947 et qu’il estimait être de nature politique. Les juges lui donnèrent gain de cause par une décision du 10 février 194 Ustawa z dnia 3 lutego 1995 r. o zmianie ustawy o uznaniu za nieważne orzeczeń wydanych wobec osób represjonowanych za działalność na rzecz niepodległego bytu Państwa Polskiego [Loi du 3 février 1995 modifiant la loi sur l’annulation des arrêts rendus contre les personnes persécutées pour leurs activités en faveur de l’indépendance de l’État polonais], Dz. U., 1995, n°28, texte 143. 195 Devant la cour régionale de Varsovie, 6 337 demandes de révision ont été transmises en 1994, avant la réforme. En 1997, ce chiffre était descendu en dessous du millier (CEDH, Kurzac c. Pologne, préc., § 27). 117 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 1993 mais sans lui verser de dommages-intérêts. Le requérant introduisit dès lors un nouveau recours afin d’obtenir une indemnisaton. Il n’obtint de jugement définitif qu’avec un arrêt du 19 juin 2000 de la cour d’appel de Varsovie. Saisie d’une requête individuelle motivée par la durée de la procédure, la CEDH a retenu la violation de l’article 6 § 1 le 1er juillet 2003196. 163 - L’exécution de cet arrêt a été suivie par le Comité des ministres à travers un groupe de dix-sept affaires contre la Pologne. Dans une résolution du 10 mars 2011, le Comité a pris note du versement des satisfactions équitables aux requérants, mesure suffisante dans chacun des cas pour réparer la violation de la Convention197. b) La conclusion d’un règlement amiable dans l’affaire Godlewski 164 - Le père du requérant avait été condamné le 7 août 1948 par la cour militaire du district de Varsovie en raison de ses activités politiques. En avril 1994, son fils demanda à la cour régionale d’Ostrołęka l’annulation de ce jugement sur le fondement de la loi du 23 février 1991 et l’obtint rapidement, par un jugement du 20 juin 1994. Il poursuivit ses efforts de réhabilitation de son père en demandant réparation devant la même juridiction pour le préjudice résultant de la condamnation illégale. Le dossier fut transféré à la cour régionale de Varsovie. Par une décision du 11 juillet 2000, le requérant obtint satisfaction, mais l’argent ne lui fut versé que le 2 avril 2001198. Cette seconde affaire examinée par la CEDH portait donc sur un autre aspect de la procédure de réhabilitation, l’indemnisation pour une condamnation à tort, mais soulevait également la question de la célérité des autorités judiciaires. 165 - Informée respectivement par le gouvernement polonais et par le requérant les 3 et 4 avril 2003 de la conclusion d’un règlement amiable portant sur le versement de 16 000 PLN en couverture des dommages subis et des frais de procédures engagés, la Cour a entériné l’accord par son arrêt du 8 juillet 2003199. La somme promise a été effectivement versée au requérant le 29 août 2003200. L’examen de l’exécution de l’arrêt par le Comité des ministres s’est clos par une résolution du 25 avril 2005 prenant acte du respect du règlement amiable par le gouvernement. 196 CEDH, Ciągadlak c. Pologne, n°45288/99, 1er juillet 2003. 197 Com. Min., résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution des arrêts dans 17 affaires contre la Pologne), 10 mars 2011, 1108e réunion des délégués. 198 CEDH, Godlewski c. Pologne (règlement amiable), n°53551/99, 8 juillet 2003, §§ 6-14. 199 Ibidem, §§ 17-20. 200 Com. Min., Résolution Res(2005)35 (exécution des arrêts (règlements amiables) dans 21 affaires contre la Pologne), 25 avril 2005, 922e réunion des délégués. 118 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Aux côtés de ces trois litiges201 peut être rangée une affaire beaucoup plus tragique et médiatisée, dont la CEDH a eu à connaître en raison, là encore, de défaillances procédurales : la mort de Grzegorz Przemyk en 1983. B. L’incapacité des autorités à éclaircir les circonstances de la mort d’un opposant politique Rendu en 2013, l’arrêt Przemyk portait sur la réouverture d’une procédure contre des policiers soupçonnés d’avoir assassiné le fils d’une activiste, conduisant à la condamnation de la Pologne sur le fondement de l’article 2 de la Convention (1). À défaut de pouvoir juger à nouveau cette affaire, la Pologne a proposé d’améliorer les procédures portant sur les allégations de violences commises par des policiers (2). 1) L’absence de procédure effective concernant les circonstances du décès de Grzegorz Przemyk 166 - En mai 1983, alors que la Pologne vit encore sous la chape de l’état martial proclamé le 13 décembre 1981, le fils de l’opposante démocratique Barbara Sadowska, alors jeune étudiant et poète, est arrêté par des policiers et violemment battu. Il décèdera deux jours plus tard des suites des blessures infligées. Pour l’historien Wojciech Roszkowski, cet assassinat brutal n’était autre qu’« un acte d’intimidation des opposants à la loi martiale »202. La procédure pénale ouverte contre les policiers dès 1983 aboutit à un acquittement général en 1984. La procédure fut rouverte en 1990 à l’initiative de la cour régionale de Varsovie, qui annula immédiatement l’acquittement prononcé en 1984 au motif que l’examen des preuves avait été gravement défectueux. Trois officiers de police furent mis en examen en 1991. La première audience n’eut lieu que le 22 mai 1995 et, par un jugement rendu le 4 avril 1997, la cour régionale de Varsovie acquitta l’un des policiers et en condamna un second à une peine de deux 201 Pour être complet, encore faut-il dire un mot de l’affaire Żebrowski, jugée par la CEDH en 2011 (CEDH, Żebrowski c. Pologne, n°34736/06, 3 novembre 2011). La maison et la ferme des parents du requérant avaient été brûlées en décembre 1946 par les services de sécurité dans le cadre d’une campagne de répression de la résistance anti-communiste. Son père et son frère furent par la suite condamnés et emprisonnés. Se fondant sur la loi du 23 février 1991, le requérant a obtenu l’annulation de la condamnation politique en 1999, après six années de procédure. Lors d’une seconde procédure ouverte en janvier 2003 par laquelle le requérant demandait à être indemnisé de la destruction de la propriété familiale, il ne put se pourvoir en cassation à cause du dysfonctionnement de la procédure d’aide juridictionnelle, source de très nombreux litiges devant la CEDH sans rapport spécifique avec la question de la réhabilitation des victimes politiques ou la réparation des préjudices causés par les autorités communistes (cf. infra, Partie II, Titre I, Chapitre II). 202 Agnieszka BIELAWSKA, « 25 years after the death of 19-years old Grzegorz Przemyk », Polskie Radio, 15 mai 2008, <http://www2.polskieradio.pl/eo/print.aspx?iid=82407> [consulté le 20/07/2015] 119 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE ans de prison. Le troisième policier fut condamné pour destruction de preuves. La cour d’appel de Varsovie annula partiellement l’arrêt de première instance en remettant en jugement les charges contre le policier précédemment acquitté. En revanche, elle acquitta le policier condamné pour la destruction des preuves. Le père de la victime, Leopold Przemyk, se pourvut en cassation, ainsi que les policiers condamnés, mais la Cour suprême rejeta les recours le 22 décembre 1999. Conformément à la décision de la cour d’appel, l’un des policiers fut rejugé et acquitté en juin 2000. L’appel interjeté par le père de la victime fut rejeté en janvier 2001, les juges de seconde instance avançant la prescription décennale atteinte le 1er janvier 2000. La Cour suprême, saisie par le procureur général et par Leopold Przemyk, annula le jugement litigieux et remit une fois encore l’affaire en jugement. La cour d’appel de Varsovie annula finalement l’acquittement du policier dans un arrêt du 29 janvier 2002 et remis l’affaire en jugement. Un nouvel acquittement fut prononcé en janvier 2004 mais annulé en seconde instance en juin 2004, les juges de la cour régionale de Varsovie n’ayant pas pris en considération certaines preuves essentielles pour fonder leur conviction. Ils avaient notamment omis d’organiser une confrontation entre l’accusé et des témoins, parmi lesquels un ami de Grzegorz Przemyk. Le procès s’ouvrit à nouveau en novembre 2009. Le 27 mai 2008, la cour régionale de Varsovie déclara le policier coupable de coups et blessures et le condamna à huit ans de prison. Une fois encore, le jugement fut annulé en seconde instance, la cour d’appel considérant que l’infraction avait été prescrite le 1er janvier 2005. Le procureur général déposa un pourvoi en cassation en février 2010. Celui-ci fut rejeté par la Cour suprême le 28 juillet de la même année, confirmant que l’infraction de « coups et blessures » reprochée à l’accusé n’était pas concernée par les exceptions à la prescription listées dans le Code pénal. Par ailleurs, la Cour suprême a estimé que l’incapacité des autorités judiciaires, depuis 1990, d’établir convenablement les éléments de l’affaire résultait principalement des actes des autorités communistes commis immédiatement après les faits dramatiques à l’origine de la mort de Grzegorz Przemyk, afin d’empêcher la mise en cause de la police203. 167 - La CEDH, examinant la requête portée par Leopold Przemyk, a rejeté la déclaration unilatérale proposée par le gouvernement polonais204, lequel offrait au requérant 57 078 PLN 203 CEDH, Przemyk c. Pologne, n°22426/11, 17 septembre 2013, §§ 7-27. 204 La procédure de la déclaration unilatérale repose sur l’article 62A du règlement de la CEDH. Elle est définie comme « une déclaration que le Gouvernement défendeur dans une affaire […] peut soumettre à la Cour après l’échec d’une procédure de règlement amiable. » Par cet acte, « le Gouvernement reconnaît la violation de la Convention européenne des droits de l’homme et s’engage à fournir un redressement adéquat au requérant. » Si le requérant en accepte les termes, l’affaire est alors « rayée du rôle en tant que règlement amiable et son exécution est surveillée par le Comité des ministres » (CEDH, Déclarations unilatérales : politiques et pratiques, 120 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME d’indemnisation. Eu égard à la gravité des faits à l’origine de l’affaire, considérant également que la récurrence des plaintes contre la Pologne invoquant la violation des articles 2 et 3 de la Conv. EDH tendait à révéler un problème structurel, la Cour a choisi d’examiner la requête au fond. Elle a retenu en l’espèce la violation de l’article 2 de la Conv. EDH pris en sa branche procédurale. Son appréciation s’est fondée sur les erreurs commises par les juridictions subalternes dans le traitement des éléments probatoires, conduisant à cinq reprises à remettre l’affaire en jugement pour finalement atteindre la prescription légale de l’infraction. La Cour a déploré le manque de rigueur d’une procédure qui « ne fut pas suffisamment dissuasive pour contribuer à en finir avec l’héritage du passé totalitaire ni pour prévenir efficacement le type d’actes dont s’est plaint le requérant »205. L’exécution de l’arrêt Przemyk n’a posé aucune difficulté sur le plan des mesures individuelles. Rattaché à un groupe d’affaires relatif aux dysfonctionnements des procédures pénales mettant en cause des violences policières, il est encore suivi pour ce qui est des mesures à caractère général. 2) La volonté de rendre justice anéantie par le dysfonctionnement des juridictions 168 - Dans cette affaire particulièrement médiatisée et empreinte de passion en Pologne, les autorités n’ont pu mener à bien la procédure pourtant spontanément rouverte une fois le régime socialiste disparu. La CEDH n’a pas manqué de souligner la volonté de traiter cette question en lien avec le passé206. Les chambres du Parlement avaient rendu hommage, par deux résolutions adoptées en mai 2013 – trente ans après la mort de Grzegorz Przemyk – à la septembre 2012, <www.echr.coe.int/Documents/Unilateral_declarations_FRA.pdf> [consulté le 06-12-2015]). La déclaration unilatérale a été introduite par la première section de la CEDH dans l’arrêt Akman c. Turquie (n°37453/97, 26 juin 2001, Rec. 2001-VI). Ses critières n’ont jamais été définis avec exhaustivité, quand bien même la Cour les ébaucha dans l’arrêt Tahsin Acar c. Turquie ([GC], n°26307/95, 6 mai 2003, Rec. 2003-VI, § 76). Voir à ce sujet Helen KELLER, David SUTER, « Friendly Settlements und Unilateral Declarations : An analysis of the ECtHR’s case law after the entry into force of Protocol No. 14 », in Samantha BESSON (dir.), La Cour européenne des droits de l’homme après le Protocole 14…, préc., pp. 63-64. L’un des critères de la validation par la Cour d’une déclaration unilatérale semble être la reconnaissance préalable par le gouvernement défendeur de la violation d’une disposition de la Conv. EDH. Dans le contentieux qui concerne la Pologne, il existe toutefois un exemple de déclation unilatérale acceptée par la CEDH sans aveu implicite de la violation par les autorités (CEDH, Czesława Bednarz c. Pologne (déc.), n°16406/10, 2 novembre 2010). Le régime de la déclaration unilatérale souffre néanmoins d’une lacune : son exécution (et donc le versement de l’indémnité proposée par l’État au requérant) n’est pas pas contrôlée par le Comité des ministres (voir Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par le Comité des ministres (2013) : bilan et perspectives d’avenir », RTDH, n°99, 2014, p. 602 et p. 605 : l’auteur propose pour remède d’aligner le régime des déclarations sur celui des règlements amiables). 205 Ibidem, préc., § 74. 206 Ibid., § 52 et § 71. 121 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE mémoire de la jeune victime de la brutalité policière communiste207. À l’image des deux affaires précédemment abordées concernant la réhabilitation des victimes politiques, ce sont les défaillances du système juridictionnel qui ont entraîné une violation de la Conv. EDH, alors même que l’État avait favorisé la révision de ces affaires politiques. Leopold Przemyk est décédé le 29 novembre 2013208, avant même l’écoulement du délai ouvert à la Pologne pour que lui soit versé la satisfaction équitable due. Celle-ci fut néanmoins acquittée par l’État le 28 février 2014. De surcroît, la réouverture de la procédure n’était plus possible dans cette affaire puisqu’une décision finale avait été rendue et qu’il n’existait aucun fondement juridique permettant un nouveau recours où un réexamen du dossier209. Sur le plan des mesures générales nécessaires à la bonne exécution de l’arrêt, il convient de souligner que les errements de la justice dans cette affaire – quoique indéniablement favorisés par la destruction de preuves commise en 1983 – se sont produits dans le cadre d’une procédure pénale de droit commun. Le Comité des ministres en a tiré les conséquences en joignant l’arrêt Przemyk à un groupe de sept autres affaires (arrêts rendus de 2007 à 2011) à propos du l’inefficacité des investigations menées dans des procédures contre des policiers soupçonnés de mauvais traitements (articles 2 et 3 de la Conv. EDH) mais dans des circonstances sans rapport avec le régime socialiste210. Pour autant, l’arrêt Przemyk n’a pas été sans impact puisque le Comité des ministres a décidé, à la suite de cette nouvelle condamnation de la Pologne sur le fondement de l’article 2, d’adopter la procédure soutenue aux dépens de la procédure standard211 pour surveiller l’exécution de ces arrêts. Un plan d’action a été transmis au Comité par le gouvernement polonais le 15 avril 2015 ; il est actuellement en cours d’examen212. 207 Ibid., § 28. 208 Krzysztof DAUKSZEWICZ-CĘCELEWSKI, « Zmarł Leopold Przemyk, ojciec pobitego na śmierć Grzegorza Przemyka », Gazeta.pl, 5 décembre 2013, <http://wiadomosci.gazeta.pl/wiadomosci/1,114871,15080515,Zmarl _Leopold_Przemyk__ojciec_pobitego_na_smierc_Grzegorza.html> [consulté le 13 juillet 2015] 209 Com. Min., Document DH-DD(2015)432 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Dzwonkowski c. Pologne), 17 avril 2005. 210 Ces arrêts et leur réception (série d’affaires Dzwonkowski et autres) seront dès lors étudiés ultérieurement (Cf. Partie II, Titre II, Chapitre I). 211 Les deux types de procédures sont ainsi définis par Élisabeth Lambert-Abdelgawad : la surveillance soutenue « implique une surveillance continue du Comité des ministres du processus d’exécution, afin d’accompagner l’État et d’adopter, si besoin, des décisions complémentaires, telles que des résolutions intérimaires. Elle couvre, en principe, les affaires impliquant des mesures individuelles urgentes, les arrêts pilotes, les arrêts révélant d’autres problèmes structurels et/ou complexes ainsi que les affaires interétatiques » ; la surveillance standard repose quant à elle sur « une intervention limitée du Comité des ministres lors de la confirmation de l’inscription de l’affaire pour la première fois à l’ordre du jour et en fin d’exécution pour avaliser la présentation par l’État des plans et bilans d’action » (Élisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (2011), RTDH, n°92, 2012, pp. 863-865). 212 Informations issues de l’espace « Exécution des arrêts » du Internet du Comité des Ministres, <http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution/Reports/pendingCases_fr.asp> [consulté le 16 juillet 2015]. 122 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME * * * 169 - Conclusion du chapitre – Engagée dans une politique de rupture avec le passé, politique précisément marquée par la volonté de réparer une partie des dommages subis (populations déplacées ou déportées) et de rétablir la vérité sur le comportement des citoyens polonais pendant la période socialise (lustration, réhabilitation), la Pologne n’a pas toujours introduit des mécanismes parfaitement respectueux des droits et libertés protégés par la Conv. EDH. Sans exception, elle a su se conformer au droit dicté par la Cour de Strasbourg. 170 - Dans le cas particulier des affaires du Boug, l’implication de la CEDH elle-même est à souligner une fois encore, au moyen de l’arrêt pilote. Expérimentée en effet avec l’arrêt Broniowski, cette procédure a mené vers des résultats positifs, une réception de qualité, quoique l’ancien agent du gouvernement polonais Jakub Wołąsiewicz eût déploré les inconvénients réels de l’arrêt pilote (lourdeur, temps nécessaire à l’examen de l’arrêt) et préconisé de réfléchir à une mise en œuvre simplifiée213. Alors que le problème posé était sérieux, la Pologne a réagi avec célérité par la loi du 8 juillet 2005, jugée pertinente pour redresser sur le plan interne les violations du droit au respect des biens observées dans les affaires similaires. Dans la série d’arrêts relative au contrôle juridictionnel des décisions de la Fondation pour la Réconciliation Germano-Polonaise, la Cour a été à l’origine d’un revirement de jurisprudence instantanée de la Cour suprême polonaise, propice à éliminer la cause de la violation de l’article 6 de la Conv. EDH. 171 - En sanctionnant la protection insuffisante des droits de la défense dans les procédures de lustration, la CEDH a posé les bornes de cette politique propre aux systèmes en transition et utile à la consolidation démocratique214. Son intervention fut déterminante pour éviter les dérives redoutées. Le Tribunal constitutionnel polonais a su en tirer profit pour dépouiller la seconde loi de lustration (2006) de ses caractéristiques les plus liberticides. Pour le professeur Lech Garlicki, la référence à la CEDH dans l’arrêt du 11 mai 2007 peut être regardée comme 213 Voir Jakub WOŁĄSIEWICZ, « Les arrêts pilotes : l’expérience d’un agent du gouvernement », préc., pp. 559562. 214 Plusieurs vertus peuvent être attribuées à la lustration, parmi elles l’effacement de l’influence des personnalités communistes et le renouvellement du gouvernement (qui peut donc inspirer une plus grande confiance au citoyen) (voir Natalia LETKI, « Lustration and Democratisation in East-Central Europe », préc., pp. 540-541). Dans sa thèse de référence, Małgorzata Ulla qualifie la lustration de « mesure de justice transitionnelle » (Małgorzata ULLA, La Lustration dans les États postcommunistes européens, op. cit., p. 11, § 2) et en reconnaît l’utilité tant pour le démantèlement du communisme que pour l’installation de l’état de droit (ibidem, p. 565, § 1495) 123 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE une « fonction légitimante » à l’appui de l’argumentation du juge constitutionnel à la recherche d’arguments forts215. Le législateur polonais occupait à l’époque une position ambivalente, entre la volonté de revenir sur certains aspects de la loi de 1997 qui restreignaient excessivement les droits de la défense et l’intention bien réelle de durcir la politique de lustration. La voie de l’apaisement et de la protection des droits individuels a finalement été privilégiée, grâce à l’influence de la CEDH. Enfin, alors que l’État polonais avait créé un cadre favorable, après 1990, à la révision des condamnations de nature politique, la CEDH a apporté sa pierre à l’édifice en sanctionnant les défaillances procédurales, heureusement rares, accompagnant certains de ces procès en révision. 172 - Dans chacune de ces affaires liées au traitement des conflits du passé, les autorités polonaises furent à l’origine d’un ensemble normatif réalisant leur objectif de construire la démocratie sur des bases saines et solides. Le plus souvent, des remèdes aux imperfections des procédures en question ont été mis en œuvre au plan interne avant même l’intervention de la CEDH, excepté dans l’affaire Woś. La Cour, en condamnant la Pologne et allant jusqu’à suggérer la solution à apporter (affaire Broniowski) est finalement venue conforter la démarche gouvernementale. Tant la convergence téléologique de la Cour et de l’État que la dynamique de réformes préexistante aux arrêts de la première explique la qualité de la réception et la rapidité d’exécution des arrêts dans ces affaires où l’histoire était le dénominateur commun. 215 Entretien avec Lech Garlicki, Varsovie, 28 mai 2015. 124 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CHAPITRE II – L’ANNULATION ACCÉLÉRÉE DES DÉCISIONS D’EXPROPRIATION 173 - Dans la lettre de la Constitution polonaise dite « stalinienne » de 1952, le principe d’organisation des branches productives était celui « de l’économie planifiée à l’échelon central » et « basée sur une prioriété nette des entreprises d’État et même sur un monopole partiel de la propriété d’État »216. Dans les faits, la volonté de marginaliser la propriété privée s’est traduite principalement par l’accaparement étatique des moyens de production (industrie, agriculture), mais s’est aussi manifestée dans d’autres circonstances, telle la reconstruction de Varsovie217. L’étatisme fut quoi qu’il en soit le leitmotiv de la politique économique socialiste dans les premières années de la République Populaire de Pologne. 174 - La libéralisation du régime à partir du processus de la Table ronde de 1989 changea naturellement la donne et ouvrit la voie aux privatisations218. Si la disparition de l’idéologie officielle a pu laisser un espoir aux anciens propriétaires de biens nationalisés ou leurs héritiers d’obtenir une compensation sinon de récupérer les biens en question, « la privation constitue le plus grand échec de la transition polonaise et ce, malgré quelques tentatives 216 Wojciech SOKOLEWICZ, « La Pologne en marche vers une Constitution démocratique (1989-1997), in L’État et le droit d’Est en Ouest – Mélanges offerts au professeur Michel Lesage, Paris, Société de Législation Comparée, 2006, p. 305. 217 À Varsovie, les propriétés immobilières furent nationalisées sur la base d’un décret de 1946 (cf. infra). Il fallut surtout reconstruire une ville ravagée par la guerre et l’idéologie imprima sa marque à travers l’habitat stalinien, encore visible au cœur de la capitale polonaise (par ex : la place de la Constitution et l’allée Marszałkowska). Les autorités eurent à cet égard un comportement plus qu’ambigu : l’érection de bâtiments de style stalinien aurait été, selon certains auteurs, destinée bien davantage à faire de Varsovie une vitrine du communisme plutôt qu’une solution à la pénurie de logement. Il n’était dès lors pas surprenant que des immeubles historiques du quartier Marszałkowska, restés intacts en 1945, fussent détruits pour laisser place à des constructions dans le pur style du réalisme socialiste (voir Isabelle AMESTOY, Lydia COUDROY DE LILLE, « L’habitat stalinien en Pologne et en Russie – Un héritage actif au cœur des mutations territoriales », in Yann RICHARD, AndréLouis SANGUIN (dir.), L’Europe de l’Est quinze ans après la chute du mur – Des pays baltes à l’ex-Yougoslavie, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 113-123). 218 La loi constitutionnelle du 29 décembre 1989 modifia l’article 6 de la Constitution de 1952 en supprimant le principe d’économie planifiée au profit d’une « liberté de l’activité économique » (Ustawa z dnia 29 grudnia 1989 r. o zmianie Konstytucji Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej [Loi du 29 décembre 1989 portant modification de la Constitution de la République Populaire de Pologne], Dz. U., 1989, n°75, texte 444, pp. 1147-1148). 125 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE d’adoptions de lois », de l’avis de Małgorata Ulla219. En plein débat sur la ratification de la Conv. EDH, les risques élevés de plaintes de justiciables dans les affaires de contestation des expropriations commises avant 1989 avaient préoccupé le gouvernement, au point que celuici hésita plusieurs semaines durant à reconnaître le droit de recours individuel à la CEDH220. 175 - La densité du contentieux des expropriations221 en Pologne devant la CEDH révèle l’ampleur d’un phénomène aux conséquences juridiques complexes. Au début de l’année 2002 en effet, une loi relative à la reprivatisation n’a pu voir le jour, tuée dans l’œuf par un veto présidentiel222. L’État, devenu à partir de 1990 et de la « thérapie de choc » imposée par le gouvernement de Tadeusz Mazowiecki une économie de marché libérale, s’est interrogé sur la remédiation à apporter à des situations très variées. Là se situe la première caractéristique des affaires relatives aux expropriations : la multiplicité des schémas. La CEDH n’a examiné au fond qu’un certain nombre des requêtes individuelles relatives aux nationalisations de l’époque socialiste, l’ancienneté des procédures posant d’entrée de jeu une question de compétence ratione temporis223. Un effort de pédagogie par la taxinomie permet de dégager deux grandes catégories d’expropriations accomplies par le régime socialiste. Le premier et le plus volumineux groupe d’affaires concerne les dépossessions de propriété qui suivent une logique essentiellement idéologique, en vue de la réalisation du socialisme. Ces nationalisations et expropriations forcées peuvent être aujourd’hui déclarées illégales par l’administration et justifier l’indemnisation des anciens propriétaires (Section I). Dans le second groupe d’affaires se 219 Małgorzata ULLA, La Lustration dans les États postcommunistes européens, Clermont-Ferrand, Éditions du Centre Michel-de-l’Hospital – LGDJ, coll. des thèses, 2014, p. 261. 220 Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The reception process in Poland and Slovakia », in Helen KELAlec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, New York, Oxford Press University, 2008, p. 537. LER, 221 Dans ce chapitre, l’expropriation désignera, suivant le sens générique du terme, « toute opération tendant à priver contre son gré de sa propriété un propriétaire foncier, plus généralement à dépouiller le titulaire d’un droit réel immobilier de son droit » (Gérard CORNU, ASSOCIATION HENRI-CAPITANT, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. « Quadridge », 10e édition, 2014, p. 439). Seront ainsi concernées aussi bien les expropriations pour cause d’utilité publique que les expropriations forcées pour des raisons idéologiques. 222 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: the voluminous and interesting Polish case law », EHRLR, n°5, 2004, p. 529. 223 La Cour a procédé au cas par cas, en refusant de toute façon de voir dans l’expropriation une violation continue de la Conv. EDH ou de ses protocoles. C’est par le biais des possibilités de restitutions offertes par la législation postérieure à 1990 qu’elle s’est donc intéressée à cette problématique (Sylwia JAROSZ-ŻUKOWSKA, « Właściwość Europejskiego Trybunału Praw Człowieka w sprawach dawnych aktów nacjonalizacyjnych i wywłaszczeniowych oraz nowego ustawodawstwa restytucjnego – sprawy polskie », Studia Erasmiana Wratislaviensia – Wrocławskie Studia Erazmiańske (« Właśność – Idea, instytucje, ochrona », Partie III), 2009, pp. 194-219). 126 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME trouvent les expropriations pour cause d’utilité publique, existantes dans les États libéraux et justifiées par des plans d’aménagement du territoire. De nombreux cas d’expropriations inachevées trouvent leur origine sous l’ère socialiste, voire ultérieurement en raison des difficultés éprouvées par l’État pour réformer la planification locale (Section II). SECTION I – LA RECONNAISSANCE DES DÉPOSSESSIONS À CARACTÈRE IDÉOLOGIQUE 176 - Un acte d’expropriation, considéré comme la dépossession par les autorités publiques du droit de propriété ou d’un autre droit réel, n’est théoriquement pas regardé comme une violation continue permettant d’envisager un recours devant la CEDH lorsque les faits sont antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole n°1224. Mais les obligations procédurales découlant de l’article 6 de la Convention sont applicables dans les litiges relatifs à des expropriations dont la légalité est contestée ou à la demande de restitution d’une propriété à partir du moment où le droit interne a ouvert la possibilité pour les anciens propriétaires d’obtenir réparation du préjudice225. Des procédures portant sur l’annulation des décisions d’expropriations, la reprivatisation ou la compensation des propriétés perdues ont conduit des justiciables polonais jusqu’au Palais des Droits de l’Homme. Les circonstances historiques permettent de construire une typologie de ces arrêts. En faisant abstraction des expropriations pour cause d’utilité publique – qui seront étudiées ultérieurement – les nationalisations pour des raisons essentiellement politiques appartiennent à quatre catégories : la collectivisation agraire de 1944 (§ 1), la réquisition par l’État des propriétés immobilières de la capitale en 1945 (§ 2), la centralisation de l’économie jusqu’en 1989 (§ 3) et enfin la mainmise des pouvoirs publics sur les biens de l’Église ou des syndicats d’opposition (§ 4). 224 Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The problem of claims arising out of expropriations of property from German owner in the case law of the European Court of Human Rights », in Witold M. GORALSKI (dir.), Polish-German relations and the effets of the Second World War, Varsovie, Polish Institute of International Affairs, 2006, p. 348. 225 Ibidem, pp. 355-356. 127 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE § 1. LES EXPROPRIATIONS CAUSÉES PAR LA RÉFORME AGRAIRE Le kolkhoze à la polonaise trouve son origine dans le décret du 6 septembre 1944 adopté par le Comité de Libération Nationale que pilotaient les formations communistes (A). Après 1989, les anciens propriétaires dépossédés ont pu réclamer l’annulation des expropriations, sinon la compensation du préjudice subi. Aux atermoiements de l’administration polonaise a succédé le dépôt de requêtes individuelles au greffe de la CEDH (B). À défaut de législation spécifique, la Pologne s’est engagée à répondre aux condamnations européennes par des mesures qui relèvent de la problématique générale de la durée des procédures administratives (C). A. Le décret du 6 septembre 1944, fondement juridique de la réforme agraire 177 - Alors même que la Seconde guerre mondiale n’était pas achevée et que Varsovie subissait l’écrasement de l’insurrection urbaine par l’armée nazie, le Comité de Libération Nationale fixait les règles de la réforme agraire pour la future Pologne socialiste. Le décret du 6 septembre 1944226 dépouilla ainsi les grands propriétaires fonciers de leurs biens, ceux-ci ne pouvant pas même conserver leurs manoirs et châteaux227. Le gouvernement provisoire souhaitait favoriser l’adhésion des paysans au système communiste et la répartition de ces terres confisquées aux habitants des campagnes était aussi un instrument politique228. La collectivisation des fermes sur le modèle kolkhozien s’est opérée massivement à partir de l’été 1948, malgré la résistance des paysans mécontents de la méthode de calcul des superficies des coopératives et de la mécanisation imposée du labourage229. La réforme agraire sous sa forme initiale connut finalement une existence très brève : les décisions politiques du gouvernement Gomułka en 1956, en réaction aux émeutes survenues à Poznań, accouchèrent d’un compromis sur la structure des coopératives. Conformément au « principe du volontariat », les pay226 Dekret Polskiego Komitetu Wyzwolenia Narodowego z dnia 6 września 1944 o przeprowadzeniu reformy rolnej [Décret du Comité Polonais de Libération Nationale du 6 septembre 1944 sur la réalisation de la réforme agraire], Dz. U., 1944, n°4, texte 17, pp. 18-21. 227 « La réforme agraire, qui vint s’ajouter aux destructions dramatiques causées par la Deuxième guerre mondiale, eut des conséquences importantes sur les châteaux. Les propriétés foncières furent nationalisées avec leurs châteaux et leurs bâtiments agricoles et, privées de leurs propriétaires traditionnels, elles se détériorèrent. La propagande officielle accéléra leur déclin car ils étaient le symbole du régime et de la société qui venaient d’être renversés » (Aleksandra JEZIERKA-THOLE, « La Nouvelle fonction des manoirs touristiques dans l’espace rural en Pologne », in Yann RICHARD, André-Louis SANGUIN (dir.), op. cit., p. 179). 228 Tomasz WARDYŃSKI, « Un nouveau concept de propriété en Pologne », RIDC, vol. 49, n°3, 1997, p. 588. 229 Darius JAROSZ, « Ouvriers et paysans en Pologne. La construction des classes sociales 1944-1956 », in François BAFOIL (dir.), La Pologne, Paris, Fayard, 2007, p. 186. 128 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME sans purent choisir de continuer le travail en coopérative ou de s’occuper d’exploitations privées230. Cette décollectivisation partielle mais rapide marquait bien l’échec de la politique d’après-guerre et contribua certainement « à l’érosion continue du communisme en Pologne jusqu’en 1989 »231. 178 - Les fermes d’État, dont beaucoup souffrirent du manque de productivité et d’une mauvaise gestion, ont été fermées, vendues ou louées en 1991 dans le contexte de la « thérapie de choc ». Les conséquences furent importantes puisque ces quelques 1 500 fermes employaient à la fin de l’ère socialiste 475 000 personnes et hébergeaient 38 % de la population rurale du pays. Véritables lieux de vie, elles comprenaient parfois des espaces culturels et sportifs, des magasins, crèches et restaurants, qui subirent les dommages collatéraux de la privatisation. Les ouvriers agricoles ne bénéficièrent pas d’indemnisations. Seuls les plus âgés et expérimentés purent faire valoir leur droit à la retraite232. La durée souvent excessivement longue des procédures de contestation des expropriations causées par la réforme agraire a été sanctionnée par la CEDH. La Pologne fut invitée à les clore dans les plus brefs délais. B. L’invitation de la Cour européenne à la clôture rapide des procédures internes 179 - C’est en 2005 que la CEDH a, pour la première fois, jugé au fond une requête (affaire J. S. et A. S.) dont les faits étaient nés de l’application du décret du 6 septembre 1944. Le litige portait sur une propriété de 68 hectares de terrain dont plus de 50 avaient été répertoriés comme terre arable. Le bien fut déclaré éligible pour l’expropriation par une décision du 29 octobre 1948, confirmée par le ministre de l’Agriculture le 21 décembre 1948. Le 15 février 1990, la fille de l’ancien propriétaire et son époux sollicitèrent le ministre de l’Agriculture pour que fût annulée ou amendée la décision de 1948, conformément aux dispositions des articles 155 et 156 du Code de procédure administrative (CPA)233. Cinq ans plus tard, con230 Jason C. SHARMAN, Repression and Resistance in Communist Europe, Londres/New York, Routledge, 2003, p. 98. 231 François BAFOIL (dir.), La Pologne, op. cit., p. 150. 232 Ewa OCHMAN, Post-communist Poland – Contested Pasts and future identities, Londres/New York, Routledge, 2013, pp. 94-95. 233 Ustawa z dnia 14 czerwca 1960 r. Kodeks postępowania administracyjnego [Loi du 14 juin 1960 – Code de procédure administrative], Dz. U., 1960, n°30, texte 168, pp. 293-307. L’article 156 du Code de procédure administrative permettant de prononcer la nullité d’une décision administrative est applicable aux expropriations prononcées entre 1944 et 1989 – faute de législation spéciale – sans exigence de délai mais à la condition que la décision ait été adoptée sans fondement légal ou en violation évidente du droit applicable. 129 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE frontés à l’inertie de l’administration, ils saisirent la Cour administrative suprême. Par un arrêt du 9 octobre 1995, la Cour administrative suprême ordonna au ministre chargé du dossier de rendre une décision dans un délai de deux mois. Les requérants firent valoir que la surface de terre arable avait été surestimée en 1949, ce qui rendait l’expropriation en réalité nonconforme au décret de 1944234. Le ministre de l’Agriculture décida de suspendre la procédure en juillet 1997 au motif qu’un tiers avait demandé à son tour l’annulation de la décision de 1948 tout en faisant valoir que le père de la requérante n’était pas le propriétaire du bien mais seulement le locataire, malgré l’absence d’élément probatoire. La procédure était toujours en cours lorsque la CEDH examina la requête235. Considérant la durée totale de la procédure (treize ans dont onze dans son champ de compétences), l’inactivité des autorités polonaises de 1990 à 1995, la non-exécution de l’arrêt de la Cour administrative suprême exigeant une décision ministérielle dans un délai de deux mois et l’inefficacité des recours formés par les requérants contre la décision de suspendre la procédure en 1997, la CEDH a retenu la violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH236. 180 - En 2006, la CEDH a également condamné la Pologne sur le fondement des mêmes dispositions conventionnelles dans une affaire où le requérant avait pu obtenir une compensation financière pour la perte de la propriété agricole appartenant à son père, à défaut de la restitution de celle-ci. Toutefois, onze années de procédure avaient été nécessaires pour que le requérant obtienne une décision définitive sur sa demande d’annulation de la décision d’expropriation, ce qui contrevenait aux standards de l’article 6237. D’autres arrêts similaires ont été rendus par la CEDH par la suite238. Dans l’arrêt Pióro et Łukasik, la CEDH a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH mais n’a pas accueilli les prétentions des requérants quant à la violation alléguée du droit au respect de leurs biens protégé par l’article 1er 234 En effet, selon l’article 2 e) du décret du 6 septembre 1944, l’expropriation devait toucher les propriétés dont la surface cultivable était supérieure ou égale à 50 hectares. 235 CEDH, J. S. et A. S. c. Pologne, n°40732/98, 24 mai 2005, §§ 8-22. 236 Ibidem, §§ 56-59. 237 CEDH, Orzechowski c. Pologne, n°77795/01, 24 octobre 2006. 238 CEDH, Olszewska c. Pologne, n°13024/05, 18 décembre 2007 ; CEDH, Pabjan c. Pologne, n°24706/05, 2 juin 2009 ; CEDH, Potocka c. Pologne, n°1415/11, 25 septembre 2012. Il faut enfin mentionner la série des arrêts Tarnowski qui illustrent bien l’ampleur des difficultés rencontrées par les autorités administratives polonaises en matière d’annulation des décisions d’expropriations de propriétés agricoles. La fratrie à l’origine des requêtes avait saisi la CEDH une première fois en 2003 et une seconde en 2007 à propos d’une propriété ayant appartenu à leur prédécesseur légal. Dans deux arrêts rendus le même jour en 2009, la Cour avait rejeté leur grief fondé sur l’article 6 § 1 en raison de la complexité de la procédure (CEDH, Tarnowski c. Pologne (n°1), n°33915/03, 29 septembre 2009 ; CEDH, Tarnowski c. Pologne (n°2), n°43934/07, 29 septembre 2009). Dans un troisième arrêt, qui concernait une autre propriété expropriée intéressant les frères Tarnowski, la CEDH a admis cette fois-ci que la procédure administrative, pendante depuis l’été 1996, avait été excessivement longue (CEDH, Tarnowski et autres c. Pologne, n°43939/07, 27 septembre 2011). 130 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME du Protocole n°1), estimant d’une part que le Protocole n°1 n’ouvrait pas de droit à la restitution d’une propriété perdue et d’autre part qu’elle ne pouvait statuer sur une hypothétique violation du droit invoqué tant que la procédure devant les juridictions internes était pendante239. L’arrêt Wesołowska présente quant à lui la particularité d’être le seul arrêt relatif aux décisions d’expropriations de propriétés agricoles dans lequel la CEDH, au-delà de la violation de l’article 6 § 1, a parallèlement estimé que la requérante n’avait pas pu bénéficier d’une voie de recours effective pour contester la durée de la procédure, au mépris des exigences de l’article 13 de la Conv. EDH240. Pour répondre à ces condamnations, la Pologne est contrainte d’améliorer le fonctionnement de la justice administrative pour permettre aux procédures d’aboutir plus rapidement. C. L’adoption de mesures générales portant sur la durée des procédures administratives 181 - Le décret du 6 septembre 1944 n’a pas été formellement abrogé. S’il a favorisé à l’époque de son entrée en vigueur des expropriations illégales, il ne menace plus de fonder des décisions contraires à la Conv. EDH puisque l’objectif qui les motivait est abandonné241. Par nature, le contentieux de l’annulation des expropriations prononcées pour la mise en œuvre du programme socialiste est spécifique : les dossiers sont complexes en raison du passage du temps, parfois du manque ou de la disparition de documents et pour la dimension politique qu’ils revêtent. Or, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a fait le choix d’une surveillance commune à l’ensemble des affaires relatives à la durée excessive des procédures administratives. Cette option convient vraisemblablement à la Pologne, qui échappe à la nécessité d’adopter une législation spécifique portant sur la question des reprivatisations et peut donc envisager l’exécution des arrêts sur les expropriations sans les distinguer d’autres af- 239 CEDH, Pióro et Łukasik c. Pologne, n°8362/02, 2 décembre 2008. Le même raisonnement et la même issue se retrouvent dans l’arrêt CEDH, Wesołowska c. Pologne, n°17949/03, 4 mars 2008 et dans l’arrêt CEDH, Mikołaj Piotrowski c. Pologne, n°15910/08, 12 octobre 2010. 240 CEDH, Wesołowska c. Pologne, préc. En l’espèce, la requérante avait demandé l’annulation d’une décision d’expropriation de la ferme ayant appartenu à son défunt mari au motif que la propriété n’atteignait pas le seuil légal des 50 hectares de terre arable. Saisi en janvier 1993, le ministre de l’Agriculture ne se prononça pas sur le dossier avant mars 1997, malgré les injonctions de la Cour administrative suprême. La procédure était toujours pendante lorsque la CEDH examina la requête. La Cour considéra que les recours internes regardés habituellement comme effectifs pour remédier à la durée des procédures administratives (cf. Partie II, Titre I, Chapitre I) s’étaient révélés, en l’espèce, inefficaces (§§ 75-83). 241 La réalisation du programme politique contenu dans le Manifeste du Comité de Libération Nationale (article 1er du Décret du 6 septembre 1944). 131 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE faires pourtant bien différentes242. 182 - L’arrêt J. S. et A. S. et tous ceux qui lui sont similaires appartiennent au groupe d’affaires Fuchs dont l’examen est toujours en cours devant le Comité des ministres. Dans sa dernière communication en date (7 mai 2015)243, le gouvernement a exposé l’ensemble des mesures générales adoptées pour remédier à la durée des procédures portées devant les autorités administratives ou devant les juridictions administratives. Au regard des particularités des procédures d’annulation ou de compensation d’expropriations résultant de la réforme agraire, il paraît pertinent de mentionner la loi du 30 août 2002244, entrée en vigueur le 1er janvier 2004, qui est venue renforcer l’autorité des juridictions administratives en matière d’injonction. Elle s’est substituée à la loi de 1995 qui avait créé la Cour administrative suprême, laquelle prévoyait déjà dans son article 26 que cette juridiction pouvait obliger une autorité administrative à agir en cas d’inactivité245. Depuis 2004, saisie d’une plainte contre la durée d’une procédure devant une autorité administrative, la cour administrative compétente peut obliger dans un délai fixé ladite autorité à prendre une décision ou poser une interprétation, exécuter une obligation ou délivrer une autorisation, dans le cadre de ses compétences. Par ailleurs, le juge administratif peut déclarer que l’inactivité ou la lenteur de l’autorité visée constituent une violation manifeste de la loi et, à ce titre lui imposer une amende d’office ou à la demande de la partie requérante. Les retards observés dans les affaires contre la Pologne se sont principalement produits dans les années 1990, bien que la CEDH n’eût rendu ses arrêts qu’entre 2005 et 2012. 183 - La modification de la législation a ici précédé les condamnations devant la Cour mais fut insuffisante pour régler entièrement la question des délais de procédures, contentieuses ou non. Une loi du 9 avril 2015246, entrée en vigueur le 15 août 2015, a permis d’amender le CPA pour permettre aux justiciables de saisir la juridiction administrative compétente si une 242 Parmi les faits à l’origine de procédures administratives excessivement longues, se trouvent des litiges portant sur des permis de construire, des querelles de voisinage, des dommages causés accidentellement à l’occasion de travaux publics, l’attribution du statut d’ancien combattant, des dommages corporels subis au cours d’une hospitalisation, etc. 243 Com. Min., Document DH-DD(2015)493 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Fuchs), 7 mai 2015. 244 Ustawa z dnia 30 sierpnia 2002 r. Prawo o postępowaniu przed sądami administracyjnymi [Loi du 30 août 2002 – Droit des procédures devant les cours administratives], Dz. U., 2002, n°153, texte 1270, pp. 9871-9897. 245 Ustawa z dnia 11 maja 1995 r. o Naczelnym Sądzie Administracyjnym [Loi du 11 mai 1995 sur la Cour administrative suprême], Dz. U., 1995, n°74, texte 368, pp. 2045-2051. 246 Ustawa z dnia 9 kwietna 2015 r. o zmianie ustawy – Prawo o postępowaniu przed sądami administracyjnymi [Loi du 9 avril 2015 de modification législative – Droit des procédures devant les cours administratives], Dz. U., 2015, texte 658. 132 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME autorité administrative n’a pas exécuté un jugement ou achevé l’examen d’un dossier (modification de l’article 154 du CPA). Là encore, le juge peut infliger une amende à l’autorité fautive. 184 - À la suite de l’arrêt de la CEDH rendu dans l’affaire Olszewska en 2007, la procédure interne a finalement abouti rapidement à une décision définitive, comme l’a annoncé le gouvernement dans son plan d’action initial sur le groupe d’affaires Fuchs en novembre 2011247. En revanche, à cette même date, les procédures étaient pendantes dans les affaires J. S. et A. S., Pióro et Łukasik et Wesołocka et suspendues dans les affaires Pabjan et Mikołaj Piotrowski. Les autorités n’ont pas communiqué sur l’état de ces procédures par la suite, ce que déplora le Comité des ministres en septembre 2013248. 185 - Le gouvernement polonais ayant cependant transmis un nouveau plan d’action en mai 2015, il reste au Comité des ministres à adopter une résolution pour mettre éventuellement un terme à l’examen du groupe d’affaire Fuchs. Pour sa part, le gouvernement n’a pas exclu de prendre d’autres mesures favorisant encore la réduction de la durée des procédures administratives, mais estime avoir d’ores et déjà rempli ses obligations conventionnelles249. La majorité des arrêts de la CEDH portant sur des expropriations réalisées durant la période socialiste concerne la question des privatisations d’immeubles et de terrain à Varsovie à partir de 1945. § 2. LA RÉQUISITION DES LOGEMENTS DANS LA VILLE DE VARSOVIE Pour satisfaire les besoins urgents de logements dans une capitale polonaise dévastée par la guerre, le gouvernement avait ordonné par décret en 1945 la nationalisation des immeubles et terrains de Varsovie (A). Tant au regard de la durée des procédures d’annulation que de la difficulté d’obtenir une indemnisation, la Pologne fut condamnée à de multiples reprises entre 2005 et 2014 (B). La réception des arrêts de la CEDH en la matière impliquait 247 Com. Min., Document DH-DD(2011)1073 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Fuchs), 24 novembre 2011, annexe. 248 Les délégués des ministres ont noté « avec regret qu’en dépit de l’engagement des autorités, exprimé dans leur plan d’action de 2011, d’informer régulièrement le Comité sur l’adoption de nouvelles mesures pour exécuter ce groupe d’affaires, aucune information écrite nouvelle n’a été soumise depuis lors » (Com. Min., 1179e réunion des délégués, 26 septembre 2013, affaires n°12). 249 Com. Min., Document DH-DD(2015)493, (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Fuchs), préc. 133 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE l’adoption de mesures diversifiées, puisque la Pologne a été sanctionnée pour la violation des stipulations de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH ou de l’article 1er du Protocole n°1 (C). A. Le décret du 26 octobre 1945, fondement juridique des nationalisations immobilières 186 - Lorsque les chars allemands quittèrent à l’hiver 1944 la capitale polonaise pour fuir l’avancée de l’Armée Rouge, il ne restait de Varsovie qu’un champ de ruines. L’écrasement de l’insurrection déclenchée le 1er août 1944 et la destruction méthodique de la ville par les nazis causèrent la disparition de près de 80 % des immeubles. Les mesures de réquisition des propriétés varsoviennes mises en œuvre par le pouvoir communiste s’inscrivent dans le contexte d’une véritable pénurie de logements pour la population survivante. Le décret du 26 octobre 1945250, surnommé « décret Bierut »251, précise explicitement dans son article 1er que son but est de mettre en œuvre de manière rationnelle la reconstruction de la ville et son développement conformément aux besoins de la Nation. Pour cela, tout terrain sur la commune de Varsovie devient la propriété de la municipalité à partir de l’entrée en vigueur du texte, le 21 novembre 1945. 187 - La situation des victimes de l’expropriation a commencé à évoluer avant même l’avènement de la démocratie. Une loi du 29 avril 1985 sur la gestion foncière et l’expropriation prévoyaient en son article 82 § 2 que les anciens propriétaires d’un bien exproprié pouvaient demander le droit d’usage (ou d’usufruit) perpétuel252 de ce bien, mais seulement lorsqu’il appartenait à la catégorie des maisons individuelles ou des petits immeubles d’appartements253. Cette loi a été abrogée le 1er septembre 1998. Tout ne s’est pourtant pas déroulé idéalement… Bien des propriétaires lésés ont tenté de faire valoir leurs droits à travers différentes procédures (annulation des décisions d’expropriation, obtention de l’usufruit perpétuel, de la compensation ou de la restitution de leur bien) sans obtenir gain de cause. Les autorités administratives, outre leur lenteur, ont été 250 Dekret z dnia 26 października 1945 r. o własności i użytkowaniu gruntów na obszarze m. st. Warszawy [Décret du 26 octobre 1945 sur la propriété et l’utilisation des terres sur le territoire de la ville de Varsovie], Dz. U., 1945, n°50, texte 279, pp. 434-435. 251 Du nom de son principal signataire, le Président du Conseil National Bolesław Bierut (1892-1856), alors homme fort du nouveau régime. 252 Voir paragraphe 89, note n°28. 253 Ustawa z dnia 29 kwietnia 1985 r. o gospodarce gruntami i wywłaszczaniu nieruchomości [Loi du 29 avril 1985 sur la gestion foncière et l’expropriation], Dz. U., 1985, n°22, texte 99, pp. 249-260. La date limite du dépôt de ces demandes était fixée au 31 décembre 1988. 134 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME peu enclines à envisager des privatisations. B. Les procédures engagées par les propriétaires lésés soumises aux règles du procès équitable et du droit au respect des biens Comme pour les expropriations provoquées par la réforme agraire, la durée déraisonnable des procédures administratives a été la première cause de violations de la Conv. EDH (1). La CEDH a pourtant prononcé, sur la question des reprivatisations à Varsovie, trois condamnations sur le fondement du droit au respect des biens (2). 1) La Pologne le plus souvent condamnée sur le fondement de l’article 6 de la Convention 188 - Dès 1995, la Com. EDH avait été saisie d’une requête mettant en cause l’incapacité des autorités nationales à mettre un terme à un litige portant sur la reprivatisation d’un bien confisqué à la famille des requérants sur le fondement du décret du 26 octobre 1945. L’affaire fut jugée en 2001 et la Pologne échappa alors à une condamnation, la CEDH estimant que les requérants, contrairement à leurs allégations, avaient pu accéder à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH en s’adressant à la Cour administrative suprême pour contester le refus des autorités administratives de garantir la restitution d’une propriété et un droit d’usage perpétuel sur celle-ci254. La Pologne n’en fut pas quitte très longtemps puisque d’autres requêtes aux griefs similaires parvinrent au greffe de la CEDH dans les années qui suivirent. 189 - La première condamnation fut prononcée en 2005 avec l’arrêt Beller. Le père de la requérante était le propriétaire d’un palais situé au cœur de la capitale polonaise mais en grande partie détruit pendant la Seconde guerre mondiale. À la suite de l’expropriation du bien immobilier en question sur la base du décret de 1945, son ancien propriétaire obtint en 1947 par un acte authentique un droit d’usage de la propriété avec la promesse de reconstruire l’ouvrage. Considéré comme illégal, cet acte n’a jamais été exécuté et le père de la requérante demanda dès 1948 à pouvoir bénéficier d’un droit d’usage temporaire de la propriété, ce qui lui fut refusé par une décision de 1949, confirmée en 1955 sans que jamais elle ne soit notifiée à l’intéressé. Unique héritière des biens de son défunt parent, la requérante a demandé en 1990 la restitution de la propriété, alors occupée par les services de sécurité sociale, puis a 254 CEDH, Potocka et autres c. Pologne, n°33776/96, 4 octobre 2001, Rec. 2001-X. 135 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE demandé en 1991 l’annulation de la décision de 1955, enfin rendue publique par les autorités. Le 24 décembre 1992, le ministre de la Construction déclara nulle la décision litigieuse car dépourvue de toute motivation. Pour autant, le district de Varsovie refusa le 5 octobre 1993 à la requérante un droit d’usage perpétuel de l’immeuble, lequel avait été reconstruit et devait donc être considéré comme acquis par l’État. Cette décision fut à son tour déjugée par le gouverneur de Varsovie en 1996. Celui-ci annula ensuite, à la demande de la requérante, la décision initiale de 1949. Le 12 novembre 1997, la requérante crut toucher à son but avec la décision du district de Varsovie de respecter l’engagement conclu avec son père cinquante ans plus tôt en lui accordant le droit d’usage perpétuel du terrain et la propriété du bâtiment situé sur celui-ci. La décision de 1997 ne put être exécutée en raison d’un recours toujours pendant de la sécurité sociale, occupante des lieux, qui aboutit finalement, le 21 novembre 2000, à son annulation par le gouverneur de Varsovie. La requérante a par la suite introduit plusieurs recours et la procédure n’était pas achevée lorsque la CEDH, saisie en mars 1999, jugea l’affaire255. 190 - La CEDH était invitée à se prononcer sous l’angle de l’article 6 § 1 (en raison de la durée prolongée de la procédure) et de l’article 1er du Protocole n°1 (la requérante se plaignant de n’avoir pu protéger ses biens hérités en raison des incohérences administratives). La Cour n’a cependant jugé l’affaire que sur le premier moyen invoqué. Énumérant les nombreuses périodes d’inactivité qui avaient contribué à allonger la procédure de 1994 à 2001, elle a retenu sans mal la violation des dispositions pertinentes de la Convention. En revanche, tout jugement relatif à l’article 1er du Protocole n°1 lui a semblé prématuré, la procédure étant toujours pendante devant les juridictions internes256. La réticence de la majorité des huit juges de la chambre (quatrième section) à examiner l’affaire sous l’angle du droit au respect des biens a inspiré au juge moldave Stanislav Pavlovschi une opinion partiellement dissidente. Il était paradoxal aux yeux de celui-ci d’avoir admis la recevabilité de la requête eu égard à la règle d’épuisement des voies de recours pour, finalement, estimer qu’elle ne pouvait être examinée en raison de l’issue encore incertaine de la procédure. Le juge Pavlovschi estimait de surcroît que la durée des procédures ne devait pas servir de prétexte pour empêcher de statuer sur le droit au respect des biens d’un requérant, une violation n’excluant pas l’autre. Sur le fond, il considérait personnellement que la requérante bénéficiait bien d’un droit réel sur le terrain et l’immeuble litigieux à travers la décision du 12 novembre 1997 et le contrat conclu par son 255 CEDH, Beller c. Pologne, n°51837/99, 1er février 2005, §§ 8-51. 256 Ibidem, §§ 64-74. 136 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME père en 1947, ce qui aurait dû conduire la Cour à examiner l’affaire sous le prisme de l’article 1er du Protocole n°1257. 191 - Bis repetita en 2005 avec l’affaire Szenk : les parents du requérant possédaient un bâtiment de deux étages dont la propriété avait été transférée en 1945 à la municipalité de Varsovie. Leur demande pour obtenir le droit d’usage perpétuel du bien nationalisé, introduite en novembre 1947, n’a été examinée et rejetée qu’en juillet 1967 (décision confirmée en appel le 4 décembre 1967). En juin 1991, le requérant s’était adressé au ministre de la Construction pour que soit annulée la décision du 4 décembre 1967. La procédure a duré plus de treize ans (dont onze ans entrant dans le champ de compétences ratione temporis de la Cour), en raison de divers facteurs propres au dossier (plusieurs héritiers concernés et un partage de la propriété rendu nécessaire) mais également de l’inaction des autorités administratives, au premier rang desquelles le maire de Varsovie. La CEDH a conclu à la violation de l’article 6 § 1, jugeant une fois encore prématuré d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 1er du Protocole n°1. Malgré la présence de Stanislav Pavlovschi dans le panel des juges de la quatrième section, aucune opinion dissidente ne vint cette fois-ci s’ajouter à l’arrêt258. 192 - Treize arrêts similaires complétèrent la liste des violations de l’article 6 § 1 dans des affaires liées à la dépossession des biens immobiliers à Varsovie sur la base du décret de 1945 entre 2006 et 2014259. À trois reprises en 2009, le gouvernement, a tenté d’éviter les condamnations par le recours à la procédure de la déclaration unilatérale (affaires PrądzyńskaPozdniakow, Tymieniecki et Radoszewska-Zakościelna) mais sans succès, la somme compensatoire proposée à chaque occasion au requérant étant regardée par la Cour comme insuffisante. Épargnée jusqu’en 2009, la Pologne a finalement été condamnée pour violation du droit au respect des biens des requérants dans trois affaires relatives aux nationalisations fondées sur le décret Bierut. 257 Ibid., Opinion partiellement dissidente du juge Pavlovschi. 258 CEDH, Szenk c. Pologne, n°67979/01, 22 mars 2005. 259 CEDH, Koss c. Pologne, n°52495/99, 28 mars 2006 ; CEDH, Grabiński c. Pologne, n°43702/02, 17 octobre 2006 ; CEDH, Sernawit et autres c. Pologne, n°61697/00, 6 novembre 2007 ; CEDH, Ratyńska c. Pologne, n°12253/03, 21 octobre 2008 ; CEDH, Berent-Derda c. Pologne, n°23484/02, 1er juillet 2008 ; CEDH, Serafin et autres c. Pologne (n°2), n°51123/07, 2 décembre 2008 ; CEDH, Paliga et Adamkowicz c. Pologne, n°23856/05, 14 avril 2009 ; CEDH, Serafin et autres c. Pologne, n°36980/04, 21 avril 2009 ; CEDH, PrądzyńskaPozdniakow c. Pologne, n°20982/07, 7 juillet 2009 ; CEDH, Tymieniecki c. Pologne, n°33744/06, 7 juillet 2009 ; CEDH, Radoszewska-Zakościelna c. Pologne, n°858/08, 20 octobre 2009 ; CEDH, Derda c. Pologne, n°58154/08, 1er juin 2010 ; CEDH, Siermiński c. Pologne, n°53339/09, 2 décembre 2014. 137 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 2) La Pologne ponctuellement condamnée sur le fondement de l’article 1er du Protocole n°1 Par contraste avec les cas précédemment étudiés, plusieurs affaires jugées entre 2009 et 2010 ont placé la Pologne face à ses obligations découlant de l’article 1er du Protocole n°1, à cause d’un manque de clarté du droit dans les procédures en indemnisation (a) ou en raison de l’incapacité des autorités à indemniser totalement une victime des transferts de biens (b). a) Les incertitudes du droit sur l’autorité publique à poursuivre dans les procédures d’indemnisation 193 - Les requérants de l’affaire Plechanow étaient les héritiers légaux du propriétaire d’une résidence immobilière transférée à la municipalité de Varsovie. Ils ne reçurent aucune indemnisation et n’obtinrent jamais le droit d’usage temporaire d’une autre propriété, en raison d’une décision négative du Conseil national de Varsovie en date du 6 janvier 1964. Entre 1975 et 1992, plusieurs appartements de la résidence en question avaient été vendus à des tiers. Le reste de la propriété fut acquis ex lege par la municipalité le 27 mai 1990. Sept ans plus tard, à l’occasion de la mise en vente de plusieurs appartements, la municipalité a notifié aux requérants qu’ils avaient la possibilité d’exercer un droit de préemption sur certains des appartements, conformément aux dispositions de la loi du 21 août 1997 relative à la gestion des biens immobiliers260. À la demande des requérants, une suspension de la vente fut prononcée. Le 30 novembre 1999, le collège d’appel des décisions locales261 déclara nulle la décision du 6 janvier 1964 et informa qu’en dépit de cela la suspension des ventes ne pouvait avoir pour effet de revenir sur les appartements déjà vendus. Toutefois, les héritiers Plechanow furent autorisés à demander la réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité de la décision de 1964. Leur demande d’indemnisation couvrant la vente effective de dix-neuf appartements de la résidence fut ultérieurement rejetée. La cour régionale de Varsovie, par un arrêt du 21 décembre 2002, déclara irrecevable le recours formé contre cette décision de rejet en raison d’une erreur sur l’autorité à poursuivre, les requérants ayant attaqué la municipalité plutôt que le Trésor public262, seule personne morale responsable pour la réparation du préju- 260 Ustawa z dnia 21 sierpnia 1997 r. o gospodarce nieruchomościami [Loi du 21 août 1997 sur la gestion immobilière], Dz. U., 1997, n°175, texte 741, pp. 3545-3584. 261 En polonais : samorządowe kolegium odwoławcze. Organe juridictionnel en charge de statuer, au premier degré, sur les recours dirigés contre les décisions des autorités locales. 262 Il existait pourtant une jurisprudence de la Cour suprême (CSP, n°II CKN 550/97, 7 janvier 1998) permettant de poursuivre en de telles circonstances une municipalité. 138 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME dice résultant d’une décision antérieure au 27 mai 1990. Leurs recours ultérieurs devant la cour d’appel de Varsovie, la Cour suprême et le Tribunal constitutionnel furent rejetés et les héritiers Plechanow se tournèrent vers la CEDH, par une requête du 3 juin 2004263. 194 - Les griefs des requérants ne ciblaient pas, dans cette affaire, le manque de diligence des autorités polonaises pour reconnaître la nullité d’une décision d’expropriation ou une décision relative à une indemnisation, mais plutôt l’incertitude des règles applicables pour obtenir l’indemnisation. L’insécurité juridique était causée par l’interprétation changeante de la jurisprudence de la Cour suprême pour déterminer l’autorité à poursuivre dans ce cas de figure. La CEDH a tranché en faveur des requérants. La justice polonaise ayant échoué à indiquer clairement qui du gouvernement local ou du Trésor public les judiciaibles devaient poursuivre pour obtenir réparation d’un préjudice résultant des décisions prononcées sous l’ère socialiste, le droit au respect des biens des requérants avait été méconnu264. En 2009, la CEDH avait estimé inopportun de statuer au titre de l’article 41 de la Convention. Le jugement sur la satisfaction équitable a ainsi été remis à une date ultérieure. Par un second arrêt Plechanow du 15 octobre 2013, la Cour considéra que les requérants avaient pu faire valoir leurs droits au niveau interne et ainsi obtenir réparation des torts subis, rendant inutile le versement d’une satisfaction équitable265. 195 - Les mêmes causes ont produit les mêmes effets dans l’affaire Sierpiński, jugée quelques mois après l’arrêt au principal Plechanow. Le bien familial du requérant avait été transféré à la ville de Varsovie sans qu’il pût en conserver la propriété provisoire (décision du Conseil de Varsovie du 27 décembre 1966). Le droit d’usage perpétuel fut accordé à un tiers en 1967. Fort de l’annulation de la décision de 1966 obtenue en 2000 auprès du collège des décisions locales, le requérant avait demandé à être indemnisé pour la perte de la propriété. La cour régionale de Varsovie lui avait accordé 640 000 PLN, aux dépens du Trésor public. Mais la cour d’appel de Varsovie a annulé en 2005 cette décision au motif que seule la municipalité pouvait être assignée pour indemniser le préjudice d’une décision antérieure au 27 mai 1990. Alors même que la Cour suprême avait fini par lever l’ambiguïté par une résolution du 7 décembre 2006 désignant le Trésor public comme la personne à poursuivre, le requérant n’avait pu obtenir un réexamen de sa demande266. En raison d’une série de décisions administratives 263 CEDH, Plechanow c. Pologne, n°22279/04, 7 juillet 2009, §§ 6-29. 264 Ibidem, §§ 109-112. 265 CEDH, Plechanow c. Pologne (satisfaction équitable), n°22279/04, 15 octobre 2013, §§ 19-31. 266 CEDH, Sierpiński c. Pologne, n°38016/07, 3 novembre 2009, §§ 6-22. 139 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE défectueuses, la CEDH a reconnu que la Pologne n’avait su ménager un juste équilibre entre l’intérêt général et les droits individuels du requérant et avait, dès lors, failli à ses obligations positives de protection du droit de propriété267. La satisfaction équitable, portant sur le versement de 700 000 PLN, a été négociée entre le gouvernement et le requérant à travers un règlement amiable validé par la CEDH l’année suivante268. Les atermoiements des autorités administratives et juridictionnelles, responsables directes de la violation de l’article 6 § 1 la Convention dans les affaires Beller, Szenk ou encore Koss citées plus haut ont conduit au non-respect de l’article 1er du Protocole n°1 dans l’affaire Czajowska, jugée en 2010. b) L’indemnisation incomplète du préjudice causé par le transfert de biens sur le fondement du décret de 1945 196 - La grand-mère de Barbara Czajkowska, la requérante principale de l’affaire Czajkowska et autres, avait été dépossédée d’une maison entourée de 46 000 m² de terrain qu’elle possédait à Varsovie. La ville en devint propriétaire conformément au décret du 26 octobre 1945 avant que le Trésor public ne l’acquiert à son tour, en vertu d’une loi du 20 mars 1950269. En 1961, deux sommes indemnitaires correspondant d’une part à la moitié de la superficie du terrain et d’autre part à la maison et l’arbre transférés furent versées à l’ancienne propriétaire. Son fils et héritier entreprit en 1978 une procédure visant à obtenir une indemnisation pour le reste de la propriété. La requérante principale se joignit à lui en 1991 mais les recours n’aboutirent pas. En avril 2005, Barbara Czajkowska et cinq autres personnes de son entourage impliquées dans la procédure déposèrent une requête devant la CEDH. Une décision du maire de Varsovie rendue le 17 octobre 2007 a accordé tardivement à la requérante une indemnisation portant sur 11 400 m² de la propriété perdue avec la promesse d’une compensation future de la surface restante. En 2009, une superficie de 1 103 m² du terrain familial transféré devait encore être indemnisée270. 197 - La CEDH a donné raison aux requérants sur les deux moyens invoqués, fondés sur l’article 6 § 1 pour la durée de la procédure et l’article 1er du Protocole n°1 pour le droit de 267 Ibidem, §§ 63-82. 268 CEDH, Sierpiński c. Pologne (règlement amiable), n°38016/07, 28 juillet 2010. 269 Ustawa z dnia 20 marca 1950 r. o terenowych organach jednolitej władzy państwowej [Loi du 20 mars 1950 sur les organes territoriaux des autorités étatiques], Dz. U., 1950, n°14, texte 130, pp. 172-175. 270 CEDH, Czajkowska et autres c. Pologne, n°16651/05, 13 juillet 2010, §§ 5-26. 140 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME propriété. Concernant ce dernier spécifiquement, le gouvernement fit valoir que la quasitotalité de la propriété nationalisée avait été indemnisée et que le temps écoulé avait joué en faveur des requérants, grâce à la réévaluation du taux du dédommagement. Le juge européen a pourtant relevé qu’une soixantaine d’années avaient été nécessaires aux autorités nationales pour calculer et verser l’indemnisation légalement due. Il n’était dès lors pas admissible que l’État, quinze ans après l’entrée en vigueur du Protocole n°1 sur son territoire, ne se fût pas pleinement acquitté de son obligation d’indemniser le préjudice des requérants. Il en avait résulté pour ceux-ci incertitudes et pertes financières271. Plus de dix ans après l’arrêt Beller, l’exécution de la plupart des arrêts portant sur la contestation des nationalisations de biens à Varsovie n’est pas achevée. La Pologne a été sommée d’améliorer l’efficacité de ses procédures administratives. C. Des réponses fragiles et incomplètes au problème des reprivatisations immobilières Tout comme le décret de 1944 sur la réforme agraire, le décret du 26 octobre 1945 sur la nationalisation des logements à Varsovie n’a pas été abrogé. Les autorités polonaises, malgré les arrêts de la CEDH, tardent à clore les procédures internes portant sur cette question (1). En revanche, la violation du droit de propriété retenue dans l’arrêt Plechanow a bien été réparée (2). 1) De nouveaux délais constatés à travers des procédures individuelles 198 - Les affaires pour lesquelles la CEDH a retenu la violation de l’article 6 § 1 sont à l’heure actuelle suivies par le Comité des ministres avec le groupe Fuchs272. D’ores et déjà, il est établi que les procédures internes dans certaines affaires ont été closes postérieurement à la condamnation de la CEDH. L’affaire Koss s’est ainsi terminée le 10 juin 2008 par une décision du maire de Varsovie autorisant au requérant le droit d’usufruit perpétuel du bien au requérant273. Il en de même de l’affaire Szenk, déclarée close en 2011274. Par ailleurs, des traductions des arrêts Szenk et Beller ont été transmis par le ministère de la Justice aux juges de 271 Ibidem, §§ 53-63. 272 Cf. supra, paragraphes 182-185. 273 Com. Min., ordre du jour CM/Del/OJ/DH(2010)1078, 1078e réunion des délégués, 2-4 mars 2010, rubrique 4.2. 274 Document DH-DD(2011)1073 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Fuchs c. Pologne), préc., annexe. 141 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE la Cour administrative suprême et aux cours administratives régionales275. 199 - Mais les problèmes distincts d’autres types de litiges administratifs que pose la reprivatisation des biens expropriés par le décret « Bierut » a conduit la Fondation d’Helsinki à réagir à travers deux courriers transmis au secrétariat du Comité, respectivement le 16 février 2011 et le 19 mars 2012276. L’ONG polonaise a suivi en particulier l’affaire Beller emblématique de la série des arrêts portant sur les expropriations à Varsovie. Dans ses deux lettres, elle évoqua les reprivatisations comme un problème juridique d’ampleur systémique. 200 - La Fondation souhaitait attirer l’attention sur la non-exécution par les autorités des arrêts concernant les reprivatisations. Bien que la requérante Joanna Beller eût reçu dans les temps la satisfaction équitable promise par la Cour afin de réparer le préjudice causé par la durée excessive de la procédure à laquelle elle était partie277, elle n’avait pas obtenu en 2012 de réponse définitive sur son dossier. La situation s’était même aggravée pour elle puisque la décision du gouverneur de la région de Mazovie en date du 12 novembre 1997 lui accordant le droit d’usage perpétuel de sa propriété avait été remise en cause par son successeur à l’automne 2010 avec l’ouverture d’une nouvelle procédure devant le juge administratif. Pour la Fondation d’Helsinki, cette décision allait diamétralement à l’encontre de la bonne exécution de l’arrêt de la CEDH du 1er février 2005. Par ailleurs, le 24 novembre 2011, le gouverneur a décidé de suspendre l’exécution de la décision de 1997. Saisi par Mme. Beller en 2010, le maire de Varsovie a déclaré ne pas pouvoir procéder à l’exécution de la décision de 1997 tant que la procédure juridictionnelle engagée n’était pas achevée. 201 - Un pareil schéma apparaît dans le suivi de l’exécution de l’arrêt Czajkowska et autres de 2010. Selon les informations transmises par le gouvernement au Comité en mai 2014278, le paiement de la satisfaction équitable (pour la violation de l’article 6 § 1) et des frais et dépens aux requérantes a bien été effectué le 12 novembre 2010, soit un mois après que l’arrêt est devenu définitif. Or, en 2013, les procédures portant sur la compensation de la part restante de la propriété expropriée étaient toujours pendantes en raison de leur « grande complexité ». La situation individuelle des requérants n’est donc pas réglée et la surveillance de l’affaire suit 275 Com. Min., ordre du jour CM/Del/OJ/DH(2010)1078, préc. 276 Com. Min., Document DH-DD(2011)110 (communication d’une ONG dans l’affaire Beller (groupe d’affaires Fuchs)), 16 février 2011 ; Com. Min., Document DH-DD(2012)252 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) dans l’affaire Beller et réponse des autorités), 19 mars 2012. 277 Ibidem. 278 Com. Min., DH-DD(2014)61 (communication de la Pologne concernant l’affaire Czajkowska et autres), 12 mai 2014. 142 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME son cours. Sur le plan des mesures générales, le gouvernement a renvoyé aux réformes visant à l’accélération des procédures administratives, adoptées en exécution du groupe d’affaires Fuchs. Il a enfin souligné que l’arrêt Czajkowska et autres avait été distribué aux autorités municipales de Varsovie et son analyse a été intégrée aux séminaires de formation des agents de l’administration. L’exécution de l’arrêt Plechanow a connu un dénouement plus rapide et plus heureux : le Comité des ministres en a clos l’examen en 2014. 2) Le constat par la Cour et par le Comité de la bonne exécution des arrêts Plechanow et Sierpiński En statuant sur la satisfaction équitable, la CEDH a pu elle-même s’assurer de la bonne réception de l’arrêt au principal Plechanow (a) avant que le Comité des ministres, conformément à ses attributions, ne déclare officiellement l’arrêt exécuté (b). a) L’arrêt de la CEDH du 15 octobre 2013 : l’affaire radiée du rôle 202 - L’arrêt Plechanow a été rapidement exécuté par la Pologne. L’État avait été condamné en 2009 (arrêt au principal) pour n’avoir pas offert de possibilité sérieuse aux requérants de réclamer en justice une indemnisation pour l’expropriation subie. Sans attendre l’arrêt portant sur le calcul de l’éventuelle satisfaction équitable, les intéressés ont engagé le 27 avril 2012 une procédure contre le Trésor public, demandant 3 218 616 PLN de dommages-intérêts. Par son arrêt du 15 octobre 2013, la CEDH avait donc pris bonne note de l’ouverture d’une procédure interne en compensation sur le fondement de l’article 160 du CPA. Le recours apparaissait désormais effectif grâce à la jurisprudence récente de la Cour suprême polonaise, jurisprudence qui mit un terme aux confusions quant à l’autorité à poursuivre dans ces circonstances. La Cour suprême a clairement penché en faveur de la poursuite du Trésor public, plutôt que de la municipalité, pour réclamer une indemnisation pour une expropriation illégale mais irréversible279. Il faut mentionner au passage qu’une autre difficulté d’interprétation de cet article 160 aurait pu entrainer une nouvelle condamnation de la Pologne pour la violation de l’article 1er du Protocole n°1 dans une affaire très récente, si la Cour suprême n’avait pas 279 Ce sont les arrêts CSP, n°I CSK 402/11, 13 avril 2012 ; CSP, n°III CZP 28/12, 21 juin 2012 ; CSP, n°I CSK 665/11, 4 octobre 2012 et CSP, n°I CSK 632/11, 4 octobre 2012. 143 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE levé toute ambiguïté à temps280. 203 - Au regard de l’évolution du droit interne depuis son arrêt initial, la CEDH a constaté « que les exemples de jurisprudence interne cités par le gouvernement confirment l’efficacité des actions en dommages et intérêts engagées contre le Trésor public dans différents types de litiges en général et dans celui concernant les requérants en particulier »281. Rappelant subséquemment le principe de subsidiarité, la Cour a estimé que les autorités sont désormais les mieux placées pour estimer le montant des dommages-intérêts à allouer aux requérants et qu’il ne lui appartient plus de connaître de la requête, radiée du rôle. Le Comité des ministres a rejoint l’analyse de la CEDH et considéré en 2014 que l’affaire avait été convenablement exécutée par la Pologne. b) La clôture par le Comité des ministres de l’exécution des arrêts Plechanow et Sierpiński 204 - À l’occasion de la réunion de ses délégués tenue le 10 septembre 2014, le Comité des ministres a étudié dans le détail la communication du gouvernement polonais282 sur les mesures prises à la suite de l’affaire Plechanow. Le Comité a pris acte de la publication des deux arrêts de la CEDH en langue polonaise sur le site du ministère de la Justice et surtout de l’ouverture d’une procédure en dommages-intérêts contre le Trésor public. Quand bien même la procédure était encore pendante, le Comité s’est déclaré satisfait des mesures adoptées et a, en conséquence, pris la décision d’en achever l’examen283. 205 - Le Comité s’est prononcé en mars 2016 sur le bilan d’action transmis par le gouvernement quelques semaines auparavant pour répondre à la condamnation prononcée dans l’affaire 280 CEDH, Krasnodębska-Kazikowska et Łuniewska c. Pologne, n°26860/11, 6 octobre 2015. Les requérantes se plaignaient de n’avoir pu obtenir des dommages-intérêts du Trésor public, sur le fondement de l’article 160 du CPA, après l’annulation d’une décision d’expropriation en 1971 de la propriété de leur de cujus à Varsovie. La cour d’appel avait annulé la somme allouée en première instance au motif qu’en déposant leur demande en 2006, les requérantes avaient dépassé le délai décennal ouvert pour demander réparation du dommage causé par une décision de l’administration, délai qui aurait commencé à courir à compter du 4 juin 1989, date des premières élections semi-démocratiques en Pologne. Or, la Cour suprême avait mis un terme à cette interprétation de la loi par une résolution de 2011 (CSP, n°III CZP 112/10, 31 mars 2011), en indiquant qu’un délai de trois ans était ouvert pour demander réparation d’une décision administrative illégale antérieure au 1er septembre 2004 à compter de la date du jugement annulant cette décision. 281 CEDH, Plechanow c. Pologne (satisfaction équitable), préc., § 25. 282 Com. Min., Document DH-DD(2014)807 (communication de la Pologne concernant l’affaire Plechanow), 18 juin 2014. 283 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)119 (exécution de l’arrêt Plechanow c. Pologne), 10 septembre 2014, 1206e réunion des délégués. 144 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME similaire Sierpiński. Satisfait du respect des termes du règlement amiable conclu en 2010 et des mesures générales adoptées, il a décidé de clore l’examen de cette affaire284. Pour en finir avec la propriété privée des moyens de productions, conformément à la doctrine marxiste, les autorités polonaises ont adopté dès 1946 plusieurs textes permettant la nationalisation des usines. Seule une demi-douzaine d’affaires peut être intégrée à ce schéma d’expropriation, finalement peu représenté dans la jurisprudence de la CEDH. § 3. LA NATIONALISATION DES MOYENS DE PRODUCTION 206 - La loi du 3 janvier 1946 sur l’appropriation par l’État des branches principales de l’économie nationale285 ordonna l’étatisation des usines employant plus de 50 ouvriers. Entre 1946 et 1948, « plus de 5 800 entreprises ont ainsi été nationalisées par des décrets ministériels, définitifs et sans appel » et la gestion publique de l’industrie atteint un degré tel qu’en 1953-1954, seuls 6 000 employés tout au plus travaillaient encore dans le secteur privé286. En vertu de cette loi, l’État s’appropriait les entreprises d’une certaine taille sans indemnisation. Les petites et moyennes entreprises pouvaient rester privées mais il arriva qu’elles fussent placées en réalité sous le contrôle de l’État287. Ainsi, le gouvernement communiste semblait en voie de réaliser l’objectif dessiné par Marx et Engels : l’abolition de la propriété privée des moyens de production288. En 1989, 8 500 conglomérats d’État produisant 70 % du PIB dominaient encore l’appareil productif national289. Rallié au modèle de l’État libéral290, le gouvernement de l’après Table ronde a favorisé le retour au privé d’une grande partie de l’économie. 284 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2016)47 (exécution de l’arrêt Sierpiński c. Pologne), 30 mars 2016, 1252e réunion des délégués (voir également Com. Min., Document DH-DD(2016)198 (communication de la Pologne concernant l’affaire Sierpiński), 23 février 2016). 285 Ustawa z dnia 3 stycznia 1946 r. o przejęciu na własność Państwa podstawowych gałęzi gospodarki narodowej [Loi du 3 janvier 1946 l’appropriation par l’État des branches principales de l’économie nationale], Dz. U., 1946, n°3, texte 17, pp. 21-24. 286 Darius JAROSZ, « Ouvriers et paysans en Pologne. La construction des classes sociales 1944-1956 », in François BAFOIL (dir.), op. cit., pp. 189-190. 287 Tomasz WARDYŃSKI, « Un nouveau concept de propriété en Pologne », préc., p. 588. 288 Non pas l’abolition de tout droit de propriété privée. « Le communisme ne retire pas à quiconque le pouvoir de s’approprier des produits sociaux, il ne retire que le pouvoir de s’assujettir, par cette appropriation, le travail d’autrui. » (Karl MARX, Friedrich ENGELS, Manifeste du Parti communiste, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Les Classiques de la Philosophie », 1973, p. 74). 289 Sophie CASSAR, La Pologne – Géopolitique du phénix de l’Europe, op. cit., p. 150 290 Dans l’État libéral, par opposition à ce que fut l’État totalitaire, la place du gouvernement est minimaliste : son domaine d’action doit être dès lors réduit (Georges LESCUYER, Histoire des idées politiques, 14e édition, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2001, p. 368, § 288). 145 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE La question des droits des anciens propriétaires des biens productifs nationalisés a naturellement refait surface et a été portée jusque devant la CEDH en raison des délais de procédure particulièrement longs auxquels les intéressés furent confrontés291. La restitution des usines nationalisées – ou la compensation du préjudice subi du fait de la privation de propriété – ne forme pas une part très importante du contentieux de la Pologne devant la CEDH sur la question des expropriations. Il importe néanmoins d’étudier les arrêts s’y rapportant dans la mesure où ils s’inscrivent dans la démarche de réparation des dommages causés par le passé socialiste. Les requérants concernés par ces nationalisations ont été victimes de la loi de 1946 précitée (A), de dispositions règlementaires spécifiques (B) voire d’une dépossession hors de tout cadre juridique (C). A. La procédure d’annulation d’une expropriation fondée sur la loi de transfert à l’État des branches principales de l’économie de 1946 207 - Une société polonaise a saisi la CEDH d’une requête individuelle en 2003 pour contester la durée d’une procédure dans laquelle elle recherchait l’annulation d’une décision d’expropriation portant sur l’un de ses biens immobiliers. Par une décision du 29 novembre 1948, en application des dispositions de la loi du 3 janvier 1946 sur la nationalisation des branches principales de l’économie, le bien en question, situé à Varsovie, avait été transféré à l’État. En juin 1991, la requérante avait recherché la nullité de la décision de 1948 auprès du ministre de l’Industrie et de l’Agriculture. La procédure fut finalement conduite par le ministre des Finances qui rejeta la demande en 2000. La requérante demanda le réexamen du dossier. Aussi bien la décision de 2000 que sa confirmation par le même ministre en 2001 furent annulées par la Cour administrative suprême en 2002. La procédure fut suspendue par le ministre des Finances en 2003 et elle était toujours en cours devant le ministre de 291 Seuls les trois arrêts les plus importants seront étudiés en détails dans cette sous-section. Ils présentent un intérêt particulier car la législation à l’origine des expropriations est explicitement mentionnée, ce qui n’est pas le cas dans les autres affaires concernant des biens de production expropriés. Les arrêts de la Cour rendus dans les affaires Kroenitz, Helwig et Lorenc (CEDH, Kroenitz c. Pologne, n°77746/01, 25 février 2003 ; CEDH Helwig c. Pologne, n°33550/02, 21 octobre 2008 ; CEDH, Lorenc c. Pologne, n°28604/03, 15 septembre 2009) sont laconiques et ne permettent pas d’inclure avec certitude ces affaires dans l’un des trois schémas d’expropriation représentés par les arrêts sélectionnés ici. Outre une thématique commune, tous ces arrêts sont quoi qu’il en soit liés par leur dispositif : la CEDH a systématiquement retenu la violation de l’article 6 § 1 pour la durée excessive des procédures administratives. Dans un autre arrêt, rendu en 2005, le litige portait sur la cessation à titre gratuit, sur décision du gouverneur de Jelenia Góra, de locaux construits en 1988 par la société requérante à une entreprise d’État à laquelle elle était liée par contrat. La Cour a rejeté tous les moyens présentés, n’identifiant ni violation du droit de propriété, ni atteinte au procès équitable (CEDH, Budmet Sp. z o. o. c. Pologne, n°31445/96, 24 février 2005). 146 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’Agriculture lorsque la CEDH examina la requête transmise à son greffe292. 208 - Après avoir rejeté la déclaration unilatérale du gouvernement fondée sur l’article 37 de la Conv. EDH, impropre à réparer la violation alléguée en l’espèce, la CEDH a reconnu sans peine que la durée de la procédure avait été excessivement longue (plus de dix-sept ans pour trois instances). Sur le fond, l’examen de l’affaire n’est pas allé plus loin que la seule question, encore une fois, des retards procéduraux alors même que les requêtes de victimes des nationalisations sont potentiellement nombreuses. En l’absence de décision définitive devant les juridictions internes, la CEDH a jugé irrecevable le moyen fondé sur l’article 1er du Protocole n°1293. D’autres biens de productions furent expropriés à partir d’autres normes du droit positif socialiste, ce qu’illustre l’affaire Chmielecka. B. La procédure d’annulation d’une expropriation fondée sur un règlement ministériel de 1955 209 - Dans l’affaire Chmielecka, jugée par la CEDH en 2008, le moulin familial nationalisé avait échappé aux dispositions de la loi de 1946 mais il fut visé par le règlement n°425 du ministre des Acquisitions du 6 décembre 1955 (non publié). En juin 1990, la mère de la requérante avait demandé au ministre du Marché intérieur et au ministre de l’Agriculture et de l’Économie alimentaire la restitution de son bien. À sa mort en avril 1995, la procédure était toujours en cours et fut poursuivie par la requérante, héritière légale. Cette dernière ne put obtenir la restitution du moulin, suite au rejet de sa demande par le ministre de l’Agriculture et de l’Économie alimentaire le 22 avril 1998. Néanmoins, le 8 novembre 2007, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural se prononça sur la légalité du règlement du 6 décembre 1955 et déclara que le texte avait été adopté en violation manifeste du droit294. 210 - Une nouvelle fois, la CEDH est intervenue en faveur d’une victime d’une expropriation confrontée aux graves lenteurs de l’administration pour traiter sa demande. Si le juge européen n’a pu contribuer à lui donner gain de cause sur la question de la restitution de la propriété (la requérante n’a pas même allégué la violation de l’article 1er du Protocole n°1), il a 292 CEDH, Zjednoczone Browary Warszawskie Haberbusch i Schiele S.A. c. Pologne, n°35965/03, 14 décembre 2010, §§ 5-26. 293 Ibidem, §§ 35-56. 294 CEDH, Chmielecka c. Pologne, n°19171/03, 16 décembre 2008, §§ 5-26. 147 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE sanctionné au moyen de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH l’incapacité des autorités polonaises à trancher dans des délais raisonnables une demande portant sur une décision d’expropriation prise à l’époque socialiste295. Dernier cas de figure : la CEDH a eu à connaître d’affaires d’expropriations prononcées par les autorités polonaises malgré l’absence de fondement légal. C. La procédure d’annulation d’une expropriation ordonnée sans fondement légal 211 - Alors que la Seconde guerre mondiale prenait fin, l’État polonais, désormais phagocyté par le Parti communiste, s’empara de plusieurs biens de production dans le pays. L’usine appartenant au prédécesseur légal du requérant dans l’affaire Bennich-Zalewski fut ainsi placée de facto sous administration étatique en 1945. Elle fut gérée par une compagnie publique. En 1966, le ministre de l’Infrastructure confirma formellement que l’usine en question appartenait à l’État, en application de la loi du 25 février 1958 relative à la régulation du statut légal des biens administrés par l’État296. En 1991, sur le fondement de l’article 156 du CPA, la mère du requérant a demandé l’annulation de la décision d’expropriation. En 1996 et 1997, le dossier a été transféré de ministère en ministère avant que le ministre de l’Intérieur se déclare finalement compétent. Le 22 janvier 1999, la Cour administrative suprême, saisie par le requérant, a enjoint le ministre de rendre une décision sur l’affaire dans un délai d’un mois. C’est avec plusieurs semaines de retard que, le 27 juillet 1999, le ministre de l’Intérieur annula la décision de 1966 car adoptée en violation manifeste du droit applicable. Restait à déterminer les conséquences de cette annulation sur la propriété de l’usine, qui était devenue depuis l’entreprise publique Izolacja, dont l’État n’était plus qu’actionnaire minoritaire. Dès 1997, le requérant avait attaqué en justice la décision du 30 novembre 1992 par laquelle le district de Kalisz avait transmis la propriété de l’usine et le droit d’usage du terrain où elle se situait à la société Izolacja. Le transfert de propriété fut annulé par une décision définitive du 11 janvier 2002 rendue par le président du bureau des affaires immobilières. La procédure en demande de repossession du bâtiment productif, ouverte en 1996, était toujours en cours lorsque la CEDH examina l’affaire. En revanche, le requérant avait obtenu devant la justice que la société Izolacja lui versât un loyer en échange de l’usage des locaux, mais sans recevoir 295 Ibidem, §§ 34-40. 296 Ustawa z dnia 25 lutego 1958 r. o uregulowaniu stanu prawnego mienia pozostającego pod zarządem państwowym [Loi du 25 février 1958 sur la régulation du statut légal des biens administrés par l’État], Dz. U., 1958, n°11, texte 37, pp. 145-147. 148 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME d’indemnisation pour le dommage allégué résultant de la perte du bien en 1966297. 212 - Statuant sur le premier moyen invoqué par le requérant, la CEDH a retenu la violation de l’article 6 § 1 pour la durée de la procédure portant sur la demande d’annulation de la décision de 1966 (dix ans, dont sept ans et huit mois dans le champ temporel de compétences de la Cour). Une période d’inactivité totale entre 1991 et 1997 et le non-respect par l’administration de l’injonction de la Cour administrative suprême prononcée le 22 janvier 1999 retinrent particulièrement l’attention de la CEDH. Concernant l’autre violation alléguée, celle de l’article 1er du Protocole n°1, la quatrième section de la Cour l’a finalement écartée à l’issue d’une longue motivation. Rejetant toutes les exceptions d’irrecevabilité opposées par le gouvernement, la CEDH a jugé que la déclaration de nullité de l’expropriation de l’usine appartenant au prédécesseur légal du requérant avait fait naître un droit relevant de l’article 1er du Protocole n°1. Quant à la question des moyens que l’État avait mis à la disposition du requérant pour défendre ce droit, la CEDH a relevé que le requérant avait engagé plusieurs procédures dont deux s’étaient conclues à son avantage. Le refus de lui accorder une compensation pour la période durant laquelle l’État possédait le bien était susceptible de recours (arrêt de la cour de district de Varsovie-centre-ville du 28 février 2005), mais le requérant n’avait pas interjeté appel. Enfin, l’usage du bien par la société publique mais autonome Izolacja a fait l’objet d’un contrat de bail conclu avec le requérant, qui peut jouir de ses prérogatives de propriétaire. Ainsi, la CEDH a rejeté le grief, considérant que les autorités avaient fait le nécessaire pour que les droits garantis au requérant par l’article 1er du Protocole n°1 fussent préservés298. Le bilan de la réception de ces arrêts est difficile à établir à cause du long et lourd programme qu’implique pour la Pologne la réduction effective de la durée de ses procédures. Inévitablement, il sera bref et provisoire. 297 CEDH, Bennich-Zalewski c. Pologne, n°59857/00, 22 avril 2008, §§ 5-42. 298 Ibidem, §§ 72-98. L’affaire Helwig sur laquelle la CEDH s’est prononcée quelques mois plus tard doit être mentionnée ici. Une usine appartenant au père du requérant, décédé en 1940, avait été placée sous administration étatique en février 1951 puis expropriée en juin 1958 (l’arrêt ne précise pas si cette expropriation a eu lieu sur le fondement de la loi du 25 février 1958 mais, au regard des circonstances, il y a tout lieu de le penser). La nullité de la décision d’expropriation a été obtenue en 2003. La CEDH a condamné la Pologne pour la durée de la procédure administrative mais a écarté le grief fondé sur l’article 1er du Protocole n°1. Comme dans l’affaire Bennich-Zalewski, les autorités avaient assuré la jouissance paisible du droit de propriété du requérant en lui accordant une compensation financière, en conséquence de l’illégalité de l’expropriation (CEDH, Helwig c. Pologne, préc.). 149 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE D. L’issue des affaires relatives à la nationalisation des biens productifs liée à l’amélioration des délais de procédure 213 - À ce jour, aucun des arrêts de la CEDH rendus à propos de la contestation des nationalisations d’outils de production après-guerre n’est complètement exécuté. À l’exception de l’affaire Kroenitz de 2003, toutes les affaires sont suivies dans le désormais fameux groupe Fuchs consacré à la violation de l’article 6 § 1 pour la durée excessive des procédures administratives299. Point positif s’il en est, aucune contribution des requérants eux-mêmes ou d’une ONG n’indique que l’exécution des arrêts est au point mort sur le plan des mesures individuelles, contrairement à la situation dénoncée par la Fondation d’Helsinki pour les reprivatisations de propriétés à Varsovie. En novembre 2011, lorsque le gouvernement polonais a soumis son plan d’action initial concernant le groupe Fuchs, les procédures internes dans les affaires Bennich-Zalewski (2008), Helwig (2008) et Zjednoczone Browary Warszawskie Haberbusch i Schiele S.A. (2010) étaient déjà closes au niveau interne300. Mais dans les deux premières, une décision finale avait été rendue lorsque la CEDH avait examiné les requêtes transmises. La condamnation de la Pologne au titre de l’article 6 § 1 a pu, en revanche, accéléré la clôture de la procédure dans la troisième. 214 - L’arrêt Kroenitz a quant à lui été suivi dans le groupe Podbielski301 puisque, contrairement aux autres affaires ici étudiées, la violation de l’article 6 § 1 retenue par la CEDH dans son arrêt du 25 février 2003 ne concernait pas une procédure administrative mais une procédure civile. En l’espèce, la requérante avait effectivement poursuivi la société qui possédait sa propriété, expropriée en 1948. Elle en demandait la restitution devant une juridiction civile (la cour régionale de Częstochowa) après avoir obtenu l’annulation de la décision d’expropriation par une décision du 28 juin 1996 du ministre de l’Intérieur302. Cette affaire, bien que née dans le contexte des expropriations d’après-guerre, ne soulève donc pas directement de doutes sur la volonté des autorités à annuler ou indemniser une expropriation. 299 Cf. supra, paragraphes 182-185. 300 Com. Min., Document DH-DD(2011)1073 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Fuchs c. Pologne), préc., annexe. 301 Com. Min., Groupe Podbielski contre la Pologne – 240 affaires de durée de procédures devant les juridictions civiles et du travail, 1236e réunion des délégués, 22 septembre 2015. Ce groupe est lui-même une subdivision du groupe de référence Kudła sur la durée excessive des procédures civiles et pénales en Pologne et la nécessité d’une voie de recours interne effective. Une résolution finale a été rendue par le Comité des ministres en 2015 (voir Com. Min., Résolution finale CM/ResDH(2015)248 (exécution des arrêts dans 205 affaires contre la Pologne), 9 décembre 2015, 1243e réunion des délégués). 302 CEDH, Kroenitz c. Pologne, préc., §§ 6-13. 150 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME La dernière catégorie de mesures d’expropriation ne revêt pas de caractère économique mais elle est en revanche très politique. Les expropriations concernées tendaient à entraver les éléments d’opposition au régime, qu’il s’agisse de l’Église catholique ou des syndicats indépendants. § 4. LA SAISIE DES BIENS DES ORGANISATIONS RELIGIEUSES OU SYNDICALES Les deux dernières affaires relatives à la dépossession de propriété que la CEDH a jugées sont apparues dans des circonstances très différentes. La première concernait les biens de l’Église catholique polonaise (A), la seconde le syndicat Solidarność à la suite de son interdiction en 1981 (B). A. La restitution des biens de l’Église expropriés par le régime socialiste 215 - Dans sa résolution du 27 juin 1996 relative aux mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait invité les anciens États socialistes à procéder à la restitution des biens confisqués aux Églises303. C’est ce qu’avait prévu la Pologne dès 1989. En raison du manque de garanties entourant la procédure de restitution de ces biens, plus exactement l’absence d’appel des décisions de la commission compétente, la Pologne a été condamnée par la CEDH en 2009 (1). Avant même que l’association requérante ne saisisse la Cour, les autorités avaient pris la mesure du problème et modifié les modalités procédurales (2). 1) L’impossibilité de contester les décisions de la commission des biens, nonconforme au droit d’accès à un tribunal 216 - En 1962, le Trésor public avait exproprié un bien appartenant à une association reli303 « 10. […] l’Assemblée conseille, en principe, de restituer in integrum à leurs propriétaires d’origine les biens, y compris ceux des Églises, qui ont été illégalement ou injustement saisis, nationalisés, confisqués ou expropriés par l’État sous le règne des régimes communistes totalitaires, dans la mesure du possible, sans violer les droits des propriétaires actuels qui ont acquis ces biens de bonne foi, ni ceux des locataires actuels qui occupent les lieux de bonne foi, et sans nuire aux progrès des réformes démocratiques. Dans les cas où cela n’est pas possible, une indemnisation matérielle juste devrait être attribuée. Les contestations et litiges liés à des affaires individuelles de restitution de propriété seront tranchés par les tribunaux. » (Résolution 1096(1996) relative aux mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes, 27 juin 1996). 151 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE gieuse. C’est à l’association requérante304 qu’en avaient été confiés l’usage et la gestion en 1964. Sur le fondement de la loi du 17 mai 1989 relative aux relations entre l’État socialiste et l’Église catholique305, la commission des biens située à Varsovie a restitué la propriété du bien litigieux à l’association religieuse par une décision du 20 octobre 1992, avec obligation pour celle-ci de rembourser à l’association requérante une somme couvrant les frais engagés pour l’entretien et l’aménagement du bien. N’ayant pu faire appel de la décision, faute de voie de droit devant la commission et alors même qu’elle entendait contester la méthode de calcul, l’association requérante a assigné le Trésor public devant la cour régionale de Przemyśl aux fins d’obtenir le remboursement du surplus des dépenses effectuées. Le 15 décembre 1995, ladite cour alloua une somme à la requérante mais les deux parties interjetèrent appel. Le jugement fut annulé en seconde instance le 5 décembre 1996, conformément à la position de la Cour suprême exprimée à l’occasion d’une question préjudicielle. Pour la haute juridiction, les décisions de restitutions adoptées par la commission des biens avaient pour effet de déposséder le Trésor public. De fait, aucun recours ultérieur n’était possible pour exiger une indemnisation306. 217 - Dans son arrêt du 21 septembre 2004 prononcé par la deuxième section, la CEDH a condamné la Pologne à cause de l’interprétation de la loi du 17 mai 1989 retenue par la Cour suprême polonaise, excluant tout recours sur le fondement du droit commun contre les décisions de la commission des biens. La Cour suprême avait souligné la spécificité des décisions rendues par la commission pour répondre à une problématique historique : réparer les conséquences des expropriations des biens de l’Église catholique. La procédure devant la commission des biens était, en quelque sorte, censée se suffire à elle-même pour régler la totalité des litiges. Or, l’affaire élevée devant la CEDH démontrait avec éclat qu’il n’en était rien. Lors du retour de la propriété à l’association religieuse qui la détenait initialement, la somme demandée à celle-ci pour couvrir les frais engagés par l’association requérante qui en avait eu l’usage de 1964 à 1992 était sans l’ombre d’un doute insuffisante, puisque la juridiction civile de première instance, qui s’était déclarée par erreur compétente, avait alloué une somme bien supérieure à celle que la commission avait déterminée. La Cour suprême, en estimant que le juge de droit commun ne saurait juger de tels recours, privait donc les personnes potentielle- 304 L’Association des enseignants polonais (Związek nauczycielstwa polskiego). 305 Ustawa z dnia 17 maja 1989 r. o stosunku Państwa do Kościoła Katolickiego w Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej [Loi du 17 mai 1989 sur les relations entre l’État et l’Église catholique dans la République Populaire de Pologne], Dz. U., 1989, n°29, texte 154, pp. 457-470. 306 CEDH, Związek nauczycielstwo polskiego, n°42049/98, 21 septembre 2004, Rec. 2004-IX, §§ 7-17. 152 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ment concernées par une procédure de restitution de toute possibilité de se plaindre des erreurs commises par la commission des biens. Ainsi, l’article 6 § 1 de la Conv. EDH garantissant le droit d’accéder à un tribunal avait été violé307. La procédure en cause dans l’affaire Związek Nauczycielstwo Polskiego n’était plus applicable lorsque la CEDH rendit son arrêt. L’exécution de celui-ci était d’autant plus aisée que la cause de l’inconventionalité avait disparu du droit polonais dès 1997. 2) La disparition des procédures spécifiques de restitution des biens de l’Église 218 - L’association requérante a reçu le versement de la satisfaction équitable pour le dommage moral (accompagné des frais et dépens) le 14 avril 2005, un peu plus de deux mois après que l’arrêt de la CEDH est devenu définitif. Le gouvernement polonais a considéré qu’aucune mesure individuelle n’était nécessaire308. 219 - La violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH sanctionnée en l’espèce par la CEDH risquait néanmoins de se reproduire en raison des dispositions de la loi du 17 mai 1989 sur les relations entre l’État et l’Église dans la République Populaire de Pologne. Cette loi avait mis en place des commissions des biens, compétentes pour statuer sur les questions d’expropriations, à partir des recours recevables jusqu’à la fin de l’année 1992. La loi de 1989 est encore en vigueur mais la procédure spécifique qu’elle avait instaurée ne s’applique plus puisque les commissions ont achevé leur mandat. La cause de la méconnaissance des stipulations conventionnelles a ainsi disparu de facto. Les questions de propriétés des biens de l’Église catholique relèvent désormais de la loi du 21 août 1997 sur la gestion immobilière309. 220 - De surcroît, l’arrêt de la CEDH rendu dans l’affaire Związek Nauczycielstwa Polskiego a été publié sur le site Internet du ministère de la Justice et transmis, accompagné d’une lettre circulaire à la chambre civile de la Cour Suprême pour être connu de ses juges, ainsi qu’aux présidents de cours d’appel. 221 - Le Comité des ministres, satisfait des mesures adoptées pour répondre l’arrêt de la CEDH, a décidé de clore l’examen de l’affaire par une résolution du 14 septembre 2011310. La 307 Ibidem, §§ 30-41. 308 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)138 (exécution de l’arrêt Związek Nauczycielstwa Polskiego c. Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués. 309 Loi du 21 août 1997 sur la gestion immobilière, préc. 310 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)138 (exécution de l’arrêt Związek Nauczycielstwa Polskiego c. Pologne), préc. 153 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE procédure interne, en l’espèce, avait débuté en 1992 et s’était achevée en juin 1997, avant l’adoption de la loi sur la gestion immobilière de 1997. Les modifications législatives permettant d’éviter à l’avenir toute violation du même type ont ainsi devancé très largement l’arrêt de la CEDH. L’hypothèse de l’anticipation de la condamnation n’est pas même recevable puisque la requête individuelle de l’association culturelle a été transmise au greffe de l’ancienne Com. EDH le 10 décembre 1997311. Partant, l’arrêt du 21 septembre 2004 est venu pleinement conforter le choix du législateur polonais d’abandonner l’ancienne procédure de règlement des litiges portant sur la propriété des biens de l’Église. La Pologne a été condamnée pour une autre affaire de confiscation de biens réalisée à l’époque socialiste et qui avait affecté le célèbre syndicat Solidarność. B. La confiscation des biens du syndicat Solidarność sous l’état martial La problématique de cette affaire ne se démarque ni par son originalité, ni par sa complexité, puisqu’elle rejoint une fois encore le lourd contentieux de la durée excessive des procédures juridictionnelles (1). La législation applicable, adoptée dans les premiers temps de la démocratie pour réparer les préjudices causés par l’état martial instauré le 13 décembre 1981, n’était pas directement en cause. La Pologne fut donc avant tout invitée à remédier à la lenteur des autorités administratives et juridictionnelles (2). 1) La durée d’une procédure de restitution de biens saisis non-conforme à l’article 6 § 1 de la Convention 222 - À la pointe du combat des ouvriers polonais contre le pouvoir312, l’organisation syndicale Solidarność, avait fait l’objet d’une interdiction corrélative au déclenchement de l’état martial en 1981313 et ses biens avaient été confisqués. Dès le 25 octobre 1990, la démocratie restaurée, le législateur avait voté une loi sur la restitution aux syndicats et organisations de citoyens de leurs biens saisis lors de l’instauration de l’état martial314. La Com. EDH avait 311 CEDH, Związek Nauczycielstwa Polskiego c. Pologne, préc., § 1. 312 Le syndicat indépendant compta jusqu’à dix millions de membres avant son interdiction. Son influence politique sur la société était d’autant plus grande – et donc dangereuse pour le pouvoir – qu’il bénéficiait du soutien d’organisations étudiantes et d’un syndicat d’agriculteurs. Lire à ce sujet l’article « Solidarnosc », in Stéphane Courtois (dir.), Dictionnaire du communisme, Paris, Larousse, Coll. « À présent », 2007, pp. 525-527. 313 Dekret z dnia 12 grudnia 1981 r. o stanie wojennym [Décret du 12 décembre 1981 sur l’état martial], Dz. U., 1981, n°29, texte 154, pp. 309-317. 314 Ustawa z dnia 25 października 1990 r. o zwrocie majątku utraconego przez związki zawodowe i organizacje 154 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME fort logiquement déclaré irrecevable dès 1995 une requête mettant en cause une compensation obtenue par le syndicat Solidarność avant l’entrée en vigueur du Protocole n°1 en Pologne, le 10 octobre 1994315. En 2008 la branche locale de Świdnica de Solidarność a saisi la Cour de Strasbourg au sujet d’une procédure de compensation encore en cours. 223 - Le syndicat Solidarność de Świdnica s’était adressé le 14 février 1991 à la commission de restitution, organe instauré par l’article 5 de la loi du 25 octobre 1990, aux fins de se voir restituer les biens qui lui avaient été saisis en 1983. À défaut du retour des biens, la commission accorda par une décision du 26 novembre 1991 une somme compensatoire de la valeur des biens saisis. Mais la décision fut annulée en 1992, à la suite d’un recours intenté par le syndicat requérant. La Cour administrative suprême invalida à son tour la décision adoptée en appel, par un arrêt du 25 février 1992. La procédure recommença à quatre reprises : de mai 1992 jusqu’à l’initiative de la commission qui décida elle-même de réexaminer le dossier jusqu’à une nouvelle invalidation en cassation prononcée un an plus tard ; d’août 1997 jusqu’à l’arrêt de la Cour administrative suprême de décembre 2002, faisant droit, là encore, aux demandes du syndicat ; de mai 2003 avec une nouvelle décision au fond de la commission, attaquée par la syndicat qui la pensait entachée d’une erreur de droit, jusqu’à son annulation par une cour administrative en mars 2006 ; d’octobre 2006 jusqu’à la décision rendue par la commission le 30 janvier 2008, favorable au syndicat316. 224 - Seule se posait véritablement la question de savoir si la requête pouvait être recevable, le gouvernement mettant en exergue la voie indemnitaire offerte par les articles 417 et 417-1 du CC, qui permet d’engager la responsabilité du Trésor public pour la faute de ses agents. En l’absence d’une jurisprudence établie attestant d’une réelle pratique de l’indemnisation pour la durée des procédures administratives sur le fondement de ces dispositions, la CEDH a rejeté cet argument. Dans son arrêt peu motivé317 du 28 février 2012, elle a retenu la violation de l’article 6 § 1, le syndicat Solidarność ayant obtenu une décision définitive sur la restitution społeczne w wyniku wprowadzenia stanu wojennego [Loi du 25 octobre 1990 sur la restitution aux syndicats et organisations des citoyens de leurs biens saisis à la suite de l’instauration de l’état martial], Dz. U., 1991, n°4, texte n°17, pp. 25-26. 315 Com. EDH, Syndicat Solidarność à l’usine de Fresco et à la coopérative de Zgoda, n° 25481/94 et n°26174/94, 6 avril 1995. 316 CEDH, Międzyzakładowa organizacja związkowa NSZZ Solidarność de Świdnica c. Pologne, n°13505/08, 28 février 2012, §§ 4-11. 317 En raison de la répétition des requêtes concernant la durée des procédures administratives, les mêmes causes produisant forcément les mêmes effets… 155 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE de ses biens seulement dix-sept ans après sa demande initiale318. Le syndicat requérant a pu obtenir gain de cause sur le plan interne. Reste pour la Pologne à éliminer les facteurs de lenteurs procédurales. 2) La réception de l’affaire NSZZ Solidarność de Świdnica associée aux mesures relatives à la lenteur des procédures administratives 225 - L’exécution de l’arrêt « Solidarność » est toujours placée sous la surveillance du Comité des ministres. Il a été intégré à une série comportant à ce jour 84 affaires (groupe Fuchs) dans la mesure où les retards accumulés au cours de la procédure n’étaient pas dus aux dispositions de la loi de 1990 relative à la restitution des biens confisqués mais bien aux dysfonctionnements généraux des procédures administratives. De plus, le syndicat requérant avait été indemnisé à l’issue de la procédure interne. Si les dépossessions de propriété par les autorités publiques dans les années qui suivirent la fin de la Seconde guerre mondiale s’inscrivaient dans une logique économique marxiste (collectivisation des biens de production, réquisition des logements pour la redistribution), des expropriations pour des raisons tenant à l’aménagement local étaient naturellement décidées. Les désagréments rencontrés par les propriétaires concernés ont conduit ces derniers à rechercher l’appui de la CEDH pour rétablir leurs droits lorsque les procédures internes ne leur permettaient pas d’obtenir promptement une compensation. Pour ses difficultés à mettre au point de nouvelles règles satisfaisantes sur la planification locale et sur la compensation d’autres types d’expropriations d’utilité publique – difficultés propres aux économies en transition –, la Pologne a été régulièrement condamnée par la CEDH. SECTION II – LA COMPENSATION DES EXPROPRIATIONS LOCALES D’UTILITÉ PUBLIQUE 226 - De manière générale, la Pologne a plutôt bien réussi l’implantation de la démocratie locale, à travers une série de réformes survenues de 1990 à 1999. La décentralisation s’est opérée par le transfert de compétences centrales vers trois échelons territoriaux : la commune 318 CEDH, Międzyzakładowa organizacja związkowa NSZZ Solidarność de Świdnica, préc. §§ 16-29. 156 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME (gmina), le district (powiat) et la région (województwo)319. Les conseils municipaux ont joué un rôle majeur pour transformer les territoires et améliorer la situation économique, sociale et culturelle des populations320. Dans son Rapport sur la situation de la démocratie locale et régionale en Pologne de 2002, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe avait reconnu la qualité de la réforme territoriale polonaise, susceptible de « servir de modèle à un grand nombre d’États d’Europe centrale et orientale qui souhaitent adapter leur organisation territoriale aux nouveaux besoins de leurs administrés », notamment parce qu’elle a permis de « soulager le gouvernement central de tâches qui lui incombaient du temps de l’ancien système communiste ». Les rapporteurs insistèrent sur la fin du monopole de l’État sur les propriétés immobilières grâce au transfert d’une grande partie d’entre elles aux municipalités dès 1990321. Cette évaluation positive a été réitérée par le second rapport de surveillance rendu public le 26 mars 2015322. Les litiges portés devant la CEDH par les justiciables polonais à propos des préjudices causés par des expropriations ponctuelles justifiées par l’utilité publique (pour l’aménagement des territoires et la planification locale) traversent aussi bien la période du droit socialiste que les premières années de la transition. Après 1990, alors que le défi de l’amélioration du système juridique se posait dans une société en mutation, où se développaient par conséquent les recours en justice, les tribunaux furent invités à mettre un terme à des procédures d’expropriation anciennes. Furent à cette occasion clairement mis en évidence l’échec des autorités judiciaires à assurer promptement le respect des droits des propriétaires effectivement expropriés (§ 1), l’incertitude des propriétaires visés par des plans d’aménagement local quant à l’avenir de leur propriété (§ 2) et, dans une affaire isolée mais importante, l’impossible exercice des droits rattachés à la propriété d’un bien classé sur la liste du patrimoine régional (§ 3). 319 Cf. Annexe n°3. 320 Ewa OCHMAN, Post-communist Poland…, op. cit., pp. 16-17. L’auteur évoque notamment un sondage effectué en 2009 et montrant la satisfaction d’une grande majorité de Polonais à propos des transformations connues par le pays au cours des vingt années précédentes. L’introduction de la démocratie locale était significativement saluée par les personnes interrogées. 321 Congr. Pv. loc., CG(9)21 Partie II, Rapport sur la situation de la démocratie locale et régionale en Pologne, 1er novembre 2002 (rapporteurs : Kathryn Smith (Royaume-Uni) et Miljenko Doric (Croatie)), §§ 67-70. 322 Congr. Pv. loc., CG/2015(28)12, Démocraties locale et régionale en Pologne, 26 mars 2015 (rapporteurs : Jos Wiener (Pays-Bas) et Cynthia Hugues (Royaume-Uni)). Le rapport conclut (§ 133) que le cadre normatif et la structure décentralisée en Pologne sont dans l’ensemble satisfaisants et conformes à la Charte européenne de l’autonomie locale (STCE n°122, Strasbourg, 15 octobre 1985) que la Pologne a signée et ratifiée en 1993. 157 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE § 1. L’INCONVENTIONNALITÉ DES EXPROPRIATIONS D’UTILITÉ PUBLIQUE ACCOMPLIES L’amélioration de la qualité de la justice et sa désidéologisation après 1989 offraient l’occasion, pour les individus dont les biens avaient été abusivement expropriés pour des raisons locales, de rechercher l’annulation des décisions ainsi qu’une compensation financière. Faute d’avoir su en toutes circonstances protéger le droit au respect des biens des victimes de ces d’expropriations, la Pologne a été condamnée par la CEDH (A). Le bilan de la réception de ces arrêts est mitigé : des blocages d’ordres politique et juridique ont fait obstacle à leur exécution rapide (B). A. L’intervention de la CEDH dans les procédures d’indemnisation ou de restitution des propriétés La Cour de Strasbourg a examiné la conformité des procédures d’expropriations effectuées en Pologne pour servir l’intérêt public local au droit au respect des biens (1) ou au droit d’obtenir une décision de justice dans un délai raisonnble (2). 1) Le droit d’être indemnisé pour l’illégalité d’une expropriation d’utilité publique 227 - Cette hypothèse fait l’objet d’un arrêt retentissant rendu à l’égard la Pologne dans l’affaire Zwierzyński. Le père du requérant détenait une propriété dans la ville de Łomża, à l’est de la Pologne. Le 26 juin 1950, le tribunal municipal déposa une demande d’expropriation de cette propriété au livre foncier. Sur le fondement des dispositions du décret du 7 avril 1948, le directoire régional du Conseil national prononça l’expropriation pour cause d’utilité publique. L’intéressé ne perçut jamais l’indemnité qui lui avait pourtant été octroyée. Il forma un recours contre l’expropriation qui ne fut examiné et rejeté par le ministre de l’Économie que le 2 décembre 1980. Une fois disparu le régime socialiste, le ministère de l’Économie prononça l’annulation de l’ensemble de la procédure d’expropriation par une décision du 18 juillet 1991. Le ministre fonda l’annulation sur une erreur manifeste de droit, la propriété ne relevant pas du champ d’application du décret du 7 avril 1948323. La décision fut confirmée par la Cour administrative suprême dans un arrêt du 23 novembre 1993. Bien que 323 Dekret z dnia 7 kwietnia 1948 r. o wywłaszczeniu majątków zajętych na cele użyteczności publicznej w okresie wojny 1939-1945 r. [Décret du 7 avril 1948 sur l’expropriation des biens utilisés à des fins publiques au cours de la guerre de 1939-1945], Dz. U., 1948, n°20, texte 138, pp. 369-370. 158 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME le requérant et sa sœur fussent inscrits au registre foncier comme nouveaux propriétaires le 12 septembre 1994, les occupants ne quittèrent pas les lieux ni ne s’acquittèrent de leur loyer. La situation a été rendue plus complexe encore par l’intervention du Trésor public, qui avait engagé dès le mois de septembre 1992 une action civile tendant à l’acquisition de la propriété par voie d’usucapion puisque l’immeuble abritait depuis vingt ans les locaux d’un commissariat de police. La cour de district de Łomża a fait droit à cette demande dans un arrêt du 6 octobre 1995, confirmé en seconde instance. Le ministre de la Justice, agissant au nom du requérant, a introduit un recours en cassation le 3 octobre 1996, considérant que la possession par usucapion ne pouvait jouer lorsqu’une décision d’expropriation avait fait l’objet d’une annulation. La Cour suprême annula les décisions rendues et renvoya l’affaire pour réexamen à la cour de district. Bien que le requérant eût été inscrit comme propriétaire du bien au registre foncier en 1997, la cour de district d’Olsztyn trancha en faveur du partage de la propriété entre les deux héritiers, par un arrêt du 8 juillet 1998. En conséquence, le requérant introduisit une demande de rectification au registre foncier auprès de la cour de district de Łomża. Faute de pouvoir apporter la preuve que le registre n’était pas en conformité avec la situation juridique du bien, il fut débouté le 3 février 1999. Les héritiers du propriétaire initial (lequel avait cédé l’immeuble au père du requérant en 1937) sont intervenus en 1998 pour demander la réouverture de la procédure de partage. Deux ans auparavant, le 15 juillet 1996, le requérant avait décidé de saisir la CEDH324. 228 - En raison d’une « expropriation défectueuse », selon les termes du professeur Lech Garlicki en référence à l’arrêt Papamichalopoulos325, la Cour a examiné l’affaire sous l’angle de l’article 1er du Protocole n°1. En effet, lorsque la « privation de l’exercice des droits de propriété ne s’accompagne pas d’une modification de la situation juridique correspondante […] le droit de propriété (un autre droit réel) n’est pas éteint ; il continue d’exister sur le plan juridique mais son exécution est empêchée »326. La CEDH, considérant d’une part la décision de la Cour administrative suprême polonaise qui, en novembre 1993, avait rétabli les héritiers du propriétaire exproprié dans leurs droits et d’autre part l’inscription desdits héritiers comme propriétaires du bien au registre foncier en 1994, admit que les différentes actions intentées contre le requérant, notamment par le Trésor public, constituaient une ingérence dans le droit 324 CEDH, Zwierzyński c. Pologne, n°34049/96, 19 juin 2001, CEDH 2001-VI, §§ 7-32. 325 CEDH, Papamichalopoulos et autres c. Grèce, n°14556/89, 24 octobre 1993, A260-B. 326 Lech GARLICKI, « L’application de l’article 1er du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’Homme dans l’Europe centrale et orientale : problèmes de transition », in Hugo VANDENBERGHE (dir.), Propriété et droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 140. 159 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE au respect de ses biens. Les juges de la première section ont établi que les organes de l’État avaient, en l’espèce, tout fait pour retarder le moment de la restitution du bien. Or, une telle ingérence n’était nullement justifiée par une cause d’utilité publique sérieuse et le juste équilibre recherché par le second paragraphe de l’article 1er du Protocole n°1 était dès lors rompu327. Par ailleurs, la Cour a retenu la violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH en raison de la durée excessive de la procédure administrative (huit ans et un mois dans le champ temporel de compétences de la Cour)328. 229 - La satisfaction équitable accordée dans l’affaire Zwierzyński s’élevait à 160 500 EUR, constituant – à l’époque – la somme la plus importante à laquelle la Pologne n’avait jamais été condamnée329. Elle fut déterminée par la Cour en conséquence de l’échec d’un règlement amiable portant sur une hypothétique restitution du bien330. Dans les autres affaires portant sur des expropriations au niveau local, la CEDH s’est positionnée uniquement sur le terrain de la durée raisonnable des procédures pour sanctionner les manquements de la Pologne. 2) Le droit d’obtenir une décision sur la demande de restitution ou d’indemnisation d’une propriété dans un délai raisonnable 230 - En 2009, une l’affaire Tomaszewska concernant l’expropriation en 1957 d’une propriété de Łomża – prononcée également par le directoire régional du Conseil national – a conduit la CEDH à condamner une nouvelle fois la Pologne, mais au titre de l’article 6 § 1 seulement. Le litige n’abordait pas la question de la compensation du bien nationalisé : la requérante s’était battue entre 1991 et 2006 pour obtenir l’annulation de la décision de 1957, sans succès331. 327 Voir à l’inverse CEDH, Wende et Kukówka c. Pologne, n°56026/00, 10 mai 2007. En l’espèce, la Cour a retenu la violation de l’article 6 § 1 pour la durée totale de la procédure portant sur l’annulation et la compensation d’une expropriation prononcée en 1953, mais s’est jugée incompétente ratione temporis pour examiner l’affaire sous l’angle de l’article 1er du Protocole n°1. Les requérants, qui touchèrent une compensation financière en 1998 pour la perte de leur bien, consécutivement à la déclaration de nullité de la décision d’expropriation, se plaignaient de n’avoir pas reçu l’indemnisation promise en 1953. 328 CEDH, Zwierzyński c. Pologne, préc., §§ 36-74. 329 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: the voluminous and interesting Polish case law », EHRLR, n°5, 2004, p. 531. 330 La satisfaction équitable a été déterminée dans un arrêt distinct de l’arrêt au principal : CEDH, Zwierzyński c. Pologne (satisfaction équitable), n°34049/96, 2 juillet 2002. 331 CEDH, Tomaszewska c. Pologne, n°9399/03, 14 avril 2009. 160 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 231 - Entre 2004 et 2009, plusieurs requêtes transmises à la CEDH firent l’objet d’arrêts dans lesquels les juges ont retenu la violation de l’article 6 § 1. Les moyens fondés sur l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH ont systématiquement été rejetés332. Dans le premier d’entre eux, l’arrêt Urbańczyk de 2004, la propriété du requérant avait été expropriée en 1979 pour la réalisation d’un projet d’utilité publique qui demeura dans les limbes. En 1990, la propriété est revenue au requérant mais celui-ci a demandé l’annulation d’une décision de 1987 par laquelle l’architecte municipal avait autorisé un voisin de la parcelle litigieuse à effectuer des travaux de modernisation affectant la propriété expropriée du requérant. La procédure n’avait toujours pas abouti à une décision définitive en 2000, ce qui incita le requérant à la vente de la propriété. La CEDH a considéré que la procédure administrative avait été en l’espèce excessivement longue333. 232 - Dans l’arrêt Wilczkowska et autres, la propriété des requérants avait été expropriée en 1975 sur le fondement d’une loi du 12 mars 1958334 (abrogée le 1er août 1985) pour cause d’utilité publique. Une indemnisation leur fut versée par le Trésor public mais la patinoire qui devait être construite sur le terrain en question n’a jamais vu le jour. En 1990, ils entreprirent une démarche en vue de la restitution de leur bien. La procédure n’aboutit à une décision finale qu’en 2003, favorable aux requérants. Encore une fois, comme dans les affaires précédemment évoquée, la CEDH s’est placée uniquement sur le terrain de la durée de la procédure de restitution et a condamné la Pologne pour la violation de l’article 6 § 1335. 332 Une exception doit toutefois être soulevée dans l’affaire Polańscy. Elle concernait le retard du versement aux requérants de leur indemnisation pour une expropriation d’utilité publique (construction d’une route régionale). Cette indemnisation, prévue par un règlement amiable conclu avec les autorités de leur district en 1989, n’avait été versée qu’en septembre 2007, malgré une plainte des requérants en juillet 1999. La CEDH considéra que les autorités avaient violé l’article 1er du Protocole n°1 en n’apportant aucune justification acceptable de ce si long délai d’attente (CEDH, Polańscy c. Pologne, n°21700/02, 7 juillet 2009). Le gouvernement a transmis au Comité des ministres son bilan d’action en décembre 2014, lequel évoque le versement de la satisfaction équitable, les mesures de diffusion et d’explication de l’arrêt et le rappel des moyens juridiques internes pour contester les retards de paiement dont les requérants avaient été victimes. Le Comité a décidé de clore le suivi de l’arrêt en février 2015 (Com. Min., Résolutions CM/ResDH(2015)20 (exécution de l’arrêt a c. Pologne), 18 février 2015, 1220e réunion des délégués). 333 CEDH, Urbańczyk c. Pologne, n°33777/96, 1er juin 2004. De semblables condamnations ont sanctionné la durée des procédures d’expropriation de propriétés pour la construction non réalisée de voies routières (CEDH, Bogucki c. Pologne, n°49961/99, 15 novembre 2005 ; CEDH, Puchalska c. Pologne, n°10392/04, 6 octobre 2009), la durée de procédures de restitution de propriétés expropriées dans les années 1970 pour des projets avortés de construction d’immeubles d’habitation (CEDH, Kryszkiewicz c. Pologne, n°77420/01, 6 mars 2007 ; CEDH, Wysocka et autres c. Pologne, n°23668/03, 13 janvier 2009) et la durée d’une procédure d’indemnisation d’une expropriation réalisée peu avant le début de la transition démocratique (CEDH, Trzaskalska c. Pologne, n°34469/05, 1er décembre 2009). 334 Ustawa z dnia 12 marca 1958 r. o zasadach i trybie wywłaszczania nieruchomości [Loi du 12 mars 1958 sur les principes et procédures d’expropriation], Dz. U., 1958, n°17, texte 70, pp. 293-299. 335 CEDH, Wilczkowska et autres c. Pologne, n°28983/02, 8 janvier 2008. 161 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE Le gouvernement polonais a connu des difficultés pour exécuter l’ensemble de ces arrêts, en raison de la crainte d’un contentieux de l’expropriation massif devant la Cour mais aussi de la variété des causes de retards dans les procédures administratives. B. L’exécution difficile des arrêts relatifs à l’expropriation pour cause d’utilité publique Contesté par le gouvernement polonais, l’arrêt Zwierzyński n’a été pleinement exécuté qu’à l’issue d’une période de quatorze ans (1). Quant aux deux autres arrêts, le verdict du Comité des ministres dépendra de l’ensemble des mesures adoptées pour remédier à la durée des procédures administratives (3). 1) L’exécution tardive de l’arrêt Zwierzyński 233 - L’arrêt Zwierzyński du 19 juin 2001 fut le premier arrêt de la CEDH à porter sur la compensation d’une expropriation prononcée à l’époque communiste, tous types d’expropriations confondus. Il fut le premier dans lequel la Cour a doublement sanctionné la Pologne au titre de l’article 6 § 1 et au titre de l’article 1er du Protocole n°1. Il fut le premier à avoir externalisé au niveau européen la question des reprivatisations en Pologne. Il fut enfin le premier dont la Pologne demanda la révision devant la grande chambre de la CEDH. 234 - Loin d’avoir été une formalité, sa réception par les autorités a été dans, un premier temps, objectivement négative. La satisfaction équitable de 116 500 EUR (hors frais et dépens) pour les dommages matériel et moral octroyée par la Cour au requérant dans l’arrêt du 2 juillet 2002 compensait l’échec de la restitution du bien336. Les négociations entre le gouvernement et le requérant avaient en effet échoué, rendant tout règlement amiable impossible337. 235 - Le gouvernement a tenté à trois reprises d’obtenir la révision de l’arrêt au principal et de l’arrêt statuant sur la satisfaction équitable devant la grande chambre de la CEDH : le 1er octobre 2002 (demande rejetée par le collège de la grande chambre le 6 novembre 2002), le 6 février 2003 (rejetée le 24 juin 2003), le 19 janvier 2004 (rejetée le 28 janvier 2005). À la suite du troisième rejet de sa demande de révision, la Pologne a demandé que soit reconsidé336 Échec imputable, a priori, au requérant lui-même. L’immeuble concerné avait été vidé et le requérant informé de la date et du lieu pour conclure l’acte de transfert de propriété, mais ne s’est pas rendu au rendez-vous. Selon le gouvernement, le requérant aurait finalement préféré recevoir une indemnité plutôt que de récupérer le bien après que les juridictions internes eurent déclaré en 2002 qu’il n’était pas seul propriétaire (Com. Min. Document DH-DD(2015)678 (communication de la Pologne concernant l’affaire Zwierzynski c. Pologne), 24 juin 2015. 337 CEDH, Zwierzyński c. Pologne (satisfaction équitable), préc. 162 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME rée la décision du 28 janvier 2005. La Cour (ancienne première section) a décidé de mettre un terme à ces recours multiples par un troisième arrêt Zwierzyński du 6 mars 2007. Conformément à l’article 43 § 1 de la Conv. EDH lu en conjonction avec l’article 80 du règlement de la Cour, en présence d’un fait nouveau (ou inconnu à la date du jugement) avancé par l’État défendeur et dans un délai de trois mois après le prononcé de l’arrêt litigieux, la grande chambre peut accepter une procédure de révision. Or, en l’espèce, le gouvernement n’avait avancé aucun fait nouveau motivant la révision et avait de surcroît introduit sa demande hors-délai (par rapport à l’arrêt au principal). Par conséquent, la CEDH a rejeté clairement sa demande338. 236 - Quoique dépourvue d’argument solide pour contester les arrêts de 2001 et 2002, la Pologne espérait donc obtenir la révision du jugement. Le requérant en a subi les conséquences, puisque la très grosse partie de la satisfaction équitable (celle qui correspondait à la violation de l’article 1er du Protocole n°1339) n’a été versée que le 14 décembre 2007, alors que l’échéance avait été fixée au 6 février 2003. Plus de sept années supplémentaires furent encore nécessaires pour que la Pologne, le 15 avril 2015, se décidât à verser à Ryszard Zwierzyński les intérêts moratoires (42 092,40 EUR !) engendrés par ce paiement fort tardif340. 237 - Le texte de l’arrêt Zwierzyński a été tout de même publié sur le site du ministère de la Justice et transmis aux juridictions. Chose surprenante au regard des faits en question, le ministre de l’Intérieur et de l’Administration s’est pour sa part chargé de le faire connaître auprès de la police...341 238 - Le gouvernement a estimé au printemps 2015 avoir rempli ses devoirs en matière d’exécution des deux arrêts Zwierzyński. Qualifiant le litige d’« isolé », il a donc annoncé dans sa communication du 26 juin 2015 transmis au Comité des ministres qu’aucune mesure générale n’était nécessaire pour obvier d’éventuelles violations similaires de l’article 1er du Protocole n°1 à l’avenir. Quant à l’autre versant de l’affaire – le constat de la durée excessive de la procédure administrative – le gouvernement le rattache à la problématique générale de la durée des procédures juridictionnelles en Pologne342. Plus de quatorze ans après l’arrêt au 338 CEDH, Zwierzyński c. Pologne (révision), n°34049/96, 6 mars 2007. 339 Il convient de préciser que 15 000 PLN pour le dommage moral causé par la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et 25 000 PLN de frais de procédures avaient été exigés dès l’arrêt du 19 juin 2001. Cette somme a été payée sans retard par le gouvernement, le 7 décembre 2001. 340 Com. Min., Document DH-DD(2015)678 (communication de la Pologne concernant l’affaire Zwierzynski c. Pologne), préc. 341 Ibidem. 342 Ibid. 163 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE principal, le Comité des ministres a déclaré l’exécution complète et en a clos l’examen par la résolution du 26 septembre 2015343. S’agissant des arrêts Tomaszewska et autres, ils peuvent être considérés comme exécutés sur le plan des mesures individuelles mais des mesures générales sont maintenant attendues. 2) L’adoption de mesures générales en cours dans le cadre de la réception du groupe d’affaires Tomaszewska 239 - L’affaire Tomaszewska, née dans le même contexte que Zwierzyński, ainsi que toutes celles qui ont suivi (Urbańczyk, Bogucki, Puchalska, Kryszkiewicz, Wysocka et autres, Trzaskalska et Wilczkowska), ne présentaient pas les mêmes difficultés en termes de réception puisque la CEDH n’avait pas retenu la violation du droit de propriété alléguée par les requérants. Le Comité des ministres en examine toujours l’état d’exécution en raison de son classement dans le groupe d’affaires Fuchs placé sous le régime de la procédure soutenue344, bien que dans chaque cas la procédure interne a pris fin antérieurement à l’arrêt de la CEDH condamnant la Pologne. 240 - Aucune mesure individuelle autre que le versement de la satisfaction équitable n’aurait donc d’utilité. En faisant abstraction de l’examen des mesures générales destinée à remédier à la durée des procédures administratives en général, il est loisible de considérer que l’exécution de cette série d’arrêts ne soulève plus de question particulière. Un autre ensemble d’affaires, bien plus volumineux, regroupe les arrêts dans lesquels la CEDH a condamné la Pologne pour la durée excessive de la procédure ou pour la violation du droit de propriété à propos d’expropriations inachevées, faute de réalisation des projets d’intérêt public qui les motivaient. 343 Com. Min., Résolution ResDH(2015)147 (exécution des arrêts Zwierzynski c. Pologne), 24 septembre 2015, 1236e réunion des délégués. 344 Il s’agit du groupe d’affaires Fuchs, portant sur la question générale de la durée des procédures administratives. Des mesures générales multiples sont nécessaires pour remédier à ce problème de nature systémique. Cf. Partie II, Titre I, Chapitre I. 164 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME § 2. L’INCONVENTIONNALITÉ D’EXPROPRIATIONS D’UN PLAN DE DÉVELOPPEMENT LOCAL INABOUTIES DANS L’ATTENTE La CEDH a été l’ultime voie de recours pour des administrés privés du plein usage de leurs biens depuis que des procédures d’expropriations avaient été engagées. Certaines d’entre elles étaient antérieures à 1989 et s’appuyaient donc sur la législation socialiste (A). Les réformes intervenues au milieu des années 1990 en matière de planification du développement local (C) n’ont toutefois pas suffi à mettre un terme à ce phénomène, que la CEDH elle-même a identifié comme un point d’achoppement de la transition économique (B). A. La Pologne condamnée pour les expropriations inabouties engagées avant 1989 241 - Dans la chronologie des arrêts rendus par la CEDH concernant la Pologne, le premier à aborder le problème des expropriations engagées à l’époque socialiste mais inabouties a été rendu en novembre 2006 dans l’affaire Skibińscy. Un plan de développement local entériné en 1979 prévoyait la construction à Częstochowa d’un centre médical à l’emplacement d’un terrain et d’une maison appartenant aux futurs requérants, les époux Skibińscy. Ce plan fut par la suite modifié pour laisser place à un projet de constructions de villas individuelles. La procédure d’expropriation n’a concrètement jamais été mise en œuvre. Après la chute du régime communiste, les époux Skibińscy ont demandé la reclassification de leurs biens auprès des autorités municipales afin de pouvoir faire construire. Bien qu’ils eussent obtenu en juin 2012 l’autorisation de diviser leur terrain en parcelles, leur projet fut interrompu par une décision du conseil municipal de Częstochowa du 27 octobre 1994. Celle-ci prévoyait l’utilisation d’une partie de ce terrain pour la construction d’une route, amendant ainsi une nouvelle fois le plan de 1979. La municipalité fit cependant savoir que les financements de mise en œuvre du plan ne pourraient être réunis avant l’année 2010. N’ayant obtenu aucune réponse à leur demande de permis de construire introduite en août 1996, les époux Skibińscy ont saisi la CEDH d’une requête individuelle le 2 mars 1999. Ce n’est qu’en 2004 qu’ils furent autorisés à diviser leur propriété, conformément à la décision de 1992. Le 31 décembre 2003 expira le plan d’aménagement de 1979, en l’absence de mise en œuvre345. 242 - La CEDH, dans son arrêt du 14 novembre 2006, a insisté sur le délai du plan local qui, depuis 1979, affectait la propriété des requérants. La conséquence directe fut le contrôle im- 345 CEDH, Skibińscy c. Pologne, n°52589/99, 14 novembre 2006, §§ 8-27. 165 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE posé à leurs projets et l’absence de toute compensation portant sur l’expropriation à venir dans la mesure où la législation de 1994346 censée protéger les propriétaires n’était pas applicable à la situation des requérants. Les restrictions au droit individuel de propriété étaient, certes, prévues par la loi et destinées à satisfaire un projet d’utilité publique. Ces prémisses posées, la CEDH n’en a pas moins considéré qu’un plan de construction adopté en 1979 et amendé en 1994 pour n’être finalement jamais mis en œuvre, et alors même qu’il entraînait de facto le blocage des projets privés des requérants, ne pouvait être considéré comme servant l’intérêt général de la communauté, ni à court ni à moyen terme. Enfin, la loi de 1994, en excluant de son champ d’application les plans d’expropriation antérieurs à son entrée en vigueur, avait eu pour conséquences de prolonger la situation fragile des requérants pendant neuf années supplémentaires. La Pologne avait bien, en l’espèce, violé l’article 1er du Protocole n°1347. La satisfaction équitable, non fixée dans l’arrêt au principal de 2006, n’a été déterminée par la CEDH qu’en 2008348. Pour des faits très semblables, la Pologne a été condamnée en 2008 dans une affaire Pietrzak349. 243 - En 2010, la CEDH a rendu l’arrêt Tarnawczyk qui retient une nouvelle fois la violation l’article 1er du Protocole n°1. Les faits étaient plus graves encore que dans les deux affaires précédentes, puisque la propriété de la requérante, visée par une procédure d’expropriation engagée en mai 1978 dans la ville de Sanok, avait été passablement endommagée par les travaux de démolition engagés en 1979 par l’entreprise publique en charge des ouvrages de voirie. Pourtant, le projet n’aboutit pas et, en 1989, la qualité de propriétaire du bien fut reconnue à la requérante. Malgré un nouveau plan de développement local daté du 9 octobre 1998 qui semblait empiéter sur sa propriété, la requérante fut avertie en février 1999 qu’elle n’était plus concernée par les projets d’utilité publique. Elle put enfin obtenir au début des années 2000 346 Ustawa z dnia 7 lipca 1994 r. - Prawo budowlane [Loi du 7 juillet 1994 – Droit de la construction], Dz. U., n°89, texte n°414, pp. 1673-1690. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 1995. 347 Ibidem, §§ 73-98. 348 CEDH, Skibińscy c. Pologne (satisfaction équitable), n°52589/99, 21 octobre 2008. 349 CEDH, Pietrzak c. Pologne, n°38185/02, 8 janvier 2008. En avril 1975, un projet de développement local avait prévu la construction d’une route sur la propriété du père du requérant principal. En 1987 et en 1991, la municipalité a informé l’héritier de la propriété que la route allait être construite et que, par conséquent, il ne pouvait utiliser la parcelle concernée pour y élever un ouvrage. Le Défenseur des droits civiques fit savoir qu’il existait beaucoup de cas similaires de « propriétés gelées » dans l’attente de la réalisation d’un plan de développement local. Le requérant fut finalement autorisé par le ministre de l’Agriculture à utiliser son terrain à des fins agricoles ou pour une construction temporaire, la construction de la route n’étant pas prévue dans un avenir proche et certain. Le plan de développement qui concernait le requérant a fini par expirer, et le nouveau plan adopté en décembre 2005 excluait la propriété du requérant du tracé de la route. La CEDH a considéré que le requérant avait été placé dans une longue incertitude quant à l’avenir de sa propriété et à la réalisation des plans de développement local, ce qui a atteint de manière disproportionnée le droit au respect de ses biens. 166 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME réparation du dommage subi du fait des travaux de démolition entrepris en 1979 mais sans être indemnisée du préjudice causé par la menace d’expropriation350. Prenant note de l’absence d’indemnisation versée à la requérante pour l’expropriation future de sa propriété – procédure inapplicable en l’espèce, comme cela avait été le cas pour les requérants dans l’affaire Skibińscy – et de tout droit obligeant la municipalité de Sanok d’acquérir la propriété menacée et d’en offrir une autre en compensation, la CEDH a retenu la violation de l’article 1er du Protocole n°1. Comme dans l’affaire Plechanow relative aux expropriations opérées sur le fondement du décret du 26 octobre 1945, la CEDH a blâmé les autorités polonaises pour les jurisprudences internes contradictoires sur la personne à poursuivre pour obtenir réparation d’un préjudice causé par une décision rendue sous l’ancien régime351. 244 - Enfin, dans l’affaire Kosińska où il était question d’une propriété familiale expropriée en 1980, la requérante avait attendu plus de dix ans pour obtenir la restitution partielle du bien, dont le retour avait été bloqué après 1990 à cause d’un plan de développement local en attente. La CEDH a jugé infondé le grief portant sur la violation de l’article 1er du Protocole n°1, mais a considéré excessivement longue la durée de la procédure administrative352. Hélas pour les administrés polonais, les premières réformes adoptées par le gouvernement démocratique n’ont pas éliminé toutes les causes d’inconventionnalité parmi les règles de planification locale. Plusieurs condamnations à Strasbourg en ont apporté la confirmation. B. Les violations causées par la nouvelle législation sur l’aménagement du territoire 245 - Chronologiquement, le premier arrêt rendu par la CEDH pour une expropriation au service d’un projet d’utilité publique après le retour de la démocratie en Pologne concerne l’affaire Rosiński. En mars 1993, la municipalité de Milanówek avait révélé un plan de développement local prévoyant la construction d’une route et d’un hôpital sur la propriété agricole que possédait le requérant. Ce dernier s’est plaint sans succès à la Cour suprême que le maire n’avait pas recherché à concilier l’intérêt général avec celui des propriétaires. En 2000 et 2002, la municipalité a précisé qu’il n’existait aucune obligation pour elle d’indemniser les propriétaires pour les expropriations futures. Le projet de construction d’un hôpital a été abandonné, mais celui du traçage d’une route a été maintenu. La municipalité a refusé de ra350 CEDH, Tarnawczyk c. Pologne, n°27480/02, 7 décembre 2010, §§ 6-33. 351 Ibidem, §§ 88-111. 352 CEDH, Kosińska c. Pologne, n°42797/06, 14 septembre 2010. 167 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE cheter le terrain du requérant, lequel ne fut jamais concerné par une indemnisation. Le plan de développement est finalement devenu caduque le 31 décembre 2002. En l’espèce, la CEDH a retenu que l’avenir du terrain était demeuré totalement incertain entre 1993 et 2003 et que le requérant n’avait pu exercer et jouir durant cette période de ses droits de propriétaire, sans pour autant pouvoir bénéficier d’une indemnisation. La Pologne avait ainsi violé l’article 1er du Protocole n°1353. Le projet d’hôpital et de rocade à Milanówek a entraîné une seconde condamnation de la Pologne devant la CEDH deux mois plus tard354. 246 - Dans ces deux arrêts, ainsi que dans l’arrêt Buczkiewicz rendu en 2008355, la CEDH a reproduit une formule utilisée pour la première fois dans les motivations de l’arrêt Skibińscy, dont les faits se situaient à cheval sur les périodes socialiste et démocratique. Prenant acte des difficultés éprouvées par des requérants pour obtenir une compensation après des expropriations réalisées sur le fondement de plans de développement local finalement jamais mis en œuvre, la CEDH a explicitement lié la situation au contexte de la transition. « La Cour est consciente que les problèmes résultant de l’adoption d’un cadre législatif complet dans le domaine de la planification urbaine constitue une partie du processus de transition d’un ordre juridique socialiste et son régime de propriété vers un autre ordre compatible avec l’état de droit et l’économie de marché – un processus qui, par essence, est parsemé de difficultés »356. Pour autant, la CEDH n’exonère pas l’État de la protection des droits conventionnels des individus. 247 - Dans les plus récents arrêts relatifs à des expropriations résultant de projets de développement local, la CEDH n’a pas retenu la violation de l’article 1er du Protocole n°1. La Pologne a été condamnée pour la seule violation de l’article 6 § 1 dans trois affaires jugées en 2010357 et a échappé à toute sanction dans une dernière, jugée en 2011358. 353 CEDH, Rosiński c. Pologne, n°17373/02, 17 juillet 2007. 354 CEDH, Skrzyński c. Pologne, n°38672/02, 6 septembre 2007. Le requérant envisageait de bâtir une maison sur la parcelle de terrain concernée par le plan de développement local de 1993. Il lui fallut attendre l’expiration de celui-ci le 31 décembre 2002 pour obtenir enfin un permis de construire. 355 CEDH, Buczkiewicz c. Pologne, n°10446/03, 26 février 2008. Les requérants détenaient une parcelle de terrain dans le quartier Ochota de Varsovie, laquelle fut intégrée dans un plan de développement local en 1992, avec des travaux prévus dès 1995. En 1999, le chantier n’avait pas débuté mais la municipalité les informa que le projet de 1992 restait à l’ordre du jour. Les requérants proposèrent à la municipalité d’acquérir sans délai les terrains. Le plan de développement expira le 31 décembre 2003 sans qu’un nouveau ne soit adopté. La Cour a reconnu que les requérants avaient été privés de la jouissance de leur terrain, ne pouvant pas l’exploiter durant de longues années, dans l’attente d’une expropriation jamais aboutie. 356 CEDH, Skibińscy c. Pologne, préc., § 96 ; CEDH, Rosiński c. Pologne, préc., § 86 ; CEDH, Skrzyński c. Pologne, § 88 ; CEDH, Buczkiewicz c. Pologne, § 75. 357 CEDH, Głowacka et Królicka c. Pologne, n°1730/08, 7 décembre 2010 : en l’espèce, les requérantes contes- 168 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Si des violations de la Conv. EDH peuvent donc être recensées pour des faits nés avant la transition démocratique et pour d’autres entièrement postérieurs, il n’en demeure pas moins que les autorités ont engagé plusieurs réformes pour venir à bout des préjudices causés par l’exécution des plans de développement local. C. Des avancées législatives continues, un problème désormais résolu La bonne exécution des arrêts de la période 2006-2010 a été regardée comme acquise par le Comité des ministres grâce aux modifications législatives intervenues depuis (1). Le rôle de la Cour administrative suprême doit être également mis en exergue dans le cadre de l’exécution de l’arrêt Tarnawczyk (2). 1) L’évolution de la législation sur l’aménagement du territoire saluée par le Comité des ministres 248 - Le Comité des ministres avait choisi de suivre l’exécution de l’arrêt Skibińscy de 2006 avec celles des arrêts similaires Pietrzak et Tarnawczyk. Se joignaient à la liste les trois arrêts dont les faits s’étaient déroulés après 1989, en pleine période de réformes législatives359. Dans sa résolution du 16 octobre 2013, le Comité des ministres a déclaré clos l’examen de ces affaires, se fondant sur les mesures individuelles et générales adoptées par l’État défendeur360. 249 - Dans chacune des trois affaires précédemment étudiées, le gouvernement a versé aux requérants la satisfaction équitable fixée par la CEDH dans le délai de trois mois361. Considétaient l’expropriation d’une partie de la propriété de leurs parents par la municipalité de Chrzanów en 1980 en vue de la construction d’une station d’autobus. La procédure, débutée en mai 1994, ne s’est achevée qu’en janvier 2009 ; CEDH, Cudowscy c. Pologne, n°34591/04, 5 janvier 2010 : le terrain litigieux appartenait originellement aux de cujus des requérants et avait été partiellement exproprié par l’État en 1974. Les autorités envisageaient alors d’y construire un ensemble d’immeubles qui serait exploité par l’école Polytechnique de Białystok. Mais les travaux n’ont jamais été menés et les requérants ont demandé en 1992 la restitution de la parcelle de terrain expropriée. La procédure n’a pris fin qu’en mars 2004 ; CEDH, Uzarowicz c. Pologne, n°24523/08, 12 octobre 2010 : la violation de l’article 6 § 1 a été retenue en raison de la durée excessive de la procédure en contestation de l’appropriation d’un terrain ayant appartenu à la famille du requérant pour la construction d’une route. 358 CEDH, Barbara Wiśniewska c. Pologne, n°9072/02, 29 novembre 2011. Dans cette dernière affaire, la requérante avait été indemnisée à hauteur de 725 232 PLN (plus de 170 000 EUR), ce qui démontrait, pour la Cour, que l’État polonais avait su ménager un juste équilibre entre l’intérêt général et le droit de l’individu au respect de ses biens. 359 Les arrêts Buczkiewicz (préc.), Skrzyński (préc.) et Rosiński (préc.). 360 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)209 (exécution de six affaires contre la Pologne), 16 octobre 2013, 1181e réunion des délégués. 361 Le 29 mai 2007 (frais et dépens) et le 29 juin 2009 (satisfaction équitable) pour l’affaire Skibińscy ; le 25 mai 2011 pour l’affaire Tarnawczyk et le 9 mars 2008 pour l’affaire Pietrzak. 169 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE rant que les plans de développement visant les requérants (adoptés avant le 1er janvier 1995) avaient expiré le 1er janvier 2004, le gouvernement n’a pas jugé nécessaires d’autre mesures individuelles. 250 - La bonne réception de ces arrêts s’explique également par la reconnaissance par l’État en transition des torts causés aux droits individuels par la législation socialiste applicable aux plans de développement local, en l’occurrence la loi du 12 juillet 1984362. La loi du 7 juillet 1994363, entrée en vigueur le 1er janvier 1995, a été la première réponse apportée par les autorités de la Pologne démocratique pour mettre fin à l’impossibilité pour le propriétaire ou l’usager perpétuel d’un bien d’obtenir une indemnisation dans l’attente d’une expropriation justifiée par l’aménagement du territoire, de procéder à l’expropriation ou à un échange de terrain. L’article 36 du texte ouvrait donc un droit de recours pour recevoir une compensation ou une propriété de susbtitution364. La loi offrait même à l’administré lésé par la perte de valeur de son terrain en raison du plan d’aménagement local une possibilité d’être indemnisé de cette perte par la municipalité. Cette évolution législative est intervenue avant l’examen par la CEDH de la première affaire de cette série, et avant même le dépôt de la première requête qui donna lieu aux condamnations prononcées à partir de 2006. 251 - Entre le dépôt des requêtes et les premiers arrêts de la CEDH, la législation polonaise avait encore évolué, grâce à la loi du 27 mars 2003, venue remplacer la loi du 7 juillet 1994 tout en reprenant les apports de celle-ci sur les procédures en indemisations et en substitution de propriété (articles 36 et 37 de la loi)365. En outre, l’article 87 § 3 de cette loi rendit caduques au 1er janvier 2004 tous les plans de développement local adoptés avant le 1er janvier 1995, bien qu’une partie d’entre eux avait déjà expiré au 1er janvier 2003, conformément aux dispositions de l’article 67 § 1 de la loi du 7 juillet 1994. 252 - Dans l’ultime arrêt de la CEDH rendu à ce jour sur la question de la limitation de propriété en Pologne par l’application d’un plan de développement local, la violation du droit au 362 Ustawa z dnia 12 lipca 1984 r. o planowaniu przestrzennym [Loi du 12 juillet 1984 sur l’aménagement du territoire], Dz. U., 1984, n°35, texte 185, pp. 457-463. 363 Ustawa z dnia 7 lipca 1994 r. o zagospodarowaniu przestrzennym [Loi du 7 juillet 1994 sur le développement du territoire], Dz. U., 1994, n°89, texte 415, pp. 1690-1700. 364 Toutefois, cette possibilité n’est ouverte que pour les personnes concernées par des plans de développement local adoptées après le 31 décembre 1994. Saisi par le Défenseur des droits de la conformité de ces dispositions à la Constitution, le Tribunal constitutionnel n’a pas trouvé matière à censure (TCP, n°K 9/95, 31 janvier 1996, OTK ZU, 1996, n°1, texte 2). 365 Ustawa z dnia 27 marca 2003 r. o planowaniu i zagospodarowaniu przestrzennym [Loi du 27 mars 2003 sur la planification et le développement territorial], Dz. U., 2003, n°80, texte 717, pp. 5226-5245. 170 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME respect des biens du requérant n’a pas été retenue366. Une nouvelle jurisprudence développée en 2006 par la Cour administrative suprême sur l’autorité publique à poursuivre dans les procédures d’indemnisation a incontestablement contribué à l’exécution de l’arrêt Tarnawczyk. 2) La fin des incohérences jurisprudentielles portant sur l’autorité à poursuivre dans les procédures d’indemnisation 253 - Dans l’affaire Tarnawczyk, les contradictions présentes dans la législation polonaise et leurs conséquences sur les possibilités procédurales offertes aux propriétaires lésés ont motivé la condamnation de l’État à Strasbourg. Le problème s’était déjà posé avec l’affaire Plechanow, relative à l’expropriation générale des terrains à Varsovie. Ces deux arrêts ont été rendus en 2009-2010 pour des faits prenant leurs racines à l’époque communiste et poursuivis jusqu’au début des années 2000. Entre la saisine et les jugements de la CEDH, la Cour suprême polonaise avait tenté de clarifier la situation légale en affirmant par sa résolution du 16 novembre 2004367 que l’autorité à poursuivre était la municipalité en cas de dommage causés par une décision administrative antérieure au 27 mai 1990. Puis elle a opéré un revirement jurisprudentiel dans une résolution postérieure du 7 décembre 2006368, déclarant que l’autorité à poursuivre dans ce cas de figure était le Trésor public. Cette dernière résolution a été confirmée et subséquemment appliquée par la Cour suprême. 254 - La CEDH a critiqué cette instabilité jurisprudentielle qui avait désorientée temporairement tant les victimes d’expropriations non-indemnisées que les autorités administratives et les juridictions elles-mêmes. L’évolution du droit interne avec la nouvelle règle fixée en 2006 par la Cour suprême n’a donc pas empêché la condamnation de la Pologne dans les affaires Plechanow et Tarnawczyk. Elle n’est pas due directement à l’intervention de la CEDH, les arrêts en question étant postérieurs. En revanche, elle a incontestablement contribué à modifier positivement la situation juridique des propriétaires lésés par des décisions administratives. 366 CEDH, Matczyński c. Pologne, n°32794/07, 15 décembre 2015. En l’espèce, le requérant n’avait pas pu obtenir de permis de construire pour ses terrains situés dans un parc naturel depuis 1988. La Cour a jugé que le droit à la propriété du requérant avait été préservé, dans la mesure où il ne pouvait espérer pouvoir construire au regard de l’emplacement des terrains et dès lors que des offres de rachat de ses parcelles lui avaient été faites. 367 CSP, n°III CZP 64/04, 16 novembre 2004. 368 CSP, n°III CZP 99/06, 7 décembre 2006. 171 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE Une affaire jugée en 2011 présente un dernier modèle d’expropriation défectueuse. Il était de facto impossible, pour les requérants, d’obtenir l’expropriation de leur bien une fois celui-ci classé sur la liste du patrimoine historique. § 3 L’EXPROPRIATION IMPOSSIBLE SUITE AU CLASSEMENT D’UN BIEN AU PATRIMOINE HISTORIQUE L’affaire Potomska et Potomski de 2011 s’est conclue par une nouvelle condamnation de la Pologne pour la méconnaissance du droit au respect des biens (A). L’affaire est certes isolée mais elle met en lumière de réelles lacunes dans la législation polonaise relative aux biens patrimoniaux classés. À l’heure actuelle, l’exécution de l’arrêt ne peut être considérée comme achevée. L’amendement des dispositons litigieuses n’a toujours pas été adopté par le Parlement (B). A. La Pologne condamnée sur le fondement de l’article 1er du Protocole n°1 255 - Le couple de requérants avait acquis en novembre 1974 dans le village de Rusko un lopin de terre appartenant à l’État et classé alors « terrain agricole ». Animé par l’intention d’y établir à terme un atelier et d’y construire une habitation, il fut interrompu dans son projet par une décision du 4 mai 1987 rendue par le conservateur des monuments historiques de la région de Koszalin. Par cette décision, le terrain fut inscrit au registre des monuments historiques en raison de la présence de vestiges d’un cimetière juif du XIXe siècle. Tout aménagement dépendait dès lors d’une autorisation préalable à obtenir auprès du conservateur, ce qui incita les requérants à solliciter les autorités régionales pour obtenir une propriété de substitution. Deux procédures d’expropriation ont été engagées, l’une en 1995, l’autre en 2003, mais sans aboutir. La valeur insuffisante des propriétés de substitution proposées et l’incapacité de trouver une personne morale de droit public intéressée par le rachat du terrain classé furent les deux causes de cet échec. La loi de 1985 sur l’administration des terrains et l’expropriation, lue en regard de la loi de 1962 sur la protection de l’héritage culturel369, rendait quoiqu’il en fût difficile l’aboutissement d’une telle procédure car les requérants ne pouvaient y prendre part. Le 14 octobre 2005, peu de temps après avoir saisi la CEDH, les requérants ont été in369 Loi du 29 avril 1985 sur la gestion foncière et l’expropriation, préc. ; Ustawa z 15 lutego 1962 r. o ochronie dóbr kultury [Loi du 15 février 1962 sur la protection des biens culturels], Dz. U., 1962, n°10, texte 48, pp. 5460. 172 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME formés par le maire du district de l’inexistence d’une solution au litige370. 256 - La CEDH a admis que les décisions internes avaient, en l’espèce, interféré avec le droit d’usage paisible de la propriété privée des requérants. Légale, cette interférence avait pour but légitime la protection de l’héritage culturel local. Lorsqu’ils avaient acheté la parcelle de terrain, les requérants pouvaient espérer l’aménager en dépit des restes d’un cimetière. Ce n’est que treize ans après leur acquisition qu’ils se sont retrouvés dans l’impossibilité d’entreprendre des travaux de construction. Avant l’entrée en vigueur, le 17 novembre 2003, de la loi sur la protection et la conservation des monuments371, seules les autorités pouvaient envisager une expropriation, non les propriétaires à leur propre demande. Malgré les avancées que représente ce texte, la Cour a noté que les propriétaires demeuraient dans une situation clairement désavantageuse dans les procédures d’expropriation. Faute de pouvoir saisir un juge pour contraindre les autorités publiques à procéder à une expropriation et confrontés aux échecs des différentes tentatives d’échanges de terrain engagées, les requérants avaient été lésés dans leur droit au respect de leurs biens, protégé par l’article 1er du Protocole n°1372. La CEDH a, de plus, jugé insuffisant l’argument du gouvernement justifiant l’impossibilité pour le maire du district de Sławno de procéder à l’expropriation en raison d’un manque de financement, l’insuffisance des ressources ne pouvant couvrir l’échec des autorités publiques à remédier à la situation affectant les requérants373. Trois ans après le constat de la violation, la CEDH a statué sur la satisfaction équitable et accorda aux époux 10 400 euros de dommagesintérêts374. Un projet de loi en cours d’examen au Parlement devrait permettre, s’il était adopté, de satisfaire le Comité des ministres pour éviter à l’avenir toute violation de la Convention similaire à celle retenue dans l’arrêt Potomska et Potomski. B. Une évolution de la loi sur la protection des monuments en préparation 257 - En mars 2014, trois ans s’étaient écoulés depuis l’arrêt au principal Potomska et Po370 CEDH, Potomska et Potomski c. Pologne, n°33949/05, 29 mars 2011, §§ 6-30. 371 Ustawa z dnia 23 lipca 2003 r. o ochronie zabytków i opiece nad zabytkami [Loi du 23 juillet 2003 sur la protection des monuments et la conservation des monuments], Dz. U., 2003, n°162, texte 1568, pp. 1114511171. 372 CEDH, Potomska et Potomski c. Pologne, préc., §§ 61-80. 373 La quatrième section de la Cour s’est ici appuyée sur sa propre jurisprudence en la matière. Voir par ex. : CEDH, Prodan c. Moldavie, n°49806, 18 mai 2004, Rec. 2004-III, § 61. 374 CEDH, Potomska et Potomski c. Pologne (satisfaction équitable), n°33949/05, 4 novembre 2014. 173 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE tomski. Le Comité des ministres reçut de la Fondation d’Helsinki un courrier dénonçant l’absence complète de mesures prises pour son exécution375. La Fondation déplorait que le législateur n’eût pas pris la dimension du problème en se refusant à envisager une modification de la loi susceptible de mieux protéger les propriétaires dont le bien est listé aux monuments historiques. Il est vrai que le ministre de de la Culture et de l’Héritage national, chargé de l’exécution de l’arrêt, avait déclaré en avril 2011 devant le Parlement polonais qu’un amendement législatif n’était pas nécessaire pour exécuter l’arrêt de la CEDH. 258 - La Fondation d’Helsinki a proposé une réforme susceptible, selon elle, de répondre aux critiques de la CEDH et éviter d’autres condamnations à l’avenir : la loi devrait permettre aux propriétaires d’engager leur propre action auprès de l’administration – sans passer par l’intermédiaire du gouverneur régional pour demander le rachat d’une propriété classée par la commune concernée ou par l’État. De surcroît, l’ONG estimait important de rappeler aux autorités locales que la loi polonaise n’autorisait pas la possibilité de refuser l’achat au prétexte d’un manque d’argent public. 259 - Le gouvernement, par la main de son agent auprès de la CEDH Justyna Chrzanowska, avait immédiatement répondu à la lettre de la Fondation en signalant que les autorités n’étaient pas restées inactives après l’arrêt Potomska et Potomski, puisqu’une tentative de règlement amiable, finalement non fructueuse, avait été introduite376. Consécutivement au second arrêt de la CEDH dans cette affaire, portant sur la satisfaction équitable377, le gouvernement a enfin soumis son plan d’action au Comité des ministres378. 260 - La réception de cet arrêt de la CEDH par la Cour administrative suprême a été nettement plus positive puisque ses juges ont admis, le 14 décembre 2012, que l’affaire jugée par la Cour de Strasbourg avait confirmé l’insuffisance des moyens offerts par l’État pour permettre aux propriétaires d’obtenir une compensation pour un bien réel classé sur la liste des monuments379. 261 - En termes de mesures individuelles, outre la satisfaction équitable de 14 000 EUR (hors 375 Com. Min., Document DH-DD(2014)417 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) dans l’affaire Potomska et Potomski et réponse des autorités), 27 mars 2014. 376 Ibidem. 377 CEDH, Potomska et Potomski (satisfaction équitable), préc. 378 Com. Min., Document DH-DD(2015)494 (communication de la Pologne concernant l’affaire Potomska et Potomski), 7 mai 2015. 379 CASP, n°II OSK 1512/11, 14 décembre 2012. L’arrêt Potomska et Potomski de 2011 est explicitement cité par la Cour administrative suprême à deux reprises. 174 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME frais et dépens) dont le gouvernement polonais doit s’acquitter depuis le 4 mai 2015, le ministre de la Culture a demandé aux requérants s’ils envisageaient toujours la revente de leur bien à la commune. Ces derniers ont répondu favorablement et exigent pour cela une somme de 50 000 PLN. Fort du concours du gouverneur de la région, les négociations pour le rachat étaient prévues pour l’année 2015. 262 - En mai 2015, le gouvernement a informé le Comité des ministres de la diffusion de l’arrêt Potomska et Potomski sur le site Internet du ministre la Justice mais aussi sur celui du ministre de la Culture. Il semble surtout s’être rangé à l’avis de la Fondation d’Helsinki, de la Cour administrative suprême et du Défenseur des droits civiques qui prônaient une modification législative pour assurer l’exécution de l’arrêt de la CEDH. Dans son plan d’action de mai 2015, le gouvernement évoque un projet d’amendement de la loi du 23 juillet 2003 sur la protection et la conservation des monuments380. Il entend ouvrir aux propriétaires le droit de demander directement à l’administration locale de procéder à l’expropriation du bien litigieux, de procéder à un échange de propriété réelle ou d’accorder une indemnisation versée en une fois (tout en laissant la propriété à ses détenteurs). Cette demande pourra être exceptée lorsque quatre conditions seront réunies : le propriétaire n’est pas lui-même à l’origine de la demande d’entrée du bien sur la liste des monuments ; le propriétaire n’appartient pas au secteur public financier ; l’inscription sur la liste des monuments s’oppose à tout usage de la propriété ; la restriction est inamovible. Une menace planait toutefois sur le devenir de ce projet de loi puisque, faute de temps pour les parlementaires alors en fin de mandat, il était prévu que le projet de loi fût soumis à la nouvelle législature, issue des élections du 25 octobre 2015. * * * 263 - Conclusion du chapitre : La question des droits des propriétaires victimes d’expropriations illégales en Pologne à cause de la législation adoptée sous l’ère socialiste a surgi devant la CEDH, très souvent par le biais du contentieux sur la durée des procédures, parfois sous celui du droit au respect des biens. Le bilan de la réception de l’ensemble de ces arrêts par la Pologne est difficile à établir tant leur exécution a été erratique. 264 - Pour la juriste polonaise Hanna Machińska, spécialiste des droits de l’homme, la question des reprivatisations est la « patate chaude » qui embarrasse les gouvernements successifs 380 Loi du 23 juillet 2003 sur la protection des monuments et la conservation des monuments, préc. 175 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE alors qu’il n’était pas exclu que la CEDH encourageât la Pologne à adopter une loi à ce sujet381. À la fin des années 1990, la doctrine pouvait déjà déplorer l’absence d’une loi sur la reprivatisation « qui règlerait d’une façon définitive les droits des anciens propriétaires »382. La Pologne a pu jusque-là éviter ce cas de figure, en bonne partie grâce à la classification de la plupart des requérants des affaires concernées dans la vaste catégorie des victimes des procédures excessivement longues… Il en est ainsi des personnes dont les biens furent expropriés par idéologie économique ou pour permettre la réalisation de projets d’intérêt général finalement avortés. Revers de la médaille, la clotûre du suivi de ces affaires par Comité des ministres se fait attendre puisqu’un ensemble de mesures générales sera, seul, de nature à résoudre le problème de la durée des procédures administratives. Les autorités polonaises sont sur la bonne voie. Les lois du 30 août 2002 et du 9 avril 2015 ont renforcé les pouvoirs d’injonction de l’administration et vont dans le sens de la correction des manquements observés par la CEDH dans les arrêts pertinents. Le gouvernement, qui estime désormais adoptées toutes les mesures nécessaires, est dans l’attente du « feu vert » du Comité des ministres. D’autres part, plusieurs affaires pour lesquelles la CEDH avait concrètement jugé que les procédures internes avaient été trop longues ont fini par aboutir à une décision finale, sous l’influence de la condamnation de la Pologne (voir Koss, Szenk, Zjedonoczone Browary Warszawskie Haberbusch, etc.). Il est important de souligner également l’exécution satisfaisante des affaires Plechanow et Tarnawczyk grâce à l’intervention de la Cour suprême qui fit évoluer l’interprétation de l’article 160 du CPA en désignant clairement le Trésor public comme autorité à poursuivre pour obtenir réparation d’une expropriation illégale. L’arrêt Związek Nauczycielstwa Polskiego fournit pour sa part un très bon exemple de correction par l’État de règles incompatibles avec la Conv. EDH avant même que la CEDH ne tranche l’affaire. 265 - En matière de planification locale, les condamnations de la Pologne au titre du Protocole n°1 appartiennent vraisemblablement au passé, grâce à la loi du 7 juillet 1994 et surtout à la loi du 27 mars 2003. Dans cette série d’affaires, la CEDH s’était prononcée en considération de dispositions systématiquement abrogées au moment de l’arrêt. La Cour n’avait donc fait que conforter l’État dans ses réformes de la planification locale. 266 - Si l’exécution de l’affaire Potomska et Potomski (2011) est à la portée du législateur et pourrait donc intervenir dans un avenir proche, la réponse apportée aux affaires Beller, Czaj381 Entretien avec Hanna Machińska, Varsovie, 25 mai 2015. 382 Tomasz WARDYŃSKI, « Un nouveau concept de propriété en Pologne », préc., p. 591. 176 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME kowska et Zwierzyński est plus négative. Pour les deux premières, l’incapacité de la justice polonaise à trouver une issue au litige est allée à l’encontre du message envoyé par la CEDH lorsqu’elle avait retenu, dans ces affaires, la violation de l’article 6 de la Conv. EDH pour la durée excessive de la procédure. Quant à l’affaire Zwierzyński, elle a longtemps cristallisé l’embarras des autorités polonaises pour les questions liées aux privatisations de biens immobiliers expropriés illégalement sous l’ancien régime. Le gouvernement a voulu contester tant la nature de la violation (le droit de propriété) que le montant très élevé de la satisfaction équitable (demandes de révision) et n’a versé la somme due au requérant victorieux qu’avec quatre ans de retard. Avec le passage du temps et la prudence de la CEDH, la Pologne parviendra peut-être à tourner définitivement la page des demandes de reprivatisations ou de compensations sans en passer par une loi spécifique. 177 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 267 - Conclusion du titre – Les arrêts de la CEDH sont intervenus sur les différentes questions inscrites dans le débat sur le traitement du passé alors que l’État tentait d’y répondre. La volonté d’y faire face se heurtait à un manque de méthodes (indemnisation des déplacés du Boug) ou de garde-fous (procédures de lustration) que la Cour a contribué à apporter. En cela, elle a fourni l’appui nécessaire à la Pologne pour mener à bien la résolution des conflits historiques. Elle a encouragé, contrôlé et validé l’introdution d’un recours en compensation conforme à l’article 1er du Protocole n°1 protégeant le droit au respect des biens. Elle a déclaré inconventionnels certains aspects de la première loi de lustration au moment où cette loi venait d’être abrogée tout en incitant le Tribunal constitutionnel à mettre un bémol à la volonté du législateur de durcir encore la procédure. En termes imagés, la CEDH a été l’écho amplificateur de la politique menée par la Pologne pour supporter le poids du passé. 268 - La réponse au dilemme de la reprivatisation ou de l’indemnisation des biens immobiliers expropriés pour des raisons idéologiques est la seule qui soit encore incertaine. Jusqu’à présent, la Cour est allée dans le sens du gouvernement en ne l’invitant pas à adopter une législation particulière mais plutôt à remédier à la longueur excessive des procédures concernées. Adam Bodnar estime qu’il n’y a plus aujourd’hui de questions relatives à la transition démocratique en Pologne portée devant la CEDH, à l’exception des affaires relatives aux reprivatisations383. Une partie pourtant du contentieux de l’expropriation montre l’adaptation rapide et convaincante du droit interne à la Conv. EDH : la CEDH n’a fait que confirmer les faiblesses de la loi permettant la restitution des biens confisqués à l’Église catholique que l’État avait déjà abrogée ; les règles applicables à l’expropriation dans le contexte des plans de développement local ont systématiquement évolué tandis que les affaires y afférant étaient encore en attente de jugement devant la CEDH. La grande majorité des arrêts liés à des événements survenus au cours de l’époque socialiste ont été bien et promptement exécutés par la Pologne, dont les plus importants et les plus complexes. L’observation de cette partie du contentieux devant la CEDH nourrit l’idée que l’État, initiateur des mesures de réparation des préjudices passés, a reçu une aide bénéfique et déterminante du juge européen pour parachever son dessein. 383 Entretien avec Adam Bodnar, Varsovie, 29 mai 2015. 178 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME T ITRE II – R ÉVOQUER LES PRINCIPES HÉRITÉS DE L ’ ANCIEN DROIT 269 - Au cours des huit premières années du régime démocratique, le droit pénal polonais reposait encore sur les trois codes adoptés en 1969. Le Code pénal (CP) et le Code de procédure pénale (CPP) avaient chacun fait l’objet de modifications marginales tandis que le troisième, le Code d’exécution des peines (CEP) était resté inchangé. Lorsque la Conv. EDH est entrée en vigueur, les principes du droit socialiste s’appliquaient encore : pouvoirs étendus du procureur, droits de la défense restreints, placement en détention sans présentation à un juge voire sans décision légale, surveillance du détenu provisoire (contrôle strict de son courrier et des visites). Ces remarques liminaires soulignent la pertinence de l’observation des règles du droit pénal pour juger l’avancement de la transition démocratique. À l’évidence bien endessous des protections garanties par la Conv. EDH, ces règles ont valu à la Pologne plusieurs condamnations devant la CEDH. L’article 6 (droit à un procès équitable), l’article 8 (droit au respect de la vie privée384) mais surtout l’article 5 (droit à la liberté) de la Conv. EDH ont été invoqués fréquemment par les requérants. 270 - Chacun des alinéas de l’article 5 de la Conv. EDH se rapporte à un aspect spécifique de la privation de la liberté. La Pologne a été reconnue responsable de la violation de chacune des stipulations dudit article au moins une fois. Furent le plus souvent invoqués ses paragraphes 1 (légalité de la détention), 3 (droit d’être présenté devant un juge avant une détention et jugé rapidement) et 4 (droit de contester la détention). Le paragraphe 2 garantissant le droit de toute personne en état d’arrestation d’être « informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre 384 La détention consiste en la privation de la liberté d’aller venir mais le détenu conserve ses autres droits, notamment celui de ne pas subir de mauvais traitement et de préserver sa vie privée et familiale. Il conserve enfin ses droits procéduraux puisque la CEDH admet depuis bien longtemps que la justice « ne saurait s’arrêter à la porte des prisons » et qu’ainsi le détenu doit avoir accès à une justice impartiale pour contester les mesures liées à sa détention (CEDH, Campbell et Fell c. Royaume-Uni, n°7819/77 et n°7878/77, 28 juin 1984, Série A, n°80, § 69 ; voir aussi CEDH, Golder c. Royaume-Uni [GC], n°4451/70, 21 février 1975, Série A, n°18). 179 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE elle »385 a été violé lui-aussi à une occasion par la Pologne entre 1997 et 2014, sans qu’un lien quelconque avec le passé socialiste de l’État ne pût être affirmé386. L’intervention de la CEDH a permis à l’État de compléter ses premières réformes pour débarasser la législation des archaïsmes affectant la procédure pénale, le placement en détention ou les droits accordés aux détenus (Chapitre I). 271 - La liberté d’expression et le droit de propriété privée ont été particulièrement mis à mal par le socialisme pour ce qu’ils représentaient respectivement de dangereux et d’incompatible avec le dogme marxiste. En outre, l’État trouvait un avantage politique à réduire drastiquement le champ de la propriété privée, dans la mesure où le monopole public ainsi formé rendait « plus facile l’identification des intérêts du pouvoir aux intérêts de la société »387. Une partie des affaires portant sur la violation du droit de propriété a été traitée précédemment avec les cas spécifiques de l’expropriation et des populations déplacées en 1945. Il reste désormais à étudier les conséquences de l’encadrement drastique des droits des propriétaires immobiliers, prolongées bien au-delà de 1990 et suffisamment graves pour convaincre la CEDH d’adopter un deuxième arrêt pilote. 272 - À propos de la liberté d’expression, l’ancien président du Tribunal constitutionnel polo- 385 La langue que le détenu comprend n’est pas nécessairement sa langue maternelle mais toute langue qu’il maîtrise suffisamment. Conformément aux principes dégagés dans l’arrêt de la CEDH Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni (n°12244/86, n°12245/86 et n° 12383/86, 30 août 1990, Série A n°182, § 40), l’information communiquée à la personne intéressée doit contenir « dans un langage simple accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté ». En cas de recours à un interprète, la Cour n’exige pas une traduction de l’intégralité du dossier et le niveau requis de ladite tradition doit être « adéquat » pour assurer la défense de la personne accusée (CEDH, Kamasinski c. Autriche, n°9783/82, 19 décembre 1989, Série A n°168, § 102). Le droit à l’assistance d’un interprète est garanti par la Convention dès le premier interrogatoire. Sur cet aspect de l’article 5 de la Conv. EDH, lire not. Roxani FRAGKOU, « La consécration du droit à l’interprétation et à la traduction lors du procès pénal dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : un processus évolutif », RTDH, n°92, 1er octobre 2012, pp. 837-860. 386 Rendu le 18 mars 2008, cet arrêt n’appelle que peu de commentaires, les faits apparaissant circonstanciels et non susceptibles de révéler un dysfonctionnement régulier de la législation polonaise ou de son application. En l’espèce, le requérant, de nationalité française, avait été arrêté par la police et placé en détention provisoire en raison des accusations de diffamation lancées contre lui par le gérant de l’immeuble où vivait son épouse, polonaise. Le jour de son arrestation, seuls des documents en langue polonaise (qu’il ne maîtrisait pas) lui avaient été soumis. Le placement en détention du requérant n’avait duré que quelques jours (du 3 au 13 janvier 2003) mais le droit interne, à travers l’article 244 du CPP de 1997, prévoyait bien que toute personne arrêtée devait être immédiatement informée des raisons de son arrestation et de ses droits. L’autorité judiciaire avait ainsi agi en contradiction avec le droit applicable et violé du même coup l’article 5 § 2 de la Conv. EDH (CEDH, Ladent c. Pologne, n°11036/03, 18 mars 2008, §§ 6-84). Cette violation isolée est en soi un élément positif, s’il faut considérer avec Régis de Gouttes que le droit de connaître les raisons de son arrestation est « le refus même de l’arbitraire », un droit qui « est inscrit au tréfonds de l’exigence de liberté et de sécurité de toute personne », in Louis-Edmont PETTITI, Emmanuel DECAUX, Pierre-Henri IMBERT (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme – Commentaire article par article, 2e édition, Paris, Economica, 1999, p. 203. 387 Mirosław GRANAT, « L’essence des transformations politiques et constitutionnelles dans les pays d’Europe centrale et orientale », RECEO, 1992, n°4, p. 17. 180 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME nais Marek Safjan écrivit que « le pouvoir de l’information et des médias est l’essence et peut-être même bien l’instrument le plus important et le plus efficace d’un régime totalitaire »388. L’épanouissement des libertés de pensée et d’expression est par conséquent un indice-clef de la réussite d’une transition démocratique389 à partir du socialisme390, l’orientation autoritaire des régimes entravant par essence la diversification et la diffusion des opinions, incompatibles avec la rigueur du modèle social imposé. Dans le cas de la Pologne, la période communiste s’est construite sur une succession de contradictions et de contrastes. Dans la Constitution de 1952, d’inspiration stalinienne, la liberté d’expression, d’association, d’assemblée et de conscience était mentionnée mais rendue inopérante par le rôle dirigeant incarné par le Parti391. Quelques mois avant la disparition du régime communiste, les esprits se préparaient déjà – semble-t-il – à ces grands bouleversements que constitueraient l’introduction et le respect des droits civils et politiques392. Non sans paradoxe, la première des libertés retrouvées est celle qui souffrait encore récemment de quelques restrictions que la CEDH a contribué à lever (Chapitre II). 388 Marek SAFJAN, « La liberté de parole : les standards conventionnels et constitutionnels et la jurisprudence de la Cour suprême et du Tribunal constitutionnel de Pologne », RJCE, numéro spécial, 2003, p. 197. 389 Ce qui justifie aussi la grande place accordée à cette liberté dans les constitutions démocratiques de tous les pays européens, avec bien entendu des nuances locales. La norme suprême polonaise, par exemple, insiste sur la liberté d’expression dont jouissent les organisations religieuses (article 25). Lire à ce sujet Michel VERPEAUX, « La liberté d’expression dans les jurisprudences constitutionnelles », NCCC, 2010, n°36, pp. 137-155. 390 Les membres de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) ont écrit dans un rapport de 1994 consacré à la Pologne que la liberté d’expression, la liberté de religion et la liberté de mouvement « étaient perçues comme l’essentiel premiers tiers des libertés fondamentales qui devait être abordé par les anciens pays communistes » avant d’intégrer les autres standards de la Conférence (CSCE, Implementation of the Helsinki Accords: Human rights and democratization in Poland, Washington DC, janvier 1994, p. III). 391 Frances MILLARD, « Poland », in David FORSYTHE (dir.), Encyclopedia of Human Rights, vol. 4, New-York, Oxford University Press, 2005, p. 251. 392 L’universitaire autrichien Peter Leuprecht a pu évoquer l’atmosphère de « fin de règne » (en français dans le texte) ressentie lors d’une visite en Pologne en avril 1988, rencontrant des étudiants de Gdańsk usant pleinement de leur liberté d’expression, déjà conscients que « ce régime n’en avait plus longtemps ». La censure qui subsistait encore dans la presse était minimaliste ; le vent tournait déjà précise encore Peter Leuprecht. « L’une de mes impressions générales était que les gens que je rencontrais s’exprimaient vraiment librement. La critique du régime était exprimée avec une franchise rude et un féroce sens de l’humour », Peter LEUPRECHT, « Poland and the Europe of Human Rights », in Hanna MACHIŃSKA (dir.), Polska i Rada Europy 1990-2005, Biuro informacji Rady Europy, Varsovie, 2006, pp. 99-100. 181 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE CHAPITRE I – LES FONDEMENTS RENOUVELÉS DE LA PROCÉDURE PÉNALE 273 - En République Populaire de Pologne « toute personne en mesure d’offrir les garanties nécessaires pour veiller à la suprématie du prolétariat pouvait devenir juge ou magistrat, sans pour autant avoir accompli des études en droit et sans aucune formation spécifique »393, bien que la majorité des juges ou magistrats en exercice fût en réalité formée. Cette situation a pris fin en 1956, lorsque le système communiste a entamé sa normalisation. La nomination des juges releva alors de la compétence du Conseil d’État394, sur simple recommandation du ministre de la Justice. Mais en l’absence de critères explicites pour fonder ces recommandations, le PZPR influençait les nominations dans la pratique395. Seule une minorité de juges étaient cependant membres du Parti. Pour ce qui concerne spécifiquement le Tribunal constitutionnel, six juges nommés par les autorités communistes ont été maintenus dans leurs fonctions en 1989, mais « les craintes selon lesquelles ils ne pourraient pas remplir celles-ci dans le processus démocratique ne se sont jamais vérifiées »396. Dès lors, le bon fonctionnement de la justice et sa crédibilité dans la nouvelle société démocratique pouvaient être assurés par le maintien en fonctions de juges qui « font preuve de sagesse, d’équité et de résistance à toute forme de pression » en les protégeant « contre toute révocation ou mutation arbitraire »397. 274 - Le manque d’impartialité et d’indépendance des autorités juridictionnelles touchait es- 393 Teresa ROMER, « Pologne : Protéger et garantir concrètement l’indépendance des magistrats », 2007, <http://www.medelnet.eu/images/stories/docs/12%20Romer.pdf> [consulté le 31-07-2015]. 394 Sur le fondement de l’article 29 de la Constitution de 1952, le Conseil d’État (Rada Państwa) incarnait la présidence collective du pays. Il était composé de 17 membres, élus par la Diète, en principe membres du PZPR. En créant la fonction de Président de la République, l’article 3 de la loi constitutionnelle du 7 avril 1989 (Dz. U., 1989, n°19, texte 101, pp. 317-321) a consacré la disparition de cette institution. 395 Teresa ROMER, « Pologne : Protéger et garantir concrètement l’indépendance des magistrats », préc. 396 Małgorzata ULLA, La Lustration dans les États postcommunistes européens, Clermont-Ferrand, Éditions du Centre Michel-de-l’Hospital – LGDJ, coll. des thèses, 2014, p. 400, § 1050. 397 Jerzy JASKIERNIA, « Discours », in Le rôle du pouvoir judiciaire dans un État de droit – Actes – Varsovie (Pologne), 4 avril 1995, Éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1996, p. 8. 182 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME sentiellement, à l’époque socialiste, le domaine de la procédure pénale398. Le système judiciaire de l’ancienne République Populaire de Pologne se caractérisait par un évident déséquilibre entre les parties aux procédures pénales en raison, principalement, de la position de supériorité du Ministère public face à la défense qui ne bénéficiait que de peu de garanties procédurales399. Bien que l’ensemble du droit pénal reformé en 1969 et fragmenté en trois codes (Code pénal, Code de procédure pénale et Code d’exécution des peines) fût d’inspiration plus libérale que les lois répressives de la période stalinienne – notamment les amendements apportés en 1949 et 1950 au CPP de 1928 – le législateur avait intégré des concepts propres au modèle communiste, particulièrement durant la phase d’instruction400. Après le retour de la démocratie, ce lourd héritage a durablement affecté les procédures juridictionnelles. Immanquablement, les procédures pénales ont été l’objet de maintes récriminations : usage immodéré de la détention provisoire401, durée excessive des phases d’enquête et judiciaire mais également rupture du principe d’impartialité furent monnaie courante dans les années 1990. 398 Dans la jurisprudence de la CEDH, l’arrêt Brunicka est un cas isolé de manque d’indépendance d’une juridiction spéciale, en l’occurrence les chambres maritimes, attachées aux cours régionales et régies à l’époque des faits par la loi du 1er décembre 1961 (Ustawa z dnia 1 grudnia 1961 r. o izbach morskich [Loi du 1er décembre 1961 sur les chambres maritimes], Dz. U., 1961, n°58, texte 320, pp. 714-719). Les magistrats de ces chambres étaient directement nommés et révoqués par le ministre de la Justice en accord avec le ministre des Transports et des Affaires maritimes. De surcroît, les décisions qu’elles rendaient ne pouvaient faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Tout en condamnant la Pologne pour violation de l’article 6 de la Conv. EDH, la CEDH a évoqué les dernières évolutions normatives affectant la procédure devant les chambres maritimes. Mais elle a noté « que la nouvelle législation n'a pas instauré de pourvoi en cassation à l'encontre des décisions de la chambre maritime d'appel et n'a pas modifié le mode de désignation et de révocation des présidents et vice-présidents des chambres maritimes ». Par conséquent, le droit interne ne répondait pas « au grief des requérants tiré du défaut d'indépendance et d'impartialité de ces juridictions » (CEDH, Brudnicka et autres c. Pologne, n°54723/00, 3 mars 2005, Rec. 2005-II, § 42). Les articles 7, 8 et 14 (nomination des juges et composition des panels) de la loi de 1961 ont finalement été modifiés en 2008, avec l’introduction de critères de sélection des membres de ces chambres (Ustawa z dnia 4 września 2008 r. o zmianie ustawy o izbach morskich [Loi du 4 septembre 2008 modifiant la loi sur les chambres maritimes], Dz. U., 2008, n°192, texte 1178, pp. 10534-10536). De manière surprenante, l’exécution a été surveillée par le Comité des ministres avec six autres arrêts contre la Pologne sans rapport entre eux et le Comité s’est contenté de clore l’examen de ces affaires sur le constat de versement des satisfactions équitables… (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)141 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués). 399 Celina NOWAK, « Actualité du droit polonais », RSC, n°1, 2005, p.187. 400 Andrzej MURZYNOWSKI, « Criminal procedure », in Stanisław FRANKOWSKI (dir.), Introduction to Polish Law, La Haye, Kluwer Law International, 2005, p. 381. 401 Au sens de la procédure pénale, la détention provisoire est « la mesure par laquelle un magistrat prive de sa liberté une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale avant toute décision juridictionnelle la déclarant coupable des faits qui lui sont reprochés » (Damien ROETS, « Détention provisoire », in Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA (et al.) (dir.), Dictionnaire des droits de l’homme, Paris, PUF, Coll. « Quadridge », 2008, p. 271). Les termes « détention provisoire », utilisés par la CEDH elle-même pour ses arrêts traduits en français, seront donc préférés dans cette étude aux équivalents que sont « détention préventive » ou « détention avant jugement ». Toutefois, la jurisprudence étudiée ne rendra pas uniquement compte des détentions prononcées dans le cadre pénal, mais également de toute mesure de privation de liberté entrant dans le champ de l’article 5 de la Conv. EDH. 183 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 275 - Lorsque la Pologne est devenue un « État de droit démocratique »402 avec la révision constitutionnelle du 29 décembre 1989, le système judiciaire reposait encore sur l’ensemble des lois adoptées par le pouvoir socialiste. La procédure pénale se caractérisait par son esprit répressif et inégalitaire403. Le Ministère public était placé en position dominante, au détriment de l’accusé dont les droits demeuraient restreints404. La détention provisoire constituait à ce titre l’un des instruments privilégiés par le régime pour asseoir son autorité. Prononcée par le Ministère public, la détention provisoire était alors dépourvue de tout contrôle judiciaire405 et ne s’accommodait pas avec les pratiques du régime républicain démocratique qu’aspirait à devenir la Pologne du début des années 1990. La nécessité immédiate d’engager une transformation profonde du système juridictionnel s’imposa à la Pologne pour espérer atteindre le seuil de protection garanti principalement par l’article 6 de la Conv. EDH pour les procédures civiles et pénales et par l’article 5 du même texte en ce qui concerne spécifiquement la privation de liberté. Ainsi que le rappelait au début de ce siècle l’avocat Bertrand Favreau, c’est bien « au juge européen que l’on doit l’élaboration de cette théorie qui veut que chaque partie se voit offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire. Et c’est lui qui a été le gardien de ce principe régulateur, désormais justement invoqué devant toutes les juridictions de droit interne, à travers la théorie de l’égalité des armes »406. 276 - Les dispositions de l’article 5 de la Conv. EDH garantissent le droit à la liberté et à la sûreté, préservant de toute arrestation ou détention arbitraire. Fort de « la place centrale dans le dispositif protecteur des droits individuels »407 qu’il occupe, le droit à la liberté et à la sûreté est fréquemment invoqué devant la CEDH, dont la jurisprudence en la matière se révèle, de fait, foisonnante. La violation des droits relatifs à la détention – que celle-ci soit provisoire ou imposée en application d’une condamnation pénale – représente numériquement le second motif de condamnations de la Pologne par la CEDH entre 1997 et 2016, avec 299 condamna402 Cette expression a été préférée à « État de droit » pour qualifier le nouveau régime afin de rompre délibérément avec la Constitution communiste de 1952 qui contenait la notion d’« État fondé sur le respect constant de la loi » (Teresa ROMER, « Pologne : Protéger et garantir concrètement l’indépendance des magistrats », préc.) 403 Les avocats et les professeurs de droit ne manquaient pas de se plaindre ouvertement de cet état de fait, dénonçant tant le caractère excessivement répressif du système judiciaire que le manque de garanties pour les droits individuels, selon l’ancien ministre de la Justice Jerzy JASKIERNIA, « Discours » préc., p. 8. 404 Celina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais » (2005), préc. p. 187. 405 Ibidem, p. 187. 406 Bertrand FAVREAU, « Aux sources du procès équitable. Une certaine idée de la qualité de la justice », in Le Procès équitable et la protection juridictionnelle du citoyen, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 10. 407 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, 12e édition, Paris, PUF, coll. « Droit fondamental », 2015, p. 505, § 337. 184 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME tions au titre de l’article 5 recensées, juste après les infractions à l’article 6408. La durée des détentions provisoires est la cause majeure de méconnaissance de l’article 5, mais elle ne peut être associée essentiellement à l’héritage socialiste409. En revanche, les placements en détention dépourvus de base légale ou ordonnés par un magistrat manquant d’indépendance trouvent leur source essentiellement dans l’ancien droit pénal ou dans la survivance de pratiques inconventionnelles410 exercées durant la période de transition. 277 - Le Protocole n°4 est venu compléter la substance de l’article 5 de la Conv. EDH. Son article 1er proscrit l’emprisonnement pour le non-respect de dispositions contractuelles et son article 2 consacre la liberté de circulation411. Ce texte a été signé par la Pologne le 14 septembre 1992 et il est entré en vigueur sur son territoire le jour-même de sa ratification, le 10 octobre 1994412. En deux occasions seulement la Pologne a violé des dispositions de ce Protocole413. 278 - Enfin, les détenus bénéficient des droits reconnus aux individus par la Conv. EDH, en particulier du droit au respect de la vie privée et familiale. Toute restriction imposée doit être légalement prévue, nécessaire et proportionnée au but recherché. Dans ce domaine encore, l’application de normes antérieures à 1989 comme le manque de culture démocratique des agents de l’administration pénitentiaire ont motivé des recours en grand nombre devant la CEDH, jusqu’à une période très récente. La transition du socialisme vers la démocratie s’est traduite par une réorganisation politique, économique et judiciaire. Sur ce dernier point, il s’agissait d’approcher les standards européens, protecteurs des droits fondamentaux, alors que la justice avait été quatre décennies durant un instrument du pouvoir. Des réformes spectaculaires, accompagnées de résultats notoires, ont été menées pour restaurer l’impartialité (égalité des armes, indépendance des autorités judiciaires) des procédures pénales (Section I). L’accumulation de condamnations de la 408 CEDH, Rapport annuel 2015 (version provisoire), Strasbourg 2016, p. 183 409 Cf. infra, Partie II, Chapitre I, Section II. 410 Sur l’ensemble des requêtes envoyées à la CEDH (tous pays confondus), 98 % se réfèrent à de mauvaises pratiques, 2 % seulement en raison de la législation nationale directement contraire à la Convention (Paweł WILIŃSKI, « General Domestic Remedy and the role of the Constitutional Court – opening remarks », 5th Warsaw Seminar on Human Rights, Varsovie, Kontrast, 2012, pp. 304-305). 411 Protocole n°4 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention, STCE n°046, 16 septembre 1963. 412 Voir le tableau des ratifications du Protocole n°4 sur le site du Conseil de l’Europe, <http:// conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?NT=046&CM=7&DF=12/01/2015&CL=FRE> 413 Cf. infra, paragraphe 373, note n°599. 185 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE CEDH a permis, au fil des années, d’affermir les droits des personnes placées sous écrou (Section II). SECTION I – LE RÉTABLISSEMENT DE L’IMPARTIALITÉ DES PROCÉDURES PÉNALES 279 - Le système judiciaire socialiste se caractérisait par « l’omnipotence de la Procuratura »414 – autrement dit, de la place du parquet au sein de la procédure – d’où ressortait une inégalité manifeste des parties415. La défense se trouvait en situation d’infériorité au regard même de la loi. De 1952 à 1989, la Procurature était placée sous la supervision du Conseil d’État avant de disparaître avec l’incorporation de l’office du Procureur public parmi les compétences du ministère de la Justice416. L’esprit de la Procurature a encore plané plusieurs années après sa disparition officielle en 1989, puisque l’audience d’un procès pénal pouvait se tenir hors la présence de l’accusé, comme l’illustre l’affaire Belziuk. De même, le CPP de 1969417, en vigueur jusqu’au 1er septembre 1998, prévoyait que tout individu placé en détention était présenté au Procureur, lequel ne revêt pas la qualité de juge impartial au sens de l’article 5 de la Conv. EDH. L’arrêt Belziuk favorisa une nette et rapide évolution de la législation interne, rétablissant l’équité au cours de l’instance pénale (§ 1). Bien plus tardivement, dans les années 2010, 414 Pierre LAMBERT, « La Transition démocratique de la Pologne au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme », RTDH, n°65, 2006, p. 157. L’orthographe choisie par l’auteur semble être une sorte de composition entre le terme polonais prokuratura et sa traduction française « procurature ». 415 La Russie a connu les mêmes difficultés durant sa période de transition. Retardée, la réforme du parquet russe était jugée nécessaire au regard du principe de séparation des pouvoirs, afin que soit rompu le lien trop étroit existant entre le procureur général et le pouvoir exécutif. Voir Jean-Pierre MASSIAS, « La Russie et le Conseil de l’Europe : dix ans pour rien ? », Russie.Nei.Visions [en ligne], n°15, p.12, <www.ifri.org/sites/ default/files/atoms/files/ifri_CE_massias_francais_janv2007.pdf> [consulté le 12-10-2015] 416 Ce système, naît de la révision constitutionnelle du 29 décembre 1989 et de la loi du 22 mars 1990 (Ustawa z dnia 22 marca 1990 r. o zmianie ustawy o Prokuraturze Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej, Kodeksu postępowania w sprawach o wykroczenie oraz ustawy o Sądzie Najwyższym [Loi du 22 mars 1990 portant modification de la loi relative au Procureur de la République Populaire de Pologne, du Code de Procédure Pénale et de la loi relative à la Cour suprême], Dz. U., 1990, n°20, texte 121, pp. 261-271), s’inspire semble-t-il du modèle anglo-saxon : la mission de poursuivre est confiée à un département spécial du ministère de la Justice (Jiri TOMAN, « Évolution du statut constitutionnel et juridique des ministères publics – Prokuratura dans les pays membres du Conseil de l’Europe », in La Prokuratura dans un État de droit, Strasbourg, Editions du Conseil de l’Europe, 1998, p. 37). 417 Ustawa z dnia 19 kwietnia 1969 r. Kodeks postępowania karnego [Loi du 19 avril 1969 – Code de procédure pénale], Dz. U., 1969, n°13, texte 96, pp. 150-186. 186 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME une affaire de crime commis par un jeune garçon a conduit à amender substantiellement la loi de 1982 relative à la procédure applicable dans les affaires pour mineurs (§ 2). Le nombre important de condamnations prononcées par la CEDH entre 2000 et 2006 en raison de la présentation du détenu au procureur lors de sa privation de liberté ne rend pas justice à la Pologne qui, avec promptitude, a fait disparaître de sa législation les dispositions directement inconventionnelles (§ 3). Enfin, l’égalité des armes a été restaurée également lors des recours pour contester les placements en détention (§ 4). § 1. L’ÉVOLUTION DU SYSTÈME DE LA PROCURATURE Une condamnation précoce de la CEDH a suffi pour démontrer la grave incompatibilité de la procédure pénale polonaise alors en vigueur, qui prohibait la présence de l’accusé lors des audiences d’un procès en appel, avec l’article 6 de la Conv. EDH (A). La réception de ce premier arrêt et de ceux qui suivirent s’avéra positive et immédiate : quelques semaines suffirent pour que le CPP fût modifié en conséquence (B). A. La violation de l’article 6 de la Convention dans les affaires Belziuk et Rybacki 280 - Dans l’affaire Belziuk, jugée par la CEDH en 1998, un citoyen polonais était accusé de tentative de vol de véhicule et avait été placé en détention provisoire le 2 juin 1992. Après une condamnation prononcée en première instance par la cour de district de Tarnów le 25 novembre 1992, il interjeta appel en demandant d’assister à l’audience prévue devant la cour régionale de Tarnów. La demande fut rejetée le 21 avril 1993. L’audience en appel du 10 mai 1993 s’est déroulée en son absence mais en la présence du procureur. M. Belziuk a décidé de saisir la Com. EDH le 31 mai 1993. Sa requête fut ensuite transmise à la Cour. 281 - Compétente ratione temporis pour le seul jugement en appel du 10 mai 1993418, la CEDH avait à se prononcer sur la compatibilité du principe d’égalité des armes avec l’interdiction faite à l’accusé d’assister à l’audience en appel de son procès pénal alors qu’était présent à cette audience le procureur. Ce refus opposé à un individu condamné en première instance de participer à l’audience d’appel s’appuyait sur les dispositions du CPP de 1969 en vigueur à l’époque des faits, particulièrement sur son article 400 § 1 ainsi rédigé : 418 CEDH, Belziuk c. Pologne, n°23103/93, 25 mars 1998, Rec. 1998-II, § 18. 187 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE « L’audience a lieu, que les parties soient présentes ou non, mais elle ne peut se tenir en l’absence du procureur »419. Parallèlement, s’est posée la question du rôle tenu par le procureur au cours de l’appel, puisque le requérant a estimé que celui-ci « n’a pas agi à l’audience comme gardien de l’intérêt général mais comme adversaire […] puisqu’il a demandé à la cour d’appel de rejeter le recours »420. La CEDH a rappelé que le droit au procès équitable englobait le caractère contradictoire de la procédure pénale, traduit par la possibilité pour l’accusation et la défense de prendre connaissance des observations et preuves produites par l’autre partie afin d’y répondre. Pour le juge européen, empêcher l’appelant de se présenter à l’audience pour témoigner personnellement et apporter des preuves destinées à étayer la contestation de sa condamnation en première instance ne pouvait permettre à la cour régionale de Tarnów de répondre correctement aux questions qui se posaient à elle dans le respect des règles du procès équitable421. La CEDH a suivi les conclusions précédemment formulées dans cette affaire par la deuxième chambre de l’ancienne Com. EDH qui, après avoir rappelé que le principe de l’égalité des armes incluait le droit fondamental au caractère contradictoire de toute procédure pénale, avait été d’avis qu’il y avait eu violation du droit à un procès équitable par la méconnaissance des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Conv. EDH422. 282 - L’arrêt Rybacki de 2009 a fait remonter à l’échelle européenne une question un peu différente quoique liée elle aussi à la compatibilité de la position du procureur avec les exigences du procès équitable. L’auteur de la requête avait été arrêté et placé en détention provisoire en mai 1996, soupçonné de vol aggravé commis comme membre d’un groupe criminel organisé. Une semaine après son arrestation, le procureur décida, sur le fondement de l’article 64 du CPP de 1969, d’assister aux rencontres entre le requérant et son avocat. Cette situation se prolongea jusqu’en novembre 1996 sans que cela ne semblât justifié. Un recours de l’avocat du requérant pour lever la mesure y mit fin. Treize ans après les faits, la CEDH a jugé contraire à la Convention l’impossibilité pour le requérant et son avocat de communiquer pendant les cinq premiers mois de détention sans la présence du procureur423. En réponse à la condamnation prononcée en 1998 dans l’arrêt Belziuk, les dispositions 419 Loi du 19 avril 1969 – Code de procédure pénale, préc. (version consolidée). 420 CEDH, Belziuk c. Pologne, préc., § 32. 421 Ibid., § 38. 422 Com. EDH, A. B. c. Pologne, n°23103/93, 26 février 1997. L’avis formulé sur la violation de l’article 6 en raison de l’absence du requérant à l’audience avait été adopté à l’unanimité. 423 CEDH, Rybacki c. Pologne, n°52479/99, 13 janvier 2009. 188 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME législatives mises en cause ont été immédiatement retirées de l’ordre juridique polonais. B. Les dispositions internes inconventionnelles éliminées par la réforme des procédures L’infériorité de la personne accusée face au procureur dans la procédure pénale a connu une remise en cause partielle avec la grande réforme du droit pénal survenue en 1997. L’exécution de l’arrêt Belziuk nécessita toutefois deux amendements au nouveau CPP, l’un dès 1998, l’autre deux ans plus tard (1) et une nouvelle jurisprudence de la Cour suprême (2). Par ailleurs, les autorités ont fait œuvre de pédagogie auprès des magistrats (3). 1) La réforme générale de la procédure pénale de 1997 et les amendements subséquents 283 - Intervenue en 1997, la grande réforme pénale polonaise a permis d’en finir avec la logique de l’ancien régime qu’incarnaient les CP et CPP de 1969. Cet effort devait en principe assurer la conformité du droit interne avec les standards européens et ainsi prévenir les condamnations à Strasbourg424. Les violations de l’article 6 prononcées par la CEDH dans les affaires Belziuk et Rybacki portaient sur l’application de dispositions de l’ancien CPP. La loi du 6 juin 1997, entrée en vigueur le 1er septembre 1998, en prononça l’abrogation425. 284 - L’article 64 de l’ancien CPP qui avait entraîné directement la condamnation de la Pologne dans l’arrêt Rybacki a été abrogé par le nouveau Code. Alors que le procureur était jadis autorisé à assister de sa propre initiative aux rencontres entre un suspect en détention et son avocat, l’article 73 § 4 du CPP de 1997 limite l’arbitraire du procureur en la matière. Sur le fondement de ce texte, le procureur ne peut décider d’être présent (en personne ou par l’intermédiaire d’un tiers autorisé) aux rencontres entre suspect et avocat au-delà d’un délai de quatorze jours à compter du placement en détention. Cette évolution de la législation, destinée à rendre conforme la procédure avec la Conv. EDH, a convaincu le Comité des ministres qui déclara par une résolution du 2 décembre 2011 que la Pologne avait bien exécuté l’arrêt Rybacki426. 424 Celina Nowak a ainsi écrit que le nouveau droit pénal polonais « offrait toutes les garanties possibles à l’accusé et prenait en compte, pour la première fois dans une telle proportion, les droits de la victime. » (Celina NOWAK, « Actualité du droit polonais », (2005), préc., p. 187) 425 Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. - Kodeks postępowania karnego [Loi du 6 juin 1997 – Code de procédure pénale], Dz. U., 1997, n°89, texte 555, pp. 2725-2794. 426 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)240 (exécution de l’arrêt Rybacki c. Pologne), 2 décembre 2011, 189 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 285 - Avant même l’entrée en vigueur du CPP voté en 1997, le législateur fut contraint de revoir sa copie en introduisant un amendement le 6 juin 1998. Cet addendum avait précisément pour but de prendre en considération la condamnation prononcée par le juge européen dans l’affaire Belizuk, le 25 mars 1998. Les dispositions de l’article 451 du nouveau Code étaient initialement trop proches des celles de l’article 401 du Code de 1969 et furent donc modifiées. L’amendement tentait de rompre avec les principes de l’ancienne procédure pénale socialiste. Son second paragraphe limitait le pouvoir des juridictions du second degré d’apprécier l’opportunité de faire comparaître à l’audience en appel un accusé détenu lorsque l’appel en question visait à aggraver une peine d’emprisonnement. Le texte n’allait toutefois pas assez loin puisque la juridiction compétente avait conservé la possibilité de décider de la comparution ou non du prévenu lors de l’audience d’appel (article 451 § 1), ce qui n’éliminait pas complètement le risque de méconnaissance des exigences du procès équitable. 286 - L’exécution de l’arrêt Belziuk s’est poursuivie au Parlement avec l’adoption d’un nouvel amendement au CPP, adopté le 20 juillet 2000. Devant le Comité des ministres, réuni pour superviser l’exécution de l’arrêt, la Pologne a évoqué des jugements rendus par les cours régionales d’appel et surtout par la Cour suprême. Dans deux arrêts en date du 10 novembre 1999 et du 5 décembre 2000, la Cour suprême a prononcé la cassation de plusieurs décisions issues des juridictions inférieures et dans lesquelles avait été refusée sans motif la comparution des prévenus détenus à des audiences en appel. L’existence de ces jurisprudences discordantes dans deux juridictions subalternes avait convaincu le législateur de rendre plus claire les dispositions de l’article 451 du CPP modifié en 1998 : cela conduisit à l’amendement du 20 juillet 2000427. 287 - La prérogative toujours litigieuse accordée à la juridiction pénale pour la comparution des inculpés en détention a fini par disparaître. La rédaction de l’article 451 § 1 – initialement : « la cour peut ordonner la comparution du prévenu détenu » – est devenue impérative en 2000 : « la cour ordonne la comparution du prévenu détenu… ». Le législateur a cru bon de laisser une exception en complétant cette disposition par les mots suivants : « …sauf si elle considère que la présence de son avocat à l’audience d’appel suffit ». La possibilité de défendre l’accès à l’audience d’appel du prévenu détenu n’a pas complètement disparu de la 1128e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 427 Ustawa z dnia 20 lipca 2000 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego, ustawy - Przepisy wprowadzające Kodeks postępowania karnego oraz ustawy - Kodeks karny skarbowy [Loi du 20 juillet 2000 de modification du Code de procédure pénale, du règlement d’introduction au Code de procédure pénale, du Code pénal fiscal], Dz. U., 2000, n°62, texte 717, pp. 3798-3801. 190 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME loi. Un renversement de la logique de la règle s’est néanmoins opéré : au principe selon lequel il est possible d’exiger la comparution du détenu excepté lorsque l’appel vise à aggraver sa peine et où, le cas échéant, sa présence est obligatoire (réforme de 1998), s’est substitué le principe de l’exigence de la comparution à l’audience d’appel du prévenu détenu ou au moins, lorsque cette comparution n’est pas nécessaire, de la présence de son avocat428. Cet article a toutefois été profondément modifié lors de la grande réforme du droit pénal entrée en vigueur le 1er juillet 2015. Dans sa version actuelle, l’article 451 conditionne la présence personnelle du détenu à la demande faite par celui-ci en ce sens, dans un délai de sept jours suivant la réception de son recours. La cour d’appel compétente le convoque, à moins qu’elle ne juge suffisante la présence de l’avocat à l’audience429. Malgré cette suite de modifications législatives, la Pologne a été condamnée à nouveau pour la violation combinée des articles 6 § 1 et 6 § 3 c) de la Conv. EDH en 2009 dans trois arrêts de la CEDH. La Cour suprême en a garanti la bonne réception. 2) L’interprétation des règles de procédure précisée par la Cour suprême en 2009 288 - Dans les deux premières affaires (Sobolewski (n°2) et Strzałkowski, jugées le même jour), les requérants avaient interjeté appel à la suite d’une condamnation pénale. Les autorités ne les autorisèrent pas à assister à l’audience de seconde instance (ils étaient alors en détention) qui s’acheva dans chacun des cas sur le rejet de leur recours. La CEDH a considéré qu’au regard des critiques de fond contenues dans l’appel, la présence des requérants à l’audience – et non la seule présence de leur avocat – se justifiait en l’espèce. Dès lors, les autorités avaient méconnu les exigences conventionnelles en ne leur permettant pas d’assister à l’audience430. Dans la troisième affaire, Seliwiak, l’absence du requérant lors de l’audience d’appel de sa condamnation à trois ans et demi de prison pour cambriolage résultait d’un dysfonctionnement administratif. Ignorant visiblement que l’intéressé était en détention provisoire dans le cadre d’une autre procédure pénale, les autorités avaient envoyé la convocation à son domicile. Le requérant apprit par hasard la tenue d’une audience relative à son appel. La 428 Com. Min., Résolution ResDH(2001)9 (exécution de l’arrêt Belziuk c. Pologne), 26 février 2001, 741e réunion des délégués, annexe. 429 Ustawa z dnia 27 września 2013 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2013, texte 1247. 430 CEDH, Strzałkowski c. Pologne, n°31509/02, 9 juin 2009 ; CEDH, Sobolewski c. Pologne (n°2), 19847/07, 9 juin 2009. 191 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE CEDH a considéré qu’en ne s’assurant pas que le requérant reçût les informations nécessaires, les autorités avaient méconnu l’article 6 de la Convention431. 289 - La réception des arrêts Sobolewski (n°2) et Strzałkowski432 ne s’est pas traduite par une nouvelle modification du Code de procédure pénale. Le Comité des ministres a considéré que la Pologne avait satisfait ses obligations découlant de l’article 46 de la Conv. EDH grâce à l’intervention de la Cour suprême433. Dans plusieurs arrêts rendus entre 2009 et 2012, la haute juridiction polonaise a établi une jurisprudence permettant d’éviter toute interprétation extensive – et donc potentiellement contraire à l’article 6 de la Conv. EDH – de l’article 451 du CPP. Les deux premiers d’entre eux ont été rendus les 2 mars et 17 juin 2009. La Cour suprême a jugé que la présence du suspect à l’audience en appel était la règle et sa dispense l’exception. La présence unique de son avocat ne doit être requise qu’à condition que l’appel n’ait pas été interjeté par l’accusé lui-même ou que celui-ci n’ait pas exprimé le souhait d’assister à l’audience (arrêt du 2 mars 2009) et seulement si l’appel porte sur des points de droit, non sur des éléments factuels (arrêt du 17 juin 2009)434. Enfin, la traduction, la diffusion et la publication des arrêts ont été des mesures complémentaires pour prévenir d’autres violations similaires de l’article 6 de la Convention. 3) La diffusion des arrêts auprès des juridictions nationales 290 - Le gouvernement a informé les différentes juridictions du pays de la condamnation prononcée dans l’affaire Belziuk. Les juridictions auraient alors « expressément adapté leur interprétation du nouvel article [451] aux exigences de la Convention telles qu’elles sont rappelées par la Cour européenne » selon le gouvernement435. Les trois arrêts rendus par la CEDH en 2009 ont pourtant contredit cet optimisme originel. 291 - En marge de la diffusion par les pouvoirs publics, le texte de l’arrêt Belziuk a fait l’objet d’un résumé très complet dans les pages du quotidien polonais Rzeczpospolita (« République »), en plus d’une publication dans la revue spécialisée Prawo Miedzynarodowe Pu431 CEDH, Seliwiak c. Pologne, n°3818/04, 21 juillet 2009. 432 L’exécution de l’arrêt Seliwiak, suivi par le Comité des ministres avec ces deux affaires, ne nécessitait pas de mesure générale car la violation constatée par la Cour en l’espèce n’était due qu’à une application incorrecte et accidentelle du droit interne. 433 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)111 (exécution des arrêts Sobolewski (n°2) c. Pologne, Strzałkowski c. Pologne et Seliwiak c. Pologne), 6 juin 2013, 1172e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 434 CSP, n°IV KK 334/08, 2 mars 2009 ; CSP, n°II KK 30/09, 17 juin 2009. 435 Com. Min., Résolution ResDH(2001)9 (exécution de l’arrêt Belziuk c. Pologne), préc. 192 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME bliczne (« Droit International Public »)436. Les arrêts Sobolewski (n°2), Strzałkowski et Seliwiak ont été traduit et publiés sur le site Internet du ministère de la Justice. Leur étude a été ajoutée au programme de formation des magistras dispensé à l’École nationale des juges et procureurs437. L’arrêt Rybacki a quant à lui été traduit en polonais, publié sur le site Internet du ministère de la Justice, puis transmis au Comité central du Service pénitentiaire438, à l’ensemble des cours d’appel et au parquet général. Ces derniers ont été chargés de le diffuser à tous les juges et procureurs. L’École nationale des juges et procureurs en a reçu copie en vue de l’inclure dans le programme de formation des magistrats439. La réception de l’arrêt Belziuk et de ses successeurs aura nécessité l’intervention successive des branches législatives et judiciaires, dessinant en définitive un quasi « dialogue » interne. Le schéma suivi aura été plus direct pour l’exécution de l’affaire Adamkiewicz : la CEDH a contraint la Pologne à revoir sa législation de 1982 relative à la procédure applicable pour les mineurs. § 2. L’IMPARTIALITÉ INTRODUITE DANS LA PROCÉDURE PÉNALE POLONAISE SPÉCIFIQUE AUX MINEURS Le Code de procédure pénale de 1969 n’était pas directement en cause dans l’affaire Adamkiewicz bien que plusieurs de ses dispositions s’appliquaient aux faits. La loi de 1982 sur les procédures dans les affaires concernant les mineurs n’offrait pas les garanties d’impartialité suffisantes pour atteindre le niveau de protection de l’article 6 de la Conv. EDH (A). En conséquence, le législateur est intervenu pour modifier les dispositions en cause (B). A. La partialité du juge chargé de l’affaire et le manque d’information du requérant sur ses droits sanctionnés par la Cour 292 - La législation socialiste – l’ancien CPP de 1969 ainsi qu’une loi du 26 octobre 1982440 – 436 Ibidem. 437 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)111 (exécution des arrêts Sobolewski (n°2) c. Pologne, Strzałkowski c. Pologne et Seliwiak c. Pologne), préc. 438 Outre la violation de l’article 6, la CEDH avait aussi retenu dans cet arrêt la violation de l’article 5 § 3 pour la durée excessive de la détention provisoire (cf. Partie II, Titre I, Chapitre I, Section II). 439 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)240 (exécution de l’arrêt Rybacki c. Pologne), préc. 440 Loi du 19 avril 1969 – Code de procédure pénale, préc. Ce texte a été abrogée le 1er septembre 1998, alors que la procédure de l’affaire Adamkiewicz était toujours en cours ; Ustawa z dnia 26 października 1982 r. o 193 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE prévoyait une procédure dérogatoire pour les affaires pénales mettant en cause les mineurs de moins de dix-sept ans, avec pour principe l’irresponsabilité de ceux-ci sauf pour certaines infractions graves. Mais les lacunes et imprécisions du Code – lequel prescrivait l’application des règles de procédures civile per analogiam – ont conduit dans la pratique à un système mixte. Une telle procédure sui generis permettait d’instruire les affaires criminelles impliquant des accusés mineurs, bornée tant par le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant que par celui de la prise en compte des caractéristiques individuelles de celui-ci441. Cette procédure s’est retrouvée confrontée au grief d’inconventionalité avec l’affaire Adamkiewicz, jugée par la CEDH en 2010, plus de dix ans après l’introduction de la requête. 293 - Les faits remontaient à l’automne 1997. Paweł Adamkiewicz, alors âgé de quinze ans, avait été arrêté à son domicile pour être entendu sur le meurtre par strangulation d’un jeune camarade. Au cours de l’interrogatoire, long de cinq heures, il avoua avoir commis le crime et livra une version cohérente des faits. Ses aveux, obtenus sans la présence d’un avocat, ne firent pas l’objet d’un procès-verbal mais d’un simple compte-rendu rédigé par un agent de police. Cet interrogatoire avait été mené en contradiction avec l’article 19 de la loi de 1982 sur la procédure applicable aux mineurs. Après avoir réitéré ses aveux, consignés cette fois-ci dans un procès-verbal, l’adolescent fut placé dans un foyer pour mineurs. Tout au long de la procédure, qui se déroula du 4 décembre 1997 au 29 octobre 1998 (date du jugement rendu par la cour pour enfants de Poznań442), l’avocat de la défense se plaignit de n’avoir pu rencontrer son client en raison des refus successifs du juge aux affaires familiales. En tout et pour tout, Paweł Adamkiewicz et son conseil ne se rencontrèrent qu’à deux reprises alors que huit demandes d’entretien avaient été formulées. Au cours de l’instruction, il n’y eut qu’une seule entrevue, environ six semaines seulement après l’ouverture de la procédure. Durant cet unique entretien, la confidentialité n’a pas même été respectée, un employé du foyer pour mineurs ayant assisté à une partie de la conversation. De plus, l’avocat se plaignit de n’avoir eu accès au dossier que tardivement, toujours en raison des divers refus qui lui furent opposés par le juge aux affaires familiales. À la suite du jugement de première instance qui reconnut le jeune Paweł Adamkiewicz auteur des faits et lui infligea une peine de six ans de maison de correction, son avocat interjeta appel le 29 décembre 1998. Le défenseur du requérant dénonçait postępowaniu w sprawach nieletnich [Loi du 26 octobre 1982 sur la procédure dans les affaires de mineurs], Dz. U., 1982, n°35, texte 228, pp. 613-623. 441 CEDH, Adamkiewicz c. Pologne, n°54729/00, 2 mars 2010, §§ 51-53. 442 Cette juridiction était composée du juge aux affaires familiales, également en charge de l’instruction, ainsi que de deux assesseurs non professionnels (ibidem, § 34). 194 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’iniquité de la procédure et la violation de plusieurs garanties procédurales de nature à fragiliser la défense. Ce recours fut rejeté par la cour régionale de Poznań le 26 mars 1999 au motif que les irrégularités avérées n’avaient pas eu d’incidence décisive sur l’issue et le contenu du jugement attaqué. Le 7 mai 1999, l’avocat de la défense se pourvut en cassation mais la Cour suprême n’accueillit pas la demande. Le 9 novembre 1999, les parents de Paweł Adamkiewicz déposèrent en dernier lieu une requête en son nom au greffe de la CEDH pour alléguer de la violation des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Conv. EDH443. 294 - Les exigences du procès équitable découlant de l’article 6 incluent de prendre en compte, l’âge, la maturité et les capacités émotionnelles et intellectuelles d’un enfant accusé d’une infraction. De l’avis de la CEDH, les irrégularités commises, notamment au stade de l’enquête, avaient contribué à restreindre les droits de la défense du requérant de manière considérable. La Cour a retenu que les aveux avaient été obtenus sans que Paweł Adamkiewicz ne soit secondé d’un avocat ni même averti de ses droits, en particulier « le droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination », d’autant plus que, compte tenu de son jeune âge et de l’absence d’antécédent criminel, il était difficile d’imaginer qu’il pût « savoir qu’il avait le droit de solliciter l’assistance d’un défenseur ou qu’il aurait été capable d’apprécier les conséquences de l’absence d’une telle assistance lors de son interrogatoire »444. Considérant encore les restrictions affectant les entrevenues du requérant et de son avocat alors même qu’en les circonstances, le respect de l’équité de la procédure aurait exigé une assistance au mineur accusé dès les premiers stades de la procédure, la CEDH a retenu la violation de l’article 6 § 3 c) combiné à l’article 6 § 1 de la Conv. EDH. 295 - La conformité de la composition de la Cour pour enfants aux exigences du procès équitable consituait une seconde problématique. Le gouvernement polonais justifiait la direction par le même magistrat de la phrase d’instruction et de la phase judiciaire par l’absence d’un quelconque préjugé de sa part sur l’affaire et par son aptitude, en bonne connaissance des éléments du dossier et dans l’intérêt de l’enfant, à appliquer la mesure de correction la mieux adaptée au mineur. Si la CEDH a admis qu’une procédure pénale impliquant des mineurs devait nécessairement présenter des particularités et qu’il ne lui appartenait pas d’examiner la conventionnalité in abstracto de la législation et des pratiques internes, les faits en l’espèce ne permettaient pas de penser que l’action du juge aux affaires familiales eût été de nature à assurer la meilleure protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Partant, l’article 6 § 1 avait 443 Ibidem, §§ 5-50. 444 Ibidem, §§ 83-89. 195 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE également été méconnu quant à l’exigence d’un tribunal impartial445. La réaction de l’État polonais à cette double condamnation au titre de l’article 6 fut rapide. Elle est passée par une modification de la loi du 26 octobre 1982. B. La loi du 26 octobre 1982 mise en conformité avec les principes du procès équitables 296 - Chronologiquement parlant, les premières mesures adoptées à la suite de l’arrêt Adamkiewicz furent sa traduction et sa diffusion sur le site Internet du ministère de la Justice. En attendant la modification de la loi, le gouvernement a sensibilisé sur les problèmes de conformité à la Conv. EDH révélés par la CEDH. Le bureau du Procureur général s’est chargé de distribuer le texte de l’arrêt à tous les procureurs intervenant dans des procédures mettant en cause des mineurs en insistant sur la mauvaise pratique consistant pour le même juge à conduire l’instruction puis les audiences sur une même affaire. Dès 2011, l’École nationale des juges et des procureurs a organisé une série de séminaires (à Cracovie, Jastrzębia Góra et Dębe) centrés sur l’étude de l’arrêt Adamkiewicz pour former les juges aux affaires familiales. Enfin, le requérant a reçu le 15 décembre 2010 la satisfaction équitable de 10 000 EUR octroyée par la CEDH. Il gardait la possibilité juridique de demander la réouverture de la procédure pénale le concernant, sur le fondement de l’article 540 § du Code de procédure pénale et de l’article 59 § 1 de la loi de 1982 sur la procédure pour les affaires de mineurs446. 297 - L’amendement à la loi de 1982 a été adopté par le Parlement à l’été 2013. Au cours des débats au Sénat, fut introduit dans le texte la possibilité d’interjeter appel de la décision d’un juge qui refuse que le mineur soit aidé d’un avocat. Les sénateurs ont invoqué la nécessité de conformer le droit interne à l’arrêt Adamkiewicz pour encourager le vote de ces nouvelles dispositions447. In fine, la loi modifiant la procédure applicable dans les affaires pour mineurs est entrée en vigueur le 2 janvier 2014448. Désormais, toute la procédure doit être conduite devant une juridiction aux affaires familiales (article 15 de la loi modifiée), conformément à la procédure de droit commun prescrite par le CPC. Les juges ne sont plus autorisés à émettre une 445 Ibid., §§ 105-108. 446 Voir bilan d’action, annexée à la résolution Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)171 (exécution de l’arrêt Adamkiewicz c. Pologne), 25 septembre 2014, 1208e réunion des délégués. 447 Ibidem. 448 Ustawa z dnia 30 sierpnia 2013 r. o zmianie ustawy o postępowaniu w sprawach nieletnich oraz niektórych innych ustaw [Loi du 30 août 2013 modifiant la loi sur la procédure dans les affaires de mineurs], Dz. U., 2013, texte 1165. 196 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME opinion sur la culpabilité du mineur accusé à l’issue de la phase d’instruction s’ils participent à l’examen de l’affaire au fond ultérieurement. Ces modifications furent donc la réponse à la violation de l’article 6 § 1 retenue par la CEDH. Pour ce qui concerne la seconde violation, celle de l’article 6 § 3 en raison de la restriction des contacts entre le requérant mineur et son conseil, les autorités judiciaires avaient violé la loi de 1982 elle-même, puisqu’elle préconisait la présence d’un proche (parent, tuteur, instituteur…), lors du premier interrogatoire par la police et disposait qu’un mineur bénéficiait de l’assistance inconditionnelle et confidentielle d’un avocat à partir de la décision de placement en foyer. Le législateur a choisi néanmoins d’amender ces articles pour éviter tout risque de mauvaise application. L’article 18, a), de la loi modifiée dispose que le droit de se défendre inclut pour le mineur accusé « 1) le droit d’être assisté par un conseil, 2) le droit de ne pas donner d’explications ou de ne pas répondre à des questions particulières ». Il doit être informé immédiatement de ses droits et des raisons de son arrestation (article 32, g), § 3). L’article 32, c), renforce encore la défense du mineur : en cas de refus d’être assisté d’un conseil, le président de la cour doit, si l’intérêt du mineur s’oppose à celui de ses parents ou de son tuteur, désigner un avocat d’office (§ 1). La désignation ex officio d’un avocat s’applique aussi lorsque le mineur est placé en foyer (§ 2). Le jeune accusé peut demander l’aide juridictionnelle, sous condition de revenus insuffisants (§ 3). L’article 32, f), introduit dans la loi est une réécriture de l’ancien article 39. Plus impératives, ces dispositions imposent que le premier interrogatoire devant la police soit mené en présence des parents, d’un avocat ou, si cela n’est pas possible, d’un instituteur, d’un représentant du planning familial local ou d’un représentant d’une association spécialisée dans l’éducation des mineurs ou la réinsertion. En adoptant le 25 septembre 2014 une résolution par laquelle il met un terme au suivi de cette affaire, le Comité des ministres a validé l’ensemble des mesures adoptées par le gouvernement pour répondre à la méconnaissance de l’article 6 dans cette affaire Adamkiewicz. La modification tardive de la loi de 1982 apparaît comme l’écho des réformes de la procédure pénale générale entreprises entre 1995 et 1998. Outre le rééquilibrage des droits des parties au procès pénal, celles-ci devaient répondre à une autre règle procédurale incompatible avec la Conv. EDH : la présentation de la personne placée en détention à un procureur, en lieu et place d’un juge impartial. § 3. LA PRÉSENTATION À UN JUGE IMPARTIAL DE LA PERSONNE PLACÉE EN 197 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE DÉTENTION Le 4 juillet 2000, la CEDH rendit dans l’affaire Niedbała un arrêt phare concernant la détention en Pologne. La question soulevée était celle de la conformité à la Conv. EDH de la présentation à un procureur des personnes placées en détention, comme l’imposait le CPP de 1969. La réponse, clairement négative (A), a été prise en compte par les autorités polonaises, alors engagées dans la refonte du CPP (B). A. La violation de l’article 5 § 3 de la Convention dans l’affaire Niedbała 298 - L’article 5 § 3 de la Conv. EDH impose aux autorités nationales de présenter immédiatement toute personne devant un magistrat indépendant et impartial, ce qui rapproche ses dispositions de l’article 6 garantissant le droit au procès équitable, comme si les exigences du second se voyaient transposées dans le premier449. 299 - L’affaire Niedbała a constitué l’un des tous premiers arrêts révélant la problématique de la conventionnalité des garanties accompagnant la détention provisoire en Pologne. Le requérant avait été placé en détention le 2 septembre 1994, suspecté d’avoir volé un véhicule450. À l’époque, l’autorité compétente pour prononcer le placement ou le maintien en détention était le procureur près la juridiction compétente451, conformément à l’article 210 du CPP de 1969. Le requérant a contesté le manque d’impartialité et d’indépendance du procureur, responsable à la fois des mesures préventives, antérieures à l’édiction de l’acte d’accusation et dont fait partie le placement en détention provisoire452, tout en étant considéré comme une partie à la procédure, en charge de défendre l’intérêt général453. L’article 1er de la loi du 20 juin 1985 relative au Ministère public454 disposait de surcroît que les procureurs étaient subordonnés au Procureur général (1er alinéa) et que ce dernier était établi dans ses fonctions par le ministre de la Justice (alinéa 2). Il faut souligner que ces dispositions pouvaient poser problème au regard 449 Comme le fait remarquer le professeur Turpin, in Dominique TURPIN, Libertés publiques et Droits fondamentaux, Paris, Seuil, 2004, p. 68. 450 CEDH, Niebała c. Pologne, n°27915/95, 4 juillet 2000, § 6. 451 En l’espèce, le procureur de district de Rybnik avait, le premier, ordonné le placement en détention de Maciej Niedbała le 2 septembre 1994. Un second ordre de même nature a été délivré contre le requérant par le procureur de district de Racibórz le 21 avril 1995. 452 Article 210 du CPP de 1969. 453 Chapitre III du CPP de 1969. 454 Ustawa z dnia 20 czerwca 1985 r. o Prokuraturze Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej [Loi du 20 juin 1985 sur le Procureur de la République Populaire de Pologne], Dz. U., 1985, n°31, texte 138, pp. 364-375. 198 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME de la Constitution en vigueur à l’époque des faits455 dont l’article 1er consacrait le principe d’indépendance des juridictions456. 300 - La CEDH avait déjà développé une jurisprudence autour des dispositions de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH, se prononçant notamment sur les caractéristiques d’un juge ou d’un autre magistrat « exerçant des fonctions judiciaires »457. Pour la Cour de Strasbourg, l’autorité en charge des mesures de privation de liberté au sens de l’article 5 § 1 c) doit être indépendante tant du pouvoir exécutif que des parties et doit, notamment, ne plus apparaître au stade ultérieur de la procédure pénale. En incarnant à la fois l’autorité chargée de la défense de la société, l’auteur de l’acte d’accusation et le responsable des mesures préventives incluant le placement en détention provisoire, le procureur – doté des prérogatives qui étaient les siennes sous l’empire du CPP de 1969 – ne pouvait être regardé comme une autorité judiciaire offrant les garanties d’indépendance requises par l’article 5 § 3 de la Conv. EDH458. 301 - D’autres condamnations, fondées sur des faits comparables et mettant en cause les mêmes dispositions procédurales héritées de l’ère socialiste ont complété la jurisprudence de la CEDH contre la Pologne au début des années 2000459. Une fois introduit le CPP de 1997, la violation de l’article 5 § 3 pour la non-présentation du détenu à un juge ou magistrat habilité par la loi et impartial a provoqué quatre autres condamnations de la Pologne devant la CEDH. 455 La Constitution de 1952 amendée par la loi constitutionnelle du 17 octobre 1992 (Dz. U., n°84, texte 426, pp. 1477-1483). Surnommée « Petite Constitution » (Mała Konstytucja), la loi constitutionnelle de 1992 fut adoptée pour une durée temporaire dans l’attente d’une Constitution démocratique complète, laquelle n’a été promulguée qu’en 1997. Cf. Annexe n°2. 456 Cet article disposait : « Les organes de l’État dans le domaine du pouvoir législatif sont la Diète et le Sénat de la République de Pologne, dans le domaine du pouvoir exécutif le président polonais et le Conseil des ministres, dans le domaine de la justice des juridictions indépendantes ». 457 Pour Christina Harriet Langeraar, de l’Université d’Utrecht, il aurait été « certes défendable de considérer un procureur comme cet autre magistrat, mais la raison d’être du paragraphe 3, conçu pour ‘‘réduire au minimum le risque d’arbitraire’’, interdit cette interprétation, car elle serait contraire aux exigences d’indépendance et d’impartalité » (Christina Harriet LANGERAAR, « La Convention européenne des droits de l’homme, la défense des droits de l’homme et le rôle des Ministères publics de la Prokuratura », in La Prokuratura dans un État de droit, op. cit., pp. 63-64). 458 CEDH, Niebała c. Pologne, préc., §§ 39-57. 459 En octobre 2000, une requête portant sur des faits similaires à ceux de l’arrêt Niedbała a été radiée, le requérant n’ayant pas répondu aux courriers de la Cour (CEDH, Chojak c. Pologne (radiation du rôle), n°32220/96, 12 octobre 2000). La requête suivante a quant à elle fait l’objet d’un règlement amiable (CEDH, Z. R. c. Pologne (règlement amiable), n°32499/96, 15 janvier 2002). Mais la Pologne ne devait échapper que provisoirement à une nouvelle condamnation, puisqu’une série d’arrêts allait sanctionner par la suite la violation de l’article 5 § 3 en raison de l’absence d’impartialité du procureur sous l’empire du CPP de 1969 : CEDH, Eryk Kawka c. Pologne, n°33885/96, 27 juin 2002 ; CEDH, Dacewicz c. Pologne, n°34611/97, 2 juillet 2002 ; CEDH, Sałapa c. Pologne, n°35489/97, 19 décembre 2002 ; CEDH, Klamecki c. Pologne (n°2), n°31583/96, 3 avril 2003 ; CEDH, M. B. c. Pologne, n°31091/96, 27 avril 2004 ; CEDH, Bagiński c. Pologne, n°37444/97, 11 octobre 2005 ; CEDH, Jasiński c. Pologne, n°30865/96, 20 décembre 2005 ; CEDH, W. B. c. Pologne, n°34090/96, 10 janvier 2006 ; CEDH, Bogulak c. Pologne, 33866/96, 13 juin 2006 ; CEDH, A. S. c. Pologne, n°39510/98, 20 juin 2006. 199 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE Au regard des faits, elles apparaissent néanmoins accidentelles460. Sur cette question de la présentation à un juge impartial, les principes contenus dans le nouveau CPP ont suffi à éliminer la cause de l’inconventionnalité observée dans l’arrêt Niedbała. B. L’élimination des dispositions inconventionnelles avec l’adoption du nouveau Code de procédure pénale 302 - Au cours de l’année 1995, le Parlement polonais a adopté un ensemble de mesures parmi lesquelles figuraient tant la suspension de la peine de mort461 que la suppression des prérogatives du Ministère public en matière de détention provisoire462. Cette première réforme est intervenue deux ans après la ratification par la Pologne de la Conv. EDH, le 19 janvier 1993. Elle est en revanche antérieure aux premières condamnations prononcées par la CEDH à l’égard de la Pologne sur le fondement de la violation de l’article 5 de la Convention, garantissant la liberté et la sûreté. La loi du 29 juin 1995463 amenda les dispositions des articles 210 (mis en cause dans l’arrêt Niedbała) et 212 du CPP. Elle conféra compétence au procureur pour la prise de mesures préventives (incluant la détention provisoire) et octroya l’examen de l’appel à la cour saisie de l’affaire en question. Entrée en vigueur le 4 août 1996, elle entérina la règle selon laquelle la détention ne peut être prononcée qu’à l’issue d’une décision de jus- 460 Dans les affaires Piot Nowak et El Kashif, les autorités judiciaires avaient commis l’erreur grossière d’omettre tout simplement la présentation du requérant à un magistrat lors de son incarcération, en violation du CPP (CEDH, Piotr Nowak c. Pologne, n°7337/05, 7 décembre 2010 ; CEDH, El Kashif c. Pologne, n°69398/11, 19 novembre 2013). Plus subtile, la violation de l’article 5 § 3 dans les affaires Mirosław Garlicki et Stokłosa résultait de la présentation du requérant à un juge assesseur lors de son placement en détention. Or, ce type de magistrat dépend directement en droit polonais de l’autorité du ministère de la Justice. Qu’il y ait ou non des élements laissant penser que des consignes ont été données au juge par le ministre, la Cour y voit par principe une contradiction avec l’article 5 § 3 (CEDH, Mirosław Garlicki, c. Pologne, n°36921/07, 14 juin 2011 ; CEDH, Stokłosa c. Pologne, n°32602/08, 3 novembre 2011). 461 L’ultime condamné à mort a été exécuté en Pologne en 1988. L’abolition de la peine capitale a été l’une des premières propositions de lois des députés Solidarność à la suite des élections semi-libres de 1989, mais elle n’aboutit pas. En 1995, un moratoire de cinq a été imposé (Stanisław FRANKOWSKI, « Criminal Law », in Stanisław FRANKOWSKI (dir.), Introduction to Polish Law, op. cit., p. 347). Finalement, l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal le 1er septembre 1998 en scella le sort. Le Protocole n°13 à la Conv. EDH (STCE n°187, Vilnius, 3 mai 2002), qui stipule l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, a été ratifié par le Président Komorowski en août 2013. 462 Celina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais » (2005), préc., p. 187. 463 Ustawa z dnia 29 czerwca 1995 r. o zmianie Kodeksu postępowania karnego, ustawy o ustroju sądów wojskowych, ustawy o opłatach w sprawach karnych i ustawy o postępowaniu w sprawach nieletnich [Loi du 29 juin 1995 portant modification du Code de procédure pénale, de la loi sur les tribunaux militaires, de la loi sur les accusations de la justice pénale et de la loi sur la justice des mineurs], Dz. U., 1995, n°89, texte 443, pp. 2225-2235. 200 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME tice464. Ces principes ont bien évidemment été repris par le CPP de 1997. 303 - Les dispositions directement contraires à la Conv. EDH avaient été abrogées dès 1996, en conséquence, l’exécution de l’arrêt Niedbała n’a soulevé aucune difficulté particulière. Le Comité des ministres en a clos l’examen le 21 octobre 2002465. Pour les arrêts similaires, le Comité s’est contenté de vérifier le versement aux requérants de la satisfaction équitable fixée par la Cour et a parfois renvoyé à la résolution relative à l’exécution de l’arrêt Niedbała pour le récapitulatif des mesures générales adoptées466. 304 - L’exécution des affaires Mirosław Garlicki et Stokłosa fut rapide. La CEDH avait, en 2011, retenu la violation de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH à cause de la présentation des requérants à un juge assesseur au moment de leur placement en détention. Le Comité des ministres a noté dans sa résolution finale du 7 mai 2013 que les requérants n’étaient plus en détention, qu’ils avaient bien reçu leur satisfaction équitable et qu’au plan des mesures générales, les dispositions de l’article 135 § 1 de la loi sur l’organisation des juridictions ordinaires467 avaient été déclarées inconstitutionnelles par le Tribunal constitutionnel dès octobre 2007468. Lorsque la CEDH avait rendu ses deux arrêts en 2011, les dispositions inconventionnelles avaient donc été déjà éliminées de l’ordre juridique469. Les arrêts Piotr Nowak et El Kashif, dans lesquels le droit interne avait été directement violé, ont été suivi par le Comité des ministres dans le groupe d’affaires Ladent, sous le régime de la procédure standard. Le 464 CEDH, Niebała c. Pologne, préc., §§ 18-23. 465 Com. Min., Résolution ResDH(2002)124 (exécution de l’arrêt Niedbała c. Pologne), 21 octobre 2002, 810e réunion des délégués. 466 Un tel renvoi figure dans les résolutions Com. Min., Résolution ResDH(2003)159 (exécution de l’arrêt Eryk Kawka c. Pologne), 20 octobre 2003, 854e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution ResDH(2003)158 (exécution de l’arrêt Dacewicz c. Pologne), 20 octobre 2003, 854e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2010)19 (exécution de l’arrêt Bogulak et trois autres affaires contre la Pologne), 4 mars 2010, 1078e réunion des délégués. Dans cette dernière résolution, le Comité précise toutefois que la satisfaction équitable a été payée respectivement avec un mois et quinze jours de retard aux requérants des affaires M. B. et W. B. Les autres arrêts similaires ont été suivis dans des groupes d’affaires disparates pour lesquelles le Comité a rendu des résolutions définitives communes. Pour l’exécution de l’arrêt Sałapa, voir Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution de 17 affaires contre la Pologne), 10 mars 2011, 1108e réunion des délégués. Pour l’exécution de l’arrêt Klamecki (n°2), voir Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)228 (exécution de 57 affaires contre la Pologne), 20 novembre 2013, 1185e réunion des délégués. Pour l’exécution de l’arrêt A. S., voir Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)141 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), préc. Pour l’exécution de l’arrêt Bagiński, voir Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)268 (exécution des arrêts dans 173 affaires contre la Pologne), 4 décembre 2014, 1214e réunion des délégués. 467 Ustawa z dnia 27 lipca 2001 r. Prawo o ustroju sądów powszechnych [Loi du 27 juillet 2001 – Droit et organisation des juridictions de droit commun], Dz. U., 2001, n°98, texte 1070, pp. 7221-7267. L’article 135 § 1 de la loi, situé dans la Partie III du texte (première section consacrée aux juges assesseurs) permettait au ministre de la Justice de confier des fonctions judiciaires pleines et entières à un juge assesseur pour une période de quatre ans. 468 TCP, n°SK 7/06, 24 octobre 2007, OTK ZU, 2007, n°9A, texte 108. 469 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)84 (exécution des arrêts Mirosław Garlicki, Stokłosa et Pohoska c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 201 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE Comité a décidé de mettre un terme à son contrôle en mars 2016470. Dans les premières années de la démocratie, alors que la procédure pénale dans son ensemble subissait de profonds bouleversements, une pratique consistant à rendre des décisions sur le maintien en garde à vue sans la présence, à l’audience, du détenu ou de son avocat, occasionna la saisine de la CEDH. § 4. LA POSSIBILITÉ DE CONTESTER ÉQUITABLEMENT LE PLACEMENT EN DÉTENTION Dès l’année 2000, la CEDH a clairement reconnu l’incompatibilité avec les principes de la Conv. EDH de la législation socialiste sur les modalités du recours prévu contre le placement en détention. Mais les motifs de violations de l’article 5 § 4 relevaient de plusieurs causes distinctes dans les nombreux arrêts prononcés en quinze ans (A). Quoique persistèrent un petit nombre d’abus, le fonctionnement des procédures de contestation de la détention s’est amélioré (B). A. Une longue série d’arrêts sanctionnant la difficulté de contester équitablement une mesure de privation de liberté La majorité des violations de l’article 5 § 4 de la Conv. EDH retenues par la CEDH contre la Pologne sont le fait des dispositions de l’ancien CPP de 1969 permettant aux juges de statuer sur un recours contre un placement ou un maintien en détention hors la présence de l’intéressé ou de son avocat (1). Entre 2002 et 2012, plusieurs autres violations du même article de la Convention ont été le résultat d’une restriction injustifiée de l’accès au dossier du 470 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2016)32 (exécution des arrêts dans cinq affaires contre la Pologne), 8 mars 2016, 1250e réunion des délégués. Dans son bilan d’action joint à la résolution, le gouvernement a expliqué que le nouvel article 279 § 3 du CPP (issu d’une récente réforme pénale entrée en vigueur le 1er juillet 2015) prévoit qu’une personne visée par un mandat d’arrêt doit être immédiatement déférée devant une juridiction qui décide in fine si la détention est bien la mesure adaptée. Il faut encore mentionner que dans l’affaire Ladent, la Pologne a été condamnée pour la seule et unique fois pour n’avoir pas immédiatement informé le requérant, de nationalité française des raisons de son arrestation dans une langue qu’il maîtrisait (violation de l’article 5 § 2 de la Conv. EDH). Avant même que la CEDH ne juge cette affaire, le législateur avait amendé le CPP et modifié son article 72. Il impose depuis 2003 aux autorités judiciaires d’assurer à toute personne accusée d’une infraction l’assistance d’un interprète si elle ne comprend pas suffisamment le polonais. Voir Ustawa z dnia 10 stycznia 2003 r. o zmianie ustawy - kodeks postępowania karnego, ustawy - Przepisy wprowadzające Kodeks postępowania karnego, ustawy o świadku koronnym oraz ustawy o ochronie informacji niejawnych [Loi du 10 janvier 2003 modifiant le Code de procédure pénale, les règles d’introduction du Code de procédure pénale, la loi sur les témoins et la loi sur la protection des informations classées], Dz. U., 2003, n°17, texte 155, pp. 1205-1232. Cet amendement est entré en vigueur le 1er juillet 2003. 202 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME détenu ou de son avocat (2). Plus récemment, le juge européen a pointé du doigt de réelles lacunes dans la législation polonaise à propos des placements en centres de soins (3) ou dans un établissement pour mineurs (4). 1) L’impossibilité pour l’avocat ou l’accusé d’assister à l’audience portant sur la détention 305 - Un premier arrêt a été rendu le 4 juillet 2000 dans l’affaire Niedbała précédemment évoquée à propos de la présentation du détenu à un juge impartial. Au cours de sa détention provisoire, débutée le 2 septembre 1994, le requérant introduisit deux recours pour obtenir sa remise en liberté, lesquels furent rejetés. Lors des audiences du 12 septembre 1994 devant la cour régionale de Katowice et du 27 avril 1995 devant la cour de district de Racibórz, ni Maciej Niedbała ni son conseil n’était présent. Par ailleurs, le requérant s’est plaint de n’avoir pu obtenir la communication des arguments du procureur, présent quant à lui lors de l’audience du 12 septembre 1994. Les autorités judiciaires polonaises avaient alors agi conformément aux dispositions des articles 87 et 88 du CPP de 1969. En vertu de celles-ci, lorsqu’une juridiction prononçait des décisions en sessions à huis clos, pouvaient prendre part à l’audience le procureur ainsi que les autres parties à condition que la loi les y autorisât. Or, aucune autre disposition applicable à l’époque des faits ne prévoyait que le détenu ou son avocat pût participer aux audiences portant sur la contestation de la détention provisoire. 306 - Devant la CEDH, le gouvernement fit remarquer que les deux recours intentés par M. Niedbała avaient été examinés en accord avec la législation polonaise et que l’absence de l’intéressé ou de son avocat à l’audience n’excluait en rien la prise en compte d’arguments écrits de la défense par la juridiction chargée de statuer. La CEDH n’a pas dévié de sa jurisprudence, réaffirmant au contraire que l’égalité des armes impliquait que les parties, comme le procureur, fussent entendues au cours des procédures de recours contre un placement en détention471. En ne respectant pas cette exigence inhérente à l’article 5 § 4 de la Conv. EDH, la Pologne avait failli à ses obligations conventionnelles472. Cette défaillance de la procédure pénale antérieure aux réformes entreprises au début de la période démocratique a été à 471 « [L]es personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la ‘‘légalité’’, au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Par conséquent, le tribunal compétent doit vérifier ‘‘à la fois l’observation des règles de procédure de [la législation interne] et le caractère raisonnable des soupçons motivant l’arrestation, ainsi que la légitimité du but poursuivi par celle-ci puis par la garde à vue’’ » (CEDH, Nikolova c. Bulgarie [GC], n°31195/95, 25 mars 1999, Rec. 1999-II, § 58). 472 CEDH, Niedbała c. Pologne, préc., §§ 66-68. 203 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE l’origine d’autres condamnations prononcées par la CEDH ultérieurement, notamment dans l’affaire Trzaska, jugée par la Cour quelques jours plus tard473. 307 - Il faut isoler parmi ces cas de figure l’hypothèse dans laquelle l’avocat fut autorisé à participer à l’audience mais refusa de lui-même de s’y rendre. En de telles circonstances, la CEDH n’a pas jugé que l’article 5 § 4 avait été violé par l’État474. Parallèlement aux remontrances exprimées par la CEDH à l’égard des règles de présence aux audiences avant l’entrée en vigueur du CPP, la Pologne s’est vu reprocher dans plusieurs affaires l’impossibilité pour certains détenus d’obtenir les éléments de leur dossier en vue de préparer un recours pour contester leur placement en détention. 2) La restriction de l’accès au dossier d’instruction pour préparer un recours contre le placement en détention 308 - Les stipulations de l’article 5 § 4 de la Conv. EDH sont également méconnues lorsque les autorités restreignent excessivement ou interdisent l’accès du dossier d’instruction à l’accusé placé en détention ou à son avocat. La Pologne a été condamnée à ce titre dès l’arrêt Migoń475 de 2002. L’article 143 § 3 du CPP de 1969 posait en effet la règle selon laquelle tout accès au dossier d’instruction par les parties devait être autorisé par le procureur en charge de la procédure. Dans l’arrêt Sałapa rendu la même année, la CEDH a retenu la violation de l’article 5 § 4 dans la mesure où les motivations de la décision prolongeant la détention du requérant ne lui avaient pas été remises. Celui-ci ne pouvait, dès lors, préparer équitablement son recours476. Si ces deux arrêts concernaient des faits survenus alors que l’ancien CPP était en vigueur, tel n’est pas le cas des arrêts plus récents, rendus entre 2007 et 2012477. Ceux-ci mirent en cause les autorités judiciaires en raison de l’impossibilité pour le détenu ou son conseil de consulter le dossier d’instruction. De telles décisions s’appuyaient sur l’article 156 473 CEDH, Trzaska c. Pologne, n°25792/94, 11 juillet 2000. Voir aussi les arrêts suivants : CEDH, Włoch c. Pologne, n°22785/95, 10 octobre 2000, Rec. 2000-IX ; CEDH, Kawka c. Pologne, n°25874/94, 9 janvier 2001 ; CEDH, Migoń c. Pologne, n°24244/94, 25 juin 2002 ; CEDH, Klamecki c. Pologne (n°2), préc. ; CEDH, G. K. c. Pologne, n°38816/97, 20 janvier 2004 ; CEDH, M. B. c. Pologne, n°34091/96, 27 avril 2004 ; CEDH, Wesołowski c. Pologne, n°29696/87, 22 juin 2004. 2004 ; CEDH, Bogulak c. Pologne, n°33866/96, 13 juin 2006 ; CEDH, Wedler c. Pologne, n°44115/98, 16 janvier 2007. 474 CEDH, Celejewski c. Pologne, n°17584/04, 4 mai 2006. 475 CEDH, Migoń c. Pologne, préc. 476 CEDH, Sałapa c. Pologne, préc. 477 CEDH, Chruścinski c. Pologne, n°22755/04, 6 novembre 2007 ; CEDH, Łaszkiewicz c. Pologne, n°28481/03, 15 janvier 2008 ; CEDH, Piechowicz c. Pologne, n°20071/07, 17 avril 2012 ; CEDH, Dochnal c. Pologne, n°31622/07, 18 septembre 2012. 204 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME § 5 du Code de procédure pénale de 1997. Suivant la lettre de ce dernier, seule l’autorité en charge de l’instruction de l’affaire, le Ministère public, a compétence pour accorder l’accès au dossier et la production de copies des documents à la demande des parties : la philosophie de l’ancienne législation avait donc été conservée. Plus récemment, la règlementation propre aux placements d’office dans les établissements de soins et aux foyers pour mineurs a soulevé de nouvelles difficultés de conformité à la Conv. EDH478. Néanmoins, la quasi-totalité des violations de l’article 5 § 4 par la Pologne depuis 1997 correspond à l’un des deux cas de figure précédemment développés et la réponse des autorités a été efficace : les dispositions du Code de procédure pénale en cause ont été modifiées. B. Les dispositions procédurales inconventionnelles retirées et remplacées Les normes procédurales qui justifiaient l’absence du défendeur en détention ou de son avocat aux audiences portant sur la mesure de sureté avaient déjà été retirées de l’ordre juridique lorsque la CEDH condamna la Pologne (1). Concernant les restrictions d’accès au dossier d’instruction par la défense, la jurisprudence européenne a directement influencé le Tribunal constitutionnel qui a censuré les dispositions législatives non-conforme à l’article 5 de la Conv. EDH (2). 1) La présence du défenseur détenu ou son avocat aux audiences imposée par le nouveau Code de procédure pénale 309 - L’impossibilité pour l’accusé ou son conseil d’exposer ses arguments à l’occasion des audiences portant sur les recours contre des décisions de placement ou de maintien en détention provisoire était une particularité de la procédure pénale établie dans le Code de 1969. Elle a naturellement été remise en cause par le législateur de la Pologne démocratique. Il faut ici rappeler qu’au regard de l’article 88 de l’ancien CPP, en cause dans l’affaire Niedbała, pouvaient être présents lors des sessions à huis clos le procureur et, lorsque la loi le prévoyait seulement, les autres parties. Or, la loi ne retenait pas cette hypothèse dans le cas des audiences à huis clos relatives aux mesures préventives. L’article 249 du CPP de 1997 a mis un terme à cette situation. Il impose que la juridiction compétente, avant de prendre sa décision 478 Les affaires concernées seront traitées dans la section suivante de ce chapitre puisqu’elles sont également affectées par la violation de l’article 5 § 1 pour absence de fondement légal de la privation de liberté (cf. infra). 205 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE sur l’application de mesures préventives, procéde à l’audition de l’accusé. De plus, son avocat est autorisé à participer à l’audience. 310 - Pour empêcher enfin la survenue d’autres contentieux qui pourraient entraîner la condamnation de l’État en raison du manque d’information de la partie défenderesse, le nouveau Code prévoit que la juridiction doit informer l’avocat du détenu de la durée des audiences et de la date à laquelle la décision sera prise sur la prolongation de la détention provisoire ou sur un appel contre la décision d’imposer ou de prolonger ladite détention479. Enfin, dans ces affaires, aucune mesure individuelle autre que le paiement de la satisfaction équitable n’était de nature à contribuer à la bonne exécution par l’État480. La Pologne n’avait pas aussi bien anticipé l’inconventionnalité des règles relatives à l’autorisation d’accéder au dossier d’instruction. Celles-ci ont finalement évolué grâce aux arrêts de la CEDH. 2) Le principe de l’accès au dossier d’instruction pour préparer un recours inscrit dans la loi en 2009 311 - Les faits à l’origine des premiers arrêts de la CEDH abordant la question de la restriction de l’accès de la défense au dossier d’instruction s’étaient produits alors que le CPP de 1969 était toujours en vigueur. La possiblité pour le procureur de faire obstacle à la consultation des documents du dossier par le justiciable a toutefois été maintenue à l’article 156 du Code de 1997, c’est pourquoi l’exécution de ces affaires fut plus longue. Dans un premier temps, pour prévenir toute pratique incompatible avec les standards de la Conv. EDH, le ministre de la Justice a fait traduire et mettre en ligne sur site Internet les arrêts Chruściński et Łaszkiewicz. Sans doute espérait-il que les juridictions interprèteraient de manière très souple les dispositions de l’article 156 du nouveau CPP. 312 - Le 19 septembre 2007, le Défenseur des droits civiques a saisi le Tribunal constitutionnel pour demander le contrôle de la conformité des dispositions de l’article 156 § 5 du CPP à 479 CEDH, Niedbała c. Pologne, préc., §§ 22-23. 480 Le versement des sommes déterminées par la CEDH n’a pas soulevé de difficulté. À titre d’exemple, voir les résolutions dans les affaires Kawka et Włoch, dans lesquelles le Comité des ministres a pris note du respect des délais par le gouvernement (Com. Min., Résolution ResDH(2005)72 (exécution des arrêt Kawka c. Pologne et Ciszewski c. Pologne), 18 juillet 2005, 933e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution ResDH(2004)18 (exécution de l’arrêt Włoch c. Pologne), 22 avril 2004, 879e réunion des délégués). 206 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME la norme suprême polonaise. Le Tribunal rendit son jugement le 3 juin 2008481 et déclara l’article incriminé contraire à la Constitution. Pour le juge constitutionnel, la possibilité d’interdire l’accès aux pièces du dossier qui permet de fonder la détention provisoire d’un suspect ou sa prolongation était contraire aux principes dégagés par l’article 2 et les articles 42 § 3 et 31 § 3 (lus en conjonction) de la Constitution482. Le Tribunal marqua également sa volonté de placer le droit en conformité avec les standards européens, puisque les arrêts de la CEDH condamnant la Pologne dans les affaires Migoń, Chruściński et Łaszkiewicz ont été explicitement cités dans le jugement483. 313 - Il appartenait au Parlement de modifier le CPP de manière à rendre l’article 156 § 5 compatible avec l’article 5 § 4 de la Conv. EDH. À l’été 2009, il introduisit dans le Code l’article 156 § 5a) qui dispose désormais que l’accusé et l’avocat, lors de la phase d’instruction de la procédure pénale, ont accès aux documents du dossier fondant la mesure de détention provisoire ou la prolongation de celle-ci. Si le procureur conserve la faculté de refuser l’accès au dossier, il ne peut l’exercer qu’en des circonstances particulières, en l’occurrence une menace sur la vie de la victime ou d’une autre partie à la procédure, la destruction, la dissimulation ou la falsification de preuves, la production d’un faux-témoignage, un risque d’obstacle à l’identification d’un complice ou un autre acte illégal484. 314 - Le suivi de l’exécution de tous les arrêts qui concernaient cette question est désormais achevé485, à l’exception de l’arrêt prononcé dans l’affaire Piechowicz en 2011. Les raisons qui conduisent le Comité à différer sa décision sur cet arrêt, placé sous le régime de la procédure soutenue, sont étrangères à la violation de l’article 5. Étaient principalement en cause dans cet arrêt les mesures prises à l’encontre des détenus classés « dangereux »486. 481 TCP, n° K 42/07, 3 juin 2008, OTK ZU, 2008, n°5A, texte 77. 482 L’article 2 rappelle que la Pologne est un « État démocratique de droit ». Les articles 42 § 3 et 31 § 3 consacrent respectivement le droit à la présomption d’innocence et la possible restriction des libertés et droits constitutionnels conditionnée par la nécessité de préserver l’ordre public, la sécurité, l’environnement, la santé, la moralité ou les libertés d’autrui. 483 TCP, n° K 42/07, préc., § 4. 484 Ustawa z dnia 16 lipca 2009 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego [Loi du 16 juillet 2009 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2009, n°127, texte 1051, p. 9152. Ce texte est entré en vigueur le 28 août 2009. 485 Voir les résolutions suivantes : Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution de dix-sept affaires contre la Pologne), 10 mars 2011, 1108e réunion des délégués (pour les arrêts Migoń et Sałapa) ; Com. Min., Résolution CM/Res(2011)142 (exécution de l’arrêt Chruściński c. Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)85 (exécution de l’arrêt Łaszkiewicz c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués ; Com. Min., CM/ResDH(2013)228 (exécution de cinquante-huit affaires contre la Pologne), 20 novembre 2013, 1185e réunion des délégués (pour l’arrêt Dochnal). 486 Cf. infra, Partie II, Titre II, Chapitre I, Section I. 207 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE La réception de la presque totalité de ces affaires s’est traduite par l’adoption de mesures à caractère général qui ont permis de purger le droit interne de toutes les dispositions clairement ou potentiellement inconventionnelles. Les autres droits du détenu, principalement le droit au respect de leur vie privée et familiale, ont suivi une évolution comparable. SECTION II – L’AMÉLIORATION DES DROITS INDIVIDUELS DES DÉTENUS 315 - Les droits individuels sont par essence réduits dans l’enceinte de la prison. Au stade du placement en détention, le premier droit de la personne privée de liberté est d’échapper à l’arbitraire, conformément à la règle de l’habeas corpus. Ainsi, toute détention est contraire à l’article 5 de la Conv. EDH si elle est dépourvue d’une base légale. À supposer qu’elle soit légalement fondée, la détention est une privation d’aller et venir, qui n’entame pas les autres droits reconnus à la personne humaine. Le détenu demeure protégé contre toutes les atteintes injustifiées à ses droits individuels tels le respect de son intégrité physique et psychologique487 et le droit au respect de sa vie privée et familiale, notamment par la Conv. EDH. Dans les premiers temps de l’application de ce texte sur son territoire, la Pologne a eu maille à partir avec le juge européen au sujet du respect des communications des détenus488, pratiquant une forme de censure directement héritée de l’ancien régime. Cette partie du contentieux sera aussi examinée dans ce chapitre puisqu’elle concerne directement les droits au quotidien de l’individu détenu. Elle dépend des règles de la procédure pénale et trouve son origine dans l’ancienne législation, à l’instar des violations rattachées à l’article 5, précédemment étudiées. Toute détention dépourvue de base légale est jugée par la CEDH contraire à la Conv. EDH, et la Pologne n’a pas été exemplaire en la matière, principalement durant la période de transition (§ 1). Toute détention jugée non conforme à la législation interne ou à la Conv. 487 Très peu invoquée par les requérants dans les années 1990, la dégradation des conditions de détention, liée notamment à la surpopulation carcérale, est apparue ces dernières années en Pologne à l’occasion d’un contentieux massif et constitue désormais un problème majeur. La jurisprudence de la CEDH en témoigne (cf. infra, Partie II, Titre II, Chapitre Ier). 488 Comme le fait remarquer Tadeusz Jasudowicz, spécialiste polonais des droits de l’homme, le droit au respect de la vie privée a été essentiellement invoqué, dans les premières années de l’application de la Convention, pour des questions d’interception arbitraire des courriers de détenus (Tadeusz JASUDOWICZ, « Prawo do poszanowania prywatności osób pozbawionych wolnośći w Polsce w świetle orzecznictwa strasburskiego », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°3, 2012, pp. 43-44). 208 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME EDH doit par ailleurs ouvrir droit à indémnisation (§ 2). Une fois derrière les barreaux, les détenus polonais ont trop fréquemment souffert d’atteintes au respect de leur vie privée et familiale. La situation s’est lentement améliorée grâce aux sanctions systématiques de la CEDH (§ 3). § 1. LA NÉCESSITÉ D’UNE BASE LÉGALE POUR FONDER LA DÉTENTION 316 - L’article 5 § 1 de la Conv. EDH prohibe toute restriction de liberté de la personne, hormis dans les cas justifiés dans une société démocratique et fondés sur des dispositions légales. En Pologne, les situations dans lesquelles ces exigences ont été méconnues furent variées, allant des défaillances répétitives causées par la législation aux cas purement accidentels489. Une série d’arrêts a fait ressortir l’inconventionnalité du droit interne, ou de son interprétation par les autorités polonaises, à travers plusieurs problématiques : la prolongation d’une mesure de détention sur le seul fondement de l’acte d’accusation (A), l’absence de fondement légal d’un internement pour des raisons médicales (B), la détention d’étrangers dans la zone internationale d’un aéroport (C) et enfin le maintien en foyer d’un mineur délinquant à la faveur des imprécisions de la loi (D). 489 C’est manifestement dans la seconde catégorie de violations qu’il faut classer l’arrêt CEDH, Ambruszkiewicz c. Pologne, n°38797/00, 4 mai 2006. En l’espèce, impliqué dans une banale affaire de diffamation, le requérant avait quitté le tribunal à l’improviste lors d’une audience. Pour s’assurer de sa présence à l’avenir et éviter qu’il n’entrave la justice, le requérant fut placé en détention provisoire deux mois et sept jours. La CEDH a admis que la décision reposait sur une base légale mais qu’elle était disproportionnée au but poursuivi à cause d’un réel manque de discernement des autorités dans l’application de la mesure provisoire. Le même raisonnement a été suivi au sujet du placement en détention d’un étranger impliqué dans une affaire d’injures (CEDH, Ladent c. Pologne, préc.) et pour un étranger poursuivi dans une affaire d’exploitation illégale de jeux de hasard (CEDH, El Kashif c. Pologne, préc.). Autre type de faits accidentels et contraires au droit interne selon le propre aveu du gouvernement : la présence dans le collège des magistrats statuant sur un recours contre un placement en détention d’un juge ayant participé à l’adoption de la décision déférée (CEDH, Miernicki c. Pologne, n°10847/02, 27 octobre 2009). La dernière affaire dans laquelle la violation de l’article 5 § 1 paraît accidentelle concerne la garde à vue, pendant une nuit, de trois frères que la police soupçonnait de troubles à l’ordre public à la sortie d’une discothèque. Or, les autorités ne leur ont à aucun moment exposé les raisons de leur arrestation ni n’ont légalement su justifier celle-ci (CEDH, Tomaszewscy c. Pologne, n°8933/05, 15 avril 2014). Dans les deux affaires déjà exécutées, la Pologne s’est acquittée de ses obligations conventionnelles par le versement des satisfactions équitables attribuées par la Cour aux requérants et par la diffusion de l’arrêt aux autorités concernées (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)141 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), préc. (pour l’arrêt Ambruszkiewicz) ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)83 (exécution de l’arrêt Miernicki c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués). Dans les affaires Ladent et El Kashif, étant donné que la violation repose sur une application incorrecte du droit interne, le gouvernement estime que la diffusion des arrêts et la sensibilisation des professionnels de la justice doit suffire à éviter d’autres violations du même type (Com. Min., Document DH-DD(2016)136 (bilan d’action des autorités dans le groupe d’affaires Ladent c. Pologne), préc. 209 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE A. L’expiration de l’ordonnance de placement en détention dans le cadre de la procédure pénale Apparue en 2000 avec l’affaire Baranowski, la pratique consistant à maintenir un suspect en détention sur le fondement de l’acte d’accusation a été considérée contraire à l’article 5 § 1 de la Convention par la CEDH (1). La grande réforme pénale de 1997 élimina des règles de procédures pénales les dispositions trop vagues qui étaient la cause des violations de la Conv. EDH (2). Le problème est désormais résolu, malgré quelques égarements des juridictions internes à la fin des années 1990 (3). 1) La violation de l’article 5 § 1 retenue dans l’affaire Baranowski 317 - Dans l’affaire jugée le 28 mars 2000 par la CEDH490, le requérant Janusz Baranowski avait été placé en détention provisoire par le procureur régional de Łódź le 2 juin 1993, au lendemain de son arrestation par la police sur des accusations d’escroquerie. L’ordonnance de mise en détention a été confirmée par la suite par la cour régionale de Łódź puis prorogée à deux reprises. Le 31 janvier 1994, l’ordonnance expira mais le requérant avait entre-temps fait l’objet d’un acte d’accusation, déposé par le procureur régional près la cour régionale de Łódź le 11 janvier 1994. Malgré plusieurs recours en vue d’obtenir sa remise en liberté, le requérant a été maintenu en détention jusqu’au 22 octobre 1996. La cour régionale, statuant sur la détention le 21 décembre 1994, avait ainsi considéré que l’acte d’accusation avait pour conséquence de mettre le suspect à la disposition de la juridiction compétente491. Dès lors, pour les juges, le grief d’expiration de l’ordonnance de placement en détention était injustifié. 318 - Le maintien en détention d’un suspect après l’expiration de l’ordonnance de mise en détention ne relevait ni de la législation interne elle-même ni de la jurisprudence mais d’une pratique coutumière qui proposait, sans les contredire littéralement, de compléter les dispositions pertinentes de la loi, en l’occurrence l’article 222 du CPP de 1969 relatif aux conditions de placement en détention et de prolongement de la mesure préventive492. Dans une résolution en date du 6 février 1997493, la Cour suprême polonaise avait reconnu l’existence d’une telle 490 Une requête individuelle avait à l’origine été transmise à la Com. EDH le 24 mai 1994. Elle fut jugée partiellement recevable en 1997 (Com. EDH, Baranowski c. Pologne (déc.), n°28358/95, 8 décembre 1997) avant d’être transmise à la CEDH le 2 novembre 1998 avec l’entrée en vigueur du Protocole n°11. 491 Ce raisonnement des autorités polonaises, complètement contraire à la Conv. EDH, se retrouve dans d’autres arrêts ultérieurs : CEDH, Kawka c. Pologne, préc. et CEDH, A. S. c. Pologne, préc. 492 CEDH, Baranowski c. Pologne, n°28358, 28 mars 2000, Rec. 2000-III, §§ 7-41. Voir 493 CSP, n°I KZP 35/96, 6 février 1997. 210 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME pratique par le passé alors qu’elle avait à se prononcer sur la loi du 29 juin 1995, déjà évoquée, modifiant le Code de procédure pénale. 319 - Pour la CEDH, saisie par Janusz Baranowski, il s’agissait de déterminer si la législation polonaise lacunaire et les pratiques judiciaires relatives au maintien en détention provisoire sur le seul fondement d’un acte d’accusation étaient ou non conformes aux stipulations de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH. Aux yeux de la Cour, la pratique consistant à justifier un maintien en détention sur le seul fondement de l’acte d’accusation au dépend d’une décision judiciaire régulière était bien en contradiction avec l’obligation de sécurité juridique implicitement exigée par la Conv. EDH et, partant, violait l’article 5 § 1 de la Conv. EDH494. 320 - Le raisonnement et les conclusions établis par la CEDH en l’espèce ont été repris par la suite dans des affaires similaires contre la Pologne. Ce fut le cas explicitement dans l’arrêt Goral du 30 octobre 2003 qui concernait une détention prolongée de quelques semaines (23 novembre-17 décembre 1996) après que l’ordonnance eut expiré. Pour retenir la violation de l’article 5 § 1, la CEDH a renvoyé directement à sa propre jurisprudence, précisant qu’il « n’y avait aucune raison de distinguer la présente affaire [Goral] de l’affaire Baranowski »495. La même démarche a été reproduite lors du jugement à Strasbourg de l’affaire Ciszewski le 13 juillet 2004. En l’espèce, la détention litigieuse était survenue entre avril 1995 et décembre 1996. La CEDH a rappelé une fois encore qu’« en raison de l’absence de toute disposition précise indiquant si – et, dans l’affirmative, à quelle conditions – la détention ordonnée pour une période limitée au stade de l’enquête pouvait être régulièrement prolongée au stade de la procédure judiciaire, la législation pénale polonaise pertinente ne satisfaisait pas au critère de ‘‘prévisibilité’’ d’une ‘‘loi’’ aux fins de l’article 5 § 1 de la Convention »496. Les autorités judiciaires avaient bien pris conscience des lacunes du CPP de 1969 en matière de détention provisoire mais leur réponse s’avérait tout-à-fait inadaptée. Un amendement voté en 1995 a constitué une première amélioration, au demeurant insuffisante, comme la CEDH l’a souligné dans l’arrêt Goral. Cette modification était toutefois annonciatrice de la réforme plus ambitieuse qui établit le nouveau CPP. 494 CEDH, Baranowski c. Pologne, préc., § 56. 495 CEDH, Goral c. Pologne, n°283558/95, 28 mars 2000, §§ 57-58. 496 CEDH, Ciszewski c. Pologne, n°38668/97, 13 juillet 2004, § 28. 211 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 2) L’entrée en vigueur du nouveau Code procédure pénale, première mesure d’exécution de l’arrêt Baranowski 321 - La loi du 29 juin 1995497, entrée en vigueur le 1er janvier 1996, introduisit le principe selon lequel une mesure de détention provisoire ne pouvait être imposée que par une décision de justice498. Néanmoins, les autorités polonaises ont rencontré des difficultés pour faire changer les comportements conformément aux nouvelles dispositions législatives et à la jurisprudence de la CEDH. En témoignent les arrêts G. K. et D. P.499 rendus le 20 janvier 2004 à propos de détentions provisoires ordonnées entre le 1er et le 24 janvier 1997, c'est-à-dire sous l’empire du CPP de 1969 amendé par la loi du 29 juin 1995. L’ordonnance de placement en détention provisoire intéressant le requérant prenait fin le 31 décembre 1996 mais la décision judiciaire autorisant le maintien en détention n’a été rendue que le 24 janvier 1997, la cour régionale compétente ayant saisi trop tardivement la Cour suprême pour obtenir la prolongation de la détention. De l’expiration de l’ordonnance de placement en détention jusqu’au 24 janvier 1997, la mesure prise à l’égard du requérant était dépourvue de toute base légale, contrevenant à la législation interne pertinente, en l’occurrence l’article 10 a) de la loi du 29 juin 1995500. La Pologne a été condamnée en vertu de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH, les autorités nationales ayant failli à appliquer convenablement la loi interne. La solution proposée par la loi de 1995 a été reprise par le nouveau CPP. 322 - Le CPP de 1997 a en effet conservé les dispositions de l’amendement de 1995 relatifs à la détention provisoire, mais il est venu les préciser. Son article 250 disposait au moment de son adoption : « § 1. La détention provisoire ne peut qu’être imposée par une décision de justice. § 2. Durant la phase d’enquête de la procédure, la détention provisoire doit être imposée, à la demande d’un procureur, par une cour de district dans la juridiction de laquelle l’enquête est menée. 497 Ustawa z dnia 29 czerwca 1995 r. o zmianie Kodeksu postępowania karnego, ustawy o ustroju sądów wojskowych, ustawy o opłatach w sprawach karnych i ustawy o postępowaniu w sprawach nieletnich [La loi du 29 juin 1995 portant modification du Code de procédure pénale, de la loi sur les tribunaux militaires, de la loi sur les frais de la justice pénale et de la loi sur la justice des mineurs], préc. 498 CEDH, Niedbała c. Pologne, préc., § 19. 499 CEDH, D. P. c. Pologne, n°34221/96, 20 janvier 2004 ; CEDH, G. K. c. Pologne, préc. Voir aussi la violation de l’article 5 § 1 pour les mêmes motifs dans les arrêts CEDH, Bagiński c. Pologne, n°31444/97, 11 octobre 2005 ; CEDH, Łatasiewicz c. Pologne, n°44722/98, 23 juin 2005 ; CEDH, Zielonka c. Pologne, n°49913/99, 8 novembre 2005 ; CEDH, Hulewicz c. Pologne, n°39598/98, 23 février 2006. 500 CEDH, D. P. c. Pologne, préc., §§ 71-76. 212 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME § 3. Le procureur, lorsqu’il soumet à la cour une requête au sens du § 2, doit en même temps ordonner que le suspect soit conduit devant la juridiction § 4. Les autres mesures préventives sont décidées par la juridiction, ainsi que par le procureur durant la procédure d’enquête ». 323 - Ces dispositions nouvelles sont une réponse au problème de la légalité des détentions provisoires qui valut à la Pologne quelques condamnations501 pour la violation de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH en raison de la compétence accordée au seul procureur pour ordonner le placement en détention, alors même qu’il ne peut être considéré comme une autorité judiciaire indépendante au sens de ce même article 5. Le législateur polonais a tenté d’encadrer et de limiter encore la pratique de la détention provisoire au moyen des articles 257 et 258 du CPP de 1997. Si l’article 258 fournit une liste limitative de circonstances susceptibles de fonder une détention provisoire502, l’article 257 § 1, dans une optique libérale, exclut le recours à cette procédure « si une autre mesure préventive est suffisante »503. Bien vite, la CEDH eut l’occasion de contrôler la conformité du droit nouveau à l’article 5 de la Conv. EDH. Il est apparu que les juridictions n’avaient pas immédiatement tiré toutes les conséquences de la réforme des procédures et de l’arrêt Baranowski. 3) La persistance temporaire d’une pratique procédurale non-conforme à la Convention 324 - L’arrêt A. S. c. Pologne rendu par la CEDH le 20 juin 2006 repose sur des faits étalés entre deux périodes, l’une placée sous l’empire des dispositions du CPP de 1969 (dans sa version amendée le 29 juin 1995), l’autre du CPP de 1997. Dans une affaire complexe et extrafrontalière de trafic de drogue, les autorités polonaises compétentes avaient été amenées à prolonger la détention provisoire du requérant à intervalles réguliers. Mais la publication de l’acte d’accusation par le procureur régional de Wrocław en avril 1997 avait suffi pour maintenir en dehors de toute décision judiciaire le requérant en détention du 1er au 27 mai 1997, comme cela s’était produit dans l’affaire Baranowski, et alors même que l’ordonnance de dé- 501 Ce fut le cas dans les affaires Baranowski et Niedbała (cf. infra). Voir Loi du 19 avril 1969 – Code de procédure pénale, préc. 502 S’il existe un risque raisonnable d'évasion ou de dissimulation de l'accusé, surtout s’il est impossible de déterminer son identité ; s’il existe un risque raisonnable que l'accusé puisse inciter à un faux témoignage ou obstruer illégalement la procédure pénale ; si l’accusé fait peser une menace sur la vie, la santé, la sécurité d’autrui. 503 Loi du 6 juin 1997 – Code de procédure pénale, préc. 213 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE tention avait expiré. La CEDH avait logiquement repris la solution développée dans l’arrêt Baranowski pour retenir la violation de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH à l’occasion de cette détention dépourvue de base légale504. 325 - Le requérant contestait la légalité d’une seconde période de détention comprise entre le 1er et le 6 janvier 1999. Il estimait que celle-ci n’avait pas été formellement prolongée par la juridiction compétente, la Cour suprême, laquelle s’était provisoirement contentée de l’envoi d’un simple fax au centre de détention sans rendre de décision de justice immédiate. La CEDH a estimé qu’il y avait eu, là encore, violation de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH. 326 - Cette seconde phase de l’affaire A. S. met en lumière la profondeur d’un problème qu’auraient pu alimenter les seules insuffisances de la législation socialiste, emblématisées par le CPP de 1969, et les pratiques juridiques développées antérieurement au régime démocratique. Or, les faits démontrent ici qu’en droit interne, le changement de législation et l’existence d’une jurisprudence interne remettant en cause le maintien en détention sur le seul fondement de l’acte d’accusation505 n’ont pas immédiatement suffi à éviter une nouvelle condamnation devant la Cour de Strasbourg. Si l’article 250 § 2 du CPP de 1997 – applicable pour la seconde période de détention contestée en l’espèce – prescrit bien qu’après la formulation de l’acte d’accusation, la décision d’imposer une détention provisoire devra être prise par la cour compétente pour juger l’affaire au fond, il n’est pas précisé explicitement que cette décision devait être une décision judiciaire. C’est pourquoi la Cour suprême s’était contentée d’un fax506 pour maintenir en détention le requérant entre le 1er janvier 1999 (jour suivant l’expiration de l’ordonnance de détention) et le 6 janvier, date à laquelle cette même Cour a prolongé la détention sur la base d’une véritable décision de justice. 327 - En 2011, le Comité des ministres a clos le suivi des affaires principales Baranowski et A. S., mettant un terme définitif à la question des détentions provisoires ordonnées ou prolongées sans base légale507. 504 CEDH, A. S. c. Pologne, n°39510/98, 20 juin 2006, §§ 65-70. 505 CSP, n°I KZP 35/96, préc. 506 Dans une autre affaire (CEDH, Dombek c. Pologne, n°75107/01, 12 décembre 2006), la Cour suprême avait pareillement fait usage du fax pour informer sur la date à laquelle elle rendrait sa décision sur le maintien en détention du requérant et, de l’expiration de l’ordonnance de placement en détention jusqu’à ladite décision, la détention était dépourvue de base légale et contraire au droit européen. La CEDH a directement renvoyé au raisonnement développé dans l’affaire A. S. pour retenir la violation de l’article 5 § 1. 507 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)139 (exécution des arrêts Baranowski c. Pologne et Hulewicz c. Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)141 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), préc. (pour l’arrêt A. S.). 214 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Entre 2007 et 2015, quelques affaires nouvelles firent écho à la série d’arrêts Baranowski et autres. L’obsolescence des normes procédurales relatives à la remise en liberté des détenus provoquait des retards non compatibles avec l’article 5 § 1 de la Conv. EDH. 4) La remise en liberté tardive du requérant Une détention est dépourvue de base légale si le détenu n’est pas remis en liberté immédiatement après l’expiration de l’ordre de détention. Des justiciables qui connurent ce type de situation en Pologne ont saisi la CEDH (a). Les autorités résolurent le problème par le vote d’un amendement législatif (b). a) La Pologne condamnée entre 2007 et 2013 pour n’avoir pas remis immédiatement les requérants en liberté après expiration de la détention 328 - Ni la législation de l’époque socialiste, ni la survivance d’une quelconque pratique étrangère aux standards démocratique n’a occasionné les rares affaires qui remontèrent jusqu’à la CEDH. Toutefois, la bonne réaction des autorités vient souligner que la nécessité de fonder une détention sur une base légale est désormais ancrée dans le droit interne. 329 - En 2007, la CEDH a jugé la première de ces affaires. Le requérant, un délinquant multirécidiviste, avait obtenu une réduction de sa peine d’emprisonnement. Sa remise en liberté a été décidée le 12 avril 2000, mais il fut concrètement sorti de la prison où il séjournait quarante-huit heures plus tard. La CEDH a considéré que les autorités polonaises avaient bien violé l’article 5 § 1 de la Conv. EDH en maintenant le requérant en détention du 12 au 14 avril 2000508. Dans l’affaire Ladent jugée l’année suivante, la CEDH a retenu la violation de l’article 5 § 1 pour le maintien du requérant en détention trois jours après l’ordre de remise en liberté509. Deux autres arrêts plus récents confirment cette tendance ponctuelle des autorités judiciaires à différer la remise en liberté des détenus510. 330 - Dans ces affaires, le droit interne applicable était l’arrêté du ministre de la Justice du 27 août 1998 (abrogé) dont les principes furent perpétués ensuite par le règlement du 13 janvier 2004. Trop formaliste, le droit polonais favorisait les retards de remise en liberté en ce qu’il interdisait qu’une détention puisse être exécutée sur le fondement d’une décision transmise 508 CEDH, Gębura c. Pologne, n°63131/00, 6 mars 2007 509 CEDH, Ladent c. Pologne, préc. 510 Voir CEDH, Mamełka c. Pologne, n°16761/07, 17 avril 2012 (les faits sont survenus en 2007) ; CEDH, Wereda c. Pologne, n°54727/08, 26 novembre 2013 (les faits sont survenus en 2008). 215 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE par la juridiction compétente par des moyens de technologie moderne (fax, e-mail)511. Le gouvernement a adapté aux outils de communication modernes la norme règlementaire applicable afin de permettre des procédures de libération plus rapide. b) L’adoption du règlement ministériel du 25 juin 2015 relatif aux formalités de la détention 331 - L’exécution de l’arrêt Gębura, le premier en date, n’a pas permis au gouvernement de tirer tous les enseignements des défaillances affectant l’exécution d’une décision de remise en liberté. Le suivi de cet arrêt a été clos très rapidement par le Comité des ministres en 2011 sur le constat du versement de la satisfaction équitable au requérant512. Les trois affaires suivantes ont été suivies conjointement (groupe d’affaires Ladent) jusqu’à la résolution finale rendue par le Comité des ministres le 8 mars 2016513. 332 - Saisi du contrôle du règlement du 13 janvier 2004 par le ministère de la Justice, le Tribunal constitutionnel a considéré qu’en l’état du droit, la remise en liberté rapide des détenus à la suite d’une décision de justice n’était pas garantie. Le juge constitutionnel polonais a déploré qu’une copie certifiée du texte original de la décision ordonnant la remise en liberté d’une personne fût nécessaire, tandis que des vecteurs plus rapides de l’information étaient proscrits. Pour conformer le droit interne aux standards européens, le Tribunal a estimé nécessaire une modernisation du règlement514. 333 - Le ministre de la Justice a édicté dès 2012 un règlement de substitution qui prévoyait, dans son § 7.1 (2), que les autorités de l’établissement concerné pouvaient remettre en liberté un détenu sur réception d’un fax de la juridiction à l’origine de la décision, doublé d’un email contenant une signature électronique sécurisée515. Ce texte est apparu comme une solu511 Article 6 (1) du règlement ministériel du 13 janvier 2004 (Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 13 stycznia 2004 r. w sprawie czynności administracyjnych związanych z wykonywaniem tymczasowego aresztowania oraz kar i środków przymusu skutkujących pozbawienie wolności oraz dokumentowania tych czynności [Règlement du ministre de la Justice du 13 janvier 2004 sur les formalités administratives liées à l’exécution de la détention provisoire ainsi que des peines et sur les mesures coercitives aboutissant à la privation de la liberté ainsi que les documents de ces formalités], Dz. U., 2004, n°15, texte 142, pp. 687-719. 512 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)141 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), préc. 513 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2016)32 (exécution de l’arrêt Ladent c. Pologne), préc. 514 Ordonnance du TCP, n°P 9/11, 4 octobre 2011, OTK ZU, 2011, n°8A, texte 86. 515 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 2 października 2012 r. w sprawie czynności administracyjnych związanych z wykonywaniem tymczasowego aresztowania oraz kar i środków przymusu skutkujących pozbawienie wolności oraz dokumentowania tych czynności [Règlement du ministre de la Justice du 2 octobre 2012 sur les formalités administratives liées à l’exécution de la détention provisoire ainsi que des peines et sur les mesures coercitives aboutissant à la privation de la liberté ainsi que les documents de ces formalités], Dz. U., 216 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME tion provisoire et ses apports ont été repris dans le règlement du 23 juin 2015 qui régit désormais les formalités entourant la détention et la remise en liberté516. Celui-ci crée une alternative entre la première solution (fax suivi d’un e-mail avec signature sécurisée) et la transmission de la décision par téléphone. Le président de la juridiction qui a prononcé la remise en liberté informe par téléphone que les documents seront envoyés par fax et ces documents doivent confirmer le numéro de téléphone par lequel l’information a été originellement communiquée. Enfin, le responsable de l’unité de détention doit confirmer à son tour par téléphone que le détenu a été remis en liberté. Ces deux procédures en vigueur sont censées garantir la remise en liberté rapide des détenus. 334 - Le gouvernement veilla également à ce que les arrêts Ladent, Mamełka et Wereda fussent diffusés le plus largement possible et assimilés par les autorités concernées (publication sur le site Internet du ministère de la Justice, intégration dans des guides de jurisprudence de la CEDH sur ce même site, étude de cas à l’École nationale des juges et des procureurs, etc)517. La Pologne est parvenue à tourner la page des placements en détention provisoire privés de base légale dans les affaires pénales. L’État a cependant été confronté à d’autres situations dans lesquelles la CEDH a considéré que la privation de liberté ne respectait par l’article 5 de la Convention, tels les placements pour raison médicale. B. Les garanties insuffisantes lors d’une privation de liberté pour des raisons médicales La violation de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH a été retenue par la CEDH lorsque la détention provisoire d’une personne s’était avérée disproportionnée au but recherché : la soumettre à des tests médicaux (1). Au début des années 2010, la CEDH a reproché à la Pologne le cadre légal du placement dans des établissements spécialisés d’individus privées de leur 2012, texte 1153. Cet acte est entré en vigueur le 23 novembre 2012 et a abrogé le précédent règlement de 2004. Voir également les informations transmises par le gouvernement au Comité : Com. Min., Document DHDD(2014)940 (bilan d’action des autorités dans l’affaire Mamełka c. Pologne), 8 août 2014. 516 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 23 czerwca 2015 r. w sprawie czynności administracyjnych związanych z wykonywaniem tymczasowego aresztowania oraz kar i środków przymusu skutkujących pozbawienie wolności oraz dokumentowania tych czynności [Règlement du ministre de la Justice du 23 juin 2015 sur les formalités administratives liées à l’exécution de la détention provisoire ainsi que des peines et sur les mesures coercitives aboutissant à la privation de la liberté ainsi que les documents de ces formalités], Dz. U., 2015, texte 927. Il est entré en vigueur le 1er juillet 2015. 517 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2016)32 (exécution de l’arrêt Ladent c. Pologne), préc., annexe (bilan d’action). 217 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE capacité juridique (2). Enfin, la Pologne a dû renforcer les contrôles requis au moment de l’internement de personnes en état d’ivresse dans les centre de dégrisement (3). 1) La détention aux fins de procéder à un examen médical Rendu en décembre 2002, l’arrêt Nowicka s’est conclu par le constat de violation de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH (1). En réponse, la Pologne s’est engagée à revoir l’interprétation de la législation interne sur l’internement thérapeutique (2). a) La violation de l’article 5 § 1 dans des cas de privations de libertés pour des raisons médicales 335 - La détention de la requérante dans l’affaire Nowicka avait été ordonnée en vue d’un examen psychiatrique. Dobrochna Nowicka était impliquée dans un contentieux portant sur l’administration d’une propriété dont elle était actionnaire. L’avocat de la partie adverse avait suggéré aux juges de soumettre la requérante à un examen psychiatrique. La cour de district de Łódź requit quelques semaines plus tard la clinique psychiatrique locale qui révéla la présence d’un dossier au nom de la requérante. Celle-ci ayant délibérément refusé de se rendre aux convocations médicales ordonnées par la justice, les autorités judiciaires ont été conduites à délivrer à son encontre deux mandats d’arrêt, en application de l’article 217 § 1 du CPP de 1969518. En outre, Mme. Nowicka ne fut pas remise en liberté immédiatement après avoir subi les tests. Après le premier d’entre eux, effectué le 2 novembre 1994, la requérante fut maintenue un jour de plus en détention puis, après le second, le 26 mai 1995, huit jours supplémentaires sans davantage de justifications519. 336 - Dans sa jurisprudence antérieure, la CEDH avait déjà jugé légale la détention d’un suspect, au cours d’une enquête pénale, en vue de permettre l’exécution d’une décision de justice520. Toutefois, dans cette affaire Nowicka, les autorités polonaises avaient bien violé l’article 5 § 1 de la Conv. EDH en maintenant en détention la requérante pour une durée excédant les besoins nécessaires aux examens médicaux ordonnés521. Cet arrêt apparaît cepen- 518 Cet article prévoyait la possibilité de placer en détention l’accusé, dans une procédure pénale, lorsqu’il existait un risque raisonnable qu’il entravât, par son comportement, le cours de la procédure. 519 CEDH, Nowicka c. Pologne, n°3021896, 3 décembre 2002, §§ 10-40. 520 « Une période de détention est en principe régulière si elle a lieu en exécution d’une décision judiciaire » (CEDH, Benham c. Royaume-Uni [GC], n°193980/92, 10 juin 1996, Rec. 1996-III, § 42). 521 CEDH, Nowicka c. Pologne, préc., §§ 62-65. 218 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME dant circonstanciel522 puisque aucune pratique n’avait été développée par les juridictions polonaises en application de la législation, contrairement au schéma rencontré dans l’affaire Baranowski. Il laisse malgré tout apparaître le manque de rigueur de la justice dans l’exercice de la détention au cours des premières années de la démocratie, notamment le non-respect de l’équilibre entre la protection de l’ordre public et celle des libertés individuelles. 337 - S’il n’y eut pas d’autres condamnations devant la CEDH pour des faits identiques à ceux de l’affaire Nowicka, la Pologne a été condamnée en 2010 pour la violation de l’article 5 § 1 à cause d’un internement523 d’office basé sur des rapports médicaux obsolètes (arrêt Witek). La requérante s’était, il est vrai, dissimulée plusieurs années durant pour échapper à la justice. Lorsque les autorités la retrouvèrent, elles la placèrent en détention dans l’attente de nouveaux rapports médicaux sur son état psychique. En violation de l’article 5 de la Conv. EDH, elle fut ainsi internée en hôpital psychiatrique de juin 2006 à janvier 2007 sans décision de justice, sur le seul avis d’un médecin ayant diagnostiqué chez elle un syndrome paranoïaque524. 338 - Témoin en 2002 dans une affaire concernant des actes de maltraitance à l’égard de sa belle-sœur, la requérante de l’affaire Baran, jugée par la CEDH en 2013, avait fait preuve d’agressivité à l’égard d’une magistrate après une audience. Elle reçut une sanction immédiate d’une journée de privation de liberté pour atteinte à la dignité du tribunal. Trop agitée au poste de police, la requérante fut conduite en clinique psychiatrique. Le praticien qui l’examina décida de son hospitalisation sous contrainte. Une expertise ultérieure indiqua que l’hospitalisation avait été justifiée en raison d’un trouble mental chronique qui la rendait dangereuse. Elle fut remise en liberté onze jours plus tard. Le 2 juin 2004, une ordonnance de la juridiction compétente déclara a posteriori l’hospitalisation forcée de la requérante conforme 522 Il convient néanmoins d’évoquer l’affaire Worwa. En l’espèce, la requérante avait invoqué la violation de l’article 5 § 1 à la suite de son arrestation à domicile. Cette privation temporaire de liberté était destinée à faire subir des tests psychologiques à la requérante qui s’y était auparavant soustraites. Contrairement à la solution choisie dans l’affaire Nowicka, la CEDH a jugé au regard des circonstances que l’arrestation était justifiée. Elle a en revanche considéré que les nombreux examens imposés dans un délai très court et loin du domicile de la requérante contrevenaient au droit au respect de sa vie privée et familiale, en contradiction avec l’article 8 de la Convention (CEDH, Worwa c. Pologne, n°26624/95, 27 novembre 2003). 523 Situé en dehors du cadre de la procédure pénale et de la mesure de sûreté prise à l’égard d’un suspect, l’internement est une détention qui tend « par des procédés variés, à amender des individus dangereux pour autrui (ex. internement des mineurs délinquants dans des établissements spécialisés), à les soigner (ex. internement des alinés dans les hôpitaux psychiatriques) ou à les neutraliser (internements administratifs) » (Gérard CORNU, ASSOCIATION HENRI-CAPITANT, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 566). 524 CEDH, Witek c. Pologne, n°13453/07, 21 décembre 2010. 219 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE aux articles 23 et suivants de la loi sur la protection de la santé mentale525. La cour régionale de Varsovie, saisie en appel, déclara au contraire cette détention irrégulière dans une ordonnance du 7 avril 2005. Cependant, la requérante n’obtint aucune indemnisation car les juridictions civiles avaient, pour leur part, regardé la détention litigieuse comme étant légale. La CEDH a naturellement, dans cette affaire, retenu la violation de l’article 5 § 1526. 339 - Les faits étaient légèrement différents dans l’arrêt Biziuk (n°2), rendu par la CEDH en 2012, mais la conséquence identique : le maintien illégal du requérant en hôpital psychiatrique pendant sept jours, entre la décision de remise en liberté le concernant (rendue par une juridiction en charge d’une enquête pénale contre lui) et son évasion de l’établissement n’était pas compatible avec l’article 5 § 1 de la Conv. EDH. En l’espèce, l’hôpital où séjournait le requérant ne s’était pas conformé à la décision des juges, lesquels estimaient que son état de santé s’était suffisamment amélioré pour qu’il recouvrât sa liberté527. 340 - De plus, trois affaires atypiques et bien plus graves de maintien illégal en détention ont été jugées par la CEDH en 2007 et 2010. Dans la première, l’affaire Mocarska, la requérante avait été placée en détention dans le cadre d’un conflit familial aux fins de procéder à des examens psychiatriques. Déclarée pénalement irresponsable, elle bénéficia d’un non-lieu en octobre 2005 mais fut maintenue en détention avant d’être finalement déplacée en hôpital psychiatrique, après huit mois d’attente. Dans la seconde, l’affaire Pankiewicz, le requérant n’avait dû attendre que deux mois (janvier-mars 2004) entre la décision d’irresponsabilité pénale et son transfert en clinique. Enfin, dans l’affaire Kumenda, le requérant a subi près de cinq mois de détention provisoire illégale entre la décision de remise en liberté pour irresponsabilité pénale et son transfert dans un établissement de soins adapté à son état psychiatrique528. Dans chacune de ces affaires, la législation interne n’était pas en cause. La violation résultait par conséquent du manque de diligence des autorités pour assurer, dans un délai bref et acceptable, la transition entre la détention en milieu carcéral et l’internement en établissement médical529. 525 Ustawa z dnia 19 sierpnia 1994 r. o ochronie zdrowia psychicznego [Loi du 19 août 1994 sur la protection de la santé mentale], Dz. U., 1994, n°111, texte 535, pp. 1989-1995. Son article 23 § 2 dispose : « La décision d’admettre à l’hôpital psychiatrique la personne […] est prise par un médecin après son examen préalable et, dans la mesure du possible, après l’obtention d’un avis d’un autre psychiatre ou d’un psychologue ». 526 CEDH, Baran c. Pologne, n°53315/09, 28 mai 2013. 527 CEDH, Biziuk c. Pologne (n°2), n°24580/06, 17 janvier 2012. 528 CEDH, Mocarska c. Pologne, n°26917/05, 6 novembre 2007 ; CEDH, Pankiewicz c. Pologne, n°34151/04, 12 février 2008 ; CEDH, Kumenda c. Pologne, n°2369/09, 8 juin 2010. 529 Voir CEDH, Mocarska c. Pologne, préc., § 47 : « La Cour accepte l’argument du gouvernement selon lequel 220 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Aux condamnations pour des privations de libertés irrégulières poursuivant des motifs médicaux, les autorités polonaises ont répondu par des modifications législatives inspirées de la Conv. EDH et de son interprétation par la CEDH. b) La volonté de revenir sur l’interprétation de la législation encadrant l’internement thérapeutique 341 - À la suite de l’arrêt Nowicka, une fois payée la satisfaction équitable à la requérante, seule mesure individuelle exigée en l’espèce pour répondre à l’arrêt de la Cour530, le ministre de la Justice s’est concentré sur l’adoption de mesures générales. Il a tout d’abord enjoint les présidents de toutes les cours d’appel de diffuser l’arrêt auprès des cours de district et des cours régionales de leur ressort, ce qui fut effectivement respecté. Les copies de l’arrêt ont été accompagnées de lettres circulaires « attirant l’attention des juges sur la diligence spéciale requise dans les affaires concernant la détention d’une personne visant à garantir son obligation à se soumettre à un examen psychiatrique ordonné par un tribunal ». L’arrêt a été de surcroît envoyé aux experts judiciaires en psychiatrie et en psychologie à la suite d’une demande émanant le 18 novembre 2004 du ministre de la Justice. Enfin, l’arrêt a été reproduit dans le Bulletin (n°1/2003) publié par le Bureau d’information du Conseil de l’Europe531 . 342 - Les autorités ont veillé avec le même soin à diffuser l’arrêt Baran aux juridictions concernées (les cours civiles et familiales) et à publier la traduction sur le site du ministère de la Justice532. L’arrêt Biziuk (n°2) a été diffusé auprès des juges et des procureurs533. Enfin, l’arrêt Witek a été transmis à toutes les cours d’appel ainsi qu’aux services du Procureur général, serait irréaliste et trop rigide l’approche consistant à attendre des autorités qu’elles s’assurent qu’une place est immédiatement disponible dans un hôpital psychiatrique désigné. Toutefois, un équilibre raisonnable doit être trouvé entre les différents intérêts en jeu. La Cour est d’avis qu’en recherchant cet équilibre, un poids particulier doit être donné au droit à la liberté du requérant. » 530 Dans cet arrêt Nowicka, la CEDH avait reconnu la violation par la Pologne de l’article 5 § 1 (illégalité de la détention) et 8 (restriction illégale du droit de visite). La requérante s’était vu accorder 10 000 EUR au titre de préjudice moral ainsi que plusieurs centaines d’euros supplémentaires pour les frais et dépens engagés. Le 23 mai 2003, moins de trois mois après que l’arrêt a été déclaré définitif, le gouvernement polonais versa les sommes dues à la requérante et le Comité des ministres acheva l’examen de l’exécution de cet arrêt par sa résolution du 19 juillet 2006 (Com. Min., Résolution ResDH(2006)46 (exécution de l’arrêt Nowicka c. Pologne), 19 juillet 2006, 970e réunion des délégués). 531 Com. Min., Résolution ResDH(2006)46 (exécution de l’arrêt Nowicka c. Pologne), préc., annexe. 532 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)210 (exécution de l’arrêt Baran c. Pologne), 17 novembre 2015, 1240e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). Il faut ajouter, au titre des mesures individuelles, que la requérante a perçu dans les délais la satisfaction équitable due. 533 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)82 (exécution de l’arrêt Biziuk (n°2) c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion de délégués, annexe (bilan d’action). Le Comité des ministres a constaté que la satisfaction équitable avait bien été versée au requérant dans les délais. 221 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE puis communiqué à l’École nationale des juges et procureurs en vue d’être inclus dans les séminaires de formation des magistrats534. 343 - Andrzej Drzemczewski et Marek Antoni Nowicki avaient souligné la portée des arguments en faveur de l’adoption, bien avant les premières condamnations de la Pologne à Strasbourg, de solutions juridiques tenant compte de l’interprétation de la Conv. EDH par la CEDH. Ainsi, lors de la 10e séance de la Diète des 20 et 21 janvier 1994 portant sur la loi sur la protection de la santé mentale, le rapporteur de la proposition de loi des députés, Marek Balicki (UD535), a fait expressément référence à jurisprudence de la CEDH, de même que le ministre de la Santé qui défendait pour sa part le projet du gouvernement. Le ministre se référa aux exigences de la Cour de Strasbourg concernant le droit d’être traduit devant un juge sans délai et celui de faire appel devant un tribunal de toute décision d’internement dans un hôpital psychiatrique. Les parlementaires sont convenus de la nécessité d’adopter une législation conforme aux normes européennes536. Le texte a été définitivement adopté le 19 août 1994. Applicable dans l’affaire Baran, il n’a pas été mis en cause par la CEDH puisque la violation de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH en l’espèce résultait d’une mauvaise application des dispositions de cette loi, ce qu’avait d’ailleurs admis la cour régionale de Varsovie le 7 avril 2005. Une modification de la loi ne paraissait donc pas nécessaire537. 344 - Engagé pour le respect et la promotion du droit international, le Défenseur des droits civiques s’était néanmoins attaché – très tôt – à démontrer aux autorités polonaises que « l’application étroite et formaliste de la loi n’[était] pas un critère suffisant pour juger du bon fonctionnement de l’administration »538. C’est pourquoi il préconisait d’interpréter le droit en prenant en compte les stipulations de la Conv. EDH ainsi que les décisions de la CEDH qui les interprètent. Le non-respect par les normes internes du droit à la liberté et à la sûreté au sens du droit européen dans le déclenchement de procédures d’internement thérapeutique a été ainsi dénoncé dès 1995 par le Défenseur dans son Rapport sur la situation des 534 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)38 (exécution de l’arrêt Witek c. Pologne), 7 mars 2013, 1164e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). Le Comité des ministres a également constaté que la satisfaction équitable avait bien été versée à la requérante dans les délais. 535 Unia Demokratyczna (Union démocratique). Parti de centre droit fondé en 1991 par l’ancien Premier ministre Tadeusz Mazowiecki (1927-2013). 536 Andrzej DRZEMCZEWSKI, Marek Antoni NOWICKI, « Les effets de la CEDH en Pologne : un bilan quatre ans après », in Protection des Droits de l’Homme : La perspective européenne, Mélanges à la mémoire de Rolv Ryssdal, Köln-Berlin-Bonn-Munich, Carl Heymann Verlag, 2000, p. 435, note n°63. 537 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)210 (exécution de l’arrêt Baran c. Pologne), préc., annexe (bilan d’action). 538 Andrzej DRZEMCZEWSKI, Marek Antoni NOWICKI, « Les effets de la CEDH en Pologne… », préc., p. 432. 222 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME droits civils des personnes placées en hopitaux psychiatriques539. L’internement à visée thérapeutique en Pologne est susceptible de concerner deux types de situations individuelles : les personnes atteintes de maladie mentale et celles interpellées en état d’ébriété. La pratique a révélé que certains de ces placements en hôpitaux psychiatriques ou en centres de dégrisement étaient effectués de manière arbitraire, sans aucune garantie540. 345 - À l’instar de l’arrêt Nowicka, les affaires Baran, Witek et Biziuk (n°2) n’ont pas entraîné de mesures supplémentaires, telle une modification de la loi. Puisque le gouvernement assurait que les violations de la Conv. EDH reposaient sur des faits isolés, le Comité des ministres estima que les arrêts concernés avaient été exécutées541. Quant aux trois affaires Mocarska, Pankiewicz et Kumenda, elles ont été examinées simultanément par le Comité qui en a achevé le suivi en novembre 2015. Les autorités ont assuré une large diffusion de l’arrêt Mocarska, qui fut même transmis aux membres de la Commission psychiatrique sur les mesures protectrices, rattachée au ministère de la Santé et compétente pour préparer des avis sur l’application de mesures préventives aux détenus. La grande réforme du droit pénal entrée en vigueur le 1er juillet 2015 a surtout permis d’apporter des précisions à l’article 264 du CPP. Celui-ci limite désormais à trois mois le maintien maximal en détention d’une personne avant son transfert en hôpital psychiatrique, avec possibilité de renouvellement pour un mois dans des cas particulièrement justifiés (§ 3) et à condition que la détention soit accompagnée de soins médicaux conformes à l’état de la personne (§ 4)542. Deux arrêts de la CEDH concernant la Pologne abordent la question du placement dans des maisons spécialisées d’individus déclarés juridiquement incapables. Ils ont été rendus sur les affaires Kędzior et K. C., respectivement en 2012 et 2014. 539 Raport Rrzecznika Praw Obywatelskich o stanie przestrzegania praw obywatelskich osób przybywających w szpitalach psychiatrycznych [Rapport du Défenseur des droits civiques sur la situation des droits civils des personnes placées en hopitaux psychiatriques], 1995. 540 Andrzej DRZEMCZEWSKI, Marek Antoni NOWICKI, « Les effets de la CEDH en Pologne : un bilan quatre ans après », préc., p. 431. 541 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)210 (exécution de l’arrêt Baran c. Pologne), préc. ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)38 (exécution de l’arrêt Witek c. Pologne), préc. ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)82 (exécution de l’arrêt Biziuk (n°2) c. Pologne), préc. 542 Ustawa z dnia 20 lutego 2015 r. o zmianie ustawy – Kodeks karny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 20 février 2015 modifiant le Code pénal ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2015, texte 396. Voir aussi le bilan d’action en annexe de la résolution Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)179 (exécution des arrêts dans trois affaires contre la Pologne), 4 novembre 2015, 1239e réunion des délégués. 223 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 2) La privation de libertés des personnes dépourvues de capacités juridiques Les personnes déficientes mentales frappées d’incapacité juridique peuvent être placées dans des établissements spécialisés par leur représentant légal ou par l’administration polonaise. Cette mesure est contrôlée par l’autorité judiciaire. La CEDH a sanctionné dans deux affaires la privation de liberté arbitraire d’incapables (a). Le gouvernement prépare une modification législative permettant à ceux-ci de contester leur internement (b). a) L’absence de contrôle efficace du placement des incapables en centre spécialisé 346 - L’affaire Kędzior, jugée en 2012 par la CEDH, est préoccupante. Elle pointe une vraie faiblesse du droit polonais qui n’offre aucun moyen à une personne déficiente et placée en institution spécialisée par ses proches de contester sa détention. En l’espèce, le requérant souffrait de troubles mentaux pour lesquels il fut traité dès l’âge de seize ans. En février 2002, à la demande de son curateur, il fut placé dans un établissement de soins spécialisés où il demeura dix ans. La décision avait été prise en l’absence de toute décision de la justice, en contradiction avec le droit interne543. Le requérant s’est plaint devant la CEDH d’avoir été interné sans son consentement et sans qu’aucun de ses recours internes n’eût abouti. Dans un arrêt du 16 octobre 2012, la Cour de Strasbourg a relevé qu’aucune disposition légale ne permettait à une personne internée et dépourvue de sa capacité légale d’obtenir à sa demande une révision de la mesure de privation de liberté et qu’il n’existait pas de contrôle automatique de celleci544. 347 - Le grave danger d’un confinement non conforme à la Convention des personnes souffrant de désordres mentaux a été confirmé en 2014 par l’arrêt K. C. En l’espèce, la requérante avait été déclarée en 1981 partiellement incapable car elle souffrait d’un syndrome de démence doublé de tendances paranoïaques. En décembre 2007, le centre des services sociaux 543 L’article 156 lu en conjonction avec l’article 175 du Code de la famille et des tuelles (Ustawa z dnia 25 lutego 1964 r. - Kodeks rodzinny i opiekuńczy [Loi du 25 février 1964 – Code de la famille et des tutelles], Dz. U., 1964, n°9, texte 59, pp. 77-88). 544 CEDH, Kędzior c. Pologne, n°45026/07, 16 octobre 2012. Dans cet arrêt, la CEDH a également retenu la violation de l’article 6 § 1, le requérant n’ayant pu déposer un recours pour demander la restauration de sa capacité légale, alors même que le Tribunal constitutionnel avait ouvert cette possibilité dans un jugement du 7 mars 2007. Ce type de recours est autorisé par la loi depuis l’entrée en vigueur le 7 octobre 2007 d’un amendement au Code de procédure civil (CPC) qui ouvre aux personnes concernées la possibilité de contester la décision qui les frappe d’une incapacité légale (article 559 § 3 du CPC) ; voir Ustawa z dnia 9 maja 2007 r. o zmianie ustawy Kodeks postępowania cywilnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 9 mai 2007 modifiant le Code de procédure civile ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2007, n°121, texte 831, pp. 8302-8305. 224 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME de la ville de Żary a demandé son internement en maison de soins contre sa volonté. La décision fut prise par la cour de district compétente en juin 2008, après que la requérante eut été diagnostiquée schizophrène. En 2008 et 2009, la requérante et sa fille contestèrent vainement la décision de juin 2008. La CEDH a considéré que les autorités n’avaient pas apporté d’éléments justifiant le confinement de la requérante depuis plus de six ans alors que ses désordres mentaux ne semblaient pas présenter un quelconque danger pour les tiers. De plus, la requérante avait manqué d’un recours interne effectif pour contester son placement, en contradition avec l’article 5 § 4 de la Conv. EDH545. Ces deux arrêts ne sont pas encore exécutés. Néanmoins, les autorités paraissent résolues à amender la loi du 19 août 1994 sur la protection de la santé mentale. b) Une modification plannifiée de la loi sur la protection de la santé mentale 348 - Au regard de la situation des requérants des affaires Kędzior et K. C., des mesures individuelles étaient attendues. Leur situation n’a pourtant guère évolué. L’un comme l’autre séjournent toujours dans des établissements de soins adaptés. Stanisław Kędzior a toutefois profité très régulièrement d’autorisations provisoires de visites dans la résidence de sa famille. 349 - Pour l’heure, le gouvernement s’est attaché à la diffusion des arrêts, comme il le fait systématiquement. Il a notamment insisté auprès des administrations concernées pour que fussent respectées les dispositions du Code de la famille et des tutelles (CFT), qui dispose dans son article 156 lu en conjonction avec l’article 175, que les juridictions compétentes en matière de tutelle doivent donner leur accord pour tout placement en centre spécialisé d’une personne en état d’incapacité légale. Aucune modification de ce Code ne paraît donc nécessaire, mais le gouvernement travaille en revanche sur une évolution de la loi du 19 août 1994 relative à la protection de la santé mentale. Les nouvelles dispositions devraient permettre d’abolir le principe selon lequel le consentement d’un incapable n’a pas à être pris en considération pour ordonner une mesure de privation de liberté. Il est aussi question d’ouvrir aux incapables une voie de recours en justice indépendante. Le changement de majorité parlementaire survenu en novembre 2015 ne devrait pas contrarier ce projet, puisque le nouveau gouvernement a annoncé au Comité des ministres son intention de le poursuivre dans les plus 545 CEDH, K. C. c. Pologne, n°31199/12, 25 novembre 2014. Comme dans l’affaire Kędzior, la requérante, placée dans une maison de soins à la demande des services sociaux de sa ville en raison de ses désordres mentaux, n’avait pas bénéficié d’un contrôle systématique et régulier de son état pour s’assurer de la conformité de celui-ci avec une mesure de détention. 225 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE brefs délais546. Visés par plusieurs requêtes importantes fondées sur les violations des articles 2 et 3 de la Conv. EDH547, les centres de dégrisement ont également conduit dans l’affaire Witold Litwa à un contentieux emportant la méconnaissance de l’article 5 § 1 du même texte. 3) La détention en centre de dégrisement contraire à l’article 5 § 1 Le requérant de l’affaire Witold Litwa a été placé de force en centre de dégrisement alors même qu’il n’était pas en état d’ivresse. Les failles de la procédure ont conduit la CEDH à reconnaître la violation des dispositions conventionnelles (a). Des mesures générales ciblées ont permi d’assurer une bonne réception de cet arrêt (b). a) L’inconventionnalité d’un placement injustifié en centre de dégrisement 350 - Les modalités de fonctionnement des centres de dégrisement548 étaient directement en cause dans l’affaire Witold Litwa, jugée par la CEDH en 2000. Celles-ci permettaient le placement de force des personnes ivres, après contrôle médical, dans une salle close en attendant la stabilisation de leur état. Le requérant, en l’espèce, souffrait de cécité. Le 6 mai 1994, il avait été arrêté par la police à la sortie d’un bureau de poste, en proie à la colère, reprochant aux postiers d’avoir détérioré sa boîte aux lettres. Le croyant ivre, les policiers l’ont alors conduit dans un centre de dégrisement où, après un bref examen médical fondé sur sa seule apparence, les infirmiers ont conclu à un état d’ébriété modéré. Le requérant a maintenu pour sa part qu’il n’était nullement sous l’empire de l’alcool et réclama vainement devant les juridictions polonaises l’indemnisation pour le préjudie subi du fait de sa privation de liberté549. Dans sa requête individuelle transmise à la Com. EDH le 6 août 1994, il fit grief aux autorités polonaises d’avoir violé l’article 5 § 1 de la Conv. EDH, l’une des exceptions énumérées à l’alinéa e)550 ne pouvant selon lui être applicable à la situation dans laquelle il se trouvait au moment des faits. Le gouvernement avança de son côté que la détention était justifiée par 546 Com. Min., Document DH-DD(2015)1363 (plan d’action des autorités dans les affaires Kędzior c. Pologne et K. C. c. Pologne), 16 décembre 2015. 547 Cf. infra, Partie II, Titre II, Chapitre I, Section I. 548 Structures administrées par les pouvoirs publics du district ou, pour les villes de plus de 50 000 habitants, par la municipalité. 549 CEDH, Witold Litwa c. Pologne, n°26629/95, 4 avril 2000, Rec. 2000-III, §§ 6-23. 550 L’article 5 § 1 e) de la Conv. EDH dispose que nul ne peut être privé de sa liberté sauf : « s’il s’agit de la détention régulière […] d’un alcoolique ». 226 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’agressivité du requérant, conformément à la législation polonaise en vigueur, à savoir la loi du 26 octobre 1982 sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme551. 351 - La CEDH a considéré qu’il convenait d’entendre le terme « alcoolique » de l’article 5 § 1 e) de la Conv. EDH au sens large, incluant les individus en état d’ivresse. Mais elle a retenu qu’en l’espèce l’examen pratiqué par l’équipe du centre sur le requérant ainsi que le témoignage rapporté par une connaissance de celui-ci n’avaient révélé ni état d’ébriété ni attitude anormale ou dangereuse justifiant un placement en centre de dégrisement. La Cour en a conclu en conséquence à la violation par la Pologne de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH552. De tels faits, aussi exceptionnels soient-ils, ont incité le législateur à intervenir, en raison de leur gravité. Un amendement à la loi de 1982 et la diffusion de l’arrêt aux autorités concernées permettent de conclure aujourd’hui à la bonne réception de l’arrêt Witold Litwa. b) La réception de l’arrêt Witold Litwa traduite par une modification de la loi de 1982 et la sensibilisation des forces de police 352 - Pour répondre à l’arrêt Witold Litwa, des copies du jugement, traduit en polonais, furent envoyées aux autorités de police (responsables de l’arrestation du requérant en l’espèce) et au personnel des établissements de cette nature gérés par les régions. Le ministre de l’Intérieur y joignit une circulaire. L’arrêt fut enfin sélectionné par le Bureau d’information du Conseil de l’Europe à Varsovie pour une publication dans son Bulletin. Le Comité des ministres s’était contenté, en 2001, de cette approche pédagogique pour déclarer que la Pologne avait rempli ses obligations au titre de l’article 46 de la Conv. EDH553. 353 - Les autorités polonaises ont cependant considéré, malgré la bienveillance du Comité des ministres, que davantages de garanties étaient nécessaires pour les personnes placées en centres de grisement. C’est ainsi que la loi de 1982 a été modifiée pour permettre un contrôle 551 Ustawa z dnia 26 paźdniernika 1982 r. o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi [Loi du 26 octobre 1982 sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme], Dz. U., 1982, n°35, texte 230, pp. 625-630. Elle s’intéresse aux mesures susceptibles d’être prises à l’égard des alcooliques ou des personnes arrêtées en état d’ébriété. Son article 39 § 1, dans sa version applicable au moment des faits, disposait : « Toute personne en état d'ébriété qui se comporte de manière outrageante dans un lieu public ou un lieu de travail, ou qui met en péril sa vie ou sa santé ou celles d'autrui, peut être conduite dans une unité de dégrisement, un établissement de santé publique ou à son domicile ». 552 CEDH, Witold Litwa c. Pologne, préc., §§ 44-80. 553 Com. Min., ResDH(2001)141 (exécution de l’arrêt Witold Litwa c. Pologne), 4 avril 2000, 764e réunion des délégués. 227 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE par le juge du placement en détention dans ces centres554. La loi de 1982 a été modifiée dès le mois d’avril 2001555. L’article 40(1)556 de cette loi dispose désormais que toute personne placée en centre de dégrisement peut contester cette mesure devant la cour de district où est situé l’établissement (point n°6) La mesure de police administrative de placement des individus suspectés d’ivresse en centre de dégrisement peut être examinée dans des délais brefs par la justice, la loi imposant aux employés de ces centres de transmettre rapidement la plainte de l’intéressé, lequel peut participer à l’audience portant sur sa détention (point n°7). En 2003, la CEDH a jugé une affaire dans laquelle les deux requérants alléguaient la violation de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH. Les faits étaient bien différents puisqu’il s’agissait du placement en détention d’étrangers en vue de leur expulsion. C. Le placement en détention d’étrangers en situation irrégulière En 2003, l’affaire Shamsa a conduit la CEDH à condamner la Pologne en raison de sa législation sur les étrangers (1). Un peu de pédagogie et une évolution du cadre légal intervenue avant même l’arrêt de la Cour assurèrent sa bonne exécution (2). 1) Une unique condamnation devant la CEDH 354 - Dans la jurisprudence de la CEDH contre la Pologne, l’arrêt rendu dans l’affaire Shamsa est l’unique exemple de condamnation en raison du placement en détention557 inconven- 554 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: the voluminous and interesting Polish case law », EHRLR, n°5, 2004, p. 526 555 Ustawa z dnia 27 kwietnia 2001 r. o zmianie ustawy o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi, ustawy o radiofonii i telewizji oraz ustawy o opłacie skarbowej [Loi du 27 avril 2001 portant modification de la loi sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme, de la loi sur la radio et la télévision ainsi que de la loi sur le droit de timbre], Dz. U., n°60, texte 610, pp. 4201-4208. 556 Tel qu’il résulte aujourd’hui des modifications apportées par deux autres lois Ustawa z dnia 16 lipca 2009 r. o zmianie ustawy o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi [Loi du 16 juillet 2009 portant modification de la loi sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme], Dz. U., 2009, n°144, texte 1175, p. 11378 ; Ustawa z dnia 4 stycznia 2013 r. o zmianie ustawy o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi [Loi du 4 janvier 2013 portant modification de la loi sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme], Dz. U., 2013, n°0, texte 1563, pp. 1-7. 557 Ne s’agissant pas de locaux administratifs surveillés mais de la zone internationale de transit d’un aéroport, la privation de liberté de l’étranger est considérée comme une détention, non comme une mesure de rétention. La rétention se définit, dans le cadre d’une procédure de reconduite à la frontière, comme étant la « possibilité donnée à l’Administration de placer pendant une durée limitée l’étranger en cause, s’il ne peut être immédiatement expulsé, dans des locaux surveillés, mais qui ne peuvent relever de l’Administration pénitentiaire. » (Voir article « Rétention » in Serge GUINCHARD, Thierry DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques 2013, 20e édition, Paris, Dalloz, 2012, p. 807). La CEDH, dans sa jurisprudence Amuur c. France, est venue préciser explicitement que « le maintien d’étrangers dans la zone internationale comporte une restriction à la liberté, mais qui ne sau- 228 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME tionnel de ressortissants étrangers. La législation mise en cause n’étant pas le CPP de 1969 mais un autre texte datant de l’ère socialiste : la loi sur les étrangers de 1963558. À la suite d’une modification intervenue par la loi du 5 janvier 1995, l’article 16 § 2 de cette loi rendait « possible de placer l’étranger en détention dans le but d’exécuter la décision d’expulsion » et l’article 16 § 5 précisait que l’étranger devait « impérativement être libéré si 90 jours après son arrestation la décision de l’expulser n’a pas été exécutée »559. 355 - Les requérants en l’espèce, deux ressortissants libyens en situation irrégulière, avaient été arrêtés à Varsovie le 27 mai 1997 à l’occasion d’un contrôle d’identité. Le lendemain, ils furent visés par un arrêté d’expulsion rendu par le gouverneur de Varsovie, valide jusqu’au 25 août de la même année560. Le 24 août 1997, une première expulsion a été tentée vers la Libye via une escale à Prague, en l’absence de vol direct. Refusant de poursuivre leur voyage audelà de la capitale tchèque, les requérants furent reconduits à Varsovie. Le 28 août 1997 les autorités tentèrent à nouveau une expulsion via Le Caire qui échoua. Enfin, une troisième tentative d’expulsion via Tunis a été entreprise le 4 septembre, à nouveau sans succès, les requérants étant revenus à Varsovie le 11 septembre. Entre le 25 août 1997 et le 3 octobre 1997 – à l’exception du temps passé à l’extérieur des frontières polonaises à l’occasion des trois expulsions manquées – les requérants ont été retenus dans la zone de transit de l’aéroport international Fryderyk-Chopin de Varsovie. Ils ne purent obtenir des juridictions internes la reconnaissance de l’irrégularité de leur détention dans la zone de transit et saisirent la CEDH de deux requêtes individuelles le 6 janvier 1999, requêtes dans lesquelles ils firent grief à la Pologne de les avoir maintenus sans base légale dans une situation de détention au sens de l’article 5 § 1 f) de la Conv. EDH, et partant d’en avoir violé les stipulations561. 356 - Devant la CEDH, le gouvernement plaida que la zone de transit à la frontière ne pouvait rait être assimilée en tous points à celle subie dans les centres de rétention d’étrangers en attente d’expulsion ou de reconduite à la frontière. Assorti de garanties adéquates pour les personnes qui en font l’objet, un tel maintien n’est acceptable que pour permettre aux États de combattre l’immigration clandestine tout en respectant leurs engagements internationaux, notamment en vertu de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et de la Convention européenne des Droits de l’Homme ; le souci légitime des États de déjouer les tentatives de plus en plus fréquentes de contourner les restrictions à l’immigration ne doit pas priver les demandeurs d’asile de la protection accordée par ces conventions ». Voir CEDH, Amuur c. France, n°19776/92, § 43, 25 juin 1996, Rec. 1996-III. 558 Ustawa z dnia 29 marca 1963 r. o cudzoziemcach [Loi du 29 mars 1963 sur les étrangers], Dz. U., 1963, n°15, texte 77, pp. 169-171. 559 Ustawa z dnia 5 stycznia 1995 r. o zmianie ustawy o cudzoziemcach [Loi du 5 janvier 1995 modifiant la loi sur les étrangers], Dz. U., n°23, texte 120, pp. 409-410. 560 Conformément à la période légale de validité de 90 jours. 561 CEDH, Shamsa c. Pologne, n°45355/99 et n°45357/99, 27 novembre 2003, §§ 1-31. 229 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE être considérée comme un espace dépendant de sa juridiction mais comme un espace extraterritorial. Il considérait avant tout que le maintien des deux requérants dans cette zone en vue de leur expulsion ne constituait pas une « détention » au sens de l’article 5 de la Conv. EDH et que la mesure était fondée sur le règlement interne de l’aéroport. La troisième section de la CEDH, dans l’arrêt qu’elle rendit sur cette affaire le 27 novembre 2003, rappela que le maintien d’individus dans la zone de transit d’un aéroport, en raison des restrictions induites par un tel confinement, pouvait équivaloir à une privation de liberté562. En conséquence de l’expiration de l’arrêté d’expulsion le 25 août 1997, les deux ressortissants libyens auraient dû être remis en liberté. 357 - Selon la CEDH enfin, le règlement interne d’un aéroport ne saurait être regardé comme une base légale suffisante pour fonder la détention contestée. Plus que la décision des autorités administratives et judiciaires polonaises, la Cour a, dans son arrêt, insisté sur l’incompatibilité de la législation polonaise avec la Convention en notant « l’absence de toute disposition précise indiquant si – et dans l’affirmative à quelles conditions – la détention dans la zone réservée aux personnes indésirables sur le territoire polonais, en vue d’exécuter la décision d’expulsion après l’expiration du délai légal fixé par la loi, pouvait avoir lieu »563. La condamnation prononcée en 2003 dans l’affaire Shamsa de 2003 a donné raison au législateur polonais qui venait d’amender les dispositions sur le placement en détention des étrangers en situation irrégulière. 2) La remise en cause de la législation et des pratiques relatives au placement en zone de transit des étrangers 358 - Les mesures consistant en la cessation de procédures toujours en cours et jugées par la CEDH contraires à la Conv. EDH doivent permettre la remise en liberté, autant que faire se peut, des personnes toujours maintenues en détention provisoire. Il s’agit donc d’un aspect important de la réception des arrêts de condamnation fondés sur l’article 5 de la Conv. EDH et c’est pourquoi ce type de mesure est fréquent564. À la suite de l’arrêt Shamsa, les deux re- 562 Voir la solution dégagée dans l’affaire Amuur : « [L]e maintien des requérants dans la zone de transit de l’aéroport de Paris-Orly, en raison des restrictions subies, équivalait en fait à une privation de liberté. L’article 5 par. 1 (art. 5-1) trouve donc à s’appliquer dans le cas d’espèce » (CEDH, Amuur c. France, préc. § 49). 563 CEDH, Shamsa c. Pologne, préc., § 57. 564 La CEDH, par exception au principe selon lequel elle n’indique pas à l’État les mesures à prendre pour remédier à une violation de la Convention, a estimé dans l’arrêt Assadnizé (CEDH, Assadnizé c. Georgie [GC], n°71503/01, 8 avril 2004, Rec. 2004-II, §§ 202-203) que la remise en liberté du requérant était le seul moyen de 230 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME quérants ont été simplement remis en liberté, le gouvernement rappelant d’ailleurs au Comité des ministres qu’aucune mesure individuelle supplémentaire n’était requise565. 359 - En plus de la diffusion, par le biais des présidents de cours d’appel et des procureurs près ces cours, d’une traduction à tous les magistrats des juridictions pénales et aux procureurs, l’arrêt Shamsa a été communiqué à tous les fonctionnaires de la police aux frontières. Les questions posées par cet arrêt ont fait l’objet de séminaires organisés dans le cadre de la formation professionnelle des policiers spécialisés. Enfin, le Bureau d’information du Conseil de l’Europe en Pologne en publia une traduction dans son Bulletin n°3 de 2004566. 360 - Quant à la source légale de la violation – les dispositions de la loi sur les étrangers de 1963 modifiée – elle fut anéantie par une réforme de juin 2003 inspirée des exigences de la Conv. EDH, mais précédant de quelques semaines la condamnation de la Pologne à Strasbourg. Au début des années 1990 déjà, l’amendement de la loi sur les étrangers avait suscité un débat au cours duquel plusieurs parlementaires mirent en garde contre l’inconventionnalité manifeste du projet. La majorité des députés n’en avait cependant pas tenu compte lors des discussions sur l’amendement le 20 septembre 1991. Le Défenseur des droits civiques avait alors saisi le Tribunal constitutionnel du projet de loi. Dans un jugement du 20 octobre 1992567, le Tribunal a déclaré le texte inconstitutionnel, forçant le Parlement à faire machine arrière. Les débats parlementaires aboutirent à l’adoption de la loi du 5 janvier 1995568. 361 - Le Parlement a adopté le 13 juin 2003 une nouvelle loi sur les étrangers, entrée en vigueur le 1er septembre 2003569. Elle est venue abroger l’ancienne législation de 1963 modifiée le 5 janvier 1995 et qui avait contribué par son imprécision aux faits constitutifs d’une violation de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH avec l’affaire Shamsa. L’article 16 § 5 de la loi antérieure – applicable aux faits de cette affaire – prévoyait en effet qu’un étranger visé par une décision d’expulsion devait « impérativement être libéré si 90 jours après son arrestation la décision de l’expulser n’[avait] pas été exécutée ». La Pologne avait dû s’appuyer sur le remédier à la violation, au regard de la nature de cette dernière. 565 Com. Min., ResDH(2008)15 (exécution de l’arrêt Shamsa c. Pologne), 27 mars 2008, 1020e réunion des délégués, annexe. 566 Ibidem. 567 TCP, n°K 1/92, 20 octobre 1992, OTK ZU, 1992, n°2, texte 23. 568 Andrzej DRZEMCZEWSKI, Marek Antoni NOWICKI, « Les effets de la CEDH en Pologne : un bilan quatre ans après », préc., p. 437. 569 Ustawa z dnia 13 czerwca 2003 r. o udzielaniu cudzoziemcom ochrony na terytorium Rzeczypospolitej Polskiej [Loi du 13 juin 2003 sur la protection accordée aux étrangers sur le territoire de la République polonaise], Dz. U., 2003, n°128, texte 1176, pp. 8567-8592. 231 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE simple règlement intérieur de l’aéroport de Varsovie afin de maintenir les deux étrangers concernés en détention provisoire et de pouvoir quand même exécuter l’expulsion malgré le dépassement du délai légal de 90 jours. Le législateur polonais a, dans la loi nouvelle, comblé cette lacune en prévoyant que la détention initiale, qui demeurait de 90 jours, pût être prolongée jusqu’à un an par la voie d’une décision judiciaire susceptible d’appel, conformément aux dispositions du CPP570. De plus, il devenait possible pour un étranger détenu illégalement de demander devant les juridictions polonaises de recevoir une indemnisation en raison du préjudice subi. Le Comité des ministres, satisfait par les mesures adoptées, a décidé de clore l’examen de l’exécution de l’arrêt Shamsa par sa résolution du 27 mars 2008571. Des dispositions législatives adoptées à l’époque socialiste ont été la cause, en 2015, de la dernière violation en date de l’article 5 § 4 par la Pologne à propos de la procédure de placement d’un mineur dans un établissement spécialisé. D. L’impossibilité de contester un placement en établissement pour mineurs Dans l’arrêt Grabowski, la formulation imprécise de la loi du 26 octobre 1982 relative aux procédures applicables aux mineurs a causé une privation de liberté sans base légale (a). La réception de cette jurisprudence devrait conduire à la modification de la loi (b). a) La violation de l’article 5 § 1 causée par la loi de 1982 sur la procédure dans les affaires de mineurs 362 - Les dispositions de la loi du 26 octobre 1982 sur les affaires impliquant des délinquants mineurs572, déjà mise en cause en 2010 dans l’affaire Adamkiewicz évoqué plus haut, ont directement entraîné la dernière condamnation en date de la Pologne au visa de l’article 5 § 1 de la Conv. EDH573. En mai 2012, alors qu’il était âgé de dix-sept ans, Maksymilian Grabowski 570 Ceci est apparu paradoxal à Elisabeth Lambert-Abdelgawad. L’auteur relève que, « selon le droit antérieur, une détention basée sur une décision du procureur, susceptible d’appel devant le juge, ne pouvait être prolongée au-delà de 90 jours à compter de la mise en détention de l’étranger » mais dorénavant « par l’effet de la loi de juin 2003, la détention de 90 jours peut être prolongée d’un délai d’un an ! » (Elisabeth LAMBERTABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (2008) », RTDH, 2009, pp.666-667). 571 Com. Min., ResDH(2008)15 (exécution de l’arrêt Shamsa c. Pologne), préc., annexe. 572 Loi du 26 octobre 1982 sur la procédure dans les affaires concernant les mineurs, préc. 573 CEDH, Grabowski c. Pologne, n°57722/12, 30 juin 2015. En 2012, la Pologne avait déjà été condamnée pour la violation de l’article 5 § 1 de la Convention à cause du placement illégal en foyer pour mineurs d’une jeune fille. Dans cette affaire relative aux difficultés d’accéder à un avortement légal, l’isolement de la requérante n’avait d’autre but que celui de la soustraire à l’influence de sa mère dans l’espoir de la faire renoncer à l’idée 232 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME avait été arrêté, soupçonné de trois vols à main armée. Il fut placé en garde à vue dans un poste de police pour enfants. La justice ordonna le 7 mai 2012 son placement dans un foyer pour mineurs pour une période de trois mois, conformément à l’article 27 § 1 de la loi de 1982. Le 9 août 2012, l’avocat du requérant demanda sa remise en liberté, l’ordre de placement en foyer ayant expiré deux jours auparavant sans avoir été formellement prorogé. La cour de district de Cracovie-Krowodrze rejeta le recours. Par un jugement du 9 janvier 2013, le requérant fut condamné à être placé dans un centre de redressement mais une période de probation de deux ans lui fut concédée. Par conséquent, il recouvra sa liberté. 363 - Dans cette affaire, la CEDH a estimé qu’en maintenant le requérant en foyer cinq mois et deux jours après l’expiration de l’ordre de détention, la Pologne avait violé l’article 5 § 1 de la Convention. Par ailleurs, le requérant s’était plaint de ne pas avoir pu engager de recours pour contester la légalité de sa privation de liberté après le 7 août 2012. En l’absence de voie de recours adéquate, l’article 5 § 4 de la Convention avait aussi été violé. Le Comité des ministres n’a pas encore débuté son examen de l’exécution de l’arrêt Grabowski. Au regard des circonstances, une modification de la loi semble s’imposer. b) L’évolution souhaitable du droit interne sur les procédures pour mineurs 364 - La CEDH a invoqué dans son arrêt l’article 46 de la Conv. EDH en raison du risque de violations répétées de l’article 5 § 1 pour les mêmes motifs574, d’autant plus que la réforme législative adoptée en 2013575 n’est pas de nature à régler le problème rencontré dans l’affaire Grabowski. Les dispositions de l’article 27 de la loi du 26 octobre 1982 suscitent des interprétations contradictoires parmi les juridictions aux affaires familiales, potentiellement non compatibles avec les standards de la Convention. Le Défenseur des droits civiques s’en est ému, deux ans avant la condamnation de la Pologne devant la CEDH, dans une lettre du 24 juin 2013 adressée au ministre de la Justice. L’ombudsman avançait la nécessité de modifier cet d’une interruption de grossesse (CEDH, P. et S. c. Pologne, n°57375/08, 30 octobre 2012). Cf. infra, Partie II, Titre II, Chapitre II, Section II. 574 CEDH, Grabowski c. Pologne, préc., §§ 65-67. En l’espèce, la Cour n’avait pas enregistré de nouvelles requêtes similaires mais s’inquiétait du nombre de mineurs touchés par l’application litigieuse de la loi de 1982 : ils étaient 340 en 2012, selon les statistiques du ministère de la Justice. L’invocation de l’article 46 pour les affaires révélant un dysfonctionnement systémique est une variante plus douce de la procédure de l’arrêt pilote mais de plus en plus utilisée par la CEDH (Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (2012) », RTDH, n°95/2013, pp. 644-648). 575 Ustawa z dnia 30 sierpnia 2013 r. o zmianie ustawy o postępowaniu w sprawach nieletnich oraz niektórych innych ustaw [Loi du 30 août 2013 modifiant la loi sur la procédure dans les affaires concernant les mineurs], Dz. U., 2013, texte 1165, pp. 1-10. Entré en vigueur le 2 janvier 2014, cet amendement uniformise les procédures dirigées contre les mineurs et dont les juridictions aux affaires familiales sont compétentes. 233 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE article 27. Le ministre a admis dans sa réponse que la loi devait être précisée pour éviter que ne soient prolongé sans un contrôle juridictionnel systématique le placement des mineurs en foyer au-delà de la période initiale de trois mois576. L’exécution de cet arrêt devrait donc conduire à la modification de la loi du 26 octobre 1982. Le Comité des ministres n’a pas encore débuté concrètement son monitoring ni le gouvernement fourni d’informations sur sa réception en droit interne. L’article 27 de la loi du 26 octobre 1982 n’a pas été amendé à ce jour. Lorsqu’une détention a été menée en méconnaissance de la Conv. EDH, les justiciables possèdent le droit d’être indemnisés. Dans quelques affaires, la Pologne n’a pas respecté ses obligations conventionnelles en la matière. § 2. LE DROIT D’OBTENIR UNE INDEMNISATION POUR UNE DÉTENTION NONCONFORME À LA CONVENTION L’impossibilité pour des justiciables d’obtenir une indemnisation devant les tribunaux internes alors même que leur détention n’avait pas été conduite conformément à l’article 5 de la Conv. EDH s’est traduite par cinq condamnations de la CEDH de 2006 à 2014 (1). Depuis les faits incriminés jusqu’aux jugements rendus par la Cour, la procédure civile avait suffisamment évolué pour que le droit polonais devînt conforme à la Convention (2). 1) Des violations résultant des lacunes provisoires de la législation 365 - Le requérant de l’affaire A. S., accusé de trafic de drogue avait été arrêté et placé en détention provisoire à deux reprises. En 1997 et en 2006 il fut maintenu privé de sa liberté quelques jours après que l’ordre de détention a expiré577. À l’époque où survint la première période de détention illégalement prolongée, le CPP de 1969 était encore en vigueur et ses articles 488 et 489 prévoyaient une procédure permettant d’obtenir réparation pour une détention manifestement injustifiée578. Ces éléments n’ont pas dissuadé la CEDH de conclure à la 576 CEDH, Grabowski c. Pologne, préc., §§ 28-31. L’article 27 § 3 est ainsi formulé : « La période du séjour en foyer pour mineurs avant qu’une audience ne soit rendue dans l’affaire ne peut excéder trois mois. La durée du séjour doit être spécifiée dans une décision relative au placement du mineur en foyers pour mineurs ». La loi manque de clarté : si, en effet, une première audience est donnée avant un délai de trois mois, rien n’indique explicitement que le placement en foyer ne peut être prolongé. La seule limite absolue est fixée à un an, entre la date du placement et jusqu’au jugement de l’affaire en première instance (art. 26 § 6). 577 CEDH, A. S. c. Pologne, préc., §§ 8-47. 578 Ibidem, §§ 48-63. 234 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME violation de l’article 5 § 5 puisque la procédure prévue par ledit Code n’aboutissait à une compensation que lorsque la détention n’était pas légale et ne pouvait ainsi jouer dans l’hypothèse où une détention respectait le droit interne comme en l’espèce579. La Cour faisait ainsi une application a contrario de sa jurisprudence O’Hara c. Royaume-Uni580. Le requérant de l’affairre A. S. avait subi une détention illégale au sens de la Conv. EDH sans obtenir réparation puisque cette détention était conforme au droit interne. 366 - Une fois adopté le nouveau CPP, la Pologne a été condamnée sporadiquement pour la violation de l’article 5 § 5 dans les affaires Bruczyński (2008), Włoch (n°2) (2011), Baran (2013) et Tomaszewscy (2014)581. Dans l’affaire Bruczyński, la CEDH a considéré que les deux instruments légaux à disposition du requérant pour obtenir réparation de la durée excessive de sa détention étaient, dans son cas, inefficaces. L’article 552 § 4 du CPP de 1997 n’ouvre en effet le droit à réparation que lorsque la procédure est achevée. En l’espèce, elle était encore pendante devant la Cour suprême lorsque la CEDH rendit son arrêt. En outre, la possibilité ouverte depuis le 1er septembre 2004582 de poursuivre le Trésor public en dommage-intérêt (article 417(1) nouveau du CC583) ne pouvait concerner le requérant, dont la détention s’était achevée avant cette date584. 367 - Le requérant de l’affaire Włoch (n°2) avait, lui, subi une détention injustifiée dans une affaire qui s’acheva par un non-lieu. La compensation de son préjudice avait consisté à réduire une amende écoppée dans une autre procédure. Cette possibilité de conversion était offerte par l’article 63 § 1 du CP de 1997585. Le requérant ne put par la suite obtenir une réparation pécuniaire de sa détention illégale puisqu’il avait bénéficié de la mesure de conversion de 579 Ibid., §§ 85-88. 580 « La Cour n’ayant constaté aucune violation de l’article 5 § 1 (concernant l’existence de soupçons plausibles propres à justifier l’arrestation du requérant), aucune question ne se pose sur le terrain de l’article 5 § 5 en rapport avec ce grief » (CEDH, O’Hara c. Royaume-Uni, n°37555/97, 16 octobre 2001, Rec. 2001-X, § 50). 581 L’affaire Tomaszewscy est similaire à l’affaire A. S. La privation de liberté des requérants n’avait pas été considérée par les autorités comme illégale et, dès lors, les chances d’obtenir une indemnisation étaient inexistantes (CEDH, Tomaszewscy c. Pologne, préc.). 582 Ustawa z dnia 17 czerwca 2004 r. o zmianie ustawy - Kodeks cywilny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 17 juin 2004 portant modification du Code civil ainsi que de certaines autres lois], Dz. U., 2004, n°162, texte 1692, pp. 11409-11410. 583 La graphie exacte du numéro de l’article dans sa publication au Journal des Lois est « 4171 ». Pour éviter toute confusion avec les renvois en note de bas de page, il apparaîtra dans cette étude sous la forme « 417(1) ». Il en sera de même ultérieurement pour d’autres dispositions du droit polonais numérotées sous ce format. 584 CEDH, Bruczyński c. Pologne, n°19206/03, 4 novembre 2008. 585 Lequel dispose : « Une période de privation effective de liberté dans affaire donnée, arrondie à un nombre entier de jours, peut être créditée sur une peine prononcée, avec un jour de détention correspondant à un jour de peine d’emprisonnement, ou deux jours de restriction de liberté, ou l’équivalent de deux jours d’amende ». 235 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE peine. Or, d’autres justiciables placés dans la même situation avait obtenu une indemnisation complémentaire. La CEDH a jugé qu’en convertissant l’intégralité de la détention illégale en amende pour un autre litige, les juridictions internes n’avaient pas recherché si cette compensation était juste et couvrait bien les préjudices pécuniaires et non pécuniaires causés au requérant, en violation de l’article 5 § 5 de la Convention586. 368 - Enfin, dans l’affaire Baran déjà évoquée, la requérante avait pu faire valoir sa demande d’indemnisation devant la justice pour l’illégalité de sa détention mais n’avait pas obtenu gain de cause, alors même que les autorités judiciaires avaient qualifié la détention litigieuse d’illégale587. Cela entraîna encore une fois la condamnation de la Pologne par la CEDH. En 2004, la modification des conditions de demande de dommages-intérêts au Trésor public permit de mettre fin au vide juridique relevé par la CEDH dans les arrêts évoqués. 2) L’indemnisation des détentions illégales désormais garantie par le droit interne 369 - Parmi les cinq affaires dans lesquelles la CEDH a retenu la violation de l’article 5 § 5, quatre ont déjà été pleinement exécutées. Seule est en cours d’examen devant le Comité des ministres l’affaire Tomaszewscy588. L’affaire A. S., la seule qui mettait en cause l’ancien CPP, abrogée en 1998, a été surveillée par le Comité avec d’autres affaires jusqu’à l’adoption d’une résolution définitive en 2011589. Le 30 mars 2016, le Comité a déclaré exécuté l’arrêt Włoch (n°2). Dans le bilan d’action annexée à cette résolution, le gouvernement a informé que la procédure interne concernant l’indemnisation du requérant du fait de sa détention illégale avait été rouverte. Par deux arrêts rendus en juin 2012 et septembre 2014, la cour régionale de Katowice a octroyé au requérant 50 000 PLN pour le préjudice moral et 78 308,35 PLN pour le préjudice matériel590. 370 - Dans sa résolution portant sur l’affaire Baran, le Comité des ministres a accepté l’explication du gouvernement, qui avait considéré la violation dans cette affaire comme iso586 CEDH, Włoch c. Pologne (n°2), n°33475/08, 10 mai 2011. 587 CEDH, Baran c. Pologne, préc. 588 Le Comité lui applique la procédure standard, selon les informations disponibles en ligne sur le site Internet de l’institution. Dans le bilan d’action qu’il a soumis en avril 2015 pour exécuter l’affaire Tomaszewscy, le gouvernement polonais estime qu’aucune modification de l’article 552 du CPP n’est nécessaire puisque celui-ci permet bien l’indemnisation des détentions provisoires illégales (Com. Min., Document DH-DD(2015)495 (bilan d’action des autorités dans l’affaire Tomaszewscy c. Pologne), 7 mai 2015). 589 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)141 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), préc. 590 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2016)48 (exécution de l’arrêt Włoch c. Pologne (n°2)), 30 mars 2016, 1252e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 236 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME lée, puisqu’elle résultait d’une décision erronée du juge civil. Dès lors, la dissémination de l’arrêt traduit en polonais aux juges des cours civiles et familiales et sa publication sur le site Internet du ministère de la Justice, constituait la seule mesure générale utile et pertinente591. 371 - Plus intéressante a été la position du Comité dans le suivi de l’affaire Bruczyński. Après avoir constaté que le requérant avait obtenu dans les délais la satisfaction équitable fixée par la Cour592, le Comité a estimé convaincant le recours en dommages-intérêts contre le Trésor public, introduit par la loi du 17 juin 2004 (article 417(1) § 3 du CC modifié, applicable aux demandes de réparation des détentions provisoires593). Celui-là même auquel le requérant n’avait pu accéder, puisque sa procédure s’était achevée avant la date d’entrée en vigueur de la loi, bénéficie désormais à tous les justiciables placés dans la même situation que lui594. C’est dire que le passage du temps a permi de lever l’inconventionnalité temporaire du droit polonais. C’est remarquer aussi que le législateur avait renforcé, avec cette voie de recours, le droit des personnes dont la privation de liberté constituait un préjudice avant que la CEDH ne condamne la Pologne pour la violation de l’article 5 § 5. En complément des exigences procédurales que suppose une détention conforme à l’article 5 de la Conv. EDH, il était indispensable que la Pologne prît en considération les nombreux griefs de la CEDH contre le régime de la détention et son impact sur la vie privée et familiale du détenu. Cette autre catégorie de droits reconnus aux détenus a enregistré elleaussi une évolution sensible dans la législation post-socialiste. § 3. LE DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE EN DÉTENTION 372 - L’article 8 de la Conv. EDH est construit de façon binaire, tout comme les articles 9, 10 et 11. Il comprend un premier paragraphe consacrant la liberté et un second permettant à 591 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)2015 (exécution de l’arrêt Baran c. Pologne), préc. 592 L’arrêt a été, bien sûr, traduit et publié sur le site Internet du ministère de la Justice, transmis à toutes les juridictions du pays et même intégré aux séminaires de formation des élèves de l’École nationale des juges et des procureurs. 593 Lequel dispose « Si un dommage a été provoqué par la carence d’un arrêt ou d’une décision qui devait être pris en vertu de la loi, sa réparation peut être recherchée, une fois établi par la procédure adéquate que la carence de l’arrêt ou de la décision était contraire à la loi, excepté si une règle spécifique en dispose autrement ». Voir Ustawa z dnia 17 czerwca 2004 r. o zmianie ustawy - Kodeks cywilny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 17 juin 2004 portant modification du Code civil ainsi que de certaines autres lois], Dz. U., n°162, texte 1692, pp. 11409-11410. 594 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2012)43 (exécution de l’arrêt Bruczyński c. Pologne), 8 mars 2012, 1136e réunion des délégués, et son annexe (bilan d’action en date du 4 octobre 2011). 237 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE l’État d’y déroger en certaines circonstances. Il protège un ensemble de droits à propos desquels les différences culturelles, morales ou religieuses sont les plus exacerbées595. L’administration des États est particulièrement surveillée par la CEDH sur la protection de ces droits-là, puisqu’il existe une marge d’appréciation596. La politique répressive de l’État définit le cadre de l’application des mesures et des peines de privation de liberté et peut attenter directement aux autres droits individuels du détenu. Aussi Hanspeter Mock a-t-il souligné tant l’extension importante de l’article 8, notamment au bénéfice des personnes détenues (contacts avec l’extérieur, correspondance), que les obligations positives qui pèsent aujourd’hui sur les Hautes parties contractantes en vue de respecter les exigences attachées à cet article597. Mock remarquait pourtant que la CEDH n’avait réellement développé sa jurisprudence autour de l’article 8 que tardivement, à partir des années 1980598. La nature répressive du CPP de 1969 était apparue dans bien des cas incompatibles avec l’article 8 de la Conv. EDH. Les réformes du droit pénal mises en œuvre en 1997 n’ont été qu’une étape du long cheminement permettant d’éliminer en totalité les violations répétées de l’article 8. Entre 1997 et 2016, trois grandes problématiques ont occupé les autorités polonaises : le droit pour les détenus de recevoir des visites (A) ou d’assister aux funérailles d’un proche (B) et le droit de correspondre librement (C). A. Les restrictions imposées au droit de visite des détenus 373 - La détention entraîne pour l’individu une modification profonde des habitudes de vie privée, traduite par la rupture du contact permanent et libre avec ses proches. En raison de la restriction importante des droits et libertés qu’elle occasionne, la détention est dès lors une mesure qui doit être justifiée et exceptionnelle. Pour autant, les mesures alternatives à la détention ne sont pas sans menace sur les standards européens du droit au respect de la vie pri- 595 Cf. infra, Partie II, Titre II, Chapitre II. 596 Stéphane BRACONNIER, « L’administration et la Conv. EDH », in Philippe CHAUVIN, Mirosław WYRZY(dir.), Contrôle de l’administration en France et en Pologne (actes du colloque des 4 et 5 mai 1998), Varsovie, Biblioteka Studia Iuridica, 1999, p. 176-177. KOWSKI 597 Hanspeter MOCK, « Le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance (article 8 CEDH) à l’aube du XXIe siècle », RUDH, vol. 10, n°7-10, 1998, p. 238 et pp. 240-243. Sur la conciliation des droits de l’individu au respect de sa vie privée et familiale dans le cadre de la privation de liberté, lire également Martine HERZOG-EVANS, « Droit civil commun, droit européen et incarcération », in Frédéric SUDRE (dir.), Le Droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, coll. « Droit et Justice », Bruxelles, Bruylant/Nemesis, 2002, pp. 241-285. 598 Hanspeter MOCK, « Le droit au respect de la vie privée et familiale… », préc., p. 237. 238 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME vée et familiale. La Pologne en a d’ailleurs fait l’expérience dans quelques affaires isolées599. S’il serait excessif de parler d’un problème fréquent dans la jurisprudence de la CEDH concernant la Pologne, des restrictions injustifiées du droit du détenu à recevoir des visites ont été sanctionnées assez régulièrement de 2002 à 2013 (1). Un meilleur encadrement légal du droit de visite a permis de changer progressivement les pratiques (2). 1) La limitation injustifiée du droit de visite du détenu 374 - Le droit au respect de la vie privée et familiale compte parmi les droits essentiels du détenu, comme le souligne entre autres l’arrêt Messina de la CEDH600. Cela emporte pour conséquence de placer sur les épaules des autorités nationales une obligation de préserver les contacts entre un détenu et ses proches, sous réserve néanmoins de restrictions dûment motivées et prévues par le droit interne. 375 - Les violations de l’article 8 de la Conv. EDH motivées par les restrictions excessives du droit de visite des détenus en Pologne sont apparues en 2002 avec l’affaire Nowicka, précédemment évoqué. En l’espèce, une expertise médicale avait été ordonnée au cours de l’instruction d’une affaire dont la requérante, Mme. Nowicka, était partie. Toutefois, Celle-ci 599 La Pologne a en effet été condamnée par la CEDH pour la violation de l’article 8 à propos d’une mesure de surveillance policière imposée au requérant avec obligation de présentation hebdomadaire au commissariat (CEDH, Zmarzlak c. Pologne, n°37522/02, 15 janvier 2008). Elle a également été condamnée deux fois pour la violation de l’article 2 § 2 du Protocole n°4 (liberté de circulation) à propos de mesures d’interdiction de quitter le territoire trop contraignantes à l’égard de requérants de nationalité étrangère (CEDH, A. E. c. Pologne, n°14480/04, 31 mars 2009 ; CEDH, Miażdżyk c. Pologne, n°23592/07, 24 janvier 2012). Le Comité des ministres a clos la surveillance de l’exécution de l’arrêt Zmarzlak en 2011 avec six autres affaires portant sur d’autres problématiques (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)141 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), préc.) Les deux autres affaires mentionnées dans cette note sont toujours en cours de suivi par le Comité, sous le régime de la procédure standard. Le gouvernement a fait savoir qu’il avait assuré la traduction et la diffusion de l’arrêt Miażdżyk et qu’aucune autre mesure générale n’était nécessaire. Concernant la situation du requérant, celui-ci était toujours sous surveillance policière en 2013 mais les restrictions jugées nonconformes à l’article 2 du Protocle n°4 par la CEDH avaient été levées (Com. Min., Document DHDD(2013)550 (plan d’action des autorités pour l’affaire Miażdżyk c. Pologne), 21 mai 2013). Toutefois, la Fondation d’Helsinki a voulu attirer l’attention du Comité des ministres sur l’application problématique de l’interdiction de quitter le territoire par les autorités. L’ONG a porté à sa connaissance plusieurs cas illustrant les dérives concrètes de ce type de mesure et pointe dès lors l’insuffisance du plan d’action proposé par le gouvernement (Com. Min., Document DH-DD(2013)1211 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) et réponse des autorités dans l’affaire Miażdżyk c. Pologne), 12 novembre 2013). Entre 2008 et 2013, le nombre de décisions d’interdiction de quitter le territoire a diminué, passant de 3 339 à 2 555 (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)268 (exécution des arrêts dans 173 affaires contre la Pologne), 4 décembre 2014, 1214e réunion des délégués, annexe (bilan d’action)). 600 « La Cour rappelle que toute détention régulière au regard de l'article 5 de la Convention entraîne par nature une restriction à la vie privée et familiale de l'intéressé. Il est cependant essentiel au respect de la vie familiale que l'administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche », CEDH, Messina c. Italie (n°2), n°25498/94, 28 septembre 2000, Rec. 2000-X, § 61. 239 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE ne se présenta pas le jour de l’expertise, ni même lors du rendez-vous suivant. La cour de district prononça un mandat d’arrêt, accompagné d’un ordre de placement en détention contre elle afin de parvenir à établir le rapport médical. Le juge de la cour de district de Łódź avait informé le 4 avril 1995 la fille de la requérante qu’une seule autorisation de visite par mois pouvait être accordée, sauf cas exceptionnel. Devant la CEDH, la requérante soutenait que cette restriction était contraire à l’article 8 de la Conv. EDH tandis que le gouvernement la justifiait en rappelant sa conformité avec la législation alors en vigueur, l’article 65 du CPP de 1969 et le § 39(1) d’un règlement du ministre de la Justice de 1989601. Il considérait la mesure prescrite proportionnée à l’objectif fixé : celui de permettre l’exécution d’une décision de justice jusque-là entravée par l’intéressée elle-même. La CEDH a considéré au contraire que la limitation à une seule visite par mois imposée à la famille de Mme. Nowicka n’était ni proportionnée ni même pourvue d’un but légitime. Par conséquent, il y avait lieu de retenir la violation de l’article 8 de la Conv. EDH602. 376 - Par la suite, la Pologne a été condamnée pour la violation de l’article 8 à quinze reprises603, malgré l’entrée en vigueur du nouveau CPP le 1er septembre 1998. L’arrêt Kurkowski de 2013 représente la dernière condamnation en date. En l’espèce, la Pologne a même été doublement condamnée au titre de l’article 8 de la Conv. EDH puisque, au-delà de la restriction excessive du nombre de visites autorisées aux proches du requérant, les autorités pénitentiaires avaient imposé des conditions d’entrevue incompatibles avec le droit du requérant à la jouissance de sa vie familiale : il ne pouvait communiquer au parloir avec ses visiteurs qu’à travers une vitre équipée d’un interphone. Plusieurs années furent nécessaires aux autorités polonaises pour instaurer une pratique du droit de visite en prison conforme à l’article 8 de la Conv. EDH. L’intervention du 601 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 2 maja 1989 r. w sprawie regulaminu wykonywania tymczasowego aresztowania [Règlement du ministre de la Justice du 2 mai 1989 portant règlementation de la détention provisoire], Dz. U., n°31, texte 167, pp. 519-524. Cet acte fut abrogé le 1er septembre 1998, à l’entrée en vigueur du nouveau CPP. 602 CEDH, Nowicka c. Pologne, préc., §§ 69-77. 603 Pour des faits survenus sous l’empire du CPP de 1969 : CEDH, Klamecki c. Pologne (n°2), préc. ; CEDH, Bagiński c. Pologne, n°31444/97, 11 octobre 2005. Pour des faits survenus sous l’empire du CPP de 1997 : CEDH, Ferla c. Pologne, n°55470/00, 20 mai 2008 ; CEDH, Eryk Kozłowski c. Pologne, n°12269/02, 4 novembre 2008 ; CEDH, Wegera c. Pologne, n°141/07, 19 janvier 2010 ; CEDH, Gradek c. Pologne, n°39631/06, 8 juin 2010 ; CEDH, Mazgaj c. Pologne, n°41656/02, 21 septembre 2010 ; CEDH, Nurzyński c. Pologne, n°46859/06, 21 décembre 2010 ; CEDH, Knyter c. Pologne, n°31820/06, 1er février 2011 ; CEDH, Bogusław Krawczak c. Pologne, n°24205/06, 31 mai 2011 ; CEDH, Dochnal c. Pologne, n°31622/07, 18 septembre 2012 ; CEDH, Horych c. Pologne, n°13621/08, 17 avril 2012 ; CEDH, Piechowicz c. Pologne, n°20071/07, 17 avril 2012 ; CEDH, Popenda c. Pologne, n°39502/08, 9 octobre 2012 ; CEDH, Kurkowski c. Pologne, n°36228/06, 9 avril 2013. 240 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME législateur et du Tribunal constitutionnel a été décisive en la matière. 2) Un nouvel encadrement du droit de visite en prison L’exécution de la jurisprudence de la CEDH s’est déroulée en trois phases : la diffusion aux administrations des arrêts (a), l’entrée en vigueur du Code d’exécution des peines (CEP) de 1997 (b) et l’amendement de l’article qui régit le droit de visite des détenus (c). a) Le rappel des standards européens par la diffusion des arrêts 377 - Au milieu des années 2000, à l’occasion du contrôle par le Comité des ministres de l’exécution de l’arrêt Nowicka, le gouvernement a fait mention de la diffusion du texte de cet arrêt, avec l’appui des présidents des cours d’appel, chargés de le transmettre à toutes les cours régionales et de district se trouvant dans leur ressort administratif. L’arrêt transmis était accompagné de recommandations des présidents des cours d’appel et des cours régionales adressées aux juges compétents afin d’insister sur « la nécessité d’une évaluation soigneuse de la proportionnalité des restrictions des visites familiales pendant la détention » des personnes devant se soumettre à des examens psychiatriques604. Par la suite, les arrêts Klamecki (n°2), Ferla, Eryk Kozłowski, Mazgaj, Knyter et Bogusław Krawczak ont été eux aussi traduits et publiés sur le site Internet du ministère de la Justice. Le droit de visite des détenus est traité dans un guide synthétique des standards européens mis en ligne sur le même site et intégré aux séminaires organisés à l’École nationale des juges et des procureurs605. 378 - Malgré ces mesures de sensibilisation, la Pologne a été condamnée à nouveau pour des limitations inconventionnelles du droit de visite des détenus. L’arrêt Ferla rendu le 20 mai 2008 a mis en évidence les réticences des autorités judiciaires polonaises à trouver pour le détenu-requérant un moyen alternatif qui lui eût permis de garder le contact avec sa femme tout en évitant les risques d’entrave à la procédure craints en l’espèce par la justice606. À la fin des années 2000, le droit de visite des détenus restait potentiellement sujet à des restrictions inconventionnelles. La rédaction même des dispositions législatives l’encadrant était en cause. 604 Com. Min., ResDH(2006)46 (exécution de l’arrêt Nowicka c. Pologne), préc., annexes. 605 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)228 (exécution des arrêts dans 58 affaires contre la Pologne), 20 novembre 2013, 1185e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 606 CEDH, Ferla c. Pologne, préc., §§ 34-49. 241 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE b) Les ambiguïté des dispositions relatives au droit de visite à l’article 217 du Code d’exécution des peines 379 - Après l’abrogation du CPP de 1969, le régime des visites en prison a été fixé par l’article 217 § 1 du CEP de 1997607. L’ambiguïté et l’imprécision de cet article avaient été soulignées par la CEDH, avec pour conséquence de laisser entre les mains des autorités pénitentiaires une marge d’appréciation trop ample et d’ouvrir de sérieuses brèches dans le droit au respect de la vie privée et familiale des détenus. Le gouvernement avait bien espéré qu’une meilleure connaissance par les autorités judiciaires des exigences de la CEDH suffirait à éviter les violations de la Convention. La réaction au niveau interne s’est finalement produite sous l’influence du Tribunal constitutionnel qui, dans un jugement rendu le 2 juillet 2009, a déclaré inconstitutionnel l’article incriminé. Le Tribunal fit référence, dans ses motivations, aux standards européens rappelés à la Pologne dans les arrêts Klamecki (n°2), Ferla et Eryk Kozłowki608. 380 - Le Tribunal avait été saisi par le Défenseur des droits civiques qui estimait le texte incompatible avec les articles 47 (protection de la vie privée et familiale) et 31 § 3 de la Constitution (principe de proportionnalité)609. Il invoquait également l’article 8 de la Conv. EDH et l’article 37 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant. Pour le Tribunal constitutionnel, l’absence d’obligation de justifier les raisons ayant conduit au refus d’accorder un droit de visite à des membres de la famille d’une personne en détention provisoire était contraire aux différentes dispositions et stipulations invoquées par le Défenseur des droits civiques. Était également contraire à la Constitution l’impossibilité de former un recours contre la décision du procureur refusant au détenu une visite familiale610. Conformément au jugement du Tribunal constitutionnel, l’article 217 a été modifié par le Parlement dès novembre 2009. 607 Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. - Kodeks karny wykonawczy [Loi du 6 juin 1997 – Code d’exécution des peines], Dz. U., 1997, n°90, texte 557, pp. 2797-2828. L’article 217 § 1 du CEP disposait initialement : « Un détenu peut recevoir de la visite après accord de l’autorité dont il dépend […] ». 608 TCP, n°K 1/07, 2 juillet 2009, OTK ZU, 2009, n°7A, texte 104. 609 L’article 31 al. 3 de la Constitution dispose : « L’exercice des libertés et des droits constitutionnels ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi lorsqu’elles sont nécessaires, dans un État démocratique, à la sécurité ou à l’ordre public, à la protection de l’environnement, de la santé ou de la moralité publique ou des libertés et des droits d’autrui. Ces restrictions ne peuvent porter atteinte à l’essence des libertés et des droits ». L’article 47 du même texte dispose : « Chacun a droit à la protection juridique de la vie privée et familiale, de sa dignité et de sa réputation, et de décider de sa vie personnelle ». 610 CEDH, Nurzyński c. Pologne, n°46859/06, 21 décembre 2010, §§ 18-19. 242 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME c) L’amendement en 2009 de l’article 217 du Code d’exécution des peines 381 - Déclaré inconstitutionnel, l’article 217 du CEP a fait l’objet d’un amendement adopté par le Parlement le 5 novembre 2009. Six paragraphes furent ajoutés au premier alinéa. Ceuxci disposent, d’une part, que les détenus sont autorisés à recevoir au moins une visite par mois de la part d’un membre de leur famille et d’autre part que les raisons justifiant le refus d’une visite doivent être mentionnées clairement. Enfin, une procédure d’appel contre une décision de refus est instaurée. Elle est ouverte au détenu et à la personne qui envisage de lui rendre visite611. L’amendement est entré en vigueur le 8 juin 2010. Enfin, un amendement voté en 2011 devrait faire pièce à la répétition de l’une des violations de l’article 8 de la Conv. EDH observées dans l’arrêt Kurkowski de 2013 (l’absence de contact direct entre le requérant et son visiteur). L’article 217 § 3 modifié dispose aujourd’hui : « L’autorité en charge de la détention provisoire peut autoriser une visite de manière à assurer un contact direct entre le détenu et son visiteur »612. 382 - Cette évolution du droit inerne a été déterminante : aucune détention survenue après l’entrée en vigueur de l’amendement du 5 novembre 2009 n’a conduit à une violation de l’article 8 par la Pologne pour le non-respect du droit de visite. Un tel grief n’a plus été examiné sur le fond devant la Cour de Strasbourg depuis 2013. Un deuxième groupe d’affaires, bien plus réduit, a trait au refus injustifié des autorités judiciaires d’accorder à un détenu le droit de se rendre aux funérailles d’un parent. B. Le refus d’accorder au détenu une autorisation pour assister aux obsèques d’un proche Le refus d’accorder au détenu une libération conditionnelle pour assister à l’enterrement d’un membre de sa famille fait l’objet d’un contrôle de proportionnalité de la Cour au regard des exigences légitimes de sécurité. La Pologne n’a pas toujours bien justifié le rejet d’une demande de remise en liberté temporaire (1). Bien que la législation n’eût pas été jugée inconventionnelle par la CEDH, le Parlement a complété les dispositions du CEP en 611 Ustawa z dnia 5 listopada 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny, ustawy - Kodeks postępowania karnego, ustawy - Kodeks karny wykonawczy, ustawy - Kodeks karny skarbowy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 5 novembre 2009 modifiant le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code d’exécution des peines, le Code pénal fiscal ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2009, n°206, texte 1589, pp. 16141-16157. 612 Ustawa z dnia 16 września 2011 r. o zmianie ustawy — Kodeks karny wykonawczy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 16 septembre 2011 modifiant le Code d’exécution des peines ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2012, n°240, texte 1431, pp. 13937-13955. 243 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 2011 (2). 1) La Pologne trois fois condamnée pour le refus opposé à des détenus de se rendre à des obsèques 383 - Le requérant de l’affaire Płoski, la première à révéler ce problème en Pologne, avait été placé en détention provisoire en février 1994 dans le cadre d’une affaire de vol. À l’annonce du décès de sa mère en juillet 1994, le requérant a demandé aux autorités judiciaires une autorisation de sortie afin d’assister aux funérailles. La cour de district de Wrocław-Śródmieście fonda son refus sur l’article 59 du CEP de 1969613. Les juges expliquèrent qu’il n’était pas garanti que le requérant, délinquant récidiviste, revînt ensuite en prison. Le 3 août 1994, le père du requérant décéda à son tour. Une fois encore, les autorités compétentes refusèrent d’octroyer à l’orphelin une permission de sortie. Au regard de l’ensemble des circonstances, la CEDH a considéré que le double refus opposé au requérant en détention d’assister aux obsèques de ses parents, alors même qu’aucune solution alternative n’avait été envisagée (par exemple, la sortie sous escorte), constituait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale garantie par l’article 8 de la Conv. EDH614. 384 - Il faut attendre 2009 pour recenser une nouvelle condamnation de la Pologne pour des motifs similaires. Dans l’affaire Czarnowski, dont les faits se sont déroulés en juillet 2003, les autorités avaient refusé au requérant l’autorisation d’assister à l’enterrement de son père, en application de l’article 141 du CEP de 1997615. La décision lui ayant été communiquée le jour-même de la cérémonie, il ne put interjeter appel. Pour la CEDH, le requérant ne présentait pas le profil d’un individu dangereux et les autorités, en ne cherchant pas de mesure alternative, avaient méconnu les dispositions de l’article 8 de la Conv. EDH616. 385 - Enfin, dans l’affaire Giszczak de 2011, la CEDH a même retenu une double-violation de cet article en raison du refus d’autoriser le requérant à se rendre au chevet de sa sœur, griève- 613 L’article 59 de ce Code disposait que, pour des « raisons compassionnelles », un détenu pouvait bénéficier d’une permission de sortie (accordée par le « juge pénitentiaire ») ne dépassant pas cinq jours, si besoin sous escorte (Ustawa z dnia 19 kwietnia 1969 r. Kodeks karny wykonawczy [Loi du 19 avril 1969 – Code d’exécution des peines], Dz. U., n°13, texte 98, pp. 187-203. Loi abrogée en 1997 par l’entrée en vigueur du nouveau Code). 614 CEDH, Płoski c. Pologne, n°26761/95, 12 novembre 2002. 615 Ce texte reprend, avec une formulation très proche, les principes de l’article 59 de l’ancien Code de 1969. La notion de « raisons compassionnelles » disparaît au profit de « raisons particulièrement importantes » pour le détenu (Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. Kodeks karny wykonawczy [Loi du 6 juin 1997 – Code d’exécution des peines], Dz. U., 1997, n°90, texte 557, pp. 2797-2828. Entrée en vigueur le 1er septembre 1998). 616 CEDH, Czarnowski c. Pologne, n°28586/03, 20 janvier 2009. 244 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ment blessée dans un accident de la route, puis aux obsèques de cette dernière617. Les trois dernières affaires portant sur cette question, jugées en 2014, 2015 et 2016 par la CEDH, se sont soldées par un constat de non-violation de la Convention618. Le législateur de 1997 n’avait fait que reprendre les dispositions déjà présentes dans le Code de 1969. Une évolution du droit conforme à la Conv. EDH s’imposait. 2) Le droit de « sortie compassionnelle » renforcée par l’amendement du Code d’exécution des peines 386 - La réception des deux premiers arrêts rendus par la CEDH sur cette thématique de la « sortie compassionnelle »619 d’un détenu pour assister à des funérailles ou autre événement familial particulièrement important a été positive mais minimale. Les autorités polonaises avaient constaté que la Cour de Strasbourg, dans les arrêts Płoski et Czarnowski, n’avait pas remis en cause la conformité du droit positif à la Conv. EDH. Étaient concernés aussi bien l’ancien CEP que le nouveau, celui de 1997, dont les dispositions relatives aux possibilités de sorties provisoires du détenu étaient quasiment identiques. Dans un premier temps, le gouvernement a donc misé comme à l’accoutumée sur les mesures générales préventives : ces deux arrêts ont été traduits en polonais et transmis aux présidents de cours d’appel en vue d’être diffusés ensuite à tous les juges. L’arrêt Płoski a été repris par le Bulletin (n°1/2003) du Bureau d’information du Conseil de l’Europe et l’arrêt Czarnowski a été communiqué à l’École nationale des juges et des procureurs620. 387 - Les faits qui ont conduit à la violation de l’article 8 § 1 dans l’affaire Giszczak se sont déroulés en 2008, six ans après l’arrêt Płoski. Le gouvernement n’avait pas renoncé, pour son exécution, à sa stratégie de publication et de diffusion systématiques des arrêts. Il a pu cepen617 CEDH, Giszczak c. Pologne, n°40195/08, 29 novembre 2011. 618 CEDH, Banaszkowski c. Pologne, n°40950/12, 25 mars 2014 : le requérant, dans cette affaire, avait été bien été autorisé à assister aux obsèques mais se plaignaient du régime d’escorte auquel il fut soumis pour l’occasion (la Cour a jugé la mesure justifiée et respectueuse de l’article 8 de la Conv. EDH) ; CEDH, Kubiak c. Pologne, n°2900/11, 21 avril 2015 : en l’espèce, les autorités n’avaient pu accorder la permission de sortie temporaire en raison de l’impossibilité d’organiser convenablement une escorte, le requérant ayant fait sa demande quelques heures seulement avant l’enterrement ; CEDH, Kosiński c. Pologne, n°20488/11, 9 février 2016 : dans cet arrêt le requérant s’était lui aussi plaint de l’escorte imposée pour assister à l’enterrement de sa grand-mère, en janvier 2011, et avait refusé de s’y rendre. 619 Traduction littérale de l’expression anglaise compassionate leave qui a le mérite de désigner synthétiquement toute autorisation de remise en liberté provisoire d’un détenu pour des raisons familiales majeures (incluant, bien sûr, des obsèques). 620 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)68 (exécution des arrêts Płoski et Czarnowski c. Pologne), 8 juin 2011, 1115e réunion des délégués, annexe. 245 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE dant convaincre le Comité des ministres en mettant en avant l’amendement de l’article 141 du CEP dans un but de clarification. Deux mois avant la condamnation de la CEDH, la loi du 16 septembre 2011, entrée en vigueur 1er janvier 2012621, avait en effet modifié les dispositions sur la sortie compassionnelle. Désormais, le Code prévoit explicitement dans son article 141a § 1 la possibilité pour le directeur de l’établissement pénitentiaire d’accorder à un détenu une autorisation de sortie sous escorte, avec une personne de confiance voire seul pour rendre visite à un proche malade ou assister à des funérailles. L’autorisation de sortie ne doit pas dépasser cinq jours. Au regard de ces mesures, le Comité des ministres a publié une résolution finale le 30 avril 2013622. Une même démarche a été menée par les autorités polonaises pour le contentieux relatif à la censure de la correspondance : les réformes internes ont accru les droits des détenus et fini par endiguer le phénomène. C. Le contrôle injustifié de la correspondance des détenus Quantitativement, les arrêts relatifs à l’interception voire à la censure de la correspondance des détenus en Pologne sont les plus importants pour ce qui est de l’article 8 de la Conv. EDH. La longue litanie des condamnations s’est étalée de 2000 à 2014 (1). Malgré la volonté du gouvernement, les administrations pénitentiaire et judiciaire ont été particulièrement lentes pour faire disparaître ces pratiques inconventionnelles (2). 1) Des pratiques d’interception du courrier abondamment sanctionnées par la Cour entre 2000 et 2014 388 - Toute limitation excessive de l’envoi du courrier personnel d’une personne placée en détention, imposée en contradiction avec le régime fixé par la loi et avec le besoin d’assurer le bon fonctionnement de la justice et de la démocratie, peut se révéler non-conforme à l’article 8 de la Conv. EDH. Un grand nombre d’arrêts retenant la violation de l’article 8 de la Conv. EDH par la Pologne sont relatifs à la surveillance du courrier des prisonniers. Magda Krzyżanowska-Mierzewska a considéré qu’il ne s’agissait pas, dans les affaires polonaises, 621 Ustawa z dnia 16 września 2011 r. o zmianie ustawy — Kodeks karny wykonawczy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 16 septembre 2011 modifiant le Code d’exécution des peines ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2011, n°240, texte 1431, pp. 13937-13955. 622 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)65 (exécution de l’arrêt Giszczak c. Pologne), 30 avril 2013, 1169e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 246 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME d’un problème prioritaire pour les requérants, lesquels se plaignent avant tout de la procédure pénale menée à leur encontre623. Dressé en 2005 au regard des 30 condamnations cumulées à l’époque au titre de l’article 8, ce constat n’a pas perdu de sa pertinence. 389 - L’arrêt Niedbała fut le premier à retenir une telle violation contre la Pologne624. Le requérant avait été arrêté le 31 août 1994 et placé en détention deux jours plus tard pour le vol présumé de son véhicule. Au cours de sa détention, M. Niedbała rédigea une lettre à l’attention du Défenseur des droits civiques, datée du 2 novembre 1994. Dans sa missive, il alléguait les irrégularités procédurales et la brutalité de son arrestation par la police. Les autorités de la prison dans laquelle il était retenu ont fait suivre la lettre au procureur de district de Rybnik. Ce dernier a averti M. Niedbała que la lettre avait été transmise pour investigation au procureur du district de Tychy. Le courrier finit par parvenir sur le bureau du Défenseur des droits civiques le 27 décembre 1994. Entre temps, M. Niedbała avait expédié une seconde lettre au Défenseur625. Dans la requête qu’il avait adressée à la Com. EDH le 5 février 1995, M. Niedbała soulevait la violation des articles 5 § 3, 5 § 4 et 8 de la Conv. EDH. Il obtint gain de cause pour chacun de ces moyens. Sur le fondement de l’article 8, le requérant considérait que l’interception de l’un de ses courriers au Défenseur, institution publique, contrevenait aux exigences conventionnelles. Sa lettre avait en effet été ouverte par le procureur et retenue durant presque deux mois avant de parvenir enfin entre les mains de son destinataire. À ses yeux, ce contrôle ne pouvait être justifié par des craintes de nature à mettre en péril la sécurité de la prison ou d’autrui, ni de contenir des informations illégales dans la mesure où elle s’adressait à une institution de défense des droits de l’homme. 390 - Le contrôle du courrier avait été réalisé en accord avec la législation polonaise en vigueur à l’époque, à savoir l’article 89 du CEP de 1969. Le gouvernement a souligné que ce contrôle était, comme l’exigeait la Convention, fondé sur des dispositions légales et qu’en 623 Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The reception process in Poland and Slovakia », in Helen KELAlec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, New York, Oxford Press University, 2008, p. 568. LER, 624 Il ne s’agit pas de la première requête examinée par les organes de la Convention cependant. L’affaire Owczarzak, relative à l’interception par la cour de district de Gryfice d’une lettre que le requérant avait adressée à la Com. EDH avait été jugée recevable le 3 décembre 1997. La Com. EDH, dans un rapport établi le 9 septembre 1998, avait conclu à l’unanimité des membres de la seconde chambre qu’il y avait eu violation de l’article 8 de la Conv. EDH (Com. EDH, Owczarak c. Pologne, n°27506/95, 9 septembre 1998). Devant le Comité des ministres le 17 décembre 2001, les parties au litige sont convenues dans les trois mois du versement de 600 DEM au titre de satisfaction équitable. Ce n’est pourtant que le 5 juin 2002, avec près de trois mois de retard, que le gouvernement versa au requérant lésé la somme équivalente de 1 109 PLN (Com. Min., Résolution ResDH(2004)95 (exécution du rapport Owczarzak c. Pologne), 24 février 2004, 871e réunion des délégués). 625 CEDH, Niedbała c. Pologne, préc., §§ 1-17. 247 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE outre la lettre qui avait été retenue pendant deux mois ne visait pas à saisir le Défenseur des droits civiques pour lui demander d’intervenir dans la procédure mais simplement à l’informer du déroulement de celle-ci. Pour le gouvernement enfin, le règlement du ministre de la Justice du 29 mars 1991626 ouvrait la possibilité pour un détenu de contester un acte de censure des correspondances auprès du président de la juridiction conduisant la procédure pénale dans sa phase judiciaire. 391 - La CEDH, dans son jugement du 4 juillet 2000, s’est alignée sur les conclusions du rapport de la Com. EDH, laquelle avait retenu à l’unanimité de ses membres que l’article 8 avait été violé627. La Cour a relevé que le CPP applicable à l’époque des faits, trop évasif sur le champ et les conditions d’application de la censure des correspondances, ne pouvait légalement fonder une mesure restrictive de liberté au sens de l’article 8. De plus, le recours introduit par l’ordonnance du 29 mars 1991 était inapplicable en l’espèce puisque la censure était survenue au niveau de la phase d’instruction alors que les dispositions de cette ordonnance ne concernaient que la phase judiciaire. Il s’ensuivait que la censure exercée sur le courrier transmis par Maciej Niedbała à l’ombudsman polonais n’entrait pas dans le cadre des exceptions tolérées par la Conv. EDH à l’article 8 § 2628. 392 - Des violations de l’article 8 ont été relevées sans discontinuité depuis l’arrêt Niedbała, touchant la correspondance du détenu avec les institutions internes telles le Tribunal constitutionnel (par exemple : Kwiek629) et les juridictions ordinaires (Jarkiewicz630, Misiak631), ainsi qu’avec des personnes privées, tels que l’avocat (Klamecki632, Jarkiewicz, Piechowicz633) ou la compagne (Klamecki). Les propos tenus dans les courriers ont été très rarement l’objet d’une censure proprement dite (de rares cas de contenus rayés ou annotés se trouvent dans les arrêts les plus anciens, comme celui rendu dans l’affaire Drozdowski634) mais les enveloppes sont ouvertes puis refermées avec du ruban adhésif et portent un tampon indiquant « censu626 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 29 marca 1991 r. w sprawie trybu wykonywania nadzoru nad działalnością administracyjną sądów [Règlement du ministre de la Justice du 29 mars 1991 sur les moyens de contrôle des services de l’administration judiciaire], Dz. U., 1991, n°29, texte 126, pp. 414-415. Ce texte a été abrogé le 12 octobre 1995. 627 Com. EDH, Niedbała c. Pologne, n°27915/95, 1er mars 1999, § 88. 628 CEDH, Niedbała c. Pologne, préc., §§ 69-82. 629 CEDH, Kwiek c. Pologne, n°51895/99, 30 mai 2006, §§ 40-42. 630 CEDH, Jarkiewicz c. Pologne, n°23623/07, 6 juillet 2010, §§ 69-75. 631 CEDH, Misiak c. Pologne, n°43837/06, 3 juin 2008, § 9 et § 23. 632 CEDH, Klamecki c. Pologne (n°2), préc., §§ 137-140. 633 CEDH, Piechowicz c. Pologne, n°20071/07, 17 avril 2012, § 52 et §§ 226-229. 634 CEDH, Drozdowski c. Pologne, n°20841/02, 6 décembre 2005, § 8. 248 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ré » (ocenzurowano)635. 393 - La CEDH a fini par condamner régulièrement la Pologne pour le contrôle de lettres à destination ou en provenance de son propre greffe. Il en fut ainsi, par exemple, dans les affaires Matwiejczuk, Mianowski, G. K., Gąsiorowski, Wenerski, Pisk-Piskowski et Michta636. Dans ces deux dernières affaires, c’est la CEDH qui a soulevé d’office ce moyen, constatant que la lettre reçue de la part du requérant avait été censurée. Pour des faits comparables, la CEDH a même reconnu, en plus de celle de l’article 8, la violation de l’article 34 de la Conv. EDH qui proscrit toute entrave des États-parties à la saisine de la Cour par les individus637. Il y a onze ans, Magda Krzyżanowska-Mierzewska analysait tant l’invocation peu fréquente de l’article 34 avec de rares sanctions contre la Pologne que le nombre très important de requêtes annuelles comme les marques d’un accès aisé à la CEDH638. La longue série d’arrêts dans la droite ligne de la jurisprudence Niedbała a sans doute pris fin à l’issue d’une raréfaction progressive des cas d’interception de courriers dans les prisons. 635 Cette marque tamponnée sur l’enveloppe et parfois sur le contenu des lettres provenait « d’une tradition de l’époque du socialisme réel, pour lequel la censure – de tout et n’importe quoi – était la norme » (Tadeusz JASUDOWICZ, « Prawo do poszanowania prywatności osób pozbawionych wolności w Polsce w świetle orzecznictwa strasburskiego », préc., p. 50). 636 CEDH, Matwiejczuk c. Pologne, n°37641/97, 2 décembre 2003, §§ 94-102 ; CEDH, Mianowski c. Pologne, n°42038/98, 16 décembre 2003, § 62 et § 67 ; CEDH, G. K. c. Pologne, préc., §§ 107-111 ; CEDH, PiskPiskowski c. Pologne, n°92/03, 14 juin 2005, §§ 20-29 ; CEDH, Michta c. Pologne, n°134425/02, 4 mai 2006, §§ 52-62 ; CEDH, Gąsiorowski c. Pologne, n°7677/02, 17 octobre 2006, §§ 60-67 ; CEDH, Wenerski c. Pologne, n°44369/02, 20 janvier 2009, §§ 74-80. 637 Il s’agit des affaires Drozdowski et Maksym. Dans la première affaire, le requérant, placé en détention provisoire, avait envoyé une lettre à la CEDH le 26 mai 2000. La Cour ne l’avait reçue que le 19 juillet 2000, portant un tampon indiquant « Censurée le 14 juillet 2000 » et deux mots noircis au feutre. La CEDH souleva d’office la violation de l’article 34. La censure en elle-même a servi de fondement à la violation de l’article 8 de la Conv. EDH tandis que le retard de deux mois dans la transmission du courrier était en contradiction avec l’article 34 du même texte. Dans la seconde affaire, le greffe de la CEDH avait réceptionné le 6 juin 2000 une lettre envoyée deux mois auparavant par le requérant depuis le centre de détention où il était incarcéré. L’enveloppe portait le tampon « Censurée » et la lettre avait été manifestement ouverte et refermée avec du ruban adhésif. Les deux lettres suivantes du requérant furent elles aussi ouvertes et marquées « Censurées » La dernière d’entre elles est parvenue à destination avec onze mois de retard. Comme elle l’avait fait en statuant dans l’affaire Drozdowski, la CEDH a soulevé d’office le moyen fondé sur la violation de l’article 34 de la Conv. EDH. L’interception des lettres et le retard engendré par ce contrôle injustifié constituaient bien une interférence avec le droit au respect des correspondances du requérant avec la Cour (CEDH, Drozdowski c. Pologne, préc. ; CEDH, Maksym c. Pologne, n°14450/02, 19 décembre 2006). Dans l’arrêt D. P. la Cour a considéré que la simple ouverture du courrier sans retard accumulé ni altération du contenu ne constituait pas une violation de l’article 34 de la Conv. EDH (CEDH, D. P. c. Pologne, n°34221/96, 20 janvier 2004, § 92). 638 Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The reception process in Poland and Slovakia », préc., p. 568. 249 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 2) La raréfaction des cas de censure de la correspondance des détenus La pratique inconventionnelle d’interception des courriers de détenus aurait dû disparaître avec l’abrogation de la législation socialiste qui en était la cause (a) et avec la diffusion des arrêts assurée par le gouvernement (b). Mais c’est à l’usure que la CEDH a fini par faire admettre aux autorités l’incompatibilité avec l’article 8 de l’ouverture systématique du courrier des détenus (c). a) L’abrogation du Code d’exécution de peines de 1969 394 - Les cas initiaux de censure des correspondances étaient directement causés par la législation en vigueur à l’époque comme la CEDH l’avait elle-même noté. L’article 89 du CEP de 1969 – applicable aux faits de l’affaire Niedbała et de celles qui suivirent immédiatement639 – prévoyait que toute la correspondance d’une personne placée en détention provisoire était sujette à la censure, à moins que le procureur ou qu’une juridiction n’en décidât autrement. Aucune disposition de ce Code ne prévoyait de voie de recours pour contester le contrôle des correspondances. Le règlement sur la détention provisoire du 2 mai 1989 reprenait cette idée en précisant que les correspondances étaient sujettes à censure par l’autorité en charge de la procédure dirigée contre le détenu en question640. 395 - Le nouveau CEP de 1997 a seulement prévu, par son article 102, le droit pour un détenu condamné de correspondre avec les autorités de l’État et avec le Défenseur des droits civiques sans contrôle. L’article 103 vient toutefois préciser que les personnes condamnées et leurs avocats ont la possibilité de saisir les organes internationaux de protection des droits de l’homme auxquels la Pologne est partie. Le Code prohibe explicitement toute entrave à ce droit de recours aux institutions internationales puisque le courrier des prisonniers, dans ces circonstances, doit être acheminé sans délai et sans contrôle. Ces dispositions s’appliquent aux « personnes condamnées » mais sont normalement extensibles aux personnes placées en détention provisoire641 puisque, conformément à la section XV du CEP, les droits des détenus provisoires sont en principe au moins équivalents à ceux accordés aux personnes condamnées par un jugement définitif. Ce qu’a permis la réforme du CEP en matière de contrôle de la cor639 Voir dans cette « série » les arrêts CEDH, Radaj c. Pologne, n°29537/95 et n°33453/97, 28 novembre 2002 ; CEDH, Sałapa c. Pologne, préc. ; CEDH, Klamecki c. Pologne (n°2), préc. ; CEDH, Goral c. Pologne, n°38654/97, 30 octobre 2003 ; CEDH, P. K. c. Pologne (règlement amiable), n°37774/97, 6 novembre 2003 ; CEDH, Wasilewski c. Pologne, n°63905/00, 6 décembre 2005 ; CEDH, Kwiek c. Pologne, préc. 640 CEDH, Niedbała c. Pologne, préc., §§ 33-34. 641 Ibidem, §§ 35-36. 250 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME respondance des détenus est par conséquent la disparition du principe de supervision opposé à l’exception de liberté. La règle est aujourd’hui la liberté, donc le respect de la correspondance privée du détenu, l’exception étant le contrôle. Avec l’avènement du nouveau CEP et l’application de ses articles 102 et 103, la règle de la censure systématique, propre à l’ancien régime, a disparu de la législation. La réforme pénale a été accompagnée du travail habituel d’information opéré par le ministère de la Justice. b) L’information aux autorités pénitentiaires et judiciaires 396 - Une bonne réception des premiers arrêts impliquait certes l’abrogation des dispositions inconventionnelles du CEP ainsi que l’introduction de nouvelles pratiques dans les prisons. Les autorités polonaises ont une fois encore eu recours à la diffusion des arrêts de la Cour pour sensibiliser le milieu judiciaire aux problématiques soulevées par le contrôle injustifié des courriers de détenus. La traduction de l’arrêt Niedbała a constitué une initiative complémentaire pour conformer la procédure pénale aux exigences de la CEDH en matière de respect de la correspondance des détenus. Le gouvernement a informé le Comité des ministres en charge de la surveillance de l’exécution de l’arrêt Niedbała que des copies de la décision avaient été envoyées au ministre de la Justice. Ce dernier en a assuré la diffusion auprès de l’ensemble des juridictions du pays pour inviter les juges et procureurs à adapter le traitement des correspondances aux standards européens. L’arrêt Niebała a par ailleurs fait l’objet d’une publication au Bulletin du Bureau d’information du Conseil de l’Europe642. 397 - À l’issue du contrôle de l’exécution de cet arrêt Niedbała, le Comité des ministres avait considéré, au regard des mesures individuelles643 et des modifications législatives opérées postérieurement aux faits, que la Pologne s’était acquittée de son devoir d’exécution644. L’étude du contentieux ultérieur, notamment des affaires dont les faits sont survenus 642 Com.Min., ResDH(2002)124 (exécution l’arrêt Niedbała c. Pologne), 21 octobre 2002, 810e réunion des délégués. 643 Essentiellement le versement dans le délai imparti de trois mois de la satisfaction équitable fixée par la CEDH. L’affaire Niedbała ne concernait pas uniquement le droit au respect de la vie privée du détenu mais également la longueur excessive et la légalité de la détention provisoire subie par le requérant. C’est pourquoi, ce dernier devait bénéficier d’un total de 2 000 PLN au titre de préjudice moral subi, montant auquel s’ajoutait la somme correspondant aux frais et dépens. Le Comité des ministres, dans la résolution qu’il adopta le 21 octobre 2002, a pris note du versement par le gouvernement des sommes convenues le 27 septembre 2002 (Com. Min., Résolution ResDH(2002)124 (exécution l’arrêt Niedbała c. Pologne), préc.) 644 Ibidem. 251 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE après l’adoption du CEP laisse apparaître la persistance d’un contrôle des courriers fondé sur des pratiques arbitraires des autorités pénitentiaires. Les condamnations cumulées de la CEDH ont fini par faire disparaître cette pratique. c) L’extinction de la pratique de l’ouverture des courriers sous l’effet des arrêts de la CEDH 398 - Depuis 2003 et l’arrêt Matwiejczuk, la CEDH examine des affaires d’interception injustifiée de correspondances survenues après l’entrée en vigueur des nouveaux CEP et CPP645. Jusqu’au dernier arrêt en la matière, rendu en 2014, le juge strasbourgeois a rappellé systématiquement à la Pologne, sans équivoque, « qu’aussi longtemps que les autorités polonaises continueront de marquer les lettres des détenus avec le tampon ocenzurowano, [elle] n’aura d’autre alternative que de présumer que ces lettres ont été ouvertes et leur contenu lu »646. Comme l’illustre le contentieux de la Pologne devant la CEDH, les correspondances adressées aux institutions polonaises ou internationales ainsi passées entre les mains de l’administration (judiciaire ou le plus souvent pénitentiaire) ont été fréquemment en contra- 645 S’ouvrait ainsi une seconde série d’arrêts pour lesquels la violation de l’article 8 ne pouvait plus être imputable au droit positif interne mais à des pratiques inconventionnelles perpétuées par les autorités : CEDH, Matwiejczuk c. Pologne, préc.; CEDH, Mianowski c. Pologne, préc. ; CEDH, G. K. c. Pologne, préc. ; CEDH, PiskPiskowski c. Pologne, préc. ; CEDH, Tomczyk Prokopyszyn c. Pologne, n°64283/01, 28 mars 2006 ; CEDH, Michta c. Pologne, préc. ; CEDH, Dzyruk c. Pologne, n°77832/01, 4 juillet 2006 ; CEDH, Cabała c. Pologne, n°23042/02, 8 août 2006 ; CEDH, Cegłowski c. Pologne, n°3489/03, 8 août 2006 ; CEDH, Łuczko c. Pologne, n°73988/01, 3 octobre 2006 ; CEDH, Gąsiorowski c. Pologne, préc. ; CEDH, Oleksy c. Pologne, n°64284/01, 28 novembre 2006 ; CEDH, Najdecki c. Pologne, n°62323/00, 6 février 2007 ; CEDH, Nowicki c. Pologne, n°6390/03, 27 février 2007 ; CEDH, Andrulewicz c. Pologne, n°43120/05, 3 avril 2007 ; CEDH, Abramczyk c. Pologne, n°28836/04, 12 juin 2007 ; CEDH, Kozimor c. Pologne, n°10816/02, 12 avril 2007 ; CEDH, Lewak c. Pologne, n°21890/03, 6 septembre 2007 ; CEDH, Kliza c. Pologne, n°8363/04, 6 septembre 2007 ; CEDH, Owsik c. Pologne, n°10381/04, 16 octobre 2007 ; CEDH, Dzitkowski c. Pologne, n°35833/03, 27 novembre 2007 ; CEDH, Warsiński c. Pologne, n°38007/02, 4 décembre 2007 ; CEDH, Jasiński c. Pologne, n°72976/01, 6 décembre 2007 ; CEDH, Jakubiak c. Pologne, n°36161/05, 8 janvier 2008 ; CEDH, Kołodziński c. Pologne, n°44521/04, 8 janvier 2008 ; CEDH, Zborowski c. Pologne (n°2), n°45133/06, 15 janvier 2008 ; CEDH, Pawlak c. Pologne, n°39840/05, 15 janvier 2008 ; CEDH, Bobel c. Pologne, n°20138/03, 22 janvier 2008 ; CEDH, Stępniak c. Pologne, n°29366/03, 29 janvier 2008 ; CEDH, Zborowski c. Pologne (n°3), n°39519/05, 22 avril 2008 ; CEDH, Andrysiak c. Pologne, n°31038/06, 20 mai 2008 ; CEDH, Panusz c. Pologne, n°24322/02, 3 juin 2008 ; CEDH, Ćwiertniak c. Pologne, n°26846/05, 22 juillet 2008 ; CEDH, Ochlik c. Pologne, n°8260/04, 29 juillet 2008 ; CEDH, Janulis c. Pologne, n°20251/04, 4 novembre 2008 ; CEDH, Misiak c. Pologne, préc. ; CEDH, Wenerski c. Pologne, préc. ; CEDH, Krawiecki c. Pologne, n°49128/05, 9 juin 2009 ; CEDH, Kisielewski c. Pologne, n°26744/02, 7 juillet 2009 ; CEDH, Feliński c. Pologne, n°31116/03, 7 juillet 2009 ; CEDH, Mgłosik c. Pologne, n°8403/02, 16 juillet 2009 ; CEDH, Pasternak c. Pologne, n°42785/06, 16 juillet 2009 ; CEDH, Janus c. Pologne, n°8713/03, 21 juillet 2009 ; CEDH, Kotowski c. Pologne, n°12772/06, 29 septembre 2009 ; CEDH, Bartosiński c. Pologne, n°13637/03, 13 octobre 2009 ; CEDH, Miernicki c. Pologne, préc. ; CEDH, Friedensberg c. Pologne, n°44025/08, 27 avril 2010 ; CEDH, Jarkiewicz c. Pologne, préc. ; CEDH, Przyjemski c. Pologne, n°6820/07, 5 octobre 2010 ; CEDH, Hinczewski c. Pologne, n°34907/05, 5 octobre 2010 ; CEDH, Bereza c. Pologne (n°2), n°42332/06, 19 octobre 2010 ; CEDH, Lesiak c. Pologne, n°19218/07, 1er février 2011 ; CEDH, Piechowicz c. Pologne, préc. ; CEDH, Mirosław Zieliński c. Pologne, n°3390/05, 20 septembre 2011 ; CEDH, Ślusarczyk c. Pologne, n°23463/04, 28 octobre 2014. 646 CEDH, Hinczewski c. Pologne, préc., § 37. 252 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME diction claire avec les dispositions du CEP de 1997. « Y compris dans les prisons modernisées, comme à Lubliniec, où les détenus peuvent aller à la bibliothèque et où sont à disposition des exemplaires de la Convention et du Bulletin du Bureau du Conseil de l’Europe, il arrive que les courriers des détenus soient interceptés ! » a témoigné Hanna Machińska en 2015. Cette spécialiste polonaise des droits de l’homme a reconnu que le problème ne dépendait que des individus ces dernières années, et non de la législation647. 399 - Le CEP de 1997 n’a garanti explicitement que la liberté de correspondre avec les organes de l’État et les institutions internationales de protection des droits de l’homme. Reste donc admise la supervision des courriers adressés par la personne en détention à ses proches, ou à des tiers. De surcroît, il existe toujours une possibilité pour les autorités d’ouvrir tout courrier lorsque celui-ci est susceptible de causer des troubles à l’ordre public, comme le prévoit l’article 214 § 1 de ce Code. Il dispose, à propos des droits généraux du détenu provisoire, qu’« aucune restriction ne pourra lui être appliquée exceptée celle nécessaire pour sécuriser la conduite de la procédure pénale, maintenir l’ordre et la sécurité dans le centre de détention et éviter la démoralisation des détenus »648. L’existence d’une telle exception ouvre une brèche dans laquelle a eu tendance à s’engouffrer l’administration des centres de détention polonais. 400 - Aujourd’hui, une conclusion optimiste peut être dressée. Depuis deux ans, aucune nouvelle violation n’est venue alourdir les statistiques sur le contrôle des courriers des détenus. De plus, le 20 novembre 2013, le Comité des ministres a décidé de clore après dix ans de suivi le groupe d’affaires Klamecki (n°2) portant sur cette problématique, considérant que les autorités polonaises avaient rempli leurs obligations649. Le Comité a pris note de la bonne volonté de la Pologne et de l’implication de nombreux acteurs internes : les rappels constants du ministre de la Justice aux présidents des cours d’appel sur les exigences de la Convention ; l’instruction rédigée le 16 novembre 2007 par le Directeur général des services pénitentiaires demandant l’installation dans chaque prison d’une boîte aux lettres pour collecter les courriers destinés à la CEDH ou d’autres institutions internationales ; la création prétorienne d’un recours indemnitaire pour les détenus victimes de la censure de leur correspondance grâce à l’arrêt de la cour d’appel de Varsovie du 28 juin 2007 ; l’enseignement des standards concernant le courrier des détenus à l’École des juges et des procureurs ; l’abrogation par un juge647 Entretien avec Hanna Machińska, Varsovie, 25 mai 2015. 648 CEDH, Michta c. Pologne, préc., § 35. 649 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)228 (exécution des arrêts dans 58 affaires contre la Pologne), préc. 253 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE ment du Tribunal constitutionnel du 10 décembre 2012 de l’article 73 § 3 du CPP en ce qu’il permettait de contrôler, sans besoin de justification, la correspondance d’un accusé et de son avocat pendant les deux premières semaines de détention provisoire650. * * * 401 - Conclusion du chapitre : La juriste polonaise et universitaire Celina Nowak avait estimé qu’avec la nouvelle codification de 1997 le droit pénal polonais était « presque en concordance totale avec la Convention européenne des droits de l’Homme »651. Cette formulation prudente décrit bien la situation du droit applicable à la détention provisoire à la fin des années 1990. Les violations qui s’y sont rapportées revêtaient à l’évidence un caractère transitionnel652 et les réformes législatives adéquates ont été adoptées dans bien des cas avant même que la CEDH ne condamne l’État653. En témoigne la réception anticipée des affaires portant sur la présentation du détenu à un magistrat indépendant, sur le besoin de fonder une détention provisoire par une décision judiciaire, sur la détention des étrangers avant leur expulsion et sur la présence du procureur lors des entrevues entre un accusé et son avocat. La chronologie est aussi simple que le temps d’exécution bref : 1) élimination des normes internes potentiellement inconventionnelles ; 2) confirmation par la CEDH que les anciennes normes étaient bien la cause d’inconventionnalités. 402 - Le schéma déjà rencontré dans les chapitres précédents d’un renforcement efficace de la protection des droits grâce à l’intervention de la CEDH trouve à s’appliquer sur les questions liées à la privation de liberté. Ainsi, le traitement long654 mais couronné de succès des affaires relatives au respect de la vie privée des détenus s’est déroulé en quatre étapes : 1) réformes 650 TCP, n°K 25/11, 10 décembre 2012, OTK ZU, 2012, n°11A, texte 132. L’article 73 § 3 dispose désormais que cette surveillance de la correspondance entre le détenu et l’avocat ne peut avoir lieu que « dans des cas particulièrement justifiés » depuis sa modification en 2013 (Ustawa z dnia 27 września 2013 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego [Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2013, texte 1282. 651 Celina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais » (2005), préc., p. 187. 652 Ce constat posé en 2004 par Marie-Bénédicte Dembour et Magdalena Krzyżanowska-Mierzewska se trouve confirmé par l’étude exhaustive de la réception des arrêts concernant la détention provisoire (Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: the voluminous and interesting Polish case law », préc. , p. 525). 653 Cf. Annexe n°4. 654 Les difficultés rencontrées autour du droit au respect de la vie privée des détenues sont anciennes. Elles avaient en effet été mises en cause dès la toute première requête jugée recevable par les organes de la Convention le 6 juillet 1995 dans une affaire Sawicki (n°25085/94). Voir Andrzej DRZEMCZEWSKI, Marek Antoni NOWICKI, « Les effets de la CEDH en Pologne : un bilan quatre ans après », préc., p. 444, note 90. 254 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME pénales de 1997 abandonnant ou modifiant les principes de la législation socialiste ; 2) premiers arrêts de la Cour confirmant l’inconventionnalité de l’ancienne législation ; 3) nouveaux arrêts de la Cour pointant les insuffisances du droit post-transitionnel ; 4) mesures internes destinées à éliminer les ultimes sources de violation de la Convention. 403 - Dans une troisième catégorie, se trouvent les normes dont l’État n’avait pas anticipé l’inconventionnalité. Il s’agit essentiellement de la législation rencontrée dans les affaires relatives à la présence facultative d’un accusé et de son avocat aux audiences, dans celles qui abordent la compensation des détentions illégales (le nouveau droit avait repris les principes de l’ancien) et dans celles qui concernent l’internement pour des raisons médicales. Il faut y ajouter l’affaire Adamkiewicz, relative à la procédure spéciale applicable aux mineurs. L’étude de la réception de ces dernières affaires conduit à trois observations : 1) ces arrêts sont relativement peu nombreux et ne laissent donc pas supposer de dysfonctionnement grave ; 2) les standards européens sont bien compris et acceptés des autorités ; 3) les normes internes génératrices de violations de la Conv. EDH sont éliminées rapidement. Ainsi, même lorsque l’État n’est pas, le premier, à l’initiative de l’évolution du droit, il se plie aisément – parfois même de manière instantanée (voir la réception de l’arrêt Belziuk comme exemple patent) – aux orientations fixées par la CEDH. 255 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE CHAPITRE II – LA PROTECTION APPORTÉE AUX DROITS D’ESSENCE LIBÉRALE 404 - Grevée par le système de l’économie planifiée qui ne laissait pas la place à l’initiative privée et à la possession d’outils de production, la Pologne s’est retrouvée, à l’orée de la chute du régime socialiste, confrontée à une situation désastreuse. Le professeur Leuprecht dépeint un pays où « le marché noir était florissant » et où « le dollar était une sorte de valeur universelle ». Sur le plan des libertés fondamentales, les Polonais étaient bien conscients qu’il existait « de sérieux problèmes, particulièrement au regard de l’économie et des droits sociaux »655. À la suite de la Table ronde de 1989 et de l’avènement progressif de la démocratie, la Pologne s’est finalement retrouvée pionnière, parmi les PECO, du processus de transformation de l’État conduisant du système de l’économie planifiée vers l’économie de marché656. Un débat a cependant agité la société et la classe politique pour déterminer la nature de l’économie du lendemain. Les thuriféraires de l’intégration européenne préconisaient naturellement d’adopter les mécanismes du Marché, tandis que les partisans d’une Pologne nouvelle construite autour de ses particularités soutenaient une voie intermédiaire alliant capitalisme et redistribution sociale des revenus657. La désormais célèbre « thérapie de choc » mise en place par Leszek Balcerowicz a consacré le triomphe des premiers sur les seconds658. À la gauche de l’échiquier politique, bon nombre d’anciens membres du PZPR ont rejoint les rangs de la nouvelle formation sociale-démocrate en abandonnant toute référence au communisme et à 655 Peter LEUPRECHT, « Poland and the Europe of Human Rights », in Hanna MACHIŃSKA (dir.), Polska i Rada Europy 1990-2005, Biuro informacji Rady Europy, Varsovie, 2006, p. 100. 656 Frances MILLARD, « Poland », in David P. FORSYTHE (dir.), Encyclopedia of Human Rights, volume 4, Oxford University Press, New-York, 2009, p. 251. 657 Krystyna Anna PASZKIEWICZ, « Pologne : les conceptions du ‘‘retour en Europe’’ », La Nouvelle Alternative, n°49, 1998, p. 24. 658 La politique de Balcerowicz a permis en quelques mois seulement de bouleverser les logiques économiques en contenant l’hyperinflation, en renforçant le cours du złoty et en restructurant l’industrie. Les dégâts collatéraux furent un chomage de masse et une baisse de 20 % du pouvoir d’achat (voir Georges MINK, « Retour dans le concert des nations », Questions internationales, n°69, 2014, pp. 11-12). 256 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’économie planifiée659. Ce sont ces anciens « communistes »660 qui remportèrent les élections législatives de 1993 sans remettre en cause la nouvelle ligne économique. 405 - Les systèmes socialistes présentaient par essence la particularité de remettre en cause les fondements mêmes du droit à la propriété individuelle. Conformément à la doctrine marxisteléniniste, les gouvernements communistes ont étendu la propriété de l’État à des collectivités publiques au dépend des individus. Il n’est dès lors pas surprenant que, parmi les cinq grandes réformes que se devaient d’engager les autorités locales des États post-communistes, figure la suppression du monopole des droits de propriété, selon le Conseil de l’Europe661. Toutefois, l’immixtion totale de l’État dans la marche de l’économie n’avait pas empêché, dans un pays comme la Pologne, la subsistance de la propriété privée. Il en était ainsi, par exemple, pour les logements privés maintenus par le régime en place pour des raisons pratiques (la pénurie de toits après la fin de la Seconde guerre mondiale) à la seule condition que le loyer demeurât minimal ; ce principe ne fut pas remis en cause ultérieurement par le régime communiste662 ni même au cours des premières années de la démocratie. Bien au contraire, la loi qui continua de protéger de façon déséquilibrée les locataires au détriment des bailleurs était « un modèle d’interventionnisme étatique à but social »663. Cette iniquité produisit rapidement des conséquences néfastes pour la propriété immobilière, peu compatibles avec le respect de l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH. 659 Aleksander Kwaśniewski, Président de la République (1995-2005), déclara en 1993 que le programme de son parti l’Alliance de la gauche démocratique (SLD – Sojusz Lewicy Demokratycnej) « n’avait pas une seule chose qui pût rappeler le communisme. Si quelqu’un dans [le] parti proposait de retourner à la gestion centralisée de l’économie, il serait exclu, non pour être un communiste, mais pour être un imbécile » (propos cités par CSCE, Implementation of the Helsinki Accords: Human rights and democratization in Poland, Washington (DC), 1994, p. 11). La SLD est apparue comme un parti clairement conscient des préoccupations contemporaines de la Pologne, nullement nostalgique ou passéiste. Son soutien à l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne, à son entrée dans l’OTAN, à l’approfondissement de l’économie de marché et aux politiques libérales en général témoigne de la rupture totale avec ce qu’était la République Populaire de Pologne. Ultime symbole, le slogan de la campagne électorale présidentielle du candidat Kwaśniewski en 1995 était « wybierzmy przyszłość », c’est-à-dire « Choisissons le futur » (Ewa OCHMAN, Post-communist Poland – Contested Pasts and future identities, Londres/New York, Routledge, 2013, pp. 14-15). 660 Les anciens apparatchiks du Parti contrastaient avec les hérauts de Solidarność. Pour Adam Michnik, il y avait des hommes intelligents et des idiots dans les deux camps. Mais les nouveaux politiciens, quoique imaginatifs, souffraient d’un manque d’expérience qui confinait à l’amateurisme, quand leurs expérimentés rivaux s’enfermaient dans le conformisme (Adam M ICHNIK, « The Velvet Restoration », in Vladimir TISMANEANU (dir.), The Revolutions of 1989, London/New York, Routledge, 1999, p. 249). 661 Congr. Pv. loc., Évaluation de la régionalisation en Europe centrale, et notamment en Pologne, CPR(7)3, Partie II F, 18 avril 2000, § 6. 662 Piotr STYCZEŃ, « Polish experience of the pilot procedure and implementation of the judgement in the case of Hutten-Czapska against Poland – an example of specific non-compensatory redress », in Pilot Judgment Procedure in the European Court of Human Rights – Third informal seminar for governement agents and other institutions, Kontrast, Warsaw, 2009, pp. 81-82. 663 Jean-Pierre MARGUÉNAUD, « Un petit pas de plus vers l’assimilation européenne de la liberté contractuelle à une liberté fondamentale », RDC, 2009, n°3, p. 1217. 257 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 406 - Cibles privilégiées, eux aussi, du pouvoir socialiste, les droits civils et politiques ont subi une transformation radicale avec la transition démocratique. Les plus spectaculaires avancées de cette période ont touché, selon le professeur Wyrzykowski, la liberté d’expression, la liberté de la presse, celles de voyager, de former des organisations sociales et de se réunir. Il faut encore y ajouter le retour de l’enseignement religieux à l’école primaire664. Toutefois, la « Petite Constitution » transitoire de 1992 ne comportait pas de dispositions nouvelles concernant les droits et libertés des citoyens ; il était inévitable d’en rester temporairement aux bases de la Constitution de 1952665. 407 - Il a fallu attendre la Constitution de 1997666 pour que le droit positif reconnût un ensemble de droits et libertés nouveaux mentionnés dès le Titre Ier du texte, intitulé La République. En matière politique, les articles 10 à 12 définissent le cadre essentiel pour tout régime démocratique, se fondant sur « la séparation et l’équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaires » (article 10), garantissant « la liberté de fonder des partis politiques et la liberté de leurs activités » avec pour règles la libre participation et l’égalité des citoyens polonais (article 11). La liberté « de former des syndicats, des organisations socioprofessionnelles d’agriculteurs, des associations, des mouvements civiques et autres groupements et fondations basés sur la libre participation » est placée sous la protection de l’article 12. Ces dispositions font fait écho à l’article 11 de la Conv. EDH, qui garantit à toute personne « le droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ». La liberté de la presse et des médias est proclamée à l’article 14 du texte constitutionnel. La plupart de ces droits sont repris et précisés encore dans le Titre II de la Constitution, Les libertés, les droits et les devoirs de l’Homme et du citoyen, sous des formulations qui ne sont pas sans rappeler celles de la Conv. EDH667. Seul manque dans ce Titre II un article détaillant le contenu de la liberté de la presse, ce que remarque fort justement Frances Millard, auteur d’un article de 664 Mirosław WYRZYKOWSKI, « Le système constitutionnel de protection des droits de l’homme en Pologne », in Philippe CHAUVIN, Mirosław WYRZYKOWSKI (dir.), Contrôle de l'administration en France et en Pologne (actes du colloque des 4 et 5 mai 1998), Varsovie, Biblioteka Studia Iuridica, 1999, p 14. 665 Ibidem., pp. 15-16. 666 Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 2 kwietnia 1997 r. [Constitution de la République polonaise du 2 avril 1997], Dz. U., 1997, n°78, texte. 483, pp. 2413-2470. 667 Voir par ex. l’article 49 de la Constitution d’une part (« La liberté et la protection du secret de la communication sont garanties. Elles ne peuvent être limitées que dans les conditions et suivant les modalités déterminées par la loi ») et l’article 8 de la Convention d’autre part (« 1. Toute personne a droit au respect de […] sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi […] ») ; l’article 54 § 1 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit à la liberté d’expression et à la liberté de recevoir et de propager des informations » et l’article 10 § 1 de la Conv. EDH stipule : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées […] ». 258 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’Encyclopedia of Human Rights668 consacré à la Pologne. Lorsqu’elle fut en charge de la Présidence du Conseil de l’Europe, la Pologne avait toutefois marqué son intérêt pour la liberté de la presse en choisissant d’organiser une conférence à Cracovie sur le thème « la Justice et les Médias » au mois d’avril 2005. Les premières mesures visant à redonner aux droits de caractère libéral (droit de propriété, aux droits politiques) leurs lettres de noblesse furent enrichies par le dialogue entretenu avec la CEDH. Grâce à l’application, pour la deuxième fois, de la procédure de l’arrêt pilote, la Cour a servi de tuteur à la Pologne pour parvenir à une législation sur les droits des propriétaires immobiliers satisfaisant les critères conventionnels (Section I). Dans le domaine de la liberté d’expression, la pédagogie de la Cour de Strasbourg est en passe de l’emporter sur les restrictions résiduelles, héritées de l’ancien régime669 (Section II). SECTION I – LA RECONSIDÉRATION DES DROITS DES PROPRIÉTAIRES IMMOBILIERS 408 - Avant même la Seconde guerre mondiale, la Pologne connaissait une législation permettant de limiter la hausse arbitraire des loyers par les propriétaires et de règlementer leurs droits. Lors de l’avènement au pouvoir du Parti communiste une politique dite « d’administration publique de l’habitat » fut expérimentée pour remédier à la pénurie de logements qui affectait alors le pays. Cette législation, très contraignante pour les propriétaires en ce qui concernait la fixation du prix des loyers, ne subit cependant aucune modification tangible bien que le système « d’administration publique de l’habitat » fût remplacé par le « régime de baux spéciaux » en 1974670. 409 - Après 1989, alors que les loyers règlementés par l’État ne couvraient que 30 % du coût réel de l’entretien des bâtiments, la situation n’évolua guère. Le Parlement adopta en 1994 une nouvelle législation maintenant le régime des baux spéciaux pour l’habitat intégré au do- 668 Frances MILLARD, « Poland », préc., p.256. 669 Du moins était-ce le cas jusqu’au changement de majorité politique du Parlement, à l’automne 2015. Les dernières lois votées ne vont pas dans le sens de l’indépendance et du pluralisme des médias (cf. infra, Conclusion du chapitre). 670 Instauré par la loi sur la location : Ustawa z dnia 10 kwietnia 1974 r. Prawo lokalowe [Loi du 10 avril 1974 – Droit de la location], Dz. U., 1974, n°14, texte 84, pp. 138-146. 259 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE maine public tout en appliquant pour une période de dix ans ce dispositif aux logements privés671. Ce système avait pour conséquences d’avantager fortement les locataires, y compris ceux qui ne respectaient pas les conditions d’usage fixées au bail. Quatre ans après l’adoption de la loi, l’Office de l’habitat et de l’urbanisme a remis un rapport révélant que le loyer moyen fixé selon ce texte ne couvrait que 60 % des frais d’entretien des immeubles d’habitation, laissant le reste de la prise en charge à la solde des propriétaires eux-mêmes. La situation immobilière en Pologne a eu tendance à s’aggraver encore jusqu’au début des années deux-mille, avec notamment une grave pénurie des immeubles d’habitation672. Dès la fin des années 1990, la CEDH s’est intéressée à la question de l’immobilier polonais puisque deux affaires avaient été portées devant elle, mais déclarées irrecevables. Les requérantes, qui avaient alimenté à l’époque socialiste un plan-épargne dans une Caisse d’épargne de l’État pendant plusieurs années, s’étaient plaintes du calcul désaventageux de la prime d’intérêts. Dans un contexte d’hyper-inflation, elles n’avaient pu obtenir la somme suffisante pour acquérir un logement673. Un an après « l’événement » que constitua le prononcé du premier arrêt pilote de l’histoire de la CEDH dans l’affaire Broniowski674 la violation du droit au respect des biens a provoqué une nouvelle fois le déclenchement de cette procédure contre la Pologne. Était concernée cette fois-ci la législation relative à la fixation des loyers par les propriétaires de résidences. Pourtant adoptée postérieurement à 1989, la loi maintenait les principes du droit socialiste. Elle eut pour conséquence d’empêcher les propriétaires de fixer le montant des loyers nécessaire pour couvrir les charges et l’entretien général. Mais si un arrêt pilote a été prononcé lors de l’examen de l’affaire Hutten-Czapska en 2005 (§ 2), les préjudices causés par la législation post-transitionnelle ont été connus dès 2004 et l’arrêt Schirmer (§ 1). § 1. LES OBSTACLES LÉGAUX À L’EXPULSION DU BAILLEUR DÉFAILLANT Le déséquilibre existant sous le régime socialiste entre un propriétaire et un bailleur 671 Ustawa z dnia 2 lipca 1994 r. o najmie lokali mieszkalnych i dodatkach mieszkaniowych [Loi du 2 juillet 1994 sur la location de logements habitables et les allocations de logement], Dz. U., 1994, n°105, texte 509, pp. 1909-1916. Cette loi a été abrogée le 10 juillet 2001. 672 CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne, n°35014/97, 22 février 2005, §§ 17-24. 673 Com. EDH, Kuczyńska c. Pologne (déc.), n°25696/94, 10 septembre 1997 ; CEDH, Rudzińska c. Pologne (déc.), n°45223/99, 7 septembre 1999, Rec. 1999-VI 674 Cf. supra, Partie I, Titre I, Chapitre I, Section I. 260 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME était connu et mesuré par les pouvoirs publics, dans les premières années de la démocratisation. La législation avait commencé à évoluer, mais insuffisamment (A), ce qu’a démontré l’arrêt Stirmer rendu par la CEDH en 2004 (B). A. Les premières modifications du régime des baux Succédant à un jugement du Tribunal constitutionnel qui en invalida les dispositions (1), la loi de 1994 a été abrogée et remplacée par un nouveau texte à l’été 2001 (2). 1) Le premier jugement du Tribunal constitutionnel (12 janvier 2000) 410 - La loi du 2 août 1994 sur la location de logements habitables et les allocations de logement avait pour objectif de réguler les loyers. Mais elle avait maintenu des restrictions importantes aux droits des propriétaires. Elle a finalement été déférée devant le Tribunal constitutionnel. Ce dernier, dans son jugement du 12 janvier 2000, insista sur le fait que les règles applicables aux loyers réglementés avaient conduit à une situation précaire dans laquelle les frais d’entretien engagés par les propriétaires n’étaient pas couverts par les loyers perçus et n’avaient même aucune influence sur le montant de ceux-ci. En conséquence, les propriétaires en venaient non seulement à renoncer à tout profit mais surtout à perdre de l’argent, tandis que la valeur de leurs immeubles baissait régulièrement. Au fil du temps, les effets cumulés devenaient analogues à ceux d’une expropriation. Les dispositions principales de la loi de 1994 ont été jugées inconstitutionnelles au regard des disproportions générées au détriment des propriétaires immobiliers. Leur abrogation a été fixée au 11 juillet 2001675. Ce jugement a rendu nécessaire l’adoption d’amendements correctifs, apportés par le législateur en juin 2001. 2) La réforme législative de juin 2001 : l’adoption de la loi relative aux locations 411 - En conséquence du jugement du Tribunal constitutionnel, une nouvelle loi a été adoptée le 21 juin 2001. Celle-ci prévoyait dans son article 9 la possibilité, pour les propriétaires, d’augmenter le prix des loyers lorsque l’appartement ou la propriété en question avait fait l’objet d’une rénovation. L’article 28 de cette loi imposait notamment une restriction déjà présente dans la loi de 1994, que le législateur entendait maintenir en vigueur jusqu’au 31 675 TCP, n°P 11/98, 12 janvier 2000, OTK ZU, 2000, n°1, texte 3. 261 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE décembre 2004 : elle plafonnait le montant des loyers règlementés à 3 % de la valeur de reconstruction des logements. Pour ce qui est de la cessation des baux, le régime instauré par la loi de 2001 restait lui aussi restrictif676 car il entourait le congé donné au locataire d’un ensemble de conditions, notamment pour ce qui concernait les propriétaires de logements dont le loyer était inférieur à 3 % de la valeur de reconstruction. Les bailleurs ne pouvaient mettre un terme au contrat que si le locataire n’y résidait plus depuis plus d’un an ou s’il avait droit à un autre logement situé dans la même ville. En outre, sur le fondement de l’article 11 § 5 de la loi de 2001, le propriétaire désireux de reprendre l’appartement qu’il possédait pour s’y établir lui-même devait proposer au locataire un logement de remplacement ou, à défaut, de dénoncer le bail moyennant un préavis de trois ans677. En raison de ces restrictions à la rupture des baux ainsi que de la limitation de l’augmentation des loyers, le Défenseur des droits civiques déféra la loi de juin 2001 devant le Tribunal constitutionnel. 3) Le second jugement du Tribunal constitutionnel (2 octobre 2002) 412 - Le Défenseur des droits civiques, auteur de la saisine du Tribunal constitutionnel le 11 décembre 2001, a fait grief à la loi de 2001 de ne pas prévoir un système permettant aux propriétaires d’être dédommagés pour les coûts d’entretien ou de travaux effectués sur leurs propriétés. Il alléguait en conséquence la violation du droit de propriété protégé par la Constitution polonaise. Pour trancher, le Tribunal constitutionnel invita les organisations de propriétaires et de locataires à intervenir dans la procédure et à formuler des observations écrites. Il fut notamment révélé par l’instruction que les loyers règlementés représentaient en moyenne, à cette époque, 1,5 % de la valeur de construction et ne contribuaient à couvrir que 40 % des frais d’entretien des immeubles. 413 - Dans son jugement du 2 octobre 2002, le Tribunal constitutionnel a repris en grande partie les motivations de celui qu’il avait rendu le 12 janvier 2000. Il est allé dans le sens du Défenseur des droits civiques en déclarant inconstitutionnelle cette loi qui n’avait apporté aucune amélioration substantielle à la situation des propriétaires et avait introduit un système de contrôle des loyers inadéquat dont les effets négatifs avaient été encore accentués par 676 Cette question sera abordée dans l’affaire Hutten-Czapska mais elle est surtout au centre de l’arrêt Schirmer. 677 Ustawa z dnia 21 czerwca 2001 r. o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego [Loi du 21 juin 2001 sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières communales et portant modification du Code civil], Dz. U., 2001, n°71, texte 733, pp. 5318-5326. 262 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’évolution de la situation économique678. La loi attaquée n’avait ainsi jamais permis aux propriétaires de couvrir l’ensemble des dépenses de maintenance de leurs propriétés. Ce jugement ouvrit la voie à l’augmentation des loyers jusqu’au seuil de 3 % de la valeur de la reconstruction des logements qui appartenaient aux propriétaires et a entraîné une hausse généralisée des loyers à la fin de l’année 2002. Alors que, le gouvernement travaillait depuis 2003 sur un projet de réforme de la loi sur la protection des droits des locataires, la CEDH est intervenue dans le débat en jugeant l’affaire Schirmer le 21 décembre 2004. B. La violation du droit de propriété retenue dans l’arrêt Schirmer en 2004 414 - La requérante Henryka Schirmer possédait un appartement à Varsovie qu’occupait une locataire à la suite d’une décision administrative fondée sur le régime des baux spéciaux, abrogé par la loi du 12 juillet 1994. Conformément aux principes de cette dernière, le propriétaire ne pouvait mettre un terme au contrat de location. En 1996, Mme. Schirmer a saisi la cour de district de Varsovie pour solliciter le paiement par sa locataire de 4 371,17 PLN correspondant à la somme des loyers impayés. Elle signala aux juges que l’intéressée était informée du terme du contrat de location en raison du non-paiement récurrent des loyers. Cette première requête fut retirée en janvier 1999 lorsque Mme. Schirmer – qui avait entre-temps proposé une solution alternative à sa locataire en lui offrant un nouvel appartement, en vertu de l’article 56 § 7 de la loi de 1994679 – introduisit un nouveau recours visant à l’expulser. Le 6 août 1999, la cour de district rendit un arrêt par lequel elle ordonna à l’occupante de l’appartement de verser une somme de 459,15 PLN de loyers impayés mais rejeta en revanche la demande d’expulsion, le logement en question n’appartenant pas directement à la requérante qui n’avait sur lui que des droits limités. La requérante interjeta appel, faisant grief au juge de première instance d’avoir interprété la loi en question d’une façon littérale alors que cette loi avait pour objectif, en prévoyant l’expulsion, de garantir le respect des droits du propriétaire. La cour régionale de Varsovie a rejeté le recours le 20 décembre 1999, considérant que les termes de la loi ne se prêtaient pas à interprétation en l’espèce. Cette décision devint définitive le 28 février 2001 avec le rejet par la Cour suprême du pourvoi en cassation formé 678 TCP, n°K 48/01, 2 octobre 2002, OTK ZU, 2002, n°5A, texte 62. 679 Loi du 2 août 1994 sur la location de logements habitables et les allocations de logement, préc. 263 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE par Mme. Schirmer680. 415 - Devant la CEDH, Henryka Schirmer fit grief à la Pologne d’avoir violé l’article 1er du protocole n°1 en refusant de faire droit à la demande d’expulsion visant sa locataire défaillante au seul motif que l’appartement en question ne lui appartenait pas puisqu’il était placé sous un régime de coopérative. En outre, la requérante informa qu’en respect de la législation en vigueur à l’époque des faits, elle avait obtenu l’assentiment des autres participants à la coopérative de logement avant de demander l’expulsion de sa locataire. Le gouvernement a rappelé pour sa part que le droit de propriété ne saurait être interprété comme un droit absolu et qu’il pouvait être restreint lorsque des circonstances particulières le justifiaient. En exigeant que le propriétaire qui a proposé un appartement alternatif possédât effectivement celui-ci, la législation polonaise visait à apporter une sécurité juridique au locataire et à éviter que sa situation ne devînt plus précaire, lui épargnant le risque de l’éviction681. 416 - La CEDH s’est ainsi penchée sur les mesures de contrôle public exercées sur la propriété de la requérante. Pour les juges de la quatrième section, il ne saurait être remis en cause que le refus opposé à la requérante d’expulser la locataire vers un appartement sur lequel elle ne jouissait que des droits de quasi-propriété était conforme à la législation interne. La Cour se plaça logiquement sur le plan de la proportionnalité entre l’intérêt des locataires et celui des propriétaires. L’impossibilité pour la propriétaire-requérante de profiter de l’appartement occupé par la locataire défaillante eut pour conséquence une restriction de ses droits individuels, reconnue par le gouvernement lui-même. Alors que, sur le principe, le contrôle des baux par l’administration avait été aboli par la loi du 2 juillet 1994, des restrictions aux droits des propriétaires demeuraient, notamment à travers les contrats conclus sous l’ancien régime des baux spéciaux. La CEDH a estimé que les problèmes complexes rencontrés lors du passage à l’économie de marché et à l’état de droit n’exemptent par les États-membres du respect de la Conv. EDH et de ses protocoles682. La législation incriminée est apparue non respectueuse du juste équilibre à rechercher entre les différents intérêts concurrents. Bien plus qu’une con680 CEDH, Schirmer c. Pologne, n°68880/01, 21 septembre 2004, §§ 6-16. 681 Ibidem, §§ 26-31. 682 Ibid., § 38 : « La Cour reconnaît que les questions juridiques et sociales difficiles peuvent se poser dans le cadre de l’équilibre entre les droits des propriétaires et ceux de locataires au cours du processus d'assouplissement progressif des règles restrictives concernant la location de logements privés […]. Ces difficultés constituent une partie du processus de transition de l’ordre juridique socialiste et son régime de propriété vers celui de la règle de droit et de l’économie de marché, processus qui, par la nature des choses, se heurte à des difficultés. Cependant, ces difficultés et l’ampleur des tâches qui attendent les législateurs ayant à faire face à toutes les questions complexes liées à une telle transition ne dispense pas les États membres des obligations découlant de la Convention ou de ses Protocoles ». 264 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME damnation de son interprétation par les juges polonais qui n’en avaient fait que l’exacte application, la CEDH a regardé la loi elle-même comme déséquilibrée, le législateur de 1994 ayant trop fortement insisté sur les droits des locataires au détriment de ceux de propriétaires privés comme la requérante. Il faisait dès lors peser sur eux une charge individuelle excessive qui remettait en cause la jouissance de leurs biens683. La loi du 21 juin 2001 a été modifiée quelques années après l’arrêt Schirmer. L’exécution de ce dernier a été suivi par le Comité des ministres jusqu’à une résolution finale de 2011. C. La loi du 31 août 2011 modifiant la législation sur la protection des locataires 417 - La loi du 31 août 2011684, entrée en vigueur le 16 novembre 2011 entendait faciliter et accélérer l’exécution des décisions de justice ordonnant l’expulsion d’un logement. Conforment à ses dispositions, il appartient désormais à la municipalité, sur demande du bailleur, de désigner dans un délai de six mois un lieu d’hébergement temporaire pour le locataire en cours d’expulsion. En l’absence de décision de la municipalité, le bailleur est en droit d’être indemnisé pour le préjudice subi du fait de la carence de l’administration et il peut procéder à l’expulsion du locataire vers un hospice ou un foyer pour sans-abris685. 418 - Le Comité des ministres n’examine plus l’exécution de l’arrêt Stirmer depuis qu’il a rendu la résolution finale du 10 mars 2011 à propos de dix-sept arrêts concernant la Pologne parmi lesquels celui rendu dans cette affaire686. Le Comité a décidé de mettre un terme à la surveillance qu’il exerçait alors même qu’au Parlement l’amendement destiné à assouplir la loi du 21 juin 2001, laquelle rendait très difficile l’expulsion des locataires mauvais payeurs, était toujours en discussion. L’affaire Hutten-Czapska jugée en 2005 par la CEDH abordait la question de la con- 683 Ibid., §§ 33-45. 684 Ustawa z dnia 31 sierpnia 2011 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego oraz ustawy — Kodeks postępowania cywilnego [Loi du 31 août 2011 modifiant la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières communales et portant modification du Code civil], Dz. U., 2011, n°224, texte 1342, pp. 13232-13234. 685 Voir l’argumentaire du gouvernement au sujet de cette loi dans le cadre du suivi de l’affaire Hutten-Czapska : Com. Min., Document DH-DD(2013)464 (communication de la Pologne concernant l’arrêt Hutten-Czapska c. Pologne), 29 avril 2013, 1172e réunion des délégués. 686 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution des arrêts dans 17 affaires contre la Pologne), 10 mars 2011, 1108e réunion des délégués. 265 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE formité au Protocole n°1 de la limitation à la hausse des loyers imposée aux propriétaires, dans le prolongement direct du droit socialiste. § 2. LA FIN DU SYSTÈME DE LIMITATION DES PRIX DES LOYERS La condamnation de la Pologne dans les arrêts Schirmer puis Hutten-Czapska et les réformes des droits des propriétaires sont concomitantes. Le premier arrêt Hutten-Czapska (B) a été rendu six mois après l’adoption des lois de décembre 2004 modifiant la législation de 2001 (A). De nouveaux rapports entre locataires et propriétaires en Pologne ont résulté d’un patient dialogue des juges interne et européen (C), avec pour résultat la disparition du régime de contrôle des loyers, hérité du socialisme (D). A. Les lois de décembre 2004 modifiant la législation sur la protection des droits des locataires 419 - Un projet de loi a été présenté au Parlement le 30 décembre 2003. Son objectif était, selon le rapport explicatif qui l’accompagnait de « préciser les droits et obligations respectifs des propriétaires et des locataires afin de renforcer la protection de la partie la plus faible […] instituer de nouvelles règles de protection des locataires contre les hausses excessives des loyers et des autres charges locatives […] réduire la disproportion entre les droits constitutionnellement protégés des locataires et les droits constitutionnels des propriétaires »687. Dans son article 28 § 2, le projet prévoyait le maintien jusqu’à la fin de l’année 2008 du système de contrôle des loyers (par le biais d’un plafonnement à réévaluation progressive) pour l’ensemble des baux à loyer réglementé signés avant le 10 juillet 2001, ceci dans le but d’éviter une augmentation brutale des loyers à l’instar de celle qu’avaient connue les propriétaires en 2002. Cette proposition fut âprement critiquée et le gouvernement supprima finalement du projet les dispositions prorogeant après le 31 décembre 2004 le système de contrôle des loyers. Parallèlement, une proposition de loi sur le même thème fut présentée par le parti PiS et le Parlement décida de travailler simultanément sur les deux textes. 420 - La loi sur les droits des locataires de 2001 a finalement été modifiée pour que ses dispositions se conforment à la décision du Tribunal constitutionnel rendue le 2 octobre 2002. La 687 CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne [GC], n°35014/97, 19 juin 2006, Rec. 2006-VIII, § 115. 266 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME loi du 17 décembre 2004688 et l’amendement du 22 décembre 2004689, entrés en vigueur le 1er janvier 2005, comprenaient donc une série de mesures à destination des propriétaires et modifiaient le système de plafonnement des loyers. L’article 8a de la loi de 2001 modifiée en 2004 prévoit désormais qu’une augmentation de loyer supérieure à 3 % de la valeur de reconstruction du logement pouvait survenir dans des « cas justifiés »690. Sur la question de la cessation des baux, les modifications apportées furent quant à elles marginales. La Pologne fut condamnée le 22 février 2005 au visa de l’article 1er du Protocole n°1 dans l’affaire Hutten-Czapska en raison des dommages causés aux propriétaires immobiliers par la législation de 1994, déjà en cause dans l’affaire Schirmer. B. Le déclenchement de la procédure de l’arrêt pilote dans l’affaire Hutten-Czapska 421 - La requérante dans cette affaire, Maria Hutten-Czapska, était une citoyenne française d’origine polonaise. Elle possédait une maison et un terrain à Gdynia, dont elle avait hérités de ses parents. Construit en 1936, le logement avait été partiellement attribué à un tiers (A. Z.) par une décision du chef du service du logement de la commune rendue le 19 mai 1945. À partir de l’entrée en vigueur d’un décret du 21 décembre 1945, le logement fut soumis au régime de la gestion publique de l’habitat691. En 1948, les autorités tentèrent au cours d’une vente aux enchères de vendre l’habitation à A. Z., mais sans succès. Par ailleurs, les parents de la requérante échouèrent à obtenir la restitution de leur propriété. En juillet 1975, le maire de Gdynia autorisa le chef du service du logement de la commune à prendre possession de l’appartement située au rez-de-chaussée de l’immeuble appartenant à la famille de la requérante. Le 24 octobre de la même année, le directeur du bureau de l’administration locale et de 688 Ustawa z dnia 17 grudnia 2004 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego oraz o zmianie niektórych ustaw [Loi du 17 décembre 2004 portant modification de la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières des communes et portant modification du Code civil, ainsi que de certaines lois], Dz. U., 2004, n°281, texte 2783, pp. 2068-2074. 689 Ustawa z dnia 22 grudnia 2004 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego [Loi du 17 décembre 2004 portant modification de la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières des communes et portant modification du Code civil], Dz. U., 2004, n°281, texte 2786. 690 L’augmentation est justifiée par des loyers insuffisants pour couvrir les dépenses d’entretien. Non énumérés à l’origine dans la loi de 2004, les critères techniques de l’augmentation ont été listés (art. 8a, §§ 4a-4e) par l’amendement voté le 15 décembre 2006 (Ustawa z dnia 15 grudnia 2006 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego [Loi du 17 décembre 2004 portant modification de la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières des communes et portant modification du Code civil], Dz. U., 2006, n°249, texte 1833, pp. 12744-12746). 691 Dekret z dnia 21 grudnia 1945 r. o publicznej gospodarce lokalami i kontroli najmu [Décret du 21 décembre 1945 sur la gestion publique de l’habitat et le contrôle des baux], Dz. U., 1946, n°4, texte 27, pp. 45-52. 267 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE l’environnement de Gdynia ordonna l’assujettissement de l’immeuble entier au régime de l’administration publique. Il fallut à la requérante attendre le 18 septembre 1990 pour que la cour de district de Gdynia la reconnût héritière de l’immeuble possédé par ses parents et le 25 octobre 1990 pour que le titre de propriété fût inscrit au registre foncier. Le 31 juillet 1991, Mme. Hutten-Czapska obtint le transfert à son profit des pouvoirs d’administration que le conseil municipal de Gdynia exerçait depuis le 2 janvier 1976 sur l’immeuble692. 422 - Une fois réintégrée dans ses droits, elle engagea plusieurs procédures administratives dans l’espoir de faire annuler les décisions rendues plusieurs décennies auparavant en faveur de ses locataires. En juin 1992, Mme. Hutten-Czapska a demandé l’expulsion des locataires devant la cour de Gdynia qui rejeta cette demande en avril 1996. Toujours en 1992, elle demanda à la commission d’appel des collectivités locales de Gdańsk d’annuler la décision de 1975 autorisant l’occupant de l’appartement du rez-de-chaussée à ouvrir celui-ci à la location. La commission la débouta. Ce n’est que le 29 décembre 1995 que la commission d’appel des collectivités locales de Gdańsk rouvrit d’office la procédure, sur le constat que la décision contestée avait été prise par un fonctionnaire qui était le subordonné du bénéficiaire. Mais la prescription légale de cinq ans693 s’étant écoulée, la décision ne pouvait être annulée et fut simplement déclarée « prise en violation de la loi ». Le recours intenté par la requérante devant la Cour administrative suprême fut rejeté le 28 novembre 1996. Mme. Hutten-Czapska tenta également de faire annuler la décision administrative du 24 octobre 1975 par laquelle son immeuble avait été placé sous administration publique en saisissant le conseil municipal de Gdynia. Un nouvel arrêt de la Cour administrative suprême dans ce dossier, le 7 décembre 1994, conduisit la commission d’appel des collectivités locales à rouvrir la procédure à l’origine de la décision du 24 octobre 1975. 423 - Parallèlement, la requérante a saisi en avril 1995 la cour régionale de Gdańsk d’une demande de déplacement de ses locataires dans des logements municipaux et sollicita une indemnisation au titre de préjudice créé par l’impossibilité pour ses parents et elle-même de vivre dans l’immeuble qui lui appartenait. Le 5 juillet 1996, la cour régionale rejeta cette demande, estimant que la loi du 2 juillet 1994 sur les baux d’habitations et les aides au logement n’imposait pas aux autorités de reloger des locataires dans un immeuble municipal. Cet arrêt 692 CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne, n°35014/97, 22 février 2005, §§ 25-38. 693 Prescription fondée sur l’article 141 § 1 al. 4 du Code de procédure administrative de 1960 modifié (Ustawa z dnia 14 czerwca 1960 r. Kodeks postępowania administracyjnego [Loi du 14 juin 1960 – Code de procédure administrative], Dz. U., 1960, n°30, texte 168, pp. 293-307). 268 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME fut confirmé en seconde instance par la cour d’appel de Gdańsk, puis en cassation par la Cour suprême le 13 novembre 1997. Enfin, entre 1995 et 1998, la requérante avait tenté sans succès de faire annuler en justice la décision du 19 mai 1945 qui avait attribué le premier étage de l’immeuble litigieux à A. Z. au détriment des droits de ses parents694. 424 - Le 6 décembre 1994, Mme. Hutten-Czapska a saisi la CEDH, alléguant la violation de l’article 1er du protocole n°1 à la Conv. EDH, en vigueur en Pologne depuis le 10 octobre 1994. Selon elle, la législation interne portait atteinte à ses droits au point de n’être plus qu’une propriétaire « sur le papier », incapable de tirer le revenu de son bien, de fixer le montant de ses loyers, de vivre dans l’habitation qu’elle possédait ou encore de choisir ses propres locataires. Le gouvernement estimait quant à lui que la requérante, depuis la décision de 1990 par laquelle la cour de district de Gdynia avait fait inscrire sa propriété au registre foncier, jouissait de tous les attributs du droit de propriété, seulement restreints par la législation pour des motifs d’intérêt général (la situation sociale et immobilière). La Cour a adopté un avis intermédiaire, considérant que si Mme. Hutten-Czapska n’avait pas perdu l’ensemble de ses droits sur le bien695, elle en avait perdu l’usage sous la forme d’une possession physique et ne pouvait louer les appartements. Considérant la légalité des restrictions opposées à la requérante, d’abord à travers les lois de 1974 et 1994 puis à travers la nouvelle loi de 2001696 et ses amendements ultérieurs, la Cour admit facilement que des restrictions aussi importantes à l’encontre des droits des propriétaires eussent pour but légitime de faire face à la grave pénurie de logements qui sévissait dans le pays, doublée de la cherté de l’habitat et de la dégradation de la situation économique des ménages dans la période transitionnelle697. La CEDH a pu relever que les différents textes internes réformant le régime des baux et des loyers, adoptés depuis 1994, n’avaient pas eu pour effet d’améliorer la situation des propriétaires polonais, lesquels se trouvaient toujours dans l’impossibilité de couvrir les frais d’entretien des immeubles en raison de la limitation excessive du prix des loyers. Nulle procédure n’était ouverte aux propriétaires pour leur permettre de récupérer les frais d’entretien et donc d’amortir les conséquences de la limitation des prix des loyers. Dès lors, la Pologne, n’avait pas su remédier avec diligence à la précarité dans laquelle se trouvaient les propriétaires, contrevenant 694 CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne, préc., §§ 39-58. 695 Elle pouvait notamment vendre l’immeuble. 696 Adoptée alors que la procédure était pendante devant la CEDH. 697 La pénurie de logements est un motif valable de limitation des droits de propriété puisque la jurisprudence européenne l’avait établi dans l’affaire Mellacher, ce dont sont convenues les parties (CEDH, Mellacher et autres c. Autriche, n°10522/83, n°11011/84 et n°11070/84, 19 décembre 1989, Série A n°169, § 57). 269 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE ainsi aux exigences de l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH698. 425 - La quatrième section de la CEDH, au regard du nombre potentiellement élevé de requêtes de propriétaires affectés, a décidé d’enclencher la procédure de l’arrêt pilote, considérant que « les circonstances de la présente affaire révèlent l’existence d’un problème systémique sous-jacent lié à une grave défaillance dans l’ordre juridique interne : le dysfonctionnement de la législation polonaise en matière de logement, qui imposait et continue d’imposer aux propriétaires des restrictions à l’augmentation du loyer de leurs logements, ce qui les place dans l’impossibilité de percevoir un loyer raisonnablement proportionnel au coût d’entretien des biens »699. Dans l’opinion séparée qu’il écrivit à l’issue de cet arrêt, le juge Pavlovschi regretta néanmoins que la CEDH n’eût finalement statué que sur la question des limitations de la hausse des loyers, au détriment des autres griefs présentés par la requérante relativement à son impossibilité de faire annuler les décisions d’attribution des deux étages de sa propriété à des locataires et donc de prendre concrètement possession de son bien700. L’arrêt de chambre du 22 février 2005 rendu par la CEDH s’inscrivait déjà dans la continuité des jugements du Tribunal constitutionnel polonais (2000 et 2002). Saisie d’un renvoi, la grande chambre, a confirmé l’existence d’un problème systémique autour du contrôle des loyers et réitéré la condamnation de la Pologne. Par la suite, un dialogue des juges constructif s’est instauré entre le Tribunal constitutionnel et la Cour de Strasbourg, facilitant la bonne réception de l’affaire Hutten-Czapska. C. La réévaluation des droits des propriétaires par le dialogue des juges européen et polonais L’enclenchement de la procédure de l’arrêt pilote a été confirmé par un arrêt de grande chambre de la CEDH en 2006 (1). S’ensuivit promptement une série de réformes en Pologne en vue de modifier la législation interne (2). Les mesures adoptées sont en cours d’évaluation par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe (3). 698 CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne, préc., §§ 138-188. 699 Ibidem, § 191. 700 Ibid., opinion en partie concordante et en partie dissidente de M. le juge Pavlovschi. 270 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 1) La confirmation de l’enclenchement de la procédure de l’arrêt pilote : l’arrêt de grande chambre de 2005 426 - Après l’arrêt rendu dans l’affaire Hutten-Czapska en 2005, la situation de la requérante évolua quelque peu dans la mesure où trois de ses locataires déménagèrent et que le dernier en place reçut une proposition de logement municipal701. De plus, le Tribunal constitutionnel polonais se prononça le 19 avril 2005 sur la compatibilité avec la Constitution des amendements législatifs de décembres 2004. Il s’est référé à cette occasion à l’arrêt Hutten-Czapska de la CEDH pour conclure que les textes déférés portaient atteinte « de manière inacceptable aux normes communes aux États-membres du Conseil de l’Europe en matière de protection de la propriété »702. 427 - Le 20 mai 2005, la Pologne a demandé le renvoi de l’affaire devant la grande chambre de la CEDH. C’est donc dans cette formation que la CEDH s’est prononcée à nouveau sur cette affaire, le 19 juin 2006. La requérante réaffirma que les autorités polonaises avaient failli à ménager un juste équilibre entre l’intérêt général et le droit individuel au respect de sa propriété privée. Elle combattit un nouvel argument présenté par le gouvernement selon lequel le maintien temporaire en 1994 du système de contrôle des loyers reposait sur un accord social spécifique conclu entre les propriétaires, les locataires et l’État. Elle rappela qu’à quatre reprises le Tribunal constitutionnel avait jugé que les restrictions opposées aux droits des propriétaires privés étaient incompatibles avec la protection constitutionnelle de respect de la propriété, dans la mesure où elles faisaient peser sur les propriétaires une charge excessive. À ses yeux, la législation adoptée à partir de 1994 n’avait fait que maintenir un régime défavorable qui eut pour conséquence d’entraîner l’aggravation de la situation des propriétaires en général et de la sienne en particulier. Mme. Hutten-Czapska contesta enfin que le jugement du 19 avril 2005 rendu par le Tribunal constitutionnel eût mis un terme au système de contrôle des loyers en abolissant les dernières restrictions que comportait la loi de 2001 modifiée en 2004. Elle fit remarquer que la loi en vigueur ne permettait d’augmenter les loyers que pour autant que cette augmentation fût « justifiée », sans toutefois définir les critères d’une aug701 CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne [GC], préc., § 66. 702 Le Tribunal avait été saisi par l’Union polonaise des propriétaires d’immeubles et par le Procureur général. Voir le jugement du TCP, n°K 4/05, 19 avril 2005, OTK ZU, 2005, n°4A, texte 37. Dans ce jugement, le Tribunal annonça qu’il ferait des recommandations au Parlement et il s’y conforma, par une décision du 29 juin 2005. Le Tribunal invita le Parlement à instaurer un contrôle juridictionnel sur les mesures d’augmentaion de loyer, un « miroir des loyers » dans chaque commune pour surveiller l’évolution de ceux-ci, à accorder des subventions aux propriétaires faisant face à des dépenses exceptionnelles pour entretenir les immeubles, etc. (TCP, n°S 1/05, 29 juin 2005, OTK ZU, 2005, n°6A, texte 77). Voir aussi CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne [GC], préc., § 139. 271 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE mentation ainsi qualifiée, plaçant les propriétaires dans l’impossibilité concrète d’élever leurs loyers. Le gouvernement estimait inapproprié de regarder les conclusions des arrêts du Tribunal constitutionnel comme décisives dans le cas d’espèce puisqu’elles affectaient la situation des propriétaires en général, non le cas particulier de la requérante. Et selon lui, Mme. HuttenCzapska ne pouvait plus se plaindre de la dépossession physique de sa propriété puisque tous ses locataires avaient quitté les lieux ou étaient sur le point de le faire703. 428 - La grande chambre a repris en très grande partie les conclusions auxquelles la quatrième section avait déjà abouti un an auparavant pour confirmer que la Pologne violait continuellement les dispositions de l’article 1er du Protocole n°1 depuis 1994, nonobstant les modifications marginales apportées au système de contrôle des loyers. Concernant la période allant du 1er janvier au 26 avril 2005 – c’est-à-dire juste après le quatrième jugement du Tribunal constitutionnel sur la loi de 2001 relative aux droits des propriétaires – la grande chambre a aussi confirmé ce que sous-entendait la quatrième section, à savoir que les amendements apportés en 2004 ne permettaient pas de mettre un terme à la situation de violation courant à l’encontre de la requérante. 429 - Sur la période postérieure au 26 avril 2005, pour laquelle le gouvernement prétendait que la requérante ne pouvait plus se prévaloir du statut de victime puisqu’elle aurait retrouvé le plein usage de sa propriété et que toute limitation du montant des loyers était abolie en droit interne, la CEDH n’a pas accueilli les arguments de l’État-défendeur. Le juge européen a rappelé qu’en vertu de sa jurisprudence, une décision ou mesure favorable à un requérant ne suffisait pas en principe à retirer à celui-ci son statut de victime si les autorités n’avaient pas reconnu et réparé la violation causée. La CEDH a jugé non fondées les assertions du gouvernement selon lesquelles le jugement du Tribunal constitutionnel de 2005 aurait permis en soi d’abroger toute limitation à la fixation des montants des loyers en Pologne dans la mesure où les limitations antérieures en matière de fixation des baux étaient toujours en vigueur. Pour la Cour, la violation du droit de propriété protégé par le Protocole n°1 ne résultait pas seulement des restrictions à l’augmentation des loyers mais également de l’ensemble des obligations pesant sur les propriétaires, en l’absence d’un mécanisme légal leur permettant de compenser ou du moins d’atténuer les pertes subies lors de l’entretien des biens. En conclusion, la CEDH a confirmé que la Pologne n’avait pas su instaurer un juste équilibre entre l’intérêt général et 703 Ibidem, §§ 179-193. 272 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME le droit individuel de la requérante704. 430 - Le gouvernement contestait aussi devant la grande chambre l’application au cas d’espèce de la procédure de « l’arrêt pilote » alors que les circonstances, selon lui, ne s’y prêtaient pas. Il estimait notamment que les difficultés rencontrées par la requérante, propriétaire d’une maison individuelle et non d’un immeuble de rapport, n’étaient pas représentatives de la situation des propriétaires polonais en général, d’autant plus que la décision du Tribunal constitutionnel du 19 avril 2005 avait contribué à changer la donne en mettant la législation nationale en conformité avec les exigences de la Conv. EDH. Le nombre encore réduit de requêtes effectivement transmises au greffe de la Cour – dix-huit au total – n’a pas été considéré comme un fait décisif pour s’opposer au déclenchement de la procédure de l’arrêt pilote. La Cour s’inquiéta plutôt de la législation sur le contrôle des loyers, susceptible de toucher environ 100 000 propriétaires et jusqu’à 900 000 locataires, ce qui révélait l’existence d’un problème systémique sous-jacent. La procédure de l’arrêt pilote se justifiait dès lors pleinement pour les juges de la grande chambre705. 431 - La confirmation de l’arrêt pilote intimait à l’État polonais de prendre des mesures générales appropriées, tout en lui laissant le libre choix des moyens. Avec cet arrêt en effet, constate le professeur Ducoulombier, « la direction est donnée mais pas les moyens de parvenir au résultat souhaité » alors même que « l’équilibre des droits peut paraître délicat à atteindre »706. Dans ses motivations, l’arrêt du 19 juin 2006 avance « que l’État défendeur doit avant tout, par des mesures légales et/ou autres appropriées, ménager dans son ordre juridique interne un mécanisme qui établisse un juste équilibre entre les intérêts des propriétaires, notamment en donnant à ceux-ci la possibilité de tirer un profit de leurs biens, et l’intérêt général de la collectivité – notamment en prévoyant suffisamment de logements pour les personnes les plus démunies –, conformément aux principes de protection du droit de propriété énoncés dans la Convention » (§ 239). Ces indications, plutôt imprécises, « n’ajoutent rien à l’efficacité du système de la Convention »707, selon le professeur Sudre qui rejoint en cela l’opinion dissidente émise par le juge Zagrebelsky708. Quoi qu’il en soit, cette affaire 704 Ibid., §§ 194-225. 705 Ibid., §§ 227-237. 706 Peggy DUCOULOMBIER, « Quelques considérations autour du rôle de la Cour européenne à propos d’un arrêt pilote », L’Europe des Libertés, n°1, 2006, p. 21. 707 Frédéric SUDRE, « Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (2006) », RDP, n°3, 2007, p. 871. 708 CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne [GC], préc., opinion partiellement dissidente du juge Zagrebelsky. Outre le manque de fondement légal qui caractérise la procédure d’arrêt pilote, le juge italien estime que la Cour 273 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE lourde de conséquences pour la Pologne pourrait bien, de l’avis de Jean-Pierre Marguénaud, « être présentée comme la parfaite consécration des risques que la Convention européenne des droits de l’Homme fait courir à la socialisation du droit des contrats […] parce que la loi, qui était un modèle d’interventionnisme étatique à but social, avantageait si considérablement les locataires que les bailleurs ne pouvaient plus tirer profit de leurs biens et ne pouvaient même plus, avec les maigres loyers auxquels ils étaient limités, faire face aux plus élémentaires travaux d’entretien »709. Il ne faisait aucun doute que la Pologne devrait repenser la logique de sa législation. La CEDH la seconderait comme elle l’avait fait après sa condamnation dans l’affaire Broniowski. Et le professeur Marguénaud de conclure, de manière plus générale, qu’en mettant en œuvre le principe du contrôle de proportionnalité des mesures internes restrictives, la CEDH a « contribu[é] puissamment à modifier la loi règlementant un type de contrat – de bail en l’occurrence »710. De l’arrêt de chambre au renvoi devant la grande chambre de la CEDH, puis postérieurement encore à ce dernier, le droit interne fut constamment transformé par le juge constitutionnel et le législateur. 2) Les réformes internes postérieures à l’arrêt pilote Hutten-Czapska Pressé aussi bien par la CEDH que par le Tribunal constitutionnel (a) de modifier en profondeur la loi de 2001 sur la protection des droits des propriétaires, le législateur est intervenu à trois reprises entre 2006 et 2008 (b). a) Les jugements du Tribunal constitutionnel de mai et septembre 2006 432 - À l’occasion d’un contrôle de constitutionnalité in concreto consécutif à une question préjudicielle transmise par une cour de district, le Tribunal constitutionnel a annulé dans son jugement du 11 septembre 2006 d’autres dispositions de la loi de 2001 sur la protection des droits des locataires. Était visé l’article 18 § 4 de ce texte, lequel limitait la responsabilité civile des communes en matière d’offres de logements sociaux aux locataires à l’encontre des- « entre dans un domaine qui est spécifiquement propre au politique » en indiquant à l’État les mesures qu’il doit adopter pour se conformer à l’arrêt, d’autant plus que « les indications de la Cour, en raison de leur contenu vague et qui va de soi, ne peuvent pas être tenues pour contraignantes ». 709 Jean-Pierre MARGUÉNAUD, « Un petit pas de plus vers l’assimilation européenne de la liberté contractuelle à une liberté fondamentale », RDC, n°3, 2009, p. 1216. 710 Ibidem, p. 1216. 274 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME quels un propriétaire avait obtenu un arrêté d’expulsion exécutoire711. Le Tribunal a jugé les dispositions attaquées non-conformes aux principes constitutionnels de protection du droit de propriété et d’indemnisation des actes illégaux commis par les autorités publiques712. 433 - Ce jugement est intervenu quelques mois après celui du 17 mai 2006 qui avait déjà conduit à l’abrogation d’une partie de cette même loi713. Il revenait désormais au législateur de « réconcilier les différents droits constitutionnels en évitant le maintien stéréotypé de relations antagoniques entre locataires et propriétaires »714. Le Parlement s’est retrouvé au pied du mur, forcé d’entreprendre une réforme supplémentaire. Par une série de lois, il s’est efforcé de mettre le droit en conformité avec les exigences constitutionnelles et conventionnelles. b) Un ensemble de lois votées de 2006 à 2010 pour accroître les droits des locataires 434 - Une première loi a été adoptée par le Parlement le 8 décembre 2006. Relative à l’assistance financière pour les logements sociaux, elle établit les conditions d’obtention d’une aide étatique pour la construction de maisons destinées aux sans-abris et aux défavorisés. Elle permit corrélativement d’offrir une nouvelle trame légale pour venir en aide aux locataires démunis715. Dans le même temps, le Parlement a adopté l’amendement du 15 décembre 2006 à la loi sur la protection des locataires de 2001, texte qui contenait une nouvelle définition des dépenses de maintenance d’un logement loué ainsi qu’une série de dispositions plus libérales sur la hausse des loyers. Les « dépenses liées à l’entretien d’un logement » comprennaient explicitement, dans un nouvel alinéa ajouté à l’article 2 § 1 de la loi de 2001 modifiée, incombent au propriétaire les frais suivants : « entretien et maintien des biens dans un bon état technique, et rénovations ; administration des biens ; entretien des parties com711 Cet article disposait : « Si la commune n'a pas réussi à fournir un logement social à la personne désignée par une décision de justice, le propriétaire est en droit de réclamer des dommages de la municipalité pour un montant équivalent à la différence entre l'indemnité prévue et la rémunération versée par l'ex-locataire, aussi longtemps que ce dernier continue de résider dans les locaux du propriétaire » (Loi du 21 juin 2001 sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières communales et portant modification du Code civil, préc.) 712 TCP, n°P 14/06, 11 septembre 2006, OTK ZU, 2006, n°8A, texte 102. 713 TCP, n°K 33/05, 17 mai 2006, OTK ZU, 2006, n°5A, texte 57. 714 Peggy DUCOULOMBIER, « Quelques considération autour du rôle de la Cour européenne à propos d’un arrêt pilote », préc., p. 19. 715 Ustawa z dnia 8 grudnia 2006 r. o finansowym wsparciu tworzenia lokali socjalnych, mieszkań chronionych, noclegowni i domów dla bezdomnych [Loi du 8 décembre 2006 sur l’assistance financière à la création de logements sociaux, de logements protégés, de refuges et de maisons pour les sans-abris], Dz. U., 2006, n°251, texte 1844, pp. 12822-12827. 275 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE munes, ascenseurs, antennes collectives, interphones et espaces verts ; assurances sur les biens ; autres, s’ils sont mentionnés ». L’amendement en question prévoyait enfin la possibilité d’engager la responsabilité civile de la municipalité (au sens de l’article 417 du Code civil) en cas d’incapacité à offrir un logement social à un locataire protégé (ce qui constitue une « omission illégale »). Le texte est entré en vigueur le 1er janvier 2007716. 435 - Le 17 décembre 2009, le législateur a complété encore les dispositions de la loi de 2001 par la création du « bail occasionnel », un régime applicable aux propriétaires qui louent des biens immobiliers indépendamment de toute activité professionnelle portant sur la location de logement et pour une durée maximale de dix ans717. À la condition d’accomplir certaines formalités légales (information du locataire sur les règles de l’expulsion ; acceptation écrite du locataire de quitter les lieux à l’expiration du bail, sous la forme d’un acte authentique ; présentation au locataire de l’ordre d’explusion, le cas échéant), le propriétaire peut expulser le signataire du bail occasionnel à l’issue de la période légalement fixée. Ce régime semble être une réponse aussi bien à l’arrêt Schirmer de la CEDH qu’à l’arrêt Hutten-Czapska puisque le propriétaire peut fixer librement le montant du loyer mais toute augmentation de celui-ci est encadrée dans ses taux et fréquence par le contrat de bail conclu avec le locataire718. 436 - La loi de 1997 sur l’administration foncière ainsi que divers textes ont été modifiés par un amendement voté par le Parlement le 24 août 2007. Il crée un outil d’information baptisé « miroir des loyers », destiné à renseigner les autorités sur le montant moyen des loyers dans une région déterminée, s’inspirant donc des recommandations du Tribunal constitutionnel. Cet outil devait en outre permettre aux juridictions civiles d’obtenir des données pertinentes lorsqu’elles avaient à statuer sur des litiges relatifs à des augmentations de loyers décidées par des propriétaires. Le système repose sur l’obligation, pour les gestionnaires de biens immobiliers, de fournir un certain nombre d’informations sur les biens en question (montants des loyers, ancienneté de l’immeuble, caractéristiques des logements, etc.)719. 437 - La possibilité d’un remboursement partiel des crédits engagés par les propriétaires pour 716 Loi du 15 décembre 2006 modifiant la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières des communes et portant modification du Code civil, préc. 717 Ustawa z dnia 17 grudnia 2009 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 17 décembre 2009 modifiant la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières des communes et portant modification du Code civil], Dz. U., 2010, n°3, texte 13, pp. 603-605. 718 Com. Min., Document DH-DD(2015)56 (communication de la Pologne concernant l’arrêt Hutten-Czapska c. Pologne), 15 janvier 2015, 1222e réunion des délégués. 719 CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne [GC] (règlement amiable), n°35014/97, 28 avril 2008, § 21. 276 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME la rénovation ou la modernisation des immeubles résidentiels a été portée par une loi présentée au Parlement par l’ancienne majorité conservatrice en septembre 2007 et reprise par les élus libéraux dès le 29 février 2008. Le projet visait à favoriser l’entretien et la rénovation des logements en mauvais état, notamment situés dans les immeubles de rapport. Il prévoyait par exemple d’introduire un « remboursement pour rénovation » ou pour « modernisation thermique » de l’investisseur ayant entrepris certains types de travaux720. Cette loi sur le soutien à la modernisation thermique et à la rénovation721 a été finalement adoptée le 21 novembre 2008. Elle est entrée en vigueur le 19 mars 2009722. Elle fut amendée dès 2010 pour faciliter les demandes d’aides compensatoires pour les propriétaires désireux de moderniser leur bien immobilier (possibilité de passer par une procédure simplifiée et sans exigence d’obtenir préalablement un prêt bancaire). Ce texte est entré en vigueur le 7 juin 2010723. La conjugaison de l’ensemble de ces initiatives législatives a abouti à la disparition du régime de contrôle des loyers, nécessaire à l’exécution de l’arrêt pilote Hutten-Czapska. D. La disparition du régime de contrôle des loyers en Pologne L’évaluation de la réception de l’arrêt Hutten-Czapska s’est déroulée en trois temps. La CEDH a profité en 2008 du règlement amiable entre l’État et la requérante pour examiner les mesures internes adoptées (1). En 2011, elle a confirmé l’avis favorable émis sur lesdites mesures en déclarant irrecevable une requête portant sur des faits similaires à ceux de l’arrêt Hutten-Czapska (2). Pourtant, le Comité des ministres n’a toujours pas mis fin à la procédure de surveillance, qui reste dès lors suspendue à l’adoption d’une résolution définitive (3). 1) Le règlement amiable validé par la CEDH le 28 avril 2008 438 - Dans l’arrêt de la CEDH du 19 juin 2006, la fixation immédiate d’un montant pour la satisfaction équitable due à Maria Hutten-Czapska n’avait pas été jugée appropriée. L’État et la requérante furent invités à ouvrir des négociations une fois que la CEDH eut rendu son ju720 Ibidem, §§ 22-26. 721 Ustawa z dnia 21 listopada 2008 r. o wspieraniu termomodernizacji i remontów [Loi du 21 novembre 2008 sur la modernisation thermique et la rénovation], Dz. U., 2008, n°223, texte 1459, pp. 12367-12373. 722 Lire sur le sujet Piotr STYCZEŃ, « Polish experience of the pilot procedure and implementation of the judgment in the case of Hutten-Czapska against Poland… », préc., 2009, p. 83. 723 Ustawa z dnia 5 marca 2010 r. o zmianie ustawy o wspieraniu termomodernizacji i remontów [Loi du 5 mars 2010 portant modification de la loi sur la modernisation thermique et la rénovation], Dz. U., 2008, n°76, texte 493, pp. 6481-6482. 277 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE gement au principal. Les parties se sont finalement entendues le 8 février 2008 à Varsovie sur le montant de la compensation équitable à verser et ce règlement amiable a été validé par la grande chambre de la CEDH le 28 avril 2008. Par cet acte, le gouvernement s’est engagé à verser à Mme. Hutten-Czapska la somme globale de 262 500 PLN en compensation du dommage matériel subi au fil des années en raison du système de contrôle des loyers. S’ajoutaient enfin 22 500 PLN pour les frais et dépens engagés par la requérante, en supplément des 30 000 PLN déjà attribués par la CEDH dans son arrêt au principal724. 439 - Outre le sort individuel de la requérante, les mesures générales adoptées ou projetées par la Pologne dans le cadre de l’application de l’arrêt au principal ont été observées par la Cour qui, si elle ne remet pas en cause le rôle du Comité des ministres dans le suivi de l’exécution des affaires, n’en considère pas moins qu’il lui appartient de « tenir compte du fait que le gouvernement témoigne de la volonté tangible de prendre des mesures destinées à résoudre le problème structurel constaté par elle dans son arrêt au principal et verra dans l’action du redressement d’ores et déjà entreprise ou promise par le gouvernement un facteur positif »725 en vue de prononcer la radiation du rôle. 440 - La CEDH dresse, à cette occasion, le premier bilan des interventions du Tribunal constitutionnel et du législateur polonais depuis l’arrêt de la grande chambre du 19 juin 2006. Parce que la procédure de l’arrêt pilote : « implique notamment […] que l’appréciation par la Cour de la situation dénoncée dans l’affaire ‘‘pilote’’ s’étende nécessairement au-delà des seuls intérêts du requérant dont il s’agit et commande à la Cour d’examiner l’affaire aussi sous l’angle des mesures générales devant être prises »726, la radiation du rôle de l’affaire dépendait donc aussi de la pertinence des solutions apportées au niveau interne pour corriger le dysfonctionnement systémique affectant les droits des propriétaires immobiliers. La CEDH relève que l’important amendement à la loi de 2001 adopté le 15 décembre 2006 avait pour objectif de mettre en œuvre deux jugements du Tribunal constitutionnel tout en tenant compte des motivations de la jurisprudence européenne en la matière. Ce texte avait permis aux propriétaires d’augmenter les loyers pour faire face aux coûts de rénovation et d’entretien ou de générer un profit. Couplées à d’autres mesures – tel le système d’information de suivi du 724 CEDH, Hutten-Czapska c. Pologne [GC] (règlement amiable), préc., §§ 2-3. La CEDH a confirmé que « la somme que le gouvernement doit verser à Mme. Hutten-Czapska couvre le dommage subi par elle et les frais et dépens exposés dans le cadre de la procédure de règlement amiable, et qu’il a été fait droit aux autres prétentions de l’intéressée » (§ 44). 725 Ibidem, § 43. 726 Ibid., § 33. 278 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME montant des loyers (ou « miroir des loyers ») et des primes à la rénovation et à la modernisation thermique des bâtiments d’habitation – ces améliorations du droit polonais avaient, à l’évidence, « pour objectif de faire disparaître les restrictions figurant dans la loi de 2001 dont il est question dans l’arrêt au principal »727. 441 - Last but not least, la législation polonaise comprenait désormais un dispositif spécial de remboursements dits compensatoires au bénéfice des propriétaires dont les biens avaient été soumis aux restrictions imposées entre 1994 et 2005. Mentionnant enfin que le gouvernement s’était engagé à travers le règlement amiable signé avec la requérante à poursuivre la mise en œuvre de toutes les mesures nécessaires pour garantir dans l’ordre interne un juste équilibre entre les intérêts des propriétaires et l’intérêt général de la collectivité (puisque le processus législatif était alors en cours), la CEDH a rappellé qu’il appartiendrait au Comité des ministres d’apprécier l’impact des mesures sur la mise en œuvre de l’arrêt au principal. Pour les juges de la grande chambre cependant, la « volonté intangible » témoignée par le gouvernement « de prendre des mesures destinées à résoudre le problème structurel »728 justifiait la validation du règlement amiable. 442 - En prononçant la radiation de l’affaire Hutten-Czapska par le règlement amiable du 28 avril 2008, la CEDH a considéré que l’État-défendeur avait rempli les obligations que faisait peser sur lui la procédure de l’arrêt pilote. En l’absence, à ce jour, d’une résolution du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, ce règlement amiable est l’indication principale qui invite à penser que la Pologne a correctement exécuté l’arrêt en question et ainsi résolu, par l’adoption de mesures d’ordre général, le problème affectant le mécanisme de contrôle des loyers et de restriction des droits des bailleurs, auparavant non-compatible avec l’article 1er du Protocole n°1. 443 - Tandis que la CEDH se félicitait des mesures adoptées en Pologne, une tonalité positive a également été décelée dans la doctrine. Pour les professeurs Marguénaud et Rémy-Corlay, « il ne faisait aucun doute que la Pologne s’était scrupuleusement conformée à l’arrêt définitif auquel elle était partie »729. Pourtant, l’attitude de la CEDH ne fut pas exempte de tout reproche puisque, dans son règlement amiable, la grande chambre « se satisfait d’un vague projet de loi en cours d’élaboration qui s’efforcerait de mettre en place les remboursements 727 Ibid., § 39. 728 Ibid., § 43. 729 Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Pauline RÉMY-CORLAY, « Un nouvel instrument de conquête du droit des contrats par la CEDH : le règlement amiable pilote », RTD Civ., 2008, p. 641. 279 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE appropriés » au risque que les auteurs des requêtes similaires ne devinssent « les dindons de la farce »730. Pour Wojciech Sadurski, la « saga » Hutten-Czapska illustre à l’évidence « la ‘‘collaboration’’ explicite et constante entre deux juridictions – l’Européenne et la nationale – dans la critique de la législation interne et dans l’accompagnement des branches législatives et exécutives de l’État vers une conformation plus ou moins complète avec les standards de protection des droits partagés par ces deux juridictions »731. Lors d’un colloque organisé à Varsovie en 2008, le vice-ministre des Infrastructures Piotr Styczeń se montrait lui aussi très enthousiaste à travers l’analyse qu’il proposait sur le suivi de l’affaire Hutten-Czapska. Après avoir décrit dans le détail les améliorations et nouveautés apportées dans la législation polonaise, il en conclut que le problème soulevé avait été résolu et la loi améliorée, l’arrêt pilote prononcé par la CEDH s’étant révélé un succès732. Cohérente avec la position exprimée dans son règlement amiable d’avril 2008 sur l’affaire Hutten-Czapska, la CEDH a jugé irrecevable une affaire de même nature en 2011. 2) La décision d’irrecevabilité du 8 mars 2011 d’une requête portant sur les droits des propriétaires 444 - Un groupe de 239 propriétaires polonais avait saisi la CEDH d’une requête le 29 décembre 2001733. Leurs biens immobiliers avaient été successivement concernés par la législation de 1946 (l’administration publique de l’habitat), celle de 1974 (le régime des baux spéciaux) et celle de 1994 (les loyers règlementés). Ils se plaignaient de souffrir encore de restrictions de leurs droits incompatibles avec l’article 1er du Protocole n°1 sous l’empire de la loi de 2001 relative à la protection des droits des propriétaires, modifiée à plusieurs reprises depuis. Dans sa décision du 8 mars 2011, la Cour est venue redire que « lorsqu’elle examine des affaires faisant suite à un arrêt pilote, [elle] a le pouvoir de décider si, au vu des mesures prises par l’État pour remédier à la violation constatée, la question au cœur du litige ‘‘a été résolue’’ aux fins de l’article 37 de la Convention et s’il y a lieu de poursuivre la procédure d’arrêt pilote »734. Elle a détaillé ensuite l’ensemble des mesures résultant des amendements 730 Ibidem, p. 643. 731 Wojciech SADURSKI, « Partnering with Strasbourg: Constitutionalisation of the European Court of Human Rights… », préc., p. 420. 732 Piotr STYCZEŃ, « Polish experience of the pilot procedure and implementation of the judgement in the case of Hutten-Czapska against Poland… », préc., p. 89. 733 CEDH, Association des propriétaires fonciers de Łódź et autres (déc.), n°3485/02, 8 mars 2011, Rec. 2011-II. 734 Ibidem, § 45. 280 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME successifs de la loi de 2001 ainsi que d’autres lois relatives à l’habitat adoptées depuis l’arrêt Hutten-Czapska. Prenant note des droits nouveaux accordés aux propriétaires polonais (possibilité d’augmenter les loyers pour l’entretien et la capitalisation, mise en place du « miroir des loyers », subventions pour la modernisation des logements…) la CEDH a déclaré irrecevable la requête735. La Cour a mis elle-même le point final à un dialogue des juges736 qui posa les conditions d’une bonne exécution de ce contentieux de la propriété en Pologne. Malgré la bienveillance de la Cour à l’égard des mesures prises pour mettre fin au problème systémique de l’encadrement des loyers des propriétaires immobiliers, une résolution du Comité des ministres dans l’affaire Hutten-Czapska se fait toujours attendre. 3) L’issue de la procédure suspendue à l’adoption d’une résolution finale par le Comité des ministres 445 - Conformément au système de la Conv. EDH, il appartient au Comité des ministres de rendre sa résolution finale pour clore le suivi de l’exécution de ce deuxième arrêt pilote. Certes, en considération des décisions précédentes de la CEDH, notamment de la validation du règlement amiable avec le requérant, difficile de douter que « le Comité refuse d’adopter une résolution définitive suite au satisfecit donné par la Cour »737. Pourtant, à l’heure actuelle, l’affaire Hutten-Czapska est toujours en cours d’examen, mais sous le régime de la procédure standard738. 446 - L’action des autorités polonaises est régulièrement remise en cause par l’Association polonaise des propriétaires immobiliers, qui accuse le gouvernement d’avoir « introduit intentionnellement des restrictions au paiement d’indemnités compensatoires ». Dans son dernier courrier au service de l’exécution des arrêts de la CEDH, en date du 13 avril 2015, 735 Ibid., §§ 69-89. 736 Le dialogue des juges « conduit le juge à définir la solution du cas particulier dont il est saisi par un acte juridictionnel solennel. L’autorité de la chose jugée met fin au dialogue tout autant qu’elle s’explique comme étant le fruit de celui-ci. Qu’elle soit relative ou absolue, sa portée s’impose en ce qu’elle met un terme définitif au débat judiciaire » (Laurence POTVIN-SOLIS, « Le concept de dialogue entre les juges en Europe », in François LICHÈRE (et al.) (dir.), Le Dialogue entre les juges européens et nationaux : incantation ou réalité, Bruxelles, Brulylant-Nemesis, 2004, p. 20). 737 L’adoption de la résolution ne serait alors qu’« une simple formalité dans ce genre d’affaire » (Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (2006) », RTDH, n°71, 2007, p. 692). 738 La dernière réunion consacrée à l’affaire Hutten-Czapska s’est tenue du 7 au 9 juin 2011 (1115e réunion des délégués). Le Comité a décidé de repousser la clotûre de l’examen dans l’attente de données supplémentaires sur l’impact des mesures législatives adoptées. 281 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE l’association estimait que l’affaire Hutten-Czapska n’avait pas permis de compenser efficacement le préjudice subi par les propriétaires polonais du fait de la législation en vigueur de 1994 à 2005. De l’avis de cette ONG, les statistiques fournies par la Banque nationale, les indemnités versées aux propriétaires lésés en application de la loi de 2008 sur la modernisation thermique et la rénovation s’élèvent en moyenne à 325 PLN le mètre carré. À titre de comparaison, le règlement amiable conclu devant la CEDH avait alloué 1 000 PLN par mètre carré à Maria Hutten-Czapska. L’association estimait que la bonne exécution de l’arrêt pilote nécessitait une pleine compensation pour les pertes subies par tous les propriétaires avant 2005 et le versement d’indemnisations de l’État sans justificatif de travaux effectués739. 447 - Soulignant que les chiffres avancés par l’Association polonaise des propriétaires immobiliers correspondaient au montant moyen d’indemnisation, le gouvernement s’est justifié auprès du Comité des ministres par une lettre du 1er juillet 2015. De l’avis des autorités, les réformes entreprises pour se conformer à l’arrêt pilote Hutten-Czapska ont conduit à mettre en place une compensation pour la rénovation des logements dont le montant s’appuie sur un ensemble de critères indispensables : les capacités budgétaires de l’État, la gravité du dommage provoqué par l’absence de bénéfices sur les loyers aux fins d’entretenir les lieux, la durée de la restriction affectant les loyers, l’indice le plus récent du coût de la construction au mètre carré. Le gouvernement estime donc qu’il faut s’attacher à la fourchette des indemnisations plutôt qu’à la moyenne. Sur le fondement de la loi du 21 novembre 2008, le montant au mètre carré des indemnités versées aux propriétaires évolue en pratique de 7,44 PLN à 722,35 PLN740. 448 - À la fin de l’année 2014, le gouvernement a transmis une version mise à jour de son bilan d’action au Comité des ministres. Il considère avoir rempli ses obligations au titre de l’article 46 de la Conv. EDH en instaurant un mécanisme de compensation des préjudices causés aux propriétaires dont les ressources étaient insuffisantes pour rénover leurs biens (loi du 21 novembre 2008) et en permettant une libéralisation de la location pour les propriétaires non professionnels (loi du 17 décembre 2009 créant le régime des baux occasionnels)741. Avec la levée des restrictions qui empêchaient les propriétaires de logements 739 Com. Min., Document DH-DD(2015)708 (communication d’une ONG et réponse des autorités dans l’affaire Hutten-Czapska c. Pologne), 2 juillet 2015, 1236e réunion des délégués. 740 Ibidem. 741 Com. Min., Document DH-DD(2015)56 (communication de la Pologne concernant l’arrêt Hutten-Czapska c. Pologne), préc. Le Comité des ministres a reçu un nouveau bilan à jour le 8 mars 2016 mais celui-ci n’avait pas encore été rendu public sur le site Internet du service d’exécution des arrêts à l’heure d’imprimer cette étude. 282 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME d’habitation d’exercer pleinement leurs droits, disparaît l’un des principaux symboles de l’héritage socialiste. Le contrôle étatique exercé sur les opinions en était un autre, qui ne pouvait subsister dans une société démocratique. La pleine adaptation de la Pologne aux standards européens en la matière n’a pas été immédiate. SECTION II – L’AMÉNAGEMENT DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION 449 - Le prix Nobel d’économie Friedrich Hayek insistait sur l’hostilité farouche à la liberté d’expression des théoriciens socialistes742. La réalité des régimes socialistes fut pourtant plus nuancée : ils n’excluaient pas radicalement les libertés et droits individuels de leur système normatif. Ceux-ci devaient plutôt être considérés comme secondaires, à tout le moins éclipsés par les droits sociaux743. La précision maximale avec laquelle la Constitution polonaise de 1997 fixe le contenu des droits civils et politiques est la réponse directe au passé communiste, qu’il s’agisse de libertés traditionnelles (liberté de parole, de réunion) ou modernes (droit à l’information, droit au respect de la vie privée)744. 450 - Dans les sociétés démocratiques, les médias – télévisions, organes de presse, radio – sont les garants de l’expression du pluralisme des opinions, le « chien de garde » de la démocratie, selon la formule désormais chère à la CEDH745. Les États membres du Conseil de l’Europe doivent s’abstenir de toute intervention qui limiterait la libre expression des pensées, ainsi que l’impose l’article 10 de la Conv. EDH, mais ils sont tout aussi tenus d’assurer que, 742 « Les fondateurs du socialisme ne faisaient pas mystère de leurs intentions à l’égard de la liberté. Ils considéraient la liberté de pensée comme la source de tous les maux du XIXe siècle et le premier des planistes modernes, Saint-Simon, prédisait même que ceux qui n’obéiraient pas à ses plans seraient ‘‘traités comme du bétail’’ » (Friedrich HAYEK, La Route de la servitude, 5e édition, Paris, PUF, Coll. « Quadrige », 2010, p. 24). 743 Le juriste espagnol Gregorio Peces-Barba Martínez établit même un parallèle inversé avec le sort réservé au droit sociaux par l’idéologie libérale. Il juge à ce propos que « [s]i dans la pensée libérale, les droits économiques et sociaux ne peuvent être incorporés au schéma des droits fondamentaux, dans l’approche réductrice socialiste, ce sont les droits individuels et civils qui doivent principalement être exclus des droits fondamentaux » (Gregorio PECES-BARBA MARTÍNEZ, Théorie générale des droits fondamentaux, Paris, L.G.D.J., coll. « Droit et Société », 2004, p. 63). 744 Mirosław WYRZYKOWSKI, « Le système constitutionnel de protection des droits de l’homme en Pologne », préc., p. 17. 745 Cette image a été employée abondamment par la Cour. Voir par ex. : CEDH, Observer et Guardian c. Royaume-Uni [GC], n°13585/88, 26 novembre 1991, Série A, n°216, § 59 ; CEDH, Jersild c. Danemark [GC], n°15890/89, 23 septembre 1994, Série A, n°298, § 31 et § 35 ; CEDH, Mosley c. Royaume-Uni, n°48009/08, 10 mai 2011, § 98, § 112 et § 114 ; CEDH, De Carolis et France Télévision c. France, n°29313/10, 21 janvier 2016, §§ 45-46. 283 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE dans leurs relations privées, les individus bénéficient de ce droit de s’exprimer librement. Le professeur Andriantsimbazovina précise à ce sujet que « [l]a grande retenue de l’État n’est pas exigée uniquement concernant la vie des pouvoirs publics » mais également « à l’égard de certaines institutions de droit privé qui sont dérivées de l’exercice de certains droits politiques fondamentaux et qui constituent l’expression de la vitalité d’une société démocratique ». Par voie de conséquence, le pouvoir en place « doit s’abstenir de s’immiscer abusivement dans la liberté d’association et dans la liberté des partis politiques »746. L’existence d’une seule condamnation, à laquelle la Pologne a répondu rapidement, apporte la preuve que la liberté d’association et de réunion est très bien assurée dans la Pologne post-socialiste (§ 1). Le constat est différent pour ce qui est de la liberté d’expression. Les quelques restrictions subsistant encore dans la législation sont à la source d’un nombre élevé d’affaires et de condamnations devant la CEDH (§ 2). § 1. LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION ASSURÉE Après avoir jugé que l’État polonais n’avait pas méconnu l’article 11 de la Conv. EDH dans une affaire portant sur le refus de l’administration d’autoriser la constitution d’une association régionaliste, la CEDH l’a condamné en 2007 en raison de l’attitude de la municipalité de Varsovie à l’égard de l’organisation de la gay pride (1). Cet arrêt a été exécuté par l’adoption d’une nouvelle loi sur les rassemblements, trois ans plus tard (2). 1) Une seule condamnation au titre de l’article 11 de la Convention en raison du refus injustifié d’autoriser une manifestation 451 - Les entraves à la liberté de réunion relèvent d’une problématique récemment posée à la Pologne, puisque celle-ci n’éprouvait aucune difficulté particulière pour garantir cette liberté dans les années qui suivirent l’effondrement du communisme747. Jusqu’en 2007, l’affaire la plus sérieuse concernant l’application en Pologne de l’article 11 de la Conv. EDH était 746 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, « L’État et la société démocratique dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Liberté, Justice, Tolérance – Mélanges en hommage au doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 63. 747 Adam BODNAR, « Shaping the freedom of Assembly; counter-productive effects of the Polish road towards illiberal democracy », in András SAJÓ, Free to protest: constituent power and street demonstration, La Haye, Eleven International Publishing, 2009, p. 165. 284 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’affaire Gorzelik et autres748. Les requérants et environs 200 autres personnes avaient souhaité constituer une association dénommée « Union du Peuple de Nationalité silésienne » en 1996. Le gouverneur de Katowice s’y était opposé ainsi que le ministre de l’Intérieur. Leur refus avait été motivé par l’intérêt public, afin d’éviter qu’une minorité ne revendiquât des privilèges en se fondant sur l’article 5 de la loi électorale du 28 mai 1993749. L’association était donc invitée à modifier ses statuts en vue d’obtenir sa validation mais avait en parallèle saisi la CEDH. L’ambigüité des statuts de l’association et la nécessité pour les individus ou les groupements de respecter la stabilité du système démocratique a conduit la CEDH à rejeter le grief tiré de l’article 11. Les requérants ont ensuite sollicité le renvoi de l’affaire devant la grande chambre, estimant que l’interdiction qui leur avait été opposée de constituer leur association poursuivait un but politique. La Cour, réunie en grande chambre, a conclu que l’État n’avait pas restreint la liberté d’association en tant que telle mais avait légitimement prévenu le risque que l’association exigeât un statut spécial. Pour le professeur Florence BenoîtRohmer, la Cour avait en l’espèce soigneusement « évité de s’aventurer sur le terrain délicat, parce que trop politique, de la protection des minorités nationales », en raison, notamment, de l’absence de définition de la « minorité nationale » en droit international750. 452 - La Pologne a été condamnée pour la toute première fois sur le fondement de l’article 11 en raison de la violation de la liberté de réunion des requérants dans la retentissante affaire Bączkowski. Celle-ci a été abondamment commentée en Pologne puisqu’une décision prise par l’ancien maire de Varsovie, Lech Kaczyński, entre-temps devenu Président de la République était directement en cause. Les faits remontaient au printemps 2005. Tomasz Bączkowski et la Fondation pour l’Égalité souhaitaient célébrer les Journées de l’Égalité en défilant dans les rues de Varsovie. La mairie refusa par une première décision du 3 juin 2005 la délivrance d’une autorisation pour leur manifestation contre l’homophobie au motif qu’un 748 CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, n°44158/98, 20 décembre 2001. Sur renvoi demandé par les requérants, la grande chambre de la Cour en est venue aux mêmes conclusions dans son arrêt CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne [GC], n°44158/98, 17 février 2004, Rec. 2004-I. 749 Ustawa z dnia 28 maja 1993 r. Ordynacja wyborcza do Sejmu Rzeczypospolitej Polskiej [Loi du 28 mai 1993 – Règlementation électorale de la Diète de la République de Pologne], Dz. U., 1993, n°45, texte 205, pp. 841863. Abrogée le 31 mai 2001, cette loi disposait en son article 5 § 1 que « les comités électoraux d'organisations enregistrées de minorités nationales peuvent se voir dispensés de l'une des conditions visées à l'article 3 § 1 [obligation pour une liste régionale d’atteindre un seuil de 5 % des suffrages exprimés pour être représentée] ou à l'article 4 [obligation pour une liste nationale d’atteindre un seuil de 7 % des suffrages exprimés pour être représentée], sous réserve de soumettre, au plus tard cinq jours avant la date du scrutin, une déclaration à cet effet à la commission électorale de l'Etat ». 750 Florence BENOÎT-ROHMER, « L’application de la Convention européenne des droits de l’homme dans les pays d’Europe centrale et orientale », in Liberté, Justice, Tolérance – Mélanges en hommage au doyen Gérard CohenJonathan, op. cit., p. 233. 285 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE plan d’organisation du trafic routier n’avait pas été joint au dossier751. Par une seconde décision du 9 juin 2005, il leur interdit de tenir un rassemblement immobile pour des raisons de sécurité. Les organisateurs ont alors attaqué devant le gouverneur de Mazovie la décision du 9 juin 2005 au motif qu’elle portait atteinte à leur liberté de réunion garantie par la Constitution, alors même que les actions envisagées ne menaçaient ni la moralité ni l’ordre public. Le gouverneur a donné raison aux requérants mais sa décision n’a été rendue que le 17 juin 2005, quelques jours après l’événement. Il a admis que la décision du maire ne pouvait être fondée sur les risques d’affrontement avec des contre-manifestations tout en autorisant ces dernières et donc en cautionnant leur action. Le 28 juin 2005, la Fondation pour l’Égalité a décidé d’attaquer la décision municipale du 3 juin 2005 devant la commission locale de recours au motif que l’exigence de fournir un plan d’organisation du trafic routier était dépourvue de base légale et que la véritable raison de l’interdiction de la marche était d’ordre idéologique. La commission saisie se prononça le 22 août 2005 seulement mais annula la décision contestée, les autorités compétentes n’ayant jamais invité les organisateurs d’autres rassemblements à fournir le plan d’organisation du trafic routier au cours de la procédure752. 453 - La CEDH a retenu tout d’abord la violation de l’article 11, estimant que l’interdiction faite aux requérants d’organiser leur marche avait eu une influence dissuasive sur des citoyens désirant y participer, quand bien même la réunion eut finalement lieu. Sur la question de l’accès à une voie de recours effective, les requérants avaient allégué que la décision en deuxième ressort n’était pas réformatrice, puisque l’autorité d’appel – la commission locale de recours – n’avait que la capacité d’annuler l’acte, non de le substituer. En cas d’annulation de la décision initiale, il aurait fallu aux requérants reprendre la procédure dès le début et il était fortement improbable que cela pût être réalisé avant la date prévue pour la manifestation. Les organisateurs de ce type de rassemblement public ne pouvaient pas même anticiper la procédure et formuler une demande d’autorisation trop longtemps à l’avance, l’article 7 de la loi de 1990 relative aux réunions753 disposant que toute demande devait être présentée au plus tôt trente jours avant l’événement prévu754. La CEDH n’a pas accueilli les arguments du gouvernement qui arguait du non épuisement des voies de recours internes pour contester la receva751 Conformément à l’article 65 A de la loi sur la circulation routière (Ustawa z dnia 20 czerwca 1997 r. - Prawo o ruchu drogowym [Loi du 20 juin 1997 sur la circulation routière], Dz. U., 1997, n°98, texte 602, pp. 30853124). 752 CEDH, Bączkowski et autres c. Pologne, n°1543/06, 3 mai 2007, §§ 19-20. 753 Ustawa z dnia 5 lipca 1990 r. Prawo o zgromadzeniach [Loi du 5 juillet 1990 sur les rassemblements] Dz. U., n°51, texte 297, pp. 693-695. Cette loi a été abrogée le 14 octobre 2015. 754 CEDH, Bączkowski et autres c. Pologne, préc., §§ 76-78. Voir 286 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME bilité de la requête. Les requérants n’auraient obtenu de décision définitive que de la Cour administrative suprême, à l’issue de laquelle seulement ils auraient pu saisir le Tribunal constitutionnel pour se plaindre d’une atteinte à la liberté de réunion constitutionnellement garantie. Or, ils n’avaient en l’espèce nul intérêt à saisir la Cour administrative suprême puisque les deux décisions de seconde instance leur avaient été favorables. La CEDH a relevé que ces décisions avaient été rendues postérieurement à la date de l’événement programmé. En application d’une jurisprudence contre la Bulgarie755 pour des faits relativement comparables à ceux de l’affaire Bączkowski, le juge de Strasbourg a estimé « qu’au vu des circonstances l’effectivité du recours était tributaire de la possibilité d’obtenir une décision avant la date des réunions projetées ». La liberté de réunion accomplie dans le cadre d’un rassemblement public risquait « d’être vidée de tout sens » si les organisateurs de celui-ci ne bénéficiaient pas avant la date prévue d’une décision définitive quant à leur demande, un rassemblement différé pouvant perdre une grande part de son impact et ne plus être en phase avec l’actualité politique et sociale existant le jour où il était initialement programmé. La CEDH a ainsi condamné l’État pour violation de l’article 13 combiné avec l’article 11 de la Conv. EDH756. 454 - La liberté d’association en Pologne a été examinée au fond pour la dernière fois en 2012 dans l’affaire Strzelecki. La CEDH a conclu à la non-violation de l’article 11. En l’espèce, le requérant, agent de garde municipale de son état, avait contesté les dispositions d’une loi du 29 août 1997 interdisant à sa profession une affiliation aux formations politiques757. Les saisines successives du Défenseur des droits civiques et du Tribunal constitutionnel n’apportèrent aucune remise en cause de la norme en question758. La CEDH n’a pas jugé en l’espèce que l’interdiction faite aux agents des gardes d’adhérer à un parti était contraire à l’article 11, bien qu’elle constituât une indéniable interférence avec la liberté d’association. La Cour a admis que ce corps de fonctionnaires en uniformes, tant pour des raisons histo- 755 CEDH, Stankov et Organisation Macédonienne Unie Ilinden c. Bulgarie, n°29221/95 et n°29225/95, 2 octobre 2001, Rec. 2001-XI. En l’espèce, une association fondée en 1990 et qui avait pour but d’unir culturellement et régionalement les Macédoniens de Bulgarie suscitait la méfiance de l’État. Ce dernier fit obstacle à l’enregistrement de l’association au motif qu’elle était de nature à menacer l’unité de la nation bulgare, puis lui interdit de tenir des réunions publiques. La CEDH avait estimé que la probabilité que des déclarations séparatistes fussent prononcées lors des réunions ne pouvait justifier l’interdiction de celles-ci (§ 98) et qu’en l’absence d’indication sérieuse de risques de violences (§ 103), l’État bulgare avait excédé la marge nationale d’appréciation de l’article 11 § 2 de la Conv. EDH, violant dès lors ses dispositions (§§ 110-112). 756 CEDH, Bączkowski et autres c. Pologne, préc., §§ 76-78. 757 Ustawa z dnia 29 sierpnia 1997 r. o strażach gminnych [Loi du 29 août 1997 sur les gardes municipales], Dz. U., n°123, texte 179, pp. 3759-3763. C’est l’article 30 § 2 (toujours en vigueur en 2016) qui pose l’interdiction pour ces agents des gardes municipales d’adhérer à un parti politique. 758 Voir le jugement du TCP, n°K 26/00, 10 avril 2002, OTK ZU, 2002, n°2A/2002, texte18. 287 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE riques que pour gagner la confiance des administrés, devait paraître indépendant. De plus, la Cour a noté que les agents n’étaient pas privés de leur liberté politique puisqu’ils conservaient le droit de vote, le droit de se présenter à des élections et le droit d’adhérer à des syndicats759. Condamnée seulement pour l’inefficacité de sa procédure d’appel contre l’interdiction d’un rassemblement public dans l’arrêt Bączkowski, la Pologne s’est conformée aux exigences de la CEDH en adoptant une nouvelle loi en 2015. 2) L’adoption de la nouvelle loi sur les rassemblements du 24 juillet 2015 455 - Du point de vue des mesures individuelles tout d’abord, les requérants de l’affaire Bączkowski n’avaient pas sollicité devant la Cour l’octroi d’une satisfaction équitable. L’interdiction municipale de se rassembler ne leur avait d’ailleurs porté qu’un préjudice réduit puisque la marche avait bien eu lieu, sans autorisation. 456 - En ce qui concerne les mesures générales nécessaires pour que l’État se conforme à l’arrêt, il faut relever qu’une partie des dispositions internes mises en cause dans l’affaire Bączkowski étaient sorties de l’ordre juridique avant même la condmnation de la Pologne. Le Tribunal constitutionnel, dans un jugement du 18 janvier 2006760, avait déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la loi de 1997 sur la circulation routière761 en ce qu’elles imposaient aux organisateurs des rassemblements qui pourraient perturber la circulation d’obtenir une autorisation préalable. En 2009, le gouvernement a entrepris de modifier l’autre loi mise en cause : la loi du 5 juillet 1990 sur les rassemblements publics. Ce projet initial fut largement débattu tout au long de l’année 2010 et sa nécessité était double : répondre à l’arrêt Bączkowski bien sûr mais aussi à un jugement du Tribunal constitutionnel du 10 juillet 2008762 à propos de la condamnation d’un militant écologiste défenseur de la vallée de Ros759 CEDH, Strzelecki c. Pologne, n°26648/03, 10 avril 2012. Il est intéressant de relever l’opinion concordante émise par le juge David Thór Björgvinsson. Ce dernier a évoqué le jugement du Tribunal constitutionnel du 10 avril 2008 validant les dispositions de la loi du 29 août 1997 et dans lequel le Tribunal avait justifié l’existence d’une telle restriction par l’histoire récente du pays. Pour le juge Thór Björgvinsson, il était étonnant que le Tribunal eût « estimé que la Pologne se trouvait encore, d’une certaine façon, dans une période transitoire plus de douze ans après l’effondrement du communisme ». En admettant que ce fût le cas, la limition en question de la liberté d’association ne pouvait, à ses yeux, qu’être temporaire, strictement limitée à cette période de transition. 760 TCP, n°K 21/05, 18 janvier 2006, OTK ZU, 2006, n°1A, texte 4. 761 Loi du 20 juin 1997 sur la circulation routière, préc. 762 TCP, n°P 15/08, 10 juillet 2007, OTK ZU, 2008, n°6A, 2008, texte 105. Le Tribunal constitutionnel avait été saisi par la cour de district de Varsovie-centre-ville d’une question préjudicielle relative à la constitutionnalité de sanctions pénales prononcées contre l’organisateur d’un rassemblement public tenu sans autorisation, devant le palais présidentiel le 10 février 2007. L’intéressé n’avait pu formuler une demande d’autorisation préalable puisque l’événement à l’origine du rassemblement – la visite du Président polonais à la Commission européenne 288 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME puda763. Le projet soumis au Parlement devait permettre de rendre effectives les voies de recours internes aux fins de contester toute décision administrative relative à l’organisation d’une manifestation publique, en d’autres termes de pouvoir contester la décision dans un délai bref avant le jour choisi pour l’événement. Il entendait introduire dans l’ordre juridique polonais une nouvelle « catégorie » de rassemblements publics, les rassemblements dits « spontanés », en d’autres termes une catégorie de manifestations non soumises à autorisation et pouvant se dérouler dans des lieux désignés à cet effet, sur le modèle de Hyde Park à Londres764. Certes, cette innovation répondait davantage à l’arrêt du Tribunal constitutionnel précédemment évoqué qu’à la jurisprudence Bączkowski de la CEDH. Le projet de loi ne s’en tenait pas là néanmoins, puisqu’il prévoyait d’affecter les délais de notification et d’appel qui, dans la législation antérieure, avaient rendu ineffective la voie de recours proposée contre une décision d’interdiction d’un rassemblement public. L’autorité municipale serait tenue de notifier sa décision dans les 24 heures suivant le dépôt par l’organisateur d’une demande d’autorisation de rassemblement. Après notification de la décision, l’organisateur bénéficierait à son tour d’un délai de 24 heures pour interjeter appel. La décision définitive en appel devrait être rendue par l’autorité compétente – à savoir le gouverneur de district – un jour avant la date prévue pour la manifestation. Lorsque la première mouture du projet de loi a été – n’avait été révélé par l’agence de presse polonaise que la veille. Sans remettre en cause les finalités qui sont celles de l’obligation de notification de rassemblements pacifiques, le Tribunal a jugé contraires au principe constitutionnel de proportionnalité les mesures restreignant les libertés publiques et portant atteinte à la liberté de réunion et d’association. Cette liberté est garantie par l’article 57 de la Constitution et par d’autres instruments internationaux, principalement l’article 11 de la Conv. EDH. Le Tribunal constitutionnel a multiplié les références aux normes internationales voire à la jurisprudence d’États tiers, construisant sa motivation par le biais du droit comparé. Il s’est en effet référé aux décisions des cours constitutionnelles italiennes et autrichiennes, aux lignes directrices de l’OSCE en matière de liberté de réunion, au Pacte international sur les droits civils et politiques. La jurisprudence de la CEDH servit aussi à étayer le jugement, le Tribunal constitutionnel s’appuyant sur l’arrêt Bukta rendu contre la Hongrie (CEDH, Bukta et autres c. Hongrie, n°25691/04, 17 juillet 2007), et bien entendu sur l’arrêt Bączkowski. Le juge constitutionnel polonais a fait sien le principe de la CEDH selon lequel la liberté de réunion doit s’exercer dans un environnement favorable, à la période opportune, sans quoi toute manifestation publique perdrait de la pertinence. Reprenant les conclusions de la CEDH, il a rappelé explicitement qu’il n’existait pas de recours effectif en Pologne contre les violations de la liberté de réunion. Il a invité le législateur polonais à introduire dans l’ordre juridique une exception à l’exigence de notification et à la pénalisation de la méconnaissance de cette dernière pour permettre l’organisation de rassemblements « spontanés » lorsque des circonstances indépendantes de la volonté des organisateurs potentiels empêchent le dépôt d’une demande d’autorisation. 763 Considérée comme l’une des plus belles réserves écologiques d’Europe, la vallée de Rospuda est protégée dans le cadre du programme européen Natura 2000. Modifié en 2009, le projet gouvernemental d’autoroute a finalement épargné la vallée. Voir not. les articles du Monde et de Courrier International <http://www.lemonde.fr/planete/article/2007/07/30/la-pologne-interrompt-la-construction-d-une-autoroute-dansune-zoneprotegee_940504_3244.html> et <http://www.courrierinternational.com/breve/2009/03/24/la-vallee-derospuda-sauve> [consultés le 15-08-2011]. 764 Adam BODNAR, Artur PIETRYKA, « Wolności konstytucyjne. Co rusz to ogranicznia », Gazeta Wyborcza, 15 mars 2010, en ligne : <http://wyborcza.pl/1,75515,7663506,Wolnosci_konstytucyjne__Co_rusz_to_ ograniczenia.html> [consulté le 15-08-2011] 289 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE présentée, certains membres de la Fondation d’Helsinki estimèrent que « la modification proposée de la loi sur les assemblées s’arrêt[ait] au milieu du chemin » quand bien même les changements proposés allaient « dans le bon sens »765. Pour les juristes de la Fondation, il aurait été effectivement plus judicieux de modifier la procédure d’appel dans son ensemble plutôt que de jouer sur les seuls délais. Parce que les normes internationales de protection de la liberté de réunion vont généralement plus loin et incluent la possibilité d’examiner la légalité d’une décision d’interdiction avant la date de réunion, il aurait également fallu que les tribunaux administratifs de district se vissent reconnaître la possibilité d’examiner la validité d’une décision d’appel. Ce projet fut finalement abandonné. Un nouveau jugement du Tribunal constitutionnel rendu le 18 septembre 2014 a abouti aux mêmes conclusions que la CEDH sept ans plus tôt et pressé les autorités à concrétiser l’adoption d’une nouvelle loi sur les rassemblements766. 457 - En 2015, le gouvernement s’est donc remis au travail sur un nouveau texte destiné à assurer l’exécution de l’arrêt Bączkowski mais aussi à permettre l’organisation des « rassemblements spontanés » que le Tribunal constitutionnel avait appelé de ses vœux. Ce deuxième projet s’inspirait très largement des solutions ébauchées dans celui qui l’avait précédé, mais il a quant à lui abouti à l’adoption d’une loi. L’article 3 § 2 de ce texte autorise dorénavant les « rassemblements spontanés » qui peuvent se tenir sans autorisation préalable lorsqu’il n’est pas possible de prévoir à l’avance la réunion, notamment parce que celle-ci constitue une réaction immédiate à l’actualité et perdrait toute sa pertinence à une autre date. Sur le plan des recours contre les rassemblements ordinaires – ce qui avait particulièrement posé problème au regard des exigences de l’article 13 de la Conv. EDH – la loi dispose que les demandes de rassemblements publics doivent être formulées à l’administration entre 30 et 6 jours avant la date choisie (article 7 § 1 du texte). La mairie est tenue de rendre publique sa décision sur son site Internet (article 15) 96 heures au moins avant le rassemblement prévu. Si l’événement projeté est interdit, les organisateurs ont alors 24 heures pour déposer un recours en justice auprès de la cour régionale compétente. Celle-ci doit rendre son arrêt dans les 24 heures (article 16 § 1). L’arrêt est lui-même susceptible d’appel dans les 24 heures suivantes devant une cour d’appel (article 16 § 3). L’arrêt en appel est définitif et doit être immédiatement exécuté. 765 Ibidem. 766 TCP, n°K 44/12, 18 septembre 2014, OTK ZU, 2014, n°8A, texte 92. Citant à l’appui de son argumentation l’affaire Bączkowski (partie III, § 12.3), le Tribunal a jugé inconstitutionnelles plusieurs dispositions de la loi de 1990, dont les art. 2, 6 et 8 appliquées dans ladite affaire. Le législateur devait revoir les normes relatives aux rassemblements en ce qui concerne le nombre minimal de personnes à réunir, les délais à disposition de l’organisateur pour formuler sa demande et les motifs autorisant une commune à interdire un rassemblement. 290 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Le législateur a prévu également une procédure simplifiée, pour les rassemblements de moindre importance qui ne remettent pas en cause la circulation routière (chapitre 3 de la loi) : la demande d’autorisation peut être déposée jusqu’à 48 heures avant la date choisie767. 458 - La nouvelle loi sur les rassemblements publics a été définitivement adoptée le 24 juillet 2015. Elle est entrée en vigueur le 14 octobre 2015. Le gouvernement ayant immédiatement transmis un bilan de son action, le Comité des ministres a pu enfin mettre un terme au suivi de l’affaire Bączkowski par une résolution définitive du 9 décembre 2015768. Sur son aspect procédural, la réception de l’arrêt Bączkowski a été positive et rapide puisque le Parlement a bien vite pris conscience de la nécessité d’amender la loi de 1990 sur les rassemblements. Paradoxalement, l’exécution concrète de l’arrêt fut longue : les dispositions législatives attendues n’ont été adoptées qu’en 2015769. Que ce soit à travers des réunions publiques ou des actes individuels, l’écrit ou la parole, l’expression des opinions est libre en démocratie. Elle reste toutefois sujette à des restrictions d’ordre public, parmi lesquelles la protection d’autrui. Plusieurs dispositions législatives applicables en Pologne ont posé problème au regard de la liberté d’expression protégée par la Conv. EDH. § 2. LA RECHERCHE D’UN D’EXPRESSION ÉQUILIBRE ENTRE DROITS PERSONNELS ET LIBERTÉS 459 - Dans les pays occidentaux, les lois sur la diffamation ont en général une origine aristocratique. Dans les pays au passé socialiste, ce type de normes se destinait à borner une liberté d’expression qui ne pouvait devenir un instrument de remise en cause du régime. Dès lors, une attaque portée contre l’État ne pouvait être qu’une infraction à caractère pénal770. Observateur attentif de la Pologne post-1989, le linguiste Bruno Drweski a noté que le comporte- 767 Ustawa z dnia 24 lipca 2015 r. - Prawo o zgromadzeniach [Loi du 24 juillet 2015 sur les rassemblements], Dz. U., 2015, texte 1485. 768 Com. Min., Résolution CM/Res(2015)234 (exécution de l’arrêt Bączkowski et autres c. Pologne), 9 décembre 2015, 1243e réunion des délégués. Voir aussi, en annexe de cette résolution, le bilan d’action de la Pologne. 769 Dans un rapport de 2010 sur l’état d’exécution des arrêts de la CEDH, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait déploré qu’aucune loi n’eût encore été adoptée trois ans après la condamnation de la Pologne (Ass. CdE., Document 12455 (rapport), Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 20 décembre 2010, p. 21, § 89). 770 Łukasz PTAK, « Défamation Laws before Courts », in 5th Warsaw Seminar on Human Rights, Varsovie, Kontrast, 2012, pp. 248-250. 291 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE ment des journalistes témoignait parfois d’anciennes habitudes « dans la ligne du ‘‘socialisme réel’’ ». Par exemple, lors des manifestations en marge du G8 de Gênes (2001), tous les médias ont condamné les manifestants, reprenant les arguments de la police italienne. « Derrière le discours antisoviétique et radicalement libéral véhiculé par les médias polonais, on retrouve une absence d’esprit critique et de pluralisme », avait déploré cet auteur en 2004771. Deux types de dispositions ont posé problème ces dernières années, les unes de nature civile – la protection très stricte des droits personnels, parmi lesquels le droit à la réputation dans le CC (A) – les autres de nature pénale – ce sont les sanctions prévues par le CP contre le délit de diffamation (B). S’ajoutent à ces deux grandes séries d’arrêts, qui représentent la majorité des cas, les violations de l’article 10 de la Conv. EDH qui trouvent leur origine dans la loi sur la presse de 1984 (C) et dans d’autres dispositions diverses (D). A. La protection civile des droits personnels, menace potentielle sur la liberté d’expression 460 - La Pologne a été confrontée pour la première fois au grief de violation de l’article 10 de la Conv. EDH avec l’affaire Janowski, dans laquelle le requérant estimait injuste la condamnation infligée pour sa grossièreté à l’égard d’un policier en service. La CEDH n’avait pas retenu la méconnaissance de la Convention772. La protection des droits personnels, garantie par le CC de 1964, est invoquée par les justiciables visés par des écrits ou des paroles qu’ils estiment diffamatoires ou insultants. Les dommages-intérêts que doivent verser leurs auteurs ne sont pas compatibles avec l’article 10 de la Conv. EDH lorsqu’ils sont trop élevés ou injustifés (1). Les autorités veulent croire que ces violations ne se produiront plus à l’avenir grâce à une meilleure connaissance de la Conv. EDH par les juridictions civiles (2). 771 Bruno DRWESKI, « La nouvelle Pologne : un bon élève sceptique », in Yann RICHARD, André-Louis SANGUIN (dir.), L’Europe de l’Est quinze ans après la chute du mur – Des pays baltes à l’ex-Yougoslavie, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 221 772 CEDH, Janowski c. Pologne [GC], n°25716/94, 21 janvier 1999, Rec. 1999-I. L’arrêt Janowski fut d’ailleurs le premier arrêt au sujet de la liberté d’expression dans un PECO nouvellement adhérent à la Conv. EDH à être examiné par la grande chambre de la CEDH (Nuala MOLE, « The importance of the Court’s case-law in Central and Easterne Europe », in Joseph CASADEVALL (et al.) (dir.), Freedom of Expression– Essays in honor of Nicolas Bratza, Oisterwik, Wolf Legal Publishers, 2012, p. 437). Marie-Bénédicte Dembour et Magdalena Krzyżanowska-Mierzewska estimèrent regrettable que, pour obvier le risque d’un double standard de protection des droits de l’homme, la CEDH se fût abstenue de toute allusion au passé politique du pays quand l’affaire concernait un fonctionnaire attaché à un corps longtemps craint comme dépositaire de l’ordre public et donc comme bras armé du pouvoir (Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: the voluminous and interesting Polish case law », EHRLR, n°5, 2004, pp. 534-535). 292 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 1) Les violations de l’article 10 de la Conv. EDH causées par l’application des dispositions protégeant les droits personnels 461 - L’article 23 du CC773 comprend une liste de droits qualifiés de « personnels ». Quoique non-exhaustive, elle inclut « la santé, la liberté, la réputation, la liberté de conscience, le nom et le pseudonyme, l’inviolabilité du domicile, le travail scientifique et artistique » etc. Les moyens civils susceptibles de réparer la violation d’un droit personnel au sens de l’artile 23 (demeuré inchangé depuis 1964), se trouvent dans l’article 24 (marginalement modifié depuis 1964) du même Code. Cela peut comprendre la cessation de l’activité en question si elle est illégale, toute mesure visant à rémedier à l’atteinte (par exemple, dans le cas de l’atteinte à la réputation en raison de paroles ou d’écrits : la publication d’excuses) ou encore la compensation de l’éventuel préjudice financier subi. Enfin, l’article 448 du CC ouvre aux personnes victimes d’une violation de leurs droits personnels la possibilité d’obtenir des dommagesintérêts pour le préjudice moral subi. Il apparaît à la lecture du contentieux européen depuis 2008 que ces dispositions sont désormais utilisées à mauvais escient pour condamner civilement les auteurs d’écrits ou de propos jugés diffamatoires ou attentatoires à l’honneur des personnes visées. 462 - Une affaire politico-judiciaire aux dimensions nationales a valu à la Pologne une première condamnation pour l’application de ses dispositions sur la protection des droits personnels. Dans le numéro du 16 août 1992 du magazine Angora, édité par la société Westa-Druk que possédait Mirosław Kuliś, figurait une interview de Michał Plisecki, l’avocat du couple Gąsior. Ce couple avait été disculpé après avoir fait l’objet d’une plainte pour enlèvement introduite par Andrzej Kern, à l’époque maréchal de la Diète. M. Kern soupçonnait à tort M. Gąsior et Mme. Malisiewicz-Gąsior d’avoir enlevé leur fille alors que celle-ci avait en réalité fugué avec le fils du couple774. Dans l’interview en question, l’avocat avait déclaré que les parents de la fugueuse, au regard de leur comportement, n’aimaient pas leur fille. Il accusa en outre de détournement de pouvoir M. Kern et son groupe politique en vue de mobiliser le ministère de la Justice pour ses intérêts privés dans cette affaire et de répandre dans les médias de fausses informations. Le 8 août 1995, M. Kern, sa femme et sa fille, dénonçant le rôle majeur qu’avait joué la presse dans toute l’affaire, introduisirent un recours contre l’éditeur de 773 Le Code civil a été adopté en 1964. Il est toujours en vigueur mais a été régulièrement amendé (Ustawa z dnia 23 kwietnia 1964 – Kodeks cywilny [Loi du 23 avril 1964 – Code civil], Dz. U., 1964, n°16, texte 93, pp. 129-187). 774 Ceci provoqua une « affaire dans l’affaire » puisque Mme. Malisiewicz-Gąsior fit des déclarations désobligeantes à l’égard d’Andrzej Kern, lequel l’a par la suite attaquée en justice (cf. infra, paragraphe 478). 293 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE l’interview litigieuse, M. Kuliś. Celui-ci a été condamné par la cour régionale de Łódź à publier des excuses et à payer aux victimes 8 500 PLN de dommages-intérêts. Cette mesure était fondée sur les articles 23 et 24 du CC ainsi que sur l’article 14 de la loi sur la presse du 26 janvier 1984775. La condamnation fut maintenue en appel et en cassation776. 463 - Devant la CEDH, M. Kuliś a fait valoir qu’il avait été condamné pour avoir publié des propos litigieux tenus par un tiers sans qu’on lui eût avancé des raisons particulièrement fortes justifiant une telle sanction et la restriction de sa liberté d’expression. Pour le gouvernement, la liberté de presse n’était pas absolue dans la mesure où elle devait être conciliée avec les droits des personnes, dont l’honneur et la réputation777. En l’espèce, l’hebdomadaire du requérant avait diffamé et rabaissé les victimes aux yeux du public et ne constituait pas exclusivement une contribution au débat politique. Tout en rappelant qu’un individu qui prend part au débat public ne doit pas franchir une certaine limite au regard, notamment, des droits d’autrui, la CEDH a maintenu qu’il était néanmoins autorisé de recourir à l’exagération et à la provocation, c'est-à-dire de se livrer à des commentaires qui excèdent la modération778. La CEDH a estimé que les propos tenus en l’espèce ne constituaient pas une attaque personnelle gratuite puisque leur auteur tentait de les étayer par des explications objectives, sans chercher à offenser ou humilier la personne qui en était l’objet. Sur le fondement de sa jurisprudence Jerslild779, la CEDH a accueilli l’argumentation du requérant et considéré que seule l’existence de raisons particulièrement fortes pouvait permettre la restriction de la liberté de la presse et que telles raisons n’étaient pas présentes en l’espèce780. 464 - À la même époque, l’éditeur Mirosław Kuliś avait transmis à la CEDH une autre re775 Ustawa z dnia 26 stycznia 1984 r. Prawo prasowe [Loi du 26 janvier 1984 – Droit de la presse], Dz. U., n°5, texte 24, pp. 45-52. Il faut noter que l’article 38 § 1 de cette même loi dispose : « La responsabilité civile pour la violation de la loi causée par la publication d’un document de presse est assumée par l’auteur, l’éditeur ou toute personne qui a publié le document ; cela n’exclut pas la responsabilité de l’imprimeur. Au regard de la responsabilité financière, lesdites personnes sont conjointement responsables ». 776 CEDH, Kuliś c. Pologne, n°15601/02, 18 mars 2008, §§ 7-21. 777 Le droit à la réputation est inclus dans le droit au respect de la vie privée et familiale proptégé par l’art. 8 de la Conv. EDH (voir CEDH, Radio France et autres c. France, n°53984/00, 30 mars 2004, Rec. 2004-II, § 31). 778 Voir par ex. CEDH, Mamère c. France, n°12697/03, 7 novembre 2006, Rec. 2006-XIII, § 25 : « [S]i tout individu qui s’engage dans un débat public d’intérêt général – tel le requérant en l’espèce – est tenu de ne pas dépasser certaines limites quant – notamment – au respect de la réputation et des droits d’autrui, il lui est permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation, c’est-à-dire d’être quelque peu immodéré dans ses propos ». 779 La grande chambre de la Cour avait reconnu dans cet arrêt que « [s]anctionner un journaliste pour avoir aidé à la diffusion de déclarations émanant d’un tiers dans un entretien entraverait gravement la contribution de la presse aux discussions de problèmes d’intérêt général et ne saurait se concevoir sans raisons particulièrement sérieuses » (CEDH, Jersild c. Danemark [GC], préc., § 35). 780 CEDH, Kuliś c. Pologne, préc., §§ 28-… 294 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME quête, jugée en 2009. Le directeur en chef du magazine Angora Piotr Różycki et lui-même avaient été condamnés par les juridictions internes après la publication dans le supplément pour enfants de leur magazine d’un article critique contre une campagne publicitaire lancée par l’entreprise Star Foods qui terrifiait les enfants781. Saisi par la société d’une action civile dirigée contre les requérants, le 28 mai 2001, la cour régionale de Łódź a condamné les requérants à publier des excuses, à rembourser les frais de procédure et à verser la somme de 10 000 PLN à une œuvre caritative782. Devant la CEDH, les requérants ont argué que la critique exercée dans leur article participait du débat général, sachant que la marge d’appréciation des États était limitée en ces circonstances783. Pour la CEDH, si à l’évidence une société privée jouit du droit de se défendre contre les attaques diffamatoires à son encontre, en l’espèce le juge interne n’avait pas prêté une attention suffisante au fait que l’article et le dessin satirique incriminés n’étaient qu’une réponse à la campagne publicitaire inadaptée de la société. Ils ne constituaient donc qu’un jugement de valeur et les condamnations prononcées par la justice polonaise s’avéraient, partant, excessives784. 465 - Un autre exemple d’application inconventionnelle des articles 23 et 24 du CC est fourni par l’affaire Smolorz. Dans un article paru dans la presse nationale (Gazeta Wyborcza), le requérant s’était montré critique et ironique sur l’œuvre de Jurand Jarecki, l’architecte qui métamorphosa la ville de Katowice à l’époque socialiste. Pour le requérant, Jarecki avait, par son travail, détruit tout le patrimoine architectural silésien. Poursuivi devant les juridictions civiles par l’intéressé, le requérant fut condamné pour atteinte à l’honneur, avec obligation de publier un message d’excuses dans les pages de Gazeta Wyborcza et de rembourser les frais et dépens. La CEDH jugea en 2012 que le texte incriminé s’inscrivait dans le cadre d’un débat public tenu dans les colonnes d’un journal et constituait un jugement de valeur785. Le requé- 781 Cette entreprise avait en effet commercialisé des chips de pomme de terre en utilisant pour promotion l’image du petit chien Reksio, un personnage de dessin-animé très populaire en Pologne. L’article, en une, était accompagné d’une caricature intitulée « Les enfants polonais choqués par la publicité pour les chips ‘‘Reksio est un assassin’’ » et sur laquelle un jeune garçon disait à Reksio « Ne t’inquiètes pas ! Je serais un assassin, moi aussi, si je mangeais de cette cochonnerie ! ». 782 CEDH, Kuliś et Różycki c. Pologne, n°27209/03, 6 octobre 2009, §§ 5-14. 783 La marge d’appréciation concédée par la Cour obéit à plusieurs variables : la morale, faute d’un consensus européen, le besoin de sauvegarder l’ordre public ou encore la nature des propos, sachant que la restriction sera plus stricte s’ils concernent des questions politiques et d’intérêt général (voir par ex. Anne LEVADE, « La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales et les libertés d’expression, de communication et de presse », RJCE, numéro spécial, 2003, 190-191). 784 CEDH, Kuliś et Różycki c. Pologne, préc., §§ 20-40. 785 Et la communication des idées dans la presse peut passer par le vecteur de la satire ou de l’ironie, de l’impertinence, d’un certain degré de provocation, rappelle à propos de cette affaire Marek Antoni NOWICKI, Europejski Trybunał Praw Człowieka – Wybór orzeczeń 2012, Varsovie, Lex Wolters Kluwer, 2013, p. 287. 295 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE rant avait à cet égard le droit de recourir à l’exagération, la provocation et au manque de modération. Même minime, la condamnation infligée constituait une ingérence disportionnée dans son droit de s’exprimer librement786. 466 - La vie politique est naturellement propice à la formulation d’opinions pouvant porter atteinte à la réputation des citoyens. En témoigne l’affaire Sanocki, jugée par la CEDH en 2007. Le quotidien local Nowa Trybuna Opolska avait publié en 1999 et 2000 une cinquantaine d’articles très critiques à l’égard de la gestion de la ville de Nysa et des activités de son maire Janusz Sanocki. L’un de ces articles dénonçait les dépenses excessives de la ville ainsi que le non-respect des dispositions de la loi sur les collectivités territoriales. M. Sanocki a répliqué dans les colonnes d’un autre journal que ces allégations étaient mensongères. Il s’en est pris violemment à Nowa Trybuna Opolska en l’accusant, entre autres, de recourir à la « méthode traditionnelle des bolcheviks, c'est-à-dire la dénonciation associée au mensonge », d’être « bientôt au niveau du caniveau » et qualifia de « mandaté pour mentir » le journaliste auteur de l’article contesté. Attaqué devant la justice par l’éditeur de Nowa Trybuna Opolska, M. Sanocki fut condamné à publier des excuses dans la presse787, à rembourser les frais et dépens et à verser 6 000 PLN à une œuvre caritative. Sans même prendre en considération l’ensemble des articles rédigés contre lui, les juges de la cour régionale d’Opolska avaient estimé que les propos qu’il avait tenus étaient humiliants et attentatoires à la réputation de l’éditeur et du journaliste788. Dans cette affaire, la CEDH n’a pas nié que le requérant eût employé un ton provocateur et discourtois à l’égard du journaliste visé mais rappela à titre général que « l’invective politique déborde souvent sur le plan personnel » puisque « ce sont là les aléas du jeu politique et du libre débat des idées, garants d’une société démocratique ». Le journal Nowa Trybuna Opolska s’étant, selon la Cour, livré « à des déclarations pouvant prêter à critique et à polémique » en « jetant sur le requérant un soupçon de mauvaise gestion des finances publiques », il devait par conséquent « s’attendre à une réaction de sa part ». Pour la CEDH, la condamnation de M. Sanocki par les juridictions internes était dès lors contraire à l’article 10 de la Conv. EDH789. 786 CEDH, Smolorz c. Pologne, n°17446/07, 16 octobre 2012. 787 La personne injuriée ou blessée a le droit d’avoir sa réponse diffusée sur le même support que les propos litigieux. Ce droit de réponse doit être, pour l’ancien juge à la CEDH David Thór Björgvinsson, distingué du droit à la rectification des erreurs factuelles diffusées dans les médias (David Thór BJÖRGVINSSON, « The right of reply », in Joseph CASADEVALL (et al.) (dir.), Freedom of Expression…, op. cit., p. 163). 788 CEDH, Sanocki c. Pologne, n°28949/03, 17 juillet 2007, §§ 4-16. 789 Ibidem, §§ 50-70. 296 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 467 - Dans l’affaire Kubaszewski jugé en CEDH en 2010, le requérant n’était pas journaliste mais élu du conseil municipal de Kleczew. Il s’était livré dans un journal local à une critique de la gestion de la ville au point de sous-entendre l’existence d’un blanchiment d’argent. Le 17 avril 2002, la cour régionale de Poznań rendit un arrêt par lequel elle déclara les propos tenus par le requérant faux et attentatoires à la bonne réputation des élus locaux, auteurs de la plainte sur le fondement du CC. M. Kubaszewski fut condamné à présenter des excuses dans les médias et à l’occasion d’une prochaine séance du conseil municipal. Pour la CEDH, les allusions au blanchiment d’argent qui conduisirent à la condamnation du requérant s’inscrivaient dans le débat politique bien que des mots durs eussent effectivement été prononcés. Ce type de déclaration devait par conséquent bénéficier d’une certaine clémence, d’autant plus que le requérant n’avait visé personne nommément mais le conseil municipal en tant qu’entité et dont les membres sont des politiques790. 468 - Dans l’affaire Braun, le requérant, réalisateur, historien et auteur régulier d’articles de presse, avait participé un jour d’avril 2007 à un débat radiodiffusé et à une émission de télévison. Il y critiqua un universitaire renommé, qu’il accusa d’avoir été un informateur de la police politque communiste. En juillet 2008, la cour régionale de Wrocław le condamna sur le fondement de l’article 23 du CC à verser une somme d’argent à une œuvre de charité, à rembourser les frais et dépens et à diffuser un message d’excuses dans différents médias. Statuant sur le pourvoi de Grzegorz Michał Braun, la Cour suprême polonaise s’est référée à sa propre résolution du 18 février 2005791 protégeant la liberté d’expression des journalistes, lesquels ne sont pas tenus de prouver la véracité de leurs propos. Or, en l’espèce, le requérant n’a pas été assimilé à un journaliste. La CEDH considéra pour sa part que le requérant était publiciste, spécialiste, et participait au débat public. Dès lors, la condamnation infligée à M. Braun apparut pour le juge européen excessive, non conforme aux exigences de l’article 8 de la Conv. EDH792. Pour l’ancien juge de la Cour Lech Garlicki, la CEDH avait regardé le requérant comme un journaliste alors que, stricto sensu, il ne l’était pas. Or, les juridictions polonaises privilégient une approche étroite de la définition de journaliste. En l’absence de critères formels, cette approche ne semble pas compatible avec la jurisprudence européenne793. 469 - Le panorama des condamnations de la CEDH en raison de l’application inappropriée 790 CEDH, Kubaszewski c. Pologne, n°571/04, 2 février 2010. 791 CSP, n° III CZP 53/04, 18 février 2005, OSN, 2005, n°7−8, texte 114. 792 CEDH, Braun c. Pologne, n°30162/10, 4 novembre 2014. 793 Entretien avec Lech Garlicki, Varsovie, 28 mai 2015. 297 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE des articles 23 et 24 du CC ne peut faire abstraction des deux affaires portées par le journaliste Andrzej Stankiewicz, du quotidien conservateur Rzeczpospolita. Jugée en 2014, la première concernait un article publié en mai 2003 au sujet d’une grande société pharmaceutique qui aurait reçu une proposition de pot-de-vin de la part du cabinet privé du ministre de la Santé. M. Stankiewicz et la seconde requérante, co-auteur de l’article, furent condamnés civilement aux frais et dépens et à la publication d’un message d’excuses dans leur journal pour atteinte à la réputation du demandeur794. Dans la seconde affaire, jugée en 2015, l’article litgieux s’intéressait au rôle joué par une experte en fiscalité dans l’adoption d’un amendement de la loi fiscale. Le texte alertait sur les conséquences de l’amendement, adopté sous l’influence de cette experte extérieure au Parlement795. La CEDH a considéré dans ces affaires que les articles de M. Stankiewicz avaient contribué au débat public et que les juridictions internes avaient ignoré le rôle de chien de garde que se doit de jouer la presse dans une démocratie. 470 - Au fil de la jurisprudence construite autour de l’article 10 de la Conv. EDH, la CEDH a tenté de ménager aussi bien la libre expression des opinions que la protection de la vie privée des individus, incluant leur réputation796. Les affaires polonaises traduisent bien cette recherche d’équilibre puisque la Cour n’a pas systématiquement sanctionné l’application des articles 23 et 24 du CC. Aussi la condamnation des requérants se justifie-t-elle lorsque les propos tenus dans la presse ont affecté la réputation d’une personnalité publique alors même que les informations données n’avaient pas été sérieusement vérifiées797 ou qu’elles sont de nature à induire en erreur par la façon dont elles sont présentées798. De même, la Pologne n’a 794 CEDH, Stankiewicz et autres c. Pologne, n°48723/07, 14 octobre 2014. 795 CEDH, Stankiewicz et autres c. Pologne (n°2), n°48053/11, 3 novembre 2015. 796 Les arrêts CEDH, Von Hannover (n°2) c. Allemagne (n°40660/08 7, février 2012) et CEDH, Axel Springer c. Allemagne (n°39954/08, 7 février 2012) tentent d’établir un équilibre entre liberté d’expression et droit au respect de la vie privée. Ils se montrent plutôt favorables au droit à l’information, après une période de rééquilibrage en faveur du droit à la vie privée. La CEDH a tenté de mettre en place une série de critères de référence pour assurer une juste balance : intérêt de l’information pour le débat public, personnalité de la personne concernée, type de média diffusant l’information (distinction presse « classique » et presse « à sensations », etc.). Dans ces deux affaires, « la Cour européenne s’est livrée à un exercice peu fréquent de pédagogie judiciaire. Elle a entrepris un travail de systématisation de sa méthode visant à mettre en balance le droit à la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée » (Katarzyna BLAY-GRABARCZYK, « Conciliation de la protection des droits d’autrui et de la liberté de la presse : la quête d’un équilibre introuvable », RTDH, n°97/2014, p. 239). 797 CEDH, Błaja News Sp. z o. o. c. Pologne, n°59545/10, 26 novembre 2013 ; CEDH, Semik-Orzech c. Pologne, n°39900/06, 15 novembre 2011. 798 Ainsi, n’est pas disproportionnée – et donc reste conforme à la Convention – la condamnation des requérants sur le fondement des articles 23 et 24 du CC lorsque les requérants sous-entendaient que la belle voiture avec laquelle un ministre avait été photographié était un cadeau provenant d’un buisnessman (CEDH, Kania et Kittel c. Pologne, n°35105/04, 21 juin 2011). 298 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME pas été condamnée en 2013 pour une affaire dans laquelle les requérants étaient des victimes d’écrits diffamatoires, publiés dans un article du quotidien Rzeczpospolita et sur le site Internet de celui-ci. Ils invoquaient pour eux la protection garantie par le CC. La CEDH a considéré que la justice polonaise n’avait pas méconnu le droit au respect de leur vie privée et familiale en ne condamnant pas les journalistes qui n’avaient pas retiré du site Internet l’article contesté799. Le 3 novembre 2015 enfin, la CEDH a jugé que la condamnation du requérant à une amende et à la diffusion de messages d’excuses dans plusieurs médias (presse écrite et télévision) pour avoir déclaré, sans aucun élément de preuve, que des journalistes l’avaient calomnié pour de l’argent ne violait pas l’article 10 de la Convention800. Ces dernières années, la Pologne a délivré un bilan optimiste de son action. Devant le Comité des ministres, elle a voulu démontrer qu’une meilleure prise en compte des exigences de l’article 10 de la Conv. EDH lors de l’application par les cours internes de la responsabilité civile lui avait permi de se conformer aux arrêts de la CEDH. 2) La diminution du nombre d’affaires grâce au rappel des standards de la Convention 471 - Tous les arrêts dans lesquels la Pologne a été sanctionnée pour la violation de l’article 10 de la Conv. EDH en raison de la condamnation civile des requérants ont été exécutés par la Pologne, suivant les critères du Comité des ministres. Le très récent arrêt Stankiewicz et autres (n°2), prononcé par la CEDH en 2015, reste bien sûr la seule exception. Dans ses deux bilans d’actions transmis au Comité801, le gouvernement a mentionné la diminution du nombre de condamnations devant la CEDH pour la mauvaise appréciation de la liberté d’expression des requérants, poursuivis devant le juge interne au titre des articles 23 et 24 du CC de 1964. Selon lui, cette tendance est la conséquence directe des mesures de diffusion des normes conventionnelles en matière de liberté d’expression. La recension des arrêts des juridictions polonaises tendrait à prouver que l’article 10 de la Conv. EDH est pris en compte et régulièrement mentionné à l’appui des motivations des juges, en premier lieu ceux de la Cour 799 CEDH, Węgrzynowski et Smolczewski c. Pologne, n°3846/07, 16 juillet 2013. 800 CEDH, Bestry c. Pologne, n°57675/10, 3 novembre 2015. 801 Toutes les affaires ont été réparties en deux groupes pour le suivi de leur exécution : le groupe Sanocki, Kuliś, Kuliś et Różycki, Kubaszewski et Smolorz d’une part ; le groupe Stankiewicz et autres (n°1) et Braun d’autre part. Voir les résolutions respectives du Comité : Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)145 (exécution des arrêts dans cinq affaires contre la Pologne), 17 septembre 2014, 1207e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2016)2 (exécution des arrêts dans deux affaires contre la Pologne), 20 janvier 2016, 1245e réunion des délégués. 299 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE suprême802. 472 - Entre 2007 et 2015, le ministre de la Justice a systématiquement fait traduire les arrêts concernés et les a publiés sur son site Internet. En 2011, les arrêts déjà rendus ont été analysés dans la publication intitulée Les standards de la protection des droits de l’homme dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a été envoyée gratuitement à tous les juges et procureurs. Depuis 2012 enfin, chaque juridiction impliquée dans une affaire pour laquelle la CEDH a retenu une violation de la Conv. EDH reçoit des informations sur les pratiques exigées en application de ce texte. Enfin, tous les futurs magistrats bénéficient désormais d’une formation sur la liberté d’expression au sens de la Conv. EDH lors de leurs études à l’École nationale des juges et des procureurs. Ces mesures ne sont toutefois pas propres aux atteintes à la liberté d’expression. Le gouvernement ne fait que suivre le protocole habituel qu’il a instauré au fil des années803. 473 - Quant aux mesures individuelles dues aux requérants dans chaque affaire, elles n’appellent que peu de remarques. L’État a versé toutes les sommes indemnitaires attribuées par la CEDH dans les délais, sauf pour l’affaire Smolorz804. De plus, la justice polonaise a renoncé à faire exécuter la condamnation à la publication de messages d’excuses infligées à Michał Braun et à Mirosław Kuliś. 474 - La seconde affaire Stankiewicz et autres donnera dans les mois à venir une nouvelle occasion, pour le Comité des ministres de juger de l’évolution des pratiques internes en matière de responsabilité civile pour des paroles ou des publications. Il convient donc de considérer, pour l’heure, que les entorses à la liberté d’expression observées précédemment « résultent de l’approche des juridictions nationales » lorsqu’elles « interprètent et appliquent le droit interne »805. Les violations par la Pologne de l’article 10 de la Conv. EDH pour l’application trop stricte des articles 23 et 24 du CC ne sont pas les plus nombreuses. Les délits d’insulte et de 802 Voir les bilans d’action en annexe des deux résolutions citées dans la précédente note. Le gouvernement a fourni au Comité des ministres les références des arrêts suivants : CSP, n°I CSK 95/10, 03 décembre 2010 ; CSP, n°I CSK, 5 novembre 2011 ; CSP, n°I CSK 334/10, 11 février 2011 ; CSP, n°IV CSK 270/12, 18 janvier 2013. 803 Cf. supra Introdution générale, paragraphe n°55. 804 La date limite fixée au 16 avril 2013 pour le versement a été dépassée de plus de trois mois à cause des formalités nécessaires pour contacter les héritiers du requérant, décédé. 805 Ce sont les termes du gouvernement polonais (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)145 (exécution des arrêts dans cinq affaires contre la Pologne), préc., annexe (bilan d’action) ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2016)2 (exécution des arrêts dans deux affaires contre la Pologne), préc., annexe (bilan d’action)). 300 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME diffamation, tels que les définit le CP, posent un problème plus complexe. B. Les sanctions pénales prévues pour l’insulte et la diffamation jugées trop sévères par la CEDH Les premières violations de l’article 10 de la Conv. EDH dans des affaires d’injure portaient sur des faits survenus à l’époque où s’appliquait le CP de 1969 (1). Force est de constater, eu égard à la jurisprudence de la CEDH, que la réforme générale du droit pénal de 1997 n’a pas écarté tout risque d’entrave à la liberté d’expression (2). Les condamnations de la CEDH commencent cependant à produire des effets positifs (3). 1) La Pologne condamnée pour l’application des dispositions du Code pénal de 1969 sur l’insulte et la diffamation 475 - Le CP de 1969806 prévoyait des peines allant jusqu’à la privation de liberté pour réprimer la diffamation ou les insultes contre les agents de l’État. Dans un rapport dressé en 1994, la CSCE dénonçait vivement ces dispositions807, qui se retrouvaient d’ailleurs sous des formes équivalentes dans d’autres États de l’ancien monde socialiste tels que la Slovaquie, la Hongrie et le Tadjikistan808. Les sanctions infligées par les juridictions polonaises à la suite d’attaques de nature politique furent à la source de plusieurs plaintes devant la CEDH809. 476 - Le requérant de la première affaire dans laquelle la CEDH a sanctionné la Pologne était l’auteur d’une lettre adressée en 1994 au Président de la cour régionale de Katowice. Il purgeait alors une peine de prison et se plaignait de certains de ses juges. Le 31 janvier 1994, des poursuites judicières ont été ouvertes pour insultes proférées contre des autorités de l’État. Le requérant fut condamné à huit mois de prison pour ses propos, en application de l’article 237 806 Ustawa z dnia 19 kwietnia 1969 r. Kodeks karny [Loi du 19 avril 1969 – Code pénal], Dz. U., 1969, n°13, texte 94, pp. 125-148. 807 En anglais : Commission on Security and Cooperation in Europe (à ne pas confondre avec la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, devenue Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). Cette commission est une agence du gouvernement américain créée en 1976 et chargée de la surveillance de l’application par les États de l’Acte Final d’Helsinki. Site Internet officiel : <http://www.csce.gov/> 808 CSCE, Implementation of the Helsinki Accords: Human rights and democratization in Poland, Washington DC, janvier 1994, p. 12. 809 Dès 2002, la CEDH a connu une affaire dans laquelle le requérant, rédacteur du quotidien Gazeta Polska, se plaignait d’avoir été condamné à l’issue d’une procédure manquant d’impartialité. Il lui a été reproché d’avoir publié par erreur le nom d’un homme politique sur une liste des anciens collaborateurs supposés du régime communiste. La CEDH s’était alors jugée incompétente pour examiner les faits sous l’angle de l’article 10 de la Convention (ce moyen ne fut pas invoqué au stade de l’examen de la recevabilité) et n’avait pas retenu la violation de l’article 6 (CEDH, Wierzbicki c. Pologne, n°24541/94, 18 juin 2002). 301 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE du CP de 1969810. La sentence fut confirmée en appel et le pourvoi formé subséquement fut rejeté par la Cour suprême le 2 juin 1997. Devant la CEDH, le requérant s’est plaint que cette condamnation contrevenait à l’article 10 de la Conv. EDH. Bien qu’elle considérât les propos tenus par le requérant dans sa lettre comme injurieux et situés au-delà des limites de la liberté d’expression, la CEDH a estimé que la sanction infligée était manifestement disproportionnée à la nature de l’infraction. Elle a donc retenu la violation de l’article 10 contre la Pologne811. 477 - L’ancien CP a valu une seconde condamnation à la Pologne dans l’affaire Sokołowski. En octobre 1995, une branche de l’Association Nationale Chrétienne avait publié un prospectus dans lequel étaient contenues quelques notes rédigées par le requérant. Elles mettaient en cause les cooptations au sein de la commission électorale au détriment des autres prétendants, non membres du conseil municipal. L’auteur y ajoutait une attaque ad hominem contre plusieurs membres du conseil en dénonçant leurs salaires. L’un des élus visés introduisit une plainte en diffamation contre Roman Sokołowski devant la cour de district de Jedzejów. Il fut condamné en diffamation sur le fondement de l’article 178 § 2 du CP de 1969812 pour la publication d’informations erronées contre l’élu dans le but de le dénigrer et de l’abaisser dans l’estime des électeurs. Saisie de l’affaire, la CEDH a considéré que le texte incriminé ne relevait pas de l’attaque personnelle gratuite mais revêtait un intérêt public local tout en possédant un caractère ironique sinon satirique. Il s’insérait dès lors dans le champ de la critique permise contre les personnalités politiques813. 478 - Enfin, en 2006, la CEDH a jugé l’autre volet de l’affaire opposant le magistrat Andrzej Kern à la politicienne Izabela Malisiewicz-Gąsior814. Cette dernière avait tenu des propos peu amènes à l’égard du premier – qui l’accusait d’enlèvement d’enfant – dans les médias écrits et audiovisuels. Pour avoir insinué que cet homme avait abusé de ses pouvoirs et causé le malheur de sa famille, la requérante avait été condamnée en seconde instance à un an de prison avec sursis et à la publication d’excuses sur la base de l’article 178 § 2 du CP. Saisie par Mme. Malisiewicz-Gąsior, la CEDH a admis la violation de l’article 10 de la Conv. EDH en 810 Celui-ci disposait : « Quinconque insulte une autorité de l’État dans l’exercice de ses fonctions ou en public encourt une peine allant jusqu’à deux ans de prison, une restriction de sa liberté personnelle et une amende ». 811 CEDH, Skałka c. Pologne, n°43425/98, 27 mai 2003. 812 Qui se lisait comme suit : « Quiconque soulève ou profère une allégation mensongère portant sur le comportement ou les particularités d’autrui, d’un groupe de personne ou d’institutions dans le but de les déprecier dans l’opinion publique ou de les décrédibiliser pour toute position, toute occupation ou tout type d’activité, est passible d’une peine d’emprisonnement ne pouvant excéder trois ans ». 813 CEDH, Sokołowski c. Pologne, n°75955/01, 29 mars 2005. 814 Cf. supra, paragraphe 462. 302 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME raison de la peine disproportionnée infligée à la requérante815. La législation socialiste était applicable dans ces trois affaires. Le CP de 1997 n’a guère adouci le régime de l’injure et de la diffamation. 2) La conformité à la Convention des articles 212 et 216 du Code pénal de 1997 remise en cause par plusieurs arrêts de la CEDH 479 - Le législateur est intervenu en 1997 pour abroger l’ancien CP et édicter une nouvelle codification, qui se voulait conforme aux engagements internationaux de la Pologne. Or, les dispositions sur la diffamation du Code socialiste ont été reprises dans le nouveau CP de 1997 à l’article 212, ce qui ne manque pas de surprendre816. À l’instar de son prédécesseur, l’article 178 du CP de 1969, ce nouvel article 212 prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à une peine de prison d’emprisonnement, bien que la dureté de celle-ci ait été atténuée (de deux à un an de prison pour la diffamation ordinaire)817. L’auteur de propos ayant les mêmes conséquences dans les médias de masse encourt une amende, une restriction de liberté et jusqu’à deux ans de prison, selon le § 2. Il faut ajouter que l’article 359 § 2 du CPP instaure un principe de huis clos pour les affaires concernant l’injure et la diffamation. Seule la victime peut demander la publicité des débats818. Rarement prononcées, ces sanctions représentaient une menace pour la liberté d’expression et il appartenait nécessairement aux juridictions internes d’adopter une posture conforme aux exigences de la Conv. EDH819. Concernant le délit d’injure, il est désormais puni à l’article 216 du même Code820. La peine peut consister éga- 815 CEDH, Malisiewicz-Gąsior c. Pologne, n°43797/98, 6 avril 2006. 816 Le CP de 1997 a prévu de punir la diffamation à l’égard des fonctionnaires plus sévèrement que la diffamation à l’égard des autres citoyens, ce qu’a dénoncé le Commissaire aux droits de l’homme Alvaro Gil-Roblès dans le rapport qu’il rédigea consécutivement à sa visite en Pologne en 2002 (Commiss. DH, Rapport du Commissaire aux Droits de l’Homme, M. Alvaro Gil-Roblès…, § 58). 817 L’article 212 § 1 disposait à l’époque des faits « Quiconque impute à autrui, à un groupe de personnes ou à une organisation dépourvue de personnalité juridique, un comportement ou des particularités susceptibles de rabaisser cette personne, ce groupe ou cette entitée dans l’opinion publique ou de saper la confiance du public en sa capacité nécessaire pour une position, une occupation ou un type d’activité, est passible d’une amende, d’une restriction de sa liberté ou d’un emprisonnement ne pouvant excéder un an ». Le § 2 du même article élevait jusqu’à deux ans la peine de prison si les faits étaient commis dans les médias de masse, contre trois ans pour le même délit dans l’ancien Code (Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. - Kodeks karny [Loi du 6 juin 1997 – Code pénal], Dz. U., 1997, n°88, texte 553, pp. 2677-2716). 818 Lire à ce sujet Łukasz PTAK, « Défamation Laws before Courts », 5th Warsaw Seminar on Human Rights, Varsovie, Kontrast, 2012, p. 251. 819 Nuala MOLE, « The importance of the Court’s case-law in Central and Easterne Europe », préc., p. 436 820 Cet article 216 du CP de 1997 dispose : « § 1. Quoiconque insulte une autre personne en présence ou en absence de celle-ci, en public ou avec l’intention que cette insulte l’atteigne, est passible d’une amende ou d’une peine de restriction de liberté » et « § 2. Quiconque insulte une autre personne par le biais des médias de masse 303 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE lement en de la prison ferme lorsque les propos sont tenus dans les médias de masse. 480 - Dès l’année 2006, avec l’arrêt Dąbrowski, la CEDH a condamné la Pologne au visa de l’article 10 de la Conv. EDH en application de sa législation post-transitionnelle. En l’espèce, le journaliste au quotidien Dziennik Pojezierza Olgierd Dąbrowski avait rédigé une série d’articles relatant l’issue judiciaire d’une affaire pénale mettant en cause le député-maire de la ville d’Ostróda, reconnu coupable d’avoir cambriolé à l’aide d’un complice les bureaux de la chaîne de télévision Vectra le 28 septembre 1995. Dans ses papiers publiés en septembre 1998, M. Dąbrowski émettait un jugement très critique à l’égard de l’accusé, qu’il qualifia de « maire-cambrioleur », décrivant sa carrière comme « mouvementée » et « très lucrative ». Il évalua en outre à 1,5 milliard de PLZ les pertes subies par la chaîne en raison du vol et railla l’attitude du maire, absent à une audience. Le 7 novembre 2000, M. Dąbrowski fut condamné à une amende pour diffamation sur le fondement de l’article 212 § 1 du CP. Le juge avait alors considéré ambigus certains termes de ses reportages tout en soulignant que plusieurs éléments avancés étaient faux. Le jugement fut confirmé en appel en 2001. La CEDH, saisie de l’affaire, n’a perçu dans les propos reprochés au requérant qu’un jugement de valeur dont le but n’était pas l’attaque personnelle gratuite contre un homme politique. La Cour a rappelé qu’il appartenait à un journaliste de rapporter l’actualité avec la possibilité pour ce faire d’exagérer les faits jusqu’à un certain degré. Or, les juridictions locales n’avaient pas pris en compte la nécessité d’une tolérance plus élevée envers les critiques et opinions formulées contre le personnel politique, règle pourtant constamment rappelée par la jurisprudence de la CEDH. Enfin, la peine imposée, même assez légère, s’approchait pour la Cour « d’un genre de censure » décourageant « de faire d’autres critiques de ce style dans le futur »821. 481 - En 2009, la Pologne a été sanctionnée une deuxième fois pour une affaire dans laquelle le requérant avait été condamné pour injure. En octobre 1998, dans la newsletter gratuite dont il était le rédacteur en chef, il avait évoqué le parcours politique d’une personnalité locale. Il prétendait que, conformément au principe de Peter, l’homme en question avait atteint son niveau d’incompétence en tant que maire d’une commune. Il fut poursuivi pour injure et diffamation puis condamné en avril 2000 en première instance. En appel, les juges avaient fait référence à la Conv. EDH pour l’acquitter des charges de diffamation mais avaient néanmoins retenu le délit d’injure (article 216 du CP). À ce titre, la justice lui infligea une amende, la est sujet à une amende, une peine de restriction de liberté ou une peine de privation de liberté pouvant aller jusqu’à un an » (Loi du 6 juin 1997 – Code pénal, préc). 821 CEDH, Dąbrowski c. Pologne, n°18235, 19 décembre 2006. 304 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME publication d’excuses et le paiement des frais et dépens. Nonobstant le faible montant de l’amende, la CEDH a jugé excessive cette peine qui s’apparentait à une forme de censure et de dissuasion pour les journalistes qui participent au débat public. Le requérant avait d’ailleurs choisi d’abandonner le métier de journaliste après cette condamnation822. 482 - L’année suivante, une condamnation s’est ajoutée dans une affaire de diffamation visant le directeur d’un groupe scolaire823. En 2012, deux journalistes d’un journal local ont obtenu gain de cause devant la CEDH. Ils avaient eux aussi été condamnés en diffamation pour une série de reportages critiques sur un homme politique824. Une peine constituée d’une amende, du remboursement des frais et dépens et de la publication du jugement a été jugé elle aussi trop sévère et dissuasive par la CEDH pour une requérante qui avait dénoncé les actes d’un maire accusé de fraude825. 483 - Pour la dernière fois, le 13 janvier 2015, la CEDH a jugé que le délit de diffamation retenu par la justice polonaise pour la critique d’un journaliste de la presse nationale contre un magistrat contrevenait à l’article 10 de la Conv. EDH. Un article de Gazeta Wyborcza rédigé par le requérant avait été consacré à la troublante disparition de trophées de chasse de valeur dans le bureau de l’huissier de l’une des cours de district de Wrocław. Le président de la cour régionale de Wrocław déposa une plainte en diffamation. Le requérant fut condamné pour cette infraction, ce que confirma la procédure en appel. Saisi par le requérant le 3 juin 2005, le Tribunal constitutionnel a été amené à contrôler la conformité à la Constitution des dispositions des articles 212 § 2 et 213 § 2 du CP. Il déclara partiellement inconstitutionnel l’article 822 CEDH, Długołęcki c. Pologne, n°23806/03, 24 février 2009. 823 CEDH, Kurlowicz c. Pologne, n°41029/06, 22 juin 2010. Le requérant avait très fortement critiqué le responsable d’un groupe scolaire pour sa gestion, dans le cadre d’une réunion de Conseil municipal. Ses propos avaient été repris par la presse locale. Le requérant fut condamné sur le fondement de l’article 212 du CP. Prenant en compte aussi bien l’intérêt du débat public que la nécessité d’un motif sérieux pour limiter la parole politique – motif absent en l’espèce – la CEDH a condamné la Pologne pour la violation de l’article 10 de la Conv. EDH. 824 CEDH, Jucha et Żak c. Pologne, n°19127/06, 23 octobre 2012. En 2005, les requérants avaient été condamnés en diffamation sur le fondement de l’article 212 § 2 du CP, à 500 PLN d’amende chacun, somme à laquelle le juge de seconde instance ajouta 50 PLN de frais de procédure. Considérant tant les circonstances de l’affaires (éléments factuels livrés par les auteurs de l’article, intérêt de ce dernier pour le débat public, critique d’un personnage public), la CEDH a considéré que la condamnation des requérants avait constitué une ingérence excessive dans leur droit à s’exprimer librement, garanti par l’article 10 de la Conv. EDH. 825 CEDH, Lewandowska-Malec c. Pologne, n°39660/07, 18 septembre 2012. La requérante avait exercé des fonctions politiques locales comme maire de la commune de Świątniki Górne entre 1990 et 1994. En 2000, son successeur à la tête de la municipalité fut visé par une enquête pour fraude et mis en examen jusqu’à ce que l’affaire soit classée en 2001. Deux ans plus tard, la requérante demanda l’ouverture d’une nouvelle procédure, affirmant avoir été anonymement informée d’irrégularités financières commises par l’ancien maire. L’Agence de presse polonaise publia un courrier envoyé par la requérante, lequel critiquait les pratiques de ce maire et l’accusait de pression sur la justice. La requérante fut condamnée par le cour de district de Wieliczka le 12 septembre 2006, en applicaton de l’article 212 du CP. 305 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 213 § 2826. La CEDH a relevé que, dans l’article incriminé, le requérant avait recouru à des sources différentes et avec le professionnalisme attendu, rapportant des faits vraisemblables et intéressant le débat public827. 484 - Selon la Fondation d’Helsinki, conviée en 2015 par la CEDH à prendre part en tant qu’amicus curiae à la procédure relative à l’affaire Łozowska, certaines dispositons du Code pénal, au centre desquelles l’article 212, présenteraient un risque majeur pour la liberté d’expression. La Fondation reproche au droit interne tant la sévérité des peines encourues que le devoir pour la personne accusée de ce délit de démontrer la véracité des faits allégués, ce qui revient à lui faire porter le fardeau de la preuve828. Pourtant, l’application de cet article ne provoque pas systématiquement de rupture de conventionnalité. Ironie de l’histoire, la Pologne a justement échappé à une condamnation au titre de l’article 10 dans cette affaire Łozowska829. En 2012 déjà, la condamnation du requérant de l’affaire Ciesielczyk à une amende de 450 EUR pour diffamation avait été jugée conforme à l’article 10 de la CEDH830. De même, lorsque les allégations contre un personnage public publiées dans la presse ne sont pas vérifiées au préalable et se retrouvent donc dépourvues de fondement, la CEDH ne juge pas inconventionnelle une condamnation de leur auteur au visa de l’article 212 du CP831. La CEDH n’a pas non plus jugée disproportionnée la condamnation au remboursement des frais et dépens et à la publication d’un message d’excuses une requérante qui, dans des lettres privées envoyées à des journalistes, avait accusé à tort un politicien de renom de défaut de paie- 826 TCP, n°SK 43/05, 12 mai 2008, OTK ZU, 2008, n°4A, texte 57. Le Tribunal a jugé l’article 213 § 2 du CP (« Quiconque profère ou publie une allégation véridique et justifiée par la protection de l’intérêt public ne commet pas l’infraction prévue à l’article 212 […] ») non conforme aux article 54 § 1 (liberté d’expression) et 31 § 3 (restrictions aux droits et libertés strictement conditionnées) de la Constitution en ce qu’il impose que les propos incriminés soient justifiés par la protection de l’intérêt public. En revanche, est reconnue conforme à la loi fondamentale l’exigence de véracité des faits évoqués pour échapper à la diffamation. 827 CEDH, Marian Maciejewski c. Pologne, n°34447/05, 13 janvier 2015. 828 CEDH, Łozowska c. Pologne, n°62716/09, 13 janvier 2015, §§ 67-70. 829 En l’espèce, la requérante, une journaliste, avait rédigé un article contenant des informations erronées sur les causes de la démission d’une magistrate. La CEDH n’a pas jugé disproportionnée la condamnation en diffamation prononcée contre la requérante par le juge interne dans la mesure où celle-ci n’avait pas agi de bonne foi ni en respect des règles déontologiques (Ibidem, §§ 6-43 et §§ 77-96). 830 CEDH, Ciesielczyk c. Pologne, n°12484/05, 26 juin 2012. À l’occasion d’une manifestation retransmise à la télévision, le requérant avait accusé deux journalistes d’être les collaborateurs des politiciens locaux et qualifié l’un d’entre eux de « plus grand manipulateur de la télévision câblée ». Dans un pays au passé socialiste, les mots « collaborateur » et « manipulateur », particulièrement péjoratifs, ressortissaient à la diffamation, d’autant plus qu’aucune base factuelle ne fondait les propos du requérant. Si la majorité de la quatrième section a bien rejeté une violation de la Convention, les juges Thór Björgvinsson, Hirvelä et De Gaetano ont co-signé une opinion dissidente. Pour eux, les propos sanctionnés pouvaient être considérés comme un jugement de valeur. 831 CEDH, Ziembiński c. Pologne, n°46712/06, 24 juillet 2012. 306 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ment832. Dans un autre contexte, la condamnation d’une requérante pour des propos agressifs et infondés contre des magistrats, la CEDH a considéré que les autorités polonaises n’avaient pas porté une atteinte manifestement disproportionnée à sa liberté d’expression833. La lourdeur des sanctions pénales, comme l’opportunité de celles-ci lorsqu’elles frappent des contributeurs sincères du débat public, suit difficilement les standards démocratiques imposés par la CEDH. Les autorités ont tenté de faire évoluer le droit interne en alignant les peines encoures pour des faits de diffamation sur celles qui répriment le délit d’injure. 3) La réduction des peines prévues pour diffamation dans le Code pénal 485 - Après les premiers arrêts rendus par la CEDH, le gouvernement polonais avait minimisé les risques de violations graves du droit à la liberté d’expression induits par la législation sévère sur la diffamation des fonctionnaires, incluant les personnalités politiques. D’abord rassuré par l’issue de l’affaire Janowski dans laquelle l’État avait échappé à une condamnation au titre de l’article 10 pour avoir sanctionné un journaliste reconnu coupable d’insultes contre des policiers, le gouvernement a fait valoir deux arguments. Primo, il a considéré que les limites de la critique étaient posées par une interprétation de la législation en vigueur et qu’il n’était donc pas utile de modifier celle-ci. Sur ce premier argument soulevé, il était en effet possible d’espérer une évolution de l’interprétation de la loi nationale au diapason des exigences de la CEDH834, d’autant plus que les juridictions polonaises, y compris du premier ressort, avaient commencé dès le milieu des années 1990 à se référer à la Conv. EDH et ses standards, comme le fit remarquer Adam Bodnar835. Quelques années plus tard, la Cour su- 832 CEDH, Gąsior c. Pologne, n°34472/07, 21 février 2012. De l’avis du juge David Thór Björgvinsson, auteur en l’espèce d’une opinion dissidente, il y avait lieu de retenir une violation de l’article 10 dans la mesure où les courriers litigieux n’avaient jamais été rendus publics. Pour lui, dans une société ouverte et libre, les individus ne doivent pas être dissuadés d’attirer l’attention des médias s’ils jugent une information importante. 833 CEDH, Lopuch c. Pologne, n°43587/09, 24 juillet 2012. Profitant d’une audience publique devant la cour de district de Szczeciń, la requérante de l’affaire avait accusé le personnel de la justice de pratiques délictueuses et traita même les magistrats de « mafieux corrompus ». Condamnée à une amende légère (150 PLN) pour diffamation, elle aggrava son cas en interjetant appel pour se plaindre d’un jugement rendu, selon ses propres mots, « dans la pire tradition communiste ». Le montant de l’amende fut revu à la hausse en appel (700 PLN). 834 En 2006, le juriste polonais Adam Łopatka estimait que le niveau de la liberté d’expression était alors conforme aux standards européens mais il relevait l’existence de menaces causées par l’application trop stricte des normes en vigueur. Il observait que « les particuliers et les autres entités privées abus[aient] très fréquemment de cette liberté » et que « souvent, en raison de diffamation ou d’injures envers d’autres personnes, des procès [avaient] lieu, surtout civils » (Adam ŁOPATKA, « La liberté d’expression en Pologne », in L’État et le droit d’Est en Ouest – Mélanges offerts au professeur Michel Lesage, Paris, Société de Législation Comparée, 2006, p. 224). 835 Adam BODNAR, « Poland: EU driven democracy? », in Leonardo MORLINO, Wojciech SADURSKI (dir.), Democratization and the European Union: comparing central and eastern European post-communiste countries, 307 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE prême n’hésitait plus à invoquer l’article 10 de la Conv. EDH836 et citait même régulièrement dans ses décisions la jurisprudence de la CEDH en matière de liberté d’expression contre des États-tiers837. Quant au Tribunal constitutionnel, il s’était appuyé très tôt lui-aussi sur l’article 10 en rappelant que les institutions polonaises étaient tenues de s’y conformer838. Secondo, le gouvernement a avancé que les 441 personnes condamnées dans les années 1990 à une peine de prison pour insulte à un agent de la fonction publique l’avaient été sur le fondement de l’article 236 du CP de 1969839 parce que l’infraction avait été commise alors que la victime agissait dans l’exercice de ses fonctions, ce qui est un élément aggravant840. 486 - Le CP de 1969 n’étant plus en vigueur lorsque le Comité des ministres procéda à l’examen des mesures adoptées pour répondre à l’arrêt Skołowski, le gouvernement insista sur l’importance de la diffusion des standards européens auprès des cours d’appel du pays via une circulaire transmise par le ministre de la Justice ainsi que de la publication de l’arrêt sur le site Internet du ministère. Quant au requérant, après avoir bénéficié dès 2002 de l’effacement automatique de sa condamnation dans son casier judiciaire ainsi que de la possibilité d’un réexamen de l’affaire dans une procédure de diffamation841, il a reçu en septembre 2005 la satisfaction équitable fixée par la CEDH dans son arrêt du 29 mars 2005842. Le Comité des ministres en a terminé avec le suivi de l’arrêt Skałka par la résolution du 10 mars843. 487 - Pour ce qui concerne les affaires postérieures à l’entrée en vigueur du CP de 1997, une place particulière a d’abord été faite aux mesures individuelles. Les requérants des affaires Routledge, Abingdon, 2010, p. 33. 836 Andrzej DRZEMCZEWSKI, Marek Antoni NOWICKI, « Les effets de la CEDH en Pologne : un bilan quatre ans après », in Protection des Droits de l’Homme : la perspective européenne – Mélanges à la mémoire de Rolv Ryssdal, Köln/Berlin/Bonn/Munich, Carl Heyman Verlag, 2000, p. 435. 837 Marek SAFJAN, « La Liberté de parole : les standards conventionnels et constitutionnels et la jurisprudence de la Cour suprême et du Tribunal constitutionnel de Pologne », RJCE, 2003, pp. 205-207. 838 Andrzej DRZEMCZEWSKI, Marek Antoni NOWICKI, « Les effets de la CEDH en Pologne… », préc.,p. 428. 839 Cet article disposait : « Quiconque insulte un agent public ou un secouriste, en tenue règlementaire et dans le cadre de ses fonctions, est passible d’une peine d’emprisonnement de deux ans, d’une restriction de sa liberté ou d’une amende » (Loi du 19 avril 1969 – Code pénal, préc.). 840 Comm. DH, Rapport du Commissaire aux Droits de l’Homme, M. Alvaro Gil-Roblès…, préc., annexe p. 40. 841 Art. 107 § 4 et art. 540 § 3 du Code de procédure pénale de 1997. 842 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2009)134 (exécution de l’arrêt Sokołowski c. Pologne), 3 décembre 2009, 1072e réunion des délégués. À propos de l’exécution de cet arrêt, Elisabeth Lambert-Abdelgawad estime à juste titre qu’il est souhaitable « que le Comité attende l’issue de la procédure interne éventuelle de réouverture avant de clôturer l’affaire, puisque la violation de l’article 10 (et non des garanties procédurales) était ici en cause » (Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (2009), RTDH, n°84, 2010, p. 798). 843 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution des arrêts dans 17 affaires contre la Pologne), 11 mars 2011, 1108e réunion des délégués. 308 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Kurlowicz, Jucha et Żak, Lewandowska-Malec et Długołecki844 ont tous obtenu le versement de la satisfaction équitable dans les délais habituellement fixés après qu’un arrêt de la CEDH est devenu définitif. Ils ont surtout demandé et obtenu la réouverture de la procédure pénale à l’issue de laquelle ils avaient été condamnés en application de l’article 212 ou de l’article 216 du CP. Les juridictions internes ont systématiquement abandonné les poursuites les concernant. Seuls Dorota Jucha et Tomasz Żak ont renoncé à être rejugés, alors que l’article 540 § 3 du CPP leur en offrait pourtant la possibilité845, consécutivement à un arrêt de la CEDH846. 488 - L’article 216 du CP sanctionnant le délit d’injure n’a pas connu de modification depuis 1997 et prévoit toujours jusqu’à un an de prison ferme dans des circonstances aggravantes (insultes à travers des médias de masse, § 2 de l’article). Les peines maximales prévues pour la diffamation s’élevaient encore, à l’époque de la condamnation des requérants, à un ou deux ans de prison ferme en fonction du contexte. 489 - En octobre 2006, le Tribunal constitutionnel a jugé conforme à la Constitution de 1997 les dispositions de l’article 212 du Code pénal847, ce qui n’allait guère dans le sens de la jurisprudence développée par la CEDH848. Mais un amendement voté à l’automne 2009 est venu adoucir les peines prévues à l’article 212 pour le délit de diffamation. Entré en vigueur le 8 juin 2010, il a supprimé la prison ferme pour les propos diffamatoires ordinaires (212 § 1). Seules une restriction de la liberté et une amende peuvent être infligées par le juge pénal. Enfin, la sanction encourue en cas de déclaration à caractère diffamatoire dans les médias de 844 Les requérants des affaires Dąbrowski et Malisiewicz-Gąsior ont reçu également les sommes respectivement attribuées par la CEDH, ce qui a suffi au Comité des ministres pour en clore le suivi dans une résolution finale de 2011. Voir Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution des arrêts dans 17 affaires contre la Pologne), 10 mars 2011, 1108e réunion des délégués, annexe. 845 Cf. supra, paragraphe 54. 846 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)49 (exécution de l’arrêt Długołęcki c. Pologne), 1er avril 2015, 1224e réunion des délégués, annexe (bilan d’action) ; Com. Min., Document DH-DD(2014)1406 (bilan d’action des autorités dans les affaires Kurlowicz c. Pologne, Lewandowska-Malec c. Pologne et Jucha et Żak c. Pologne), 19 novembre 2014. 847 TCP, n°P 10/06, 30 octobre 2006, OTK ZU, 2006, n°9A, texte 128. 848 La CEDH a posé le principe de l’incompatibilité avec l’art. 10 de la Conv. EDH des peines de prison encourues par des journalistes dans l’exercice de leurs fonctions. Voir en particulier l’arrêt CEDH, Cumpana et Mazare c. Roumanie [GC], n°33348/96, 17 décembre 2004, Rec. 2004-XI : « Si la fixation des peines est en principe l’apanage des juridictions nationales, la Cour considère qu’une peine de prison infligée pour une infraction commise dans le domaine de la presse n’est compatible avec la liberté d’expression journalistique garantie par l’article 10 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse, par exemple, de la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence » (§ 115). Ce regard est désormais partagé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Ass. CdE., Résolution 1577(2007), Vers une dépénalisation de la diffamation, 4 octobre 2007, §§ 11-13). 309 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE masse (212 § 2) a été réduite de deux à un an de prison849. L’État polonais veut croire que cette réforme – couplée à l’habituelle diffusion des arrêts aux juridictions et sur le site Internet du ministère de la Justice qui invite à une amélioration du contrôle de proportionnalité dans les affaires d’injure ou de diffamation – a permis de réduire considérablement le nombre de peines de privation de liberté prononcées. Selon les données présentées en novembre 2014 au Comité des ministres, la prison ferme est retenue dans un nombre de plus en plus réduit de cas alors même que les poursuites en diffamation ont augmenté sur la période 2010-2012. Peu significatives, ces statistiques produites sur une courte période n’ont pas encore convaincu le Comité de clore le suivi des trois affaires concernées. Depuis 2015, celui-ci doit également se pencher sur l’exécution de l’arrêt Marian Maciejewski. Les règles fixées par un texte de l’époque socialiste, la loi sur la presse de 1984, ont aussi conduit ces dernières années à des décisions judiciaires contraires à l’article 10 de la Conv. EDH. C. Des décisions inconventionnelles prises sur le fondement de la législation sur la presse Les dispositions de la loi sur la presse, adoptée en 1984 et toujours en vigueur, ont fondé la condamnation de journalistes pour des publications ou des propos tenus dans l’exercice de leur activité professionnelle. Ces sanctions judiciaires n’ont pas toujours été justifiées, selon la CEDH (1). Certains des articles de la loi appliqués dans ces affaires n’ont pas été encore été modifiés ni abrogés (2). 1) La loi sur la presse de 1984 occasionnellement en cause dans les affaires portant sur la liberté d’expression devant la CEDH 490 - Peu après la guerre, par un décret du 5 juillet 1946, fut créé en Pologne l’Office central de contrôle de la presse, des publications et des spectacles850. Il était chargé de contrôler la diffusion de toutes sortes d’œuvres par moyen d’impression, d’image et de parole (il s’agissait surtout d’éviter que ne soit portée atteinte aux intérêts de l’État). Des offices territoriaux 849 Ustawa z dnia 5 listopada 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny, ustawy - Kodeks postępowania karnego, ustawy - Kodeks karny wykonawczy, ustawy - Kodeks karny skarbowy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 5 novembre 2009 modifiant le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code d’exécution des peines, le Code pénal fiscal ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2009, n°206, texte 1589, pp. 16141-16157. 850 Dekret z dnia 5 lipca 1946 r. o utworzeniu Głównego Urzędu Kontroli Prasy, Publikacji i Widowisk [Décret du 5 juillet 1946 instituant l’Office central de contrôle de la presse, des publications et des spectacles], Dz. U., 1946, n°34, texte 210, p. 319. 310 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME étaient soumis à cet office central851. Cette logique de supervision centralisée a évolué au début des années 1980. La loi du 31 juillet 1981, inspirée par le combat du syndicat libre Solidarność mais dont l’application fut remise en cause par l’état martial, a opéré une limitation bienvenue des pouvoirs de l’Office. Ce système n’a été aboli qu’avec la loi du 11 avril 1990852. Par la loi du 29 décembre 1992 sur la radiophonie et la télévision853 a été créé le Conseil National de Radiophonie et Télévision, organe étatique composé de neuf membres. Il est chargé de veiller à la liberté d’expression sur les radios et chaines télévisées, à l’indépendance des diffuseurs, au pluralisme des opinions et à l’intérêt des auditeurs et télespectateurs. Concernant la presse écrite, les règles de déontologie et les libertés accordées aux journalistes et organes de diffusion ont été fixées dans un loi été adoptée en 1984. Son article 12 § 1 (1) dispose qu’un journaliste a le devoir d’agir avec une particulière diligence dans la collecte et l’usage de l’information, en particulier de vérifier la véracité de l’information obtenue854. L’application de cette loi a causé plusieurs violations de la Conv. EDH avant 2012855. 491 - La première affaire qui conduisit à la condamnation de la Pologne concernait la restriction portée aux intitulés qu’un éditeur local, Józef Gawęda, avait souhaité donner à ses publications. En septembre 1993, la cour régionale de Bielsko-Biała a rejeté sa demande d’enregistrer un périodique sous le titre Le mensuel social et politique – un tribunal moral 851 Adam ŁOPATKA, « La liberté d’expression en Pologne », préc., p. 216. 852 Ibidem, p. 217. 853 Ustawa z dnia 29 grudnia 1992 r. o radiofonii i telewizji [Loi du 29 décembre 1992 sur la radiophonie et la télévision], Dz. U., 1993, n°7, texte 34, pp. 62-72. Elle fut contrôlée par le Tribunal constitutionnel le 2 mars 1994 qui la jugea conforme à la Constitution et s’appuya sur les exigences de l’art. 10 de la Conv. EDH (voir résolution du TCP, n°W 3/93, 2 mars 1994, OTK ZU, 1994, texte 17). La modification de cette loi a créé une vaste polémique dans les derniers jours de l’année 2015. Le Parlement dominé par le parti PiS a mis un terme à l’indépendance des membres du conseil de surveillance des chaînes et stations publiques, désormais nommés et révoqués par le ministre du Budget (art. 27 de la loi modifiée) avec achèvement prématuré des mandats en cours à la date d’entrée en vigueur du texte. Est retiré en conséquence le rôle dévolu depuis une loi du 6 août 2010 au Conseil National de Radio et de Télévision de garantir la mise en concurrence ouverte et transparente des candidats aux postes de membres du conseil de surveillance des médias publics (abrogation du § 2.11 de l’art. 11 de la loi modifiée). Voir Ustawa z dnia 30 grudnia 2015 r. o zmianie ustawy o radiofonii i telewizji [Loi du 30 décembre 2015 modifiant la loi sur la radiophonie et la télévision], Dz. U., 2016, texte 25. 854 Loi du 26 janvier 1984 – Droit de la presse, préc. 855 Dans l’affaire Remuszko en revanche, la Pologne a échappé à une condamnation. Le requérant avait publié en 1999 un ouvrage très critique consacré à l’histoire du quotidien Gazeta Wyborcza. Il attaqua en justice les journaux qui refusaient de publier un message promotionnel, invoquant l’article 54 de la Constitution et la section 1 de la loi sur la presse de 1984. Son recours fut rejeté, les tribunaux considérant que les organes de presse avaient le droit de refuser une publication s’ils estimaient que celle-ci pouvait porter préjudice à un tiers. Saisie par le requérant, la CEDH a rappelé que l’article 10 de la Conv. EDH ne comprend pas le droit pour toute personne de voir ses opinions diffusées dans des journaux privés (CEDH, Remuszko c. Pologne, n°1562/10, 16 juillet 2013). 311 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE européen au motif qu’il était contraire à l’article 23 de la loi sur la presse856 car trompeur en ce qu’il laissait entendre qu’une institution européenne était établie dans la localité où il devait paraître. Les juges reprochèrent aussi à l’intitulé d’être disproportionné au nombre potentiel de lecteurs en apparaissant comme un journal de dimension européenne. Le 17 avril 1994, la cour régionale de Bielsko-Biała rejeta une seconde demande de M. Gawęda pour un périodique intitulé Allemagne – l’ennemi séculaire de la Pologne. Une telle dénomination fut considérée préjudiciable à la réconciliation germano-polonaise et à de bonnes relations transfrontalières857. M. Gawęda s’est alors tourné vers la Com. EDH qui, dans son rapport en date du 4 décembre 1998, a retenu la violation de l’article 10 de la Conv. EDH858. Pour le requérant, les deux intitulés litigieux devaient être regardés comme une métaphore (dans le premier cas) et comme un jugement de valeur (dans le second)859. La CEDH a considéré en 2002 que le refus d’enregistrer ces périodiques avait pour conséquence de ne pas autoriser leur publication et qu’ainsi les décisions des juridictions internes avaient bel et bien porté une restriction aux droits protégés par la Conv. EDH. Les juridictions polonaises étaient allées au-delà même des exigences du droit interne en imposant que le titre du magazine traduisît des informations véridiques860. 492 - Dans l’affaire Wizerkaniuk, deux journalistes de Gazeta Kościańska, média dirigé et détenu par le requérant, avaient mené en février 2003 une interview d’un membre du Parlement. Condensée en trois pages, elle devait être publiée après approbation, conformément à l’article 49 de la loi de 1984 sur la presse. Le texte fut pourtant rejeté par l’intéressé. À défaut d’interview, le journal publia un verbatim accompagné de photos prises lors de l’entretien. Le parlementaire déposa plainte et le requérant fut condamné à l’issue de la procédure à une amende et au remboursement des frais et dépens. Le 29 septembre 2008, saisi par le requérant, le Tribunal constitutionnel a jugé les dispositions de l’article 49 de la loi de 1984 conformes à la Constitution861. Citant l’opinion dissidente émise par le juge Rzepliński dans le jugement du Tribunal constitutionnel, la CEDH a considéré que les dispositions de la loi de 856 L’enregistrement d’une publication n’était pas autorisé dans le cas où il ne serait pas conforme « aux dispositions en vigueur et à l’état des choses », comme en disposait l’article 5 du texte réglementaire pris en application de l’article 23 de la loi de 1984 (Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 9 lipca 1990 r. w sprawie rejestru dzienników i czasopism [Règlement du ministre de la Justice du 9 juillet 1990 sur le registre des journaux et des magazines], Dz. U., n°46, texte 275, pp. 651-652). 857 CEDH, Gawęda c. Pologne, n°26229/95, 14 mars 2002, §§ 6-12, Rec. 2002-II. 858 Com. EDH, Gawęda c. Pologne, n°26229/95, 4 décembre 1998, §§ 27-51. 859 CEDH, Gawęda c. Pologne, préc., §§ 18-31. 860 Ibid., §§ 36-50. 861 TCP, n°SK 52/05, 29 septembre 2008, OTK ZU, 2008, n°7A, texte 125. 312 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 1984 pouvaient avoir un effet dissuasif sur le travail journalistique en laissant « carte blanche » à la personne interviewée pour refuser ou retarder la publication d’un entretien. La Cour a souligné en outre que la loi de 1984 n’avait pas été susbstantiellement amendée depuis l’époque de son adoption. Elle en a conclu à la violation de l’article 10 de la Conv. EDH862. 493 - La loi sur la presse a été une fois encore mise en cause dans l’arrêt Kaperzyński en 2012. Rédacteur en chef d’un journal local, le requérant avait publié en octobre 2006 un article dénonçant les risques pour la santé publique du mauvais traitement des eaux usées dans une commune. Le maire, qui n’avait pas apprécié le ton de l’article, lui adressa une lettre. Celle-ci ne fut pas publiée par le requérant. Le maire intenta alors une action en justice, alléguant le refus de publication d’un droit de réponse863, sur le fondement de l’article 46 § 1 de la loi sur la presse de 1984. Le requérant fut condamné au titre de cet article en décembre 2006 par la cour de district à vingt heures de service civique mensuelles pendant quatre mois et à une privation de deux ans d’exercice de la profession de journaliste. La décision fut confirmée en appel. La CEDH n’a pas jugé disproportionnée l’obligation légale imposée aux journalistes de respecter le droit de response. En revanche, dans le cas d’espèce, elle a estimé que les sanctions pénales infligées étaient beaucoup trop sévères et risquaient de provoquer un effet dissuasif sur la profession journalistique864. Dans cet arrêt Kaperzyński, la solution développée par la CEDH a précisé sa propre jurisprudence dans le sens où l’obligation positive de l’État au titre de l’article 10 ne se limite pas à un droit de réponse aux personnes privées mais à ceux qui sont visés par un « bilan critique de leur action », comme en l’espèce une municipalité. Il convient de relever que l’arrêt ne fait pas la distinction entre droit de réponse et droit de rectification865. 494 - Reste en dernier lieu à évoquer l’affaire Wojtas-Kaleta, qui se distingue des précédentes. L’auteur de la requête adressée à la CEDH était une journaliste de la chaîne TVP et 862 CEDH, Wizerkaniuk c. Pologne, n°18990/05, 5 juillet 2011. 863 Sur le droit de réponse que les États du Conseil de l’Europe doivent garantir aux personnes évoquées dans les médias, deux actes font figure de guide : une résolution du Comité des ministres (Com. Min., Résolution Res(74)26, Droit de réponse – Situation de l’individu à l’égard de la presse, 2 juillet 1974, 233e réunion) et une recommandation de l’Assemblée (Ass. CdE, Recommandation 1215(1993), Éthique du journalisme, 1er juillet 1993). Ces deux textes convergent dans le sens de la reconnaissance d’un droit de réponse dans les États parties pour tout individu visé par des allégations diffusées dans les médias. Il ne s’agit pourtant pas d’un droit absolu, mais d’une possibilité de recours qui peut être rejetée dans certains cas de figure (longueur excessive de la réponse, propos délictueux, propos dépassant le sujet concerné, absence d’intérêt individuel, etc. : voir en particulier l’annexe à la recommandation du Comité précitée). 864 CEDH, Kaperzyński c. Pologne, n°43206/07, 3 avril 2012. 865 David Thór BJÖRGVINSSON, « The right of reply », in Joseph CASADEVALL (et al.) (dir.), Freedom of Expression– Essays in honor of Nicolas Bratza, Oisterwik, Wolf Legal Publishers, 2012, pp. 173-174. 313 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE présidente de l’Union des journalistes de TVP. En avril 1999, à la suite du retrait par cette chaine d’émissions consacrées à la musique classique, elle avait exprimé dans le quotidien Gazeta Wyborcza une opinion critique sur ces décisions. Elle reçut par la suite une réprimande de sa direction866. En mai 1999, la requérante déposa un recours en justice contre TVP pour que la sanction soit retirée mais la cour de district de Wrocław donna raison à l’employeur. La décision fut confirmée en appel. Comme elle l’avait fait dans l’arrêt Fuentes Bobo c. Espagne867, la quatrième section de la CEDH a considéré que les autorités internes, en ne permettant pas de réparer le préjudice causé à la requérante, portaient la responsabilité d’un blâme disproportionné au regard des propos tenus. En conséquence, l’article 10 de la Conv. EDH avait bien été violé868. À défaut d’abroger la loi sur la presse, qui contient encore des dispositions répressives propres au droit socialiste, les autorités la vident peu à peu de ses archaïsmes. 2) La loi sur la presse de 1984 modifiée à la marge 495 - Dès 2011, le Comité des ministres a mis un terme au suivi de l’exécution de l’affaire Gawęda à travers une résolution commune à seize autres affaires869. C’est avec la surveillance de la seconde affaire, Wojtas-Kaleta, que les premières mesures à caractère général furent prises en compte. Le cas d’espèce était pourtant un peu atypique : la requérante avait certes enfreint l’article 10 de la loi sur la presse de 1984 mais le blâme reçu par sa direction s’appuyait précisément sur des règles internes adoptées par son employeur, TVP, en application de cet article de la loi sur la presse. Les autorités étatiques ont mis en avant le caractère isolé de la violation pour justifier l’exécution de l’arrêt par la seule diffusion de son texte (site Internet du ministère de la Justice, courrier aux cours d’appel et au bureau du procureur général, demande d’inclusion de l’arrêt dans le programme de formation des magistrats), ainsi que 866 Fondé sur l’article 14 § 2 du règlement interne de l’entreprise, lequel traduit les dispositions de l’art. 10 de la loi sur la presse qui préconisent qu’un journaliste agisse « conformément aux standards éthiques et aux principes de la coexistence sociale » (§ 1) et respecte « dans le cadre de la relation de travail […] la ligne éditoriale générale » (§ 2) (Loi du 26 janvier 1984 – Droit de la presse, préc.). 867 CEDH, Fuentes Bobo c. Espagne, n°39293/98, 29 février 2000. Le requérant, employé de la télévision publique espagnole, avait été visé par une procédure disciplinaire puis licencié en raison de divers actes de contestation contre la politique de l’entreprise. La CEDH a retenu la violation de l’article 10 de la Conv. EDH, considérant que la sanction prononcée, si elle visait bien un but légitime, ne répondait pas à « un besoin social impérieux » (§ 50). 868 CEDH, Wojtas-Kaleta c. Pologne, n°20436/02, 16 juillet 2009. 869 Le Comité a contrôlé l’exécution de ces arrêts par le versement de la satisfaction équitables aux requérants (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution des arrêts dans 17 affaires contre la Pologne), préc.). 314 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME le retrait du blâme de la requérante de son dossier professionnel après un an870. Le Comité des ministres a refermé l’examen de l’affaire par sa résolution du 7 mars 2013871. 496 - Dans l’arrêt Kaperzyński, était principalement en cause l’application de l’article 46 de la loi sur la presse du 26 janvier 1984. Le requérant avait été lourdement condamné sur le fondement de ce texte, notamment à une interdiction de deux ans d’exercer sa profession. Après l’arrêt de la CEDH en sa faveur, outre le versement de la satisfaction équitable par les autorités, Przemysław Kaperzyński a obtenu la réouverture de la procédure pénale le concernant. Par un jugement du 20 août 2012, la cour d’appel de Gdańsk a annulé sa condamnation. Les dispositions des article 46 § 1, 33 et 33 § 1 de la loi de 1984, sur lequelles s’étaient basés les juges avaient été abrogées à la suite d’un jugement du Tribunal constitutionnel du 1er décembre 2010872, un an et demi avant l’arrêt de la CEDH. Le Parlement adopta la loi du 14 septembre 2012 qui remplaça les dispositions jugées inconstitutionnelles en fixant un nouveau cadre pour l’exercice du droit de réponse. L’article 46 étant entièrement abrogé désormais, un éditeur ne peut plus être pénalement condamné pour le refus de publication d’un droit de réponse873. Le Comité des ministres s’est satisfait de l’ensemble de ces mesures874. 497 - L’affaire Wizerkaniuk, à propos de la publication de paroles échangées sans autorisation de l’auteur, est la dernière encore en cours d’examen par le Comité des ministres. Le dernier bilan d’action transmis est daté du 5 novembre 2012. Le gouvernement y confirme le versement dans les délais de la satisfaction équitable au requérant et la possibilité ouverte à celui-ci de demander que la procédure interne contre lui soit rouverte. Dans l’arrêt rendu par la Cour, l’application des dispositions de l’article 49 de la loi sur la presse avait entraîné l’inconventionnalité. Le Parlement a souhaité apporter une réponse législative à la condamnation de la Pologne à travers une proposition de loi, travaillée en commission sur les médias et la culture. L’intention du législateur est de dépénaliser la publication de propos recueillis sans autorisation expresse de la personne interviewée, excepté si ces propos portent atteinte au 870 L’article 113 § 1 du Code du travail dispose : « Une sanction est considérée comme nulle, et la copie de l'avis de la sanction retirée des dossiers personnels des employés après un an de travail irréprochable […] » (Ustawa z dnia 26 czerwca 1974 r. Kodeks pracy [Loi du 26 juin 1974 – Code du travail], Dz. U., 1974, n°24, texte 141, pp. 257-285. 871 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)39 (exécution de l’arrêt Wojtas-Kaleta c. Pologne), 7 mars 2013, 1164e réunion des délégués (voir aussi son annexe, le bilan d’action des autorités). 872 TCP, n°K 41/07, 1er décembre 2010, OTK ZU, 2010, n°10A, texte 127. 873 Ustawa z dnia 14 września 2012 r. o zmianie ustawy – Prawo prasowe [Loi du 14 septembre 2012 modifiant la loi sur le droit de la presse], Dz. U., 2012, texte 1236. 874 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)235 (exécution de l’arrêt Kaperzyński c. Pologne), 19 novembre 2014, 1212e réunion des délégués. 315 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE secret professionnel ou à la vie privée. Cette restriction ne concernerait pas les informations sur la vie privée qui sont en lien direct avec les activités publiques de cette personne875. En avril 2016, le texte n’avait toujours pas été adopté. L’article 49 est pour l’heure inchargé et le juriste polonais Rafał Mizerski estime quasiment inconciliables les exigences de la Convention et le système d’autorisation de publication pour les interviews876. 498 - La juriste polonaise Hanna Machińska considère que la loi de 1984 devrait être intégralement abrogée et craint que les dérives qu’elle engendre ne deviennent encore plus importantes dans les années à venir877. Elle semble rejoindre l’opinion émise par la Fondation d’Helsinki, qui déplore les effets de cette législation ancienne sur la liberté de la presse en Pologne. Pour ce qui est par exemple de l’article 49 de la loi, la Fondation rappelle que ses dispositions ne font pas de distinction en fonction de la personnalité interviewée, alors que le degré de liberté d’expression est plus élevé lorsqu’il s’agit d’un individu exerçant des fonctions publiques878. Exiger une autorisation expresse avant publication permet de surcroît à la personne de bloquer la diffusion de tout propos qu’elle ne souhaite pas voir publié. Plus nuancé, le professeur Garlicki, estime préférable d’adopter un nouveau texte, bien que le Parlement eût déjà retiré, selon lui, ce qui était le plus délétère dans la loi de 1984. L’ancien juge à la CEDH défend l’idée qu’il faut aussi savoir limiter la liberté de la presse lorsqu’elle crée des préjudices à autrui, ce que fait le droit polonais879. Entre 1997 et 2016, quatre autres affaires se sont conclues par un constat de violation de la liberté d’expression des requérants par la CEDH. Isolées, ces violations concernaient des normes adoptées après 1989. 875 Com. Min., Document DH-DD(2013)68 (bilan d’action des autorités dans l’affaire Wizerkaniuk c. Pologne), 28 janvier 2013. 876 Rafał MIZERSKI, « Wolność ekspresji w orzecznictwie Europejskiego Trybunału Praw Człowieka w sprawach przeciwko Polsce », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°3, 2012, pp. 88-90. 877 Entretien avec Hanna Machińska, Varsovie, 25 mai 2015. 878 Com. Min., Document DH-DD(2012)631 (communication d’une ONG (la Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) et réponse de la Pologne dans l’affaire), 26 juin 2012. 879 Entretien avec Lech Garlicki, Varsovie, 28 mai 2015. L’exemple français semble d’ailleurs s’inscrire dans la même logique, avec un droit national plus équilibré, moins favorable à la liberté de la presse que la Cour (dont la jurisprudence consacre une « conception maximaliste », selon le professeur Dominique Turpin) mais plus soucieux de protéger les intérêts particuliers, ce qui se constate notamment chez le juge ordinaire (Dominique TURPIN, « Les Libertés d’expression, de communication et de la presse – Rapport introductif », RJCE, numéro spécial, 2003, pp. 153-172). 316 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME D. D’autres sources du droit interne à l’origine de violations isolées En 2007, la CEDH a jugé que la Pologne avait méconnu l’article 10 de la Conv. EDH à propos de la condamnation du requérant qui avait diffusé une lettre critique contre un candidat dans le cadre d’une campagne électorale (1). Dans un tout autre contexte, deux violations du même article ont été prononcées après que des médecins furent condamnés en application du Code de l’éthique médicale pour avoir critiqué les pratiques de leurs collègues (2). 1) La loi de 1998 relative aux élections locales mise en cause dans deux affaires devant la CEDH L’article 72 de la loi du 16 juillet 1998 permettait d’infliger des sanctions pécuniaires lourdes aux individus reconnus coupables de divulgation d’informations mensongères à l’occasion de campagnes électorales locales (a). Avant même que la CEDH ne condamne la Pologne, il fut amendé par le législateur (b). a) Deux violations de l’article 10 pour des sanctions disproportionnées infligées aux requérants 499 - Leszek Kwiecień était le gérant d’un garage automobile à Dzierżoniów. En 1998, durant la campagne précédant l’élection du gouverneur de son district, il rédigea une lettre adressée au gouverneur sortant et candidat à sa propre succession (S. L.). Le texte fut envoyé à plusieurs élus et journaux locaux. Dans celui-ci, M. Kwiecień invitait S. L. à ne pas se porter candidat tout en l’accusant d’avoir « rempli [ses] devoirs avec incompétence et parfois même malice, enfreignant fréquemment la loi et fondant [ses] déclarations sur des mensonges ». Il reprochait en particulier à S.L. de s’être opposé en 1996 et 1998 à des projets de construction le concernant par des décisions jugées ensuite illégales par le juge administratif. S. L. a introduit une plainte contre M. Kwiecień devant la cour régionale de Wałbrzych sur le fondement de l’article 72 de la loi relative aux élections locales880, demandant que fussent corrigées les fausses informations contenues dans la lettre, que cette correction fût publiée dans deux journaux locaux, que son auteur présentât des excuses et qu’il fût enfin condamné à verser 10 000 880 Il s’agit d’une procédure en référé par laquelle la cour régionale compétente peut prendre toute une série de mesures (confiscation, amende, restrictions…) destinées à suspendre et à sanctionner la distribution de matériel de campagne électorale contenant de fausses données ou informations (Ustawa z dnia 16 lipca 1998 r. - Ordynacja wyborcza do rad gmin, rad powiatów i sejmików województw [Loi du 16 juillet 1998 – Règles des élections des conseils municipaux, conseils de district et assemblées régionales], Dz. U., 1998, n°95, texte 602, pp. 3401-3428). Voir CEDH, Kwiecień c. Pologne, n°51744/99, 9 janvier 2007, § 27. 317 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE PLN à une œuvre caritative et 10 000 PLN de dommages intérêts. Dès le lendemain, la cour a fait droit à l’essentiel des prétentions du plaignant. Les juges de seconde instance rejetèrent son recours et la cour d’appel refusa par la suite de transmettre son pourvoi en cassation à la Cour suprême, les décisions rendues sur le fondement de la loi relative aux élections locales ne pouvant faire l’objet d’une telle procédure. Malgré le succès de la plainte constitutionnelle qu’il introduisit le 12 février 2001 – plusieurs dispositions de l’article 72 de la loi relative aux élections locales furent déclarées inconstitutionnelles881 – la cour d’appel de Wrocław a refusé de faire droit aux demandes de M. Kwiecień882. Devant la CEDH, le gouvernement s’est justifié en soulignant que les rapports étroits existant entre élus locaux et citoyens ont pour conséquence que les allégations proférées contre une personnalité publique produisent bien plus d’effet qu’à l’échelon national883. Pour la Cour, la lettre incriminée avait pour but d’attirer l’attention des électeurs sur la fiabilité du candidat. Elle revêtait donc un intérêt public local et n’était pas dépourvue de bases factuelles, même si certains de ses termes pouvaient apparaître rudes. La nature et la sévérité de la sanction judiciaire prononcée contre le requérant constituaient, enfin, des facteurs à prendre en considération pour statuer sur la proportionnalité de celle-ci. Or, M. Kwiecień avait été condamné à une amende et à des dommages-intérêts dont le montant correspond au maximum prévu par la législation polonaise en la matière884. 500 - L’article 72 de la loi sur les élections locales était encore en cause dans une seconde affaire dont les faits déclencheurs se déroulèrent en novembre 1998. Le requérant, membre de la commission électorale de la municipalité, avait publié sous la forme d’un tract un article dénonçant les irrégularités financières commises par six conseillers municipaux. Il fut condamné à une amende et à la publication d’un message d’excuses dans un organe de presse local. La CEDH a retenu dans cette affaire la violation de l’article 10 de la Conv. EDH, considérant que le requérant avait, par ses écrits, participé à un débat public, en agissant de bonne foi et qu’il pouvait se prévaloir du droit d’émettre des jugements de valeurs885. Les dispositions de l’article 72 de la loi sur les élections locales ont été modifiées en 2002, antérieurement aux arrêts Kwiecień et Kita. 881 TCP, n°SK 32/01, 13 mai 2002, OTK ZU, 2002, n°3A, texte 31. 882 CEDH, Kwiecień c. Pologne, préc., §§ 5-25. 883 Ibidem, §§ 37-40. 884 Ibid., §§ 50-58. 885 CEDH, Kita c. Pologne, n°44521/04, 8 juillet 2008. 318 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME b) Les peines d’amende retirées de l’article 72 de la loi sur les élections locales 501 - Lorsque la CEDH rendit les arrêts Kwiecień (2007) et Kita (2008), le droit interne polonais avait connu une modification cruciale. Un amendement voté le 26 juillet 2002 et entré en vigueur le 10 août de la même année avait modifié l’article 72 de la loi sur les élections locales886. Dans sa nouvelle version, cet article abandonne la possibilité de condamner à des dommages-intérêts la personne poursuivie. Seul demeure dans l’arsenal du juge le versement d’une somme d’argent à une œuvre de charité (72 § 1, point 6), dans la limite de 10 000 PLN, à côté des autres peines adaptée à ce type d’infraction (confiscation du matériel de propagande, interdiction de diffusion des propos illégaux, diffusion d’un message d’excuses…). 502 - Bien entendu, le délit d’infraction aux règles électorales n’est pas aboli. Les sanctions demeurent importantes, bien que les justiciables n’encourent plus de sanction financière. La modification de l’article 72 n’excluait pas des atteintes à la liberté d’expression, lorsque les propos reprochés ne font que participer au débat public, comme l’a montré l’affaire Kita. Cette crainte peut être nuancée par les informations communiquées par le gouvernement polonais au Comité des ministres. Plusieurs arrêts rendus par des cours d’appel vont dans le sens d’une application moins intransigeante de l’article 72 de la loi sur les élections locales887. 503 - Au regard de l’ensemble des données, le Comité des ministres a considéré que l’État s’était conformé aux arrêts de la CEDH et a par conséquent rendu deux résolutions définitives pour ceux-ci888. La norme interne en cause dans deux affaires concernant la liberté d’expression des médecins était, pareillement, sortie de l’ordre juridique lorsque la CEDH sanctionna la Pologne en 2008 puis 2011. 2) La limitation excessive de la parole des médecins par le Code de l’éthique médical Une règlementation édictée en 1991 à l’usage des professionnels de la médecine a ser886 Ustawa z dnia 26 lipca 2002 r. o zmianie ustawy - Ordynacja wyborcza do rad gmin, rad powiatów i sejmików województw oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 26 juillet 2002 modifiant les règles des élections des conseils municipaux, conseils de district et assemblées régionales], Dz. U., 2002, n°127, texte 1089, pp. 8165-8182. 887 Le gouvernement a attiré l’attention du Comité des ministres sur les arrêts de la cour d’appel de Katowice (n° I ACz 972/98, 1er octobre 1998 et n°I ACz 1956/02, 7 novembre 2002) et de la cour d’appel de Białystock (n°I ACz 872/06, 10 novembre 2006). 888 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution des arrêts dans 17 affaires contre la Pologne), préc. (pour l’affaire Kwiecień) ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)241 (exécution de l’arrêt Kita c. Pologne), 2 décembre 2011, 1128e réunion des délégués. 319 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE vi de fondement aux sanctions disproportionnées reçues par deux requérants qui avaient émis des critiques sur leurs confrères (a). Le problème a été résolu à la source, par la neutralisation des dispositions applicables pour de tels faits (b). a) La critique de confrères médecins, sanctionnée par les juridictions internes en méconnaissance de l’article 10 de la Convention 504 - En 2008, la CEDH a examiné l’affaire portée devant elle par Ryszard Frankowicz, un gynécologue qui avait monté en 1995 une compagnie dont l’objet était de préparer des rapports médicaux à la demande de patients. En 1996, M. Frankowicz rédigea une note sur le cas d’un patient, à partir des dossiers médicaux obtenus auprès des cliniques spécialisées en hépatologie et en dermatologie ainsi que d’examens médicaux effectués sur ce patient. Il en conclut que l’intéressé souffrait de graves problèmes de santé le rendant éligible pour la catégorie la plus élevée de pensions d’invalidité. Il critiqua en outre le traitement subi par le patient à la clinique d’hépatologie de Tarnów, jugeant que son personnel n’avait pas pris les mesures sanitaires nécessaires. Le 2 décembre 1996, l’avocat régional pour la responsabilité professionnelle de Tarnów ouvrit une procédure disciplinaire contre M. Frankowicz, sur le fondement de l’article 52889 du Code de l’éthique médicale (CEM)890. Il lui reprocha d’avoir émis une opinion jetant le discrédit sur des confrères et d’avoir évalué une thérapie complexe dans un domaine étranger à sa spécialisation. Le 17 juin 1997, la cour médicale régionale de Tarnów a jugé M. Frankowicz coupable de conduite contraire à l’éthique et lui infligea une réprimande, confirmée en mai 1998 par la Cour suprême médicale891. M. Frankowicz a décidé de saisir la CEDH d’une requête individuelle pour trancher le litige892. Le rapport rédigé par le requérant ayant été sollicité par un patient dans le cadre des activités de sa société, rien n’indiquait aux 889 Cet article disposait, à l’époque des faits : « § 1. Les médecins se doivent le respect réciproque. § 2. Un médecin ne doit pas exprimer d’opinion défavorable sur la conduite professionnelle d’un autre praticien ou le discréditer d’aucune autre manière en la présence d’un patient, dans son entourage ou en présence de son équipe d’assistants. § 3. Toutes les remarques relatives à la conduite fautive d’un médecin doivent, en premier lieu, être notifiées à l’intéressé. Informer une juridiction médicale d’un comportement contraire à l’éthique ou de l’incompétence d’un autre médecin ne doit pas compromette le principe de solidarité professionnelle ». 890 Ce « Code » (non publié au Journal des Lois) a été initialement adopté par le Congrès national des médecins le 14 décembre 1991. Les professionnels de la médecine devaient s’y conformer sous le contrôle des chambres médicales, régies par une loi de 1989 (Ustawa z dnia 17 maja 1989 r. o izbach lekarskich [Loi du 17 mai 1989 sur les chambres médicales], Dz. U., 1989, n°30, texte 158, pp. 481-488 ; loi abrogée le 1er janvier 2010). 891 CEDH, Frankowicz c. Pologne, n°53025/99, 16 décembre 2008, §§ 1-13. 892 La CEDH n’exclut pas du champ d’application de l’article 10 de la Conv. EDH les pratiques professionnelles. Voir par ex. la jurisprudence CEDH, Stambuk c. Allemagne, n°37928/97, 17 octobre 2002, à propos d’un médecin ophtalmologiste qui avait publié une interview pour un journal, accompagnée de photographies prises dans son cabinet, pour promouvoir la chirurgie optique au laser, qu’il pratiquait. 320 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME yeux du juge européen qu’il fût porté à la connaissance d’un public large. Pour la CEDH, les autorités polonaises n’avaient pas sérieusement établi que le rapport avait discrédité un tiers et s’étaient contentées de considérer qu’aucune critique d’un confrère n’était permise. Cette interprétation avait pour conséquence d’exclure toute expression critique au sein de la profession médicale et n’était donc pas en accord avec le droit conventionnel. Elle risquait d’ailleurs de dissuader les médecins d’évoquer objectivement l’état de santé des patients. Enfin, les juridictions internes n’avaient pas examiné si l’opinion du requérant, qui ne constituait pas une attaque personnelle gratuite, défendait un intérêt socialement justifié. La CEDH, dès lors, a conclu à la violation de l’article 10 de la Conv. EDH893. 505 - Dans la droite lignée de cette première affaire a été rendu l’arrêt Sosinowska en 2011. La requérante était une spécialiste des maladies du poumon, travaillant depuis 1992 à l’hôpital de Ruda Śląska. Elle se querella avec sa chef de service, dont elle déplora l’attitude notamment vis-à-vis des patients. En novembre 2005, l’hôpital licencia la requérante. La chambre du travail de la cour de district lui alloua des dommages-intérêts pour licenciement illégal, prononcé pour régler un conflit personnel hors de toute faute professionnelle. Une procédure fut ouverte contre la requérante pour comportement non éthique. En septembre 2007, la cour médicale régionale la déclara coupable d’infraction à l’article 52 du CEM et lui infligea une réprimande. Son appel interjeté auprès de la Cour médicale suprême fut rejeté en mars 2008. Saisie à son tour, la CEDH a jugé que la restriction excessive de la liberté d’expression d’un praticien par volonté de protéger ses collègues pouvait avoir un effet contraire aux buts recherchés : informer les patients et préserver leur santé. Les juges, en ne tenant pas compte de la bonne foi de la requérante, avaient violé la Conv. EDH894. Ces deux arrêts ont été rapidement réceptionnés dans l’ordre interne. Le Tribunal constitutionnel, avant même que la CEDH n’examine le premier d’entre eux, avait posé une réserve d’interprétation sur l’article 52 § 2 du CEM. b) Les restrictions de l’article 52 § 2 du Code de l’éthique médicale relativisées par une réserve d’interprétation 506 - Entre les faits à l’origine de l’affaire Frankowicz, en 1996, et l’arrêt de la CEDH, en 2008, les dispositions pertinentes du CEM avaient été modifiées. Le deuxième paragraphe de 893 CEDH, Frankowicz c. Pologne, préc., §§ 42-53. 894 CEDH, Sosinowska c. Pologne, n°10247/09, 18 octobre 2011. 321 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE l’article 52 du texte fut en effet amendé le 20 septembre 2003. Il est depuis rédigé ainsi : « Un médecin doit faire preuve d’une particulière prudence dans la formulation d’opinions sur la conduite professionnelle d’un autre praticien, en particulier il ne doit en aucune manière le discréditer en public »895. Moins impérative en ce qu’elle n’empêche pas un médecin d’évoquer le travail d’un de ses confrères, la rédaction de cet article n’en demeurait pas moins très restrictive pour la liberté d’expression du professionnel de la santé. Preuve en fut la condamnation pénale de la requérante de l’affaire Sosinowska, malgré la modification introduite en 2003. 507 - L’intervention du Tribunal constitutionnel fut beaucoup plus déterminante. Saisi à l’occasion d’une procédure judiciaire du contrôle de conformité de l’article 52 § 2 du CEM à la Constitution, le Tribunal a considéré en 2008 qu’une lecture stricte de ses dispositions se heurtait à plusieurs principes protégés par la norme fondamentale. Pour le Tribunal, il importait que cet article ne fît pas obstacle à ce qu’un médecin s’exprimât sur les activités d’un confrère lorsque cela relevait de l’intérêt public. Le Tribunal constitutionnel n’a pas abrogé les dispositions attaquées, considérant qu’elles pouvaient être purgées de leur potentiel liberticide par une certaine interprétation que les juridictions devraient respecter. Ainsi, le fait de « discréditer » un confrère doit s’entendre seulement au sens de divulguer en public des faits inexacts et qui ne visent pas à la protection de l’intérêt public. Le Tribunal a cependant conclu son jugement en précisant qu’il était souhaitable que le contenu de l’article 52 § 2 du CEM évoluât896. 508 - La réception de ces deux arrêts dans l’ordre interne s’est aussi traduite par leur publication sur le site Internet du ministère de la Justice. L’arrêt Frankowicz fut même transmis à toutes les cours d’appel, au président de la Cour médicale suprême et ainsi qu’aux présidents des chambres médicales régionales. La condamnation de M. Frankowicz a été automatiquement retirée de son casier judiciaire après trois ans. Quant à Mme. Sosinowska, elle eut la liberté de demander la réouverture de la procédure disciplinaire la concernant, après l’arrêt de la CEDH, en vertue de l’article 540 § 3 du CPP. 509 - Ces mesures ont convaincu le Comité des ministres de clore le suivi de l’exécution des arrêts dans deux résolutions finales, rendues en 2012 et 2014897. 895 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2012)200 (exécution de l’arrêt Frankowicz c. Pologne), 6 décembre 2012, 1157e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 896 TCP, n°SK 16/07, 23 avril 2008, OTK ZU, 2008, n°3A, texte 45. 897 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2012)200 (exécution de l’arrêt Frankowicz c. Pologne), préc. ; Com. 322 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME * * * 510 - Conclusion du chapitre : Étudier conjointement la protection du droit de propriété et de la liberté d’expression peut surprendre de prime abord. Ce sont eux, pourtant, qui peuvent révéler avec le plus d’éclat le développement démocratique d’un État dirigé par des gouvernements communistes pendant près d’un demi-siècle. Outre qu’ils furent particulièrement malmenés, le premier pour des motifs idéologiques, la seconde par volonté de domination politique, ils présentent un autre point commun en termes d’évolution en Pologne après 1989. Un grand paradoxe frappe immédiatement : dans les premières années de la démocratie, le droit positif s’y intéressant n’a pas été radicalement bouleversé. Les restrictions drastiques à l’exercice des droits rattachés à la propriété dans le domaine de l’immobilier ont été maintenues initialement dans le droit interne. La loi du 12 juillet 1994 sur la location des logements habitables n’apporte ainsi que très peu de liberté supplémentaire pour les bailleurs. La situation est la même en matière de liberté d’expression : les articles 23 et 24 du CC de 1964 n’ont pas subi de modification majeure, la loi sur le droit de la presse de 1984 inquiète toujours les organismes militant pour l’indépendance des médias et le CP de 1997 a prévu de lourdes sanctions, allant jusqu’à l’emprisonnement, pour le délit de diffamation, comme le faisait la législation socialiste. Ce n’est que tardivement, plus de quinze ans après le début de la transition démocratique, que toutes ces normes se sont réellement adaptées aux critères conventionnels. Pourtant, la CEDH a moins provoqué les changements qu’elle ne les a amplifiés. La plupart des arrêts portant sur la propriété immobilière et la liberté d’expression concernaient l’application de règles de droit entre temps modifiées ou abrogées. La Pologne a réceptionné progressivement les standards de la Conv. EDH. Au terme de cet effort seulement, le contrôle de la CEDH à la faveur des requêtes individuelles transmises a consisté à évaluer les progrès accomplis par l’État lui-même. 511 - Bien que l’affaire Hutten-Czapska ne soit pas encore formellement refermée en l’absence de résolution finale du Comité des ministres, les deux arrêts pilotes et le règlement amiables rendus entre 2005 et 2006 ont répondu systématiquement à l’empilement des lois destinées à améliorer le sort des propriétaires de logements jusqu’à établir un système de compensation que la Cour a jugé satisfaisant au regard de la Conv. EDH. Comme avec l’arrêt Min., Résolution CM/ResDH(2014)218 (exécution de l’arrêt Sosinowska c. Pologne), 12 novembre 2014, 1211e réunion des délégués. 323 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE Broniowski, la CEDH a été la tutrice d’un État conscient des faiblesses de son droit et déjà engagé dans les réformes au moment de l’intervention du juge européen. La résolution rapide des difficultés tient à deux facteurs essentiels : l’implication intense des acteurs internes, notamment du Tribunal constitutionnel, et la saine pression exercée par la Cour de Strasbourg. 512 - Condamnée à vingt-cinq reprises pour la violation de l’article 10 de la Conv. EDH, la Pologne devait se poser sérieusement la question de la conformité de sa règlementation de la liberté d’expression avec les standards européens de la démocratie898. Il ne faut pas négliger que deux dispositions sont encore susceptibles de poser problème au regard du contrôle exercé par la CEDH : l’article 212 § 2 du CP qui prévoit toujours des peines de prison ferme pour diffamation dans les médias de masse et l’article 49 de la loi sur la presse qui fait dépendre la parution d’une interview réalisée par des journalistes de l’accord exprès de l’intéressé. Néanmoins, les autres normes dont l’application a pu contrevenir à l’article 10 de la Conv. EDH ont été neutralisées dans leurs effets par la jurisprudence (voir l’article 52 du CEM), retirées (voir l’article 72 de la loi sur les élections locales et le CP de 1969) ou amendées (voir l’article 212 § 1 du Code pénal de 1997) avant les arrêts pertinents de la CEDH. 898 Bien qu’il soit toujours loisible de convenir avec Marek Safjan « qu’il est impossible de créer dans cet espace un standard parfaitement universel qui répondrait de façon tout à fait adéquate à la question sur ce qui est compatible à la morale publique, quel type de droits et libertés des autres sujets devraient céder face au principe de la liberté de parole, ou encore, quelles sont les raisons liées aux besoins de la protection de la sécurité politique » (Marek SAFJAN, « La liberté de parole… », préc., p. 200). 324 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 513 - Conclusion du titre : Qu’il s’agisse des règles du CPP ou du CEP, de la liberté d’expression sous ses différents aspects ou des droits des propriétaires immobiliers, les progrès majeurs enregistrés en Pologne à l’aune des critères de la Conv. EDH apportent un élément de réponse crucial dans le débat sur l’achèvement de la transition démocratique. La CEDH a joué une fois encore un rôle de pivot, d’une part en confirmant l’inconventionnalité de dispositions que les acteurs internes avaient, dans une proportion dominante d’affaires, abrogées, modifiées ou interprétées de manière à renforcer les libertés et droits individuels, et d’autre part en sanctionnant au besoin les insuffisances des nouvelles normes. Ce dialogue noué entre l’État et la Cour trouve un cadre privilégié avec la procédure de l’arrêt pilote, appliquée dans l’affaire Hutten-Czapska. Le professeur Garlicki a identifié les similarités observables avec l’arrêt Broniowski : la CEDH a pris en compte à chaque occasion les arrêts du Tribunal constitutionnel. Elle a « fondé son appréciation de la proportionnalité (juste équilibre) sur l’avis du juge constitutionnel. Ainsi, les déclarations internes d’inconstitutionnalité ont constitué un argument important pour fonder la déclaration d’incompatibilité avec la Convention rendue par la Cour concernant la législation sur le contrôle des loyers en Pologne. De ce fait, ces deux arrêts sont considérés comme de parfaits exemples d’un dialogue constructif entre juridictions »899. 514 - Ce qui va distinguer entre elles certaines affaires évoquées dans ces deux chapitres est la rapidité de réaction de l’État. Tandis que les arrêts portant sur l’inconventionnalité des dispositions des codes de 1969 (ou des pratiques qu’ils avaient fait naître) furent exécutés par anticipation, la mise en conformité des normes (ou des pratiques) applicables à la diffamation, à la presse et à la libre correspondance des détenus prit davantage de temps. De tels exemples nuancent le constat de bonne exécution des arrêts de la CEDH lorsqu’ils relèvent des questions de transition sans le démentir, et ce pour deux raisons. D’abord, ils demeurent minoritaires. Ensuite, ils montrent que l’État avait agi sur le droit socialiste avant d’être condamné pour la première fois par la CEDH, même si les normes modifiées ou créées n’ont représenté qu’une étape vers une adapation complète à la Conv. EDH. 899 Lech GARLICKI, « Contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité – Sur le dialogue des juges », in La Conscience des droits – Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, Paris, Dalloz, coll. « Études, mélanges, travaux », 2011, pp. 271-280 (p. 277) 325 PREMIÈRE PARTIE – L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE 515 - Conclusion de la première partie : Dans les premières années qui suivirent l’entrée en vigueur de la Conv. EDH en Pologne, les requêtes individuelles se référaient fréquemment à des faits anciens, remontant jusqu’aux années 1940900. Il est donc naturel de trouver au cours des premières années d’application de la Conv. EDH un grand nombre d’affaires en lien direct avec des événements du passé ou avec la législation socialiste. Toutes les affaires en relation avec la transition démocratique n’ont pas été reçues de la même manière en droit interne. Il n’existe donc pas de schéma immuable d’exécution des arrêts de la CEDH par la Pologne, même si l’État semble faire montre de sa volonté de suivre la Conv. EDH telle qu’interprétée par la Cour. En revanche, les contours d’un modèle idéal-typique se dessine901. Ce modèle repose en premier lieu sur la concomitance de l’action de l’État et de sa condamnation à Strasbourg. Dans le meilleur des cas, l’arrêt est exécuté dès qu’il est rendu puisque la cause de la violation constatée n’existe plus. Pour le professeur Jean-François Flauss, l’exécution « par anticipation » et l’exécution « quasi instantanée » sont justement les marques « de bonne volonté, et parfois même de zèle » de la part de l’État-défendeur devant la CEDH902. Cette dernière marque son approbation de la démarche de réforme entreprise par l’État. Lorsque la nouvelle norme ne suffit pas à tarir immédiatement toutes les sources de violations de la Conv. EDH et que la Cour prononce une nouvelle condamnation, l’État poursuit son mouvement réformateur, ce qui permet de parler d’une « réception de confort ». La rapidité d’exécution et la fin actée des violations de la Conv. EDH pour des raisons similaires est un autre trait dominant de cette réception, qui implique qu’un nombre de mesures internes relativement limité suffisent, même lorsqu’il s’agit d’un dysfonctionnement systémique. En règle génerale avec les arrêts de la CEDH « si une volonté politique existe, l’exécution est satisfaisante, et même prompte »903. 516 - Vingt-trois ans après l’entrée en vigueur de la Conv. EDH en Pologne, la CEDH n’examine plus d’affaires se rattachant à la transition démocratique, si ce n’est quelques requêtes individuelles reprochant à l’État des sanctions trop lourdes pour diffamation ou atteinte à l’honneur en raison de propos tenus dans les médias. Alors que les dysfonctionnements du système judiciaire avaient été le lot commun des PECO qui connurent une transition depuis la 900 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: The Popularity of the Convention in Poland », EHRLR, n°4, 2004, p. 407. 901 Cf. Annexe n°4 bis. 902 Jean-François FLAUSS, « L’effectivité des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme : du politique au juridique et vice-versa », RTDH, n°77, 1er janvier 2009, p. 28. 903 Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « Taking the implementation of the ECtHR judgments seriously: right assessment, wrong approaches ? », EHRAC Bulletin, n°14, 2010, p. 14. 326 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME légalité socialiste904, la procédure pénale polonaise garantit aujourd’hui les droits de la défense, la légalité des actes de placement en détention et l’impartialité du juge chargé de statuer sur un placement en détention. Tandis que le modèle socialiste avait exclu la propriété de la liste des droits de l’homme en raison de ses « dimensions foncièrement inégalitaires »905, les arrêts Broniowski et Hutten-Czapska – qui furent les deux premiers arrêts pilotes de l’histoire de la CEDH – ont accompagné avec succès l’adoption de dispositifs législatifs capables de répondre sans délai aux dommages causés aux propriétaires lésés. 904 Comme le rapportait l’ancien Président de la CEDH Jean-Paul Costa. « Les défaillances des systèmes judiciaires apparaissent le plus souvent dans les pays d’Europe de l’Est ou en Turquie, même si des progrès interviennent néanmoins dans ce pays. Lors des visites officielles que j’ai eu l’occasion d’effectuer, dans la majorité des pays où j’ai été, les ministres de la Justice, parfois les chefs de gouvernement et chefs d’État, m’indiquaient que la justice ne fonctionnait pas, soit du fait de la corruption, soit à cause du manque de qualification des juges ou de problèmes structurels » (Henri OBERDORFF, « Entretien avec Jean-Paul Costa », RDP, n°2, 2012, pp. 269270). 905 Gregorio PECES-BARBA MARTÍNEZ, Théorie générale des droits fondamentaux, op. cit., p. 183. 327 SECONDE PARTIE L’AMÉLIORATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : LA « RÉCEPTION DE CONFLIT » « Je vois bien que, quand les peuples sont mal conduits, ils conçoivent volontiers le désir de se gouverner eux-mêmes ; mais cette sorte d’amour de l’indépendance, qui ne prend naissance que dans certains maux particuliers et passagers que le despotisme amène, n’est jamais durable : elle passe avec l’accident qui l’avait fait naître ; on semblait aimer la liberté, il se trouve qu’on ne faisait que haïr le maître. Ce que haïssent les peuples faits pour être libres, c’est le mal même de la dépendance. » Alexis de TOCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution (1856) (Livre III, Chapitre III) 517 - À côté des enjeux directement liés à la période antérieure à 1989, qu’il s’agît des conflits non résolus du passé ou du retrait des normes socialistes incompatibles avec la démocratie, des problèmes d’une autre nature se posèrent très vite à la Pologne après le changement de régime. Ils ne résultaient pas de la survivance de pratiques anciennes ; ils étaient au contraire le résultat de l’adaptation du droit et des procédures aux besoins d’une démocratie. La judiciarisation des relations sociales créait un encombrement rapide des tribunaux internes, grevés de surcroît par un manque de moyens et une certaine désorganisation1. Au tout début des années 2000, le greffe de la CEDH a été noyée de requêtes surnuméraires qui faisaient état des lourds retards accumulés devant les tribunaux polonais. Bien connu de la Cour, ce type de défaillance affecte indifféremment les « vieilles » démocraties comme les plus jeunes. Dans un article publié en 2004, le professeur Benoît-Rohmer observait déjà que « le contentieux des PECO devant la Cour européenne des droits de l’homme ne se distingu[ait] guère de celui des démocraties occidentales, si ce n’est par quelques singularités limitées et liées aux cir- 1 Le représentant du gouvernement polonais, lors d’un colloque organisé en 1995 par le Conseil de l’Europe, a expliqué que « [l]a tendance à confier aux cours et tribunaux des missions pour lesquelles ils ne sont pas équipés est souvent liée à la tendance à méconnaître l’existence du pouvoir judiciaire, tendance caractéristique de l’ancien régime politique. Le nombre d’affaires dont la justice est saisie ayant augmenté de 125 % au cours des quatre dernières années, les procédures judiciaires se prolongent et traînent en longueur. Par conséquent, l’évaluation de la situation du pouvoir judiciaire en Pologne est une question assez complexe » (« Communication de la Pologne », in Le rôle du pouvoir judiciaire dans un État de droit – Actes – Varsovie (Pologne), 4 avril 1995, Éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1996, p. 59). LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME constances politiques et historiques, et qui ne pou[vaient] aller qu’en se résorbant »2. 518 - La Pologne a doublement souffert de la durée de ses procédures puisque celles-ci ont été le facteur direct d’un autre type de violation de la Convention : la durée excessive des détentions provisoires. Après un long combat rythmé par la succession des condamnations devant la CEDH et l’empilement de mesures, la Pologne est venue à bout du second problème alors que le premier persiste. À l’opposé de ces violations d’ampleur systémique, la Pologne est confrontée à la méconnaissance occasionnelle d’autres aspects du droit à un procès équitable ainsi que du droit de propriété, dans des affaires sans lien avec la légalité socialiste. La CEDH a été, dans chaque cas de figure, le détecteur des anomalies à corriger (Titre I). 519 - À une période plus récente, débutant au milieu des années 2000 environ, la CEDH a identifié des causes nouvelles de violations de la Conv. EDH dans le droit ou les pratiques internes. Celles-ci affectent singulièrement deux domaines : la protection due à toute personne contre les mauvais traitements, la torture et l’atteinte à sa vie d’une part, et le droit au respect de la vie privée et familiale d’autre part. La méconnaissance des articles 2 et 3 de la Conv. EDH s’observe en prison, dans les hôpitaux ou sous l’action de la police. Elle s’aggrave parfois d’un manque d’investigations effectives. En matière de droit au respect de la vie privée et familiale, l’exécution des arrêts portant sur l’accès à l’interruption de grossesse se heurte à l’absence de volonté du législateur de faciliter ce type d’intervention médicale. D’autres tensions se font jour à propos de la place de la religion dans la société et des droits des personnes homosexuelles. 520 - Pour répondre à ces préoccupations très actuelles, l’État consent à des efforts certains, dans la droite ligne de l’attachement précédemment démontré aux valeurs de la Conv. EDH. Cependant, il affiche dans plusieurs affaires une posture qui tranche avec ses réactions connues jusqu’alors. Des blocages de nature philosophique ou politique (voire diplomatique pour les deux arrêts retentissants qui concernent la base secrète antiterroriste de la CIA) compliquent la pénétration de toutes les dimensions de la Conv. EDH en droit interne (Titre II). 2 Florence BENOÎT-ROHMER, « L’application de la Convention européenne des droits de l’homme dans les pays d’Europe centrale et orientale », in Liberté, Justice, Tolérance – Mélanges en hommage au doyen Gérard CohenJonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 221. 332 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » T ITRE I – R EMÉDIER AUX DÉFAILLANCES LIÉES AU NOUVEAU DROIT 522 - Dans l’État démocratique, la justice devenue indépendante du politique est appelée à intervenir dans des domaines jusque-là inconnus de l’ancien système, tels le droit commercial et les droits de l’homme. Elle doit en conséquence gérer un flux croissant de litiges caractéristiques de la société nouvelle. Outre le vide laissé par la révocation d’un certain nombre de magistrats communistes notoires, les conditions de travail dans les juridictions polonaises se sont dégradées au début des années 1990. Déjà sur-employés, les professionnels des juridictions inférieures ont souffert d’être sous-payés. Les cours ont dépensé énormément d’argent pour des travaux de modernisation indispensables au bon fonctionnement futur du système judiciaire3. Ces quelques considérations préalables permettent de comprendre pourquoi la justice polonaise, à la fois chamboulée par la transition démocratique et sollicitée par une société civile désormais consciente de ses droits, a connu d’importantes difficultés d’adaptation4 dans les premières années d’application de la Conv. EDH5. 523 - Mais pour le professeur Bożena Gronowska, « le manque d’efficacité des procédures judiciaires » peut difficilement « trouver une justification objective dans les difficultés de la 3 Frances MILLARD, « Poland », in David P. FORSYTHE (dir.), Encyclopedia of Human Rights, vol. 4, New York, Oxford University Press, 2009, p. 254. 4 En 1998, au détour d’un arrêt relatif à la durée d’une procédure civile en Pologne, la Cour a estimé qu’une telle situation « paraît avoir été causée, dans une large mesure, par les modifications législatives que le passage d’un système d’économie planifiée à un système d’économie de marché a rendues nécessaires ainsi que par la complexité des procédures engendrées par le litige, lesquelles empêchèrent une décision rapide sur la demande du requérant » (CEDH, Podbielski c. Pologne, n°279116/95, 30 octobre 1998, Rec. 1998-VIII, § 38). 5 Tout le corps judiciaire n’est pas, aujourd’hui encore, totalement au fait des exigences de la Conv. EDH. L’actuel Défenseur des droits Adam Bodnar estime que seuls les avocats plaidant devant les cours suprêmes ou devant la cour d’appel de Varsovie et les magistrats y siégeant connaissent bien la Convention (Entretien avec Adam Bodnar, Varsovie, 29 mai 2015). Pour l’ancien juge constitutionnel et juge à la CEDH Lech Garlicki, il faut même marquer des nuances entre les différentes chambres de la Cour suprême : la chambre pénale se reporte volontiers à la Convention et l’invoque, ce que fait avec beaucoup plus de réticence la chambre civile (Entretien avec Lech Garlicki, Varsovie, 28 mai 2015). Enfin, il faut bien sûr ajouter à la liste le Tribunal constitutionnel, coutumier des références à la CEDH et globalement respectueux de ses standards (Entretien avec Ada Paprocka, Varsovie, 2 décembre 2011). 333 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME transition »6. Il est remarquable que la Pologne rencontre toujours, deux décennies environ après cette période mouvementée, de sévères difficultés pour se conformer aux exigences conventionnelles. L’argument de la réorganisation nécessaire des institutions judiciaires entre 1989 et 1994 n’avait aucunement convaincu la CEDH d’exonérer l’État polonais, attaqué pour la durée d’une procédure civile7. L’ensemble des arrêts rendus depuis 1997 par la CEDH à l’égard de la Pologne fait émerger des problèmes majeurs : la durée des procédures juridictionnelles (article 6 § 1 de la Conv. EDH ; objet d’un arrêt pilote en 2015) mais aussi la durée des détentions provisoires (article 5 § 3, objet d’un arrêt quasi-pilote en 2009), ce qui valide l’idée selon laquelle « la Pologne est essentiellement un ‘‘pays de longueur’’ »8 (Chapitre I). 524 - L’article 6 invoqué en cas de durée excessive d’une procédure consacre plus généralement le droit à un procès équitable. Les affaires sur les délais des procès mises à part, des entorses à ce principe essentiel de la société démocratique ont été déjà évoquées en lien avec le maintien de l’ancienne législation pénale socialiste quelques années durant. D’autres ont été rencontrées dans le contentieux polonais devant la CEDH : difficultés d’accès à l’aide juridictionnelle, violations accidentelles de la présomption d’innocence, manque d’impartialité de certaines formations de jugement par exemple. Des violations du droit de propriété, sans rapport elles non plus avec le droit ancien, surviennent dans la Pologne démocratique par intermittence. Seule l’une d’entre elles a engendré des condamnations en chaîne devant la CEDH au titre de l’article 1er du Protocole n°1, mais elle avait pour particularité d’être circonscrite à l’échelle locale (la caisse de sécurité sociale de la ville de Rzeszów). 525 - Traiter conjointement les violations résiduelles du droit au procès équitable et du droit de propriété répond à une observation concrète de leur nature et de leur correction en droit interne. Les unes comme les autres présentent un profil rigoureusement identique : elles sont isolées et leur réparation ne pose que de rares difficultés à l’État, ce qui les distingue des autres trangressions de la Convention étudiées dans cette seconde partie (Chapitre II). 6 Bożena GRONOWSKA, Europejski Trybunał Praw Człowieka w poszukiwaniu efectywnej ochrony Praw jednostki, Toruń, Dom Organizatora, 2011, p. 212. 7 Voir l’arrêt CEDH, W. M. c. Pologne, n°39505/98, 14 janvier 2003, §§ 38-42. 8 Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The reception process in Poland and Slovakia », in Helen KELAlec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, New York, Oxford Press University, 2008, p. 567. Les statistiques le confirment de manière éloquente : cf. Annexe n°3 bis (courbes B et C). LER, 334 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » CHAPITRE I – LES LENTEURS ATTÉNUÉES DU SYSTÈME JURIDICTIONNEL 526 - L’article 6 § 1 de la Conv. EDH dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable […] ». La durée raisonnable d’une procédure est une composante à part entière du droit à un procès équitable protégé par l’article 6. Son principe renvoie à l’adage anglais « justice delayed, justice denied »9 et le professeur Andriantsimbazovina parle volontiers de « source et forme particulières du déni de justice » à propos de la durée excessive d’un procès10. Pour le professeur Sudre, au-delà de l’efficacité de la justice, la célérité de la procédure est aussi un gage de sa crédibilité11. La CEDH s’est évertuée à élargir les notions de « caractère civil » et de « matière pénale » de l’artile 6 § 1 en les considérant comme des concepts autonomes12, pouvant dès lors inclure d’autres types de procédures, dont le contentieux administratif13. 527 - La question de la longueur des procédures judiciaires en Pologne est omniprésente. La première requête contre la Pologne jugée par la Cour14 concernait la durée excessive d’un procès civil, quand bien même l’État ne fut pas condamné, à la grande surprise des juristes15. Les violations de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH pour ce motif sont au nombre de 434 sur la période étudiée, soit près de 47 % du total des arrêts rendus contre la Pologne et constatant au 9 Louis-Edmond PETTITI, Emmanuel DECAUX, Pierre-Henri IMBERT, La Convention européenne des droits de l’homme – Commentaire article par article, 2e édition, Economica, Paris, 1999, p. 267. 10 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, « Délai raisonnable du procès, recours effectif ou déni de justice ? De l’arrêt Kudla, de la Cour européenne des droits de l’homme à l’arrêt Magiera, du Conseil d’État. Le trésor et la perle ou le filet ? », RFDA, n°1, 2003, p. 85. 11 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, 12e édition, Paris, PUF, coll. « Droit fondamental », 2015, p. 614, § 406. 12 Ibidem, p. 532, § 359. 13 Ibid., pp. 537-539, § 364. 14 CEDH, Proszak c. Pologne, n°25086/94, 16 décembre 1997, Rec. 1997-VIII. 15 Adam ZIELIŃSKI, « L’application des standards européens de protection des droits de l’homme – Expériences polonaises », in Patrick CHAUVIN, Mirosław WYRZYKOWSKI (dir.), Contrôle de l'administration en France et en Pologne (actes du colloque des 4 et 5 mai 1998), Biblioteka Studia Iuridica, Varsovie, 1999, pp. 154-155. 335 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME moins une violation16. Les règlements amiables17 négociés avec succès par les autorités entre 2000 à 2004 ou les quelques procédures abandonnées en cours d’instruction sur le fondement de l’article 37 § 1 de la Conv. EDH18 n’atténuèrent guère ces lourdes statistiques. Depuis la fin des années 2000, le gouvernement s’est évertué à résoudre les affaires portant sur la durée des procédures par la voie de la déclaration unilatérale de l’article 37 : il a à ce titre essuyé bien des échecs, puisque bon nombre de ses tentatives ont été rejetées par la CEDH, peu convaincue par le montant proposé aux requérants pour les indemniser19. Ce constat sans appel, 16 Depuis l’entrée en vigueur de la Conv. EDH jusqu’au 20 avril 2016 ; voir CEDH, Rapport annuel 2015 (version provisoire), Strasbourg, 2016, p. 207. Le droit à un procès dans un délai raisonnable est le grief le plus retenu par la CEDH dans les affaires contre la Croatie, la Hongrie et la Slovaquie mais aussi contre des démocraties plus anciennes : l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg, la France et surtout l’Italie. La CEDH a retenu la violation de l’article 6 § 1 dans un tiers des arrêts condamnant l’État défendeur depuis son entrée en fonctions en 1959 (ibidem, §§ 206-207). 17 Le gouvernement polonais s’intéresse aux règlements amiables, par gain de temps, économie d’efforts et protection efficace des individus (Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Kilka uwag o obecności polski przed Europejskim Trybunałem Praw Człowieka w ostatnich latach », in Hannah MACHIŃSKA, 60 lat Rady Europy : tworzenie i stosowanie standardów prawnych, Warszawa, Wydawnictow Wiedza i Praktyka, 2009, p. 243). Voir pour les procédures civiles : CEDH, Pałys c. Pologne (règlement amiable), n°51669/99, 11 décembre 2001 ; CEDH, Górka c. Pologne (règlement amiable), n°55106/00, 5 novembre 2002 ; CEDH, Szymikowska et Szymikowski c. Pologne (règlement amiable), n°43786/98, 6 mai 2003 ; CEDH, Sędek c. Pologne (règlement amiable), n°6716501, 6 mai 2003 ; CEDH, Sagan c. Pologne (règlement amiable), n°6901/02, 24 juin 2003 ; CEDH, Wysocka-Cysarz c. Pologne (règlement amiable), n°61888/00, 1er juillet 2003 ; CEDH, Skóra c. Pologne (règlement amiable), n°67162/01, 1er juillet 2003 ; CEDH, Pawlinkowska c. Pologne (règlement amiable), n°45957/99, 8 juillet 2003 ; CEDH, Godlewski c. Pologne (règlement amiable), n°53551/99, 8 juillet 2003 ; CEDH, Dragan c. Pologne (règlement amiable), n°58780/00, 15 juillet 2003 ; CEDH, Nowakowski c. Pologne (règlement amiable), n°71009/01, 29 juillet 2003 ; CEDH, Mikulska c. Pologne (règlement amiable), n°8205/02, 29 juillet 2003 ; CEDH, M. M. et E. M. M. c. Pologne (règlement amiable), n°76158/01, 29 juillet 2003 ; CEDH, Chudyba c. Pologne (règlement amiable), n°71621/01, 23 septembre 2003 ; CEDH, Górecka c. Pologne (règlement amiable), n°73009/01, 23 septembre 2003 ; CEDH, Janowski c. Pologne (n°2) (règlement amiable), n°49033/99, 23 septembre 2003 ; CEDH, Kledzic c. Pologne (règlement amiable), n°75098/01, 23 septembre 2003 ; CEDH, Piotr Mazurkiewicz (règlement amiable), n°72662/01, 14 octobre 2003 ; CEDH, Szymański c. Pologne (règlement amiable), n°75929/01, 21 octobre 2003 ; CEDH, Krzysztof Pieniążek c. Pologne (règlement amiable), n°57465/00, 28 octobre 2003 ; CEDH, Stańczyk c. Pologne (règlement amiable), n°50511/99, 2 décembre 2003 ; CEDH, Cwyl c. Pologne (règlement amiable), n°49920/99, 9 décembre 2003 ; CEDH, Skowroński c. Pologne (règlement amiable), n°52595/99, 17 février 2004 ; CEDH, Radek c. Pologne (règlement amiable), n°30311/02, 20 juillet 2004 ; CEDH, Ostrowski c. Pologne (règlement amiable), n°63389/00, 28 septembre 2004. Voir pour les procédures pénales : CEDH, Mikulski c. Pologne (règlement amiable) [GC], n°27914/95, 6 juin 2000 ; CEDH, Kliniecki c. Pologne (règlement amiable), n°31387/96, 21 décembre 2000 ; CEDH, Niziuk c. Pologne (règlement amiable), n°64120/00, 15 juillet 2003 ; CEDH, Cezary Sobczuk c. Pologne (règlement amiable), n°51799/99, 25 mai 2004. 18 CEDH, Gładkowski c. Pologne (radiation du rôle), n°29697/96, 14 mars 2000 (décès du requérant) ; CEDH, Wójcik c. Pologne (radiation du rôle), n°27657/95, 23 mai 2000 (absence de réponse du requérant) ; CEDH, Witczak c. Pologne (radiation du rôle), n°47404/99, 6 août 2003 (absence de réponse du requérant) ; CEDH, Mróz c. Pologne (radiation du rôle), n°35192/97, 9 décembre 2003 (absence de réponse du requérant). 19 CEDH, Wawrzynowicz c. Pologne, n°73192/01, 17 juillet 2007 ; CEDH, Kyzioł c. Pologne, n°24203/05, 12 février 2008 ; CEDH, Sadura c. Pologne, n°35382/06, 1er juillet 2008 ; CEDH, Figiel c. Pologne (n°1), n°38190/05, 17 juillet 2008 ; CEDH, Zając c. Pologne, n°19817/04, 29 juillet 2008 ; CEDH, Krzysztof Kaniewski c. Pologne, n°49788/06, 30 septembre 2008 ; CEDH, Lidia Nowak c. Pologne, n°38426/03, 21 octobre 2008 ; CEDH, Figiel c. Pologne (n°2), n°38206/05, 16 septembre 2008 ; CEDH, Śliwa c. Pologne, n°10265/06, 2 décembre 2008 ; CEDH, Ludwiczak c. Pologne, n°31748/06, 16 décembre 2008 ; CEDH, Prądzyńska-Pozdniakow c. Pologne, n°20982/07, 7 janvier 2009 ; CEDH, Wysocka et autres c. Pologne, n°23668/03, 13 janvier 2009 ; CEDH, Wolnicka c. Pologne, n°18414/03, 10 mars 2009 ; CEDH, A. E. c. Pologne, n°14480/04, 31 mars 2009 ; 336 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » s’il n’est peut-être pas « le signe que la situation des droits de l’homme est mauvaise en Pologne » met nettement en cause « l’inefficacité du système judiciaire polonais, à travers la faiblesse de la magistrature », inefficacité « également critiquée par l’Union européenne »20. Mais l’ancien Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Alvaro GilRoblès n’en a pas moins considéré que la durée excessive des procédures portait « un grave préjudice à l’État de droit » et qu’en définitive une justice lente équivalait « à une absence de justice »21. Il est frappant de constater que ce problème concerne tout type de contentieux dans les domaines civil, pénal et administratif22. CEDH, Kęsiccy c. Pologne, n°13933/04, 16 juin 2009 ; CEDH, Wroński c. Pologne, n°473/07, 23 juin 2009 ; CEDH, Gordon-Krajcer c. Pologne, n°5943/07, 7 juillet 2009 ; CEDH, Tymieniecki c. Pologne, n°33744/06, 7 juillet 2009 ; CEDH, Suchecki c. Pologne (n°1), n°20166/07, 16 juillet 2009 ; CEDH, Korcz c. Pologne, n°33429/07, 29 septembre 2009 ; CEDH, Andrulewicz c. Pologne (n°2), n°40807/07, 20 octobre 2009 ; CEDH, Rodoszewska-Zakościelnia c. Pologne, n°858/08, 20 octobre 2009 ; CEDH, Polkowska c. Pologne, n°20127/08, 24 novembre 2009 ; CEDH, Hermanowicz c. Pologne, n°44581/08, 24 novembre 2009 ; CEDH, Potoniec c. Pologne, n°42019/08, 1er décembre 2009 ; CEDH, Kulik c. Pologne, n°400909/08, 5 janvier 2010 ; CEDH, Śliwiński c. Pologne, n°40063/06, 5 janvier 2010 ; CEDH, Magoch c. Pologne, n°29539/07, 2 février 2010 ; CEDH, Wiśniewska c. Pologne, n°42401/08, 20 avril 2010 ; CEDH, Przybylska-Conroy c. Pologne, n°49490/08, 18 mai 2010 ; CEDH, Kaniewska c. Pologne, n°8518/08, 18 mai 2010 ; CEDH, Bieniek c. Pologne, n°46117/07, 1er juin 2010 ; CEDH, Janusz Leszek Kozłowski c. Pologne, n°47611/07, 8 juin 2010 ; CEDH, Pardus c. Pologne, n°13401/03, 15 juin 2010 ; CEDH, Seweryn c. Pologne, n°33582/08, 15 juin 2010 ; CEDH, Rafał Orzechowski c. Pologne, n° 34653/08, 27 juillet 2010 ; CEDH, Deeg c. Pologne, n°39489/08, 21 septembre 2010 ; CEDH, Głowacka et Królicka c. Pologne, n°1730/08, 7 décembre 2010 ; CEDH, Iwankiewicz c. Pologne, n°6433/09, 7 décembre 2010 ; CEDH, Zjednoczone Browary Warszawskie Haberbusch i Schiele S.A. c. Pologne, n°35965/03, 14 décembre 2010 ; CEDH, Gut c. Pologne, n°32440/08, 18 janvier 2011 ; CEDH, Winerowicz c. Pologne, n°4382/10, 21 juin 2011 ; CEDH, Postek c. Pologne, n°4551/10, 11 octobre 2011 ; CEDH, Gil c. Pologne, n°29130/10, 20 décembre 2011 ; CEDH, Gut c. Pologne (révision), n°32440/08, 7 février 2012 ; CEDH, Chyżyński c. Pologne, n°32287/09, 24 juillet 2012 ; CEDH, Bańczyk et Sztuka c. Pologne, n°20920/09, 13 novembre 2012 ; CEDH, Purpian Sp. z O.O. c. Pologne, n°2311/10, 18 décembre 2012 ; CEDH, Ruprecht c. Pologne, n°51219/09, 22 janvier 2013 ; CEDH, Zirajewski c. Pologne, n°32501/99, 9 juillet 2013 ; CEDH, Hoszowski c. Pologne, n°40988/09, 27 mai 2014 ; CEDH, Goławski et Pisarek c. Pologne, n°32327/10, 27 mai 2014. Voir, a contrario, la validation de la déclaration unilatérale par la Cour dans l’arrêt CEDH, Ślusarczyk c. Pologne, n°23463/04, 28 octobre 2014. 20 Agnieszka BIEŃCZYK-MISSALA, Human rights in Polish Foreign Policy after 1989, Polish International Institute of Polish Affaires, Warsaw, 2006, p. 284. 21 Commiss. DH, CommDH(2003)4, Rapport du Commissaire aux Droits de l’Homme, M. Alvaro Gil-Roblès, sur sa visite en Pologne du 18 au 22 novembre 2002, 19 mars 2003, § 4. 22 Quelques exemples : la durée excessive du procès a été retenue pour une procédure d’annulation d’une condamnation politique prononcée par l’ancien régime (CEDH, Kurzac c. Pologne, n°31382/96, 22 janvier 2001), pour le versement d’une indemnisation pour le préjudice subi en déportation en Sibérie (CEDH, Hałka et autres c. Pologne, n°71891/01, 2 juillet 2002), pour une affaire de meurtre accompagnée d’agression sexuelle sur mineurs (CEDH, Szeloch c. Pologne, n°33079/96, 22 février 2001), pour une affaire de détournements de fonds publics (CEDH, Niewiadomski c. Pologne, n°64218/01, 24 septembre 2006 ; CEDH, Andrzejewski c. Pologne, n°72999/01, 17 octobre 2006), pour la demande de levée d’une interdiction temporaire de quitter le territoire national (CEDH, Wierciszewska c. Pologne, n°41431/98, 25 novembre 2003), pour une affaire de vols à main armée et en bande organisée (CEDH, Malikowski c. Pologne, n°15154/03, 16 octobre 2007 ; CEDH, Abramczyk c. Pologne, n°28836/04, 12 juin 2007), pour une procédure en diffamation (CEDH, Kuśmierek c. Pologne, n°10675/02, 21 septembre 2004) ou pour une affaire de corruption (CEDH, Bogacz c. Pologne, n°60299/00, 9 mai 2006) ; l’article 6 § 1 a été violé dans des procédures civiles relatives à une demande de sursis de paiement d’une dette (CEDH, Jedamski c. Pologne, n°29691/96, 26 juillet 2001), un divorce (CEDH, Sibilski c. Pologne, n°64207/01, 4 octobre 2005 ; CEDH, Nierojewska c. Pologne, n°77835/01, 22 août 2006 ; CEDH, Kwiatkowski c. Pologne, n°4560/04, 17 octobre 2006), un litige relatif à la propriété industrielle (CEDH, Nowak et Jającz- 337 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 528 - La durée excessive des procédures judiciaires affecte l’ensemble du système juridictionnel23 en pesant sur toutes les instances24 des procès civils25 et pénaux26 ainsi que du contentieux administratif27. L’étude de la jurisprudence de la CEDH ne permet pas réellement de distinguer des spécificités propres à la procédure pénale ou à la procédure civile puisque, très souvent, les causes de l’allongement de la durée des procédures sont semblables devant le juge judiciaire quelle que soit la nature du litige. Mais les conséquences ne sont pourtant pas identiques : lorsque des procédures pénales sont affectées par des délais excessifs28, des ré- kowski c. Pologne, n° 12174/02, 22 août 2006), une demande de réévaluation d’une pension de retraite (CEDH, Szymoński c. Pologne, n°6925/02, 10 octobre 2006) ou d’une pension d’invalidité (CEDH, Sobański c. Pologne, n°40694/98, 21 janvier 2003), la réparation par le Trésor public du préjudice subi en raison de la violence de gardiens en prison (CEDH, Maliszewski c. Pologne, n° 40887/98, 3 mai 2003) ou de vols et blessures subis à l’occasion d’émeutes en prison (CEDH, Mianowski c. Pologne, n°42083/98, 16 décembre 2003), la poursuite d’un locataire pour loyers impayés (CEDH, Szczeciński c. Pologne, n°73864/01, 11 octobre 2005), une action en dommages-intérêts intentée par une association de consommateurs (CEDH, Piaskowski et autres c. Pologne, n°35431/05, 1er juillet 2008), le partage d’un héritage (CEDH, Maria Kaczmarczyk c. Pologne, n°13026/02, 24 janvier 2006), une assignation en paiement contre une société (CEDH, Kreuz c. Pologne (n°3), n°75888/01, 24 janvier 2006), ou encore l’octroi d’une indemnisation après la dégradation d’un appartement par ses locataires (CEDH, Rybczyńscy c. Pologne, n°3501/02, 3 octobre 2006). 23 Le requérant de l’affaire Pogorzelec, jugée par la CEDH en 2001 était partie à quatre procédures civiles indépendantes… La Cour a reconnu que trois d’entre elles n’étaient pas conformes à l’article 6 § 1 de la Conv. EDH en raison de leur durée excessive (CEDH, Pogorzelec c. Pologne, n°29455/95, 17 juillet 2001). Dans l’affaire Góra, les trois procédures civiles auxquelles était partie le requérant ont toute été reconnues par la Cour nonconformes aux exigences de célérité de l’article 6 § 1 (CEDH, Góra c. Pologne, n°38811/97, 27 avril 2004). Voir aussi CEDH, Ł. c. Pologne, n°44189/98, 27 juillet 2004 (violation de l’article 6 § 1 pour les deux procédures contestées) ; CEDH, Poznańska c. Pologne, n°822/05, 16 décembre 2008 (violations de l’article 6 § 1 pour trois des cinq procédures contestées). 24 À titre d’illustrations, voir les affaires CEDH, Osiński c. Pologne, n°13732/03, 16 octobre 2007 (8 ans et 6 mois d’attente en première instance dans la procédure pénale) ; CEDH, Matoń c. Pologne, n°30279/07, 9 juin 2009 (8 ans entre le dépôt de l’acte d’accusation et le jugement de première instance) ; CEDH, Klimkiewicz c. Pologne, n°44537/05, 29 avril 2009 et CEDH, Klimkiewicz c. Pologne (révision), n°44537/05, 30 novembre 2010 (11 ans d’attente en première instance dans la procédure pénale). 25 Pour la contestation de la durée des procédures civiles, la liste est la plus longue. Les arrêts les plus anciens en la matière sont bien sûr l’arrêt CEDH, Proszak c. Pologne, préc. (non-violation de l’article 6 § 1) et l’arrêt CEDH, Styranowski c. Pologne, n°28616/95, 30 octobre 1998, Rec. 1998-VIII (violation de l’article 6 § 1). Viennent ensuite CEDH, Podbielski c. Pologne, préc. (violation) ; CEDH, Humen c. Pologne [GC], n°26614/95, 15 octobre 1999 (non-violation) ; CEDH, Dewicka c. Pologne, n°38670/97, 4 avril 2000 (violation) ; CEDH, Wojnowicz c. Pologne, n°38082/96, 21 septembre 2000 (violation) ; CEDH, Sobczyk c. Pologne, n°25693/94 et n°27385/95, 26 octobre 2000 (violation) ; CEDH, Malinowska c. Pologne, n°35843/97, 14 décembre 2000 (violation) ; CEDH, Wasilewski c. Pologne, n°32734/96, 21 décembre 2000 (violation). 26 Alors même que le droit pénal, substantiel comme procédural, avait été profondément revu par la nouvelle codification de 1997, Celina Nowak rapporte les reproches adressés aux nouveaux codes de 1997 qui auraient offert « trop de garanties à l’accusé » puisque « celui-ci pouvait désormais faire durer la procédure pendant des années, ce qui en fait conduisait au non respect du principe du délai raisonnable, exigé par les instruments internationaux » (Celina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais », RSC, n°1, 2005, p. 188). 27 Les premiers arrêts dénonçant la durée des procédures administratives arrivent plus tardivement devant la Cour. Dans la plupart d’entre eux, la CEDH a retenu la violation de l’article 6 § 1. Leur nombre est également plus réduit. 28 Quoique moins nombreuses que celles dans lesquelles fut invoquée la longueur des procédures civiles, les affaires portées devant la CEDH pour la durée excessive des instances pénales sont néanmoins abondantes, depuis la première condamnation prononcée en 2000 dans l’arrêt CEDH, Trzaska c. Pologne, n°25792/94, 11 juillet 2000. S’enchainèrent immédiatement les arrêts CEDH, Kudła c. Pologne [GC], n°30210/96, 26 octobre 338 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » percutions se font directement sentir sur la durée des détentions provisoires29 et de la durée des recours contre les décisions de placement ou de maintien en détention provisoire30. Depuis le début de la période démocratique, l’ensemble du système juridictionnel polonais est affaibli par l’accumulation de délais et de retards, phénomène endémique qui touche tous les types de procédures (Section I) et produit de grave répercutions, en matière pénale, sur la durée des mesures de détention provisoire (Section II). SECTION I – LA DURÉE EXCESSIVE DES PROCÉDURES L’étude de la jurisprudence extraordinairement fournie conduit à identifier certaines causes répandues d’allongement des instances (§ 1). Admettant la nature structurelle de ce dysfonctionnement, les autorités ont tenté d’y remédier par des évolutions législatives et la réorganisation des juridictions (§ 2). Jusqu’en 2004, les justiciables ne bénéficiaient d’aucune voie de recours interne pour demander l’accélération d’une procédure et obtenir une indemnisation pour le préjudice subi du fait des retards. La Pologne a été dès lors invitée à créer ce type de procédure (§ 3). La durée des procès demeure aujourd’hui encore problématique : un arrêt pilote rendu à l’été 2015 interroge clairement le succès des réformes entreprises (§ 4). § 1. UNE DÉFAILLANCE DES PROCÉDURES JURIDICTIONNELLES AUX CAUSES MULTIPLES Dans chaque affaire aboutissant devant la CEDH à la violation de l’article 6 § 1, diffé2000, Rec. 2000-IX et CEDH, Jabłoński c. Pologne, n°33492/96, 21 décembre 2000. L’année 2000 fut déterminante en raison de la prise de conscience de la nature systémique du phénomène de durée des procédures en Pologne. Elle s’acheva sur un règlement amiable conclu entre le gouvernement et un requérant victime d’un procès pénal de plus de huit ans (CEDH, Kliniecki c. Pologne (règlement amiable), préc.). 29 En 2000, la Pologne avait échappé à une première une double-condamnation pour la violation de l’art. 6 § 1 (durée de la procédure pénale) et celle de l’art. 5 § 3 (durée de la détention provisoire) dans l’arrêt Wójcik. Le requérant n’ayant pas répondu aux courriers de la Cour, sa requête fut retirée du rôle (CEDH, Wójcik c. Pologne (radiation du rôle), préc.). Peu après, un règlement amiable conclu dans l’affaire Mikulski permit d’éviter le constat par la Cour de la violation des art. 6 § 1 et 5 § 3 (CEDH, Mikulski c. Pologne (règlement amiable) [GC], préc., § 4). Mais la sanction finit par tomber : jugeant l’affaire Trzaska, la CEDH a considéré que la procédure pénale avait été excessivement longue et que les motivations avancées par les autorités ne justifiaient pas trois ans et dix mois de détention provisoire (CEDH, Trzaska c. Pologne, préc.). 30 L’arrêt Jabłoński est le premier dans lequel ces trois aspects du problème général des « délais excessifs » en Pologne ont été sanctionnés (CEDH, Jabłoński c. Pologne, préc.). 339 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME rents facteurs participent à l’allongement des procédures. Certains d’entre eux apparaissent même récurrents : l’inactivité périodique des juridictions (A), certaines décisions prises dans le cadre de la procédure (recours aux experts, dessaisissements…) (B), l’attitude des parties ou des témoins (C). A. Les périodes d’inactivité ou de passivité injustifiées 529 - Le système judiciaire polonais, grevé par le manque de moyens et la désorganisation résultant de l’effondrement du régime socialiste31, a peiné à garantir la continuité des procédures, qualité indispensable à leur célérité32. Il n’est pas surprenant dès lors de retrouver dans la jurisprudence européenne de nombreux exemples de procédures marquées par de longues périodes d’inactivité séparant deux audiences. Ce que la CEDH reconnaît comme une période d’inactivité correspond au temps inexplicablement écoulé entre deux audiences au cours d’une procédure. Elle parle parfois de « passivité » lorsque les autorités judiciaires se sont abstenues d’intervenir pour accélérer le cours d’une procédure stagnante. Une telle attitude fut reprochée au juge civil polonais dans l’affaire Styranowski après que deux audiences devant une cour de district ont été ajournées au motif que la partie défenderesse n’avait pas reçu les 31 Dans son rapport établi sur la Pologne en 1994, la CSCE évoquait comme une priorité l’indépendance de la justice dans une période marquée par la purge du système judiciaire avec le départ des anciens juges liés au régime déchu. La réorganisation du système judiciaire imposait de s’assurer de l’impartialité de certains magistrats pouvant demeurer loyaux avec les principes de la « justice socialiste » tout en évitant d’écarter trop de professionnels pour des raisons politiques ; voir CSCE, Implementation of the Helsinki Accords: Human rights and democratization in Poland, Washington DC (États-Unis), janvier 1994, p. 13. De même, le professeur Ewa Łętowska décrivit le mauvais fonctionnement général (politique, administration, économie…) du pays au début des années 1990, dénonçant les liens incestueux, contraires à l’état de droit, entretenus entre le politique et le judiciaire (Ewa ŁĘTOWSKA, « Un amateurisme généralisé », La Nouvelle Alternative, n°27, 1992, p. 17). 32 En témoigne la poursuite d’une myriade de procédures débutées à l’époque socialiste et achevées après 1989. Voir par ex. CEDH, Bejer c. Pologne, n°38328/97, 4 octobre 2001 (procédure ouverte de 1977 à 1999) ; CEDH, Mączyński c. Pologne, n°43779/98, 15 janvier 2002 (de 1976 à 2002) ; CEDH, Goc c. Pologne, n°48001/99, 16 avril 2002 (de 1980 à 2002) ; CEDH, Szarapo c. Pologne, n°40835/98, 23 mai 2002 (de 1982 à 2000) ; CEDH, Sawicka c. Pologne, n°37645/97, 1er octobre (de 1987 à 2002) ; CEDH, Piechota c. Pologne, n°40330/98, 5 novembre 2002 (de 1981 à 2000) ; CEDH, Gryziecka et Gryziecki c. Pologne, n°46034/99, 6 mai 2003 (de 1981 à 1998) ; CEDH, Górska c. Pologne, n°53698/00, 3 juin 2003 (de 1974 à 2003) ; CEDH, Kranz c. Pologne, n°6214/02, 17 février 2004 (de 1975 à 2004) ; CEDH, Leszczyńska c. Pologne, n°47551/99, 22 juin 2004 (de 1982 à 1998) ; CEDH, Fojcik c. Pologne, n°57670/00, 21 septembre 2004 (de 1973 à 2004) ; CEDH, Jastrzębska c. Pologne, n°72048/01, 28 septembre 2004 (de 1987 à 2000) ; CEDH, Falęcka c. Pologne, n°52524/99, 5 octobre 2004 (de 1987 à 2000) ; CEDH, Malinowska-Biedrzycka c. Pologne, n°63390/00, 5 octobre 2004 (procédure de 1988 à 2004… pour un divorce !) ; CEDH, Dojs c. Pologne, n°47402/99, 2 novembre 2004 (de 1987 à 1988) ; CEDH, Majewski et autres c. Pologne, n°64204/01, 8 novembre 2005 (de 1989 à 2000) ; CEDH, Badowski c. Pologne, n°47627/99, 8 novembre 2005 (de 1983 à 1998) ; CEDH, Nowak c. Pologne, n°8612/02, 17 octobre 2006 (de 1989 à 2001) ; CEDH, Jeruzal c. Pologne, n°65888/01, 10 octobre 2006 (de 1985 à 2000) ; CEDH, Rybczyńska c. Pologne, n°57764/00, 10 octobre 2006 (de 1976 à 1999) ; CEDH, Romaniak c. Pologne, n°53284/99, 24 octobre 2006 (de 1980 à 2006) ; CEDH, Romejko c. Pologne, n°74209/01, 7 novembre 2006 (de 1982 à 1997) ; CEDH, Karpow c. Pologne, n°3429/03, 26 février 2008 (de 1987 à 2006). 340 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » convocations33. La CEDH a condamné la Pologne au titre de l’article 6 § 1 puisque, dans ce même dossier, deux autres périodes d’inactivité avaient été constatées, occasionnant un retard total de plus de quinze mois34. 530 - Les exemples pourraient se décliner à l’envi. Dans l’affaire D. M.35, les juridictions civiles devaient se prononcer sur une demande d’indemnisation pour erreur médicale. Or, la procédure fut suspendue plusieurs mois à deux reprises, sans qu’il n’y eût d’audience. Bien que des explications fussent avancées par le gouvernement, qui mit en cause l’attente des rapports d’experts, la CEDH a jugé ces périodes d’inactivité injustifiées et retenu la violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH. D’autres exemples ont suivi, dans des affaires relevant du droit civil36 comme du droit pénal37. L’engorgement tout particulier du rôle de la Cour su33 Dans l’affaire Jończyk, des audiences ont été annulées à cause d’erreurs dans la convocation du requérant ou de son avocat (CEDH, Jończyk c. Pologne, n°75870/01, 10 octobre 2006). 34 Le gouvernement avait tenté de justifier cette inactivité par un événement imprévu : la survenance d’un incendie qui affecta sérieusement la capacité de fonctionnement de la cour de district de Przanysz. La CEDH n’a pas été particulièrement indulgente devant cet argument puisque le dossier du requérant n’avait pas été détruit. (CEDH, Styranowski c. Pologne, préc. ; voir aussi pour cette affaire le rapport de la Com. EDH, Styranowski c. Pologne, n°28616/95, 3 décembre 1997). 35 CEDH, D. M. c. Pologne, n°13557/02, 14 octobre 2003 ; cet arrêt est cité en exemple caractéristique de la question de la durée des procédures civiles en Pologne par le Comité des ministres (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires contre la Pologne relatives à la durée excessive de procédures pénales et civiles et au droit de recours effectif), 4 avril 2007, 992e réunion des délégués). 36 Par ex. CEDH, Król c. Pologne, n°65017/01, 28 septembre 2004. En l’espèce, la procédure avait duré plus de dix ans et demi au rythme de deux audiences par an, lorsque celles-ci n’étaient pas ajournées pour des motifs divers (§§ 4-17). Dans la procédure civile à l’origine de l’affaire Dańczak une seule audience avait été tenue entre mars 1994 et mars 1999 (CEDH, Dańczak c. Pologne, n°57468/00, 21 décembre 2004). Voir également CEDH, Uthke c. Pologne, n°48684/99, 18 juin 2002 ; CEDH, Kubiszyn c. Pologne, n°37437/97, 30 janvier 2003 ; CEDH, R. O. c. Pologne, n°77597/01, 25 mars 2003 ; CEDH, Andrzej et Barbara Piłka c. Pologne, n°39619/98, 6 mai 2003 ; CEDH, Paśnicki c. Pologne, n°51429/99, 6 mai 2003 ; CEDH, R. W. c. Pologne, n°41033/98, 15 juillet 2003 ; CEDH, Porembska c. Pologne, n°77759/01, 14 octobre 2003 ; CEDH, Henryka Malinowska c. Pologne, n°76446/01, 14 octobre 2003 ; CEDH, Jablonská c. Pologne, n°60225/00, 9 mars 2004 ; CEDH, Pachnik c. Pologne, n°53029/99, 30 mars 2004 ; CEDH, Krzewicki c. Pologne, n°37770/97, 27 avril 2004 ; CEDH, Krzak c. Pologne, n°51515/99, 6 avril 2004 ; CEDH, Rychliccy c. Pologne, n°51599/99, 18 mai 2004 ; CEDH, Hajnrich c. Pologne, n°44181/98, 25 mai 2004 ; CEDH, Guzicka c. Pologne, n°55383/00, 13 juillet 2004 ; CEDH, Bednarska c. Pologne, n°53413/99, 15 juillet 2004 ; CEDH, Kreuz c. Pologne (n°2), n°46245/99, 20 juillet 2004 ; CEDH, Marszał c. Pologne, n°63391/00, 14 septembre 2004 ; CEDH, Janas c. Pologne, n°61454/00, 21 septembre 2004 ; CEDH, Kusiak c. Pologne, n°50424/99, 21 septembre 2004 ; CEDH, Koblański c. Pologne, n°59445/00, 28 septembre 2004 ; CEDH, Kuśmierkowski c. Pologne, n°63442/00, 5 octobre 2004 ; CEDH, R. P. D. c. Pologne, n°77681/01, 19 octobre 2004 ; CEDH, Zaśkiewicz c. Pologne, n°46072/99 et n°46076/99, 30 novembre 2004 ; CEDH, Młynarczyk c. Pologne, n°51768/99, 14 décembre 2004 ; CEDH, H. N. c. Pologne, n°77710/01, 13 septembre 2005 ; CEDH, Ratajczyk c. Pologne, n°11215/02, 18 juillet 2006 ; CEDH, Cichla c. Pologne, n°18036/03, 10 octobre 2006 ; CEDH, Kuźniak c. Pologne, n°13861/02, 10 octobre 2006 ; CEDH, Czerwiński c. Pologne, n°10384/02, 17 octobre 2006 ; CEDH, Zielonka c. Pologne, n°7313/02, 17 octobre 2006 ; CEDH, Wróblewska c. Pologne, n°22346/02, 28 novembre 2006 ; CEDH, Zdeb c. Pologne, n°72998/01, 5 décembre 2006 ; CEDH, Wojtunik c. Pologne, n°64212/10, 12 décembre 2006 ; CEDH, Trojańczyk c. Pologne, n°11219/02, 9 janvier 2007 et CEDH, Trojańczyk c. Pologne (révision), n°11219/02, 28 avril 2009 ; CEDH, Wende et Kukówska c. Pologne, n°56026/00, 10 mai 2007 ; CEDH, Piątkiewicz c. Pologne, n°39958/02, 16 octobre 2007 ; CEDH, Waltoś et Pawlicz c. Pologne, n°28309/06 et n°48102/06, 7 juillet 2009 ; CEDH, Kufel c. Pologne, n°9959/06, 2 décembre 2008 ; CEDH, c. Pologne, n°41663/04, 13 janvier 2009. 37 Par ex. CEDH, B. R. c. Pologne, n°43316/98, 16 septembre 2003. La procédure devant les juridictions pénales 341 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME prême provoqua également de longs retards après le dépôt d’un pourvoi38. Enfin, l’inactivité a parfois touché les procédures administratives, bien que légalement conditionnées par des délais stricts qui ne sont pas toujours respectés39. Dans l’affaire Bogacz jugée par la Cour de Strasbourg en 2006, le requérant, soupçonné de corruption passive, avait été mis en examen le 28 juin 1994 devant la cour de district de Varsovie. En dépit de nombreuses réclamations, aucune audience ne fut organisée durant six ans. Le requérant est finalement décédé le 11 octobre 2000, peu de temps après avoir saisi la CEDH. La Cour a logiquement condamné la Pologne pour la durée excessive de cette procédure pénale, d’autant plus qu’aucune explication n’avait pu être avancée pour une inactivité totale de sept ans et huit mois40. Une autre illustration éclairante est fournie par l’affaire Rejzmund41. Une procédure en dommagesintérêts entamée par une patiente contre son dentiste s’était éternisée plus de sept ans pour un seul degré de juridiction, principalement à cause de périodes d’inactivité injustifiées42. Tandis que leur éventuelle inactivité constitue aux yeux de la CEDH une sorte d’infraction par omission, les autorités judiciaires peuvent aussi provoquer l’allongement de la durée des procédures par des décisions inappropriées. polonaises durait depuis plus de neuf ans dans cette affaire de subornation de témoin commise dans le cadre d’un divorce lorsque la CEDH a rendu son jugement ; sans justification convaincante, la procédure avait connu une période d’inactivité de quatre ans (avril 1996-juin 2000). Voir aussi : CEDH, Goral c. Pologne, n°38654/97, 30 octobre 2003 ; CEDH, Matwiejczuk c. Pologne, n°37641/97, 2 décembre 2003 ; CEDH, Pieniążek c. Pologne, n°62179/00, 28 septembre 2004 ; CEDH, Stanclik c. Pologne, n°31397/03, 22 janvier 2008 ; CEDH, Żelazko c. Pologne, n°9382/05, 4 mars 2008. 38 CEDH, Wylęgly c. Pologne, n°33334/96, 3 juin 2003 ; CEDH, Domańska c. Pologne, n°74073/01, 25 mai 2004 (deux pourvois pendants respectivement 14 et 30 mois) ; CEDH, Nowak c. Pologne, n°27833/02, 5 octobre 2004 (2 ans et 8 mois d’attente avant l’examen du pourvoi) ; CEDH, Przygodzki c. Pologne, n°65719/01, 5 octobre 2004 (2 ans et 6 mois d’attente) ; CEDH, Wojda c. Pologne, n°55233/00, 8 novembre 2005 (2 ans et 6 mois d’attente) ; CEDH, Piątkowski c. Pologne, n°5650/02, 17 octobre 2006 (2 ans et 8 mois d’attente) ; CEDH, Chodzyńscy c. Pologne, n°17484/02, 17 octobre 2004 (2 ans et 6 mois d’attente) ; CEDH, Zarjewska c. Pologne, n°48114/99, 21 décembre 2004 (deux pourvois pendants respectivement 3 ans et 2 ans et 6 mois) ; CEDH, ATUT Sp. z o. o. c. Pologne, n°71151/01, 24 octobre 2006 (2 ans et 7 mois d’attente) ; CEDH, Łukjaniuk c. Pologne, n°15072/02, 7 novembre 2006 (2 ans et 5 mois d’attente) ; CEDH, Drabicki c. Pologne, n°15464/02, 14 novembre 2006 (13 mois d’attente) ; CEDH, Golik c. Pologne, n°13893/02, 28 novembre 2006 (2 ans et 5 mois d’attente) ; CEDH, Ǻkerblom c. Pologne, n°64974/01, 5 décembre 2006 (2 ans et 5 mois d’attente) ; CEDH, Gossa c. Pologne, n°47986/99, 9 janvier 2007 (2 ans et 11 mois d’attente) ; CEDH, Krempa-Czuchryta, n°11184/03, 3 juillet 2007 (2 ans et 9 mois d’attente) ; CEDH, Majcher c. Pologne, n°12193/02, 8 avril 2008 (2 ans et 7 mois d’attente). 39 Voir par ex. CEDH, Marek Bogusław c. Pologne, n°34103/03, 29 juillet 2008. En l’espèce, la procédure devant l’autorité administrative qui devait examiner en appel le refus d’un maire d’autoriser la modification du certificat d’immatriculation d’un véhicule a duré deux années (auxquelles il faut rajouter environ onze mois avant que ne soit rendue la décision de la Cour administrative suprême) alors même que la loi disposait qu’une décision définitive devait être accordée dans un délai d’un mois (§§ 5-14). 40 CEDH, Bogacz c. Pologne, préc. 41 CEDH, Rejzmund c. Pologne, n°42205/08, 6 juillet 2010. 42 Entre le 6 novembre 2001 et le 27 juin 2003, entre le 13 octobre 2004 et le 9 décembre 2005 et entre le 17 mars 2006 et le 21 mai 2008. 342 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » B. L’allongement des procédures en raison des décisions des autorités judiciaires La multiplication des recours aux experts est une cause fréquente de retards préjudiciables (1). Cependant, certaines décisions inopportunément prises par les juges en charge d’une affaire contribuent directement à allonger les procédures. Il en est ainsi lorsque plusieurs tribunaux rejettent successivement leur compétence (2) ou que n’est pas respectée la décision rendue par une juridiction supérieure (3). 1) Les retards accumulés lors des recours à l’expertise 531 - Le recours à l’expertise contribue nécessairement à prolonger les procédures. Des excès apparurent très tôt dans les affaires concernant la Pologne, telles que Proszak43 ou Lisiak44. Dans cette dernière, la difficulté à éclaircir des faits d’homicide avait incité la justice à solliciter au printemps 2002 un test ADN à partir de cheveux retrouvés sur les lieux du crime afin d’établir une comparaison avec l’ADN du requérant, alors suspect. Le laboratoire initialement désigné pour l’expertise s’avoua un mois plus tard dans l’impossibilité technique d’y procéder et un nouveau laboratoire fut donc désigné. Les six semaines perdues n’ont fait qu’alourdir encore la procédure pénale45 ouverte dès 1991. 532 - En matière civile46, l’affaire D. M.47, déjà évoquée, est également symptomatique des retards causés par les demandes d’expertises médicales. En 1994, la requérante avait assigné l’hôpital de Lublin en dommages-intérêts pour une erreur de diagnostic commise sur sa tu43 CEDH, Proszak c. Pologne, préc. ; il n’y avait toutefois pas eu de violation de l’article 6 § 1 en l’espèce. 44 CEDH, Lisiak c. Pologne, n°37443/97, 5 novembre 2002. 45 À propos des conséquences négatives du recours aux experts sur la durée des procédures pénales, voir not. : CEDH, Kreps c. Pologne, n°34097/96, 26 juillet 2001 ; CEDH, Iłowiecki c. Pologne, n°27504/95, 4 octobre 2001 ; CEDH, Wróbel c. Pologne, n°46002/99, 20 juillet 2004. 46 À propos des conséquences négatives du recours aux experts sur la durée des procédures civiles, voir not. : CEDH, Malinowska c. Pologne, préc. ; CEDH, Wasilewski c. Pologne, préc. (2000) ; CEDH, Zawadzki c. Pologne, n°34158/96, 20 décembre 2001 ; CEDH, W. Z. c. Pologne, n°65660/01, 24 octobre 2002 ; CEDH, Koral c. Pologne, n°52518/99, 5 novembre 2002 ; CEDH, Bukowski c. Pologne, n°38665/97, 11 février 2003 ; CEDH, Orzeł c. Pologne, n°74816/01, 25 mars 2003 ; CEDH, Majkrzyk c. Pologne, n°52168/99, 6 mai 2003 ; CEDH, Biskupska c. Pologne, n°39597/98, 22 juillet 2003 ; CEDH, Małasiewicz c. Pologne, n°22072/02, 14 octobre 2003 ; CEDH, I. P. c. Pologne, n°77831/01, 14 octobre 2003 ; CEDH, Ciborek c. Pologne, n°52037/99, 4 novembre 2003 ; CEDH, Grela c. Pologne, n°73003/01, 13 janvier 2004 ; CEDH, Politikin c. Pologne, n°68930/01, 27 avril 2004 ; CEDH, Surman-Januszewska c. Pologne, n°52478/99, 27 avril 2004 ; CEDH, Janik c. Pologne, n°38564/97, 27 avril 2004 ; CEDH, Romanow c. Pologne, n°45299/99, 21 septembre 2004 ; CEDH, Zys-Kowalski et autres c. Pologne, n°70213/01, 28 septembre 2004 ; CEDH, Sikorski c. Pologne, n°46004/99, 9 novembre 2004 ; CEDH, Kolasiński c. Pologne, n°46243/99, 1er février 2005 ; CEDH, Zmaliński c. Pologne, n°52039/99, 22 mars 2005 ; CEDH, Wyszczelski c. Pologne, n°72161/01, 29 novembre 2005 ; CEDH, Augustyniak c. Pologne, n°5413/02, 17 octobre 2006 ; CEDH, Tekiela c. Pologne, n°35785/07, 13 janvier 2009 ; CEDH, Stasik c. Pologne, n°21823/12, 6 octobre 2015. 47 CEDH, D. M. c. Pologne, préc. 343 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME meur à la gorge. Ladite erreur lui avait coûté une intervention chirurgicale imprévue. Lors de la première audience, les juges chargèrent deux experts médicaux de l’académie médicale de Lublin de rendre un avis, ce qu’ils firent respectivement en avril et juillet 1995. Les juges demandèrent toutefois deux autres rapports en 1996 avant d’accepter l’avis d’un expert suggéré par les parties en 1997. Le 24 novembre 1998, la cour de district de Lublin accorda 3 500 PLN d’indemnités à la requérante mais ce jugement fut annulé en appel. Après avoir demandé deux nouveaux avis médicaux, la cour régionale de Lublin rendit le 1er février 2002 un arrêt devenu définitif. La requérante avait saisi la CEDH dès le 30 octobre 2000, dénonçant la durée totale de la procédure la concernant en raison notamment « d’un nombre non nécessaire d’avis d’experts » tandis que le gouvernement se contentait de tempérer ces griefs en mentionnant que « quelques retards avaient été causés par la préparation des expertises »48. La CEDH a reconnu que les faits à l’origine du litige nécessitaient bien des éléments d’expertise mais une complexité certaine ne pouvait justifier huit ans et cinq jours de procédure49. 533 - Le recours aux experts, contribue de facto à allonger les procédures judiciaires puisqu’un temps d’attente à la remise du rapport est souvent nécessaire. Dans une affaire Rawa jugée par la CEDH en 2003, l’absence de l’expert sollicité à dix reprises (sans être sanctionné d’une amende pourtant prévu à l’article 287 du CPC50) a été l’une des causes majeures de la durée excessive de la procédure51. La situation dans laquelle une affaire est transmise de juridiction en juridiction est plus occasionnelle mais tout aussi dommageable pour le déroulement de la procédure. 2) Le transfert d’un dossier d’une juridiction vers une autre 534 - Le dessaisissement d’une juridiction au profit d’une autre pour des motifs tenant à la compétence de l’une et de l’autre est une règle inhérente au système juridictionnel d’un État de droit52. Mais lorsque survient une multitude de dessaisissements sur le traitement d’une 48 Ibidem, §§ 35-36. 49 Ibid., §§ 41-43. 50 Ustawa z dnia 17 listopada 1964 r. - Kodeks postępowania cywilnego [Loi du 17 novembre 1964 – Code de procédure civile], Dz. U., 1964, n°43, texte 296, pp. 425-491. 51 CEDH, Rawa c. Pologne, n°38804/97, 14 janvier 2003. 52 Qu’il s’agisse d’un conflit de compétence au fond ou d’un conflit de compétence territoriale. Ce type de question va se poser aussi bien en droit interne qu’en droit international. À titre d’exemple, les conflits de compétence (litispendance et connexité) sont régis, au niveau de l’Union européenne, par la section 9 du règlement (CE) n°44/2001 du Conseil de l’Union européenne du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOUE, L 12, 16 janvier 2001. 344 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » même affaire et que la durée même de la procédure s’en trouve profondément affectée, les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention s’appliquent pour sanctionner ces dysfonctionnements préjudiciables. Dès le 30 octobre 1998, la CEDH a sanctionné la Pologne dans l’affaire Styranowski53, caricaturale de ce point de vue. En l’espèce, un ancien magistrat avait contesté devant la Caisse de sécurité sociale le montant des pensions de retraite qui devaient lui être versées. Il fut débouté de sa demande par cet organisme public et attaqua la décision devant la cour régionale d’Olsztyn. Le requérant avait été jadis le supérieur hiérarchique des magistrats désormais chargés de juger le contentieux. Pour ces raisons, son dossier fut transféré vers la cour régionale de Varsovie. Le requérant avait également assigné en dommagesintérêts la Caisse de sécurité sociale devant la cour de district d’Olsztyn. Celle-ci demanda qu’une autre juridiction statue, ce que la cour d’appel de Varsovie accepta dans un premier temps avant que l’affaire ne fût finalement transmise à la cour régionale d’Ostrołęka qui décida, à la demande des juges de la cour de district d’Olsztyn, que l’affaire devait plutôt être jugée devant la cour de district de Szczytno. Les magistrats de cette dernière souhaitèrent à leur tour que le dossier fût repris par la cour de district de Przasnysz qui l’accepta et tint une première audience le 17 novembre 1992. Très exactement onze mois s’étaient écoulés en pure perte depuis la saisine initiale de la cour de district d’Olsztyn. Le gouvernement lui-même a reconnu devant la CEDH que l’affaire avait été complexifiée par les dessaisissements répétés54. La difficulté pour un justiciable d’obtenir une décision définitive tient parfois à l’indiscipline des juridictions subalternes, qui ne respectent que partiellement ou interprètent de façon erronée les injonctions de la juridiction supérieure. 3) Le défaut d’exécution d’une décision de justice 535 - En accord avec la jurisprudence de la CEDH, l’exécution d’un jugement ou arrêt doit 53 CEDH, Styranowski c. Pologne, préc. 54 Ibidem, § 50. Voir aussi les transferts de dossiers, facteurs d’allongement des procédures, dans les affaires CEDH, Gronus c. Pologne, n°29695/96, 28 mai 2002 (trois transferts de dossier se sont succédé avant qu’une juridiction se déclare compétente) ; CEDH, Gidel c. Pologne, n°75872/01, 14 octobre 2003 (plusieurs mois perdus pour établir la juridiction compétente suite au déménagement du requérant) ; CEDH, Korbel c. Pologne, n°57672/00, 21 septembre 2004 (en l’espèce, la procédure a pris dix mois de retard pour le transfert d’un dossier… d’une chambre à l’autre au sein d’une même juridiction !) ; CEDH, Opałko c. Pologne, n°4064/03, 15 janvier 2008 (le transfert vers la juridiction de seconde instance a provoqué la dormance de la procédure pendant 3 ans et demi) ; CEDH, Sitarski c. Pologne, n°71068/01, 8 août 2006 ; CEDH, Czaus c. Pologne, n°18026/03, 22 janvier 2008 (la procédure a été suspendue près de deux ans, le temps du transfert du dossier de la cour régionale d’Olsztyn à la cour régionale de Varsovie). 345 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME être considéré comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Conv. EDH55. L’affaire Podbielski est, à cet égard, intéressante. Les faits se déroulaient dans le contexte de l’adaptation du pays à l’économie de marché au début des années 1990. La législation relative aux clauses contractuelles prévoyant des pénalités de retard pour l’inexécution des conventions signées était alors en pleine évolution56. Le requérant dirigeait une société de travaux et réclamait depuis 1992 le paiement des travaux ordonnés par la commune de Świdnica. La Cour suprême avait profité de la saisine du requérant pour clarifier sa jurisprudence sur l’interprétation à donner aux clauses contractuelles en question dans un arrêt rendu le 28 janvier 1994. Or, les juridictions du fond méconnurent l’autorité de la chose jugée et de la chose interprétée. Elles provoquèrent l’allongement de la procédure au point qu’aucune décision finale n’avait été rendue avant que la CEDH ne prononçât son jugement. La Cour a reconnu la violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH, tenant les autorités nationales responsables pour l’essentiel des retards survenus au cours de la procédure57. 536 - L’affaire Lisiak, déjà évoquée, fournit dans le contexte d’une procédure pénale un exemple de non-respect par le procureur régional de Bielsko-Biała d’un arrêt de la cour d’appel de Katowice portant l’ordre de mener un complément d’enquête. N’ayant pas suivi les indications qui lui avaient été transmises, en particulier de procéder à la reconstitution du crime, le procureur fut sommé de s’y conformer par la cour régionale de Bielsko-Biała pour que les audiences puissent reprendre58. 537 - Enfin, l’arrêt Turczanik a démontré le manque d’autorité dont souffrit aussi la justice administrative dans la jeune démocratie polonaise. Inscrit au barreau de Wrocław, Bronisław Turczanik ne pouvait exercer ses fonctions, faute de connaître la localisation de son cabinet. Il demanda son installation dans la ville de Wrocław par deux demandes en 1991 et 1992. Les barreaux régional et national lui communiquèrent leur refus, fondé sur le manque de place disponible. Le 26 janvier 1993, la Cour administrative suprême a toutefois annulé les décisions rendues, rappelant que le siège du cabinet aurait dû être fixé dès l’inscription du demandeur au barreau, dix ans auparavant. Le barreau régional fixa par la suite le siège du cabinet dans une localité située à 46 kilomètres de Wrocław, en contradiction avec l’arrêt de la Cour suprême. Le barreau national valida. Le 31 janvier 1995, la Cour administrative suprême an- 55 Voir par ex. CEDH, Hornsby c. Grèce, n°18357/91, 19 mars 1997, Rec. 1997-II, § 40. 56 CEDH, Podbielski c. Pologne, préc., §§ 36-38. 57 Ibidem, § 38. 58 CEDH, Lisiak c. Pologne, préc., §§ 17-21. 346 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » nula une nouvelle fois ces décisions. Le 14 septembre 1995, le barreau régional décida de la suspension de la procédure de fixation du siège et engagea une action en vue de faire déclarer M. Turczanik inapte à exercer la profession d’avocat pour raison de santé. Le 5 septembre 1996, la Cour administrative suprême annula derechef les décisions du barreau. Partant, le barreau régional réaffecta le cabinet à 25 kilomètres de Wrocław, ce que contesta encore M. Turczanik. Le 20 août 1998, la Cour administrative suprême sanctionna le non-respect de ses précédentes décisions par le barreau, organe relevant de sa compétence. Le 21 avril 1999, le barreau régional fixa enfin le siège du cabinet à Wrocław59. Aux yeux de la CEDH, « aucun argument ne suffit pour justifier l’attitude dilatoire dont a fait preuve le barreau, qui a privé le requérant d’une protection effective »60. La Pologne fut condamnée en 2009 et 2010 pour des semblables causes, mutatis mutandis, dans les arrêts Karasińska61 et Giza62. 538 - Existent aussi les cas dans lesquels la décision non-exécutée n’est pas celle d’une juridiction suprême mais d’une juridiction du fond (de première ou de seconde instance), ce que met notamment en évidence l’affaire Dewicka. À propos d’un litige portant sur l’installation d’une ligne téléphonique, la décision de seconde instance rendue en janvier 1998, favorable à la requérante, n’avait pas été exécutée un an plus tard63. Parmi les principales causes des nombreux retards qui affectent la justice polonaise, il ne faut pas omettre de prendre en compte l’attitude des parties ou des témoins, qui contribuent fréquemment à l’allongement des procès. 59 CEDH, Turczanik c. Pologne, n°38064/97, 5 juillet 2005, Rec. 2005-VI, §§ 1-13. 60 Ibidem, § 51. 61 CEDH, Karasińska c. Pologne, n°13771/02, 6 octobre 2009. Il s’agissait pourtant d’un simple conflit portant sur l’aménagement d’un appartement dans le grenier situé au-dessus du logement de la requérante et dont l’administration avait ordonné le démantèlement. Dix ans plus tard, l’arrêt n’était toujours pas exécuté. 62 CEDH, Giza c. Pologne, requête n°48242/06, 13 juillet 2010. Un inspecteur des constructions du district était accusé par le requérant d’avoir ignoré une décision rendue par le Directeur du Bureau de District de Nowy Targ – confirmée par le bureau régional de Nowy Sącz et par la Cour administrative suprême – lui intimant de procéder à la démolition d’une scierie érigée sans permis de construire. Adoptée le 29 septembre 1997, la décision initiale n’avait pas encore été appliquée par les autorités administratives quand la CEDH examina l’affaire. 63 CEDH, Dewicka c. Pologne, préc., §§ 33-35. Voir aussi CEDH, Dybo c. Pologne, n°71894/01, 14 octobre 2003 (un arrêt rendu en 1998 n’avait toujours pas été exécuté en 2003) ; CEDH, Adamscy c. Pologne, n°49975/99, 27 juillet 2004 (attente de 7 ans et 5 mois avant l’exécution d’une décision de première instance, confirmée en appel) ; CEDH, Siemianowski c. Pologne, n°45972/99, 6 septembre 2005 (le pouvoir judiciaire n’était pas parvenu à faire exécuter un jugement accordant au requérant un droit de visite de sa fille) ; CEDH, Apanasewicz c. Pologne, n°6854/07, 3 mai 2011 (l’inexécution de deux décisions rendues par les juges du fond ont conduit la CEDH à condamner la Pologne au titre de l’article 6 § 1 et aussi de l’article 8 dans cette affaire relative à l’exploitation d’une usine dont les activités étaient nocives pour la santé de la requérante). 347 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME C. L’attitude des parties et des témoins en cause dans la lenteur des procédures Le report des audiences en raison de l’absence de l’une des parties ou de témoins au procès compte parmi les causes de lenteur de la justice. Le gouvernement les évoque parfois avec succès pour justifier la longueur excessive des instances et il arrive que la CEDH s’abstienne de condamner l’État. Cela ne signifie pas que toute contribution d’un requérant à l’allongement de la procédure se retourne contre lui (1). En outre, il y aura bien violation de l’article 6 § 1 lorsque la procédure a souffert de la défaillance des témoins (2). 1) Le comportement du requérant, facteur d’allongement des procédures 539 - Connu pour avoir été le premier rendu par la CEDH contre la Pologne, l’arrêt Proszak s’est conclu par la non-violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH. La requérante se plaignait de la durée excessive de la procédure civile entamée pour obtenir réparation d’une agression subie en 1988 et pour laquelle son voisin, condamné pour ces faits, avait été amnistié. La Cour a estimé que l’attitude de la requérante « cadr[ait] mal avec la diligence dont doit témoigner la partie défenderesse dans une procédure civile »64. La requérante avait, il est vrai, récusé à trois reprises le juge rapporteur, sans fondement, persisté dans son refus de se plier à une expertise psychiatrique complémentaire65 et omis de justifier ses absences aux audiences. Dans l’arrêt Humen, la grande chambre de la CEDH n’a pas retenu non plus la violation de l’article 6 § 1, eu égard à l’attitude du requérant. Celui-ci avait cumulativement refusé de se soumettre à une tomographie cérébrale exigée par les tribunaux – évitant même de se rendre à plusieurs rendez-vous et ne déclarant que tardivement son opposition à cet examen – puis avait présenté aux juges des informations erronées sur son activité professionnelle à l’époque des faits et n’avait pas même fourni les documents exigés afin de compléter son dossier66. 540 - La CEDH ne rejette pas systématiquement la responsabilité de l’État pour la durée excessive d’une procédure judiciaire lorsque le requérant a contribué à allonger celle-ci. Le 64 CEDH, Proszak c. Pologne, préc., § 40. 65 Cette expertise était d’autant plus nécessaire en l’espèce que le lien entre l’agression dont avait été victime la requérante et ses troubles psychiques était particulièrement difficile à établir. En effet, Mme. Proszak avait été autrefois déportée dans le camp de concentration nazi de Ravensbrück et en avait conservé des séquelles. 66 CEDH, Humen c. Pologne [GC], préc., §§ 64-66. Voir également le constat de non-violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH du fait des propres défaillances du requérant dans les arrêts CEDH, Zieliński c. Pologne, n°38497/02, 15 février 2005 ; CEDH, Wróblewski c. Pologne, n°52077/99, 1er décembre 2005 ; CEDH, Rylski c. Pologne, n°24706/02, 4 juillet 2006 ; CEDH, Białas c. Pologne, n°69129/01, 10 octobre 2006 ; CEDH, Sekułowicz c. Pologne, n°64249/01, 7 novembre 2006 ; CEDH, Kowalenko c. Pologne, n°26144/05, 26 octobre 2010 ; CEDH, Matusik c. Pologne, n°3826/10, 1er octobre 2013 (s’ajoutaient en l’espèce d’autres raisons, comme le recours indispensable à un rapport d’expert et aux services sociaux). 348 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » comportement du requérant n’est qu’un facteur parmi d’autres67. Toute partie jouit de droits procéduraux : « elle peut en faire usage à condition d’en supporter les conséquences si cela conduit à des retards »68 : appel, pourvoi, sollicitation de témoins ou d’experts69, etc. 541 - Autre hypothèse : un requérant peut, par exemple, provoquer le report d’une audience par son absence70. Ses raisons sont tantôt valables (il peut être souffrant71), tantôt injustifiées72. Ce sont parfois des co-accusés du requérant qui manquent à l’appel73, au point de conduire à l’annulation d’une audience74. Il arrive qu’un requérant omette d’indiquer l’adresse à laquelle la juridiction saisie pouvait lui adresser les convocations pour comparution75. Enfin, 67 Voici quelques exemples : au cours d’une procédure administrative, le requérant avait à plusieurs reprises demandé l’ajournement d’une opération de démarcation de terrain intéressant sa propriété, mais sans que sa seule responsabilité dans l’allongement du délai suffît à dédouaner l’État (CEDH, Wilczyński c. Pologne, n°35760/06, 18 mars 2008, § 55). Dans une procédure civile, la requérante avait tardé à compléter dûment le dossier demandé par la justice et exigeait la récusation d’un juge ainsi que l’adoption de mesures conservatoires, mais la CEDH a jugé que ces retards lui étaient imputables sans pour autant occulter d’autres retards liés aux seules autorités (CEDH, C. c. Pologne, n°27918/95, 3 mai 2001, §§ 43-50). Dans l’affaire Peryt portant sur la procédure de division d’une propriété, la CEDH a retenu la violation de l’article 6 § 1 bien que le requérant eût substantiellement contribué à l’allongement des instances (CEDH, Peryt c. Pologne, n°42042/98, 2 décembre 2003, § 56). Le recours fréquent aux droits procéduraux (contestation des rapports d’experts, des preuves, des témoins, modification de la demande initiale en cours de procédure), lorsqu’il ne contribue pas indûment à rallonger une procédure, n’exonère pas l’État de ses responsabilités en matière de célérité des procédures (CEDH, Sitarek c. Pologne, n°42078/98, 15 juillet 2003 ; CEDH, Szydłowski c. Pologne, n°1326/04, 16 octobre 2007). Il en est de même lorsque le requérant provoque l’allongement de la procédure en demandant à plusieurs reprises la rectification des minutes des audiences (CEDH, Wróblewski c. Pologne, n°76299/01, 5 décembre 2006). Voir aussi CEDH, Gęsiarz c. Pologne, n°9446/02, 18 mai 2004 (dix mois de retard en raison du retard de paiement des frais de procédure par le requérant) ; CEDH, Wiercigroch c. Pologne, n°14580/02, 5 décembre 2006 (le requérant avait demandé le remplacement de plusieurs juges) ; CEDH, Zoń c. Pologne, n°14357/03, 27 novembre 2007 et CEDH, Leszek Pawlak c. Pologne, n°46887/06, 16 décembre 2008 (les requérants de ces deux affaires avaient temporairement fugué). 68 Jakub CZEPEK, « Prawo do słusznego procesu w sprawach polskich – wybrane aspekty », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°1, 2010, p. 51. 69 Furent précédemment évoquées dans cette étude quelques exemples mettant en lumière la dilatation des procédures en raison de recours à l’expertise dont l’initiative échoua aux autorités judiciaires ou aux parties. Cependant, c’est bien la juridiction saisie qui décide in fine d’autoriser ou non une expertise. Lorsque ladite juridiction n’accepte que tardivement la désignation d’un expert, elle est directement responsable de l’allongement de la procédure (voir l’arrêt CEDH Rejzmund c. Pologne, préc. ; voir aussi CEDH, Król c. Pologne, préc. : le requérant a demandé par trois fois, au cours d’audiences tenues en avril 1997, en juin 1997 et en juin 1999, la désignation d’un expert que les juges n’ont accepté qu’en octobre 1999, plus de deux ans après la demande initiale). 70 Dans l’affaire Kauczor, une vingtaine d’audiences furent annulées ou ajournées en raison de l’absence de l’avocat du requérant, d’un juge ou d’un co-accusé (CEDH, Kauczor c. Pologne, n°45219/06, 3 février 2009, § 14 et § 20). 71 CEDH, Król c. Pologne, préc., § 6. 72 CEDH, Lisiak c. Pologne, préc., § 25 : le requérant ne s’est pas rendu à une audience, prétextant qu’il recherchait alors du travail en Grèce, alors qu’il se trouvait en réalité en Pologne… 73 CEDH, Kudła c. Pologne [GC], préc, § 26, § 53 et § 55. 74 CEDH, Styranowski c. Pologne, préc., § 26. 75 CEDH, Kudła c. Pologne, préc., § 19 349 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME les parties demandent quelquefois elles-mêmes par avance que soit annulée une audience76. Dans de nombreuses affaires la non-comparution des témoins convoqués a perturbé l’organisation des audiences et ainsi retardé le travail des juridictions. 2) Les reports d’audience causés par l’indiscipline des témoins 542 - L’absence des témoins aux procès, en particulier lorsqu’ils sont particulièrement nombreux77, est une hypothèse fréquemment rencontrée. Si les témoins sont rares, en raison de la nature des faits, il est cependant plus difficile pour la Justice de maintenir une audience en leur absence tant leur témoignage est déterminant78. Les choses se corsent encore lorsque le témoin-clef de l’affaire se rétracte plusieurs fois et ne se rend pas aux rendez-vous médicaux ordonnés par le tribunal aux fins d’établir un bilan psychiatrique… avant de disparaître un peu plus tard au cours du procès, sans laisser d’adresse79. Lorsque des témoins persistent dans leur refus de comparaître, il arrive que les autorités judiciaires aient recours à la police pour les amener de force à l’audience80. Les affaires dans lesquelles la difficulté d’entendre les témoins est un facteur d’allongement des procédures se rencontrent donc fréquemment81. 543 - Ce que tend à démontrer l’analyse de la jurisprudence, c’est qu’il existe rarement une cause unique à la durée excessive d’une procédure judiciaire en Pologne et qu’ainsi chaque affaire présente une succession d’événements perturbateurs. Il apparaît globalement que la justice polonaise postcommuniste a souffert d’une sévère inorganisation, sinon d’un manque de rationalisation, ce que reflètent très bien les nombreuses périodes d’inactivités entre les différentes audiences des procès, pouvant aller de quelques mois à plusieurs années. Plus que de réformes procédurales, le système judiciaire semble avoir besoin d’accumuler de 76 CEDH, Król c. Pologne, préc., § 10 ; CEDH, Styranowski c. Pologne, préc., § 21. 77 Ibidem, § 9, § 14, § 20 : plusieurs dizaines de témoignages à recueillir en l’espèce. Dans l’affaire Szeloch (affaire d’assassinat et de violences sexuelles), la justice avait dû entendre 54 témoins (CEDH, Szeloch c. Pologne, préc.). Voir aussi les annulations d’audiences à cause de l’absence des témoins dans l’arrêt CEDH, Hołowczak c. Pologne, n°25413/04, 4 mars 2008. 78 CEDH, Styranowski c. Pologne, préc., § 20 : le témoin cité par le requérant n’a pas comparu. 79 CEDH, Lisiak c. Pologne, préc., § 19 et § 25 : les autorités ne sont jamais parvenues à retrouver le témoin qui devait comparaître. 80 CEDH, Kudła c. Pologne [GC], préc., § 35. 81 CEDH, Skawińska c. Pologne, n°42096/98, 16 septembre 2003 ; CEDH, Ratusznik c. Pologne, n°28492/04, 6 novembre 2007 ; CEDH, Janusz Dudek c. Pologne, n°39712/05, 13 janvier 2009 ; CEDH, Chyła c. Pologne, n°8384/08, 3 novembre 2015. Il faut aussi mentionner le cas particulier de l’affaire Iwańczuk : la procédure avait été recommencée en raison du changement de composition de la cour, ce qui impliquait d’effecter une nouvelle audition des quelques 71 témoins déjà entendus (Iwańczuk c. Pologne, n°25196/94, 15 novembre 2001) ! 350 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » l’expérience, d’intégrer les standards internationaux et d’accroître ses moyens, notamment humains. Reste une série d’affaires – nombreuses – dans lesquelles ni la complexité (avérée ou non), ni l’inactivité des autorités, ni le comportement des parties ne peut expliquer la durée d’une procédure82. Plus rares furent les arrêts dans lesquels l’État fut exonéré de toute responsabilité83. En ce qui concerne les procédures administratives, les retards observés relevaient en certains cas de causes propres. 82 CEDH, Parciński c. Pologne, n°36250/97, 18 décembre 2001 ; CEDH, Sobierajska-Nierzwicka c. Pologne, n°49349, 27 mai 2003 ; CEDH, Hulewicz c. Pologne, n°35656/97, 30 mars 2004 ; CEDH, Sienkiewicz c. Pologne, n°52468/99, 30 septembre 2003 ; CEDH, Panek c. Pologne, n°38663/97, 8 janvier 2004 ; CEDH, Kaszubski c. Pologne, n°35577/97, 24 février 2004 ; CEDH, A. W. c. Pologne, n°34220/96, 24 juin 2004 ; CEDH, Biały c. Pologne, n°52040/99, 27 juillet 2004 ; CEDH, Marszał c. Pologne, n°63391/00, 14 septembre 2004 (au cours de cette procédure pénale, les autorités ont manqué de diligence lors de la collecte des preuves) ; CEDH, Iżykowska c. Pologne, n°7530/02, 28 septembre 2004 ; CEDH, Durasik c. Pologne, n°6735/03, 28 septembre 2004 ; CEDH, Kruk c. Pologne, n°67690/01, 5 octobre 2004 ; CEDH, Dudek c. Pologne, n°2560/02, 5 octobre 2004 ; CEDH, Mejer et Jałoszyńska c. Pologne, n°612109/00, 19 octobre 2004 (en l’espèce, il fallut plus de 11 ans aux autorités pour rendre une décision définitive dans une affaire importante pour les requérants puisqu’elle concernait la contestation d’un licenciement professionnel) ; CEDH, Lipowicz c. Pologne, n° 57467/00, 19 octobre 2004 ; CEDH, Wiatrzyk c. Pologne, n°52074/99, 26 octobre 2004 ; CEDH, Czech c. Pologne, n°49034/99, 15 novembre 2005 ; CEDH, Kranc c. Pologne, n°12888/02, 31 janvier 2006 ; CEDH, Barszcz c. Pologne, n°71152/01, 30 mai 2006 ; CEDH, Sokołowski c. Pologne, n°15337/02, 24 octobre 2006 ; CEDH, Wojtkiewicz c. Pologne, n°45211/99, 21 décembre 2004 ; CEDH, Bzdyra c. Pologne, n°49035/99, 15 novembre 2005 ; CEDH, Dzierżanowski c. Pologne, n°2983/02, 27 juin 2006 ; CEDH, Majchrzak c. Pologne, n°1524/02, 22 août 2006 ; CEDH, Kędra c. Pologne, n°1564/02, 10 octobre 2006 ; CEDH, Baranowska c. Pologne, n°72994/01, 24 octobre 2006 ; CEDH, Zygmunt c. Pologne, n°69128/01, 5 décembre 2006 ; CEDH, Jagiełło c. Pologne, n°59738/00, 23 janvier 2007 ; CEDH, Pielasa c. Pologne, n°66463/01, 30 janvier 2007 ; CEDH, Mierkiewicz c. Pologne, n°77833/01, 13 février 2007 ; CEDH, Krzych et Gurbierz c. Pologne, n°35615/03, 13 février 2007 ; CEDH, Czajka c. Pologne, n°15067/02, 13 février 2007 ; CEDH, Zmaliński c. Pologne, n°44319/02, 20 février 2007 ; CEDH, Maciej c. Pologne, n°10838/02, 27 février 2007 ; CEDH, Amurchanian c. Pologne, n°8174/02, 19 juin 2007 (violation de l’article 6 § 1 malgré la complexité de la procédure, relative à une affaire de vol à main armée en bande organisée) ; CEDH, Wilusz c. Pologne, n°1363/02, 3 juillet 2007 ; CEDH, Rafińska c. Pologne, n°13146/02, 23 juillet 2007 ; CEDH, Biszta c. Pologne, n°4922/02, 18 décembre 2007 ; CEDH, Madeła c. Pologne, n°62424/00, 22 janvier 2008 ; CEDH, Popławski c. Pologne, n°28633/02, 29 janvier 2008 ; CEDH, Stefan Kozłowski c. Pologne, n°30072/04, 22 avril 2008 ; CEDH, Florek c. Pologne, n°20334/04, 20 mai 2008 ; CEDH, Adam Sienkiewicz c. Pologne, n°25668/03, 27 mai 2008 ; CEDH, Cieślak c. Pologne, n°32098/05, 3 juin 2008 ; CEDH, Roman Wilczyński c. Pologne, n°35840/05, 17 juillet 2008 ; CEDH, Kuczkowska c. Pologne, n°2311/04, 22 juillet 2008 ; CEDH, Naus c. Pologne, n°7224/04, 16 septembre 2008 ; CEDH, Dublas c. Pologne, n°48247/06, 7 octobre 2008 ; CEDH, Gnatowska c. Pologne, n°23789/04, 7 octobre 2008 ; CEDH, Łakomiak c. Pologne, n°28140/05, 21 octobre 2008 ; CEDH, Jagiełło c. Pologne, n°8934/05, 2 décembre 2008 ; CEDH, Zakrzewska c. Pologne, n°49927/06, 16 décembre 2008 ; CEDH, Zaluska c. Pologne, n°41701/70, 13 janvier 2009 ; CEDH, Romuald Kozłowski c. Pologne, n°46601/06, 20 janvier 2009 ; CEDH, Jelitto c. Pologne, n°17602/07, 21 avril 2009 ; CEDH, Kucharczyk c. Pologne, n°3464/06, 8 décembre 2009 ; CEDH, Przybyła c. Pologne, n°42778/07, 7 juillet 2009 ; CEDH, Flieger c. Pologne, n°36262/08, 22 juin 2010 ; CEDH, Tarnowski et autres c. Pologne, n°43939/07, 27 septembre 2011 ; CEDH, Międzyzakładowa organizacja związkowa NSZZ Solidarność de Świdnica c. Pologne, n°13505/08, 28 janvier 2012. Il arriva que le gouvernement, incapable de présenter des circonstances justifiant les retards, admît de lui-même qu’une procédure avait été excessivement longue (CEDH, Sikora c. Pologne, n°64764/01, 5 octobre 2004, § 21). 83 Quelques exemples : CEDH, Wolf c. Pologne, n°15667/03 et n°2929/04, 16 janvier 2007 ; CEDH, Boczoń c. Pologne, n°66079/01, 30 janvier 2007 ; CEDH, Kostecki c. Pologne, n°14932/09, 4 juin 2013. 351 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME E. Les facteurs spécifiques de la durée excessive des procédures administratives 544 - Ouverte par l’arrêt du 11 février 2003, la série84 des violations de l’article 6 § 1 en raison de la durée excessive des procédures administrative est en bonne partie liée aux contentieux de l’expropriation et autres litiges liés à l’obtention des permis de construire. L’inaction des autorités administratives locales – ou l’adoption de décisions en contradiction avec un 84 CEDH, Fuchs c. Pologne, n°33870/96, 11 février 2003 ; CEDH, Urbańczyk c. Pologne, n°33777/96, 1er juin 2004 ; CEDH, Piekara c. Pologne, n°77741/01, 15 juin 2004 ; CEDH, Szenk c. Pologne, n°67979/01, 22 mars 2005 ; CEDH, J. S. et A. S. c. Pologne, n°40732/98, 24 mai 2005 ; CEDH, Turczanik c. Pologne, n°38064/97, 5 juillet 2005, Rec. 2005-VI ; CEDH, Kaniewski c. Pologne, n°38049/02, 8 novembre 2005 ; CEDH, Bogucki c. Pologne, n°49961/99, 15 novembre 2005 ; CEDH, Skowroński c. Pologne, n°36431/03, 24 janvier 2006 ; CEDH, Koss c. Pologne, n°52495/99, 28 mars 2006 ; CEDH, Bielec c. Pologne, n°40082/02, 27 juin 2006 (nonviolation) ; CEDH, Grabiński c. Pologne, n°43702/02, 17 octobre 2006 ; CEDH, Orzechowski c. Pologne, n°77795/01, 24 octobre 2006 ; CEDH, Stevens c. Pologne, n°13568/02, 24 octobre 2006 ; CEDH, Boszko c. Pologne, n°4054/03, 5 décembre 2006 ; CEDH, Sito c. Pologne, n°19607/03, 9 janvier 2007 ; CEDH, Kryszkiewicz c. Pologne, n°77420/01, 6 mars 2007 ; CEDH, Sernawit et autres, n°61967/00, 6 novembre 2007 ; CEDH, Urbańska c. Pologne, n°12134/02, 13 novembre 2007 ; CEDH, Wójcicka-Surówka c. Pologne, n°33017/03, 27 novembre 2007 ; CEDH, Olesiński c. Pologne, n°12550/02, 18 décembre 2007 ; CEDH, Olszewska c. Pologne, n°13024/05, 18 décembre 2007 ; CEDH, Błaszczyk c. Pologne, n°22305/06, 8 janvier 2008 ; CEDH, Wilczkowska et autres c. Pologne, n°28983/02, 8 janvier 2008 ; CEDH, Rygalski c. Pologne, n°11101/04, 22 janvier 2008 ; CEDH, Wesołowska c. Pologne, n°17949/03, 4 mars 2008 ; CEDH, Wilczyński c. Pologne, n°35760/06, 18 mars 2008 ; CEDH, Stukus et autres c. Pologne, n°12534/03, 1er avril 2008 ; CEDH, Bennich-Zalewski c. Pologne, n°59857/00, 22 avril 2008 ; CEDH, Borysiewicz c. Pologne, n°71146/01, 1er juillet 2008 ; CEDH, Berent-Derda c. Pologne, n°23484/02, 1er juillet 2008 ; CEDH, Tymieniecki c. Pologne, préc. ; CEDH, Lidia Kita c. Pologne, n°27710/05, 22 juillet 2008 ; CEDH, Przepałkowski c. Pologne, n°23759/02, 22 juillet 2008 ; CEDH, Marek Bogusław c. Pologne, préc. ; CEDH, Beata Bogusław c. Pologne, n°34105/03, 29 juillet 2008 ; CEDH, Ratyńska c. Pologne, n°12253/03, 21 octobre 2008 ; CEDH, Helwig c. Pologne, n°33550/02, 21 octobre 2008 ; CEDH, Bartczak c. Pologne, n°15629/02, 4 novembre 2008 ; CEDH, Graczyk c. Pologne, n°21246/05, 4 novembre 2008 ; CEDH, Wilkowicz c. Pologne, n°74168/01, 4 novembre 2008 ; CEDH, Krzewski c. Pologne, n°11700/04, 2 décembre 2008 ; CEDH, Pióro et Łukasik c. Pologne, n°8362/02, 2 décembre 2008 ; CEDH, Serafin et autres c. Pologne (n°2), n°51123/07, 2 décembre 2008 ; CEDH, Klewinowski c. Pologne, n°43161/04, 9 décembre 2008 ; CEDH, Chmielecka c. Pologne, n°19171/03, 16 décembre 2008 ; CEDH, Wysocka et autres c. Pologne, préc. ; CEDH, Prądzyńska-Pozdniakow c. Pologne, préc. ; CEDH, Kliber c. Pologne, n°11522/03, 13 janvier 2009 ; CEDH, Pelizg c. Pologne, n°34342/06, 13 janvier 2009 ; CEDH, Tomaszewska c. Pologne, n°9399/03, 14 avril 2009 ; CEDH, Paliga et Adamkowicz c. Pologne, n°23856/05, 14 avril 2009 ; CEDH, Serafin et autres, n°36980/04, 21 avril 2009 ; CEDH, Ziętal c. Pologne, n°64972/01, 12 mai 2009 ; CEDH, Pabjan c. Pologne, n°24706/05, 2 juin 2009 ; CEDH, Kamecki et autres c. Pologne, n°62506/00, 9 juin 2009 ; CEDH, Leon et Agnieszka Kania c. Pologne, n°12605/03, 21 juillet 2009 ; CEDH, Giermek et autres c. Pologne, n°6669/03, 15 septembre 2009 ; CEDH, Lorenc c. Pologne, n°28604/03, 15 septembre 2009 ; CEDH, Korcz c. Pologne, préc. ; CEDH, Puchalska c. Pologne, n°10392/04, 6 octobre 2009 ; CEDH, Karasińska c. Pologne, préc. ; CEDH, Wypukol-Piętka c. Pologne, n°3441/02, 20 octobre 2009 ; CEDH, Rodoszewska-Zakościelnia c. Pologne, préc. ; CEDH, Trzaskalska c. Pologne, n°34469/05, 1er décembre 2009 ; CEDH, Puczyński c. Pologne, n°32622/03, 8 décembre 2009 ; CEDH, Cudowscy c. Pologne, n°34591/04, 5 janvier 2010 ; CEDH, Sobieccy c. Pologne, n°32594/03, 10 janvier 2010 ; CEDH, Derda c. Pologne, n°58154/08,1er juin 2010 ; CEDH, WypukolPiętka c. Pologne (révision), n°3441/02, 8 juin 2010 ; CEDH, Giza c. Pologne, préc. ; CEDH, Iskrzyccy c. Pologne, n°9261/02, 14 septembre 2010 ; CEDH, Kosińska c. Pologne, n°42797/06, 14 septembre 2010 ; CEDH, Florczyk et autres c. Pologne, n°30030/06, 12 octobre 2010 ; CEDH, Uzarowicz c. Pologne, n°24523/08, 12 octobre 2010 ; CEDH, Mikołaj Piotrowski c. Pologne, n°15910/08, 12 octobre 2010 ; CEDH, Głowacka et Królicka c. Pologne, préc. ; CEDH, Zjednoczone Browary Warszawskie Haberbusch i Schiele S.A. c. Pologne, préc. ; CEDH, Mazurek c. Pologne, n°41265/03, 11 janvier 2011 ; CEDH, Gawlik c. Pologne, n°26764/08, 11 janvier 2011 ; CEDH, Tarnowski et autres, préc. ; CEDH, Mularz c. Pologne, n°9834/08, 4 octobre 2011 ; CEDH, Orlikowscy c. Pologne, n°7153/07, 4 octobre 2011 ; CEDH, Potocka c. Pologne, n°1415/11, 25 septembre 2012 ; CEDH, Andrzejczak c. Pologne, n°28940/08, 22 janvier 2013 ; CEDH, Siermiński c. Pologne, n°53339/09, 2 décembre 2014. 352 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » arrêt du juge administratif, comme dans l’affaire Fuchs85 – a été le facteur majeur d’allongement de la durée des instances. L’article 35 § 1 du CPA dispose pourtant que les autorités publiques doivent prendre leurs décisions sans délais excessifs. De plus, conformément à l’article 36 § 1, l’administration est tenue d’informer les parties des raisons pour lesquelles la décision n’a pas été adoptée promptement86. 545 - Le développement récent de la procédure administrative en Pologne explique aussi, mais partiellement, ces difficultés. En effet la justice administrative s’est considérablement développée en Pologne à partir du 1er janvier 2004, date d’entrée en vigueur de la loi du 25 juillet 2002 qui crée les cours administratives régionales87 et permet donc un double degré de juridiction avec la Cour administrative suprême créée dès 198088. Aussi des procédures pendantes des années durant devant cette dernière et devant les cours régionales ont-elles conduit la CEDH à retenir la violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH. Ce fut le cas par exemple dans l’affaire Wesołowska89 dans laquelle la requérante a dû attendre près de quinze ans pour obtenir l’annulation d’une décision d’expropriation. Les autorités polonaises ont été forcées de corriger ces défauts de jeunesse avec l’aide certaine de la CEDH. À partir de 1997, les autorités polonaises ont tenté d’accélérer les délais de procédures, par une succession de mesures portant sur le déroulement des instances et les moyens mis à disposition de la justice. Ces initiatives n’ont pas apporté les résultats escomptés. § 2. UNE SUITE DE MESURES ADOPTÉES POUR RÉDUIRE LES DÉLAIS PROCÉDURAUX 546 - Avec le prononcé les premiers arrêts à son encontre à Strasbourg, la Pologne a pris conscience de la nécessité de réformer intégralement le système judiciaire fonctionnant sous l’ancien régime. Le recours aux mesures individuelles n’a guère été determinant que lorsqu’il 85 CEDH, Fuchs c. Pologne, préc. ; les autorités locales (le maire et le gouverneur de district) n’avaient pas respecté un jugement de la Cour administrative suprême qui avait ordonné la suspension de la construction d’un bâtiment sur un terrain avoisinant la propriété du requérant. 86 Ustawa z dnia 14 czerwca 1960 r. Kodeks postępowania administracyjnego [Loi du 14 juin 1960 – Code de procédure administrative], Dz. U., 1960, n°30, texte 168, pp. 293-307. 87 Ustawa z dnia 25 lipca 2002 r. Prawo o ustroju sądów administracyjnych [Loi du 25 juillet 2002 – Droit et régime des cours administratives], Dz. U., 2002, n°153, texte 1269, pp. 9865-9871. 88 Cf. Annexe n°2, 89 CEDH, Wesołowska c. Pologne, préc. 353 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME s’agissait de se conformer aux termes des règlements amiables90. Légiférer était par conséquent indispensable pour améliorer les procédures civiles et pénales (A). Mais les efforts ont également porté sur la gestion administrative du personnel et sur les infrastructures mises à la disposition du service public de la justice (B). Enfin, un ensemble de mesures variées devait favoriser la célérité des procédures administratives (C). A. La refonte des procédures pénale et civile Les procédures judiciaires en Pologne ont été la cible de plusieurs réformes depuis 1997. Celles-ci ont amené bon nombre d’innovations devant permettre un fonctionnement plus rapide des services de la justice. Elles ont affecté tant la procédure pénale (1) que la procédure civile (2). 1) Repenser la procédure pénale 547 - Les modifications apportées à la procédure pénale sont quantitativement les plus importantes. Elles ont modifié progressivement certains de ses aspects-clefs, d’abord à travers l’avènement du nouveau CPP91 puis par la voie d’amendements ultérieurs. Entré en vigueur le 1er septembre 1998, ce Code s’est substitué à la précédente codification marquée par une conception du droit pénal propre au modèle communiste92. Il a introduit dans ses articles 376 et 377 la possibilité de tenir une audience en l’absence de l’accusé dans deux types de circonstances : lorsque l’accusé a refusé de son plein gré d’y prendre part ou lorsque celui-ci n’a pas fourni de justification de son absence93. Cette règle devait permettre d’accélérer les procédures, notamment dans les affaires impliquant plusieurs co-accusés qui pouvaient se retrouver 90 Voir les résolutions du Comité des ministres suivantes : Com. Min., Résolution ResDH(2003)39 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) Kliniecki c. Pologne), 24 février 2003, 827e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution ResDH(2003)169 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) Pałys c. Pologne), 20 octobre 2003, 854e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution ResDH(2005)34 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) Ostrowski c. Pologne), 25 avril 2005, 922e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution ResDH(2005)35 (exécution des arrêts (règlements amiables) dans 21 affaires contre la Pologne), 25 avril 2005, 922e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution ResDH(2005)36 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) Pawlinkowska c. Pologne), 25 avril 2005, 922e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution ResDH(2005)37 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) Szymikowska et Szymikowski c. Pologne), 25 avril 2005, 922e réunion des délégués. 91 Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. - Kodeks postępowania karnego [Loi du 6 juin 1997 – Code de procédure pénale], Dz. U., 1997, n°89, texte 555, pp. 2725-2794. 92 Cf. supra, Partie I, Titre II, Chapitre I, Section I. Voir aussi Andrzej MURZYNOWSKI, « Criminal procedure », in Stanisław FRANKOWSKI, Introduction to Polish law, La Haye, Kluwer Law International, p. 381. 93 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires…), préc., annexe. 354 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » considérablement paralysées en l’absence de l’un des co-accusés. 548 - Plusieurs mécanismes procéduraux sont venus enrichir la procédure pénale polonaise après l’arrêt Trzaska lorsqu’une loi portant un ensemble d’amendements est entrée en vigueur le 1er juillet 200394. Un tiers du Code environ a été modifié par cette loi. L’extension à d’autres infractions de la compétence de la police pour diligenter des enquêtes a permis une simplification de l’instruction en particulier et des procédures en général, et ce dans les affaires impliquant plusieurs co-accusés (articles 325b et 311 § 1 du CPP). Auparavant, l’instruction de ces affaires était plus formaliste puisque menée par le procureur. La possibilité de clore une procédure pénale par un règlement amiable a été élargie (articles 335, 343 et 387), ce qui constitue une nouveauté importante. Sur le fondement d’un autre amendement de la même loi (modifiant les articles 377 § 4, 389 et 391 du CPP), la juridiction saisie en première instance a acquis la possibilité de se référer aux preuves administrées au stade de l’enquête préliminaire (dépositions des témoins, explications de l’accusé, opinion des experts, etc.) par la lecture en audience des procès-verbaux, rapports et autres documents pertinents. Il n’est donc plus obligatoire pour elle d’entendre de nouveaux témoins, l’accusé, les experts et autres personnes. La règle selon laquelle il convenait de recommencer un procès lorsqu’un délai de plus de trente-cinq jours s’était écoulé entre les audiences consécutives a été assouplie : elle n’est plus obligatoire si les parties en sont convenues ainsi (article 404 § 2 du CPP). Dans l’hypothèse où des défaillances apparaissent à l’audience, la juridiction saisie ne peut plus renvoyer l’affaire au stade de l’instruction (article 397). Enfin, le CPP modifié a permis d’entendre les témoins à distance au moyen de la vidéoconférence ou de toute autre technologie appropriée (article 177 § 1 a), d’envoyer les citations par télécopie ou courrier électronique (article 132 § 3), de notifier les motifs d’un jugement de première instance aux coaccusés qui les ont demandés (article 423 § 1 a) et d’autoriser une juridiction à rejeter les demandes d’administration de preuves visant « manifestement à prolonger le procès » (article 170 § 1, point 5)95. 549 - Une chose semble néanmoins certaine : les réformes pénales de 1995-1997 n’ont pas eu d’effet bénéfique sur la durée des procédures. Le contraire est même plutôt admis, certains 94 Ustawa z dnia 10 stycznia 2003 r. o zmianie ustawy - kodeks postępowania karnego, ustawy - Przepisy wprowadzające Kodeks postępowania karnego, ustawy o świadku koronnym oraz ustawy o ochronie informacji niejawnych [Loi du 10 janvier 2003 portant modification du Code de procédure pénale, des règles d’introduction du Code de précédure pénale, de la loi sur les témoins ainsi que de la loi sur la protection des informations classées], Dz. U., 2003, n°17, texte 155, pp. 1205-1232. 95 Toutes ces modifications ont été évoquées par le Comité des ministres dans sa résolution intérimaire de 2007 (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires…), préc., annexe). 355 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME observateurs considérant que « les acteurs de la procédure pénale étaient devenus les otages d’un modèle offrant trop de garanties à l’accusé. Grâce aux droits qui lui étaient accordés, celui-ci pouvait désormais faire durer la procédure pendant des années, ce qui en fait conduisait au non-respect du principe de délai raisonnable, exigé par les instruments internationaux […] »96. 550 - Le 16 novembre 2006 a été adoptée une loi dite « sur les tribunaux en 24 heures »97, laquelle a imposé une nouvelle procédure accélérée que le gouvernement a justifié par la nécessité de réduire la durée des procédures pénales. Sont concernées par cette loi toutes les infractions liées au hooliganisme ainsi que les infractions les moins importantes, généralement susceptibles d’une peine d’emprisonnement inférieure à cinq années, à la condition toutefois que l’auteur d’une telle infraction ait été pris en flagrant délit ou interpelé immédiatement après l’avoir commise. La procédure préliminaire est réduite à sa plus simple expression et peut même ne pas être menée du tout. Le prévenu est cependant informé de ses droits et se voit obligatoirement attacher les services d’un avocat, de son choix ou commis d’office. Un tribunal statuant à juge unique doit connaître l’affaire immédiatement. Dans l’hypothèse où il lui serait impossible de siéger sans délai, le tribunal peut ajourner l’affaire pour une procédure simplifiée (articles 468 et 484 du CPP98) et non par la procédure accélérée. La peine maximale pouvant être infligée via la procédure accélérée est de deux ans. Si une peine plus sévère est prononcée, le procureur doit prendre en charge l’affaire et ouvrir une procédure préliminaire ordinaire. Cette loi est entrée en vigueur le 12 mars 2007 mais elle a fait l’objet de maintes critiques qui soulignent que ce type de procédure est finalement la résurgence d’une autre procédure similaire existant sous le régime communiste (elle était à cette époque utilisée pour combattre l’opposition démocratique !)99. 551 - Dès 2010, le Parlement a débuté son travail sur une réforme du CPP qui ambitionnait de « surmonter les faiblesses identifiées du modèle en vigueur, et notamment son caractère trop accusatoire, sa trop grande formalité, la participation des juges dans des activités qui peu- 96 Celina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais », RSC, 2005, p. 188. 97 Ustawa z dnia 16 listopada 2006 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 16 novembre 2006 modifiant le Code pénal ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2006, n°226, texte 1648, pp. 11229-11233. 98 Ces dispositions (Partie X section 51 de la loi) ont été néanmoins abrogées par la loi du 23 septembre 2013, entrée en vigueur le 1er juillet 2015 (Ustawa z dnia 27 września 2013 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2013, texte 1247). 99 Celina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais 2006-2007 », RSC, janvier-mars 2008, p. 219. 356 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » vent être effectuées par d’autres personnes »100. Celle-ci a abouti à l’adoption de la loi du 23 septembre 2013, entrée en vigueur le 1er juillet 2015101. Rompant avec la tradition inquisitoire de la procédure polonaise, le législateur a fait le choix, avec cette réforme profonde, d’instaurer un système accusatoire dans lequel le juge est passif et le fardeau de la preuve appartient au procureur102. Le problème de la durée excessive touchant l’ensemble des procédures judiciaires, le CPC a également subi des modifications substantielles. 2) Les mesures introduites dans le Code de procédure civile 552 - Le CPC a été amendé lui aussi à diverses reprises au début des années 2000, consécutivement aux premières condamnations de la Pologne devant la CEDH (arrêts Styranowski, Podbielski, Dewicka…). L’amélioration du fonctionnement de la justice ainsi que sa promptitude étaient les objectifs de l’introduction d’une procédure de médiation et de l’accroissement des prérogatives des référendaires103. Les magistrats référendaires ont été autorisés à effectuer certains actes de procédure. Ils peuvent notamment établir un registre foncier et y porter des annotations, enregistrer les affaires, établir des ordres de paiement dans les procédures accélérées ou examiner les demandes concernant l’exonération des frais de justice. L’institution de médiation concerne toute affaire civile. Dans le cadre d’une procédure civile, les parties peuvent convenir d’une médiation en vue de chercher un règlement amiable qu’un tribunal va pouvoir certifier. L’autre avantage de la médiation pour les parties au litige est son coût : celui-ci est incitatif car nettement inférieur à celui d’une procédure judiciaire complète. 553 - En raison de l’encombrement de la Cour suprême, un amendement a été adopté le 24 mai 2000 prévoyant que les recours fussent d’abord examinés par un juge unique qui pouvait écarter toute demande manifestement infondée104. Restait à savoir si cette nouvelle procédure s’appliquait également aux pourvois formés avant le 24 mai 2000. La Cour suprême, dans sa 100 Célina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais 2012-2013 », RSC, n°2, 2013, p. 477. 101 Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois, préc. 102 Célina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais 2014-2015 », RSC, n°3, 2015, pp. 779-780. 103 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires…), préc., annexe. 104 Ustawa z dnia 24 maja 2000 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania cywilnego, ustawy o zastawie rejestrowym i rejestrze zastawów, ustawy o kosztach sądowych w sprawach cywilnych oraz ustawy o komornikach sądowych i egzekucji [Loi du 24 mai 2000 portant modification du Code de procédure civile, de la loi sur les garanties enregistrées et l’enregistrement des garanties, de loi sur les frais de justice en matière civile ainsi que de la loi sur les huissiers de justice et l’exécution], Dz. U., 2000, n°48, texte 554, pp. 2949-2960. 357 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME résolution du 17 janvier 2001, a tranché en faveur d’une application rétroactive de la loi105. À côté de ces modifications substantielles des procédures en Pologne, le gouvernement s’est intéressé à l’organisation même de la justice, notamment au nombre de ses fonctionnaires confrontés à l’explosion du volume du contentieux depuis 1989. B. Le recours aux mesures administratives structurelles au sein des juridictions 554 - Après 1989, le système judiciaire polonais s’est retrouvé affaibli, miné par un manque de moyens dont les conséquences se répercutèrent sur le corps de la justice. À Varsovie en 1995, à l’occasion d’une table ronde des ministres de la Justice des pays d’Europe centrale et orientale, la directrice adjointe des affaires juridiques du Conseil de l’Europe Marie-Odile Wiederkehr a noté que « [d]es conditions de travail insuffisantes pour la justice ont d’ailleurs souvent comme premier résultat que les juristes de valeur se tournent vers des secteurs professionnels plus attirants et, en premier lieu, le secteur privé »106. La Pologne n’échappa nullement à ce phénomène107 auquel elle devait remédier. Les mesures administratives concernant l’organisation des juridictions ont touché deux domaines principaux : celui des ressources humaines et celui des compétences des fonctionnaires de la justice. Le gouvernement, au cours des années 2000, a mis à disposition des juridictions davantage de moyens humains (1) et chargé à l’avenir ces juridictions de la surveillance des procédures judiciaires excessivement longues (2). 1) Les moyens humains au service de la justice 555 - Durant la première décennie succédant à la disparition du régime communiste, plus de 1 000 magistrats avaient été engagés en complément des 7 000 que comptait déjà la justice en 1989. En 2001, la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun a créé les fonctions d’assistant du juge et de référendaire afin de décharger les magistrats de diverses tâches administratives. À partir de 2002, le gouvernement a poursuivi le recrutement et la création de 105 CSP, n°III CZP 49/00, 17 janvier 2001. Voir CEDH, Kępa c. Pologne (déc.), n°43978/98, 30 septembre 2003. 106 Marie-Odile WIEDERKEHR, « Discours » in Le rôle du pouvoir judiciaire dans un État de droit – Actes – Varsovie (Pologne), 4 avril 1995, Éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1996, p. 15. 107 Selon l’état des lieux dressé par le ministre polonais de la Justice en 1995, « les meilleurs magistrats de la magistrature » se sont tournés vers « les professions juridiques plus rémunératrices et laissé des vides au sein du pouvoir judiciaire » (« Communication de la Pologne » in Le rôle du pouvoir judiciaire dans un État de droit…, op. cit., p. 58). 358 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » postes supplémentaires, qu’il s’agisse de juges, d’assesseurs, d’assistants administratifs ou de référendaires108. Le budget 2007 de la justice a pris en compte le recrutement au sein des juridictions de 150 juges, 820 juges assistants, 1 520 employés de bureau, 350 agents de probation et 130 référendaires. Le budget 2008 a permis de recruter encore 100 assistants de justice, 245 employés de bureau, 150 agents de probation, 200 référendaires et 20 pédagogues. En 2009 enfin, 650 assistants de justice, 400 employés de bureau et 100 référendaires sont venus compléter les effectifs du service public de la justice109. Entre 2007 et 2013, le budget annuel de la Justice a connu une augmentation permanente, évoluant de 4,2 millions PLN à près de 6 millions PLN. Sur la même période, plusieurs milliers de fonctionnaires, notamment 2 000 juges, ont été recrutés dans les cours du pays110. Enfin, les rémunérations insuffisantes des fonctionnaires de la justice constituaient un handicap pour le bon fonctionnement de l’institution et l’État a taché de remédier à ce problème en amendant le 25 novembre 2008 la loi sur le système des juridictions ordinaires. La nouvelle législation introduit notamment des hausses de salaires. 556 - L’augmentation du nombre de magistrats au sein des juridictions polonaises s’est accompagnée d’une réorganisation de l’institution. D’autres mesures ont été adoptées concernant l’organisation des services judiciaires. Les cours de justice de la capitale polonaise étaient, les premières, touchées par la lenteur problématique des procédures111. Les tribunaux de paix, juridictions de proximité compétentes pour juger les petits litiges civils et pénaux, se sont multipliés au début des années 2000. En avril 2003, ils étaient au nombre de 329 sur l’ensemble du territoire polonais112. 557 - Le ministre de la Justice a, de son côté, institué une unité spéciale au sein du ministère, unité en charge de l’évaluation de la répartition du travail de l’ensemble du personnel des ju- 108 Sur la base des estimations fournies au Comité des ministres par le gouvernement polonais en 2007, l’évolution des effectifs pour les années 2003 à 2006 souligne que de nombreux postes de magistrats ont été ouverts (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires…), préc., annexe). 109 Commiss. DH, CommDH(2009)18, Rapport intérimaire du gouvernement polonais pour le Commissaire aux droits de l’homme, 20 avril 2009, recommendation n°1. 110 Com. Min., DH-DD(2013)787 (communication de la Pologne concernant les groupes d’affaires Kudła et Podbielski), 10 juillet 2013. 111 Dans la région de Varsovie en effet, la durée moyenne des procédures pénales en première instance atteignait 28,6 mois en 2002 contre 5,4 mois (cours de district) et 6 mois (cours régionales) dans les autres régions. Dans les affaires civiles, il n’était pas rare à cette même époque que la procédure dépasse cinq années… Le 1er mai 2005, les cours de Varsovie ont par conséquent été divisées en deux cours régionales, elles-mêmes subdivisées en cours de district afin d’en accroître l’efficacité (Commiss. DH, Rapport du Commissaire aux droits de l’homme…, préc., § 5). 112 Ibidem, Annexe (Commentaires du gouvernement polonais). 359 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ridictions, des juges en particulier. Cet organe gére les ressources humaines des juridictions de droit commun et réfléchit en outre aux instruments devant permettre d’évaluer l’efficacité du travail des juges au regard du nombre d’affaires closes par ceux-ci. Il faut ajouter encore que l’État polonais a engagé en août 2002 une réforme de centralisation du système de formation du personnel responsable de l’administration de la justice en vue de « normaliser et de relever le niveau professionnel des juges et des autres employés des tribunaux dans tout le pays »113. En novembre 2002 a été créé le Centre de formation du personnel, une unité séparée du ministère de la Justice. Ses activités ont débuté en septembre 2006. La préoccupation des autorités pour le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable s’est retrouvée dans le programme de formation des juristes puisque des travaux et thèmes de discussions portant sur cette problématique ont été inclus dans les études supérieures114. En plus de cette réorganisation de la justice par ses acteurs, la Pologne a pris conscience de la vétusté des installations du service de la justice et entrepris d’améliorer les conditions de travail au sein des tribunaux. 2) L’amélioration des conditions de travail dans les tribunaux 558 - Alors que le Comité des ministres débutait sa surveillance de l’exécution des arrêts portant sur la durée des procédures, le gouvernement l’a informé des augmentations successives des budgets pour les tribunaux entre 2002 et 2006, en accord avec les dispositions incluses dans la loi de finances entrée en vigueur le 1er janvier 2002. Cette loi de finances a alloué la somme de 2 560 317 000 PLN aux juridictions de droit commun, dont 20,55 % (71 336 000 PLN) étaient affectés aux seules dépenses de fonctionnement115. Ce montant correspondait à une augmentation de 15,41 % du budget de la justice par rapport à l’année 2001. En 2003, ce même budget a encore augmenté de 24,89 %, puis de 10 % en 2004, de 12 % en 2005 et de 8 % en 2006. Le budget alloué à la justice en 2006 s’établissait par ailleurs à 4 638 462 000 PLN, soit une augmentation de 45 % depuis l’année 2002116. Cet apport financier fut doublé d’une politique de modernisation des juridictions, passant par le renouvellement des locaux et de leurs équipements. 113 Ibid., Annexe (Commentaire du gouvernement polonais). 114 Commiss. DH, Rapport intérimaire du gouvernement polonais…, préc., recommendation 3. 115 Ibid., Annexe : Commentaire du gouvernement polonais. 116 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires…), préc., annexe. 360 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 559 - La vétusté de certains tribunaux ne favorisait pas des conditions de travail optimales pour les magistrats polonais. Le ministère de la Justice a donc œuvré pour l’amélioration de la qualité des locaux accueillant l’institution judiciaire117, particulièrement dans la capitale du pays. C’est pourquoi un nouveau bâtiment a été acquis afin d’abriter la cour de district de Varsovie-Praga118. La modernisation des tribunaux et des bureaux des procureurs par une informatisation généralisée a directement contribué à en augmenter la productivité. Ce plan ambitionnait globalement d’informatiser les secrétariats des sections et d’assister le personnel des cours, en particulier les juges, dans leur mission quotidienne. Il prévoyait encore de permettre l’installation d’un matériel d’enregistrement dans les salles d’audience, d’introduire des outils de management et de logistique, de favoriser les échanges électroniques de documents et leur conservation. Le gouvernement souhaitait ainsi que se développassent l’accès à distance à l’information sur les procédures, le remplacement des méthodes traditionnelles d’enregistrement par de nouvelles technologies numériques, la présentation des preuves à travers des outils multimédias, la conservation électronique des preuves, la vidéoconférence pour permettre l’audition d’un témoin à distance, l’archivage électronique des documents des procédures, l’échange électronique de documents entre les sections internes de la justice et les personnes extérieures et enfin le dépôt de conclusions par courrier119. Les juridictions ont été dotées d’un accès aux bases de données juridiques électroniques contenant la législation européenne via la licence LEX Omega ainsi qu’aux bases de données centrales dont dispose le ministère de la Justice120. Moins nombreuses que devant le juge judiciaire, les lenteurs observées devant les juridictions ou les autorités administratives ont néanmoins mobilisé le législateur, qui a développé les moyens de contrôler les dysfonctionnements de l’administration. C. Le développement d’un contrôle de la durée des procédures administratives 560 - Confrontées dans les années 1990 aux difficultés éprouvées par l’administration à se 117 Le cas est plutôt rare, mais des procédures portées devant la CEDH ont été retardées à cause du manque de salles disponibles dans les juridictions. Voir CEDH, Olstowski c. Pologne, n°34052/96, 15 novembre 2001 ; CEDH, Wojciech Kowalski c. Pologne, n°33734/06, 13 octobre 2009 ; CEDH, Kasza c. Pologne, n°45668/06, 13 octobre 2009. 118 Commiss. DH, Rapport du Commissaire aux droits de l’homme…, préc., § 7. 119 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires contre la Pologne…), préc., annexe. 120 Commiss. DH, Rapport du Commissaire aux droits de l’homme…, Annexe : Commentaires du gouvernement polonais. 361 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME réorganiser (réformes terrioriales, développement de la justice administrative), les autorités polonaises ont octroyé aux nouvelles cours administatives régionales des prérogatives en matière de contrôle des procédures121. Ces dernières produisent un rapport annuel destiné à améliorer l’efficacité des procédures et épuiser l’arriéré des affaires pendantes et surveillent les affaires dans lesquelles les parties se sont plaintes de la durée des procédures. À cela s’ajoute la voie de recours introduite par la loi du 30 août 2002 sur la procédure administrative122 permet à l’administré de se plaindre des retards de toute autorité administrative chargée de rendre une décision. La cour administrative saisie statue sur la légalité du comportement de l’administration, peut ordonner à l’autorité concernée de délivrer une décision dans un délai donné et peut lui infliger une amende (article 154 de la loi). Ces remèdes à la durée des procédures administratives furent instaurés quelques mois avant que la Pologne n’essuyât ses premières condamnations devant la CEDH. 561 - Par la suite, d’autres solutions ont été recherchées pour améliorer le dispositif123. La loi sur les procédures administratives a été amendée en 2015. L’article 154 § 1 de la loi dispose désormais qu’en cas d’inexécution d’un arrêt portant sur l’inactivité ou la lenteur excessive d’une autorité administrative, l’intéressé peut, après avoir demandé par écrit à cette autorité de procéder à l’exécution du jugement, introduire un recours pour que le juge administratif impose une amende124. Une loi du 3 décembre 2010 a introduit à l’article 37 du CPA la possibilité d’un recours hiérarchique si une décision n’a pas été rendue par l’autorité administrative compétente dans les délais prévus. Ceci peut conduire à la mise en cause de la responsabilité de l’administration pour ses carences. Or, en la matière, la loi du 20 janvier 2011 a introduit un droit de compensation auprès du Trésor public ou des pouvoirs locaux pour le dommage causé à l’administré par l’action ou l’inaction d’un fonctionnaire125. 121 Rozporządzenie Prezydenta Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 18 września 2003 r. w sprawie szczegółowego trybu wykonywania nadzoru nad działalnością administracyjną wojewódzkich sądów administracyjnych [Règlement du Président de la République de Pologne du 18 septembre 2003 sur la procédure détaillée de contrôle des services de l’administration par les cours administratives régionales], Dz. U., 2003, n°169, texte 1645, pp. 11593-11596. 122 Ustawa z dnia 30 sierpnia 2002 r. Prawo o postępowaniu przed sądami administracyjnymi [Loi du 30 aout 2002 – Loi sur la procédure devant les cours administratives], Dz. U., 2002, n°153, texte 1270, pp. 9871-9897. 123 La loi du 17 juin 2004 introduisant un recours contre la durée des procédures juridictionnelles (cf. infra, paragraphes 574 et suivants) s’applique aussi aux procédures administratives. Le nombre de requêtes annuelles introduites sur le fondement de cette loi contre les lenteurs de la justice administrative est faible. 124 Ustawa z dnia 9 kwietnia 2015 r. o zmianie ustawy – Prawo o postępowaniu przed sądami administracyjnymi [Loi du 9 avril 2015 modifiant la loi sur la procédure devant les cours administratives], Dz. U., 2015, n°658. Cet amendement est entré en vigueur le 15 août 2015. 125 Ustawa z dnia 20 stycznia 2011 r. o odpowiedzialności majątkowej funkcjonariuszy publicznych za rażące naruszenie prawa [Loi du 20 janvier 2011 sur la responsabilité des fonctionnaires pour violation grave de la loi], 362 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 562 - Puisque la question des délais pour obtenir une décision définitive portant sur un permis de construire s’est posée jusque devant la CEDH, les bureaux de surveillance des constructions, implantés dans chaque région, bénéficient depuis le 1er février 2007 d’un registre électronique centralisant toutes les demandes de permis de construire et les décisions y afférant. Il permet d’excercer un contrôle sur l’avancement de chacune des procédures concernées grâce aux calculs de données statistiques126. 563 - Dans le document qu’elles ont transmis au Comité des ministres au début de l’année 2015, les autorités polonaises ont complété la synthèse des mesures adoptées par un ensemble de tableaux et graphiques statistiques sur la durée des procédures administratives et le nombre de plaintes introduites en raison de délais excessifs. Si le volume des recours est resté plutôt stable entre 2004 et 2012, la justice administrative semble travailler avec davantage d’efficacité et traite bien plus rapidement les recours portés contre l’administration. Dès l’année 2005, les juridictions administratives régionales sont parvenues à réduire leur arriéré et, depuis lors, la très grande majorité des requêtes sont traitées dans l’année. Tel n’est pas le cas de la Cour administrative suprême, menacée d’engorgement127. De la gravité et de la permanence du phénomène de durée excessive des procédures judiciaires en Pologne a émergé une problématique nouvelle : l’absence d’un recours effectif à l’échelle interne pour contester précisément ces délais anormaux. La Pologne a été principalement condamnée sur le fondement de l’article 13 de la Conv. EDH dans des affaires où fut conjointement soulevée une violation de l’article 6 § 1. § 3. L’INSTAURATION D’UNE VOIE DE RECOURS CONTRE LES DÉLAIS EXCESSIFS DE PROCÉDURE Avec l’arrêt Kudła, la Pologne a été sanctionnée par la CEDH pour ne pas avoir prévu, dans son système judiciaire, de procédure qui permît aux individus de se plaindre de la durée des procédures internes et d’obtenir réparation lorsque l’exigence de célérité de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH est méconnue (A). Cette voie de recours, introduite en 2004 et censée perDz. U., 2011, n°34, texte 173, pp. 2578-2582. 126 Sur les trois années 2010, 2011 et 2012, les statistiques établies montrent que le nombre de recours contre la durée excessive des procédures portant sur des constructions est globalement en baisse (Com. Min., Document DH-DD(2015)493 (plan d’action des autorités polonaises pour le groupe d’affaires Fuchs), 7 mai 2015). 127 Ibidem. 363 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME mettre de régler à l’échelle nationale la question de la durée des procédures, n’a pas empêché d’autres condamnations devant la CEDH (B). A. L’absence d’un recours effectif permettant de contester la longueur d’une procédure judiciaire 564 - L’affaire Mikulski, conclue par un règlement amiable devant la grande chambre128, souleva devant la CEDH le problème de l’absence d’une voie de recours auprès des autorités nationales pour la durée d’une procédure judiciaire. Mais c’est à la Com. EDH qu’il revenait, la première, d’avoir signifié à la Pologne que les dispositions de l’article 13 de la Conv. EDH impliquaient que l’État assurât à ses justiciables une voie de recours pour contester les procédures anormalement longues129. L’arrêt Kudła rendu en 2000 constitua, pour le juge européen, l’opportunité d’opérer un revirement de sa jurisprudence en acceptant de statuer sur l’article 13 de la Conv. EDH après avoir admis une violation de l’article 6 § 1. Si cet arrêt a été prononcé près de quatre ans avant Broniowski c. Pologne130, tant les circonstances en cause (des violations sytémiques de la Convention) et le suivi de son exécution évoquent avant l’heure la procédure de l’arrêt pilote131. Statuant sur la requête d’un citoyen polonais impliqué dans une procédure pénale longue de neuf ans (1) la CEDH a consacré dans son arrêt du 26 octobre 2000 l’exigence d’une voie de recours interne pour contester les violations l’article 6 de la Convention (2). 1) Les faits à l’origine de l’affaire 565 - Inculpé d’escroquerie et de faux le 8 août 1991, Andrzej Kudła a été placé en détention 128 CEDH, Mikulski c. Pologne (règlement amiable) [GC], préc. 129 Com. EDH, Pietrzyk c. Pologne (déc.), n°28346/95, 14 janvier 1998 (« En outre, c'est à l'Etat qui excipe du non-épuisement des voies de recours internes qu'il appartient d'établir l'existence de recours efficaces et suffisants » ; Com. EDH, Mikulski c. Pologne, n°27914/95, 10 décembre 1999, §§ 94-96 et § 100 (« Il est hautement souhaitable que les États sentent leur responsabilité de créer des recours effectifs qui assurent que l’obligation de rendre la justice dans un délai raisonnable est respectée sans que soit nécessaire d’engager un recours fondé sur la Convention. L’application de l’article 13 à cet égard pourrait donc être d’une importance pratique considérable en donnant effet, à l’échelon interne, à l’une des garanties procédurales fondamentales de l’article 6 »). 130 Cf. Partie I, Titre I, Chapitre I, Section I. 131 C’est l’opinion du professeur Sermet, pour qui l’arrêt Kudła affirme une nouvelle position de la Cour annonçant la procédure d’arrêt pilote (Laurent SERMET, « Adaptation des institutions et des législations nationales à la Convention européenne des droits de l’homme », Annuaire de droit européen – Volume I, 2003, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 317-358). D’ailleurs, en septembre 2004, le greffe de la Cour a déclaré que l’examen de quatre arrêts dans la lignée de l’affaire Kudła avait été classé prioritaire tandis que l’examen de 700 requêtes similaires était ajourné en attendant que la nouvelle législation polonaise produise ses premiers effets (voir Peggy DUCOULOMBIER, « L’arrêt Broniowski c. Pologne…, préc., p. 18). 364 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » malgré les pathologies dont il souffrait et qu’il avait signalées au procureur régional de Cracovie, en charge de son dossier. Dès les premiers mois de son incarcération, Il introduisit sans succès une trentaine de demandes de remise en liberté, toutes rejetées, arguant de son état dépressif. Les experts médicaux de l’Université Jagellonne n’ayant toutefois pas jugé incompatible son état avec le régime de la détention provisoire, la mesure préventive avait été maintenue à son encontre. Ce n’est que le 30 avril 1992 qu’un acte d’accusation fut déposé devant la cour régionale de Cracovie, comportant vingt-neuf charges contre M. Kudła et ses coaccusés. L’erreur des autorités judiciaires, commise dès ce stade de la procédure fut de mener une instruction commune entre l’affaire intéressant M. Kudła et un certain nombre d’autres affaires connexes dans lesquelles étaient soupçonnés d’être impliqués ses co-accusés. Le dossier comportait au total 19 volumes et la cour était invitée par l’accusation à recevoir les dépositions de quelques 98 témoins… Plusieurs audiences se tinrent en octobre et décembre 1992 et en décembre 1993 quand d’autres furent annulées pour des raisons diverses (absence des parties ou d’un juge, tentative suicide de M. Kudła…). À l’occasion d’un recours auprès de la cour d’appel régionale de Cracovie le 25 février 1995 contre la prolongation de la détention provisoire de son client, l’avocat de M. Kudła se plaignit de la longueur de la procédure. Son recours fut rejeté. 566 - Le jugement de première instance fut finalement rendu par la cour régionale de Cracovie le 1er juin 1995. M. Kudła fut déclaré coupable de faux et d’escroquerie et condamné à six ans d’emprisonnement, assortis d’une amende. Il déclara son intention d’interjeter appel dès le lendemain mais ne reçut pas les motifs du jugement. Quelques semaines plus tard, il se plaignit au ministère de la Justice de la longueur excessive de la procédure et des manquements dont s’était rendue responsable la cour régionale, laquelle n’avait pas publié les motifs de son jugement dans le délai légal de sept jours. Les services du ministère lui répondirent le 28 août 1995 que la longueur du document et le congé du juge rapporteur expliquaient que le délai légal eût été dépassé. Les motifs du jugement ne lui furent communiqués que le 2 octobre 1995 et M. Kudła a interjeté appel consécutivement. Le 22 février 1996, la cour d’appel a accueilli le recours du requérant et annulé le jugement de première instance, au motif que la juridiction inférieure avait siégé dans une mauvaise composition et avait en outre violé plusieurs dispositions procédurales. 567 - La cour régionale de Cracovie, saisie à nouveau du dossier, a rendu une ordonnance de disjonction en avril 1996, séparant l’affaire de M. Kudła de celles qui intéressaient exclusivement ses co-accusés. L’ouverture du procès, initialement prévue le 10 octobre 1996, dut 365 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME être reportée car l’un des co-accusés venait d’être placé en détention pour d’autres faits délictueux. Ajournées, les premières audiences ne se sont tenues qu’à partir du mois d’octobre 1997. Dans un arrêt du 4 décembre 1998 : la cour régionale condamna à nouveau l’accusé à six ans de prison ferme. M. Kudła interjeta appel le 19 avril 1998 et la cour d’appel de Cracovie rendit un arrêt de réformation le 27 octobre 1999, réduisant la condamnation à cinq ans d’emprisonnement. M. Kudła décida de se pourvoir en cassation et sa requête fut transmise à la cour suprême le 24 février 2000132. 568 - Andrzej Kudła avait saisi la Com. EDH d’une requête individuelle dès le 12 avril 1995. Il se plaignait à la fois de la longueur excessive de la procédure pénale à laquelle il était partie, de l’impossibilité pour lui de contester la lenteur de la justice et d’un maintien en détention provisoire, long et inadapté à son état de santé mentale. En vertu de l’entrée en vigueur du protocole n°11133, la Com. EDH a transmis la requête à la CEDH le 31 octobre 1999. Lorsque la CEDH s’est prononcée le 26 octobre 2000, l’affaire était toujours pendante devant la Cour suprême polonaise. La Cour de Strasbourg a prononcé pour la première fois la condamnation d’un État pour la violation cumulée des articles 6 § 1 et 13 de la Conv. EDH. 2) La violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention retenue par la Cour 569 - Statuant sur le grief de violation de l’article 6 § 1, en raison de la longueur excessive de la procédure pénale reprochée par le requérant, le juge européen a pris en considération la période de sept ans et cinq mois entre le 1er mai 1993 et octobre 2000. Le requérant soutenait que la mauvaise organisation du procès dont s’étaient rendues responsables les autorités judiciaires polonaises constituait la cause directe d’une telle durée procédurale. Le gouvernement estimait pour sa part que le propre comportement du requérant, notamment la tentative de soustraction à la justice qui lui fut imputée en 1993, et la complexité du dossier expliquaient l’allongement anormal de la procédure, nonobstant la diligence de la justice134. Si la CEDH a bien admis que l’affaire était complexe et que le requérant était responsable de l’ajournement 132 CEDH, Kudła c. Pologne [GC], préc., §§ 10-57. 133 L’article 5 du texte prévoit le transfert à la CEDH des requêtes pendantes devant la Com. EDH qui n’ont pas fait l’objet d’une décision de recevabilité à l’entrée en vigueur du Protocole (§ 2) et de toutes les requêtes dont l’examen n’est pas achevé par la Com. EDH un an après l’entrée en vigueur du Protocole (§2) (Protocole n°11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la Convention, STCE n°55, Strasbourg, 11 mai 1994). 134 Ibidem, §§ 124-129. 366 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » du procès entre mars et octobre 1993, elle a considéré que la relative complexité du dossier ne pouvait, seule, justifier plus de sept années de procédure alors même que le requérant n’avait pas agi ultérieurement contre le bon déroulement de la procédure ni mis en place de stratégie dilatoire. Pour la CEDH, il incombait aux juridictions polonaises de statuer rapidement sur cette affaire dans la mesure où l’accusé était placé en détention provisoire. La Cour a, enfin, estimé que la Pologne n’était pas en mesure de justifier de manière satisfaisante la période d’inertie d’un an et huit mois écoulée entre l’annulation prononcée par la cour d’appel de Cracovie le 22 février 1996 et le début du nouveau procès, ouvert en octobre 1997. 570 - La Pologne se voyait parallèlement reprocher la violation de l’article 13 de la Conv. EDH. Le requérant excipait de l’inexistence en droit interne d’une voie de recours effective lui permettant de contester la durée excessive de la procédure à laquelle il était partie et d’ainsi engager la responsabilité des autorités responsables de cet état de fait. Or la jurisprudence ayant cours jusqu’à l’arrêt Kudła conditionnait l’examen d’un grief de violation de l’article 13 de la Conv. EDH au rejet préalable d’une violation de l’article 6. Le corollaire de cette logique consistait pour la Cour à ne pas statuer sur une violation de l’article 13 de la Conv. EDH lorsqu’elle avait pour la même affaire reconnu une violation de l’article 6, cette dernière « absorbant » en quelque sorte la protection plus générale découlant de l’article 13135. C’est d’ailleurs sur cette jurisprudence établie que le gouvernement a assis sa défense dans l’affaire Kudła. Mais la CEDH a rompu avec cette ligne jurisprudentielle en distinguant le cas particulier des violations de l’article 6 § 1 pour des motifs de durée excessive de procédure. En l’occurrence, il n’y aurait « pas superposition, et donc pas absorption, lorsque, comme en l’espèce le grief fondé sur la Convention que l’individu souhaite porter devant une ‘‘instance nationale’’ est celui tiré d’une méconnaissance du droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 ». Et la Cour d’ajouter immédiatement que « [l]a question de savoir si le requérant dans une affaire donnée a pu faire statuer dans un délai raisonnable sur une contestation relative à des droits ou obligations de caractère civil ou sur une accusation en matière pénale est juridiquement distincte de celle de savoir s’il disposait, en droit interne, d’un recours effectif pour se plaindre à cet égard »136. 135 Telle était la jurisprudence développée les années précédentes. Voir CEDH, Kamasinski c. Autriche, n°9783/82, 19 décembre 1989, série A n°168 ; CEDH, Kadubec c. Slovaquie, n°27061/95, n°27061/952 septembre 1998, Rec. 1998-IV, § 64. Cette jurisprudence « faisait de l’article 6 une lex specialis par rapport à l’article 13 » selon l’universitaire polonais Jakub CZEPEK, « Prawo do słusznego procesu w sprawach polskich… », préc., p. 53. 136 CEDH, Kudła c. Pologne [GC], préc., § 147. 367 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 571 - Quand bien même elle avait exprimé par le passé l’absence de nécessité d’examiner le grief de violation de l’article 13 après avoir santionné une procédure judiciaire trop longue137, la CEDH a abandonné explicitement cette jurisprudence, estimant désormais que « l’interprétation correcte de l’article 13 est que cette disposition garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable »138. Elle a justifié dès lors que pût être prononcée la violation conjointe des deux articles mentionnés. En l’espèce, la CEDH a jugé qu’il n’existait pas de voie de recours spécifique en droit polonais mais que cette particularité n’était pas compensée a priori par d’autres possibilités à disposition du requérant. Le gouvernement affirmait que le requérant avait la possibilité soit de se plaindre de la durée de la procédure à l’occasion de l’un de ses recours contre les décisions affectant sa détention provisoire (ce qu’il tenta effectivement sans succès), soit d’en faire part à la juridiction compétente ou au ministre de la Justice en vue d’obtenir un contrôle administratif de son dossier. Néanmoins, puisque le gouvernement n’avait pas précisé dans quelle mesure le requérant aurait pu obtenir satisfaction ni produit des exemples permettant de démontrer l’effectivité de ces hypothétiques moyens de recours dans la pratique, la CEDH a retenu en l’espèce la violation par la Pologne de l’article 13 de la Conv. EDH139. 572 - La Cour de Strasbourg, en examinant pour la première fois une affaire sous l’angle de l’article 14 de la Conv. EDH alors même qu’elle avait reconnu la violation de l’article 6 § 1 au titre de la durée excessive de la procédure en cause140 opère un revirement de jurisprudence que la doctrine a pu abondamment commenter, le qualifiant d’« important »141 voire 137 Voir CEDH, Pizzetti c. Italie, n°12444/86, 26 février 1993, série A 257-C, § 21 ; CEDH, Bouilly c. France, n°38952/97, 7 décembre 1999, § 27. 138 CEDH, Kudła c. Pologne [GC], préc., § 156. 139 Ibidem, § 159. 140 Avant l’arrêt Kudła, lorsque l’État défendeur était condamné au titre de la durée excessive de la procédure (article 6 § 1), la CEDH ne jugeait pas nécessaire de confronter le même grief aux exigences du droit au recours effectif (article 13) (Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, « Délai raisonnable du procès, recours effectif ou déni de justice ?... », préc., p. 86). La CEDH est donc revenue sur la théorie dite de l’absorption (dans la mesure où les garanties offertes par les articles 6 § 1 et 13 ne pouvaient être considérées comme équivalentes) et les rapports entre ces articles sont dorénavant « abordés dans une perspective de synergie » (Jean-François FLAUSS, « Le droit à un recours effectif au secours de la règle du délai raisonnable : un revirement de jurisprudence historique », RTDH, n°49, 2002, p. 182). 141 Frédéric SUDRE (et al.), Les Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 7e édition, Paris, PUF, 2015, coll. « Thémis Droit », p. 461. Les auteurs de cet ouvrage estiment par ailleurs que le revirement « n’était pas brutal » car déjà annoncé par une jurisprudence antérieure combinant la violation de l’article 13 à plusieurs autres articles de la Convention, notamment les articles 3, 8, 9 et 10, de manière à favoriser « une large normalisation du droit à un recours effectif sans pour autant mettre fin à son caractère intrinsèquement accessoire. » (pp. 399-400). 368 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » d’« historique »142. Ce revirement jurisprudentiel de la CEDH n’était pas unanime cependant : une opinion dissidente a été rédigée par le juge andorran Josep Casadevall, concentrée sur les motifs et les conséquences techniques et juridiques de l’exigence nouvelle d’un recours interne effectif contre la durée excessive des procédures143, non sur son application aux faits de l’espèce. Pour l’universitaire Katia Lucas, le revirement était avant tout motivé par la crainte d’un afflux massif de requêtes relatives à la durée des procédures144. 573 - La jurisprudence Kudła – cette double-condamnation au visa des articles 6 § 1 et 13 – a été réitérée dans plusieurs arrêts rendus contre la Pologne entre 2003 et 2006145. La CEDH a ainsi accentué la pression sur les autorités sommées d’adopter au plus vite les mesures générales exigées. En rendant l’arrêt Kudła, la CEDH a invité sans ambages l’État polonais à mettre en place un recours effectif permettant aux justiciables de se plaindre de la durée excessive des procédures judiciaires et d’obtenir une indemnisation. B. L’adoption de la loi du 17 juin 2004 introduisant un recours contre la durée excessive des procédures 574 - Le recours effectif imposé par l’arrêt Kudła pouvait apparaître comme le « remède miracle »146 contre la durée excessive des procès. La préparation du projet nécessita près de 142 Voir not. Jean-François FLAUSS, « Le droit à un recours effectif au secours de la règle du délai raisonnable… », préc., pp. 169-201. 143 Le juge Casadevall considère en l’occurrence que le revirement se fonde sur des raisons d’opportunité, non sur des considérations juridiques. 144 « Le revirement opéré à l’occasion de l’affaire Kudła c. Pologne est exemplaire d’un scare reasoning. La Cour, qui avait jusqu’alors considéré inopportun de se prononcer sur le terrain de l’article 13 après avoir constaté une violation de l’article 6, §1 pour non-respect du droit à voir sa cause traitée ad intra dans un délai raisonnable, justifie que le temps est venu de revoir cette position jurisprudentielle par ‘‘l’introduction devant elle d’un nombre toujours plus important de requêtes dans lesquelles se trouve exclusivement ou principalement allégué un manquement à l’obligation d’entendre les causes dans un délai raisonnable au sens de l’article 6, § 1’’ » (Katia LUCAS, « La pratique contemporaine du changement de cap jurisprudentiel par la cour européenne des droits de l’homme », in Eric CARPANO (dir.), Le revirement de jurisprudence en droit européen, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 301). Cette opinion est partagée par le professeur Wachsmann, pour qui « [l]a découverte tardive par la Cour des vertus de l’article 13 est incontestablement liée à la recherche de moyens permettant de désencombrer son rôle » (Patrick WACHSMANN, « Entre deux lacs – Quelques réflexions sur la conférence d’Interlaken sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, n°83, 2010, p. 517), et par le professeur Turpin qui perçoit dans l’arrêt Kudła la volonté de la CEDH de nationaliser le contentieux de la durée des procédures (Dominique TURPIN, Libertés publiques et Droits fondamentaux, Paris, Seuil, 2004, p. 81). 145 CEDH, D. M. c. Pologne, préc. ; CEDH, Cegielski c. Pologne, n°71892/01, 21 octobre 2003 ; Łobarzewski c. Pologne, n°77757/01, 25 novembre 2003 ; CEDH, Lisławska c. Pologne, n°37761/97, 13 juillet 2004 ; CEDH, Zynger c. Pologne, n°66096/01, 13 juillet 2004 ; CEDH, Lizut-Skwarek c. Pologne, n°71625/01, 5 octobre 2004 ; CEDH, Chyb c. Pologne, n°20838/02, 22 août 2006 ; CEDH, Stasiów c. Pologne, n°6880/02, 12 décembre 2006. 146 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, « Délai raisonnable du procès, recours effectif ou déni de justice ?... », préc., p. 369 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME quatre années de réflexion aux autorités polonaises. Le recours finalement instauré par la loi du 17 juin 2004 est une procédure entièrement nouvelle147. La loi de 2004 permet désormais de contester la lenteur du système judiciaire voire d’accélérer des instances en cours (1). Après avoir marqué un temps d’arrêt à la suite de cette réforme, les condamnations devant la CEDH ont toutefois repris, soulignant l’insuffisance des mesures adoptées (2). 1) L’adoption et les apports de la loi du 17 juin 2004 sur les recours contre les violations du droit à un procès dans un délai raisonnable 575 - Les discussions sur l’instauration d’une voie de recours effective en vue de contester la durée excessive de procédures judiciaires ont débuté immédiatement après que la CEDH a rendu l’arrêt Kudła. Un groupe de travail composé de représentants des ministères de la Justice et des Affaires étrangères a été mis en place au sein du ministère de la Justice et, par ailleurs, le Défenseur des droits civiques a demandé au gouvernement de le tenir informé des mesures législatives envisagées148. Une première version du futur projet de loi a vu le jour en 2001 ; celle-ci prévoyait « que certaines parties [aux] procédures pénales et civiles auraient la possibilité de déposer une plainte en alléguant des délais indus de la procédure auprès d’une cour d’appel compétente, ou de la Cour suprême si le retard était imputable à la cour d’appel ou à la Cour suprême elle-même »149. Ce projet initial de 2001 envisageait également un recours similaire pour les procédures de nature administrative : la Cour administrative suprême aurait été la juridiction compétente pour constater la durée excessive d’une procédure mise en cause150. La possibilité devait également être accordée à un requérant d’obtenir une juste compensation du préjudice subi en raison des retards de la justice. Mais cet avant-projet a essuyé de nombreuses critiques et n’a jamais été examiné par le Parlement. Le fait 86. 147 Adam Bodnar a même estimé que cette voie de recours était devenue un modèle pour les autres États du Conseil de l’Europe (Adam BODNAR, « Recent Polish ECtHR judgments: fewer systemic problems – more finetuning », EHRAC Bulletin, n°14, hiver 2010, p. 10). 148 Com. Min., Document CM/Inf(2003)42, Mémorandum sur la mise en œuvre du droit à un recours effectif en Pologne concernant en particulier les violations de l’exigence du « délai raisonnable » de l’article 6-1 de la Convention, 8 octobre 2003, § 49. 149 Ibidem, § 54. 150 Depuis la loi du 11 mai 1995 relative à la Cour administrative suprême, existait déjà en Pologne la possibilité de déposer une plainte contre l’inaction des organes dans les procédures administratives (Ustawa z dnia 11 maja 1995 r. o Naczelnym Sądzie Administracyjnym [Loi du 11 mai 1995 sur la Cour administrative suprême], Dz. U., 1995, n°74, texte 368, pp. 2045-2051). 370 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » « d’imposer un fardeau supplémentaire aux tribunaux et de désorganiser leurs activités au lieu de réduire la durée des procédures »151 a fait douter de sa conformité avec la Constitution, au point que le ministre de la Justice a finalement décidé de confier l’initiative de la réforme à la Commission de codification du droit civil, dépendant de son ministère. 576 - Statuant sur plusieurs dispositions du CC, le Tribunal constitutionnel152 a influencé directement le futur recours contre la durée des procédures excessives en intervenant sur le volet indemnisation. Le Tribunal a, d’abord, interprété l’article 417 du CC comme autorisant les juridictions internes à constater une violation de cet article en cas de dommages causés par une autorité publique dans l’exercice de ses fonctions, incluant dans la notion « d’autorité » les juridictions. La responsabilité de l’autorité concernée – même sans faute de l’un des agents – est engagée et, dès lors, la victime doit bénéficier d’une compensation pour le préjudice subi. Dans cette même décision, les juges ont déclaré inconstitutionnel l’article 418 du CC, regardé comme non-compatible avec l’article 77-1 de la Constitution de 1997153 en ce qu’il ne permettait pas, dans les faits, d’engager la responsabilité des agents des organes juridictionnels dont les décisions lèsent les individus. Cette jurisprudence avait en effet ses limites : si elle offrait concrètement aux personnes physiques la possibilité de réclamer des dommages-intérêts en raison de la lenteur d’une procédure et de la durée d’une détention, elle ne semblait pas suffire pour que la Pologne se conforme aux exigences de la CEDH car elle n’affectait que les procédures déjà terminées. Elle ne permettait pas davantage de réclamer l’accélération des procédures pendantes154. Dans le contexte post-Kudła, ce jugement constitue un apport non négligeable, d’autant plus que la Commission de codification du droit civil avait déjà entamé un travail de rédaction d’un projet d’amendement du CC permettant d’obtenir une compensation pour une procédure civile trop longue. 577 - Saisie après l’échec du premier projet, la Commission de codification du droit civil a orienté ses recherches autour de trois concepts. Le premier reposait sur l’introduction d’une plainte auprès d’une juridiction supérieure pour longueur excessive d’une procédure en cours. Si la plainte est jugée recevable, alors cette juridiction peut déterminer le bien-fondé de celleci et, en cas de procédure trop longue, accorder une indemnisation. Le second concept étudié 151 Commiss. DH, Rapport du Commissaire aux Droits de l’Homme…, préc., annexe : commentaires du gouvernement polonais. 152 TCP, n°SK 18/00, 4 décembre 2001, OTK ZU, 2001, n°8, texte 256. 153 Lequel dispose : « Chacun a droit à réparation du dommage qu’il a subi à la suite de l’action illégale de l’autorité de puissance publique ». 154 Commiss. DH, Rapport du Commissaire aux Droits de l’Homme…, préc., § 9. 371 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME était inspiré du Pinto italien155 : la partie se plaignant de la longueur excessive d’une procédure pourrait saisir une juridiction supérieure afin d’exiger une indemnisation et la preuve de la longueur de la procédure constituerait une prémisse de la reconnaissance d’un droit à obtenir une indemnisation. Enfin, le dernier modèle envisageable était celui de la plainte constitutionnelle pour longueur excessive de la procédure judiciaire : un jugement favorable du Tribunal constitutionnel ouvrirait alors la voie à une indemnisation par un tribunal ordinaire156. 578 - C’est en définitive le second modèle qui a emporté la préférence des membres de la Commission de codification du droit civil. À l’été 2003, la Pologne a transmis au Comité des ministres du Conseil de l’Europe dix-huit articles du nouveau projet de loi. Cet avant-projet s’inscrivit sans ambigüité dans une optique de réception de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg puisqu’il reprit dans son article 2 § 2 la notion de « délai raisonnable »157. La Pologne s’est inspirée des solutions existant en Autriche et surtout en Italie pour créer, en considération des particularités de son propre système juridique, ce qui pourrait être appelé le « pinto polonais ». Toutefois, le recours élaboré se démarque de sa source d’inspiration principale puisque la Pologne a fait le choix d’une procédure de nature accessoire (ou supplétive), non autonome comme en Italie158. 579 - Plusieurs grandes institutions de l’État polonais (Défenseur des droits civiques, Tribunal constitutionnel, Cour suprême et Cour administrative suprême, Association des barreaux polonais, Conseil national des conseillers juridiques et Conseil national des auxiliaires de justice) ont été invitées à se prononcer sur ce projet de loi, puis la Commission législative a formulé un avis sur ce dernier le 30 juillet 2003 avant sa soumission au Parlement. La Pologne espérait que le texte pourrait être adopté avant la fin de l’année 2003159 mais ce n’est finale- 155 En Italie, le recours appelé Pinto a été introduit par une loi du 24 avril 2001 (Joël ANDRIANTSIMBAZOVI« Délai raisonnable du procès, recours effectif ou déni de justice ?... », préc., p. 87) ; l’une des parties à la procédure peut saisir une cour d’appel et demander une satisfaction équitable en raison de délais excessifs, pour une procédure pendante ou achevée (depuis six mois au plus). Toutefois, le recours Pinto ne permet qu’une solution indemnitaire sans donner le pouvoir au juge de prendre des mesures pour accélérer les procédures. Ce recours a souffert lui-même de lenteurs procédurales, de l’insuffisance des indemnités octroyées et de leur versement trop tardif, comme a pu en juger la CEDH elle-même (CEDH, Simaldone c. Italie, n°22644/03, 31 mars 2009). Autrement dit, la loi Pinto fut un échec et Jean-Paul Costa a fait état de la responsabilité de certains lobbys, dont celui des avocats (Henri OBERDORFF, « Entretien avec Jean-Paul Costa », RDP, n°2, 2012, p. 272). NA, 156 Ibidem, annexe : Commentaires du gouvernement polonais. 157 En Autriche, une loi de 1989 a instauré une possibilité de déposer une plainte auprès de la cour d’appel compétente ; s’il est avéré que la procédure pendante est excessivement longue, la cour d’appel peut inviter le tribunal en charge de l’affaire à statuer dans un délai imparti. 158 Com. Min., Document CM/Inf(2003)42, Mémorandum sur la mise en œuvre du droit à un recours effectif en Pologne…, préc., § 67. 159 Ibidem, § 74. 372 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » ment que quelques mois plus tard, le 17 juin 2004, que les parlementaires ont voté les dispositions permettant la création de ce nouveau recours160 et, conjointement, ont adopté une loi amendant le CC161. 580 - La Diète a adopté le 17 juin 2004 les deux lois permettant de répondre aux exigences de la CEDH exprimées dans l’arrêt Kudła. La première loi, dite « loi sur les recours contre les violations du droit à un procès équitable », introduisit la voie de recours proprement dite et la seconde loi permit l’obtention d’une compensation en raison de la durée excessive de toute procédure civile. Cette dernière amenda les dispositions préexistantes du CC portant sur l’engagement de la responsabilité du Trésor public pour les actions et omissions de l’administration. Ces textes ont été publiés au Journal des Lois et sont entrées en vigueur respectivement les 17 septembre et 1er septembre 2004. 581 - La loi du 17 juin 2004 relative au nouveau recours comprend dix-neuf articles. Elle a instauré la possibilité pour toute partie impliquée dans une procédure judiciaire (civile comme pénale) toujours pendante de déposer une requête afin que soit constatée la durée excessive de cette procédure. La juridiction compétente est la juridiction supérieure à celle devant laquelle la procédure contestée est pendante (article 4 § 1). Dans l’hypothèse où des retards excessifs sont avérés, la juridiction qui en a fait le constat peut recommander à la cour concernée de prendre des mesures afin d’accélérer le déroulement de la procédure (article 10 § 3). Ces mesures peuvent aller de la supervision de la procédure prise en charge par le président de la juridiction supérieure à l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre un juge estimé responsable de l’allongement anormal d’une procédure. 582 - La procédure a produit des effets rétroactifs pour les justiciables auteurs d’une requête pendante devant la CEDH, à condition qu’elle n’eût pas fait l’objet d’une décision de recevabilité (article 18). Néanmoins, la faculté rétroactive de la loi a été enfermée dans un délai restreint, avec pour date-limite le 17 mars 2005. Au-delà de ce terme, les tribunaux polonais n’avaient plus la possibilité d’accepter le recours d’un individu auteur d’une requête devant la Cour de Strasbourg162. 160 Ustawa z dnia 17 czerwca 2004 r. o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki [Loi du 17 juin 2004 sur le recours concernant la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable], Dz. U., 2004, n°179, texte 1843, pp. 12492-12494. 161 Ustawa z dnia 17 czerwca 2004 r. o zmianie ustawy - Kodeks cywilny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 17 juin 2004 portant modification du Code civil ainsi que de certaines autres lois], Dz. U., n°162, texte 1692, pp. 11409-11410. 162 Com. Min., Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires contre la 373 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 583 - L’autre mesure que peut décider la juridiction qui accueille favorablement un recours contestant la durée d’une procédure est l’octroi au requérant d’une indemnisation163. Cependant, l’article 12 § 4 de la loi du 17 juin 2004 encadre le montant de celle-ci entre 1 000 PLN et 10 000 PLN164. Cette possibilité introduite par la loi créant le recours est à distinguer des amendements au CC qui portaient, eux, sur une compensation additionnelle que peuvent octroyer les juridictions civiles dans le cadre d’une procédure distincte, conformément aux règles générales de la responsabilité de l’État (articles 417 et suivants du CC). Outre qu’il ne concerne que les procédures civiles, ce recours en compensation spécifique se distingue encore du recours général précédemment détaillé par la possibilité d’obtenir une indemnisation pour une procédure déjà achevée165. Son champ d’application est donc différent, à la fois plus étroit (il ne concerne que les procédures civiles) et plus large (il concerne les procédures pendantes et terminées). 584 - L’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2004 a été accompagnée de mesures générales destinées à sensibiliser les autorités judiciaires au fonctionnement et à l’intérêt de ce recours. Ses modalités d’application ont été systématiquement inscrites au programme de la formation des magistrats et des procureurs polonais, notamment par le Centre national de formation des magistrats et des procureurs, qui ouvrit ses portes en septembre 2006166. Malgré la longue maturation du projet de recours contre les procédures excessivement longues, la Pologne s’est retrouvée confrontée à de nouvelles difficultés : la loi de 2004 souffrait de plusieurs insuffisances graves, une nouvelle fois détectées par la CEDH. 2) La Pologne à nouveau condamnée malgré l’adoption d’une voie de recours interne contre la longueur des procédures Des effets se sont fait ressentir avec l’adoption de la loi du 17 juin 2004 puisque les justiciables ont très rapidement fait usage de la nouvelle voie de recours (a) et qu’il en résulta Pologne…), préc., annexe. 163 Cet aspect du recours effectif sous-tendu par l’extension de la responsabilité de l’État du fait du mauvais fonctionnement de la justice peut présenter un risque potentiel selon une partie de la doctrine : celui « de réduire la justice au seul octroi d’une indemnisation » (Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, « Délai raisonnable du procès, recours effectif ou déni de justice ? De l’arrêt Kudla, de la Cour européenne des droits de l’homme à l’arrêt Magiera, du Conseil d’État. Le trésor et la perle ou le filet ?... », préc., p. 96). 164 Ces sommes correspondent aujourd’hui à 232 EUR et 2 326 EUR environ. 165 Com. Min., Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires contre la Pologne…), préc., annexe I, II, B), § 1. 166 Ibidem, annexe I, II, B), § 5. 374 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » une certaine accalmie du contentieux polonais à Strasbourg, mais qui ne fut que temporaire (b). Très vite, les insuffisances du recours interne instauré ont mené vers de nouvelles condamnations de la Pologne au titre des articles 6 § 1 et 13 de la Conv. EDH (b). a) Une nouvelle voie de recours rapidement sollicitée par les justiciables polonais 585 - Le recours interne créé par la loi du 17 juin 2004 a remporté un « succès » quasiimmédiat dès son entrée en application, le 17 septembre 2004. Au 31 décembre 2004, 2 528 requêtes avaient déjà été introduites pour contester des procédures judiciaires excessivement longues et plus de 80 % d’entre elles concernaient des affaires civiles. En 2005, les juridictions saisies ont examiné 4 921 requêtes initiées sur le fondement de cette loi. Seule une petite minorité des requêtes a débouché, cependant, sur la reconnaissance de la durée excessive de la procédure attaquée et sur l’indemnisation du requérant. Parmi les 2 528 requêtes de l’année 2004, les juridictions ont retenu qu’il y avait eu des retards déraisonnables de la procédure dans 290 affaires. Une indemnisation s’élevant en moyenne à 2 406 PLN a été octroyée au requérant dans 165 d’entre elles. En 2005, 1 607 des 4 921 requêtes ont été rejetées, 2 313 déclarées irrecevables et seulement 1 001 accueillies. Au cours du premier semestre 2006 enfin, 1 879 requêtes ont été transmises, 579 d’entre elles rejetées, 835 déclarées irrecevables, 361 accueillies. Il apparaît que la moitié de ces dernières ont bénéficié du versement d’une satisfaction équitable167. Autre effet positif quoique provisoire, l’adoption de la loi du 17 juin 2004 a convaincu la CEDH de l’existence d’une voie de recours effective contre la durée des procédures. b) Un coup d’arrêt temporaire aux violations de l’article 13 de la Convention 586 - Dans les premiers mois suivant l’entrée en vigueur du recours interne, la CEDH eut à se prononcer sur des affaires mettant en cause la durée de procédures judiciaires en Pologne. Plusieurs arrêts rendus au cours de l’année 2005 indiquent que la CEDH a pris note des mesures adoptées en droit interne pour favoriser la contestation de la durée excessive des procédures judiciaires. La conséquence notable fut la cessation des condamnations prononcées sur le fondement de l’article 13 de la Conv. EDH. 587 - Le changement de regard de la CEDH s’est d’abord traduit par le prononcé d’une décision d’irrecevabilité le 1er mars 2005 dans l’affaire Charzyński. Pour le juge européen, le re167 Com. Min., Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires contre la Pologne…), préc., Annexe I, II, A), § 3. 375 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME quérant aurait dû saisir les juridictions internes comme l’y invitait le texte même de la loi du 17 juin 2004 avant de transmettre une requête individuelle à la CEDH. La CEDH a estimé opportun de préciser « qu’une plainte pour violation du droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable peut empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou fournir un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite », ce qui signifie « qu’elle satisfait ainsi au critère d’‘‘effectivité’’ posé par l’arrêt Kudła »168. 588 - Quelques semaines plus tard, la CEDH a conforté son point de vue en statuant au fond dans l’affaire Krasuski. Il s’agissait en l’espèce d’une procédure civile, engagée en 1996 par le couple-requérant contre une entreprise qui devait réaliser pour lui des travaux mais avait manqué à ses obligations. La CEDH n’a pas retenu la violation de l’article 6 § 1. Pour ce qui est de la violation de l’article 13, les requérants prétendaient que le recours instauré en 2004 n’était que « purement théorique »169, bien qu’il leur fût ouvert du fait de l’extension de son champ d’application aux procédures déjà terminées (article 16 de la loi du 17 juin 2004). La CEDH n’a visiblement pas été convaincue par cette démonstration, ne voyant « aucun élément qui viendrait de prime abord appuyer l’argument du requérant selon lequel le recours en question serait illusoire en l’espèce », ajoutant que « de simples doutes quant au fonctionnement effectif d’une nouvelle voie de recours légale ne dispensent pas le requérant de l’exercer »170. Sur la capacité de la nouvelle législation à garantir l’indemnisation du requérant par l’engagement de la responsabilité de l’État, la CEDH affirma notamment que « l’action en réparation prévue à l’article 417 du Code civil [avait] acquis un degré de certitude juridique suffisant pour constituer un ‘‘recours effectif’’ au sens de l’article 13 de la Convention pour tout requérant alléguant une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par la justice polonaise »171. Mais dans le même arrêt, il apparaissait tout aussi clairement que le point de vue de la CEDH pouvait évoluer en fonction de ce qu’allait démontrer la pratique du recours interne. 589 - À l’époque où ces décision et arrêt ont été rendus, le gouvernement n’était pas en mesure d’illustrer le fonctionnement de la procédure de 2004 puisqu’il n’existait pas encore de données à ce sujet. Sur le caractère effectif de cette procédure, la CEDH avait averti qu’il dépendrait « de la capacité des juridictions civiles polonaises à traiter [les] demandes avec une 168 CEDH, Charzyński c. Pologne (déc.), n°15212/03, 1er mars 2005, Rec. 2005-V, § 39. 169 CEDH, Krasuski c. Pologne, n°61444/00, 14 juin 2005, Rec. 2005-V, § 62. 170 Ibidem, §§ 70-71 171 Ibid., § 72. 376 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » diligence et une attention particulières, ce qui s’apprécie notamment en fonction du délai dans lequel elles statuent » ainsi que du « niveau d’indemnisation allouée par les juridictions internes »172. 590 - Enfin, le 11 octobre 2005 a été rendu l’arrêt Palka, apportant confirmation des jurisprudences Charzyński et Krasuski à une nuance-près : la CEDH a cette fois-ci condamné la Pologne pour la violation de l’article 6 § 1. Sur le grief de violation de l’article 13, elle a maintenu l’opinion selon laquelle la Pologne s’était dotée d’une voie de recours effective pour contester la durée excessive d’une procédure173. Cette évaluation positive initiale de la Cour de Strasbourg ne résista pas aux difficultés pratiques rencontrées dans la mise en œuvre du recours interne et une nouvelle condamnation a été prononcée sur le fondement des articles 6 § 1 et 13 de la Conv. EDH. c) Les insuffisances de la loi de 2004 à l’origine d’une nouvelle condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme 591 - Les insuffisances de la législation nouvelle avaient été révélées dès l’arrêt Majewski du 11 octobre 2005. En l’espèce, la juridiction compétente (la cour régionale de Szczecin) avait rejeté le recours du requérant engagé sur le fondement de la loi du 17 juin 2004 en jugeant que le délai de la procédure à laquelle il était partie n’était pas excessif. Or, seul le délai ayant commencé à courir après la décision de seconde instance (rendue en 2002) avait été pris en compte, non l’ensemble de la procédure qui avait débutée en 1991174. 592 - Rendus en 2007 et 2008, les arrêts Tur et Krawczak175 ont reposé la question des délais excessifs des procédures en Pologne, alors qu’était en vigueur la nouvelle voie de recours interne. La Cour y opère un revirement quant à l’effectivité de la loi de 2004. La jeune requérante de l’affaire Tur avait intenté dès 1987 une action en reconnaissance de paternité et octroi de pension alimentaire contre son père présomptif. Ce dernier avait quitté la Pologne pour 172 Ibid., § 71. 173 CEDH, Palka c. Pologne, n°49176/99, 11 octobre 2005. La même ligne est tenue par la Cour dans les affaires CEDH, Śliwa c. Pologne, préc. ; CEDH, Jerzak c. Pologne, n°29360/06, 7 octobre 2008, ou encore CEDH, Adamczuk c. Pologne (2008 et 2010) préc. 174 CEDH, Majewski c. Pologne, n°52690/99, 11 octobre 2005. Voir aussi : CEDH, Arkadiusz Kubik c. Pologne, n°45097/05, 13 janvier 2009 ; CEDH, Makuszewski c. Pologne, n°35556/05, 13 janvier 2009 ; CEDH, Sokołowska c. Pologne, n°7743/06, 13 janvier 2009 ; CEDH, Dorota et Zbigniew Nowak c. Pologne, n°17904/04, 24 mars 2009 ; CEDH, Henryk Kozłowski c. Pologne, n°17731/03, 9 juin 2009. 175 CEDH, Tur c. Pologne, n°21695/05, 23 octobre 2007 ; CEDH, Krawczak c. Pologne, n°40387/06, 8 avril 2008. 377 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME s’installer en Allemagne. Le procès initial ouvert devant la cour de district de Gdańsk s’est conclu par un arrêt définitif le 4 avril 1991, en faveur de la requérante. Mais sur la requête extraordinaire du ministère de la Justice, la Cour suprême a rouvert le dossier au cours de l’année 1997 et décidé de son réexamen en raison de graves vices de procédures. La cour de district de Gdańsk a été chargée de la nouvelle procédure et a finalement tranché contre la requérante dans un arrêt du 3 novembre 2000, annulé en appel. Tandis que la procédure se poursuivait, l’avocat de Karolina Tur avait déposé le 20 septembre 2004 un recours sur le fondement de la loi du 17 juin 2004. Il fut rejeté sans que la juridiction compétente ne motivât sa décision. Un second recours de même nature fut écarté un an plus tard, la cour régionale de Gdańsk considérant que la phase judiciaire antérieure au 17 septembre 2004 ne pouvait être prise en compte dans le calcul du délai de procédure176. La cour régionale s’est fondée pour cela sur une résolution de la Cour suprême rendue en 2005177. Le 30 mai 2005, Mlle. Tur a saisi la CEDH, alléguant la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Conv. EDH. La CEDH a rendu son verdict dans cette affaire le 23 octobre 2007, après le refus de la requérante d’accepter la déclaration unilatérale du gouvernement178. La CEDH a rappelé l’exigence de promptitude requise dans les affaires relatives à l’état civil. Il était difficile pour elle de regarder comme compatible avec l’article 6 § 1 un recours en révision formulé six ans après une décision finale, pour aboutir finalement à la remise en cause de cette dernière. La CEDH conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH179. Statuant conjointement sur l’article 13, la CEDH a renouvelé les critères à remplir pour qu’un recours soit regardé comme effectif : il doit à la fois prévenir les violations du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable et permettre de réparer une violation constatée. Or, la Cour a estimé qu’en ne prenant en considération que la période postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2004, la juridiction interne compétente n’avait pas tenu compte de la jurisprudence constante des organes de la Conv. EDH. En conséquence, aucune instruction n’avait été donnée pour que soit accélérée la procédure impliquant la requérante. Qu’importe si la décision liti176 CEDH, Tur c. Pologne, préc., §§ 6-28. La violation de l’article 6 § 1 a été retenue contre la Pologne pour les mêmes raisons dans d’autres arrêts ultérieurs. Voir par ex : CEDH, Wierzba c. Pologne, n°20315/04, 13 novembre 2008. 177 CSP, n°III SPP 113/04, 18 janvier 2005, OSN, 2005, n°1, texte 27. La Cour suprême précisait dans cette résolution que la loi de 2004 ne produisait d’effets juridiques qu’après son entrée en vigueur. Mais elle soulignait également que les dispositions de la loi concernée s’appliquaient rétroactivement à toutes les procédures dans lesquelles des retards étaient apparus avant le 17 septembre 2004 sans qu’il y eût été remédié 178 Le gouvernement avait bien reconnu que le droit à un procès dans un délai raisonnable avait été violé mais n’avait pas fait référence au manque d’effectivité du recours instauré par la loi de 2004, ce que la requérante dénonçait également (CEDH, Tur c. Pologne, préc., § 41). 179 CEDH, Tur c. Pologne, préc., §§ 41-58. 378 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » gieuse fût entachée ou non d’une erreur d’interprétation de la loi de 2004, la CEDH a considéré que le simple rejet du recours de la requérante n’était pas compatible avec les standards européens en matière de délai raisonnable des procédures judiciaires. Elle a donc retenu la violation de l’article 13 de la Conv. EDH180. 593 - L’affaire Krawczak concernait une procédure pénale entamée en 1999 avec le placement en garde à vue du requérant pendant une durée de quatre mois, en raison de son implication présumée dans plusieurs affaires de vol. Le 30 janvier 2006, le requérant avait formulé une demande sur le fondement de la loi du 17 janvier 2004 aux fins de contester la longueur excessive de la procédure, exigeant de surcroit une compensation de 10 000 PLN. Le 23 mars 2006, la cour d’appel de Gdańsk, compétente pour statuer sur la demande, a rejeté cette dernière en considérant qu’on ne pouvait imputer que la procédure était anormalement lente depuis la date d’entrée en vigueur de la loi181. La CEDH a reconnu que le dispositif de recours mis en place avec la loi du 17 juin 2004 n’avait pas fonctionné en l’espèce. Le juge européen a estimé que la longueur totale de la procédure (8 ans et 7 mois) aurait dû être qualifiée d’excessive par les juridictions internes182. Corrélativement, il a confirmé l’incompatibilité du champ d’application temporel du recours interne contre la durée excessive des procédures avec les standards de la Convention183. Toujours en statuant sur cette affaire, la CEDH a pointé du doigt un autre aspect clairement problématique de la procédure instaurée en 2004. Les juridictions internes ne s’estimaient pas compétentes, en effet, pour statuer sur la période de la procédure précédant l’ouverture du procès dans les affaires pénales. Selon la CEDH, les juridictions devraient pouvoir prendre en compte non seulement la phase judiciaire stricto sensu mais également la période antérieure lorsqu’elles statuent sur la durée des procédures pour que le recours de 2004 fût complètement conforme aux exigences de la Conv. EDH. 594 - Pour la CEDH, « une voie de recours sera regardée comme effective seulement si elle est capable d’embrasser toutes les phases des procédures incriminées »184. Ces insuffisances cumulées avaient, dans l’affaire Krawczak, empêché la prise en compte de près de sept années de procédure pendante devant la juridiction de première instance, tout en illustrant de manière évidente le manque d’effectivité du recours instauré par la Pologne en 2004. Ces deux af- 180 Ibid., §§ 64-68. 181 CEDH, Krawczak c. Pologne, préc., §§ 7-13. 182 Ibidem, §§ 25-31. 183 Ibid., § 38. 184 Ibid., § 39. 379 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME faires185 ont permis à la Cour d’opérer son propre contrôle de l’effectivité des mesures générales adoptées au plan interne après le retentissant arrêt Kudła rendu huit ans auparavant. Elles ont surtout remis profondément en question ses premières considérations sur le fonctionnement de la procédure instaurée par la loi du 17 juin 2004. 595 - À ces insuffisances s’ajoutaient la question du montant des indemnités versées aux victimes186. Plusieurs ONG ont dénoncé l’octroi régulier par les juridictions de la somme minimale prévue par la loi comme en a fait état le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans son Memorendum de 2007187 et comme l’allègue le contenu de certaines requêtes individuelles transmises à la CEDH. Derrière les nouvelles condamnations de la Pologne, transparaîssait une invitation à légiférer à nouveau afin de conformer le droit interne à la Convention. Le gouvernement s’est mis à l’ouvrage pour modifier la procédure spécifique de 2004. 3) L’amendement à la loi du 17 juin 2004 596 - Confronté aux insuffisances et aux effets indésirables de certaines dispositions de la loi du 17 juin 2004, le législateur polonais s’est penché au début de l’année 2009 sur la modification de ce texte. Il faut dire que le respect de l’article 13 de la Conv. EDH était rendu d’autant plus difficile que les efforts de sensibilisation des juges internes aux exigences européennes n’avaient pas porté les fruits escomptés188. L’amendement adopté le 20 février 2009189 a imposé l’obligation pour les juridictions de statuer au fond ou de prendre des mesures appropriées dans un délai strict, fixé par le procureur conduisant ou supervisant la procédure. Est 185 Il faut aussi citer, à la même période, les autres arrêts marqués par la violation conjuguée des articles 6 et 13 en raison du manque d’effectivité du recours instauré en 2004 : CEDH, Zwoźniak c. Pologne, n°25728/05, 13 novembre 2007 ; CEDH, Sobczyński c. Pologne, n°23128/03, 27 novembre 2007 ; CEDH, Swat c. Pologne, n°13545/03, 18 décembre 2007 ; CEDH, Borowski c. Pologne, n°21340/04, 17 juillet 2008 ; CEDH, Szklarska c. Pologne, n°21105/06, 17 juillet 2008. 186 Ce qui a conduit la CEDH a reconnaître une violation de l’article 6 § 1 lorsque l’indemnité versée est insuffisante pour réparer le constat de durée excessive de la procédure. Voir par ex. : Adamczuk c. Pologne, n°30523/07, 17 juillet 2008 (et CEDH, Adamczuk c. Pologne (révision), n°30523/07, 15 juin 2010) ; CEDH, Bieńkowska c. Pologne, n°13282/04, 17 juillet 2008. 187 Commiss. DH, Memorandum…, préc., § 15. 188 Katarzyna KOWALSKA, « Effective remedies for excessive length of proceedings », in Pilot Judgment Procedure in the European Court of Human Rights (3rd Informal Seminar for Government Agents and other Institutions), Varsovie, Kontrast, 2009, p. 167. 189 Ustawa z dnia 20 lutego 2009 r. o zmianie ustawy o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki [Loi du 20 février 2009 modifiant la loi sur le recours concernant la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable], Dz. U., 2009, n°61, texte 498, pp. 5110-5111. 380 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » désormais explicitement incluse dans la « procédure » à prendre en compte la phase d’instruction des affaires pénales afin de mettre un terme à la série de condamnations devant la Cour de Strasbourg. Le montant de l’indemnisation que les juridictions chargées d’étudier les recours peuvent accorder a doublé : il est aujourd’hui compris dans une fourchette de 2 000 à 20 000 PLN190. La version amendée de la loi a mis l’accent sur la nécessité d’accélérer concrètement la procédure incriminée en faisant peser sur le président de la juridiction compétente ou sur le supérieur hiérarchique du procureur en charge d’une instruction l’obligation de prendre des mesures de supervision191. L’amendement de 2009 prévoit d’autre part que, dans les six mois suivant l’entrée en vigueur du texte, toute personne ayant déjà saisi la CEDH d’une requête individuelle en dénonçant la durée excessive d’une procédure durant la phase d’instruction ou d’enquête bénéficie du droit de former un recours interne sur le fondement de la loi de 2004 modifiée. Une condition est néanmoins exigée : la requête doit être pendante sans que la CEDH ait encore statué sur sa recevabilité192. 597 - L’ensemble des nouvelles dispositions est entré en vigueur le 1er mai 2009. L’ancien agent du gouvernement près la CEDH, Jakub Wołąsiewicz, espérait que la procédure serait désormais regardée comme « effective » par la Cour de Strasbourg et allait jusqu’à supposer que les requêtes pendantes seraient rayées du rôle193. Au cours de l’année 2009, l’examen de la recevabilité des affaires Szymczak et Zmaliński, aurait pu servir de point de repère. Mais il s’est conclu dans chaque cas par une radiation du rôle en raison de l’utilisation par le gouvernement de la procédure du règlement amiable194 dans le premier cas et de la déclaration unilatérale dans le second195. La loi du 17 juin 2004 modifiée a produit des effets. Sans éradiquer totalement les cas de procédures excessivement longues, elle en a sensiblement réduit le nombre. 190 Ces sommes correspondent aujourd’hui respectivement à 465 EUR et 4 653 EUR environ. 191 Katarzyna KOWALSKA, « Effective remedies for excessive length of proceedings », préc., p. 167. 192 Ibidem, pp. 167-168. 193 Ibid., p. 171. 194 Il faut noter par ailleurs que la CEDH adopte elle-aussi une attitude spécifique devant les requêtes relatives aux délais procéduraux, motif principal de violation dans la plupart des États ; comme le souligne le professeur Sudre, la Cour – face à l’engorgement de son rôle – « a incontestablement tendance à favoriser la conclusion systématique de règlements amiables dans les affaires concernant le délai raisonnable d’une procédure (par exemple, les 123 arrêts de radiation du rôle du 23 juin 2000) » (Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op.cit., pp. 360, § 232). 195 CEDH, Szymczak c. Pologne (déc.), n°16534/08, 5 mai 2009 ; CEDH, Zmaliński c. Pologne (déc.), n°40443/07, 29 septembre 2009. 381 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME § 4. UN ARRÊT PILOTE FACE À LA PERSISTANCE DES PROCÉDURES TROP LONGUES 598 - Extrêmement préoccupé par la question des lenteurs de procédures, la Pologne avait fait de cette question l’un des thèmes centraux de sa présidence du Conseil de l’Europe au premier semestre 2005. Une conférence intitulée « Effective remedy against the excessive length of judicial proceeding » avait été organisée à Strasbourg en avril 2005196. 599 - Les chiffres transmis par le gouvernement au Comité des ministres en 2007 traduisaient une nette diminution de l’arriéré pouvait être observée entre 2002 et 2006, ce qui représentait un effort d’autant plus louable que le nombre d’affaires portées devant les tribunaux était quant à lui en constante augmentation. Ce nombre avait plus que doublé entre 1995, année où 4,9 millions d’affaires furent soumises aux autorités judiciaires, et 2006, où 10,1 millions de nouvelles affaires ont été introduites. En ce qui concerne à présent la durée moyenne de ces procédures, le gouvernement n’a pas été en mesure de fournir des informations détaillées, mais a néanmoins communiqué quelques moyennes relatives aux juridictions en charge des affaires de droit du travail. Il apparaissait donc difficile de tirer de solides conclusions de données si incomplètes. De plus, l’importante augmentation de la durée des affaires traitées en première instance par les cours régionales entre 2005 et 2006 relativisait grandement les résultats positifs obtenus par les cours de districts et par les cours régionales lorsque ces dernières étaient juges de seconde instance. Tout ceci a justifié l’adoption d’une simple résolution intérimaire en 2007. Le Comité des ministres ne s’est alors pas montré particulièrement satisfait de la manière dont les statistiques avaient été établies. Il a notifié au gouvernement que le mécanisme interne permettant d’évaluer la durée moyenne d’une procédure judiciaire manquait de claté et faisait obstacle au suivi de l’évolution des délais procéduraux197. 600 - Fin 2011, la constitutionnaliste Ada Paprocka estimait que les réformes relatives à la lenteur des procédures en Pologne étaient principalement le résultat de l’action de la CEDH, même si les corrections nécessaires avaient pris beaucoup de temps198. Ces efforts mis en œuvre sur le long terme s’expliquaient, du point de vue de Szymon Janczarek, ancien responsable du suivi des arrêts de la Cour de Strasbourg au ministère de la Justice à Varsovie, par la 196 Information issue de l’exposition 20 lat Polski w Radzie Europy [20 ans de la Pologne au Conseil de l’Europe], présentée du 15 au 30 septembre 2010 à l’Université de Varsovie et financée par le ministère des Affaires étrangères polonais. 197 Com. Min., Résolution intérimaire concernant les arrêts de la CEDH dans 143 affaires contre la Pologne…, préc. 198 Entretien avec Ada Paprocka, Varsovie, 2 décembre 2011. 382 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » hauteur du défi qu’avait à relever la Pologne (la multiplication des plaintes, d’années en années). Quoique optimiste, il admettait néanmoins, à l’automne 2011, que tous ces efforts bien réels n’avaient pas encore produit des effets très visibles en termes statistiques199. Ainsi, malgré la réorganisation des tribunaux, malgré la loi du 17 juin 2004 et son évolution grâce à l’amendement de 2009200, des requêtes individuelles ont continué d’affluer devant la CEDH, entraînant de nouvelles condamnations entre 2010 et 2015201. Plus de quinze ans après l’arrêt Kudła, le Comité des ministres a rendu une résolution définitive sur le suivi de ces affaires et de quelques 204 autres relatives à la durée des procédures civiles et pénales. Le Comité a rappelé que les autorités s’étaient conformées à l’arrêt principal en introduisant une voie de recours interne en 2004202. Considéré comme un recours effectif, ce recours demeurait néamoins affecté « de certaines lacunes dans son fonctionnement et dans la pratique »203 qui 199 Entretien avec Szymon Janczarek, Varsovie, 22 novembre 2011. 200 Il demeure un « recours effectif » au sens de la CEDH, c’est-à-dire un recours à épuiser sous peine que le moyen fondé sur la violation de l’article 6 § 1 soit déclaré irrecevable. Voir : CEDH, Pińkowski c. Pologne, n°16579/03, 23 février 2010 ; CEDH, Biełaj c. Pologne, n°43643/04, 27 avril 2010 ; CEDH, Przyjemski c. Pologne, n°6820/07, 5 octobre 2010 ; CEDH, Bator c. Pologne, n°6544/08, 26 octobre 2010 ; CEDH, Grzegorz Baranowski c. Pologne, n°40153/09, 9 novembre 2010 ; CEDH, Grochulski c. Pologne, n°33004/07, 18 janvier 2011 ; CEDH, Karbowniczek c. Pologne, n°22339/08, 27 septembre 2011 ; CEDH, Knyter c. Pologne, n°31820/06, 1er février 2011 ; CEDH, Chernyshov c. Pologne, n°35630/02, 3 mai 2011 ; CEDH, Włoch c. Pologne (n°2), n°33475/08, 10 mai 2011 ; CEDH, Zambrzycki c. Pologne, n°10949/10, 20 décembre 2011 ; CEDH, Remuszko c. Pologne, n°1562/10, 16 juillet 2013 ; CEDH, Gawrecki c. Pologne, n°56713/09, 14 avril 2015. 201 Voir par ex., pour la durée excessive des procédures civiles, les arrêts : CEDH, Paliga c. Pologne, n°7975/07, 12 janvier 2010 ; CEDH, Paweł Gładkowski c. Pologne, n°24216/06, 29 juin 2010 ; CEDH, Rejzmund c. Pologne, n°42205/08, 6 juillet 2010 ; CEDH, Pastuszenia c. Pologne, n°46074/07, 21 septembre 2010 ; CEDH, Krystyna Misiak et Jan Misiak c. Pologne, n°31193/04, 9 novembre 2010 ; CEDH, Cichocki c. Pologne, n°40748/09, 30 novembre 2010 ; CEDH, Klik c. Pologne, n°39836/09, 7 décembre 2010 ; CEDH, Sikorska c. Pologne, n°19616/08, 28 juin 2011 ; CEDH, Grzona c. Pologne, n°3206/09, 24 juin 2014. Dans l’arrêt Matrakas et autres de 2013, la Pologne a été dédouanée de toute responsabilité dans la durée excessive de la procédure civile en l’espèce, au contraire de la Grèce, visée également par la requête dans cette affaire (CEDH, Matrakas et autres c. Pologne et Grèce, n°47268/06, 7 novembre 2013). Pour la violation de l’article 6 § 1 à propos de procédures pénales, voir par ex. : CEDH, Gęśla c. Pologne, n°15915/07, 12 janvier 2010 ; CEDH, Brożyna c. Pologne, n°7147/06, 2 février 2010 ; CEDH, Krzysztofiak c. Pologne, n°38018/07, 20 avril 2010 ; CEDH, Antczak c. Pologne, n°3360/09, 9 novembre 2010 ; CEDH, Choumakov c. Pologne (n°2), n°55777/08, 1er février 2011 ; CEDH, Skurat c. Pologne, n°26451/07, 14 juin 2011 ; CEDH, Jurewicz c. Pologne, n°18500/10, 5 juillet 2011 ; CEDH, Dobosz c. Pologne, n°15231/08, 26 juillet 2011 ; CEDH, Głowacki c. Pologne, n°1608/08, 30 octobre 2012 ; CEDH, Kurowski c. Pologne, n°9635/12, 13 janvier 2015 ; CEDH, Masłowski c. Pologne, n°7626/12, 13 janvier 2015 ; CEDH, Pawlak c. Pologne, n°28237/10, 13 janvier 2015 ; CEDH, Tomczyk c. Pologne, n°7708/12, 13 janvier 2015 ; CEDH, Brajer c. Pologne, n°7589/12, 13 janvier 2015 ; CEDH, Wrona c. Pologne, n°29345/09, 10 mars 2015. 202 Le Conseil du barreau polonais avait transmis au Comité des ministres à la fin de l’année 2013 une commuication dans laquelle il mettait en garde contre le risque que le recours de 2004, même amélioré en 2009 devînt illusoire. L’ONG pointait du doigt le manque de motivation, dans la pratique, des décisions rendues lors de l’examen d’une plainte sur la durée d’une procédure. Elle constatait aussi que les juges, bien souvent, se contentaient d’octroyer une indemnisation sans prendre de décision susceptible d’accélérer concrètement la procédure attaquée (Com. Min., Document DH-DD(2014)146 (communication d’une ONG (Conseil du barreau polonais) sur le groupe d’affaires Kudła et Podbielski), 30 janvier 2014). 203 Com. Min., Résolution finale CM/ResDH(2015)248 (exécution des arrêts dans 205 affaires contre la Pologne), 9 décembre 2015, 1243e réunion des délégués. 383 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME avaient convaincu la Cour, quelques semaines plus tôt, de prononcer un troisième arrêt pilote à l’égard de la Pologne. 601 - La CEDH a décidé de statuer conjointement sur trois affaires204 portant sur la durée de procédures internes, dans un arrêt du 7 juillet 2015, Rutkowski et autres. Une liste de 591 autres requêtes similaires est jointe à l’arrêt, lequel débute exceptionellement par un rappel du contentieux européen de la Pologne et des mesures prises depuis l’arrêt Kudła de 2000. Après avoir retenu la violation des articles 6 et 13 de la Conv. EDH à l’égard des trois requérants (Wiesław Rutkowski pour une procédure pénale, Mariusz Orlikowski et Aleksandra Grabowska pour des procédures civiles)205, la CEDH a tranché, sur la base d’un examen contradictoire, en faveur de la mise en œuvre de la procédure pilote pour permettre enfin la résolution de ce dysfonctionnement omniprésent depuis que la Pologne a ratifié la Convention. Sans se déjuger sur le caractère « effectif » du recours interne introduit par la loi du 17 juin 2004, la Cour n’a pu que constater une nouvelle hausse des requêtes individuelles dénonçant la durée des procédures internes en 2013-2014 et s’est aussi préoccupée de l’engorgement existant au niveau du Comité des ministres206. Depuis l’entrée en vigueur de la voie de recours contre la durée excessive des procès, des divergences de jurisprudence et la complexité du calcul des stades procéduraux ont nuit à la réparation satisfaisante des parties victimes de ces retards. La jurisprudence dite de la « fragmentation » encouragée par la Cour suprême a créé de grandes difficultés pour les juges en charge d’examiner les recours fondés sur la loi de 2004. La fragmentation visait à ne pendre en compte pour la durée des procédures que les instances en cours, non celles qui avaient fait l’objet d’une décision définitive. Par exemple, lorsqu’une juridiction avait annulé un arrêt en appel et remis l’affaire pour réexamen au juge de première instance, le calcul du délai de la procédure ne pouvait courrir qu’à compté du réexamen en première instance. Saisie par le procureur général d’une question d’interprétation de la loi de 2004, la Cour suprême est toutefois revenue sur cette interprétation par une résolution du 10 janvier 2013207, invoquant les critères du recours effectif tracés par la jurisprudence de la 204 Conformément à l’article 42 § 1 du Règlement de la Cour, selon lequel : « La chambre peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de deux ou plusieurs requêtes. » 205 Cette double-violation sanctionne les problèmes rencontrés depuis plusieurs années déjà avec l’application du recours introduit par la loi du 17 juin 2004, malgré l’amendement de 2009 : l’insuffisance des indemnisations versées, la non-prise en compte des actes procéduraux avant la date d’entrée en vigueur de la loi ou la non-prise en compte de toutes les phases accomplies dans le calcul de la durée des procédures (CEDH, Rutkowski et autres c. Pologne, n°72287/10, n°13927/11 et n°46187/11, 7 juillet 2015, voir not. § 26, § 47, § 73). 206 En juillet 2015, le Comité avait encore à sa charge l’exécution de 537 arrêts relatifs à la durée des procédures en Pologne (ibidem, § 11). 207 CSP, n°III SPZP 1/13, 28 mars 2013. 384 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » CEDH. La Cour suprême a privilégié une autre lecture de la loi de 2004, jugeant qu’une procédure dont la durée est contestée doit être considérée dans son ensemble, de la première phase jusqu’à la décision finale. Concernant l’indemnisation moyenne des justiciables victimes de retards importants dans les procédures les concernant, celle-ci avait stagné autour de 2 500 PLN entre 2007 et 2013208. 602 - Comme la Slovénie dix ans auparavant209, la Pologne est à son tour concernée par un arrêt pilote sur la durée des procédures210. La CEDH a opéré une distinction explicite entre le premier arrêt pilote prononcé dans l’affaire Broniowski et celui qu’elle adopte avec cette affaire Rutkowski et autres. Dans le premier cas, l’arrêt pilote avait mis à la lumière du jour un dysfonctionnement systémique, corrigé immédiatement grâce à cette innovation procédurale prétorienne. Le second cas se présente comme une nouvelle tentative de réponse à une grave défaillance qui avait déjà conduit à mettre en place un recours interne en application de l’arrêt Kudła, sans que cela ne suffît à tarir le flux de requêtes individuelles transmises au greffe de la CEDH211. La Cour s’est par ailleurs largement appuyée sur l’opinion du Comité des ministres qui, en 2013, avait attentivement évalué les mesures adoptées par la Pologne et avait décide de poursuivre sa surveillance. Enfin, les procédures concernant les 591 requêtes pendantes annexées à l’arrêt ont été ajournées pour une durée de deux ans. L’examen de toute nouvelle requête similaire transmise après la date à laquelle l’arrêt est devenu définitif est ajournée pour une durée d’un an212. La durée excessive des procédures pénales est l’une des conséquences de la prorogation des mesures de privation de liberté, pouvant aller jusqu’à outrepasser la protection offerte par l’article 5 de la Conv. EDH. De très nombreux arrêts ont démontré l’existence de pratiques inconventionnelles dans l’application de la détention provisoire en Pologne. 208 CEDH, Rutkowski et autres c. Pologne, préc., §§ 108-117. 209 CEDH, Lukenda c. Slovénie, n°23032/02, 6 octobre 2015, Rec. 2005-X. 210 En application de l’article 61 de son règlement tel que révisé en 2011 (« La Cour peut décider d’appliquer la procédure de l’arrêt pilote et adopter un arrêt pilote lorsque les faits à l’origine d’une requête introduite devant elle révèlent l’existence, dans la Partie contractante concernée, d’un problème structurel ou systémique ou d’un autre dysfonctionnement similaire qui a donné lieu ou est susceptible de donner lieu à l'introduction d'autres requêtes analogues »). 211 Voir les conclusions de la Cour sur la nécessité d’adopter un arrêt pilote (CEDH, Rutkowski et autres c. Pologne, préc., §§ 203-206). 212 Ibidem, §§ 228-229. 385 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME SECTION II - LES DÉTENTIONS PROVISOIRES PROLONGÉES 603 - Omniprésente dans l’histoire contemporaine de la Pologne, la problématique de la durée des détentions provisoires est révélatrice des difficultés auxquelles peut se heurter un État en cours de consolidation démocratique. Pierre Lambert, vice-président de l’Institut international des droits de l’homme René-Cassin, ne range pas, a priori, les requêtes mettant en cause la Pologne au titre de l’article 5 de la Conv. EDH parmi ces affaires « que l’on peut qualifier de spécifiques et qui ont trait à des questions qui ne se posent pas dans les mêmes termes dans les anciennes démocraties »213. Magda Krzyżanowska-Mierzewska souligne pour sa part, à partir d’une comparaison effectuée avec le cas de la Slovaquie, que le problème de la détention provisoire est surdéveloppé en Pologne, ce qui pourrait « indiquer que le respect de la liberté des personnes n’est pas la priorité dans l’agenda des autorités polonaises »214. 604 - Certes, les vestiges de la législation socialiste ont joué un rôle dans les condamnations infligées à la Pologne au titre de l’article 5 dans les premières années qui suivirent l’entrée en vigueur de la Conv. EDH sur le territoire polonais. L’étude du phénomène de la détention provisoire prolongée permet même de revenir aux toutes premières requêtes individuelles enregistrées au greffe de la Com. EDH puis de la CEDH. Parmi les onze premières requêtes contre la Pologne déclarées recevables à la suite de la ratification de la Conv. EDH, entre juillet 1995 et septembre 1997, trois alléguaient la violation de l’article 5 de la Conv. EDH : il s’agissait des affaires Trzaska, Musiał et Klamecki215. Les années suivantes, la Pologne a parfois évité des violations de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH grâce à des pratiques vertueuses et conformes au droit européen en matière de détention provisoire216. Mais la persistance du 213 Pierre LAMBERT, « La transition démocratique de la Pologne au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », préc., p. 155. 214 Magda KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The Reception Process in Poland and Slovakia », in Helen KELLER, Alec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, Oxford/New York, Oxford University Press, 2008, p. 575. 215 Voir Andrzej DRZEMCZEWSKI, Marek Antoni NOWICKI, « Les effets de la CEDH en Pologne : un bilan quatre ans après », in Protection des Droits de l’Homme : la perspective européenne – Mélange à la mémoire de Rolv Ryssdal, Köln, Carl Heymanns Verlag, 2000, p. 444, note n°90. 216 CEDH, Klamecki c. Pologne, n°25415/94, 28 mars 2002 ; CEDH, W. B. c. Pologne, n°34090/96, 10 janvier 2006 ; CEDH, Dudek c. Pologne, n°633/03, 4 mai 2006 (alors même que la détention provisoire du requérant avait été plus longue que la peine de prison infligée !) ; CEDH, Wiensztal c. Pologne, n°43748/98, 30 mai 2006 ; CEDH, Kusyk c. Pologne, n°7347/02, 24 octobre 2006 ; CEDH, Buta c. Pologne, n°18368/02, 28 novembre 2006 ; CEDH, Bąk c. Pologne, n°7870/04, 16 janvier 2007 ; CEDH, Bogdanowicz c. Pologne, n°38872/03, 16 janvier 2007 ; CEDH, Ruciński c. Pologne, n°31198/04, 20 février 2007 ; CEDH, Tereszczenko c. Pologne, n°37326/04, 3 avril 2007 ; CEDH, Gładczak c. Pologne, n°14255/02, 31 mai 2007 ; CEDH, Nowak c. Pologne, n°18390/02, 18 septembre 2007 ; CEDH, Piotr Baranowski c. Pologne, n°39742/05, 2 octobre 2007 ; CEDH, 386 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » phénomène de privation trop longues de liberté dans le cadre des procédures pénales, malgré les réformes adoptées, dissuade de ranger le problème parmi les questions caractéristiques de la transition : la durée des détentions relève bien de la politique pénale privilégiée par les gouvernements démocratiques successifs depuis 1990. L’abandon de pans entiers de la législation pénale adoptée à l’époque socialiste n’eut aucun impact concret sur le nombre de violations de l’article 5 § 3 prononcées par la CEDH. Lié naturellement au problème de la durée des procédures pénales, ce phénomène est constant sur la période 1997-2016 (§ 1). Il faut y associer les délais d’attente trop long avant l’examen d’un recours contre un ordre de détention, lesquels ont entraîné des violations de l’article 5 § 4 dans un nombre plus limité d’affaires (§ 2). § 1. LES DÉTENTION PROVISOIRES TROP LONGUES, UN MAL CHRONIQUE Régulièrement invoqué par des requérants qui estimaient avoir été détenus sans base légale217, l’article 5 de la Conv. EDH a servi plus encore de fondement à la CEDH pour sanctionner la durée excessive des détentions en Pologne, par une suite continue d’arrêts de 2000 à 2015 (A). La Cour a réagi à l’inefficacité des premières mesures adoptées par les autorités en Rydz c. Pologne, n°13167/02, 18 décembre 2007 ; CEDH, Raban c. Pologne, n°24254/03, 8 janvier 2008 ; CEDH, Łaszkiewicz c. Pologne, n°28481/03, 15 janvier 2008 ; CEDH, Rozmarynowski c. Pologne, n°37149/02, 15 janvier 2008 ; CEDH, Teodorski c. Pologne, n°7033/06, 22 janvier 2008 ; CEDH, Bobel c. Pologne, n°20138/03, 22 janvier 2008 ; CEDH, Wróblowski c. Pologne, n°11748/03, 4 mars 2008 ; CEDH, Tomecki c. Pologne, n°47944/06, 20 mai 2008 ; CEDH, Szulc c. Pologne, n°28002/06, 3 juin 2008 ; CEDH, Rażniak c. Pologne, n°6767/03, 7 octobre 2008 ; CEDH, Kuśnierczak c. Pologne, n°19961/05, 21 octobre 2008 ; CEDH, Każmierczak c. Pologne, n°4317/04, 10 mars 2009 ; CEDH, Grzegorz Hulewicz (n°2) c. Pologne, n°6544/05, 16 juin 2009 et 19 janvier 2010 ; CEDH, Miernicki c. Pologne, n°10847/02, 27 octobre 2009 ; CEDH, Marian Sobczyński c. Pologne, n°35494/08, 2 février 2010 ; CEDH, Pińkowski c. Pologne, n°16579/03, 23 février 2010 ; CEDH, Hajoł c. Pologne, n°1127/06, 2 mars 2010 ; CEDH, Gradek c. Pologne, n°39631/06, 8 juin 2010 ; CEDH, Hartman c. Pologne, n°20342/07, 5 octobre 2010 ; CEDH, Kowalenko c. Pologne, préc. ; CEDH, Bator c. Pologne, n°6544/08, 26 octobre 2010 ; CEDH, Rogala c. Pologne, n°40176/08, 18 janvier 2011 ; CEDH, Lesiak c. Pologne, n°19218/07, 1er février 2011 ; CEDH, Ściebura c. Pologne, n°39412/08, 15 février 2011 ; CEDH, Chernyshov c. Pologne, n°35630/02, 3 mai 2011 ; CEDH, Skurat c. Pologne, n°26451/07, 14 juin 2011 ; CEDH, Bystrowski c. Pologne, n°15476/02, 13 septembre 2011 ; CEDH, Karbowniczek c. Pologne, n°22339/08, 27 septembre 2011 ; CEDH, Simonov c. Pologne, n°45255/07, 17 avril 2012 ; CEDH, Kurowski c. Pologne, préc. ; CEDH, Mierzejewski c. Pologne, n°15612/13, 24 février 2015 ; CEDH, Rambiert c. Pologne, n°34322/10, 10 mars 2015 ; CEDH, Wrona c. Pologne, préc. (2015) ; CEDH, Stettner c. Pologne, n°38510/06, 24 mars 2015 ; CEDH, Gawrecki c. Pologne, n°56713/09, 14 avril 2015. Dans ces affaires, la Cour a considéré que le maintien en détention provisoire avait été convenablement fondé et se justifiait au regard des circonstances (gravité de la peine encourue, risque de collusion avec des complices, agressivité du requérant ou crainte justifiée d’une évasion, besoin d’enquêter, etc.). La Cour a même jugé conforme à la Conv. EDH le maintien en détention du requérant pendant 3 ans, 2 mois et 7 jours dans l’affaire Gawrecki, de 2 ans et 9 mois dans l’affaire Rażniak et de 2 ans et 10 mois dans l’affaire Raban. 217 Cf. Partie I, Titre II, Chapitre I, Section I. 387 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME rendant en 2009 un arrêt quasi-pilote (B). A. Quinze années de violations continues de l’article 5 § 3 605 - L’arrêt rendu dans l’affaire Trzaska est chronologiquement parlant le premier d’une longue lignée de décisions condamnant la Pologne pour la durée excessive des détentions provisoires. Le requérant avait été placé en détention consécutivement à son arrestation, le 27 septembre 1991. Accusé de tentative de meurtre, de viol et de cambriolage, il y fut maintenu jusqu’à sa condamnation par la cour régionale de Katowice le 22 mars 1995. Ce jugement fut toutefois annulé par la juridiction du second degré, le 19 octobre 1995. Le requérant fit alors l’objet d’une nouvelle détention provisoire qui prit fin avec sa condamnation définitive à trente-cinq années d’emprisonnement, prononcée le 27 mai 1997 par la cour régionale de Katowice. M. Trzaska a saisi la CEDH à propos de ces deux périodes de détention provisoire218 le concernant avec les stipulations de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH. Le gouvernement a souligné pour sa défense que cette détention prolongée avait été rendue nécessaire par la gravité des accusations portées contre le requérant et les risques de récidive qu’une hypothétique remise en liberté aurait fait courir. Il apparut pourtant que les décisions successives de maintien en détention (23 mai, 1er juin et 4 juillet 1994) n’ont jamais été fondées sur l’argument de la récidive mais uniquement sur celui de la gravité des faits reprochés (décisions des 23 mai et 1er juin 1994) ou sur la crainte d’une collusion avec les différents témoins (décisions des 23 mai et 4 juillet 1994)219. L’article 217 § 1 du CPP de 1969 prévoyait, à l’époque des faits, plusieurs conditions permettant le maintien en détention provisoire d’un individu, notamment l’existence d’un risque de subornation de témoin ou la présence d’accusations graves représentant un danger sérieux pour la société220. 606 - La CEDH a rappelé que la persistance d’une présomption raisonnable selon laquelle l’accusé avait commis les faits reprochés constituait une condition sine qua non à son placement en détention, mais que cette présomption ne saurait suffire, avec le passage du temps, à justifier un maintien en détention. Elle a estimé qu’en l’espèce, le risque de collusion avec les 218 La première période s’étend du 1er mai 1993 (entrée en vigueur en Pologne du droit de recours individuel) au 22 mars 1995 (condamnation en première instance), la seconde du 19 octobre 1995 (annulation de la condamnation en seconde instance) au 27 mai 1997 (condamnation définitive). Au total, le requérant a été maintenu en détention provisoire pendant trois ans et six mois. 219 CEDH, Trzaska c. Pologne, n°27792/94, 11 juillet 2000, §§ 64-65. 220 Ustawa z dnia 19 kwietnia 1969 r. Kodeks postępowania karnego [Loi du 19 avril 1969 – Code de procédure pénale], Dz. U., 1969, n°13, texte 96, pp. 150-186. 388 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » témoins n’avait pas été concrètement étayé, aucune décision de justice n’ayant mentionné le danger que représentait le requérant pour la société en cas de remise en liberté. Enfin, les autorités judiciaires avaient manqué régulièrement de diligence et laissé la procédure prendre un retard excessif, à cause notamment de la défaillance de certains témoins. La Cour a abouti à la condamnation de la Pologne pour la violation de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH221. Rapidement, d’autres affaires222 portant sur la durée de la détention ont été jugées par la CEDH, conduisant le plus souvent à une violation des dispositions conventionnelles, en application des règles de l’ancien CPP223. 607 - Existe aussi le cas exceptionnel du détenu maintenu trop longtemps en détention en raison de la somme de la caution exigée. Il est illustré par l’arrêt Iwańczuk de 2001. En l’espèce, le requérant avait été placé en détention provisoire en mai 1992, soupçonné de vol et d’usage de documents contrefaits. En décembre 1993, la cour régionale de Wrocław proposa une remise en liberté contre le paiement d’une caution de 2 milliards de PLZ. Dans un premier temps, la somme ne fut réduite qu’à 1,5 milliard à l’issue de l’appel interjeté par le requérant. La cour régionale accepta finalement que le requérant versât 100 millions de PLZ et hypothéquât sa propriété pour 750 millions de PLZ. Sur cette base, il fut remis en liberté le 5 mai 1994224. Devant la CEDH, il se plaignit du montant excessif de la caution imposée par la juridiction compétente pour obtenir sa remise en liberté. La Cour a souligné qu’en décembre 1993, au moment où la cour régionale de Wrocław a prononcé la libération sous caution du requérant, il n’existait plus de risque que celui-ci interférât dans le bon déroulement de la procédure. Toutefois, il fut maintenu en détention jusqu’au 5 mai 1994 à cause du montant à réunir pour la caution et des moyens de verser celle-ci. Les incertitudes autour du versement de la 221 CEDH, Trzaska c. Pologne, préc., §§ 58-62. 222 Les arrêts qui suivirent immédiatement l’affaire Trzaska se sont conclus par une radiation du rôle à cause de l’abandon de la procédure par les requérants (CEDH, Kazimierczak c. Pologne (radiation du rôle), n°33863/96, 27 juillet 2000 ; CEDH, Chojak c. Pologne (radiation du rôle), n°32220/96, 12 octobre 2000). 223 CEDH, Kudła c. Pologne [GC], préc. ; CEDH, Jabłoński c. Pologne, préc. ; CEDH, Szloch c. Pologne, préc. ; CEDH, Olstowski c. Pologne, préc. ; CEDH, Kreps c. Pologne, préc. ; CEDH, Iłowiecki c. Pologne, préc. ; CEDH, Z. R. c. Pologne (règlement amiable), n°32499/96, 15 janvier 2002 ; CEDH, Goral c. Pologne, préc. ; CEDH, P. K. c. Pologne (règlement amiable), n°37774/97, 6 novembre 2003 ; CEDH, Matwiejczuk c. Pologne, n°37641/97, 2 décembre 2003 ; CEDH, G. K. c. Pologne, n°38816/97, 20 janvier 2004 ; CEDH, D. P. c. Pologne, n°34221/96, 20 janvier 2004 ; CEDH, J. G. c. Pologne, n°36258/97, 6 avril 2004 ; CEDH, Cezary Sobczuk c. Pologne (règlement amiable), préc. ; CEDH, Wesołowski c. Pologne, n°29687/96, 22 juin 2004 ; CEDH, Paszkowski c. Pologne, n°42643/98, 28 octobre 2004 ; CEDH, Chodecki c. Pologne, n°49929/99, 26 avril 2005 ; CEDH, Łatasiewicz c. Pologne, n°44722/98, 23 juin 2005 ; CEDH, Czarnecki c. Pologne, n°75112/01, 28 juillet 2005 ; CEDH, Skrobol c. Pologne, n°44165/98, 13 septembre 2005 ; CEDH, Bagiński c. Pologne, n°31444/97, 11 octobre 2005 ; CEDH, Kucharski c. Pologne, n°51521/99, 3 juin 2008 ; CEDH, Rybacki c. Pologne, n°42479/99, 13 janvier 2009. 224 CEDH, Iwańczuk c. Pologne, n°25196/94, 25 novembre 2001 § 9 et §§ 20-23. 389 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME somme et la nécessaire diminution de celle-ci ont conduit à la méconnaissance des dispositions de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH225. Les mesures individuelles et générales adoptées par la Pologne pour exécuter ces premiers arrêts n’ont pas suffi à prévenir des violations futures de l’article 5 § 3. B. L’implication renforcée de la Cour et du Comité à la fin des années 2000 La grande réforme pénale de 1997-1998 représentait l’occasion d’adapter le droit interne aux contraintes exercées par l’article 5 de la CEDH. Les détentions provisoires trop longues restèrent tout aussi répandues, malgré d’autres mesures générales complémentaires (1). Les institutions du Conseil de l’Europe ont accru leur pression sur l’État. En 2007, le Comité des ministres choisit d’adopter une résolution intérimaire pour encourager la recherche d’autres solutions tandis que la CEDH souligna la nature systémique du phénomène par un arrêt quasi-pilote rendu en 2009 (2). 1) L’inefficacité des mesures initiales pour endiguer les violations de l’article 5 § 3 La résolution de la question des détentions prolongées illustre bien l’incidence de la jurisprudence européenne sur le long terme. En complément indispensable de la prise de mesures individuelles pour les requérants à l’égard desquels avait été constatée une violation de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH (a), l’adoption d’un nouveau CPP est rapidement apparue inévitable aux yeux du législateur polonais (b). Mais l’arrêt A.S. de la CEDH a confirmé que l’abrogation du Code de 1969 n’avait pas permis de résoudre le problème de la durée excessive des détentions provisoires (c). Une seconde réforme législative est donc intervenue dans la foulée de l’arrêt A.S. (d). Un rôle important a été joué par la justice interne pour changer les pratiques et veiller au respect des arrêts de la CEDH (e). 225 Ibidem, §§ 66-70. Le 20 janvier 2016, le Comité des ministres a mis un terme au suivi de l’arrêt Iwańczuk, principalement surveillé pour la violation de l’article 3 de la Conv. EDH (Cf. infra, Partie II, Titre II, Chapitre I, Section I). Aucune autre mesure individuelle que le versement de la satisfaction équitable n’était nécessaire puisque le requérant était en liberté au moment où la CEDH examina sa requête. Malgré des circonstances particulières à l’origine de la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (des frais de caution excessivement élevés), le Comité a renvoyé au groupe d’affaires Trzaska l’évaluation des mesures générales adoptées par l’État défendeur. Voir Com. Min., Résolution CM/Res/DH(2016)4 (exécution de l’arrêt Iwańczuk c. Pologne), 20 janvier 2016, 1245e réunion des délégués, et son annexe (bilan d’action). 390 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » a) La fin de la détention dans les affaires ayant entraîné la condamnation de la Pologne devant la CEDH au titre de l’article 5 § 3 608 - Des mesures individuelles consistant en la remise en liberté des victimes de détentions provisoires excessivement longues226 ont été décidées par les autorités polonaises suite aux condamnations prononcées sur le fondement de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH, comme en a été informé le Comité des ministres du Conseil de l’Europe à l’occasion du suivi de l’arrêt Trzaska et de 43 autres affaires similaires. Toutefois, les autorités nationales n’ont pas précisé le nombre exact de victimes remises en liberté après l’arrêt de la CEDH sur l’ensemble des jugements concernés, se contentant d’une formule imprécise : « [d]ans la majorité de ces affaires, la détention provisoire mise en cause par la Cour européenne a pris fin »227. 609 - La Pologne semble en règle générale déterminée à prononcer la cessation des violations en cours lorsque cela concerne la durée excessive des détentions provisoires. Manquent hélas les raisons explicites du maintien en détention des autres requérants, minoritaires, à qui la Cour de Strasbourg avait pourtant donné gain de cause. Dans l’attente d’une résolution finale du Comité des ministres qui mettrait fin au suivi de l’exécution des affaires en cause, cette interrogation en suspend tempère le constat du bon respect par la Pologne de ses obligations d’adopter des mesures individuelles nécessaires à l’exécution d’un arrêt de la CEDH. L’adoption du CPP de 1997 fut, bien entendu, la première mesure générale adoptée par la Pologne, bien qu’elle eût précédé les condamnations de la CEDH. La réforme du 20 juillet 2000 a tenté de corriger les dispositions potentiellement inconventionnelles de ce nouveau code. b) Les réformes de la procédure pénale (1997-2007) 610 - Destiné à marquer une rupture avec l’article 217 § 1 du CPP de 1969 impliqué dans la violation de l’article 5 § 3 retenue dans l’affaire Trzaska, l’article 263 du CPP de 1997 entré en vigueur le 1er septembre 1998 disposait initialement : « § 1. Lorsqu’elle impose la détention au cours d’une enquête, la juridiction peut fixer son terme pour une période n’excédant 226 C’est la mesure individuelle qui s’impose nécessairement. La détention provisoire prolongée en violation de l’art. 5 de la Conv. EDH doit être considérée comme une violation continue de ce texte et l’arrêt prononcé par la Cour fait peser sur l’État l’obligation immédiate d’y mettre un terme (Jörg POLAKIEWICZ, « The Execution of Judgments of the European Court of Human Rights », in Robert BLACKBURN, Jörg POLAKIECZk (dir.), Fundamental rights in Europe – The ECHR and its member states 1950-2000, Oxford, Oxford Press University, 2001, pp. 57-58). 227 Com. Min., Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)75 (exécution des arrêts dans 44 affaires contre la Pologne), 6 juin 2007, 997e reunion des délégués, annexe I. 391 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME pas trois mois. § 2. Si, du fait des circonstances particulières de l’affaire, une enquête ne peut être terminée avant le terme auquel il est fait référence au paragraphe 1, la juridiction de première instance saisie de l’affaire peut – si besoin et sur demande du procureur – prolonger la détention pour une ou des périodes qui, en totalité, ne peuvent excéder douze mois. § 3. La période totale de détention provisoire, jusqu’à la date à laquelle la condamnation en première instance est infligée, ne peut excéder deux ans. § 4. Seule la Cour suprême peut, sur demande de la juridiction saisie de l’affaire ou, lors de la phase d’enquête sur demande du Procureur général, prolonger la détention provisoire pour une nouvelle période fixée n’excluant pas les périodes auxquelles il est fait référence aux paragraphes 2 et 3, quand cela est nécessaire dans le contexte d’une suspension de procédure, d’une mise en observation psychiatrique prolongée de l’accusé, d’une préparation prolongée d’un rapport d’expert, lorsque les éléments de preuve doivent être obtenus dans une affaire particulièrement complexe ou de l’étranger, lorsque l’accusé a délibérément prolongé les procédures, mais également en raison d’obstacles significatifs insurmontables »228. 611 - Un premier amendement, entré en vigueur 1er septembre 2000229, est venu modifier l’article 263 § 4 en assignant à la cour d’appel de la circonscription administrative où le délit a été commis la compétence pour prolonger les détentions. Il apparaît que cette nouvelle rédaction a été la source d’un très grand nombre de détentions provisoires prolongées au-delà d’une durée de deux ans et a contribué à l’inflation du contentieux devant la CEDH. Saisi d’un recours portant sur les dispositions de cet article 263, le Tribunal constitutionnel a jugé contraire à la Constitution le nouveau paragraphe 4. Était précisément en cause la formulation même de ce texte (« d’autres obstacles significatifs insurmontables ») accentuée par l’absence de limitation de la durée légale pour prolonger la détention provisoire230. Le Tribunal a estimé que ces dispositions portaient atteinte au respect des droits et libertés constitutionnels de façon imprécise, arbitraire et générale, affectant par-là même le fondement des libertés constitutionnelles231. Cependant, l’arrêt du Tribunal constitutionnel revêtait une portée limitée 228 Loi du 6 juin 1997 – Code de procédure pénale, préc. 229 Ustawa z dnia 20 lipca 2000 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego, ustawy - Przepisy wprowadzające Kodeks postępowania karnego oraz ustawy - Kodeks karny skarbowy [Loi du 20 juillet 2000 de modification du Code de Procédure Pénale, du règlement d’introduction au Code de Procédure Pénale, du Code Pénal Fiscal], Dz. U., 2000, n°62, texte 717, pp. 3798-3801. 230 TCP, n°SK 58/03, 24 juillet 2006, OTK ZU, 2006, n°7A, texte 85. 231 L’article 263 § 4 était également inconventionnel, la Pologne ayant été condamnée sur le fondement de l’article 5 § 3 en 2009 dans la retentissante affaire Kauczor. En l’espèce, le requérant avait été détenu en déten- 392 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » puisqu’il se bornait à déclarer l’inconstitutionnalité des dispositions précitées seulement lorsque la détention provisoire était prononcée au stade de l’enquête. Le Tribunal constitutionnel avait également choisi de suspendre les effets de sa jurisprudence à six mois232. Il voulait contraindre le législateur à intervenir rapidement, ce que fit en effet celui-ci avec l’amendement adopté le 12 janvier 2007233. 612 - Aucune modification n’a été portée depuis 1997 à l’énumération des motifs autorisant les prolongations des détentions provisoires. L’article 249 § 1 du CPP impose l’existence d’une condition générale (le besoin de sécuriser la procédure ou de prévenir d’autres infractions graves par l’accusé ; la haute probabilité que l’accusé soit l’auteur de l’infraction au regard des preuves collectées) couplée avec au moins une condition particulière mentionnée à l’article 258 (l’accusé risque de s’enfuire ou de se dissimuler, en particulier si son identité n’est pas établie ou s’il n’a pas de domicile ; une crainte justifiée existe que l’accusé tente d’influencer des témoins ou d’entraver illégalement le cours de la procédure ; l’infraction reprochée est grave, l’accusé encourt jusqu’à huit ans de prison ou a été condamné en première instance à au moins trois ans de prison ; des raisons de penser que l’accusé pourrait commettre un acte dommageable pour la vie, la santé ou la sécurité du public existent). Le changement de pratiques des juridictions internes était l’autre objectif à atteindre pour le gouvernement afin de réduire le recours à la détention provisoire. c) La sensibilisation de l’institution judiciaire au droit de la Convention 613 - La durée excessive des détentions provisoires, dénoncée à satiété par la CEDH, ne pouvait pas davantage laisser indifférents les acteurs du monde judiciaire. C’est pourquoi les juridictions et le Ministère public ont décidé d’adopter une série de mesures destinées à améliorer la planification des procédures pénales et en renforcer l’efficacité. Une pléthore d’exemples met en évidence la sensibilisation des professionnels du droit aux exigences européennes. L’information des magistrats, avocats ou autres professions en relations avec le milieu carcéral est généralement prise en charge par un ministre et s’effectue par la voie de l’information directe aux juridictions mais aussi par la publication régulière des arrêts de la CEDH. tion provisoire durant sept ans, dix mois et trois jours (entre 2000 et 2007). CEDH, Kauczor c. Pologne, n°45219/06, §§ 36-47, 3 février 2009. 232 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)75 (exécution des arrêts dans 44 affaires contre la Pologne), préc. 233 Ustawa z dnia 12 stycznia 2007 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego [Loi du 12 janvier 2007 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2007, n°20, texte 116, pp. 1153-1154. 393 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 614 - Le gouvernement avait considéré que l’affaire Ciepłuch, à l’origine d’un rapport de la Com. EDH retenant la violation de l’article 5 § 3234, résultait de circonstances spécifiques dont l’information des autorités permettait d’empêcher toute reproduction à l’avenir. Il avait alors assuré la réception du rapport par l’envoi de la traduction de celui-ci aux institutions mises en cause : le procureur de Złotowo et la cour régionale de Poznań. Le ministère de la Justice avait en outre été chargé d’en distribuer des copies à toutes les juridictions polonaises et avait envoyé une circulaire au directeur du département juridique des affaires notariales. Enfin, le Bureau d’information du Conseil de l’Europe à Varsovie a publié dans son Bulletin (n°3/2000) le texte du rapport Ciepłuch235. Les autorités directement concernées ainsi que toutes les juridictions ont reçu de la part du ministre de la Justice une traduction de l’arrêt Niedbała, dans lequel avaient été retenues les violations des articles 5 § 3 et 5 § 4 de la Conv. EDH236. Les arrêts Chodecki, Olstanski, Rybacki, entre autres, ont été mis en ligne sur le site officiel du ministère de la Justice afin de faire connaître les exigences de la CEDH237. 615 - À l’occasion du suivi des nombreuses affaires qui, faisant suite à la jurisprudence Trzaska, ont révélé la violation de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH en raison de la durée excessive des détentions provisoires, le ministre de la Justice a transmis au printemps 2004238 à tous les présidents de cours d’appel une lettre portant sur les conditions de placement et de maintien en détention avec une analyse de la jurisprudence de la CEDH. Tribunaux et procureurs furent les destinataires de lettres circulaires. Le ministre y précisait l’interprétation à donner à l’article 258 § 2 du CPP afin d’en rendre les dispositions compatibles avec les standards européens, précisant que la raison invoquée dans ce paragraphe (crimes passibles d’une lourde peine d’emprisonnement) ne pouvait justifier la détention d’une personne pendant une longue durée239. À partir de février 2006, des directives régulières ont été édictées en vue de diminuer 234 Com. EDH, Ciepłuch c. Pologne, n°31488/96, 20 mai 1998. La Commission avait retenu dans son rapport la violation de l’article 5 § 3 mais aussi de l’article 6 § 1 en raison de la durée de la procédure pénale. 235 Com. Min., Résolution finale ResDH(2001)10 (exécution du rapport de la Com. EDH Ciepłuch c. Pologne), 26 février 2001, 741e réunion des délégués. Il faut ajouter que l’État a failli dans cette affaire à verser la satisfaction équitable dans les délais fixés et a donc été contraint de verser des intérêts moratoires. 236 Com. Min., ResDH(2002)124 (exécution de l’arrêt Niedbała contre la Pologne), 21 octobre 2002, 810e réunion des délégués. 237 Com. Min., Résolution ResDH(2001)11 (exécution de l’arrêt Musiał c. Pologne), 26 février 2001, 741e réunion des délégués, annexe ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)240 (exécution de l’arrêt Rybacki c. Pologne), 2 décembre 2011, 1128e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 238 La date n’est pas établie avec certitude. L’annexe à la résolution CM/ResDH(2007)75 du Comité des ministres mentionne le 4 avril 2004 tandis que le Mémorandum du Commissaire aux Droits de l’Homme de juin 2007 évoque la date du 4 juin 2004. 239 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)75 (exécution des arrêts dans 44 affaires contre la Pologne), préc., annexe I ; Commiss. DH, Mémorandum au gouvernement polonais, préc., § 38, p. 8. 394 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » les détentions provisoires pour des infractions mineures. L’objectif du gouvernement était alors d’inciter la justice à recourir aux détentions provisoires seulement pour les infractions les plus graves240. 616 - Cette pratique de l’information des autorités judiciaires déjà très répandue a finalement été consacrée et systématisée à partir de l’année 2007 par le Plan d’action du gouvernement pour l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la Pologne241. Il y est fait obligation au ministre de la Justice de transmettre régulièrement aux juges et aux procureurs des informations sur les standards européens en vigueur sur la longueur de la détention provisoire ainsi que sur des arrêts de la Cour de Strasbourg. Par ailleurs, la problématique des détentions provisoires fut intégrée à la formation des juges242. 617 - L’envoi d’informations sur les standards européens et la diffusion des arrêts de la Cour de Strasbourg, assurés par le gouvernement, ont porté en partie leurs fruits. Il a été relevé au début de l’année 2006 que dans 26 affaires (impliquant 6 des 11 circonscriptions administratives des cours d’appel du pays), les juridictions internes avaient fait explicitement référence, dans leurs décisions, à la jurisprudence de la CEDH et parfois même aux circulaires du ministre de la Justice s’y rapportant. Les autorités polonaises ont fait savoir au Conseil de l’Europe que, « dans la plupart de ces affaires, les tribunaux ont décidé de mettre un terme à la détention provisoire et de la remplacer par des mesures alternatives contraignantes, telles que l’obligation de se présenter à la police ou l’interdiction de quitter le territoire »243. Cette simple prise de conscience par le juge ordinaire polonais peut être analysée comme un élément de la mécanique de réception engagée par la Pologne dès lors qu’elle contribue à changer les réflexes de la justice pénale pour adopter des mesures compatibles avec les standards européens résultant de la jurisprudence de la CEDH. Des affaires portées ultérieurement devant la CEDH ont donné l’occasion au juge européen de contrôler la conformité à l’article 5 § 3 des détentions provisoires fondées sur la 240 Ibidem, § 39, p.8. 241 Program Działań Rządu w sprawie wykonywania wyroków Europejskiego Trybunału Praw Człowieka wobec Rzeczpospolitej Polskiej ; cf. Introduction, paragraphe 56. 242 Depuis 1996, le Bureau d’information du Conseil de l’Europe à Varsovie (devenu depuis 2011 et la modification de ses statuts, le Bureau du Conseil de l’Europe) organise des séminaires de formation pour les juges et les procureurs tout en assurant la diffusion d’une sélection d’arrêts de la CEDH à travers son Bulletin. Des ateliers sont également organisé au siège de la Cour, à Strasbourg (par ex : 78 participants sur l’année 2015). Entre 1996 et mai 2015, 5 500 juges avaient déjà bénéficié du programme de formation (Entretien avec Hanna Machińska, Varsovie, 25 mai 2015). 243 Com. Min., Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)75 (exécution des arrêts dans 44 affaires contre la Pologne), préc., annexe. 395 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME nouvelle législation. d) La législation post-transitionnelle contrôlée par la Cour 618 - Après l’entrée en vigueur du CPP de 1997 le 1er septembre 1998, puis de l’amendement relatif à l’autorité compétente du 20 juillet 2000, les violations de l’article 5 § 3 se sont poursuivies pour des raisons similaires à celles notamment constatées dans l’affaire Trzaska. Les premières affaires dans lesquelles la détention provisoire s’appuyait pleinement sur le nouveau Code ont été à l’origine des arrêts Górski, Jarzyński, Kankowski et Krawczak du 4 octobre 2005244. Ce qui était mis en cause ne fut pas tant la lettre de la loi polonaise au sens étroit que l’interprétation qui pouvait en être faite par les autorités judiciaires polonaises dans les phases d’instruction des procédures pénales, antérieures à la publication de l’acte d’accusation. Dans les affaires Gołek et Celejewski245 par exemple, les requérants étaient accusés d’infractions graves, respectivement d’homicide et d’enlèvement avec demande de rançon ; la CEDH a considéré contraires aux stipulations de l’article 5 § 3 des périodes de détention provisoire de trois ans, deux mois et cinq jours et de trois ans, neuf mois et quinze jours en raison du manque de circonstances particulièrement graves pour justifier une privation de liberté aussi durable. Les arguments de l’État défendeur mettant en évidence la gravité des infractions, la forte probabilité que les accusés les aient commises et la peur de récidives ou de subornations de témoins en cas de remise en liberté ainsi que la complexité des dossiers n’ont pu – en l’absence d’éléments concrets – convaincre la Cour que l’article 5 § 3 avait été respecté dans ces cas d’espèce. Une longue liste de condamnations246 a ainsi pris la suite de la 244 CEDH, Górski c. Pologne, n°28904/02, 4 octobre 2005 ; CEDH, Jarzyński c. Pologne, n°15479/02, 4 octobre 2005 ; CEDH, Kankowski c. Pologne, n°10268/03, 4 octobre 2005 ; CEDH, Krawczak c. Pologne, n°17732/03, 4 octobre 2005. 245 CEDH, Gołek c. Pologne, n°31330/02, 25 avril 2006 ; CEDH, Celejewski c. Pologne, n°17584/04, 4 mai 2006. 246 En plus des six arrêts cités précédemment, s’ajoutent : CEDH, Kozłowski c. Pologne, n°31575/03, 13 décembre 2005 ; CEDH, Harazin c. Pologne, n°38227/02, 10 janvier 2006 ; CEDH, Świerzko c. Pologne, n°9013/02, 10 janvier 2006 ; CEDH, Leszczak c. Pologne, n°36576/03, 7 mars 2006 ; CEDH, Jaworski c. Pologne, n°25715/02, 28 mars 2006 ; CEDH, Kubicz c. Pologne, n°16535/02, 28 mars 2006 ; CEDH, Malik c. Pologne, n°57477/00, 4 avril 2006 ; CEDH, Michta c. Pologne, n°13425/02, 4 mai 2006 ; CEDH, Miszkurka c. Pologne, n°39437/03, 4 mai 2006 ; CEDH, Drabek c. Pologne, n°5270/04, 20 juin 2006 ; CEDH, Pasiński c. Pologne, n°6356/04, 20 juin 2006 ; CEDH, Dzyruk c. Pologne, n°77832/01, 4 juillet 2006 ; CEDH, Telecki c. Pologne, n°56552/00, 6 juillet 2006 ; CEDH, Kozik c. Pologne, n°25501/02, 18 juillet 2006 ; CEDH, Cabała c. Pologne, n°23042/02, 8 août 2006 ; CEDH, Cegłowski c. Pologne, n°3489/03, 8 août 2006 ; CEDH, Zasłona c. Pologne, n°25301/02, 10 octobre 2006 ; CEDH, Gąsiorowski c. Pologne, n°7677/02, 17 octobre 2006 ; CEDH, Stankiewicz c. Pologne, n°29386/03, 17 octobre 2006 ; CEDH, Stemplewski c. Pologne, n°30019/03, 24 octobre 2006 ; CEDH, Żąk c. Pologne, n°31999/03, 24 octobre 2006 ; CEDH, Zych c. Pologne, n°28730/02, 24 octobre 2006 ; CEDH, Stenka c. Pologne, n°3675/03, 31 octobre 2006 ; CEDH, Zborowski c. Pologne, n°13532/03, 31 octobre 2006 ; CEDH, Hass c. Pologne, n°2782/04, 7 novembre 2006 ; CEDH, Osuch c. Pologne, n°31246/02, 14 novembre 2006 ; CEDH, Oleksy c. Pologne, n°64284/01, 28 novembre 2006 ; CEDH, Trzciałkowski c. Po- 396 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » première série d’arrêts, où était encore en cause la législation socialiste. Les violations plus récemment constatées de l’article 5 § 3 de la Conv. EDH mettent en exergue les insuffisances de la législation post-transitionnelle. Il existe une divergence essentielle entre les exigences très strictes de la CEDH sur le maintien en détention provisoire et la tendance développée par logne, n°26918/02, 28 novembre 2006 ; CEDH, Lachowski c. Pologne, n°27556/03, 5 décembre 2006 ; CEDH, Depa c. Pologne, n°62324/00, 12 décembre 2006 ; CEDH, Dombek c. Pologne, n°75107/01, 12 décembre 2006 ; CEDH, Dolasiński c. Pologne, n°6334/02, 19 décembre 2006 ; CEDH, Duda c. Pologne, n°67016/01, 19 décembre 2006 ; CEDH, Piotr Kuc c. Pologne, n°37766/02, 19 décembre 2006 ; CEDH, Adamiak c. Pologne, n°20758/03, 19 décembre 2006 ; CEDH, Wolf c. Pologne, n°15667/03 et n°2929/04, 16 janvier 2007 ; CEDH, Trzadnel c. Pologne, n°26876/03, 16 janvier 2007 ; CEDH, Wedler c. Pologne, n°44115/98, 16 janvier 2007 ; CEDH, Ryckie c. Pologne, n°19583/05, 30 janvier 2007 ; CEDH, Najdecki c. Pologne, n°62323/00, 6 février 2007 ; CEDH, Kwiatek c. Pologne, n°20204/02, 6 février 2007 ; CEDH, Garycki c. Pologne, n°14348/02, 6 février 2007 ; CEDH, Czajka c. Pologne, préc. ; CEDH, Święcicki c. Pologne, n°25490/03, 12 avril 2007 ; CEDH, Kwiatkowski c. Pologne, n°20200/02, 12 avril 2007 ; CEDH, Szadejko c. Pologne, n°39031/05, 24 avril 2007 ; CEDH, Kaszczyniec c. Pologne, n°59526/00, 22 mai 2007 ; CEDH, Rojek c. Pologne, n°15969/06, 22 mai 2007 ; CEDH, Polakowski c. Pologne, n°4657/02, 31 mai 2007 ; CEDH, Abramczyk c. Pologne, n°28836/04, 12 juin 2007 ; CEDH, Rubacha c. Pologne, n°5608/04, 12 juin 2007 ; CEDH, Amurchanian c. Pologne, préc. ; CEDH, Lewandowski c. Pologne, n°29437/02, 3 juillet 2007 ; CEDH, Tonderys c. Pologne, n°14382/04, 10 juillet 2007 ; CEDH, Szmajchel c. Pologne, n°21541/03, 17 juillet 2007 ; CEDH, Kuc c. Pologne, n°73102/01, 17 juillet 2007 ; CEDH, Kąkol c. Pologne, n°3994/03, 6 septembre 2007 ; CEDH, Mucha c. Pologne, n°32849/04, 6 septembre 2007 ; CEDH, Schmalz c. Pologne, n°19177/03, 6 septembre 2007 ; CEDH, Zenon Michalak c. Pologne, n°16864/02, 18 septembre 2007 ; CEDH, Owczar c. Pologne, n°34117/02, 18 septembre 2007 ; CEDH, Skalski c. Pologne, n°28031/06, 9 octobre 2007 ; CEDH, Bobryk c. Pologne, n°20005/04, 9 octobre 2007 ; CEDH, Krowiak c. Pologne, n°12786/02, 16 octobre 2007 ; CEDH, Szydłowski c. Pologne, préc. ; CEDH, Niećko c. Pologne, n°3500/04, 16 octobre 2007 ; CEDH, Malikowski c. Pologne, préc. ; CEDH, Osiński c. Pologne, préc. ; CEDH, Owsik c. Pologne, n°10381/04, 17 octobre 2007 ; CEDH, Wedekind c. Pologne, n°26110/04, 23 octobre 2007 ; CEDH, Banasiak c. Pologne, n°3158/06, 23 octobre 2007 ; CEDH, Górecka c. Pologne, n°41230/04, 23 octobre 2007 ; CEDH, Ratusznik c. Pologne, préc. ; CEDH, Zwierz c. Pologne, n°39205/04, 6 novembre 2007 ; CEDH, Lyp c. Pologne, n°25135/04, 13 novembre 2007 ; CEDH, Sojka c. Pologne, n°15363/05, 4 décembre 2007 ; CEDH, Szwec c. Pologne, n°45027/06, 4 décembre 2007 ; CEDH, Marczuk c. Pologne, n°4646/02, 8 janvier 2008 ; CEDH, Pisarkiewicz c. Pologne, n°18967/02, 22 janvier 2008 ; CEDH, Kurczewski c. Pologne, n°18157/04, 22 janvier 2008 ; CEDH, Rochala c. Pologne, n°14613/02, 29 janvier 2008 ; CEDH, Kubik c. Pologne, n°12848/03, 29 janvier 2008 ; CEDH, Popławski c. Pologne, n°28633/02, 29 janvier 2008 ; CEDH, Gracki c. Pologne, n°14224/05, 29 janvier 2008 ; CEDH, Pyrak c. Pologne, n°54476/00, 12 février 2008 ; CEDH, Hołowczak c. Pologne, n°25413/04, 4 mars 2008 ; CEDH, Stankiewicz c. Pologne (révision), n°29386/03, 4 mars 2008 ; CEDH, Bereza c. Pologne, n°38713/06, 1er avril 2008 ; CEDH, Piotrowski c. Pologne, n°45217/06, 20 mai 2008 ; CEDH, Korzeb c. Pologne, n°39586/03, 20 mai 2008 ; CEDH, Adam Sienkiewicz c. Pologne, n°25668/03, 27 mai 2008 ; CEDH, Zięba c. Pologne, n°4959/04, 3 juin 2008 ; CEDH, Jarosław Jakubiak c. Pologne, n°39595/05, 3 juin 2008 ; CEDH, Kowalczyk c. Pologne, n°44131/05, 1er juillet 2008 ; CEDH, Mirosław Jabłoński c. Pologne, n°33985/05, 8 juillet 2008 ; CEDH, Konrad c. Pologne, n°33374/05, 8 juillet 2008 ; CEDH, Marchowski c. Pologne, n°10273/02, 8 juillet 2008 ; CEDH, Drozdovs c. Pologne, n°35367/05, 22 juillet 2008 ; CEDH, Makowski c. Pologne, n°41012/05, 22 juillet 2008 ; CEDH, Choumakov c. Pologne, n°33868/05, 29 juillet 2008 ; CEDH, Czuwara c. Pologne, n°36250/06, 29 juillet 2008 ; CEDH, Ochlik c. Pologne, n°8260/04, 29 juillet 2008 ; CEDH, Naus c. Pologne, n°7224/04, 16 septembre 2008 ; CEDH, Kachel c. Pologne, n°22930/05, 23 septembre 2008 ; CEDH, Markoń c. Pologne, n°2697/06, 30 septembre 2008 ; CEDH, Dublas c. Pologne, préc. ; CEDH, Hagen c. Pologne, n°7478/03, 14 octobre 2008 ; CEDH, Guziuk c. Pologne, n°39469/02, 21 octobre 2008 ; CEDH, Cynarski c. Pologne, n°30049/06, 4 novembre 2008 ; CEDH, Bruczyński c. Pologne, n°19206/03, 4 novembre 2008 ; CEDH, Janulis c. Pologne, n°20251/04, 4 novembre 2008 ; CEDH, Muszyński c. Pologne, n°24613/04, 13 novembre 2008 ; CEDH, Marecki c. Pologne, n°20834/02, 2 décembre 2008 ; CEDH, Gulczyński c. Pologne, n°31176/06, 2 décembre 2008 ; CEDH, Janicki c. Pologne, n°35821/06, 2 décembre 2008 ; CEDH, Wojciechowicz c. Pologne, n°5422/04, 9 décembre 2008 ; CEDH, Loś c. Pologne, n°24023/06, 13 janvier 2009 ; CEDH, Fiłon c. Pologne, n°39163/06, 13 janvier 2009 ; CEDH, Lemejda c. Pologne, n°11825/07, 13 janvier 2009 ; CEDH, Żywicki c. Pologne, n°27992/06, 20 janvier 2009 ; CEDH, Pakos c. Pologne, n°3252/04, 20 janvier 2009 ; CEDH, Sandowycz c. Pologne, n°37274/06, 27 janvier 2009. 397 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME les juridictions polonaises, qui semblent privilégier la sécurité de l’instruction et de l’ordre public au détriment des droits individuels du mis en examen. En application d’un jugement du Tribunal constitutionnel, le législateur a modifié le CPP en 2007 afin de durcir les conditions nécessaires à réunir pour fonder le prolongement d’une détention. e) La loi du 12 janvier 2007 amendant le Code de procédure pénale 619 - Plus conséquente, cette seconde modification est intervenue à la suite du jugement du Tribunal constitutionnel du 24 juillet 2006 déjà évoqué247. Saisi par voie d’exception à l’occasion d’un litige portant sur la durée d’une détention provisoire, le Tribunal a déclaré inconstitutionnelles les dispositions du quatrième paragraphe de l’article 263 lorsqu’elles se rapportent à la procédure d’enquête. Contraint de légiférer à nouveau, le Parlement a adopté le 12 janvier 2007 une nouvelle rédaction de ce texte, entrée en vigueur le 16 février 2007 lors de sa publication au Journal des Lois248 : « § 4. La prolongation de l’application de la détention provisoire au-delà des périodes spécifiées aux paragraphes 2 et 3 ne peut être ordonnée que par la cour d’appel, dans la circonscription administrative de laquelle la procédure est menée, sur demande de la cour saisie de l’affaire, et au cours de l’enquête sur demande du procureur d’appel. En cas de nécessité, elle peut être prolongée à l’occasion d’une suspension des procédures pénales, d’actions visant à établir ou confirmer l’identité de l’accusé, de mise en observation psychiatrique prolongée de l’accusé, de la préparation prolongée de l’avis d’un expert, lors de la recherche de preuves dans une affaire particulièrement complexe ou à l’étranger, ou lors de la prolongation intentionnelle des procédures par l’accusé. » 620 - Par ailleurs, le législateur a introduit un nouveau paragraphe à cet article, permettant de respecter strictement la jurisprudence du Tribunal constitutionnel : « § 4a. La cour d’appel de la circonscription administrative dans laquelle la procédure est menée peut ordonner la prolongation de la détention provisoire pour une période fixée, n’excédant pas celle spécifiée au paragraphe 3, également en raison d’autres obstacles significatifs insurmontables, ceci sur demande de la juridiction saisie de l’affaire. » La notion « d’obstacles significatifs insurmontables », sanctionnée par le Tribunal constitutionnel lorsqu’elle s’applique aux détentions prononcées durant la phrase de l’enquête, est donc ici réintroduite mais entourée de garanties 247 TCP, n°SK 58/03, préc. 248 Ustawa z dnia 12 stycznia 2007 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego [Loi du 12 janvier 2007 portant modification du Code de procédure pénale], Dz. U., 2007, n°20, texte 116, pp. 1153-1154. 398 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » afin de permettre « une utilisation plus flexible »249 de celle-ci. 621 - La durée excessive des détentions provisoires a été engendrée, dans certains cas de figure, par une succession de défaillances affectant les auditions de témoins. Il n’était pas rare en effet que certaines procédures pénales complexes, nécessitant de nombreux interrogatoires, fussent retardées par l’absence des participants, délibérée ou négligente, voire par la désobéissance des avocats. Une série d’amendements portée par la loi du 9 mai 2007250 entrée en vigueur le 20 juin de cette même année a accru le pouvoir des autorités judiciaires pour discipliner les participants à la procédure, parfois responsables de la durée excessive de celle-ci. Ces amendements visent à remédier principalement au problème extrêmement lourd de la longueur des procédures judiciaires en Pologne. La question de la durée des détentions provisoires est étroitement liée à ces excès des délais procéduraux dans la mesure où, dans certaines affaires pénales, la mesure provisoire de détention se poursuit jusqu’à la condamnation de l’accusé, le cas échéant, par une décision de justice définitive. Depuis 2007, en conséquence, des amendes peuvent être infligées par les juridictions aux conseils et représentants des parties qui refusent de se soumettre aux ordres de l’autorité en charge de la procédure ou abandonnent sans autorisation une procédure en cours (article 285 § 1 (a) du Code). Pareillement, les experts, témoins, interprètes ou tout autre participant peuvent recevoir une amende si leur attitude a pour conséquence d’entraîner l’allongement anormal d’une procédure. Enfin, dans les hypothèses où le retard de la procédure provient de difficultés de défense et de représentation, un article 117 (a) a été introduit par la loi du 9 mai 2007 pour fixer à un seul par partie le nombre d’avocats à disposition de l’autorité judiciaire nécessaire pour que la procédure puisse se poursuivre. Cette disposition concerne l’hypothèse dans laquelle une partie à la procédure bénéficie de l’assistance simultanée de plusieurs avocats : il n’est plus nécessaire dorénavant d’obtenir la disponibilité de tous. Enfin, un autre amendement inclus dans cette loi prévoit que la juridiction compétente désigne un avocat commis d’office lorsque l’accusé a rejeté celui qui l’assistait jusqu’alors ou lorsque l’avocat a lui-même renoncé à assurer la défense de l’accusé, et ce afin d’éviter les stratégies d’obstruction. Ces mesures récentes n’ont pas encore révélé pleinement leurs bénéfices ou leurs in- 249 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)75 (exécution des arrêts dans 44 affaires contre la Pologne), préc., annexe I, II. 1. D. 250 Ustawa z dnia 9 maja 2007 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 9 mai 2007 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2007, n°99, texte 664, pp. 5984-5987. Cette loi modifie not. l’art. 285 § 1 du CPP en offrant la possibilité aux juges d’imposer jusqu’à 10 000 PLN d’amende en cas de défaillance d’un expert sollicité. 399 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME convénients quant à la pratique des gardes à vue en Pologne, les plaintes affluant au greffe de la Cour se fondant pour l’heure sur des faits antérieurs à l’application de la réforme de 2007. 2) Une résolution intérimaire du Comité des ministres et un arrêt quasi-pilote de la CEDH après de nouvelles violations de l’article 5 § 3 622 - Invité en 2007 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe à communiquer toutes les informations pertinentes relatives aux mesures prises pour remédier aux excès liés à la détention provisoire, le gouvernement a communiqué une série de statistiques illustrant l’évolution à la baisse de la durée des détentions provisoires et du volume de celles-ci. Ces statistiques ne concernaient que l’évolution de la durée des détentions provisoires pour les années 2005 et 2006. Elles fournissaient donc un aperçu des tendances sur une échelle de temps trop brève pour être représentative de la tendance véritablement amorcée. De plus, les chiffres communiqués ne correspondaient qu’à une « photographie » des détentions le 31 décembre 2005 et le 31 décembre 2006, non à une statistique moyenne portant sur l’ensemble des détentions provisoires prononcées tout au long de ces deux années. Ces données ont été établies par les juridictions directement concernées : les cours de district, les cours régionales et les cours d’appel. Elles ne révélaient guère une tendance générale à la baisse de la durée des détentions provisoires entre 2005 et 2006, mais seulement une diminution du nombre de détentions de courte durée (inférieures à trois mois) devant les cours de district et les cours régionales. En revanche, le nombre de détentions de longue durée était en hausse devant les cours régionales, ce que le gouvernement justifia par la gravité des affaires pour lesquelles ces juridictions étaient compétentes, par exemple les dossiers en rapport avec le crime organisé. De plus, ce sont les détentions de longue durée (six à douze mois, douze à vingt-quatre mois) qui ont eu tendance à augmenter devant les cours régionales. La proportion de détentions provisoires sur l’ensemble de la population carcérale avait enregistré de son côté une décrue constante. En 2006, 15,6 % de la population carcérale en Pologne était détenue au titre d’une mesure provisoire, ce qui constituait alors le taux le plus bas depuis vingt ans. Les autorités polonaises notaient en outre que la diminution du nombre de détenus provisoires était régulière depuis l’année 2003. Au cours de l’année 2005, les cours polonaises ont rendu 34 830 décisions relatives à des détentions provisoires. Ce nombre aurait diminué, selon le gouvernement, dès l’année suivante, avec « seulement » 33 181 décisions en la matière, soit une lé- 400 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » gère régression d’environ 5 % d’une année sur l’autre251. 623 - Le Comité des ministres a salué les progrès déjà réalisés dans sa résolution intérimaire du 6 juin 2007. Mais il a exprimé ses réserves face aux statistiques données par le gouvernement, celles-ci ne permettant pas d’établir un bilan de la durée des détentions au cours d’une année donnée. L’invocation par les juridictions de la jurisprudence de la CEDH – conséquence positive des efforts de sensibilisation engagés par le ministère de la Justice – ne s’accompagne pas systématiquement du prononcé de mesures de détention compatibles avec ladite jurisprudence. Plus grave encore, le Comité s’est inquiété de la nouvelle législation qui, à ses yeux, quand bien même elle limite à deux ans la période maximale de détention provisoire, peut générer des situations pour lesquelles la limite de temps est dépassée. Il a été mentionné précédemment que la réforme législative modifiant l’article 263 § 4 du CPP était intervenue après la déclaration d’inconstitutionnalité émise par le Tribunal constitutionnel à l’encontre des dispositions originales. Ceci laisse à penser que le législateur a réformé la procédure pénale en vue de la rendre conforme à la Constitution de 1997 avant tout. Le Comité des ministres a, enfin, requis de la Pologne la mise en place d’un outil statistique fiable afin de mesurer l’évolution de la durée des détentions provisoires, les chiffres fournis par le gouvernement ne permettant pas – pour une question d’ordre méthodologique – d’établir une tendance complète et incontestable de la durée des détentions. 624 - Au cours de la même période, le Commissaire aux droits de l’homme est venu rappeler aux autorités polonaises que « ce n’est pas la détention provisoire mais la libération qui doit être la règle ». Dans son Mémorandum au gouvernement en date du 20 juin 2007, le Commissaire a abordé la problématique des détentions provisoires, objet des paragraphes 36 à 40 du document. Avec en sa possession les informations transmises par les autorités étatiques, le Commissaire a adopté une position similaire à celle du Comité des ministres, quoique plus tranchée encore. Prenant note de l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 24 juin 2006, des initiatives de sensibilisation des juridictions à la question des détentions provisoires, et de la diminution du nombre de détenus provisoires, observée à partir de 2004, le Commissaire, loin de lui accorder un satisfecit, a pressé la Pologne à réformer sa procédure pénale. Le Mémorandum contenait ainsi une demande ferme aux autorités de « revoir les conditions d’application et de fonctionnement de la détention provisoire dans la législation polonaise », mettant encore l’accent sur la formation des juges et procureurs aux standards de la CEDH, 251 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2007)75 (exécution des arrêts dans 44 affaires contre la Pologne), préc., annexe I, II, 2. B. 401 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME estimée « de la plus haute importance »252. 625 - Malgré l’évolution du droit interne, l’ampleur des violations de l’article 5 § 3 en Pologne a incité la CEDH à franchir une étape supplémentaire en rendant l’arrêt quasi-pilote253 Kauczor au début de l’année 2009. La Cour y invoque l’article 46 de la Conv. EDH pour s’inquiéter de la durée des détentions, qualifiée de « problème largement répandu dérivant du dysfonctionnement de la justice pénale polonaise qui a affecté, et devrait continuer d’affecter dans le future, un nombre considérable de personnes encore non identifiées, poursuivies dans des procédures pénales ». Tirant toutes les conséquences de ce constat – et bien qu’elle ne suspende pas l’examen des requêtes similaires – la Cour invite l’État à remédier à ce « problème structurel » en « choisissant, sous le contrôle du Comité des ministres, les mesures générales et/ou individuelles, si appropriées, à adopter en droit interne pour mettre un terme à la violation trouvée par la Cour et en réparer autant que possible les conséquences »254. Symboliquement, cet arrêt dont les faits ressortissent à la caricature (le requérant avait été maintenu en détention provisoire pendant plus de sept ans et dix mois !) inaugure une troisième et dernière série d’affaires255 dont certaines illustraient l’application des nouvelles dis- 252 Commiss. DH, Mémorandum au gouvernement polonais, préc., p. 8, § 40. 253 Le sous-secrétaire d’État au ministère de la Justice polonais Igor Dzialuk a qualifié l’arrêt Kauczor de jugement « quasi-pilote » (Igor DZIALUK, « Quasi-pilote judgments – Comments from the perspective of Poland », in Pilot Judgment Procedure in the European Court à Human Rights – 3rd informal seminar for Governement Agents and other Institutions, Warszawa, Kontrast, 2009, pp. 110-112). Un rapport remis à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 2013 s’y réfère en revanche comme étant un arrêt pilote (Ass. CdE., Document 13087 (rapport), Assurer la viabilité de la Cour de Strasbourg : les défaillances structurelles dans les Étatsparties, 7 janvier 2013, p. 24. 254 CEDH, Kauczor c. Pologne, préc., §§ 55-62. 255 CEDH, Hilgartner c. Pologne, n°37976/06, 3 mars 2009 ; CEDH, Rusiecki c. Pologne, n°36246/97, 21 avril 2009 ; CEDH, Godysz c. Pologne, n°46979/06, 29 avril 2009 ; CEDH, Kulikowski c. Pologne, n°18353/03, 19 mai 2009 ; CEDH, Jan Pawlak c. Pologne, n°8661/06, 9 juin 2009 ; CEDH, Marzec c. Pologne, n°42868/06, 9 juin 2009 ; CEDH, Figas c. Pologne, n°7883/07, 23 juin 2009 ; CEDH, Feliński c. Pologne, n°31116/03, 7 juillet 2009 ; CEDH, Maruszak c. Pologne, n°11253/07, 7 juillet 2009 ; CEDH, Woźniak c. Pologne, n°29940/06, 7 juillet 2009 ; CEDH, Maciejewski c. Pologne, n°23755/03, 7 juillet 2009 ; CEDH, Dyller c. Pologne, n°39842/05, 7 juillet 2009 ; CEDH, Mgłosik c. Pologne, n°8403/02, 16 juillet 2009 ; CEDH, Janus c. Pologne, n°8713/03, 21 juillet 2009 ; CEDH, Kacprzyk c. Pologne, n°50020/06, 21 juillet 2009 ; CEDH, Jamroży c. Pologne, n°6093/04, 15 septembre 2009 ; CEDH, Wiśniewski c. Pologne, n°43610/06, 29 septembre 2009 ; CEDH, Lewicki c. Pologne, n°28993/05, 6 octobre 2009 ; CEDH, Kasza c. Pologne, préc. ; CEDH, Wojciech Kowalski c. Pologne, n°33734/06, 13 octobre 2009 ; CEDH, Piotr Osuch c. Pologne, n°30028/06, 3 novembre 2009 ; CEDH, Żurawski c. Pologne, n°8456/08, 24 novembre 2009 ; CEDH, Drużkowski c. Pologne, n°24676/07, 1er décembre 2009 ; CEDH, Goliszewski c. Pologne, n°14148/05, 8 décembre 2009 ; CEDH, Biśta c. Pologne, n°22807/07, 12 janvier 2010 ; CEDH, Wegera c. Pologne, n°141/07, 19 janvier 2010 ; CEDH, Krzysztofiak c. Pologne, n°38018/07, 20 avril 2010 ; CEDH, Bieniek c. Pologne, préc. ; CEDH, Kumenda c. Pologne, n°2369/09, 8 juin 2010 ; CEDH, Jarkiewicz c. Pologne, n°23623/07, 6 juillet 2010 ; CEDH, Jasari c. Pologne, n°17888/07, 12 octobre 2010 ; CEDH, Polański c. Pologne, n°42146/07, 12 octobre 2012 ; CEDH, Grzegorz Baranowski c. Pologne, n°40153/09, 9 novembre 2010 ; CEDH, Kulikowski c. Pologne (révision), n°18353/03, 21 décembre 2010 ; CEDH, Grochulski c. Pologne, n°33004/07, 18 janvier 2011 ; CEDH, Jęczmieniowski c. Pologne, n°747/09, 25 janvier 2015 ; CEDH, Zdziarski c. Pologne, n°14239/09, 25 janvier 2011 ; CEDH, Henryk Sikorski c. Pologne, n°10041/09, 25 janvier 2011 ; CEDH, Knyter c. Pologne, n°31820/06, 1er février 2011 ; 402 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » positions de l’article 263 du CPP. Par exemple, dans l’affaire Pakos, l’entrée en vigueur de l’amendement de 2007 n’a rien changé à la situation du requérant, pourtant maintenu en détention provisoire depuis le mois de février 2002256. Sept ans après sa résolution intérimaire sur les affaires relatives à l’article 5 § 3 de la Conv. EDH, le Comité des ministres s’est montré satisfait des mesures adoptées par la Pologne depuis 2010. 3) Une embellie confirmée par les arrêts récents et la résolution du Comité des Ministres pour le groupe d’affaire Trzaska 626 - Depuis 2012, plusieurs affaires portées devant la CEDH mettaient en cause la durée de détention provisoire ordonnée après la réécriture de l’article 263 du CPP. Une violation a été retenue dans les arrêts Różański (prononcé en janvier 2013), Mierzejewski (de 2014) et Matczak (de 2016)257, tandis que la CEDH jugeait la durée de la détention conforme à la Convention dans les affaires Simonov, (Krzysztof) Mierzejewski, (Tomasz) Mierzejewski et Rambiert258. S’ajoutent à ce bilan mis à jour plusieurs constats de violations évités par le recours du gouvernement aux déclarations unilatérales (article 37 de la Conv. EDH) en 2012 et en CEDH, Choumakov (n°2) c. Pologne, n°55777/08, 1er février 2011 ; CEDH, Trojanowski c. Pologne, n°27952/08, 8 février 2011 ; CEDH, Finster c. Pologne, n°24860/08, 8 février 2011 ; CEDH, Dyller c. Pologne (révision), n°39842/05, 14 février 2011 ; CEDH, Raducki c. Pologne, n°10274/08, 22 février 2011 ; CEDH, Bielski c. Pologne et Allemagne, n°18120/03, 3 mai 2011 ; CEDH, Bogusław Krawczak c. Pologne, n°24205/06, 31 mai 2011 ; CEDH, M. B. c. Pologne, n°11887/07, 26 juillet 2011 ; CEDH, Zambrzycki c. Pologne, n°10949/10, 20 décembre 2011 ; CEDH, Gałązka c. Pologne, n°18861/09, 14 février 2012 ; CEDH, Ruprecht c. Pologne, n°39912/06, 21 février 2012 ; CEDH, Piechowicz c. Pologne, n°20071/07, 17 avril 2012 ; CEDH, Dochnal c. Pologne, n°31622/07, 18 septembre 2012 ; CEDH, Popenda c. Pologne, n°39502/08, 9 octobre 2012 ; CEDH, Różański c. Pologne, n°16706/11, 22 janvier 2013 ; CEDH, Kowrygo c. Pologne, n°6200/07, 26 février 2013 ; CEDH, Zirajewski c. Pologne, n°32501/99, 9 juillet 2013 ; CEDH, Ślusarczyk c. Pologne, n°23465/04, 28 octobre 2014 ; CEDH, Mierzejewski c. Pologne, n°9916/13, 4 novembre 2014 ; CEDH, Chyła c. Pologne, préc. ; CEDH, Matczak c. Pologne, n°26649/12, 23 février 2016. 256 CEDH, Pakos c. Pologne, préc., § 22. 257 CEDH, Różanski c. Pologne, préc., §§ 25-33 (la détention a duré du 2 mars 2008 au 12 octobre 2011 et les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas une telle privation de liberté, selon le juge européen) ; CEDH, Mierzejewski c. Pologne (2014), préc., §§ 27-44 (détention de 3 ans, trois mois et 1 jour non justifiée malgré la nature de l’infraction reprochée au requérant : le trafic international de drogue en bande organisée) ; CEDH, Matczak c. Pologne, préc., §§ (le requérant a été détenu à deux reprises entre 2009 et 2014 pour un total de 3 ans et 10 mois de prison). 258 CEDH, Simonov c. Pologne, préc., §§ 22-36 ; CEDH, Mierzejewski c. Pologne (2015), préc., §§ 31-46 ; CEDH, Rambiert c. Pologne, préc., §§ 21-37. L’arrêt Gawrecki (préc.) pourrait être ajouté à la liste : la plus grande partie de la détention, prononcée le 15 novembre 2006, a été effectuée sous l’empire du nouvel article 263 du CPP. Le requérant a été remis en liberté le 19 janvier 2010 seulement, mais la Cour a jugé qu’aucun retard ni manque de motivation ne pouvait être opposé à la Pologne en l’espèce. 403 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 2015259. La prudence invite à ne pas considérer le problème comme définitivement résolu, mais il a du moins perdu son caractère systémique. Une nouvelle « vague » de diffusion des arrêts de la CEDH (a) et de nouvelles modifications du CPP (b) ont favorisé la diminution du nombre de détentions provisoires et la réduction de leur durée moyenne (c). a) De nouvelles initiatives pour sensibiliser la Justice au droit de la Convention 627 - La résolution finale adoptée par le Comité des ministres pour le groupe d’affaires Trzaska en décembre 2014 fournit une meilleure indication de l’état d’exécution de ces très nombreux arrêts. Dans son bilan d’action, le gouvernement a mentionné que toutes les requérants des 173 affaires suivies avaient été remis en liberté et que toutes les sommes attribuées comme satisfactions équitables avaient été versées. D’autre part, il a résumé l’ensemble des mesures générales permettant d’éviter dorénavant un nombre massif de détentions non conformes à la Conv. EDH. Un grand nombre d’arrêts ont été publiés dans la semaine où ils furent rendus sur le site Internet du ministère de la Justice (les arrêts Trzaska, Kauczor, Dochnal, Sałapa, Popenda, etc.). Sur ce même site, une brochure intitulée La Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et le droit à une durée de détention provisoire raisonnable a été rendue accessible en 2012. L’École nationale des juges et procureurs informe les magistrats, à travers ses séminaires de formation, des lignes de la jurisprudence européenne en application de l’article 5 § 3260. 628 - Depuis 2011, le Procureur général exerce une surveillance sur toutes les détentions provisoires excédant un an. Les informations sont remontées au sein de la hiérarchie du Parquet par les procureurs régionaux, qui signalent toutes les détentions provisoires au-delà de neuf mois. Ces détentions étant liées bien souvent à la durée de la phase d’instruction, toute enquête judiciaire prolongée de plus d’un an fait l’objet d’un contrôle par le supérieur du procureur en charge de la mener. Lorsqu’une détention provisoire est prorogée au-delà de la période légale de deux ans sur décision de la cour d’appel compétente, le ministre de la Justice peut décider de superviser (depuis 2008) l’application de la mesure préventive et les présidents de cours d’appel doivent rendre un rapport trimestriel sur leurs propres activités de surveillance 259 La somme proposée par le gouvernement pour indemniser un requérant victime d’une longue détention a été validée dans l’arrêt Paweł Pawlak de 2012 (préc.) et dans trois arrêts de 2015 : Masłowski (préc.), Pawlak (préc.) et Brajer (préc.). 260 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)268 (exécution des arrêts dans 173 affaires contre la Pologne), 4 décembre 2014, 1214e réunion des délégués, ainsi que son annexe (bilan d’action). 404 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » des détentions supérieures à deux ans. En 2013, le ministre de la Justice a diffusé auprès des cours d’appel un Guide général sur la surveillance administrative interne261. Les arrêts de la CEDH et les jugements du Tribunal constitutionnel polonais ont déclenché une nouvelle série de réformes étalées sur les dernières années. b) Les dernières réformes de la procédure pénale (2008-2015) 629 - De 2008 à 2015, plusieurs amendements ont éliminé du CPP les dispositions incompatibles avec les droits et libertés protégés par la Constitution et la Conv. EDH. L’article 263 § 4 du CPP, déjà amendé en janvier 2007, a fait l’objet d’une nouvelle modification par la loi du 24 octobre 2008. Celle-ci a retiré la possibilité de prolonger une détention lorsqu’un examen psychiatrique ou un rapport d’expert nécessite un temps anormalement long262. Le législateur espérait inciter les autorités judiciaires à utiliser leurs prérogatives pour discipliner les experts sollicités. 630 - Dans un jugement du 10 juin 2008, le Tribunal constitutionnel a pris en considération les standards conventionnels et a censuré les dispositions de l’article 263 § 3 du CPP au motif qu’il donnait libre cours à une interprétation selon laquelle la période maximale de détention provisoire (deux ans, sauf cas exceptionnels) ne prenait pas en compte le temps passé en prison lorsque le détenu purgeait dans le même temps une peine d’emprisonnement263. La déclaration d’inconstitutionnalité de ce texte a motivé l’amendement du 12 février 2009 qui est venu préciser l’application des dispositions litigieuses par l’ajout au Code de l’article 263 § 3a. En accord avec ce nouvel article, la période concommittante d’emprisonnement pour l’exécution d’une peine et de détention provisoire ordonnée dans une affaire différente est intégrée dans le calcul de la durée de la détention provisoire264. 631 - En 2012, le Tribunal constitutionnel a jugé que l’article 263 § 7 du CPP265 était inconstitutionnel en raison de son ambiguïté, puisqu’il ne mentionnait pas les motifs sur lesquels appuyer la prolongation d’une détention provisoire après un arrêt de première instance. Le 261 Ibidem. 262 Ustawa z dnia 24 października 2008 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego [Loi du 24 octobre 2008 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2008, n°225, texte 1485, p. 12534. 263 TCP, n°SK 17/07, 10 juin 2008, OTK ZU, 2008, n°5A, texte 78. 264 Ustawa z dnia 12 lutego 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego [Loi du 12 février 2009 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2009, n°28, texte 171, p. 2558. 265 Cet article dispose : « En cas de besoin de recourir à la détention provisoire à l’issue de la procédure devant la juridiction de première instance, chaque extension peut être accordée pour une période ne dépassant pas six mois » (Loi du 6 juin 1997 – Code de procécure pénale, préc.). 405 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Tribunal a invité le législateur à le modifier tout en soulignant que les juridictions ellesmêmes pouvaient éviter de violer la Constitution en précisant dans leurs décisions les raisons de la prolongation de la détention, en particulier en recourant aux conditions de l’article 258 § 1 du Code266. Cette réserve d’interprétation est toujours actuelle, le Parlement n’ayant pas abrogé ou remplacé les dispositions litigieuses. 632 - Enfin, la grande réforme de la procédure pénale entrée en vigueur le 1er janvier 2015 apporte de nouvelles garanties pour le détenu : la nomination d’un avocat en cas de prolongement de la détention provisoire ; la possibilité de repousser le délai dans lequel le détenu peut être libéré contre le versement d’une caution ; la limitation de la possibilité d’appliquer la détention provisoire pour les infractions mineures (sont désormais concernées les infractions punies de deux ans de prison maximum, même en cas de flagrant délit)267. L’impact de l’ensemble de ces mesures est bien réel. Les chiffres relatifs aux détentions provisoires de 2008 à 2013 montrent une nette baisse de la durée et du nombre de cellesci. c) La diminution continue du nombre et de la durée des détentions provisoires après 2008 633 - Fort de l’expérience de 2007, lorsque le Comité des ministres avait jugé insuffisantes les statistiques censées traduire la diminution du nombre de détentions provisoires, le gouvernement a recueilli pendant six ans les données se rapportant à l’application de la détention. Il en est ressorti une diminution constante du nombre de décisions de placement en détention provisoire entre 2008 (28 200 cette année-là) et 2013 (16 603). Au cours de la même période, le nombre de personne incarcérées provisoirement a diminué de 2 865 à 2 154 pour les procédures devant les cours régionales (en charge des infractions les plus graves) et surtout de 21 701 à 10 052 devant les cours de district. La durée moyenne des détentions a connu elle aussi une chute spectaculaire : le nombre de détentions de plus deux ans est tombé de 85 à 28 en cinq ans. Les détentions courtes (mois de trois mois) étaient au nombre de 1 794 en 2008 et seulement 847 en 2013. Les statistiques relatives aux autres mesures préventives, adoptée alternativement à la détention provisoire (caution, surveillance policière, interdiction de quit- 266 TCP, n°SK 3/12, 20 novembre 2012, OTK ZU, 2012, n°10A, texte 123. 267 Ustawa z dnia 27 września 2013 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2013, texte 1247. 406 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » ter le territoire, interdiction d’utiliser un véhicule) montrent également une inflexion, plus légère, quelle que soit la juridiction268. Cette comparaison démontre que la détention provisoire n’a pas été simplement remplacée par une mesure plus douce : la justice polonaise fait preuve aujourd’hui d’une attention accrue pour les libertés individuelles qui la conduit à infliger avec plus de modération des mesures provisoires aux personnes accusées ou poursuivies. La dernière conséquence de la durée excessive des procédures judiciaires est observable au niveau du délai de recours contre une décision de placement ou de maintien en détention, jugé trop important par la CEDH dans plusieurs affaires. § 2. LA DURÉE EXCESSIVE DU DÉLAI DE RECOURS CONTRE UNE DÉCISION PORTANT SUR LA DÉTENTION Les délais excessifs dont se rendirent responsables les juridictions internes dans l’examen des recours relatifs au placement en détention des individus est à mettre bien entendu en rapport direct avec la durée excessive des procédures judiciaires dans cet État. L’arrêt Musiał du 25 mars 1999 a été le premier en date à sanctionner l’inconventionnalité en Pologne d’un recours contre une décision portant sur une mesure de détention (A). Infiniment moins fréquentes, les violations de l’article 5 § 4 ont été contenues jusqu’à disparaître progressivement grâce aux mesures adoptées par les autorités (B). A. La nécessité de garantir un recours rapide contre une décision affectant la liberté du requérant 634 - Dans l’affaire Musiał, le requérant était poursuivi par le procureur régional de Katowice en raison d’une présomption de meurtre sur son épouse. Le 8 février 1988, la cour régionale de Katowice a ordonné son internement dans un hôpital psychiatrique après qu’une expertise médicale a conclu que l’intéressé représentait une menace pour l’ordre public269. Son place- 268 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)268 (exécution des arrêts dans 173 affaires contre la Pologne), préc., annexe (bilan d’action). 269 Dans la jurisprudence de la CEDH, le maintien en détention n’est légitimé, conformément à l’article 5 de la Conv. EDH, qu’à la condition que l’ordre public soit effactivement menacé par le suspect. Voir CEDH, Letellier c. France, n°12369/86, 26 juin 1991, Série A, n°207. En l’espèce, la Cour a admis que le maintien en détention de la requérante, accusée d’avoir commandité le meurtre de son mari, aurait pu être justifé par la préoccupation du maintien de l’ordre public qu’une remise en liberté menaçait de troubler. Une fois la menace écartée, la détention provisoire perdait toutefois sa raison d’être (§§ 51-53). 407 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ment dans cet établissement a par la suite été prorogé par plusieurs décisions rendues par la même juridiction, malgré une première demande de remise en liberté formulée le 4 avril 1991. Le 16 mars 1993, l’avocat du requérant a introduit un second recours contre son maintien en hôpital psychiatrique et exigé une nouvelle expertise médicale. Bien que la cour régionale de Katowice eût désigné les psychiatres de l’Université de Cracovie pour procéder à l’expertise dès le 26 avril 1993, le dossier médical du requérant n’a été transmis à cette institution que le 22 septembre 1993. Les examens programmés se sont tenus entre le 31 janvier et le 4 février 1994 mais la préparation du rapport a pris dix mois supplémentaires et la décision de la cour régionale de Katowice de maintenir finalement le requérant en hôpital psychiatrique n’est intervenue que le 9 janvier 1995270. Entre temps, M. Musiał avait déposé une requête au greffe de la Com. EDH, contestant la durée excessive du recours intenté devant la juridiction interne compétente. 635 - La CEDH, compétente en lieu et place de la Com. EDH en vertu de l’entrée en vigueur du Protocole n°11, devait déterminer si la longueur de la procédure (plus d’un an et huit mois) était compatible avec l’exigence de célérité qu’implique l’article 5 § 4 de la Conv. EDH. Une fois rappelé que la complexité des procédures relatives aux détentions psychiatriques ne décharge pas l’État de son obligation de rendre une décision dans un délai raisonnable, le juge européen a considéré en l’espèce que le gouvernement n’apportait pas la preuve de la présence d’éléments exceptionnels justifiant un tel délai dans le traitement du recours. Il en a tiré les conclusions en condamnant la Pologne au visa de l’article 5 § 4 de la Convention271. 636 - Tandis que la CEDH jugeait l’affaire Musiał, d’autres requêtes dénonçant la difficulté de contester une décision de placement ou de maintien en détention étaient pendantes au greffe de la CEDH. Dès l’année suivante fut en effet rendu l’arrêt Baranowski, déjà cité, s’inscrivant dans la droite ligne de Musiał. Placé en détention provisoire le 2 juin 1993 pour des soupçons d’escroquerie, le requérant avait tenté à trois reprises de faire annuler la mesure préventive prise à son encontre. Le premier recours, portant sur une décision de maintien en détention en date du 7 janvier 1994, n’a été examiné qu’indirectement par la cour d’appel de Łódź le 5 juillet 1994 ; les deux suivants (deux demandes de libération introduites les 7 février et 28 mars 1994) ne l’ont été qu’à l’issue de délais respectifs de cinq et trois mois. À l’instar de l’affaire Musiał, des considérations d’ordre médical venaient complexifier le dossier puisque le requérant avait notamment motivé ses demandes par son mauvais état de san270 CEDH, Musiał c. Pologne [GC], n°24557/94, §§ 7-30, 25 mars 1999, Rec. 1999-II. 271 CEDH, Musiał c. Pologne, préc., §§ 43-53. 408 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » té272. La CEDH a considéré que la cour régionale de Łódź mise en cause n’avait pas mené la procédure ni procédé à la collecte des éléments nécessaires avec la diligence requise par les dispositions de l’article 5 § 4 de la Conv. EDH, ce qui avait eu pour conséquence d’apporter une réponse inutile sur la légalité d’une ordonnance de détention déjà expirée. Pour la CEDH, ce délai « a ôté au recours du requérant toute effectivité juridique ou pratique »273, déniant son droit d’obtenir une décision sur la légalité de sa détention dans un délai bref. 637 - Dans l’affaire Jabłoński, la détention provisoire du requérant en l’espèce avait duré quatre ans et neuf mois malgré la dégradation de son état de santé et une tendance à l’automutilation. Il avait été incarcéré le 21 mai 1992 pour une affaire de vol à main armée et de tentative d’homicide. La CEDH a retenu la violation des articles 5 § 3 et 5 § 4 de la Conv. EDH, jugeant que la période de quarante-trois jours nécessaire à la Cour suprême polonaise pour se prononcer sur le recours du requérant contre son maintien en détention était excessivement longue274. 638 - Rendu en 2001, l’arrêt Iłowiecki présentait des enjeux comparables. Soupçonné de souscription frauduleuse à un emprunt, le requérant avait été placé en détention provisoire en 1993. Malgré des demandes de sortie répétées, il fut maintenu en détention provisoire durant un an, neuf mois et dix-neuf jours. En considération des délais d’attente devant les juridictions polonaises compétentes pour obtenir des décisions portant sur plusieurs demandes de libération, la Cour de Strasbourg a prononcé une fois encore la condamnation de la Pologne sur le fondement de l’article 5 § 4 de la Conv. EDH, citant principalement à l’appui de son raisonnement les arguments développés dans l’arrêt Baranowski275. 639 - En 2007, une nouvelle violation de l’article 5 § 4 a été retenue par la CEDH pour une affaire dans laquelle les autorités n’avaient statué sur le recours du requérant contre un ordre de prolongation de sa détention que 45 jours après le dépôt de celui-ci276. Avec l’affaire Pyrak en 2008, la Pologne a été condamnée une fois encore puisqu’il avait fallu en l’espèce deux mois et deux semaines aux juges pour se prononcer sur le bien fondé d’une décision de prolongation de la détention du requérant rendue en octobre 1998277. En 2009, un délai de 3 mois 272 CEDH, Baranowski c. Pologne, préc., §§ 7-24. 273 Ibidem, § 76. 274 CEDH, Jabłoński c. Pologne, n°33492/96, §§ 7-63 et §§ 86-94, 21 décembre 2000. 275 CEDH, Iłowiecki c. Pologne, n°27504/95, §§ 7-46 et 66-80, 4 octobre 2001. 276 CEDH, Piotr Baranowski c. Pologne, n°39742/05, 2 octobre 2007. 277 CEDH, Pyrak c. Pologne, n°54476/00, 12 février 2008. 409 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME constaté entre le recours contre la mesure relative à la détention et l’examen de celui-ci a très logiquement entraîné la violation de l’article 5 § 4 dans l’affaire Żywicki278. Dans l’affaire Lewicki, les juridictions compétentes avaient, à deux reprises, mis plusieurs mois pour rendre une décision sur des recours portant sur la détention du requérant279. Depuis 2010, quatre autres violations se sont ajoutées280. Limité en nombre, les arrêts dans lesquels les requérants avaient obtenu la condamnation de la Pologne pour la durée excessive du recours contre une décision relative à leur détention n’ont pas nécessité d’importantes mesures d’exécution. B. La modification récente du Code de procédure pénale précédée de la diffusion des arrêts de la CEDH 640 - En 2001, le Comité des ministres a mis un terme au suivi de l’affaire Musiał. Pour prévenir d’autres retards préjudiciables aux accusés lors des recours contre un placement en détention provisoire, le gouvernement s’était intéressé à l’époque à l’organisation de la justice et à la diffusion des standards européens. Dans cette affaire en particulier, la durée de la procédure d’appel résultait principalement de l’attente des rapports d’experts psychiatriques. Le ministère avait diffusé une traduction de l’arrêt à toutes les juridictions et des consignes leur rappelant leur responsabilité en matière de respect des délais par les experts sollicités. La cour régionale de Katowice, l’hôpital psychiatrique de Rybnik et l’Université de Cracovie, directement en cause dans l’affaire Musiał furent informés de l’arrêt rendu par la CEDH. Parmi les mesures structurelles, une augmentation du nombre d’experts rattachés aux cours régionales fut décidée par le gouvernement, accompagnée d’une hausse de leurs honoraires. De leur côté, les présidents de ces cours régionales se sont efforcés d’améliorer la coopération entre les 278 CEDH, Żywicki c. Pologne, n°27992/06, 20 janvier 2009. 279 CEDH, Lewicki c. Pologne, n°28993/05, 6 octobre 2009. 280 Début 2010, avec l’arrêt Frasik, la CEDH s’est prononcée sur la compatibilité du délai d’une procédure de recours de 46 jours seulement avec l’article 5 § 4 de la Conv. EDH. La CEDH s’est attachée aux effets de ce délai sur le requérant. Si elle a reconnu de prime abord qu’une attente de 46 jours ne présentait pas en soi un caractère excessif, l’examen du recours était toute de même tardif en raison de la décision de prolonger la détention intervenue le 3 janvier 2001, avec pour conséquence de priver ledit recours « d’effets pratiques et juridiques » (§ 66). La Cour reprend là les termes et la démarche à l’œuvre dans son arrêt Baranowski bien que, dans ce dernier, la durée de la procédure menée par les juridictions internes était en elle-même très importante (CEDH, Frasik c. Pologne, n°22913/02, 5 janvier 2010). Voir aussi les trois autres arrêts rendus par la suite : CEDH, Witek c. Pologne, n°13453/07, 21 décembre 2010 (30 jours pour examiner un recours contre un internement en hopital psychiatrique) ; CEDH, Biziuk c. Pologne (n°2), n°24580/03, 17 janvier 2012 (moins d’un mois pour examiner le recours contre l’ordre de détention, mais délai injustifié néamoins au regard de l’absence de complexité du dossier) ; CEDH, Stettner c. Pologne, préc. (délai de 86 jours entre le recours contre la prolongation de la détention et l’examen de celui-ci). 410 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » juridictions et les experts par le biais de réunions communes281. 641 - La plupart des arrêts rendus par la suite ont été suivi dans le groupe d’affaire Trzaska, qui concernait à titre principal la durée excessive des détentions provisoires, pour lequel le Comité des ministres a rendu une résolution définitive le 4 décembre 2014282. Les délégués ont notamment pris note des apports de la récente loi du 27 septembre 2013, entrée en vigueur le 1er juillet 2015. Celle-ci apporte une précision à l’article 252 § 3 du CPP à propos de la durée des recours portant sur une décision de détention : le juge est désormais tenu de statuer dans un délai de sept jours283. Auparavant, cet article diposait simplement que le recours devait être examiné « sans délai ». 642 - Enfin, les arrêts Baranowski, Biziuk (n°2), Witek et Frasik ont été suivis à part. Les trois premiers ont été simplement publiés sur le site Internet du ministère de la Justice et diffusés auprès des magistrats284. L’arrêt Frasik est toujours suivi par le Comité des ministres mais les autorités n’ont apporté aucun élément nouveau concernant la réception des arrêts conclus par la violation de l’article 5 § 4 de la Conv. EDH285. * * * 643 - Conclusion du chapitre : La Pologne a connu des difficultés à remédier par elle-même à la durée des procédures juridictionnelles, d’autant plus que les causes étaient multiples. Une série continue de mesures d’ordre structurel (réorganisation de la Justice, réformes procédurales) a été adoptée entre 1997 et 2015, encouragée par les institutions européennes286 en gé- 281 Com. Min., Résolution ResDH(2001)11 (exécution de l’arrêt Musiał c. Pologne), préc., annexe. 282 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)268 (exécution des arrêts dans 173 affaires contre la Pologne), préc., 283 Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois, préc. 284 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)139 (exécution des arrêts Baranowski c. Pologne et Hulewicz c. Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués, annexe (bilan d’action) ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)82 (exécution de l’arrêt Biziuk c. Pologne (n°2)), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués, annexe (bilan d’action) ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)38 (exécution de l’arrêt Witek c. Pologne), 7 mars 2013, 1164e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 285 Com. Min., Document DH-DD(2014)622 (bilan d’action des autorités dans les affaires Frasik c. Pologne et Jaremowicz c. Pologne), 12 mai 2014. 286 Adam Bodnar incline à penser que le droit de l’Union européenne a été plus persuasif pour pousser la Pologne à la réforme de son système judiciaire que la CEDH (Adam BODNAR, « The right to and effective remedy in polycentric legal system », German Law Journal, n°11, 2005, p. 1621). Voir aussi, dans la même idée du rôle d’impulsion puissant joué par l’UE, Jean-Claude GAUTRON, « Quel rôle pour l’Union européenne ? », in Slobodan MILACIC (dir.), La Démocratie constitutionnelle en Europe centrale et orientale – Bilans et perspectives, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 43-55. 411 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME nérale et par la CEDH notamment287. Le point d’orgue fut l’instauration en 2004 d’un recours interne contre la durée des procédures, en réponse directe à l’arrêt Kudła. L’ancien agent du gouvernement devant la CEDH Jakub Wołąsiewicz estimait il y a cinq ans que la loi de 2004 amendée en 2009 aurait permis de réduire les violations de la Convention à la portion congrue et aurait considérablement amoindri le nombre de requêtes portées devant la Cour288. Si elle a bien créé un recours interne effectif au sens de la CEDH – en conséquence nécessaire d’épuiser avant d’invoquer la violation de l’article 6 § 1 devant celle-ci – la loi de 2004 modifiée enregistre aujourd’hui encore des résultats perfectibles. Les deux grands objectifs qui lui étaient assignés ne sont toujours pas remplis. La nouvelle voie de recours peine encore à réduire concrètement la durée des procédures et offrir une indemnisation satisfaisante aux justiciables, non par hostilité des juges mais plus vraisemblablement par manque de moyens financiers289. La Pologne doit désormais rechercher de nouvelles solutions pour mettre un terme définitif au dysfonctionnement systémique de la durée des procédures que vient de sanctionner l’arrêt-pilote Rutkowski du 7 juillet 2015. 644 - Les difficultés de l’État n’ont pas été moindres face à la durée excessive de fort nombreuses détentions provisoires. L’abrogation du CPP de 1969 n’a joué aucun rôle positif : les normes post-transitionnelles contenaient elles-mêmes trop d’imprécisions pour construire un cadre suffisamment protecteur des libertés individuelles de l’accusé. L’évolution bénéfique du droit interne a été influencée à l’évidence par la jurisprudence la CEDH, relayée par les autorités gouvernementales et prise en compte par le Tribunal constitutionnel. Les statistiques internes les plus récentes montrent que le nombre et la durée moyenne des détentions provisoires déclinent au point de laisser envisager une normalisation de la situation, plus de quinze ans après les premiers arrêts de la CEDH. Aucune nouvelle condamnation n’a été enregistrée 287 Lire à propos des exigences de la Cour la communication d’Antoine VALÉRY, « Qu’est-ce qu’un délai raisonnable au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Le Procès équitable et la protection juridictionnelle du citoyen, Bruylant, Bruxelles, 2001, pp. 91-114. L’auteur démontre qu’il pèse sur les États une véritable obligation de résultat. La CEDH « ne manque pas de rappeler que la Convention astreint les États à organiser leurs juridictions de façon à leur permettre de satisfaire aux exigences de l’article 6 § 1 » (p. 96). Car si la CEDH peut prendre en compte et tolérer un engorgement passager des juridictions internes, « [i]l n’en est pas de même si la situation se prolonge et acquiert un caractère structurel » (p. 96), comme en témoigne l’affaire CEDH, Zimmermann et Steiner c. Suisse, n°8737/79, 13 juillet 1983, Série A n°66. 288 Jakub WOŁĄSIEWICZ, « Introducting the Concept of General Domestic Remedy », in 5th Warsaw Seminar on Human Rights, Varsovie, Kontrast, 2012, pp. 283-287. 289 Le professeur Lech Garlicki considère la question de la durée des procédures comme étant la plus épineuse que la Pologne ait eu à connaître. À ses yeux, les réticences des juges à allouer une indémnisation élevée, faute de moyens, n’ont pas disparu malgré l’amendement de 2009 prévoyant que la somme indemnitaire à verser fût prélevée sur le budget général du ministère de la Justice (Entretien avec Lech Garlicki, Varsovie, 28 mai 2015). 412 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » devant la Cour de Strasbourg depuis 2014290. 290 Cf. Annexe n°3 bis, graphique B : le nombre de violations totales de l’article 5 (largement dominées dans le cas de la Pologne par les problèmes de durée de procédure) a connu un pic au cours des années 2006 à 2008 avant de baisser sensiblement à partir de 2009). 413 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CHAPITRE II – LES ATTEINTES RARÉFIÉES À LA PROPRIÉTÉ ET AU PROCÈS ÉQUITABLE 645 - La protection du droit de propriété a été renforcée par la nouvelle Constitution de la IIIe République, entrée en vigueur le 17 octobre 1997. Cinq de ses 243 articles s’y rapportent. Le droit de propriété personnel est consacré et protégé par l’article 64 de la Constitution, le droit de succession par l’article 21 alinéa 1er. En rupture évidente – mais pas totale cependant – avec l’ancien régime disparu en 1989-90, la Constitution proclame dans son article 20 que « [l]’économie sociale de marché, fondée sur la liberté de l’activité économique, sur la propriété privée et la solidarité, le dialogue et la coopération entre partenaires sociaux, constitue le fondement du système économique de la République de Pologne ». Autrement dit, la Pologne ne renonce pas à ses traditions sociales et l’économie de marché passe tout à la fois par la garantie de la propriété privée et les bénéfices de la solidarité et du dialogue social. Cet équilibre à préserver trouve une autre illustration à l’article 46 : « [l]a confiscation des biens ne peut intervenir que dans les conditions déterminées par la loi et qu’en vertu d’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ». L’expropriation n’est donc pas exclue si la loi l’exige mais elle ne revêt plus le caractère arbitraire propre au régime socialiste291. De plus, les collectivités territoriales, personnes morales, conservent bien entendu un droit de propriété et de droits patrimoniaux (article 165 de la Constitution). 646 - La Pologne, guidée dans sa volonté de rompre avec les atteintes massives à la propriété privées commises par le régime socialiste, en a vraisemblablement terminé avec les dysfonctionnements systémiques de la protection des biens qui apparurent au moment de la transition démocratique. Bien sûr, des risques de violations de l’article 1er du Protocole n°1 ne sont pas à exclure dans une société démocratique et libérale, et la Pologne en a connu ces dernières 291 Après 1989, les expropriations illégales accomplies sous l’ancien régime ont posé d’âpres difficultés à la Pologne devenue démocratique (Cf. supra, Partie I, Titre I, Chapitre II). La question des expropriations est spécifique à la société en transition ; elle est appelée à disparaître avec le passage du temps et la réparation des préjudices subis par les anciens propriétaires expropriés ou leurs ayants-droit. 414 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » années, isolées et aisée à réparer dans la quasi-totalité des cas. L’exécution des arrêts de la CEDH a alors servi à corriger les déficiences des normes ou des pratiques juridiques. 647 - Les mêmes remarques s’appliquent au droit à un procès équitable. La liquidation de la législation socialiste par les autorités étatiques à partir de 1997 a été poursuivie grâce aux orientations fournies dans les arrêts de la CEDH. La consolidation du droit procédural en matière pénale292 s’est poursuivie dans la première moitié de la présente décennie, avec l’adoption en 2013 d’une loi modifiant substantiellement le CPP pour rendre les instances plus rapides, moins formelles293. Les procédures judiciaires en Pologne sont-elles pour autant devenues parfaitement conformes aux standards européens ? De loin en loin, des aspects de la procédure (recours aux juges assesseurs, examen contradictoire des preuves dans un procès pénal, accès à l’aide juridictionnelle…) ont échoué à remplir les exigences de l’article 6 de la Conv. EDH. Mais aucune dérive grave n’apparaît à ce jour à l’étude de la jurisprudence de la CEDH. Pourtant, les sujets d’inquiétudes n’ont pas manqué depuis une dizaine d’années. L’avènement au pouvoir du parti conservateur PiS et de ses alliés en 2005, engagea la Pologne sur la voie d’une politique pénale répressive, voire d’un droit pénal politique294. Les décisions adoptées au cours de cette période pouvaient être interprétées comme la remise en cause de la logique des années précédentes, de la volonté réelle de démocratiser le pays en accord avec les standards européens295. C’est au cours de l’année 2007 que les changements 292 Il ne faut pas omettre de préciser qu’il en fut de même du droit matériel. Celui-ci s’est enrichi par petites touches sous l’influence d’instruments internationaux : le statut de la CPI qui permit d’adapter le CP aux dispositions de cette convention ; la Convention relative à l’esclavage du 25 septembre 1926 qui permit l’introduction d’une nouvelle infraction dans le CP et une redéfinion du crime d’esclavage ; la décision-cadre 2008/675/JAI du Conseil de l’Union européenne du 24 juillet 2008 relative à la prise en compte des décisions entre États-membres à l’occasion d’une procédure pénale (lire à ce sujet Celina NOWAK, « Actualité de droit pénal polonais 20102011 », RSC, n°2, avril/juin 2011, pp. 487-490). 293 Ustawa z dnia 27 września 2013 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2013, texte 1247. Lire à propos de cette loi les analyses de Jacek KOSONOGA, Celina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais 2013-2014 », RSC, n°2, 2014, pp. 453-459 ; Celina Nowak, « Actualité du droit pénal polonais 2014-2015 », RSC, n°3, 2015, pp. 780-784. 294 Un exemple d’utilisation du droit pénal à des fins politiques est ainsi décrit par Celina NOWAK dans l’un des articles qu’elle consacra à l’actualité du droit pénal polonais : « Il s’agit d’une affaire de grande fraude au détriment du budget de l’État, découverte au début des années quatre-vingt-dix. Les personnes accusées étaient liées à l’ancien régime. À cause de la longue durée de la procédure, le procès n’a pas été achevé, bien que le délai de prescription allait être écoulé en été 2005. Alors, un groupe de députés anti-communistes a soumis un projet de loi qui allongeait le délai de prescription applicable à cette affaire. Ce projet a été très critiqué. Certains auteurs ont soutenu que le délai de prescription est une garantie pour l’accusé et constitue un droit acquis dont il ne peut pas être privé. Les autres ont mis l’accent sur le fait que le projet de loi en question avait été destiné à intervenir dans une affaire concrète […] Malgré ces doutes, et critiques, la loi en question a été adoptée le 3 juin 2005 et est entrée en vigueur le 3 août 2005. Le procès est en cours » (Celina NOWAK, « Droit polonais », RSC, n°1, 2006, p. 211). 295 Aussi Adam Bodnar a-t-il écrit dans un article consacré à la consolidation démocratique en Pologne que les décisions politiques de la période 2005-2007 « étaient souvent influencées par des motifs irrationnels » (Adam 415 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ont été les plus brutaux, avec une attaque assumée du gouvernement contre l’indépendance des juges, des procureurs et des avocats. Pour discipliner les procureurs, ceux-ci pouvaient voir leurs décisions modifiées par un supérieur hiérarchique et être réaffectées sans leur consentement vers une autre unité du parquet. La loi du 16 mars 2007296 a limité la possibilité de promotion professionnelle pour les membres du Conseil national de la magistrature. Un autre texte dans cette mouvance, la loi du 29 juin 2007297, permit au ministre de la Justice de nommer un juge responsable de la gestion administrative d’une juridiction plutôt que d’établir un président de cour. Sur le fondement de cette même loi, les avocats furent quant à eux soumis à la surveillance du ministre de la Justice, ce qui ouvrit la possibilité au ministre d’interjeter appel devant la Cour suprême contre toute résolution émise par l’organisation nationale d’autogestion des avocats. Enfin, une loi adoptée le 9 mai 2007298 a rendu possible d’imposer une amende à un avocat défendeur au cours d’un procès pénal si celui-ci influence de manière négative l’activité des organes en charge de la procédure299. 648 - Force est de constater que les arrêts les plus récents rendus par la CEDH à l’encontre de la Pologne ne laissent pas apparaître de violations de la Conv. EDH spécifiquement liés aux changements intervenus au cours de cette période 2005-2007. En sera-t-il de même avec « l’acte II » des conservateurs du parti PiS au pouvoir ? À peine devenu majoritaire dans les deux chambres du Parlement en novembre 2015, PiS et le gouvernement dirigé par Beata Szydło ont restreint l’indépendance du Ministère public. Par la loi du 28 janvier 2016, entrée en vigueur le 4 mars, les procureurs se retrouvent placés sous le contrôle direct de l’exécutif. Le ministère de la Justice absorbe à nouveau les fonctions du Parquet300. BODNAR, « Poland: EU driven democracy? » in Leonardo MORLINO, Wojciech SADURSKI (dir.), Democratization and the European Union: comparing central and eastern European post-communist countries, Routledge, Abingdon, 2010, p. 21). 296 Ustawa z dnia 16 marca 2007 r. o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 16 mars 2007 modifiant la loi sur le Conseil national de la magistrature ainsi que d’autres lois], Dz. U., n°73, texte 484, pp. 4421-4424. 297 Ustawa z dnia 29 czerwca 2007 r. o zmianie ustawy - Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw [Loi du 29 juin 2007 portant modification de la loi sur le droit et l’organisation des juridictions de droit commun ainsi que certaines autres lois], Dz. U., n°130, texte 905, pp. 9613-9644. 298 Ustawa z dnia 9 maja 2007 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 9 mai 2007 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2007, n°99, texte 664, pp. 5984-5987. 299 Sur les atteintes à l’indépendance de la justice en 2007, lire not. Celina NOWAK, « Actualité du Droit Pénal Polonais 2006-2007 », RSC, 2008, pp. 215-216 ; Lech GARLICKI, « Pologne », AIJC, n°XXIII, 2007, pp. 871885. 300 Ustawa z dnia 28 stycznia 2016 r. Prawo o prokuraturze [Loi du 28 janvier 2016 – Loi sur le Parquet], Dz. U., 2016, texte 177. Cette loi en revient donc à la confusion entre Procureur général et ministre de la Justice, qui était la règle en Pologne jusqu’en 2009, lorsque l’ancienne majorité adopta un amendement à la loi sur le minis- 416 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » Le droit de propriété et le droit au procès équitable ne souffrent plus aujourd’hui de défaillances de grande ampleur. Hors les problématiques transitionnelles déjà étudiées, les arrêtes constatant la violation de l’article 1er du Protocole n°1 en Pologne sont survenus dans des circonstances disparates et leur exécution a été relativement aisée (Section I). Il en a été de même pour les arrêts sanctionnant la méconnaissance de l’article 6 de la Conv. EDH (Section II). SECTION I – LES INSUFFISANCES SPORADIQUES DE LA PROTECTION DES BIENS 649 - Le contrôle de l’application de l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH repose sur une série de trois principes, distinctement dégagés en 1986 dans la jurisprudence James et autres c. Royaume-Uni301. Le premier principe, de nature générale, est celui de la jouissance paisible de la propriété, le second est celui de la préservation de ce droit contre les restrictions ou les privations et, enfin, le troisième est celui de la possibilité de contrôle du droit de propriété par les États lorsque l’intérêt général le nécessite. Généralement, le CEDH est invitée à se livrer à un contrôle de proportionnalité pour évaluer la légitimité d’une restriction du droit de la propriété exercée par un État-membre contre un requérant au regard de l’objectif poursuivi. À l’exception notoire des violations du droit de propriété directement en lien avec des mesures adoptées sous l’ère socialiste et déjà évoquées dans cette étude, la Pologne démocratique a connu peu de difficultés avec le respect de la protection des biens. Le plus souvent, l’arrêt de la CEDH a facilité l’identification d’imprécisions dans le droit interne posttransitionnel que l’État s’est ensuite appliqué à réduire. Seul un dysfonctionnement touchant l’attribution de pension de retraites a produit un nombre important de requêtes devant la CEDH (§ 1). Les autres violations de l’article 1er du Protocole n°1 relèvent de circonstances diverses et ne mettent pas en évidence des risques de méconnaissance répétées des standards européens (§ 2). tère public (Ustawa z dnia 9 października 2009 r. o zmianie ustawy o prokuraturze oraz niektórych innych ustaw [Loi du 9 octobre 2009 modifiant la loi sur le Parquet ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2009, n°178, texte 1375, pp. 13544-13565). 301 CEDH, James et autres c. Royaume-Uni, requête n°8793/79, 21 février 1986, Série A n°98, § 37. 417 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME § 1. LA SUSPENSION INCONVENTIONNELLE DE PRESTATIONS SOCIALES 650 - Entre 1997 et 2007, le fonctionnement de l’État-providence, matérialisé par le versement d’aides sociales, n’avait pas posé de difficultés en termes de conformité à la Conv. EDH et en particulier à l’article 1er de son Protocole n°1. Ce calme apparent dissimulait pourtant un réel mécontentement des Polonais confrontés à l’insuffisance des aides sociales. De nombreuses requêtes ont en réalité été transmises à la Cour, leurs auteurs se plaignant de l’impossibilité de vivre dignement avec les seuls revenus issus des aides, mais elles ont été déclarées irrecevables le plus souvent302. L’affaire Moskal, suivie de beaucoup d’autres, a fait apparaître l’inconventionnalité de la suspension soudaine de pensions de retraite versées à des parents ayant à charge un enfant malade et dépendant (A). Deux autres affaires isolées qui concernaient l’octroi de prestations sociales par les caisses d’assurance maladie ont conduit à la condamnation de la Pologne au titre de l’article 1er du Protocole n°1 au début des années 2010 (B). A. La suspension de pensions de retraite non-conformes au droit au respect des biens Entre 2009 et 2014, pour la première fois depuis les affaires du Boug et la restriction des droits des propriétaires immobiliers – qui n’étaient que la conséquence directe de la liquidation du droit de propriété par l’ancien régime – la Pologne a connu des violations en série de l’article 1er du Protocole n°1. Des décisions de radiation de bénéficiaires d’une pension de retraite anticipée prononcées par une caisse de retraite locale furent à l’origine ce dysfonctionnement (1). Le gouvernement n’a pas jugé utile d’amender la législation : de nouvelles pratiques, appuyées par une évolution jurisprudentielle, semblent avoir garanti seules l’exécution de ces arrêts de la CEDH (2). 1) Trente affaires relatives aux pensions de retraite de la caisse de sécurité sociale de Rzeszów 651 - En 2001, Maria Moskal, mère célibataire de trois enfants, dont l’un souffrait d’une maladie pulmonaire chronique depuis sa naissance, fit valoir ses droits à une retraite anticipée, arguant le besoin de s’occuper au quotidien de son fils. Sa demande fut acceptée par la caisse 302 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: the voluminous and interesting Polish case law », EHRLR, n°5, 2004, p. 527. 418 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » de sécurité sociale de Rzeszów. Dans une autre décision, la caisse lui accorda le bénéfice d’une pension dit « EWK »303 afin de pouvoir s’occuper de son enfant. Mme. Moskal perçut la pension pendant dix mois, de bonne foi. Le 25 juin 2002, sur le fondement de l’article 114 § 1 d’une loi du 17 décembre 1998304, la caisse de sécurité sociale de Rzeszów annula ses précédentes décisions. Après un réexamen du dossier, elle avait en effet estimé que l’état de santé de l’enfant ne nécessitait pas de soins permanents. Mme. Moskal se retrouva alors sans ressources. Elle ne put faire rétablir son droit à la pension touchée devant les juridictions internes et a donc saisi la CEDH d’une requête individuelle. Elle alléguait les violations de l’article 1er du Protocole n°1 ainsi que de l’article 8 de la Convention, protecteur du droit au respect de la vie privée et familiale. Dans l’arrêt rendu sur l’affaire le 15 septembre 2009, la CEDH écarta d’abord la méconnaissance du droit au respect de la vie privée en raison du retrait des pensions. En revanche, quoiqu’elle ne remît pas en cause le bien-fondé de la législation polonaise en matière de réexamen des dossiers de demandes de pensions, ni même la légitimité de la décision prise à l’égard de la requérante, la Cour a jugé disproportionnée, au regard de la situation de la requérante, la perte soudaine de ses revenus. Elle a considéré par conséquent que les autorités avaient porté une atteinte inconventionnelle au droit au respect de ses biens305. 652 - Cet arrêt ne fut pas rendu à l’unanimité cependant. Les juges Bratza, Hirvelä et Bianku présentèrent une opinion dissidente dans laquelle ils exprimèrent leur désaccord sur le constat de violation de l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH. Ils insistèrent sur le fait que les autorités polonaises n’avaient pas réclamé à la requérante le remboursement des sommes indument versées. En agissant ainsi, et sans retard une fois corrigée l’erreur commise sur les critères d’éligibilité, les autorités n’auraient pas fait peser sur la requérante une charge dérai- 303 Pension instituée par un texte de 1989 : Rozporządzenie Rady Ministrów z dnia 15 maja 1989 r. w sprawie uprawnień do wcześniejszej emerytury pracowników opiekujących się dziećmi wymagającymi stałej opieki [Règlement du Conseil des ministres du 15 mai 1989 sur le droit à la retraite anticipée des employées ayant à charge un enfant nécessitant des soins], Dz. U., 1989, n°28, texte 149, pp. 449-450. Le texte a été officiellement abrogé le 17 décembre 1998 mais ses bénéfices furent prorogés pour les administrés remplissant les critères d’élégibilité aux pensions avant cette date mais qui n’avaient pas encore déposé de demandes. 304 Cet article dispose : « Le droit aux prestations ou le montant de celles-ci peut être réévalué à la demande de la personne concernée ou d'office, si, après une décision finale sur les prestations, une nouvelle preuve est présentée ou des circonstances préexistantes à la décision sont apparues et affectent le droit à des prestations ou leur montant » (Ustawa z dnia 17 grudnia 1998 r. o emeryturach i rentach z Funduszu Ubezpieczeń Społecznych [Loi du 17 décembre 1998 sur les retraites et pensions de la Caisse de sécurité sociale], Dz. U., 1998, n°162, texte 1118, pp. 6581-6635). 305 CEDH, Moskal c. Pologne, n°10373/05, 15 septembre 2009. 419 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME sonnable, ni véritablement entâché le principe de bonne gouvernance306. 653 - Trois ans après l’arrêt Moskal, la CEDH a commencé l’examen d’une longue série de requêtes transmises par les anciens bénéficiaires des pensions EWK victimes des annulations prononcées par la caisse de sécurité sociale de Rzeszów. Systématiquement, elle a sanctionné la Pologne pour la violation de l’article 1er du Protocole n°1307. La dernière affaire en date a été jugée en mars 2014, cinq ans après l’arrêt Moskal. La méconnaissance du principe de proportionnalité entre les intérêts privés des individus et ceux de la caisse de sécurité sociale avait conduit à la violation du droit au respect des biens des requérants. L’organisme responsable a dès lors été amené à revoir sa lecture de la loi du 17 décembre 1998 conformément aux exigences de la Conv. EDH. 2) Les caisses de sécurité sociale invitées à revoir leurs pratiques en matière de réexamen du droit au bénéfice d’une pension 654 - Les requêtes jugées par la CEDH concernaient des décisions de réexamen des dossiers d’attribution des pensions EWK dans une branche locale de la caisse de sécurité sociale, celle de Rzeszów. Le caractère circonscrit du dysfonctionnement observé est corroboré par les données communiquées par le gouvernement. Selon des statistiques établies en mars 2010, la section de Rzeszów était celle qui, dans toute la Pologne, avait attribué le plus de pensions EWK (6,21 % du total des pensions attribuées par cet organisme public), devant la section de Radom (4,79 %). Plus évocateur encore est le chiffre des retraits de pensions enregistrés jusqu’au 31 juillet 2010 dans chaque caisse de sécurité sociale locale : la caisse de Rzeszów 306 Ibidem, opinion jointe partiellement dissidente des juges Bratza, Hirvelä et Bianku. 307 Les affaires similaires jugées sont au nombre de vingt-neuf : CEDH, Kura c. Pologne, n°17318/04, 2 octobre 2012 ; CEDH, Rusin c. Pologne, n°25360/04, 2 octobre 2012 ; CEDH, Lasota c. Pologne, n°6762/04, 2 octobre 2012 ; CEDH, Kluska c. Pologne, n°33384/04, 2 octobre 2012 ; CEDH, Helena Trznadel c. Pologne, n°5970/05, 2 octobre 2012 ; CEDH, Antoni Lewandowski c. Pologne, n°38459/03, 2 octobre 2012 ; CEDH, Czaja c. Pologne, n°5744/05, 2 octobre 2012 ; CEDH, Kapel c. Pologne, n°16519/05, 2 octobre 2012 ; CEDH, Płaczkowska c. Pologne, n°15435/04, 2 octobre 2012 ; CEDH, Kowal c. Pologne, n°21913/05, 2 octobre 2012 ; CEDH, Franciszek Dąbrowski c. Pologne, n°31803/04, 4 décembre 2012 ; CEDH, Świątek c. Pologne, n°8578/04, 4 décembre 2012 ; CEDH, Stępień c. Pologne, n°39225/05, 4 décembre 2012 ; CEDH, Szewc c. Pologne, n°31492/05, 4 décembre 2012 ; CEDH, Zofia Sikora c. Pologne, n°27680/04, 4 décembre 2012 ; CEDH, Krzyżek c. Pologne, n°11815/05, 4 décembre 2012 ; CEDH, Frączek-Potęga c. Pologne, n°33384/04, 4 décembre 2012 ; CEDH, Lew c. Pologne, n°34386/04, 4 décembre 2012 ; CEDH, Misielak c. Pologne, n°35538/04, 4 décembre 2012 ; CEDH, Migalska c. Pologne, n°10368/05, 4 décembre 2012 ; CEDH, Sasor c. Pologne, n°6112/05, 4 décembre 2012 ; CEDH, Potok c. Pologne, n°18683/04, 4 décembre 2012 ; CEDH, Marek c. Pologne, n°54148/09, 28 janvier 2014 ; CEDH, Kruszyński c. Pologne, n°22534/05, 28 janvier 2014 ; CEDH, Węgrzyn c. Pologne, n°29423/05, 28 janvier 2014 ; CEDH, Burczy c. Pologne, n°43129/04, 11 février 2014 ; CEDH, Hajduk c. Pologne, n°6210/05, 11 février 2014 ; CEDH, Czyż c. Pologne, n°21796/05, 11 février 2014 ; CEDH, Bryda c. Pologne, n°1902/05, 25 mars 2014. 420 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » avait retiré 1 093 pensions EWK alors que le total des pensions retirées par les quarante-etune autre caisses réunies n’atteignait que 288308. 655 - La bonne exécution de l’arrêt passait alors par la rectification de la situation des requérants placés dans une situation financière difficile à cause du retrait de leur pension. Les arrêts de la CEDH dégageaient pour eux la voie d’un recours contre la décision jugées nonconforme à l’article 1er du Protocole n°1. En effet, l’article 114 § 1 de la loi de 1998 qui confère le droit de réexamen des dossiers en cas d’élément nouveau ou d’un changement de circonstances jouait cette fois-ci en leur faveur. Ainsi, chacun d’entre eux pouvait introduire une nouvelle demande de pension de retraite. De plus, l’État a versé dans les délais les sommes indemnitaires octroyées par la CEDH (de 2 000 à 12 000 EUR) aux requérants victorieux. 656 - Sur le plan des mesures générales, le gouvernement a tiré les conséquences logiques du groupe d’arrêts Moskal. Seule une branche locale de la caisse de sécurité sociale s’étant rendue responsable d’une interprétation de la loi de 1998 sur les retraites et les pensions, il n’apparaissait pas nécessaire de modifier la législation elle-même. La caisse centrale de sécurité sociale rédigea de nouvelles consignes concernant le réexamen des dossiers de pensions déjà attribuées. En application de celles-ci, les caisses locales devraient à l’avenir s’abstenir de reconsidérer l’attribution ou le montant d’une pension plus de cinq ans après la décision. De plus, toute réévaluation d’un dossier était désormais effectuée en respect du principe de proportionnalité tel qu’exercé par la Cour suprême et par la CEDH. 657 - Ces nouveaux critères destinés à borner le réexamen des dossiers portant sur l’attribution de pensions sont l’œuvre d’une jurisprudence de la Cour suprême développée entre 2011 et 2013. Le 21 septembre 2010, un an tout juste après l’arrêt Moskal qu’elle cite d’ailleurs à l’appui de ses motivations, la Cour suprême a établi les éléments principaux qui devaient être pris en considération dans toute réouverture de dossier : le responsable de l’erreur commise ; le temps écoulé depuis l’attribution de la pension ; la proportionnalité du retrait de la pension avec les intérêts de la personne concernée, au regard de son l’âge, de sa santée et de sa situation familiale309. Dans un autre arrêt du 15 janvier 2013, la Cour suprême insista sur la nécessité que le réeexamen interne des affaires dans lesquelles la CEDH étaient 308 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)219 (exécution des arrêts dans 30 affaires contre la Pologne), 12 novembre 2014, 1211e réunion des délégués. Voir le bilan d’action joint à la résolution, en particulier ses annexes II et III. 309 CSP, n°III UK 94/09, 21 septembre 2010. Cette jurisprudence a été confirmée par la suite, not. par les arrêts CSP, n°III UK 317/10, 24 mars 2011 ; CSP, n°III UK 93/10, 11 avril 2011 et CSP, n°III UK 223/10, 9 janvier 2012. L’arrêt rendu le 24 mars 2011 précise de surcroît que le principe de proportionnalité ne doit jamais conduire à ce qu’un objectif d’intérêt public, même significatif, prévale sur l’intérêt de l’individu. 421 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME intervenues fût conduit dans le respect du contenu de la Conv. EDH et de l’interprétation que lui avait donnée la Cour dans les affaires en question310. Définie au plus haut niveau de la hiérarchie judiciaire, cette jurisprudence a été relayée par les juridictions d’instance311. 658 - Enfin, le juge constitutionnel a lui aussi reçu la jurisprudence Moskal en abrogeant une disposition de la loi de 1998 dont l’application pouvait porter un préjudice particulièrement injuste aux bénéficiaires de pensions. Le Tribunal a déclaré inconstitutionnel, dans son jugement du 28 février 2012, l’article 114 § 1 du règlement du 15 mai 1989 en ce qu’il autorisait la sécurité sociale à réexaminer un dossier de pensions sur la base des seuls éléments probatoires qui avaient fondé la décision initiale. Cette censure revenait à permettre à la caisse de réparer au détriment des individus ses propres erreurs d’appréciation312. D’autres décisions accidentelles, rendues par des caisses de sécurité sociale, ont été jugées par la CEDH non conformes au droit au respect des biens des requérants. B. Le versement d’aides sociales en cause dans deux autres affaires contre la Pologne Avant de juger l’affaire Moskal, la CEDH avait déjà considéré dans deux arrêts que des décisions internes sur l’attribution de pensions sociales n’étaient pas conformes à l’article 1er du Protocole n°1. Dans le premier cas la violation résultait de dispositions retirées de l’ordre juridique quelques années après les faits (1) ; dans le second, l’inexécution durable d’une décision d’attribution d’une prestation sociale était la cause de l’atteinte aux biens du requérant (2). 1) L’application d’une disposition discriminatoire de la loi sur l’assurance sociale des agriculteurs 659 - L’affaire Luczak jugée en 2007 portait sur les conditions d’accès à un régime spécial de sécurité sociale. Le requérant, de nationalité française, et son épouse polonaise détenaient une exploitation agricole près de Brzeg, au sud-ouest du pays. Leur demande d’affiliation au régime de sécurité sociale agricole fut refusée par la caisse de sécurité sociale de Częstochowa, 310 CSP, n°III UZP 5/12, 15 janvier 2013, OSN, 2013, n°23-24, texte 288. 311 Le gouvernement a cité dans sa communication au Comité des ministres les références des arrêts des cours d’appel de Poznań (n°III AUa 413/13, 1er août 2013) et surtout de Rzeszów (n°III AUa 322/13, 27 juin 2013 ; n°III AUa 1072/12, 5 juin 2013 ; n°III AUa 815/12, 5 juin 2013 ; n°III AUa 176/13, 29 mai 2013). 312 TCP, n°K 5/11, 28 février 2012, OTK ZU, 2012, n°2A, texte 16. Le jugement se réfère abondamment au contrôle de proportionnalité établi par la CEDH dans l’arrêt Moskal. 422 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » au motif que le requérant n’était pas un ressortissant polonais, sur le fondement de l’article 1 § 1 de la loi du 20 décembre 1990 sur l’assurance sociale agricole313. En seconde instance comme en cassation devant la Cour suprême, ses recours successifs furent rejetés. La CEDH a retenu la violation de l’article 14 de la Conv. EDH (interdiction des discriminations) combiné à l’article 1er du Protocole n°1 par les autorités polonaises. Elle a en effet estimé que le requérant était dans une situation comparable à celle d’un agriculteur de nationalité polonaise et que les arguments du gouvernement justifiant la distinction pour des raisons d’équilibre budgétaire n’étaient pas convaincants314. 660 - La loi du 20 décembre 1990 a été amendée le 2 avril 2004 en prévision de l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne. La loi adoptée modifia l’article 1 § 1, supprimant la discrimination existante pour la sécurité sociale agricole entre citoyens polonais et ressortissants européens315. Après l’arrêt Luczak, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural s’est assuré auprès des directions des différents fonds d’assurance sociale agricole de la diffusion des standards de la Conv. EDH. Le 15 juillet 2008, le requérant a reçu du gouvernement les 5 000 EUR de satisfaction équitable que lui avait accordé la CEDH. Depuis la modification législative de 2004, il est éligible au régime d’assurance sociale pour les agriculteurs, au même titre que les citoyens polonais. Enfin, un recours grâcieux au président du Fonds de sécurité sociale des agriculteurs est toujours possible en cas de difficultées financières particulières (article 55 de la loi de 1990). Prenant note des mesures générales et individuelles adoptées après l’arrêt de la Cour, le Comité des ministres a décidé de clore le suivi de cette affaire par sa résolution du 24 octobre 2013316. Dans un autre arrêt, la violation du Protocole n°1 avait été la conséquence d’une suspension durable du versement d’une aide sociale en raison de la durée de la procédure. 313 Selon cet article : « La sécurité sociale agricole […] couvre les agriculteurs de nationalité polonaise et les membres polonais de leur foyer qui travaillent avec eux » (Ustawa z dnia 20 grudnia 1990 r. o ubezpieczeniu społecznym rolników [Loi du 20 décembre 1990 sur l’assurance sociale des agriculteurs], Dz. U., 1990, n°7, texte 24, pp. 65-79). 314 CEDH, Luczak c. Pologne, n°77782/01, 27 décembre 2007. 315 L’article 1 § 1 se lit à présent comme ceci : « La sécurité sociale agricole […] couvre, dans les conditions prévues par la loi, les agriculteurs et les membres de leur foyer qui travaillent avec eux » (Ustawa z dnia 2 kwietnia 2004 r. o zmianie ustawy o ubezpieczeniu społecznym rolników oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 2 avril 2004 modifiant la loi sur l’assurance sociale des agriculteurs ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2004, n°91, texte 873, pp. 5998-6016). 316 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)215 (exécution de l’arrêt Luczak c. Pologne), 24 octobre 2013, 1182e réunion des délégués, ainsi que son annexe (bilan d’action). 423 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 2) L’atteinte au respect des biens du requérant en raison de l’inexécution d’une décision de la sécurité sociale 661 - Dans l’arrêt Wilkowicz, prononcé par la CEDH en 2008, le requérant s’était vu accorder par une décision de la caisse de sécurité sociale de Cracovie du 25 août 1995 le bénéfice d’une pension militaire. Cependant, l’organisme compétent pour effectuer les paiements n’exécuta pas la décision au motif qu’il considérait illégale la décision de 1995. Partant, le requérant a saisi la cour régionale de Cracovie en novembre 1995. La procédure s’est finalement achevée devant la Cour suprême en mai 2002, par une décision favorable au requérant. Celui-ci perçut toutes les sommes dues à la fin de l’année 2002. La CEDH a estimé dans cette affaire que la durée de la procédure – d’ailleurs sanctionnée par la violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH – avait privé durablement le requérant de son droit à bénéficier de la pension qui lui avait été légalement attribuée. Ainsi, les autorités avaient, en l’espèce, violé également l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH317. 662 - Le Comité des ministres a clos le suivi de cette affaire après le constat du versement de la satisfaction équitable dans les temps. La publication de l’arrêt sur le site Internet du ministère de la Justice a été la seule mesure générale considérée par le gouvernement comme nécessaire pour répondre aux violations constatées318. 663 - Pour clore l’analyse des affaires relatives aux aides sociales, il convient de mentionner à titre anecdotique que deux autres requêtes ont passé le cap de la recevabilité devant la CEDH. Pour l’une comme pour l’autre, la CEDH n’a pas jugé que l’article 1er du Protocole n°1 avait été violé319. 317 CEDH, Wilkowicz c. Pologne, n°74168/01, 4 novembre 2008. 318 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)40 (exécution des arrêts dans cinq affaires contre la Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués. 319 Dans la première de ces affaires, les requérantes étaient l’épouse et la fille d’un ancien déporté de Sibérie de 1940 à 1946. En décembre 1997, celui-ci avait obtenu le versement une pension d’invalidité versée par la sécurité sociale conformément à son statut de vétéran. Au début des années 2000, toutefois, des soupçons de fraude concernant plusieurs dossiers dont celui de l’intéressé, sont apparus. À l’issue d’un examen médical supplémentaire, il perdit le droit à la pension au motif que le lien entre son état de santé fragile et son passé dans les camps soviétiques n’était pas établi. Sa veuve et sa fille ont demandé sans succès que soient versées les sommes dues entre mars 2003 et novembre 2003 (date du décès). La CEDH a écarté la violation de l’article 1er du Protocole n°1 dans la mesure où, contrairement aux affaires Moskal et autres, le bénéficiaire de la prestation étant aisé, il n’a pas souffert d’une perte essentielle de ses revenus avec le retrait de la pension (CEDH, Iwaszkiewicz c. Pologne, n°30614/06, 26 juillet 2011). Dans la seconde affaire, la requérante et son époux, en plus de leurs deux enfants biologiques, avaient adopté sept autres enfants. Après le décès brutal de son époux en décembre 2004, la requérante, a demandé la dissolution de la famille adoptive, ne pouvant subvenir seule aux besoins des neuf enfants. En attendant une décision, elle sollicita le versement de la pension de sécurité sociale à laquelle avait cotisé feu son mari. Par la suite, elle s’est plainte que cette pension fût également versée aux enfants ayant été 424 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » À côté de ces litiges qui concernent le versement d’allocations par la sécurité sociale, la Pologne est confrontée régulièrement à des requêtes devant la CEDH pour la violation du droit de propriété des requérants en raison des atteintes portées à leurs biens meubles ou à leurs possessions immobilières. § 2. DES VIOLATIONS RÉGULIÈRES DU DROIT AU RESPECT DES BIENS MEUBLES ET IMMEUBLES Les arrêts étudiés ici ont été rendus par la CEDH entre 2005 et 2015. Ils concernaient chronologiquement la privation de l’usage d’un véhicule faute d’autorisation d’immatriculation (A), la suspension d’une licence d’exportation pour une société commerciale (B), le refus d’indemniser une société qui entretenait un accès routier intégré au plan de circulation d’une ville (C), la confiscation d’une collection d’armes anciennes de valeur (D) et enfin la vente impossible d’un terrain municipal en raison d’une incertitude juridique sur son réel propriétaire (E). A. L’opposition de l’administration à l’immatriculation d’un véhicule acquis de bonne foi Les difficultés d’interprétation de l’acte règlementaire justifiant le refus des autorités de fournir un certificat d’immatricuation, causes de la violation du Protocole n°1 (1) ont été levées par la modification des normes applicables, plusieurs années avant la condamnation de la Pologne (2). 1) Des critères trop stricts pour autoriser l’immatriculation d’un véhicule acquis aux enchères 664 - L’arrêt Sildedzis est unique dans le contentieux polonais de la propriété devant la CEDH. En 1997, le requérant avait remporté une voiture à l’occasion d’une vente aux enchères organisée par le bureau des impôts de Białystok. Lorsqu’il voulu la faire enregistrer et replacés en famille d’accueil, invoquant une discrimination à l’égard de ses enfants biologiques. La CEDH a rejeté le grief fondé sur la violation combinée de l’article 14 de la Conv. EDH et de l’article 1er du Protocole n°1, considérant que la répartition de la pension et son maintien pour les enfants accueillis dans d’autres familles n’avait pas créé un impact disproportionné sur la situation financière de la requérante (CEDH, Ruszkowska c. Pologne, n°6717/08, 1er juillet 2014). 425 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME obtenir une immatriculation, l’administration lui opposa son refus au motif qu’il existait un doute sur sa provenance, sur le fondement d’un arrêté ministériel du 12 octobre 1995320. Ce texte imposait la vérification du code d’authentification de tout véhicule acquis au cours d’une vente aux enchères. Or, celui qui figurait sur la voiture du requérant était falsifié. Ce n’est que le 19 juillet 1999 que le requérant obtint le numéro d’enregistrement lui permettant d’utiliser la voiture. Le 1er novembre 1998, il avait saisi la CEDH d’une requête individuelle. 665 - La CEDH, soulignant l’achat de bonne foi du requérant lors d’enchères publiques, a considéré que les autorités polonaises n’avaient su préserver le droit au respect de son bien, à cause d’une législation posant des difficultés d’interprétation. Elle a par conséquent retenu en l’espèce la violation de l’article 1er du Protocole n°1321. En 1999, alors que l’affaire était pendante devant la CEDH, le pouvoir exécutif a modifié les conditions d’enregistrement des véhicules acquis lors d’enchères publiques. 2) Les conditions d’immatriculation des véhicules acquis aux enchères modifiées 666 - La Pologne a versé au requérant le 25 octobre 2005 la somme de 6 000 EUR pour les dommages matériel et moral subis, conformément à l’arrêt rendu par la CEDH. À partir de la remise de son certificat d’immatriculation à l’été 1999, le requérant a pu enfin utiliser sa voiture, deux ans après la vente aux enchères. Aucune autre mesure individuelle n’était donc nécessaire pour réparer la violation de la Conv. EDH dont il avait souffert. 667 - Les dispositions règlementaires à la source du litige avaient fait l’objet d’une modification déterminante avec l’entrée en vigueur, le 1er juillet 1999, du règlement du ministre des Transport et de l’Economie maritime sur l’enregistrement et l’identification des véhicules322. Ce texte a abrogé l’arrêté de 1995. L’immatriculation des véhicules acquis à l’occasion de ventes aux enchères publiques relève désormais du droit commun, en l’occurrence de l’article 72 de la loi sur la circulation routière323 lequel n’exige pas que soient systématiquement four320 Zarządzenie Ministra Transportu i Gospodarki Morskiej z dnia 12 października 1995 r. w sprawie zakresu i sposobu przeprowadzania badań technicznych pojazdów oraz wzorów stosowanych przy tym dokumentów [Arrêté du ministre des Transports et de l’Économie maritime du 12 octobre 1995 sur l’étendue et les modalités du contrôle technique des véhicules ainsi que sur les mentions figurant dans ce document], M. P., 1995, n°63, texte 695, pp. 1075-1106. 321 CEDH, Sildedzis c. Pologne, n°45214/99, 24 mai 2005. 322 Rozporządzenie Ministra Transportu i Gospodarki Morskiej z dnia 19 czerwca 1999 r. w sprawie rejestracji i oznaczania pojazdów [Règlement du ministre des Transports et de l’Économie maritime du 19 juin 1999], Dz. U., n°59, texte 632, pp. 3205-3229. Ce texte a toutefois été abrogé le 21 septembre 2002. 323 Ustawa z dnia 20 czerwca 1997 r. - Prawo o ruchu drogowym [Loi du 20 juin 1997 sur la circulation rou- 426 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » nis les numéros d’authentification d’un véhicule pour procéder à son enregistrement. Qui plus est, depuis un amendement adopté en 2001324, l’article 66a de cette loi répond directement au cas de figure rencontré par le requérant : si un numéro d’authentification a été effacé ou falsifié, le gouverneur du district doit en attribuer un nouveau325. Dans une affaire aux conséquences économiques beaucoup plus importantes pour le requérant, les autorités polonaises avaient illégalement empêché celui-ci d’exercer ses activités commerciales à la frontière germano-polonaises. B. L’entrave illégale de l’administration aux activités commerciales d’une entreprise Par une décision administrative, le requérant avait dû arrêter ses activités commerciales basées sur l’exportation vers l’Allemagne plusieurs années durant, avant que ladite décision ne soit cassée par la Cour suprême (1). L’exécution de l’arrêt a été minimale : à cause du comportement du requérant et du caractère isolé de la violation constatée (2). 1) Les décisions illégales et inconventionnelles des services des douanes concernant le requérant 668 - Dans l’affaire Rosenzweig et Bonded Warehous Ltd., le requérant était le dirigeant d’une société chargée d’exploiter un entrepôt près de Słubice en vue de l’exportation de marchandises vers l’Allemagne. Le permis d’exportation qu’il avait obtenu en juin 1995 a été révoqué quelques mois plus tard par le bureau des douanes de Słubice. La fermeture de l’entrepôt fut exigée par l’administration, au motif que ses activités étaient contraires à un accord bilatéral germano-polonais visant à la régulation des flux de marchandises. Les autorités justifièrent également ces mesures par la nuisance au budget de l’État que représentaient les activités d’exportation du requérant. Après une longue procédure contentieuse et plusieurs décisions de l’administration des douanes défavorables. Le requérant obtint en 1999 devant la Cour administrative suprême la cassation des décisions révoquant sa licence d’exploitation, au motif qu’elles avaient été prises en violation du droit interne. Il ne put cependant reprendre ses activités à la suite de ce conflit. tière], Dz. U., 1997, n°98, texte 602, pp. 3085-3124. 324 Ustawa z dnia 6 września 2001 r. o zmianie ustawy - Prawo o ruchu drogowym [Loi du 6 septembre 2001 modifiant la loi sur la circulation routière], Dz. U., 2001, n°129, texte 144, pp. 1118-1145. 325 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2010)78 (exécution de l’arrêt Sildedzis c. Pologne), 3 juin 2010, 1086e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 427 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 669 - La CEDH, dans l’arrêt rendu le 28 juillet 2005, a considéré d’une part que le gouvernement n’avait pas démontré en quoi les activités de la société du requérant mettaient en péril les intérêts budgétaires de l’État et d’autre part que les mesures prises contre elle avaient porté une atteinte grave à ses activités économiques, en violation de l’article 1er du Protocole n°1326. La Cour n’ayant pas fixé par l’arrêt du 28 juin 2005 le montant de la satisfaction équitable, le requérant et le gouvernement sont entrés en négociation pour établir un règlement amiable. Le greffe de la Cour a été informé en décembre 2008 de l’échec de la transaction. Dans un second arrêt, prononcé le 5 juin 2012, les juges de la quatrième section ont déploré le comportement du requérant, peu coopératif. Dès lors placés dans l’impossibilité d’établir le montant de la satisfaction équitable portant sur les dommages pécuniaires subis, ils se sont contentés de lui attribuer 5 000 EUR pour le préjudice moral et 10 000 EUR de frais et dépens327. Circonscrite à l’administration des douanes, la violation sanctionnée par la Cour dans l’affaire Rosenzweig a été réparée par le versement des sommes attribuées au requérant et un minimum de pédagogie. 2) Des instructions transmises à l’administration des douanes par le gouvernement 670 - Les faits de l’arrêt Rosenzweig auraient pu donner droit à une compensation élevée du préjudice subi par la société du requérant du fait de l’arrêt total de ses activités commerciales. Celui-ci avait réclammé 8 000 000 EUR à la Pologne mais n’a pas fourni les justificatifs permettant d’étayer ce manque à gagner. Le versement de la satisfaction équitable aurait constitué l’enjeu du processus de réception. Tel n’a pas été le cas puisque le requérant, en raison de son comportement déploré par la CEDH elle-même dans le règlement amiable du 5 juin 2012, s’est privé d’une somme d’argent vraisemblablement importante. 671 - Dès lors, la réception de l’arrêt s’est traduite par le versement de la somme allouée par la Cour pour les frais et dépens et le préjudice moral, et par quelques mesures de diffusion de la jurisprudence en question. Le ministre de la Justice a publié l’arrêt sur son site Internet et en a transmis une copie aux magistrats des juridictions admnistratives. Le département des douanes rattaché au ministère des Finances s’est chargé quant à lui d’écrire aux directeurs locaux de l’administration des douanes pour leur transmettre le texte de l’arrêt accompagné d’une lettre circulaire. Le Comité des ministres a jugé dans sa résolution du 5 décembre 2013 326 CEDH, Rosenzweig and Bonded Warehouse Ltd., n°51728/99, 28 juillet 2005. 327 CEDH, Rosenzweig and Bonded Warehouse Ltd. (satisfaction équitable), n°51728/99, 5 juin 2012. 428 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » que ces mesures étaient suffisantes au regard des obligations imposées à l’État défendeur par l’article 46 de la Conv. EDH328. En 2007, le refus d’une municipalité d’offrir une compensation à une entreprise qui avait érigé une route intégrée au réseau local entraîna une autre condamnation de la Pologne devant la CEDH. C. L’absence de compensation pour la construction d’une voie routière par une société Dans une affaire Bugajny, elle aussi isolée, les requérants avaient demandé à la direction de la ville où siégeait leur entreprise de leur accorder une indemnisation pour avoir construit une voie routière (1). L’exécution de l’affaire est toujours en cours, neuf ans après l’arrêt de la CEDH (2). 1) Le refus d’indemniser une société pour la gestion d’une voie routière, une décision contraire au Protocole n°1 672 - Les auteurs de la requête individuelle dans l’affaire Bugajny, jugée en 2007 par la CEDH, étaient les actionnaires d’une société propriétaire d’un terrain situé à Poznań. En 1999, avec l’accord de la municipalité, ils divisèrent ledit terrain en plusieurs parcelles aux fins d’aménager une voie interne. Ils demandèrent à la municipalité d’acquérir les parcelles de terrain aménagées, se prévalant des dispositions de l’article 98 § 1 de la loi sur l’admnistration foncière de 1997329) et de leur verser une compensation pour la construction de la voie (§ 3 du même article). Le maire rejeta leur demande en 2000 au motif que la route en question ne pouvait être considérée comme une expropriation ex lege puisqu’elle n’entrait pas dans le cadre d’un plan de développement local et qu’elle devait donc être considérée comme une voie privée. Cette décision fut confirmée en appel et en cassation. 673 - La CEDH a considéré que l’obligation pesant sur les requérants de construire et d’entretenir une voie interne sur leur propriété constituait une restriction à l’usage de leur bien, d’autant plus que la route en question, bien que privée, avait été intégrée au réseau de la 328 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)247 (exécution de l’arrêt Rosenzweig et Bonded Warehouses Ltd. c. Pologne), 5 décembre 2013, 1186e réunion des délégués. 329 « Les parcelles de terrains désignées pour la construction d’une route par une décision administrative de division de propriété doivent être expropriées ex lege à la date à laquelle la décision de division devient définitive […] » (Ustawa z dnia 21 sierpnia 1997 r. o gospodarce nieruchomościami [Loi 21 août 1997 sur l’administration foncière], Dz. U., 1997, n°115, texte 741, pp. 3545-3584). 429 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME voirie locale et était empruntée par un grand nombre de véhicules330. Après sa condamnation dans l’arrêt Bugajny, le gouvernement a introduit une demande de révision du jugement le 28 février 2008. Il fit valoir que les requérants avaient conservé par devers eux une information déterminante. En effet, ils avaient omis de préciser lors de la procédure devant la CEDH qu’ils n’avaient subi en réalité aucun préjudice pécuniaire grâce à des contrats de servitude conclus avec les propriétaires des appartements situés sur le terrain traversé par la route litigieuse. La CEDH, dans un arrêt de révision du 15 décembre 2009, a qualifié d’« inappropriée » la conduite des requérants mais a considéré qu’elle ne suffisait pas à justier une modification de son jugement, le gouvernement ayant lui-même failli à s’assurer de l’existence ou non d’une servitude par la consultation du registre foncier. Les juges Lech Garlicki et David Thór Björgvinsson contestèrent la majorité de la première chambre dans une opinion dissidente. La dissimulation délibérée de l’information par les requérants, si elle n’exonérait pas le gouvernement de sa négligence, avait selon eux induit en erreur la Cour dans le calcul de la satisfaction équitable à octroyer331. Le Comité des ministres examine toujours, à l’heure actuelle, les mesures prises par les autorités pour se conformer à l’arrêt de la CEDH. 2) La situation des requérants non résolue malgré l’arrêt de la Cour 674 - L’article 98 de la loi du 6 juin 1997 sur l’administration foncière ne précisait pas, dans sa version originale, quel type de voirie était susceptible d’être transféré à une personne publique. En particulier, la loi ne précisait pas si la route en question devait être une route publique. Le texte a été modifié en 2000 postérieurement aux événements de l’affaire Bugajny332. Désormais, il prévoit explicitement que toute route publique, y compris municipale, réalisée par une personne morale de droit privée fasse l’objet d’un transfert à la collectivité locale compétente lorsqu’une décision finale sur la division de la propriété est rendue. Cette procédure s’applique même si la division de la propriété est demandée par l’usufruitier des terrains concernés. 330 CEDH, Bugajny et autres c. Pologne, n°22531/06, 6 novembre 2007. En octroyant 247 000 EUR de satisfaction équitable aux requérants, la Cour a accordé à l’époque la plus grosse somme compensatoire de son histoire. 331 CEDH, Bugajny et autres c. Pologne (révision), n°22531/06, 15 décembre 2009. 332 Ustawa z dnia 7 stycznia 2000 r. o zmianie ustawy o gospodarce nieruchomościami oraz innych ustaw [Loi du 7 janvier 2000 modifiant la loi sur l’administration foncière ainsi que d’autres lois], Dz. U., 2000, n°6, texte 70, pp. 228-238 : cet amendement vient préciser que seules les routes publiques (routes municipales, de district, régionales et nationales) désignées au moment de la division de propriété peuvent être concernées par la mesure d’expropriation ex lege. 430 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 675 - Ainsi clarifiée, la loi doit épargner des difficultés d’interprétation telles qu’elles survinrent dans la procédure concernant les requérants, puisque la municipalité n’avait pas considéré qu’il était de son devoir d’entrer en possession de la route construite. La modification législative de 2000 n’a pas pour conséquence de priver de droit à indemnisation les propriétaires de terrains dont une décision de division de propriété porte sur la création d’une voie privée ouverte d’accès, comme celle construite par les requérants de l’affaire Bugajny. La solution de la CEDH dans l’affaire Bugajny – que le gouvernement a pris le soin de faire connaître aux autorités locales – a servi de guide aux juridictions administratives pour rappeler la nécessité d’un accord entre la personne publique et le propriétaire d’une voie privée ouverte pour fixer une compensation, comme l’exige l’article 1er du Protocole n°1333. 676 - Les deux arrêts de la CEDH ont été rendus en 2007 et en 2009. Au 20 avril 2016, le suivi de l’affaire n’était toujours pas achevé par le Comité des ministres malgré l’amélioration du cadre législatif. Le sort des requérants n’est sans doute pas étranger à cet état de fait puisque la procédure interne engagée après l’arrêt de la CEDH pour qu’ils puissent enfin obtenir une compensation n’a pas abouti. Le 20 mai 2014, le gouverneur de la région de Wielkopolski a refusé d’annuler la décision prise le 31 mai 2000 à l’égard des requérants. Cette décision apparaît directement contraire à la jurisprudence de la CEDH : ce refus entérine un statu quo qui avait convaincu le juge européen de retenir la violation de l’article 1er du Protocole n°1 à la Conv. EDH. Les requérants ont déposé un recours avant, finalement, de se raviser. Toutefois, le ministre des Infrastructures a précisé dans un courrier du 12 septembre 2014 que le retrait du recours ne pouvait être pris en compte s’il conduisait à confirmer une décision prise en violation de la loi ou de l’intérêt public334. Dès lors, il n’est pas exclu que la décision rendue le 20 mai 2014 par le gouverneur régional soit prochainement annulée. Concernant la satisfaction équitable335, les requérants en ont obtenu le versement le 13 mai 2010, dans le délai imparti. La saisie d’une collection de valeur, fût-elle d’armes à feu, a été jugée contraire à l’article 1er du Protocole n°1 par la CEDH en l’absence d’infraction pénale manifeste. 333 Le gouvernement a signalé au Comité des ministres des jugements rendus par la cour administrative régionale de Varsovie (n° I SA/Wa 1834/07, 25 janvier 2008 ; n°I SA /Wa 673/10, 22 juin 2010 ; n°I SA/Wa 1064/11, 16 novembre 2011), par celle de Kielce (n°II SA/Ke 87/12, 14 mars 2002), par celle de Lublin (n°II SA/Lu 645/08, 29 décembre 2008) ou encore par celle d’Olsztyn (n°II SA/Ol 829/11, 8 novembre 2011). Voir Com. Min., Document DH-DD(2015)59 (bilan d’action des autorités dans l’affaire Bugajny et autres c. Pologne), 15 janvier 2015. 334 Ibidem. 335 Très élevée, puisque la CEDH leur avait accordés un total de 265 725 EUR. 431 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME D. La confiscation sur décision judiciaire d’une collection historique d’armes à feu La Pologne a failli à protéger le droit au respect des biens des requérants en le dépossédant sans indemnisation d’objets historiques de valeur (1). Grâce à l’arrêt de la CEDH, le requérant a pu retrouver sa collection et ouvrir un musée (2). 1) Une décision judiciaire de saisie d’un bien non conforme au droit de propriété 677 - Dans une affaire jugée en 2012 par la CEDH, le requérant avait été dépossédé de sa collection d’armes à feu et mis en examen pour détention d’armes sans licence. Les autorités avaient agi en application de l’article 263 § 2 du CP, lequel dispose : « Quiconque possède une arme ou des munitions sans la permission requise encourt six à huit mois d’emprisonnement »336. Vétéran de la Seconde guerre mondiale, il fut défendu par la direction du Bureau des anciens combattants et par le Musée de l’Insurrection de Varsovie qui arguèrent de sa bonne foi de simple collectionneur sans danger pour la société. Les poursuites contre lui furent finalement abandonnées mais ses 171 pièces de collection, confisquées en 2008, devaient être placées dans les mains d’une institution capable de les stocker en toute sécurité. Le Musée de l’Insurrection de Varsovie accepta d’acquérir certaines d’entre elles. 678 - Appelée à statuer sur la conformité de la saisie de la collection du requérant avec l’article 1er du Protocole n°1, la CEDH a considéré qu’en s’abstenant de rechercher si la confiscation privait le requérant d’un bien de valeur pécuniaire importante, les autoritées avaient bien violé les stipulations de l’article 1er du Protocole n°1337. La situation du requérant a évolué favorablement après la condamnation de la Pologne à Strasbourg. La procédure pénale menée contre lui a été rouverte en 2013. 2) La restitution de la collection confisquée au requérant à la suite de l’arrêt de la CEDH 679 - En février 2013, conformément au jugement rendu par la CEDH, le requérant a obtenu le versement de la satisfaction équitable (4 000 EUR) que lui avait accordé la justice européenne. Quelques mois plus tard, le gouvernement et le requérant ont conclu un accord pré- 336 Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. - Kodeks karny [Loi du 6 juin 1997 – Code pénal], Dz. U., 1997, n°88, texte 553, pp. 2677-2716. 337 CEDH, Waldemar Nowakowski c. Pologne, n°55167/11, 24 juillet 2012. 432 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » voyant la restitutio in integrum de la collection confisquée. La procédure interne fut donc rouverte au mois de novembre 2013 devant la cour de district de Varsovie, laquelle, au regard de l’arrêt au principal de la CEDH, a annulé la décision interne de confiscation de la collection du requérant le 13 février 2014. De bonne volonté, le gouvernement est intervenu à l’audience en temps qu’amicus curiae. Waldemar Nowakowski a obtenu un permis du ministre de la Culture pour administrer un musée privé avec sa collection dont il reprit possession le 9 avril 2014. Ces mesures favorables correspondaient aux termes du règlement amiable conclu entre les deux parties et que la CEDH a validé par son arrêt du 22 juillet 2014338. 680 - Le Comité des ministres, statuant sur le suivi de l’affaire en 2015, n’a pu que constater la bonne réception de l’arrêt de la Cour, la conclusion d’un règlement amiable et l’habituelle diffusion de la jurisprudence européenne sur le site Internet du ministère de la Justice339. Un très récent arrêt de la CEDH s’est conclu par la dernière violation en date de l’article 1er du Protocole n°1 par la Pologne. Le requérant n’avait pu acquérir un terrain qui lui était dû à cause d’une incertitude sur la personne publique propriétaire de celui-ci. E. Des obstacles juridiques à l’acquisition d’un terrain malgré une promesse de vente des autorités locales 681 - En 2015, dans l’affaire Żuk, la CEDH a retenu la violation de l’article 1er du Protocole n°1 ainsi que de l’article 6 § 1. En l’espèce, la requérante et son époux avait obtenu en novembre 1989 un accord portant sur la vente par la municipalité de Szczecin d’un terrain qu’ils devaient acquérir. Bien qu’ils en cultivèrent la terre, ils ne purent en acquérir la propriété, quand bien même la décision de 1989 fut confirmée en 1990 et en 1996. La procédure civile qu’ils entreprirent en 2003 s’acheva devant la Cour suprême en 2011. Elle n’aboutit pas à la conclusion de la vente, la municipalité ne détenant pas le terrain concerné, possédé en réalité par le Trésor public. Ce dernier était en effet resté détenteur du terrain, en dépit de l’adoption de la loi du 10 mai 1990 relative à l’administration locale340. Cette loi avait eu pour effet de réduire drastiquement le patrimoine du Trésor public par le transfert de nombreuses propriétés 338 CEDH, Waldemar Nowakowski c. Pologne (règlement amiable), n°55167/11, 22 juillet 2014. 339 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)165 (exécution de l’arrêt Waldemar Nowakowski c. Pologne), 14 octobre 2015, 1238e réunion des délégués, ainsi que son annexe (bilan d’action des autorités). 340 Ustawa z dnia 10 maja 1990 r. Przepisy wprowadzające ustawę o samorządzie terytorialnym i ustawę o pracownikach samorządowych [Loi du 10 mai 1990 sur les modalités d'application de la loi sur l'autonomie locale et la loi sur les employés des collectivités locales], Dz. U., 1990, n°32, texte 191, pp. 426-430. 433 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME vers les autorités locales sur lesquelles ces propriétés étaient sises. Or, la propriété de la requérante était restée de facto dans le giron du Trésor public, en l’absence d’une décision du gouverneur du district autorisant explicitement le transfert du bien en question à la municipalité de Szczecin. 682 - Pour le juge européen, la requérante n’avait pu bénéficier pendant plusieurs années d’une procédure lui permettant efficacement de faire appliquer le contrat de vente conclu en 1989341. L’arrêt Żuk est devenu définitif le 6 janvier 2016. Le Comité des ministres n’a pas encore entamé le suivi de son exécution. Les circonstances accidentelles qui conduisirent à la violation de l’article 1er du Protocole n°1 et l’exécution généralement aisée de ces arrêts invitent à conclure que le droit de propriété est de mieux en mieux protégé dans la Pologne démocratique. De même, la Pologne ne viole pas massivement le droit au procès équitable, exception faite bien sûr de l’une de ses composantes qui est la célérité des procédures, objet du précédent chapitre. Ces dernières années, la jurisprudence de la CEDH montre que des entorses aux règles de l’impartialité ou à l’accès à la justice sont seulement résiduelles. SECTION II – LES ENTORSES RÉSIDUELLES AU DROIT AU PROCÈS ÉQUITABLE 683 - Si, dans le texte de la Conv. EDH, les droits procéduraux ne sont énoncés que dans un second temps – précédés du « noyau dur » des droits intangibles342, relatifs à la protection de l’intégrité physique – ils sont en revanche indispensables au fonctionnement d’une société démocratique puisqu’ils conditionnent la bonne application des normes et le respect de leur hiérarchie343. La CEDH a établi à leur égard une jurisprudence riche et exigeante, à telle enseigne que certains auteurs l’estiment excessivement contraignante344. Les démocraties euro- 341 CEDH, Żuk c. Pologne, n°48286/11, 6 octobre 2015. 342 Dominique TURPIN, Liberté publiques et Droits fondamentaux, Paris, Seuil, 2004, p. 61. 343 La soft law du Conseil de l’Europe aborde aussi la question des critères nécessaires pour une justice impartiale et prompte. Voir par exemple, dans le contexte de l’intégration des PECO : Com. Min., Recommandation R(94)12 du Comité des ministres aux États membres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges, 13 octobre 1994, 518e réunion des délégués. 344 Voir les débats de la doctrine française sur les règles européennes de l’impartialité des procédures appliquées à la procédure administrative (CEDH, Kress c. France [GC], n°39594/98, 7 juin 2001, Rec. 2001-VI), not. les 434 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » péennes nées de l’effondrement des régimes autoritaires méditerranéens ou socialistes, en dépit de leur manque d’expérience, ont dû s’y soumettre dans un délai très court. La Cour de Strasbourg évalue donc avec attention le respect par la Pologne des dispositions de la Conv. EDH relatives aux procédures et au fonctionnement des organes juridictionnels, comme elle le fait avec les autres pays d’Europe centrale et de l’est, et comme elle le fit avec l’Espagne, le Portugal et la Grèce quelques années auparavant. Le fonctionnement de la justice polonaise est principalement affecté par la durée des procédures : cela a été précédemment analysé. Toutefois, deux grands groupes d’arrêts345 sont marqués par des condamnations au titre de l’article 6 de la Conv. EDH pour d’autres motifs et font apparaître certaines insuffisances des normes procédurales. Les justiciables polonais bénéficient depuis la restauration démocratique d’une justice reposant sur les principes d’indépendance et d’impartialité. Mais ils ont pu se heurter aussi à des difficultés pour que leur dossier soit examiné par la juridiction compétente à cause notamment des critères d’obtention d’aides juridictionnelles (§ 1). Certains litiges, en raison des règles spéciales qui s’y appliquent, ont été tranchés par des juridictions dont la composition ne respectait pas pleinement l’article 6 de la Conv. EDH (§ 2). commentaires de Jean-François FLAUSS, « La double lecture de l’arrêt Kress c. France », LPA, n°197, 3 octobre 2001, pp. 13-21 ; Stéphanie GANDREAU, « La théorie des apparences en droit administratif : vertus et risques de l’importation d’une tradition de Common Law », RDP, n°2, 1er mars 2005, pp. 319-356 ; Pierre-Olivier CAILLE, « Présence du commissaire du gouvernement au délibéré et droit au procès équitable : point final », Droit administratif, n°1, 1er janvier 2010, pp. 32-35. 345 À côté de ces groupes idenfitiables, il existe aussi des condamnations de la CEDH qui sanctionnent des circonstances isolées. Il en est ainsi de la violation de l’article 6 causé par le fardeau excessif placé sur la requérante dans une procédure dont l’aboutissement dépendait de sa capacité à fournir toutes les adresses des personnes intéressées par la propriété d’un bien immobilier (CEDH, Szwagrun-Baurycza c. Pologne, n°41187/02, 24 octobre 2006). Cet arrêt a été suivi par le Comité des ministres jusqu’à la résolution finale qui constata le versement de la satisfaction équitable (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution des arrêts dans 17 affaires contre la Pologne), 10 mars 2011, 1108e réunion des délégués). Ce premier cas est à rapprocher de l’affaire Nowiński, qui valut à la Pologne une condamnation sur le fondement de ce même article 6 pour avoir abandonné une procédure ouverte par le requérant, sans domicile fixe, à cause d’un critère formel (article 126 du CPC) appliqué de manière trop rigide : l’indication dans la requête d’une adresse postale permanente (CEDH, Nowiński c. Pologne, n°25924/06, 20 octobre 2009). Le gouvernement a insisté sur le fait que la violation de l’article 6 en l’espèce « était plutôt de nature accidentelle et résultait d’un excès de formalisme des juridictions internes », ce que le Comité des ministres a probablement admis en considérant que le versement de la satisfaction équitable et la diffusion de l’arrêt traduit aux juridictions du pays permettaient à l’État de remplir ses obligations au titre de l’article 46 de la Conv. EDH (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2012)198 (exécution de l’arrêt Nowiński c. Pologne), 6 décembre 2012, 1157e réunion des délégués). 435 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME § 1. LES ENTRAVES À L’ACCÈS À UN TRIBUNAL Les trois paragraphes de l’article 6 de la Conv. EDH énoncent un ensemble de conditions à remplir pour qu’une cause soit équitablement entendue devant les juridictions internes. La première des conditions d’un procès équitable est de pouvoir faire valoir ses droits devant un juge. Les conditions de recevabilité des recours et autres contraintes procédurales imposées en droit interne peuvent faire échec à l’accès à un tribunal. La CEDH a ainsi condamné la Pologne par la faute de décisions refusant aux requérants l’aide juridictionnelle dont ils avaient besoin (A), exigeant d’eux des frais de justice excessivement élevés (B), ou déclarant irrecevable sans motivation un pourvoi en cassation (C). A. Le refus d’accorder aux requérants l’aide juridictionnelle 684 - Dans une étude publiée 2005, Adam Bodnar déplorait déjà que, « malgré les premières mesures prises pour y remédier, la Pologne avait toujours un système d’aide juridictionnelle inefficace »346. La jurisprudence de la CEDH observée de 2002 à 2013 lui a donné raison, en dévoilant la réelle difficulté éprouvée par les cours du pays pour évaluer avec justesse les besoins de justiciables candidat à l’aide juridictionnelle347. L’accès à l’aide juridictionnelle a posé problème en Pologne pendant mais surtout après la transition (1). L’adoption d’un nouveau CPC en 2010 a été la principale réponse apportée par l’État aux condamnations infligées par la CEDH (2). 1) Plusieurs dizaines de condamnations devant la CEDH en raison des défaillances du système d’aide juridictionnelle La difficulté pour des individus peu solvables d’obtenir une aide juridictionnelle s’est présentée devant les juridictions d’instance (a) mais plus encore au niveau du recours en cassation (b). a) Les difficultés d’accéder à l’aide juridictionnelle devant les juridictions 346 Adam BODNAR, « The right to and effective remedy in polycentric legal system », German Law Journal, n°11, 2005, p. 162. 347 L’article 6 § 3 c) de la Conv. EDH stipule que tout accusé, dans le cadre pénal, a droit de « se défendre luimême ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de réumunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ». 436 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » d’instance 685 - Dans la première affaire qui souleva la question de l’aide juridictionnelle, les deux requérants étaient deux frères, parties dans une procédure pénale ouverte pour des soupçons de violences policières. Licenciés d’un club de musculation, Roman et Sławomir Berliński avaient refusé, le 4 octobre 1993, de quitter la salle de sport à la demande du responsable, lequel leur reprochait d’être entrés sans permission. Ils en furent expulsés de force par la police et alléguèrent avoir été battus par les fonctionnaires au moment de leur interpellation puis dans le fourgon les menant au commissariat. Leur mise en examen leur fut signifiée dès le lendemain, accusés – conformément à l’article 234 du CP de 1969 – d’avoir attaqué les policiers et perturbé l’intervention entreprise. Le 6 octobre 1993, Roman et Sławomir Berliński ont demandé au procureur de bénéficier des services d’un avocat commis d’office. Ils expliquèrent qu’ils devaient faire face à des difficultés financières. Leur demande resta pourtant sans réponse. Ce n’est que le 17 octobre 1994, par une décision de la cour de district de Lublin, qu’un avocat fut désigné pour les représenter, à titre gratuit, sur le fondement de l’article 70 § 1 du CPP. Les requérants furent condamnés dans cette affaire pour refus d’obtempérer et attaques contre les officiers de police, par une décision de la cour de district de Lublin rendue le 7 août 1996, confirmée en appel348. 686 - Outre la violation de l’article 3 de la Conv. EDH en raison des violences policières qu’ils estimaient avoir subies sans que les fonctionnaires ne fussent condamnés par les juridictions internes, les requérants se plaignirent devant la CEDH de la méconnaissance par l’État polonais des articles 6 § 1 et 6 § 3 combinés en raison de l’inaction du procureur en charge de leur dossier quant à la demande d’aide juridictionnelle. Les requérants étaient restés plus d’un an sans défense, alors même qu’« un certain nombre d’actes procéduraux, incluant l’interrogatoire des requérants et leur examen médical, avaient été menés durant cette période » a remarqué la Cour. Cette dernière a retenu en 2002 la violation de l’article 6 de la Conv. EDH, combiné avec l’alinéa c) de l’article 6 du même texte349. 687 - La deuxième affaire portée devant la CEDH a été jugée en 2008. Le requérant, Jerzy Bobrowski, était partie à quatre procédures civiles en relation avec les difficultés financières connues par son entreprise à la suite d’un incendie. Devant la CEDH, il reprocha aux autorités judiciaires le rejet de sa demande d’aide juridictionnelle introduite en prévision d’un appel 348 CEDH, Berliński c. Pologne, n°27715/95 et n°30209/96, 20 juin 2002, §§ 10-54. 349 Ibidem, §§ 73-78. 437 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME contre un arrêt de première instance défavorable. La décision de ne pas lui accorder un avocat d’office n’était pas motivée. L’absence de motivation a été l’élément principal qui conduisit la CEDH à retenir en l’espèce la violation de l’article 6 de la Conv. EDH. La Cour a souligné par ailleurs que la justice connaissait les difficultés financières du requérant mais n’en avait pas tiré les conséquences lui refusant le bénéfice de l’aide juridictionnelle350. Dans un grand nombre d’arrêts rendus par la CEDH de 2006 à 2013, les refus essuyés par des parties à une procédure juridictionnelle sur leur demande d’aide judiciaire se concentraient au moment de l’introduction du pourvoi en cassation. b) Les difficultés d’accéder à l’aide juridictionnelle en vue d’un pourvoi en cassation 688 - En 2001, dans une affaire R. D. à distinguer de celles qui suivront puisque les faits s’étaient déroulés sous l’empire de l’ancien CPP de 1969351, la CEDH a condamné la Pologne sur le fondement des articles 6 § 1 et 6 § 3 c) combinés. La cour d’appel compétente avait refusé en l’espèce d’accorder au requérant un avocat d’office, nécessaire au dépôt d’un pourvoi en cassation352. 689 - Cinq ans plus tard, un nouvel arrêt de la CEDH a auguré une série d’affaires révélant l’entrave fréquente à l’accès des justiciables à la Cour suprême. Dans l’affaire Tabor, le requérant avait été engagé dans une procédure en indemnisation contre son employeur, en conséquence de la rupture de son contrat de travail en 1997. Dans l’arrêt de première instance, rendu le 4 décembre 1998 par la chambre du travail de la cour de district de Katowice, il obtint gain de cause. Insatisfait néanmoins du montant de l’indemnisation fixée par les juges, il interjeta appel. Son recours fut rejeté. Le requérant souhaita alors déposer un pourvoi en cassation et, évoquant sa situation financière difficile, sollicita l’aide juridictionnelle. Sa de- 350 CEDH, Bobrowski c. Pologne, n°64916/01, 17 juin 2008. 351 L’article 71 de ce Code disposait : « Un accusé doit avoir le droit à un avocat lorsqu’une cour régionale est compétente en première instance pour juger sa cause. L’avocat doit prendre part à l’audience principale ; il doit aussi prendre part à l’audience en appel si le président de la cour ou la cour elle-même l’estime nécessaire ». Cette règle concernait aussi bien les avocats choisis par le justiciable que les avocats désignés d’office dans le cadre de l’aide juridictionnelle. L’article 75 § 1 du même Code venait préciser que l’assistance de l’avocat d’office s’étendait à l’ensemble de la procédure devant les juridictions d’instance, exception faite du recours en cassation pour lequel une nouvelle demande devait être introduite (Ustawa z dnia 19 kwietnia 1969 r. Kodeks postępowania karnego [Loi du 19 avril 1969 – Code de procédure pénale], Dz. U., 1969, n°13, texte 96, pp. 150186. 352 Le requérant avait pourtant bénéficié de l’aide juridictionnelle en première et seconde instance. Les autorités polonaises ont considéré à tort que le requérant avait les moyens de s’acquitter des honoraires d’un avocat pour déposer son pourvoi (CEDH, R. D. c. Pologne, n°29692/96 et n°34612/97, 18 décembre 2001). 438 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » mande fut rejetée le 17 janvier 2000 par la cour régionale de Katowice. Faute d’avocat, conformément à l’article 393(4) § 1 du CPC353, la Cour suprême jugea son pourvoi irrecevable par une décision du 25 mai 2000354. Dans cette affaire, le gouvernement avançait devant la CEDH, que le requérant aurait pu désigner l’avocat de son choix pour plaider devant la Cour suprême. Mais la Cour de Strasbourg a constaté pour sa part que le refus opposé à la demande d’aide juridictionnelle était de toute façon intervenue après l’épuisement du délai de recours en cassation. Celui-ci est fixé pour un mois après la notification aux parties de l’arrêt rendu en appel. À supposer que le requérant eût les ressources financières pour s’assurer de lui-même les services d’un avocat, il ne pouvait légalement déposer son recours après la notification de la décision de refus par les autorités judiciaires. De surcroît, par une jurisprudence bien établie interprétant l’article 384 du CPC, la Cour suprême considérait que les décisions rendues par une juridiction de seconde instance à propos d’une demande d’aide juridictionnelle ne pouvaient faire l’objet d’un recours355. La CEDH a considéré qu’en ces circonstances, le droit polonais ne permettait pas de remplir les exigences de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH356. 690 - Cette incompatibilité manifeste avec la Convention des normes internes relatives à l’aide juridictionnelle explique qu’au cours des années qui suivirent, la CEDH ait condamné la Pologne dans une trentaine d’autres affaires. Dans chacun des cas, le requérant n’avait pu plaider sa cause devant la Cour suprême, faute d’être défendus par un avocat en violation des règles du procès équitable. Plusieurs scenarii se sont produits : le refus d’accorder l’aide juridictionnelle, motivé357 ou non358 ; l’annonce tardive de l’avocat à son client qu’il renonce à déposer le pourvoi faute de moyens juridiques359 ; le refus d’une cour régionale d’accorder 353 Selon cet article, un pourvoi en cassation doit être nécessairement introduit par le conseil du demandeur ; à défaut d’avocat, il est irrecevable (Ustawa z dnia 17 listopada 1964 r. - Kodeks postępowania cywilnego [Loi du 17 novembre 1964 – Code de procédure civile], Dz. U., 1964, n°43, texte 296, pp. 425-491). 354 CEDH, Tabor c. Pologne, n°12825/02, 27 juin 2006, §§ 7-15. 355 Par ex : CSP, n°II CZ, 9/97, 21 février 1997 ; CSP, n°I CZ 14/97, 8 avril 2007, OSN, 1997, n°9, texte 120. 356 CEDH, Tabor c. Pologne, préc., §§ 39-47. 357 CEDH, Wieczorek c. Pologne, n°18176/05, 8 décembre 2009. 358 CEDH, Zagawa c. Pologne, n°76396/01, 15 janvier 2008 ; CEDH, Zaniewski c. Pologne, n°14464/03, 15 janvier 2008 ; CEDH, Biziuk c. Pologne, n°15670/02, 15 janvier 2008 ; CEDH, Mirosław Orzechowski c. Pologne, n°13526/07, 13 janvier 2009 ; CEDH, Arciński c. Pologne, n°41373/04, 15 septembre 2009 ; CEDH, Wersel c. Pologne, n°30358/04, 13 septembre 2011. 359 CEDH, Staroszczyk c. Pologne, n°59519/00, 22 mars 2007 ; CEDH, Siałkowska c. Pologne, n°8932/05, 22 mars 2007 ; CEDH, Kulikowski c. Pologne, n°18353/03, 19 mai 2009 et CEDH, Kulikowski c. Pologne (révision), n°18353/03, 21 décembre 2010) ; CEDH, Zapadka c. Pologne, n°2619/05, 15 décembre 2009 ; CEDH, Subicka c. Pologne, n°29342/06, 14 septembre 2010 ; CEDH, Kramarz c. Pologne, n°34851/07, 5 octobre 2010 ; CEDH, Kocurek c. Pologne, n°20520/08, 26 octobre 2010 ; CEDH, Jędrzejczak c. Pologne, n°56334/08, 11 janvier 2011 ; CEDH, Subicka c. Pologne (n°2), n°34043/05 et n°15792/06, 21 juin 2011 ; CEDH, Żebrowski c. Pologne, n°34736/06, 3 novembre 2011 : CEDH, Szubert c. Pologne, n°22183/06, 5 juillet 2012. 439 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’aide juridictionnelle au requérant en considérant, par erreur, qu’un pourvoi n’était pas ouvert dans le type d’affaire en question360 ; le manque d’information du requérant sur ses droits procéduraux, après le refus par son avocat de préparer un pourvoi361. Les affaires dans lesquelles la Pologne échappa à une condamnation en raison du comportement du requérant ne furent cependant pas rares au début des années 2010362. Le Comité des ministres a suivi l’ensemble des affaires portant sur l’aide juridictionnelle en les rassemblant en plusieurs groupes. L’évolution du droit interne a rendu possible la résolution des problèmes observés par la Cour. 2) La CEDH à l’origine de l’évolution de la loi et de la jurisprudence sur la désignation et les décisions des avocats commis d’office 691 - Le suivi de l’exécution du tout première arrêt, rendu dans l’affaire Berliński, s’est achevé en 2008 par une résolution finale du Comité des ministres. La Pologne avait assuré la traduction en polonais et la publication sur le site internet du ministère de la Justice de l’arrêt, afin de le rendre accessible aux justiciables polonais. Les professionnels de la justice ainsi que les autorités directement impliquées dans cette affaire ont été informés et sensibilisées directement par le gouvernement. C’est ainsi que le texte de l’arrêt Berliński a été transmis à tous 360 CEDH, Laskowska c. Pologne, n°77765/01, 13 mars 2007 ; CEDH, Kowalski c. Pologne, n°43316/08, 11 juin 2013. Dans la seconde affaire, les autorités judiciaires ont rejeté la demande d’aide juridictionnelle au motif que le délai de recours pour déposer le pourvoi avait été dépassé, alors même que le requérant avait introduit sa demande d’aide avant l’expiration de ce délai. 361 CEDH, Antonicelli c. Pologne, n°2815/05, 19 mai 2009 ; CEDH, Jan Zawadzki c. Pologne, n°648/01, 6 juillet 2010 ; CEDH, Urbanowicz c. Pologne, n°40459/05, 5 octobre 2010 ; CEDH, Szparag c. Pologne, n°17656/06, 5 octobre 2010 ; CEDH, Włodarczyk c. Pologne, n°16286/07, 11 octobre 2011 ; CEDH, Dombrowski c. Pologne, n°9566/10, 18 octobre 2011 ; CEDH, Mirosław Wojciechowski c. Pologne, n°18063/07, 20 décembre 2011 ; CEDH, Nowaszewski c. Pologne, n°7272/09, 27 mars 2012 ; CEDH, Korgul c. Pologne, n°35916/08, 17 avril 2012. 362 Le requérant disposait de suffisamment de temps pour démarcher un autre conseil après la notification du refus de l’avocat commis d’office de préparer le pourvoi dans les affaires CEDH, Smyk c. Pologne, n°8958/04, 28 juillet 2009 ; CEDH, Bąkowska c. Pologne, n°33539/02, 12 janvier 2010 ; CEDH, 6c. Pologne, n°28157/08, 5 octobre 2010 ; CEDH, Balcer c. Pologne, n°19236/07, 5 octobre 2010 ; CEDH, Słowik c. Pologne, n°31477/05, 12 avril 2011 (malgré une opinion dissidente du juge Mijović pour qui le refus fréquent des avocats commis d’office de déposer des pourvois posait un réel problème aux justiciables polonais) ; CEDH, Teresa Kowalczyk c. Pologne, n°23987/05, 11 octobre 2011 (nouvelle opinion dissidente du juge Mijović) ; CEDH, Pohoska c. Pologne, n°33530/06, 10 janvier 2012 ; CEDH, Tomczykowski c. Pologne, n°34164/05, 17 avril 2012 ; CEDH, Siwiec c. Pologne, n°28095/08, 3 juillet 2012 et CEDH, Piotr Kozłowski c. Pologne, n°24250/11, 9 avril 2013. Dans une autre affaire, le requérant avait failli à déposer une demande de pourvoi hors-délai (possibilité offerte lorsque l’échec de la demande est le fait de circonstances étrangères à la volonté du demandeur), ce que la procédure administrative lui permettait : CEDH, Chorobik c. Pologne, n°45213/07, 3 mai 2012. Cette affaire est à rapprocher d’une autre, jugée également en 2012, et dans laquelle l’échec du dépôt d’un pourvoi hors-délai était imputable à l’avocat commis d’office (CEDH, Kędra c. Pologne, n°57944/08, 17 avril 2012). Enfin, la Cour n’a pas retenu la violation de l’article 6 lorsque le requérant avait ignoré les conditions de recevabilité pour présenter un pourvoi hors délai : CEDH, Inotlewski c. Pologne, n°22668/09, 17 avril 2012. 440 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » les parquets près les cours d’appel avec pour instruction de le porter à la connaissance de tous les procureurs et de l’inclure dans la formation des parquets inférieurs. Les requérants ont reçu la satisfaction équitable fixée par la CEDH et pouvaient demander, sur le fondement de l’article 540 § 3 du CPP, la réouverture de la procédure par laquelle ils avaient été condamnés363. Le Comité des ministres avait certainement estimé à l’époque qu’aucune modification législative n’était nécessaire puisque la violation de l’article 6 résultait d’une absence de réponse à la demande des requérants d’obtenir l’aide juridictionnelle. Cette carence constituait en elle-même une violation de la législation interne alors en vigueur, le CPP de 1969, abrogé depuis. 692 - Une deuxième phase de la réception de cette affaire s’est déroulée entre la cloture de l’affaire Berliński en 2008 et 2011, date à laquelle le Comité des ministres s’est prononcé sur un second groupe d’affaires relatives au manque de motivations des décisions de rejet d’aide juridictionnelle364. Les requérants de ces affaires ont bénéficié, grâce aux arrêts de la CEDH en leur faveur, d’une possibilité de demande une restauration du délai d’introduction d’un pourvoi en cassation365. Le cadre procédural pour les demandes d’aides juridictionnelles a été renforcé par le vote d’un amendement adopté 2009. Il est venu modifier l’article 117 du CPC en introduisant un sixième paragraphe, lequel prévoit que « la demande de désignation d’un avocat ou conseil, introduite pour la première fois dans une procédure en appel, en cassation ou pour contester la légalité d'une décision définitive, est transmise par la cour [d’appel compétente] à la juridiction de première instance, à moins qu'elle estime elle-même que la demande est justifiée »366. Si la demande est renvoyée pour examen, la juridiction de première instance est tenue de rendre une décision motivée367. 693 - En mai et juillet 2013, le Comité des ministres s’est prononcé sur deux groupes d’affaires jugées par la Cour entre 2007 et 2012368, déterminés en fonction du problème spéci363 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2008)56 (exécution de l’arrêt Berliński c. Pologne), 15 juin 2008, 1028e réunion, ainsi que son annexe. 364 Groupe d’affaires Tabor, qui concernait aussi les arrêts précités suivants : Biziuk, Bobrowski, Mirosław Orzechowski, R. D., Zagawa et Zniewski. 365 Il en fut de même pour le requérant de l’affaire Wieczorek, suivie à part. Voir Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)112 (exécution de l’arrêt Wieczorek c. Pologne), 6 juin 2013, 1172e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 366 Ustawa z dnia 17 grudnia 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania cywilnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 17 décembre 2009 modifiant le Code de procédure civile ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2010, n°7, texte 45, pp. 849-856. Ce texte est entré en vigueur le 19 avril 2010. 367 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)239 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), 2 décembre 2011, 1128e réunion des délégués, annexe. 368 Dans le groupe Siałkowska figuraient les arrêts précités Jedrzejczak, Kocurek, Kramarz, Żebrowski, Subicka 441 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME fiquement observé. Dans le groupe d’affaire Siałkowska, le Comité a examiné les mesures prises pour remédier aux cas de notifications tardives du refus des avocats d’office de déposer des recours en cassation. La loi du 17 décembre 2009 – qui avait amendé l’article 117 du CPC – a également modifié l’article 118 de ce Code pour couper court à la pratique qui permettait de différer la transmission de la décision d’un avocat sur une demande de pourvoi, contraire à l’article 6 de la Conv. EDH. Depuis cette modification législative, l’article 118 § 5 précise que l’avocat commis doit prendre sa décision dans les quinze jours qui suivent sa désignation et, s’il renonce à préparer un pourvoi, la notifiation à son client doit être immédiate. De plus, sa décision doit porter les motifs qui l’amènent à conclure à l’absence de base légale pour contester un arrêt en cassation369. En cas de non respect des délais ainsi fixés, le justiciable peut se plaindre au barreau, lequel procèdera le cas échéant à la désignation d’un autre avocat ou conseil (article 118 § 6). 694 - Le délai pour déposer un pourvoi en cassation et l’établissement de la date à laquelle celui-ci commence à courir ont aussi été affecté par des modifications législatives. Dès la loi du 22 décembre 2004 modifiant le CPC, le temps à dispositions des parties pour déposer un pourvoi en cassation a doublé, passant d’un à deux mois370. La loi de décembre 2009 répond plus spécifiquement aux arrêts de la CEDH en modifiant l’article 124 du CPC. Son nouveau § 3 oblige la juridiction compétente à transmettre à l’avocat commis d’office la décision motivée qu’entend attaquer en cassation une partie, et le délai pour déposer le pourvoi commence à courir à partir de la date où l’avocat reçoit le texte de cette décision. Quant à son § 4, il vient préciser qu’en cas de refus de l’avocat de préparer le pourvoi, le délai de recours commence à courir lorsque la partie requérante prend connaissance du refus. Ces réformes législatives ont été accompagnées d’autres mesures qui ont directement participé à la réception des arrêts de la CEDH, venant du gouvernement (traduction et publication des arrêts Siałkowska, Staroszczyk et Żebrowski) et du Conseil supérieur du barreau (résolution n°61 du 15 septembre (n°2) et Zapadka. Dans le groupe Kulikowski, étaient suivis les arrêts Antonicelli, Arciński, Dombrowski, Korgul, Mirosław Wojciechowski, Nowaszewski, Szparag, Urbanowicz, Jan Zawadzki, Wlodarczyk, Wersel et Szubert. 369 Il est utile de préciser que la justice polonaise avait admis dès le début des années 2000 qu’un justiciable pouvait rechercher la responsabilité d’un avocat qui avait refusé par négligence ou mauvaise conduite de déposer un pourvoi en cassation (voir CSP, n°II CZN 1216/00, 18 avril 2002, OSN, 2003, n°4, texte 58) 370 L’article 398(5) § 1 du CPC modifié dispose désormais : « Le recours en cassation est déposée à la juridiction qui a rendu la décision attaquée dans les deux mois suivant la notification de cette décision accompagnée des motivations » (Ustawa z dnia 22 grudnia 2004 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania cywilnego oraz ustawy - Prawo o ustroju sądów powszechnych [Loi du 22 décembre 2004 modifiant le Code de procédure civil ainsi que la loi sur le droit et l’organisation des juridictions de droit commun], Dz. U., 2005, n°13, texte 98, pp. 986-995). 442 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 2007 invitant les avocats à examiner dans les plus brefs délais les demandes de recours en cassation et de motiver par écrit toute décision de refus, transmise elle aussi dans des délais brefs)371. 695 - Concernant le groupe Kulikowski, qui rassemblait les affaires dans lesquelles la Cour avait reproché aux autorités judiciaires polonaises l’absence d’instructions sur les droits procéduraux des requérants dont l’avocat commis d’office avait renoncé au pourvoi, le Comité a validé également la démarche du gouvernement. Selon ce dernier, ces causes particulières tenaient à l’application de la loi, non à son contenu. Il a donc assuré la diffusion des standards européens en traduisant et publiant les arrêts Wersel et Kulikowski. La jurisprudence a remédié sans ambiguïté à la mauvaise pratique observée. Plusieurs arrêts de la Cour suprême rendus de 2008 à 2011 font obligation aux cours d’appel d’informer toute partie sur l’opinion de son avocat, ses droits en matière de dépôt de pourvoi par un avocat de son choix ainsi que la date limite pour déposer un pourvoi372. Dans son arrêt du 22 décembre 2009, la Cour suprême a fait directement référence aux arrêts Kulikowski et Antonicelli. Lorsque les requérants n’ont pu poursuivre une procédure en raison du montant des frais de justice qu’ils étaient dans l’incapacité d’acquitter, la CEDH a condamné l’État polonais pour la violation de l’article 6 de la Conv. EDH. B. Le montant trop élevé des frais de justice Des condamnations à répétition dans des affaires concernant le montant des frais de justice imposé aux requérants sans leur concéder d’exemption (1) ont rendu nécessaire l’adoption d’une nouvelle loi relative au coût dans les procédures civiles (2). 1) Une série de condamnations entre 2001 et 2015 en raison du refus des autorités d’exempter les requérants de frais de procédure 696 - La Pologne a été condamnée pour la première fois en 2001 pour avoir exigé du requérant, partie à une procédure interne, des frais trop élevés. Homme d’affaires à l’époque des 371 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)147 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), 10 juillet 2013, 1176e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 372 CSP, n°II KZ 16/08, 6 mai 2008 ; CSP, n°IV KZ 82/08, 12 décembre 2008 ; CSP, n°II KZ 54/09, 18 novembre 2009 ; CSP, n°III KZ 87/09, 22 décembre 2009 ; CSP, n°II KZ 42/11, 29 juillet 2011. Voir l’annexe (bilan d’action des autorités) à la résolution du Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)190 (exécution des arrêts dans 13 affaires contre la Pologne), 26 septembre 2013, 1179e réunion des délégués. 443 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME faits, Henryk Kreuz recherchait la responsabilité de l’administration pour le refus non-motivé de lui délivrer un permis de construire une station de lavage. Il fut contraint d’abandonner ladite procédure, faute de pouvoir s’acquitter des frais exigés. À l’époque, les modalités de calcul des frais de justice et les catégories de personnes pouvant être exemptées de leur paiement relevaient de sources différentes, principalement du CPC, de la loi du 13 juin 1967 relative aux frais de justice et du règlement ministériel sur la fixation des frais en matière civile373. La CEDH, que M. Kreuz avait saisie, observa que les juriditions polonaises s’étaient fondées sur ses capacités financières hypothétiques, non sur la réalité de sa situation. En ne vérifiant pas si le requérant pouvait payer les frais requis, les autorités avaient entravé son droit d’accéder à la justice374. 697 - Entre 2005 et 2016, quinze condamnations supplémentaires furent prononcées par la CEDH pour les mêmes motifs375. La CEDH a tenté de mettre le hola à cette tendance, condamnant la Pologne à chaque fois que les frais de justice demandés aux requérants apparaissaient manifestement disproportionnés. Dans l’affaire Jedamski et Jedamska jugée en 2005 par exemple, les frais de justice correspondaient à cinquante fois le salaire moyen polonais alors que les requérants tiraient leurs seuls revenus de l’exploitation de leur ferme de 57 hectares. Dans l’arrêt Teltronic-CATV de 2006, les frais de justice réclamés à la société requérante risquaient de placer celle-ci en situation d’insolvabilité. 698 - La CEDH a estimé, en revanche, que les autorités avaient équitablement fixé le montant des frais dans plusieurs affaires entre 2009 et 2011376. En 2012, elle n’a pas retenu l’argument 373 Ustawa z dnia 17 listopada 1964 r. - Kodeks postępowania cywilnego [Loi du 17 novembre 1964 – Code de procédure civile], Dz. U., 1964, n°43, texte 296, pp. 425-491 ; Ustawa z dnia 13 czerwca 1967 r. o kosztach sądowych w sprawach cywilnych [Loi du 13 juin 1967 sur les frais de justice dans les affaires civiles], Dz. U., 1967, n°24, texte 110, pp. 175-178 ; Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 17 maja 1993 r. w sprawie określenia wysokości wpisów w sprawach cywilnych [Règlement du ministre de la Justice du 17 mai 1993 sur la fixation des frais dans les affaires civiles], Dz. U., n°46, texte 210, pp. 867-872. 374 CEDH, Kreuz c. Pologne, n°28249/95, 19 juin 2001, Rec. 2001-VI. 375 CEDH, Podbielski et PPU Polpure, n°39199/98, 26 juillet 2005 (bien que les autorités judiciaires eussent consenti une diminution des frais en l’espèce, la Cour a considéré que ceux-ci étaient restés trop élevés au regard des capacités financières des requérants) ; CEDH, Jedamski et Jedamska, n°73547/01, 26 juillet 2005 ; CEDH, Kniat c. Pologne, n°71731/01, 26 juillet 2005 ; CEDH, Teltronic-CATV c. Pologne, n°48140/99, 10 janvier 2006 ; CEDH, Stankiewicz c. Pologne, n°46917/99, 6 avril 2006 ; CEDH, Kozłowski c. Pologne, n°23779/02, 23 janvier 2007 (le juge polonais Lech Garlicki a rédigé une opinion dissidente, reprochant aux requérants d’avoir contribué au maintien de frais de justice élevés en refusant de fournir certains documents nécessaires à l’exemption de ces frais) ; CEDH, Kania c. Pologne, n°59444/00, 10 mai 2007 ; CEDH, Kijewska c. Pologne, n°73002/01, 6 septembre 2007 ; CEDH, Polejowski c. Pologne, n°38399/03, 4 mars 2008 ; CEDH, Palewski c. Pologne, n°32971/03, 20 janvier 2009 ; CEDH, Cibicki c. Pologne, n°20482/03, 3 mars 2009 ; CEDH, Kordos c. Pologne, n°26397/02, 26 mai 2009 ; CEDH, Nieruchomości Sp. z O.O. c. Pologne, n°32740/06, 2 février 2010 ; CEDH, Mogielnicki c. France, n°42689/09, 15 septembre 2015. 376 CEDH, Kupiec c. Pologne, n°16828/02, 3 février 2009 ; CEDH, Gospodarczyk c. Pologne, n°6134/03, 17 444 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » d’un requérant qui s’était plaint d’avoir versé des frais de procédure alors même qu’il avait retiré sa demande. Malgré ses recours, il ne fut pas exempté du paiement desdits frais. La CEDH a estimé que le requérant avait pu équitablement faire valoir ses arguments pour étayer sa demande d’exemption de frais et qu’il ne lui appartenait pas d’intepréter le droit applicable à la place des juridictions internes377. À la suite des premières condamnations de la CEDH, la loi du 14 décembre 2006 a modifié les normes internes sur l’établissement des frais de justice et les conditions d’exemption. 2) L’introduction de frais fixes pour les procédures juridictionnelles et de nouvelles règles pour les demandes d’exemption 699 - Douze des arrêts dans lesquels la CEDH avait retenu la violation de l’article 6 § 1 en raison du refus des autorités d’exempter les requérants de frais de justice ont été suivis conjointement par le Comité des ministres jusqu’à la résolution du 8 juin 2011 (groupe Kreuz). 700 - Cinq ans après l’arrêt Kreuz (n°1), le Parlement a adopté une nouvelle loi relative aux frais à acquitter pour les affaires civiles378. Entrée en vigueur le 10 mars 2007, elle harmonise la législation en la matière et met un terme au principe jusque là prédominant – la proportionnalité des frais au montant de la réparation réclamée pour le préjudice allégué – pour instaurer la règle des frais fixes. Dans les litiges pour lesquels le principe de la proportionnalité des frais demeure applicable, la loi du 14 décembre 2006 établit à 5 % de la somme disputée le montant des frais de justice, avec un minimum de 30 PLN et un plafond de 100 000 PLN. Sur la question du paiement des frais pour les parties les moins aisées, le juge peut désormais décider d’une exemption totale ou partielle sur la base d’une déclaration sur l’honneur accompagnée de justificatifs de leur situation financière. La démarche peut être effectuée aussi bien par une personne physique que par une personne morale379. février 2009 ; CEDH, Kata c. Pologne, n°9590/06, 7 juillet 2009 ; CEDH, Felix Blau SP. z o. o., n°1783/04, 19 janvier 2010 ; CEDH, Kuczera c. Pologne, n°275/05, 14 septembre 2010 ; CEDH, Elcomp SP. z O. O., n°37492/05, 19 avril 2011. 377 CEDH, Piętka c. Pologne, n°34216/07, 16 octobre 2012. 378 Ustawa z dnia 14 grudnia 2006 r. o zmianie ustawy o kosztach sądowych w sprawach cywilnych [Loi du 14 décembre 2006 modifiant la loi sur les frais de justice dans les affaires civiles], Dz. U., 2007, n°21, texte 123, pp. 1222-1223. 379 Voir le bilan d’action du gouvernement en annexe de la résolution Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)67 (exécution des arrêts dans 12 affaires contre la Pologne), 8 juin 2011, 1115e réunion des délégués. 445 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 701 - Les arrêt Kreuz, Kania, Nieruchomości Sp. z o.o et Stankiewicz ont été publiés sur le site Internet du ministère de la Justice et diffusés auprès des juridictions mises en cause380. Tous les requérants des douze affaires examinées dans le groupe Kreuz ont reçu dans les délais la satisfaction équitable allouée par la CEDH pour le préjudice moral subi. Il en a été de même pour les requérants des affaires Stankiewicz et Nieruchomości Sp. z o.o. Quant à l’affaire Mogielnicki, jugée par la Cour en septembre 2015, elle n’a pas encore fait l’objet d’une réunion du Comité des ministres. Il s’agit à ce jour de la seule affaire dans laquelle le refus des juridictions internes d’exempter le requérant de frais de justice est intervenue après l’entrée en vigueur de la loi du 14 décembre 2006. La CEDH a sanctionné la violation du droit d’accéder à un tribunal dans un dernier cas de figure, bien moins fréquent : lorsque le requérant a été privé d’un recours en cassation sans que cela ne soit dûment justifié. C. L’absence non fondée de voie de recours en cassation La CEDH a jugé que la Pologne avait failli à assurer à des requérants l’accès à un tribunal en raison du rejet de recours en cassation injustifiés (1). La réception de ces arrêts dans l’ordre interne s’est manifestée par la diffusion des standards européens et, dans l’un des cas, par l’adoption de dispositions législatives (2). 1) L’accès à la juridiction suprême empêché dans deux affaires Dans une affaire jugée en 2012, la Cour suprême avait agi en violation de l’article 6 de la Conv. EDH par une décision d’irrecevabilité dépourvue de motivation (a). La Cour administrative suprême fut, quant à elle, à l’origine d’une autre violation du même texte en refusant d’examiner un pourvoi, ce qui privait son auteur de toute voie de recours en les circonstances (b). a) L’irrecevabilité non motivée d’un recours devant la Cour suprême 702 - En 1993, le dirigeant et actionnaire de la société Bar-Bau fut mis en examen et placé en détention provisoire pour des soupçons de malversations. À l’issue de la procédure achevée 380 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)140 (exécution des arrêts dans 5 affaires contre la Pologne), 14 septembre 2011, 1120 réunion des délégués, annexe ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)67 (exécution des arrêts dans 12 affaires contre la Pologne), préc. ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)144 (exécution de l’arrêt Nieruchomości Sp. z o.o. c. Pologne), 17 septembre 2014, 1207e réunion des délégués. 446 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » par un arrêt de la Cour suprême du 14 novembre 2001, il fut acquitté. La société fut indemnisée au titre du préjudice moral causé par la détention injustifée de son dirigeant. Elle engagea consécutivement une action en dommages-intérêts contre le Trésor public pour réparer les effets négatifs (ruptures de contrats, faillite) qu’avaient produit sur ses affaires les accusations contre son dirigeant. Après avoir été déboutée, la société forma un pourvoi en cassation en mars 2007, demandant notamment un éclaircissement sur la mise en cause de la responsabilité de l’État puisque les dispositions pertinentes, sises à l’article 418 du CC, venaient d’être amendées. Le pourvoi fut jugé irrecevable par un magistrat unique, statuant à huis-clos. Le rejet du second moyen n’avait pas été motivé, le juge se contentant de rappeler les conditions de recevabilité en considérant qu’il n’y avait pas lieu de procéder à l’interprétation des dispositions relatives à la responsabilité de l’État. La CEDH a considéré que la Cour suprême polonaise avait violé l’article 6 de la Conv. EDH en s’abstenant d’une motivation sur le second moyen au pourvoi dans un contexte d’évolution législative sur la responsabilité du Trésor public, et alors même que la société du requérant avait besoin d’une réponse claire sur le moyen soulevé381. La CEDH a sanctionné une autre violation de l’article 6 dans une affaire où la Cour administrative suprême avait commis un déni de justice en rejetant sa compétence pour juger le pourvoi formé par le requérant. b) L’incompétence de la Cour administration suprême dans un litige de la fonction publique 703 - Le requérant dans l’affaire Janusz Białas était agent de la fonction publique pénitentiaire. En avril 2000, la Cour administrative suprême annula une décision de son supérieur hiérarchique l’ayant privé du versement d’une prestation réservée en principe aux agents ne bénéficiant pas d’un logement de fonction. À la suite de cette décision favorable, le requérant avait demandé à son supérieur de lui verser les intérêts de retard correspondant à la période de suspension de la pension. Confronté à un refus, il saisit la Cour administrative suprême qui, en avril 2003, se déclara incompétente eu égard à la nature patrimoniale du litige382. 704 - La CEDH a considéré que le requérant avait bien été privé du droit d’accès à un tribunal pour contester la décision de l’administration en l’espèce puisque son recours avait été rejeté 381 CEDH, Bar-Bau Sp. z o. o. c. Pologne, n°11656/08, 10 avril 2012. 382 CEDH, Janusz Białas c. Pologne, n°29761/03, 28 juillet 2009, §§ 5-10. 447 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME par la Cour administrative suprême pour incompétence ratione materiae. Or, il ressortait de la jurisprudence de l’époque que les juridictions civiles et la Cour suprême s’estimaient incompétentes pour ce type de litige. En se déclarant à son tour incompétente, la Cour administrative suprême se plaçait par conséquent en situation de déni de justice383. À l’occasion du suivi de ces deux affaires, le Comité des ministres a validé la démarche du gouvernement, qui avait choisi de rester sur le terrain de la prévention par l’information. 2) Les arrêts Bar-Bau et Janusz Białas diffusés et enseignés aux magistrats 705 - Dans l’affaire Bar-Bau Sp. z o. o. c. Pologne, le requérant avait obtenu devant la CEDH 4 000 EUR en compensation du préjudice moral subi du fait du rejet mal motivé de son pourvoi. Sur le fond du litige, le gouvernement a précisé que le principe de sécurité juridique excluait la réouverture de la procédure civile. En revanche, le requérant restait libre de s’adresser au Trésor public pour obtenir réparation du préjudice matériel causé par une décision de justice non conforme au droit, conformément à l’article 417(1) § 2 du CC384. En raison du caractère isolé de l’arrêt, le gouvernement n’a pas envisagé de mesures générales autres que la traduction et la diffusion de l’arrêt aux juges de la Cour suprême, ainsi que son inclusion dans les programmes de formation des magistrats dispensés par l’École nationale des juges et des procureurs385. 706 - Le vide juridique qui affectait le droit de recours en cassation contre une décision du supérieur hiérarchique du requérant, dans l’affaire Janusz Białas, devait être comblé par une évolution du droit. Le gouvernement aurait pu se satisfaire de l’évolution jurisprudentielle intervenue en 2006, trois ans avant l’arrêt de la CEDH. Dans une résolution en date du 26 janvier 2006, la Cour suprême avait reconnu la compétence des juridictions civiles pour les litiges portant sur le salaire d’un agent de la police douanière386. Cette solution s’appliquaitelle pour autant à l’ensemble de la fonction publique en uniforme, incluant les agents des pri383 Ibidem, §§ 34-48. 384 Lequel dispose : « Si un dommage a été causé par une décision ou un jugement définitif, une réparation peut être demandée après avoir démontré l’illégalité de la procédure, sauf disposition contraire de la loi. Cela vaut également dans le cas où un jugement ou une décision définitive a été délivré en application d’un acte législatif contraire à la Constitution, à un accord ou un traité international ratifié » (Ustawa z dnia 23 kwietnia 1964 – Kodeks cywilny [Loi du 23 avril 1964 – Code civil], Dz. U., 1964, n°16, texte 93, pp. 129-187). 385 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)248 (exécution de l’arrêt Bar-Bau Sp. z o. o. c. Pologne), 5 décembre 2013, 1186e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 386 CSP, n°I PZP 1/05, 26 janvier 2006. 448 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » sons ? Pour convaincre le Comité des ministres de la pertinence du revirement jurisprudence pour assurer l’exécution de l’arrêt de la CEDH, les autorités ont avancé la modification législative apportée par la loi sur les services pénitentiaires du 9 avril 2010, correspondant à la situation du requérant. Dans la droite ligne de la jurisprudence de 2006, l’article 172, 1), de ce texte donne compétence aux chambres du travail des juridictions civiles pour connaître des litiges relatifs à la compensation pécunaire pour le manque de logement des agents des services des prisons387. La bonne réception de cet arrêt Janusz Białas s’est, enfin, traduite par sa traduction et sa diffusion via différents supports (site Internet du ministère de la Justice), lettre à la direction centrale du service des prisons, publication dans une brochure envoyée en 2011 à tous les juges et procureurs)388. Lorsque les justiciables ont accès à un tribunal pour faire entendre leur cause, la Convention impose que la procédure suivie soit conforme aux principes de l’impartialité. En Pologne, l’indépendance de certains juges, du fait de leurs fonctions, a été sujette à caution dans plusieurs affaires portées devant la CEDH. § 2. LES MANQUEMENTS AU PRINCIPE D’IMPARTIALITÉ L’article 6 de la Conv. EDH impose aux États de garantir l’impartialité de la justice pour examiner les litiges portés devant elle. Lorsque la composition de la juridiction chargée de rendre une décision manque d’indépendance ou de neutralité, l’État encourt une condamnation par la CEDH dans une série d’affaires où la présomption d’innocence des requérants avait été méconnue par les juges (A), pour le manque d’impartialité d’un pannel de magistrats (B) et pour la rupture de l’égalité des armes à l’occasion de procédures pénales (C). A. La violation de la présomption d’innocence Le principe de présomption d’innocence est une règle d’or du droit au procès équitable, protégée par l’article 6 § 2 de la Conv. EDH. Sa méconnaissance est admise, quand bien même la personne concernée est par la suite condamnée à l’issue d’une procédure régie par la 387 Ustawa z dnia 9 kwietnia 2010 r. o Służbie Więziennej [Loi du 9 avril 2010 sur les services pénitentiaires], Dz. U., 2010, n°79, texte 523, pp. 6732-6785. 388 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)147 (exécution de l’arrêt Janusz Białas c. Pologne), 17 septembre 2014, 1207e réunion des délégués. 449 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME loi. La présomption d’innocence est violée dès lors que des actes, des paroles, des écrits trahissent la partialité de la Justice avant que ne soit tranché le litige (1). Rares dans le contentieux de la Pologne devant la CEDH, les violations de l’article 6 § 2 n’ont pas convaincu les autorités étatiques d’aller au-delà du rappel des standards européens au corps judiciaire (2). 1) Le maintien en détention justifié par la « cupabilité » de l’accusé 707 - En cas de manquement au principe de la présomption d’innocence, il appartient aux juridictions internes de redresser le préjudice subi par le présumé innocent, L’arrêt Mirosław Garlicki rendu par la CEDH en 2011 en est l’illustration : les juridictions internes avaient octroyé des dommages-intérêts au requérant en réparation des propos proférés par le ministre de la Justice lors de son arrestation389. Le requérant avait ainsi perdu son statut de victime et la Cour s’est déclarée incompétente ratione personae pour juger du moyen fondé sur l’article 6 § 2 de la Convention390. Mais les autorités polonaises n’ont pas toujours été aussi efficaces pour rectifier les préjudices causés par la violation de la présomption d’innonce, comme en témoigne une série d’affaires jugées par la CEDH entre 2007 et 2011. Dans l’affaire Garycki, la CEDH avait d’abord retenu la violation de l’article 5 § 3 en raison de la durée excessive de la détention provisoire du requérant (près de trois ans). Dans un autre moyen, l’auteur de la saisine faisait grief à la justice de son pays d’avoir méconnu le principe de la présomption d’innocence dont il se devait de bénéficier avec ses co-accusés. C’est en statuant sur leur recours contre un ordre de maintien en détention que la cour d’appel de Katowice, dans une décision du 30 octobre 2001, avait motivé son rejet en utilisant les termes suivants : « Cet appel n’est pas fondé. D’abord, il doit être rappelé que, contrairement à ce que prétendent les requérants, ils ont commis les infractions pour lesquelles ils sont poursuivis […] »391. 708 - Le gouvernement voulait voir dans la rédaction plus que maladroite des motifs de la décision incriminée l’expression d’une probabilité forte que les accusés eussent commis les infractions en question. Cette explication n’a pas convaincu la Cour de Strasbourg. En rappelant que toute opinion de culpabilité prématurée émanant d’une juridiction à l’encontre d’individus mis en examen compromettait inévitablement le respect de la présomption 389 Le ministre de la Justice avait alors déclaré : « plus personne ne sera privé de sa vie par cet homme ! ». 390 CEDH, Mirosław Garlicki, préc. En 2006, la Cour s’était déjà déclarée incompétente pour juger du bienfondé de la violation alléguée de la présomption d’innocence dans une affaire où le requérant s’estimait calomnié par des campagnes de presse. Mais il avait omis d’invoquer ce moyen au stade de la recevabilité de sa requête (CEDH, Niewiadomski c. Pologne, n°64218/01, 26 septembre 2006). 391 CEDH, Garycki c. Pologne, n°14348/02, 6 février 2007, § 13. 450 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » d’innocence, la CEDH a jugé que la cour d’appel de Katowice avait délivré une opinion explicite et sans ambiguïté, assimilant de manière injustifiable les défendeurs aux auteurs des infractions et non aux suspects qu’ils étaient pourtant à ce stade de la procédure, violant du même coup l’article 6 § 2 de la Conv. EDH392. 709 - Un autre arrêt de la CEDH, le 9 décembre 2008, a démontré que les libertés prises par des magistrats à l’égard de la présomption d’innocence n’étaient pas rares. Plus grave sans doute est l’incapacité des juridictions hiérarchiquement supérieures de sanctionner une telle effraction à un principe cardinal du droit au procès équitable. En l’espèce, le requérant était poursuivi pour des soupçons de participation à une bande criminelle organisée. En septembre 2002, alors qu’elle se prononçait sur l’opportunité de poursuivre la détention provisoire des requérants, la cour régionale de Lublin écrivit que les preuves et témoignages collectés « indiquaient que les accusés avaient commis les actes pour lesquels ils étaient poursuivis ». La CEDH a considéré que ces mots avaient porté directement atteinte au droit à la présomption d’innocence du réquérant393. 710 - « L’accusé […] a organisé et dirigé le groupe de criminels » écrivit une autre juridiction interne, la cour régionale de Wrocław, dans une décision du 7 novembre 2003. Celle-ci tranchait le recours du réquérant de l’affaire Kazimierczak contre la prolongation de sa détention provisoire. Comme dans les affaires précédemment citées, la CEDH a considéré que les juges avaient violé, en cours de procédure, le principe de présomption d’innocence394. 711 - En 2011, la CEDH a prononcé la dernière condamnation en date de la Pologne pour la violation de la présomption d’innocence. Dans une procédure pénale pour trafic de drogue, la décision litigieuse portait une fois encore sur un recours contre la prolongation de la détention du requérant. La cour d’appel de Gdańsk avait alors écrit dans sa décision du 19 mars 2008 : « Le besoin de prolonger la mesure préventive de privation de liberté est justifié […] par le fait que les défenseurs ont commis les délits pour lesquels ils sont poursuivis ». La CEDH a considéré à l’unanimié que ces termes inappropriés avaient porté atteinte au principe de la présomption d’innonce395. Les précédents arrêts ont été portés à la connaissance des magistrats pour prévenir 392 Ibidem, §§ 71-73. 393 CEDH, Wojciechowski c. Pologne, n°5422/04, 9 décembre 2008. 394 CEDH, Kazimierczak c. Pologne, n°4317/04, 10 mars 2009. 395 CEDH, Finster c. Pologne, n°24860/08, 8 février 2011. 451 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME toute nouvelle violation de la présomption d’innocence. 2) Le rappel du principe de présomption d’innocence aux juridictions internes 712 - Les autorités polonaises, pas plus que le Comité des ministres, n’ont semblé préoccupées par la violation de l’article 6 § 2 à quatre reprises entre 2007 et 2011. Les faits étaient contraires au droit interne, rares et donc vraisemblablement isolés. Le gouvernement a considéré que les décisions manifestement entâchées par la méconnaissance de la présomption d’innocence d’une part, et l’inaction des juridictions d’appel contre ces décisions d’autre part pouvaient être corrigées grâce à un rappel des normes conventionnelles. La surveillance de l’exécution de ces arrêts s’est achevée dès 2013396. 713 - Un mode d’action commun aux arrêts Garycki, Finster, Wojciechowski et Kazimierczak a été choisi. Les textes de ces quatre arrêts ont été traduits, publiés sur le site internet du ministrère de la Justice et soumis à l’École nationale des juges et des procureurs afin d’être intégrés aux séminaires de formation des magistrats. Les arrêts Wojciechowski et Kazimierczak ont été transmis directement aux cours d’appel et au bureau du Procureur général avec pour consigne de les diffuser auprès des juges. Aucune autre mesure générale n’a été envisagée. 714 - Les mesures individuelles n’ont eu qu’un rôle mineur dans l’exécution de ces arrêts : seuls les requérants des affaires Finster et Wojciechowski avaient obtenu une compensation pécunaire de la part de la CEDH pour le préjudice moral subi. Dans les deux autres arrêts, la Cour avait considéré que le constat de violation de la Convention constituait, en soi, une satisfaction équitable. S’appuyant sur des règles procédurales alors en vigueur, des affaires ont été jugées en Pologne par des tribunaux dont le manque d’impartialité heurtait les principes de la Conv. EDH. La plupart d’entre elles ont contribué directement à changer le droit. B. Le défaut d’impartialité dans la composition d’une juridiction Les affaires relatives au manque d’impartialité des magistrats statuant sur une cause furent peu fréquentes depuis l’achèvement de l’instauration de la démocratie. Des normes 396 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)92 (exécution des arrêts Wojciechowski c. Pologne et Kazimierczak c. Pologne), 29 mai 2013, 1171e réunion des délégués ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)163 (exécution des arrêts Garycki c. Pologne et Finster c. Pologne), 11 septembre 2013, 1177e réunion des délégués. 452 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » imprécises ou mal interprétées ont été la plupart du temps, à l’origine de ces rares violations de l’article 6 de la Conv. EDH (1). Bien reçus dans l’ordre interne, les arrêts concernés ont été dans l’ensemble exécutés dans des délais brefs (2). 1) Six condamnations de la Pologne pour le manque d’indépendance des collèges de juges 715 - Dans l’affaire Henryk Urban et Ryszard Urban, les auteurs de la requête étaient poursuivis devant les juridictions répressives pour s’être soustraits à un contrôle d’identité et avoir proféré des menaces publiques. Le 2 octobre 2007, un juge assesseur de la cour de district de Lesko leur infligea une peine d’amende397. Ils interjetèrent appel de cette condamnation au motif qu’un juge assesseur n’avait pas compétence pour rendre de jugement. En seconde instance, ce moyen fut toutefois écarté par un arrêt de la cour régionale de Krosno. Pourtant, quelques jours après la condamnation des requérants en première instance, le Tribunal constitutionnel avait estimé qu’un juge assesseur ne pouvait rendre de jugements en raison de son manque d’indépendance vis-à-vis du ministre de la Justice, lequel a le pouvoir de le révoquer à tout moment398. La CEDH a admis en l’espèce la violation de l’article 6 de la Conv. EDH par la Pologne399. La solution retenue a été la même en 2012 dans l’affaire Pohoska : la requérante, poursuivie pour faux-témoignage, avait été jugée en août 2005 par la cour de district d’Ebląg présidée par un juge assesseur400. 716 - Est également contraire à l’article 6 de la Conv. EDH le fait, pour le juge rapporteur d’une procédure en appel, de siéger par la suite dans le panel des magistrats de la Cour suprême examinant en cassation un pourvoi contre la décision prise en seconde instance. La Pologne en fit les frais dans l’affaire Toziczka, jugée à l’été 2012401. L’article 48 § 1 du CPC 397 Un juge assesseur pouvait à l’époque des faits statuer comme juge unique en application de l’article 135 § 1 de la loi relative aux juridictions de droit commun : (Ustawa z dnia 27 lipca 2001 r. Prawo o ustroju sądów powszechnych [Loi du 27 juillet 2001 – Droit et organisation des juridictions de droit commun], Dz. U., 2001, n°98, texte 1070, pp. 7221-7267). Cette règle a déjà été abordée dans la présente étude à propos d’un placement en détention illégal (cf. Partie I, Titre II, Chapitre I, Section I). 398 Les dispositions concernées étaient, partant, inconstitutionnelles (TCP, n°SK 7/06, 24 octobre 2007, OTK ZU, 2007, n°9A, texte 108). Pour le professeur Garlicki, le Tribunal constitutionnel a prononcé l’inconstitutionnalité des articles relatifs au pouvoir de décision de ces juges en raison de la passivité du législateur, malgré une précédente décision (TCP, n°S 3/06, 30 octobre 2006, OTK ZU, 2006, n°9A, texte 146) qui jetait déjà un doute sur la conformité du statut des juges assesseurs avec la Constitution (Lech GARLICKI, « Pologne », AIJC, n°XXIII, 2007, p. 881). 399 CEDH, Henryk Urban et Ryszard Urban c. Pologne, n°23614/08, 9 novembre 2010. 400 CEDH, Pohoska c. Pologne, préc. 401 CEDH, Toziczka c. Pologne, n°29995/08, 24 juillet 2012. 453 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME proscrivait pourtant la participation d’un juge dans une procédure si ce juge avait siégé au sein d’une juridiction inférieure dans la même affaire mais les autorités avaient considéré que cette règle ne s’appliquait qu’aux juridictions inférieures subordonnées aux cours d’appel. Dans une affaire Warsicka en revanche, la CEDH a écarté le moyen fondé sur l’article 6 de la Convention402. 717 - En 2004, le requérant de l’affaire Richert fut poursuivi pour tentative de meurtre et participation à un groupe criminel. La chambre criminelle de la cour régionale de Gdańsk demanda à son président de confier à un juge détaché de la cour de district l’examen de l’affaire. Une fois nommé, le juge en question fut chargé des audiences. En octobre 2005, l’ordre écrit autorisant son détachement fut renouvellé avec effect rétroactif pour la période novembre 2004-octobre 2005. À l’issue du jugement de première instance, le requérant fut condamné pour les faits qui lui étaient reprochés. L’appel qu’il avait interjeté fut rejeté en octobre 2006, de même que son pourvoi en cassation en septembre 2007. Devant la CEDH, il se plaignit d’avoir été condamné par un juge détaché dont la compétence manquait de base légale. Le gouvernement plaida devant la Cour le respect de la législation interne puisque, conformément à celle-ci, le juge en question n’avait pas siégé plus d’un mois dans l’année au sein de la cour régionale403. La CEDH a soutenu les arguments du requérant, considérant que seules les trois premières audiences présidées par le juge détaché étaient fondées par l’autorisation écrite du président de la chambre criminelle. Les dix suivantes manquaient en revanche de fondement légal, la validation rétroactive effectuée en octobre 2005 n’étant pas prévue par le droit interne. La CEDH a admis la violation de l’article 6 § 1 pour la condamnation du requérant par un tribunal non prévu par la loi404. 718 - Dans l’affaire Gajewski, la société dirigée par le requérant avait été déclarée insolvable en 1995. La cour de district compétente nomma un liquidateur judiciaire. En 2000, une mésentente s’éleva entre le liquidateur et le requérant au sujet de la rémunération de ce dernier. Non satisfait du salaire fixé par la justice, le requérant déposa un appel. Il reprochait à la juri402 CEDH, Warsicka c. Pologne, n°2065/03, 16 janvier 2007. La requérante se plaignait, dans le cadre d’une procédure civile, de n’avoir pas bénéficié en cassation d’un procès équitable. Dans le panel qui examina la recevabilité du pourvoi, siégeait le juge rapporteur de la procédure en seconde instance (sans que cela ne soit formellement contraire au droit interne). Son pourvoi avait été rejeté au motif que la requérante avait omis de préciser sur quels moyens juridiques elle entendait contester l’arrêt rendu en appel. La CEDH n’a pas jugé problématique la présence de ce juge dans la mesure où le panel chargé d’examiner la recevabilitédu pourvoi n’en controlait que l’aspect technique, non le fond et donc le bien fondé des critiques portées sur l’arrêt attaqué. 403 Cette condition est fixée à l’article 77 § 8 de la loi du 27 juillet 2001 sur le droit et l’organisation des juridictions de droit commun, préc. 404 CEDH, Richert c. Pologne, n°54809/07, 25 octobre 2011. 454 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » diction du premier ressort d’avoir rendu une décision partiale puisque le liquidateur judiciaire de sa société était membre du panel de la cour. La CEDH a effectivement jugé en 2010 que le manque d’équité patent de la procédure en première instance n’avait pas été corrigé lors de l’examen de l’appel interjeté par le requérant. Dès lors, il y avait bien eu violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH405. Les dispositions de l’ordonnance présidentielle de 1934 sur les faillites étaient en cause, en particulier son article 8 qui disposait que les décisions relatives aux procédures de faillites étaient prises par un panel de trois juges, de la juridiction commerciale de district du ressort où se situe le bureau du liquidateur judiciaire406. Le même texte avait été appliqué dans l’affaire Werner. Le requérant de l’affaire Werner avait été nommé en décembre 1993 liquidateur judiciaire d’une SARL. En raison d’un manquement à ses obligations engageant sa crédibilité, il fut relevé de ses fonctions par le juge des faillites le 19 mars 1994. Il introduisit un recours en appel, lequel fut jugé irrecevable par la cour d’appel du ressort au motif que la décision d’un juge des faillites était insusceptible de recours. En 1997, le requérant fut condamné pour l’appropriation frauduleuse des biens d’une entreprise. Devant la CEDH, le requérant avait reproché au système juridictionnel polonais la méconnaissance de l’article 6 § 1 en raison de l’inexistance d’une voie de recours contre la décision du juge des faillites. Au regard de l’ensemble de la procédure, notamment des règles commandant les décisions du juge des faillites (décisions définitives à l’occasion d’une audience à huis-clos hors la présence des parties) et des conséquences de la décision en question sur la situation du requérant en l’espèce (retrait de fonctions), la CEDH en a conclu la violation du droit à un procès équitable407. 719 - En 2012, la CEDH a retenu la violation de l’article 6 à propos de manque d’impartialité d’une décision disciplinaire prise à l’encontre du requérant. Alors que celui-ci purgeait une peine de prison, il demanda la suspension de l’exécution de sa sentence. Dans la réponse que lui fit le juge compétent, le 8 juin 2009, s’était glissée une erreur puisque le texte mentionnait la « femme » du requérant en lieu et place de sa mère. Le requérant a déposé un appel devant la cour d’appel de Gdańsk en insinuant que le juge qui avait rédigé la décision était alcoolisé ou sous l’empire de quelque substance narcotique. En rejetant l’appel le 29 juin 2009, le même juge infligea au requérant une punition de 28 jours de confinement (article 142 § 1 du 405 CEDH, Gajewski c. Pologne, n°27225/05, 21 décembre 2010. 406 Rozporządzenie Prezydenta Rzeczypospolitej z dnia 24 października 1934 r. Prawo upadłościowe [Règlement du Président de la République du 24 octobre 1934 – Droit des faillites], Dz. U., 1934, n°93, texte 834, pp. 19091926. 407 CEDH, Werner c. Pologne, n°26760/95, 15 novembre 2001. 455 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CEP408) pour ses accusations insultantes et refusa de sursoir à l’exécution de celle-ci. Le juge incriminé échappa à une procédure disciplinaire, sur décision du président de la cour régionale d’Elbląg. Sans difficultés, la CEDH a admis que la procédure à l’encontre du requérant avait été adoptée par une autorité partiale qui avait d’ailleurs décidé de lui attribuer la sanction la plus sévère prévue par la loi, rejetant le sursis à exécution409. Lorsque les normes mises en cause n’ont pas été retirées ou réinterprétées avant même les arrêts de la CEDH, l’État s’est assuré de la mise en conformité du droit interne après ledits arrêts. 2) L’État aligné sur les mêmes standards que la CEDH au terme de la réception 720 - En raison de la déclaration d’inconstitutionnalité qui frappa, dès le mois d’octobre 2007, les dispositions de l’article 135 § 1 de la loi de 2001 sur le droit et l’organisation des juridictions de droit commun, l’arrêt Henryk Urban et Ryszard Urban a été promptement exécuté par la Pologne. Dans un premier temps, le pouvoir constituant envisagea de contre-carrer le jugement du Tribunal constitutionnel qui avait déclaré contraire à la norme suprême le pouvoir conféré aux juges assesseurs. La révision constitutionnelle engagée en mai 2007 pour protéger les juges assesseurs échoua finalement410. Le Parlement s’est en conséquence résolu à pour mettre fin au statut de juge assesseur en abrogeant en 2009 toute la partie le concernant dans la loi de 2001411. Le Comité des ministres a donc cessé de suivre cette affaire en décembre 2012412. Dans une résolution finale du 7 mai 2013, le Comité a également achevé la surveillance de l’affaire similaire Pohoska413. 721 - Le Tribunal constitutionnel a joué un rôle majeur dans la modification de la règle de procédure qui avait causé la violation de l’article 6 dans l’affaire Toziczka. Dans un jugement du 20 juillet 2004, le juge constitutionnel avait posé une réserve d’interprétation à l’article 48 408 Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. Kodeks karny wykonawczy [Loi du 6 juin 1997 – Code d’exécution des peines], Dz. U., 1997, n°90, texte 557, pp. 2797-2828. 409 CEDH, Mariusz Lewandowski c. Pologne, n°66484, 3 juillet 2012. 410 Mirosław GRANAT, « Konstytucja RP na tle rozwoju i osiągnięć konstytucjonalizmu polskiego », Przegląd Sejmowy, n°81(4), 2007, p. 31. 411 Ustawa z dnia 23 stycznia 2009 r. o Krajowej Szkole Sądownictwa i Prokuratury [Loi du 23 janvier 2009 sur l’École nationale des juges et procureurs], Dz. U., 2009 n°26, texte 157, pp. 2466-2487. 412 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2012)197 (exécution de l’arrêt Henryk et Ryszard Urban c. Pologne), 6 décembre 2012, 1157e réunion des délégués. 413 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)84 (exécution des arrêts Mirosław Garlicki c. Pologne, Stokłosa c. Pologne et Pohoska c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués. 456 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » § 1, 5) du CPC afin qu’il reste en conformité avec le principe du droit au procès équitable protégé à l’article 45 § 1 de la Constitution. Ainsi, la règle selon laquelle un juge n’est pas autorisé à siéger dans une affaire donnée s’il a déjà siégé pour la même affaire au sein d’une juridiction inférieure s’applique à tous les rapports hiérarchiques au sein de l’ordre juridique, pas seulement à la relation cour de première instance/cour d’appel. Cette interprétation du Tribunal constitionnel permet d’éviter le cas qui s’est produit dans l’affaire Toziczka au niveau de la Cour suprême. Néanmoins, le Tribunal avait suggéré au législateur qu’il intervienne pour lever définitivement tout doute sur l’interprétation de ces dispositions, ce qui n’a toujours pas été fait à ce jour. Le gouvernement a considéré que les faits sanctionnés par la CEDH avaient été isolés et que, dès lors, une modification de la loi ne s’imposait pas. À la suite de la condamnation de l’État, il a néanmoins diffusé l’arrêt Toziczka auprès des magistrats414. 722 - Dans l’affaire Richert, l’inconventionnalité de la procédure résultait de la validation a posteriori de la compétence d’un juge détaché pour présider des audiences. Lorsque l’arrêt de la CEDH a été prononcé, le législateur venait de clarifier les règles applicables en matière de détachement d’un juge d’une juridiction vers une autre. L’amendement de l’article 77 § 8 de la loi du 27 juillet 2001 sur l’organisation juridictionnelle est entré en vigueur le 28 mars 2012415. Il borne strictement le recours au détachement d’un juge à la demande du président d’une cour d’appel : un juge peut être détaché auprès d’une juridiction de même niveau ou d’un niveau inférieur situé dans le périmètre de compétence de la cour d’appel. Sont requis le consentement du juge concerné ainsi que celui de la direction de l’assemblée des juges de la cour régionale du ressort de laquelle dépend la cour d’affectation. Surtout, l’article 77 § 8 modifié précise que le détachement est fixé pour une période continue ne pouvant excéder six mois par an. La réception de l’arrêt Richert en droit interne a été assurée dans un second temps par la Cour suprême qui, dans une résolution du 24 mai 2012416, a explicitement prohibé qu’un juge détaché prononçât un jugement dans une affaire à laquelle il avait participé une fois dépassé la date limite de son ordre de détachement. Dans un jugement ultérieur, elle a considéré encore que toute intervention du juge dans sa juridiction de détachement effectuée 414 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)146 (exécution de l’arrêt Toziczka c. Pologne), 17 septembre 2014, 1207e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 415 Ustawa z dnia 18 sierpnia 2011 r. o zmianie ustawy — Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw [Loi du 18 août 2011 modifiant la loi sur le droit et l’organisation des juridictions de droit commun ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2011, n°203, texte 1192, pp. 11962-12005. 416 CSP, n°III CZP 77/11, 24 mai 2012. 457 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME hors du champ de sa compétence fixée par l’ordre de détachement devait être considérée comme illégale. Le troisième volet de l’exécution de l’arrêt est à mettre au crédit du gouvernement pour son travail coutumier de traduction et de diffusion de l’arrêt Richert (site Internet du ministère de la Justice) et l’intégration d’une analyse de celui-ci dans une publication distribuée gratuitement aux juges et procureurs en 2011 (Les Standards de la protection des droits de l’homme dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme)417. 723 - L’ordonnance présidentielle de 1934 sur les procédures de faillites, en cause dans les affaires Gajewski et Werner, avait été abrogée le 1er octobre 2003418, bien avant que la CEDH ne rendît les arrêts en question. Dès lors, l’exécution de ces deux arrêts n’a été qu’une question de formalité : le ministère de la Justice a traduit et publié sur son site Internet l’arrêt Gajewski et ce texte fut ensuite transmis aux juges et procureurs via le bureau du Procureur général et à l’École nationales des juges et des procureurs ; les satisfactions équitables allouées dans les deux affaires ont été versées aux requérants419. 724 - L’arrêt Mariusz Lewandowski, rendu par la CEDH en juillet 2012, est le seul des arrêts relatifs à la composition des juridictions qui soit encore suivi par le Comité des ministres. Il portait sur la partialité du magistrat qui avait sanctionné le requérant en détention pour des insultes contre lui-même. Les autorités polonaises ont versé les 2 000 EUR de satisfaction équitable au requérant le 13 novembre 2012. Elles estiment non problématique le droit interne relatif aux mesures disciplinaires prises à l’encontre d’accusés détenus dans les procédures pénales pour des propos insultant contre les juges. La législation ne nécessite donc pas d’amendement. Après cette affaire Mariusz Lewandowski, les présidents de la cour d’appel de Gdańsk et de la cour régionale d’Ebląg ont été spécialement avisés de la violation retenue par la CEDH. L’arrêt a été par ailleurs traduit et publié sur le site Internet du ministère de la Justice420. Un procès est regardé comme équitable si, en plus de l’impartialité des juges, les par417 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)66 (exécution de l’arrêt Richert c. Pologne), 30 avril 2013, 1169e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 418 L’abrogation est prononcée à l’article 545 de la loi du 28 février 2003 (Ustawa z dnia 28 lutego 2003 r. Prawo upadłościowe i naprawcze [Loi du 28 février 2003 – Droit des faillites et de la réparation], Dz. U., 2003, n°60, texte 535, pp. 3895-3954. 419 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution des arrêts dans 17 affaires contre la Pologne), 10 mars 2011, 1108e réunion des délégués, annexe (pour l’arrêt Werner) ; Com. Min., Résolution CM/ResDH(2012)199 (exécution de l’arrêt Gajewski c. Pologne), 6 décembre 2012, 1157e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 420 Com. Min., Document DH-DD(2014)935 (communication de la Pologne concernant l’affaire Mariusz Lewandowski), 8 juillet 2014. 458 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » ties peuvent se défendre avec des moyens équivalents. Rien n’indique que le droit polonais faillit à remplir ce critère, même si quelques rares affaires ont conduit la CEDH prononcer la condamnation de l’État au titre de l’article 6 de la Conv. EDH. C. Des procédures pénales contraires aux règles du contradictoire Depuis les réformes pénales de 1997, les procédures reposent sur le principe de l’égalité des armes et du respect du contradictoire. Quelques entorses ont été sanctionnées par la CEDH, la plupart du temps pour n’avoir pas suffisamment étayé par des preuves variées des condamnations pénales (1). Ces affaires n’ont pas donné lieu à des bouleversements majeurs dans le droit polonais, sauf pour ce qui concerne les garanties offertes à un suspect lors du tout premier interrogatoire (2). 1) Les conditions d’une procédure pénale contradictoire méconnues dans quatre affaires 725 - Dans l’arrêt W. S. de 2007, le requérant était partie depuis 1994 à une procédure de divorce engagée par sa femme. Il fut parallèlement mis en examen pour abus sexuel sur sa fille. En novembre 1997, le requérant a été condamné à quatre ans de prison pour ces faits sur la base d’un rapport d’expert. Il fit valoir en appel puis en cassation, sans succès, que l’impossibilité d’interroger sa fille en audience l’avait privé de son droit à un procès équitable. Au regard des circonstances de l’affaire, en particulier du poids du rapport de l’expert psychologue établi sur un interrogatoire de l’enfant qui fut conduit en présence de sa mère, la Cour a admis que l’absence d’audition de l’enfant devant la police, la justice ou le procureur ne permettait pas de garantir au requérant un procès équitable421. 726 - L’année suivante, une procédure pénale pour un crime sexuel conduisit à la violation de l’article 6 de la Conv. EDH par la Pologne. Le requérant avait été accusé en 2000 du viol d’une mineure. Condamné en juillet 2001 à quatre ans de prison, il interjeta appel, puis se pourvut en cassation sans succès. Devant la CEDH, il s’est plaint d’avoir été jugé et condamné sur la seule foi du témoignage de la victime, obtenu lors de l’instruction. Celle-ci n’avait pas même été auditionnée devant la juridiction en charge du dossier, dans la mesure où le président de la cour régionale compétente ne l’avait pas jugé nécessaire, conformément à l’article 421 CEDH, W. S. c. Pologne, n°21508/02, 19 juin 2007. 459 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 391 du CPP. La CEDH est allé dans le sens du requérant, jugeant que les autorités judiciaires polonaises avaient méconnu les principes de l’article 6 de la Convention422. 727 - La Pologne reçut une autre condamnation en 2009 dans une affaire où le requérant, de nationalité ukrainienne, était poursuivi pour des actes de brigandages. Au cours de l’instruction, il n’a pas été confronté à l’une de ses victimes ni n’a pu lui poser de questions. Le témoignage de deux autres victimes fut enregistré, sans que le requérant menât de contreinterrogatoire. La condamnation en première instance (cinq ans de prison) a été annulée en appel au nom du droit au procès équitable. Les juges de seconde instance ont considéré que la condamnation ne reposait que sur des témoignages. Rejugé, le requérant fut à nouveau condamné. Pourtant, deux témoins appelés à comparaître n’avaient pas été entendus, en raison de leur déménagement à l’étranger. La CEDH a mis en cause la partie de la condamnation du requérant qui reposait sur les seules déclarations des victimes et la déposition d’un témoin oculaire. La Cour a reproché aux autorités polonaises de n’avoir pas mis en œuvre tous les moyens pour assurer la comparution des autres témoins423. 728 - L’absence de l’avocat de la requérante au moment de son premier interrogatoire avec la police a été le motif d’une dernière condamnation de l’État en 2009 avec l’arrêt Płonka. La requérante avait été arrêtée en avril 1999 pour des soupçons d’homicide. Lorsqu’elle fut interrogée par la police, elle était ivre, donc en situation de vulnérabilité et insuffisamment maîtresse de ses déclarations. Elle se rétracta d’ailleurs ultérieurement. Condamnée à onze ans de prison, elle contesta sans succès le jugement en appel et en cassation. La CEDH, son ultime recours, a considéré que l’absence d’un avocat lors de l’interrogatoire suivant l’arrestation n’avait pu permettre à la requérante de bénéficier d’un procès parfaitement équitable424. 729 - La CEDH n’a pas jugé contraire à la Convention la condamnation pénale des requérants dans des affaires de trafic de drogue et de vol à main-armée sur la foi de témoins ou de victimes qui n’avaient pas subi de contre-interrogatoire au cours de la procédure, dès lors que les autres preuves collectées étaient concordantes425. Elle n’a pas non plus reproché aux autorités polonaises d’avoir échoué à obtenir le témoignage d’un témoin-clef qui résidait à l’étranger 422 CEDH, Demski c. Pologne, n°22695/03, 4 novembre 2008. 423 CEDH, Kachan c. Pologne, n°11300/03, 3 novembre 2009. 424 CEDH, Płonka c. Pologne, n°20310/02, 31 mars 2009. 425 CEDH, Fąfrowicz c. Pologne, n°43609/07, 17 avril 2012 ; CEDH, Biełaj c. Pologne, n°43643/04, 27 avril 2010 (opinion partiellement dissidente dans cette affaire des juges Mijović, David Thor Björgvinsson et Hirvelä qui estimaient qu’il y a eu violation des articles 6 §§ 1 et 3 c) en raison de l’impossibilité du requérant de contreinterroger les victimes). 460 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » dans la mesure où la Pologne avait mis en œuvre tous les moyens pour y parvenir et le témoin en question avait pu tout de même être interrogé lors de la phase d’instruction426. Il en fut de même lorsque la victime, partie à l’étranger, n’avait pas été interrogée malgré la bonne volonté des autorités polonaises, et dans la mesure où la culpabilité du requérant était étayée par d’autres élements concordants427. En 2013, la CEDH n’a pas retenu la violation de l’article 6 alors qu’un requérant, jugé pour complicité de meurtre, estimait que sa culpabilité reposait sur la seule déposition d’un témoin. La Cour a admis que les juridictions internes avaient convenablement rassemblé et interprété l’ensemble des preuves et fournis des motifs détaillés permettant de juger crédible et pertinente la déposition contre lui428. Ne contrevenait pas davantage à l’article 6 de la Conv. EDH le fait d’avoir basé la condamnation pénale du requérant sur trois témoignages fournis par la justice autrichienne sans que les juridictions polonaises n’auditionnassent elles-mêmes ces témoins, quand la culpabilité du requérant s’appuyait aussi sur d’autres éléments de l’enquête429. Enfin, en 2011, dans une affaire relative à un trafic de drogue, les requérants ont argué du choix de mener la procédure à huis-clos et des restrictions d’accès aux éléments du dossier pour contester la conformité à l’article 6 de la Conv. EDH de leur condamnation à un an de prison. Or, la Cour a rejeté ce moyen, considérant que les circonstances particulières de l’affaire justifiaient l’absence de débats publics d’autre part et que leurs possibilités d’accéder au dossier, même encadrées, étaient satisfaisantes430. Les trois arrêts qui avaient mis en évidence le poids trop important du récit des témoins et des victimes parmi les éléments fondant la culpabilité des requérants n’ont été suivi d’aucune mesure importante. Le constat inverse peut être fait pour l’arrêt portant sur l’absence d’un avocat lors d’un interrogatoire, qui entraîna une amélioration du droit interne. 2) Les efforts des autorités concentrées sur le droit à être défendu par un avocat dès le premier interrogatoire 730 - Conséquence des arrêts rendus par la CEDH, les requérants des affaires W. S., Demski, 426 CEDH, Gossa c. Pologne, n°47986/99, 9 janvier 2007 (pour un témoin vivant aux États-Unis) ; CEDH, Chmura c. Pologne, n°18475/05, 3 avril 2012 (pour un témoin vivant en Ukraine) ; CEDH, Kostecki c. Pologne, préc. (pour un témoin vivant au Royaume-Uni). 427 CEDH, Makuszewski c. Pologne, n°35556/05, 13 janvier 2009. 428 CEDH, Bruszczyński c. Pologne, n°23789/09, 17 septembre 2013. 429 CEDH, Jakubczyk c. Pologne, n°17354/04, 10 mai 2011. 430 CEDH, Welke et Białek c. Pologne, n°15924/05, 1er mars 2011. 461 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Kachan et Płonka431 ont eu la possiblité de demander la réouverture des poursuites dirigées contre eux, sur le fondement de l’article 540 § 3 du CPP. Pour assurer l’exécution des trois premiers, les autorités n’ont pas estimé nécessaires d’autres mesures générales que la mise en ligne des arrêts traduits en polonais sur le site Internet du ministère de la Justice et leur diffusion auprès des juridictions concernées432. 731 - La réception de l’affaire Płonka a donné lieu, en revanche, à davantage d’initatives de la part des pouvoirs publics. Le principe du contradictoire avait été rompu car la requérante n’avait pas bénéficé des services d’un avocat dans les premières heures de sa garde à vue. Le droit de bénéficier des services d’un conseil aux stades préliminaires d’une procédure pénale est garanti par l’article 300 du CPP de 1997, tandis que l’article 301 dispose que l’interrogatoire doit avoir lieu en présence d’un avocat si le suspect l’exige. À l’époque des faits (1999), sur le fondement de l’article 300, tout suspect devait être renseigné par écrit avant son premier interrogatoire sur ses droits procéduraux (droit au silence, droit de déposer des recours, droit à être assisté d’un avocat). Depuis, les dispositions applicables ont été amendées, notamment par la loi du 12 juin 2015, entrée en vigueur le 1er juillet 2015433. L’article 300 § 1 précise désormais qu’avant le premier interrogatoire le suspect a le droit d’être informé « des charges contre lui et de leur évolution » et de recourir aux services d’un avocat « ce qui inclut le droit de faire appel à un avocat d’office ». Le Code modifié renvoie par ailleurs (article 300 § 4) à un règlement ministériel le soin d’établir les instructions à fournir au suspect de l’entendre. Le ministre sera tenu de « prendre en compte la nécessité de rendre compréhensibles ces instructions par des personnes qui ne bénéficient pas de l’assistance d’un conseil ou d’autre représentant légal ». Par la voie règlementaire, le gouvernement a précisé dans deux actes accompagnant la réforme législative de 2015 les conditions dans lesquelles les avocats d’office étaient désignés pour représenter les suspects dépourvus de défenseur dans les premières phases de la procédure pénale434. Ces textes régissent 431 Urszuła Płonka a effectivement saisie cette occasion pour être rejugée. La procédure contre elle a été rouverte par la Cour suprême le 9 décembre 2009. Mais la requérante décéda en 2011, ce qui mit un terme aux poursuites. 432 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)140 (exécution des arrêts dans 5 affaires contre la Pologne), 14 septembre 2011, 1120 réunion des délégués, annexe. 433 Ustawa z dnia 20 lutego 2015 r. o zmianie ustawy – Kodeks karny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 20 février 2015 modifiant le Code pénal ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2015, texte 396. Voir art. 5 du texte pour la nouvelle rédaction de l’art. 300 du Code de procédure pénale. 434 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 27 maja 2015 r. w sprawie sposobu zapewnienia o skarżonemu korzystania z pomocy obrońcy z urzędu [Règlement du ministe de la Justice du 27 mai 2015 sur les moyens d’assurer à l’accusé les services d’un avocat], Dz. U., 2015, texte 816. Ce texte, également entré en vigueur le 1er juillet 2015 est applicable aux procédures ordinaires. Le second règlement édicté par le ministre de la Justice s’applique dans les procédures simplifiées : Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 23 462 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » l’élaboration de listes d’avocats qui peuvent être nommés d’office et insistent sur la nécessité d’assurer la défense immédiate du suspect s’il le demande ou s’il doit être obligatoirement représenté. Le second cas de figure est en effet évoqué à l’article 79 § 1 du CPP qui rend obligatoire l’assistance d’un avocat si le suspect est mineur, s’il souffre de certaines invalidités (surdité, cécité, mutisme), s’il existe un doute sur son état mental au moment des faits reprochés, de nature à restreindre ou exclure sa responsabilité pénale, ou si sa santée mentale laisse raisonnablement penser qu’il ne peut assurer convenablement sa défense435. Enfin, un règlement pris en Conseil des ministres en 2015 a renouvelé une règle déjà établie dans le texte qui l’a précédée : si des officiers de police ont des raisons de penser qu’une personne est sous l’empire de l’alcool ou d’une autre substance aux effets comparables, la notification de ses droits et des charges contre elle est reportée jusqu’à ce que le trouble soit dissipé436. 732 - En complément de ces mesures principales, les autorités ont veillé à la diffusion des standards européens en transmettant l’arrêt Płonka aux présidents de toutes les cours d’appel, au bureau du Procureur général et à l’École nationale des juges et procureur qui l’a inclus dans son programme de formation. Enfin, en 2012, le commandant en chef de la police a édité un guide de bonne conduite relatif aux investigations menées par des officiers de police dans le cadre de procédures pénales, lequel comprend notamment des consignes sur les règles à respecter à l’égard des personnes interrogées437. * * * 733 - Conclusion du chapitre : La proéminence dans les sociétés démocratiques du contentieux portant sur le droit à un procès équitable, illustré par le nombre important de violations de l’article 6 de la Conv. EDH, n’était pas « corroboré par la jurisprudence à l’égard de la czerwca 2015 r. w sprawie sposobu zapewnienia oskarżonemu korzystania z pomocy obrońcy w postępowaniu przyspieszonym [Règlement du ministre de la Justice du 23 juin 2015 sur les moyens d’assurer à l’accusé les services d’un avocat dans les procédures accélérées], Dz. U., 2015, texte 920. 435 Voir le bilan d’action du gouvernement, en annexe de la résolution Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)235, 9 décembre 2015 (exécution de l’arrêt Płonka c. Pologne), 9 décembre 2015, 1243e réunion des délégués. 436 Rozporządzenie Rady Ministrów z dnia 29 września 2015 r. w sprawie postępowania przy wykonywaniu niektórych uprawnień policjantów [Règlement du Conseil des ministres du 29 septembre 2015 relatif aux procédures conduites par des officiers de police], Dz. U., 2015, texte 1565. Ce texte est entré en vigueur le 9 octobre 2015. Le report des actes de procédure dans le cas où l’accusé n’est pas en pleine possession de ses facultés est imposé par son § 9.3. 437 Ibidem. 463 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Pologne », observait Magdalena Krzyżanowska-Mierzewska en 2008438. Cette jeune démocratie de la Mitteleuropa aura fait figure d’exception une décennie environ avant de connaître une hausse du nombre de condamnations pour ce motif à partir de l’année 2009. Les violations récentes de l’article 6 (en dehors, il faut le rappeler encore, de la question de la durée des procédures) témoignent parfois, malheureusement, d’une réelle méconnaissance des exigences de la Conv. EDH telles qu’interprétées par la CEDH. Les insuffisances du droit posttransitionnel furent, dans la majorité des cas, diagnostiquées par des arrêts de la CEDH. Il en fut ainsi de celles qui affectaient le système d’aide juridictionnelle, le droit d’être assisté d’un avocat dès le premier interrogatoire, les conditions d’exemption des frais de procédure, le conflit négatif de compétence pour certains litiges de la fonction publique. Quand il ne s’agissait pas de difficultés sérieuses pouvant provoquer des violations multiples de la Conv. EDH, la CEDH a sanctionné des faits accidentels non conformes à l’article 6439 (procédures pénales insuffisamment contradictoires, partialité du juge infligeant une sanction à un accusé en détention). La réponse apportée a peu varié : le recours à la diffusion des standards européens aux administrations concernées fut la mesure essentielle et systématique, accompagnée à la marge des aménagements législatifs nécessaires. 734 - Les entraves occasionnelles au droit de propriété offrent un bilan comparable. Moins nombreuses, elles montrent, pour les plus importantes d’entre elles, que la réaction de l’État résulte de la condamnation devant la CEDH : la jurisprudence plus protectrice des allocataires, initiée par la Cour suprême au sujet du retrait des pensions versées par les caisses de sécurité sociale, est intervenue un an après la condamnation de la Pologne dans l’arrêt Moskal. L’arrêt Bugajny, du point de vue des mesures générales, n’a été vraiment exécuté qu’avec l’interprétation du droit applicable par les juridictions administratives dans le sens exigé par la CEDH, elle-même relayée par le gouvernement. La situation personnelle du collectionneur Waldemar Nowakowski a évolué favorablement depuis que sa requête a été examinée par la CEDH. Si ça n’a pas été le cas pour l’entrepreneur Rosenzweig, malgré la sanction prononcée 438 Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The Reception Process in Poland and Slovakia », in Helen KELLER, Alec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, New York, Oxford University Press, 2008, p. 568. 439 Dans un arrêt du 28 février 2016, la CEDH s’est penchée pour la première fois sur la question de la conformité à l’article 6 d’une procédure pénale menée en parallèle d’une commission d’enquête parlementaire, conduite publiquement. Le requérant de cette affaire était le producteur de cinéma Lew Rywin (La Liste de Schindler, Le Pianiste…), condamné en 2005 pour trafic d’influence. La Cour a considéré que les termes employés par la commission d’enquête, tant dans sa lettre de mission que dans le rapport qu’elle produisit en 2004, ne laissaient pas entendre la culpabilité du requérant d’une part, et qu’aucun élément n’indiquait que la commission d’enquête eût produit une influence sur le déroulement de la procédure pénale d’autre part (CEDH, Rywin c. Pologne, n°6091/06, n°4047/07 et n°4070/07, 18 février 2016). 464 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » contre la Pologne pour la violation de l’article 1er du Protocole n°1, le comportement du requérant y fut pour beaucoup, au point de faire échouer un règlement amiable. 735 - Les affaires dans lesquelles l’arrêt de la CEDH précéde l’évolution du droit pour que soit définitivement éliminé le problème identifié sont ici dominantes. Elles n’excluent pas l’existence de violations isolées dont les causes ont été effacées avant que la CEDH ne juge les requêtes individuelles s’y référant (exemples : les conditions d’immatriculation des véhicules, l’accès au régime de retraite agricole des étrangers, les règles relatives au détachement d’un juge et au juge assesseur, la procédure applicable aux faillites). Ce deuxième schéma rappelle les critères proposés pour identifier la réception dite « de confort » et s’éloigne de la réception longue et mouvementée des arrêts sur la durée des procédures. 736 - Une conclusion en trois temps peut être tirée : les normes ou les pratiques posttransitionnelles contraires au droit de propriété ou au droit à un procès équitable sont modifiées, dans une majorité de cas, grâce à l’intervention de la CEDH ; l’État réagit promptement pour conformer le droit interne au droit européen ; par leur nature isolée, ces violations n’appellent que peu de mesures d’ordre général. La réception de ces arrêts suit un processus routinier et sans tension véritable qui n’enlève rien au rôle de détecteur de violations de la Conv. EDH joué par le juge européen. Il donne l’inflexion et l’autorité nécessaires à l’amélioration du droit élaboré et appliqué par la Pologne démocratique440. 440 Cf. Annexe n°4. 465 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 737 - Conclusion du titre : La lenteur des procédures peut être considérée comme une menace permanente sur les démocraties, conséquence négative de la juridictionnalisation des sociétés441. Steven Greer remarque que les questions relatives à la durée des instances empoisonnent le contentieux strasbourgeois de nombreux États, notamment les démocraties occidentales (l’Italie en est la victime emblématique avec ses 1 189 condamnations442). Dès lors, l’incapacité de la Cour à endiguer le phénomène doit être regardée comme l’un de ses échecs443. Avec l’arrêt pilote prononcé dans l’affaire Rutkowski en 2015, la CEDH reconduit auprès de la Pologne une démarche qui avait été extrêmement fructueuse sur la question du droit de propriété (Broniowski, Hutten-Czapska). Mais à la différence de ces deux derniers arrêts, elle a prononcé l’arrêt pilote à un stade tardif, après dix-sept ans de violations continues et massives de l’article 6 § 1444. Pour aider à la résolution de la problématique de la durée des détentions provisoires en Pologne, étroitement liée à la précédente, la CEDH avait suivi une logique relativement comparable. Après avoir patiemment sanctionné chaque violation individuelle de l’article 5 § 3, elle prononça en 2009 dans l’affaire Kauczor un arrêt parfois qualifié de « quasi-pilote » (invocation de l’article 46 de la Conv. EDH). Sans suspendre l’examen des affaires similaires, elle intima à l’État de remédier par tout moyen à une défaillance d’ordre structuel. Après bien des étapes intermédiaires, la Pologne en est venue à bout. 738 - Les condamnations récentes et diversifiées de la CEDH pour la méconnaissance de l’article 6 de la Conv. EDH se situent dans un tout autre contexte puisqu’elles restent limitées en nombre et simples à réparer. Ce « calme » relatif n’est pas une particularité propre aux PECO. La Roumanie, par exemple, est très touchée par la violation du droit au procès équitable avec 410 condamnations au titre de l’article 6 (hors affaires de durée des procédures) sur la période allant du prononcé du premier arrêt contre ce pays jusqu’au 31 décembre 2015. Cela constitue même la seconde cause de violations de la Conv. EDH. Le phénomène apparaît en revanche plus contenu en Slovaquie, avec 37 condamnations du droit à un procès équitable 441 C’est l’opinion de Szymon Janczarek, juriste polonais au service d’exécution du Comité des ministres. Zoe Bryanston-Cross, responsable de section au sein de ce même service, estime qu’un rapport de causalité entre passé communiste et durée des procédures n’est pas pertinent (Entretien avec Szymon Janczarek et Zoe Bryanston-Cross, Strasbourg, 24 avril 2014). 442 CEDH, Rapport annuel 2015 (version provisoire), Strasbourg, 2016, p. 206. 443 Steven GREER, « What’s wrong with the European Convention on Human Rights? », Human Rights Quarterly, n°30, 2008, pp. 691-692. 444 Deux remarques s’imposent. L’arrêt Kudła de 2000 marque les prémices de la procédure d’arrêt pilote. En cela, il ne saurait être fait grief à la CEDH de n’avoir pas réagi précocément. De plus, la Cour ne pouvait imposer un authentique arrêt pilote avant d’avoir constaté que le recours introduit par la loi du 17 juin 2004 n’avait pas permis de prévenir les violations ultérieures de l’article 6 § 1 de la Convention. 466 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » seulement sur la même période445. L’article 1er du Protocole n°1 est régulièrement violé par la Pologne446 mais la menace d’un dysfonctionnement systémique n’existe plus depuis que les affaires relatives à la compensation des biens abandonnés par les personnes déplacées après la guerre et celles mettant en cause la restriction des droits des propriétaires immobiliers ont été résolues grâce aux arrêts pilotes. La réception de ces deux catégories d’affaires converge vers le modèle de la réception de « confort » déterminé dans la première partie de cette étude (adoption rapide de mesures d’exécution ; nombre réduit de mesures nécessaires ; exécution par anticipation dans un nombre non négligeable de situations) mais en reste distincte puisque les exemples dans lesquels la modification du droit interne est induite directement par un arrêt de la CEDH restent néanmoins majoritaires et touchent les plus importantes des violations constatées (retrait des pensions EWK, frais de procédures trop élevées, difficultés d’accès à l’aide juridictionelle…). 445 CEDH, Rapport annuel 2015 (version provisoire), Strasbourg, 2016, pp. 206-207. La Roumanie est d’ailleurs deux fois plus condamnée pour la violation du droit au procès équitable que pour celle de la durée raisonnable des procédures. 446 Cf. Annexe n°3 bis, graphique F. Exception faite du « pic » de l’année 2011 qui concernait les affaires des pensions EWK, le nombre de violations annuelles de l’article 1er du Protocole n°1 se situe entre 0 et 7. 467 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME T ITRE II – R EPENSER LES SPÉCIFICITÉS ISSUES DU NOUVEAU DROIT 739 - Il existe en Pologne, parallèlement aux arrêts révélant des problèmes systémiques, d’autres affaires moins nombreuses mais « d’une extrême importance pour le débat public et la protection des droits de l’homme » écrit Adam Bodnar. Certaines suscitent de larges discussions « parmi les politiques, les juges et la société et ont eu un impact significatif sur le changement des attitudes societales ». Parmi elles figurent les affaires de la CEDH relatives à une opération de police ayant conduit à la mort des individus interpellés, au droit de mariage des détenus, aux droits des homosexuels ou encore aux libertés religieuses à l’école447. À cette énumération établie en 2010, il faut ajouter les deux arrêts dans lesquels la Pologne a été condamnée pour avoir accueilli une prison secrète de la CIA, servant de lieu de torture pour les terroristes présumés d’Al-Qaïda. Se mêlent dès lors dans ces affaires non consensuelles les questions relatives à la sécurité et celles qui touchent aux mœurs ou à la place de la religion. 740 - Rarement invoquées par les requérants et plus rarement encore retenues par la CEDH au cours des premiers temps de l’application de la Conv. EDH en Pologne, les violations des articles 2 et 3 connaissent une augmentation sensible depuis une petite dizaine d’années. Les mauvaises conditions de vie dans les prisons sont en grande partie responsables de ces atteintes à l’intégrité des personnes. La privation de liberté rend plus difficile l’administration de soins aux détenus en souffrance, que le mal soit chronique ou occasionnel. S’il n’est pas contraint à un devoir de guérison, l’État est néanmoins tenu d’assurer l’accès effectif à des soins adaptés pour toute personne privée de sa liberté448. La propension de la justice à recourir à la détention provisoire, comme cela a été souligné dans le précédent chapitre, avait pour conséquence d’amplifier la surpopulation carcérale dans les prisons. Les centres de détention 447 Adam BODNAR, « Recent Polish ECtHR judgments: fewer systemic problems – more fine-tuning », EHRAC Bulletin, n°14, 2010, pp. 10-11 448 Lire par ex. Claire MURILLO, « Le droit à la santé des détenus sous le regard de la CEDH », Gazette du Palais, 2011, n°14-15, pp. 30-32. 468 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » comme les établissements pour peines ont connu et connaissent encore – quoique la situation soit en cours d’amélioration – le dépassement de leur capacité d’accueil. La CEDH a relevé la nature systémique des conditions de détention contraires à l’article 3 de la Conv. EDH dans deux arrêts quasi-pilotes prononcés en 2009. Le tableau est encore assombri par les violations des articles 2 et 3 de la Conv. EDH survenues au cours d’interventions de la Police et, plus rarement, en milieu médicalisé (Chapitre I). 741 - Lorsque les arrêts portent sur la vie familiale et les questions d’ordre moral en particulier, les droits européens « peuvent être déstabilisants pour le droit interne, notamment en portant atteinte à sa cohérence ». Dans la mesure où ils sont « conçus pour un ensemble d’États, il n’est pas improbable qu’ils soient parfois incompatibles avec des spécificités nationales »449. L’exemple de la Pologne confirme les oppositions philosophiques qui peuvent surgir entre l’attachement aux traditions et l’évolution du droit européen450, malgré le recours à la marge nationale d’appréciation. La place à accorder à la religion et ses symboles dans l’espace public offre un autre terreau favorable à une confrontation de conceptions entre l’État et la Cour, qui pourrait à terme conduire à un conflit ouvert. Aujourd’hui, la Pologne est un pays extrêmement homogène du point de vue religieux. En 2005, 96 % des Polonais se disaient appartenir à l’Église catholique romaine451. Cette homogénéité a, jusqu’à présent, préservé le pays des revendications d’autres religions. La marginalisation des confessions ou obédiences minoritaires est néanmoins en cours de remise en cause452. La jurisprudence de la 449 Rajendranuth LOLJEEH, « Les revirements nationaux du fait du droit européen », in Eric CARPANO (dir.), Le revirement de jurisprudence en droit européen, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 366 450 Par sa méthode d’interprétation évolutive, la Cour a engagé avec le juge national un dialogue qui tend à déboucher « sur l’élaboration d’un droit européen de la famille fondée sur la non-discrimination et centré sur l’enfant », analyse Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, « Les Méthodes d’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme, instrument de dialogue ? », in François LICHÈRE (et al.) (dir.), Le Dialogue entre les juges européens et nationaux : incantation ou réalité ?, Bruxelles, Bruylant, Coll. « Droit et Justice », 2004, pp. 176177. 451 Ce sondage réalisé par l’institut national d’études polonais sur les élections a fait l’objet d’une analyse en profondeur (Clare MCMANUS-CZUBIŃSKA, William MILLER, « European civilisation or European civilisations: the EU as a ‘Christian club’? », in Martin MYANT, Terry COX (dir.), Reinventing Poland…, préc., p. 128-149). Il dévoile notamment qu’en 2005 94 % des agnostiques et 19 % des athées revendiquaient tout de même leur appartenance à l’Église catholique ! En outre, 49 % des Polonais allaient à l’église pour assister à un service religieux au moins une fois par semaine. Traditions obligent, cette pratique régulière concernait aussi 10 % des athées et 9 % des agnostiques. En revanche, 74 % des Polonais étaient opposés à ce que l’Église catholique jouât un rôle d’influence sur les politiques de l’État (14 % défendaient l’intervention de l’Église, 12 % sa simple neutralité). Autre caractéristique mise en avant par la même étude : seuls 31 % des Polonais estimaient que l’accession d’un pays à l’Union européenne devait être conditionnée par l’existence d’une culture chrétienne (parmi les 69 % de sondés opposés à cette proposition, 26 % l’étaient catégoriquement). Les pourcentages les plus élevés d’opposants à l’entrée dans l’Union d’États non-chrétiens se trouvaient davantage chez les personnes âgées et chez les pratiquants. 452 « En Pologne, le sort de la minorité a souvent été négligé. Ainsi, lorsque des Polonais partageaient une opinion minoritaire – notamment sur les questions religieuses – ils se sont longtemps tus. Aujourd’hui, les gens 469 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CEDH impose une obligation de neutralité dans l’exercice des pouvoirs des autorités étatiques vis-à-vis des religions, conjugée avec un devoir d’impartialité453. Eu égard au poids historique du catholicisme, cette exigence est potentiellement difficile à satisfaire par la Pologne (Chapitre II). commencent à assumer davantage » (Entretien avec Philippe Chauvin, Varsovie, 17 novembre 2011). 453 CEDH, Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas c. Autriche, n°40825/98, 31 juillet 2008, § 97. Lire à ce sujet Jean-Marie WOEHRLING, « Questions sur le principe de neutralité religieuse de l’État », in Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, David SZYMCZAK, Sébastien TOUZÉ (dir.), L’Homme et le droit – En hommage au professeur Jean-François Flauss, Paris, Editions A. Pedone, coll. « Mélanges », pp. 817-837 ; Michele DE SALVIA, « Liberté de religion, esprit de tolérance et laïcité dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Liberté, Justice, Tolérance – Mélanges en hommage au doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 591-606. 470 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » CHAPITRE I – LA HAUSSE CONSTATÉE DES VIOLENCES AUX PERSONNES 742 - Helen Keller et Alec Stone-Sweet observèrent en 2007 que la ratification de la Conv. EDH par des États de l’Europe balkanique et de l’Est (Géorgie, Russie, Turquie et Ukraine en particulier) avait fait entrer devant la CEDH un nouveau type de problématique : le défaut de protection des droits au respect de l’intégrité physique et autres droits basiques454. En Pologne, contre toute attente, alors même que le principe de dignité de la personne « n’était pas au centre de l’intérêt des constitutionnalistes polonais » à l’époque du socialisme455, c’est bien sous l’empire de la Constitution de 1997, plusieurs années après la fin de l’ancien régime, que la Pologne a connu une recrudescence des atteintes à ce principe. 743 - La Constitution polonaise du 2 avril 1997 assure la protection de la vie ainsi que l’inviolabilité et la liberté des personnes, notions découlant d’un droit général et intangible au respect de la dignité de la personne humaine, consacré à l’article 30 de ce texte456. La protection de la vie457, l’inviolabilité et la liberté de la personne couvrent dans l’ordre interne les droits garantis par les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants), 4 (interdiction de l’esclavage) et 5 (interdiction de la détention arbitraire) de la Conv. EDH. Le professeur Wojciech Sadurski considère à juste titre que les premiers articles du Titre I de la Convention garantissent « les conditions les plus basiques de la vie humaine et de la liberté »458. La grande similitude de rédaction des articles pertinents de 454 Helen KELLER, Alec STONE-SWEET, « The Reception of the ECHR in National Legal Orders », in Helen KELAlec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, New York, Oxford Press University, 2008, p. 13. LER, 455 Biruta LEWASZKIEWICZ-PETRYKOWSKA, « Le principe du respect de la dignité de la personne humaine » in Le principe du respect de la dignité de la personne humaine – Actes du séminaire UniDem organisé à Montpellier du 2 au 6 juillet 1998, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 1999, p. 15. 456 Cet article est ainsi rédigé : « La dignité inhérente et inaliénable de l’homme constitue la source des libertés et des droits de l’homme et du citoyen. Elle est inviolable et son respect et sa protection sont le devoir des pouvoirs publics ». 457 Ce que le professeur Sudre nomme « le premier des droits de l’homme » (Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., p. 444, § 291). 458 Wojciech SADURSKI, « Partnering with Strasbourg: Constitutionalisation of the European Court of Human Rights, the Accession of Central and East European States to the Council of Europe, and the Idea of Pilot Judg- 471 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME la Constitution polonaise avec la Conv. EDH est à souligner459. Toutefois, cette protection octroyée à l’échelle nationale, nonobstant l’existence d’un recours constitutionnel a posteriori contre les actes administratifs, les lois ou les traités460, ne préserve pas les justiciables de pratiques non-conformes aux exigences de la Conv. EDH. La Pologne n’a pas échappé à des condamnations pour des atteintes reconnues à l’intégrité de la personne humaine. 744 - La Pologne a été confrontée très tôt au grief de violation de l’article 3 de la Conv. EDH, dès l’enregistrement le 6 juillet 1995 de la requête formée dans l’affaire Jastrzębski, seconde requête individuelle transmise depuis la ratification de la Conv. EDH. À l’occasion de son examen, la Com. EDH n’avait pas fait droit aux arguments du requérant461. Quant à la requête introduite le 7 mars 1997 dans l’affaire Mandugeqi et Jinge462, elle fut déclarée irrecevable. Après quinze ans d’application de la Conv. EDH, la Pologne pouvait se satisfaire de n’avoir méconnu qu’en de rares occasions les droits indérogeables des articles 2 à 4 de la Conv. EDH463. Jusqu’en 2008 en effet, seules trois condamnations avaient été prononcées contre la ments », Human Rights Review, n°9, 2009, p. 406. 459 L’article 38 de la Constitution polonaise dispose : « La République de Pologne garantit à tout homme la protection juridique de la vie » et l’article 2 de la Conv. EDH dispose « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi […] » ; l’article 40 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. Il est interdit d’infliger des peines corporelles » et l’article 3 de la Conv. EDH dispose : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». 460 Ce système de contrôle a posteriori repose principalement sur deux articles de la Constitution. L’article 79 dispose : « Toute personne dont les libertés ou les droits ont été violés, a le droit, conformément aux principes définis par la loi, de porter plainte devant le Tribunal constitutionnel en matière de conformité à la Constitution de la loi ou d'un autre acte normatif en vertu duquel l'autorité judiciaire ou l'autorité de l'administration publique s’est définitivement prononcée sur les libertés ou les droits de cette personne ou sur ses devoirs définis par la Constitution. » Si le recours constitutionnel est donc bien ouvert aux justiciables par la voie directe, une question préjudicielle de constitutionnalité peut néanmoins être déposée, à l’occasion d’un litige devant une toute juridiction ordinaire, sur le fondement de l’article 193 : « Toute juridiction peut adresser au Tribunal constitutionnel une question juridique portant sur la conformité de l'acte normatif à la Constitution, aux traités ratifiés ou à une loi, lorsque la solution de l'affaire en instance dépend de la réponse à cette question » (Cf. Annexe n°2). 461 L’affaire concernait un individu maintenu en détention entre 1991 et 1994 malgré de très mauvaises conditions de santé, puisqu’une infection à un doigt transplanté, en raison du rejet de la greffe, entraîna l’apparition de la gangrène. Il fut traité et soigné sans pour autant bénéficier d’une remise en liberté. La Commission jugea l’affaire recevable le 6 juillet 1995 sur le fondement de l’article 3 mais déclara dans son rapport du 19 mai 1998 que la Pologne n’avait pas violé les dispositions de cet article car le requérant avait bénéficié en prison de contrôles médicaux, de soins appropriés et fréquents (Com. EDH, Jastrzębski c. Pologne, n°25669/94, 19 mai 1998). 462 Com. EDH, Mandugeqi et Jinge c. Pologne (déc.), n°35218/97, 19 septembre 1997. En l’espèce, deux requérants chinois étaient visés par un mandat d’arrêt international lancé par leur pays le 24 juillet 1994. Appréhendés à l’aéroport de Varsovie en 1996, ils furent placés en garde à vue. À la demande de la Chine, la justice polonaise autorisa leur extradition. Un retour en Chine les exposait à subir un traitement inhumain ou dégradant, ce qu’avait d’ailleurs reconnu la cour régionale de Varsovie avant que cette décision ne fût annulée en appel. Cette affaire, qui n’est pas sans évoquer le célèbre arrêt de la CEDH Soering c. Royaume-Uni ([GC], n°14038/88, 7 juillet 1989, Série A n°161) a finalement été tranchée par la Cour suprême polonaise en faveur des requérants qui informèrent la Commission du retrait de leur requête. 463 Voir Magda KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The Reception Process in Poland and Slovakia », in Helen 472 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » Pologne : deux pour des violations de la branche procédurale de l’article 3, une seulement pour une violation de sa branche matérielle. La hausse brutale des violations de l’article 3 de la Conv. EDH perceptible dès l’année 2009, marquée par huit arrêts de la CEDH, conduit à reconsidérer sérieusement l’effectivité du droit polonais dans la protection des traitements inhumains et dégradants464. 745 - Si les dispositions des articles 2 et 3 ont été parfois invoquées à tort, à l’occasion de requêtes fort mal fondées465, la Pologne a été condamnée à 12 reprises au titre de l’article 2 de la Conv. EDH et à 45 reprises au titre de l’article 3 sur la période 1997-2016466 dont deux pour actes de torture467. Enfin, elle n’a jamais été reconnue responsable de violation de l’article 4 interdisant l’esclavage et le travail forcé468. Au-delà de ce bilan global, les violations des articles 2 et 3 connaissent surtout un très net regain à la charnière des années 2000 et KELLER, Alec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 577. L’auteur se félicitait de constater que les autorités polonaises, en l’occurrence le ministre de la Justice, avait rapidement réagi après la toute première condamnation de la Pologne pour violation de l’article 3 (unique condamnation à l’heure où l’analyse fut écrite). Voir aussi le constat dressé par Agnieszka BIEŃCZYK-MISSALA, Human rights in Polish Foreign Policy after 1989, Varsovie, Polish International Institute of Polish Affaires, 2006, p. 284. 464 La CEDH distingue en effet, tant dans les arrêts qu’elle rend que dans les rapports qu’elle publie, les condamnations prononcées sur le fondement l’article 3 pour torture (acte le plus grave) et les condamnations fondées sur ce même texte pour traitement inhumain ou dégradant. 465 Voir par ex. l’arrêt Pisk-Piskowski c. Pologne (n°92/03, 14 juin 2005), dans lequel le requérant, condamné pour des menaces illégales, avait invoqué la violation des articles 1, 2, 3 et 5 de la Conv. EDH, arguant d’une machination à son encontre et l’arrêt Grzegorz Jończyk c. Pologne (n°19789/08, 30 novembre 2010), dans lequel le requérant, violent et menaçant, avait été placé deux ans en hôpital psychiatrique, puis avait dénoncé sans succès la violation des articles 3, 4, 5 et 6. Voir aussi l’arrêt Ciągadlak c. Pologne (n°45288/99, 1er juillet 2003) où, pour se plaindre de la simple durée excessive d’une procédure civile, le requérant invoquait la violation des articles 3, 4, 5 et 13 (sic !) ou encore l’affaire Dudek c. Pologne (n°2560/02, 5 octobre 2004) dans laquelle le requérant estimait avoir subi un traitement dégradant (article 3) de la part des juges qui avaient rejeté ses prétentions dans une affaire d’expulsion d’un logement sans titre. 466 CEDH, Rapport annuel 2015 (version provisoire), Strasbourg, 2016, p. 207. 467 La Pologne fait l’objet de vives critiques de la part du Comité contre la torture des Nations Unies (CAT) en raison de l’absence dans sa législation pénale d’une définition de la torture permettant une incrimination spécifique et conforme à celle de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984. La Pologne est partie à ce texte depuis sa ratification le 26 juillet 1989. Selon le CAT, les dispositions du Code pénal applicables pour les cas de torture « ne prennent pas en compte la gravité du crime, ce qui signifie que les peines encourues par les auteurs de ces actes ne sont pas à la mesure du crime » (CAT, Observations finales concernant les cinquième et sixième rapports périodiques de la Pologne, soumis en un seul document, CAT/C/POL/CO/5-6, 23 décembre 2013, § 7, pp. 2-3). 468 Bien que la Pologne ne pratique, n’encourage ni ne tolère la traite des êtres humains (ce qui justifie l’absence de condamnations par la CEDH au titre de l’article 4 de la Conv. EDH), ceci ne signifie pas que l’attitude des autorités soit irréprochable. Dans son rapport du 20 juin 2007, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est satisfait des efforts consentis par le gouvernement pour la protection et l’assistance aux victimes de la traite mais déplore que les nouvelles dispositions de la loi sur les étrangers, adoptées dans cette optique, ne soient que très rarement appliquées (Commiss. DH, Mémorandum au gouvernement polonais, CommDH(2007)13, 20 juin 2007, pp. 17-18). 473 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 2010469. Ces dix dernières années, une hausse préoccupante des atteintes à l’intégrité des personnes en Pologne (violations des articles 2 et 3 de la Conv. EDH), conduit à des condamnations régulières devant la Cour de Strasbourg. Ce phénomène est essentiellement dû à la dégradation des conditions de détention, ajoutées aux négligences observées dans des établissements médicalisés (Section I). Signe des temps, la lutte contre la criminalité et contre le terrorisme international apparaît comme une autre source d’atteinte à l’intégrité physique des personnes (Section II). SECTION I – LES ATTEINTES AUX PERSONNES DANS LES SERVICES MÉDICALISÉS ET LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES 746 - Il incombe aux autorités étatiques de tout mettre en œuvre pour éviter la mort ou le mauvais traitement de personnes placées sous leur responsabilité. Sous l’angle procédural, cette obligation se traduit par la mise en œuvre de tous les moyens adéquats pour pouvoir établir les circonstances exactes d’un décès suspect470 ou d’allégations de mauvais traitements. La Conv. EDH ne contient aucune disposition spécifique sur les conditions dans lesquelles une personne doit être détenue, avant jugement ou pour l’exécution d’une peine. La jurisprudence de la CEDH est suffisamment riche pour qu’un « code de bonnes pratiques » en prison soit imposé aux États. Sur le fondement des articles 2 et 3 de la Convention, la Cour veille au respect de la dignité du détenu471. Si les affaires rapportant des brutalités de la part du personnel pénitentiaire sont fort peu nombreuses, c’est à mettre au crédit des bonnes réformes de transition en Pologne472. Cela n’empêche pas un grand nombre de situations contraires aux 469 Cf. Annexe n°3 bis, graphique A. 470 Voir par ex. le récent arrêt Kalicki, dans lequel la CEDH a considéré que les autorités judiciaires polonaises avaient mené des investigations convaincantes après la mort accidentelle d’un gardien de nuit dans un incendie (CEDH, Kalicki c. Pologne, n°46797/08, 8 décembre 2015). 471 La CEDH prend en considérantion un ensemble de critères pour contrôler la conformité des conditions de détention avec les standards conventionnels : un espace individuel de 3 m² par détenu, l’accès à la lumière et l’air naturels, un système de chauffage fonctionnel, des toilettes privatives, l’accès aux douches, des soins adéquats et les aménagements nécessaires pour les détenus malades ou handicapés, des fouilles justifiées et respectueuses de la dignité de la personne, l’interdiction de tout isolement sensoriel complet, la surveillances des détenus atteints de troubles mentaux, la sécurité des détenus, etc. (Pascal DOURNEAU-JOSETTE, « Les conditions de détention et la CEDH : les droits fondamentaux à l’assaut des prisons », Gazette du Palais, n°40, 9 février 2013, pp. 4-11). 472 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: the voluminous and interesting Polish case law », EHRLR, n°5, 2004, p. 537. 474 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » normes conventionnelles, en raison du manque d’espace, d’activités ou encore de soins adéquats (§ 1). Peu importantes par comparaison, les violations des articles 2 et 3 de la Conv. EDH dans des établissements médicalisés ont été convenablement réparées par l’État (§ 2). § 1. LES ATTEINTES AU DROIT À LA VIE ET À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE EN PRISON 747 - Les mauvais traitements sont devenus un phénomène général, observable dans la jurisprudence de la Conv. EDH depuis une dizaine d’années. La surpopulation, l’insalubrité et le manque de soins adéquats rendent les prisons polonaises « en état de violation permanente de l’article 3 de la Conv. EDH » et invitent par conséquent à engager une « modernisation en profondeur du système pénitentiaire dans son ensemble, en priorité en limitant l'application de la peine d'emprisonnement au profit de la liberté surveillée »473. Le droit à la vie protégé à l’article 2 de la Conv. EDH a été méconnu par la Pologne en des circonstances heureusement très réduites (A). Un tel constat ne saurait être de mise pour les violations de l’article 3 de la Conv. EDH, de plus en plus fréquentes dans les prisons du pays (B). A. Un cas de figure resté rare : le décès survenu au cours de la détention La Pologne a été condamnée à deux reprises pour n’avoir pas su prévenir le décès de deux détenus dans les années 2000 (1). Des mesures de diffusion des arrêts de la CEDH et un plan de lutte contre les suicides et les comportements dangereux pour la santé des détenus se sont ensuivis (2). 1) La violation du droit à la vie retenue dans les affaires Dzieciak et Jasińska 748 - Extrêmement complexe, l’affaire Dzieciak donne l’illustration d’une succession de défaillances dont se sont rendus coupables tant les services pénitentiaires au cours d’une procédure de détention provisoire que l’ensemble du système judiciaire polonais. L’absence d’effectivité de l’enquête a été sanctionnée au titre de l’article 2 de la Conv. EDH. Accusé de 473 Mariusz LEWANDOWSKI, « Realizacja art. 3 Europejskiej Konwencji Praw Człowieka w Europie ŚrodkowoWschodniej. Przegląd orzecznictwa strasburskiego », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°2, 2011, p. 105. 475 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME participation à une bande organisée dévolue au trafic de drogue, Zbigniew Dzieciak, l’époux de la requérante, avait été arrêté par la police en septembre 1997 et placé en détention. Inculpé à partir du 15 mai 1998, il est demeuré privé de liberté de septembre 1997 jusqu’à son décès survenu plus de quatre ans plus tard, le 25 octobre 2001. Souffrant de problèmes cardiaques importants, l’accusé a dû endurer une détention provisoire sans cesse prolongée sans que ne soit jamais prise en compte sa pathologie et le danger que représentaient pour sa santé de telles conditions d’existence. Dans un arrêt de juin 2000, la Cour suprême n’avait trouvé aucune incompatibilité entre sa détention et le droit polonais tel qu’il résultait alors de l’article 259 du CPP474, ni même avec la Conv. EDH. La Cour suprême avait jugé que le procès devait néanmoins se tenir rapidement afin qu’il respectât l’article 6 de la Conv. EDH. Plus grave encore, les services du centre de détention de Varsovie avaient fait obstruction à la transmission d’une information quant à un rendez-vous médical pour que M. Dziciak pût subir une intervention chirurgicale au laser du cœur475. Bien que le requérant fût hospitalisé à plusieurs reprises, son état de santé n’a jamais semblé inquiéter les juridictions compétentes qui ont systématiquement prorogé sa détention provisoire476. 749 - La veuve de M. Dzieciak a formé une requête devant la CEDH, alléguant la violation par la Pologne des articles 2, 3, 5 § 3 et 6 de la Conv. EDH, les services placés sous la responsabilité de l’État ayant failli, selon elle, à leur obligation de veiller à la santé et aux conditions de vie de son époux incarcéré. Le 9 décembre 2008, la CEDH retint la violation de l’article 2 § 1 de la Conv. EDH477. Il incombait à l’État, selon la Cour, de prendre les mesures appropriées afin de garantir la vie des personnes placées sous sa juridiction478, notamment en assu- 474 Cet article disposait : « § 1. En l’absence de raison particulière s’y opposant, la détention provisoire doit être levée, en particulier lorsque priver un accusé de sa liberté pourrait : (1) Mettre sérieusement en danger sa vie ou sa santé ; ou (2) Engendrer des conséquences excessivement sévères pour l’accusé ou sa famille ». 475 D’autres manquements graves ont été relevés et appréciés par la CEDH dans son jugement. Ainsi, l’avis émis par un collège médical du centre de détention de Varsovie le 1er octobre 2001 signifiait aux autorités judiciaires que l’état de santé de l’accusé était désormais incompatible avec le régime de la détention provisoire. Cet avis n’a été connu par la juridiction saisie de l’affaire que le 22 octobre 2001. Les responsables du centre de détention se justifièrent en expliquant que le rapport n’avait pas été confirmé par les autorités médicales compétentes et ne pouvait dès lors être communiqué à la justice. De surcroît, alors qu’un médecin lui avait prescrit dès l’examen subi le 22 janvier 1999 d’effectuer une angiographie, l’accusé s’était plaint de n’avoir pas été informé de cette ordonnance puis, lorsque la prescription fut réitérée par un autre médecin ultérieurement, le 4 août 1999, d’avoir été empêché par les autorités pénitentiaires de s’y soumettre. 476 CEDH, Dzieciak c. Pologne, n°77766/01, 9 décembre 2008, §§ 6-48. 477 La violation de l’article 2 étant établie, la Cour n’a dès lors pas jugé utile d’examiner l’affaire sous l’angle des articles 3 et 5 § 3 de la Conv. EDH. Quant au grief de violation de l’article 6 de la Conv. EDH, la Cour l’a jugé irrecevable ratione tempori puisque présenté au-delà du délai de six mois prescrit par l’article 32 de la Conv. EDH (Ibidem, §§ 116-118). 478 Conformément aux jurisprudences antérieures, notamment CEDH, L. C. B. c. Royaume-Uni, n°23413/94, 9 476 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » rant une assistance médicale à celles qui se trouvent privées de liberté479. Une mauvaise pratique du droit était principalement en cause, non la législation interne elle-même. La Cour a porté une opinion extrêmement sévère sur l’ensemble de la procédure de la détention provisoire, considérant que les juridictions internes, en se bornant à évoquer un doute légitime sur la culpabilité du prévenu et la complexité de l’affaire pour justifier les multiples renouvellements de sa détention provisoire, n’avaient pas suffisamment fondé leurs décisions480. 750 - Les obligations procédurales de l’État dans le cadre de la protection du droit à la vie, sans être mentionnées explicitement dans l’article 2 de la Conv. EDH, n’en sont pas moins prises en considération par la CEDH, qui sanctionne le cas échéant toute défaillance dans la procédure interne visant à engager la responsabilité des auteurs de la violation et à réprimer leurs actes ou à octroyer une indemnisation481. Il s’agit donc, pour le juge européen, de veiller à ce que les États-parties à la Convention instaurent «‘‘un système judiciaire efficace’’ permettant d’établir les responsabilités et, selon les circonstances, d’engager des poursuites pénales »482. Dans cette affaire Dzieciak, la requérante avait saisi le procureur du district de Varsovie d’une enquête pour déterminer les causes du décès. Une autopsie a été pratiquée le 31 octobre 2001 et a révélé une insuffisance coronarienne. L’enquête a été officiellement ouverte le 20 décembre 2001 et a débuté par une suite d’auditions. Le 23 septembre 2002, le procureur a ordonné la préparation d’un rapport d’experts pour déterminer si la mort de l’accusé juin 1998, Rec. 1998-III, § 36 et CEDH, Keenan c. Royaume-Uni, n°27229/95, § 91, Rec. 2001-III. 479 La Cour fait référence à la jurisprudence Hurtado c. Suisse, n°17549/90, 28 janvier 1994, Série A n°280. 480 CEDH, Dzieciak c. Pologne, préc., §§ 71-101. 481 Hors des cas de décès d’un individu détenu sous la responsabilité des autorités polonaises – comme par ex. en prison – il faut signaler la condamnation de la Pologne au titre de la branche procédurale de l’article 2 dans les arrêts Weber (2010), Ciechońska (2011) et Olszewscy (2012). Dans la première, un proche des requérants avait été retrouvé mort dans son appartement. La justice se montra peu décidée à tout mettre en œuvre pour déterminer les causes d’un décès qui, selon eux, s’avérait suspect. L’enquête avait été rendue difficile en raison de l’exhumation trop tardive du corps du défunt (CEDH, Weber et autres c. Pologne, n°23039/02, 27 avril 2010). Dans l’affaire Ciechońska, la requérante avait perdu son époux, écrasé par la chute d’un arbre sur la voie publique. Elle rechercha en vain la responsabilité de la municipalité pour le mauvais entretien des arbres bordant la chaussée. La procédure interne s’est achevée en 2009 par le rejet de la demande de la requérante et l’acquittement de l’employé municipal accusé de négligence. La CEDH a jugé que ni la procédure pénale ni l’action civile n’avait permis d’établir une responsabilité et d’assurer à la requérante une réparation de son préjudice (CEDH, Ciechońska c. Pologne, n°19776/04, 14 juin 2011). En raison, respectivement, de l’impossibilité d’obtenir de nouvelles preuves et de la prescription des faits (art. 101 § 1 du CP), les procédures internes n’ont pas pu être rouvertes après l’intervention de la CEDH. L’État polonais a essentiellement exécuté ces deux arrêts par le versement dans les délais de la satisfaction équitable octroyée par la Cour (Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)190 (exécution des arrêts rendus dans deux affaires contre la Pologne), 8 octobre 2014, 1209e réunion des délégués, annexe (bilan d’action)). Enfin, ce sont les incohérences relevées dans l’enquête ouverte après la découverte du corps du fils des requérants en pleine campagne qui a conduit à la violation de la branche procédurale de l’article 2 dans l’affaire Olszewscy (CEDH, Olszewscy c. Pologne, n°99/12, 3 novembre 2015. Le Comité des ministres n’a pas encore entâmé le suivi de cette dernière affaire. 482 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., p. 460, § 306. 477 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME résultait de l’échec des différents traitements médicaux ou bien de mauvais soins médicaux, ou encore à des soins délivrés trop tardivement lors de son admission dans l’établissement hospitalier. Le 1er juillet 2003, l’Académie de Médecine de Gdańsk a rendu ses conclusions sur la question en privilégiant la première hypothèse émise. Cependant, des réserves ont été formulées quant aux conséquences sur la santé de l’intéressé des deux reports de l’intervention chirurgicale prescrite. Sur le fondement de ce rapport, le procureur a donc mis un terme à l’enquête le 28 août 2003. L’épouse de la victime a interjeté appel, estimant que le procureur n’avait pas scrupuleusement répondu à l’ensemble de ses allégations. Le 19 janvier 2004, la cour de district de Varsovie a rejeté son recours. En outre, le 26 janvier 2004, la cour régionale de Varsovie a débouté la requérante de sa demande d’indemnisation au motif qu’aucun comportement ni omission illégale ne pouvait être imputé aux autorités et donner lieu à une indemnisation du Trésor public. La cour d’appel de Varsovie a rejeté le recours de la requérante, qui renonça à se pourvoir en cassation483. 751 - Devant la CEDH, la requérante a reproché au procureur de n’avoir pas organisé l’audition des gardiens et des compagnons de cellule de la victime, témoins au quotidien de la détérioration de sa santé. Elle estimait que l’expertise rendue sur la mort de son mari n’était pas complète et ne pouvait être indépendante en raison de la solidarité du corps médical. La CEDH, dans l’arrêt rendu le 9 décembre 2008, a retenu la violation de l’article 2 sous son aspect procédural, en plus de ses dispositions matérielles484. Le juge européen a sanctionné l’incapacité des autorités à établir le déroulement des faits survenus dans les heures précédant le malaise de la victime, le 22 octobre 2001, alors qu’il était « crucial pour l’évaluation adéquate de la question de savoir si la victime avait reçu les soins médicaux appropriés ce jourlà et si les autorités avaient contribué à son décès survenu le 25 octobre 2001 »485. 752 - Outre l’affaire Dzieciak, il convient de mentionner un second cas de décès en prison occasionné par le manque de vigilance de l’administration. Dans l’arrêt Jasińska, la CEDH a 483 CEDH, Dzieciak c. Pologne, préc., §§ 49-69. 484 Si les sept juges de la quatrième section se sont montrés unanimes sur la violation de l’article 2 pour ce qui est de l’échec des autorités à protéger la vie du détenu, deux d’entre eux ont signé une opinion dissidente quant à la violation de ce même article en raison de l’ineffectivité de la procédure d’enquête. Les juges Garlicki et Björgvinsson considérèrent que les faits avaient été établis de manière suffisamment intelligible et l’enquête diligemment menée. Pour eux, l’exigence d’une enquête effective ne saurait signifier qu’il doit en résulter la mise en cause systématique de la responsabilité pénale des agents de l’État. Dans une affaire comme celle-ci, la responsabilité ne relèverait pas de l’action d’agents en particulier mais plutôt « d’un défaut de qualité et de promptitude des soins médicaux, d’un manque de coordination et de coopération entre les différentes autorités de l’État ainsi que d’autres facteurs impliquant différentes autorités et de nombreux individus ayant contribué à la violation » (Ibidem, Opinion partiellement dissidente des juges Lech Garlicki et David Thór Björgvinsson). 485 CEDH, Dzieciak c. Pologne, préc., §§ 102-111. 478 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » condamné la Pologne pour manquement à ses obligations substantielles de protéger la vie d’un détenu souffrant de troubles psychiatriques depuis son enfance mais aussi d’alcoolisme, et qui avait fini par mettre fin à ses jours dans sa cellule486. Ces deux arrêts ont encouragé les autorités polonaises à accroître la prévention et la détection des risques pour la vie des personnes privées de liberté. 2) La protection de la vie des détenus renforcée par la sensibilisation de l’administration des prisons 753 - Le 6 mars 2014, le Comité des ministres s’est prononcé favorablement sur l’exécution de l’arrêt Jasińska. La requérante n’a pas demandé que fût rouverte la procédure contre les autorités des services pénitentiaires qui n’avaient pas su empêcher le suicide de son petit-fils. L’arrêt, rendu en juin 2010, est intervenu alors que le gouvernement commençait à s’intéresser à la prévention des actes d’auto-destruction en prison. Ainsi, la loi du 18 juin 2009 avait introduit dans le CEP deux nouveaux paragraphes à l’article 116 pour permettre d’exercer une surveillance particulière de détenus dont le comportement le justifiait, pour des raisons médicales et de sécurité (§ 5a). La décision incombe au directeur de l’établissement et peut être contestée devant le juge judiciaire (§ 6)487. 754 - C’est surtout par un ensemble de textes règlementaires, édictés d’août à décembre 2010, que le ministre de la Justice a détaillé les moyens de lutter contre les comportements dangereux des détenus et notamment les risques de suicide. Par un arrêté n°43/2010, le directeur général des services pénitentiaires a autorisé un agent, en accord avec sa hiérarchie, à ouvrir la cellule s’il pressent un risque pour la vie ou la santé du détenu qui s’y trouve488. Une instruction transmise le même jour impose une pratique unique dans tous les établissements pour prévenir les suicides de détenus. La direction générale des prisons dicte la conduite à suivre en cas de risque de suicide, établit comme un devoir du gardien de prison la prévention du suicide, met en place des programmes de sensibilisation sur cette question et encourage les 486 CEDH, Jasińska c. Pologne, n°28326/05, 1er juin 2010. 487 Ustawa z dnia 18 czerwca 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny wykonawczy [Loi du 18 juin 2009 modifiant le Code d’exécution des peines], Dz. U., 2009, n°115, texte 963, pp. 8731-8732. Cet amendement est entré en vigueur le 22 octobre 2009. 488 Paragraphe 14, point 5, de l’ordonnance (Zarządzenie nr 43/2010 Dyrektora Generalnego Służby Więziennej z dnia 13 sierpnia 2010 r. w sprawie ustalania metod i form diałalności w zakresie ochrony jednostek organizacyjnych Służby Więziennej [Arrêté n°43/2010 du Directeur général des services pénitentiaires du 13 août 2010 sur la fixation des méthodes et des formes d'activités de protection des unités organisationnelles des services pénitentiaires], non publié). 479 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME relations sociales en prison489. Les psychologues, tuteurs et agents de sécurité suivent ainsi des formations spéciales organisées par le bureau central des services pénitentiaires dont une partie est consacrée aux méthodes de détection et de prévention des attitudes suicidaires chez le détenu. En décembre 2010, le ministre de la Justice a adopté un règlement relatif aux soins médicaux en prison dans lequel il impose la distribution de doses uniques de médicaments aux détenus pour réduire le risque d’overdose (§ 10, point 2)490. Il faut ajouter que le ministre de la Justice exerce un suivi des incidents dits « extraordinaires » qui peuvent survenir en prison, incluant les suicides et tentatives de suicides. Il peut à ce titre ordonner des enquêtes et se tenir informé de leur déroulement. Enfin, il s’est chargé comme de coutume de la publication de l’arrêt Jasińska sur son site Internet. 755 - Devant le Comité des ministres, le gouvernement a pu avancer un bilan statistique positif : depuis 2010, le nombre de tentatives de suicide est en net recul chez les détenus. En 2010, les autorités ont recensé 141 actes de cette nature (- 30 % par rapport à l’année précédent) dont 34 (- 17 %) ont causé le décès du détenu. En 2011, 199 tentatives de suicides se sont soldées par la mort du détenu dans 22 cas. En 2012, ces chiffres toujours en baisse s’établissaient à 143 tentatives et 18 décès491. 756 - L’arrêt Dzieciak a fait l’objet d’un suivi individuel par le Comité des ministres, bien que celui-ci examine un groupe d’affaires relatives aux soins inappropriés en détention492. En l’absence de volonté des autorités et de la veuve du requérant de rouvrir l’enquête dirigée contre l’administration pénitentiaire, les mesures individuelles se sont limitées au versement dans les délais de la satisfaction équitable de 20 000 EUR octroyée par la CEDH dans son arrêt du 9 décembre 2008. Publié et traduit par le ministère de la Justice, le texte de l’arrêt a été transmis aux autorités concernées : services des prisons, procureurs, cours de district, ré489 Instrukcja Dyrektora Generalnego Służby Więziennej nr 16/2010 z dnia 13 sierpnia 2010 r. w sprawie zapobiegania samobójstwom osób pozbawionych wolności [Instruction n°16/2010 du Directeur général des services pénitentiaires sur la prévention des suicides des personnes privées de liberté], non publiée. 490 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 23 grudnia 2010 r. w sprawie udzielania świadczeń zdrowotnych osobom pozbawionym wolności przez zakłady opieki zdrowotnej dla osób pozbawionych wolności [Règlement du 23 décembre 2010 sur la fourniture de soins aux personnes privées de liberté par les établissements sanitaires pour les personnes privées de liberté], Dz. U., n°2011, 1, texte 2, pp. 4-8. Ce texte a été remplacé le 2 juillet 2012 par le règlement du 14 juin 2012, lequel reprend exactement les mêmes dispositions sur le dosage des médicaments dans son § 9, point 2 (Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 14 czerwca 2012 r. w sprawie udzielania świadczeń zdrowotnych przez podmioty lecznicze dla osób pozbawionych wolności [Règlement du ministre de la Justice du 14 juin 2012 sur la fourniture de soins par des entités médicales aux personnes privées de liberté], Dz. U., 2012, texte 738). 491 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)27 (exécution de l’arrêt Jasińska c. Pologne), 6 mars 2014, 1193e réunion des délégués. 492 Le groupe d’affaires Kaprykowski (cf. infra). 480 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » gionales et chambres pénales des cours d’appel, accompagné d’une lettre circulaire. Le ministère a édité par ailleurs une notice intitulée Obligation de poursuivre et de mener une enquête effective pour expliquer les circonstances d’infractions qui constituent une violation grave des droits de l’homme, laquelle se réfère à l’arrêt Dzieciak. Le site Internet du bureau du Parquet a lui aussi diffusé des informations sur cet arrêt. La problématique de la protection de l’intégrité physique des détenus a été traitée, de manière générale, dans le guide de jurisprudence de la CEDH rédigé sous l’égide du ministère de la Justice et envoyé en 2011 à tous les juges et procureurs ainsi que dans les programmes de formation instaurés depuis 2010 par l’École nationale des juges et des procureurs493. Franchir le seuil de la mort du détenu demeure exceptionnel. Beaucoup plus fréquente en revanche fut la reconnaissance par la CEDH de traitements inhumains ou dégradants causés par le manque de soins en détention, la surpopulation carcérale et les mauvaises conditions générales de détention. B. Les failles de la protection contre les traitements inhumains ou dégradants en prison 757 - La CEDH s’emploie à le rappeler parfois dans les arrêts rendus au sujet des conditions de détention : « les mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un détenu certains inconvénients » bien que « la souffrance, et l’humiliation infligées dans le cadre de l’exécution d’une peine de prison ne doivent en aucun cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitime »494. La Cour offre ainsi aux détenus, par ricochet495, la protection dont jouit tout individu contre la torture et les mauvais traitements. Le comportement des gardiens de prison a provoqué la toute première condamnation de la Pologne au titre de l’article 3 de la Conv. EDH dès 2001 dans l’affaire Iwańczuk (1). Trois arrêts rendus en 2009 rejoignent la problématique – abordée dans l’arrêt Dzieciak – de la dégradation de l’état de santé des détenus en raison de soins négligés (2). La problématique de la surpopulation carcérale associée aux mauvaises conditions de vie des détenus a pris une 493 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)92 (exécution de l’arrêt Dzieciak c. Pologne), 11 juin 2015, 1230e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 494 CEDH, Norbert Sikorski c. Pologne, n°17599/05, 22 octobre 2009, § 130. 495 Frédéric SUDRE, « La protection des droits sociaux par la Cour européenne des droits de l’homme : un exercice de ‘‘jurisprudence fiction’’ ? », RTDH, n°55, 2003, pp. 760-761, §§ 10-11. 481 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ampleur inquiétante au cours des dernières années (3). Enfin, les arrêts les plus récents posent la question de l’application du régime spécial des détenus dangereux (4). 1) Le comportement contraire à la Convention des fonctionnaires de prison La Pologne est fréquemment mise en cause pour ses prisons vétustes et surpeuplées, conséquence d’un problème général d’organisation. La violation de l’article 3 du seul fait de gardiens est exceptionnelle et concerne une affaire de fouille corporelle déjà ancienne (a). Cette première condamnation conduisit le législateur et le pouvoir règlementaire à modifier les normes de sécurité en prison (b). a) La violation de l’article 3 résultant d’un recours à la fouille corporelle 758 - La première violation par la Pologne de l’article 3496 est survenue dans une affaire où était également alléguée par le requérant le non-respect des articles 5 et 8 de la Conv. EDH. Les faits à l’origine du traitement dégradant infligé par plusieurs gardiens de prison au requérant Krzysztof Iwańczuk sont nés dans le contexte des premiers scrutins de l’ère postcommuniste. Le requérant, alors en détention provisoire, avait souhaité participer aux élections législatives du 19 septembre 1993. Un bureau de vote aménagé dans l’enceinte de la prison était ouvert aux détenus. Lorsqu’il s’est présenté aux gardiens pour aller voter, M. Iwańczyuk a été contraint de subir une fouille corporelle. Une dizaine de gardiens présents dans la pièce l’ont ridiculisé et traité vulgairement et lui demandèrent d’ôter ses sousvêtements, ce qu’il refusa. Il fut ensuite reconduit dans sa cellule sans participer au scrutin497. 759 - Le 23 septembre 1993, M. Iwańczuk a déposé un recours devant la Cour suprême de Pologne, alléguant la violation de ses droits civiques. Il s’est plaint de la fouille corporelle imposée pour accéder au bureau de vote alors qu’elle n’était pas justifiée à ses yeux et a dénoncé les injures des gardes à son endroit. Sans même statuer sur l’attitude railleuse des gardiens, la Cour suprême rejeta la requête, estimant qu’un détenu pouvait dissimuler un rasoir et que les gardiens avaient agi conformément à l’article 11 des Règles sur la détention provisoire de 1989, qui prévoyait qu’en cas de besoin, un détenu devait subir une fouille498, et à l’article 496 Cet article avait été invoqué auparavant dans d’autres affaires, sans qu’une violation ne soit retenue : voir par ex. l’arrêt CEDH, Jeznach c. Pologne (radiation du rôle), n°27580/95, 14 décembre 2000 à propos d’une altercation violente alléguée par le requérant au bureau d’administration du cimetière Powązki de Varsovie (le requérant a finalement abandonné la procédure devant la CEDH). 497 CEDH, Iwańczuk c. Pologne, n°25196/94, 15 novembre 2001, §§ 9-16. 498 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 2 maja 1989 r. w sprawie regulaminu wykonywania tym- 482 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 59 du règlement sur la sécurité en prison, datant de 1974 mais non publié499. Saisie par M. Iwańczuk, la CEDH a estimé dans son arrêt rendu le 15 novembre 2001 qu’aucun élément n’était de nature à justifier l’ordre donné à un détenu de se mettre nu devant un groupe de gardiens de prison, celui-ci ayant accompli sa détention avec calme et n’ayant pas de casier judiciaire avant sa condamnation. À supposer que les mesures imposées fussent nécessaires, elles auraient dû être accomplies de manière appropriée, ce qui n’avait pas été le cas au regard du comportement injurieux et irrespectueux des gardiens dont l’intention avait été d’humilier le requérant et de susciter chez lui un sentiment d’infériorité500. Les fouilles corporelles appliquées des détenus ordinaires font l’objet de nouvelles règles adoptées deux ans après l’arrêt de la CEDH concernant la Pologne. b) Un nouveau cadre législatif et règlementaire pour les fouilles corporelles adopté en 2003 760 - Lorsque la Pologne a été condamnée dans l’affaire Iwańczuk en raison du comportement de gardien de prison qui avaient fait déshabiller et avaient humilié un détenu, les règles sur la détention provisoire édictées en 1989 étaient en application. Le ministre de la Justice a adopté le 31 octobre 2003 le règlement sur la sécurité en prison501, texte qui encadre davantage les fouilles corporelles dans les établissements de détention, en application de l’article 116 § 2 et § 3 du CEP, tel qu’il résulte lui-même de l’amendement du 24 juillet 2003502. Ces dispositions protègent l’intimité du détenu. Les conditions dans lesquelles la fouille de Krzysztof Iwańczuk avait été effectuée seraient aujourd’hui illégales. czasowego aresztowania [Règlement du ministre de la Justice du 2 mai 1989 sur la règles de la détention provisoire], Dz. U., 1989, n°31, texte 167, pp. 519-524. 499 La valeur juridique de ce texte, adopté dans la période de transition démocratique, a été soulevée par la Cour suprême. Dans sa décision du 27 octobre 1993, elle a douté sérieusement de son opposabilité, d’autant plus que les règles sur la détention provisoire adoptées en 1989 l’auraient abrogée de facto. En l’espèce, les gardiens avaient de toute façon agi conformément à ses dispositions (ibidem, §§ 40-41). 500 Ibid., §§ 38-60. 501 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 31 października 2003 r. w sprawie sposobów ochrony jednostek organizacyjnych Służby Więziennej [Règlement du ministre de la Justice du 31 octobre 2003 sur les moyens de protéger les unités organisationnelles de l’administration pénientiaire], Dz. U., 2006 n°194, texte 1902, pp. 1309-13141. 502 Ustawa z dnia 24 lipca 2003 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny wykonawczy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 24 juillet 2003 modifiant le Code d’exécution des peines ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2003, n°142, texte 1380, pp. 9553-9585. Les fouilles corporelles doivent être réalisées pour des raisons de sécurité seulement lorsque les gardiens sont à la recherche d’un object que pourrait dissimuler le détenu (§ 2). La fouille corporelle est effectuée dans une autre pièce que la cellule, par et en la seule présence d’un gardien du même sexe que le détenu (§ 3). 483 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 761 - L’arrêt Iwańczuk a été traduit en polonais et publié sur le site Internet du ministère de la Justice. En 2011, le ministère a diffusé auprès des juges et procureurs un guide relatif à la protection des droits de l’homme à l’aune de la Conv. EDH dans lequel figurait une référence à cet arrêt. La question de la dignité et de l’humanité du traitement des détenus, en accord avec les standards européens, est au sommaire du programme d’entraînement des fonctionnaires des prisons, comme en dispose un arrêté du 21 décembre 2010 du directeur général des prisons503. Ce programme fut suivi par 2 604 fonctionnaires en 2014 et 2 559 en 2015, selon les statistiques gouvernementales fournies au Comité des ministres. Quant au requérant, il a, depuis, recouvré la liberté et obtenu le versement de la satisfaction équitable établie par la CEDH en 2001504. 762 - Malgré ces mesures, qui ont convaincu le Comité des ministres de clore le suivi de l’arrêt Iwańczuk par sa résolution du 20 janvier 2016, une condamnation de la CEDH en 2015 au titre de la violation de l’article 8 tend à démontrer que la question des fouilles corporelles imposées par excès est encore actuelle505. Le Défenseur des droits civiques a d’ailleurs écrit au ministre de la Justice le 23 décembre 2014 pour lui faire part de son inquiétude au sujet de la pratique. Pour l’ombudsman polonais, le cadre législatif imprécis sur les modalités de la fouille corporelle et les moyens du détenu pour contester une telle mesure favoriserait l’arbitraire, au risque d’enfreindre notamment les standards de la Conv. EDH506. Les autorités tentent également d’améliorer l’accès à des soins conformes aux besoins des détenus, après une série de condamnations devant la CEDH. 503 Zarządzenie Dyrektora Generalnego Służby Więziennej z dnia 21 grudnia 2010 r. w sprawie programów szkolenia wstępnego, zawodowego oraz specjalistycznego w Służbie Więziennej oraz czasu trwania tych szkoleń [Arrêté du Directeur général des services pénitentiaires du 21 décembre 2010 sur les programmes de formation initiale, professionnelle et spécialisée au sein des services pénitentiaires ainsi que sur la durée de cet enseignement], non publié. 504 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2016)4 (exécution de l’arrêt Iwańczuk c. Pologne), 20 janvier 2016, 1245e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 505 CEDH, Milka c. Pologne, n°14322/12, 15 septembre 2015. Entre octobre 2011 et juin 2012, le requérant avait fait l’objet de plusieurs mesures disciplinaires (interdiction de recevoir de la nourriture supplémentaire, mise à l’isolement…) en raison de son aggressivité et de son refus systématique de se déshabiller pour les fouilles corporelles que les autorités pénitentiaires lui imposaient, sur le fondement de l’article 116 du CEP. Ses recours contre les mesures disciplaines furent rejetés par les juridictions internes. Pour la CEDH, en ne recherchant pas si le recours aux fouilles corporelles, particulièrement intrusives dans le droit au respect de l’intimité des individus, était vraiment nécessaire à l’égard du requérant, les autorités polonaises avaient bien méconnu l’article 8 de la Conv. EDH. 506 Ibidem, § 30. 484 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 2) L’absence de soins appropriés au cours de la détention De 2009 à 2013, la Pologne a été condamnée neuf fois pour n’avoir pas prodigué aux requérants, détenus ou ex-détenus, des soins adaptés à leur santé, ce qui a parfois aggravé leurs souffrances (a). Depuis, l’État a entrepris de faciliter l’accès aux services de santé pour les détenus, principalement par des mesures règlementaires (b). a) L’inadéquation des soins à l’état santé de certains détenus constitutive d’un traitement inhumain ou dégradant 763 - La CEDH avait posé en 2000 dans l’arrêt Kudła507 le principe selon lequel maintenir un délinquant présumé en détention alors que son état de santé est incompatible avec ce régime entre en contradiction avec le respect de la dignité de la personne humaine. La Pologne n’a pas toujours échappé à une condamnation de la CEDH pour le manque de soins en ces circonstances508. Les faits à l’origine de l’affaire Wenerski se sont déroulés entre 2001 et 2007. À la suite de la perte d’un œil en 1996, le requérant devait subir une opération de sa poche orbitale droite. Délinquant multirécidiviste accusé de cambriolage, il fut placé en détention provisoire de 2001 à 2003 sans avoir été opéré. Les spécialistes médicaux qui l’examinèrent durant son incarcération préconisèrent une intervention chirurgicale. Le 3 juillet 2000, la commission médicale du centre de détention provisoire de Varsovie a ordonné à cette fin une suspension de la mesure préventive de deux mois. Pour différentes raisons, l’intervention n’eut lieu qu’en février 2004. Des complications post-opératoires conduisirent les médecins à préconiser une nouvelle intervention chirurgicale. Les notes du dossier médical d’Ernest Wenerski pour la période s’étalant de juillet à octobre 2005 soulignaient l’urgence d’y recourir. Malgré une infection virale diagnostiquée en août 2006, aucune opération supplémentaire n’a été pratiquée. Sur le plan procédural, le requérant a demandé à plusieurs reprises sa remise en liberté pour des raisons médicales mais ses différents recours ont été jugés irrecevables et sa détention a été régulièrement prolongée. La procédure pénale ouverte par M. Wenerski contre les services de soins du centre de détention pour absence de traitement médical n’a pas 507 CEDH, Kudła c. Pologne, n°30210/06, 26 octobre 2000, Rec. 2000-XI. Le requérant, excipant d’une santé mentale précaire, estimait qu’il avait subi du fait de cette détention un traitement inhumain ou dégradant. La Cour a néanmoins rejeté ce grief au regard des circonstances de l’espèce. 508 Il est des cas où, effectivement, les soins proposés en prison ont été jugés suffisants et appropriés, épargnant à la Pologne une condamnation. Voir à ce titre les arrêts CEDH, Hajoł c. Pologne, n°1127/06, 2 mars 2010 ; CEDH, Kulikowski c. Pologne (n°2), n°16831/07, 9 octobre 2012 ; CEDH, Kowrygo c. Pologne, préc. 485 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME abouti509. 764 - La CEDH, réaffirmant sa jurisprudence Kudła, a insisté sur l’obligation qui pèse sur l’État, au titre de l’article 3 de la Conv. EDH, de s’assurer que tout détenu évolue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité de la personne humaine et que la peine exécutée à son encontre ne devait dès lors l’exposer à des souffrances ou privations d’une intensité supérieure à celles inhérentes à la détention. Le juge européen a admis l’absence de traitement adéquat pendant six ans et a considéré, au regard de ses souffrances endurées, que M. Wenerski avait subi un traitement inhumain et dégradant 510. Signe, sans nul doute, d’un certain échec de la Pologne à améliorer le quotidien des détenus, le requérant s’est plaint une seconde fois, quelques années plus tard, de mauvaises conditions de détention de détention responsables selon lui de l’aggravation de son état de santé. La CEDH a retenu à nouveau la violation de l’article 3 de la Conv. EDH511. 765 - L’affaire Kaprykowski reposait sur des faits en bien des points comparables. Le requérant souffrait depuis 1996 de troubles épileptiques quotidiens caractérisés par des crises et une encéphalopathie accompagnée de démence. Délinquant multirécidiviste, il avait purgé plusieurs peines dans différents centres de détention en Pologne, malgré ses troubles psychiques et autres problèmes médicaux (syphilis, ulcères). L’ensemble des pathologies du requérant avait été établi par les médecins légistes dans un premier rapport sur l’état du détenu établi en 2000. Un autre rapport avait conclu l’année suivante que le système de soins de la prison ne pourrait suffire à terme à garantir la santé du détenu. Le requérant s’est plaint par la suite de n’avoir pas été placé dans l’aile médicalisée de son centre de détention et d’avoir partagé sa cellule avec des détenus qui l’humilièrent. Robert Kaprykowski a pourtant bénéficié de différents soins et subi plusieurs examens, en fonction des établissements fréquentés. Au cours de la seule année 2005, le requérant s’est plaint par trois fois auprès de l’administration pénitentiaire de ses traitements médicaux. La seule réponse qu’il dit avoir obtenue fut une information indiquant que ses réclamations « avaient été transmises aux autorités compétentes »512. 766 - Dans l’arrêt qu’elle rendit le 3 février 2009, la CEDH a rappelé que les parties étaient convenues que le requérant souffrait de troubles épileptiques graves pouvant entrainer plusieurs crises quotidiennes. Mais la Cour s’est estimée également « convaincue que le requé509 CEDH, Wenerski c. Pologne, n°44369/02, 20 janvier 2009, §§ 5-37. 510 Ibidem, §§ 43-66. 511 CEDH, Wenerski c. Pologne (n°2), n°38719/09, 24 juillet 2012. 512 CEDH, Kaprykowski c. Pologne, n°23052/05, 3 février 2009, §§ 5-35. 486 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » rant était dans le constant besoin d’une surveillance médicale, en l’absence de laquelle il faisait face à des risques majeurs pour sa santé ». En le plaçant dans une cellule ordinaire de l’aile générale de la prison de Poznań où il ne pouvait compter, en cas de crise grave, que sur le secours de ses codétenus puis en second lieu du médecin interne non spécialisé en neurologie, les autorités polonaises favorisèrent chez lui « une anxiété considérable » qui l’avait placé « dans une position d’infériorité vis-à-vis des autres prisonniers ». En lui faisant également subir de longs et fréquents transferts vers d’autres établissements et en laissant des médecins non spécialisés en neurologie modifier son traitement médical, ces mêmes autorités avaient méconnu les stipulations de l’article 3 de la Conv. EDH513. 767 - Cet examen jurisprudentiel doit être complété par l’affaire Sławomir Musiał. Le requérant, en proie à d’intenses hallucinations auditives de nature psychotique durant sa détention, avait suivi un traitement aux psychotropes et été examiné à plusieurs reprises par un psychiatre. En janvier 2006, il tenta de mettre fin à ses jours mais fut secouru par ses compagnons de cellule. Subséquemment, les médecins diagnostiquèrent une schizophrénie et recommandèrent son maintien sous surveillance psychiatrique. La persistance de ses symptômes impliqua la prise de traitements réguliers, comprenant notamment des psychotropes. Entre juillet 2006 et août 2007, détenu à cette période à la prison d’Herby, il fut examiné non moins de trente-cinq fois par différents spécialistes, psychiatres et neurochirurgiens y compris514. Devant la CEDH, Sławomir Musiał a dénoncé les conditions précaires dans lesquelles il avait été détenu et estima que les autorités polonaises n’avaient pas garanti les conditions standard d’incarcération qu’est en droit d’attendre une personne malade, lui infligeant un traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 3 de la Conv. EDH. Le gouvernement contestait que les mauvaises conditions de détention alléguées eussent atteint le niveau de sévérité requis pour que s’appliquât cet article, dans la mesure où le requérant avait bénéficié constamment d’une surveillance médicale, consulté de nombreux spécialistes et reçu lorsque cela était nécessaire des traitements médicaux appropriés à son état. La CEDH a rappelé que l’évaluation de la compatibilité des conditions de détention des personnes malades avec l’article 3 dépendait de trois éléments particuliers : la situation médicale du prisonnier, l’adéquation de l’assistance et des soins médicaux prodigués au cours de la détention et l’opportunité de cette mesure au regard de l’état de santé de l’intéressé. Or, les autorités polonaises avaient créé en l’espèce des conditions de nature à exacerber le sentiment de détresse, 513 Ibidem, §§ 49-77. 514 CEDH, Sławomir Musiał c. Pologne, n°28300/06, 20 janvier 2009, §§ 5-47. 487 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME d’angoisse et de peur éprouvé par le requérant. À la lumière de l’ensemble de ces éléments, la CEDH a retenu la violation de l’article 3 de la Conv. EDH515. 768 - Au cours des mois et années qui suvirent, la problématique des soins en prison a été portée devant la CEDH à diverses reprises et avec les mêmes conséquences. Il convient donc de signaler les condamnations de la Pologne sur la base de l’article 3 de la Conv. EDH dans les affaires Andrzej Wierzbicki516 et Rokosz517 (2010), Kupczak518, Musiałek et Baczyński519 (2011), Grzywaczewski520 (2012) et D. G.521 (2013). En revanche, la CEDH a considéré que le seuil de souffrance de l’article 3 n’avait pas été franchi lorsque le requérant, handicapé, était dépendant de ses compagnons de cellule. Les aménagements prévus par les responsables de l’établissement de détention afin d’assurer le confort et l’hygiène du requérant suffisaient à considérer respectées les obligations conventionnelles522. Ne constituait pas non plus un traitement dégradant le refus de l’administration de servir des repas végétariens en prison523 ni 515 Ibidem, §§ 64-98. 516 CEDH, Andrzej Wierzbicki c. Pologne, n°48/02, 29 janvier 2010. Le requérant, placé en détention provisoire en 2002, contesta cette mesure incompatible, arguant de son statut d’invalidité permanente. Il se plaignit en outre de l’insuffisance des soins dispensés alors que ses pathologies nécessitaient un contrôle médical quotidien. Sa demande fut rejetée en raison d’une expertise médicale favorable à son maintien en détention accompagné d’un traitement médical adapté. En février 2003, constatant que l’état de santé du requérant s’était dégradé, les experts estimèrent cette fois que le CPP devait autoriser la remise en liberté sans délai. Le requérant fut finalement placé sous surveillance judiciaire. La CEDH a admis que M. Wierzbicki, d’ailleurs décédé avant que l’affaire ne fût jugée, avait subi un traitement dégradant en raison de conditions de détention inadaptées à la gravité de sa maladie, condamnant la Pologne pour la violation de l’article 3 de la Conv. EDH. 517 CEDH, Rokosz c. Pologne, n°15952/09, 27 juillet 2010. Le détenu portait une prothèse de l’aorte de la cuisse et avait effectué de nombreux séjours prolongés en détention entre 2001 et 2009. Dans cet arrêt de simple application de la jurisprudence précédente, la Pologne a été une nouvelle fois condamnée sur le fondement de l’article 3 pour l’incarcération prolongée d’un détenu malgré son médiocre état de santé. 518 CEDH, Kupczak c. Pologne, n°2627/09, 25 janvier 2011. Les autorités pénitentiaires avaient maintenu le requérant, lourdement handicapé, pendant deux ans en détention provisoire sans que la pompe à morphine nécessaire à soulager ses souffrances fonctionnât correctement. 519 CEDH, Musiałek et Baczyński c. Pologne, n°32798/02, 26 juillet 2011. L’un des requérants alléguait un manque de soins adéquats au cours de sa détention alors qu’il souffrait de la maladie de Dupuytren. La Cour a jugé que sa santé s’était effectivement dégradée à cause de son maintien en détention, lui faisant endurer une souffrance incompatible avec l’article 3 de la Conv. EDH. 520 CEDH, Grzywaczewski c. Pologne, n°18364/06, 31 mai 2012. La CEDH a retenu une double-violation de l’article 3 à propos des conditions de détention du requérant, qui avait exécuté une peine consécutive à une condamnation pénale du 25 janvier 2006 et du 11 décembre 2008. Atteint de multiples problèmes de santé (diabète, troubles cardiaques, cancer de la prostate), il disait avoir souffert d’un manque d’hygiène, d’un manque d’accès aux médecins et aux soins, de la surpopulation carcérale (première violation) et de la contrainte de s’injecter son insuline devant ses codétenus (seconde violation). 521 CEDH, D. G. c. Pologne, n°53315/09, 12 février 2013. La mesure de privation de liberté du requérant était aménagée au regard de sa condition physique (cellule plus grande et soins réguliers). Mais de réelles insuffisances, notamment en matière d’hygiène, et les négligences des autorités devant plusieurs rapports médicaux déclarant incompatibles la détention du requérant avec son état de santé ont conduit la CEDH à reconnaître la violation de l’article 3 de la Conv. EDH. 522 CEDH, Zarzycki c. Pologne, n°15351/03, 12 mars 2013. 523 CEDH, Krowiak c. Pologne, n°12786/02, 16 octobre 2007. 488 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » l’incarcération d’un condamné à une peine de prison ferme lorsque les rapports médicaux concluaient de façon concordante, et sans que celui-ci eût pu les mettre en doute, que son état de santé restait compatible avec la vie en prison524. Le gouvernement, grâce à l’action du ministère de la Justice, a engagé la restructuration des services de santé en prison. b) L’accès aux soins et prestations médicales des détenus amélioré par une série d’actes règlementaires 769 - Au début des années 2010, la Pologne a fourni des efforts considérables pour remédier aux mauvaises conditions généralisées des prisons polonaises qu’a mis en évidence la jurisprudence de la CEDH. Face à la gravité de la situation, la diffusion habituelle des standards européens via la traduction et la transmission des arrêts concernant la Pologne n’a constitué qu’une part infime de l’œuvre de réception525. Concernant les mesures individuelles, seuls deux des requérants (Slawomir Musiał et Ernest Wenerski) étaient toujours emprisonnés à la fin de l’année 2015. L’un comme l’autre bénéficiait d’un suivi médical et de soins adaptés à son état de santé. Aucun des deux hommes n’a d’ailleurs engagé de poursuites civiles pour se plaindre de l’accès aux services de santé526. 770 - Sur le plan de la procédure pénale, les détenus ont été les bénéficiaires de l’importante réforme entrée en vigueur le 1er juillet 2015. L’article 260 § 1 du CPP modifié prévoit que lorsque sa santé le justifie, la détention provisoire d’un suspect peut être exécutée dans une institution médicale, notamment un service psychiatrique527. Ce type de décision prise par le procureur peut intervenir initialement ou à tout moment de la détention privisoire. Elle nécessite bien sûr que le requérant soit au préalable osculté par un médecin. Toute personne subit, à son arrivée en centre de détention, une batterie de tests médicaux, conformément à l’article 210 du CEP. Un examen général est pratiqué dans les trois jours qui suivent la mise sous 524 CEDH, Rywin c. Pologne, n°6091/06, n°4047/07 et n°4070/07, 18 février 2016. 525 Les arrêts du groupe d’affaires Kaprykowski ont été traduits et publiés sur le site Internet du ministère de la Justice et diffusés par le Parquet. Ils ont été abondamment commentés au cours des formations adressées aux officiers de police et aux agents rattachés aux services pénitentiaires et des séminaires organisés par l’École nationale des juges et des procureurs. 526 Com. Min., Document DH-DD(2015)889 (bilan d’action mis à jour des autorités polonaises pour le groupe d’affaires Kaprykowski), 4 septembre 2015. 527 Dispositions introduites par l’article 12 de l’amendement entré en vigueur le 1er juillet 2015. Voir Ustawa z dnia 20 lutego 2015 r. o zmianie ustawy – Kodeks karny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 20 février 2015 modifiant le Code pénal ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2015, texte 396. 489 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME écrou de la personne. Dans les quinze jours suivants, une radiographie de la poitrine et un examen de la denture sont effectués. Les détenus peuvent profiter de denrées, médicaments et produits d’hygiène envoyés depuis l’extérieur, après approbation de l’autorité en charge de la détention et du directeur de l’établissement (article 216 § 2 du CEP). 771 - L’article 115 du CEP renvoie au ministère de la Justice la détermination par la voie règlementaire de l’étendue et des modalités des prestations de soins pour les personnes privées de leur liberté ainsi que le recours aux établissements de santé extérieur. C’est en application de celui-ci qu’ont été adoptés les règlements des 9 mai et 14 juin 2012. Le premier texte pose le principe de coopération entre les ministres de la Santé et la Justice pour permettre de maintenir des liens entre les spécialistes de la santé publique et les médecins employés dans les prisons528. Le second règlement garantit aux personnes privées de liberté un accès à l’infirmerie, aux consultations, aux traitements, aux soins préventifs, à la rééducation. Il appartient à la direction de l’établissement concerné de recourir aux services d’une entité, d’un médecin ou d’un dentiste extérieur529. Le 26 décembre 2014, le Tribunal constitutionnel a censuré l’article 115 § 7 du CEP qui prévoyait jusqu’alors que le détenu reçût des soins sous la surveillance d’un tiers530. 772 - À partir de 2011, un vaste plan de modernisation des équipements sanitaires des prisons a été en œuvre par le gouvernement. Les détenus sont désormais autorisés à prendre au minimum deux douches par semaine. Le règlement du ministre de la Justice du 28 janvier 2014 a revu à la hausse les exigences à respecter en matière d’habillement, de produits d’hygiène, d’installations utilisées pour les détenus. Ces récentes mesures améliorent l’équipement de tous les espaces de vie du détenu, de sa cellule jusqu’à l’infirmerie531. Depuis une directive du 528 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości i Ministra Zdrowia z dnia 9 maja 2012 r. w sprawie szczegółowych warunków, zakresu i trybu współdziałania podmiotów leczniczych z podmiotami leczniczymi dla osób pozbawionych wolności w zakładach karnych i aresztach śledczych w zapewnieniu świadczeń zdrowotnych osobom pozbawionym wolności [Règlement du ministre de la Justice et du ministre de la Santé du 9 mai 2012 sur les conditions détaillées, le champ et la procédure de coopération des institutions médicales avec les institutions médicales pour les personnes privées de leur liberté dans les prisons et les centre de détention en vue de leur fournir des prestations de santé], Dz. U., 2012, texte 547. 529 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 14 czerwca 2012 r. w sprawie udzielania świadczeń zdrowotnych przez podmioty lecznicze dla osób pozbawionych wolności [Règlement du ministre de la Justice du 14 juin 2012 sur la fourniture de soins par des entités médicales pour les personnes privées de liberté], Dz. U., 2012, texte 738. 530 TCP, n°K 22/10, 26 février 2004, OTK ZU, 2014, n°2A, texte 15. 531 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 28 stycznia 2014 r. w sprawie warunków bytowych osób osadzonych w zakładach karnych i aresztach śledczych [Règlement du ministre de la Justice du 28 janvier 2014 sur sur les conditions de vie des personnes emprisonnées dans les établissements carcéraux et les centres de détention], Dz. U., 2014, texte 200. 490 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » ministère de la Justice du 9 décembre 2014, le système hospitalier des prisons polonaises a connu une restructuration et une modernisation pour le rendre plus efficace. Ceci a conduit à rénover certaines unités médicales et à en fermer d’autres. Les prisons polonaises s’adaptent ces dernières années à l’accueil des personnes handicapées grâce aux travaux effectués (installation de rampes d’accès, de portes plus larges, d’un rêvetement anti-dérapant…). En 2014, sur 42 détenus en fauteuil roulant et 258 se déplaçant à l’aide de béquilles, seule une vingtaine aurait connu des difficultés pour accéder à certains espaces des prisons. Enfin, conformément à un ensemble de dispositions normatives, parmi lesquelles le règlement ministériel du 14 juin 2012 précité, les détenues enceintes sont transférées dans des hopitaux extérieurs aux prisons pour donner naissance à leur enfant532. 773 - Les autorités pénitentiaires ont l’obligation d’informer les détenus de leurs droits et devoirs, notamment de la possibilité de se plaindre des soins dont ils bénéficient533. Entre 2012 et 2014, l’ensemble des services des prison ont enregistré 22 259 plaintes dont 3 278 ont été considérées comme étant justifiées534. Les prisons sont engagées dans un ensemble de programmes qui convergent tous vers l’amélioration du quotidien des détenus. Le programme intitulé L’officier pénitentiaire sauve la vie se fonde sur des séances de formation du personnel des prisons pour développer leurs aptitudes et leur spécialisation. Il bénéficie d’un budget de 603 796 PLN. Dans le domaine de la santé, plusieurs établissements participent à la mise en œuvre de programmes nationaux anti-drogue (distribution de traitements à la méthadone), anti-alcool et anti-tabac, ou encore d’un programme du ministère de la Santé pour l’accès à un traitement antirétroviral pour les détenus atteints du VIH. Depuis 2008, les détenus peuvent s’adresser au Défenseur des droits du patient pour contester une décision médicale ou pour se plaindre d’un manque d’accès aux soins535. En 2014 par exemple, 358 requêtes portées par des détenus ont été traitées par le Défenseur. Les détenus se plaignaient en majorité du manque d’accès à certains spécialistes ou à du matériel orthopédique, parfois de mauvaises pratiques ou de mauvais comportements des médecins à leur égard. 532 Com. Min., Document DH-DD(2015)889 (bilan d’action mis à jour des autorités polonaises pour le groupe d’affaire Kaprykowski), 4 septembre 2015, préc. 533 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 13 sierpnia 2003 r. w sprawie sposobów załatwiania wniosków, skarg i próśb osób osadzonych w zakładach karnych i aresztach śledczych [Règlement du ministre de la Justice du 13 août 2003 sur les méthodes de résolution des motions, plaintes et requêtes des détenus des établissements carcéraux et des centres de détention], Dz. U., 2003, n°151, texte 1467, pp. 10248-10251. 534 Com. Min., Document DH-DD(2015)889 (bilan d’action mis à jour des autorités polonaises pour le groupe d’affaires Kaprykowski), préc. 535 Ustawa z dnia 6 listopada 2008 r. o prawach pacjenta i Rzeczniku Praw Pacjenta [Loi du 6 novembre 2008 sur les droits du patient et le Défenseur des droits du patient], Dz. U., 2008, n°52, texte 417, pp. 4662-4671. 491 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Dans l’attente de l’évaluation du Comité des ministres sur l’exécution du groupe d’affaires Kaprykowski, les autorités polonaises estiment qu’elles ont rempli leur devoir en améliorant l’accès à l’hygiène et à la santé des détenus. Mais les prisons connaissent d’autres zones d’ombre. L’arrêt Sławomir Musiał a attiré l’attention de la Cour sur les conditions générales de détentions en Pologne (exiguïté des cellules, surpopulation, manque d’activités…). D’autres arrêts sont venus par la suite confirmer ce diagnostic. 3) La surpopulation et les mauvaises conditions de détention Parmi les nombreuses violations des droits de l’homme dans les prisons polonaises, signalées par la CEDH ou d’autres institutions tel le CPT, celle produite en raison de l’espace individuel trop réduit (a) a été sans doute la plus difficile à prévenir. Les diverses mesures adoptées par l’État (nouvelle politique pénale, restructuration des prisons…) ne garantissent toujours pas le bon respect des standards européens (b). a) Deux arrêts quasi-pilotes de la CEDH pour alerter sur situation de surpopulation dans les prisons polonaises 774 - L’hypothèse d’une requête ayant franchi l’étape de la recevabilité sans donner lieu à la violation de l’article 3 pour de mauvaises conditions de détention est exceptionnelle536. Le plus fréquemment, lorsque la CEDH tranche en droit, elle condamne la Pologne. Dans l’affaire Sławomir Musiał précédemment évoquée, le requérant dénonçait les mauvaises conditions d’incarcération auxquelles il avait dû faire face durant l’ensemble de sa détention, expliquant que sa cellule de 6,7 m² était infestée de punaises, de cafards et de champignons et qu’il devait supporter la fumée émise par les cigarettes de ses codétenus. En outre, les draps et les serviettes n’étaient pas nettoyés convenablement, les détenus devaient se laver à l’eau froide, n’avaient pas la télévision, ne recevaient aucune information relative aux activités sociales de la prison. Le requérant se plaignait enfin du comportement des employés du centre, enclins selon lui à infliger des punitions sans raison, à mettre en désordre les cellules à l’occasion de recherches fréquentes et injustifiées, à déshabiller les prisonniers et à les priver de sommeil. La Cour n’a cependant pas distingué cette problématique du grief central de la requête pour lequel elle reconnut la violation de l’article 3 : l’absence de soins adéquats537. 536 Voir CEDH, Rogala c. Pologne, n°40176/08, 18 janvier 2011 : la Cour n’a pas jugé contraire à l’article 3 le port d’entraves imposé au requérant, par mesure de sécurité, lors de ses extractions de prison. 537 CEDH, Sławomir Musiał c. Pologne, préc. 492 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 775 - L’arrêt Norbert Sikorski du 22 octobre 2009 a été l’occasion déterminante, pour la CEDH, de dépeindre en détails les conditions de vie des détenus des établissements pénitentiaires polonais et de déceler un nouveau problème systémique propice aux violations massives de l’article 3. En l’espèce, le requérant avait déposé une plainte devant la CEDH le 4 mai 2005 à l’issue de quatre ans et demi de détention (provisoire puis punitive), effectuée dans quatre établissements pénitentiaires polonais différents : Poznań, Goleniów, Koszalin et Czarne. Norbert Sikorski estimait avoir subi un traitement inhumain ou dégradant incompatible avec les prescriptions de l’article 3 de la Conv. EDH. Il dénonçait tout d’abord la surpopulation carcérale et ses conséquences en termes d’espace disponible pour chaque prisonnier en cellule, quelle que soit la prison visitée538. De plus, il estimait que la promiscuité et les conditions d’hygiène dans les cellules (comportement parfois violent des codétenus, mauvaise aération, mauvaises odeurs venant des toilettes insuffisamment séparées du reste de la pièce, absence de mesures particulières en cas de chaleur caniculaire etc.) avaient rendu plus difficile encore sa vie quotidienne en détention. La brièveté du temps de promenade dans certains établissements fréquentés et l’insuffisance de l’équipement pour les activités socioculturelles contribuaient, selon lui, au développement de comportements pathologiques chez les détenus. Equipées de matériel de sport vétuste et non conforme aux normes en vigueur, certaines salles de détente n’offraient aucune possibilité d’activité culturelle. Le requérant avait, à plusieurs reprises, tenté d’alerter les autorités polonaises, notamment le juge d’application des peines, sur ses conditions d’incarcération et intenté plusieurs recours contentieux, sans succès539. 776 - Le gouvernement a admis que la surpopulation carcérale dans les centres de détention avait contraint les autorités à déroger à la superficie minimale de 3 m² par prisonnier imposée par la loi interne, avec un seuil critique atteint au cours de l’année 2006. La Cour a ainsi retenu la violation de l’article 3 de la Conv. EDH par la Pologne dans cette affaire Norbert Sikorski sur le fondement des allégations du requérant et à titre principal des conditions inhumaines et dégradantes résultant de la surpopulation carcérale540. Bien qu’il s’agît de la toute première condamnation de cet État pour de tels motifs, la Cour a invoqué l’article 46 de la Conv. EDH et révélé qu’à l’heure du jugement 95 requêtes pendantes concernaient des faits 538 L’article 248 du CEP de 1997 prévoyait bien une exception à la superficie minimale de 3 m² lorsque les conditions de l’établissement pénitentiaire le justifiaient. Le requérant rapporta à la Cour qu’il avait été contraint de vivre dans un espace personnel de 2,32 m² à Poznań, de 2,06 à 2,72 m² à Goleniów, de 2,32 m² à Koszalin et de 2,25 m² à Czarne. 539 CEDH, Norbert Sikorski, préc., §§ 8-43. 540 Ibidem, §§ 99-141. 493 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME similaires. Il s’agissait donc d’un phénomène d’ampleur tenant tant à la législation nationale qu’à son application541. 777 - L’arrêt Orchowski, rendu le même jour, confirme et renforce la jurisprudence Norbert Sikorski sans apport spécifique. Le fond de l’affaire portait à titre principal sur les conséquences pour le requérant de la surpopulation dans les prisons polonaises. Les problèmes relatifs à l’hygiène et au temps trop bref passé en dehors de la cellule n’entrèrent qu’indirectement en considération. Au cours de sa détention, le requérant avait dû subir de très fréquents changements de cellule en raison des flux de détenus à gérer. Conséquence du problème général de la surpopulation carcérale, le requérant a dû partager des cellules avec de nombreux codétenus et l’espace individuel à sa disposition avait dès lors oscillé entre 1,7 et 3,5 m² seulement542. 778 - Ces deux arrêts Norbert Sikorski et Orchowski ont permis à la CEDH d’observer l’état de la législation polonaise à la fin des années 2000 et de relever le dynamisme des principaux acteurs de l’État (administration, législateur, juge ordinaire ou constitutionnel) pour y remédier. Bien qu’il demeure une incertitude sur leur nature, ils ont été qualifiés d’arrêts pilotes par la Cour dans une jurisprudence de 2013543. Concernant les sources des violations et notamment le fait que des détenus aient été contraints de vivre dans un espace personnel inférieur à 2 m², la cause est à rechercher dans un acte règlementaire. Le gouvernement avait abrogé un règlement du 26 octobre 2000544, substituée par un nouveau texte du 26 août 2003. Entré en vigueur le 1er septembre 2003545, ce dernier dispose qu’en cas de dépassement de la 541 Ibid., §§ 145-161. 542 CEDH, Orchowski c. Pologne, n°17885/04, 22 octobre 2009, §§ 5-85. 543 La Cour n’a pas suspendu explicitement l’examen des requêtes similaires en l’attente d’une réforme nationale permettant de remédier au problème systémique identifié. La décision Łatak les évoque néanmoins comme deux arrêts pilotes (CEDH, Łatak c. Pologne (déc.), n°52070/08, 12 octobre 2010 ; voir également CEDH, Olszewski c. Pologne, n°21880/03, 2 avril 2013, § 77 et CEDH, Grzywaczewski c. Pologne, préc., § 78). « Nous pensions que l’arrêt Orchowski n’était pas un arrêt pilote… jusqu’à ce qu’on lise la décision Łatak ! Cependant, arrêt pilote ou pas, cela ne change rien en termes de mesures que le gouvernement devrait adopter », affirme Zoe Bryanston-Cross, responsable de section au service de l’exécution des arrêts du Comité des ministres (Entretien avec Szymon Janczarek et Zoe Bryanston-Cross, Strasbourg, 24 avril 2014). 544 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 26 października 2000 r. w sprawie zasad i trybu postępowania właściwych organów w wypadku, gdy liczba osadzonych w zakładach karnych lub aresztach śledczych przekroczy w skali kraju ogólną pojemność tych zakładów [Règlement du ministre de la Justice du 26 octobre 2000 sur les principe et procédures à suivre par les autorités compétentes lorsque le nombre de personnes détenues en prison et en centre de détention provisoire excède à l’échelle nationale les capacités de ces établissements], Dz. U., 2000, n°97, texte 1060, pp. 5562-5563. 545 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 26 sierpnia 2003 r. w sprawie trybu postępowania właściwych organów w wypadku, gdy liczba osadzonych w zakładach karnych lub aresztach śledczych przekroczy w skali kraju ogólną pojemność tych zakładów [Règlement du ministre de la Justice du 26 août 2003 sur les procédures à suivre par les autorités compétentes lorsque le nombre de personnes détenues en prison et en centre 494 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » capacité d’accueil des établissements, le directeur général des services de prison informe dans un délai de sept jours le ministre de la Justice, les directeurs régionaux des services de prison et les chefs d’établissements (§ 1.1 du règlement). Les directeurs régionaux et les chefs d’établissements, le cas échéant, ont le devoir dans leurs sphères de compétences respectives de prendre les mesures pour rendre habitable des locaux qui n’étaient pas à l’origine destinés à l’habitation (§ 2 du règlement). Mais surtout, il est prévu qu’« au cas où le nombre de places obtenues après le réaménagement des cellules s’avérerait insuffisant, des détenus pourront être placés dans des cellules où ils disposent de mois de 3 m² par personne »546. 779 - Entre 2011 et 2015, d’autres affaires jugées par la CEDH finissent de convaincre de l’ampleur du problème des conditions de détention et de la surpopulation carcérale en Pologne547. Parmi celles-ci, encore faut-il mettre à part l’affaire M. C., jugée en 2015, qui a entraîné une double condamnation de l’article 3 de la Convention (branches procédurale et matérielle) en raison de l’inaction de l’administration face aux mauvais traitements subis par le requérant, souffre-douleur de ses codétenus (tentative de viol, humiliations)548. b) Des prisons toujours trop peuplées malgré l’amélioration des conditions générales de détention 780 - La surpopulation des lieux de détention, fléau qui affecte de nos jours un certain nombre d’États démocratiques (dont la France549 et l’Italie550), ne serait apparue en Pologne qu’à une de détention provisoire excède à l’échelle nationale les capacités de ces établissements], Dz. U., 2003, n°152, texte 1497, pp. 10357-10358. 546 CEDH, Orchowski c. Pologne, préc., § 76. 547 Dans l’arrêt Bystrowski, le gouvernement a reconnu la violation de la Convention par une déclaration unilatérale validée par la Cour (CEDH, Bystrowski c. Pologne, n°15476/02, 13 septembre 2011). La CEDH a retenu la violation de l’article 3 en raison de la suropulation carcérale et de la réduction de l’espace individuel dans les affaires CEDH, Mirosław Zieliński c. Pologne, n°3390/05, 20 septembre 2011 ; CEDH, Grzywaczewski c. Pologne, préc. ; CEDH, Olszewski c. Pologne, n°21880/03, 2 avril 2013 ; CEDH, Karabin c. Pologne, n°29254/06, 7 janvier 2014 ; CEDH, Ślusarczyk c. Pologne, n°23465/04, 28 octobre 2014. Dans l’arrêt Grzywaczewski, outre une violation de l’article 3 pour le manque de soins à disposition du requérant, la Cour a infligé une seconde violation du même texte en raison de la surpopulation carcérale qui atteignit jusqu’à 145 % en l’espèce). 548 CEDH, M. C. c. Pologne, n°23692/09, 3 mars 2015. Les poursuites engagées en 2009 par le requérant contre la négligence des autorités ont été abandonnées par le procureur. À l’issue d’une procédure en responsabilité civile, il n’obtint qu’une indemnisation modique. La CEDH alloua au requérant 14 250 EUR de satisfaction équitable pour le préjudice moral subi. 549 Voir par ex. le Mémorandum du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe après sa visite en France du 21 au 23 mai 2008, CommDH(2008)34, 20 novembre 2008, §§ 32-43, pp. 9-10. 550 Un arrêt pilote concernant la surpopulation carcérale en Italie a été rendu par la CEDH dans l’affaire Torreggiani et autres c. Italie, n°43517/09 (et 5 autres requêtes), 8 janvier 2013. Lire à ce sujet Franck LAFFAILLE, « L’Italie condamnée par la Cour EDH en raison de sa surpopulation carcérale – À propos d’un ‘‘arrêt pilote’’ », JCP G, n°11, 11 mars 2013, pp. 553-557. 495 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME date récente, en septembre 2000551. Conscientes de « la nature systémique du problème de la surpopulation carcérale dans les établissements polonais »552, les autorités ont promptement réagi, poussées par l’afflux de requêtes individuelles à Strasbourg et l’adoption des deux arrêts quasi-pilotes Orchowski et Norbert Sikorski553. La Pologne, ainsi que la Bulgarie, la Modalvie, la Roumanie, la Russie et l’Ukraine, ont bénéficié de l’action du Fonds fiduciaire « droits de l’homme » dans le cadre d’un projet de 800 000 EUR visant à aider ces États pour améliorer les normes relatives aux conditions de détention et à la détention provisoire554. 781 - En 2008, le Tribunal Constitutionnel, saisi par un détenu, a été invité à prendre position sur la constitutionnalité de dispositions de l’article 248 § 1 CEP. À l’époque, l’article était ainsi libellé : « Dans [d]es cas jugés particulièrement justifiés, le directeur d’un établissement pénitentiaire peut décider que, pendant une période déterminée, les détenus disposeront dans leur cellule de moins de 3 m² par personne, et en informera le juge d’application des peines compétent ». Ces dispositions rendaient en effet possible, sans même l’encadrer par un délai maximal, l’incarcération de détenus dans des cellules dont la surface était inférieure à la norme légale, ainsi que les affaires Sławomir Musiał, Norbert Sikorski et Orchowski le démontrèrent. L’auteur de la saisine motivait son recours sur le fondement des articles 2, 31 alinéa 3 et 40 de la Constitution555. Dans son jugement du 26 mai 2008556, le Tribunal a confirmé que les dispositions attaquées avaient permis aux autorités d’incarcérer durablement des détenus dans des cellules où leur espace individuel était inférieur aux 3 m² légaux, dans un contexte global de surpopulation chronique. Et s’il a bien procédé à un contrôle de constitutionnalité pour censurer les dispositions attaquées (selon lui contraires aux articles 2, 40 et 41 551 CEDH, Orchowski c. Pologne, préc., § 89. 552 Ibidem, § 117. 553 Juriste à la CEDH et en charge du suivi de l’affaire Orchowski, Natalia Kobalarz a souligné début 2011 la bonne volonté du gouvernement et la coopération aisée avec l’administration de la Cour (transfert du requérant vers un autre établissement, rencontres organisées à Varsovie, demande adressée au Trésor public de suspendre la prescription dans les procédures d’indemnisation pour de mauvaises conditions de détention). Toutefois des divergences sont apparues quant au mode de calcul de la surface individuelle accordée dans les cellules à chaque détenu (Entretien avec Natalia Kobalarz, Strasbourg, 23 avril 2014). 554 Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (2011) », RTDH, n°92, 2012, pp. 870-871. 555 L’art. 2 dispose : « La République de Pologne est un État démocratique de droit mettant en œuvre les principes de la justice sociale » ; l’art. 31, al. 3 : « L’exercice des libertés et des droits constitutionnels ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi lorsqu’elles sont nécessaires, dans un État démocratique, à la sécurité ou à l’ordre public, à la protection de l’environnement, de la santé et de la moralité publiques ou des libertés et des droits d’autrui. Ces restrictions ne peuvent porter atteinte à l’essence des libertés et des droits » ; l’art. 40 : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements ou des peines cruels, inhumains ou dégradants. Il est interdit d’infliger des peines corporelles » 556 TCP, n°SK 25/07, 26 mai 2008, OTK ZU, 2008, n°4A, texte 62. 496 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » al. 4557 de la norme suprême polonaise), il s’est explicitement référé à l’article 3 de la Conv. EDH, considérant qu’en procédant à l’interprétation du contenu de la Constitution, il avait recours « tant au contenu matériel de l’article 3 de la Convention qu’à l’acquis communautaire constitué sur le fondement de la Convention »558. Pour le Tribunal constitutionnel, la surpopulation carcérale – en raison principalement de la promiscuité, du développement des attitudes agressives entre détenus – peut être en elle-même qualifiée de traitement inhumain et dégradant, voire de torture lorsqu’elle est combinée avec d’autres facteurs. Puisque la réduction de l’espace vital des détenues ne pouvait être une réponse convaincante au problème de la surpopulation, le Tribunal a invité le législateur à adopter les mesures organisationnelles capables d’éradiquer la surpopulation carcérale, ajoutant qu’il serait souhaitable « de procéder à la révision de la politique pénale en vue d’une application plus généralisée d’autres mesures punitives non privatives de liberté »559. 782 - Comme il était attendu et nécessaire, le législateur a remplacé les dispositions censurées par le Tribunal constitutionnel par l’amendement au CEP du 9 octobre 2009560. Ce texte a introduit des règles plus détaillées sur les conditions de réduction de l’espace individuel des détenus en dessous de 3 m². L’article 110 du CEP modifié prévoit, dans son § 2a, qu’un détenu ne peut se voir imposer la réduction de son espace individuel en deçà de 3 m² que pour une durée de 90 jours, toutefois susceptible d’être prolongée, selon le § 2b, pour 14 jours supplémentaires. L’espace mis à sa disposition ne doit être en aucun cas inférieur à 2 m². Seuls peuvent être concernés par cette mesure les prisonniers purgeant une peine de plus de deux ans, les récidivistes, les personnes condamnées pour des infractions sexuelles ou contre la morale publique. L’éventuelle prorogation de ce délai ne peut excéder un total de 28 jours et doit être approuvée par un juge d’application des peines (§ 2c). Toute détention dans une cellule inférieure à 3 m² résulte désormais d’une décision précisant obligatoirement la durée de ce placement et les raisons qui le justifient (§ 2e). La décision peut faire l’objet d’un recours judiciaire (§ 2f). Le législateur a souhaité également assurer que les conditions de détention demeurent supportables, malgré la réduction de l’espace individuel, en rendant obligatoires des promenades quotidiennes plus longues d’une demi-heure que les promenades ordinaires et en ouvrant la possibilité de proposer au détenu concerné des activités culturelles, éducatives ou 557 Lequel dispose : « Toute personne privée de liberté doit être traitée avec humanité ». 558 TCP, n°SK 25/07, préc., partie III, § 6.7. 559 Ibidem, partie III, § 9. 560 Ustawa z dnia 9 października 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny wykonawczy [Loi du 9 octobre 2009 modifiant le Code d’exécution des peines], Dz. U., 2009, n°190, texte 1475, pp. 14233-14234. 497 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME sportives supplémentaires (§ 2h). Un détenu ayant fait l’objet d’un emprisonnement dans une cellule de superficie inférieure à 3 m² ne pourra pas subir un autre placement dans les mêmes conditions avant l’expiration d’un délai de 180 jours (§ 2i)561. Enfin, la loi de 2009 habilite le ministre de la Justice à adopter par ordonnance les règles que devront suivre les autorités pénitentiaires dans les situations où le nombre de détenus à l’échelle nationale dépassera la capacité des prisons et des centres de détention. Les mesures attendues ont effectivement été prises par le règlement du 25 novembre 2009 qui est entrée en vigueur le 6 décembre de la même année562. 783 - Dès le 26 février 2006, le gouvernement avait adopté un programme visant à créer en trois ans un supplément de 17 000 places au sein des établissements pénitentiaires, pour un coût total de 1 695,9 millions de PLN environ563. Au total, seules 1 319 nouvelles places ont été créées entre 2006 et 2010564. De plus, deux autres initiatives majeures visaient à réduire la surpopulation carcérale, en libérant des places à court terme. La première d’entre elles s’attachait à favoriser le développement des peines alternatives, notamment le contrôle électronique. Elle a conduit à l’adoption de la loi du 7 septembre 2007565. La loi de 2007 tendait à la généralisation du placement sous surveillance électronique de détenus condamnés à des peines de courte durée. Une seconde initiative du gouvernement visait à permettre aux détenus de purger une partie de leur peine (les week-ends) à l’extérieur des établissements pénitentiaires. 784 - Le nombre de condamnés susceptibles de sortir de prison pour effectuer leur peine sous une autre forme a été multiplié par quatre entre 2009 et 2012, selon le rapport du Comité des droits de l’homme des Nations-Unies (CDH) du 8 mars 2012566. Il faut ajouter que la loi du 561 Ibidem, § 43. 562 Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 25 listopada 2009 r. w sprawie trybu postępowania właściwych organów w wypadku, gdy liczba osadzonych w zakładach karnych lub aresztach śledczych przekroczy w skali kraju ogólną pojemność tych zakładów [Règlement du ministre de la Justice du 25 novembre 2009 sur les procédures à suivre par les autorités compétentes lorsque le nombre de personnes détenues en prison et en centre de détention provisoire excède à l’échelle nationale les capacités de ces établissements], Dz. U., 2009, n°202, texte 1564, pp. 14948-14949. 563 CEDH, Norbert Sikorski c. Pologne, préc., § 93. 564 Com. Min., Document DH-DD(2014)950 (bilan d’action des autorités polonaises dans le groupe d’affaires Orchowski), 11 août 2014. 565 Ustawa z dnia 7 września 2007 r. o wykonywaniu kary pozbawienia wolności poza zakładem karnym w systemie dozoru elektronicznego [Loi du 7 septembre 2007 sur l’exécution des peines d’emprisonnement à l’extérieur sous surveillance électronique], Dz. U., 2007, n°191, texte 1366, pp. 13403-13414. Cette loi a été abrogée le 1er juillet 2015. 566 HCDH, Rapport national soumis conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du CSDH, A/HRC/WG.6/13/POL/1, 8 mars 2012, §§ 18-20, p. 5. 498 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 27 septembre 2013 modifiant le CPP567, entrée en vigueur le 1er juillet 2015 a modifié le régime de la suspension conditionnelle de peine. L’article 75 § 1 prévoyait jusqu’alors que la personne coupable d’une infraction similaire à celle à laquelle elle avait déjà été condamnée avec sursis se voyait automatiquement infliger par la cour la peine suspendue. Chaque année, environ 40 000 personnes condamnées initialement avec sursis finissaient par purger une peine de prison ferme568. Le législateur a choisi de n’appliquer la suspension qu’aux peine allant jusqu’à un an de prison, ce qui pourrait produire des conséquences négatives sur le nombre de détenus. Toutefois, cette évolution est compensée par l’élargissement de l’application de la peine de restriction de liberté. Conformement au nouvel artile 34-1, a), du CP, la restriction de liberté correspond aux mesures suivantes : travaux d’intérêt général, assignation à résidence sous surveillance électronique, versement d’une partie de son salaire à des œuvres caritatives, autres peines probatoires (exemples : interdiction de consommer de l’alcool, interdiction d’être en contact avec la victime…)569. 785 - Dans son Mémorandum de juin 2007, le Commiss. DH a relevé que la surpopulation carcérale en Pologne s’établissait alors à 123 % dans le meilleur des cas, tandis que la Fondation d’Helsinki estimait que le chiffre était, dans les faits, plus important570. Techniquement la surpopulation des prisons et centres de détention a pris fin au cours de l’année 2010. Par un communiqué en date du 5 juillet, la direction centrale des prisons a fait savoir que le taux d’occupation moyen des prisons et centres de détention n’était plus que de 98,4 %. Dans un second communiqué daté du 6 septembre, ce taux s’établissait à seulement 97,4 %571. Responsable du suivi des arrêts de la CEDH au sein du département « droits de l’homme » du ministère de la Justice, Szymon Janczarek reconnaissait à l’automne 2011 que des progrès avaient été réalisés et que les conditions de détentions s’étaient nettement améliorées au début de la décennie, bien que des difficultés subsistaissent de manière ponctuelles572. Ces progrès étaient aussi soulignés à la même époque par Maciej Bernatt, juge assistant au Tribunal constitutionnel, qui admettait pourtant que les standards de détention restaient un gros problème 567 Ustawa z dnia 27 września 2013 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2013, texte 1247. 568 Celina NOWAK, « Actualité du droit pénal polonais 2014-2015 », RSC, n°3, 2015, p. 781. 569 Ibidem, p. 782. 570 Commiss. DH, Mémorandum au Gouvernement Polonais, Comm.EDH(2007)13, 20 juin 2007, §§ 31-33, p. 7. 571 CEDH, Łatak c. Pologne (déc.), préc., §§ 56-57. 572 Entretien avec Szymon Janczarek, Varsovie, 22 novembre 2011. 499 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME pour le pays573. En 2013, les établissements de détention n’étaient plus remplis qu’à 96,4 % de leur capacité574. Il apparait donc que la population carcérale a connu une diminution sensible575 en Pologne sous l’effet des diverses mesures adoptées par les autorités576. Ces résultats sont notamment à mettre sur le compte des places créées dans les prisons. 786 - Des avancées sont à relever en matière d’indemnisation des victimes de mauvaises conditions de détention. Dans un arrêt du 28 février 2007577, la chambre civile de la Cour suprême de Pologne a admis, sur le fondement des articles 24 et 448 du CC, qu’un détenu pouvait déposer une plainte pour rechercher la responsabilité civile de l’État et obtenir du Trésor public une réparation pour la violation des droits individuels en détention. Au regard du contexte de la surpopulation carcérale et des mauvaises conditions de vie dans les prisons, cette décision visait particulièrement l’atteinte au droit à la dignité des personnes et à leur intimité578. Dans cet arrêt rendu en considération d’une requête émanant d’un détenu débouté par les juridictions civiles inférieures de sa demande d’indemnisation au titre de préjudice subi du fait d’une incarcération dans un contexte de surpopulation carcérale, la Cour suprême a posé le principe selon lequel des conditions de détention inadéquates pouvaient constituer un traitement dégradant susceptible de porter atteinte à la dignité d’un détenu. Cet arrêt du 28 février 2007 venait en fait confirmer ce que des juridictions subalternes avaient déjà commencé à mettre en œuvre dans plusieurs décisions de 2006, notamment la cour d’appel de Varsovie dans un arrêt du 27 juillet 2006, la cour régionale de Kielce dans un arrêt du 26 octobre 2006 573 Entretien avec Maciej Bernatt, Varsovie, 18 novembre 2011. 574 CAT, Observations finales..., préc., § 19, p. 7. 575 Il faut néanmoins noter que le CAT ne partage pas cet enthousiasme et relativise grandement le taux en apparences satisfaisant d’occupation des établissements de détention, puisqu’il semblerait que 40 000 condamnés fussent dans l’attente de l’exécution de leur peine et que 12 000 prisonniers dussent être extradés depuis d’autres États de l’Union européenne. Et le CAT de conclure dès lors que « le problème de surpopulation carcérale n’a pas encore été réglé » (CAT, Observations…, préc., § 19, p. 7). La Fondation d’Helsinki partage cette inquiétude, citant dans un communiqué du 17 juillet 2013 des statistiques du service des prisons signalant que le taux d’occupation était remonté à 98,1 % dans les prisons et centres de détention au niveau national, dépassant même 110 % dans certains établissements (« Polish prisons still struggling with overcrowding », 17 juillet 2013, <http://humanrightshouse.org/Articles/19519.html>). 576 En 2013 par exemple, la CEDH a jugé que le requérant n’avait pas subi de traitement contraire à l’article 3 de la Conv. EDH en étant contraint de vivre dans un espace personnel inférieur à 3 m² dans la mesure où cette situation n’avait duré que 8 jours au total (CEDH, Kurkowski c. Pologne, n°36228/06, 9 avril 2013). Dans la dernière affaire en date évoquant les conditions de detention, elle a considéré que la situation décrite par le requérant (problèmes de ventilation, cloison trop fine des toilettes, infiltrations sous les fenêtres…) n’atteignait pas le seuil du traitement inhumain ou degradant prohibé par l’article 3 de la Conv. EDH. Néanmoins, elle a reconnu que le manqué d’intimité resultant de la conception des sanitaires à la prison de Wronki portait atteinte à son droit à l’intimité, découlant des stipulations de l’article 8 du même texte (CEDH, Szafrański c. Pologne, n°17249/12, 15 décembre 2015). 577 CSP, n°V CSK 431/06, 28 février 2007, ONS, 2008, n°1, texte 13. 578 CEDH, Łatak c. Pologne (déc.), préc., § 39. 500 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » et la cour d’appel de Łódź dans un arrêt du 8 septembre 2006579. La haute juridiction civile ne pouvait ignorer l’afflux de plaintes devant les cours nationales et devant la CEDH concernant les conditions de vie des détenus : elle se référa dans son arrêt à la jurisprudence générale de la CEDH et mentionna la décision de recevabilité rendue pour une affaire contre la Pologne580. Selon les données fournies à la CEDH par le gouvernement, plusieurs arrêts rendus entre 2005 et 2009 par différentes cours d’appel (Poznań, Gdansk, Szczecin, Słupsk, Łódź, etc.) ont accordé une indemnisation pour des atteintes à la santé résultant de séjours en compagnie de codétenus fumeurs, sans que les requérants n’eussent à faire la démonstration d’un dommage matériel (le préjudice moral est donc suffisant)581. 787 - De 2008 à 2015, la Pologne a mis en œuvre une politique de rénovation générale des centres pénitentiaires pour améliorer les conditions de vie en ces lieux. Ce sont au total 4 353 quartiers d’habitation qui ont bénéficié de ce plan de rénovation582. Les conditions d’exécution des peines d’emprisonnement elles-mêmes et surtout les mesures de réduction de l’espace habitable pour chaque détenu furent concernées. Dans certains établissements particulièrement touchés par des conditions déplorables de vie, la Pologne a concentré ses efforts pour améliorer tant la situation matérielle que le droit aux activités des détenus. Pragmatique, le gouvernement s’est particulièrement intéressé à la situation des établissements les plus problématiques du pays : le centre de détention de Poznań et les prisons de Racibórz et de Rawicz. Tous trois avaient suscité l’inquiétude particulière du CPT583 et avaient d’ailleurs pu été mis en cause dans des affaires portées devant la CEDH584. L’État a piloté la rénovation de ces établissements afin d’améliorer les conditions de vie des détenus. Les efforts ont porté, tout d’abord sur la commodité des cellules585. Améliorer la vie en prison passe par 579 CEDH, Norbert Sikorski c. Pologne, préc., § 72. 580 CEDH, Olszewski c. Pologne (déc), n°55264/00, 13 novembre 2003. 581 CEDH, Łatak c. Pologne (déc.), préc., §§ 47-48 et § 52. 582 HCDH, Rapport national…, préc., § 21, p. 5. 583 CPT, Report to the Polish government..., préc. §§ 95-107, pp. 40-43. 584 Pour ce qui concerne par exemple le centre de détention de Poznań, les requérants des affaires Kaprykowski et Norbert Sikorski y avaient séjourné. 585 Au début des années 2010, des travaux ont été effectués au centre de détention de Poznań dans les pièces d’eaux de l’un des bâtiments (A) et le remplacement des installations électriques insuffisantes a été assuré dans deux des bâtiments (A et C). Dans le bâtiment A, le sol a été refait. Des fenêtres PVC sont venues remplacer les vieux cadres boisés et les vitrages ont été renforcés. De tels travaux étaient plus difficilement envisageables à Racibórz, la prison étant classée au registre des monuments, ce qui contraint les autorités à obtenir l’accord du conservateur pour tout changement, y compris des fenêtres. Dans la prison de Rawicz, le remplacement des sanitaires a été effectué dans le bâtiment A et des séparations murales ont été posées dans les toilettes du bâtiment C. L’accès aux douches demeure néanmoins fort limité puisque le droit polonais impose une douche par semaine pour les hommes, deux pour les femmes. Augmenter la fréquence des douches des détenus, comme l’y 501 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’enrichissement des activités proposées. À Poznań, neuf clubs de jour sont ouverts et peuvent recevoir la visite des détenus entre 9 et 10 heures. La direction du centre a mis au point un planning des activités permettant un roulement, afin que le plus de détenus possibles en bénéficient. Ces clubs proposent des activités sportives ou ludiques. En complément, le centre assure un programme dont le contenu culturel et éducatif vise à la réadaptation du détenu586. Le centre pénitentiaire de Racibórz propose de son côté des événements pour divertir les détenus et une douzaine de programmes de réinsertion. Les détenus peuvent emprunter des ouvrages de la bibliothèque dans un quartier semi-ouvert587. Enfin, les trois établissements-tests doivent assurer à leurs détenus un accès effectif à la promenade et aux activités physiques. À la prison de Racibórz des activités sportives hors de celles proposées par les clubs précédemment évoqués ont lieu chaque après-midi. À Rawicz, la piste de promenade et le terrain de football sont accessibles quotidiennement. Des plannings permettent à tous les détenus de participer aux activités sportives durant les week-ends588. 788 - À la fin de l’année 2013, le Comité des Nations Unies contre la Torture (CAT) n’a pas été convaincu par l’ensemble des mesures prises par la Pologne., il a déploré dans un rapport que la législation nationale fixât à 3 m² la surface individuelle minimale à disposition des détenus alors que les normes européennes, plus contraignantes, établissaient cette surface à 4 m². Le CAT a par conséquent intimé à la Pologne de procéder à des travaux d’agrandissement des établissements pénitentiaire en vue de permettre aux détenus de bénéficier d’un espace vital individuel de 4 m²589. Un problème d’une autre nature a attiré l’attention du CAT dans le même rapport : l’insuffisance de protection des détenus et le maintien d’un niveau préoccupant de violence entre eux. De plus, la jurisprudence interne ne fait pas état d’indemnisations accordées par le juge civil en réparation des violences subies par des détenus en raison des carences de sécurité. Il appartient à la Pologne d’accorder un espace vital par détenu de 4 m², au lieu de 3 m² actuellement, conformément à ce que préconise le CPT lui-même. Un dernier aspect spéciencourage le CPT, nécessitera pour la Pologne d’entreprendre à l’avenir des travaux supplémentaires (développement des installations d’eau chaude, pose de nouvelles douches…) (CPT, Response of the Polish government to the report of the CPT on its visit to Poland, CPT/Inf(2011)21, 12 juillet 2011, pp. 52-55). 586 Par ex., des séquences de cours sur la lutte contre la violence et l’addiction aux drogues ou à l’alcool sont proposées. Le programme est adaptable en fonction du profil du détenu, notamment de ses dispositions physiques et psychologiques. 587 Ibid., pp. 56-57. 588 Ibid., p. 56. 589 CAT, Observations…, préc., § 19, p. 7. 502 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » fique de la détention a posé une question de conformité avec la Convention : l’application du statut du prisonnier dangereux. 4) L’application mal encadrée du statut de détenu dangereux Prévu à l’article 212a du CEP, le statut de « détenu dangereux » est à l’origine de plusieurs condamnations de la Pologne au titre de l’article 3 de la Conv. EDH entre 2012 et 2016 (a). La réaction des autorités pour modifier les pratiques et revoir le cadre législatif a été exemplaire (b). a) Les pratiques et le manque de contrôle du statut de détenu dangereux contraire à l’article 3 de la Convention 789 - Le régime spécial de « détenu dangereux » – également nommé « Statut N » – est appliqué aux détenus dont le comportement suscite la méfiance des autorités pénitentiaires, qu’ils soient privés provisoirement de leur liberté ou qu’ils purgent une peine de privation de liberté. Il trouve son fondement juridique à l’article 212a du CEP590. Évoqué pour la première fois dans l’arrêt Ratusznik, son application ne put alors être examinée par la CEDH en raison de l’irrecevabilité du moyen fondé sur l’article 3 de la Conv. EDH591. En 2010, la Cour a jugé manifestement mal fondées les allégations de mauvais traitements résultants de l’application de ce statut de détenu dangereux au requérant de l’affaire Pińkowski592. 790 - Par la suite, le « statut N » a été entraîné plusieurs condamnations de la Pologne dans une série d’affaires ouverte par les arrêts Piechowicz et Horych du 17 avril 2012 et toujours en cours593. Les détenus placés sous « statut N », en raison de leur dangerosité supposée, 590 Cet article disposait jusqu’en 2013 : « § 1. La commission pénitentiaire doit catégoriser un détenu présentant un sérieux danger pour la société ou pour la sécurité du centre de détention. Elle doit contrôler cette décision au moins une fois tous les trois mois. L’autorité en charge de la détention et le juge pénitentiaire sont informés des décisions prises. / § 2. Le détenu, mentionné au paragraphe 1, doit être placé dans une partie du centre de détention ou dans une cellule conditionnée pour assurer une protection accrue de la société et de la sécurité du centre de détention. Le juge pénitentiaire est informé de ce placement. § 3. Un détenu qui est suspecté d’avoir commis une infraction en bande organisée ou au sein d’une organisation qui projetait d’en commettre doit être placé en centre de détention dans des conditions assurant la protection accrue de la société et la sécurité du centre de détention, sauf si des circonsances particulières militent contre un tel placement » (Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. – Kodeks karny wykonawczy [Loi du 6 juin 1997 – Code d’exécution des peines], Dz. U., 1997, n°90, texte 557, pp. 2797-2828). 591 CEDH, Ratusznik c. Pologne, n°28492/04, 6 novembre 2007 (irrecevabilité ratione temporis en raison du dépassement du délai de recours devant la Cour). Il en fut de même l’année suivante lors de l’examen de l’affaire CEDH, Marchowski c. Pologne, n°10273/02, 8 juillet 2008. 592 CEDH, Pińkowski c. Pologne, n°16579/03, 23 février 2010. Le moyen fut rejeté faute d’éléments factuels fournis par le requérant sur le traiment subi sous l’empire de ce statut. 593 CEDH, Piechowicz c. Pologne, 17 avril 2012 ; CEDH, Horych c. Pologne, 17 avril 2012 ; CEDH, Głowacki 503 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME avaient été soumis des mois voire des années durant à l’isolement, sans activité physique ni intellectuelle. De même, l’accumulation de la surveillance vidéo permanente, de l’imposition des menottes aux mains comme aux pieds à la sortie de la cellule, de l’isolement, de la limitation drastique du droit de visite (notamment dans les affaires Horych et Piechowicz, où la CEDH sanctionna aussi la violation de l’article 8 de la Conv. EDH), des fouilles intégrales et d’autres mesures réduisaient encore leur liberté personnelle, ce qui constituait de l’avis de la Cour un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. 791 - La CEDH a déploré, dans ces arrêts, que la législation en l’état permît une application trop fréquente et mal contrôlée du régime du détenu dangereux, d’autant plus que l’article 212a § 3 permettait la levée de la mesure dans des « circonstances particulières » qui ne reposaient ni sur une définition précise, ni sur des critères de détermination. Par exemple, le comportement du requérant au cours de sa détention n’était pas pris en compte pour décider de la nécessité de lui imposer le « statut N ». La mesure et sa perpétuation devenait ainsi « une pure formalité », au détriment du détenu594. Les mauvaises pratiques développées en application du statut du détenu dangereux résultaient donc d’un cadre législatif imprécis. Prendre en compte la jurisprudence européenne impliquait des modifications normatives. b) Les pratiques en prison et le Code d’exécution des peines modifiés en 20122013 pour répondre aux arrêts de la CEDH 792 - Dès le prononcé des premiers arrêts retenant la violation de l’article 3 de la Conv. EDH en raison de l’application du « statut N » à un détenu, la Pologne a recherché les moyens de conformer la pratique au droit conventionnel. La publication sur le site Internet du ministère de la Justice des arrêts Horych et Piechowicz, traduits en polonais, a précédé l’envoi d’une missive au directeur général des services pénitentiaires le 24 mai 2012. Le ministre de la Justice l’a informé des mesures souhaitables à adopter en conséquence de ces deux arrêts de la CEDH : faire connaître les arrêts aux directeurs régionaux des prisons, sensibiliser les direc- c. Pologne, 30 octobre 2012 ; CEDH, Paweł Pawlak c. Pologne, n°13421/03, 30 octobre 2012 ; CEDH, Chyła c. Pologne, n°8384/08, 3 novembre 2015 ; CEDH, Ślusarczyk c. Pologne, préc. Cinq arrêts rendus au début de l’année 2016 ont apporté chacun une violation supplémentaire à cause des contraintes imposées au détenu sous « statut N » : CEDH, Prus c. Pologne, n°5136/11, 12 janvier 2016 ; CEDH, Karykowski c. Pologne, n°653/12, 12 janvier 2016 ; CEDH, Romaniuk c. Pologne, n°59285/12, 12 janvier 2016 ; CEDH, Świderski c. Pologne, n°5532/10, 16 février 2016 ; CEDH, Paluch c. Pologne, n°57292/12, 16 février 2016 ; CEDH, Karwowski c. Pologne, n°29869/13, 19 avril 2016. 594 CEDH, Horych c. Pologne, préc., § 102. 504 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » teurs d’établissements à la nécessité de justifier l’imposition ou le maintien du « statut N » à un détenu, respecter scrupuleusement les règles du CEP en matière de pratique des fouilles corporelles. Dans sa réponse au ministre, le directeur général des prisons a fait savoir qu’il avait pris des mesures pour répondre à ces objectifs : l’obligation pour les commissions pénitentiaires de justifier leurs décisions et d’en contrôler les fondements, l’accroissement de la surveillance des détenus classés dangereux depuis plus d’un an par les directeurs régionaux, la possibilité offerte à ces détenus de participer aux activités éducatives, sportives et culturelle et à des programmes de rééducation s’ils ont connu des problèmes de santé. Enfin, les juridictions ont amorcé un changement de leur contrôle du « statut N » à l’occasion de plaintes transmises par des détenus dès 2012-2013. Considérant que les mesures internes imposées en prison peuvent être annulées par un juge si elle n’est pas conforme à la loi, il appartient à ce juge de considérer le terme loi au sens générique, incluant les traités internationaux595. 793 - Le 24 mai 2013, le Parlement a adopté une nouvelle loi sur l’emploi de la coercition et des armes à feu par les policiers. Le texte était de nature à améliorer à la marge le sort des détenus classés « N » puisqu’il s’intéressait notamment à l’usage des menottes dans son article 15 qu’il limite à des circonstances particulières énumérées. Par exemple, en accord avec le § 1 de cet article, des menottes sont imposées à une personne privée de liberté pour l’exécution d’une décision de justice ; la prévention d’une tentative de fuite ou d’une atteinte directe à la vie, à la santé ou la liberté d’un tiers ou de sa propre personne, à la propriété ; la préservation de troubles à la sécurité ou à l’ordre public ; la sécurisation d’un espace, d’une zone ou d’une escorte ; la répression d’une attitude de résistance. L’un des principes généraux de la loi de 2013 est d’user en toutes circonstances de la mesure coercitive susceptible de créer le moins de dommages possibles (articles 6 § 1 et 7 § 1)596. Le statut du détenu dangereux a été directement modifié par la loi du 15 septembre 2015 portant amendement du CEP. Émanant d’un groupe de parlementaires libéraux (parti PO), le texte entendait répondre directement aux condamnations de la CEDH. L’article 212a § 3 a été réécrit et dispose désormais : « Après la catégorisation du détenu comme posant une menace grave sur la société ou une menace sérieuse sur la sécurité de la prison, les dispositions de l’article 88a § 1 et 2 s’appliquent ». L’article 88a § 1, modifié lui aussi par cette loi, précise qu’un détenu peut être regardé comme une personne menaçant l’ordre ou la sécurité en prison s’il constitue, durant 595 Com. Min., Document DH-DD(2016)189 (bilan d’action des autorités polonaises pour le groupe d’affaires Horych), 23 février 2016. 596 Ustawa z dnia 24 maja 2013 r. o środkach przymusu bezpośredniego i broni palnej [Loi du 24 mai 2013 sur les moyens de coercition et les armes à feu], Dz. U., 2013, texte 628. 505 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME sa mise sous écrou, une menace sur la sécurité de la prison. L’article 88a § 2 modifié pose les critères à considérer pour catégoriser un prisonnier dangereux et proroger son statut : l’état et les particularités de la personne, son comportement et ses motivations au moment où il a commis l’infraction, son comportement en prison, son moral et ses progrès de resocialisation et, dans le cas d’un prisonnier condamné pour un crime en bande organisée, le besoin d’éviter tout contact avec les autres membres de la bande. L’article 88b § 2 prévoit que la commission pénitentiaire chargée d’imposer un « statut N » a la possibilité de moduler les mesures à imposer au détenu, en choisissant par exemple de ne pas faire peser sur lui toutes les contraintes que ce statut rend possible (isolement, surveillance renforcée en dehors de la cellule et lors du contact avec les autres détenus, fouilles corporelles à chaque sortie de cellule, contrôles plus fréquents, interdicton d’utiliser ses propres vêtements…). Pas plus d’une fois tous les trois mois, le détenu « dangereux » ou son avocat peuvent demander que soient communiquées par la commission pénitentiaires les raisons qui justifient l’impositions de mesures au détenu (article 88b § 3)597. 794 - Nonobstant les six nouvelles condamnations de la Pologne entre janvier et avril 2016 pour des faits survenus entre 2006-2013, tant les règles que la pratique du « statut N » ont considérablement évolué. Selon le bilan fourni par le gouvernement au Comité des ministres à la fin de l’année 2015, le nombre de détenus classés « N » est en constante diminution : ils étaient 260 dans le pays en juin 2012, 191 en mars 2013 et 169 en septembre 2014 (pour les trois quarts des personnes condamnées, par conséquent un quart seulement de détenus provisoires) et 156 au 31 décembre 2015. Dès 2012, année des premières condamnations devant la CEDH, le nombre de retraits de statut « N » a connu une augmentation de 9 % : 245 détenus en ont alors bénéficié598. L’état des prisons a créé, ces dernières années, un terreau favorable au développement de traitements inhumains ou dégradants voire d’un danger pour la vie des détenus. L’ampleur des transformations demandées aux autorités a rendu la réception des arrêts de la CEDH longue, et même encore insuffisante pour ce qui de la surpopulation. Pour les atteintes à l’intégrité des personnes en milieu médicalisé, les condamnations furent à la fois plus rares et plus aisées à réparer. 597 Ustawa z dnia 10 września 2015 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny wykonawczy [Loi du 10 septembre 2015 modifiant le Code d’exécution des peines], Dz. U., 2015, texte 1573. 598 Com. Min., Document DH-DD(2016)189 (bilan d’action des autorités polonaises pour le groupe d’affaires Horych), préc. 506 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » § 2. LES ATTEINTES AU DROIT À LA VIE ET À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE SURVENUES DANS LES SERVICES DE SANTÉ Les établissements de santé sont les lieux privilégiés de la protection des personnes. Mais de mauvaises pratiques peuvent porter préjudices aux patients, et la Pologne n’a pas échapper à des condamnations de la CEDH dans des affaires survenues en centre de dégrisement pour la violation du droit à la vie ou pour des traitements dégradants (A). Une autre violation de l’article 2 de la Conv. EDH s’est ajoutée après le décès tragique d’une jeune mère prise en charge dans une structure hospitalière (B). A. Les atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique en centre de dégrisement La Pologne a été condamnée par la CEDH le 24 mars 2009 dans l’affaire Mojsiejew pour des faits survenus dix ans auparavant dans un centre de dégrisement de Tychy. Le décès d’un homme placé sous la surveillance du personnel d’un centre médicalisé a entraîné la violation de l’article 2 de la Conv. EDH (1). Humiliée par le comportement des employés d’un centre lors de l’application de mesures physiques coercitives, la requérante de l’affaire Wiktorko a obtenu la reconnaissance de la violation de l’article 3 de la Conv. EDH (2). 1) Une double violation du droit à la vie dans l’affaire Mojsiejew La mort de l’époux de la requérante au cours d’une nuit passée dans un centre de dégrisement fut la cause de la violation de la branche matérielle de l’article 2 de la Conv. EDH. La Cour a estimé que la Pologne avait également failli à mettre en œuvre une procédure effective permettant de faire la lumière sur les circonstances du décès (a). Après l’arrêt Mojsiejew, les autorités ont œuvré activement à la diffusion des exigences conventionnelles, bien que la législation eût déjà évolué dans le sens d’une meilleure prise en charge des personnes ivres dans les centres de dégrisement (b). a) La mort d’un jeune homme survenue en centre de dégrisement 795 - Arrêté ivre par la police, Hubert Mojsiejew avait été avait conduit dans un centre de dégrisement de la ville de de Tychy et admis le matin du 28 août 1999. Apparemment en bonne santé mais déclaré « agressif », il fut attaché à l’aide de ceintures sur un lit et isolé dans une pièce plusieurs heures durant. Son décès a été constaté trois heures environ après son admission à la suite d’une inspection. Une autopsie pratiquée le 30 août 1999 a révélé des bles507 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME sures internes au cou, stigmates d’une asphyxie fatale et, ce même jour, une procédure d’instruction pour homicide involontaire a été ouverte par le procureur du district de Tychy. Les différents experts médicaux sollicités ont produit des rapports divergents quant aux causes du décès599. Le 21 juillet 2002, confrontée aux lenteurs tant de l’instruction que de la procédure judiciaire, la mère de la victime a déposé un recours devant la CEDH600. Elle estimait que le personnel du centre de dégrisement s’était rendu responsable non d’un homicide involontaire mais d’un meurtre sur la personne de son fils, tandis que le gouvernement qualifiait pour sa part les faits d’« événement tragique ». Les missions accomplies par ce type de structures en Pologne étaient fixées à l’époque de faits par le règlement du ministère de la Santé et de la Sécurité sociale du 23 octobre 1996601. Ce texte prévoyait l’usage de la force par les agents des centres au sens de la loi sur la santé mentale de 1994 (article 18), qui reconnaît cette possibilité, notamment à travers des méthodes d’immobilisation. Ce texte devait être lu en conjonction avec un autre texte relatif aux formes de la coercition directe et dont les dispositions pertinentes étaient les suivantes : « 9(2). Un docteur doit recommander l’usage de la coercition directe sous la forme de l’immobilisation ou de l’isolement pour une période n’excédant pas quatre heures. Si nécessaire, le docteur, après un examen personnel du patient, peut prolonger l’usage de l’immobilisation pour des périodes successives de six heures. […] 13. Un infirmier de garde doit contrôler l’état de la personne immobilisée ou isolée au moins toutes les 15 minutes, y compris lorsque la personne est endormie. L’état de la personne doit être inscrit sur la carte [du patient] sans délai »602. 796 - La Cour de Strasbourg a considéré que n’était pas remis en cause le constat du décès de la victime au centre de dégrisement où elle avait été admise apparemment en bonne santé. Considérant dès lors que la mort d’Hubert Mojsiejew est survenue alors que ce dernier, interné dans cette structure, était placé sous le contrôle exclusif des autorités polonaises qui de599 CEDH, Mojsiejew c. Pologne, n°11818/02, 24 mars 2009, §§ 5-32. 600 Il est à noter que l’arrêt, dans sa version publiée en ligne par la Cour après sa confirmation le 26 juin 2009, comprend une erreur et mentionne la date du 21 juillet 1999 pour le dépôt de la requête, soit une date antérieure aux faits eux-mêmes ! 601 Rozporządzenie Ministra Zdrowia i Opieki Społecznej z dnia 23 października 1996 r. w sprawie trybu doprowadzania osób w stanie nietrzeźwości, organizacji izb wytrzeźwień i zakresu opieki zdrowotnej oraz zasad ustalania opłat związanych z doprowadzeniem i pobytem w izbie wytrzeźwień [Règlement du ministre de la Santé et des Affaires sociales du 23 octobre 1996 sur les méthodes d’alimentation des personnes en état d’ivresse, l’organisation des centres de dégrisement, les soins ainsi que les tarifs pratiqués pour les séjours en centre de dégrisement], Dz. U., 1996, n°129, texte 611, pp. 2691-2695. Ce texte a été abrogé le 11 février 2004. 602 Rozporządzenie Ministra Zdrowia i Opieki Społecznej z dnia 23 sierpnia 1995 r. w sprawie sposobu stosowania przymusu bezpośredniego [Règlement du ministre de la Santé et des Affaires du 23 août 1995 sur les moyens d’utilisation de la coercition directe], Dz. U., 1995, n°103, texte 514, pp. 2465-2468. Il fut abrogé le 29 juin 2012. 508 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » vaient dès lors veiller à son état de santé, et considérant l’incapacité de celles-ci de fournir une explication plausible tant des causes des blessures relevées par les médecins que du décès luimême et de prouver que les agents du centre avaient tout mis en œuvre pour protéger la vie de M. Mojsiejew, la Cour a condamné la Pologne pour violation des obligations matérielles imposées par l’article 2 de la Conv. EDH603. 797 - Dans l’affaire Mojsiejew, les causes de l’enlisement de la procédure ont été multiples (interruption de l’instruction, nécessité d’avoir recours à plusieurs rapports d’expertise médicale, ajournement des audiences). Le procès ne s’est ouvert que le 17 avril 2003, deux ans après l’inculpation de quatre agents du centre de dégrisement. La mère de la victime n’a, par ailleurs, été entendue que le 10 mai 2004, cinq ans après les faits et le tribunal n’a pas interrogé directement les experts qui remirent les rapports médicaux demandés pour les besoins de l’enquête. En raison de la durée de l’ensemble de la procédure, trop importante dans le cadre d’une affaire qui exige une certaine célérité, l’enquête menée par l’État pour élucider les causes de la mort du fils de la requérante et déterminer la responsabilité du personnel du centre ne pouvait être qualifiée d’effective. La CEDH en a déduit la violation procédurale de l’article 2 de la Conv. EDH604. La loi sur la prévention de l’alcoolisme a été amendée il y a une quinzaine d’années pour mieux prendre en charge les personnes ivres dans les centres de dégrisement. b) La prise en charge des personnes ivres strictement encadrée depuis le début des années 2000 798 - À la suite de l’arrêt de la CEDH, la procédure criminelle ouverte après la mort en centre de dégrisement de Hubert Mojsiejew s’est achevée par un arrêt de la cour régionale de Katowice le 5 juin 2012. Trois des quatre accusés furent acquités du chef d’homicide involontaire et le quatrième n’a pu être jugé en raison de son incapacité définitive à participe à un procès605. 799 - Les mesures générales les plus conséquentes ont été adoptées par le gouvernement avant que la CEDH ne juge l’affaire Mojsiejew. Elles ont grandement amélioré le fonctionnement des centres de dégrisement. Tout d’abord, un amendement du 27 avril 2001 de 603 Ibidem, §§ 59-65. 604 Ibid., §§ 54-58. 605 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)236 (exécution de l’arrêt Mojsiejew c. Pologne), 24 mars 2009, 1243e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 509 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’article 42 de la loi sur l’éducation à la sobriété de 1982 est venu préciser le type de mesures coercitives susceptibles d’être employées contre une personne ivre et les raisons pour lesquelles elles peuvent être mises en œuvre par le personnel d’un centre de dégrisement. En cas de menace sur la vie ou la santé de la personne ou d’un tiers et tant que dure cette menace, sont envisageables : la neutralisation par l’utilisation de la force physique ou l’immobilisation par l’usage de ceintures, couvertures, menottes, camisole606. Le règlement du 23 octobre 1996 du ministère de la Santé, applicable à l’époque des faits, a été remplacé en 2004 par un nouveau texte607 qui apporte davantage de précisions à l’emploi de la force prévue par la loi. Le recours à la coercition doit être signalé dans les registres de l’établissement, en précisant les motifs, la durée, la nature de la contrainte exercée contre le patient ainsi que la réaction de ce dernier au moment de l’usage de cette contrainte puis à l’arrêt de celle-ci. Le règlement pose dans son § 6 des limites à la détention en centre de dégrisement. Un médecin ou un infirmier doit certifier de l’état d’ébriété du patient et de son état de santé, mais de telles précautions existaient déjà dans l’article 9 du règlement de 1996 et n’avaient pas empêché que surviennent à la fin des années 2000 les faits sanctionnés par la CEDH. Le règlement de 2004 a imposé de nouvelles conditions de recrutement des agents déployés dans les centres de dégrisement, parmi lesquelles un examen psychologique et une formation annuelle consacrée, entre autres, aux premiers soins sur les personnes ivres et l’application des mesures coercitives éventuelles contre ces personnes (§ 24 point 4). En accord avec le § 15 du règlement, le personnel d’un centre de dégrisement doit prévenir immédiatement les autorités administratives et le procureur locaux tandis qu’une obligation de retranscrire rigoureusement toute information relative aux personnes séjournant dans l’unité est imposé par le § 27. Un nouveau règlement a été adopté par le ministre de la Santé en décembre 2014. Plus complet, il a donc rem- 606 Ustawa z dnia 27 kwietnia 2001 r. o zmianie ustawy o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi, ustawy o radiofonii i telewizji oraz ustawy o opłacie skarbowej [Loi du 27 avril 2001 modifiant la loi sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme, la loi sur la radiophonie et la télévision ainsi que la loi sur le droit de timbre], Dz. U., 2001, n°60, texte 610, pp. 4201-4208. Une nouvelle rédaction de cet article 42 est en vigueur depuis le 1er janvier 2014. Elle impose des règles plus nombreuses pour user de la coercition : la personne concernée en est informée, l’immobilisation ou l’isolement ne peut durer plus de quatre heures – six heures si la situation l’exige vraiment –, l’état de santé du patient immobilisé est contrôlé au moins tous les quarts d’heure. Voir Ustawa z dnia 4 stycznia 2013 r. o zmianie ustawy o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi [Loi du 4 janvier 2013 modifiant la loi su l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme], Dz. U., 2013, texte 1563. 607 Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 4 lutego 2004 r. w sprawie trybu doprowadzania, przyjmowania i zwalniania osób w stanie nietrzeźwości oraz organizacji izb wytrzeźwień i placówek utworzonych lub wskazanych przez jednostkę samorządu terytorialnego [Règlement du 4 février 2004 sur les moyens d’alimentation, de prise en charge et de remise en liberté des personnes en état d’ébriété ainsi que sur l’organisation des centres de dégrisement et les unités créées et désignées par une administration locale], Dz. U., 2004, n°20, texte 192, pp. 1189-1195. 510 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » placé, le 1er janvier 2015, les dispositions du texte de 2004 tout en en conservant les apports précédemment évoqués608. 800 - L’arrêt Mojsiejew a été largement commenté et diffusé, par des moyens très proches de ceux employés par les autorités polonaises après l’affaire Dzieciak : traduction et publication de l’arrêt sur le site Internet du ministère de la Justice ; envoi du texte à tous les précidents de cours d’appel, au procureur général, au ministre de la Santé et au Défenseur pour les droits des patients ; analyse de l’arrêt dans le guide de la jurisprudence de la CEDH offert en 2011 à tous les juges et procureurs et dans la notice du ministère de la Justice relative à l’enquête et la poursuite des infractions constituant une grave atteinte aux droits de l’homme ; référence à l’arrêt dans la lettre du Parquet de mars 2012 accompagnant l’envoi aux procureurs d’une traduction du guide du Conseil de l’Europe sur l’éradication des cas d’impunités pour des violations graves des droits de l’homme. La prise de connaissance des standards européens en matière de protection du droit à la vie est accentuée par les activités de formation des magistrats organisées depuis 2010 par l’École nationale des juges et des procureurs609. Sept jours seulement après l’arrêt Mojsiejew, un autre dossier à l’issue plus heureuse a relancé la question des conditions d’accueil dans les centres de dégrisement. 2) La violation de l’interdiction des traitements dégradants dans plusieurs affaires 801 - La question de la compatibilité du traitement des individus accueillis dans les centres de dégrisement avec l’article 3 de la Conv. EDH a été posée au début des années 2000 à l’occasion de deux affaires, l’une aboutissant à un règlement amiable610, l’autre à une décision 608 Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 8 grudnia 2014 r. w sprawie izb wytrzeźwień i placówek wskazanych lub utworzonych przez jednostkę samorządu terytorialnego [Règlement du ministre de la Santé du 8 décembre 2014 sur les centre de dégrisement et les unités créées et désignées par une administration locale], Dz. U., 2014, texte 1850. 609 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)236 (exécution de l’arrêt Mojsiejew c. Pologne), préc., annexe (bilan d’action). 610 CEDH, H. D. c. Pologne, n°33310/96, 20 juin 2002. En l’espèce, la requérante souffrait de diabète et était traitée à l’insuline. Les faits à l’origine du litige survinrent à l’été 1994 lorsqu’elle fut arrêtée par la police alors qu’elle voyageait en train. Victime d’un malaise hypoglycémique, elle fut frappée et giflée par les agents, puis emmenée au centre de dégrisement de Varsovie. Les agents expliquèrent dans leur version des faits que le comportement agité et agressif ainsi que les propos vulgaires proférés par la requérante leur avaient laissé penser qu’elle était ivre. Le personnel du centre l’attacha à un lit. Malgré ses demandes répétées, elle n’eut droit à aucun moment à une injection d’insuline. Elle quitta le centre le lendemain matin. La procédure ouverte devant les juridictions internes a conduit à un classement de la plainte par le procureur régional. Portée devant la CEDH, cette affaire mettait principalement en cause l’attitude des policiers à l’origine de l’arrestation mais également le personnel du centre qui n’avait pas prodiguée les soins adaptés à l’état de santé de la requérante. Elle aurait pu, au regard des faits, entraîner la première condamnation de la Pologne pour traitement inhumain ou dégradant en centre de dégrisement. La requérante a finalement averti la Cour, par un courrier reçu le 25 avril 2002, que le 511 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME d’irrecevabilité611. L’arrêt Wiktorko, rendu par la CEDH le 31 mars 2009, s’est pourtant conclu par la double condamnation au titre de l’article 3 de la Conv. EDH, en substance et sur le plan procédural (a). Les règles aujourd’hui applicables dans les centres de dégrisement semblent garantir le respect de la dignité des personnes y séjournant (b). a) Un traitement dégradant causé en l’application de mesures coercitives dans l’affaire Wiktorko 802 - À la suite d’une dispute avec un chauffeur de taxi, en décembre 1999, Anna Wiktorko a avait été interpellée par la police et conduite dans un centre de dégrisement à Olsztyn. Une fois arrivée, elle téléphona elle-même à la police et réfuta être en état d’ébriété. Le personnel la déshabilla de force pour lui passer une tenue adaptée à sa prise en change avant de la placer sur un lit ou elle fut maintenue par des ceintures et laissée ainsi jusqu’au lendemain matin. Mme. Wiktorko aurait passé ainsi près de 10 heures au centre de dégrisement avant de pouvoir quitter les lieux. La requérante a rapidement fait établir un certificat médical relevant une ecchymose sur la hanche gauche, une inflammation du poignet, une gêne de mobilité de l’épaule, des douleurs à la mâchoire. Elle déposa plainte contre le personnel du centre, se plaignant d’avoir été privée de sa liberté, malmenée et déshabillée alors même qu’elle n’était pas ivre. Le 21 janvier 2000, le chef de la police de district refusa de procéder à une enquête sur l’affaire, au motif qu’aucune des personnes contactées pour témoigner n’avait confirmé la version alléguée par la requérante. Sur un recours de cette dernière, le chef de la police de district d’Olsztyn décida finalement d’ouvrir une enquête un mois plus tard. L’enquête fut abandonnée en août 2000 par le procureur du district d’Olsztyn-Nord, lequel considérait qu’aucune infraction n’avait été commise lors du placement en centre de dégrisement de gouvernement lui accordait une somme de 10 000 PLN en réparation du préjudice subi dans le cadre d’un règlement amiable sur le fondement de l’article 39 de la Conv. EDH. Après confirmation de la conclusion du règlement par le gouvernement, la Cour a rayé l’affaire de son rôle le 20 juin 2002. 611 CEDH, Olszewski c. Pologne (déc.), n°55264/00, 13 novembre 2003. Dans cette affaire, un citoyen polonais alléguait la violation de l’art. 3 de la Conv. EDH pour avoir été emmené par des policiers dans un centre de dégrisement à la suite d’une dispute conjugale. Il déclarait avoir été frappé à plusieurs reprises par les policiers, puis insulté et blessé par les employés du centre. Ses proches, les policiers et l’équipe du centre de dégrisement de Płock ont livré une version très différente des événements, soulignant l’agressivité et l’état d’ivresse très avancé du requérant, qui n’aurait subi qu’un plaquage au sol lors de son interpellation afin d’être maîtrisé et menotté. Une enquête fut menée par les autorités judiciaires et une décision définitive a été rendue par le Président de la cour de district de Gostynin le 8 avril 1999, concluant qu’aucun élément n’était venu justifier la version des faits soutenue par M. Olszewski. Faute de lien établi entre l’état de santé du requérant décrit par un certificat médical daté du 1er octobre 1998 et les violences dénoncées, le juge européen a considéré la requête irrecevable. 512 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » Mme. Wiktorko612. 803 - Devant la CEDH, la requérante prétendit qu’était contraire à l’article 3 de la Conv. EDH le traitement qu’elle avait subi au centre de dégrisement. Selon le gouvernement, le personnel aurait agi conformément à la législation nationale applicable, à savoir la loi sur l’éducation à la sobriété et le combat contre l’alcoolisme de 1982613 complétée par le règlement du ministre de la Santé et de la Sécurité Sociale du 23 octobre 1996. La Cour a considéré qu’en l’espèce, la violation de l’article 3 ne devait pas nécessairement être invoquée sous l’angle du degré de violence déployé par les agents de l’État mais plutôt sous celui de l’humiliation et du rabaissement ressentis par cette dernière lors de sa prise en charge dans le centre, notamment lorsqu’elle a été mise nue de force devant deux hommes614 et une femme pour lui passer un vêtement adapté. La Cour a pu noter que cet acte était constitutif d’un traitement dégradant non justifié, la législation interne n’obligeant en rien les détenus des centres de dégrisement à revêtir un vêtement. La Cour a ainsi reconnu la violation de la branche procédurale de l’article 3 de la Conv. EDH615. 804 - La CEDH s’est aussi penchée sur l’aspect procédural de l’affaire Wiktorko. Après avoir rappelé que la procédure d’instruction avait été interrompue à deux reprises, la Cour a rappelé qu’il résultait de l’article 3 de la Conv. EDH l’obligation pour l’État de déterminer, en cas de traitement dégradant allégué, si les faits reprochés étaient susceptibles de franchir un seuil de gravité suffisant pour entrer en contradiction avec les standards dudit article. En s’abstenant d’effectuer ce contrôle, les autorités polonaises avaient donc également violé les obligations d’ordre procédural inhérentes à l’article 3 de la Conv. EDH616, tout comme elles l’avaient fait avec l’article 2 dans l’arrêt Mojsiejew une semaine auparavant. 805 - Dans un arrêt Polanowski du 27 avril 2010, la violation par la Pologne de l’article 3 (branche procédurale) a été retenue par la CEDH pour des faits survenus dans un centre de dégrisement. Était exclusivement en cause la brutalité de la police, qui y avait conduit le requérant (celui-ci avait été notamment frappé à la tête et neutralisé par étranglement). La 612 CEDH, Wiktorko c. Pologne, n°14612/02, 31 mars 2009, §§ 5-24. 613 Ustawa z dnia 26 października 1982 r. o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi [La loi du 26 octobre 1982 sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme], Dz. U., 1982, n°35, texte 230, pp. 625-630. 614 La Cour fait ici application de la jurisprudence CEDH, Valašinas c. Lituanie, n°44558/98, 24 juillet 2001, Rec. 2001-VIII. En l’espèce, une fouille corporelle subie en prison avait été menée par des officiers masculins mais sous les yeux d’une femme, ce qui avait renforcé l’humiliation ressentie par le requérant (§ 117). 615 CEDH, Wiktorko c. Pologne, préc., §§ 30-57. 616 Ibidem, §§ 58-62. 513 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CEDH a considéré que les autorités n’avaient su mener des investigations de nature à faire toute la lumière sur les violences alléguées par le requérant617. La procédure suivie dans les centres de détention a évolué pour permettre, en principe, à la Pologne d’éviter de nouvelles atteintes à l’intégrité physique des personnes. b) Un bilan positif des mesures relatives aux traitements des personnes ivres en centre de dégrisement 806 - Il convient en premier lieu de signaler le respect par le gouvernement des termes d’un règlement amiable du 20 juin 2002 survenu dans l’une des premières affaires relatives à un centre de dégrisement, l’affaire H. D. Le gouvernement et la requérante étaient convenus du versement à cette dernière de 10 000 PLN de satisfaction équitable pour réparer le préjudice lié aux brutalités causées par le personnel du centre et par les policiers qui y avaient conduit la requérante. L’État a respecté son engagement dans le délai imparti, ce dont le Comité des ministres a pris note le 14 décembre 2005618. Depuis, une unité spéciale pour l’interpellation des personnes en état d’ébriété a été intégrée dans le programme de formation des policiers619. 807 - La réception de l’affaire Wiktorko a été très favorable à l’imprégnation du droit interne par les standards de la CEDH sur l’article 3. Elle s’est traduite par des mesures identiques à celles qui ont été abordées précédemment pour l’affaire Mojsiejew pour ce qui concerne les activités de dissémination et de l’arrêt et de formation des juges et magistrats. Les amendements de 2001 et de 2013 à la loi sur l’éducation à la sobrieté et la luttre contre l’alcoolisme, complétés encore par les règlements ministériels de 2004 et 2014 ont permis d’encadrer très strictement l’usage de la force coercitive dans les centres de dégrisement. Aucune autre mesure individuelle n’a pu, en revanche, être mise en œuvre après l’arrêt de la CEDH au-delà du paiement de la satisfaction équitable. En raison de la prescription des faits, le procureur régional d’Olsztyn jugea qu’il n’était plus possible d’engager des poursuites620. 617 CEDH, Polanowski c. Pologne, n°16381/05, 27 avril 2010. L’exécution de cet arrêt dépend du groupe d’affaires Dzwonkowski (étudié ultérieurement dans ce chapitre) à propos des mauvais traitements infligés par la police. 618 Com. Min., Résolution ResDH(2005)118 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) H. D. contre la Pologne), 14 décembre 2005, 948e réunion des délégués. 619 Il s’agit de l’unité JM02JS10 qui prévoit des entrainements aux interventions sur des personnes sous l’influence de l’alcool ou d’autres substances aux effets similaires. CPT, Response of the Polish government…, préc, § 7, p. 11. Le comportement de policiers appréhendant des individus supposés ivres pour les conduire dans des centres de dégrisement avait été reproché à la Pologne dans les affaires H. D. et Polanowski. 620 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)211 (exécution de l’arrêt Wiktorko c. Pologne), 17 novembre 2015, 514 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 808 - Depuis l’instauration des nouvelles règles sur les moyens d’action et de coercition dans les centres de dégrisement polonais, aucune nouvelle violation du droit à la vie ou de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants n’a été constatée par la CEDH. Du 5 au 17 juin 2013, les représentants du CPT ont visité des établissements pénitentiaires de même que le centre de dégrisement de Varsovie. Le rapport publié par la suite a été très favorables pour les autorités puisque la délégation a été « impressionnée par le professionnalisme, l’attention et l’humanité de l’équipe [du centre visité] vis-à-vis des personnes prises en charge ». Elle a fait le constat des « excellentes conditions matérielles du centre » et du niveau de qualification adéquat du personnel621. En milieu médicalisé, les centres de dégrisement ont donc connu par le passé un ensemble de problèmes (détention arbitraire, violence physique, humiliation) identifiés par la jurisprudence de la CEDH. Ceux-ci semblent aujourd’hui résolus. Les services hospitaliers ont été le théâtre d’une autre affaire de décès dans un cadre médicalisé. B. La violation du droit à la vie à l’issue d’une intervention chirurgicale Plusieurs affaires polonaises relatives à des erreurs médicales alléguées ont été portées devant la CEDH depuis l’entrée en vigueur de la Conv. EDH en 1993, mais une seule violation de l’article 2 est à déplorer (1). La bonne exécution de l’arrêt passait par l’amélioration des règles procédurales en matière pénale comme disciplinaire (2). 1) La violation du droit à la vie faute d’enquête effective après un décès à l’hôpital 809 - L’affaire Byrzykowski a donné lieu, le 27 juin 2006, à la toute première condamnation de la Pologne pour violation de l’article 2 de la Conv. EDH dans sa seule branche procédurale622 pour les défaillances de l’enquête judiciaire qui s’ensuivit. Admise à l’hôpital universitaire de Wrocław le 11 juillet 1999 pour un accouchement, l’épouse du requérant avait dû 1240e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 621 CPT, Rapport CPT/Inf(2014)21 au gouvernement polonais après la visite en Pologne du Comité du 5 au 17 juin 2013, Strasbourg, 25 juin 2014, pp. 51-52, §§ 110-116. 622 Si, pour Jakub Czepek, le nombre d’arrêts dans lesquels la CEDH a sanctionné la violation de l’art. 2 par la Pologne reste relativement faible, il est loisible de conclure que des négligences sont régulièrement commises par les autorités judiciaires dans les enquêtes qui suivent des décès suspects. C’est la leçon qu’il faut tirer de ces affaires sanctionnées par une violation des obligations procédurales de l’art. 2 (Jakub CZEPEK, « Naruszenie obowiązków proceduralnych w sferze prawa do źycia na podstawie spraw przeciwko Polsce », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°3, 2012, pp. 5-14.). 515 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME subir une césarienne. La pratique d’une péridurale entraina cependant des complications et la parturiente se retrouva plongée dans le coma. Transportée au service de soins intensifs pour y être réanimée, elle est finalement décédée le 31 juillet 1999 tandis que son enfant a survécu au prix de graves problèmes de santé, notamment neurologiques, nécessitant une assistance médicale permanente623. Le mari de la victime souhaitait que fussent établies les raisons et les responsabilités du décès de son épouse. Toutefois, les procédures civile, pénale et disciplinaire tendant à la reconnaissance de la responsabilité des médecins et de l’homicide involontaire n’ont jamais abouti à une décision définitive, plus de cinq ans après les faits624. 810 - La CEDH n’a pas noté de défaillance de l’État pour ce qui concernait la mise en œuvre même des procédures engagées mais a sanctionné les suspensions multiples de celles-ci, aboutissant in fine à l’absence de décision dans un délai raisonnable. La Cour a noté que la lenteur des procédures résultait de leur interdépendance625. Bien que conscients des raisons ayant conduit à ces justifications, liées au bon déroulement des procédures engagées, les juges de Strasbourg ont considéré qu’elles semblaient plutôt avoir eu pour effet d’entraver le cours normal de la justice. En concluant à la violation de l’article 2 en raison de l’absence d’enquête effective, la CEDH a souligné le besoin d’un examen rapide des affaires relatives aux décès survenus durant une opération médicale626. 811 - Dans l’arrêt Spyra et Kranczkowski rendu en 2012, les requérants s’étaient plaints du protocole médical mis en œuvre pour la naissance de leur fils et qui aurait eu pour conséquences, selon eux, de le rendre lourdement handicapé (il fut reconnu infirme à 100 %). Les trois procédures engagées (civile à l’encontre de l’hôpital, disciplinaire et pénale contre les médecins) n’ont pas abouti, faute de lien établi entre les soins apportés à l’enfant prématuré et les pathologies de celui-ci. Les requérants avaient invoqué l’article 2 de la Conv. EDH mais la CEDH jugea l’affaire sous l’angle de l’article 8. Elle estima que toute la diligence nécessaire pour trancher le litige avait été apportée dans les différentes procédures entreprises627. Cette même année 2012, la Pologne échappa encore à une condamnation de l’article 2, pris en sa branche procédurale, pour le décès d’une jeune fille d’une septisémie à l’hopital628. 623 CEDH, Byrzykowski c. Pologne, n° 11562/05, 27 juin 2006, §§ 5-6 624 Ibidem, §§ 7-66. 625 En effet, la procédure en dédommagement ne pouvait se poursuivre au motif qu’il fallait attendre le résultat de la procédure disciplinaire qui elle-même entendait s’appuyer sur l’issue de la procédure pénale… 626 CEDH, Byrzykowski c. Pologne, préc., §§ 104-118. 627 CEDH, Spyra et Kranczkowski c. Pologne, n°19764/07, 25 septembre 2012. 628 En l’espèce, la victime souffrait durant sa grossesse d’une rectocolite hémorragique qui ne cessa de 516 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » L’arrêt Byrzykowski a été suivi d’une série de mesures variées dont l’objectif était l’accélération des procédures pénales et le renforcement des droits des patients devant les chambres médicales. 2) Des efforts concentrés sur les procédures pénales et disciplinaires 812 - Le 19 octobre 2006, le gouvernement versa les 21 150 EUR de satisfaction équitables dus au requérant de l’affaire Byrzykowski. Quelques jours avant l’arrêt de la CEDH, l’enquête policière pour homicide a été abandonnée, sur la base de rapports de plusieurs instituts de médecine légale. La procédure disciplinaire intentée contre l’anesthésiste a été close par une décision du 11 octobre 2007. Enfin, le requérant a pu obtenir devant le juge civil une indemnisation ainsi qu’une allocation pour son fils par un arrêt du 3 mars 2009 rendu par la cour régionale de Wrocław. 813 - L’État défendeur a recouru massivement à la dissémination de l’arrêt pour prévenir d’autres violations similaires de la Conv. EDH. Les mesures en la matière sont similaires à celles qui avaient suivi l’arrêt Dzieciak (décès survenu en prison) : traduction et publication de l’arrêt sur le site Internet du ministère de la Justice et informations diffusées sur le site du Parquet, référence à cet arrêt dans le guide de la jurisprudence de la Conv. EDH envoyé aux procureurs et juges en 2011 ainsi que dans la notice relative à l’obligation de poursuivre les infractions constituant de graves violations des droits de l’homme et de mener des enquêtes effectives. Il faut ajouter encore qu’en mars 2012, le Parquet s’est chargé de la diffusion auprès de tous les procureurs du pays d’une version traduite du document d’information du Comité des ministres du Conseil de l’Europe en matière de répression des violations graves des droits de l’homme629. Le texte était accompagné d’une lettre d’instructions mentionnant plusieurs affaires concernant la Pologne, dont l’affaire Byrzykowski630. En matière de procédures disciplinaires enfin, la loi relative aux chambres médicales adoptée en 2009 a renforcé les droits des patients en leur permettant d’agir en tant que victimes et non plus, comme auparas’aggraver, jusqu’à provoquer son décès le 29 septembre 2004, malgré plusieurs hospitalisations. Sa mère demanda l’ouverture de poursuites pénales pour déterminer les responsabilités parmi le corps médical. Se fondant sur les résultats des expertises commandées, le procureur décida de prononcer un non-lieu en juin 2008. La procédure disciplinaire et la demande de dommages-intérêts introduites ultérieurement par la requérante n’ont pas davantage abouti. Pour la CEDH, aucun élément ne permettait pourtant de conclure que les autorités polonaises n’avaient pas mené les investigations avec diligences (CEDH, Z. c. Pologne, n°46132/08, 13 novembre 2012). 629 Com. Min., Document H/Inf(2001)7, Éliminer l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme – Lignes directrices et textes de référence, 30 mars 2011, 1110e réunion des délégués. 630 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2013)208 (exécution de l’arrêt Byrzykowski c. Pologne), 16 octobre 2013, 1181e réunion des délégués. 517 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME vant, en tant que témoins seulement. Conformément à l’article 68 de cette loi, la victime peut interjeter appel d’une décision de refus d’engager une procédure disciplinaire et les jugements rendus par les chambres médicales sont désormais contestables devant la Cour suprême631. 814 - La violation procédurale de l’article 2 résultait essentiellement, dans cette affaire, des retards qui avaient fini par peser sur l’enquête. Le droit applicable a évolué depuis l’arrêt de la CEDH rendu en 2006, notamment en vue de l’accélération de la durée des procédures632. Le législateur a, de plus, amendé le CPP dès 2007 pour faciliter l’introduction d’un appel contre une décision de non-lieu. Désormais, l’article 465 § 2 du Code dispose que ce type de recours est déposé directement auprès de la juridiction compétente, et non du procureur633. Autre hypothèse : en l’application de l’article 330 § 2 du CPP, la victime d’une infraction, lorsqu’un procureur refuse d’ouvrir une enquête, peut agir de sa propre action et porter l’acte d’accusation. Le bureau du Procureur général a diffusé le 30 novembre 2012 des consignes pour que toute décision d’un procureur d’interrompre une enquête ou de n’en point ouvrir soit scrupuleusement contrôlée par les supérieurs hiérarchiques afin d’éviter que ne se reproduisent une situation comparable à celle du requérant de l’affaire Byrzykowski. Les opérations de police présentent par essence un risque d’atteinte corporelle aux individus. Plusieurs affaires portées au prétoire du Palais des drois de l’homme ont montré l’existence de violations ponctuelles des articles 2 et 3 de la Conv. EDH en application de mesures de protection de l’ordre public national ou de sécurité internationale. SECTION II – LES DÉRIVES RÉCENTES DE LA POLITIQUE SÉCURITAIRE Deux types d’affaires se distinguent dans l’étude de la jurisprudence des violations des articles 2 et 3 de la Conv. EDH hors du cadre carcéral ou médical. Le premier rassemble les 631 Ustawa z dnia 2 grudnia 2009 r. o izbach lekarskich [Loi du 2 décembre 2009 sur les chambres médicales], Dz. U., 2009, n°219, texte 1708, pp. 17257-17278. 632 Cf. supra, Partie II, Titre I, Chapitre I, Section I, paragraphes 596 et suivants, not. l’amendement de 2009 à la loi du 17 juin 2004 introduisant un recours contre la longueur des procédures et la loi du 29 mai 2007 permettant, sur le fondement de l’article 285 § 1 du CPP, d’imposer une amende de 10 000 PLN aux experts judiciaires pour leurs absences injustifiées aux audiences. 633 Ustawa z dnia 29 marca 2007 r. o zmianie ustawy o prokuraturze, ustawy - Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 29 mars 2007 modifiant la loi sur le Parquet, le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2007, n°64, texte 432, pp. 3937-3944. 518 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » affaires dans lesquelles les requérants se plaignent de l’usage inadapté ou démesuré de la force par la police. Intervenant dans le cadre du droit commun, ces dérives semblent en recrudescence au regard du nombre d’arrêts rendus par la CEDH, quoiqu’elles ne ressortissent en aucun cas d’un dysfonctionnement de nature systémique (§ 1). La participation de la Pologne à la lutte contre le terrorisme international a conduit les plus hautes autorités de l’État à couvrir sur son territoire des violations multiples des droits de l’homme. Deux affaires jugées en 2014 portent sur les tortures, mauvais traitements et autres méconnaissances des libertés fondamentales de terroristes présumés détenus dans la prison secrète de Stare Kiejkuty, gérée par l’Agence centrale du renseignement (CIA) des États-Unis. Elles sont particulièrement singulières dans l’histoire des relations entre la Cour et la Pologne puisque les autorités refusèrent de transmettre au greffe les documents nécessaires à l’instruction des dossiers (§ 2). § 1. LES VIOLATIONS DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION PAR L’ACTION DE LA POLICE C’est à la toute fin des années 2000 que la CEDH a jugé de la conformité aux articles 2 et 3 de la Conv. EDH de faits impliquant des policiers dans l’exercice de leurs fonctions. Atteintes directes à l’intégrité des individus et absence d’enquête effective sur des allégations de violences policières ont été reprochées à la Pologne par la Cour. Chacune de ces affaires portées devant la CEDH présente ses particularités mais toutes se rejoignent sur l’essentiel : les requérants se sont plaints du comportement brutal ou humiliant de policiers envers eux ou leurs proches. De tels agissements se sont produits à l’occasion d’une action lancée contre des membres présumés du grand banditisme (A), lors d’interpellations pour des troubles à l’ordre public (B) ou au cours d’un contrôle d’identité qui dégénéra (C). A. La violation du droit à la vie causée par une opération de police contre de présumés criminels Les deux requérantes de l’affaire Wasilewska et Kałucka étaient la compagne et la mère d’un homme abattu par la police lors d’une tentative d’interpellation en août 2002. La Pologne fut condamnée pour la violation matérielle et procédurale de l’article 2 de la Conv. EDH dans un arrêt de la CEDH du 23 février 2010 (1). Les erreurs initialement commises dans l’enquête en rendent l’exécution extrêmement difficile (2). 519 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 1) La violation de l’article 2 de la Convention en raison de l’usage disproportionné d’armes à feu par des policiers et de l’ineffectivité de l’enquête ultérieure 815 - Âgé de 26 ans au moment des faits, en août 2002, Przymysław Kałucki sortait d’un véhicule stationné sur le parking d’un complexe sportif du village de Spała. Il était alors en compagnie de deux autres individus. Quatre voitures de police arrivèrent sur les lieux et des agents en sortirent, persuadés d’avoir affaire aux membres d’un gang armé qu’ils surveillaient. Alors qu’ils tentaient d’échapper à l’arrestation, les trois hommes essuyèrent une salve de tirs. L’enquête révéla que la voiture avait été visée par quarante balles tirées pendant une quinzaine de secondes. Malgré ses graves blessures, M. Kałucki fut saisi par la tête et extrait de la voiture par les policiers. Il décéda avant l’arrivée de l’ambulance vingt minutes plus tard. Une enquête fut immédiatement ouverte mais le procureur régional de Łódż la classa le 18 août 2003, considérant que le conducteur du véhicule visé n’avait pas obéi aux sommations des policiers et avait même tenté de les percuter. L’appel interjeté par les requérantes fut rejeté. En revanche, les amis de M. Kałucki, qui avaient survécu à la fusillade, ont été mis en examen et l’un deux fut condamné à six ans de prison en décembre 2003634. 816 - Devant la CEDH, les requéantes ont invoqué la violation par la Pologne des obligations substantielles imposées par l’article 2, l’opération de police, mal préparée et mal dirigée, étant à l’origine de la mort de leur proche. De son côté, le gouvernement n’a communiqué à la CEDH aucune information, pas même les documents relatifs aux procédures internes ayant trait à l’affaire635. Si la Cour admit que l’opération et l’usage de la force étaient justifiés au regard des circonstances, le gouvernement avait échoué à démontrer qu’un tel degré de violence fût nécessaire pour appréhender les suspects. En l’absence de réaction proportionnée des autorités, l’article 2 de la Conv. EDH avait bien été violé636. 817 - L’enquête ouverte contre les policiers auteurs de la fusillade avait été rapidement abandonnée par le procureur de district puis le procureur régional de Łódź. Les requérantes arguaient donc de l’absence de procédure effective destinée à établir la responsabilité de la mort de M. Kałucki, en violation des obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Conv. EDH. Prenant note de la décision du procureur d’arrêter l’enquête après avoir simplement rappelé la mission de la police (mettre fin aux activités d’un gang armé) et justifié les 634 CEDH, Wasilewska et Kałucka, n°28975/04 et n°33406/04, 23 février 2010, §§ 6-29. 635 Ibidem, §§ 33-34. 636 Ibid., §§ 41-58. 520 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » tirs d’armes à feu (éviter une fuite des suspects), la CEDH a considéré qu’une telle approche ne respectait pas les exigences procédurales de l’article 2 de la Conv. EDH637. Cinq ans après la condamnation de la Pologne dans l’affaire Wasilewska et Kałucka, la bonne exécution de l’arrêt paraît compromise : le procureur compétent a refusé à deux reprises de rouvrir l’enquête. 2) Deux décisions du Parquet à contre-courant de l’arrêt de la CEDH 818 - L’arrêt Wasilewska et Kałucka a été traduit en polonais et diffusé via le site Internet du ministère de la Justice et celui de la Police. Une copie du texte a été envoyée à tous les juges et procureurs. Le directeur général de la Police a été invité par ailleurs à informer ses surbordonnés de cet arrêt, lequel fut incorporé dans le matériel utilisé pour les modules de la formation initiale et spécialisée des policiers. L’unité de police basée à Łódź, directement impliquée dans cette affaire, a été tout particulièrement instruite des conséquences de l’arrêt de la CEDH par le directeur régional de la Police638. 819 - La condamnation de la Pologne à la violation de l’article 2 impliquait, en principe, que les autorités rouvrent l’enquête sur les circonstances de la mort du proche des requérantes. Le procureur régional de Łódź a invoqué l’arrêt de la CEDH dans sa décision du 13 octobre 2010 de reprendre l’enquête. Pourtant, le 31 décembre 2010, le procureur prononça à nouveau le classement du dossier, considérant que les policiers avaient bien agi dans les limites de leurs attributions. Les avocats des requérantes interjetèrent appel. La cour de district de Tomaszów Mazowiecki annula la décision du procureur régionale de Łódź. Celui-ci, pourtant, maintint sa position par une décision finale du 30 juin 2012. Le procureur conclut que les policiers n’avaient pas commis de crime639. Aucune procédure disciplinaire n’a pu être engagée contre les policiers impliqués dans cette opération. Le rapport destiné à une enquête interne qu’ils avaient établi sur l’utilisation de leurs armes, conformément à la législation en vigueur, a été examiné par leurs supérieurs puis détruit une fois écoulé un certain délai640. 637 Ibid., §§ 69-63. Dans l’affaire Przemyk c. Pologne (n°22426/11) jugée en 2013, la CEDH a retenu également la violation de l’article 2 de la Conv. EDH prise en sa branche matérielle. Les faits concernent le manque d’enquête effective après la mort d’un jeune homme entre les mains de la police communiste. Cet arrêt a déjà été développé précédemment (cf. Partie I, Titre I, Chapitre I, Section II). 638 Com. Min., Document DH-DD(2013)308 (bilan d’action des autorités pour l’affaire Wasilewska et Kałucka c. Pologne), 19 mars 2013. 639 Ibidem. 640 Com. Min., Document DH-DD(2015)432 (bilan d’action des autorités polonaises pour le groupe d’affaires 521 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 820 - La Fondation d’Helsinki s’est adressée au Comité des ministres en septembre 2011 pour déplorer l’inertie du procureur à la suite de l’arrêt de la CEDH et sa décision de classer l’affaire en décembre 2010. Elle a noté que la procédure ne pouvait être considérée comme effective puisque qu’à aucun moment la véracité des allégations des policiers n’avait été questionnée ni l’usage des armes à feu réellement évalué. Beaucoup de questions restaient donc en suspend, selon la Fondation641. Une fois la décision finale du procureur rendue en 2012, les requérantes pouvaient agir de leur propre initiative pour mener l’accusation (article 330 § 2 du CPP), ce qu’elles n’ont pas fait642. 821 - Dès la fin de l’année 2007, cinq ans après la mort du proche des requérantes de l’affaire Wasilewska et Kałucka, le commandant en chef de la police polonaise a instauré par sa décision n°781 une formation relative à la détention des personnes dangereuses. Elle fut complétée par un enseignement intitulé « Cours spécial sur les tactiques et techniques d’interventions » (décision n°878 du 5 décembre 2007) et par un « Cours spécial aux policiers assurant des interventions contre des personnes agressives et dangereuses » (décision n°766 du 11 décembre 2008)643. L’ensemble forme un corpus permettant aux policiers de prendre en charge les opérations délicates où les suspects sont potentiellement armés ou agressifs. 822 - La décision n°9 du commandant en chef de la police polonaise adoptée le 11 janvier 2010 a permis de systématiser et d’amplifier la formation des policiers aux droits de l’homme. Un enseignement est dispensé dans le cadre de l’unité codée JM01JS09 et dénommée « Droits de l’homme, éthique professionnelle et histoire de la Police ». Les cours font une large part à la protection des droits et libertés en lien avec les activités de la police : droit à la vie, prohibition de la torture, traitement inhumain ou dégradant en premier lieu, mais aussi droit à la liberté individuelle et à la sécurité, droit à la justice, liberté d’expression et de réunion et lutte contre les discriminations644. Un autre programme de formation (unité « Préparation à l’usage de mesure de contrainte directe », code JM02JS03) se décompose en cours magistraux sur l’emploi de la force et ateliers pratiques dans lesquels les élèves-policiers doivent analyser une situation et justifier l’usage et le type de contrainte à employer, en congruence avec les Dzwonkowski), 17 avril 2015. 641 Com. Min., Document DH-DD(2013)866 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) dans l’affaire Wasilewska et Kałucka c. Pologne), 19 août 2013. 642 Com. Min., Document DH-DD(2015)432 (bilan d’action des autorités polonaises pour le groupe d’affaires Dzwonkowski), préc. 643 CPT, Response of the Polish government…, préc, § 7, pp. 13-14. 644 Ibidem, § 7, p. 11. 522 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » règles éthiques enseignées. La jurisprudence de la CEDH645 a d’ailleurs servi, selon le gouvernement, à nourrir les discussions lors de la présentation des résultats des groupes d’élèves à l’issue des ateliers646. Dans le prolongement de cet enseignement, peuvent être citées trois autres unités (« Application de la force physique comme mesure de contrainte directe », code JM10JS02 ; « Compétences techniques applicables lors d’une intervention de police », code JM10JS03) ; « Les matraques comme mesure de contrainte directe », code JM10JS04) qui viennent compléter et préciser la sensibilisation générale au respect de l’intégrité des personnes interpelées, suspectes ou détenues647. Par exemple, les élèves-policiers prennent connaissance des situations dans lesquelles l’usage de la matraque est interdit, ou encore s’exercent à neutraliser une personne au sol en restreignant ses mouvements, tout en la préservant de la douleur et de l’humiliation648. 823 - Malgré ces initiatives positives, le comportement des autorités polonaises au regard de l’affaire Wasilewska et Kałucka ne laisse pas de surprendre. En refusant d’abord de transmettre à la CEDH les informations nécessaires à l’établissement objectif des faits, puis en coupant court, via le Parquet, à des poursuites judiciaires contre les policiers auteurs de la fusillade, le gouvernement semble peu décidé à faire la lumière sur les faits tragiques survenus en août 2002. Ses réticences vis-à-vis de l’intervention de la CEDH concernent moins la question de l’usage de la force par la Police en général – comme tendent à le démontrer les mesures générales adoptées – que la résolution des cas particuliers. Le Comité est toujours chargé à l’heure actuelle d’en suivre l’exécution. Dans plusieurs affaires à l’issue moins tragique, les requérants avaient été frappés de façon disproportionnée et injustifiée par des policiers, en méconnaissace du principe d’interdiction des traitements dégradants. B. La violation de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants lors d’interpellations Blessés à l’occasion d’interventions de police, les requérants d’une demi-douzaine 645 Il s’agit de sa jurisprudence en général, relative aux règles d’usage de la force par la police des États-parties à la Conv. EDH, non spécifiquement des affaires concernant la Pologne. 646 CPT, Response of the Polish Government…, préc, § 7, p. 11. 647 Il existe effectivement deux unités d’enseignement spéciales qui concernent le comportement des policiers dans les centres de détention (« Détention d’une personne », code JM02JS06 et « Assurer une fonction de protection dans les établissements pour détenus », code JM04JS02). 648 CPT, Response of the Polish Government…, préc, § 7, p. 12. 523 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME d’affaires portées devant la CEDH avaient allégué l’usage disproportionné de la force par les officiers ou l’absence d’enquête effective par la suite et ont obtenu gain de cause (1). Le gouvernement, relayé par le Parquet et l’administration des services de Police, a pris un grand nombre d’initiatives pour éliminer les causes des violences policières et mener à bien les procédures qui s’y rapportent (2). 1) La violation de l’article 3 de la Convention par l’usage disproportionné de la coercition par des policiers et l’ineffectivité de l’enquête ultérieure 824 - Entre 2007 et 2011, la CEDH a examiné une série d’affaires relatives à des violences injustifiées commises par des policiers à l’occasion d’opérations de maintien de l’ordre. La première d’entre elles avait été transmise par Dariusz Dzwonkowski, qui avait été interpellé par la police avec d’autres personnes près d’une boîte de nuit, le 12 juin 1997. Suspecté de troubles à l’ordre public, le requérant a affirmé avoir été frappé à coup de poings à la tête et insulté par les policiers. Des rapports médicaux rédigés dans les heures qui suivirent l’incident mirent en évidence plusieurs fractures du visage. Le 13 juin 1997, il déposa plainte contre l’officier de police qui l’aurait battu. Mais l’affaire fut classée sur décision du procureur le 22 septembre 1997. Le plaignant et son avocat interjetèrent appel. La décision initiale fut néanmoins confirmée en juin 1998. Comble de l’ironie, M. Dzwonkowski fut lui-même poursuivi dans cette affaire pour agression contre les policiers et condamné en novembre 2002. Devant la CEDH qu’il avait saisie d’une requête individuelle, il s’est plaint de la violation de l’article 3 de la Conv. EDH. La Cour a considéré que le degré de violence employée par la police la nuit du 12 juin 1997 lors de l’interpellation avait été disproportionnée et injustifiée. Par ailleurs, la Cour considéra que les investigations menées contre l’officier de police responsable des coups ne pouvaient être regardées comme convaincantes puisque aucun crédit n’avait été accordé aux témoignages confirmant les violences contre le requérant et que les blessures relevées sur son visage n’avaient pas été expliquées. La Cour a donc retenu une doubleviolation de l’article 3, pris en ses branches matérielle et procédurale649. 825 - En 2009, la Cour a retenu la violation par la Pologne des obligations matérielles contenues dans l’article 3 en jugeant l’affaire Mrozowski. Alors qu’il voyageait le 28 avril 2002 à bord d’un train qui devait le ramener à la gare de Piastów, le requérant s’est trouvé à proximité de supporters d’une équipe de football. Parmi eux, une minorité de casseurs a commencé de 649 CEDH, Dzwonkowski c. Pologne, n°46702/99, 12 avril 2007. 524 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » vandaliser le wagon et les contrôleurs du train ont immédiatement appelé la police lors d’un arrêt à la station Varsovie-Włochy. M. Mrozowski, totalement étranger aux incidents, a été frappé plusieurs fois au visage à coups de matraque par l’un des policiers, insulté puis trainé hors du train sur le quai de la station et insulté. Les policiers ont par la suite appelé une ambulance qui emmena la victime vers l’hôpital Wolski de Varsovie. Le certificat médical établi par les médecins de l’hôpital fit état d’une blessure sur le côté droit de la mâchoire et de la perte de cinq dents. En raison de la gravité de ses blessures, il bénéficia d’une période d’incapacité supérieure à sept jours. M. Mrozowski saisit le procureur du district de Varsovie en mai 2002 aux fins d’intenter une procédure judiciaire contre la police et en particulier contre l’officier responsable des coups portés. Le rapport médico-légal établi en réponse aux questions posées par le procureur confirma que les blessures constatées sur le requérant étaient compatibles avec la version des faits livrée par celui-ci. Le 12 avril 2003, le procureur décida pourtant d’interrompre l’instruction contre les actes de la police, après que plusieurs témoins (dont des passagers et les agents de police concernés) ont indiqué que le requérant avait refusé de se soumettre à une vérification d’identité et avait commencé à se battre avec l’un des policiers. L’affaire s’est ensuite retournée contre le requérant qui fut mis en examen en janvier 2003 pour dégradation de matériel et usage de la violence contre des policiers. Il fut toutefois acquitté le 14 mai 2007. Devant la CEDH, le gouvernement admit que les policiers avaient employé la force en contradiction avec le droit interne pertinent, en l’occurrence un règlement du 17 septembre 1990650 qui interdisait, primo, de frapper un individu au visage avec une matraque et, secundo, de frapper à l’aide d’un tel instrument un individu se livrant à une défense passive. Il précisa que l’incident était survenu au cours d’une opération imprévue dont les policiers ne pouvaient présager l’issue. La Cour a considéré qu’aucun argument n’était de nature à justifier un tel degré de coercition contre le requérant en connaissance des faits établis par la cour de district de Varsovie651. 826 - En 2009, fut aussi jugée par la CEDH la requête transmise par Jerzy Pieniak, arrêté par la police le 18 septembre 2001 et frappé à cette occasion selon ses dires. Les médecins chargés de l’examiner au lendemain de son arrestation relevèrent des hématomes et égratignures sur son corps. Les deux enquêtes ouvertes successivement en 2001 et 2006 contre les policiers 650 Rozporządzenie Rady Ministrów z dnia 17 września 1990 r. w sprawie określenia przypadków oraz warunków i sposobów użycia przez policjantów środków przymusu bezpośredniego [Règlement du Conseil des Ministres du 17 septembre 1990 sur les circonstances ainsi que les méthodes et moyens d’emploi des mesures coercitives par les policiers], Dz. U., 1990, n°70, texte 410, pp. 962-964. Cet acte est resté en vigueur jusqu’au 5 juin 2013. 651 CEDH, Mrozowski c. Pologne, n°9258/04, 12 mai 2009. 525 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ont été classées sans suite. La CEDH a estimé pour sa part que les autorités s’étaient montrées défaillantes, incapables de fournir des explications convaincantes sur les traces de coups constatées sur le corps du requérant. Considérant, d’une part, que des violences policières pouvaient en être à l’origine, elle a retenu la violation de l’article 3 pris en sa branche matérielle. Notant, d’autre part, que de nombreux retards avaient compromis les procédures intentées contre les policiers et donc diminué les chances de résolution, elle a retenu la violation de l’article 3 pris en sa branche procédurale652. 827 - Toujours en 2009, la CEDH a examiné une requête transmise par les parents d’un jeune homme, frappé par la police lors de son arrestation en avril 2000, alors qu’il était en train de dégrader des biens publics sous l’empire de l’alcool. Un certificat médical rédigé à la sortie de sa garde à vue attesta de stigmates de ces violences policières. La plainte déposée contre les policiers se solda en mars 2001 par un non-lieu prononcé par le procureur. La décision fut confirmée par la cour de district en 2001, au motif que le procureur avait convenablement apprécié qu’aucune preuve ne pouvait amener à conclure que la force employée par la police avait été disproportionnée. En revanche, le plaignant fut, lui, poursuivi pour attaque et insultes contre les policiers. Il mit fin à ses jours le 27 mai 2001. Devant la CEDH, ses parents ont invoqué la violation de l’article 3 de la Conv. EDH. La Cour leur a donné raison, retenant une double-violation de ce texte : il ressortait bien des éléments factuels que les policiers avaient fait un usage démesuré de la force et les autorités, par la suite, n’avaient pas su assurer une enquête effective par la faute d’une instruction « superficielle » et « manquant d’objectivité »653. Concernant la procédure judiciaire, malgré l’ouverture d’une enquête visant à établir la responsabilité pénale des policiers, la CEDH n’a pas été convaincue par l’issue de celle-ci. Le procureur avait conclu que le requérant avait été frappé au bras sans chercher à fournir une explication logique sur les causes des fractures des dents et de la mâchoire, pourtant relevées sur la victime. La Cour a, de même, dénoncé l’acceptation inconditionnelle par le procureur des dépositions des officiers de police sans qu’il ne soit tenu compte de leur propre intérêt à minimiser leur responsabilité. C’est pourquoi, sur le fondement de ces éléments, la CEDH a retenu la violation de l’article 3 de la Conv. EDH dans sa dimension procédurale654. 828 - En 2011, la CEDH a condamné la Pologne en raison de l’absence d’investigations ef652 CEDH, Pieniak c. Pologne, n°19616/04, 24 février 2009 : 653 CEDH, Lewandowski et Lewandowska c. Pologne, n°15562/02, 13 janvier 2009, § 74 654 Ibidem, §§ 34-44 526 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » fectives sur l’emploi de la violence par les policiers qui escortaient le requérant, alors détenu. Le 21 novembre 2006, celui-ci aurait été brutalisé lors d’un transfert pour une audience juridictionnelle au cours duquel il tenta de s’enfuir. Après un court passage à l’hôpital, il avait été amené au tribunal et – alléguait-il – ligoté à un rédiateur, mis à nu, étranglé et roué de coups. Le médecin du centre de détention confirma des lésions et traces de coups sur son corps. Le procureur ouvrit une enquête en février 2007, mais l’affaire fut classée. La CEDH n’a pas considéré cette procédure comme conforme aux standards de la Convention655. En revanche, dans l’affaire Sambor jugée elle-aussi en 2011 à propos de la procédure intentée contre des policiers qui avaient gravement blessé aux jambes un jeune homme armé et agressif retranché dans sa chambre, la CEDH a considéré que les fonctionnaires avaient agi en état de légitime défense et que les investigations menées par la justice avaient été adéquates656. Les mesures individuelles qui suivirent ces arrêts ont été décevantes pour les requérants. En revanche, les autorités ont agi pour éviter de nouveaux faits similaires et améliorer le déroulement des enquêtes sur les allégations de violences policières. 2) De nombreuses initatives réalisées ou projetées en matière d’éthique, de formation et de surveillance des policiers 829 - Comme avec l’affaire Wasilewska et Kałucka précédemment abordée, la condamnation de l’État dans ces affaires invitait à la réouverture des procédures internes. Celles qui étaient à l’origine des affaires Dzwonkowski, Lewandowski et Lewandowska et Karbowniczek n’ont pas été poursuivies. Dans l’affaire Pieniak, la procédure a été définitivement classée en mars 2007, deux ans avant le jugement de la Cour. Seule l’affaire Mrozowski a conduit à une reprise de la procédure en avril 2010 pour aboutir le 4 juin 2012 à la condamnation de l’officier de police qui l’avait battu sur le quai de la gare. 830 - Des procédures disciplinaires ont été parfois engagées. Ainsi, l’enquête menée contre les policiers qui avaient attaché M. Karbowniczek a conclu que ceux-ci avaient violé les règles disciplinaires. Mais les fonctionnaires mis en cause dans les autres affaires ont été blanchis657. Aucune enquête préalable à une procédure disciplinaire n’a été ouverte dans les affaires Dzwonkowski et Mrozowski. Enfin, dans l’affaire Lewandowski et Lewandowska, une 655 CEDH, Karbowniczek c. Pologne, n°22339/08, 29 septembre 2011. 656 CEDH, Sambor c. Pologne, n°15579/05, 1er juillet 2011. 657 Les violences alléguées par M. Pieniak ont été jugées fantaisistes et la plainte de M. Polanowski a été déclarée infondée. 527 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME enquête a été ouverte mais n’a conduit à aucune procédure disciplinaire658. 831 - Plus à l’aise avec la prévention d’autres violations similaires des droits de l’homme qu’avec la répression de celles qui sont survenues, la Pologne s’est donnée les moyens d’assurer le respect des exigences des articles 2 et 3 de la Conv. EDH en précisant les conditions d’utilisation de la force coercitive par la police. Sa première tâche fut évidemment de diffuser les arrêts de la CEDH. Ils ont été traduits et publiés sur le site Internet d’information au public administré par la Police. Le ministère de la Justice a préparé une brochure intitulée Obligation de poursuivre et de mener une enquête effective pour expliquer les circonstances d’infractions qui constituent une violation grave des droits de l’homme. Elle fut mise en ligne sur le site Internet du ministère. Le groupe d’affaires Dzwonkowski est au programme des séminaires de formation intiale et de formation continue dispensés par l’École nationale des juges et procureurs. Le ministre de l’Intérieur a fait traduire en polonais deux texte provenant des organisations européennes : la Convention europénne des droits de l’homme et la police, édité par le Conseil de l’Europe en 2013 et le Manuel pour les instructeurs de police de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne659. 832 - La loi du 24 mai 2013 relative aux mesures de coercition et à l’usage des armes à feu préconise d’employer toujours la mesure susceptible de causer le moins de dommage parmi les différents moyens à disposition, « prenant en considération leurs propriétés, qui peuvent présenter une menace pour la vie ou la santé de son utilisateur ou d’une personne » (article 7 § 1)660. Ce texte est l’ultime traduction d’une volonté d’accroître les règles éthiques de l’action policière. Plusieurs textes allaient effectivement dans ce sens au cours des dix années précédentes (directive du directeur général de la police sur les principes de l’éthique professionnelle de l’officier de police du 31 décembre 2003, règlement du ministre de l’Intérieur du 18 avril 2002 relatif aux candidats aux emplois de policiers661). L’entrée en vigueur de la loi sur les mesures de coercition et l’usage des armées à feu, le 5 juin 2013, s’est accompagné de la publication d’une brochure intitulée Les pouvoirs de l’officier de police au regard de 658 Com. Min., Document DH-DD(2015)432 (bilan d’action des autorités polonaises pour le groupe d’affaires Dzwonkowski), préc. 659 Ibidem. 660 Loi du 24 mai 2013 sur les moyens de coercition et les armes à feu, préc. 661 Rozporządzenie Ministra Spraw Wewnętrznych z dnia 18 kwietnia 2012 r. w sprawie postępowania kwalifikacyjnego w stosunku do kandydatów ubiegających się o przyjęcie do służby w Policji [Règlement du ministre de l’Intérieur du 18 avril 2012 sur la procédure de qualification relative aux candidats à l’admission dans les services de la Police], Dz. U., 2012, texte 437. Ce texte pose l’obligation d’évaluer l’aptitude sociale et l’état psychologique du candidat en vue de son admission comme officier de police. 528 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » l’usage de moyens de coercition directe et d’armes à feu et distribuée dans chaque bureau de police. Le Centre d’entrainement de la police a complété cette documentation par la réalisation de vidéos d’instructions présentant des modèles de comportement à adopter dans différentes situations, tels les contrôles d’identité, les fouilles, l’arrestation de personnes, l’usage de la coercition. 833 - La Police polonaise alimente aujourd’hui un programme destiné à prévenir les comportements impropres de ses agents : le SWI (System Wczesnej Interwencji – Système d’intervention précoce). Il concentre toutes les données sur la formation des officiers pour développer leurs compétences et informe régulièrement par newsletters les bureaux de police de toute affaire mettant en cause le comportement d’un policier. L’action du gouvernement en matière de lutte contre les mauvais comportements des policiers s’inscrit néanmoins dans la durée. Le dernier bilan d’action en date transmis au Comité des ministres (15 avril 2015) fait état d’un très vaste projet placé sous la responsabilité du ministre de l’Intérieur. Il doit être réalisé par une équipe comprenant des représentants du ministère de l’Intérieur, d’associations de défense des droits de l’homme, de psychologues de la Police et d’autres experts. Le but est d’élaborer un ensemble de mesures très variées et de les mettre en œuvre au cours de l’année 2016 dans l’espoir d’établir une première évaluation à la fin de l’année 2017. Ce groupe d’experts a été chargé de réfléchir aux actions qui permettront de modifier les mauvaises attitudes observées chez certains policiers, de mieux former les officiers et de garantir leur assiduité aux séances de formation, de tirer profit des compétences des psychologues pour encadrer le travail des policiers, d’améliorer le processus de sélection des candidats désireux d’entrer dans la Police, de généraliser la supervision administrative du comportement des officiers, etc662. 834 - Pour répondre à l’obligation conventionnelle de mener une enquête adéquate à la suite d’accusation de violences policières, le ministre de l’Intérieur a adopté le 13 septembre 2012 de nouvelles règles pour conduire l’examen médical d’une personne arrêtée. Le texte introduit le principe d’un contrôle médical obligatoire pour les femmes enceintes ou en période d’allaitement, les personnes souffrant de troubles psychologiques, les personnes atteintes de maladies contagieuses et les mineurs alcoolisés ou drogués663. Le Parquet a pris sa part à la 662 Com. Min., Document DH-DD(2015)432 (bilan d’action des autorités polonaises pour le groupe d’affaires Dzwonkowski), préc. 663 Rozporządzenie Ministra Spraw Wewnętrznych z dnia 13 września 2012 r. w sprawie badań lekarskich osób zatrzymanych przez Policję [Règlement du ministre de l’Intérieur du 13 septembre 2012 sur l’examen médical des personnes arrêtées par la Police], Dz. U., 2012, texte 1102. 529 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME réception des standards européens en préparant un Guide de conduite des procédures pour des infractions ayant porté atteinte à la vie ou causé des traitements ou peines inhumains ou dégradants, causées par l’action de la Police ou d’officiers publics. Achevé le 27 juin 2014, il impose aux procureurs de se conformer à un ensemble de précaution dans le cadre de ces procédures (enquête dynamique pour rassembler les preuves, collecte de toute documentation médicale permettant d’expliquer l’état de la victime, conduite de l’instruction par le procureur en personne, etc.). Un système de surveillance est mis en place pour répertorier toutes les informations sur le déroulement des procédures concernées et permettre la publication d’un rapport semestriel au Procureur général664. Une dernière affaire mettant en cause des agents de police polonais en service est survenue dans un autre contexte. La vérification de documents administratifs au domicile de jeunes étudiants dériva en violences gratuites. C. La violation de l’interdiction des traitements dégradants lors d’un contrôle d’identité En 2009, la CEDH a condamné la Pologne pour la violation des articles 3 et 8, causée par un contrôle de police mouvementé au domicile de jeunes gens (1). La bonne réception de l’arrêt devrait conduire prochainement le Comité des ministres à en clore le suivi (2). 1) Le comportement inapproprié d’officiers de police lors d’un contrôle à domicile sanctionné par la CEDH 835 - L’arrêt rendu le 28 juillet 2009 dans l’affaire Rachwalski et Ferenc illustre différemment le comportement illégal que peuvent adopter des agents de police dans l’exercice de leurs fonctions. Les faits sont survenus dans la nuit du 14 juin 1997 lorsque deux policiers ont frappé au domicile d’un étudiant qui hébergeait alors treize amis à Wrocław. Bien que le déroulement des événements fît l’objet de désaccords entre les parties, il est ressorti des éléments dégagés par l’enquête et des témoignages que les policiers avaient interrogé les occupants de la maison, réveillés par leur arrivée, au sujet d’une voiture garée devant la maison et non verrouillée. Les policiers expliquèrent avoir trouvé la voiture « suspecte » et songé à un véhicule volé. La discussion qui s’ensuivit avec les jeunes gens, principalement les deux auteurs de la requêtes, Piotr Rachwalski et Agata Ferenc, ainsi qu’un de leurs amis, D. S., est 664 Com. Min., Document DH-DD(2015)432 (bilan d’action des autorités polonaises pour le groupe d’affaires Dzwonkowski), préc. 530 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » devenue rapidement tendue. Agressif, D. S. a tenté de frapper l’un des policiers et ces derniers ont répliqué brutalement. M. Rachwalski a notamment été frappé alors qu’il présentait les papiers en règles du véhicule litigieux. Les policiers ont prétendu avoir mal interprété son geste en raison de la pénombre et crurent à une attaque. Ils auraient été insultés et bousculés par les occupants de la maison, ce qui les contraignit à appeler des renforts. Peu après, une dizaine de policiers et des chiens sont intervenus à leur tour, forçant les quatorze jeunes gens à sortir dans la cour de la maison et à s’appuyer sur le mur. Très agité, D. S. a été frappé, menotté, et conduit jusqu’à la voiture des agents le temps d’effectuer les contrôles d’identité665. 836 - L’enquête pénale diligentée contre les agents de police pour abus de pouvoir s’est achevée sur une décision du procureur du district, lequel déclara le 23 décembre 1997 que l’affaire ne serait pas instruite, faute d’infraction commise. M. Rachwalski déposa un recours, reprochant à la police des brutalités, des agressions, la violation de son domicile et des insultes injustifiées. Il faisait grief à la décision du procureur de district d’avoir retenu une succession de faits basée sur les seuls témoignages des policiers. Il dénonçait également les remarques désobligeantes formulées à son endroit par le procureur au sujet de son style vestimentaire, de sa coupe de cheveux et de ses opinions lors de son interrogatoire. La décision attaquée fut néanmoins confirmée le 20 mai 1998, par le procureur régional de Wrocław666. 837 - L’affaire a été portée devant la CEDH par M. Rachwalski et Mlle. Ferenc. Ces derniers reprochèrent aux autorités polonaises d’avoir contrevenu aux obligations imposées par la Conv. EDH en leur infligeant un traitement dégradant et estimèrent par ailleurs que de la violation nocturne de leur domicile résultait la méconnaissance de l’article 8 de la Convention. La Cour, au regard des faits contradictoires avancés par les parties, a qualifié de critiquable la manière dont les policiers avaient mené leur intervention, notamment après l’arrivée sur les lieux des renforts. En l’espèce, l’emploi des matraques contre les requérants n’apparaissait pas indispensable pour mener à bien le contrôle d’identité. L’usage de la force avait ainsi davantage consisté en une punition qu’en une réelle nécessité de briser ou de décourager une opposition physique de la part des interpellés667. 838 - Quelques semaines après cet arrêt Rachwalski et Ferenc, la Pologne fut à nouveau jugée pour des allégations de violences policières lors d’un contrôle d’identité survenu dans la soirée du 2 juin 2001. Le procureur chargé de la plainte de la requérante avait décidé de classer 665 CEDH, Rachwalski et Ferenc c. Pologne, n°47709/99, 28 juillet 2009, §§ 8-19. 666 Ibidem, §§ 20-31. 667 Ibid., 39-63. 531 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’affaire en mai 2003, estimant que les officiers n’avaient pas commis d’abus d’autorité. La CEDH a rejeté cette fois-ci la violation de l’article 3 de la Convention. Elle a jugé proportionné le recours à la force contre la requérante, qui avait résisté à la police668. La loi sur l’usage de la force par la Police a été adoptée à la suite de cet arrêt. Elle dispose explicitement que les forces de l’ordre doivent employer la moindre force lorsqu’ils usent de la coercition. 2) Les conditions d’usage de la force par la Police précisées après l’arrêt de la Cour 839 - Une fois l’arrêt de la CEDH rendu en leur faveur, les deux requérants de l’affaire Rachwalski et Ferenc n’ont pas souhaité la réouvertue de l’enquête contre les policiers qui les avaient malmenés. Agata Ferenc a reçu le montant de la satisfaction équitable octroyée par la Cour (2 000 EUR) avec deux mois de retard, ce que les autorités étatiques ont été incapables de justifier669. L’arrêt en question a été publié en langue polonaise sur le site Internet d’informations à destination du public de la Police et distribué à tous les officiers. Le magazine mensuel Policja 997 a publié une synthèse des points-clefs de l’arrêt de la CEDH. 840 - Trois ans se sont écoulés avant le renforcement de la législation sur l’usage de la force par les policiers. Le 23 mai 2013, la Diète a adopté la loi sur les mesures coercitives et les armes à feu, déjà citée. Son article 6 § 1 dispose : « Les mesures coercitives doivent être employées d’une manière nécessaire à l’objectif de leur usage, proportionnellement au degré du danger, en choisissant la mesure causant le moindre mal »670. La loi de 1990 sur la Police modifiée renvoie directement au cadre fixé par la loi de 2013 lorsque les officiers de police doivent recourir à des mesures de coercitions671. Les autorités polonaises ont aussi souligné que les règlements d’applications de ces nouvelles dispositions législatives, adoptés après l’arrêt Rachwalski et Ferenc, ont conduit à renforcer la protection des personnes gardées à 668 CEDH, Staszewska c. Pologne, n°10049/04, 3 novembre 2009. Un même constat avait conduit au rejet de la violation de l’article 3 dans une affaire jugée en 2007, le requérant s’étant en l’espèce montré violent à l’égard des policiers lors de son arrestation, ce qui justifiait l’usage proportionné de la force par les agents (CEDH, Jasiński c. Pologne, n°72976/01, 6 décembre 2007). 669 Com. Min., Document DH-DD(2014)808 (bilan d’action des autorités pour l’affaire Rachwalski et Ferenc c. Pologne), 18 juin 2014. 670 Loi du 24 mai 2013 sur les moyens de coercition et les armes à feu, préc. 671 Ustawa z dnia 6 kwietnia 1990 r. o Policji [Loi du 6 avril 1990 sur la Police], Dz. U., 1990, n°30, texte 179, pp. 385-400. L’article 16 § 3 de cette loi dispose désormais que « l’usage des mesures coercitives et d’armes à feu ainsi que les instructions sur cet usage sont basés sur les principes établis par la loi du 24 mai 2013 sur les moyens de coercition et les armes à feu ». 532 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » vue. 841 - Depuis 2011, la formation des policiers a été renforcée grâce aux séances d’entraînement consacrées à l’usage de la force. Un supérieur hiérarchique peut refuser qu’un policier prenne du service s’il ignore les règles d’usage des mesures coercitives enseignées lors desdits entraînements. En juillet 2013, le commandant en chef des forces de police a diffusé auprès de toutes les unités locales une circulaire d’interprétation de la loi du 24 mai 2013. La réaction de l’État polonais à la suite des condamnations de la CEDH en raison de violences policières est contrastée : les requérants n’obtiennent pas systématiquement la réouverture de la procédure interne les concernant mais l’État veille attentivement au développement d’outils de prévention et de contrôle de l’usage disproportionnée de la force par des policiers. Ce sont aussi des exigences de sécurité, à l’échelle internationale cette fois, qui ont conduit la Pologne à coopérer avec les États-Unis et accepter, sur son territoire, l’implantation d’une base de la CIA où furent isolés et torturés des terroristes présumés. § 2. L’EXISTENCE D’UNE BASE SECRÈTE DE LA CIA DANS LE CADRE DE LA LUTTE ANTITERRORISTE 842 - La lutte contre le terrorisme et les restrictions qu’elle peut apporter au droit de la Convention est une question constante dans l’histoire de la Cour. Il suffit de garder en mémoire que le tout premier arrêt tranché par la CEDH concernait l’Armée Républicaine Irlandaise (l’IRA)672. Ces dernières années, la thématique terroriste a réapparu au sujet de l’expulsion de terroristes présumés que la Cour était appelée à empêcher pour éviter, le cas échéant, qu’il fût porté atteinte à leur vie ou l’intégrité physique des requérants673. Le terrorisme, quand bien même il destabilise l’État et l’attaque au cœur en cherchant à affaiblir les libertés et la démocratie, ne saurait justifier de restrictions disproportionnées aux droits de la Convention et en- 672 CEDH, Lawless c. Irlande, n°332/57, 1er juillet 1961, Série A, n°3. 673 Voir par ex. : CEDH, Saadi c. Italie, n°37201/06, 28 février 2008, Rec. 2008-II ; CEDH, Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, n°8139/09, 17 janvier 2012, Rec. 2012-I. Dans la première affaire, la CEDH a demandé aux autorités italiennes de sursoir à l’extradition du requérant tant qu’elles n’auraient pas la garantie du pays à l’origine de la demande – la Tunisie – que celui-ci ne serait pas maltraité. Dans la seconde, le Royaume de Jordanie ayant assuré et offert les garanties que le requérant ne subirait pas de torture, les autorités britanniques pouvaient procéder à son extradition sans violer l’article 3 de la Conv. EDH. 533 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME core moins une atteinte au noyau indérogeable constitué par les premiers articles du texte674. Les deux arrêts de la CEDH rendus en 2014 sont lourds de conséquences pour l’État polonais, reconnu responsable de la violation d’au moins sept articles de la Conv. EDH dans chacun d’eux (A) mais surtout rappelé à ses obligations de collaboration avec le juge européen en raison de la rétention d’informations de la part des autorités (B). A. La détention de terroristes présumés dans la base secrète de Stare Kiejkuty La création d’une base clandestine – ou « site noir » – administrée par la CIA dans la localité de Stare Kiejkuty fait suite à un accord confidentiel conclu entre les États-Unis avec la Pologne (1). Deux des anciens détenus, suspectés de terrorisme, ont saisi la CEDH pour se plaindre des traitements subis, tandis que l’enquête ouverte devant les juridictions internes piétinait. La Cour a retenu dans chaque affaire de multiples violations de la Conv. EDH (2). L’exécution des deux arrêts s’annonce difficile (4). 1) L’accord entre la CIA et les autorités polonaises pour la lutte antiterroriste 843 - À la suite des attaques commises le 11 septembre 2001 à New York et Washington, le Président américain George W. Bush autorisa la CIA à superviser la détention et l’interrogatoire de terroristes présumés dans des pays étrangers, en coopération avec les gouvernements concernés. De 2003 à 2006, les conditions de détention dans les centres de la CIA à l’étranger ont été encadrées par le Guide sur les conditions de confinement des détenus. Pour obtenir davantage d’informations, l’administration américaine a développé un programme antiterroriste basé sur un rapport de la CIA du 7 mai 2004 : le programme HVD. Classé top-secret, ce rapport dressait le bilan de la lutte antiterroriste entre septembre 2001 et octobre 2003 et préconisaient de procéder à des « techniques d’interrogatoire améliorées » contre les détenus accusés de terrorisme. Elles étaient censées ne pas infliger de souffrances mentale ou physique durable, conformément à la loi américaine. Étaient visées par les missions de capture, d’incarcération et d’interrogation des cibles prioritaires, destinées à devenir des « détenus de haute valeur » (hight value detainees, HVD). Privés de tout contact avec le monde extérieur, les détenus soumis au programme HVD pouvait endurer des sévices destinés 674 Voir par ex. Gérard SOULIER, « Terrorism », in Mireille DELMAS-MARTY (dir.), The European Convention for the Protection of Human Rights – International Protection versus National Restrictions, Dordrecht-BostonLondres, Martinus Nijhoff Publishers, 1992, pp. 15-30. 534 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » à favoriser leurs aveux. La CIA préconisait ainsi comme « techniques de conditionnement » : la nudité, la privation de sommeil, le contrôle de l’apport quotidien en calories du détenu ; comme « techniques de correction » : les tapes, le face-à-face rapproché, le baillonnement ; comme « techniques coercitives » : la simulation de contact avec un mur, la simulation de noyade, les positions d’inconfort, l’attachement contre un mur, le confinement dans des cellules miniatures. Le Président Bush a annoncé la fin du programme HVD au mois de septembre 2006675. 844 - Dès 2005, la presse s’est faite l’écho de l’existence d’une base de la CIA en Pologne ayant pu abriter secrètement des terroristes. Ces révélations ne contribuèrent gère à se défaire d’un mythe contemporain : celui d’une Pologne post-communiste devenue le « cheval de Troie des États-Unis en Europe »676. Elles forcèrent quoi qu’il en fût le Parlement à conduire une enquête Parlementaire à l’automne 2005. À l’évidence bâclée, celle-ci a été critiquée tant par l’Union européenne par la voix de son Parlement (rapport Fava, 2007) que par le Conseil de l’Europe, à l’origine du rapport Marty (2006)677. 845 - De l’aveux même de l’ancien Président Aleksander Kwaśniewski et Leszek Miller, exPremier ministre678, la Pologne avait bien participé au programme HVD en collaboration secrète avec les États-Unis. Pour la géopolitologue Sophie Cassar, « en acceptant ce rôle, la Pologne a violé plusieurs règles auxquelles elle avait souscrit en adhérant à l’OTAN et à l’UE. Du point de vue des intérêts supérieurs de la Nation, et compte tenu de son environnement sécuritaire, la Pologne estime cependant que ces entorses sont consenties en vue d’un objectif plus stratégique et plus vital : le maintien à tout prix d’un lien privilégié avec ma puissance américaine »679. Le bilan indigent de la commission d’enquête parlementaire constitué sur le sujet et l’enlisement de la procédure pénale n’ont fait que déplacer le problème vers la justice internationale. La CEDH a sévèrement condamné la Pologne pour avoir couvert en connaissance de 675 CEDH, Al Nashiri c. Pologne, n°28761/11, 24 juillet 2014, §§ 49-52, § 67 et § 71. 676 David CADIER, « Les contraintes géopolitiques », Questions internationales, n°69, 2014, p. 36. Cette réputation tient tout autant au fameux épisode de l’achat de matériel de guerre américain, au détriment de ses partenaires européens, qu’à sa participation à la guerre d’Irak de 2003. 677 CEDH, Al Nashiri c. Pologne, préc. §§ 128-130. 678 Conférence de presse d’Aleksander Kwaśniewski et Leszek Miller, Varsovie, 10 décembre 2014. L’ancien Président de la République déclara avoir eu connaissance de l’existence d’un site secret de la CIA en Pologne mais dit ignorer la manière dont les détenus étaient traités. 679 Sophie CASSAR, La Pologne – Géopolitique du phénix de l’Europe, Perpignan, Artège, Coll. « Initiation à la géopolitique », 2010, p. 178. 535 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME cause les pratiques inhumaines conduites à Stare Kiejkuty. 2) Les conditions de détention dans la prison de la CIA en Pologne contraires à plusieurs dispositions de la Conv. EDH 846 - Dans l’affaire Abu Zubaydah, le requérant avait été soupçonné de participation à deux attaques terroristes, l’une contre le USS Cole en octobre 2000 au Yémen, l’autre contre le pétrolier français Limbourg en octobre 2002 dans le Golfe d’Aden. En mars 2002, il fut capturé au Pakistan puis transféré dans une prison secrète de la CIA située en Thaïlande. Séjourna également en ces lieux Abd al-Rahim al-Nashiri, l’auteur de la seconde requête devant la CEDH. Les deux hommes furent transportés, les 4 et 5 décembre 2002, sur le « site noir » de Stare Kiejkuty (200 kilomètres environ au nord de Varsovie). Ils furent accueillis à l’aéroport et conduits à la base d’entrainement des services secrets polonais situés dans cette petite localité au moyen d’un véhicule mis à disposition par les autorités polonaises. 847 - Abu Zubaydah fut détenu à Stare Kiejkuty jusqu’au 22 septembre 2003. Durant son emprisonnement, il fut soumis à diverses formes de mauvais traitements et privé de tout contact avec sa famille et le monde extérieur. De 2003 à 2006, il fut successivement détenu à Guantánamo, sur des bases secrètes du Maroc et de la Lituanie, puis à nouveau à Guantánamo. Son procès devant la commission militaire des États-Unis débuta en juin 2008680. Quant à Muhammad Al Nashiri, le requérant de l’affaire-jumelle, il avait été détenu à Stare Kiejkuty du 5 décembre 2002 au 6 juin 2003, avant de connaître les sites secrets de la CIA du Maroc et de Bucarest681 et la prison de Guantanamó. En juin 2008, a débuté son procès devant la Commission militaire américaine682. 848 - L’enquête parlementaire ouverte en Pologne à la suite des révélations dans la presse de l’existence d’un site secret de la CIA sur le territoire national fut des plus brèves (novembredécembre 2005). Elle fut surtout opaque : le gouvernement se contenta de déclarer que rien de fâcheux n’avait été découvert. En mars 2008, le procureur régional de Varsovie ouvrit une procédure contre X. au sujet des activités de la base de Stare Kiejkuty. Un dossier de quarante-trois volumes fut constitué et l’audition de soixante-deux personnes organisée. En décembre 2010, l’avocat polonais d’Abu Zubaydah demanda que son client obtienne le statut de 680 CEDH, Husayn (Abu Zubaydah) c. Pologne, n°7511/13, 24 juillet 2014, §§ 92-121. 681 Une requête dirigée contre la Roumanie a également été transmise à la CEDH le 1er juin 2012 (n°33234/12). Elle n’a pas encore fait l’objet d’un arrêt sur le fond ni d’une décision sur la recevabilité. 682 CEDH, Al Nashiri c. Pologne, n°28761/11, 24 juillet 2014, §§ 82-127. 536 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » victime dans le cadre de la procédure engagé. Cette demande reçut une réponse positive du procureur régional de Varsovie en janvier 2011. La levée du secret-défense de plusieurs personnalités de l’État a été demandée par le premier président de la Cour suprême durant la seconde moitié de l’année 2011. En janvier 2012, l’ancien directeur des services secrets (20022004) fut mis en examen pour abus de pouvoir et violation du droit international. Lui furent reprochés des ordres illégaux de détentions et de châtiments corporels sur prisonniers de guerre. La direction de l’instruction fut ensuite confiée au procureur régional de Cracovie sans raison explicite. La procédure était toujours pendante à l’été 2014 lorsque la CEDH examina l’affaire, tandis que plusieurs organes onusiens (le CDH, le CAT) et Amnesty International se sont publiquement inquiétés de la durée de l’enquête interne. 849 - Les affaires Abu Zubaydah et Al Nashiri ont été examinées conjointement par la CEDH mais ont conduit à deux arrêts distincts, rendus le 24 juillet 2014. Une audience à huis clos et une audience publique se se sont tenues respectivement les 2 et 3 décembre 2013 en présence du Rapporteur spécial des Nations Unies. Dans l’affaire Abu Zubaydah, la CEDH a retenu la violation de l’article 3 pris dans sa branche procédurale. Elle considéra à ce titre qu’en ouvrant une procédure plus de six ans après les faits et plus de deux ans après les premières rumeurs médiatiques sur l’existence d’une base secrète dans sa juridiction, et alors même que le gouvernement avait de plein gré collaboré au programme HVD et ne pouvait ignorer les risques de mauvais traitements encourus par les prisonniers, la Pologne avait failli à son obligation conventionnelle de mener une enquête effective. Quand bien même aucun agent polonais n’aurait participé ou assisté aux actes de torture commis sur le requérant, la CEDH a considéré que les autorités avaient laissé agir la CIA alors que les informations publiques connues au niveau mondial laissaient craindre que les détenus fussent victimes, dans le centre de Stare Kiejkuty, de traitements contraires à l’article 3 de la Conv. EDH683. La Pologne avait de surcroît participé au transfert du requérant vers un autre site secret à l’étranger où tortures et mauvais traitements étaient probables là encore. La Pologne avait dès lors violé l’article 3 pris dans sa branche matérielle. Pour la CEDH, il ne subsistait pas de doute sur le fait que la détention du requérant était contraire à l’article 5 de la Convention puisqu’elle avait été décidée par la voie d’accords diplomatiques secrets sans présentation du suspect à un juge et en violation des règles fondamentales de l’habeas corpus. Poursuivant l’examen de la requête, la 683 Pour la première fois avec les arrêts Abu Zubaydah et Al Nashiri, la Pologne a été condamnée pour torture sur le fondement de l’article 3 de la Conv. EDH (voir CEDH, Rapport annuel 2014, Strasbourg, 2015, p. 181 et p. 183). 537 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CEDH a retenu la violation de l’article 8 de la Conv. EDH pour la privation de tout contact entre le requérant et ses proches et plus généralement de toute communication avec l’environnement extérieur, le tout dans l’indifférence des autorités polonaises. La Cour a considéré que l’article 13 de la Convention, pris en conjonction avec les articles 3, 5 et 8, avait également été violé puisque le requérant n’avait bénéficié d’aucun moyen de se plaindre des mauvais traitements reçus, de sa détention illégale et de sa privation de contacts avec l’extérieur. Enfin, la Pologne, en autorisant le transfert du requérant et en le plaçant ainsi en situation d’être jugé par la Commission militaire américaine, avait exposé celui-ci à subir un procès inique, au regard de la nature de cette commission. Cette dernière ne pouvait en effet être considérée comme un tribunal au sens de la Convention, dans la mesure où elle utilisait des preuves obtenues sous la torture et qu’elle avait même été déclaré illégale684 par la justice américaine685. 850 - Dans l’affaire concernant Muhammad Al Nashiri, la CEDH a retenu la double-violation de l’article 3 (branche matérielle et procédurale) de la Convention, des articles 5, 6, 8 et de l’article 13 combiné avec l’article 3. Dans cet arrêt, la Cour a de surcroît condamné la Pologne au titre de l’article 1er du Protocole n°6 combiné avec les articles 2 et 3 de la Conv. EDH. Elle a en effet estimé que le requérant, une fois extradé, avait risqué la peine capitale aux États-Unis. Invoquant l’article 46 de la Convention, la Cour a fait valoir qu’il appartenait aux autorités polonaises de s’assurer auprès des autorités américaines que la peine capitale ne serait pas prononcée contre le requérant pour assurer la réparation de la violation du Protocole n°6 et des articles 2 et 3 de la Convention686. Lourdement condamnée et stigmatisée pour son manque de coopération avec la CEDH, la Pologne doit désormais exécuter ces deux arrêts. La tâche est d’autant plus difficile qu’elle ne pourra agir efficacement qu’avec le concours des autorités américaines. B. De la non-coopération à la non-exécution ? 851 - Dans chacune des deux affaires relatives aux prisons secrètes de la CIA, la CEDH a été confrontée au manque de coopération de la Pologne qui se traduisit concrètement par la rétention des documents qui lui étaient demandés afin de constituer le dossier. La Cour, avant de 684 Cour Suprême des États-Unis, Hamdan c. Rumsfeld, 29 juin 2006, affaire 558 US 557 (2006). 685 CEDH, Husayn (Abu Zubaydah) c. Pologne, préc., §§ 457-555. 686 CEDH, Al Nashiri c. Pologne, préc., §§ 460-579. 538 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » statuer sur les moyens invoqués par les requérants, a donc condamné cette attitude, contraire à l’article 38 de la Conv. EDH687. L’ancien juge polonais de la CEDH Lech Garlicki estime tout à fait probable que la décision de ne pas transmettre les documents demandés à la Cour provienne du plus haut niveau de l’État. Pour des raisons politiques, il aurait donc été préférable pour le gouvernement d’essuyer une condamnation à Strasbourg plutôt que de diffuser les informations diplomatiquement sensibles688. Les fonctionnaires des ministères de la Justice et des Affaires étrangères ont reçu chacun un exemplaire traduit en polonais des deux arrêts de la CEDH pour éviter à l’avenir une autre violation de l’article 38. Les arrêts traduits ont été mis en ligne sur les sites Internet des deux ministères concernés. Le Comité des ministres surveille pour l’heure l’exécution des arrêts en application de sa procédure soutenue. Depuis l’été 2014, le gouvernement a déjà transmis plusieurs plans d’action dans lesquels la place des mesures individuelles est prépondérante. Lors de la réunion tenu les 8 et 9 décembre 2015 (1243e réunion), le Comité des ministres a estimé que « la plupart des mesures énoncées dans le plan d'action ne trait[aient] pas les causes profondes des problèmes identifiés dans les arrêts de la Cour, à savoir le mépris flagrant du cadre juridique régissant les actions des agents de l'Etat ». Dans sa dernière mise à jour en date (février 2016)689, le plan d’action porte cependant mention des apports de la loi du 28 janvier 2016 sur le Parquet690 – au demeurant controversée – qui autorise par son article 12 § 2 les procureurs à communiquer aux médias les informations sur des procédures en cours d’instruction (sauf si elles sont classifiées) si cela revêt un intérêt important pour le public. Cette loi est entrée en vigueur le 4 mars 2016. 852 - Essentielles en l’espèce puisque la vie des requérants est menacée, des mesures individuelles ont été prises très tôt. La diplomatie polonaise, par l’action du sous-secrétaire auprès du ministère des Affaires étrangères Artur Nowak-Far, a transmis deux notes diplomatiques via l’ambassade des États-Unis à Varsovie (mars et mai 2015) pour solliciter des autorités américaines l’assurance que les requérants ne seraient pas maltraités, bénéficieraient d’un procès équitable et ne seraient pas condamnés à mort. M. Nowak-Far avait abordé le sujet directement avec Mary McLeod, délégué du Secrétariat d’État américain, le 9 octobre 2014 687 L’article 38 de la Convention dispose : « La Cour examine l’affaire de façon contradictoire avec les représentants des parties et, s’il y a lieu, procède à une enquête pour la conduite efficace de laquelle les Hautes Parties contractantes intéressées fourniront toutes facilités nécessaires ». 688 Entretien avec Lech Garlicki, Varsovie, 28 mai 2015. 689 Com. Min., Document DH-DD(2016)191 (plan d’action mis à jour des autorités polonaises dans les affaires Al Nashiri et Abu Zubaydah), 23 février 2016. 690 Ustawa z dnia 28 stycznia 2016 r. Prawo o prokuraturze [Loi du 28 janvier 2016 – Droit du parquet], Dz. U., 2016, texte 177. 539 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME lors d’une rencontre à Varsovie. En l’absence de réponse rapide, il s’est adressé par lettre le 14 octobre 2015 à l’ambassadeur des États-Unis en Pologne, Paul W. Jones, pour lui faire part du besoin urgent d’obtenir des garanties sur le traitement des deux requérants. Les autorités américaines ont finalement répondu par une lettre adressée au gouvernement polonais le 17 novembre 2015. Washington a rappelé que « la Conv. EDH et la CEDH ne réflétaient pas nécessairement les obligations des États-Unis en droit international » avant de considérer que les commissions militaires et les cours fédérales pouvaient juger les détenus de Guantanao « de manière conforme à tout le droit international et interne applicable » et qu’elles prohibaient « l’utilisation de déclarations obtenues sous la torture ou par des traitements inhumains ou dégradants ». Néanmoins, les autorités américaines n’ont pas écarté l’application de la peine de mort pour les deux terroristes présumés. Le gouvernement polonais s’est par conséquent dit prêt à répéter sa demande initiale691. 853 - Il ressort des informations obtenues par la Pologne et transmises au Comité des ministres que MM. Abu Zubaydah et Al Nashiri sont toujours détenus et n’ont pas encore été jugés. La procédure concernant le premier n’a pas même été engagée par le commission militaire et il ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle. Le second est notamment poursuivi pour trahison, perfidie, homicide de dix-sept soldats, terrorisme, conspiration, attaques contre des cibles civiles, détournement de navire ou d’avion. En Pologne, la procédure pénale portant sur les activités de la prison secrète de Stare Kiejkuty est observée de près par le Comité des ministres et les ONG agissant dans le domaine des droits de l’homme. Le secrétaire de la Fondation d’Helsinki Adam Bodnar estimait au début de l’année 2015 qu’aucune mesure sérieuse ne serait probablement adoptée et qu’il n’était guère possible d’espérer que des investigations fussent menées692. Pourtant, quelques progrès doivent être signalés ces derniers mois. L’enquête se poursuit : le Parquet collecte de nouvelles pièces, consulte les institutions (le Défenseur des droits civiques par exemple), reste en contact étroit avec les avocats des deux requérants, auditionne des témoins. La Pologne a requis l’assistance légale internationale de l’Italie, de la Lituanie, de la Roumanie, de la Suisse et surtout des États-Unis, en formulant plusieurs demandes parmi lesquelles l’audition de témoins, l’audition des deux requérants, la communication d’information sur les compagnies aériennes impliquées dans le transfert de détenus, etc. En novembre 2015, les États-Unis ont répondu par la négative à toutes les de- 691 Com. Min., Document DH-DD(2016)191 (plan d’action mis à jour des autorités polonaises dans les affaires Al Nashiri et Abu Zubaydah), préc. 692 Entretien avec Adam Bodnar, Varsovie, 29 mai 2015. 540 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » mandes. 854 - Le versement de la satisfaction équitable à l’un des requérants a elle-même posé problème, pour des raisons indépendantes de la volonté de la Pologne. M. Al Nashiri a reçu dans les temps les 100 000 EUR de satisfaction équitable accordés par la CEDH. En revanche, M. Abu Zubaydah est dans l’impossibilité de recevoir de l’argent en raison des sanctions financières le frappant pour ses liens avec Al-Qaïda, en application de la résolution 1333(2000) de l’ONU. La Pologne a donc décidé d’ouvrir un compte de dépôt pour y remettre le montant de la satisfaction équitable due. 855 - Les deux arrêts relatifs à la base secrète de Stare Kiejkuty seront certainement les plus difficiles à exécuter pour la Pologne depuis qu’elle a ratifié la Conv. EDH. Trois obstacles entravent la bonne réception de ces affaires. D’abord, la position très fermée des autorités américaines qui n’offrent aucune garantie quant au devenir des requérants, particulièrement sur le risque de condamnation à la peine capitale, et qui viennent de refuser l’assistance légale demandée par la justice polonaise. Ensuite, la prise en compte inévitable d’intérêts diplomatiques puisque les États-Unis garantissent via l’OTAN la défense de la Pologne. Enfin, l’attitude de la classe politique polonaise pose question, au regard de l’échec patent de la commission d’enquête parlementaire de 2005. L’affaire est d’autant plus sensible qu’elle engage la responsabilité d’au moins deux éminents hommes d’État : l’ancien Président de la République Aleksander Kwaśniewski et l’ancien Premier ministre Leszek Miller. * * * 856 - Conclusion du chapitre : Quand il s’agit d’atteinte à l’intégrité des personnes, que ce soit le droit à la vie ou l’interdiction des tortures et traitements inhumains ou dégradants, la capacité des autorités à mener une enquête effective est tout aussi essentielle que la prévention de ces atteintes elles-mêmes. Peu touchée dans les premières années d’application de la Conv. EDH, la Pologne est aujourd’hui secouée par plusieurs séries d’affaires conduisant à sa condamnation par la CEDH au titre des articles 2 et 3 dans leurs branches matérielles et procédurales. Dans toutes ces affaires – exception faite de celles qui concernent les violations des droits de l’homme en centre de dégrisement – le ou les arrêts de la CEDH ont déterminé l’évolution du droit interne. Ainsi, l’encadrement règlementaire plus stricte des fouilles corporelles en 2003 a répondu à l’arrêt Iwańczuk, rendu deux ans auparavant. Les condamnations 541 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME répétées pour les mauvaises conditions de détention693 et l’insuffisance des soins en prison ont motivé d’ambitieux programmes de rénovation des prisons et d’évolution de la politique pénale. Le nombre de détenus classés « dangereux » a diminué et le fameux « statut N » s’inscrit dans un cadre légal plus contraignant depuis que la CEDH a, en 2012, considéré qu’il était incompatible avec l’article 3 de la Conv. EDH. La question du suicide des détenus a fait l’objet de mesures préventives spécifiques dès 2010, année où la Pologne a été condamnée pour la violation de l’article 2 de la Conv. EDH dans l’affaire Jasińska. Les droits procéduraux des victimes d’erreurs médicales ont évolué postérieurement à l’arrêt Byrzykowski de 2006, notamment grâce à la loi sur les droits du patient du 6 novembre 2008. 857 - La Pologne réagit bien, en général, aux arrêts de la CEDH se rapportant aux atteintes aux personnes. Mais le bilan à tirer est assombri par un deux phénomènes parfaitement distincts. Le premier est à la fois le moins inquiétant et le plus banal. Il affecte la réception des standards européens en matière de surpopulation carcérale. Des améliorations constantes ont été apportées dans les prisons polonaises pour augmenter la surface de vie individuelle mais tant l’étendue du problème que les contraintes qu’impliquent de profonds changements (financements de travaux, développement des peines alternatives) rendent la tâche longue et difficile. Assurer 3 m² d’espace individuel aux détenus est à la portée de la Pologne mais ce seuil minimal est celui de la législation nationale, tandis que le Conseil de l’Europe, à travers le CPT, préconise 4 m². Le second phénomène est inédit dans le contentieux de la Pologne et, en cela, particulièrement frappant. Il s’agit de la volonté inégale des autorités polonaises à remédier à la situation individuelle des requérants dans certaines affaires, aggravée d’un manque de coopération avec la CEDH. Les affaires Al Nashiri et Abu Zubaydah représentent un parangon de ce comportement, ce qui a conduit la CEDH à condamner la Pologne pour violation de l’article 38 de la Conv. EDH. Déjà en 2010, la non-transmission des documents avait été déplorée par la Cour dans l’arrêt Wasilewska et Kałuczka. L’exécution de ce dernier n’apporte pas satisfaction puisque la justice polonaise n’a pas mené d’enquête approfondie, même après la condamnation de l’État à Strasbourg. L’action des autorités en faveur de la prévention et de la détection des violences policières (formation des officiers, sensibilisation à la Conv. EDH, loi de 2013 sur l’usage des mesures coercitives…) est pourtant indéniable. Des 693 Dès 2003 et le règlement amiable survenu dans l’affaire P. K. (n°37774/97, 6 novembre 2003), la Pologne s’est vu reprocher le mauvais état de ses prisons (en l’occurrence le centre de détention de Radom, insalubre, exigu et connaissant des problèmes d’eau courante et de lumière). Les mauvaises conditions de détentions étaient encore au cœur des requêtes individuelles douze ans plus tard (voir par ex. CEDH, Stettner, n°38510/06, 24 mars 2015 ; le moyen fondé sur l’article 3 a toutefois été jugé irrecevable en raison du non-épuisement de voies de recours internes). 542 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » efforts sont donc attendus pour garantir que chaque acte ou allégation d’acte de violence commis par des policiers soit suivi d’une enquête effective. 543 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CHAPITRE II – UN CLIVAGE AFFIRMÉ SUR LES QUESTIONS SOCIÉTALES 858 - À la chute du communisme, le sociologue et ancien membre de Solidarność Jacek Kurczewski avait déclaré à propos de la protection légale des libertés individuelles que « dans la plupart des États, la loi était plus favorable que la réalité mais qu’en Pologne, la réalité était plus favorable que la loi »694. Vingt ans plus tard, l’étude du droit au respect de la vie privée dans la société polonaise actuelle pourrait conduire à penser que le droit protège par le biais de dispositions législatives ou constitutionnelles une large gamme de droits qui, dans la réalité, souffrent encore de restrictions et de méconnaissances importantes, lesquelles s’accordent mal avec le désir de construire une démocratie moderne. Dans ce domaine, le manque de volonté parfois observé de la part des autorités pour remédier aux violations sanctionnées au niveau européen contraste avec les efforts déployés, par exemple, pour éradiquer les causes de la durée des procédures ou certaines violations de l’article 1er du Protocole n°1695. 859 - La place de choix accordée à la liberté individuelle dans la Constitution de 1997 marquait pourtant une volonté de réception du texte de la Conv. EDH en droit interne696. Mais ce sont les implications de certains de ces droits, interprétés et complétés par la CEDH, qui ont suscité les plus vives controverses en Pologne. Les questions sensibles ont notamment porté sur l’avortement, la liberté de conscience et de religion et la définition du mariage comme relation homme-femme697. En outre le contentieux relatif aux droits à la vie privée et familiale (article 8 de la Convention) se développe et devient assurément un point de tension de la Po694 Propos cités par Peter LEUPRECHT, « Poland and the Europe of Human Rights », in Hanna MACHIŃSKA (dir.), Polska i Rada Europy 1990-2005, Varsovie, Biuro informacji Rady Europy, 2006, p. 101. 695 Cf. supra, Partie II, Titre I, Chapitre I, Section I pour l’article 6 § 1 et Partie I, Titre I, Chapitre I, Section I pour l’article 1er du protocole n°1. 696 Par ex., en matière de liberté de conscience, l’article 25 § 2 de la Constitution du 2 avril 1997 dispose : « [l]es pouvoirs publics de la République de Pologne font preuve d’impartialité en matière de convictions religieuses, de conceptions du monde et d’opinions philosophiques, assurant leur libre expression dans la vie publique ». 697 Mirosław WYRZYKOWSKI, « Le système constitutionnel de protection des Droits de l’Homme en Pologne », in Philippe CHAUVIN, Mirosław WYRZYKOWSKI (dir.), Contrôle de l'administration en France et en Pologne (actes du colloque des 4 et 5 mai 1998), op. cit., p. 20. 544 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » logne dans ses rapports avec la CEDH, à côtés des problématiques de la durée des procédures juridictionnelles et des conditions de détention. Il y a quelques années de cela, aucune affaire sérieuse n’apportait, en Pologne comme dans d’autres États d’Europe centrale, à l’instar de la Slovaquie, l’illustration d’une quelconque oppression politique, ni de violations graves des libertés religieuses, de conscience, d’expression, de réunion ou d’association698. Les quelques difficultés néanmoins rencontrées dans la jeune démocratie polonaise pour se défaire définitivement des dernières scories affectant la liberté d’opinion ont été précédemment étudiées699. Le droit au respect de la vie privée et familiale est protégé par l’article 8 de la Conv. EDH700, lequel « entend moins sauvegarder la famille comme institution que consacrer le droit subjectif de toute personne au respect de ses liens familiaux, de l’intimité de sa vie familiale, reconnaître la liberté de chacun de mener la vie familiale de son choix et, plus généralement […] inscrire la sphère de la vie familiale dans une sorte de droit à l’épanouissement personnel » écrit Michel Levinet701. Ce texte et la riche jurisprudence de la CEDH qu’il a produit702 permettent désormais de préserver l’intimité des justiciables, qui comprend leur inclination sexuelle703, les liens nécessaires entre membres de la famille ou encore l’accès au mariage704. Au-delà de cet article à caractère général, la Convention offre une garantie spécifique au droit au mariage en son article 12. L’État doit s’abstenir de porter atteinte à ces droits par son ingé698 Selon le constat de Magda KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « The Reception Process in Poland and Slovakia », in Helen KELLER, Alec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 576. 699 Cf. supra, Partie II, Titre I, Chapitre II, Section II. 700 L’article 8 a déjà été évoqué dans la présente étude dans le contexte de la détention en raison des restrictions non-conformes au droit européen imposées par la Pologne au droit de visite et au droit de correspondance des détenus. Cf. supra, Partie I, Titre II, Chapitre I, Section I. 701 Michel LEVINET, « Couple et vie familiale », in Fréderic SUDRE (dir.), Le Droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, coll. « Droit et Justice », Bruxelles, Bruylant/Nemesis, 2002, p. 111. 702 Le professeur Sudre parle du droit à l’intimité de la vie privée, évidemment partie intégrante de l’article 8, comme d’un droit « [r]evêtant une particulière importance face aux moyens modernes d’investigation dont dispose les autorités publiques ». De plus, il « bénéficie d’un enrichissement constant par la jurisprudence européenne et possède un large champ d’application ». Voir Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., p. 678, § 458. 703 Dans les limites de ce que les sociétés européennes admettent, ce qui exclut l’inceste, la pédophilie, la zoophilie mais inclut le sadomasochisme consenti (CEDH, K. A. et A. D. c. Belgique, n°42758/98 et n°45558/99, 17 février 2005, revenant sur la jurisprudence CEDH, Laskey et autres c. Royaume-Uni, n°21627/93, n°21628/93 et n°21974/93, 19 février 1997, Rec. 1997-I). Depuis le célèbre arrêt Dudgeon, est contraire à l’article 8 toute législation proscrivant les relations homosexuelles en privé entre adultes consentants (CEDH, Dudgeon c. RoyaumeUni, n°7525/76, 22 octobre 1981, Série A, n°59). 704 Les États bénéficient toujours d’une marge d’appréciation concernant la définition qu’ils entendent donner au mariage. Ainsi, en l’absence de consensus européen, la CEDH n’impose pas aux États soumis à sa juridiction d’ouvrir cette cérémonie aux couples de même sexe. L’article 18 de la Constitution polonaise précise pour sa part que l’État « sauvegarde et protège le mariage en tant qu’union de la femme et de l’homme, la famille, la maternité et la qualité de parents ». 545 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME rence, conformément à la conception libérale classique, mais pèse également sur lui l’obligation positive de prendre les mesures nécessaires au respect de ceux-ci705. 860 - L’intimité de l’individu va au-delà de sa situation familiale. La liberté de conscience (croire ou ne pas croire) et de religion (célébrer le culte de son choix) ne constitue-t-elle pas une autre facette de la vie privée, tant elle plonge aux tréfonds de leur intimité ? La spiritualité est protégée, avec la liberté plus générale de pensée, par l’article 9 de la Conv. EDH. Relèvent de cet article tout aussi bien la liberté de choisir et de renoncer à une conviction ou une religion que la manifestation publique ou privée, individuelle ou collective. Très fortement marquée par la culture catholique romaine au point de vouloir jouer un rôle messianique706 et s’estimer, dans sa conscience collective, tel « un rempart de la chrétienté » ou un « Christ des nations »707, la Pologne a opéré sur la question religieuse une transition finalement plus nuancée qu’il pouvait être craint, alternant dans sa Constitution de 1997 références laïques et chrétiennes. Une illustration est apportée par cette fort belle adresse, issue du préambule, et que d’aucuns, en Europe occidentale, ont pu saluer708 : la Nation polonaise se compose de « tous les citoyens de la République, tant ceux qui croient en Dieu, source de la vérité, de la justice, de la bonté et de la beauté, que ceux qui ne partagent pas cette foi et puisent ces valeurs universelles dans d’autres sources ». Considéré comme religion d’État de facto, le catholicisme romain n’est donc pas la foi officielle de la Pologne. Selon l’article 25 de la Constitution, « les Églises et autres unions confessionnelles jouissent de droits égaux » et les « pouvoirs publics […] font preuve d’impartialité en matière de convictions religieuses » bien que les « rapports entre la République de Pologne et l’Église catholique sont définis par un traité conclu avec le Saint-Siège et par les lois ». Ce même article précise que l’impartialité de l’État vaut « en matière de convictions religieuses, de conceptions du monde et d’opinions 705 Voir Carlo RUSSO, « Article 8 § 1 », in Louis-Edmond PETTITI, Emmanuel DECAUX, Pierre-Henri IMBERT (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme – Commentaire article par article, 2e édition, Paris, Economica, 1999, pp. 306-309, ainsi que la jurisprudence de la Cour, not. CEDH, Marckx c. Belgique, n°6833/74, 13 juin 1979, § 31, Série A n°6. 706 « Trahie et crucifiée, [la Pologne] a endossé un rôle messianique pour les autres nations » (Ewa SIDORENKO, « Which way to Poland? Re-emerging from Romantic unity », in Martin MYANT, Terry COX (dir.), Reinventing Poland – Economic and political transformation and evolving national identity, New-York, Routledge, 2008, p. 116). 707 Krystyna Anna PASZKIEWICZ, « Pologne : les conceptions du ‘‘retour en Europe’’ », La Nouvelle Alternative, n°49, 1998, p. 22. Cette idée a pour mythe fondateur la victoire du roi Henri le Pieux sur les Tatars à la bataille Legnica le 9 avril 1241 (Daniel BEAUVOIS, La Pologne, Paris, La Martinière, 2004, p. 32). Il faut en effet se souvenir de l’implication de l’Église polonaise dans la résistance au régime communiste par opposition à son homologue hongroise à la même époque (lire Marc RAKOVSKI, « La Hongrie est-elle réellement si différente ? », Esprit, n°7-8, 1978, p. 62). 708 Voir par ex. Joël-Benoît d’ONORIO, « Religions et Constitutions en Europe – À propos d’un préambule contesté », RDP, n°3, 2006, p. 727. 546 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » philosophiques, assurant leur libre expression dans la vie politique ». Dans un pays peu diversifié sur le plan religieux, les situations dans lesquelles la liberté de conscience pourrait être atteinte sont finalement rares. Dans deux arrêts de la CEDH, la Pologne a pourtant été condamnée pour la violation de l’article 9 de la Conv. EDH (Section I). En revanche, le droit au respect de la vie privée et familiale a posé des difficultés, ces dernières années, à un État attaché à la perpétuation d’une forme traditionnelle de la famille (Section II). SECTION I – DES LIMITES PONCTUELLES À LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE 861 - Idéologie communiste et religion ne pouvaient aller de pair, la première étant destinée à se substituer à la seconde, qualifiée d’« opium du peuple » par Karl Marx709. L’Église catholique ne pensait guère plus de bien du communisme, qu’elle avait condamnée à travers deux encycliques du pape Pie XI710. Pourtant, sous l’ère socialiste, le gouvernement n’avait pu faire taire l’Église ni réduire véritablement son pouvoir d’influence dans une société très attachée au catholicisme romain. L’élection au trône pontifical de l’évêque auxiliaire de Cracovie en octobre 1978 avait d’ailleurs rendu inutile tout espoir d’étouffer la foi des Polonais. 862 - Deux phénomènes sont aujourd’hui identifiables en Pologne, que l’on se fonde sur le sentiment au sein de la société civile ou sur la teneur du débat public. Plus que jamais penchée sur ses attributs identitaires en cette période charnière entre l’élimination des derniers vestiges de l’autoritarisme socialiste et l’approfondissement de son intégration européenne, la Pologne entend placer la morale chrétienne de l’Église au cœur de ses valeurs. Dès 1998, Krystyna Anna Paszkiewicz mentionnait l’angoisse des conservateurs face « au cercle de la civilisation européenne moderne » et le « danger de diffuser en Pologne des valeurs qui abîmeront l’âme de la nation polonaise en y greffant des modèles et des styles de vie étrangers »711. 863 - La relecture d’un témoignage du professeur Łętowska rédigé en 1992, tout juste actée la 709 Karl MARX, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Paris, Entremonde, 2010, p. 10. 710 Encycliques Quadragesimo Anno (1931) et Divini Redemptoris (1937). 711 Krystyna Anna PASZKIEWICZ, « Pologne : les conceptions du ‘‘retour en Europe’’ », La Nouvelle Alternative, n°49, 1998, p. 23. 547 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ratification de la Conv. EDH par la Pologne, remet à l’esprit des observateurs que ce pays est partagé depuis sa libération du joug communiste par deux voies tracées devant lui : celle du libéralisme politique européen et ses standards exigeants en matière de droits de l’homme, ou celle déterminée par les préceptes de l’Église. Ainsi s’interrogeait l’auteur : « la société doitelle aspirer à l’intégration européenne, et fonder son idéologie sur la Convention européenne […] ou doit-elle garder ses distances à l’égard de l’intégration, ménager sa particularité nationale et préférer la fidélité à l’engagement de l’Église catholique ? »712. 864 - C’est également dans ce contexte que la loi sur l’audiovisuel adoptée le 29 décembre 1992 a imposé par son article 18, alinéa 2, une obligation de respecter dans les émissions diffusées les sentiments religieux du public et surtout le système des valeurs chrétiennes713. Le Tribunal constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution en émettant néanmoins une réserve d’interprétation714. Depuis l’entrée en vigueur de la Conv. EDH et jusqu’à présent, seules deux violations ont été retenues contre la Pologne, toutes deux prononcées en 2010. Dans le premier de ces arrêts, la CEDH met le doigt sur l’une des faiblesses du système polonais censé protéger la diversité des consciences dans le cadre scolaire mais ne le peut, faute de moyens (§ 1). Le second arrêt transporte une fois encore dans l’univers carcéral : le séjour d’un détenu avait été perturbé par un conflit avec l’administration, qui refusait de lui servir des repas conformes à ses convictions religieuses (§ 2). § 1. L’ABSENCE DE PROGRAMME DE SUBSTITUTION À L’ENSEIGNEMENT RELIGIEUX DANS LES ÉCOLES PUBLIQUES En condamnant la Pologne dans l’affaire Grzelak, qui portait sur l’impossibilité concrète pour un élève non-inscrit aux cours d’éducation religieuse de recevoir un enseignement alternatif et noté (A), la CEDH a incontestablement encouragé l’évolution du droit interne, non sans difficultés (B). 712 Ewa ŁĘTOWSKA, « Un amateurisme généralisé », La Nouvelle Alternative, n°27, septembre 1992, p. 15. 713 Ustawa z dnia 29 grudnia 1992 r. o radiofonii i telewizji [Loi du 29 décembre 1992 sur la radiophonie et la télévision], Dz. U., 1993, n°7, texte 34, pp. 62-72. 714 Ces dispositions doivent être conciliées avec le principe de liberté d’expression (TCP, n°W 3/93, 2 mars 1994, OTK ZU, 1994, texte 17). Lire à ce sujet Marek SAFJAN, « La liberté de parole : les standards conventionnels et constitutionnels et la jurisprudence de la Cour suprême et du Tribunal constitutionnel de Pologne », REPCEE, numéro spécial, 2003, pp. 210-211. 548 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » A. Mieux protéger la liberté de conscience à l’école : l’affaire Grzelak 865 - Le professeur Ewa Łętowska avait envisagé que la question de l’enseignement religieux à l’école publique pût poser problème en Pologne, puisqu’elle écrivit en 1992 qu’il avait été introduit « sans disposition juridique claire garantissant la laïcité dans l’enseignement » au moyen de simples instructions ministérielles715. Les faits à l’origine de l’arrêt Grzelak, rendu par la CEDH le 15 juin 2010, lui ont donné pleinement raison. Au début de sa scolarité à l’école publique d’Olstrów Wielkopolski en 1998, Mateusz Grzelak ne fut pas inscrit au cours d’instruction religieuse, conformément au souhait de ses parents. Parce qu’il était l’unique élève de sa classe dans cette situation, l’établissement scolaire s’est trouvé dans l’incapacité de lui proposer une formation alternative, comme le prévoyait pourtant le règlement ministériel du 14 avril 1992 relatif à l’organisation des cours d’instruction religieuse716. Après un changement d’école, les comportements discriminatoires se reproduisirent. Les parents de Mateusz écrivirent à la direction de l’école et firent appel à l’assistance scolaire pour résoudre le conflit. Sans attendre de réponse, ils décidèrent d’un changement d’école. Dans l’impossibilité de dispenser à Mateusz un cours d’éthique, son nouvel établissement proposa un cours alternatif au club ou à la bibliothèque717. 866 - Le 1er mai 2001, les parents de Mateusz Grzelak envoyèrent une lettre au ministère de l’Éducation pour dénoncer les difficultés rencontrées par leur fils face aux intolérances depuis le début de sa scolarité sans réaction des établissements scolaires fréquentés. En outre, ils posèrent plusieurs questions relatives à l’interprétation du règlement ministériel du 14 avril 1992 et s’adressèrent au Défenseur des droits civiques en juin 2001. Pour eux, ce texte violait plusieurs dispositions de la Constitution et de la Conv. EDH (ses articles 9 et 14). Le Défenseur des droits civiques leur répondit qu’il ne pouvait contester la constitutionnalité du règlement de 1992 dans la mesure où le Tribunal constitutionnel s’était déjà prononcé en 1993 sur cette question718. D’autre part, l’ombudsman estima que les éventuelles violations des textes visés avaient été provoquées par le comportement de quelques enseignants et élèves, la réglementa- 715 Ewa ŁĘTOWSKA, « Un amateurisme généralisé », La Nouvelle Alternative, n°27, 1992, p. 17. 716 Rozporządzenie Ministra Edukacji Narodowej z dnia 14 kwietnia 1992 r. w sprawie warunków i sposobu organizowania nauki religii w szkołach publicznych [Règlement du ministre l’Éducation nationale du 14 avril 1992 sur les conditions et les modaliés de l’enseignement religieux dans les écoles publiques], Dz. U., 1992, n°36, texte 155, pp. 590-592. 717 CEDH, Grzelak c. Pologne, n°7710/02, §§ 6-12, 15 juin 2010. 718 TCP, n°U 12/92, 20 avril 1993, OTK ZU, 1993, texte 9. 549 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME tion n’étant pas en cause en tant que telle719. 867 - Dans l’enseignement secondaire, Mateusz Grzelak rencontra des problèmes du même ordre. Le 16 juillet 2009, ses parents se plaignirent à l’inspecteur d’éducation de Poznań que leur fils n’avait pu bénéficier d’un cours d’éthique dans son établissement. Leur requête fut déclarée infondée, Mateusz étant le seul élève de son école dispensé de cours de religion. À son entrée au lycée en septembre 2007, son établissement se montra tout aussi incapable de dispenser des cours d’éthique, ce qui eut pour conséquence de priver l’élève d’une note dans la case intitulée « religion / éthique » de ses bulletins scolaires720. 868 - Mateusz Grzelak et ses parents avaient saisi la CEDH le 25 janvier 2002. Ils dénonçaient à titre principal la violation par l’État polonais des articles 9 et 14 combinés de la Conv. EDH pour avoir failli à son obligation positive de garantir le droit au respect de la vie privée et familiale en offrant une alternative aux cours de religion dispensés tout au long de la scolarité. L’affaire a permis de mettre en lumière le décalage existant en Pologne entre la garantie conventionnelle mais aussi constitutionnelle721 du pluralisme religieux et la réalité de la société polonaise. Ainsi, les requérants relèvent-il devant la Cour que « le système d’éducation en Pologne est conçu en faveur du catholicisme et ceux qui ne partagent pas cette foi sont discriminés […] [E]n pratique, les cours d’éthique ne sont pas dispensés dans les écoles publiques. C’est la raison pour laquelle de nombreux parents non-catholiques envoient leurs enfants en classe d’instruction religieuse dans le but d’éviter les problèmes » que le jeune requérant a lui-même connu722. Cette opinion a été appuyée par les observations écrites de la Fondation d’Helsinki adressée à la Cour. La Fondation qualifia « d’illusoire et ineffective » le règlement de 1992 en raison du critère du nombre minimal de sept élèves inscrits en cours d’éthique pour l’ouverture de cet enseignement. La faiblesse des effectifs rendait ainsi très difficile l’organisation de cours d’éthique dans l’écrasante majorité des établissements scolaires. La Fondation exprima enfin son inquiétude sur les conséquences futures de l’absence de note dans la case « religion / éthique » des bulletins scolaires puisqu’un amendement à l’ordonnance, applicable à partir de la rentrée scolaire 2007, prévoyait de prendre en compte 719 CEDH, Grzelak c. Pologne, préc., §§ 13-17. 720 Ibid., §§ 19-25. 721 Aux termes de l’article 48 § 1 de la Constitution, « [l]es parents ont le droit d’assurer une éducation à leurs enfants qui soit conforme à leurs convictions. Elle doit tenir compte du développement des capacités de l’enfant ainsi que de sa liberté de conscience, de religion, et de ses convictions ». L’article 53 § 6 dispose quant à lui : « Nul ne peut être contraint à participer ou à ne pas participer à des pratiques religieuses ». 722 CEDH, Grzelak c. Pologne, préc., § 64. 550 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » la note de ce cours dans la moyenne générale. Cette mesure était de nature à porter préjudice aux élèves ne pouvant obtenir de note dans cette discipline723. 869 - La laïcité, sinon l’œcuménisme et la tolérance vis-à-vis des croyances autres que le catholicisme seraient donc altérés par les comportements individuels au sein de la société polonaise, y compris dans la sphère publique. Le gouvernement a précisé devant la Cour de Strasbourg que la législation en cause ne prévoyait l’organisation de cours d’éthique que dans la mesure où un nombre suffisant de parents ou d’élèves majeurs en faisait la demande et et lorsque les ressources de l’établissement le permettaient. Autrement dit, nulle disposition ne prévoyait que cet enseignement alternatif fût une obligation pour les écoles. Le gouvernement insista ensuite sur l’inexistence d’un préjudice lié à l’absence de note dans la case « religion / éthique » des bulletins scolaires. La Com. EDH comme la CEDH avaient, de surcroît, déjà considéré que cette pratique n’était en rien contraire à la Conv. EDH724. Sur la question d’un possible harcèlement discriminatoire, le gouvernement estima enfin qu’il appartenait aux autorités scolaires de réagir face à ce type de comportement même si les responsables étaient avant tout les parents des autres élèves725. 870 - Considérant, notamment, que l’adoption en 2007 d’un règlement ministériel sur les modalités de notations726 constituait un changement de circonstances susceptible d’affecter la situation des élèves n’ayant pas de note pour la matière « religion / éthique », la CEDH s’est départie de sa jurisprudence précédente. Elle a relevé que l’absence de note de religion était de nature à révéler les opinions religieuses des élèves concernés dans un pays à grande majorité catholique et dans lequel pratiquement tous les enfants suivent le cours d’éducation religieuse à l’école publique. Or, un tel système était seulement acceptable au regard des standards de la Conv. EDH dans la mesure où, comme le prévoyait le Tribunal constitutionnel polonais lorsqu’il s’était penché en 1993 sur la constitutionnalité du règlement ministériel de 723 Ibidem, §§ 77-78. 724 Com. EDH, C. J, J. J. et E. J. c. Pologne (déc.), n°23380/94, 16 janvier 1996 (voir le résumé de cette affaire par Tadeusz JASUDOWICZ « Uwagi ogólne », in Tadeusz JASUDOWICZ (dir.), Polska wobec Europejskich standardów praw człowieka, Toruń, Dom Organizatura, 2001, pp. 242-244) ; CEDH, Saniewski c. Pologne (déc.), n°40319/98, 26 juin 2001. 725 CEDH, Grzelak c. Pologne, préc., §§ 67-76. 726 Rozporządzenie Ministra Edukacji Narodowej z dnia 13 lipca 2007 r. zmieniające rozporządzenie w sprawie warunków i sposobu oceniania, klasyfikowania i promowania uczniów i słuchaczy oraz przeprowadzania sprawdzianów i egzaminów w szkołach publicznych [Règlement du ministre de l’Éducation nationale du 13 juillet 2007 modifiant le règlement sur les conditions et moyens d’évaluation, de classification et de promotion des élèves et des étudiants, ainsi que sur le déroulement des examens dans les écoles publiques], Dz. U., 2007, n°130, texte 906. Cet acte fait entrer dans le calcul de la moyenne générale des élèves les notes obtenues dans les cours de religion ou d’éthique. Il est entré en vigueur le 1er septembre 2007. 551 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 1992, tous les élèvent obtiendraient une note en religion ou en éthique. En l’absence de cours d’éthique dans la plupart des établissements scolaires, la CEDH a admis l’existence d’une rupture de neutralité et d’une discrimination entre les élèves qui suivent les cours de religion et ceux qui n’obtiennent aucune note. Elle a retenu par conséquent la violation des articles 9 et 14 combinés de la Conv. EDH727. Une campagne d’information approfondie dans les établissements scolaires n’ayant pas suffit à exécuter pleinement l’arrêt Grzelak, le ministre de l’Éducation s’est résolu quatre ans plus tard à modifier l’ordonnance de 1992. B. Une nouvelle obligation pour les établissements scolaires d’assurer un cours d’éthique 871 - Dans un premier temps, une traduction de l’arrêt Grzelak a été bien évidemment publiée sur le site du ministère de l’Éducation nationale. Mais le gouvernement a choisi d’aller plus loin en transmettant des informations sur l’organisation des cours d’éthique via les directions académiques, chargées à leur tour d’informer les directeurs d’établissements et les professeurs. En juin 2012, le ministère de l’Éducation a mis en ligne un document détaillé sur ces cours d’éthiques pour rappeler aux enseignants leurs obligations mais aussi pour informer les parents et les élèves. Pour inscrire son action dans la continuité, le ministère a écrit aux inspecteurs d’académie pour leur demander de surveiller avec vigilance le bon respect par les établissements des vœux des parents et élèves en ce qui concerne les cours d’éthiques. Parallèlement, les inspecteurs étaient tenus de faire remonter de 2010 à 2012 les mesures adoptées lorsque les inscriptions d’élèves à la leçon d’éthique n’avaient pas abouti à l’ouverture d’un cours. Le gouvernement a estimé que la campagne avait été positive, puisque des problèmes ayant conduit à un contrôle pédagogique n’ont été recensés que dans trois régions. Aucun cours d’éthique demandé par des parents n’auraient été refusé à l’issue de cette campagne728. 872 - À terme, le risque demeurait que des établissements ne fussent pas en mesure d’ouvrir des cours d’éthique, conformément au règlement du 14 avril 1992, faute de moyens ou d’un 727 La CEDH a en revanche rejeté les autres moyens fondés sur la violation des articles 9 (pour la demande adressée aux parents de déclarer s’ils souhaitent inscrire leur enfant en cours de religion), et 13 (absence d’une voie de recours effective en l’espèce) de la Conv. EDH. Les parents considéraient aussi que le droit à l’instruction de leur enfant avait été violé par l’absence de cours d’éthique dans les établissements scolaires fréquentés. La CEDH a jugé que l’organisation des cours de religion et d’éthique, matières optionnelles, dépendait de la marge d’appréciation des États et qu’elle ne pouvait dès lors, retenir la violation de l’article 2 du Protocole n°1. 728 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)85 (exécution de l’arrêt Grzelak c. Pologne), 5 juin 2014, 1201e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 552 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » nombre suffisants d’élèves intéressés. Ce règlement régissant le système d’instruction religieuse avait été déférée au Tribunal constitutionnel par le Défenseur des droits civiques dans les premiers mois de son application. Le juge constitutionnel, dans sa décision du 20 avril 1993729, avait confirmé la conformité de la quasi-totalité de ses dispositions avec la Constitution alors en vigueur (la « Petite Constitution » de 1992)730. Après la promulgation de la Constitution du 2 avril 1997, le Tribunal constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité du règlement du ministre de l’éducation du 13 juillet 2007 qui la modifiait. Les nouvelles dispositions prévoyaient en effet que les notes obtenues par les élèves en cours d’éducation religieuse ou d’éthique fussent prises en compte pour le calcul des moyennes générales. Le Tribunal constitutionnel a validé le texte731. Ce scénario inspirait la crainte des requérants de l’affaire Grzelak alors pendante, puisqu’il existait un risque de situations discriminatoires envers les élèves qui n’auraient obtenu aucune note dans cette matière en raison de l’absence de cours d’éthique (ce qui est effectivement le cas dans la plupart des établissements scolaires). Au moment où le pouvoir exécutif a modifié le règlement de 1992 et où le Tribunal constitutionnel l’a déclaré conforme au texte suprême, les autorités polonaises ne pouvaient ignorer ni les problèmes matériels posés dans les faits par cet acte ni l’existence d’une contestation devant la CEDH. Or, rien n’a été fait pour éviter que ne survienne la possible condamnation à Strasbourg. L’idée d’une modification de ce texte n’est venue que progressivement. « L’exécution de l’arrêt Grzelak est intéressante : la lecture des informations transmises au Comité des ministres par le gouvernement montre qu’il a eu une évolution de son approche. Cela a pris du temps. Ce ne fut pas juste une solution, mais un processus complet », témoigne ainsi Zoe Bryanston-Cross, responsable de section au service de l’exécution des arrêts732. Les dispositions règlementaires prévoyaient qu’un minimum de trois élèves était nécessaire pour organiser des cours d’éthique. Ce seuil a été retiré dans le règlement modificatif du 25 mars 2014733, applicable dès la rentrée scolaire 2014-2015734. 873 - Ces modifications ont convaincu le Comité des ministres du Conseil de l’Europe de 729 TCP, n°U 12/92, préc. 730 Cf. Annexe n°4. 731 TCP, n°U 10/07, 2 décembre 2009, OTK ZU, 2009, n°11A, texte 163. 732 Entretien avec Szymon Janczarek et Zoe Bryanston-Cross, Strasbourg, 24 avril 2014. 733 Rozporządzenie Ministra Edukacji Narodowej z dnia 25 marca 2014 r. zmieniające rozporządzenie w sprawie warunków i sposobu organizowania nauki religii w publicznych przedszkolach i szkołach [Règlement du 25 mars 2014 du ministre de l’Éducation nationale modifiant le règlement sur les conditions et les modaliés de l’enseignement religieux dans les écoles publiques], Dz. U., 2014, texte 478. 734 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)85 (exécution de l’arrêt Grzelak c. Pologne), préc., annexe (bilan d’action). 553 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME mettre un terme au suivi de l’arrêt Grzelak en juin 2014, considérant que la Pologne s’était conformée aux obligations découlant de l’article 46 de la Conv. EDH. Quoique Adam Bodnar estimât pourtant au début de l’année 2015 que l’arrêt Grzelak n’était pas encore tout-à-fait exécuté735, il faut convenir que les causes principales de la violation de l’article 9 dans cette affaire ont été éradiquées. En janvier 2015 d’ailleurs, le Parlement a voté une nouvelle loi relative à l’éducation, entrée en vigueur le 31 mars 2015736. Celle-ci a abrogé de facto le règlement du 13 juillet 2007 qui avait inclus les notes de religion/éthique dans le calcul de la moyenne générale des élèves et avait convaincu la CEDH de sanctionner la Pologne. 874 - Pour ce qui concerne des rapports entre religion et éducation nationale, il faut observer que la Pologne s’est invitée dans le débat ouvert par la CEDH avec l’arrêt Lautsi contre l’Italie737. Le 3 décembre 2009, un mois jour pour jour après le prononcé de cet arrêt, la Diète polonaise a adopté une résolution rappelant la liberté de religion et les valeurs constituant l’héritage chrétien de l’Europe. Cette résolution désapprouvait explicitement la position de la CEDH dans l’arrêt Lautsi en la jugeant irrespectueuse des sentiments religieux et des droits des fidèles de la foi chrétienne, attentatoire à la concorde sociale738. Le Sénat se joignit à la contestation en adoptant à son tour une résolution le 4 février 2010, prévenant que toute tentative pour interdire les crucifix dans les bâtiments publics polonais (écoles, hôpitaux, bureaux…) serait regardée comme du mépris vis-à-vis des traditions, de la mémoire et de la dignité nationales739. Le Parlement polonais entendait ainsi rappeler par cet appel que le crucifix ne devait pas être regardé uniquement comme un symbole religieux mais également comme le reflet d’une lecture de l’humanité invitant à la dévotion envers son prochain et au respect de la valeur de la vie de chaque être740. Les juristes polonais ont été naturellement partagés sur la 735 Entretien avec Adam Bodnar, Varsovie, 29 mai 2015. 736 Ustawa z dnia 20 lutego 2015 r. o zmianie ustawy o systemie oświaty oraz niektórych innych ustaw [Loi du 20 février 2015 modifiant la loi sur le système d’éducation ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2015, texte 357, pp. 1-77. 737 CEDH, Lautsi c. Italie, n°30814/06, 3 novembre 2009. En l’espèce, l’Italie, autre État européen de tradition catholique profonde, a été condamnée sur le fondement des articles 9 de la Conv. EDH et 2 du Protocole additionnel n°1 en raison de la présence de crucifix dans un établissement scolaire public. Les autorités polonaises se sont estimées pleinement concernées par cette jurisprudence dont leur pays pourrait aussi subir les répercussions. 738 Uchwała Sejmu Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 3 grudnia 2009 r. w sprawie ochrony wolności wyznania i wartości będących wspólnym dziedzictwem narodów Europy [Résolution de la Diète de la République polonaise du 3 décembre 2009 à propos de la protection de la liberté de religion et des valeurs qui sont le patrimoine commun des peuples d’Europe], M. P., 2009, n°78, texte 962, p. 3563. 739 Uchwała Senatu Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 4 lutego 2010 r. w sprawie poszanowania Krzyża [Résolution du Sénat de la République de Pologne du 4 février 2010 à propos du respect de la Croix], M. P., 2010, n°7, texte 57, p. 227. 740 HUMAN RIGHTS HOUSE, « Polish Sejm and Senate presents opinion on the crucifix in public domain », 13 juin 2010, <http://humanrightshouse.org/noop/page.php?p=Articles/14397> 554 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » position juridique de la CEDH. L’ancien président du Tribunal constitutionnel Jerzy Stępień a voulu apaiser les esprits en rappelant dans les colonnes de Gazeta Świąteczna que « les arrêts de la CEDH de Strasbourg sont toujours valables pour le cas d’espèce mais n’ont pas de signification universelle » mais Adam Bodnar a insisté sur le fait que la jurisprudence prononcée contre un État-tiers « était un signal important de la manière par laquelle la CEDH interprète la Conv. EDH ». Pour lui en effet, « la Pologne ne peut ignorer le verdict de l’affaire Lautsi c. Italie », d’autant plus qu’il existe clairement « un risque que des citoyens polonais portent des litiges similaires devant la CEDH »741. Deux thèses s’affrontent par conséquent en Pologne : d’une part celle de Stępień s’interrogeant sérieusement sur l’acceptation par les citoyens de jugements incompatibles avec les institutions nationales, et d’autre part celle de Bodnar qui, d’un point de vue strictement juridique, s’en tient à la règle du respect de la jurisprudence de la CEDH à laquelle souscrivent les États lorsqu’ils ratifient la Conv. EDH. 875 - La CEDH s’est elle-même réinterrogée sur la direction qu’elle devait prendre. Entre le maintien d’une position pro-laïque universaliste ou la prise en considération des particularités culturelles locales, elle finit par trancher en faveur de la seconde branche de l’alternative. En mars 2011 la grande chambre de la CEDH, jugeant en appel l’affaire Lautsi, n’a pas retenu la violation de l’article 9 de la Conv. EDH742. Dans cet arrêt, la Cour de Strasbourg a regardé la place réservée aux signes religieux dans les États-membres du Conseil de l’Europe. La Pologne compte parmi les rares États, avec l’Autriche, l’Italie et certaines entités fédérées allemandes et suisses qui prévoient expressément la présence de symboles religieux dans les établissements scolaires743. Cette première affaire condamnant la Pologne au titre de l’article 9 a été suivie d’une seconde quelques mois plus tard, occasionnée par le refus de l’administration d’adapter le régime alimentaire d’un détenu à ses convictions bouddhistes. 741 Adam BODNAR, « Polemika z Jerzym Stępniem. Mogą nas pozwać o krzyże », Gazeta Wyborcza, 14 novembre 2009, < http://wyborcza.pl/1,97738,7251662,Polemika_z_Jerzym_Stepniem__Moga_nas_pozwac_ o_krzyze.html>. 742 À propos de la solution de la grande chambre, la doctrine a pu déceler une incohérence rendant bien difficile de justifier l’interdiction du voile à l’Université en Turquie pour favoriser le pluralisme (CEDH, Leyla Sahin c. Turquie [GC], n°44774/98, 10 novembre 2005, Rec. 2005-XI) et le maintien de crucifix dans les écoles publiques italiennes (lire par ex. Clémentine KLEITZ, « Une marge d’appréciation bien commode… », Gazette du Palais, n°83, 24 mars 2011, p. 3). 743 CEDH, Lautsi et autres c. Italie [GC], requête n°30814/06, 18 mars 2011, Rec. 2011-III, §§ 26-28. Dans une optique comparatiste, la CEDH a mentionné à cette occasion le jugement du Tribunal constitutionnel polonais du 20 avril 1993 (TCP, n° U 12/92, préc.) qui avait validé la présence des crucifix dans les établissements scolaires. 555 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME § 2. LE REFUS OPPOSÉ À UN DÉTENU DE BÉNÉFICIER D’UN RÉGIME ALIMENTAIRE COMPATIBLE AVEC SES CONVICTIONS RELIGIEUSES Les autorités de l’établissement où était emprisonné le requérant de l’affaire Jakóbski avaient avancé des motifs dépourvus de pertinence pour refuser au requérant des repas sans viande (A). La violation de la Conv. EDH en l’espèce n’était due qu’à une erreur d’application du droit interne, ce qui facilita l’exécution de l’arrêt (B). A. Le détenu en droit d’obtenir des repas compatibles avec ses croyances : l’affaire Jakóbski 876 - Détenu à partir de juin 2003 dans la prison de Goleniów où il purgeait une peine de privation de liberté, Janusz Jakóbski a sollicité à plusieurs reprises les responsables de l’établissement pour que lui fussent servis des plats préparés sans viande, conformément à ses convictions bouddhistes. S’il put bénéficier temporairement et pour des raisons médicales, en 2006, d’un régime allégé en viande et dépourvu de porc (servi également à six détenus musulmans), M. Jakóbski n’a jamais pu obtenir de régime végétarien. La lettre transmise à la direction du centre par la Mission bouddhiste en Pologne, confirmant que les membres de l’obédience Mahayana devaient éviter de manger de la viande par compassion pour tous les êtres vivants ne modifia en rien la situation de l’intéressé. M. Jakóbski fut informé par l’inspection des prisons de Szczecin qu’un régime sans viande n’était pas disponible dans l’établissement où il séjournait et que seul pouvait lui être proposé un régime sans porc. La cour de Szczecin ne fit que relever l’impossibilité de faire bénéficier chaque prisonnier d’une nourriture conforme à ses pratiques religieuses en raison de la contrainte sur l’organisation des cuisines du centre carcéral. M. Jakóbski a finalement fait l’objet d’un transfert vers la prison de Nowogród. Dans son nouvel établissement, sa demande de plats sans viande a été rejetée. Le Défenseur des droits civiques fit savoir à M. Jakóbski en août 2009 que les autorités pénitentiaires n’avaient pas l’obligation de préparer des repas en fonction des différentes pratiques religieuses, d’autant plus qu’il était l’unique détenu bouddhiste de Nowogród744. 877 - Saisie le 27 avril 2006 d’une requête individuelle, la CEDH avait à se prononcer sur la conformité des décisions administratives affectant Janusz Jakóbski aux articles 9 et 14 combinés de la Conv. EDH. La Cour n’a pas jugé utile d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 14 (interdiction des discriminations) mais a retenu sans difficulté la violation de l’article 9 en 744 CEDH, Jakóbski c. Pologne, n°18429/06, 7 décembre 2010, §§ 5-23. 556 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » l’espèce. Les arguments présentés par le gouvernement n’ont manifestement pas convaincu les juges de Strasbourg. Tant l’objection selon laquelle le régime sans viande est encouragé mais non prescrit par la branche Mahayana du bouddhisme que les difficultés techniques et financières alléguées pour justifier que la cuisine de la prison ne pût préparer un repas sans viande745 ont été balayées par la CEDH, laquelle a estimé respectivement, en vertu de sa jurisprudence, que « le devoir de neutralité et d’impartialité de l’État est incompatible avec une appréciation par les pouvoirs publics de la légitimité des croyances religieuses »746. La Cour s’est dite peu convaincue « que la préparation d’un régime végétarien aurait occasionné une quelconque perturbation sur l’administration de la prison ou une quelconque dégradation de la qualité des repas servis aux autres prisonniers »747. Les autorités pénitentiaires avaient bien agi en contradiction avec la liberté de croyance et de religion du requérant748. L’affaire Jakóbski ne serait pas représentative du respect des croyances dans les prisons polonaises. La législation elle-même n’était pas en cause dans la méconnaissance de la Convention et les autorités internes ont donc bien accueilli cet arrêt, promptement exécuté. B. Les dispostions du Code d’exécution des peines rappelées à l’administration pénitentiaire 878 - Le Comité des ministres a procédé au suivi de l’exécution de cet arrêt en 2013. Juste avant d’être libéré après avoir purgé sa peine, le requérant a perçu, le 24 mai 2011, les 3 187 EUR de satisfaction équitable (frais et dépens compris) auxquels avaient été condamnée la Pologne. Aucune autre mesure individuelle n’avait été jugée nécessaire par la CEDH749. 879 - Le gouvernement, dans le rapport transmis le 19 octobre 2011 au Comité des ministres et joint à la résolution du 7 mars 2013, a rappelé que l’article 109 du CEP750 prévoit qu’un détenu jouit du droit de recevoir de la nourriture prenant en considération, dans la mesure du possible, ses convictions religieuses et culturelles. De plus, l’article 6 § 2 du même code pré- 745 Ibidem, §§ 37-41. 746 Ibid., § 44. 747 Ibid., § 52. 748 En 2011, la CEDH a jugé manifestement infondées – faute de preuves – les allégations d’un détenu qui affirmait n’avoit pu assister à la messe (CEDH, Bystrowski c. Pologne, préc.). 749 Com. Min., Résolution ResDH(2013)37, (exécution de l’arrêt Jakóbski c. Pologne), 7 mars 2013, 1164e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 750 Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. Kodeks karny wykonawczy [Loi du 6 juin 1997 – Code d’exécution des peines], Dz. U., n°90, texte 557, pp. 2797-2828. 557 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME voit un ensemble de recours à disposition des personnes condamnées pour toute mesure prise à son encontre, et l’article 7 § 1 instaure une procédure d’appel. Les données statistiques en matière de demandes et recours portant sur des régimes alimentaires conformes aux convictions religieuses font état, selon le gouvernement, d’une pratique positive. Dans l’affaire Jakóbski, la CEDH avait jugé que le centre de détention du requérant avait à tort refusé de servir un régime sans viande au détenu alors que ce régime ne causait aucune difficulté d’organisation ni n’entrainait de coût supplémentaire pour l’administration pénitentiaire. L’article 109 du code aurait ainsi dû pleinement s’appliquer, et la violation de l’article 9 apparaît donc comme un dysfonctionnement isolé. Selon les chiffres du gouvernement, 927 détenus (détention provisoire ou exécution de peine) en Pologne bénéficiaient, en août 2011, d’un régime alimentaire prenant en considération leurs convictions relieuses ou culturelles et 957 pouvaient suivre un régime végétarien751. 880 - Dernière de ces mesures générales, l’arrêt Jakóbski a été traduit en polonais puis publié sur le site du ministère de la Justice. L’administration centrale des services pénitentiaires et les directeurs régionaux des services pénitentiaires ont reçu pour instruction de disséminer les informations relatives à l’arrêt auprès des directeurs de prisons752. 881 - Ces mesures ont convaincu le Comité des ministres de clore l’examen de l’affaire Jakóbski, qui ne révélait pas de complexité excessive, par la résolution finale du 7 mars 2013. Cela ne signifie pas que la Pologne adhère totalement à la ligne suivie par la CEDH en matière de liberté religieuse et surtout de neutralité à l’égard des croyances. L’influence du catholicisme sur la sphère publique demeure très forte753. Encore peu confrontée à l’expression dans la sphère publique du pluralisme religieux du fait de son homogénéité culturelle, la Pologne du XXIe siècle connaît en revanche l’évolution des mœurs qui remettent en cause la vision traditionnelle de la famille. Dans ce domaine, l’influence de la CEDH en Pologne est aussi déterminante que redoutée. 751 Com. Min., Résolution ResDH(2013)37, (exécution de l’arrêt Jakóbski c. Pologne), préc., Annexe (bilan d’action). 752 Ibidem. 753 Le catholicisme polonais fut tour à tour un instrument de résistance, un chemin de pensée alternatif à l’idéologie officielle communiste, puis un frein certain au pluralisme démocratique au cours de la transition, comme l’estime Patrick Michel. « En ne protestant pas contre l’utilisation faite du catholicisme comme critère constitutif d’une identité polonaise bricolée à des fins politiciennes, l’Église visait sans doute à réaffirmer le caractère central de sa position », estime cet auteur. « Campant sur le prestige mérité que lui avait valu son rôle face au pouvoir communiste, elle s’est appliquée à compenser par un accroissement de son poids institutionnel la diminution contestable de son influence sociale » (Patrick MICHEL, « L’Église et le catholicisme polonais à l’épreuve du pluralisme », Pouvoirs, 2006, n°118, p. 91). 558 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » SECTION II – UNE CONCEPTION TRADITIONNELLE DE LA FAMILLE 882 - L’essentiel de la législation relative à la famille et aux droits de la reproduction dépend encore largement des traditions culturelles ou religieuses des États754, ce qui contraint la CEDH a ne recourir qu’avec prudence à la notion de consensus européen755, cette notion qui « légitimise le progrès et facilite sa reception dans l’ordre juridique interne » selon les termes du juge Anatoly Kovler756. Une marge d’appréciation plus large est ainsi concédée à l’État. De surcroît, les Hautes Parties Contractantes à la Convention ont rappelé le principe de subsidiarité dans le fonctionnement du système conventionnel à l’occasion de la Conférence de Brighton. Ceci est particulièrement vrai, dans les récentes années sur des « questions de société, impliquant notamment la notion de dignité humaine ou l’intérêt de l’enfant », pour Béatrice Paste-Belda, qui constate également que les réponses de la Cour aux « questions du mariage homosexuel, de l’homoparentalité, de l’avortement ou de la procréation médicalement assistée démontrent un net recul du phénomène constaté jusqu’à présent d’hypertrophie des droits, notamment du droit au respect de la vie privée et familiale »757. Une frange de la jeunesse polonaise mêle la question de l’identité polonaise à celle de la famille traditionnelle catholique, rejetant frontalement émancipation des homosexuels et fémininsme758. La legislation relative à l’interruption de grossesse en Pologne est l’une des moins li754 L’universitaire Justyna Krzywkowska a répertorié toutes les sources, en grande partie religieuses, où puise l’interdiction de l’avortement. La protection de la vie depuis la conception figure notamment à l’article 4 de la Charte des droits de la famille, édictée le 22 octobre 1983 par le Vatican. La pensée intransigeante de saint JeanPaul II sur la question de l’avortement est tout particulièrement entendue dans son pays d’origine. Voir Justyna KRZYWKOWSKA, « Legal protection of the unborn child », in CZEPEK (J.), Selected problems of the European protection of human rights, Olsztyn, Faculty of Law and Administration of the University of Warsaw and Mazury, 2011, pp. 39-70. 755 L’arrêt Goodwin invitant l’État défendeur à modifier l’état civil suite au changement de sexe d’une personne représente néanmoins un contre-exemple retentissant (CEDH, Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n°28957/95, 11 juillet 2002, Rec. 2002-VI). 756 Anatoly KOVLER (et al.), « The Role of consens in the system of the European Convention on Human Rights », in Dialogue between judges, Strasbourg, European Court of Human Rights, 2008, p. 18. 757 Béatrice PASTE-BELDA, « La Cour européenne des droits de l’homme, entre promotion de la subsidiarité et protection effective des droits », RTDH, n°94, 2013, p. 256. Le récent arrêt CEDH, Oliari et autres c. Italie (n°18766/11 et n°36030/11, 21 juillet 2015) tendrait à relativiser sinon à démentir cette analyse puisque la Cour y a condamné l’Italie sur le fondement de l’article 8 pour n’avoir pas prévu de reconnaissance légale pour couples homosexuels, sous la forme d’une union civile ou autre. Cette jurisprudence pourra de toute évidence concerner la Pologne, placée dans la même situation. 758 Voir à cet égard l’influence du mouvement dit de la « Jeunesse de la Pologne entière » (Młodzież Wszechpolska) dont l’un des porte-drapeau fut l’ancien ministre de l’Éducation Roman Giertych, évoqué par Ewa SIDORENKO, « Which way to Poland? Re-emerging from Romantic unity », in Martin MYANT, Terry COX (dir.), Reinventing Poland – Economic and political transformation and evolving national identity, New-York, Routledge, 2008, pp. 109-111. 559 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME bérales du continent. Toutefois, l’avortement est légalement admis pour des raisons médicales ou lorsqu’un viol est à l’origine de la conception. Mais les difficultés concrètes pour les femmes enceintes de mettre un terme à leur grossesse lorsqu’elles y ont droit sont très clairement blamées par la CEDH (§ 1). En matière de sexualité, les droits des homosexuels s’améliorent peu à peu en Pologne, sous l’influence bénéfique de la CEDH et de ses condamnations dans deux affaires importantes (§ 2). Le droit au mariage que protège l’article 12 de la Conv. EDH n’a été méconnu qu’à la marge, pour des détenus qui aspiraient à épouser leur compagne dans l’enceinte d’une prison (§ 3). Les violations les plus nombreuses concernent en fin de compte le droit au maintien des liens familiaux après la séparation des couples, lorsque se pose la question de la garde des enfants (§ 4). § 1. LA DIFFICULTÉ D’ACCÉDER À L’AVORTEMENT LÉGAL En droit interne, le débat sur l’élargissement ou au contraire la restriction du droit d’avortement est constamment alimenté depuis le retour de la démocratie (A). Quelles que soient les conditions légales ouvrant droit à l’interruption de grossesse, le cadre procédural s’avère défaillant, ce que montrent sans ambiguïté les trois condamnations dont la Pologne a fait l’objet devant la CEDH (B). La réception de ces arrêts est plus que mitigée et laisse craindre un processus d’exécution très lent sinon un échec pur et simple (C). A. La Pologne confrontée à la question sensible du droit à l’avortement 883 - Durant la période socialiste, l’avortement avait été libéralisé par une loi du 27 avril 1956759. Mais dans les faits, les médecins se refusaient à pratiquer ce type d’intervention sauf dans des circonstances exceptionnelles. La législation polonaise actuelle, dépénalisant l’avortement dans trois types de situations (celles qui existaient de facto sous l’ancien régime760), a été adoptée en 1993761 à l’issue d’une campagne qu’Ewa Łętowska avait qualifiée 759 Ustawa z dnia 27 kwietnia 1956 r. o warunkach dopuszczalności przerywania ciąży [Loi du 27 avril 1956 sur les conditions d’interruption de grossesse], Dz. U., 1956, n°12, texte 61, p. 71. Ce texte a été abrogé le 14 mars 1993. 760 Frances MILLARD, « Poland », in David FORSYTHE (dir.), Encyclopedia of Human Rights, vol. 4, Oxford University Press, New-York, 2009, p. 159 : il s’agit de l’avortement thérapeutique en cas de danger pour la santé du foetus ou celle de la mère et de l’avortement pour mettre un terme à une grossesse résultant d’une action criminelle. 761 Ustawa z dnia 7 stycznia 1993 r. o planowaniu rodziny, ochronie płodu ludzkiego i warunkach dopuszczalności przerywania ciąży [Loi du 7 janvier 1993 sur le planning familial, la protection du fœtus hu- 560 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » à l’époque de « tragicomique »762. Cette loi représentait l’aboutissement d’un consensus difficile entre, d’une part, les partisans de l’interdiction de l’avortement (sauf danger pour la vie de la mère) et de sanctions contre la mère avortant sans l’aide d’un médecin, et d’autre part les partisans de l’avortement pour des motifs sociaux, libéralisation qui semblait d’autant plus adéquate dans le contexte d’alors que les bouleversements économiques du pays et la privatisation des services de santé laissaient craindre que « la naissance d’un enfant [fût] beaucoup plus difficile qu’auparavant »763. Pour la CSCE, cette loi clairement impopulaire aurait même été l’une des causes de la défaite électorale des réformateurs aux élections suivantes764. C’est à cette époque également que les opposants à l’avortement en Pologne ont pour la première fois dénoncé – en les caricaturant à loisir – les positions de la CEDH en matière d’interruption de grossesse. Parce qu’elle ne condamnait pas les législations européennes autorisant l’avortement, la Cour aurait donc estimé « admissible le meurtre d’enfants innocents dans le sein de la mère » selon le député Marek Jurka (PiS) cité par la presse765… 884 - Le bras de fer qui s’est ainsi ouvert à l’époque entre la Cour de Strasbourg et une certaine frange conservatrice de la classe politique polonaise se poursuit toujours aujourd’hui. Au nom d’un héritage chrétien pleinement assimilé à la culture nationale, la Pologne connaît deux réactions mettant clairement en péril la bonne réception de certains arrêts particuliers de la CEDH, lorsque cette dernière « mène une politique normative modifiant de sa propre autorité les fondements essentiels de notre société », pour reprendre les termes du professeur Malaurie766. D’abord, l’attachement aux valeurs de la famille traditionnelle implique un refus catégorique d’étendre l’interruption de grossesses à des motifs d’ordre social et d’ainsi dépasser le seul cadre de l’avortement thérapeutique. Mais, plus grave, la résistance sociétale à l’avortement conduit à méconnaître les procédures légales visant à pratiquer des interruptions médicales de grossesse (IMG), au péril de la santé des femmes. 885 - La loi du 7 janvier 1993 sur le planning familial avait fait l’objet d’un assouplissement main et les conditions légales d’avortement], Dz. U., 1993, n°17, texe 78, pp. 429-431. 762 Ewa ŁĘTOWSKA, « Les coulisses du conflit sur le droit à l’avortement en Pologne », La Nouvelle Alternative, n°29, 1993, p. 41. 763 Ibidem, p. 41. 764 CSCE, Implementation of the Helsinki Accords: Human rights and democratization in Poland, janvier 1994, p. 9. 765 Ewa ŁĘTOWSKA, « Les coulisses du conflit sur le droit à l’avortement en Pologne », préc. (1993), pp. 41-42 766 Philippe MALAURIE, « Grands arrêts, petits arrêts et mauvais arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », LPA, n°166, 21 août 2006, p. 6. 561 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME par la loi du 30 août 1996, entrée en vigueur le 4 janvier 1997767. L’amendement à la loi de 1993 ouvrait la voie à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en prévoyant que la grossesse pût être interrompue en cas de difficultés matérielles ou personnelles rencontrées par la mère de l’enfant à naître. C’était sans compter sur le Tribunal constitutionnel, qui devait juger ces nouvelles dispositions inconstitutionnelles dans un jugement rendu le 28 mai 1997768. Le juge constitutionnel polonais a en effet considéré que la légalisation de l’IVG était contraire au droit à la vie, protégé à l’article 38 de la Constitution769. Le Parlement a adopté en 1997 une autre loi rectificative dont les dispositions étaient applicables dans l’affaire Tysiąc et qui consistaient à revenir aux trois hypothèses de 1993770. 886 - À l’issue de sa visite en Pologne en 2002, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Alvaro Gil-Roblès souligna les carences de la législation sur l’avortement et ses conséquences redoutables. Se heurtant à des refus d’avortements alors que leur situation correspond à l’un des cas prévus par la loi, de nombreuses femmes ont recours à l’avortement illégal. Dans ce même rapport, le Commissaire a déploré la suppression en 1999 des cours obligatoires d’éducation sexuelle dans les écoles secondaires, remplacés par un programme de préparation à la vie familiale qui ne prend pas suffisamment en compte les questions relatives à la reproduction771. Le prononcé de l’arrêt Tysiąc aurait dû ouvrir une nouvelle étape et rendre plus aisé l’accès l’avortement thérapeutique. Les premières réactions ont été très hostiles à la CEDH, par extrapolation de ce que l’arrêt disait véritablement. La situation est d’autant plus préoccupante que deux autres arrêts sont venus s’ajouter sur la liste des condamnations. 767 Ustawa z dnia 30 sierpnia 1996 r. o zmianie ustawy o planowaniu rodziny, ochronie płodu ludzkiego i warunkach dopuszczalności przerywania ciąży oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 30 août 1996 modifiant la loi sur le planning familial, la protection du foetus humain et les conditions légales d’avortement], Dz. U., 1996, n°139, texte 146, pp. 2885-2888. 768 TCP, n°K 26/96, 28 mai 1997, OTK ZU, 1997, n°2, texte 19. Pour Wojciech Sadurski, le jugement du Tribunal Constitutionnel à propos de l’avortement se heurtait aussi bien à la volonté de la majorité politique du moment (alors même que la Cour constitutionnelle hongroise, saisie de la même question, avait laissé l’opportunité du choix politique au législateur dans une décision du 17 décembre 1991) qu’à la rigueur juridique, le « droit à la vie » n’étant pas inscrit dans la Petite Constitution en vigueur à l’époque. Les juges constitutionnels ont inféré du principe de l’État de droit la protection de la vie dès la conception… (Wojciech SADURSKI, « Constitutional Courts, Individual Rights, and the Problem of Judicial Activism in Postcommunist Central Europe », in Jiři PŘIBÁŇ, Pauline ROBERTS, James YOUNG (dir.), Systems of justice in transition: Central European experiences since 1989, Farhnam, Ashgate Pub Ltd., 2003, pp. 13-28). 769 Cet article dispose : « La République de Pologne garantit à tout homme la protection juridique de la vie ». 770 CEDH, Tysiąc c. Pologne, n°5410/03, 20 mars 2007, Rec. 2007-I, §§ 36-37. 771 Commiss. EDH, Rapport de M. Alvaro Gil-Roblès, préc, §§ 34-36. 562 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » B. Trois hypothèses d’interruption légale de grossesse, trois arrêts de la CEDH Les trois hypothèses dans lesquelles le droit interne polonais autorise le recours à l’interruption de grossesse ont chacune provoqué une violation de la Conv. EDH. Le premier arrêt de la CEDH condamnant la Pologne fut l’arrêt Tysiąc de 2007 dans lequel la requérante, qu’une nouvelle grossesse menaçait de rendre aveugle, n’avait pu obtenir l’autorisation d’avorter (1). Vint ensuite jusque devant le juge européen le cas d’un avortement empêché par les médecins alors que le fœtus était malformé (2). Les pressions exercées sur une jeune fille victime d’un viol afin qu’elle gardât l’enfant à naître ont conduit à la troisème condamnation de la Pologne (3). 1) L’avortement thérapeutique refusé malgré les craintes pour la santé de la mère 887 - Atteinte d’une forme grave de myopie depuis 1977, Alicja Tysiąc est tombée enceinte de son troisième enfant en février 2000. Les trois ophtalmologues qu’elle consulta conclurent que sa grossesse menaçait de dégrader encore sa vue en raison d’un possible décollement de rétine. Un médecin généraliste consulté quelques semaines plus tard envisagea un risque de rupture de l’utérus consécutif à ses deux premiers accouchements tout en confirmant des modifications pathologiques attendues au niveau de la rétine. Mme. Tysiąc comprit que le diagnostic posé devait lui permettre de recourir à l’avortement thérapeutique légal ouvert par la loi du 7 janvier 1993. Lors d’un rendez à la clinique de gynécologie et d’obstétrique de Varsovie en avril 2000, le médecin qui l’examina de visu, sans consulter son dossier ophtalmologique, nota que sa situation n’ouvrait pas droit à l’avortement. Mme. Tysiąc accoucha par césarienne en novembre 2000. Ses troubles ophtalmiques s’aggravèrent subséquemment et elle fut hospitalisée en janvier 2001. Nécessitant des soins constants, il ne lui fut plus possible de se consacrer seule à ses tâches quotidiennes. Un certificat médical du 14 mars 2001 évoqua le risque de cécité progressive772. 888 - Le volet judiciaire de l’affaire s’ouvrit en mars 2001, sur la plainte de Mme. Tysiąc contre le médecin qui lui avait refusé le recours à l’avortement légal, décision qui aurait porté atteinte à son intégrité physique tout en la plaçant dans une situation matérielle délicate. Le rapport d’expert rédigé à la demande du procureur de district conclut que l’accouchement n’avait pas aggravé la vue naturellement déclinante de la requérante et que rien ne s’opposait dès lors à ce qu’elle menât sa grossesse à terme. Le procureur prononça un non-lieu le 31 dé772 CEDH, Tysiąc c. Pologne, n°5410/03, 20 mars 2007, Rec. 2007-IV, §§ 7-18. 563 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME cembre 2001 sans même interroger les deux signataires du certificat refusant la pratique de l’avortement. Le 21 mars 2002, le procureur régional de Varsovie confirma la décision du procureur de district. Il constata que les conclusions de ce dernier étaient fondées sur le rapport d’expertise. Le classement de l’affaire fut entériné par une décision insusceptible de recours, rendue le 2 août 2002 par la cour de district de Varsovie-centre-ville. Mme. Tysiąc tenta vainement d’engager une action disciplinaire contre les médecins signataires du certificat de refus d’avortement773. 889 - Saisie le 15 janvier 2003, la CEDH devait juger de la méconnaissance des articles 3, 8, 13 et 14 de la Conv. EH par les autorités étatiques. Réfutant d’une part la violation de l’article 3 de la Conv. EDH, les circonstances ne se prêtant pas à un examen sur ce terrain774, et considérant d’autre part qu’il n’y avait pas lieu d’examiner séparément les violations des articles 13 et 14775, la Cour a concentré son contrôle sur le moyen tiré de la violation de l’article 8. La requérante estimait que l’article 8 de la Conv. EDH avait été violé tant dans les garanties matérielles que dans les garanties procédurales qu’impliquent ses stipulations. Un avortement peut être autorisé jusqu’à la douzième semaine de grossesse776. C’est au titre de la première exception que la requérante espérait obtenir l’autorisation d’interrompre sa grossesse. Le refus de subir un avortement n’est autorisé que dans des circonstances restreintes dans la mesure où cet acte ne relève pas exclusivement du droit à la vie privée de la mère mais également des droits reconnus au fœtus. Le gouvernement soulignait devant la Cour que la requérante ne réunissait pas les conditions nécessaires pour interrompre légalement sa grossesse et qu’il existait bien en droit interne une procédure régissant les décisions en matière d’accès à l’IMG, établie à travers le règlement du ministère de la Santé en date du 22 janvier 1997777. Il citait également l’article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales permettant à une patiente de faire contrôler par des médecins la décision d’un confrère quant à l’opportunité 773 Ibidem, §§ 19-30. 774 Ibid., § 66. 775 Ibid., § 135 et § 144. 776 Article 4a § 2 de la loi du 7 janvier 1993 sur le planning familial, la protection du foetus humain et les conditions légales d’avortement, préc. 777 Rozporządzenie Ministra Zdrowia i Opieki Społecznej z dnia 22 stycznia 1997 r. w sprawie kwalifikacji zawodowych lekarzy, uprawniających do dokonania przerwania ciąży oraz stwierdzania, że ciąża zagraża życiu lub zdrowiu kobiety lub wskazuje na duże prawdopodobieństwo ciężkiego i nieodwracalnego upośledzenia płodu albo nieuleczalnej choroby zagrażającej jego życiu [Règlement du ministre de la Santé et des Affaires sociales du 22 janvier 1997 sur la qualification professionnelle des médecins, donnant droit à effectuer un avortement ou à déclarer la grossesse dangereuse pour la santé ou la vie d’une femme ou présentant une malformation grave et irréversible du fœtus ou une maladie mortelle incurable], Dz. U., 1997, n°9, texte 49, pp. 155-156. 564 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » d’autoriser un avortement778. 890 - La CEDH s’est penchée sur l’étude de différents rapports relatifs à la pratique de l’avortement en Pologne779. Il ressortait de l’ensemble des informations que la législation polonaise sur l’interruption médicale de grossesse manquait de clarté, notamment parce qu’elle instaurait des exceptions pour lesquelles la pratique de l’avortement était dépénalisée plutôt qu’elle n’accordait un « droit » à recourir à l’avortement780. L’interdiction de l’interruption de grossesse pour des motifs de détresse sociale occasionne, selon les ONG, de graves répercussions sur la santé de nombreuses femmes, acculées à l’avortement clandestin dans de très mauvaises conditions ou dans certaines cliniques privées à un prix prohibitif781. L’arrêt Tysiąc est parfaitement symptomatique de la situation des femmes en Pologne et de la crispation idéologique sur la question de l’avortement. Le récit d’Alicja Tysiąc comprend de nombreuses illustrations de la mauvaise volonté manifeste du corps médical face à une demande motivée d’interruption thérapeutique de grossesse : examens médicaux superficiels, signature de certificats par des praticiens n’ayant jamais adressé la parole à la requérante, non prise en compte lors de l’instruction de l’avis du médecin généraliste qui préconisait l’avortement, etc. 891 - La CEDH, prenant acte de la dépénalisation de l’avortement par le droit interne lorsque la grossesse met en danger la vie ou la santé de la mère, a considéré qu’elle n’avait pas « en l’espèce à rechercher si la Convention garantit un droit à l’avortement »782 et s’est ainsi bor- 778 CEDH, Tysiąc c. Pologne, préc., §§ 68-73. 779 Rapports rédigés par le CDH de l’ONU, le réseau ASTRA (spécialiste de la santé et des droits reproductifs dans les PECO) et le Réseau d’experts indépendants de l’Union européenne en matière de droits fondamentaux. La Cour a également pris note des opinions émises par le Center for reproductive rights, la Fédération polonaise des femmes et du planning familial, le Forum des femmes polonaises et l’Association des familles catholiques, intervenant en tant qu’amicus curiae. 780 Dans l’opinion formulée devant la Cour, le Forum des familles polonaises (opposé à l’avortement) a assez bien résumé l’esprit de la loi de 1993, dont la rédaction de l’article 4a est la suivante : « seul un médecin peut pratiquer un avortement et ce lorsque… [énoncé des trois hypothèses] ». Il n’est donc pas fait obligation au médecin de procéder à l’avortement lorsque l’une des circonstances dérogatoires de l’interdiction d’avorter se présente. De plus, il apparaît que certains médecins font jouer la « clause de conscience » leur permettant de refuser la pratique de l’avortement tandis que d’autres sont dissuadés par la pénalisation de l’avortement et craignent donc d’opérer dans l’illégalité lorsqu’ils estiment qu’il n’est pas tout à fait certain que la situation d’une patiente corresponde à une exception légale (celui qui pratique un avortement illégal peut être puni de trois ans de prison, article 152 § 1 du CP). 781 En 2004, le nombre d’avortements clandestins pratiqués annuellement en Pologne était estimé entre 80 000 et 200 000. Bien des patientes dont la situation correspondait à l’une des exceptions permettant l’avortement selon la loi de 1993 ne pouvaient y avoir recours en raison de l’opposition des médecins auteurs du certificat d’autorisation ou en raison de l’invalidation de ce certificat par le thérapeute chargé de l’intervention ellemême… S’ajoutait à ces éléments la réelle déconsidération sociale que devaient subir les rares patientes qui ont pu bénéficier de l’avortement, selon un rapport du gouvernement (CCPR/C/POL/2004/5) soumis au CDH de l’ONU (cité par CEDH, Tysiąc c. Pologne, préc., § 49). 782 CEDH, Tysiąc c. Pologne, préc., § 104. 565 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME née à déterminer si le droit au respect de la vie privée dont peut se prévaloir la requérante a été violé par le refus de lui accorder l’autorisation d’avorter. La jurisprudence de la Cour retenant que la notion de vie privée « recouvre l’intégrité physique et morale de la personne et que l’État a également l’obligation positive de reconnaître à ses ressortissants le droit au respect effectif de cette intégrité »783, le droit interne se doit d’offrir une protection contre toute atteinte aux droits garantis par la Conv. EDH dont pourraient se rendre responsables les autorités publiques. Or, les lacunes procédurales affectant la loi de 1993 sont particulièrement dommageables en situation de désaccord entre la patiente et son médecin sur l’opportunité de recourir à l’avortement. Pour la CEDH, « une fois que le législateur a décidé d’autoriser l’avortement, il ne doit pas concevoir le cadre légal correspondant d’une manière qui limite dans la réalité la possibilité d’obtenir une telle intervention »784. Dès lors, sans trancher la question de savoir si la grossesse risquait réellement d’aggraver la santé de la requérante, la CEDH a constaté que le règlement ministériel de 1997 ne prévoyait pas l’hypothèse d’un désaccord entre la femme enceinte et ses médecins ou entre les médecins eux-mêmes, ni ne créait de garantie procédurale permettant de contester l’avis médical. Guère convaincue au demeurant que la législation interne comprît un mécanisme effectif assurant que les conditions pour bénéficier d’un avortement étaient remplies, soulignant enfin que toute procédure pénale ou disciplinaire contre un médecin n’empêchait en rien le préjudice sanitaire que constituait l’impossibilité d’avorter, la CEDH a reconnu la violation de l’article 8 de la Conv. EDH785. 892 - Il convient de noter à titre complémentaire que cet arrêt Tysiąc a fait l’objet d’une opinion concordante du juge maltais Giovanni Bonello et d’une opinion dissidente du juge espagnol Javier Borrego-Borrego, ce dernier déplorant que la majorité de ses collègues fût allée trop loin avec la solution choisie, la Cour n’étant pas, selon lui, « une œuvre de charité ni un substitut du parlement national »786. Un second arrêt, rendu en 2011 alors que l’État polonais n’avait pas exécuté l’arrêt Tysiąc, a confirmé la vulnérabilité des femmes en droit d’obtenir une IMG. Était cette fois en question le risque de malformaton de l’enfant à naître. 783 Ibidem, § 107. 784 Ibid., § 116. 785 Ibid., §§ 119-130. 786 Ibid., opinion dissidente du juge Borrego-Borrego. 566 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 2) L’avortement thérapeutique refusé malgré les malformations du fœtus 893 - En 2001, la requérante avait été diagnostiquée enceinte mais les échographies mettaient en évidence un risque de malformation du fœtus (syndrome de Turner ou syndrome d’Edwards). Au début de l’année 2002, des examens complémentaires étaient prévus pour en confirmer l’existence. Informé du souhait de la requérante d’avorter en cas de malformation avérée, le médecin qui la suivait refusa de rédiger une demande d’interruption de grossesse, considérant qu’il n’existait pas de certitude sur la malformation du fœtus. À l’hôpital universitaire de Cracovie, elle se vit reprocher d’envisager un avortement et fut informée que l’établissement refuserait d’effectuer une telle intervention. Dans un autre hôpital, la requérante fut confrontée à la mauvaise volonté de médecins qui ne cessaient de différer les consultations et leur décision afin d’empêcher l’avortement dans les délais légaux. En avril 2002, ils déclarèrent viable le fœtus et se prononcèrent en conséquence contre une IMG787. 894 - Le 11 juillet 2002, la requérante donna naissance à une fille, atteinte du syndrôme de Turner. Quelques jours plus tard, elle saisit le parquet pour demander l’ouverture d’une enquête sur les agissements des responsables médicaux à son égard. L’affaire fut classée définitivement en décembre 2003. En mai 2004, la requérante engagea une action civile contre trois des médecins qui l’avaient suivie. L’un d’eux reçut une condamnation à des dommagesintérêts en octobre 2005 pour avoir divulgué à la presse des informations médicales personnelles. À la suite d’un arrêt en cassation de la Cour suprême, toute l’affaire fut rejugée en 2008 et la requérant bénéficia d’une indemnisation pour les dysfonctionnements médicaux subis788. 895 - Le gouvernement rechercha en premier lieu à établir un règlement amiable avec la requérante. Celle-ci rejeta l’offre proposée et la CEDH jugea l’affaire au fond le 26 mai 2011. Regrettant que « les médecins consultés l’aient traitée de façon aussi odieuse »789, la Cour a considéré que la requérante avait été placée en situation de vulnérabilité (craintes sur la santé du fœtus, difficultés de faire réaliser un examen génétique, manque d’informations, mauvaise volonté des autorités). L’angoisse extrême qui en avait résulté quant à l’avenir de son enfant et de sa famille était contraire à l’article 3 de la Conv. EDH. Estimant enfin que la requérante n’avait pu obtenir dans un délai suffisamment bref un diagnostic précis sur le fœtus en raison 787 CEDH, R. R. c. Pologne, n°27617/04, 26 mai 2011, Rec. 2011-III, §§ 7-36 788 Ibidem, §§ 37-63. 789 Ibid., § 160. 567 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME du comportement des médecins et d’un dispositif législatif inefficace, la Pologne avait méconnu ses obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention790. En 2012, le troisième cas de figure donnant accès à l’avortement légal, en l’occurrence l’origine criminelle de la conception du fœtus, fut au cœur d’une autre condamnation de la Pologne devant la CEDH. 3) L’avortement dissuadé malgré le viol à l’origine de la conception 896 - Le 9 avril 2008, la première des deux requérantes devant la CEDH, alors âgée de 15 ans, déclara au centre médical universitaire de Lublin avoir été violée la veille par un garçon de son âge. Sa mère, la seconde requérante, donna son accord pour qu’elle subît un examen médical. Des traces de violence sur son corps furent décelées. La requérante tomba enceinte par la suite et exprima le souhait de recourir à une interruption de grossesse, comme le lui permettait la loi du 7 janvier 1993. En mai 2008, le procureur de district délivra un certificat reconnaissant que la requérante, mineure, était enceinte à la suite d’une relation sexuelle nonconsentie. La requérante a cependant subi la pression de médecins et d’un prêtre, notamment lors d’un rendez-vous médical auquel elle s’était rendue seule. Les services médicaux de l’hôpital Jan-Boży de Lublin informèrent finalement les requérantes que personne ne pourrait, parmi les médecins, pratiquer l’opération. Ils informèrent même la presse de leur opposition à l’avortement et l’affaire connut dès lors un retentissement national. En conséquence, les requérantes prirent contact avec un médecin de Varsovie recommandé par le planning familial. Durant son hospitalisation préalable à une interruption de grossesse en juin 2008, la jeune fille reçut des SMS de la part d’un prêtre et de nombreux inconnus qui disaient vouloir la soutenir tout en l’incitant à ne pas avorter. Se sentant manipulées par des activistes, les requérantes, quittèrent l’hôpital et sollicitèrent la protection de la police791. 897 - La cour aux affaires familiales de Varsovie rendit une décision restreignant les droits parentaux de la mère et ordonna le placement immédiat de sa fille dans un foyer pour mineurs. Elle y séjourna du 4 au 14 juin 2008. Victime de douleurs abdominales et de saignements, elle fut rapidement reconduite à l’hôpital Jan-Boży. Une autre décision, adoptée par la 790 Le juge Bratza a estimé, à l’inverse de la majorité de la quatrième section, qu’il n’était pas nécessaire de reconnaître une violation de l’article 3 de la Convention à côté de celle de l’article 8 (ibidem, Opinion partiellement dissidente du juge Bratza). Pour sa part, le juge De Gaetano s’est distingué de ses collègues en invoquant plutôt une violation des obligations procédurales imposées par l’article 6 (ibid., Opinion partiellement dissidente du juge De Gaetano). 791 CEDH, P. et S. c. Pologne, n°57375/08, 30 octobre 2012, §§ 6-28. 568 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » cour aux affaires familiales de Lublin ordonna la séparation des requérantes dans l’intérêt de la fille enceinte, avant d’être annulée. Les requérantes s’adressèrent au ministère de la Santé, qui accepta de réserver un véhicule pour les conduire dans une clinique de Gdańsk en vue de l’opération. La première requérante put effectivement avorter. À son retour, elle s’aperçut que des informations sur son transfert à Gdańsk avaient été publiées sur le site Internet de l’Agence d’information catholique. Plusieurs procédures pénales s’ensuivirent et s’achevèrent toutes par des non-lieux : la procédure contre la première requérante pour crime sexuel sur mineur ; la procédure contre l’auteur du viol ; la procédure contre les parents de la première requérante pour incitation à l’avortement ; la procédure contre des représentants de l’Église et des activistes anti-avortement ; la procédure contre d’autres personnes, dont des policiers ; la procédure contre les responsables de la divulgation d’informations personnelles792. 898 - La CEDH a reconnu dans son arrêt du 30 octobre 2012 que la Pologne avait manifestement méconnu l’article 8 de la Conv. EDH, comme dans l’affaire Tysiąc, en raison des entraves au droit d’accès à l’avortement. La conjugaison, en l’espèce, de la délivrance d’informations contradictoires, des pressions exercées par le corps médical, de l’intervention de prêtres, des atermoiements des médecins et du refus de deux hôpitaux de procéder à l’opération avait manqué d’empêcher définitivement l’interruption de grossesse793. La Cour a retenu une seconde violation de l’article 8 pour sanctionner spécifiquement la dissémination de données médicales vers des tiers, notamment à l’occasion du communiqué de presse soumis par les médecins de l’hôpital Jan-Boży. Ainsi, la situation de la requérante fut connue du grand public, ce qui favorisa le harcèlement contre sa personne. Enfin, la CEDH a admis, au regard de l’ensemble des circonstances (viol de la requérante, situation de vulnérabilité de celle-ci, pressions psycholiques voire physiques, ouverture d’une procédure pénale contre elle, privation temporaire de contacts avec sa mère), que la Pologne avait également violé l’article 3 de la Conv. EDH794. À travers cette triade d’arrêts, la CEDH a invité la Pologne à agir à trois niveaux : ga- 792 Ibidem, §§ 29-51. 793 Dans une opinion partiellement dissidente jointe à l’arrêt, le juge De Gaetano a estimé que cet aspect de la requête auraît dû être tranché au regard de l’article 6 de la Conv. EDH, et non de l’article 8 (ibidem, Opinion partiellement dissidente du juge De Gaetano). 794 Ibid., §§ 78-171. Amenée dans un autre moyen du recours à se prononcer sur la conformité à la Conv. EDH du retrait de l’autorité parentale de la seconde requérante et du placement de la première dans un foyer pour mineurs, la CEDH a considéré que l’objectif de cette privation de liberté était en fait d’isoler la fille de sa mère pour l’inciter à renoncer à l’avortement. En celà, cette mesure de privation de liberté était illégale et violait l’article 5 § 1 de la Conv. EDH. 569 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME rantir effectivement à chaque femme enceinte un accès à l’information nécessaire sur ses droits, notamment les conditions légales pour interrompre sa grossesse, et sur la santé du fœtus ; prévoir un cadre procédural permettant de procéder à une interruption de grossesse lorsque les conditions légales sont réunies ; assurer un juste équilibre entre la liberté de conscience des médecins et le droit du patient de bénéficier des soins adéquats. À défaut d’une réception positive de ces jurisprudences par les autorités polonaises – qui aurait pu conduire à une modification de la loi de 1993 pour en renforcer le cadre procédural – l’exécution des arrêts relatifs à l’avortement n’est pas satisfaisante à ce jour. C. Le défaut d’amélioration concrète de l’accès à l’avortement légal Parmi les élus du Parlement polonais ou les membres du gouvernement, les premières réactions à l’arrêt Tysiąc furent particulièrement négatives. De manière générale, un courant favorable à la restriction de l’accès à l’avortement existe toujours et s’exprime (1). L’ancienne majorité parlementaire libérale ne s’est pas attaqué frontalement à la législation sur l’avortement, préférant renforcer à la marge les droits des patients. Un très récent jugement du Tribunal constitutionel sur l’application de la clause de conscience des médecins est pourtant venu compliquer la situation (2). 1) Des réactions négatives contre les arrêts de la CEDH en matière d’avortement 899 - Lorsque fut rendu l’arrêt Tysiąc, de très violentes réactions de la classe politique se firent entendre. Au sein du gouvernement de droite, le ministre de l’Éducation nationale Roman Giertych, fondateur du très conservateur parti Ligue des Familles Polonaises (Liga Polskich Rodzin), a condamné la décision puis exigé que la Pologne saisît en appel la grande chambre de la CEDH795. Il menaça par ailleurs de dénoncer l’adhésion de la Pologne à la CEDH pour soustraire, son pays à la « culture de la mort », selon ses mots, propagée par cette institution796. Une révision constitutionnelle a immédiatement été proposée pour que la protection de la vie commence à courir « dès la conception » et n’a été rejetée qu’à une très courte majorité797. « La Cour ne fait absolument aucun commentaire sur la recevabilité ou l'irrecevabilité 795 La grande chambre n’a finalement pas été saisie de l’appel et l’arrêt Tysiąc est devenu définitif le 24 octobre 2007. 796 Diane ROMAN, « L’avortement devant la Cour européenne – À propos de l’arrêt CEDH, 18 mars 2007, Tysiac c/ Pologne », RDSS, n°4, 1997, p. 643. 797 Ibidem, p. 643 et p. 649. 570 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » du droit à l'avortement, écrivit pour sa part le spécialiste des droits de l’homme Marek Antoni Nowicki. Elle ne traite pas des problématiques éthiques ou morales liées à la question de la protection du droit à la vie, parce que le cas d’espèce ne concernait pas cela »798. À rebours des passions excessives qui ont secoué la classe politique, il estime donc qu’il ne fallait pas faire dire à la Cour ce qu’elle ne disait pas… 900 - En France, la doctrine tendait aussi à relativiser la portée de cet arrêt habilement rédigé pour que la problématique sensible du droit à l’avortement devînt une pure question de droit à l’effectivité des procédures, bien plus consensuelle799. Il est vrai que par cet arrêt la CEDH n’a pas condamné la Pologne pour les restrictions importantes au droit à l’avortement – d’autant que d’autres législations européennes étaient alors tout autant voire plus sévères encore que la législation polonaise800 – mais pour le manque d’encadrement procédural de l’avortement thérapeutique et l’impossibilité pour la requérante de contester le refus qui lui fut opposé de recourir à l’avortement801. C’est pourquoi l’arrêt Tysiąc a pu être considéré par la doctrine française « [à] bien des égards en demi-teinte »802 confirmant ainsi que « la jurisprudence européenne en matière d’avortement est une succession d’hésitations et de palino- 798 Marek Antoni NOWICKI, Europejski Trybunał praw człowieka : wybór orzeczeń 2007, Warszawa, Wolters Kluwer Polska, 2008, p. 127. 799 Michel Levinet déplora « la propension du juge européen à esquiver les questions de fond en s'abritant derrière des considérations procédurales » en ne tranchant pas la question du droit à l’avortement mais en se contentant de sanctionner la Pologne pour la défaillance procédurale affectant le recours à l’avortement thérapeutique (in Frédéric SUDRE (dir.), « Chronique de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (2007) », RDP, 1er mai 2008, n°3, p. 956). Pour un avis contraire, voir par ex. Patricia HENNIONJACQUET, « D’un avortement… l’autre ? », Rec. Dalloz, n°37, 25 octobre 2007, pp. 2648-2652. Plus partagé, le professeur Mathieu estime à la suite de cet arrêt que la Cour se positionne sur le domaine procédural, mais « notamment par la référence qu’elle fait à la position de certaines ONG, manifeste une attitude plus que réservée vis-à-vis de la législation polonaise, tout en se gardant d’ouvrir un conflit frontal » (Bertrand MATHIEU, « Les conditions du recours à une interruption de grossesse au regard du droit au respect de la vie privée », JCP G, n°17, 2007, p. 39). 800 Par ex. les législations irlandaise (avortement en cas de danger mortel pour la mère seulement) et maltaise (interdiction totale). Voir « Le droit à l’avortement dans l’UE », touteleurope.eu, 23 septembre 2014, <http://www.touteleurope.eu/actualite/le-droit-a-l-avortement-dans-l-ue.html> [consulté le 29-02-2016] 801 Le refus manifesté par la Cour de considérer que l’article 8 de la Conv. EDH ouvrait un droit individuel à l’avortement a été confirmé ultérieurement, par ex. dans l’arrêt CEDH, A., B. et C. c. Irlande [GC], n°25579/05, 16 décembre 2010, Rec. 2010-VI. La Cour estime que l’interdiction de l’avortement en Irlande pour des raisons sociales ou de bien-être individuel entre dans la marge d’appréciation accordée à l’État au titre de l’article 8 à partir du moment où l’Irlande ne pénalise pas les séjours à l’étranger en vue de subir un avortement et qu’elle permet aux patientes de s’informer sur leurs droits (§ 241). Pour le professeur Marguénaud, la CEDH ne « se sent pas investie d’une légitimité suffisamment forte » pour s’attaquer frontalement à la législation des derniers États européens qui interdisent l’IVG. Elle ne souhaite remettre en cause ce que les Irlandais ont voté au suffrage universel, par référendum, en 1983 (Jean-Pierre MARGUÉNAUD, La Cour européenne des Droits de l’Homme, 6e édition, Paris, Dalloz, Coll. « Connaissance du droit », 2012, pp. 65-66). 802 Diane ROMAN, « L’avortement devant la Cour européenne… », préc., p. 644. 571 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME dies »803. 901 - Selon la Fondation d’Helsinki, seules 538 procédures d’avortement ont abouti en 2009, parmi lesquels 510 justifiés pour une malformation du fœtus, 10 pour un risque pour la vie ou la santé de la mère et un seul parce que la conception résultait d’un viol. Ces statistiques refléteraient pour la Fondation la grande difficulté des femmes à obtenir un avortement légal804. Cette assertion semble être confirmée par le nombre d’avortement clandestins et non médicalisés qui a enregistré une hausse en 2010805. Les deux chambres du Parlement polonais ont débattu sur une nouvelle proposition de loi prohibant l’avortement en toutes circonstances. Celle-ci fut rejetée en 2011806. En juin 2012, l’ONU, dans le cadre de son Examen périodique universel, a enjoint la Pologne d’améliorer encore l’accès à l’avortement légal807. En octobre 2012, le Parlement polonais a rejeté un projet de loi qui prévoyait notamment d’élargir l’accès à l’avortement légal, à subventionner la contraception et à développer un programme d’éducation sexuelle808. 902 - En 2013, la commission de codification de la Diète s’est penchée sur un projet de réforme future du droit pénal matériel et a abordé la question de la protection du fœtus, non sans susciter des controverses. Les députés ont ébauché des pistes quant à l’évolution de la législation sur l’avortement. La commission a proposé de réprimer davantage les atteintes au fœtus à partir de la vingt-deuxième semaine de grossesse, c’est-à-dire à partir du moment où l’enfant peut être viable hors du corps de la mère. De plus, elle a suggéré de cantonner les cas où l’avortement serait autorisé (dans les trois cas de figures existants) à la seule période durant 803 Ibidem, p. 647. 804 CEDH, P. et S. c. Pologne, préc., § 58. 805 Amnesty International, La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2011, Paris, Éditions Francophones d’Amnesty International, 2011, p. 267. 806 Amnesty International, La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2012, Paris, Éditions Francophones d’Amnesty International, 2012, p. 267. 807 Voir not. ONU, Ass. gén., Compilation établie par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe de la résolution 16/21 du CSDH – Pologne, 4 juin 2012, p. 14, § 47 : « Le Rapporteur spécial sur le droit à la santé a noté avec regret que les femmes se heurtaient à de nombreux obstacles pour accéder aux services d’interruption de grossesse, même lorsqu’elles étaient légalement autorisées à avorter. […] Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s’est dit préoccupé par le fait que des femmes recouraient à un avortement clandestin, dans des conditions loin de répondre aux normes de sécurité, à cause de refus des médecins et des cliniques de pratiquer des interruptions légales par objection de conscience » ; ONU, Ass. gén., Rapport du Groupe de travail sur l’examen périodique universel – Pologne, 9 juillet 2012, p. 12, § 71 et § 72 : la France et l’Allemagne ont demandé respectivement à la Pologne quelles mesures l’État envisageait pour résoudre le problème des médecins refusant de pratiquer des interruptions légales de grossesses et pour lutter contre les avortements clandestins, en augmentation. 808 Amnesty International, La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2013, Paris, Éditions Francophones d’Amnesty International, 2013, p. 243. 572 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » laquelle le fœtus n’est pas viable hors du ventre maternel809. Bien que ces discussions n’eussent pas abouti à des dispositions législatives, elles n’en n’ont pas moins illustré la grande réticence du pouvoir politique à libéraliser l’interruption de grossesse810. Au début du mois d’avril 2016, le Premier ministre Beata Szydło a déclaré être favorable à une interdiction totale de l’avortement… avant de relativiser ses propos, en précisant que le gouvernement ne travaillait pas sur une telle mesure « actuellement »811. La Pologne était invitée à améliorer sa législation pour que soit garantie à la femme enceinte une voie de recours effective par laquelle elle puisse contester la décision de médecins de ne pas lui accorder l’autorisation de subir un avortement thérapeutique. Les quelques améliorations pour les droits des patients sont à mettre au crédit du législateur, tandis que le juge constitutionnel a restreint ceux-ci en censurant les dispositions sur l’encadrement de la clause de conscience. 2) Des réformes législatives timides, une jurisprudence constitutionnelle hostile 903 - Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe n’a pas, à ce jour, achevé l’exécution de l’arrêt Tysiąc. Par une loi adoptée le 6 novembre 2008812, le législateur polonais a rappelé la nécessaire protection du secret médical par les praticiens (articles 13 à 14). Il a surtout ouvert à toute personne un droit de recours contre une décision ou un avis médical (section 8 du texte), ce qui est susceptible de s’appliquer pour les demandes d’autorisation de recourir à l’avortement. Ce recours est examiné par une commission médicale ad hoc composée de trois médecins nommés par le Défenseur pour les droits du patient, dont deux doivent être spécialistes du domaine dans lequel l’acte contesté a été pris813. Selon l’ONG Amnesty Internatio809 Celina NOWAK, Jacek KOSONOGA, « Actualité du droit pénal polonais 2013-2014 », RSC, n°2, 2014, pp. 456457. 810 Une proposition de loi interdisant totalement l’avortement et le droit des femmes à l’information et aux tests pré-natals a été rejetée par le Parlement en septembre 2015 (Amnesty International, La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2015/16 – Pays par pays, Paris, Editions Francophones d’Amnesty international, 2016, p. 360). 811 « Beata Szydło: Obecnie rząd nie zajmuje się aborcją », rzeczpospolita.pl, 4 avril 2016, http://www.rp.pl/ Rzad-PiS/160409740-Beata-Szydlo-Obecnie-rzad-nie-zajmuje-sie-aborcja.html> [consulté le 19-04-2016] 812 Ustawa z dnia 6 listopada 2008 r. o prawach pacjenta i Rzeczniku Praw Pacjenta [Loi du 6 novembre 2008 sur les droits du patient et le Défenseur des droits du patient], Dz. U., 2008, n°52, texte 417, pp. 4662-4671. 813 Les modalités de fonctionnement des commissions sont précisées par voie règlementaire. Voir Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 10 marca 2010 r. w sprawie Komisji Lekarskiej działającej przy Rzeczniku Praw Pacjenta [Règlement du ministre de la Santé du 10 mars 2010 relative à la Commission médicale agissant auprès du Défenseur des droits du patient], Dz. U., 2010, n°41, texte 244, pp. 3565-3566. Ce texte garantit l’indépendance des commissions nommées pour chaque affaire et permet d’écarter la participation d’un médecin à la demande du patient ou de son avocat s’il existe un lien entre lui et ceux qui ont adopté l’acte attaqué (§ 3 du 573 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME nal, la nouvelle loi présente toutefois des conditions à la fois dissuasives (obligation de facto de prendre un avocat) et laxistes (délai de 30 jours pour statuer après le dépôt du recours, possibilité pour l’ordre des médecins de ne pas donner suite à la plainte si elle n’est fondée sur aucune base juridique) qui laissent craindre que les droits à la santé des patients soient violés dans la pratique814. Ce point de vue pessimiste a été partagé dès 2011 dans une communication au Comité des ministres cosignée par la Fédération polonaise pour les Femmes et le Planning Familial et du Centre pour les droits reproductifs815. Quant au Conseil du barreau polonais, il s’est inquiété tant du flou entretenu par loi de 2008 sur la valeur juridique des certificats délivrés par les commissions médicales et leur caractère contraignant que du manque de garanties sur le respect des délais par lesdites commissions pour rendre leurs conclusions et les communiquer à l’écrit au patient816. Dans son dernier bilan d’action en date présenté au Comité des ministres le 26 novembre 2013, le gouvernement a néanmoins présenté cette évolution législative comme la première mesure générale permettant d’exécuter l’arrêt Tysiąc, d’autant plus que les autorités ont assuré une campagne auprès de la population pour promouvoir l’action des commissions médicales et du Défenseur des droits du patient. Comme tous les arrêts de la CEDH présentant un problème nouveau, l’arrêt Tysiąc a été traduit et publié sur le site Internet du ministère de la Justice mais sa diffusion s’est limitée aux seuls ministères de la Santé et Défenseur des droits du patient. En décembre 2012, une délégation gouvernementale, le Défenseur des droits du patient et des représentants d’ONG spécialisées dans la défense des droits reproductifs des femmes ont décidé d’entamer une collaboration pour texte). Le patient ou son avocat peut assister aux réunions de la commission et fournir des précisions sur son dossier, sauf au moment des délibérés et du vote (§§ 4 et 5). La commission, au terme de la procédure, délivre un certificat motivé qui est remis au patient ou son représentant immédiatement s’il est sur place ou dans un délai maximum de sept jours (§ 6). 814 Amnesty International, Rapport 2010 – La situation des droits de l’homme dans le monde, Paris, Editions Francophones d’Amnesty International, 2010, p. 258. 815 Com. Min., Document non-numéroté (communication d’une ONG (Centre pour les droits reproductifs) sur l’affaire Tysiąc c. Pologne et réponse des autorités), 13 mai 2011. Les auteurs de la note d’information jugent le délai de 30 jours laissé aux commissions médicales trop long dans des cas comme les demandes d’avortement, le manque de certitude sur l’effet du certificat délivré, la nécessité pour les patients de fonder juridiquement leur recours alors qu’une telle procédure devrait être dispensée d’avocat. Des critiques du même ordre apparaissent dans la communication de la Fondation d’Helsinki sur l’affaire R. R., qui insiste de plus sur l’effet dissuasif produit par les cas trop restrictifs dans lesquels l’avortement est légal (Com. Min., Document DH-DD(2014)605 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) dans l’affaire R. R. c. Pologne et réponse des autorités, 9 mai 2014). 816 Com. Min., Document DD-DH(2014)142 (communication d’une ONG (Conseil du barreau polonais) sur l’affaire Tysiąc c. Pologne et réponse des autorités), 30 janvier 2014. Le gouvernement, par la plume de son agent près la CEDH Justyna Chrzanowska, a tenté de répondre à ces remarques. Selon les autorités, le respect des délais légaux serait assuré grâce à la sensibilisation de l’équipe du Défenseur des droits des patients à la nécessité de repondre promptement aux recours des patients... Quant à l’autorité des certificats produits, elle est finalement relativisée par le gouvernement lui-même qui parle de « certificat/opinion qui influence les droits et/ou les obligations du patient ». 574 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » chercher des solutions817. 904 - Les mesures de diffusion de l’arrêt R. R. furent plus nombreuses et ciblées en revanche. Le ministre de la Santé, après avoir publié sur son site Internet une traduction de cet arrêt tout comme son collègue de la Justice, s’est adressé par une lettre au Consultant national sur l’obstétrie et la gynécologie et à ses relais dans les régions, le 12 mars 2012. Ce courrier entendait leur rappeler les règles d’application de la clause de conscience des médecins qui, selon le gouvernement, avaient été employées à mauvais escient dans l’affaire R. R. La démarche donna lieu à des discussions lors d’une réunion tenue par le Consultant et ses collaborateurs le 25 juin 2012. Le ministère de la santé a mis en ligne une communcation invoquant la clause de conscience des médecins, à la lumière des standards de la CEDH. Le texte a été publié dans la Revue polonaise de gynécologie. Cet arrêt n’a pas incité le gouvernement à adopter d’autres mesures générales. Devant le Comité des ministres, il estime que la loi du 6 novembre 2008 qui permet de faire appel d’une décision ou d’un avis médicale permet de rémédier aux difficultés d’accès à un diagnostic médical rapide, cause dans l’arrêt R. R. de la violation de l’article 8 de la Conv. EDH818. 905 - La requérante principale de l’arrêt P. et S. a obtenu en mars 2013 – dans les délais – le paiement des 61 000 EUR de satisfaction équitable attribués par la CEDH. Le gouvernement a fait savoir que la procédure engagée pour rupture du secret médical par le Défenseur de la responsabilité professionnelle du district de Lublin contre le département de gynécologie de l’hôpital de Lublin a été classée sans suite. Le Défenseur a notamment motivé sa décision par le trop grand nombre de professionnels impliqués dans le suivi du dossier de la jeune patiente, ce qui rendait l’établissement des responsabilités et les sanctions impossibles selon lui. La requérante gardait cependant la possibilité de demander une indemnisation au Trésor Public (articles 23 et 24 du CC) pour la détention illégale dont elle fut victime lors de son placement en foyer819. Le bilan d’action présenté par le gouvernement au Comité des ministres le 29 novembre 2013 pour l’exécution de cet arrêt trahit bien l’embarras des autorités polonaises face à la question de l’interruption de grossesse. Le document, pourtant composé de vingttrois pages, n’annonce aucune mesure générale nouvelle, excepté le plan de diffusion de 817 Com. Min., Document DH-DD(2014)104 (bilan d’action mis à jour des autorités dans l’affaire Tysiąc c. Pologne), 21 janvier 2014. 818 Com. Min. Document DH-DD(2014)103 (bilan d’action des autorités dans l’affaire R. R. c. Pologne), 21 janvier 2014. 819 Com. Min., Document DH-DD(2014)258 (bilan d’action des autorités dans l’affaire P. et S. c. Pologne), 19 février 2014. 575 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’arrêt de la CEDH820. Le bilan d’action est surtout nourri par un rappel détaillé de la législation polonaise relative aux droits des patients (la loi du 6 novembre 2008), à la clause de conscience (loi du 5 décembre 1996 modifiée sur les professions médicales et dentaires821) et à la responsabilité médicale (loi du 2 décembre 2009822), et des dispositions pertinentes du CEM823. Le Comité des ministres ne s’est pas encore prononcé par une résolution sur ces mesures et l’ONG Amnesty International a fait part de ses doutes par un courrier du 29 août 2014824. Pour ce qui concerne la clause de conscience, le devoir imposé au médecin qui refuse par conviction personnelle d’effectuer un acte médical d’orienter le patient vers un collègue ou un service susceptible de répondre à sa demande825 (article 39 de la loi de 1996) a été censuré en octobre 2015 par le Tribunal constitutionnel826. Le juge constitutionnel polonais a estimé que cette obligation restreignait excessivement la liberté individuelle des praticiens, en méconnaissance de l’article 31 § 3 de la Constitution) et portait atteinte à leur liberté de conscience et de religion (article 53 § 1 de la Constitution). L’article 39 de la loi déférée, en invitant les médecins qui usent de la clause de conscience à faire mention dans le dossier médical 820 Le texte de l’arrêt P. et S. a été traduit en polonais et publié en ligne sur les sites Internet des ministères de la Santé et de la Justice. Le ministère de la Santé a par ailleurs organisé une réunion entre les consultants nationaux et régionaux de l’obstrétrie, de la gynécologie et de la périnatologie le 25 novembre 2013. Ont été évoquées à cette occasion les mesures à prendre pour exécuter l’arrêt P. et S. ainsi que les jurisprudences antérieures Tysiąc et R. R. Les consultants furent missionnés pour informer les directeurs d’hôpitaux sur la nécessité de respecter le droit relatif à l’accès à l’avortement, aux examens pré-natals, au recours à la clause de conscience, à l’information des patients, au secret médical etc. (ibidem). 821 Ustawa z dnia 5 grudnia 1996 r. o zawodzie lekarza [Loi du 5 décembre 1996 sur les professions médicales], Dz. U., 1997, n°28, texte 152, pp. 1097-1107. Jusqu’en 2015, cette loi permettait aux médecins d’exercer la clause de conscience (art. 30) à la condition de fournir au patient des options réalistes pour obtenir l’acte médical souhaité (art. 39). 822 Ustawa z dnia 2 grudnia 2009 r. o izbach lekarskich [Loi du 2 décembre 2009 sur les chambres médicales], Dz. U., 2009, n°219, texte 1708, pp. 17257-17278. Conformément à l’article 53 de ce texte, un médecin est tenu professionnellement responsable de la méconnaissance de ses fautes, ce qui inclut la méconnaissance de son devoir d’information du patient. 823 Adopté le 14 décembre 1991 (non publié). 824 Com. Min., Document DH-DD(2014)1077 (communication d’une ONG (Amnesty International) sur l’affaire P. et S. c. Pologne), 10 septembre 2014. Amnesty International invite le Comité des ministres à veiller à l’exécution complète de cet arrêt et déplore, sur la base des données fournies par le CAT, que la Pologne continue régulièrement d’entraver l’accès des femmes à l’avortement. 825 Un règlement du ministre de la Santé de 2009 – postérieur donc aux faits des trois arrêts contre la Pologne – a prévu que l’interruption de grossesse dans les cas définis par la loi fît partie de la liste des soins que les hôpitaux garantissent (Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 29 sierpnia 2009 r. w sprawie świadczeń gwarantowanych z zakresu leczenia szpitalnego [Règlement du ministre de la santé du 29 août 2009 sur les prestations garanties dans le domaine des traitements médicaux], Dz. U., 2009, n°140, texte 1143, pp. 10446-10991). Abrogé de facto en 2013, il a été remplacé par un nouveau règlement qui en reprend les avancées. Ainsi, pour les patientes assurées par la sécurité sociale, l’interruption légale de grossesse est prise en charge (Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 22 listopada 2013 r. w sprawie świadczeń gwarantowanych z zakresu leczenia szpitalnego [Règlement du ministre de la santé du 22 novembre 2013 sur les prestations garanties dans le domaine des traitements médicaux], Dz. U., 2013, texte 1520). 826 TCP, n°K 12/14, 7 octobre 2015, OTK ZU, 2015, n°9A, texte 143. Quatre des quatorze juges délibérants ont chacun rédigé une opinion dissidente individuelle. 576 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » de leur refus d’agir et des justifications le motivant, violait en outre l’article 53 § 7 de la Constitution (« Nul n’est tenu par les autorités publiques de révéler sa conception du monde, ses convictions religieuses ou sa confession »). Outre qu’il retranche au bilan d’action du gouvernement un aspect important du droit positif dans le cadre de la réception de l’affaire P. et S. – puisque la requérante avait souffert du manque d’information et de la mauvaise volonté des médecins pour accéder à un établissement pouvant pratiquer une interruption de grossesse – il va à l’encontre des exigences même de la CEDH. Les arrêts relatifs à l’avortement apparaissent comme particulièrement mal exécutés par la Pologne pour des raisons essentiellement philosophiques et culturelles. Tout aussi liés aux mœurs, les droits des homosexuels se développent lentement en Pologne. L’embarras de la classe politique sur cette question rend difficile une évolution majeure, probablement nécessaire à terme pour respecter les standards actuels de la CEDH. § 2. LES DROITS DES HOMOSEXUELS EN PROGRÈS 906 - La vie privée au sens de la Conv. EDH, loin de se borner « à garantir à l’individu de vivre comme il l’entend » comprenant aussi « le droit d’entretenir des relations avec autrui, en particulier dans le domaine émotif »827. La Pologne, comme les quarante-six autres parties à la Convention, est amenée à prendre en considération d’autres modèles de rapports affectifs que le couple hétérosexuel828. Dans la jurisprudence de la CEDH, les homosexuels, depuis l’arret Dudgeon c. Royaume-Uni de 1981829, sont reconnus en tant que « groupe ». Ils bénéficient à ce titre d’une protection contre les discriminations830. La situation des homosexuels en Pologne a été attentivement observée par les spécialistes des droits de l’homme ces dernières 827 Hanspeter MOCK, « Le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance à l’aube du XXIe siècle », RUDH, 1998, vol. 10, n°7-10, p. 239. 828 La notion se « vie familiale » de la Conv. EDH s’étend grâce à l’interprétation de la CEDH « du couple marié à cet ‘‘ailleurs’’ incertain, dont on perçoit qu’il est susceptible de désigner d’autres modes de conjugalité que le mariage et d’autres ‘‘familles’’ que la famille légitime » (Frédéric SUDRE, « Rapport introductif – La ‘‘Construction’’ par le juge européen du droit au respect de la vie familiale » in Frédric Sudre (dir.), Le Droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, préc., pp. 18). 829 CEDH, Dudgeon c. Royaume-Uni, n°7525/76, préc. 830 Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, « Le droit à la non-discrimination appliqué aux groupes – Brèves remarques sur la reconnaissance progressive d’un droit des groupes par la Cour européenne des droits de l’homme », in Frédéric SUDRE, Hélène SURREL (dir.), Le Droit à la non-discrimination au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, coll. « Droit et Justice », Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 205-206, § 15. 577 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME années831. Entre 1997 et 2010, la jurisprudence de la CEDH se montre paradoxalement peu fournie, même si les deux affaires qui concernent les homosexuels sont révélatrices du climat politique autour de la question du droit des « minorités sexuelles ». Mais la Cour apparaît d’autant plus influente que ses arrêts amorcent une évolution salutaire du droit interne. L’affaire Bączkowski a levé le voile en 2007 sur les atteintes aux droits civils et politiques d’associations de défense des homosexuels (A). Trois ans plus tard, l’impossibilité pour un justiciable polonais de reprendre le bail de son défunt compagnon au motif que le couple homosexuel n’était pas assimilable au modèle conjugal hétérosexuel a conduit à une nouvelle condamnation sur le fondement de l’article 14 de la Conv. EDH (B). A. L’entrave à la liberté de réunion de défenseurs de la cause homosexuelle En s’opposant au défilé que souhaitait organiser dans les rues de Varsovie une association LGBT, les autorités de la capitale avaient rendu une décision entâchée de discrimination (1). Bien qu’exécutée essentiellement par l’amélioration de la procédure relative aux rassemblements publics, cet arrêt a facilité l’expression publique des défenseurs de la cause homosexuelle (2). 1) La Pologne condamnée pour la violation de l’article 14 dans l’arrêt Bączkowski 907 - La Fondation pour l’Égalité avait décidé d’organiser du 10 au 12 juin 2005 plusieurs manifestations publiques afin de sensibiliser l’opinion sur les discriminations rencontrées par les minorités sexuelles, nationales, ethniques ou religieuses, par les femmes et par les personnes handicapées. Après avoir trouvé un accord sur l’itinéraire projeté avec le directeur de 831 Voir par ex. Commiss. DH, Mémorandum au gouvernement polonais. Évaluation des progrès accomplis dans la mise en œuvre des recommandations de 2002 du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, CommDH(2007)13, 20 juin 2007, §§ 51-57 (les ONG ont « attiré l’attention du Commissaire sur des cas particuliers de discrimination et des crimes de haine à l’encontre d’homosexuels » ; le rapport précise même qu’entre 2002 et 2006, « la situation des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels (LGBT) » s’était dégradée), ou encore Amnesty International, La Situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2009, Paris, Éditions Francophones d’Amnesty International, 2009, p. 342 (Amnesty rapporte des faits qui ressemblent étrangement à ceux observés dans l’affaire Bączkowski : « [L]e maire adjoint de la ville d’Opole a interdit, sans donner d’explication, la tenue du projet Bibliothèque vivante, qui était destiné à promouvoir la diversité et les droits des minorités, et que des militants des droits humains avaient prévu d’organiser au centre culturel municipal. Des représentants des minorités allemande et rom, des réfugiés et des immigrés, des personnes ayant un handicap physique ou mental, ainsi que des lesbiennes et des gays devaient participer à ce projet. Selon la presse, le maire adjoint se serait opposé à la présence de gays et de lesbiennes, la jugeant ‘‘inacceptable’’ car elle aurait selon lui ‘‘encouragé la déviance’’. Le maire de la ville a publiquement approuvé la décision de son adjoint. La manifestation a finalement été accueillie par l’université ». 578 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » la sécurité et de l’unité de gestion des crises de la mairie de Varsovie, les organisateurs ont, le 3 juin 2005, essuyé un refus d’autorisation de la manifestation de la part du directeur de la circulation routière. La décision était formulée au nom de Lech Kaczyński, maire de Varsovie, et justifiée par l’absence au dossier du plan d’organisation du trafic exigé par la loi relative à la sécurité routière. Le 9 juin 2005, le maire a interdit les manifestations immobiles que souhaitaient tenir Tomasz Bączkowski et d’autres militants de la Fondation pour l’Égalité défendant la cause homosexuelle, celles-ci ne pouvant, d’une part, être organisées qu’hors des voies affectées à la circulation routière et risquant, d’autre part, de susciter des heurts avec les participants d’autres manifestations832, quant à elles autorisées. En dépit de l’interdiction qui leur avait été opposée le 3 juin 2005, les organisateurs défilèrent le 11 juin selon l’itinéraire déterminé le 12 mai 2005 et bénéficièrent à cette occasion d’une protection policière833. De plus, quelques jours avant de rendre les décisions attaquées, Lech Kaczyński, interviewé par le quotidien Gazeta Wyborcza, avait déclaré qu’il « n’y aura[it] pas de propagande publique en faveur de l’homosexualité »834. 908 - Le 16 décembre 2005, la CEDH a été saisie par M. Bączkowski et d’autres organisateurs de la manifestation. Les requérants dénoncèrent la violation des articles 11 et 13 de la Conv. EDH. La CEDH abonda dans leur sens en condamnant l’État polonais le 3 mai 2007835. Les auteurs de la saisine avaient également fait valoir le caractère discriminatoire des actes administratifs édictés aux fins de leur interdire de manifester. Ils soutenaient que leur marche avait été interdite officiellement en raison de l’absence d’un plan d’organisation du trafic routier qu’ils devaient fournir alors même que les autres organismes auteurs de demandes similaires n’avaient pas été soumis à telle condition. Le refus opposé à leur projet de rassemblement contrastait donc avec l’autorisation accordée à d’autres initiatives, et ceci dans un contexte marqué par des déclarations publiques du maire indiquant qu’il refuserait de délivrer toute autorisation aux associations de défense des droits des homosexuels. 832 Les slogans de ces manifestations étaient les suivants : « Pour un durcissement des mesures contre les personnes reconnues coupables de pédophilie », « Contre tous les travaux parlementaires relatifs à l’union libre », « L’éducation selon les valeurs chrétiennes, garantie d’une société morale », « Les chrétiens respectant les lois de Dieu et de la nature sont des citoyens de premier rang », « Contre l’adoption par les couples homosexuels ». 833 CEDH, Bączkowski et autres c. Pologne, n°1543/06, 3 mai 2007, §§ 7-18. Il va sans dire que l’affaire a soulevé des interrogations du point de vue de la recevabilité, les requérants ne pouvant, selon les arguments du gouvernement, satisfaire le statut de victimes puisqu’ils avaient tout de même accompli leur marche (bien qu’interdite) le jour prévu. Tant la commission locale de recours que le gouverneur de Mazovie avaient fait droit à leur demande en annulant les décisions administratives qui leur étaient défavorables. 834 Ibidem, §§ 21-27. 835 Cf. supra, Partie I, Titre II, Chapitre II, Section II. 579 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 909 - La CEDH a certes reconnu que les motifs expressément avancés dans chacune des décisions contestées ne pouvaient en eux-mêmes être considérés comme discriminatoires836. En revanche, l’obligation formulée aux requérants de présenter des pièces de dossier qui n’étaient pas demandées à d’autres organisateurs pour des actions comparables, l’interdiction des manifestations immobiles au motif que des affrontements violents avec des participants à des manifestations défendant des idées opposées étaient à craindre et surtout la prise en compte des propos tenus par le maire de Varsovie dans l’interview réalisée par Gazeta Wyborcza donnaient lieu à penser que les décisions ayant entraîné la violation de l’article 11 dissimulaient des motifs discriminatoires, en contradiction avec l’article 14 de la Conv. EDH837. L’avocat et universitaire Adam Bodnar a d’ailleurs noté en commentaire de cet arrêt Bączkowski qu’il « semble être caractéristique des sociétés post-communistes d’utiliser la législation de telle sorte que ses dispositions ne soient pas formellement violées tout en jouant avec les mots et la procédure dans le but d’empêcher dans la pratique l’effectivité de certaines dispositions »838. 910 - Ce verdict s’avéra d’autant plus sévère pour l’État polonais que la critique de l’ancien maire devenu chef de l’État fut explicite839. Ironie du sort, l’arrêt a été rendu le 3 mai 2007, jour de la célébration de l’anniversaire de la Constitution de 1791, alors que le Président Kaczyński prononçait un discours en marge de l’adoption d’une nouvelle loi de lustration et déclarait à cette occasion : « nous nous battrons pour que la loi en Pologne soit vraiment la même pour tous »840. La condamnation de la Pologne dans cette affaire a été bénéfique pour les associations de défense des minorités sexuelles. Des défilés semblables à celui qui avait été interdit en 2005 ont été progressivement autorisés par les autorités. 836 Le professeur Sudre a écrit qu’à travers cet arrêt, la CEDH avait transposé la « théorie des apparences » au principe de l’interdiction des discriminations. Les conséquences sont significatives : la théorie « incite le juge européen à faire l’impasse sur les critères classiques de la discrimination (différence de traitement, analogie des situations, défaut de justification objective et raisonnable) » de même « qu’elle postule une présomption d’intention discriminatoire » (Frédéric SUDRE, « Rapport introductif », in Frédéric SUDRE, Hélène SURREL (dir.), Le Droit à la non-discrimination…, op. cit., p. 46, § 34). 837 CEDH, Bączkowski et autres c. Pologne, préc., §§ 86-101. 838 Adam BODNAR, « Shaping the freedom of Assembly; counter-productive effects of the Polish road towards illiberal democracy », in András SAJÓ, Free to protest: constituent power and street demonstration, La Haye, Eleven International Publishing, 2009, p. 177. 839 La Cour « ne saurait faire abstraction des opinions personnelles bien arrêtées exprimées publiquement par le maire sur des questions directement liées aux décisions en cause », notant par ailleurs que « l’on peut raisonnablement supposer que les opinions du maire ont pu avoir des répercussions sur le processus décisionnel en l’espèce et, ainsi, porter atteinte de manière discriminatoire au droit des requérants à la liberté de réunion » (ibid., § 100). 840 Adam BODNAR, « Shaping the freedom of Assembly… », préc., p. 168. 580 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 2) L’ouverture timide de la société aux droits des homosexuels. 911 - La fameuse love parade interdite à Varsovie en 2005 – qui a donné lieu l’arrêt Bączkowski – n’était pas un fait isolé puisque d’autres rassemblements de ce type avaient été interdits dans la capitale l’année précédente ainsi que dans d’autres villes importantes du pays, telle que Poznań841. Une marche des fiertés gays et lesbiennes – l’Europride – s’est tenue à Varsovie en juillet 2010. Il s’agissait de la première manifestation de cette nature organisée dans un pays d’Europe centrale et orientale842. Ainsi, dans les faits, les autorités politiques ne font plus obstacle à la tenue de ce type d’événement. L’arrêt Bączkowski avait d’ailleurs été largement diffusé auprès des autorités locales par le ministère de la Justice afin d’éviter des interdictions de rassemblements publics pour des motifs essentiellement idéologiques et, partant, discriminatoires843. 912 - Reste que la société polonaise paraît conserver une propension à l’expression de propos ou à des actes discriminatoires envers les homosexuels. Son ouverture à d’autres formes de sexualité ou de modèle familial serait loin d’être acquise, de l’avis du professeur américain Frances Millard. En 2009, cette dernière écrivit que « la solide assise culturelle de l’Église catholique [signifie] que son hostilité à l’égard des droits des homosexuels et de plusieurs aspects des droits de la femme trouve un fort écho au sein de la société »844. Et pourtant, la Pologne n’avait sans doute pas d’autre choix que celui d’amorcer un changement des mentalités, la CEDH assumant que l’ordre public européen évolue en prise directe avec la société. Lors d’un colloque à Varsovie organisé en 1998, le professeur Braconnier avait rappelé qu’à l’évidence « [s]ur des questions aussi sensibles que le transsexualisme, la répression pénale de l’homosexualité […] les organes de la Convention ont incontestablement suscité, voire imposé, des évolutions déterminantes dans de nombreux États-parties, préservant ces derniers d’une vision par trop anachronique ou archaïque de l’application concrète des droits contenus dans la Convention »845. Les mentalités évoluent en Pologne mais ne conduisent pas 841 Ibidem, pp. 166-167. 842 Human Rights House, « EuroPride in Warsaw », 30 septembre 2010, <http://humanrightshouse.org/Articles/ 15174.html> 843 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)234 (exécution de l’arrêt Bączkowski et autres c. Pologne), 9 décembre 2015, 1243e réunion des délégués. 844 Frances MILLARD, « Poland », in David P. FORSYTHE (dir.), Encyclopedia of Human Rights, vol. 4, NewYork, Oxford University Press, 2009, p. 260. 845 Stéphane BRACONNIER, « L’administration et la Convention européenne des droits de l’homme », in Philippe CHAUVIN, Mirosław WYRZYKOWSKI (dir.), Contrôle de l'administration en France et en Pologne (actes du colloque des 4 et 5 mai 1998), Varsovie, Biblioteka Studia Iuridica, 1999, p. 171. 581 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME encore à envisager d’officialiser sous une forme ou une autre l’union homosexuelle. Le 25 janvier 2013, la Diète a enterré les projets de lois favorables à la création d’une union civile de type PACS846 ouverte aux couples homosexuels847. 913 - Rien n’indique que le gouvernement ait pleinement mesuré, ces dernières années, les conséquences des discriminations régulièrement recensées par différents organismes de protection des droits de l’homme à l’encontre des minorités sexuelles mais qui n’apparaissent pas (encore) réellement dans le contentieux devant la CEDH. Le rapport intérimaire du gouvernement au Commissaire aux droits de l’homme en date du 20 avril 2009 mettait en valeur l’implication du gouvernement dans une campagne de sensibilisation menée en 2007 contre les discriminations ainsi que la publication en mars 2008 d’un document à l’instigation du ministre du Travail et de la Politique sociale sur la situation des minorités sexuelles en Pologne. Le rapport faisait également état d’un projet de loi sur les discriminations en général, préparé par le ministère du Travail et de la Politique sociale et adopté en Conseil des ministres en juillet 2008. Il fut complété en considération des remarques formulées par différents ministres. La loi proposée entendait prohiber toute discrimination848, en particulier dans le milieu socio-professionnel. Mais elle abordait plus précisément la question des discriminations sexuelles dans la sphère de la sécurité sociale. Toute victime de discrimination pourrait se plaindre pour que cessent les comportements illicites à son égard et obtenir des réparations pour le préjudice moral subi ; la charge de la preuve serait alors portée sur le défendeur849. Le texte, dicté principalement par un devoir de transposition du droit de l’Union européenne, fut finalement adopté au Parlement en décembre 2010850. 914 - L’ONG Amnesty International déplora, dans son avant-dernier rapport annel, que la législation polonaise ne protège toujours pas contre les discriminations en raison de l’identité 846 Le Pacte Civil de Solidarité (PACS), créé par la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 est, en droit français, un contrat civil entre personnes de même sexe ou de sexe opposé destiné à l’organisation de la vie commune. 847 « Non au PACS ! », Courrier International, <http://www.courrierinternational.com/breve/2013/01/25/non-aupacs>. 848 Mais la Constitution ne remplit-elle pas cet office ? Son Préambule assure l’égalité « en droits et en devoirs envers la Pologne » de tous les « citoyens de la République ». Dans le titre II consacré aux libertés, droits et devoirs de l’homme et du citoyen, l’article 32 dispose : « 1. Tous sont égaux devant la loi. Tous ont droit à un traitement égal par les pouvoirs publics. / 2. Nul ne peut être discriminé dans la vie politique, sociale ou économique pour une raison quelconque. » 849 Commiss. DH, CommDH(2009)18, Rapport intérimaire du gouvernement polonais pour le Commissaire aux droits de l’homme, 20 avril 2009, recommandations n°8 et n°9. 850 Ustawa z dnia 3 grudnia 2010 r. o wdrożeniu niektórych przepisów Unii Europejskiej w zakresie równego traktowania [Loi du 3 décembre 2010 sur la mise en œuvre de certaines dispositions de l’Union européenne en matière d’égalité de traitement], Dz. U., 2010, n°254, texte 1700, pp. 17574-17581. 582 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » ou de l’orientation sexuelle, et n’interdit celles-ci que dans le monde du travail851. De son côté, le Commissaire des droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est étendu en détail, dans son Mémorandum au gouvernement polonais de 2007, sur les violences et les discriminations subies par les minorités sexuelles852. Dans un passé encore récent, des homosexuels n’avaient pu accéder à des soins médicaux en raison de la crainte qu’ils fussent séropositifs853. Sous-jacente dans l’affaire Bączkowski précédemment étudiée, l’acceptation difficile de l’homosexualité a été la cause directe de la condamnation de la Pologne avec l’arrêt Kozak, rendu le 2 mars 2010 par la CEDH. B. Le refus de transmettre un bail au conjoint homosexuel du locataire défunt En n’étendant pas à une relation homosexuelle stable la notion de « situation maritale » nécessaire à la transmission d’un bail, la Pologne a été condamnée pour la violation des articles 8 et 14 en 2010 (1). Le législateur a modifié le CC afin de mettre un terme à cette interpétation restrictive de la loi (2). 1) La discrimination entre couples hétérosexuels et homosexuels dans l’affaire Kozak 915 - Le requérant en l’espèce, Piotr Kozak, avait vécu avec son compagnon T. B. de 1986 à 1998. En 1989, ils avaient emménagé à Szczecin. T. B. était locataire mais M. Kozak participait aux frais de logement. Le 28 mai 1989, ce dernier fut enregistré comme résident permanent au registre de la municipalité de Szczecin. Après le décès de son compagnon le 1er avril 1998, il sollicita la signature d’un contrat de bail qui se substituerait à celui qu’avait conclu nominativement T. B. La municipalité de Szczecin l’avertit qu’il devrait d’abord s’acquitter des arriérés de loyer sans quoi un nouveau bail ne pourrait être signé. M. Kozak s’y soumit et prit également en charge la rénovation de l’appartement. Le 19 juin 1998, la ville de Szczecin l’informa par courrier que l’un des critères pour obtenir le renouvellement du bail en sa faveur était d’habiter l’appartement depuis le 11 novembre 1992. Pour les autorités, M. Kozak n’y avait pas vécu avant le 1er avril 1998, c’est pourquoi son nom avait été rayé du registre muni- 851 Amnesty International, La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2014/15 – Pays par pays, Paris, Editions Francophones d’Amnesty international, 2015, p. 363. 852 Commiss. DH, Mémorandum…, préc., §§ 51-57. 853 Commiss. DH, Rapport…, préc., § 22. 583 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME cipal le 3 avril 1998 et les lieux devaient être évacués sous peine d’expulsion. Par la suite, M. Kozak a tenté de négocier un nouveau contrat de location avec la mairie, mais sans succès. Ces faits furent toutefois contestés. Les autorités alléguèrent que T. B. avait lui-même demandé que le nom de son partenaire fût retiré du registre des occupants de l’appartement par une requête en date du 5 août 1997, que le requérant avait quitté l’appartement à la suite d’une dispute avec son défunt compagnon et ne payait plus sa part de loyer. Le requérant assura néanmoins que leur relation s’était poursuivie et précisa en outre avoir veillé sur T. B. avant sa mort puis contribué à l’organisation des funérailles. Le 26 juin 1998, le requérant demanda la réouverture du dossier. Il informa les autorités qu’il avait vécu continuellement dans l’appartement depuis le 18 mai 1989, à l’exception de quelques absences de plusieurs semaines seulement entre 1994 et 1998. Les éléments probatoires collectés par les autorités tendaient à confirmer la version des faits présentée par M. Kozak. Le maire de Szczecin rendit le 31 mars 1999 une décision par laquelle il refusa d’inscrire le requérant au registre municipal854. 916 - Le 16 avril 1999, la municipalité de Szczecin a poursuivi le requérant en justice aux fins d’obtenir son expulsion de l’appartement litigieux. Le 20 juin 2000, le juge de première instance accueillit cette demande et M. Kozak interjeta appel. Toutefois, la cour régionale de Szczecin confirma le jugement attaqué par un arrêt du 14 septembre 2001. M. Kozak a luimême attaqué la municipalité le 14 juillet 2000 pour que la justice reconnût qu’il avait succédé à T. B. comme locataire du logement communal en tant que concubin, sur le fondement de la loi du 2 juillet 1994 sur la location et les allocations logements855. La section 8(1) de ce texte prévoyait en effet qu’une personne pouvait reprendre la location lorsque certaines conditions étaient réunies : une relation étroite avec l’ancien propriétaire jusqu’à sa mort (cohabitation maritale de facto), le non-renoncement à ce droit auprès du propriétaire et l’absence de titre sur un autre logement. Le 22 février 2001, sa demande fut rejetée au motif que la condition de cohabitation maritale de facto n’était pas remplie. Deux raisons à cela : le critère de lien économique entre les partenaires faisait défaut et la loi ne reconnaissait que les relations maritales de facto entre individus de sexe différent. Le mariage correspondait effectivement dans le CFT856 à une union entre un homme et une femme. En seconde instance, la cour ré- 854 CEDH, Kozak c. Pologne, n°13102/02, 2 mars 2010, §§ 6-23. 855 Ustawa z dnia 2 lipca 1994 r. o najmie lokali mieszkalnych i dodatkach mieszkaniowych [Loi du 2 juillet 1994 sur la location de logements habitables et les allocations de logement], Dz. U., 1994, n°105, texte 509, pp. 1909-1916. Le texte a été abrogé le 10 juillet 2001. 856 Ustawa z dnia 25 lutego 1964 r. - Kodeks rodzinny i opiekuńczy [Loi du 25 février 1964 – Code de la famille 584 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » gionale de Szczecin a considéré le 1er juin 2001 que la juridiction de premier degré avait convenablement appliqué les dispositions pertinentes. Elle confirma que la notion de cohabitation maritale de facto n’était applicable qu’à des couples composés de personnes de sexe différent, rejetant l’argument du requérant proposant une interprétation à l’aune des conceptions retenues dans d’autres États européens sur le couple homosexuel857. 917 - Dans l’impossibilité de former un pourvoi en cassation dans ce type de litige, M. Kozak a saisi la CEDH sur le moyen de la violation combinée des articles 8 et 14 de la Conv. EDH. Il estimait en effet que le refus de le reconnaître comme locataire par succession était avant tout motivé par la nature de la relation qu’il entretenait avec son compagnon davantage que par des circonstances objectives. Le gouvernement défendait pour sa part les arrêts rendus par les juridictions polonaises en insistant sur l’ambigüité des éléments factuels relevés lors des enquêtes, notamment la similarité de l’affaire en question avec des faits survenus en 1994 puisque le requérant avait déjà tenté d’obtenir la reprise du bail de son premier compagnon, lui aussi décédé. La CEDH a reconnu que la version des faits avancée par M. Kozak comportait des incohérences mais a néanmoins suivi la logique de ce dernier qui l’invitait à se pencher uniquement sur la question de savoir si l’autorité judiciaire avait méconnu de manière discriminatoire son droit au respect de la vie privée en considérant que sa liaison ne pouvait être assimilée à une cohabitation maritale de facto puisque établie entre deux individus de même sexe. Si la différence de traitement entre couples hétérosexuels et homosexuels pouvait se trouver justifiée en certaines circonstances dans l’objectif de préserver la famille traditionnelle fondée sur l’union d’un homme et d’une femme, la Cour a estimé que l’État polonais devait nécessairement tenir compte du développement et des changements de la société, notamment dans les sphères de la vie privée et familiale. En l’espèce, la marge d’appréciation reconnue aux États sur ces questions ne permet pas de légitimer l’exclusion du droit de succession à un bail en raison de l’homosexualité des locataires. Ainsi, la Pologne avait bien violé les dispositions combinées des articles 8 et 14 de la Conv. EDH858. Entre les faits de l’affaire Kozak et le prononcé de l’arrêt de la CEDH, le droit positif polonais avait connu une évolution favorable à la reconnaissance de la relation homosexuelle en matière de transmission de bail. Mais la bonne réception de cette affaire a été permise et de la tutelle], Dz. U., 1964, n°9, texte 59, pp. 77-88. Toujours en vigueur, cette loi a été modifiée une dizaine de fois depuis son adoption. 857 CEDH, Kozak c. Pologne, préc., §§ 24-38. 858 Ibidem, §§ 86-99. 585 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME grâce à la jurisprudence des cours civiles. 2) L’égalité entre couple hétérosexuel et couple homosexuel rétabli dans les dispositions relatives à la transmission de bail 918 - Le Comité des ministres, dans sa résolution finale du 7 mai 2013, a procédé au suivi de l’exécution de l’arrêt Kozak. En l’absence de satisfaction équitable, non-nécessaire selon la CEDH, le seul prononcé de la condamnation constituait la mesure individuelle adéquate, a rappelé le Comité. Sanctionnées en l’espèce, la discrimination et la violation du droit au respect de la vie privée trouvaient leur origine sur la lettre de l’article 8 de la loi du 2 juillet 1994, laquelle disposait qu’un bail était transmis entre deux individus en situation de cohabitation maritale. Ces dispositions avaient déjà été retirées de l’ordre juridique le 10 juillet 2001859 avant même la condamnation de la CEDH. L’article 691 du CC dispose désormais qu’à la mort du bailleur, un proche en situation de cohabitation de facto peut reprendre le bail ; ainsi, la loi ne précise plus que cette cohabitation doit être de nature « maritale », ce qui lève l’ambiguïté ayant justifié le refus des autorités polonaises d’accorder une succession de bail au requérant, conjoint homosexuel du bailleur décédé. Il appartenait aux juridictions nationales de tirer les leçons de l’arrêt Kozak en incluant les relations homosexuelles dans la catégorie des cohabitations de facto, ce dont témoignent les décisions des juridictions de droit commun, allant jusqu’à s’appuyer sur la jurisprudence de la CEDH ou aboutissant aux mêmes conclusions à partir du droit interne ou d’autres instruments internationaux860. La Cour suprême elle-même s’est alignée sur cette lecture du CC conforme aux exigences européennes dans une résolution du 28 novembre 2012 où elle cita explicitement la jurisprudence Kozak (n°III CZP 65/12)861. 919 - L’arrêt Kozak a été traduit en polonais, publié sur le site du ministère de la justice et 859 Date de l’abrogation de la loi du 2 juillet 1994, remplacée par celle du 21 juin 2001 (Ustawa z dnia 21 czerwca 2001 r. o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego [Loi du 21 juin 2001 sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières communales et portant modification du Code civil], Dz. U., 2001, n°71, texte 733, pp. 5318-5326). 860 Le gouvernement a transmis au Comité des ministres une liste de jurisprudences non exhaustive. Dans la première catégorie (jugements fondés sur une interprétation éclairée par la CEDH), figurent l’arrêt du 29 décembre 2010 de la cour de district de Kielce (n°VII C 111/1), l’arrêt du 17 mars 2011 de la cour de district de Łask (n°I C 140/10), l’arrêt 4 mai 2011 de la cour de district de Wrocław-Centre-ville (n°I C 667/10) et l’arrêt du 11 octobre 2011 (n°I C 485/11) de cette même juridiction. Dans la seconde catégorie (jugements qui, en aboutissant à la même lecture du Code civil, se fondent sur d’autres sources que la Conv. EDH) : l’arrêt du 15 mai 2008 de la cour de district de Varsovie-Praga(Sud) (n°I C 190/07), l’arrêt du 2 juin 2010 de la cour de district de Wrocław-Fabryczna (n°I C 529/0) ou l’arrêt du 29 décembre 2010 de la cour de district de Złotów (n°I C 118/10). 861 CSP, n°III CZP 65/12, 28 novembre 2012, OSN, 2013, n°5, texte 57. 586 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » diffusé. En 2011, il a fait partie d’une publication consacrée aux principaux arrêts de la CEDH relatifs à la Pologne862, gratuitement distribuée aux juges et procureurs polonais863. 920 - Il faut souligner néanmoins que la Pologne n’a toujours pas prévu dans sa législation de contrat d’union civil pour les couples homosexuels (et a fortiori n’envisage pas l’ouverture du mariage à ces couples), malgré deux initiatives au Parlement ces dernières années (2004 et 2013). La situation peut paraître paradoxale si l’on considère l’histoire de ce pays, le seul en Europe dans lequel l’homosexualité ne fut jamais pénalement condamnée864. Attachées au mariage défini comme l’union d’un homme et d’une femme, les autorités polonaises se sont parfois montrées excessivement soucieuses de préserver la solennité de la cérémonie, quitte à en restreindre l’accès aux détenus. Jugé contradictoire avec le droit garanti à l’article 12 de la Conv. EDH, ce type de décision a été sanctionné par la CEDH en 2010. § 3. LE REFUS OPPOSÉ À UN DÉTENU DE CÉLÉBRER UN MARIAGE EN PRISON 921 - Une différence de structure existe entre l’article 12 de la Conv. EDH et l’article 8, ce dernier prévoyant dans un second paragraphe des dérogations justifiées par des motifs d’ordre public. À l’inverse, l’exercice du droit au mariage n’est pas conditionné par la liberté d’une personne. Ainsi, selon la jurisprudence déjà ancienne établie par les organes de la Convention, un détenu continue de jouir de ses droits fondamentaux en détention, notamment le droit de se marier865 ou de recourir à une insémination artificielle avec don de sperme866. Toute restric- 862 Standardy ochrony praw człowieka w prawie Europejskiej Konwencji Praw Człowieka (« Les standards des droits de l’homme selon la Convention européenne des Droits de l’Homme »). 863 Com. Min. Résolution ResDH(2013)81 (exécution de l’arrêt Kozak c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 864 Małgorzata ULLA, « L’absence de législation en matière de mariage pour tous en droit polonais », AIJC, n°XXX, 2014, p. 145-153. 865 Com. EDH, Hamer c. Royaume-Uni (déc.), n°7114/75, 13 octobre 1977, § 9 : « la Commission estime que le grief du requérant selon lequel il s'est vu refuser la possibilité de se marier pendant qu'il purgeait sa peine pose des questions de fond sous l'angle de l'article 12 de la Convention et notamment a) quant à la responsabilité du Gouvernement défendeur dans l'impossibilité où se trouvait le requérant de se marier et b) quant au point de savoir si le refus de lui accorder les facilités nécessaires était ou non contraire à son droit de contracter mariage. On ne saurait donc considérer la requête comme manifestement mal fondée, au sens de l'article 27, par 2 En l'absence de tout autre motif d'irrecevabilité, la Commission estime donc que ce grief est recevable. » 866 CEDH, Dickson c. Royaume-Uni [GC], n°44362/04, 4 décembre 2007, Rec. 2007-V. Le requérant purgeait une longue peine d’emprisonnement. La justice britannique lui avait refusé la possibilité de recourir à l’insémination artificielle pour concevoir un enfant avec son épouse, alors même qu’il était très incertain que celle-ci puisse encore enfanter à sa sortie de prison. La Cour a considéré que les autorités avaient violé l’article 8 de la Conv. EDH. 587 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME tion de ce droit doit être justifiée individuellement, en particulier pour des motifs tenant à la sécurité et la prévention des crimes mais non en raison du seul statut de détenu. Par deux fois la CEDH a condamné la Pologne pour la violation du droit d’un détenu à épouser la personne de son choix malgré sa situation (A). Statistiques à l’appui, le gouvernement a démontré que ce type de méconnaissance de la Conv. EDH était rare et évitable à l’avenir (B). A. Des décisions internes en contradiction avec la loi applicable et avec l’article 12 de la Conv. EDH Deux arrêts rendus le même jour par la CEDH dans les affaires Frasik et Jaremowicz se conclurent par la violation du droit au mariage des requérants. Le premier concernait le refus des autorités de laisser un détenu épouser la femme qu’il avait violentée et violée (1), le second était relatif au refus opposé à un détenu d’épouser une autre détenue (2). 1) Le refus opposé à un détenu d’épouser son ancienne compagne 922 - Les faits à l’origine de l’affaire Frasik s’apparentent au scénario d’un mauvais feuilleton… Arrêté par la police le 5 septembre 2000 pour des accusations de viol et de menaces contre son ancienne compagne I. K., Rafał Frasik a été placé en détention provisoire deux jours plus tard à Cracovie. I. K. témoigna que son ami l’avait menacée et même battue à plusieurs reprises, raison pour laquelle elle avait décidé de le quitter. La détention provisoire de M. Frasik fut prolongée à plusieurs reprises. En décembre 2000, il demanda au procureur de district de Cracovie-centre-ville de le remettre en liberté sous surveillance policière, affirmant qu’à l’occasion d’une visite que lui avait rendue I. K., tous deux avaient décidé de se pardonner, de se marier et de vivre une vie de famille normale. Il fit valoir que son maintien en détention risquait de nuire à leur relation. Sa demande fut rejetée le 15 décembre 2000. Le 2 janvier 2001, I. K. s’adressa à son tour au procureur de district pour lui demander la remise en liberté de son compagnon tout en exprimant le souhait de retirer son témoignage contre lui. Le lendemain, M. Frasik formula à nouveau une demande en ce sens, que rejeta le procureur. M. Frasik fut mis en examen devant la cour de district de Cracovie-centre-ville. Sa compagne et victime refusa de témoigner au procès ouvert le 1er mars 2001, excepté à la fin de la procédure lorsqu’elle déclara qu’elle ne considérait plus avoir été violée et qu’elle avait de toute façon pardonné à l’accusé. Entre avril et mai 2001, M. Frasik sollicita à trois reprises la permission 588 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » de l’épouser. Par une lettre datée du 11 juillet 2001, le président de la cour informa M. Frasik, son avocat et I. K. que leur demande de mariage en prison avait été refusée, déclarant notamment qu’une prison n’était pas un « endroit pour tenir des cérémonies aussi importantes dans la vie d’une personne qu’un mariage ». Le 19 novembre 2001, la cour de district condamna M. Frasik a une peine de cinq ans d’emprisonnement. Par un arrêt du 27 mai 2003, la Cour suprême a admis que le refus d’autoriser le mariage en prison de M. Frasik et de sa compagne était contraire à l’article 12 de la Conv. EDH… tout en n’atteignant pas un niveau de gravité suffisant pour remettre en cause la décision attaquée !867 923 - Dans cette affaire, la CEDH a observé que la législation polonaise n’était pas directement en cause mais que la violation alléguée reposait sur le seul refus opposé par la cour de district de Cracovie d’autoriser le requérant à se marier en prison. Elle n’a trouvé aucune raison d’admettre que cette juridiction interne pût établir si la qualité de la relation entre les parties était de nature à justifier un mariage et pût considérer de l’opportunité du temps et du lieu pour cela. L’article 12 de la Conv. EDH n’autorise pas, aux yeux de la Cour, les autorités nationales à s’ingérer dans la décision d’un détenu d’établir une relation maritale avec la personne de son choix, notamment au motif que cette union ne serait pas acceptable pour eux ou pourrait troubler l’opinion publique. Le juge national ayant échoué à assurer l’équilibre entre l’intérêt public et les libertés individuelles, la Pologne avait violé l’article 12 de la Conv. EDH868. La deuxième affaire dans laquelle une condamnation au titre l’article 12 a été prononcée, concernait une demande de mariage entre deux personnes détenues. 2) Le refus opposé à un détenu d’épouser une autre détenue 924 - Dans l’affaire Jaremowicz, le requérant purgeait une peine de prison au cours de l’année 2003. Le 9 juin 2003, il demanda au directeur de la prison n°1 de Wrocław de recevoir la visite de M. H., une ancienne détenue de l’établissement qu’il avait connue quelques mois auparavant. Sa demande fut refusée. Le 16 juin 2003, M. Jaremowicz s’adressa à la cour régionale de Wrocław pour obtenir sa remise en liberté et épouser M. H. en prison. Une démarche similaire fut entreprise par M. H. le 20 juin 2003. Dans une décision datée du 18 juillet 2003, le directeur de la prison n°1 de Wrocław – auquel avaient été transmises les demandes – opposa 867 CEDH, Frasik c. Pologne, n°22933/02, 5 janvier 2010, §§ 8-42. 868 Ibidem, §§ 94-100. 589 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME son refus, déclarant qu’un détenu ne pouvait, sur le fondement de l’article 102 § 2 du CEP, rendre ou recevoir la visite que d’une personne proche seulement. Or, pour le directeur, les liens entretenus par le requérant et M. H. dans le cadre du centre de détention entre juillet et décembre 2002 ne pouvaient caractériser une relation sérieuse. Le requérant s’était alors tourné vers le Défenseur des droits civiques, lequel a demandé au directeur de la prison de bien vouloir considérer la possibilité pour le requérant de rendre visite à sa fiancée qui était apparemment sa seule personne proche. Le 1er août 2003, le directeur lui répondit que son refus avait été principalement motivé par le fait que les intéressés ne pouvaient apporter la preuve d’une relation antérieure à leur incarcération dans le même établissement. L’informant en retour de ses doutes quant aux fondements du refus, le Défenseur des droits civiques demanda au directeur de diligenter une enquête afin de reconsidérer les demandes de visite de M. H. Le 9 septembre 2003, les autorités de la prison ont rédigé un rapport et transmis celui-ci au Défenseur des droits civiques. Ce document conclut que les relations entretenues par le requérant et M. H. au centre de détention étaient illégales puisqu’ils étaient contraints de communiquer clandestinement. Le Défenseur fit part de ces observations au requérant par une missive transmise le 25 septembre 2003. Le requérant s’est plaint au ministre de la Justice mais sa demande a été retournée au directeur régional des services pénitentiaires de Wrocław qui lui répondit que la décision du directeur de la prison n’était pas contraire à la législation en vigueur, aucun texte ne contraignant la direction d’un établissement carcéral d’accorder au détenu une permission de se marier. En novembre 2003, une autorisation fut finalement accordée au requérant pour qu’il épousât M.H. en prison, mais le mariage n’eut pas lieu869. 925 - Sur le grief de la violation par les autorités polonaises de l’article 12 de la Conv. EDH pour n’avoir pas fourni de raison convaincante de s’opposer à son mariage, le requérant avait formé un recours devant la CEDH le 10 juillet 2003. Le gouvernement avançait quant à lui que l’État avait fait usage de sa marge nationale d’appréciation pour s’opposer à la célébration du mariage du requérant en prison. La permission ayant été délivrée en novembre 2003, le requérant ne pouvait se prévaloir de la qualité de victime. En l’espèce, la CEDH a toutefois noté que le refus opposé au requérant d’épouser sa fiancée était fondé sur un jugement subjectif de la part des autorités pénitentiaires, lesquelles estimaient leur relation superficielle et développée en prison par des moyens illégaux. Pour le juge européen, le choix d’un partenaire et la décision de se marier est strictement privé : il ne dépend pas de la situation de l’individu concerné (libre ou emprisonné). Bien que l’autorisation eût finalement été accordée cinq mois 869 CEDH, Jaremowicz c. Pologne, n°24023/03, 5 janvier 2010, §§ 7-20. 590 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » après la demande initiale, la CEDH a estimé injustifié un tel délai imposé contre la volonté du requérant. L’article 12 de la Conv. EDH a bien été violé en l’espèce. Mais la CEDH n’a pas jugé nécessaire d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 12870. Alors même que leur exécution ne semblait pas poser de problème majeur du point de vue des autorités, les arrêts Frasik et Jaremowicz sont toujours suivis par le Comité des ministres. B. Une pratique rare et évitable à l’origine des deux violations de l’article 12 926 - Rien dans la législation polonaise ne pouvait fonder une restriction de principe du droit au mariage des détenus. Le CEP ne pose pas de règle dérogatoire en la matière, ce dont il résulte l’application aux détenus du droit commun : le CFT et la loi sur l’état civil en vigueur à l’époque des faits871. Cette dernière disposait dans son article 58 § 3 qu’un officier d’état civil pouvait présider une cérémonie à l’extérieur de son bureau. L’article 85 § 4 de la nouvelle loi sur l’état civil adoptée en 2014 est formulée plus explicitement : l’officier doit procéder, sur la demande des personnes concernées, à la cérémonie du mariage hors du bureau d’enregistrement des actes d’état civil lorsque la vie ou la santé de l’un des époux est menacée ou lorsqu’il est privé de sa liberté872. Les arrêts Frasik et Jaremowicz ont quoi qu’il en soit été traduits et diffusés tous deux sur le site du ministère de la Justice. Ils ont même été intégrés dans une publication analytique (Les Standards de la protection des droits de l’homme de la Convention européenne des droits de l’homme) distribuée gratuitement à tous les juges et procureurs. 927 - Dans les informations transmises au Comité des ministres, le gouvernement a précisé qu’en pratique, un mariage en prison ne pouvait être célébré qu’avec l’accord du directeur de l’établissement et de l’autorité responsable de la détention (le procureur par exemple). Ce droit étant en règle générale accordé, la violation de l’article 12 de la Conv. EDH dans l’affaire Frasik relevait d’une mauvaise pratique qu’avait noté la Cour suprême sans en tirer toutes les conséqucences. Dans l’affaire Jaremowicz, la CEDH avait relevé par ailleurs que le 870 Ibidem, §§ 48-64 et § 76. 871 Loi du 25 février 1964 – Code de la famille et de la tutelle, préc. ; Ustawa z dnia 29 września 1986 r. - Prawo o aktach stanu cywilnego [Loi du 29 septembre 1986 sur les actes d’état civil], Dz. U., 1986, n°36, texte 180, pp. 517-524. 872 Ustawa z dnia 28 listopada 2014 r. Prawo o aktach stanu cywilnego [Loi du 28 novembre 2014 sur les actes d’état civil], Dz. U., 2014, n°0, texte 1741, pp. 1-46. 591 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME requérant n’avait pu bénéficier d’une voie de recours effective pour contester le refus des autorités d’épouser une co-détenue à cause d’un délai d’appel de cinq mois qui avait fini par décourager les prétendants. Les autorités n’ont pas jugé utile pour l’heure d’envisager de modifier les procédures d’appel existantes. Elles excipent des statistiques sur les demandes de mariages en 2013-2014 que le refus d’une demande de mariage d’une personne en détention est très rare873. Une décision de refus reste donc exceptionnelle, mais les autorités ne répondent pas directement à la question de l’effectivité de l’appel contre ce type de décision négative. Il appartiendra au Comité des ministres de décider dans les mois qui viennent si les mesures sont suffisantes pour déclarer exécutés ces deux arrêts, placés pour l’heure sous le régime de la procédure standard. Avec le couple et, parfois, le mariage vient l’enfant. Après l’enfant peut survenir le conflit et la rupture, et leur lot de conséquences juridiques pour les époux et leur progéniture. Un petit groupe d’arrêts contre la Pologne aborde la question difficile de la garde des enfants et du droit de visite de chaque parent en cas de séparation des couples. § 4. L’INCAPACITÉ DES AUTORITÉS À GARANTIR AUX PARENTS SÉPARÉS DE LEUR ENFANT LE DROIT AU RESPECT DE LEUR VIE FAMILIALE 928 - La protection de la famille, valeur à laquelle la société et l’État polonais sont particulièrement attachés874, ne résiste pas toujours aux conséquences difficiles pour les enfants de la séparation de corps. L’inaction ou les retards causés par les autorités pour maintenir la relation parents-enfant va parfois jusqu’à empêcher l’État de remplir les obligations positives qu’implique le respect de l’article 8 de la Conv. EDH875. La CEDH a régulièrement condamné la Pologne pour n’avoir pas su prendre suffi873 Au cours de ces deux années, 393 demandes ont été formulées. Seulement trois ont été refusées, selon le Service général des prisons. Voir Com. Min., Document DH-DD(2014)622 (communication de la Pologne concernant les arrêts Frasik c. Pologne et Jaremowicz c. Pologne), 12 mai 2014. 874 Dans la Constitution, non moins de six articles font référence à la famille et à ses droits (articles 18, 23, 33, 41, 47, 71). Son préambule parle même de l’humanité comme étant la « Famille humaine » et la vie familiale fait partie de ces libertés qui ne peuvent être restreintes par l’état d’urgence ou de siège (article 233). À titre de comparaison, on ne relève qu’une seule et unique occurrence du mot « famille » dans la Constitution française de la Ve République (préambule de 1946). 875 Agnieszka SZKLANNA, « Skutki naruszenia prawa do poszanowania życia rodzinnego w sprawach dotyczących kontaktów między rodzicami a dziećmi: omówienie na przykładzie orzeczeń ETPCz przeciwko Polsce », Biuletyn – Wybór orzecznictwa Europejskiego Trybunału Praw Człowieka w sprawach polski, Tome II, n°2, 2009, p. 15. 592 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » samment en compte le droit au respect de la vie familiale des requérants (A), et occasionnellement en raison des obstacles légaux rencontrés par un père biologique pour à faire établir une reconnaissance de paternité (B). A. La rupture des liens entre parents séparés et enfants La jurisprudence sur la préservation des liens entre les enfants et leurs deux parents séparés est de plus en plus fournie. Elle révèle l’existence d’obstacles au respect des droits de garde lorsque les deux parents sont de citoyenneté polonaise (1), et plus encore dans l’hypothèse d’une union entre deux partenaires de nationalité différente (2). 1) Séparation et garde d’enfant entre conjoints polonais Quatre arrêts doivent ici d’être résumés pour illustrer les problèmes associés à la garde des enfants. Ils mettent tous en exergue les difficultés éprouvées par la justice polonaise pour que soient exécutées les décisions relatives à la garde des enfants (a). L’exécution de ces arrêts est d’autant plus périlleuse que les liens familiaux se distendent de manière rédhibitoire avec le passage du temps (b). a) Des violations de l’article 8 reconnues par la Cour entre 2005 et 2010 929 - Le premier arrêt en date a été rendu en 2005 dans l’affaire Zawadka. En l’espèce, le requérant et sa compagne avaient eu un enfant né en 1994. Deux ans plus tard, alors que le requérant se trouvait à l’étranger, la mère prit l’enfant avec elle et quitta le domicile familial. Un accord à l’amiable a par la suite été trouvé entre les parents mais ses termes furent violés par l’ex-conjointe qui s’est opposée au droit de visite de l’enfant chez son père. Chacun des parents a introduit une procédure devant la cour du district de Białystok en vue d’obtenir la garde exclusive de l’enfant. Mais la justice polonaise s’est montrée incapable de garantir au requérant les droits qui lui avaient été reconnus en tant que père de l’enfant et il finit par perdre tout contact avec celui-ci876. La CEDH a considéré en l’espèce que la non-exécution des décisions rendues par les juridictions internes en faveur du requérant ainsi que leurs conséquences avaient causé la violation de l’article 8 de la Conv. EDH877. Cette jurisprudence fait dès lors peser sur les autorités internes une obligation positive : celle de permettre au requé- 876 CEDH, Zawadka c. Pologne, n°48542/99, 23 juin 2005, §§ 8-47. 877 Ibidem, §§ 53-68. 593 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME rant d’exercer effectivement ses droits parentaux et ses droits de visite de manière effective. 930 - L’arrêt Pawlik rendu en 2007 est comparable au précédent en de nombreux points. Les faits à l’origine de cette affaire trouvent leur origine dans la procédure de divorce entamée par le requérant et son épouse en 1992. En 1993 et 1994, statuant sur la garde des enfants et la dévolution de l’autorité parentale, les juridictions polonaises ont confié l’enfant à la mère tout en accordant au père un droit de visite ainsi qu’un droit de regard sur les questions liées à l’éducation, la santé et le domicile des enfants. La mère, hélas, faillit constamment au respect de cette décision et fit obstruction au maintien de liens réguliers entre le requérant et ses enfants. Les juridictions polonaises n’ont pu quant à elles contraindre la mère à se plier aux obligations découlant de la décision rendue par les tribunaux878. Pour la CEDH, les autorités polonaises avaient fait preuve d’inaction malgré les demandes répétées du requérant pour que fût respectée la décision en question. Dès lors, elles n’avaient pu protéger le droit du requérant au respect de sa vie familiale garanti à l’article 8 de la Conv. EDH879. 931 - Deux autres violations de l’article 8 ont été sanctionnées par la Cour de Strasbourg dans les arrêts Dąbrowska et Z. au cours de l’année 2010. Dans le premier, le scénario était, cettefois ci, inversé. En février 2006, le mari de la requérante était parti en vacances avec leur fils unique, né en 1998. Il n’est jamais revenu à l’appartement familial et a gardé l’enfant pardevers lui tout en empêchant la mère de les revoir l’un et l’autre. Cette dernière entama une procédure de divorce. En mai 2006, la justice polonaise ordonna le retour de l’enfant et attribua sa garde à la requérante. Toutefois, les autorités ne parvinrent à faire exécuter cette décision au cours des mois suivants. Le père a obtenu la garde de l’enfant in fine en raison des liens étroits noués entre eux. La requérante a interjeté appel de cette décision mais elle fut déboutée880. Saisie par Mme. Dąbrowska, la CEDH, comme dans les deux arrêts précédemment évoqués, a considéré que les autorités polonaises n’avaient pas pris toutes les mesures nécessaires à l’application des décisions de justice ordonnant la remise de l’enfant à la requérante, violant par conséquent l’article 8 de la Conv. EDH881. Dans l’affaire Z., le requérant avait quitté le domicile familial à la suite d’une dispute. Il demanda à la justice de statuer sur les droits de garde et de visite concernant sa fille. L’épouse du requérant ne respecta pas le droit de visite reconnu à celui-ci, avant comme après leur divorce prononcé en 2003. Les 878 CEDH, Pawlik c. Pologne, n°11638/02, 19 juin 2007, §§ 5-31. 879 Ibidem, §§ 42-55. 880 CEDH, Dąbrowska c. Pologne, n°34568/08, 2 février 2010, §§ 5-36. 881 Ibidem, §§ 42-54. 594 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » amendes infligées à la mère de l’enfant n’y changèrent rien. La CEDH a considéré que les autorités polonaises avaient failli à assurer au requérant des contacts réguliers avec sa fille en s’abstenant d’employer contre la mère des moyens plus coercitifs que le CPC prévoyait pourtant882. 932 - Si, à l’occasion d’autres affaires tout aussi complexes, la Pologne avait évité les sanctions883, une dernière condamnation est tombée en 2015. Dans l’arrêt Stasik, la CEDH a retenu la violation de l’article 8 (ainsi que de l’article 6 § 1 à cause de la durée totale de la procédure de divorce) pour l’incapacité de la justice polonaise à faire respecter par l’ex-épouse du requérant, entre 2010 et 2015, le droit de contact reconnu à celui-ci avec son fils884. À défaut de parvenir, suite aux condamnations de la CEDH, à rétablir le contact entre les requérants et leurs enfants, la Pologne a tenté de prévenir d’autres litiges en introduisant une nouvelle procédure contre l’inexécution des décisions de justice. b) Une nouvelle procédure spécifique pour l’exécution du droit de visite d’un parent à son enfant 933 - Les violations constatées résultent du défaut d’exécution de décisions de justice, en d’autres termes de la passivité des autorités. L’arrêt Zawadka a, le premier, fait l’objet d’une résolution du Comité des ministres qui s’est achevée par la clôture de l’examen de l’affaire le 2 décembre 2011. En l’espèce, la Pologne avait failli à son obligation positive de prendre 882 CEDH, Z. c. Pologne, n°34694/06, 20 avril 2010. 883 Voir CEDH, Rylski c. Pologne, n°24706/02, 4 juillet 2006 (le propre comportement du requérant et le manque de fondement de certaines de ses allégations ont conduit la CEDH à ne pas retenir la violation de l’article 6, ni juger recevable le moyen fondé sur l’article 8) ; CEDH, Wojciech Nowak c. Pologne, n°11118/06, 8 juin 2010 (le droit de visite du requérant sur son fils avait été assuré plusieurs années durant ; par la suite, les mauvaises relations entre les deux parents séparés, les réticences de l’enfant à revoir son père, puis le désintérêt du second pour le premier conduisirent la Cour à conclure que la Pologne n’avait pas violé la Convention) ; CEDH, Płaza c. Pologne, n°188830/07, 25 janvier 2011 (le comportement du requérant avait en l’espèce contribué à la dégradation des relations entre le requérant et sa fille ; les autorités avaient fait montre de bonne volonté pour créer une entente entre les ex-conjoints) ; CEDH, Kijowski c. Pologne, n°33829/07, 5 avril 2011 (malgré la longueur de la procédure et des décisions de justice contradictoires, la Cour a considéré que les autorités avaient agi en préservant les intérêts de l’enfant et du requérant) ; CEDH, Krasicki c. Pologne, n°17254/11, 15 avril 2014 (le requérant n’avait pu conserver un contact régulier et des relations sereines avec ses deux enfants à cause du comportement de leur mère, malgré l’aide de la justice ; la Cour n’a pas reproché aux autorités leur insuccès dans la mesure où tout avait été mis en œuvre – amendes infligées à la mère, ordre de détention de celle-ci, nomination d’un gardien de l’exercice parental – pour garantir l’effectivité du droit de visite du requérant) ; CEDH, P. K. c. Pologne, n°43123/10, 10 juin 2014 (les autorités avaient pris toutes les mesures nécessaires pour que le requérant pût exercer son droit de visite malgré l’obstruction de la mère de l’enfant) ; CEDH, P. F. c. Pologne, n°2210/12, 16 septembre 2014 (la Cour a considéré qu’au regard des circonstances – mauvaises relations entre le requérant et son ex-compagne, comportement de celle-ci, allégations d’abus sexuels… – les autorités avaient agi raisonnablement pour assurer le droit de visite du requérant à ses filles). 884 CEDH, Stasik c. Pologne, n°21823/12, 6 octobre 2015. 595 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME toute mesure nécessaire à l’exercice effectif du droit de visite du requérant auprès de son fils mineur. La Pologne s’est acquittée le 9 janvier 2006 – soit moins de trois mois après que l’arrêt a été déclaré définitif – du versement de la satisfaction équitable au requérant (100 EUR). Le gouvernement déclara avoir informé le requérant en mars 2007 des voies de recours possible pour revoir son fils : saisir la justice sur la base de la Convention de la Haye si son fils est à l’étranger ou demander la réouverture de la procédure relative à son droit de visite en raison de l’inexécution de la décision initiale. Selon les informations du gouvernement, le requérant n’en a intenté aucune. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe n’a jugé aucune autre mesure individuelle nécessaire885. La procédure est habituelle en Pologne : l’arrêt Zawadka a été publié sur le site du ministère de la Justice, puis envoyé aux présidents des juridictions de second ressort, accompagné d’une circulaire expliquant le raisonnement de la CEDH à l’attention des juges. Dans cette affaire Zawadka où l’inexécution d’une décision de justice était en cause, le commandant en chef de la police nationale a également été destinataire de ce courrier. Il a demandé aux administrateurs compétents et aux commandants de publier l’arrêt sur le site Internet de la police tout en l’incluant dans le programme de formation des agents de police886. 934 - Dans une seconde résolution, en date du 17 décembre 2014, le Comité des ministres a examiné les mesures prises pour remédier aux violations constatées dans les arrêts Pawlik, Z. et Dąbrowska887. Le gouvernement n’a pas jugé nécessaire de modifier le droit positif, qui n’a d’ailleurs été à aucun moment mis en cause directement par la CEDH. Pour pallier les difficultés d’exécution de décisions judiciaires relatives à la garde d’enfants, comme il l’avait déjà fait après l’affaire Zawadka, le gouvernement s’est d’abord assuré de la réception des standards européens par les autorités judiciaires grâce à la diffusion de l’arrêt Pawlik. Celui-ci a été publié, en polonais, sur le site du ministère de la Justice, transmis aux présidents de toutes les cours d’appel avec l’ordre de le communiquer à tous chaque juge aux affaires familiales et tuteurs judiciaires. Le ministère de la Justice – qui se charge de la surveillance de l’exécution des décisions de justice relative au contact parents-enfants888 – a également mis en ligne un guide de la jurisprudence de la CEDH sur les affaires de préservation de contact avec les en- 885 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2011)238 (exécution de l’arrêt Zawadka c. Pologne), 2 décembre 2011, 1128e réunion des délégués, annexe. 886 Ibidem, II. 887 Le Comité des ministres n’a bien évidemment pas encore débuté le monotoring du très récent arrêt Stasik, qui n’est définitif que depuis le 6 janvier 2016. 888 Il a imposé aux présidents des cours régionales de lui faire parvenir un rapport trimestriel sur ces affaires. 596 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » fants. Pour plusieurs années, l’École national des juges et des procureurs a placé au programme des entrainements destinés aux magistrats l’exécution des décisions portant sur la garde parentale889. 935 - Ce n’est qu’en 2011 que le législateur a décidé d’améliorer la procédure d’exécution des décisions sur la garde d’enfant et le maintien des relations parents-enfants. Depuis une jurisprudence de la Cour suprême établie en 1976890, les dispositions de l’article 1050 du CPC relatives à l’exécution des obligations non-pécuniaires s’appliquaient par défaut au contentieux de la garde d’enfants. Le Parlement a décidé d’introduire une procédure spécifique à travers les nouveaux articles 582(1) et 598(15) à 598(21) dans ce même Code891. Sur le fondement de ces dispositions, si la juridiction qui a rendu la décision sur le maintien des liens entre un parent et son enfant perçoit un risque d’inexécution, elle peut menacer d’une amende la partie récalcitrante (article 598(15) § 1). En cas de non-respect de la décision, la partie lésée peut introduire un recours pour que l’amende prévue soit payée (article 598(16) § 1). Autre possibilité : la décision autorisant le parent qui n’a pas la garde de l’enfant à rendre ou recevoir des visites peut mentionner directement l’amende encourue en cas de violation (article 582(1) § 3). Dans ce cas de figure, la juridiction compétente peut imposer une amende sans que la partie victime n’ait à introduire de demande en ce sens. L’imposition d’une amende sera répétée si le non-respect du droit de contact avec l’enfant est lui-même répété (article 598(16)). Cette procédure apparaît plus coercitive que celle de l’article 1050 § 1 du CPC, qui prévoit simplement qu’en cas d’inexécution d’une décision, un nouveau délai est éventuellement fixé ou des amendes imposées sans davantage de contrainte892. 936 - Le bilan est bien plus nuancé pour ce qui est des mesures à caractère individuel. Les arrêts de la CEDH n’ont pas été déterminants en matière d’exécution des décisions autorisant les requérants à voir leur enfant. Mme. Dąbrowska n’a plus que des contacts peu fréquents avec son fils, systématiquement en public et en présence du père, M. Z. a perdu tout contact avec sa fille et aucune information nouvelle n’a été donnée sur la situation de M. Pawlik893. 889 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)295 (exécution des arrêts dans 5 affaires contre la Pologne), 17 décembre 2015, 1215e bis réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 890 CSP, n°III CZP 94/75, 30 janvier 1976, OSN, 1976, n°7-8, texte 157. 891 Ustawa z dnia 26 maja 2011 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania cywilnego [Loi du 26 mai 2011 modifiant le Code de procédure civile], Dz. U., 2011, n°144, texte 854, pp. 8759-8760. Amendement entré en vigueur le 13 août 2011. 892 Ustawa z dnia 17 listopada 1964 r. - Kodeks postępowania cywilnego [Loi du 17 novembre 1964 – Code de procédure civile], Dz. U., 1964, n°43, texte 296, pp. 425-491. 893 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)295 (exécution des arrêts dans 5 affaires contre la Pologne), préc., 597 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME La question de la garde des enfants revêt des difficultés supplémentaires lorsqu’elle implique une dimension internationale. L’étude de la jurisprudence de la CEDH révèle encore une fois l’incapacité des juridictions internes à assurer le retour d’un enfant lorsqu’il est enlevé par l’un de ses parents et conduit à l’étranger. 2) Séparation et garde d’enfant entre un conjoint polonais et un conjoint étranger Lorsque les parents d’un enfant sont de nationalité différente et que l’un d’eux part vivre à l’étranger une fois actée la séparation, le maintien des liens avec l’enfant est compromis. Parce qu’elle n’est pas toujours parvenue à faire respecter les décisions de justice concernant la garde et a même parfois méconnu la Convention de la Haye, la Pologne a été condamnée par la CEDH (A). En termes de réception de ces arrêts, la réponse de l’État ne se différencie pas de celle apportée lorsque les parents ont la même nationalité (B). a) Quatre condamnations au titre de l’article 8 de la Convention 937 - La Pologne a ratifié la Convention de la Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants du 25 octobre 1980894. Malgré cet engagement, plusieurs condamnations prononcées à Strasbourg entre 2005 et 2010 ont sanctionné le manque d’effectivité des décisions rendues dans les affaires relatives au déplacement d’un enfant à l’étranger895. 938 - Dans une première affaire jugée par la CEDH le 13 septembre 2005, le requérant, de nationalité norvégienne, s’était plaint de l’incapacité de la Pologne à faire appliquer la Convention de la Haye après que son ex-épouse, de nationalité polonaise, eut enlevé leurs trois enfants pour les cacher en Pologne896. En l’espèce, la CEDH a relevé que les autorités avaient tardé à faire exécuter la décision ordonnant à la mère des enfants de renvoyer ceux-ci chez leur père en Norvège. Plusieurs périodes d’inactivité étaient en l’occurrence restées injustiannexe (bilan d’action). 894 Texte n°28 adopté dans le cadre de la Conférence de la Haye de Droit international privé (HCCH). La Pologne a adhéré au texte le 10 août 1992 et celui-ci est entré en vigueur sur son territoire le 1er novembre 1992. Voir site de la HCCH < http://www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.status&cid=24>. 895 La Pologne échappa à une condamnation, en revanche, lorsque le comportement inconstant du requérant, de nationalité allemande, et l’opposition de sa fille à revoir son père, ont conduit les juriditions polonaises à refuser d’élargir au requérant les droits parentaux. Dans cette affaire, la mère polonaise de l’enfant avait été poursuivie pour l’enlèvement présumé de celui-ci avant d’être acquittée (CEDH, Kaleta c. Pologne, n°11375/02, 16 décembre 2008). Le comportement du requérant était aussi en cause dans une affaire où celui-ci avait enlevé sa propre fille, vivant au Canada avec sa mère, lors d’une visite en Pologne, et avait refusé de la soumettre à des tests psychiatriques. La justice polonaise, en application de la Convention de la Haye, avait attribué la garde de l’enfant à la mère (CEDH, A. B. c. Pologne, n°33878/96, 20 novembre 2007). 896 CEDH, H. N. c. Pologne, n°77710/01, 13 septembre 2005, §§ 8-64. 598 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » fiées aux yeux du juge européen et avaient contribué tant à la durée excessive de la procédure – sanctionnée par une violation de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH – qu’à la méconnaissance des droits de la requérante à maintenir des liens avec ses proches897. 939 - Par l’arrêt P. P. du 8 janvier 2008, la CEDH a condamné la Pologne sur le fondement de l’article 8 parce que les autorités polonaises avaient manqué à leur obligation d’adopter promptement les mesures nécessaires à l’exécution d’une décision de justice et de sécuriser ainsi les droits du requérant au respect de sa vie familiale898. De nationalité italienne, le requérant avait eu deux filles avec K. P., ressortissante polonaise. La famille vivait en Italie jusqu’à l’été 1999, lorsque l’épouse du requérant refusa de rentrer de Pologne où elle passait ses vacances avec ses filles. Elle entama une procédure de divorce. Saisies, la justice italienne et la justice polonaise attribuérent toutes deux la garde à la mère sur la base des liens forts établis avec ses filles, lesquelles avaient fini par rejeter leur père qui perdit donc contact avec elles899. 940 - Le requérant de l’affaire Stochlak examiné par la CEDH en 2009 résidait au Canada depuis 1985 et avait épousé en 1991 E.S., une ressortissante polonaise. De leur union naquit une petite fille deux ans plus tard. Au cours d’un voyage familial en Pologne en 1996, E.S. déclara qu’elle ne désirait plus rentrer au Canada et qu’elle avait désormais choisi de vivre en Pologne avec l’enfant, enlevé et caché dans un endroit inconnu. Le tribunal familial de l’Ontario, dans une ordonnance du 18 décembre 1996, somma K. S. de rentrer immédiatement au Canada. Au terme d’une procédure achevée par un arrêt de la Cour suprême le 7 octobre 1998, les juridictions polonaises ordonnèrent le retour de l’enfant auprès du requérant. Cependant, toutes les procédures ou démarches destinées à faire exécuter cette décision demeurèrent infructueuses et le requérant fut entièrement dépourvu de contact avec sa fille par son épouse. Ce n’est qu’en avril 2003, à l’issue de l’enquête d’un détective privé sollicitée par le requérant, que le domicile où résidait la fillette a été découvert. Une opération de police permit de la recueillir pour la restituer à son père, qui avait entretemps saisi la CEDH900. Cette dernière a sanctionné la violation de l’article 8, en l’absence d’efforts adéquats par les autorités polonaises pour faire respecter le droit du requérant au retour de son enfant auprès de lui901. 897 Ibidem, §§ 70-83 et §§ 90-95. 898 CEDH, P. P. c. Pologne, n°8677/03, 8 janvier 2008, §§ 80-96. 899 Ibidem, §§ 6-65. 900 CEDH, Stochlak c. Pologne, n°38273/02, 22 septembre 2009, §§ 5-42. 901 Ibidem, §§ 53-67. 599 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 941 - En 2015, la quatrième chambre de la CEDH a retenu la violation de l’article 8 dans une affaire controversée, dans la mesure où trois des sept juges en ont désapprouvé la conclusion dans une opinion dissidente. Le requérant et son ex-épouse étaient tout deux de nationalité polonaise mais ils avaient vécu en Suisse entre 1995 et 2008. Après leur rupture, l’épouse est retournée en Pologne à l’occasion de vacances, en octobre 2008, et n’est pas rentrée, gardant auprès d’elle ses deux enfants. Le requérant s’est alors adressé aux instances suisses, invoquant la Convention de la Haye relative à l’enlèvement international d’enfants de 1978. Malgré l’avis de la Suisse qui regardait comme illégale le maintien des enfants du couple, la justice polonaise (les cours de district et régionale de Cracovie, respectivement compétentes en première et seconde instance) a considéré que l’intérêt de l’enfant était de demeurer auprès de leur mère, qui obtint la garde. La CEDH a donné raison au requérant902. Après avoir rappelé que l’article 8 de la Conv. EDH doit s’interpréter en considération de la Convention de la Haye susmentionnée, la majorité des juges de la quatrième section903 a considéré qu’en éloignant sans le consentement du requérant leurs enfants de leur lieu de résidence habituelle, en Suisse, la mère avait commis agi dans l’illégalité et les autorités polonaises n’avaient, dès lors, pas su préserver le droit du requérant au respect de sa vie familiale. C’est un scénario très proche qui a conduit à la dernière condamnation à ce jour, prononcée dans l’affaire K. J. Le requérant, qui résidait à Londres, avait été séparé de sa fille en 2012 après qu’elle fut emmenée en Pologne par sa mère. Devant la justice polonaise, il n’a pas obtenu le retour de l’enfant auprès de lui, malgré la protection offerte par la Convention de la Haye, ce que la CEDH a considéré comme contraire à l’article 8 de la Conv. EDH904. 942 - Il est à noter enfin qu’en novembre 2010, de manière surprenante, la CEDH n’a pas sanctionné la Pologne dans une affaire du même ordre. Le requérant, un sujet britannique, avait épousé en 1997 une ressortissante polonaise. Leur fille est née en 1998. Quelques mois après que leur divorce fut prononcé, la mère quitta le Royaume-Uni pour aller vivre en Pologne avec l’enfant alors même que la justice britannique avait autorisé le requérant à le voir. 902 CEDH, R. S. c. Pologne, n°63777/09, 21 juillet 2015. 903 Ibidem, Opinion dissidente des juges Nicolaou, Wojtyczek et Vehabović. Les auteurs de l’opinion dissidente estimaient que l’article 8 n’avait pas été violé en l’espèce. Ils évoquèrent des élements factuels de nature à justifier la position des juridictions polonaises : la séparation des parents résultait du comportement du requérant (adultère et déménagement, rétention de l’argent économisé par le couple, désactivation de la carte bancaire de son épouse…) et il n’apparaissait pas dans l’intérêt des deux enfants de rester auprès de lui. Leur mère avait agi conformément aux décisions de justice polonaise lui octroyant la garde des enfants. De surcroît, la Convention de la Haye devait aussi être conciliée avec les autres instruments internationaux ratifiés par la Pologne et la Suisse, notamment la Convention européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions concernant la garde d’enfants (STCE n°105, Luxembourg, 20 mai 1980). 904 CEDH, K. J. c. Pologne, n°30813/14, 1er mars 2016. 600 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » Le requérant s’adressa aux juridictions polonaises pour obtenir le retour de sa fille au Royaume-Uni mais celles-ci s’y opposèrent dans un premier temps, avant que la cour régionale de Lublin n’ordonnât le retour immédiat de l’enfant auprès de son père. Mais cette décision fut modifiée en conséquence d’un recours de la mère, qui conserva donc la garde905. Pour la CEDH, cette révision « en défaveur du requérant ne saurait être imputée, pour l’essentiel, au comportement des autorités nationales »906. Contesté par une opinion dissidente rédigée par trois des sept juges de la quatrième section907, cet arrêt est devenu définitif le 2 février 2011. Les autorités polonaises estiment que les procédures internes doivent permettre aux requérants de rétablir le contact perdu avec leur enfant. b) La bonne exécution des arrêts en partie conditionnée par les démarches des requérants 943 - L’arrêt H. N. a été suivi devant le Comité des ministres dans le groupe d’affaire Kudła relative à la durée des procédures. L’affaire R. S., jugée en 2015 est quant à elle en attente de suivi. La résolution adoptée par le Comité le 17 décembre 2014, déjà évoquée, a permis de faire le point sur la situation des deux autres requérants. L’issue de l’affaire Stochlak est nettement positive. Le requérant a reçu dans les délais la somme 13 000 EUR et il vit désormais avec sa fille. Tel n’est pas le cas pour le requérant de l’affaire P. P. Eu égard à l’âge atteint par ses deux filles, il ne pouvait plus se prévaloir après l’arrêt de la CEDH de la Convention de la Haye relative à l’enlèvement d’enfants. Il n’a pas saisi la justice polonaise pour que soit exécutée la décision du 22 janvier 2007 lui accordant un droit de visite. En 2008, l’ambassade d’Italie et le ministre italien de la Justice se sont successivement adressés au ministre polonais de la Justice pour demander l’aide de la Pologne. Ils s’inquiétaient notamment du fait que le requérant n’avait pas revu sa fille depuis mai 2007 et n’entretenait plus avec elle que des conversations téléphoniques. Ces informations montrent que la relation entre le père et son enfant ne s’est pas améliorée mais aussi que le premier n’a pas cherché à recourir aux procédures qui 905 CEDH, Serghides c. Pologne, n°31515/04, 2 novembre 2010, §§ 5-47. 906 Ibidem, §§ 58-75. 907 Les juges Mijović, Bianku et De Gaetano partagent l’avis qu’il y avait eu, en l’espèce, violation de l’article 8 de la Conv. EDH. Selon eux, les délais excessivement longs et non justifiés dans le traitement de l’affaire par les juridictions polonaises alors même que le respect de l’article 8 implique, dans ce type de circonstances, une célérité particulière de la justice, non comparable à celle exigé dans le cadre d’un examen sous l’angle de l’article 6 (Ibid., Opinion dissidente des juges Mijović, Bianku et De Gaetano, § 5). 601 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME s’offraient à lui en droit polonais908. 944 - Parmi les mesures générales, le gouvernement a fait valoir, bien entendu, la modification du CPC par la loi du 26 mai 2011. Il a aussi mis en exergue la diffusion de l’arrêt P. P., publié sur le site Internet du ministère de la Justice et transmis au bureau du Procureur général avec pour consigne de le porter à la connaissance de tous les procureurs pour les sensibiliser au problème de l’inexécution des décisions de justice ordonnant le retour d’un enfant mineur auprès d’un parent sur la base de la Convention de la Haye909. 945 - Ces affaires ont fait évoluer la procédure en cas de non-exécution en conservant néanmoins le système d’amendes, pas toujours très incitatif comme l’ont montré les affaires portées devant la CEDH. De manière générale, l’exécution des décisions relatives à la garde souffriraient d’un « certain manque de volonté des huissiers », lesquels les perçoivent comme « des intrusions dans les affaires familliales »910. Des difficultés pour réparer le préjudice individuel constaté par la CEDH persistent à cause de la nature même du litige initial, comme dans l’affaire P. P.911. Le passage du temps devient le facteur d’aggravation rédhibitoire des relations entre un parent et l’enfant placé sous la garde de l’autre parent912. Les autorités étatiques semblent ne pas avoir suffisamment pris en considération cet enjeux-là, à en juger par les mesures adoptées jusqu’à présent. Le suivi des arrêts récents par le Comité des ministres (Stasik, R. S.) conduira peut-être à envisager d’autres solutions. Toujours dans ce contexte de rupture sentimentale, la législation comme les autorités polonaises ont failli à garantir à un homme un droit effectif à entreprendre une reconnaissance de paternité. 908 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2014)295 (exécution des arrêts dans 5 affaires contre la Pologne), préc., annexe (bilan d’action). 909 Ibidem. 910 Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: the voluminous and interesting Polish case law », EHRLR, n°5, 2004, p. 540 911 Affaire particulièrement complexe par nature, comme le reconnaît la juriste polonaise Agnieszka Szklanna, qui s’interroge : « jusqu’où peut bien aller le contôle du Comité des ministres dans de tels cas ? Est-ce suffisant d’informer le requérant sur les voies de recours disponibles ? Devrait-on aussi chercher à restaurer la situation antérieure à la violation de la Convention, à savoir dans cette affaire garantir le retour de l’enfant auprès du requérant ? » (Agnieszka SZKLANNA, « Skutki naruszenia prawa do poszanowania życia rodzinnego… », préc., p. 19). Comme cet auteur le devinait, le Comité des ministres s’est contenté de la première solution. 912 « Si la question de la garde des enfants tarde à être résolue, c’est la situation de fait qui va finir par s’imposer. Il va être, en effet, très difficile de réintroduire un droit d’accès d’un parent à son enfant après plusieurs années passées sans contact » (Nathalie MATHIEU, « Séparation des parents et garde d’enfant – Le point sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, n°93, 2013, p. 44). 602 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » B. Les entraves à la reconnaissance de paternité Dans une affaire jugée en mai 2006, la CEDH a retenu la violation de l’article 8 en raison des insuffisances de la législation nationale de l’époque, qui empêchait un homme de faire établir sa paternité lorsque l’enfant avait été reconnu par le compagnon de sa mère (1). Deux amendements au CFT ont permis l’exécution de l’arrêt (2). 1) La violation de l’article 8 causée par la législation sur la reconnaissance de paternité dans l’affaire Różański 946 - L’opposition injustifiée des autorités polonaises à une procédure de reconnaissance de paternité a été sanctionnée dans l’arrêt Różański rendu en 2006. Le requérant Stanisław Różanski vécut quatre ans durant avec sa compagne B. F. Le couple conçut un enfant, né en 1992, avant de se séparer en avril 1994. L’enfant demeura un mois avec son père, suite au départ brusque de la mère. Le 18 avril 1994, Stanisław Różański introduisit une demande pour que soit établie sa paternité. Profitant ultérieurement d’une hospitalisation de l’enfant, B. F. vint reprendre ce dernier et le cacha pendant plusieurs mois, le coupant de tout contact avec son ancien compagnon. Le 27 janvier 1995, la cour de district de Gdańsk rendit un arrêt par lequel elle ordonna le placement en foyer de l’enfant. Par une requête du 9 janvier 1995, M. Różański sollicita le procureur du district de Gdańsk en vue de l’ouverture d’une procédure d’établissement de paternité. Le procureur lui répondit le 5 mai 1995 qu’il ne pouvait donner suite à sa demande en raison de l’existence parallèle d’une procédure de nomination d’un tuteur pour l’enfant. En mars 1996, B. F. déclara devant la cour de district de Gdańsk que son nouveau partenaire était le père biologique et introduisit auprès de la même juridiction une demande de rétablissement de la totalité de ses droits parentaux. Cette juridiction ordonna le retour de l’enfant chez sa mère et son conjoint fut reconnu juridiquement comme le père de celui-ci. En réaction, M. Różański saisit le procureur du district de Gdańsk d’une demande d’instruction concernant ses droits parentaux. Le procureur lui opposa un refus, considérant qu’aucune violation de ses droits n’avait été relevée dans l’ensemble de la procédure. Une lettre du président de la cour du district du Gdańsk l’informa en janvier 1997 que la procédure en reconnaissance de paternité qu’il avait engagée était désormais abandonnée. Il contesta cette décision devant la cour d’appel de Gdańsk. Dans deux courriers (décembre 1997 et 7 janvier 1998) le président de la cour d’appel informa M. Różański que les motifs de son recours étaient infondés. Le ministère de la Justice, dans une lettre du 6 novembre 1998, ex- 603 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME prima le même avis. M. Różański n’eut, dès lors, plus aucun contact avec son enfant913. 947 - Devant la CEDH, Stanisław Różański expliqua qu’il avait utilisé les deux voies légales disponibles en droit interne pour revendiquer la paternité, à savoir agir au nom de l’enfant par le biais d’un tuteur nommé par la justice ou bien saisir le procureur d’une action en reconnaissance de paternité, sachant que ces deux voies étaient en réalité exclusives l’une de l’autre914. La CEDH releva qu’en droit polonais, la déclaration de paternité dépend du consentement de la mère. Sans celui-ci, il était impossible pour le requérant de faire valoir ses droits. Quant aux deux procédures existant pour que fût établie une reconnaissance de paternité, elles ne dépendaient pas du seul intéressé mais devaient être déclenchées à la discrétion des autorités. La CEDH, de plus, a pris en compte un jugement du Tribunal constitutionnel polonais915 déclarant inconstitutionnelles les dispositions des articles 77 et 84 du CFT pour la raison précédemment invoquée : l’absence de recours à disposition d’un individu revendiquant être le père biologique de l’enfant lorsque la mère s’oppose à lui et que les autorités compétentes refusent d’ouvrir une procédure en reconnaissance de paternité. Pour la CEDH, d’autres éléments auraient dû être pris en considération. Ainsi, jamais le requérant ne fut entendu par les autorités qui devaient pourtant considérer à la fois les intérêts du père biologique potentiel et ceux de la nouvelle famille créée par la reconnaissance de l’enfant par le nouveau partenaire de sa mère. Les autorités se sont abstenues dans le seul but de ne pas troubler la relation légale établie entre l’enfant et cet homme. Au regard de ces éléments, la CEDH a retenu que la Pologne avait violé l’article 8 de la Conv. EDH916. 948 - En 2014, dans une autre affaire portant sur la paternité, la CEDH a exonéré la Pologne de la méconnaissance des dispositions de l’article 8 de la Convention. En l’espèce, malgré un test ADN qui indiquait que le requérant n’était pas le père biologique, la procédure en contestation de paternité n’a pas abouti. La justice a choisi de maintenir une fiction de paternité au détriment du requérant mais dans l’intérêt de l’enfant, estimant que celui-ci avait vécu plus de cinq ans auprès du compagnon de sa mère, qui l’avait reconnu à sa naissance bien qu’il doutait légitimement que cet enfant fût le sien. La CEDH a considéré que le requérant avait pu 913 CEDH, Różański c. Pologne, requête n°55339/00, 18 mai 2006, §§ 9-35. 914 Ibid., §§ 57-59. 915 TCP, n°K 18/02, 28 avril 2003, OTK ZU, 2003, n°4A, texte 32. 916 CEDH, Różański c. Pologne, préc., §§ 60-80. Cet arrêt a néanmoins fait l’objet d’une opinion dissidente des juges Garlicki et Steiner. Tous deux considérèrent que si la législation polonaise était bien défaillante à l’époque des faits, elle avait été abrogée par l’arrêt du Tribunal constitutionnel mentionné. Ils estimèrent de surcroît que le requérant n’avait pas épuisé les voies de recours internes et que les recours intentés n’apparaissaient ni clairs ni convaincants (Ibidem, Opinion dissidente du juge Garlicki joint par le juge Steiner). 604 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » bénéficier d’un recours et n’a pas jugé que la solution retenue par la justice polonaise avait enfreint les dispositions conventionnelles917. Deux amendements au CFT – l’un en 2004, l’autre en 2008 – ont modifié les dispositions qui, dans l’affaire Różański, avaient conduit les autorités polonaises à violer l’article 8 de la Conv. EDH. 2) Un père présomptif désormais autorisé par la loi à demander ou contester la paternité d’un enfant 949 - À l’époque des faits de l’affaire Różański, le père putatif n’était pas autorisé à demander une reconnaissance de paternité. Cette procédure étant réservée, selon l’article 84 § 1 du CFT, à la mère (tant que l’enfant est mineur et en vie) et à l’enfant majeur. Le jugement du Tribunal constitutionnel rendu le 28 avril 2003, précédemment mentionné, a censuré cet article dans la mesure où il n’assurait pas le droit d’un père biologique au respect de sa vie privée (en violation de l’article 47 de la Constitution) et l’accès de celui-ci à un recours effectif (article 45 de la Constitution). En outre, les dispositions ainsi rédigées portaient atteinte à la protection des droits de l’enfant imposée par l’artile 72 de la norme suprême. Deux ans avant l’arrêt de la CEDH, le législateur a voté un amendement au CFT918. L’article 84 § 1 dispose désormais que la mère, le père présumé et l’enfant peuvent demander d’établir la paternité de l’enfant, excepté, pour les deux premiers, après le décès ou la majorité du troisième. Pour le gouvernement, cette modification législative « constitue l’exécution de l’arrêt de la Cour en tant que mesure générale puisqu’il elle autorise directement celui qui prétend être le père d’un enfant à introduire un recours devant une cour aux affaires familliales […] sans dépendre d’une décision préalable des autorités »919. Antérieure à la condamnation de la Pologne pendant la Cour, cette mesure n’a pourtant été qu’une étape de la réforme des procédures de reconnaissance de paternité. 950 - L’article 86 du CFT permettait initalement au procureur d’ouvrir à sa discrétion une procédure pour établir la paternité ou au contraire pour invalider un lien de paternité légale. 917 CEDH, A. L. c. Pologne, n°28609/08, 18 février 2004. 918 Ustawa z dnia 17 czerwca 2004 r. o zmianie ustawy - Kodeks rodzinny i opiekuńczy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 17 juin 2004 modifiant le Code de la famille et de la tutelle ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2004, n°162, texte 1691, pp. 11402-11408. Le texte est entré en vigueur le 20 janvier 2005. 919 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)209 (exécution de l’arrêt Różański c. Pologne), 17 novembre 2015, 1240e réunion des délégués, annexe (bilan d’action). 605 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Aucune condition particulière n’était alors requise. Par la loi du 6 novembre 2008, le CFT a été à nouveau amendé. L’article 86 est désormais rédigé ainsi : « Le recours juridictique pour établir ou contester la paternité, ou pour rendre sans effet la reconnaissance de paternité, peut aussi être ouvert par le procureur pour des raisons tenant au bien-être de l’enfant ou à la protection de l’intérêt public […] ». L’article précise que cette action n’est pas permise après la mort de l’enfant920. Le procureur bénéficie alors de son pouvoir général d’investigation pour affirmer ou infirmer la paternité du père présumé. Un équilibre doit donc être trouvé entre l’intérêt de l’enfant et celui de la société. Or, dans l’arrêt Różański, la reconnaissance de l’enfant par le compagnon de sa mère, au détriment du requérant, et les liens créés de facto entre eux avaient précisément dissuadé les autorités à remettre en cause les relations familiales, dussent-elles reposer sur une fiction. Dans la pratique, rapporte le gouvernement, le procureur renonce à contester la paternité lorsque les preuves manquent pour exclure que le mari ou l’homme qui a reconnu l’enfant en soit vraiment le père. Il renonce à demander la reconnaissance de la paternité lorsque le père biologique a la possibilité de le demander de lui-même (article 84 du CFT). Les procédures relatives aux questions de paternité sont menées par des magistrats spécialistes des aspects civils du droit de la famille grâce aux formations organisées en coopération avec l’École nationale des juges et des procureurs. 951 - Du point de vue des mesures individuelles, les autorités polonaises ne peuvent être tenues responsables du retard d’un an pour le paiement de la satisfaction équitable, le requérant ayant déménagé sans les en informer. Le Comité des ministres a choisi de clore le suivi de l’affaire alors même que la procédure pour contester la reconnaissance de paternité était en cours, ouverte à la fois par le procureur de district de Szubin, à la demande de M. Różański, et par le procureur général de Gdańsk921. * * * 952 - Conclusion du chapitre : Une opposition frontale tend ces dernières années à s’élever entre la Cour et certains États européens sensibles au respect des valeurs traditionnelles, géné- 920 Ustawa z dnia 6 listopada 2008 r. o zmianie ustawy - Kodeks rodzinny i opiekuńczy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 6 novembre 2008 modifiant le Code de la famille et de la tutelle ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2008, n°220, texte 1431, pp. 12172-12185. Cet amendement est entré en vigueur le 13 juin 2009. 921 Com. Min., Résolution CM/ResDH(2015)209 (exécution de l’arrêt Różański c. Pologne), préc., annexe (bilan d’action). 606 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » ralement sous-tendues par un héritage religieux922. Ce constat est évident dans le cas de la Pologne, dont les divergences avec les standards européens de la liberté religieuse, des droits des femmes ou des minorités sexuelles sont alimentées par des déformations ou des exagérations dans l’esprit d’une partie au moins de la classe politique. La foi catholique et la culture chrétienne conditionnent le rapport des Polonais à la famille, au couple, au mariage923. L’influence de l’Église catholique sur la société civile serait pourtant en voie de déclin, prophétisait en 2006 le sociologue Patrick Michel924. Il est vrai que les consignes des primats ne sont peut-être plus aussi suivies mais les individus, à la base comme au sommet de l’État925, demeurent imprégnés de l’héritage chrétien, dont l’humanisme n’exclut pas le conservatisme. 953 - La Pologne n’a pas engagé la libéralisation de l’IVG. La CEDH ne l’y a pas invitée directement. Il lui a été demandé en revanche de perfectionner le cadre procédural permettant l’accès à l’interruption de grossesse, en offrant aux femmes enceintes un recours effectif contre la décision médicale refusant de délivrer un certificat d’avortement. Or, la réponse modeste qui fut apportée jusqu’à présent (loi du 2008 sur les droits du patient) est abondamment critiquée par les associations de défenses des droits de l’homme qui la regardent comme insuffisante voire inefficace. Le jugement du Tribunal constitutionnel du 7 octobre 2015 sur la clause de conscience envoie quant à lui un très mauvais signal, qui révèle la nature conflictuelle de la réception des arrêts de la CEDH. Alors qu’il est généralement ouvert à la jurisprudence européenne, le Tribunal l’ignore en matière d’accès à l’avortement926. 954 - Le tableau est moins sombre pour ce qui est des autres violations, mais un constat s’impose : la CEDH a été à l’origine de l’évolution du droit interne. Ainsi, l’impact de l’arrêt 922 Quand bien même la CEDH s’efforce de se montrer prudente sur les terrains sensibles, où il n’existe pas de consensus européens. C’est ainsi qu’elle contient sa contruction jurisprudentielle, refusant toujours, par ex., de consacrer le droit à l’avortement comme un droit des femmes. Voir Jean-Manuel LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à l’avortement : entre avancées prudentes et conservatisme assumé », RTDH, n°91, 1er juillet 2012, p. 619-624. 923 Dans un article polémique, le professeur Malaurie rappelle que « le mariage touche de très près la religion, comme toute son histoire l’a montré, et les différentes confessions religieuses ont le droit et le devoir de s’y intéresser ». Philippe MALAURIE, « Le Mariage pour tous et la ‘‘décrétinomanie’’ contemporaine », LPA, 5 avril 2013, n°69, p. 13. 924 Patrick MICHEL, « L’Église et le catholicisme polonais à l’épreuve du pluralisme », préc., p. 97. 925 Sur la question de l’avortement, une possible différence entre le pays légal et le pays réel se fait jour à la lecture des enquêtes d’opinions effectuées depuis 1993. Dans la plupart des sondages, la population est en majorité favorable à une libéralisation. Mais puisque le sujet reste publiquement tabou, peu de personnes assument une telle position (Stéphane PORTET, « La société polonaise après 1989. Les incertitudes de la modernité, le poids des traditions », in François BAFOIL (dir.), La Pologne, Paris, Fayard, 2007, p. 325) 926 Il est frappant de relever que le Tribunal constitutionnel, dans son jugement K 12/14, ne s’inspire de la Conv. EDH que lorsqu’il s’agit de défendre la liberté de conscience et il ne cite aucune affaire concernant la Pologne. Des références aux arrêts R. R. et P. et S. se trouvent seulement dans l’opinion dissidente du juge Stanisław Biernat. 607 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Bączkowski a favorisé l’organisation des parades en faveur des droits des homosexuels dans les grandes villes du pays. L’arrêt Kozak a bénéficié aux partenaires homosexuels pour la transmission d’un bail en exerçant une influence directe sur l’interprétation de l’article 691 du CC par la Cour suprême. La note obtenue dans le cadre des cours de religion ou d’éthique à l’école n’est plus retenue dans le calcul de la moyenne générale des élèves et les dispositions règlementaires prévoyant un seuil minimum d’inscrits dans l’établissement scolaire pour ouvrir un cours d’éthique ont été abrogées. Cinq années de réflexion auront néanmoins été nécessaires pour que cet arrêt soit convenablement exécuté. Les affaires relatives au refus de célébrer un mariage en prison et au droit pour un détenu de bénéficier d’un régime alimentaire conforme à ses convictions religieuses ont été bien reçues dans l’ordre interne. Elles étaient nées de la mauvaise application, semble-t-il isolée, du droit positif. 955 - La question de la préservation du lien parents-enfant est extrêmement complexe à résoudre, en Pologne comme ailleurs927. L’État a assuré une bonne exécution de la seule affaire portant sur l’accès à la reconnaissance de paternité, d’autant plus que les dispositions à l’origine de la violation avaient été modifiées préalablement à l’arrêt de la CEDH928. Si le Comité des ministres s’est, pour le moment, satisfait des mesures adoptées pour garanir le droit de visite des parents à leur enfant, à l’issue d’un divorce ou d’une séparation, celles-ci ne paraissent pas entièrement convaincantes. Pour Natalia Kobalarz, juriste attachée à la CEDH, les affaires sur la garde des enfants posent de réelles difficultés d’exécution en termes de mesures individuelles. Les juridictions internes n’ayant pas commis d’erreurs dans l’application du droit, il est en réalité pratiquement impossible de remedier à la violation constatée par la Cour, au-delà du paiement d’une satisfation équitable929. Enfin, seule l’observation de la pratique pourra déterminer si la procédure spéciale introduite par l’amendement du CPC en 2011 est aujourd’hui efficace pour contraindre le parent récalcitrant à faciliter le droit de visite de l’autre parent. 927 En Europe centrale par ex., la République tchèque a connu elle aussi dans les années 2000 des difficultés comparables quant au maintien des liens familiaux après une séparation, conduisant la CEDH à la sanctionner au titre de l’article 6 § 1 à cause de l’incapacité des autorités de garantir effectivement et promptement le maintien de la relation familiale (Nathalie MATHIEU, « Séparation des parents et garde d’enfant… », préc., pp. 42-43). 928 Grâce à un jugement du Tribunal constitutionnel rendu en 2003. L’arrêt n’a été pleinement exécuté qu’avec l’adoption de la loi du 6 novembre 2008 qui impose au procureur de rechercher un équilibre entre l’intérêt de l’enfant et celui de la société lorsqu’il engage une action en reconnaissance ou en contestation de paternité. Cette succession d’étapes (première modification du droit interne ; arrêt de la CEDH ; seconde modification du droit interne) répond par exception au modèle de la réception de confort. 929 Entretien avec Natalia Kobalarz, Strasbourg, 23 avril 2014. 608 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 956 - Conclusion du titre : Un aperçu d’ensemble de la réception en droit interne des arrêts relatifs aux violences aux personnes et aux questions de société peut justifier de voir le verre à moitié plein. La Pologne a adopté des mesures pour tenter de répondre aux condamnations et en éviter de nouvelles, avec parfois beaucoup d’énergie, ce que montre le suivi des affaires touchant aux conditions de détention, au fonctionnement des centres de dégrisement ou au droit au mariage des détenus. La multiplication pendant plusieurs années d’arrêts sur les mêmes questions a favorisé l’instauration d’un dialogue entre la Cour et le gouvernement ou plus directement entre la Cour et le juge interne. 957 - Chaque échange institutionnel n’est pas nécessairement porteur de solution. Ainsi que le remarquait l’ancien président de la CEDH Jean-Paul Costa, « [l]e dialogue jurisprudentiel entre les juges des États parties et ceux qui siègent au Palais des droits de l’homme est riche et souvent fructueux, mais complexe et parfois difficile, pour ne pas dire conflictuel »930. Fructueux, il l’a été lorsque la Cour suprême a interprété le CC dans un sens favorable à l’égalité entre couples homosexuels et hétérosexuels pour la succession des baux. Conflictuel, il le devient lorsque le Tribunal constitutionnel censure les dispositions sur l’exercice de la clause de conscience, qui permettaient à une patiente en attente d’un avortement d’être orientée vers un service médical adapté à ses besoins. Un conflit s’élève aussi lorsque la Pologne ne remplit pas ses engagements fixés à l’article 38 de la Conv. EDH en s’abstenant de communiquer à la Cour les documents nécessaires à l’instruction d’une affaire (Al Nashiri, Abu Zubaydah). 958 - L’arrêt Grzelak portant sur l’enseignement religieux dans les écoles a été exécuté après plusieurs années par la Pologne et n’a donc pas conduit à l’affrontement avec la CEDH qui pouvait être craint. Mais la réaction d’hostilité immédiate du Parlement polonais suite au premier arrêt Lautsi c. Italie montre l’existence d’une discorde latente qui pourrait ressurgir dans les années à venir à l’occasion d’un autre recours individuel. À la fin des années 1970, Tadeusz Mazowiecki, futur Premier ministre, en appelait à la sécularisation de l’Église alors qu’il était, tout comme elle, en dissidence931. Son souhait n’a été qu’en partie exaucée : l’État 930 Jean-Paul COSTA, « La Cour européenne des droits de l’homme et le dialogue des juges », in François LI(et al.) (dir.), Le Dialogue entre les juges européens et nationaux : incantation ou réalité ?, Bruxelles, Bruylant, Coll. « Droit et Justice », 2004, pp. 158-159. CHÈRE 931 « [T]out comme le Christ n’a pas été un Messie politique, l’Église, elle non plus, ne devrait pas être une Église politique, ni l’Église du Pouvoir, ni celle de l’Opposition politique. Cela est juste. L’Église suite son chemin, et elle doit le suivre. Il se peut que des prises de position, des actes entrepris en faveur de causes déterminées aussi bien par l’Église que par divers groupes qui se battent pour les droits de l’homme, convergent, mais il ne saurait être question d’identification, puisque l’Église – de par son essence même – a des buts propres, différents et extra-politiques » (Tadeusz MAZOWIECKI, « Protester et éduquer », Esprit, n°7-8, 1978, p. 78). 609 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME est officiellement laïc mais l’influence du religieux dans la sphère publique est prégnante (voir dans l’arrêt P. et S., l’intervention d’un prêtre à l’hôpital pour dissuader la requérante de subir une interruption de grossesse). 610 L’ÉLIMINATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : « LA RÉCEPTION DE CONFLIT » 959 - Conclusion de la seconde partie – La résolution des problèmes rencontrés par la société post-transitionnelle a soulevé de nombreuses difficultés que trahit bien l’accumulation de mesures de toutes natures (modification du droit matériel, moyens budgétaires réhaussés, diffusion des standards européens, création d’outils de contrôle et de statistiques, ouverture de nouvelles voies de recours…) pour venir à bout des plus graves d’entre eux. Tout comme la réception des arrêts portant sur des questions inhérentes à la transition démocratique avaient conduit à l’identification d’un faisceau de critères, caractéristiques d’une « réception de confort », la même opération conduit à caractériser la réaction de l’État après les violations de la Conv. EDH causées par le nouveau droit positif. Là encore, il ne s’agit pas de critères permanents. Dans le type-idéal qui émerge, se retrouvent les tendances suivantes : l’arrêt de la CEDH précède l’adoption de mesures par l’État pour corriger le problème ; l’exécution de l’arrêt nécessite généralement plusieurs initiatives parallèles ou successives ; des obstacles à l’exécution apparaissent (financiers, pratiques, politiques, philosophiques), pouvant aller jusqu’au conflit affirmé avec la Cour. 960 - Le terme choisi pour désigner ce modèle, la « réception de conflit » couvre deux réalités. La confrontation des positions entre l’État et la Cour – qui implique un risque de persistance dans le temps – est le scénario le plus négatif et il est heureusement rare : c’est un conflit aigu. Le mot conflit peut aussi désigner la contradiction temporaire entre le droit produit par l’État démocratique et la Conv. EDH telle qu’interprétée par la Cour : c’est un conflit simple. C’est la situation la plus courante : le droit interne va devoir évoluer parce que la CEDH a retenue une violation de la Conv. EDH. À l’opposé d’un arrêt de la Cour qui vient rappeler à l’État que la norme de l’ancien régime était inconventionnelle, l’intervention du juge européen vient ici contester la conformité à la Convention d’une norme qui n’était pas destinée à disparaître puisque adoptée postérieurement au changement de régime. 961 - Parmi l’ensemble de ces affaires, certaines sont considérées comme exécutées ou proches de l’être. L’exemple le plus remarquable est celui de la durée des détentions provisoires, apparu en 2000 avec l’arrêt Trzaska que la Pologne aura mis quatorze ans à exécuter. En revanche, la réduction de la durée des procédures, l’amélioration des conditions de détention, la lutte contre les violences policières (en particulière l’obligation de mener des investigations efficaces), l’aboutissement de la procédure pénale relative à la base de la CIA de Stare Kiejkuty et, enfin, la garantie assurée pour les femmes d’accéder concrètement à l’interruption de grossesse lorsque la loi les y autorise demeurent des préoccupations actuelles. 611 CONCLUSION GÉNÉRALE « De nos jours, il est difficile et risqué de s’agrandir, et généralement toute tentative d’extension se termine par un rétrécissement. Aussi, les peuples compensent-ils leurs instincts expansionnistes par un retour dans le temps, autrement dit ils plongent au fond de leur histoire afin de démontrer leur force et leur importance. Tous les petits peuples pacifiques ont vécu cette situation. […] Cette plongée dans l’histoire les aide à garder leur dignité, sans pour autant stimuler leurs instincts impérialistes. » Ryszard KAPUŚCIŃSKI, Imperium (1993) 962 - L’étude de la réception polonaise de la jurisprudence de la CEDH fait tomber un stéréotype dont l’origine provient en tout état de cause d’une lecture littérale des statistiques et du prononcé des deux premiers arrêts pilotes de l’histoire. La Pologne, indéniablement, fut et reste un État très souvent condamné à Strasbourg. En déduire qu’elle a été au cours de sa transition un mauvais élève en matière de protection des droits fondamentaux en général et des standards européens en particulier relève de l’extrapolation1. Le nombre important de requêtes individuelles se justifie d’abord par la bonne connaissance que les Polonais ont de la Conv. EDH2 et des espoirs qu’ils placent en elle. Il traduit ensuite la profondeur des difficultés qu’a rencontré cette jeune démocratie émancipée d’un régime socialiste post-totalitaire. Les 933 1 C’est du reste ce que notaient dès 2004 Marie-Bénédicte Dembour et Magdalena Krzyżanowska-Mierzewska : « Le contentieux de la Pologne devant la Cour de Strasbourg pourrait indiquer que la Pologne souffre de sérieux manquements relatifs à la situation des droits de l’homme. Cette vision n’est, toutefois, que trop simpliste. Un pays où les violations des droits de l’homme sont la norme ne générera pas nécessairement un grand nombre d’affaires, à la fois parce que dénoncer des violations des droits de l’homme est trop risqué pour les individus concernés ou parce que la population n’est pas consciente qu’elle peut le faire » (Marie-Bénédicte DEMBOUR, Magdalena KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA, « Ten years on: The Popularity of the Convention in Poland », EHRLR, n°4, 2004, p. 405). Inversement, un nombre élevé de recours individuels peut aussi révéler le bon fonctionnement d’une société démocratique par la demande d’un perfectionnement des droits (Helen KELLER, Alec STONE-SWEET, « Assessing the Impact of the ECHR on National Legal Systems », in Helen KELLER, Alec STONE-SWEET (dir.), A Europe of rights: the impact of the ECHR on national legal systems, New-York, Oxford University Press, 2008, p. 691). 2 Voir not. Agnieszka BIEŃCZYK-MISSALA, Human rights in Polish Foreign Policy after 1989, Warsaw, Polish Institute of International Affairs, 2006, pp. 284. Małgorzata Ulla évoque comme élément d’explication le rôle des juristes polonais travaillant au Conseil de l’Europe (à l’instar de Marek Antoni Nowicki ou Agnieszka Szklanna, des juges polonais successifs à la Cour et du représentant du gouvernement Krzysztof Drzewicki) qui ont, par leurs publications, fait connaître la jurisprudence de la CEDH (Małgorzata ULLA, « La CEDH – Un accélérateur de réformes démocratiques en Pologne », Annuaire de droit européen – Volume VI, 2008, Bruylant, Bruxelles, 2010, pp. 1080-1082). LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME condamnations de la Pologne au 20 avril 2016 (pour un total de 1 109 arrêts rendus)3, révélant des violations à répétition des mêmes dispositions (articles 5 et 6, article 1er du Protocole n°1 principalement), ne rendent pas hommage aux efforts réels déployés par cet État pour se conformer aux standards européens. Très entreprenante dans la liquidation de son héritage socialiste, la Pologne a pris appui sur la jurisprudence de la CEDH et ainsi pu améliorer drastiquement son droit et le fonctionnement de son nouveau système démocratique. Elle a été condamnée entre 1997 et 2016 pour la violation de la plupart des stipulations de la Conv. EDH, ce qui traduisait des insuffisances bien réelles dans des domaines extrêmement diversifiés. Un tour d’horizon de l’exécution des arrêts démontre cependant l’implication sérieuse des autorités polonaises dans le suivi des affaires et la recherche des causes de violations. Les problèmes rencontrés aujourd’hui par la Pologne coïncident avec ceux que connaissent les démocraties de l’ouest ou du sud de l’Europe. Les questions caractéristiques du passage d’un régime socialiste à une démocratie de type libéral ne se posent plus. 963 - Deux phases de la réception polonaise ont été successivement identifiées. S’il est réducteur et même concrètement impossible d’établir une chronologie précise, ne serait-ce qu’en raison de l’attente aléatoire séparant la période des faits générateurs de requêtes individuelles et la date du prononcé des arrêts de la CEDH, la charnière de ces deux périodes se situe vers le milieu des années 2000. Schématiquement, la première phase est dominée par la résolution de problématiques liées à la persistance de pratiques administratives, à l’application de normes de l’ancien régime et au traitement de l’héritage socialiste. Les affaires portées devant la CEDH affectent des domaines aussi variés que l’indemnisation des expropriations illégales, l’encadrement de la politique de lustration, le rétablissement de l’équilibre des parties au procès pénal ou encore l’élimination des restrictions à la liberté d’expression. À l’origine de la mutation de son droit interne, l’État s’engage pour la suppression des sources de violations de la Conv. EDH alors que des requêtes sont pendantes devant la CEDH. Lorsqu’elle intervient, la CEDH apporte son expertise sur la transition en cours : elle conforte l’État dans ses initatives en déclarant inconventionnelles d’anciennes normes et va l’encourager à poursuivre ses réformes lorsqu’elles ne satisfont pas tout à fait les exigences conventionnelles. Cette réception « de confort » est souvent anticipée par l’État, elle est rapide, apporte des résultats même face à aux défaillances structurelles et ne nécessite que peu de mesures générales4. 964 - L’expérience de l’arrêt pilote, dont la Pologne a été le premier État bénéficiaire, s’est 3 CEDH, Rapport annuel 2015 (version provisoire), Strasbourg, 2016, p. 207. 4 Cf. Annexe n°4 bis (Table synthéthique : caractéristiques de la réception polonaise). 616 CONCLUSION GÉNÉRALE avérée très concluante pour mettre en œuvre des solutions durables à deux dysfonctionnements systémiques susceptibles de conduire de plusieurs centaines à plusieurs milliers de requérants vers la CEDH. La réussite observée par l’effet de l’arrêt pilote en termes d’amélioration du droit interne se fait-elle au détriment du recours individuel ? Pour une partie de la doctrine, là se situe précisément le danger d’une telle procédure lorsque l’examen des requêtes similaires est suspendu5. L’arrêt pilote reste controversé en raison de la limitation du droit de recours qui peut en être la conséquence si l’examen des requêtes similaires est suspendu. Il ne s’agit que d’une faculté à la discrétion du juge, conformément à l’article 61 (6a) du règlement de la CEDH, révisé en 2011. Cet article diminue l’arbitraire de la Cour en prévoyant que l’adoption d’un arrêt pilote résulte d’une procédure contradictoire à l’occasion de laquelle l’État et les requérants fourbissent leurs arguments sur l’opportunité d’y recourir. 965 - Le bilan positif de la « réception de confort » autorise à répondre à la question de l’achèvement de la transition. En 1997, la CEDH a rendu son premier arrêt concernant la Pologne alors que celle-ci était en phase avancée de démocratisation. La transition institutionnelle venait notamment d’être réalisée. Restaient des pans de la législation à réformer (droit pénal et procédure pénale en priorité). Dans cette première période de réception de la jurisprudence européenne, les legs inconventionnels du droit socialiste ont disparu et la consolidation démocratique s’est poursuivie, puis conclue. La Pologne en a fini avec la transition, et son succès a rendu caduque l’hypothèse d’une « restauration de velours »6 du régime socialiste, un temps crainte par le Conseil de l’Europe dans les anciennes démocraties populaires. Enfin, s’est construite une nouvelle culture juridique démocratique au sens où peut l’entendre le philosophe du droit Csala Varga7, qui s’appuie sur les traditions nationales et recherche la 5 Lire notamment Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, « L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (2009), RTDH, n°84, 2010, pp. 807-812. L’auteur déplore que cette tendance de la Cour à vouloir prendre part au contrôle de l’exécution des arrêts se double du sacrifice des requérants individuels, comme si « au lieu de sanctionner les États qui peinent à exécuter de façon satisfaisante un arrêt mettant en cause des problèmes structurels », la Cour en venait « à sanctionner l’individu, renvoyé à son ordre juridique national au nom du principe de subsidiarité, ou plutôt d’un double principe de subsidiarité » (p. 807). Cet inconvénient peut pourtant être évité par le recours aux mass procedures (un arrêt de la CEDH rendu pour plusieurs affaires similaires), que privilégie occasionnellement la Cour. Elle a fait ce choix, par ex., dans l’affaire Rutkowski c. Pologne. 6 L’expression est d’Adam Michnik. Elle traduit chez les peuples un sentiment de déception, de désenchantement à l’égard du nouveau pouvoir politique, sentiment qui peut conduire vers la réélection des anciens communistes au cours de la transition (voir Vladimir TISMANEANU, « Introduction », in Vladimir TISMANEANU (dir.), The Revolutions of 1989, London/New York, Routledge, 1999, p. 8-12). C’est ce scénario qui fut redouté en Pologne avec les élections parlementaires de 1995. L’expression « restauration de velours » a été reprise par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans une résolution de 1996 (Ass. CdE, Résolution 1096(1996) relative aux mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes, 27 juin 1996, § 3). 7 C'est-à-dire comme un mélange d’éthique, de valeurs, d’une trame juridique conceptuelle et référentielle, de 617 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME synthèse avec le patrimoine juridique européen8. 966 - À partir du milieu des années 2000, le contentieux européen de la Pologne commence à changer nettement de visage. Les affaires communiquées à la CEDH se réfèrent à la législation adoptée après 1989 et portent simplement l’écho des revendications de la société : la lutte contre la surpopulation carcérale, le combat de l’égalité pour les homosexuels, l’accès aux aides sociales, le maintien des liens parents-enfant à la suite d’une séparation, etc. Ces considérations nouvelles prouvent que la transition est enfin achevée, que la démocratie est consolidée. La Pologne se confronte aujourd’hui aux mêmes questions que toute démocratie plus ancienne, dans un contexte global de mondialisation, de progrès scientifiques, de menace terroriste, de communautarisme. Elle cherche à réaliser la synthèse entre ses obligations internationales en matière de protection des droits fondamentaux et son identité propre, fruit de ses traditions et de sa conception de l’Homme, dans sa réalité biologique et dans sa dimension spirituelle. Cette seconde phase est marquée par l’apparition de préoccupations contemporaines, sur des thématiques plus sociétales, mais qui peuvent rencontrer en chemin la prudence des autorités politiques. 967 - La réception des arrêts rendus au cours de cette seconde période a été qualifiée de « réception de conflit » dans cette étude en raison de ses caractéristiques dominantes : les arrêts de la CEDH détectent une incompatibilité entre le droit interne et la Conv. EDH (conflit simple) ; la réception est généralement longue et compliquée par des obstacles de différente nature (manque de moyens, difficultés pratiques, manque de volonté) ; elle nécessite plusieurs séries de mesures ; elle peut conduire dans une petite minorité de cas à des tensions entre l’État et la Cour traduite par la non-exécution de l’arrêt ou le manque de coopération de l’État à la procédure (conflit aigu)9. L’exécution des arrêts n’est ni impossible ni compromise (sauf conflit aigu) mais elle est plus incertaine en raison de la nature même des violations. Résoudre la question de la durée excessives de procédures ou de la surpopulation carcérale nécessite sur plusieurs années une réorganisation ambitieuse de l’administration judiciaire ou pénitentiaire. Ainsi, « la Cour et la Pologne vont dans la même direction, analyse Adam Bodnar, quand compétences juridiques, d’usages, d’idéologie et de déontologie. Voir Csala VARGA, Transition to Rule of Law, Budapest, Faculté de droit de Lorán Eötvös, 1995, p. 85. 8 Patrimoine qui « représente déjà, dans sa diversité et sa richesse, un potentiel considérable dans le rapprochement » de l’Europe de l’Est et de celle de l’Ouest (Arnold KOLLER, « Le patrimoine juridique du Conseil de l’Europe : son rôle dans le rapprochement avec les pays de l’Europe de l’Est », RUDH, vol. 2, n°10, 31 octobre 1990, p. 390). 9 Cf. Annexe n°4 (Table détaillée des caractéristiques de la réception polonaise). 618 CONCLUSION GÉNÉRALE bien même certaines affaires aujourd’hui suscitent un niveau significatif de passions »10. 968 - L’apport de la jurisprudence de la CEDH à la démocratisation polonaise témoigne de l’influence positive de cette institution au cœur d’un Conseil de l’Europe devenu, selon la formule consacrée, « école de la démocratie ». Dans cette école, la CEDH n’a pas tant joué le rôle du professeur que celui du tuteur : elle a accompagné les réformes encore nécessaires à la réussite de la transition, prodiguant une véritable assistance, culminant avec la procédure de l’arrêt pilote. Mais elle n’a que rarement été l’initiatrice de ces réformes déjà mises en chantier par l’État lui-même. Cette particularité qui relativise en apparence l’apport du juge européen ne remet aucunement en cause le bilan flatteur du Conseil de l’Europe dans l’exemple polonais. Elle souligne bien au contraire la grande cohérence du système de la Convention. Alors que la phase qui suivit directement l’admission de cet État post-socialiste a été consacrée à l’apprentissage de la Conv. EDH, balise des réformes démocratiques11, la phase juridictionnelle ouverte avec les affaires jugées par la CEDH fut le relais indispensable qui contribua à la bonne réussite de la consolidation démocratique en Pologne. De toute évidence, le Conseil de l’Europe avait vu juste à la jonction des années 1980 et 1990, lorsqu’il préféra inclure plutôt qu’exclure12. 969 - Les remarques qui concluent cette étude intégrale des arrêts de la CEDH à propos de la Pologne et leur influence sur le droit interne polonais ont-elles valeur d’exemple représentatif parmi les PECO, en particulier les anciennes démocraties populaires satellites ? La volonté de se défaire d’un héritage socialiste pour devenir une démocratie européenne semblable à celles de l’Europe occidentale est commune à tous les États d’Europe centrale libérés de la chape soviétique et de l’idéologie marxiste-léniniste en 1989. Devant la CEDH, plusieurs problématiques liées à la transition et observées en Pologne se trouvent dans le contentieux de plusieurs de ces États : la lustration (Lettonie, Macédoine, Slovaquie13) ; la restitution de biens expro- 10 Entretien avec Adam Bodnar, Varsovie, 29 mai 2015. 11 Ce qu’a pu analyser Agnieszka Bieńczyk-Missala dans son ouvrage sur les droits de l’homme en Pologne après 1989 : discrète en termes d’initiatives au Conseil de l’Europe, la Pologne a concentré ses efforts sur la mise en conformité de ses normes avec les règles européennes, en s’appuyant à bon escient sur l’assistance mise en place par le Conseil (Agnieszka BIEŃCZYK-MISSALA, Human rights in Polish Foreign Policy after 1989, op. cit., pp. 273-281). 12 La formule « mieux vaut inclure qu’exclure » est attribuée à l’ancien secrétaire général du Conseil de l’Europe Daniel Tarschys, cité par Denis HUBER, Une décennie pour l’Histoire – Le Conseil de l’Europe 1989-1999, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 1999, p. 217. 13 CEDH, Ādamsons c. Lettonie, n°3669/03, 24 juin 2008 ; CEDH, Ivanovski c. ex-République Yougoslave de Macédoine, n°29908/11, 21 janvier 2016 ; CEDH, Turek c. Slovaquie, n°57986/00, 14 février 2006, Rec. 2006II. 619 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME priés (Bulgarie, République tchèque, Roumanie14) ; la confiscation des biens de l’Église (Roumanie15) ; la restriction de la liberté d’expression dans la presse (Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Slovaquie16) ; la répression ou la condamnation d’opposants politiques à l’époque communiste (République tchèque, Roumanie17). De même, ces nouvelles démocraties connaissent les affres de la durée excessive des procédures (Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Slovénie18), la difficulté de maintenir le lien parents-enfant (République tchèque, Slovénie19), les violences policières (Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie20), le décès ou le mauvais traitement d’une personne en milieu médicalisé (Bulgarie, Roumanie21), le manque d’efficacité des procédures judiciaires après un décès ou des sévices corporels (Bulgarie, Slovaquie, Slovénie22) les mauvaises conditions de détention (Bulgarie, Hongrie, Roumanie23). Comme la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie avaient franchi avec enthousiasme les portes du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Ils sont aujourd’hui parmi les États qui se montrent de plus en plus hostiles à l’Europe qui les a accueillis. Cette réaction souverainiste partagée succédant à une commune ferveur continentale n’est qu’une indication supplémentaire. Tout ceci présume intuitivement l’existence d’une réception en deux temps de la jurisprudence européenne. Le démantèlement 14 CEDH, Mutishev c. Bulgarie, n°18967/03, 3 décembre 2009 ; CEDH, Pinc et Pincová c. République tchèque, n°36548/97, 5 novembre 2002, Rec. 2002-VIII ; CEDH, Maria Atanasiu et autres c. Roumanie, n°30767/05 et n°33800/06, 12 octobre 2010 (arrêt pilote). 15 CEDH, Archidiocèse catholique d’Alba Iulia c. Roumanie, n°33003/03, 25 septembre 2012. 16 CEDH, Yordanova et Toshev c. Bulgarie, n°5126/05, 2 octobre 2012 ; CEDH, Uj c. Hongrie, n°23954/10, 19 juillet 2011 ; CEDH, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], n°33348/96, 17 décembre 2004, Rec. 2004-XI ; CEDH, Feldek c. Slovaquie, n°29032/95, 12 juillet 2001, Rec. 2001-VIII. 17 CEDH, Polednová c. République tchèque (déc.), n°2615/10, 21 juin 2011 (la requête a cependant été jugée irrecevable) ; CEDH, Alecu et autres c. Roumanie, n°56838/08 (et 80 autres requêtes), 27 janvier 2015. 18 CEDH, Finger c. Bulgarie, n°37346/05, 10 mai 2011 (arrêt pilote ; violation des articles 6 § 1 et 13) ; CEDH, Gazsó c. Hongrie, n°48322/12, 16 juillet 2015 (arrêt pilote ; violation des articles 6 § 1 et 13) ; CEDH, Vlad et autres c. Roumanie, n°40756/06, n°41508/07 et n°50806/07, 26 novembre 2013 ; CEDH, Lukenda c. Slovénie, n°23032/02, 6 octobre 2005, Rec. 2005-X (arrêt pilote ; violation des articles 6 § 1 et 13). 19 CEDH, Macready c. République tchèque, n°4824/06 et n°15512/08, 22 avril 2010 ; CEDH, Eberhard et M. c. Slovénie, n°8673/05 et n° 9733/05, 1er décembre 2009. 20 CEDH, Natchova c. Bulgarie, n°43577/98 et n°43579/98, 6 juillet 2005 ; CEDH, László Károly c. Hongrie (n°2), n°30211/05, 12 février 2013 ; CEDH, Grămadă c. Roumanie, n°14974/09, 11 février 2014 ; CEDH, Mižigárová c. Slovaquie, n°74832/01, 14 décembre 2010 ; CEDH, Matko c. Slovénie, n°43393/98, 2 novembre 2006. 21 CEDH, Stanev c. Bulgarie [GC], n°36760/06, 17 janvier 2012, Rec. 2012-I ; CEDH, Parascineti c. Roumanie, n°32060/05, 13 mars 2012. 22 CEDH, S. Z. c. Bulgarie, n°29263/12, 3 mars 2015 ; CEDH, Dvořáček et Dvořáčkova c. Slovaquie, n°30754/04, 28 juillet 2009 ; CEDH, Šilih c. Slovénie, n°71463/01, 9 avril 2009. 23 CEDH, Neshkov c. Bulgarie, n°36925/10 (et 5 autres requêtes), 27 janvier 2015 (arrêt pilote) ; CEDH, Varga et autres c. Hongrie, n°14097/12 (et 5 autres requêtes), 10 mars 2015 (arrêt pilote) ; CEDH, Stanciu c. Roumanie, n°35972/05, 24 juillet 2012. 620 CONCLUSION GÉNÉRALE rapide du droit socialiste avec l’appui de la CEDH aurait précédé l’intégration plus conflictuelle des exigences nouvelles de la Conv. EDH, apportées par l’interprétation évolutive de la CEDH. Le double-modèle « réception de confort / de conflit » ébauché à l’issue de l’étude empirique de l’exécution des arrêts de la CEDH dans un pays particulier est envisagé comme un outil analytique. Transposable à d’autres États qui connurent la transition, il confirmerait l’unité de la réception dans les anciennes républiques socialistes, et donc le rôle joué par la CEDH. Inapplicable à ces États, il témoignerait de la singularité de la réception polonaise. 970 - La « réception de conflit » que connaît aujourd’hui la Pologne peut-elle s’achever ? Il est exclu qu’elle soit directement suivie d’une nouvelle « réception de confort », laquelle est intimement liée à une période de transformation majeure du droit interne, sous l’effet d’une transition démocratique. Il est plutôt envisageable qu’elle conduise vers une phase de réception moins polarisée qui rendrait impossible l’identification de grandes tendances. Au regard de la situation politique du pays en 2016, il n’est pourtant pas exclu que la « réception de conflit » se prolonge en s’exacerbant (moins de conflits simples, davantage de conflits aigus). Les élections parlementaires du 25 octobre 2015 offrirent au parti de la droite conservatrice PiS la majorité absolue des sièges à la Diète et au Sénat24. Les mesures adoptées depuis le mois de novembre par le gouvernement de Beata Szydło ne laissent pas d’inquiéter sur la pérennité de la démocratie libérale telle qu’elle s’est construite depuis vingt-cinq ans25. En s’attaquant de front à l’autorité du Tribunal constitutionnel, au pluralisme des médias publics et à l’indépendance du Parquet, l’actuel pouvoir central tenterait-il, à sa manière, de combler les affres du « désenchantement démocratique » post-communiste qu’a si bien décrits Philippe Claret26 ? Il vient hélas d’ouvrir en Europe centrale une nouvelle crise démocratique qui s’ajoute aux troubles traversés par la Roumanie (gouvernement Ponta) et la Hongrie (gouvernement Orbán)27. Dans le rapport qu’elle remit à la demande du gouvernement polonais le 11 24 Joanna SOLSKA, « Zwycięzca bierze wszystko », polityka.pl, 27 octobre 2015 <http://www.polityka.pl/ tygodnikpolityka/wybory2015/1638305,1,komentarz-zwyciezca-bierze-wszystko.read> [consulté le 29-10-2015] 25 Au printemps 2015, le juge constitutionnel Mirosław Granat était optimiste pour l’Europe centrale : en Roumanie, en République tchèque et en Pologne, la situation paraissait selon lui « normalisée ». Il estimait alors que le probable retour au pouvoir de PiS ne replongerait pas la Pologne dans l’atmosphère des années 2005-2007 car une nouvelle génération de politiciens était à l’oeuvre et les juridictions internes avaient accru leur indépendance (Entretien avec Mirosław Granat, Varsovie, 27 mai 2015). 26 Philippe CLARET, « Les illusions perdues du post-communisme – Sur le désenchantement démocratique en Europe centrale et orientale », in Jean DU BOIS DE GAUDUSSON (et al.) (dir.), Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation – Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 381-398. L’auteur y évoque notamment la crise des valeurs et la crise identitaire que traversent les anciens États communistes, confrontés sans cesse à leur passé et à la recherche d’une vision propre de l’avenir. 27 Dans un essai paru en 2014, le sociologue de l’Université Charles (Prague) Paul Blokker avait perçu que le constitutionnalisme appliqué à des États en manque de culture démocratique pouvait avoir pour effet néfaste sa 621 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME mars 2016, la Commission de Venise28 a été extrêmement critique sur les amendements touchant le fonctionnement du Tribunal constitutionnel. Ouverte par l’ancienne majorité parlementaire qui avait mis fin par anticipation au mandat de deux juges constitutionnels (nominations censurées par le Tribunal constitutionnel lui-même), la crise s’est nettement aggravée depuis que la droite conservatrice est redevenue majoritaire. Le blocage du Tribunal constitutionnel est dû aussi bien à la confusion sur sa composition qu’à la réforme adoptée dans l’urgence en décembre 2015. La Commission de Venise a estimé qu’en imposant au Tribunal de statuer par principe en assemblée plénière avec pour condition de validation des décisions un quorum de 13 juges présents sur 15 et une majorité des deux tiers, le juge constitutionnel ressortait considérablement affaibli. Plus difficiles à prendre, les décisions seraient en outre soumises à des délais minima pour fixer des audiences, ce qui diminuerait encore la faculté du Tribunal à peser sur les affaires urgentes29. 971 - Alors que l’Europe avançait peu à peu vers une harmonisation de son système de protection des droits fondamentaux30, la Pologne pourrait participer au mouvement de défiance déjà amorcé contre les institutions européennes en général, et succéder à la Turquie31, au Royaume-Uni ou à la Russie32 en tête des pays réfractaires à l’exécution de certains arrêts de la CEDH. Dénouer ces tensions est et continuera d’être un grand défi pour la CEDH au cours des prochaines années. « Entre un ‘‘self-restrain’’ excessif, qui la ferait démissionner de son propre remise en cause par la population ou la classe politique (Paul BLOKKER, New democracies in crises? – A comparative constitutional study of the Czech Republic, Hungary, Poland, Romania and Slovakia, London/NewYork, Routledge, 2014, 200 pages. 28 La Commission pour la démocratie par le droit, dite « Commission de Venise » est un organe consultatif du Conseil de l’Europe. Composée d’experts juridiques, sa mission est de formuler des avis et conseils aux Étatsmembres sur les mécaniques institutionnelles. Elle a été créée en 1990. 29 Commission de Venise, CDL-AD(2016)001, Opinion n°833/2015 sur les amendements à la loi du 25 juin 2015 sur le Tribunal constitutionnel de Pologne, 11 mars 2016. Voir en particulier les §§ 64-66, §§ 71-72, § 83, § 87, §§ 132-133 et §§ 134-144 (conclusion). 30 Avec la perspective de l’adhésion de l’Union européenne à la Conv. EDH. Lire à ce sujet Zdzisław KĘDZIA, « Relationship Between the European Convention on Human Rights and the Charter of Fundamental Rights after the European Union’s accessions to the Convention », in Jan BARCZ (dir.), Fundamental Rights Protection in the European Union, Munich, C.H. Beck, 2009, pp. 224-248. 31 Le refus initial et assumé de la République de Turquie d’exécuter les arrêts Loizidou puis Mamatkulov (CEDH, Loizidou c. Turquie, n°15318/89, 28 juillet 1998, Rec. 1998-IV ; CEDH, Mamatkulov et Askarov c. Turquie, n°46827/99 et n°46951/99, 4 février 2005, Rec. 2005-I) ouvrit une crise sans précédent et encouragea la réforme du Protocole n°14. Lire à ce sujet Marina MARMO, « The execution of judgments of the European Court of Human Rights – A political battle », Maastricht Journal of European and International Law, vol. 15 (2008), pp. 235-258 32 Jusqu’à présent, la Pologne n’était pas considérée comme un État hostile à la CEDH et aux conséquences de ses jugements sur l’ordre inderne. Une telle attitude – qui peut conduire à une menace de rupture avec le système de la Convention – est reconnu volontiers au Royaume-Uni ces dernières années ou, dans une moindre mesure, à la Russie (Voir en ce sens Nicolas HERVIEU, « Une Cour européenne des droits de l’homme maîtresse de son destin », La Revue des Droits de l’Homme [en ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 12 mai 2014). 622 CONCLUSION GÉNÉRALE rôle de gardien ultime de la Convention, et un activisme judiciaire insupportable, qui provoquerait des remous dans toutes les branches des pouvoirs nationaux, il lui faut rechercher en permanence un équilibre instable, mais toujours indispensable »33, implorait Jean-Paul Costa en 2004. Dans le contexte actuel, la parole emplie de sagesse de l’ancien Président de la Cour devrait, plus que jamais, être méditée. Notre-Dame-d’Oé, le 20 avril 2016 33 Jean-Paul COSTA, « La Cour européenne des droits de l’homme et le dialogue des juges », in François LI(et al.) (dir.), Le Dialogue entre les juges européens et nationaux : incantation ou réalité ?, Bruxelles, Bruylant, Coll. « Droit et Justice », 2004, pp. 165. CHÈRE 623 ANNEXES ANNEXE N°1 – L’ALTERNANCE POLITIQUE EN POLOGNE À LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE ET AU GOUVERNEMENT DEPUIS 1989 Les Présidents de la IIIe République 1989-1990 1990-1995 1995-2005 2005-2010 2010-2015 2015-2020 Wojciech Lech Aleksander Lech Bronisław Andrzej JARUZELSKI WAŁĘSA KWAŚNIEWSKI KACZYŃSKI KOMOROWSKI DUDA Polska Zjednoczona Partia Robotnicza Solidarność Socjaldemokracja Rzeczypospolitej Polskiej Prawo i Sprawiedliwość Platforma Obywatelska Prawo i Sprawiedliwość Les premiers Ministres de la IIIe République Chefs d’État JARUZELSKI WAŁĘSA WAŁĘSA WAŁĘSA KWAŚNIEWSKI Périodes Premiers ministres (et formations politiques) 19891990 Tadeusz MAZOWIECKI (Solidarność) 1991 Jan Krzysztof BIELICKI (Kongres Liberalno-Demokratyczny) 19911992 Jan OLSZEWSKI (Porozumienie Centrum) 1992 Waldemar PAWLAK (Polskie Stronnictwo Ludowe) 19921993 Hanna SUCHOCKA (Unia Demokratyczna) 19931995 Waldemar PAWLAK (Polskie Stronnictwo Ludowe) 19951996 Józef OLEKSY (Sojusz Lewicy Demokratycznej) 19961997 1997- Włodzimierz CIMOSZEWICZ (Sojusz Lewicy Demokratycznej) Jerzy BUZEK (Akcja Wyborcza Solidarność) 627 ANNEXES 2001 KWAŚNIEWSKI KWAŚNIEWSKI KACZYŃSKI KACZYŃSKI 20012004 Lechek MILLER (Sojusz Lewicy Demokratycznej) 20042005 Marek BELKA (Sojusz Lewicy Demokratycznej) 20052006 Kazimierz MARCINKIEWICZ (Prawo i Sprawiedliwość) 20062007 Jarosław KACZYŃSKI (Prawo i Sprawiedliwość) 20072014 Donald TUSK (Platforma Obywatelska) 20142015 Ewa KOPACZ (Platforma Obywatelska) Depuis 2015 Beata SZYDŁO (Prawo i Sprawiedliwość) KACZYŃSKI KOMOROWSKI (intérim) KOMOROWSKI DUDA DUDA Code couleur : Parti communiste Parti agraire Gauche démocratique Droite modérée Centre Droite conservatrice Centre-droit libéral 628 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ANNEXE N°2 – SYSTÈME POLITIQUE ET JURIDICTIONNEL DE LA POLOGNE Forme de l’État : République Organisation de l’État : État unitaire décentralisé Régime politique : Régime mixte ou semi-présidentiel Chef de l’État : Andrzej Duda (depuis août 2015) Chef du gouvernement : Beata Szydło (depuis novembre 2015) Le système institutionnel polonais contemporain repose sur la Constitution de 1997 (§ 1). Ce texte, peu modifié depuis, instaure un régime politique de type mixte. Désigné officieusement « IIIe République »*, il repose sur le principe de séparation des pouvoirs (art. 10 Const.) et comprend un parlement bicaméral inégalitaire (§ 2) devant lequel est responsable le gouvernement. Le pouvoir exécutif (§ 3) est composé du gouvernement et du Président de la République, un chef de l’État aux fonctions pour l’essentiel protocolaires. La Pologne est un État unitaire décentralisé, comprenant pour démembrements les communes, les districts et les régions (§ 4). La dernière partie de cette synthèse s’intéresse au système juridictionnel polonais, comprenant des juridictions ordinaires et un Tribunal constitutionnel (§ 5). § 1. La Constitution polonaise du 2 avril 1997 La IIIe République polonaise n’est pas née en un jour, comme le laissent comprendre les huit années séparant l’enclenchement du processus démocratique en 1989 et l’adoption de la nouvelle Constitution par l’Assemblée nationale le 2 avril 1997†. En réalité, trois révisions du précédent texte constitutionnel‡ ont permis l’enracinement de la démocratie, deux * La fédération polono-lituanienne sous l’égide du Roi de Pologne avait pris le nom de « République des DeuxNations » et correspondait ainsi à la « Ière République » polonaise, malgré la forme monarchique. La « IIe République » désigne généralement le régime parlementaire instauré au XIXe siècle, dans l’entre-deux-guerres, mais rapidement dévoyé à cause de l’autoritarisme de l’exécutif. Il n’est évidemment pas anodin d’avoir écarté de la « liste » républicaine l’ancien régime de démocratie populaire (1945-1989). † Elle fut ensuite ratifiée par référendum le 25 mai 1997 par 53,45 % des suffrages exprimés (avec seulement 42,86 % de participation). ‡ Constitution du 22 juillet 1952. 629 ANNEXES en 1989§ et une en 1992, avec l’adoption de la loi constitutionnelle surnommée « Petite Constitution »**. Il faut y ajouter la Loi constitutionnelle relative au mode d’élaboration et d’adoption de la Constitution de la République de Pologne du 23 avril 1992, qui fixe les modalités du processus devant mener de la rédaction à la ratification de la future Constitution. La Constitution de 1997 peut être révisée dans le respect de la procédure prévue dans son titre XII (art. 235). Elle est considérée comme étant rigide. À l’initiative du Sénat, d’un cinquième au moins des députés ou du Président de la République, la loi constitutionnelle doit être adoptée par la Diète (majorité qualifiée des deux-tiers ; participation de la moitié au moins des députés) puis par le Sénat (majorité absolue ; participation de la moitié au moins des sénateurs). Les autorités compétentes pour proposer une révision constitutionnelle peuvent exiger que le texte soit approuvé par référendum. Depuis son entrée en vigueur le 17 octobre 1997, l’actuelle Constitution a été révisée à deux reprises†† : en 2006 (modification de l’article 55 relatif à l’extradition de citoyens polonais, nécessaire pour appliquer la procédure du mandat d’arrêt européen) et en 2009 (rajout d’une cause d’inéligibilité pour les parlementaires à l’article 99 § 3 : la condamnation à une peine d’emprisonnement pour une infraction pénale). § 2. Le pouvoir législatif Au système monocaméral instauré par la Constitution de 1952 – marqué dans les faits par l’assujettissement total de la Diète aux organes directeurs du Parti communiste – a succédé un système bicaméral, introduit dès le compromis de la Table ronde en 1989. Les élus des deux chambres du Parlement, la Diète (A) et le Sénat (B), représentent la Nation dans son ensemble (art. 106 § 1 Const.). A. La Diète Chambre basse du Parlement, la Diète est composée de 460 députés, élus pour quatre ans au suffrage universel (scrutin de liste à la proportionnelle). Sont éligibles les citoyens polonais âgés d’au moins 21 ans. Depuis 1993, le mode de scrutin de la Diète est la § La loi constitutionnelle du 7 avril 1989 (dite « révision d’avril ») résulte du processus de la Table ronde et met la Constitution en conformité avec la décision d’organiser des élections semi-démocratiques (un Sénat nouvellement créé et élu totalement au suffrage universel et pluraliste ; l’ouverture à l’opposition de 35 % des sièges de la Diète). La loi constitutionnelle du 29 décembre 1989 (dite « révision de décembre ») met fin au monopole officiel du Parti communiste au profit de la consécration du pluralisme politique. La qualification de « socialiste » accolée à l’État disparait et celui-ci est renommé République de Pologne. ** Loi constitutionnelle du 17 octobre 1992 sur les relations mutuelles entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif de la République polonaise et sur l’autogestion territoriale. Ce texte abroge l’essentiel de la Constitution de 1952, à l’exception de neuf chapitres (dont celui consacré aux droits des citoyens). †† Le 26 mars 2001, la Constitution a été modifiée directement par le Premier ministre. Il ne s’agissait pas d’une révision mais de la correction de deux fautes d’orthographe qui figuraient dans le texte initial (aux articles 31 § 3 et 93 § 1). 630 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME proportionnelle avec un seuil de représentativité fixé à 5 % des suffrages exprimés. Un tel plancher a permis d’installer peu à peu le bipartisme. La Diète peut être dissoute sur décision du Président de la République si elle ne parvient pas à voter le budget (art. 225 Const.), si le gouvernement échoue à obtenir la confiance de cette assemblée (art. 155 § 2 Const.) ou lorsque les députés décident d’eux-mêmes, par une majorité des deux tiers, de mettre un terme prématuré à leur mandat. La dissolution de la Diète entraîne celle du Sénat. La Diète discute, amende et vote la loi. Elle adopte le budget. Elle contrôle le gouvernement (art. 95 § 2 Const.). Elle est seule compétente pour déclarer la guerre en cas d’aggression armée contre le territoire national ou par nécessité d’une défense commune en cas de menace inernationale (art. 116 § 2 Const.). Son président, le maréchal, assure l’intérim en cas de décès, de démission, d’incapacité temporaire ou permanente, de destitution ou d’invalidation de l’élection du Président de la République. Le gouvernement est responsable devant la Diète seule (art. 158 Const.). Un vote de défiance ciblant un ou plusieurs ministres est aussi possible (art. 159 Const.). Le contrôle de l’action gouvernementale s’effectue grâce au travail des différentes commissions, dont certaines sont présidées par des élus de l’opposition. Les membres du gouvernement répondent aux questions posées par les parlementaires par écrit dans un délai de 21 jours ou lors des séances dans l’hémicycle. Ils peuvent être auditionnés en commission. La Diète exerce sa mission de contrôle avec l’aide de la Chambre suprême de contrôle placée sous sa dépendance et dont la mission est de surveiller le budget de l’État, la gestion des organismes publics et des institutions, les activités des collectivités territoriales, etc. Équivalente de la Cour des comptes en France, la Chambre suprême de contrôle présente un rapport annuel de ses activités à la Diète. B. Le Sénat Issue du compromis de la Table-ronde du 5 avril 1989, la seconde assemblée du Parlement polonais est placée délibérément en situation d’infériorité par rapport à la Diète (bicaméralisme déséquilibré). Le Sénat est composé de 100 sénateurs, élus au suffrage universel pour quatre ans. Le renouvellement du Sénat est lié à celui de la Diète (les élections sont simultanées). Ainsi, l’interruption anticipée d’une législature par la dissolution de la Diète entraîne la dissolution du Sénat. Sont éligibles les citoyens polonais âgés de 30 ans révolus. Le Sénat est considéré davantage comme une chambre de réflexion, dont la suppression est régulièrement débattue. Le Sénat peut proposer des lois ou amender celles que lui transmet la Diète. Si, dans un délai de 30 jours, il garde la possibilité de valider, rejeter ou voter des amendements à toute loi examinée en premier lieu par la Diète, cette dernière a systématiquement le dernier mot en cas de désaccord. S’il dépasse le délai imparti pour statuer sur la loi transmise par la Diète, cette loi est considérée comme approuvée par le Sénat. 631 ANNEXES § 3. Le pouvoir exécutif Le pouvoir exécutif est dyarchique sous la IIIe République. En principe cantonné dans un rôle d’arbitre, le Président de la République ne dispose pas moins d’un ensemble de compétences qui en font un acteur important de la vie politique (A). Mais le Premier ministre reste le véritable chef de l’exécutif, qui compose le gouvernement et détermine la politique nationale et étrangère (B). A. Le Président de la République Depuis 1990, année de la démission du général Jaruzelski, élu par le Parlement l’année précédente mais rapidement poussé vers la sortie par ses adversaires politiques, le Président polonais est élu au suffrage universel direct. Le Président exerce essentiellement un pouvoir protocolaire et d’arbitrage. C’est résolument par réaction à l’exercice très présidentialiste de la fonction par Lech Wałęsa (1990-1995) que l’assemblée constituante a veillé à limiter ses pouvoirs. Pour autant, le régime de la Pologne tel qu’il résulte de la Constitution de 1997 n’est pas parlementaire mais mixte, ou semi-présidentiel selon la formule chère à Maurice Duverger. Le poids du chef de l’État dans la vie politique varie ainsi en fonction de celui qui incarne la fonction‡‡. Le Président polonais est élu pour un mandat de cinq ans – renouvellable une fois. Il est le garant de la continuité des pouvoirs publics (art. 126 § 1 Const.). Plus haut représentant de l’État à l’international et commandant en chef des armées, le Président ratifie et dénonce les traités internationaux même si la plupart exige préalablement une approbation du Parlement (art. 89 Const.). Il nomme le Premier ministre qu’il charge de composer un gouvernement et d’obtenir la confiance de la Diète. Ses principaux actes sont soumis à contreseing : le Premier ministre en endosse dès lors la responsabilité (art. 144 § 2 Const.), ainsi qu’il est d’usage dans les régimes parlementaires. Le Président de la République possède un droit d’initiative législative§§. Il peut aussi opposer un veto motivé sur les lois votées par le Parlement. La Diète passe outre le veto présidentiel par un vote de rejet nécessitant les voix de 3/5 de ses membres. Le Président a la possibilité, dans le délai de 21 jours dont il dispose pour promulguer une loi, de saisir le Tribunal constitutionnel. Si la loi est déclarée conforme à la Constitution, le Président est tenu de la promulguer. Si certaines dispositions ont été déclarées inconstitutionnelles, le Président peut promulguer la loi sans les dispositions censurées si elles peuvent être considérées « détachables », ou bien remettre le texte au Parlement pour qu’il le modifie en te‡‡ Les variations sont particulièrement sensibles en période de cohabitation. Ainsi, Aleksander Kwaśniewski (1995-2005) a privilégié une lecture parlementaire de la Constitution en ne recourant qu’avec parcimonie au veto, contrairement à Lech Kaczyński (2005-2010). §§ Tout comme les députés, le Sénat et un groupe de citoyens. L’initiative législative populaire est en effet prévue à l’article 118 § 2 de la Constitution. Elle appartient à 10 000 citoyens polonais, en âge de voter pour l’élection de la Diète et dont le consentement est recueilli par un comité citoyen formé pour l’occasion et validé par le Maréchal de la Diète. 632 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME nant compte du jugement du Tribunal. Le Président, avec l’accord du Sénat, est compétent pour décider de l’organisation d’un référendum***. En Pologne, le référendum n’a pas d’effet exécutoire : il permet aux citoyens d’émettre un avis, que le législateur doit prendre en compte en votant une loi. L’avis est contraignant si la participation dépasse 50 % des inscrits sur les listes électorales. Les deux chambres du Parlement réunies en Assemblée nationale reçoivent le serment du Président lors de son entrée en fonctions (art. 130 Const.), décident de son incapacité provisoire ou définitive d’exercer ses fonctions pour des raisons de santé (art. 131 § 2 Const.) ou engagent contre lui une procédure d’impeachment qui autorise le Tribunal d’État à le juger (art. 145 § 2 Const.) pour la violation de la Constitution ou pour une infraction de droit commun. B. Le Premier ministre et son gouvernement Le Premier ministre choisit les ministres (formellement nommés par le Président) et dirige leur action. Il représente l’État lors des Conseil européens†††. Le gouvernement est chargé de l’exécution des lois et de la politique étrangère de la Pologne. Il n’existe pas de pouvoir règlementaire autonome : les actes règlementaires des ministres sont adoptés en vertu des lois qu’ils complètent et précisent. Le gouvernement possède un droit d’initiative législative. La loi de finances annuelle est toujours d’initiative gouvernementale. Le gouvernement est solidairement responsable devant la Diète. Celle-ci peut voter à l’encontre du gouvernement un vote de défiance dit constructif, c’est-à-dire accompagné du nom d’une personnalité pour remplacer le Premier ministre en cas d’aboutissement de la procédure. § 4. Le pouvoir décentralisé Au moment où le régime communiste s’effaçait, la démocratie locale renaissait‡‡‡. L’article 3 de la Constitution de 1997 dispose que l’État est unitaire et son chapitre VII est dédié aux collectivités territoriales. Sa décentralisation s’est accomplie en deux étapes : en 1990 furent rétablis les Conseil municipaux. Seule la commune bénéficie d’ailleurs d’une reconnaissance constitutionnelle comme « collectivité territoriale de base » (art. 164 Const.). En 1998, deux échelons de compétences intermédiaires ont été créés par des lois ordinaires : les nouvelles régions et les districts. Actuellement, la Pologne compte 16 régions (cf. *** La Diète possède elle aussi cette prérogative de proposition référendaire. ††† Ainsi en a jugé le Tribunal constitutionnel en 2009 pour mettre un terme à un conflit de compétence entre le Président et le Premier ministre (TCP, n°Kpt 2/08, 20 mai 2009, OTK ZU, 2009, n°5A, texte 78) ‡‡‡ Le régime socialiste avait supprimé l’échelon intermédiaire des districts et multiplié le nombre de régions (49 au total) pour briser les anciennes dynamiques territoriales). 633 ANNEXES carte ci-dessous), 380 districts et 2 479 communes. La Pologne et ses seize régions (carte tirée de l'ouvrage de François BAFOIL (éd. Fayard), p. 353, cf. Bibliographie) Les organes politiques de la région sont le gouverneur et la diétine. Le gouverneur (ou voïvode), assimilable au préfet français, est le représentant de l’État et du Trésor public dans la collectivité, chargé à ce titre de contrôler la légalité des actes et les finances des autorités locales. Les diétines sont élues au suffrage universel. Elles désignent à leur tête un exécutif, ne bénéficiant que d’un pouvoir règlementaire limité. Les diétines sont compétentes pour la mise en œuvre des programmes financés par les fonds structurels européens, et en matière d’enseignement supérieur, d’activité économique, de culture, d’aménagement du territoire. Les districts sont les unités intermédiaires de la décentralisation. Ils regroupent tantôt un ensemble de communes (dans les zones rurales) ou une ville entière (districts urbains). Un conseil de district est élu par la population et celui-ci désigne un collège exécutif, présidé par un gouverneur de district (ou staroste). Les districts agissent pour satisfaire les besoins de la communauté locale en matière, notamment, d’infrastructures, de santé, d’éducation, de fourniture d’eau, etc. Enfin, les prérogatives accordées aux municipalités sont semblables à celles du district, mais à l’échelle de la seule commune. Le maire est l’autorité exécutive unique des communes et ne peut être démis de ses fonctions par une décision du conseil municipal. 634 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Les actes des pouvoirs locaux sont contraignants dans les limites territoriales de la collectivité qui les adopte. Ils doivent être publiés dans le journal officiel de la région sous peine de nullité (art. 88 § 1 Const.). § 5. L’organisation juridictionnelle La Pologne a fait le choix d’un contrôle de constitutionnalité concentré : il existe dès lors une juridiction constitutionnelle (A) indépendante des juges ordinaires. La justice ordinaire est exercée par un ordre unique, mais coexistent néanmoins des cours de type judiciaire (B) et des cours administratives (C). A. Le Tribunal constitutionnel Créé par la loi du 29 avril 1985, le Tribunal constitutionnel est composé de 15 juges, désignés par la Diète pour un mandat de neuf ans et pour leur connaissance du droit (art. 194 § 1). Le modèle choisi, résolument kelsenien, est celui du contrôle concentré. Le Tribunal possède le monopole du contrôle de conformité des lois à la Constitution§§§. Les décisions qu’il rend sont obligatoires et définitives, conformément à l’art. 190, al. 1 de la Constitution. Le Tribunal peut être saisi a priori par le seul Président de la République, cas de figure extrêmement rare. Après la promulgation d’une loi, un contrôle abstrait peut avoir lieu sur saisine du Président de la République, du Premier ministre, du président d’une chambre du Parlement, d’un groupe de députés (50) ou de sénateurs (30), du premier président de la Cour suprême, du président de la Cour administrative suprême, du Défenseur des droits civiques (ombudsman) ou du président de la Chambre suprême de contrôle. Le contrôle concret a posteriori (ou plainte constitutionnelle ; art. 79 Const.) est ouvert dans le cadre d’une instance à tout justiciable ayant préalablement épuisé toutes les voies de recours internes. Le Tribunal constitutionnel, à la réception de la requête, en informe le Défenseur des droits civiques qui peut décider d’agir auprès du requérant. Ce dernier ne peut attaquer que les dispositions législatives qui lui sont opposées dans le litige le concernant au motif qu’elles violent les droits et libertés protégés par la Constitution. Il doit agir dans un délai de trois mois après la décision définitive. Sauf exception (s’il est lui-même avocat, ou docteur en droit, magistrat…), le requérant doit être assisté d’un avocat. Les effets d’une décision d’inconstitutionnalité à la suite d’une plainte constitutionnelle sont erga omnes. Le requérant victorieux est alors en droit de demander que son affaire soit rejugée. Au cours d’une instance, toute juridiction a la possibilité de poser au Tribunal constitutionnel une question préjudicielle relative relative à la conformité d’une norme à la Consti§§§ À l’occasion de l’examen d’une requête, le Tribunal peut être amener à juger de la conformité d’un règlement à la Constitution ou à la loi. S’il le juge conforme, cette décision s’impose aux juridictions ordinaires. 635 ANNEXES tution, à un traité ratifié ou à une loi (art. 193 Const.). Le Tribunal constitutionnel ne statue jamais extra petita. Son champ d’examen est limité aux dispositions contestées par le requérant. Ainsi, il ne lui appartient pas d’examiner la conformité à la Constitution de l’ensemble d’un texte, même si cela se produit parfois dans le cadre du contrôle a priori****. Lorsqu’une norme est déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal, elle est éliminée de l’ordre juridique, immédiatement ou dans les délais fixés par la décision, mais les effets de sa disparition ne sont pas rétroactifs. Sur le fondement de l’article 188 de la Constitution, le Tribunal constitutionnel est compétent pour contrôler la conventionnalité des lois aux traités exigeant une ratification législative. Il peut en outre contrôler la conformité des traités internationaux à la Constitution, mais lorsque ceux-ci sont déjà ratifiés. Il lui appartient donc d’écarter les textes internes contraires aux conventions internationales (compétence qu’il tire directement de l’article 188 de la Constitution). Toutefois, lorsqu’il est saisi d’une plainte constitutionnelle d’un justiciable, son contrôle se limite à la conformité d’une mesure ou d’une norme interne à la Constitution. Enfin, le Tribunal constitutionnel est compétent pour trancher les litiges institutionnels « horizontaux » (questions d’interprétation de la Constitution en matière de compétence des pouvoirs étatiques ; art. 189 Const.) et « verticaux » (litiges entre l’État et les pouvoirs locaux), et pour prononcer l’interdiction de partis politiques en raison de l’inconstitutionnalité de leurs objectifs ou de leurs activités. B. Les juridictions judiciaires La justice est indépendante, comme le garantit le titre VIII de la Constitution. Institué en 1989, le Conseil National de la Magistrature veille à cette indépendance en contrôlant les nominations, l’avancement et la mobilité des juges. Il est composé de quinze juges, quatre députés et deux sénateurs (tous nommés par le Président de la République sur proposition du Conseil lui-même) ainsi que du premier président de la Cour suprême, du président de la Cour administrative suprême et du ministre de la justice. Les juges sont inamovibles (art. 180 § 1 Const.). La Pologne ne compte pas parmi les pays de common law et, par conséquent, les juridictions ne suivent pas le principe du précédent jurisprudentiel. Cependant, la jurisprudence de la Cour suprême, au sommet de la hiérarchie des cours, est en général respectée par les juridictions inférieures. La Cour suprême se prononce en tant que juge judiciaire sur les pourvois formés contre des décisions d’instance, et contrôle en tant que juge électoral les scrutins nationaux et référendaires. Son Premier président est nommé par le Président de la République par décret non soumis à contreseing. **** Par ex. TCP, n°K 13/94, 14 mars 1995, OTK ZU, 1995, n°1, texte 6. 636 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Les cours de district sont les juridictions de première instance de droit commun pour les litiges dont le préjudice en jeu est inférieur à 75 000 PLN. Au-delà, les cours régionales sont compétentes. Celles-ci sont aussi compétentes pour certains types de litiges (divorces et séparation, propriété intellectuelle et industrielle, affaires relatives à la presse). La juridiction compétente pour statuer est en général celle du ressort du lieu de domiciliation du défenseur. Deux sortes d’appel existent en droit polonais : l’appel dit ordinaire et l’appel intérimaire. Le premier peut être porté devant une autre cour d’appel ou une cour régionale. Il consiste à contrôler que la juridiction de première instance a bien établi les faits et les a correctement évalués. Il ne s’agit donc pas de rouvrir l’enquête ni de modifier le champ du litige. Si la juridiction de seconde instance donne raison à l’appelant, l’arrêt est réformé ou, dans certains cas, l’affaire est renvoyée au juge de première instance. L’appel intérimaire implique quant à lui de reprendre l’ensemble de la procédure : un nouveau procès se tient. C. Les juridictions administratives La Pologne ne reconnaît pas d’ordre juridictionnel administratif distinct de l’ordre judiciaire. Les cours administratives restent donc attachées à l’ordre judiciaire et leurs magistrats ne suivent pas de cursus spécifique. Un candidat au poste de juge administratif doit simplement, en plus des conditions générales exigées pour tout juge, démontrer son expérience passée dans le domaine du droit administratif. La Cour administrative suprême a été créée par la loi du 31 janvier 1980. Son Président est nommé par le Président de la République. Elle est également compétente pour connaître du contentieux des élections locales. Elle reçoit les recours formés contre les juridictions administratives de première instance, créées par la loi du 25 juillet 2002 : les cours administratives régionales, au nombre de seize. Les juridictions administratives exercent « le contrôle de l’activité de l’administration publique » (art. 184 Const.). À ce titre, elles contrôlent la conformité des délibérations des administations territoriales à la loi et aux actes normatifs de l’administration centrale. SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES  Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 2 kwietnia 1997 r. [Constitution de la République de Pologne du 2 avril 1997] (Dz. 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Violations des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) 12 10 10 8 7 8 5 6 4 3 4 2 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0 2 2 0 0 1 3 2 1 1 1 1 0 0 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Article 2 Article 3 B. Violations de l'article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) 47 50 47 47 45 40 35 35 30 25 20 16 15 7 10 5 12 11 0 0 1 7 7 14 16 13 8 7 4 0 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 640 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME C. Violations de l'article 6 § 1 (durée des procédures) 80 67 70 63 60 51 50 50 40 37 35 40 30 20 18 20 15 13 8 2 0 9 6 0 10 4 3 0 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 D. Violations de l'article 8 (droit au respect de la vie privée) 18 17 16 14 13 12 12 12 11 10 8 8 8 6 6 6 4 4 4 3 2 1 0 0 0 1 1 0 0 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 641 ANNEXES E. Violations de l'article 10 (liberté d'expression) 5 4 4 3 3 3 2 2 2 2 2 2 2 1 1 1 1 0 0 0 0 0 0 0 0 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 F. Violations de l'article 1 du Protocole n°1 (droit de propriété) 25 23 20 15 10 7 5 0 0 0 1 2 0 0 3 2 3 3 4 2 1 0 1 0 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 N. B. : Les tableaux statistiques (I + II) donnent des ordres de grandeurs de l’évolution du nombre de condamnations de la Pologne devant la CEDH de 1997 à 2016. Toute comparaison doit prendre en compte l’entrée en vigueur du Protocole n°14 à la Conv. EDH, le 1er juin 2010. Ce texte a modifié les conditions de recevabilité des requêtes (juge unique statuant sur la recevabilité sans possibilité d’appel ; nécessité d’un « préjudice important » subi par le requérant). Depuis cette réforme, la CEDH juge annuellement moins d’arrêts sur le fond (ex. : 1 625 au total en 2009 ; 1 499 en 2010 ; 1157 en 2011 ; en 2015, elle en a jugé 823). 642 ANNEXE N°4 – TABLE DÉTAILLÉE : CARACTÉRISTIQUES DE LA RÉCEPTION POLONAISE X X X Accès aux documents classés Joanna Szulc X X X X X Annulation de jugements politiques Kurzac X X X X X X X Défaut de coopération avec la CEDH durant la phase d’instruction Lustration Groupe Matyjek X Adoption d’une mesure ou d’une jurisprudence en contradiction avec l’arrêt de la CEDH X Arrêt « quasi-pilote » (art. 46) X Arrêt pilote Indemnisation forcés Groupe Woś X Violation isolée de la Convention Violations répétées ou régulières de la Convention Violation de la Convention de nature systématique ou structurelle Difficultés rencontrées lors de la réparation ou de l’adoption de mesures individuelles X X Exécution de l’arrêt nécessitant plusieurs séries de mesures générales X X Exécution de l’arrêt nécessitant une série de mesures générales Exécution de l’arrêt par la seule diffusion des standards européens comme mesure générale travailleurs X X Évolution du droit interne entre la violation alléguée et l’arrêt de la CEDH Normes ou principes en cause adoptées avant 1989 X Indemnisation des rapatriés du Boug Broniowski des Faits générateurs du litige antérieurs à 1989 Résolution finale du Comité des Ministres Arrêts concernés par la « réception de confort » 643 ANNEXES Indemnisation du condamné politique Ciągadlak / Godlewski X X Enquête sur la mort d’un opposant Grzegorz Przemyk X X Expropriations (réforme agraire) Groupe J. S. et A. S. X Expropriations (Varsovie) (art. 6) Groupe Beller X Expropriations (Varsovie) (art. 1. P1) Plechanow / Sierpiński X X Nationalisation des biens productifs Groupe Chmielecka / Kroenitz Restitution des biens de l’Église Związek nauczycielstwo polskiego X X Expropriations d’utilité publique (art. 6) Groupe Tomaszewska Expropriations d’utilité publique inabouties Groupe Skibińscy / Rosiński X X Expropriation d’un bien classé Potomska et Potomski X X X X X X X X X X X X X X X X X X X Restitution des biens des syndicats NSZZ Solidarność de Świdnica Expropriations d’utilité publique (art. 1 P1) Zwierzyński / Polańscy X X X X X X X X X X X X X X X X X X X Absence de l’accusé détenu aux audiences d’appel Groupe Belziuk / Sobolewski (n°2) X X X X X Présence du Procureur aux entrevues de l’accusé et son avocat Rybacki X X X X X Procédure pénale pour mineurs Adamkiewicz X X X X 644 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Présentation du détenu au Procureur Groupe Niedbała / Stokłosa X X X X X Équité de l’appel contre une détention Groupe Niedbała / Trzaska X X X X X Accès limité au dossier d’instruction Groupe Migoń / Chruścinski X X X X Détention dépourvue de base légale Groupe Baranowski X X Remise en liberté tardive du détenu Groupe Gębura / Ladent X Détention pour des raisons médicales Groupe Nowicka / Baran X X X X X X X Internement des incapables Kędzior / K.C. Détention en centre de dégrisement Witold Litwa X X Détention de ressortissants étrangers Shamsa X X Placement en foyer pour mineur Grabowski X X X X X X X X X X X Indemnisation pour détention illégale Groupe A. S. / Bruczyński X X X Droit de visite des détenus Groupe Nowicka / Ferla X X X X X Censure du courrier des détenus Groupe Niedbała / Klamecki (n°2) X X Expulsion impossible d’un locataire X X Libération compassionnelle détenu Płocki / Czarnowski / Giszczak X X X X du X X X X X X X 645 ANNEXES Schirmer Système de plafonnement loyers Hutten-Czapska des X Liberté de manifestation Bączkowski X Diffamation civile Groupe Kuliś X X Diffamation pénale Groupe Wierzbicki X X Droit de la presse Groupe Wizerkaniuk X X X X X X X X X X X X X Loi sur les élections locales Kwiecień / Kita X X X X Code de l’éthique médicale Frankowicz / Sosinowska X X X X Arrêts concernés par la « réception de conflit » Durée des procédures Groupe Kudła / Podbielski Groupe Fuchs Groupe Rutkowska Durée des détention provisoires Groupe Trzaska / Kauczor X Durée du recours sur la détention Groupe Musiał / Trzaska X Suspension de pensions EWK Groupe Moskal X Accès la sécurité sociale agricole Luczak X Suspension d’une pension militaire Wilkowicz X Refus d’immatriculer un véhicule Sildedzis X Entrave aux activités d’une entreprise Rosenzweig X 646 X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Voirie construite sans indemnisation Bugajny Confiscation d’une d’armes Waldemar Nowakowski X X X X collection X X X Accès à l’aide juridictionnelle Groupe Berliński / Tabor X X Montant des frais de justice Groupe Kreuz X X Rupture de d’innocence Groupe Garycki X X X X présomption Manque d’impartialité des cours H.et R. Urban / Toziczka / Richert / Gajewski X Respect du contradictoire W. S. / Demski / Kachan / Płonka X Décès survenus en détention Dzieciak / Jasińska X X X X X X X X X Absence de soins appropriés en prison Groupe Kaprykowski X Surpopulation carcérale Groupe Norbert Sikorski X Statut du détenu dangereux Groupe Horych X Décès à l’hôpital Byrzykowski X Individu tué lors par la police Wasilewska et Kałucka X X Atteintes corporelles en centres de dégrisement Groupe Mojsiejew / Wiktorko Enquête après des violences policières Groupe Dzwonkowski Rachwalski et Ferenc X X X X X X X X X X X X X X X 647 ANNEXES Détention de terroristes présumés Al Nashiri, Abu Zabaydah X Accès aux cours d’éthique à l’école Grzelak X Respect des confessions en prison Jakóbski X X Égalité entre couples (reprise de bail) Kozak X X X Droit au mariage des détenus Frasik / Jaremowicz Rupture du lien parent/enfant Groupe Zawadka X Accès à la reconnaissance de paternité Różański X X X X X X X X X X X X X X X X Liberté de réunion des homosexuels Bączkowski X X Accès à l’interruption de grossesse Groupe Tysiąc 648 X X X X ANNEXE N°4 BIS – TABLE SYNTHÉTHIQUE : CARACTÉRISTIQUES DE LA RÉCEPTION POLONAISE Légende : * Rarement / ** Régulièrement / *** Fréquemment NORMES OU PRATIQUES ANTÉRIEURES À 1990 NORMES OU PRATIQUES POSTÉRIEURES À 1990 Mise en conformité du droit interne avec la Convention  Avant l’arrêt de la CEDH *** *  Après l’arrêt de la CEDH ** **  Après plusieurs arrêts répétés de la CEDH * *** Succession de mesures nécessaires pour la mise en conformité  Une seule série de mesures *** **  Plusieurs séries de mesures * **  Isolées *** **  Répétées ** **  Systémiques * **  Manque de budget ** *  Manque de volonté * **  Difficultés juridiques ou matérielles * ***  Arrêt-pilote pour une affaire Oui Oui  Arrêt quasi-pilote pour une affaire Non Oui  Renvoi d’une affaire par l’État devant la Grande chambre Oui Oui  Refus de l’État de communiquer des documents pour une affaire Non Oui RÉCEPTION « DE CONFORT » RÉCEPTION « DE CONFLIT » Nature des violations Motifs retardant l’exécution des arrêts Relations de l’État avec la Cour 649 INDEX GÉNÉRAL (NOMS COMMUNS ET NOMS PROPRES) NOTE : Les numéros indiqués renvoient aux paragraphes du texte. A 603, 965, 968 D Absence d’enquête effective  178, 194, 263, 301, 354, 393, 751, 756, 809-811, 817, 827, 831, 849, Décret « Bierut »  186, 199 856-857, 881 Défenseur de l’intérêt public  132-133, 138, 140, Agent du gouvernement  8, 57, 170, 259, 597, 145 643, 903 Défenseur des droits civiques  1, 12, 91, 124, Aide juridictionnelle  297, 524, 647, 684-695, 262, 312, 344, 360, 364, 380, 389-390, 395, 412- 733 413, 454, 575, 579, 762, 853, 866, 872, 876, 924 Arrêt pilote  79-80, 85, 101-102, 113, 116, 170, Diète nobilière  18-19 271, 425, 430, 431, 440, 442-447, 513, 523, 564, Diffamation  459, 475-489, 510, 512, 514, 516, 600-602, 737, 964, 968 527 Arrêt « quasi-pilote »  523, 625, 737, 740, 780 Discrimination  25, 52, 107, 659-660, 822, 870, Association (liberté d’)  407, 450-454 906-907, 913-914, 918 Avortement  859, 882-905, 953, 957 Divorce  527, 529, 725, 930-932, 939, 942, 955 B Droit de visite des détenus  373-382, 790 Droit de visite parents-enfants  928-945, 955 Bail  211-212, 405, 408-448, 510-511, 915-920 Duda (Andrzej)  152, 68, 618 Balcerowicz (Leszek)  64, 404 Bierut (Bolesław)  37 E Bouddhisme  876-877 Éducation  297, 782, 787, 865-875, 886, 901, 930 Bureaucratie  27, 32-36, 41 Église catholique  41, 61, 215-221, 267, 741, 860- C 864, 868-870, 874-875, 881-882, 912, 952 État martial  36-37, 59, 222, 490 Catastrophe de Smoleńsk  1-2, 71 Expression (liberté d’)  271-272, 406, 449, 459- Censure  272, 315, 388-400, 480-481 510, 512-513, 822, 963, 969 Centre de dégrisement  350-353, 795-808, 856 Expropriation  28, 69, 83, 87, 89, 92, 173-268, Commissaire aux droits de l’homme  479, 527, 217, 410, 544-545, 645, 672, 963 595, 624,745, 886, 913 F Communisme  27-29, 61, 86, 177, 404, 861 Conseil de l’Europe  5-6, 13, 29, 35, 42, 44-58, Fondation d’Helsinki  12, 14, 138, 199, 200, 213, 72, 126, 129-130, 146, 215, 226, 341, 352, 359, 257-258, 262, 373, 456, 484, 498, 785, 820, 853, 386, 396, 398, 405, 407, 426, 527, 595, 598, 614, 868, 901, 903 617, 800, 831, 844, 857, 886, 914, 965, 968-969 Fondation pour la réconciliation germano- Consolidation démocratique  14, 60-71, 171, polonaise  118-128 INDEX GÉNÉRAL Foyer pour mineurs  292-297, 362-364, 897, 905, N 946 G Nationalité  270, 354-361, 451, 659-660, 937-942 O Gomułka (Ladysław)  28, 37, 177 Guerre mondiale  1, 22, 24, 28, 30, 37, 45, 82, Opposants politiques  31, 33, 37, 78, 129, 159- 84, 88-89, 92, 177, 189, 211 168, 969 P H Homosexualité  519, 739, 882, 906-920, 954, 957 Piłsudski (Józef)  22 Hôpital  337-340, 343-345, 505, 532, 634, 745, Police  166, 293, 297, 350-353, 359, 389, 459, 640, 809-814, 893-898, 905, 958 521, 542, 788, 815-841, 934 I Pourvoi en cassation  120, 274, 499, 688-690, 692-695, 702-704, 706, 716, 917 Institut de la Mémoire Nationale  142, 145, 153- R 154 J Reconnaissance de paternité  946-951, 955, 966 Recours effectif  564-584, 588, 600-601, 949, 953 Jaruzelski (Wojciech)  36, 46, 59-60, 129 République Populaire de Pologne  1, 25, 37, 83, Jean-Paul II  41, 882 88, 129, 131, 150, 173, 219, 273, 274, 404 K Réunion (liberté de)  451-458 S Kaczyński (Jarosław)  2, 152 Kaczyński (Lech)  1, 2, 71, 152, 452, 907, 910 Socialisme  25-29, 68, 80, 87, 271-272, 459, 731- Komorowski (Bronisław)  1, 2, 68, 71, 152, 302 732, 739-740 Kwaśniewski (Aleksander)  68, 404, 845, 855 Solidarność  2, 37, 41, 46, 50, 60, 63, 68, 222- L 225, 302, 404, 490, 858 Stanislas II  20 Lustration  82, 86, 129-158, 169, 171, 267, 910, Statut « N » (détenu dangereux)  789-794, 856 963, 969 Surpopulation carcérale : 315, 740, 747, 774-788, M Mariage  739, 859, 882, 916, 920-927, 952-953, 956 857, 966-967 Szydło (Beata)  648, 902, 970 T Marxisme-léninisme  28, 44, 30, 36, 405, 969 Table ronde  46, 60, 174, 206, 404 Mazowiecki (Tadeusz)  175, 343, 958 Terrorisme  46, 67, 842-855 er Mieszko I  17 Thérapie de choc  175, 178, 404 Miller (Leszek)  845, 855 Totalitarisme  30-43, 61 654 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Transition démocratique  40-43, 58-75, 78, 82, Union européenne  2, 5, 71, 78, 404, 527, 534, 84, 171, 174, 246, 250, 268-269, 272, 401-402, 643, 647, 660, 741, 831, 844, 913, 969, 971 406, 510, 513-516, 522-523, 604, 646, 746, 959, Union soviétique  3-4, 26-29, 36-41, 47, 52, 84, 962-971 88, 160 Trésor public  89-110, 193-196, 202-204, 216, V 224, 227-228, 232, 253, 264, 366, 371, 561, 580, 681, 702, 705, 750, 786, 905 Veto  19-20, 145, 175 Tribunal constitutionnel  53, 55, 90-92, 99, 106- W 109, 113-114, 123-125, 146-152, 171, 267, 273, 304, 312, 332, 360, 379-380, 392, 400, 410, 411- Wałęsa (Lech)  68 413, 426-430, 432-433, 440, 453-457, 483, 485, 489, 492, 496, 507, 511, 513, 576-579, 611, 619620, 623-624, 630-631, 644, 715, 720-721, 771, 781, 782, 785, 864, 866, 870, 872, 874, 885, 905, 947, 949, 953, 957, 970 Tusk (Donald)  2, 71 U 655 INDEX DES AUTEURS CITÉS NOTE : Les numéros indiqués renvoient aux paragraphes du texte. A BODNAR (Adam) : 8, 55, 71, 267, 451, 456, 485, 522, 574, 643, 647, 684, 739, 853, 873, 874, 909, 910, 967 ADLER (Alexandre) : 26 BOGDAN (Henry) : 17, 21, 22, 24, 29, 37, 88 AFROUKH (Mustapha) : 102 BOURGIN (Georges) : 27 AMESTOY (Isabelle) : 173 BRADLEY (Anthony) : 53 ANDRIANTZIMBAZOVINA (Joël) : 121, 450, 526, 572, 574, BRUDNY-DE LAUNAY (Michelle-Irène) : 31 577, 583, 741, 906 BRYANSTON-CROSS (Zoe) : 872, 778 ARENDT (Hannah) : 23, 30, 31, 33, 34, 39 ARON (Raymond) : 27, 28, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 66 C AUBERT (Jean-Luc) : 27, 28 B CADIER (David) : 4, 844 CAILLE (Pierre-Olivier) : 683 BAFOIL (François) : 28, 39, 177 BARTOŠEK (Karel) : 22, 37 BAUDOIN (Marie-Elisabeth) : 11, 59, 78 BEAUVOIS (Daniel) : 18, 19, 20, 23, 24, 37, 41, 60, 159, 860 BENOÏT-ROHMER (Florence) : 3, 45, 48, 451, 517 BERGÉ (Jean-Sylvestre) : 7, 58 BERGER (Vincent) : 8 BERNATT (Maciej) : 785 BESSON (Samantha) : 8, 102, 111, 167 BIDÉGARAY (Christian) : 62 CASSAR (Sophie) : 20, 37, 88, 160, 206, 845 CASTORIADIS (Cornelius) : 27, 36 CHAUVIN (Patrick) : 55, 741 CHIROT (Daniel) : 61 CLARET (Philippe) : 48, 970 CORNU (Gérard) : 83, 175, 337 COSTA (Jean-Paul) : 516, 577, 957, 971 COUDROY DE LILLE (Lydia) : 173 COURTOIS (Stéphane) : 4, 26, 37, 59, 222 CZEPEK (Jakub) : 540, 570, 809 D BIELAWSKA (Agnieszka) : 166 BIEŃCZYK-MISSALA (Agnieszka) : 77, 527, 744, 962, 968 BÎRSAN (Corneliu) : 103 BJÖRGVINSSON (David Thór) : 466, 493 BLACKBURN (Robert) : 45, 50 BLAY-GRABARCZYK (Katarzyna) : 470 BLOKKER (Paul) : 970 DAUKSZEWICZ-CĘCELEWSKI (Krzysztof) : 168 DEBARD (Thierry) : 354 DECAUX (Emmanuel) : 526 DELMAS-MARTY (Mireille) : 100 DEMBOUR (Marie-Bénédicte) : 55, 76, 175, 229, 353, 401, 460, 515, 650, 746, 945, 962 DENQUIN (Jean-Marie) : 15 BRACONNIER (Stéphane) : 372, 912 659 INDEX DES AUTEURS CITÉS DONALD (Alice) : 101, 102, 112 GREER (Steven) : 102, 737 DOURNEAU-JOSETTE (Pascal) : 746 GRONOWSKA (Bożena) : 523 DRZEMCZEWSKI (Andrzej) : 14, 48, 51, 55, 57, 343, 344, GUILHOT (Nicolas) : 64 360, 402, 485, 604 GUINCHARD (Serge) : 354 DRWESKI (Bruno) : 36, 459 H DUCOULOMBIER (Peggy) : 431, 85, 102, 433, 564 HAYDEN (Jacqueline) : 60 DZIALUR (Igor) : 625 E EMERI (Claude) : 25 HAYEK (Friedrich) : 30, 449 HENNION-JACQUET (Patricia) : 900 HERMET (Guy) : 61 ENGELS (Friedrich) : 26, 27, 206 ETKIND (Alexander) : 1, 71 HERVIEU (Nicolas) : 971 HERZOG-EVANS (Martine) : 372 F HUBER (Denis) : 4, 46, 49, 51, 968 HUNTINGTON (Samuel) : 61, 67 FAVREAU (Bertrand) : 275 I FINN (Rory) : 1, 71 FLAUSS (Jean-François) : 13, 47, 52, 85, 113, 515, 683, 741 IMBERT (Pierre-Henri) : 526 J FRAGKOU (Roxani) : 270 FRANKOWSKI (Stanisław) : 302 JACQUELOT (Fanny) : 11 FUKUYAMA (Francis) : 42, 67 JALUZOT (Béatrice) : 9 FURRER (Hans-Peter) : 49 JANCZAREK (Szymon) : 57, 600, 737, 785 G GARLACZ (Barbara) : 88 GARLICKI (Lech) : 22, 83, 87, 88, 101, 110, 171, 228, JANIS (Mark) : 53 JARUSZ (Dariusz) : 177, 206 JAROSZ-ŻUKOWSKA (Sylwia) : 175 468, 498, 513, 522, 643, 647, 715, 851 JASKIERNIA (Jerzy) : 273, 275 GANDREAU (Stéphanie) : 683 JASUDOWICZ (Tadeusz) : 14, 315, 392, 869 GARTON ASH (Timothy) : 41, 82 JAURÈS (Jean) : 27 GAUTRON (Jean-Claude) : 643 JEZIERKA-THOLE (Aleksandra) : 226 GÓRSKI (Grzegorz) : 42, 53 GOUSSEFF (Catherine) : 88 GOUTTES (Régis, de) : 387 GRABOWSKA (Mirosław) : 15 GRANAT (Mirosław) : 10, 86, 271, 720, 970 660 K KANSKIN (Lesław) : 1, 19, 20 KAY (Richard) : 53 KELLER (Helen) : 8, 11, 12, 111, 167, 742, 962 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME KELSEN (Hans) : 10 LEUPRECHT (Peter) : 272, 404, 858 KĘDZIA (Zdisław) : 971 LEVADE (Anne) : 464 KLEIN (Naomi) : 63 LEVINET (Michel) : 859, 900 KLEITZ (Clémentine) : 875 LEWANDOWSKI (Mariusz) : 747 KOBALARZ (Natalia) : 780, 955 LEWASZKIEWICZ-PETRYKOWSKA (Biruta) : 742 KOLAKOWSKI (Leszek) : 61 LIJPHART (Arend) : 60 KOLLER (Arnold) : 5, 67, 965 LINZ (Juan) : 38, 39, 40, 41 KORZEC (Piotr) : 53, 77 LOLJEEH (Rajendranuth) : 741 KOSONOGA (Jacek) : 647, 902 LUCAS (Katia) : 572 KOTT (Sandrine) : 23 Ł KOVLER (Anthony) :88, 882 KOWALSKA (Katarzyna) : 596 KRZYWKOWSKA (Justyna) : 882 ŁOPATKA (Adam) : 485, 490 ŁĘTOWSKA (Ewa) : 529, 863, 865, 883 M KRZYŻANOWSKA-MIERZEWSKA (Magdalena) : 14, 55, 76, 88, 102, 174, 175, 176, 229, 353 388, 393, 401, 460, 515, 523, 527, 603, 650, 733, 744, 746, 859, 945, 962 MACHIŃSKA (Hanna) : 264, 398, 498, 616 MALEC (Jerzy) : 20 KUROŃ (Jacek) : 37 MARGUÉNAUD (Jean-Pierre) : 405, 431, 443, 900 L MARMO (Marina) : 971 LAFFAILLE (Franck) : 780 MALAURIE (Philippe) : 884, 952 LAKOMA (Katarzyna) : 55 MARX (Karl) : 26, 27, 28, 206, 861 LAMBERT (Pierre) : 14, 279, 603 MASSIAS (Jean-Pierre) : 28, 59, 63, 64, 279 LAMBERT-ABDELGAWAD (Elisabeth) : 13, 101, 103, 112, MATHIEU (Bertrand) : 900 114, 115, 167, 168, 361, 364, 445, 486, 515, 780, 964 LANGEAIS (Raymond) : 5, 20 LANGERAAR (Christina Harrier) : 300 LARRALDE (Jean-Manuel) : 952 LAUNAY (Stephen) : 41 LEACH (Philip) : 102 LÉCUYER (Yannick) : 45, 77 LE ROY LADURIE (Emmanuel) : 36 LESAGE (Michel) : 65, 66 LESCUYER (Georges) : 26, 29, 206 MATHIEU (Nathalie) : 945, 955 MATYASIK (Michał) : 5, 14 MAZOWIECKI (Tadeusz) : 958 MCMANUS-CZUBIŃSKA (Claire) : 741 MEKHANTAR (Joël) : 67 MICHEL (Isabelle) : 62, 64 MICHEL (Patrick) : 881, 952 MICHNIK (Adam) : 404 MILACIC (Slobodan) : 60, 65 MILLARD (Frances) : 272, 404, 407, 522, 883, 912 LETKI (Natalia) : 129, 131, 171 661 INDEX DES AUTEURS CITÉS MILLER (William) : 741 PLASSEREAUD (Yves) : 23 MIŁOSZ (Czesław) : 28 POLAKIEWICZ (Jörg) : 53, 608 MINK (Georges) : 2, 4, 129, 404 POLIAKOV (Léon) : 30 MIZERSKI (Rafał) : 497 PORTET (Stéphane) : 952 MOCK (Hanspeter) : 372, 906 POTVIN-SOLIS (Laurence) : 444 MOLE (Nuala) : 3, 460, 479 PUDAL (Bernard) : 27, 28 MURILLO (Claire) : 740 PTAK (Łukasz) : 459, 479 MURZYNOWSKI (Andrzej) : 274, 547 N R RAILEANU (Bodgan) : 55 NAŁĘCZ (Tomasz) : 21, 65 RAKOVSKI (Marc) : 860 NAPIÓRKOWSKA (Anna) : 131, 142 RENAUT (Marie-Hélène) : 26, 27, 28, 47 NAY (Olivier) : 26 RICHARD (Yann) : 25 NEUMAYER (Laura) : 129 RIMBERT (Pierre) : 27 NOWAK (Celina) : 274, 275, 283, 302, 401, 528, 550, ROBIN-OLIVIER (Sophie) : 7, 58 551, 647, 784, 902. ROETS (Damien) : 274 NOWICKI (Marek Antoni) : 14, 97, 343, 344, 360, 402, 465, 485, 604, 899 ROLLAND (Denis) : 49 ROMAN (Diane) : 899, 900 O ROMER (Teresa) : 273, 275 OCHMAN (Ewa) : 71, 78, 142, 178, 226, 404 ROUSSEAU (Jean-Jacques) : 19, 20 ONORIO (Jean-Benoît, d’) : 860 RUEDIN (Jean-Baptiste) : 116 P RUSSO (Carlo) : 859 S PACZKOWSKI (Andrzej) : 22, 37 PAPAIOANNOU (Kosta) : 37 SADURSKI (Wojciech) : 443, 743, 885 PAPROCKA (Ada) : 71, 522, 600 SAFJAN (Marek) : 130, 148, 272, 485, 512, 864 PASTE-BELDA (Béatrice) : 882 SALVIA (Michele, de) : 741 PASZKIEWICZ (Krystyna Anna) : 404, 860, 862 SANGUIN (André-Louis) : 25 PECES-BARBA MARTÍNEZ (Gregorio) : 449, 516 SAUVÉ (Jean-Marc) : 77 PELLEN (Cédric) : 71 SCHMITT (Carl) : 19 PETAUX (Jean) : 45, 46, 47, 48 SCHMITTER (Philippe) : 64 PETTITI (Louis-Edmond) : 526 SERMET (Laurent) : 564 PIETRYKA (Artur) : 456 SHARMAN (Jason) : 41, 177 662 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME SIDORENKO (Ewa) : 860, 882 VERPEAUX (Michel) : 272 SOKOLEWICZ (Wojciech) : 173 W SOLSKA (Joanna) : 970 WACHSMANN (Patrick) : 8, 572 SOULIER (Gérard) : 842 WARDYŃSKI (Tomasz) : 89, 177, 206, 264 STARACE (Vincenzo) : 6 STONE-SWEET (Alec) : 8, 11, 12, 742, 744, 962 WASIAK (Patryk) : 41 WERTH (Nicolas) : 39 STUDER (Brigitte) : 30 STYCZEŃ (Piotr) : 405, 437, 443 SUDRE (Frédéric) : 7, 88, 121, 141, 276, 431, 526, 572, 597, 743, 750, 757, 859, 906, 909 WIEDERKEHR (Marie-Odile) : 554 WOEHRLING (Jean-Marie) : 741 WOŁĄSIEWICZ (Jakub) : 8, 102, 111, 113, 116, 170, 597, 643 SUTER (David) : 111, 167 WYRWA (Tadeusz) : 17 SZAWIEL (Tadeusz) : 15 WYRZYKOWSKI (Mirosław) : 406, 449, 859 SZCZĘCH (Norbert) : 14 SZKLANNA (Agnieszka) : 928, 945, 962 Z T TISMANEANU (Vladimir) : 965 TOCQUEVILLE (Alexis, de) : 19 ZAKARIA (Fareed) : 15, 71 ZALEWSKI (Frédéric) : 72 ZIELIŃSKI (Adam) : 55, 76, 527 TOMAN (Jerzy) : 279 TRAVERSO (Enzo) : 39 TRUCHLEWSKI (Zbigniew) : 149 TULKENS (Françoise) : 7 TURPIN (Dominique) : 7, 68, 298, 498, 572, 683 U ULLA (Małgorzata) : 26, 55, 131, 145, 171, 174, 273, 920, 962 V VALÉRY (Antoine) : 644 VARGA (Csaba) : 41, 965 VEDEL (Georges) : 9 VERDERY (Katherine) : 25 VERGOTTINI (Giuseppe, de) : 48 663 INDEX JURISPRUDENTIEL NOTE : Cet index concerne uniquement la jurisprudence des organes de la Convention (Cour et ancienne Commission). Les arrêts et jugements des juridictions internes sont répertoriés en bibliographie. I. ARRÊTS ET DÉCISIONS CONCERNANT LA POLOGNE A. COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME A A. B., n°33878/96, 20 novembre 2007 : 937 A. E., n°14480/04, 31 mars 2009 : 373, 527 A. L., n°28609/08, 18 février 2004 : 948 A. S., n°39510/98, 20 juin 2006 : 324-327, 301, 303, 317, 366, 365, 369 A. W., n°34220/96, 24 juin 2004 : 543 Abramczyk, n°28836/04, 12 juin 2007 : 398, 527, 618 Adamiak, n°20758/03, 19 décembre 2006 : 618 Adamkiewicz, n°54729/00, 2 mars 2010 : 292-297, 362, 403 Ǻkerblom, n°64974/01, 5 décembre 2006 : 530 Al Nashiri, n°28761/11, 24 juillet 2014 : 847-855, 857, 957 Ambruszkiewicz, n°38797/00, 4 mai 2006 : 316 Amurchanian, n°8174/02, 19 juin 2007 : 543, 618 Andrzejewski, n°72999/01, 17 octobre 2006 : 527 Andrulewicz, n°43120/05, 3 avril 2007 : 398 Andrulewicz (n°2), n°40807/07, 20 octobre 2009 : 527 Andrysiak, n°31038/06, 20 mai 2008 : 398 Andrzejczak, n°28940/08, 22 janvier 2013 : 544 Antonicelli, n°2815/05, 19 mai 2009 : 690, 693, 695, Antczak, n°3360/09, 9 novembre 2010 : 600 Apanasewicz, n°6854/07, 3 mai 2011 : 538 Arciński, n°41373/04, 15 septembre 2009 : 690, 693 Association des propriétaires fonciers de Łódź et autres (déc.), n°3485/02, 8 mars 2011, Rec. 2011-II : 444 ATUT Sp. z o. o. c. Pologne, n°71151/01, 24 octobre 2006 : 530 Augustyniak, n°5413/02, 17 octobre 2006 : 532 B B. R., n°43316/98, 16 septembre 2003 : 530 Badowski, n°47627/99, 8 novembre 2005 : 529 Bagiński, n°31444/97, 11 octobre 2005 : 301, 303, 321, 376, 606 Balcer, n°19236/07, 5 octobre 2010 : 690 Banasiak, n°3158/06, 23 octobre 2007 : 618 Banaszkowski, n°40950/12, 25 mars 2014 : 385 Bańczyk et Sztuka, n°20920/09, 13 novembre 2012 : 527 Bar-Bau Sp. z o. o., n°11656/08, 10 avril 2012 : 702, 705 Baran, n°53315/09, 28 mai 2013 : 338, 342-345, 366, 368-370 Baranowska, n°72994/01, 24 octobre 2006 : 543 Baranowski, n°28358/95, 28 mars 2000, Rec. 2000III : 317-324, 327, 336, 636-639, 642 Baranowski (Grzgorz), n°40153/09, 9 novembre 2010 : 600, 625 Baranowski (Piotr), n°39742/05, 2 octobre 2007 : 604, 639 Barszcz, n°71152/01, 30 mai 2006 : 543 Bartczak, n°15629/02, 4 novembre 2008 : 544 Bartosiński, n°13637/03, 13 octobre 2009 : 398 Bator, n°6544/08, 26 octobre 2010 : 600, 604 Bączkowski et autres, n°1543/00, 3 mai 2007 : 452458, 906-911, 954 Bąk, n°7870/04, 16 janvier 2007 : 604 Bąkowska, n°33539/02, 12 janvier 2010 : 590 Bednarska, n°53413/99, 15 juillet 2004 : 530 Bednarz (Czesława) (déc.), n°16406/10, 2 novembre 2010 : 167 Bejer, n°38328/97, 4 octobre 2001 : 529 Belka, n°20870/04, 18 mai 2010 : 119, 126 Beller, n°51837/99, 1er février 2005 : 189-190, 198200, 266 Belziuk, n°23103/93, 25 mars 1998, Rec. 1998-II : 279-281, 283, 286, 290-291, 403 Bennich-Zalewski, n°59857/00, 22 avril 2008 : 211213, 544 Berent-Derda, n°23484/02, 1er juillet 2008 : 192, 544 667 INDEX JURISPRUDENTIEL Bereza, n°38713/06, 1er avril 2008 : 618 Bereza (n°2), n°42332/06, 19 octobre 2010 : 398 Berliński, n°27715/95 et n°30209/96, 20 juin 2002 : 685-686, 691-692 Bestry, n°57675/10, 3 novembre 2015 : 470 Białas, n°69129/01, 10 octobre 2006 : 539 Białas (Janusz), n°29761/03, 28 juillet 2009 : 703, 706 Biały, n°52040/99, 27 juillet 2004 : 543 Bielec, n°40082/02, 27 juin 2006 : 544 Bielski (c. Pologne et Allemagne), n°18120/03, 3 mai 2011 : 625 Biełaj, n°43643/04, 27 avril 2010 : 600, 729 Bieniek, n°46117/07, 1er juin 2010 : 527, 625 Bieńkowska, n°13282/04, 17 juillet 2008 : 595 Biskupska, n°39597/98, 22 juillet 2003 : 532 Biśta, n°22807/07, 12 janvier 2010 : 625 Biszta, n°4922/02, 18 décembre 2007 : 543 Biziuk, n°15670/02, 15 janvier 2008 : 690, 692 Biziuk (n°2), n°24580/03, 17 janvier 2012 : 339, 342, 345, 639, 342 Błaja News Sp. z o. o., n°59545/10, 26 novembre 2013 : 470 Błaszczyk, n°22305/06, 8 janvier 2008 : 544 Bobek, n°68761/01, 17 juillet 2007 : 130, 139, 150 Bobel, n°20138/03, 22 janvier 2008 : 398, 604 Bobrowski, n°64916/01, 17 juin 2008 : 687, 692 Bobryk, n°20005/04, 9 octobre 2007 : 618 Boczoń, n°66079/01, 30 janvier 2007 : 543 Bogacz, n°60299/00, 9 mai 2006 : 527, 530 Bogdanowicz, n°38872/03, 16 janvier 2007 : 604 Bogulak, n°33866/96, 13 juin 2006 : 301, 303, 306 Bogucki, n°49961/99, 15 novembre 2005 : 231, 239, 544 Borowski, n°21340/04, 17 juillet 2008 : 594 Borysiewicz, n°71146/01, 1er juillet 2008 : 544 Boszko, n°4054/03, 5 décembre 2006 : 544 Brajer, n°7589/12, 13 janvier 2015 : 600, 626 Braun, n°30162/10, 4 novembre 2014 : 468, 471, 473 Broniowski [GC] (déc.), n°31443/96, 19 décembre 2002, Rec. 2002-X : 92 Broniowski [GC], n°31443/96, 22 juin 2004, Rec. 2004-V : 82, 85, 88-110, 113-115, 117, 170, 172, 431, 511, 513, 516, 564, 602, 737 Broniowski (règlement amiable) [GC], n°31443/96, 28 septembre 2005, Rec. 2005-IX : 111-115. Brożyna, n°7147/06, 2 février 2010 : 600 Bruczyński, n°19206/03, 4 novembre 2008 : 366, 371, 618 Brudnicka et autres, n°54723/00, 3 mars 2005 : 274 Bruszczyński, n°23789/09, 17 septembre 2013 : 729 Bryda, n°1902/05, 25 mars 2014 : 653 Budmet Sp. Z.O.O., n°31445/96, 24 février 2005 : 668 206 Bugajny et autres, n°22531/05, 6 novembre 2007 : 672-676, 734 Bugajny et autres (révision), n°22531/05, 15 décembre 2007 : 673, 676 Bukowski, n°38665/97, 11 février 2003 : 532 Burczy, n°43129/04, 11 février 2014 : 653 Buta, n°18368/02, 28 novembre 2006 : 604 Byrzykowski, n°11562/05, 27 juin 2006 : 809-810, 812-814, 856 Bystrowski, n°15476/02, 13 septembre 2011 : 604, 779, 877 Bzdyra, n°49035/99, 15 novembre 2005 : 543 C C., n°27918/95, 3 mai 2001 : 540 Cabała, n°23042/02, 8 août 2006 : 398, 618 Cegielski, n°71893/01, 23 octobre 2003 : 573 Cegłowski, n°3489/03, 8 août 2006 : 398, 618 Celejewski, n°17584/04, 4 mai 2006 : 307, 618 Charzyński (déc.), n°15212/03, 1er mars 2005, Rec. 2005-V : 587-588 Chernyshov, n°35630/02, 3 mai 2011 : 600, 604 Chmielecka, n°19171/03, 16 décembre 2008 : 209, 544 Chodecki, n°49929/99, 26 avril 2005 : 606, 614 Chojak (radiation du rôle), n°32220/96, 12 octobre 2000 : 301, 606 Chorobik, n°45213/07, 3 mai 2012 : 690 Choumakov, n°33868/05, 29 juillet 2008 : 618 Choumakov (n°2), n°55777/08, 1er février 2011 : 600 Chruścinski, n°22755/04, 6 novembre 2007 : 308, 311-312, 314 Chudyba (règlement amiable), n°71621/01, 23 septembre 2003 : 527 Chyb, n°20838/02, 22 août 2006 : 573 Chyła, n°8384/08, 3 novembre 2015 : 542, 625, 790 : Chyżyński, n°32287/09, 24 juillet 2012 : 527 Ciągadlak, n°45288/99, 1er juillet 2003 : 162-163, 745 Cibicki, n°20482/03, 3 mars 2009 : 697 Ciborek, n°52037, 4 novembre 2003 : 532 Cichla, n°18036/03, 10 octobre 2006 : 530 Cichocki, n°40748/09, 30 novembre 2010 : 600 Ciechońska, n°19776/04, 14 juin 2011 : 750 Ciesielczyk, n°12484/05, 26 juin 2012 : 484 Cieślak, n°32098/05, 3 juin 2008 : 543 Ciszewski, n°38668/97, 13 juillet 2004 : 310, 320 Cudowscy, n°34591/04, 5 janvier 2010 : 247, 544 Cwyl (règlement amiable), n°49920/99, 9 décembre 2003 : 527 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Cynarski, n°30049/06, 4 novembre 2008 : 618 Czaja, n°5744/05, 2 octobre 2012 : 653 Czajka, n°15067/02, 13 février 2007 : 543, 618 Czajkowska et autres, n°16651/05, 13 juillet 2010 : 196-197, 201, 266 Czarnecki, n°75112/01, 28 juillet 2005 : 606 Czarnowski, n°28586/03, 20 janvier 2009 : 384, 386 Czaus, n°18026/03, 22 janvier 2008 : 534 Czech, n°49034/99, 15 novembre 2005 : 543 Czekień, n°25168/05, 18 mai 2010 : 119 Czerwiński, n°10384/02, 17 octobre 2006 : 530 Czuwara, n°36250/06, 29 juillet 2008 : 618 Czyż, n°21796/05, 11 février 2014 : 653 Ć Ćwiertniak, n°26846/05, 22 juillet 2008 : 398 393 Drużkowski, n°24676/07, 1er décembre 2009 : 625 Dublas, n°48247/06, 7 octobre 2008 : 543, 618 Duda, n°67016/01, 19 décembre 2006 : 618 Dudek, n°2560/02, 5 octobre 2004 : 543, 745 Dudek, n°633/03, 4 mai 2006 : 604 Dudek (Janusz), n°39712/05, 13 janvier 2009 : 542 Durasik, n°6735/03, 28 septembre 2004 : 543 Dybo, n°71894/01, 14 octobre 2003 : 538 Dyller, n°39842/05, 7 juillet 2009 : 625 Dyller (révision), n°39842/05, 14 février 2011 : 625 Dzieciak, n°77766/01, 9 décembre 2008 : 748-752, 756, 800, 813 Dzierżanowski, n°2983/02, 27 juin 2006 : 543 Dzitkowski, n°35833/03, 27 novembre 2007 : 398 Dzwonkowski, n°46702/99, 12 avril 2007 : 168, 824, 829-831 Dzyruk, n°77832/01, 4 juillet 2006 : 398, 618 D E D. G., n°53315/09, 12 février 2013 : 768 D. M., n°13557/02, 14 octobre 2003 : 530, 532, 573 D. P., n°34221/96, 20 janvier 2004 : 321, 393, 606 Dacewicz, n°34611/97, 2 juillet 2002 : 301, 303 Dańczak, n°57468/00, 21 décembre 2004 : 530 Dąbrowska, n°34568/08, 2 février 2010 : 931, 934936 Dąbrowski, n°18235/02, 19 décembre 2006 : 480, 487 Dąbrowski (Franciszek), n°31803/04, 4 décembre 2012 : 653 Deeg, n°39489/08, 21 septembre 2010 : 527 Demski, n°22695/03, 4 novembre 2008 : 726, 730 Depa, n°34221/96, 20 janvier 2004 : 618 Derda, n°58154/08, 1er juin 2010 : 544 Dewicka, n°38670/97, 4 avril 2000 : 538, 552, 528 Długołęcki, n°23806/03, 24 février 2009 : 481, 487 Dobosz, n°15231/08, 26 juillet 2011 : 600 Dochnal, n°31622/07, 18 septembre 2012 : 308, 314, 376, 625, 627 Dojs, n°47402/99, 2 novembre 2004 : 529 Dolasiński, n°6334/02, 19 décembre 2006 : 618 Domańska, n°74073/01, 25 mai 2004 : 530 Dombek, n°75107/01, 12 décembre 2006 : 326, 618 Dombrowski, n°9566/10, 18 octobre 2011 : 690, 693 Drabek, n°5270/04, 20 juin 2006 : 618 Drabicki, n°15464/02, 14 novembre 2006 : 530 Dragan (règlement amiable), n°58780/00, 15 juillet 2003 : 527 Drozdovs, n°35367/05, 22 juillet 2008 : 618 Drozdowski, n°20841/12, 6 septembre 2005 : 392, E. G. et 175 autres affaires de la rivière Boug (déc.), n°50425/99, 23 septembre 2008, Rec. 2008IV : 116 El Kashif, n°69398/11, 19 novembre 2013 : 301, 304, 316 Elcomp SP. z O. O., n°37492/05, 19 avril 2011 : 698 F Falęcka, n°52524/99, 5 octobre 2004 : 529 Fąfrowicz, n°43609/07, 17 avril 2012 : 729 Feliński, n°31116/03, 7 juillet 2009 : 398, 625 Felix Blau SP. z o. o., n°1783/04, 19 janvier 2010 : 698 Ferla, n°55470/00, 20 mai 2008 : 376-379 Figas, n°7883/07, 23 juin 2009 : 625 Figiel (n°1), n°38190/05, 17 juillet 2008 : 527 Figiel (n°2), n°38206/05, 16 septembre 2008 : 527 Fiłon, n°39163/06, 13 janvier 2009 : 618 Finster, n°24860/08, 8 février 2011 : 625, 711-714 Flieger, n°36262/08, 22 juin 2010 : 543 Florczyk et autres, n°30030/06, 12 octobre 2010 : 544 Florek, n°20334/04, 20 mai 2008 : 543 Fojcik, n°57670/00, 21 septembre 2004 : 529 Frankowicz, n°53025/99, 16 décembre 2008 : 504, 506-509 Frasik, n°22933/02, 5 janvier 2010 : 642, 922-923, 926-927, 639 Frączek-Potęga, n°33384/04, 4 décembre 2012 : 653 669 INDEX JURISPRUDENTIEL Friedensberg, n°44025/08, 27 avril 2010 : 398 Fuchs, n°33870/96, 11 février 2003 : 182-185, 198199, 201, 213, 225, 239, 544, 562 G G. K., n°38816/97, 20 janvier 2004 : 321, 393, 306, 398 Gajewski, n°27225/05, 21 décembre 2010 : 718, 723 Gałązka, n°18861/09, 14 février 2012 : 625 Garlicki (Mirosław), n°36921/07, 14 juin 2011 : 301, 304, 707, 720 Garycki, n°14348/02, 6 février 2007 : 491, 495 Gawęda, n°26229/95, 14 mars 2002, Rec. 2002-II : 491, 495 Gawlik, n°26764/08, 11 janvier 2011 : 544 Gawrecki, n°56713/09, 14 avril 2015 : 600, 604, 626 Gąsior, n°34472/07, 21 février 2012 : 484 Gąsiorowski, n°7677/02, 17 octobre 2006 : 393, 398, 618 Gębura, n°63131/00, 6 mars 2007 : 329, 331 Gęsiarz, n°9446/02, 18 mai 2004 : 540 Gęśla, n°15915/07, 12 janvier 2010 : 600 Gidel, n°75872/01, 14 octobre 2003 : 534 Giermek et autres, n°6669/03, 15 septembre 2009 : 544 Gil, n°29130/10, 20 décembre 2011 : 527 Giszczak, n°40195/08, 29 novembre 2011 : 385, 887 Giza, n°48241/06, 13 juillet 2010 : 537, 544 Gładczak, n°14255/02, 31 mai 2007 : 604 Gładkowski (radiation du rôle), n°29697/96, 14 mars 2000 : 527 Gładkowski (Paweł), n°24216/06, 29 juin 2010 : 600 Głowacka et Królicka, n°1730/08, 7 décembre 2010 : 247, 527, 544 Głowacki, n°1608/08, 30 octobre 2012 : 600, 790 Gnatowska, n°23789/04, 7 octobre 2008 : 543 Goc, n°48001/99, 16 avril 2002 : 529 Godlewski (règlement amiable), n°53551/99, 8 juillet 2003 : 164-165, 527 Godysz, n°46979/06, 29 avril 2009 : 625 Golik, n°13893/02, 28 novembre 2006 : 530 Goliszewski, n°14148/05, 8 décembre 2009 : 625 Goławski et Pisarek, n°32327/10, 27 mai 2014 : 527 Gołek, n°31330/02, 25 avril 2006 : 618 Goral, n°38654/97, 30 octobre 2003 : 320, 394, 530, 606 Gordon-Krajcer, n°5943/07, 7 juillet 2009 : 527 Gorzelik et autres, n°44158/98, 20 décembre 2001 : 451 Gorzelik et autres [GC], n°44158/98, 17 février 2004 : 451 Gospodarczyk, n°6134/03, 17 février 2009 : 698 670 Gossa, n°47986/99, 9 janvier 2007 : 530, 729 Góra, n°38811/97, 27 avril 2004 : 528 Górecka (règlement amiable), n°73009/01, 23 septembre 2003 : 527 Górecka, n°41230/04, 23 octobre 2007 : 618 Górka (règlement amiable), n°55106/00, 5 novembre 2002 : 527 Górkiewicz, n°41663/04, 13 janvier 2009 : 530 Górny, n°50399/07, 8 juin 2010 : 130, 139, 151 Górska, n°53698/00, 3 juin 2003 : 529 Górski, n°28904/02, 4 octobre 2005 : 618 Grabiński, n°43702/02, 17 octobre 2006 : 192, 544 Grabowski, n°57722/12, 30 juin 2015 : 362-364 Gracki, n°14224/05, 29 janvier 2008 : 618 Graczyk, n°21246/05, 4 novembre 2008 : 544 Gradek, n°39631/06, 8 juin 2010 : 376, 604 Grela, n°73003/01, 13 janvier 2004 : 532 Grochulski, n°33004/07, 18 janvier 2011 : 600, 625 Gronus, n°29695/96, 28 mai 2002 : 534 Gryziecka et Gryziecki, n°46034/99, 6 mai 2003 : 529 Grzelak, n°7710/02, 15 juin 2010 : 865-873, 958 Grzywaczewski, n°18364/06, 31 mai 2012 : 768, 778-779 Grzona, n°3206/09, 24 juin 2014 : 600 Gulczyński, n°31176/06, 2 décembre 2008 : 618 Gut, n°32440/08, 18 janvier 2011 : 527 Gut (révision), n°32440/08, 7 février 2012 : 527 Guzicka, n°55383/00, 13 juillet 2004 : 530 Guziuk, n°39469/02, 21 octobre 2008 : 618 H H. D., n°33310/96, 20 juin 2002 : 801, 806 H. N., n°77710/01, 13 septembre 2005 : 530, 938, 943 Hagen, n°7478/03, 14 octobre 2008 : 618 Hajduk c. Pologne, n°6210/05, 11 février 2014 : 653 Hajnrich, n°44181/98, 25 mai 2004 : 530 Hajoł, n°1127/06, 2 mars 2010 : 604, 763 Hałka et autres, n°71891/01, 2 juillet 2002 : 527 Harazin, n°38227/02, 10 janvier 2006 : 618 Hartman, n°20342/07, 5 octobre 2010 : 604 Hass, n°2782/04, 7 novembre 2006 : 618 Helwig, n°33550/02, 21 octobre 2008 : 207, 212-213, 544 Hermanowicz, n°44581/08, 24 novembre 2009 : 527 Hilgartner, n°37976/06, 3 mars 2009 : 625 Hinczewski, n°34907/05, 5 octobre 2010 : 398 Horych, n°13621/08, 17 avril 2012 : 376, 790-792 Hoszowski, n°40988/09, 27 mai 2014 : 527 Hołowczak, n°25413/04, 4 mars 2008 : 542, 618 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Hulewicz, n°35656/97, 30 mars 2004 : 543 Hulewicz, n°39598/98, 23 février 2006 : 321, 327 Hulewicz (Grzegorz), n°6544/05, 16 juin 2009 et 19 janvier 2010 : 604 Humen, [GC], n°26614/95, 15 octobre 1999 : 159, 528, 539 Husayn (Abu Zubaydah), n°7511/13, 24 juillet 2014 : 846-855, 857, 957 Hutten-Czapska, n°35014/97, 22 février 2005 : 409, 417, 421-426, 444, 445-448, 511, 513, 516, 737 Hutten-Czapska [GC], n°35014/97, 19 juin 2006, Rec. 2006-VIII : 427-431, 435, 444, 445-448, 511, 513, 516, 737 Hutten-Czapska (règlement amiable) [GC], n°35014/97, 28 avril 2008 : 438-443 I Iłowiecki, n°27504/95, 4 octobre 2001 : 638, 531, 606 Inotlewski, n°22668/09, 17 avril 2012 : 690 I. P., n°77831/01, 14 octobre 2003 : 532 Iskrzyccy, n°9261/02, 14 septembre 2010 : 544 Iwankiewicz, n°6433/09, 7 décembre 2010 : 527 Iwańczuk, n°25196/94, 15 novembre 2001 : 542, 607, 758-762, 856 Iżykowska, n°7530/02, 28 septembre 2004 : 543 J J. G., n°36258/97, 6 avril 2004 : 606 J. S. et A. S., n°40732/98, 24 mai 2005 : 179, 182, 184, 544 Jabłoński, n°33492/96, 21 décembre 2000 : 637, 528, 606 Jabłoński (Mirosław), n°33985/05, 8 juillet 2008 : 618 Jagiełło, n°59738/00, 23 janvier 2007 : 543 Jagiełło, n°8934/05, 2 décembre 2008 : 543 Jakóbski, n°18429/06, 7 décembre 2010 : 876-881 Jakubiak, n°36161/05, 8 janvier 2008 : 398 Jakubiak (Jarosław), n°39595/05, 3 juin 2008 : 618 Jakubczyk, n°17354/04, 10 mai 2011 : 729 Jałowiecki, n°34030/07, 17 février 2009 : 130, 139 Jamroży, n°6093/04, 15 septembre 2009 : 625 Janas, n°61454/00, 21 septembre 2004 : 530 Janicki, n°35821/06, 2 décembre 2008 : 618 Janik, n°38564/97, 27 avril 2004 : 532 Janowski [GC], n°25716/95, 21 janvier 1999, Rec. 1999-I : 460-485 Janowski (n°2) (règlement amiable), n°49033/99, 23 septembre 2003 : 527 Janulis, n°20251/04, 4 novembre 2008 : 398, 618 Janus, n°8713/03, 21 juillet 2009 : 398, 625 Jaremowicz, n°24023/03, 5 janvier 2010 : 924-927 Jarkiewicz, n°23623/07, 6 juillet 2010 : 392, 398, 625 Jarzyński, n°15479/02, 4 octobre 2005 : 618 Jasari, n°17888/07, 12 octobre 2010 : 625 Jasińska, n°28326/05, 1er juin 2010 : 752-754, 856 Jasiński, n°30865/96, 20 décembre 2005 : 301 Jasiński, n°72976/01, 6 décembre 2007 : 398, 838 Jastrzębska, n°72048/01, 28 septembre 2004 : 529 Jastrzębski, n°25669/94, 19 mai 1998 : 744 Jaworski, n°25715/02, 28 mars 2006 : 618 Jedamski, n°29691/96, 26 juillet 2001 : 527 Jedamski et Jedamska, n°73547/01, 26 juillet 2005 : 697 Jelitto, n°17602/07, 21 avril 2009 : 543 Jeruzal, n°65888/01, 10 octobre 2006 : 529 Jerzak, n°29360/06, 7 octobre 2008 : 590 Jeznach (radiation du rôle), n°27580/95, 14 décembre 2000 : 758 Jęczmieniowski, n°747/09, 25 janvier 2015 : 625 Jędrzejczak, n°56334/08, 11 janvier 2011 : 690 Jończyk, n°75870/01, 10 octobre 2006 : 529 Jończyk (Grzegorz), n°19789/08, 30 novembre 2010 : 745 Jucha et Żak, n°19127/06, 23 octobre 2012 : 482, 487 Jurewicz, n°18500/10, 5 juillet 2011 : 600 K K. C., n°31199/12, 25 novembre 2014 : 347-348 K. J., n°30813/14, 1er mars 2016 : 941 Kacprzyk, n°50020/06, 21 juillet 2009 : 625 Kaczmarczyk (Maria), n°13026/02, 24 janvier 2006 : 527 Kachan, n°11300/03, 3 novembre 2009 : 727, 730 Kachel, n°22930/05, 23 septembre 2008 : 618 Kadłuczka, n°31438/06, 2 février 2010 : 119, 122123 Kaleta, n°11375/02, 16 décembre 2008 : 937 Kalicki, n°46797/08, 8 décembre 2015 : 746 Kamecki et autres, n°62506/00, 9 juin 2009 : 544 Kania, n°59444/00, 10 mai 2007 : 697, 701 Kania (Leon et Agnieszka), n°12605/03, 21 juillet 2009 : 544 Kania et Kittel, n°35105/04, 21 juin 2011 : 470 Kaniewska, n°8518/08, 18 mai 2010 : 527 Kaniewski, n°38049/02, 8 novembre 2005 : 544 Kaniewski (Krzysztof), n°49788/06, 30 septembre 2008 : 527 671 INDEX JURISPRUDENTIEL Kankowski, n°10268/03, 4 octobre 2005 : 618 Kapel, n°16519/05, 2 octobre 2012 : 653 Kaperzyński, n°43206/07, 3 avril 2012 : 493, 496 Kaprykowski, n°23052/05, 3 février 2009 : 765-766, 769-773, 756, 787 Karabin, n°29254/06, 7 janvier 2014 : 779 Karasińska, n°13771/02, 6 octobre 2009 : 537, 544 Karbowniczek, n°22339/08, 27 septembre 2011 : 600, 604, 828-830 Karpow, n°3429/03, 26 février 2008 : 529 Karwowski, n°29869/13, 19 avril 2016 : 790 Karykowski, n°653/12, 12 janvier 2016 : 790 Kasza, n°45668/06, 13 octobre 2009 : 559, 625 Kaszczyniec, n°59526/00, 22 mai 2007 : 618 Kaszubski, n°35577/97, 24 février 2004 : 543 Kata, n°9590/06, 7 juillet 2009 : 698 Kauczor, n°45219/06, 3 février 2009 : 625, 627, 737, 541, 611 Kawka, n°25874/94, 9 janvier 2001 : 306, 310, 317 Kawka (Eryk), n°33885/96, 27 juin 2002 : 301, 303 Kazimierczak (radiation du rôle), n°33863/96, 27 juillet 2000 : 606 Kazimierczak, n°4317/04, 10 mars 2009 : 710, 713 Każmierczak, n°4317/04, 10 mars 2009 : 604 Kąkol, n°3994/03, 6 septembre 2007 : 618 Kędra, n°1564/02, 10 octobre 2006 : 543, 690 Kędzior, n°45026/07, 16 octobre 2012 : 346, 348349 Kępa (déc.), n°43978/98, 30 septembre 2003 : 553 Kęsiccy, n°13933/04, 16 juin 2009 : 527 Kijewska, n°73002/01, 6 septembre 2007 : 697 Kijowski, n°33829/07, 5 avril 2011 : 932 Kisielewski, n°26744/02, 7 juillet 2009 : 398 Kita (Lidia), n°27710/05, 22 juillet 2008 : 544 Klamecki, n°25415/94, 28 mars 2002 : 604 Klamecki (n°2), n°31583/96, 3 avril 2003 : 301, 303, 306, 376-379, 392, 394, 400, Kledzic (règlement amiable), n°75098/01, 23 septembre 2003 : 527 Klewinowski, n°43161/04, 9 décembre 2008 : 544 Kliber, n°11522/03, 13 janvier 2009 : 544 Klik, n°39836/09, 7 décembre 2010 : 600 Klimkiewicz, n°44537/05, 29 avril 2009 : 528 Klimkiewicz (révision), n°44537/05, 30 novembre 2010 : 528 Kliniecki (règlement amiable), n°31387/96, 21 décembre 2000 : 527-528, 546 Kliza, n°8363/04, 6 septembre 2007 : 398 Kluska, n°33384/04, 2 octobre 2012 : 653 Knyter, n°31820/06, 1er février 2011 : 376-377, 600, 625 Kniat, n°71731/01, 26 juillet 2005 : 698 Koblański, n°59445/00, 28 septembre 2004 : 530 672 Kocurek, n°20520/08, 26 octobre 2010 : 690, 693 Kolasiński, n°46243/99, 1er février 2005 : 532 Kołodziński, n°44521/04, 8 janvier 2008 : 398 Konrad, n°33374/05, 8 juillet 2008 : 618 Koral, n°52518/99, 5 novembre 2002 : 532 Korcz, n°33429/07, 29 septembre 2009 : 527, 544 Korbel, n°57672/00, 21 septembre 2004 : 534 Kordos, n°26397/02, 26 mai 2009 : 697 Korgul, n°35916/08, 17 avril 2012 : 690, 693 Korzeb, n°39586/03, 20 mai 2008 : 618 Kosińska, n°42797/06, 14 septembre 2010 : 244, 544 Kosiński, n°20488/11, 9 février 2016 : 385 Koss, n°52495/99, 28 mars 2006 : 192, 198, 264, 544 Kostecki, n°14932/09, 4 juin 2013 : 543, 729 Kostka, n°29334/06, 16 février 2010 : 119, 125 Kotowski, n°12772/06, 29 septembre 2009 : 398 Kowal, n°21913/05, 2 octobre 2012 : 653 Kowalczyk, n°44131/05, 1er juillet 2008 : 618 Kowalczyk (Teresa), n°23987/05, 11 octobre 2011 : 690 Kowalenko, n°26144/05, 26 octobre 2010 : 539, 604 Kowalski, n°43316/08, 11 juin 2013 : 690 Kowalski (Wojciech), n°33734/06, 13 octobre 2009 : 559, 625 Kowrygo, n°6200/07, 26 février 2013 : 625, 763 Kozak, n°13102/02, 2 mars 2010 : 915-919, 954 Kozik, n°25501/02, 18 juillet 2006 : 618 Kozłowski, n°31575/03, 13 décembre 2005 : 618 Kozłowski, n°23779/02, 23 janvier 2007 : 697 Kozłowski (Stefan), n°30072/04, 22 avril 2008 : 543 Kozłowski (Eryk), n°12269/02, 4 novembre 2008 : 376-377 Kozłowski (Romuald), n°46601/06, 20 janvier 2009 : 543 Kozłowski (Henryk), n°17731/03, 9 juin 2009 : 591 Kozłowski (Janusz Leszek), n°47611/07, 8 juin 2010 : 527 Kozłowski (Piotr), n°24250/11, 9 avril 2013 : 690 Kozimor, n°10816/02, 12 avril 2007 : 398 Kramarz, n°34851/07, 5 octobre 2010 : 690, 693 Kranc, n°12888/02, 31 janvier 2006 : 543 Kranz, n°6214/02, 17 février 2004 : 529 Krasicki, n°17254/11, 15 avril 2014 : 932 Krasnodębska-Kazikowska et Łuniewska, n°26860/11, 6 octobre 2015 : 202 Krasuski, n°61444/00, 14 juin 2005 : 588-590 Krawczak, n°17732/03, 4 octobre 2005 : 618 Krawczak, n°40387/06, 8 avril 2008 : 592-594 Krawczak (Bogusław), n°24205/06, 31 mai 2011 : 376-377, 625 Krawiecki, n°49128/05, 9 juin 2009 : 398 Krempa-Czuchryta, n°11184/03, 3 juillet 2007 : 530 Kreps, n°34097/96, 26 juillet 2001 : 531, 606 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Kreuz, n°28249/00, 19 juin 2001, Rec. 2001-VI : 696, 699-701 Kreuz (n°2), n°46245/99, 20 juillet 2004 : 530 Kreuz (n°3), n°75888/01, 24 janvier 2006 : 527 Kroenitz, n°77746/01, 25 février 2003 : 206, 213-214 Krosta, n°36137/04, 2 février 2010 : 199, 122 Krowiak, n°12786/02, 16 octobre 2007 : 618, 768 Król, n°65017/01, 28 septembre 2004 : 530, 540-541 Kruk, n°67690/01, 5 octobre 2004 : 543 Kruszyński, n°22534/05, 28 janvier 2014 : 653 Kryszkiewicz, n°77420/01, 6 mars 2007 : 231, 239, 544 Krzak, n°51515/99, 6 avril 2004 : 530 Krzewski, n°11700/04, 2 décembre 2008 : 544 Krzewicki, n°37770/97, 27 avril 2004 : 530 Krzych et Gurbierz, n°35615/03, 13 février 2007 : 543 Krzysztofiak, n°38018/07, 20 avril 2010 : 600, 625 Krzyżek, n°11815/05, 4 décembre 2012 : 653 Kubaszewski, n°571/04, 2 février 2010 : 467, 471 Kubiak, n°2900/11, 21 avril 2015 : 385 Kubicz, n°16535/02, 28 mars 2006 : 618 Kubik, n°12848/03, 29 janvier 2008 : 618 Kubik (Arkadiusz), n°45097/05, 13 janvier 2009 : 591 Kubiszyn, n°37437/97, 30 janvier 2003 : 530 Kuc (Piotr), n°37766/02, 19 décembre 2006 : 618 Kuc, n°73102/01, 17 juillet 2007 : 618 Kucharczyk, n°3464/06, 8 décembre 2009 : 543 Kucharski, n°51521/99, 3 juin 2008 : 606 Kuczera, n°275/02, 14 septembre 2010 : 698 Kuczkowska, n°2311/04, 22 juillet 2008 : 543 Kudła [CG], n°30210/96, 26 octobre 2000, Rec. 2000-XI : 214, 528, 541-542, 556, 564-576, 580, 587, 594, 600, 606, 601-602, 643, 737, 763-764, 943 Kufel, n°9959/06, 2 décembre 2008 : 530 Kulik, n°400909/08, 5 janvier 2010 : 527 Kulikowski, n°18353/03, 19 mai 2009 : 625, 690, 693, 695 Kulikowski (révision), n°18353/03, 21 décembre 2010 : 625, 690 Kulikowski (n°2), n°16831/07, 9 octobre 2012 : 763 Kuliś et Różycki, n°27209/03, 6 octobre 2009 : 464, 471 Kumenda, n°2369/09, 8 juin 2010 : 340, 345, 625 Kupczak, n°2627/09, 25 janvier 2011 : 768 Kupiec, n°16828/02, 3 février 2009 : 698 Kura, n°17318/04, 2 octobre 2012 : 653 Kurczewski, n°18157/04, 22 janvier 2008 : 618 Kurkowski, n°36228/06, 9 avril 2013 : 376, 381, 785 Kurowski, n°9635/12, 13 janvier 2015 : 600, 604 Kurlowicz, n°41029/06, 22 juin 2010 : 482, 487 Kurzac, n°31382/96, 22 février 2001 : 160-161, 527 Kusiak, n°50424/99, 21 septembre 2004 : 530 Kusyk, n°7347/02, 24 octobre 2006 : 604 Kuśmierek, n°10675/02, 21 septembre 2004 : 527 Kuśmierkowski, n°63442/00, 5 octobre 2004 : 530 Kuśnierczak, n°19961/05, 21 octobre 2008 : 604 Kuźniak, n°13861/02, 10 octobre 2006 : 530 Kwiatkowski, n°4560/04, 17 octobre 2006 : 527 Kwiatkowski, n°20200/02, 12 avril 2007 : 618 Kwiatkowski (Tomasz), n°24254/05, 19 avril 2011 : 130, 139 Kwiecień, n°51744/99, 9 janvier 2007 : 499, 501-503 Kwiek, n°51895/99, 30 mai 2006 : 392, 394 Kyzioł, n°24203/05, 12 février 2008 : 527 L Lachowski, n°27556/03, 5 décembre 2006 : 618 Ladent, n°11036/03, 18 mars 2008 : 270, 304, 316, 329-334 Laskowska, n°77765/01, 13 mars 2007 : 690 Lasota, n°6762/04, 2 octobre 2012 : 653 Lemejda, n°11825/07, 13 janvier 2009 : 618 Lesiak, n°19218/07, 1er février 2011 : 398, 604 Leszczak, n°36576/03, 7 mars 2006 : 618 Leszczyńska, n°47551/99, 22 juin 2004 : 529 Lew, n°34386/04, 4 décembre 2012 : 653 Lewak, n°21890/03, 6 septembre 2007 : 398 Lewandowska-Malec, n°39660/07, 18 septembre 2012 : 482, 487 Lewandowski, n°29437/02, 3 juillet 2007 : 618 Lewandowski (Mariusz), n°66484, 3 juillet 2012 : 719, 724 Lewandowski (Antoni), n°38459/03, 2 octobre 2012 : 653 Lewandowski et Lewandowska, n°15562/02, 13 janvier 2009 : 827-830 Lewicki, n°28993/05, 6 octobre 2009 : 625, 639 Lipowicz, n° 57467/00, 19 octobre 2004 : 543 Lisiak, n°37443/97, 5 novembre 2002 : 531, 536, 541-542 Lisławska, n°37761/97, 13 juillet 2004 : 573 Litwa (Witold), n°26629/95, 5 avril 2000 : 350-353 Lizut-Skwarek, n°71625/01, 5 octobre 2004 : 573 Lopuch, n°43587/09, 24 juillet 2012 : 484 Lorenc, n°28604/03, 15 septembre 2009 : 206, 544 Loś, n°24023/06, 13 janvier 2009 : 618 Luboch, n°37469/05, 15 janvier 2008 : 130, 139, 157 Luczak, n°77782/01, 27 décembre 2007 : 659-660 Ludwiczak, n°31748/06, 16 décembre 2008 : 527 Lyp, n°25135/04, 13 novembre 2007 : 618 673 INDEX JURISPRUDENTIEL Ł Ł., n°44189/98, 27 juillet 2004 : 528 Łakomiak, n°28140/05, 21 octobre 2008 : 543 Łaszkiewicz, n°28481/03, 15 janvier 2008 : 308, 311-314, 604 Łatak (déc.), n°52070/08, 12 octobre 2010 : 778, 785-786 Łatasiewicz, n°44722/98, 23 juin 2005 : 321, 606 Łobarzewski, n°77757/01, 25 novembre 2003 : 573 Łozowska, n°62716/09, 13 janvier 2015 : 484 Łuczko, n°73988/01, 3 octobre 2006 : 398, 618 Łukjaniuk, n°15072/02, 7 novembre 2006 : 530 M M. B., n°34091/96, 27 avril 2004 : 301, 303, 306, 325 M. C., n°23692/09, 3 mars 2015 : 779 M. M. et E. M. M. (règlement amiable), n°76158/01, 29 juillet 2003 : 527 Maciej, n°10838/02, 27 février 2007 : 543 Maciejewski, n°23755/03, 7 juillet 2009 : 625 Maciejewski (Marian), n°34447/05, 13 janvier 2015 : 483, 489 Madeła, n°62424/00, 22 janvier 2008 : 543 Magoch, n°29539/07, 2 février 2010 : 527 Majcher, n°12193/02, 8 avril 2008 : 530 Majchrzak, n°1524/02, 22 août 2006 : 543 Majewski, n°52690/99, 11 octobre 2005 : 591 Majewski et autres, n°64204/01, 8 novembre 2005 : 529 Majkrzyk, n°52168/99, 6 mai 2003 : 532 Makowski, n°41012/05, 22 juillet 2008 : 618 Maksym, n°14450/02, 19 décembre 2006 : 393 Makuszewski, n°35556/05, 13 janvier 2009 : 591, 729 Malik, n°57477/00, 4 avril 2006 : 618 Malikowski, n°15154/03, 16 octobre 2007 : 527, 618 Malinowska, n°35843/97, 14 décembre 2000 : 528, 532 Malinowska (Henryka), n°76446/01, 14 octobre 2003 : 530 Malinowska-Biedrzycka, n°63390/00, 5 octobre 2004 : 529 Malisiewicz-Gąsior, n°43797/98 : 462, 478, 487 Maliszewski, n° 40887/98, 3 mai 2003 : 527 Małasiewicz, n°22072/2003, 14 octobre 2003 : 532 Masłowski, n°7626/12, 13 janvier 2015 : 600, 626 Mamełka, n°16761/07, 17 avril 2012 : 330, 333-334 Marchowski, n°10273/02, 8 juillet 2008 : 618, 789 Marczuk, n°4646/02, 8 janvier 2008 : 618 Marecki, n°20834/02, 2 décembre 2008 : 618 674 Markoń, n°2697/06, 30 septembre 2008 : 618 Marek, n°54148/09, 28 janvier 2014 : 653 Marszał, n°63391/00, 14 septembre 2004 : 530, 543 Maruszak, n°11253/07, 7 juillet 2009 : 625 Marzec, n°42868/06, 9 juin 2009 : 625 Matczak, n°26649/12, 23 février 2016 : 625-626 Matczyński, n°32794/07, 15 décembre 2015 : 252 Matrakas et autres (c. Pologne et Grèce), n°47268/06, 7 novembre 2013 : 600 Matusik, n°3826/10, 1er octobre 2013 : 539 Matwiejczuk, n°37641/97, 2 décembre 2003 : 393, 398, 530, 606 Matyjek (déc.), n°38184/03, §§ 27-29, 30 mai 2006, Rec. 2006-VII : 139 Matyjek, n°38184/03, 24 avril 2007, Rec. 2007-VII : 130, 131, 133, 138-141, 145-147, 151-152, 157-158 Mazgaj, n°41656/02, 21 septembre 2010 : 376-377 Mazurek, n°41265/03, 11 janvier 2011 : 544 Mazurkiewicz (Piotr) (règlement amiable), n°72662/01, 14 octobre 2003 : 527 Mączyński, n°43779/98, 15 janvier 2002 : 529 Mejer et Jałoszyńska, n°612109/00, 19 octobre 2004 : 543 Mgłosik, n°8403/02, 16 juillet 2009 : 398, 625 Miażdżyk, n°23592/07, 24 janvier 2012 : 373 Mianowski, n°42083/98, 16 décembre 2003 : 393, 398, 527 Michalak (Zenon), n°16864/02, 18 septembre 2007 : 618 Michta, n°13425/02, 4 mai 2006 : 393, 398-399, 618 Mierkiewicz, n°77833/01, 13 février 2007 : 543 Miernicki, n°10847/02, 27 octobre 2009 : 316, 398, 604 Mierzejewski, n°9916/13, 4 novembre 2014 : 625626 Mierzejewski, n°15612/13, 24 février 2015 : 604-626 Międzyzakładowa organizacja związkowa NSZZ Solidarność de Świdnica, n°13505/08, 28 février 2012 : 222-225, 543 Migalska, n°10368/05, 4 décembre 2012 : 653 Migoń, n°24244/94, 25 juin 2002 : 306, 308, 312, 314 Mikulska, n°8205/02, 29 juillet 2003 : 527 Mikulski (règlement amiable) [GC], n°27914/95, 6 juin 2000 : 527-528, 564 Milka, n°14322/12, 15 septembre 2015 : 762 Misiak, n°43837/06, 3 juin 2008 : 392, 398 Misiak (Jan et Krystyna), n°31193/04, 9 novembre 2010 : 600 Misielak, n°35538/04, 4 décembre 2012 : 653 Miszkurka, n°39437/03, 4 mai 2006 : 618 Młynarczyk, n°51768/99, 14 décembre 2004 : 530 Mocarska, n°26917/05, 6 novembre 2007 : 340, 345 Moczulski, n°49974/08, 19 avril 2011 : 130, 139 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Mogielnicki, n°42689/09, 15 septembre 2015 : 697, 701 Mojsiejew, n°11818/02, 24 mars 2009 : 795-800, 804, 807 Moskal, n°10373/05, 15 septembre 2009 : 651-658, 663, 734 Mościcki, n°52443/07, 14 juin 2011 : 130, 139 Mrozowski, n°9258/04, 12 mai 2009 : 825, 829-830 Mróz (radiation du rôle), n°35192/97, 9 décembre 2003 : 527 Mucha, n°32849/04, 6 septembre 2007 : 618 Mularz, n°9834/08, 4 octobre 2011 : 544 Musiał [GC], n°24557/94, 25 mars 1999, Rec. 1999II : 604, 634-636, 640 Musiał (Sławomir), n°28300/06, 20 janvier 2009 : 767, 769, 774, 781 Musiałek et Baczyński, n°32798/02, 26 juillet 2011 : 768 Muszyński, n°24613/04, 13 novembre 2008 : 618 N Najdecki, n°62323/00, 6 février 2007 : 398, 618 Naus, n°7224/04, 16 septembre 2008 : 543, 618 Niećko, n°3500/04, 16 octobre 2007 : 618 Niedbała, n°27914/95, 6 juin 2000 : 299, 301-303, 305-306, 309-310, 323, 392, 394-397, 614 Nierojewska, n°77835/01, 22 août 2006 : 527 Nieruchomości Sp. z O.O., n°32740/06, 2 février 2010 : 697, 701 Niewiadomski, n°64218/01, 24 septembre 2006 : 527, 707 Niziuk (règlement amiable), n°64120/00, 15 juillet 2003 : 527 Nowak, n°27833/02, 5 octobre 2004 : 530 Nowak, n°8612/02, 17 octobre 2006 : 529 Nowak, n°18390/02, 18 septembre 2007 : 604 Nowak (Dorota et Zbigniew), n°17904/04, 24 mars 2009 : 591 Nowak (Lidia), n°38426/03, 21 octobre 2008 : 527 Nowak (Piotr), n°7337/05, 7 décembre 2010 : 301, 304 Nowak (Wojciech), n°11118/06, 8 juin 2010 : 392 Nowak et Jajączkowski, n° 12174/02, 22 août 2006 : 527 Nowakowski (règlement amiable), n°71009/01, 29 juillet 2003 : 527 Nowakowski (Waldemar), n°55167/11, 24 juillet 2012 : 677-680, 734 Nowakowski (Waldemar) (règlement amiable), n°55167/11, 22 juillet 2014 : 679-680 Nowaszewski, n°7272/09, 27 mars 2012 : 690 Nowicka, n°30218/96, 3 décembre 2002 : 335-337, 341, 375, 377 Nowicki, n°6390/03, 27 février 2007 : 398 Nowiński, n°25924/06, 20 octobre 2009 : 683 Nurzyński, n°46859/06, 21 décembre 2010 : 376, 380 O Ochlik, n°8260/04, 29 juillet 2008 : 398, 618 Oleksy, n°64284/01, 28 novembre 2006 : 398, 618 Olesiński, n°12550/02, 18 décembre 2007 : 544 Olstowski, n°34052/96, 15 novembre 2001 : 559 Olszewscy, n°99/12, 3 novembre 2015 : 750 Olszewska, n°13024/05, 18 décembre 2007 : 180, 184, 544 Opałko, n°4064/03, 15 janvier 2008 : 534 Orchowski, n°17885/04, 22 octobre 2009 : 777-778, 780-781 Orlikowscy, n°7153/07, 4 octobre 2011 : 544 Orzechowski, n°77795/01, 24 octobre 2006 : 180, 544 Orzechowski (Mirosław), n°13526/07, 13 janvier 2009 : 690, 692 Orzechowski (Rafał), n° 34653/08, 27 juillet 2010 : 527 Orzeł, n°74816/01, 25 mars 2003 : 532 Osiński, n°13732/03, 16 octobre 2007 : 528, 618 Ostrowski (règlement amiable), n°63389/00, 28 septembre 2004 : 527, 546 Osuch, n°31246/02, 14 novembre 2006 : 618 Osuch (Piotr), n°30028/06, 3 novembre 2009 : 625 Owczar, n°34117/02, 18 septembre 2007 : 618 Owsik, n°10381/04, 16 octobre 2007 : 398, 618 P P. F., n°2210/12, 16 septembre 2014 : 932 P. K. (règlement amiable), n°37774/97, 6 novembre 2003 : 394, 606, 856 P. K., n°43123/10, 10 juin 2014 : 932 P. P., n°8677/03, 8 janvier 2008 : 939, 943-945 P. et S., n°57375/08, 30 octobre 2012 : 362, 896-898, 901, 905, 953, 958 Pabjan, n°24706/05, 2 juin 2009 : 180, 184, 544 Pachnik, n°53029/99, 30 mars 2004 : Pakos, n°3252/04, 20 janvier 2009 : 618, 625 Palewski, n°32971/03, 20 janvier 2009 : 697 Paliga et Adamkowicz, n°23856/05, 14 avril 2009 : 192, 544 Palka, n°49176/99, 11 octobre 2005 : 590 Paluch, n°57292/12, 16 février 2016 : 790 Pałys (règlement amiable), n°51669/99, 11 décembre 675 INDEX JURISPRUDENTIEL 2001 : 527, 546 Panek, n°38663/97, 8 janvier 2004 : 543 Pankiewicz, n°34151/04, 12 février 2008 : 340, 345 Panusz, n°24322/02, 3 juin 2008 : 398 Parciński, n°36250/97, 18 décembre 2001 : 543 Pasiński, n°6356/04, 20 juin 2006 : 618 Pasternak, n°42785/06, 16 juillet 2009 : 398 Pastuszenia, n°46074/07, 21 septembre 2010 : 600 Paszkowski, n°42643/98, 28 octobre 2004 : 604 Paśnicki, n°51429/99, 6 mai 2003 : 530 Pawlak, n°39840/05, 15 janvier 2008 : 398 Pawlak (Leszek), n°46887/06, 16 décembre 2008 : 540 Pawlak (Jan), n°8661/06, 9 juin 2009 : 625 Pawlak (Paweł), n°13421/03, 30 octobre 2012 : 626 Pawlak, n°28237/10, 13 janvier 2015 : 626, 600 Pawlik, n°11638/02, 19 juin 2007 : 930, 934-936 Pawlinkowska (règlement amiable), n°45957/99, 8 juillet 2003 : 527, 546 Pelizg, n°34342/06, 13 janvier 2009 : 544 Peryt, n°42042/98, 2 décembre 2003 : 540 Piaskowski et autres, n°35431/05, 1er juillet 2008 : 527 Piątkiewicz, n°39958/02, 16 octobre 2007 : 530 Piątkowski, n°5650/02, 17 octobre 2006 : 530 Piechota, n°40330/98, 5 novembre 2002 : 529 Piechowicz, n°20071/07, 17 avril 2012 : 308, 314, 376, 392, 398, 625, 790-792 Piekara, n°77741/01, 15 juin 2004 : 544 Pieniak, n°19616/04, 24 février 2009 : 826, 829-830 Pieniążek (Krzysztof) (règlement amiable), n°57465/00, 28 octobre 2003 : 527 Pieniążek, n°62179/00, 28 septembre 2004 : 530 Pietrzak, n°38185/02, 8 janvier 2008 : 242, 248-249 Piętka, n°34216/07, 16 octobre 2012 : 698 Piłka (Andrzej et Barbara), n°39619/98, 6 mai 2003 : 530 Piotrowski, n°45217/06, 20 mai 2008 : 618 Piotrowski (Mikołaj), n°15910/08, 12 octobre 2010 : 180, 84, 544 Pióro et Łukasik, n°8362/02, 2 décembre 2008 : 180,184, 544 Pisarkiewicz, n°18967/02, 22 janvier 2008 : 618 Pisk-Piskowski, n°92/03, 14 juin 2005 : 393, 398, 745 Plechanow, n°22279/04, 7 juillet 2009 : 193-194, 202-204, 243, 253-254, 264 Plechanow (satisfaction équitable), n°22279/04, 15 octobre 2013 : 194, 202 Płaczkowska, n°15435/04, 2 octobre 2012 : 653 Płaza, n°188830/07, 25 janvier 2011 : 932 Płonka, n°20310/02, 31 mars 2009 : 728-732 Płoski, n°26761/95, 12 novembre 2002 : 383, 386 676 Podbielski, n°27916/95, 30 octobre 1998, Rec. 1998VIII : 214, 522, 528, 535 Podbielski et PPU Polpure, n°39199/98, 26 juillet 2005 : 697 Pogorzelec, n°29455/95, 17 juillet 2001 : 528 Pohoska, n°33530/06, 10 janvier 2012 : 690, 715, 720 Polakowski, n°4657/02, 31 mai 2007 : 618 Polanowski, n°16381/05, 27 avril 2010 : 805-806, 830 Polańscy, n°21700/02, 7 juillet 2009 : 231 Polański, n°42146/07, 12 octobre 2012 : 625 Polejowski, n°38399/03, 4 mars 2008 : 697 Politikin, n°68930/01, 27 avril 2004 : 532 Polkowska, n°20127/08, 24 novembre 2009 : 527 Popenda, n°39502/08, 9 octobre 2012 : 325, 376, 627 Popławski, n°28633/02, 29 janvier 2008 : 543, 618 Porembska, n°77759/01, 14 octobre 2003 : 530 Potocka et autres, n°33776/96, 4 octobre 2001, Rec. 2001-X : 188 Potocka, n°1415/11, 25 septembre 2012 : 180, 544 Potok, n°18683/04, 4 décembre 2012 : 653 Potomska et Potomski, n°33949/05, 29 mars 2011 : 255-262, 266 Potomska et Potomski (satisfaction équitable), n°33949/05, 4 novembre 2014 : 256, 259-262 Potoniec, n°42019/08, 1er décembre 2009 : 527 Poznańska, n°822/05, 16 décembre 2008 : 528 Prądzyńska-Pozdniakow, n°20982/07, 7 janvier 2009 : 192, 527, 544 Preussische Treuhand Gmbh et Co. KG. A. A. (déc.), n°47550/06, 7 octobre 2008 : 88 Proszak, n°25086/94, 16 décembre 1997, Rec. 1997VIII : 65, 84, 527-528, 531 Prus, n°5136/11, 12 janvier 2016 : 790 Przemyk, n°22426/11, 17 septembre 2013 : 166-168, 817 Przepałkowski, n°23759/02, 22 juillet 2008 : 544 Przybylska-Conroy, n°49490/08, 18 mai 2010 : 527 Przybyła, n°42778/07, 7 juillet 2009 : 543 Przygodzki, n°65719/01, 5 octobre 2004 : 530 Przyjemski, n°6820/07, 5 octobre 2010 : 398, 600 Puczyński, n°32622/03, 8 décembre 2009 : 544 Puchalska, n°10392/04, 6 octobre 2009 : 231, 239, 544 Purpian Sp. z O.O., n°2311/10, 18 décembre 2012 : 527 Pyrak, n°54476/00, 12 février 2008 : 618, 639 R R. D., n°29692/96 et n°34612/97, 18 décembre 2001 : 688, 692 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME R. O., n°77597/01, 25 mars 2003 : 530 R. P. D., n°77681/01, 19 octobre 2004 : 530 R. R., n°27617/04, 10 avril 2012, Rec. 2011-III : 993995, 930-905, 953 R. S., n°63777/09, 21 juillet 2015 : 941, 943-945 R. W., n°41033/98, 15 juillet 2003 : 530 Raban, n°24254/03, 8 janvier 2008 : 604 Rachwalski et Ferenc, n°47709/99, 28 juillet 2009 : 835-841 Radaj, n°29537/95 et n°33453/97, 28 novembre 2002 : 394 Radek (règlement amiable), n°30311/02, 20 juillet 2004 : 527 Radoszewska-Zakościelna, n°858/08, 20 octobre 2009 : 192 Raducki, n°10274/08, 22 février 2011 : 625 Rafińska, n°13146/02, 23 juillet 2007 : 543 Rambiert, n°34322/10, 10 mars 2015 : 604, 626 Rasmussen, n°38886/05, 28 avril 2009 : 127, 139 Ratajczyk, n°11215/02, 18 juillet 2006 : 530 Ratusznik, n°28492/04, 6 novembre 2007 : 789, 542, 618 Ratyńska, n°12253/03, 21 octobre 2008 : 192, 544 Rawa, n°38804/97, 14 janvier 2003 : 533 Rażniak, n°6767/03, 7 octobre 2008 : 604 Rejzmund, n°42205/08, 6 juillet 2010 : 530, 600 Remuszko, n°1562/10, 16 juillet 2013 : 490, 600 Richert, n°54809/07, 25 octobre 2011 : 717, 722 Rodoszewska-Zakościelnia, n°858/08, 20 octobre 2009 : 527, 544 Rogala, n°40176/08, 18 janvier 2011 : 604, 774 Rojek, n°15969/06, 22 mai 2007 : 618 Rokosz, n°15952/09, 27 juillet 2010 : 768 Romaniak, n°53284/99, 24 octobre 2006 : 529 Romaniuk, n°59285/12, 12 janvier 2016 : 790 Romanow, n°45299/99, 21 septembre 2004 : 532 Romejko, n°74209/01, 7 novembre 2006 : 529 Rosenzweig et Bonded Warehouse Ltd., n°51728/99, 28 juillet 2005 : 668-671, 734 Rosenzweig and Bonded Warehouse Ltd. (satisfaction équitable), n°51728/99, 5 juin 2012 : 669-671, 734 Rosiński, n°17373/02, 17 juillet 2007 : 245 Rozmarynowski, n°37149/02, 15 janvier 2008 : 604 Różański, n°55339/00, 18 mai 2006 : 946-947, 949951 Różański, n°16706/11, 22 janvier 2013 : 625, 626 Rubacha, n°5608/04, 12 juin 2007 : 618 Ruciński, n°31198/04, 20 février 2007 : 604 Rudzińska (déc.), n°45223/99, 7 septembre 1999, Rec. 1999-VI : 409 Ruprecht, n°51219/09, 22 janvier 2013 : 527, 625 Rusiecki, n°36246/97, 21 avril 2009 : 625 Rusin, n°25360/04, 2 octobre 2012 : 653 Ruszkowska, n°6717/08, 1er juillet 2014 : 663 Rutkowski et autres, n°72287/10, n°13927/11 et n°46187/11, 7 juillet 2015 : 600-602, 643, 737 Rybacki, n°42479/99, 13 janvier 2009 : 282-284, 291, 606, 614 Rybczyńscy, n°3501/02, 3 octobre 2006 : 527 Rybczyńska, n°57764/00, 10 octobre 2006 : 529 Rychliccy, n°51599/99, 18 mai 2004 : 530 Ryckie, n°19583/05, 30 janvier 2007 : 618 Rydz, n°13167/02, 18 décembre 2007 : 604 Rygalski, n°11101/04, 22 janvier 2008 : 544 Rylski, n°24706/02, 4 juillet 2006 : 539, 932 Rywin, n°6091/06, n°4047/07 et n°4070/07, 18 février 2016 : 733, 768 S Sadura, n°35382/06, 1er juillet 2008 : 527 Sambor, n°15579/05, 1er juillet 2011 : 828 Sandowycz, n°37274/06, 27 janvier 2009 : 618 Saniewski (déc.), n°40319/98, 26 juin 2001 : 869 Sanocki, n°28949/03, 17 juillet 2007 : 466, 471 Sałapa, n°35489/97, 19 décembre 2002 : 301, 303, 308, 314, 327, 394 Sagan (règlement amiable), n°6901/02, 24 juin 2003 : 527 Schirmer, n°68880/01, 21 septembre 2004 : 411, 414-416, 435 Schmalz, n°19177/03, 6 septembre 2007 : 618 Sekułowicz, n°64249/01, 7 novembre 2006 : 539 Seliwiak, n°3818/04, 21 juillet 2009 : 288-289, 291 Semik-Orzech, n°39900/06, 15 novembre 2011 : 470 Serafin et autres, n°36980/04, 21 avril 2009 : 192, 544 Serafin et autres (n°2), n°51123/07, 2 décembre 2008 : 192, 544 Serghides, n°31515/04, 2 novembre 2010 : 942 Sernawit et autres, n°61697/00, 6 novembre 2007 : 192, 544 Seweryn, n°33582/08, 15 juin 2010 : 527 Sędek (règlement amiable), n°6716501, 6 mai 2003 : 527 Shamsa, n°45355/99 et n°45357/99, 27 novembre 2003 : 354, 361 Siałkowska, n°8932/05, 22 mars 2007 : 690, 693-694 Sibilski, n°64207/01, 4 octobre 2005 : 527 Sienkiewicz, n°52468/99, 30 septembre 2003 : 543 Sienkiewicz (Adam), n°25668/03, 27 mai 2008 : 543, 618 Siemianowski, n°45972/99, 6 septembre 2005 : 538 Siermiński, n°53339/09, 2 décembre 2014 : 192, 544 Sierpiński, n°38016/07, 3 novembre 2009 : 195, 205 677 INDEX JURISPRUDENTIEL Sierpiński (règlement amiable), n°38016/07, 27 juillet 2010 : 195, 205 Sikora, n°64764/01, 5 octobre 2004 : 543 Sikora (Zofia), n°27680/04, 4 décembre 2012 : 653 Sikorski, n°46004/99, 9 novembre 2004 : 532 Sikorski (Norbert), n°17599/05, 22 octobre 2009 : 757, 775-778, 780-781, 787 Sikorski (Henryk), n°10041/09, 25 janvier 2011 : 625 Sildedzis, n°45214/99, 24 mai 2005 : 664-667 Simonov, n°45255/07, 17 avril 2012 : 604, 626 Sitarek, n°42078/98, 15 juillet 2003 : 540 Sitarski, n°71068/01, 8 août 2006 : 534 Sito, n°19607/03, 9 janvier 2007 : 544 Siwiec, n°28095/08, 3 juillet 2012 : 690 Skalski, n°28031/06, 9 octobre 2007 : 618 Skałka, n°43425/98, 27 mai 2003 : 476, 486 Skawińska, n°42096/98, 16 septembre 2003 : 542 Skibińscy, n°52589/99, 14 novembre 2006 : 241-242, 248, 251 Skibińscy (satisfaction équitable), n°52589/99, 21 octobre 2008 : 242, 249 Skowroński (règlement amiable), n°52595/99, 17 février 2004 : 527 Skowroński, n°36431/03, 24 janvier 2006 : 544 Skóra (règlement amiable), n°67162/01, 1er juillet 2003 : 527 Skrobol, n°44165/98, 13 septembre 2005 : 606 Skrzyński, n°38672/02, 6 septembre 2007 : 245-246, 248 Skurat, n°26451/07, 14 juin 2011 : 600, 604 Słowik, n°31477/05, 12 avril 2011 : 690 Smolorz, n°17446/07, 16 octobre 2012 : 465, 473, 473 Smyk, n°8958/04, 28 juillet 2009 : 690 Sobański, n°40694/98, 21 janvier 2003 : 527 Sobczyński, n°23128/03, 27 novembre 2007 : 594 Sobczyński (Marian), n°35494/08, 2 février 2010 : 604 Sobczyk, n°25693/94 et n°27385/95, 26 octobre 2000 : 528 Sobczuk (Cezary) (règlement amiable), n°51799/99, 25 mai 2004 : 527, 606 Sobieccy, n°32594/03, 10 janvier 2010 : 544 Sobierajska-Nierzwicka, n°49349, 27 mai 2003 : 543 Sobolewski (n°2), 19847/07, 9 juin 2009 : 288-289, 291 Sojka, n°15363/05, 4 décembre 2007 : 618 Sokołowska, n°7743/06, 13 janvier 2009 : 591 Sokołowski, n°75955/01, 29 mars 2005 : 477, 486 Sokołowski, n°15337/02, 24 octobre 2006 : 543 Sosinowska, n°10247/09, 18 octobre 2011 : 505-509 Spyra et Kranczkowski, n°19764/07, 25 septembre 678 2012 : 811 Stankiewicz, n°46917/99, 6 avril 2006 : 697, 701 Stankiewicz, n°29386/03, 17 octobre 2006 : 618 Stankiewicz (révision), n°29386/03, 4 mars 2008 : 618 Stankiewicz et autres c. Pologne, n°48723/07, 14 octobre 2014 : 469, 471 Stankiewicz et autres (n°2), n°48053/11, 3 novembre 2015 : 469, 471, 474 Staniszewski, n°28157/08, 5 octobre 2010 : 690 Stanclik, n°31397/03, 22 janvier 2008 : 530 Stańczyk (règlement amiable), n°50511/99, 2 décembre 2003 : 527 Staroszczyk, n°59519/00, 22 mars 2007 : 690, 694 Stasik, n°21823/12, 6 octobre 2015 : 532, 932, 934, 945 Stasiów, n°6880/02, 12 décembre 2006 : 573 Staszewska, n°10049/04, 3 novembre 2009 : 838 Stemplewski, n°30019/03, 24 octobre 2006 : 618 Stenka, n°3675/03, 31 octobre 2006 : 618 Stettner, n°38510/06, 24 mars 2015 : 604, 639, 856 Stevens, n°13568/02, 24 octobre 2006 : 544 Stępień, n°39225/05, 4 décembre 2012 : 653 Stępniak, n°29366/03, 29 janvier 2008 : 398 Stochlak, n°38273/02, 22 septembre 2009 : 940, 943 Stokłosa, n°32602/08, 3 novembre 2011 : 301, 304 Strzałkowski, n°31509/02, 9 juin 2009 : 288-289, 291 Strzelecki, n°26648/03, 10 avril 2012 : 454 Stukus et autres c. Pologne, n°12534/03, 1er avril 2008 : 544 Styranowski, n°28616/95, 30 octobre 1998, Rec. 1998-VIII : 528, 529, 534, 514-542 Subicka, n°29342/06, 14 septembre 2010 : 690 Subicka (n°2), n°34043/05 et n°15792/06, 21 juin 2011 : 690, 693 Suchecki (n°1), n°20166/07, 16 juillet 2009 : 527 Surman-Januszewska, n°52478/99, 27 avril 2004 : 532 Swat, n°13545/03, 18 décembre 2007 : 594 Szadejko, n°39031/05, 24 avril 2007 : 618 Szafrański, n°17249/12, 15 décembre 2015 : 785 Szal, n°41285/02, 18 mai 2010 : 119 Szarapo, n°40835/98, 23 mai 2002 : 529 Szczeciński, n°73864/01, 11 octobre 2005 : 527 Szeloch, n°33079/96, 22 février 2001 : 527, 542 Szenk, n°67979/01, 22 mars 2005 : 191, 198, 264, 544 Szewc, n°31492/05, 4 décembre 2012 : 653 Szklarska, n°21105/06, 17 juillet 2008 : 594 Szmajchel, n°21541/03, 17 juillet 2007 : 618 Szparag, n°17656/06, 5 octobre 2010 : 690, 693 Szubert, n°22183/06, 5 juillet 2012 : 690, 693 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Szulc, n°28002/06, 3 juin 2008 : 604 Szulc (Joanna), n°43932/08, 13 novembre 2012 : 142-143, 153-154, 157-158. Szwagrun-Baurycza, n°41187/02, 24 octobre 2006 : 683 Szydłowski, n°1326/04, 16 octobre 2007 : 540, 618 Szymański (règlement amiable), n°75929/01, 21 octobre 2003 : 527 Szymczak (déc.), n°16534/08, 5 mai 2009 : 597 Szymikowska et Szymikowski (règlement amiable), n°43786/98, 6 mai 2003 : 527, 546 Szymoński, n°6925/02, 10 octobre 2006 : 527 Ś Ściebura, n°39412/08, 15 février 2011 : 604 Śliwa, n°10265/06, 2 décembre 2008 : 527 Ślusarczyk, n°23463/04, 28 octobre 2014 : 398, 527, 625, 779, 790 Świątek, n°8578/04, 4 décembre 2012 : 653 Świderski, n°5532/10, 16 février 2016 : 790 Świerzko, n°9013/02, 10 janvier 2006 : 618 Święcicki, n°25490/03, 12 avril 2007 : 618 T Tabor, n°12825/02, 27 juin 2006 : 689, 692 Tarnawczyk, n°27480/02, 7 décembre 2010 : 243, 248-251, 253-254, 264 Tarnowski (n°1), n°33915/03, 29 septembre 2009 : 180 Tarnowski (n°2), n°43934/07, 29 septembre 2009 : 180 Tarnowski et autres, n°43939/07, 27 septembre 2011 : 180, 543-544 Tekiela, n°35785/07, 13 janvier 2009 : 532 Telecki, n°56552/00, 6 juillet 2006 : 618 Teltronic-CATV, n°48140/99, 10 janvier 2006 : 697 Teodorski, n°7033/06, 22 janvier 2008 : 604 Tereszczenko, n°37326/04, 3 avril 2007 : 604 Tomaszewscy, n°8933/05, 15 avril 2014 : 316, 366, 369 Tomczyk, n°7708/12, 13 janvier 2015 : 600 Tomczyk Prokopyszyn, n°64283/01, 28 mars 2006 : 398 Tomczykowski, n°34164/05, 17 avril 2012 : 690 Tomecki, n°47944/06, 20 mai 2008 : 604 Tonderys, n°14382/04, 10 juillet 2007 : 618 Toziczka, n°29995/08, 24 juillet 2012 : 716, 721 Trojanowski, n°27952/08, 8 février 2011 : 625 Trojańczyk, n°11219/02, 9 janvier 2007 : 530 Trojańczyk (révision), n°11219/02, 28 avril 2009 : 530 Trzciałkowski, n°26918/02, 28 novembre 2006 : 618 Trzadnel, n°26876/03, 16 janvier 2007 : 618 Trznadel (Helena), n°5970/05, 2 octobre 2012 : 653 Trzaska, n°25792/94, 11 juillet 2000 : 306, 528, 548, 604-607, 610, 615-618, 626-628, 641, 961 Trzaskalska, n°34469/05, 1er décembre 2009 : 239, 231, 544 Tur, n°21695/05, 23 octobre 2007 : 592 Turczanik, n°38064/97, 5 juillet 2005, Rec. 2005-VI : 537, 544 Tymieniecki, n°33744/06, 7 juillet 2009 : 192, 527, 544 Tysiąc, n°5410/03, 20 mars 2007 : 885, 887-892, 899-900, 903, 905 U Urban (Henryk et Ryszard), n°23614/08, 9 novembre 2010 : 715, 720 Urbanowicz, n°40459/05, 5 octobre 2010 : 690, 693 Urbańczyk, n°33777/96, 1er juin 2004 : 231, 239, 544 Urbańska, n°12134/02, 13 novembre 2007 : 544 Uthke, n°48684/99, 18 juin 2002 : 530 Uzarowicz, n°24523/08, 12 octobre 2010 : 247, 544 W W. B., n°34090/96, 10 janvier 2006 : 301, 303-304 W. M., n°39505/98, 14 janvier 2003 : 523 W. S., n°21508/02, 19 juin 2007 : 725, 730 W. Z., n°65660/01, 24 octobre 2002 : 532 Warsicka, n°2065/03, 16 janvier 2007 : 716 Warsiński, n°38007/02, 4 décembre 2007 : 398 Waltoś et Pawlicz, n°28309/06 et n°48102/06, 7 juillet 2009 : 530 Wasilewska et Kałucka, n°28975/04 et n°33406/04, 23 février 2010 : 815-823, 857 Wasilewski, n°32734/96, 21 décembre 2000 : 528, 532 Wasilewski, n°63905/00, 6 décembre 2005 : 394 Wawrzynowicz, n°73192/01, 17 juillet 2007 : 527 Weber et autres, n°23039/02, 27 avril 2010 : 750 Wedekind, n°26110/04, 23 octobre 2007 : 618 Wedler, n°44115/98, 16 janvier 2007 : 306, 618 Wegera, n°141/07, 19 janvier 2010 : 376, 625 Welke et Białek, n°15924/05, 1er mars 2011 : 729 Wende et Kukówska, n°56026/00, 10 mai 2007 : 228, 530 Wenerski, n°28300/06, 20 janvier 2009 : 393, 398, 763-764, 769 679 INDEX JURISPRUDENTIEL Wenerski (n°2), n°38719/09, 24 juillet 2012 : 764 Wereda, n°54727/08, 26 novembre 2013 : 329, 334 Werner, n°26760/95, 15 novembre 2001 : 718, 723 Wersel, n°30358/04, 13 septembre 2011 : 690, 693, 695 Wesołowska, n°17949/03, 4 mars 2008 : 180, 545, 544 Wesołowski, n°29687/96, 22 juin 2004 : 306, 606 Węgrzyn, n°29423/05, 28 janvier 2014 : 653 Węgrzynowski et Smolczewski, n°3846/07, 16 juillet 2013 : 470 Wiatrzyk, n°52074/99, 26 octobre 2004 : 543 Wieczorek, n°18176/05, 8 décembre 2009 : 690, 692 Wiensztal, n°43748/98, 30 mai 2006 : 604 Wiercigroch, n°14580/02, 5 décembre 2006 : 540 Wierciszewska, n°41431/98, 25 novembre 2003 : 527 Wierzba, n°20315/04, 13 novembre 2008 : 592 Wierzbicki, n°24541/94, 18 juin 2002 : 475 Wierzbicki (Andrzej), n°48/03, 19 janvier 2010 : 768 Wiktorko, n°14612/02, 31 mars 2009 : 802-804, 807 Wilczkowska et autres, n°28983/02, 8 janvier 2008 : 232, 239, 544 Wilczyński, n°35760/06, 18 mars 2008 : 540, 544 Wilczyński (Roman), n°35840/05, 17 juillet 2008 : 543 Wilkowicz, n°74168/01, 4 novembre 2008 : 661, 544 Wilusz, n°1363/02, 3 juillet 2007 : 543 Winerowicz, n°4382/10, 21 juin 2011 : 527 Wiśniewska, n°42401/08, 20 avril 2010 : 527 Wiśniewska (Barbara), n°9072/02, 29 novembre 2011 : 247 Witczak (radiation du rôle), n°47404/99, 6 août 2003 : 527 Witek, n°13453/07, 21 décembre 2010 : 337, 342, 345, 642, 639 Witkowska-Toboła (déc.), n°11208/02, 14 décembre 2007 : 115 Wizerkaniuk, n°18990/05, 5 juillet 2011 : 492, 497 Włoch, n°27785/95, 19 octobre 2000, Rec. 2000-XI : 306, 310 Włoch (n°2), n°33475/08, 10 mai 2011 : 366-367, 369, 600 Włodarczyk, n°16286/07, 11 octobre 2011 : 690, 693 Wojciechowski, n°5422/04, 9 décembre 2008 : 709, 712-714 Wojciechowski (Mirosław), n°18063/07, 20 décembre 2011 : 690, 693 Wojda, n°55233/00, 8 novembre 2005 : 530 Wojnowicz, n°38082/96, 21 septembre 2000 : 528 Wojtas-Kaleta, n°20436/02, 16 juillet 2009 : 494495 Wojtkiewicz, n°45211/99, 21 décembre 2004 : 543 Wojtunik, n°64212/10, 12 décembre 2006 : 530 680 Wolf, n°15667/03 et n°2929/04, 16 janvier 2007 : 543, 618 Wolkenberg et autres (déc.), n°50003/99, 14 décembre 2007, Rec. 2007-XIV : 113, 115 Wolnicka, n°18414/03, 10 mars 2009 : 527 Worwa, n°26624/95, 27 novembre 2003, Rec. 2003XI : 336 Wójcicka-Surówka, n°33017/03, 27 novembre 2007 : 544 Woś, n°22860/02, 8 juin 2006 : 119-128, 172 Woźniak, n°29940/06, 7 juillet 2009 : 625 Wójcik, n°26757/98, 23 mai 2000 : 527-528 Wrona, n°23119/05, 5 janvier 2010 : 130, 139, 157 Wrona, n°29345/09, 10 mars 2015 : 600, 604 Wroński, n°473/07, 23 juin 2009 : 527 Wróbel, n°46002/99, 20 juillet 2004 : 531 Wróblewska, n°22346/02, 28 novembre 2006 : 530 Wróblewski, n°52077/99, 1er décembre 2005 : 539 Wróblewski, n°76299/01, 5 décembre 2006 : 540 Wróblowski, n°11748/03, 4 mars 2008 : 604 Wylęgly, n°33334/96, 3 juin 2003 : 530 Wypukol-Piętka, n°3441/02, 20 octobre 2009 : 544 Wypukol-Piętka (révision), n°3441/02, 8 juin 2010 : 544 Wysocka et autres, n°23668/03, 13 janvier 2009 : 231, 239, 527, 544 Wysocka-Cysarz (règlement amiable), n°61888/00, 1er juillet 2003 : 527 Wyszczelski, n°72161/01, 29 novembre 2005 : 532 Z Z., n°46132/08, 13 novembre 2012 : 811 Z., n°34694/06, 20 avril 2010 : 931 Z. R. (règlement amiable), n°32499/96, 15 janvier 2002 : 301, 306 Zabłocki, n°10104/08, 31 mai 2011 : 130, 139 Zagawa, n°76396/01, 15 janvier 2008 : 690, 692 Zając, n°19817/04, 29 juillet 2008 : 527 Zakrzewska, n°49927/06, 16 décembre 2008 : 543 Zaluska, n°41701/70, 13 janvier 2009 : 543 Zambrzycki, n°10949/10, 20 décembre 2011 : 600, 625 Zaniewski, n°14464/03, 15 janvier 2008 : 690 Zapadka, n°2619/05, 15 décembre 2009 : 690, 693 Zarjewska, n°48114/99, 21 décembre 2004 : 530 Zarzycki, n°15351/03, 12 mars 2013 : 768 Zasłona, n°25301/02, 10 octobre 2006 : 618 Zaśkiewicz, n°46072/99 et n°46076/99, 30 novembre 2004 : 530 Zawadka, n°48542/99, 23 juin 2005 : 929, 933-934 Zawadzki, n°34158/96, 20 décembre 2001 : 532 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Zawadzki (Jan), n°648/01, 6 juillet 2010 : 690, 693 Zawisza, n°37293/09, 31 mai 2011 : 130, 139 Zborowski, n°13532/03, 31 octobre 2006 : 618 Zborowski (n°2), n°45133/06, 15 janvier 2008 : 398 Zborowski (n°3), n°39519/05, 22 avril 2008 : 398 Zdeb, n°72998/01, 5 décembre 2006 : 530 Zdziarski, n°14239/09, 25 janvier 2011 : 625 Zieliński, n°38497/02, 15 février 2005 : 539 Zieliński (Mirosław), n°3390/05, 20 septembre 2011 : 398, 779 Zielonka, n°49913/99, 8 novembre 2005 : 321 Zielonka, n°7313/02, 17 octobre 2006 : 530 Ziembiński, n°46712/06, 24 juillet 2012 : 484 Ziętal, n°64972/01, 12 mai 2009 : 544 Zięba, n°4959/04, 3 juin 2008 : 618 Zirajewski, n°32501/99, 9 juillet 2013 : 527, 625 Zjednoczone Browary Warszawskie Haberbusch i Schiele S.A. c. Pologne, n°35965/03, 14 décembre 2010 : 207, 213, 527, 544 Zmaliński, n°52039/99, 22 mars 2005 : 532 Zmaliński, n°44319/02, 20 février 2007 : 543 Zmaliński (déc.), n°40443/07, 29 septembre 2009 : 597 Zmarzlak, n°37522/02, 15 janvier 2008 : 373 Zoń, n°14357/03, 27 novembre 2007 : 540 Związek Nauczycielstwa Polskiego, n°42049/98, 21 septembre 2004, Rec. 2004-IX : 216-221, 264 Zwierz, n°39205/04, 6 novembre 2007 : 618 Zwierzyński, n°34049/96, 19 juin 2001, Rec. 2001VI : 227-229, 233-239, 266 Zwierzyński (satisfaction équitable), n°34049/96, 2 juillet 2002 : 229, 234 Zwierzyński (révision), n°34049/96, 6 mars 2007 : 235-236 Zwoźniak, n°25728/05, 13 novembre 2007 : 594 Zych, n°28730/02, 24 octobre 2006 : 618 Zygmunt, n°69128/01, 5 décembre 2006 : 543 Zynger, n°66096/01, 13 juillet 2004 : 88, 573 Zys-Kowalski et autres, n°70213/01, 28 septembre 2004 : 532 Ż Żąk, n°31999/03, 24 octobre 2006 : 618 Żebrowski, n°34736/06, 3 novembre 2011 : 165, 690, 693-694 Żelazko, n°9382/05, 4 mars 2008 : 530 Żuk, n°48286/11, 6 octobre 2015 : 681-682 Żurawski, n°8456/08, 24 novembre 2009 : 625 B. COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME A. B., n°23103/93, 26 février 1997 : 281 Baranowski (déc.), n°28358/95, 8 décembre 1997 : 317 C. J, J. J. et E. J. (déc.), n°23380/94, 16 janvier 1996 : 869 Ciepłuch, n°31488/96, 20 mai 1998 : 614 Gawęda, n°26229/95, 4 décembre 1998 : 491 Gibas, n°24559/94, 4 septembre 1996 : 65 Jastrzębski, n°25669/94, 19 mai 1998 : 744 Kuczyńska (déc.), n°25696/94, 10 septembre 1997 : 409 Mandugeqi et Jinge (déc.), n°35218/97, 19 septembre 1997 : 744 Mikulski, n°27914/95, 10 décembre 1999 : 564 Owczarak, n°27506/95, 9 septembre 1998 : 389 Pietrzyk (déc.), n°28346/95, 14 janvier 1998 : 564 Styranowski, n°28616/95, 3 décembre 1997 : 529 681 INDEX JURISPRUDENTIEL Syndicat Solidarność à l’usine de Fresco et à la coopérative de Zgoda, n° 25481/94 et n°26174/94, 6 avril 1995 : 223 II. ARRÊTS ET DÉCISIONS CONCERNANT D’AUTRES ÉTATS A. COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME A A., B. et C. c. Irlande [GC], n°25579/05, 16 décembre 2010, Rec. 2010-VI : 900 Ādamsons c. Lettonie, n°3669/03, 24 juin 2008 : 130, 969 Akman c. Turquie, n°37453/97, 26 juin 2001, Rec. 2001-VI : 167 Alecu et autres c. Roumanie, n°56838/08 (et 80 autres requêtes), 27 janvier 2015 : 969 Amuur c. France, n°19776/92, § 43, 25 juin 1996, Rec. 1996-III : 354, 356 Archidiocèse catholique d’Alba Iulia c. Roumanie, n°33003/03, 25 septembre 2012 : 969 Assadnizé c. Georgie [GC], n°71503/01, 8 avril 2004, Rec. 2004-II, §§ 202-203 : 358 Atanasiu (Maria) et autres c. Roumanie, n°30767/05 et n°33800/06, 12 octobre 2010 : 969 B Benham c. Royaume-Uni [GC], n°193980/92, 10 juin 1996, Rec. 1996-III : 336 Bouilly c. France, n°38952/97, 7 décembre 1999 : 571 Bukta et autres c. Hongrie, n°25691/04, 17 juillet 2007 : 456 C Campbell et Fell c. Royaume-Uni, n°7819/77 et n°7878/77, 28 juin 1984, Série A : 269 Cumpana et Mazare c. Roumanie [GC], n°33348/96, 17 décembre 2004, Rec. 2004-XI : 489 D De Carolis et France Télévision c. France, n°29313/10, 21 janvier 2016 : 450 Dickson c. Royaume-Uni [GC], n°44362/04, 4 dé- 682 cembre 2007, Rec. 2007-V : 921 Dudgeon c. Royaume-Uni, n°7525/76, 22 octobre 1981, Série A, n°59 : 859, 906 Dvořáček et Dvořáčkova c. Slovaquie, n°30754/04, 28 juillet 2009 : 969 E Eberhard et M. c. Slovénie, n°8673/05 et n° 9733/05, 1er décembre 2009 : 969 F Feldek c. Slovaquie, n°29032/95, 12 juillet 2001, Rec. 2001-VIII : 969 Finger c. Bulgarie, n°37346/05, 10 mai 2011 : 969 Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, n°12244/86, n°12245/86 et n° 12383/86, 30 août 1990, Série A n°182 : 270 Fuentes Bobo c. Espagne, n°39293/98, 29 février 2000 : 494 G Gazsó c. Hongrie, n°48322/12, 16 juillet 2015 : 989 Golder c. Royaume-Uni [GC], n°4451/70, 21 février 1975, Série A, n°18 : 53, 269 Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n°28957/95, 11 juillet 2002, Rec. 2002-VI : 882 Grămadă c. Roumanie, n°14974/09, 11 février 2014 : 969 H Hornsby c. Grèce, n°18357/91, 19 mars 1997, Rec. 1997-II : 535 Hurtado c. Suisse, n°17549/90, 28 janvier 1994, Série A n°280 : 749 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME I Irlande c. Royaume-Uni, n°5310/71, 18 janvier 1978, Série A, n°25 : 8 Ivanovski c. ex-République Yougoslave de Macédoine, n°29908/11, 21 janvier 2016 : 130, 969 J James et autres c. Royaume-Uni, requête n°8793/79, 21 février 1986, Série A n°98 : 649 Janowiec et autres c. Russie [GC], n°55508/07 et n°29520/09, 21 octobre 2013, Rec. 2013-V : 84 Jersild c. Danemark [GC], n°15890/89, 23 septembre 1994, Série A, n°298 : 450, 463 K K. A. et A. D. c. Belgique, n°42758/98 et n°45558/99, 17 février 2005 : 859 Kadubec c. Slovaquie, n°27061/95, n°27061/952 septembre 1998, Rec. 1998-IV : 570 Kamasinski c. Autriche, n°9783/82, 19 décembre 1989, Série A n°168 : 270, 570 Keenan c. Royaume-Uni, n°27229/95, § 91, Rec. 2001-III : 749 Kress c. France [GC], n°39594/98, 7 juin 2001, Rec. 2001-VI : 683 L L. C. B. c. Royaume-Uni, n°23413/94, 9 juin 1998, Rec. 1998-III : 749 Lautsi c. Italie, n°30814/06, 3 novembre 2009 : 875 Lautsi et autres c. Italie [GC], requête n°30814/06, 18 mars 2011, Rec. 2011-III : 875 Lawless c. Irlande, n°332/57, 1er juillet 1961, Série A, n°3 : 842 Laskey et autres c. Royaume-Uni, n°21627/93, n°21628/93 et n°21974/93, 19 février 1997, Rec. 1997I : 859 László Károly c. Hongrie (n°2), n°30211/05, 12 février 2013 : 969 Leyla Sahin c. Turquie [GC], n°44774/98, 10 novembre 2005, Rec. 2005-XI : 875 Loizidou c. Turquie, n°15318/89, 28 juillet 1998, Rec. 1998-IV : 971 Lukenda c. Slovénie, n°23032/02, 6 octobre 2005, Rec. 2005-X : 102, 602, 969 M Macready c. République tchèque, n°4824/06 et n°15512/08, 22 avril 2010 : 969 Mamatkulov et Askarov c. Turquie, n°46827/99 et n°46951/99, 4 février 2005, Rec. 2005-I : 971 Mamère c. France, n°12697/03, 7 novembre 2006, Rec. 2006-XIII : 463 Matko c. Slovénie, n°43393/98, 2 novembre 2006 : 969 Mellacher et autres c. Autriche, n°10522/83, n°11011/84 et n°11070/84, 19 décembre 1989, Série A n°169 : 424 Messina c. Italie (n°2), n°25498/94, 28 septembre 2000, Rec. 2000-X : 374 Mižigárová c. Slovaquie, n°74832/01, 14 décembre 2010 : 969 Mosley c. Royaume-Uni, n°48009/08, 10 mai 2011 : 450 Mutishev c. Bulgarie, n°18967/03, 3 décembre 2009 : 969 N Natchova c. Bulgarie, n°43577/98 et n°43579/98, 6 juillet 2005 : 969 Neshkov c. Bulgarie, n°36925/10 (et 5 autres requêtes), 27 janvier 2015 : 969 Nikolova c. Bulgarie [GC], n°31195/95, 25 mars 1999, Rec. 1999-II : 306 O O’Hara c. Royaume-Uni, n°37555/97, § 50, 16 octobre 2001, Rec. 2001-X) : 365 Observer et Guardian c. Royaume-Uni [GC], n°13585/88, 26 novembre 1991, Série A, n°216 : 450 Oliari et autres c. Italie, n°18766/11 et n°36030/11, 21 juillet 2015 : 882 Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, n°8139/09, 17 janvier 2012, Rec. 2012-I : 842 P Păduraru c. Roumanie, n°63252/00, 1er décembre 2005, Rec. 2005-XI : 87 Papamichlopoulos et autres c. Grèce, n°14556/89, 24 octobre 1993, A260-B : 228 Papamichalopoulos et autres c. Grèce (satisfaction équitable), n°14556/89, 31 octobre 1995, série A, n°330-B : 88 Parascineti c. Roumanie, n°32060/05, 13 mars 2012 : 969 Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, n°19392/92, 30 janvier 1998, Rec. 1998-1 : 683 INDEX JURISPRUDENTIEL 44 Pinc et Pincová c. République tchèque, n°36548/97, 5 novembre 2002, Rec. 2002-VIII : 969 Pizzetti c. Italie, n°12444/86, 26 février 1993, série A 257-C : 571 Polednová c. République tchèque (déc.), n°2615/10, 21 juin 2011 : 969 Prodan c. Moldavie, n°49806, 18 mai 2004, Rec. 2004-III : 256 Tahsin Acar c. Turquie [GC], n°26307/95, 6 mai 2003, Rec. 2003-VI : 167 Torreggiani et autres c. Italie, n°43517/09 (et 5 autres requêtes), 8 janvier 2013 : 780 Turek c. Slovaquie, n°57986/00, 14 février 2006, Rec. 2006-II : 130, 137, 140, 969 R U Radio France et autres c. France, n°53984/00, 30 mars 2004, Rec. 2004-II : 463 Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas c. Autriche, n°40825/98, 31 juillet 2008 : 741 S S. Z. c. Bulgarie, n°29263/12, 3 mars 2015 : 969 Saadi c. Italie, n°37201/06, 28 février 2008, Rec. 2008-II : 842 Šilih c. Slovénie, n°71463/01, 9 avril 2009 : 969 Simaldone c. Italie, n°22644/03, 31 mars 2009 : 577 Soering c. Royaume-Uni [GC], n°14038/88, 7 juillet 1989, Série A n°161 : 744 Springer (Axel) c. Allemagne, n°39954/08, 7 février 2012 : 470 Stambuk c. Allemagne, n°37928/97, 17 octobre 2002 : 504 Stanciu c. Roumanie, n°35972/05, 24 juillet 2012 : 969 Stanev c. Bulgarie [GC], n°36760/06, 17 janvier 2012, Rec. 2012-I : 969 Stankov et Organisation Macédonienne Unie Ilinden c. Bulgarie, n°29221/95 et n°29225/95, 2 octobre 2001, Rec. 2001-XI : 453 T Uj c. Hongrie, n°23954/10, 19 juillet 2011 : 969 V Varga et autres c. Hongrie, n°14097/12 (et 5 autres requêtes), 10 mars 2015 : 969 VgT Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse, n°24699/94, 28 juin 2001, Rec. 2001-VI : 13 Verein Gegen Tierfabriken Schweitz (VgT) c. Suisse (n°2) [GC], n°323772/02, 30 juin 2009, Rec. 2009-IV : 13 Vermeire c. Belgique, n°12849/87, 29 novembre 1991, Série A n°214C : 82 Vlad et autres c. Roumanie, n°40756/06, n°41508/07 et n°50806/07, 26 novembre 2013 : 969 Von Hannover c. Allemagne (n°2), n°40660/08 7, février 2012 : 470 Y Yordanova et Toshev c. Bulgarie, n°5126/05, 2 octobre 2012 : 969 B. COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Hamer c. Royaume-Uni (déc.), n°7114/75, 13 octobre 1977 : 921 684 BIBLIOGRAPHIE I. OUVRAGES 1. DICTIONNAIRES  ANDRIANTSIMBAZOVINA (J.) (dir.) (et al.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, Paris, PUF, Coll. « Quadridge », 2008, 1074 pages.  CORNU (G.), ASSOCIATION HENRI-CAPITANT, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. « Quadridge », 10e édition, 2014, 1360 pages.  COURTOIS (S.) 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OUVRAGES POLITIQUES, HISTORIQUES, ÉCONOMIQUES A) EN LANGUE FRANÇAISE  ADLER (A.), Le Communisme, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? », 2014, 127 pages.  ARENDT (H.), La Nature du totalitarisme, Paris, Payot, 2006, 172 pages.  ARENDT (H.), Les Origines du totalitarisme – Sur l’antisémitisme, tome 1, Paris, CalmannLévy, Coll. « Points Essais », 1973, 289 pages.  ARENDT (H.), Les Origines du totalitarisme – L’Impérialisme, tome 2, Paris, Fayard, Coll. « Points Essais », 1982, 348 pages.  ARENDT (H.), Les Origines du totalitarisme – Le Système totalitaire, tome 3, Paris, Seuil, Coll. « Points Essais », 1972, 313 pages.  ARON (R.), Démocratie et Totalitarisme, Paris, Gallimard Folio, 2007, 370 pages.  ARON (R.), Essai sur les libertés, Paris, Hachette, Coll. « Pluriel », 1998, 251 pages.  ARON (R.), Introduction à la philosophie politique – Démocratie et révolution, Paris, Le Livre de Poche, 1997, 253 pages.  BAFOIL (F.) 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B) EN LANGUE ANGLAISE  HAYDEN (J.), The Collapse of Communist Power in Poland, London/New York, Routledge, 2006, 178 pages.  HUNTINGTON (S. P.), The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century, Norman, University of Oklahoma Press, 1993, 366 pages.  ETKIND (A.), FINNIN (R.) (et al.), Remembering Katyn, Polity, Cambridge/Malden, 2012, 185 pages.  MYANT (M.), COX (T.) (dir.), Reinventing Poland – Economic and political transformation and evolving national identity, New-York, Routledge, 2008, 263 pages.  OCHMAN (E.), Post-communist Poland – Contested Pasts and future identities, Londres/New York, Routledge, 2013, 205 pages.  SHARMAN (J. C.), Repression and resistance in communist Europe, Londres/New York, Routledge, 2003, 173 pages.  TISMANEANU (V.), The Revolutions of 1989, London/New York, Routledge, 1999, 270 pages. C) EN LANGUE POLONAISE  GÓRSKI (G.), Polonia Restituta – Ustrój Państwa polskiego w XX wieku, Lublin, KUL, 2007, 248 pages.  GRABOWSKA (M.), SZAWIEL (T.), Budowanie democraji – Podziały społeczne, partie polityczne i społeczeństwo obywatelskie w postkommunistycznej Polsce, Varsovie, PWN, 2003, 386 pages. 3. OUVRAGES JURIDIQUES GÉNÉRAUX ET MANUELS A) EN LANGUE FRANÇAISE  AUBERT (J.L.), Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 11e édition, Sirey, Paris, 2006, 356 pages.  BERGÉ (J.-S.), ROBIN-OLIVIER (S.), Droit Européen, 2e édition, Paris, PUF, coll. « Thémis droit », 2011, 540 pages.  BLUMAN (C.), DUBOUIS (L.), Droit institutionnel de l’Union européenne, 5e édition, Paris, Lexis-Nexis, Coll. « Manuel », 2013, 863 pages. 689 BIBLIOGRAPHIE  FAVOREU (L.) (et al.), Droit constitutionnel, 15e édition, Paris, Dalloz, 2013, 1055 pages.  GICQUEL (J.), GICQUEL (J.-E.), Droit constitutionnel et institutions politiques, 25e édition, Paris, Montchrestien, 2011, 806 pages.  KELSEN (H.), Théorie pure du droit, Bruxelles/Paris, Bruylant/L.G.D.J., Coll. « La Pensée Juridique », 1999, 367 pages.  LEBRETON (G.), Libertés publiques et Droits de l’homme, 8e édition, Paris, Sirey, 2009, 569 pages.  LESCUYER (G.), Histoire des idées politiques, 14e édition, Paris, Dalloz, Coll. « Précis », 2001, 677 pages.  LEGEAIS (R.), Grands systèmes de droit contemporains – Approche comparative, 2e édition, Paris, Litec, 2008, 493 pages.  MEKHANTAR (J.), Droit politique et constitutionnel, Paris, Eska, 1997, 731 pages.  PECES-BARBA MARTÍNEZ (G.), Théorie générale des droits fondamentaux, Paris, L.G.D.J, Coll. « Droit et Société », 2004, 497 pages.  TURPIN (D.), Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2007, 846 pages.  TURPIN (D.), Libertés publiques et Droits fondamentaux, Paris, Seuil, 2004, 622 pages. B) EN LANGUE ANGLAISE  FRANKOWSKI (S.) (dir.), Introduction to Polish Law, La Haye, Kluwer Law International, 2005, 421 pages. C) EN LANGUE POLONAISE  BUCZKOWSKI (J.), BUCZKOWSKI (Ł.), ECKHARDT (K.) (dir.), Prawo konstytucyjne RP (Instytucje wybrane), Przemyśl-Rzeszów, Wyższa Szkoła Prawa i Administracji w Przemyślu, 2011, 478 pages.  GORECKI (D.) (dir.), Polskie prawo konstytucyjne, 4e edition, Warszawa, Wolters Kluwer, 2012, 317 pages. 4. OUVRAGES JURIDIQUES SPÉCIALISÉS, THÈSES, MÉLANGES A) EN LANGUE FRANÇAISE  BAUDOIN (M.-E.), Justice constitutionnelle et État post-soviétique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires de la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand – LGDJ, 2005, 556 pages.  BERGER (V.), Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, 13e édition, Paris, Sirey, 2014, 953 pages.  BESSON (S.) (dir.), La Cour européenne des droits de l’homme après le Protocole 14 – 690 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Premier bilan et perspectives, Genève-Zurich-Bâle, Schulthess, 2011, 233 pages.  CARPANO (E.), Le revirement de jurisprudence en droit européen, Bruxelles, Bruylant, 2012, 427 pages.  CHAUVIN (P.), WYRZYKOWSKI (M.) (dir.), Contrôle de l'administration en France et en Pologne (actes du colloque des 4 et 5 mai 1998), Varsovie, Biblioteka Studia Iuridica, 1999, 235 pages.  DELMAS-MARTY (M.) (dir.), The European Convention for the Protection of Human Rights – International Protection versus National Restrictions, Dordrecht-Boston-Londres, Martinus Nijhoff Publishers, 1992, 346 pages.  Droit, institutions et systèmes poliques – Mélanges en hommage à Maurice Duverger, Paris, PUF, 1987, 799 pages.  DU BOIS DE GAUDUSSON (J.) (et al.) 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C) EN LANGUE POLONAISE  CZEPEK (J.), « Naruszenie obowiązków proceduralnych w sferze prawa do źycia na podstawie spraw przeciwko Polsce », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°3, 2012, pp. 5-14.  CZEPEK (J.), « Prawo do słusznego procesu w sprawach polskich – wybrane aspekty », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°1, 2010, pp. 43-57.  GARLACZ (B.), « Niemiecki roszczenia odszkodowawczo-windykacyjne z tytułu majątków pozostawionych w Polsce w świetle kompetencji ratione materiae Europejskiego Trybunału Praw Człowieka », Studia Europejskie, n°4, 2005, pp. 121-146.  GRANAT (M.), « Konstytucja RP na tle rozwoju i osiągnięć konstytucjonalizmu polskiego », Przegląd Sejmowy, n°81(4), 2007, pp. 11-32.  JAROSZ-ŻUKOWSKA (S.), « Właściwość Europejskiego Trybunału Praw Człowieka w sprawach dawnych aktów nacjonalizacyjnych i wywłaszczeniowych oraz nowego ustawodawstwa restytucjnego – sprawy polskie », Studia Erasmiana Wratislaviensia – Wrocławskie Studia Erazmiańske (« Właśność – Idea, instytucje, ochrona », Partie III), 700 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 2009, pp. 194-219.  JASUDOWICZ (T.), « Prawo do poszanowania prywatności osób pozbawionych wolności w Polsce w świetle orzecznictwa strasburskiego », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°3, 2012, pp. 35-53.  LEWANDOWSKI (M.), « Realizacja art. 3 Europejskiej Konwencji Praw Człowieka w Europie Środkowo-Wschodniej. Przegląd orzecznictwa strasburskiego », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°2, 2011, pp. 89-106.  MALEC (J.), « Problem stosunku Polski do Litwy w dobie Sejmu Wielkiego (1788-1791) », Czasopismo Prawno-Historyczne, tome 34, 1982, pp. 31-51.  MIZERSKI (R.), « Wolność ekspresji w orzecznictwie Europejskiego Trybunału Praw Człowieka w sprawach przeciwko Polsce », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°3, 2012, pp. 71-108.  NAPIÓRKOWSKA (A.), « Lustracja ,,po polsku’’ », Polski Rocznik Praw Człowieka I Prawa Humanitarnego, n°2, 2011, pp. 147-157.  SZKLANNA (A.), « Skutki naruszenia prawa do poszanowania życia rodzinnego w sprawach dotyczących kontaktów między rodzicami a dziećmi: omówienie na przykładzie orzeczeń ETPCz przeciwko Polsce », Biuletyn – Wybór orzecznictwa Europejskiego Trybunału Praw Człowieka w sprawach polski, Tome II, n°2, 2009, pp. 5-21. 2. CONTRIBUTIONS AUX OUVRAGES COLLECTIFS A) EN LANGUE FRANÇAISE  LEWASZKIEWICZ-PETRYKOWSKA (B.), « Le Principe du Respect de la dignité de la personne humaine », in Actes du séminaire UniDem organisé à Montpellier du 2 au 6 juillet 1998, Editions du Conseil de l’Europe, pp. 15-25.  DRZEMCZEWSKI (A.), NOWICKI (M. A.), « Les effets de la CEDH en Pologne : un bilan quatre ans après », in MAHONEY (P.) (dir.), Protection des Droits de l’Homme : La perspective européenne, Mélanges à la mémoire de Rolv Ryssdal, Carl Heymann Verlag, KölnBerlin-Bonn-Munich (Allemagne), 2000, pp. 415-445.  GARLICKI (L.), « L’application de l’article 1er du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’Europe centrale et orientale : problèmes de transition », in VANDENBERGHE (H.) 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B) EN LANGUE ANGLAISE  BODNAR (A.), « Shaping the Freedom of Assembly: Counter-Productive Effects of the Polish Road towards Illiberal Democracy », in SAJÓ (A.), Free to protest: constituent power and street demonstration, Pays-Bas, Eleven International Publishing, 2009, pp. 165-187.  BODNAR (A.), « Poland – EU driven democracy? », in MORLINO (L.), SADURSKI (W.) (dir.), Democratization and the European Union: comparing central and eastern European postcommunist countries, Routledge, Abingdon (Royaume-Uni), 2010, pages 19-44.  BODNAR (A.), « Res Interpretata: Legal effect of the European Court of Human Right’s judgments for other States than those which were party to the proceedings », in HAECK (Y.), BREMS (E.), Human Rights and Civil Liberties in the 21st century, Berlin, Springer, 2014, pp. 223-262.  KORZEC (P.), « Poland », in HAMMER (L.), EMMERT (F.) 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(dir.), Rada Europy – 60 lat na rzecz jedności europejskiej, Bielsko-Biała, Wyższa Szkoła Administracji, 2009, pages 129-135.  SZCZĘCH (N.), « Konsekwencje prawne objęcia Rzeczypospolitej Polskiej kognicją Europejskiego Trybunału Praw Człowiecka », in JASKIERNIA Jerzy (dir.), Rady Europy a przemiany demokratyczne w Państwach Europy środkowej i wschodniej w latach 19892009, Toruń, Wydawnictwo Adam Marszałek, 2010, pp. 197-213. III. SOURCES INSTITUTIONNELLES 1. RÉPUBLIQUE DE POLOGNE A) LOIS CONSTITUTIONNELLES  Konstytucja Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej uchwalona przez Sejm Ustawodawczy w dniu 22 lipca 1952 r. [Constitution de la République Populaire de Pologne adoptée par la Diète législative le 22 juillet 1952], Dz. U., 1952, n°33, texte 232, pp. 344-371.  Ustawa z dnia 7 kwietnia 1989 r. o zmianie Konstytucji Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej [Loi du 7 avril 1989 portant modification de la Constitution de la République populaire de Pologne], Dz. U., 1989, n°19, texte 101, pp. 317-321.  Ustawa z dnia 29 grudnia 1989 r. o zmianie Konstytucji Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej [Loi du 29 décembre 1989 portant modification de la Constitution de la République Populaire de Pologne], Dz. U., 1989, n°75, texte 444, pp. 1147-1148.  Ustawa Konstytucyjna z dnia 17 października 1992 r. o wzajemnych stosunkach między władzą ustawodawczą i wykonawczą Rzeczypospolitej Polskiej oraz o samorządzie terytorialnym [Loi constitutionnelle du 17 octobre 1992 sur les rapports mutuels entre les pouvoirs 703 BIBLIOGRAPHIE législatif et exécutif de la Répulique de Pologne ainsi que sur l’administration locale], Dz. U., 1992, n°84, texte 426, pp. 1477-1483.  Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 2 kwietnia 1997 r. uchwalona przez Zgromadzenie Narodowe w dniu 2 kwietnia 1997 r., przyjęta przez Naród w referendum konstytucyjnym w dniu 25 maja 1997 r., podpisana przez Prezydenta Rzeczypospolitej Polskiej w dniu 16 lipca 1997 r. [Constitution de la République polonaise du 2 avril 1997 adoptée par l’Assemblée nationale le 2 avril 1997, approuvée par la Nation par le référendum du 25 mai 1997, promulguée par le Président de la République polonaise le 16 juillet 1997], Dz. U., 1997, n°78, texte. 483, pp. 2413-2470.  Ustawa z dnia 8 września 2006 r. o zmianie Konstytucji Rzeczypospolitej Polskiej [Loi du 8 septembre 2006 portant modification de la Constitution de la République de Pologne], Dz. U., 2006, n°200, texte 1471.  Ustawa z dnia 7 maja 2009 r. o zmianie Konstytucji Rzeczypospolitej Polskiej [Loi du 7 mai 2009 portant modification de la Constitution de la République de Pologne], Dz. U., 2009, n°114, texte 946, p. 8674. B) LOIS ORDINAIRES  Ustawa z dnia 3 stycznia 1946 r. o przejęciu na własność Państwa podstawowych gałęzi gospodarki narodowej [Loi du 3 janvier 1946 l’appropriation par l’État des branches principales de l’économie nationale], Dz. U., 1946, n°3, texte 17, pp. 21-24.  Ustawa z dnia 20 marca 1950 r. o terenowych organach jednolitej władzy państwowej [Loi du 20 mars 1950 sur les organes territoriaux des autorités étatiques], Dz. U., 1950, n°14, texte 130, pp. 172-175.  Ustawa z dnia 27 kwietnia 1956 r. o warunkach dopuszczalności przerywania ciąży [Loi du 27 avril 1956 sur les conditions d’interruption de grossesse], Dz. U., 1956, n°12, texte 61, p. 71. Ce texte a été abrogé le 14 mars 1993.  Ustawa z dnia 25 lutego 1958 r. o uregulowaniu stanu prawnego mienia pozostającego pod zarządem państwowym [Loi du 25 février 1958 sur la régulation du statut légal des biens administrés par l’État], Dz. U., 1958, n°11, texte 37, pp. 145-147.  Ustawa z dnia 12 marca 1958 r. o zasadach i trybie wywłaszczania nieruchomości [Loi du 12 mars 1958 sur les principes et procédures d’expropriation], Dz. U., 1958, n°17, texte 70, pp. 293-299.  Ustawa z dnia 14 czerwca 1960 r. Kodeks postępowania administracyjnego [Loi du 14 juin 1960 – Code de procédure administrative], Dz. U., 1960, n°30, texte 168, pp. 293-307.  Ustawa z dnia 1 grudnia 1961 r. o izbach morskich [Loi du 1er décembre 1961 sur les chambres maritimes], Dz. U., 1961, n°58, texte 320, pp. 714-719.  Ustawa z 15 lutego 1962 r. o ochronie dóbr kultury [Loi du 15 février 1962 sur la protection des biens culturels], Dz. U., 1962, n°10, texte 48, pp. 54-60.  Ustawa z dnia 29 marca 1963 r. o cudzoziemcach [Loi du 29 mars 1963 sur les étrangers], 704 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Dz. U., 1963, n°15, texte 77, pp. 169-171.  Ustawa z dnia 25 lutego 1964 r. - Kodeks rodzinny i opiekuńczy [Loi du 25 février 1964 – Code de la famille et des tutelles], Dz. U., 1964, n°9, texte 59, pp. 77-88.  Ustawa z dnia 23 kwietnia 1964 – Kodeks cywilny [Loi du 23 avril 1964 – Code civil], Dz. U., 1964, n°16, texte 93, pp. 129-187.  Ustawa z dnia 17 listopada 1964 r. - Kodeks postępowania cywilnego [Loi du 17 novembre 1964 – Code de procédure civile], Dz. U., 1964, n°43, texte 296, pp. 425-491.  Ustawa z dnia 13 czerwca 1967 r. o kosztach sądowych w sprawach cywilnych [Loi du 13 juin 1967 sur les frais de justice dans les affaires civiles], Dz. U., 1967, n°24, texte 110, pp. 175-178.  Ustawa z dnia 19 kwietnia 1969 r. Kodeks karny [Loi du 19 avril 1969 – Code pénal], Dz. U., 1969, n°13, texte 94, pp. 125-148.  Ustawa z dnia 19 kwietnia 1969 r. Kodeks postępowania karnego [Loi du 19 avril 1969 – Code de procédure pénale], Dz. U., 1969, n°13, texte 96, pp. 150-186.  Ustawa z dnia 19 kwietnia 1969 r. Kodeks karny wykonawczy [Loi du 19 avril 1969 – Code d’exécution des peines], Dz. U., n°13, texte 98, pp. 187-203.  Ustawa z dnia 10 kwietnia 1974 r. Prawo lokalowe [Loi du 10 avril 1974 – Droit de la location], Dz. U., 1974, n°14, texte 84, pp. 138-146.  Ustawa z dnia 26 czerwca 1974 r. Kodeks pracy [Loi du 26 juin 1974 – Code du travail], Dz. U., 1974, n°24, texte 141, pp. 257-285.  Ustawa z dnia 31 stycznia 1980 r. o Naczelnym Sądzie Administracyjnym oraz o zmianie ustawy - Kodeks postępowania administracyjnego [Loi du 31 janvier 1980 sur la Cour administrative suprême et portant modification de la loi sur le Code de procédure administrative], Dz. U., n°4, texte 8, pp. 25-46.  Ustawa z dnia 26 października 1982 r. o postępowaniu w sprawach nieletnich [Loi du 26 octobre 1982 sur la procédure dans les affaires de mineurs], Dz. U., 1982, n°35, texte 228, pp. 613-623.  Ustawa z dnia 26 paźdniernika 1982 r. o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi [Loi du 26 octobre 1982 sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme], Dz. U., 1982, n°35, texte 230, pp. 625-630.  Ustawa z dnia 14 grudnia 1982 r. o ochronie tajemnicy państwowej i służbowej [Loi du 14 décembre 1982 relative à la protection des secrets d’État], Dz. U., 1982, n°40, texte 271, pp. 724-727.  Ustawa z dnia 26 stycznia 1984 r. Prawo prasowe [Loi du 26 janvier 1984 – Droit de la presse], Dz. U., n°5, texte 24, pp. 45-52.  Ustawa z dnia 6 kwietnia 1984 r. o fundacjach [Loi du 6 avril 1984 sur les fondations], Dz. U., 1984, n°21, texte 97, pp. 253-255.  Ustawa z dnia 12 lipca 1984 r. o planowaniu przestrzennym [Loi du 12 juillet 1984 sur 705 BIBLIOGRAPHIE l’aménagement du territoire], Dz. U., 1984, n°35, texte 185, pp. 457-463.  Ustawa z dnia 29 kwietnia 1985 r. o gospodarce gruntami i wywłaszczaniu nieruchomości [Loi du 29 avril 1985 sur la gestion foncière et l’expropriation], Dz. U., 1985, n°22, texte 99, pp. 249-260.  Ustawa z dnia 20 czerwca 1985 r. o Prokuraturze Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej [Loi du 20 juin 1985 sur le Procureur de la République Populaire de Pologne], Dz. U., 1985, n°31, texte 138, pp. 364-375.  Ustawa z dnia 29 września 1986 r. - Prawo o aktach stanu cywilnego [Loi du 29 septembre 1986 sur les actes d’état civil], Dz. U., 1986, n°36, texte 180, pp. 517-524.  Ustawa z dnia 15 lipca 1987 r. o Rzeczniku Praw Obywatelskich [Loi du 15 juillet 1987 – Défenseur des droits civiques], Dz. U., 1987, n°21, texte 123, pp. 221-223.  Ustawa z dnia 17 maja 1989 r. o stosunku Państwa do Kościoła Katolickiego w Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej [Loi du 17 mai 1989 sur les relations entre l’État et l’Église catholique dans la République Populaire de Pologne], Dz. U., 1989, n°29, texte 154, pp. 457-470.  Ustawa z dnia 17 maja 1989 r. o izbach lekarskich [Loi du 17 mai 1989 sur les chambres médicales], Dz. U., 1989, n°30, texte 158, pp. 481-488 ; loi abrogée le 1er janvier 2010.  Ustawa z dnia 22 marca 1990 r. o zmianie ustawy o Prokuraturze Polskiej Rzeczypospolitej Ludowej, Kodeksu postępowania w sprawach o wykroczenie oraz ustawy o Sądzie Najwyższym [Loi du 22 mars 1990 portant modification de la loi relative au Procureur de la République Populaire de Pologne, du Code de Procédure Pénale et de la loi relative à la Cour suprême], Dz. U., 1990, n°20, texte 121, pp. 261-271.  Ustawa z dnia 6 kwietnia 1990 r. o Policji [Loi du 6 avril 1990 sur la Police], Dz. U., 1990, n°30, texte 179, pp. 385-400.  Ustawa z dnia 10 maja 1990 r. Przepisy wprowadzające ustawę o samorządzie terytorialnym i ustawę o pracownikach samorządowych [Loi du 10 mai 1990 sur les modalités d'application de la loi sur l'autonomie locale et la loi sur les employés des collectivités locales], Dz. U., 1990, n°32, texte 191, pp. 426-430.  Ustawa z dnia 5 lipca 1990 r. Prawo o zgromadzeniach [Loi du 5 juillet 1990 sur les rassemblements] Dz. U., n°51, texte 297, pp. 693-695. Cette loi a été abrogée le 14 octobre 2015.  Ustawa z dnia 25 października 1990 r. o zwrocie majątku utraconego przez związki zawodowe i organizacje społeczne w wyniku wprowadzenia stanu wojennego [Loi du 25 octobre 1990 sur la restitution aux syndicats et organisations des citoyens de leurs biens saisis à la suite de l’instauration de l’état martial], Dz. U., 1991, n°4, texte n°17, pp. 25-26.  Ustawa z dnia 20 grudnia 1990 r. o ubezpieczeniu społecznym rolników [Loi du 20 décembre 1990 sur l’assurance sociale des agriculteurs], Dz. U., 1990, n°7, texte 24, pp. 65-79.  Ustawa z dnia 23 lutego 1991 r. o uznaniu za nieważne orzeczeń wydanych wobec osób represjonowanych za działalność na rzecz niepodległego bytu Państwa Polskiego [Loi du 23 février 1991 sur l’annulation des arrêts rendus contre les personnes persécutées pour leurs 706 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME activités en faveur de l’indépendance de l’État polonais], Dz. U., 1991, n°34, texte 149, pp. 473-475.  Ustawa z dnia 29 grudnia 1992 r. o radiofonii i telewizji [Loi du 29 décembre 1992 sur la radiophonie et la télévision], Dz. U., 1993, n°7, texte 34, pp. 62-72.  Ustawa z dnia 7 stycznia 1993 r. o planowaniu rodziny, ochronie płodu ludzkiego i warunkach dopuszczalności przerywania ciąży [Loi du 7 janvier 1993 sur le planning familial, la protection du fœtus humain et les conditions légales d’avortement], Dz. U., 1993, n°17, texe 78, pp. 429-431.  Ustawa z dnia 20 lutego 1993 r. zmieniająca ustawę o uznaniu za nieważne orzeczeń wydanych wobec osób represjonowanych za działalność na rzecz niepodległego bytu Państwa Polskiego [Loi du 20 février 1993 modifiant la loi sur l’annulation des arrêts rendus contre les personnes persécutées pour leurs activités en faveur de l’indépendance de l’État polonais], Dz. U., 1993, n°36, texte 159.  Ustawa z dnia 28 maja 1993 r. Ordynacja wyborcza do Sejmu Rzeczypospolitej Polskiej [Loi du 28 mai 1993 – Ordonnance électorale de la Diète de la République de Pologne], Dz. U., 1993, n°45, texte 205, pp. 841-863.  Ustawa z dnia 2 lipca 1994 r. o najmie lokali mieszkalnych i dodatkach mieszkaniowych [Loi du 2 juillet 1994 sur la location de logements habitables et les allocations de logement], Dz. U., 1994, n°105, texte 509, pp. 1909-1916. Cette loi a été abrogée le 10 juillet 2001.  Ustawa z dnia 7 lipca 1994 r. - Prawo budowlane [Loi du 7 juillet 1994 – Droit de la construction], Dz. U., n°89, texte n°414, pp. 1673-1690.  Ustawa z dnia 7 lipca 1994 r. o zagospodarowaniu przestrzennym [Loi du 7 juillet 1994 sur le développement du territoire], Dz. U., 1994, n°89, texte 415, pp. 1690-1700.  Ustawa z dnia 19 sierpnia 1994 r. o ochronie zdrowia psychicznego [Loi du 19 août 1994 sur la protection de la santé mentale], Dz. U., 1994, n°111, texte 535, pp. 1989-1995.  Ustawa z dnia 5 stycznia 1995 r. o zmianie ustawy o cudzoziemcach [Loi du 5 janvier 1995 modifiant la loi sur les étrangers], Dz. U., n°23, texte 120, pp. 409-410.  Ustawa z dnia 3 lutego 1995 r. o zmianie ustawy o uznaniu za nieważne orzeczeń wydanych wobec osób represjonowanych za działalność na rzecz niepodległego bytu Państwa Polskiego [Loi du 3 février 1995 modifiant la loi sur l’annulation des arrêts rendus contre les personnes persécutées pour leurs activités en faveur de l’indépendance de l’État polonais], Dz. U., 1995, n°28, texte 143.  Ustawa z dnia 11 maja 1995 r. o Naczelnym Sądzie Administracyjnym [Loi du 11 mai 1995 sur la Cour administrative suprême], Dz. U., 1995, n°74, texte 368, pp. 2045-2051.  Ustawa z dnia 29 czerwca 1995 r. o zmianie Kodeksu postępowania karnego, ustawy o ustroju sądów wojskowych, ustawy o opłatach w sprawach karnych i ustawy o postępowaniu w sprawach nieletnich [Loi du 29 juin 1995 portant modification du Code de procédure pénale, de la loi sur les tribunaux militaires, de la loi sur les accusations de la justice pénale et de la loi sur la justice des mineurs], Dz. U., 1995, n°89, texte 443, pp. 2225-2235. 707 BIBLIOGRAPHIE  Ustawa z dnia 30 sierpnia 1996 r. o zmianie ustawy o planowaniu rodziny, ochronie płodu ludzkiego i warunkach dopuszczalności przerywania ciąży oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 30 août 1996 modifiant la loi sur le planning familial, la protection du foetus humain et les conditions légales d’avortement], Dz. U., 1996, n°139, texte 146, pp. 28852888.  Ustawa z dnia 5 grudnia 1996 r. o zawodzie lekarza [Loi du 5 décembre 1996 sur les professions médicales], Dz. U., 1997, n°28, texte 152, pp. 1097-1107.  Ustawa z dnia 11 kwietnia 1997 r. o ujawnieniu pracy lub służby w organach bezpieczeństwa państwa lub współpracy z nimi w latach 1944-1990 osób pełniących funkcje publiczne [La loi du 11 avril 1997 sur la divulgation par les personnes exerçant des fonctions publiques du fait qu’elles ont été employées par les services de sécurité de l’État, ont travaillé pour eux ou ont collaboré avec eux entre 1944 et 1990], Dz. U., 1997, n°70, texte 443, pp. 2189-2196.  Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. - Kodeks karny [Loi du 6 juin 1997 – Code pénal], Dz. U., 1997, n°88, texte 553, pp. 2677-2716.  Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. - Kodeks postępowania karnego [Loi du 6 juin 1997 – Code de procédure pénale], Dz. U., 1997, n°89, texte 555, pp. 2725-2794.  Ustawa z dnia 6 czerwca 1997 r. - Kodeks karny wykonawczy [Loi du 6 juin 1997 – Code d’exécution des peines], Dz. U., 1997, n°90, texte 557, pp. 2797-2828.  Ustawa z dnia 20 czerwca 1997 r. - Prawo o ruchu drogowym [Loi du 20 juin 1997 sur la circulation routière], Dz. U., 1997, n°98, texte 602, pp. 3085-3124.  Ustawa z dnia 21 sierpnia 1997 r. o gospodarce nieruchomościami [Loi 21 août 1997 sur l’administration foncière], Dz. U., 1997, n°115, texte 741, pp. 3545-3584.  Ustawa z dnia 29 sierpnia 1997 r. o strażach gminnych [Loi du 29 août 1997 sur les gardes municipales], Dz. U., n°123, texte 179, pp. 3759-3763.  Ustawa z dnia 16 lipca 1998 r. - Ordynacja wyborcza do rad gmin, rad powiatów i sejmików województw [Loi du 16 juillet 1998 – Règles des élections des conseils municipaux, conseils de district et assemblées régionales], Dz. U., 1998, n°95, texte 602, pp. 3401-3428.  Ustawa z dnia 17 grudnia 1998 r. o emeryturach i rentach z Funduszu Ubezpieczeń Społecznych [Loi du 17 décembre 1998 sur les retraites et pensions de la Caisse de sécurité sociale], Dz. U., 1998, n°162, texte 1118, pp. 6581-6635.  Ustawa z dnia 18 grudnia 1998 r. o Instytucie Pamięci Narodowej - Komisji Ścigania Zbrodni przeciwko Narodowi Polskiemu [Loi du 18 décembre 1998 relative à l’Institut de la Mémoire Nationale – Commission pour la poursuite des crimes contre la Nation polonaise], Dz. U., 1998, n°155, texte 1016.  Ustawa z dnia 7 stycznia 2000 r. o zmianie ustawy o gospodarce nieruchomościami oraz innych ustaw [Loi du 7 janvier 2000 modifiant la loi sur l’administration foncière ainsi que d’autres lois], Dz. U., 2000, n°6, texte 70, pp. 228-238.  Ustawa z dnia 22 stycznia 1999 r. o ochronie informacji niejawnych [Loi du 22 janvier 1999 708 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME sur la protection des informations non publiques], Dz. U., 1999, n°11, texte 95, pp. 381-423.  Ustawa z dnia 24 maja 2000 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania cywilnego, ustawy o zastawie rejestrowym i rejestrze zastawów, ustawy o kosztach sądowych w sprawach cywilnych oraz ustawy o komornikach sądowych i egzekucji [Loi du 24 mai 2000 portant modification du Code de procédure civile, de la loi sur les garanties enregistrées et l’enregistrement des garanties, de loi sur les frais de justice en matière civile ainsi que de la loi sur les huissiers de justice et l’exécution], Dz. U., 2000, n°48, texte 554, pp. 2949-2960.  Ustawa z dnia 20 lipca 2000 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego, ustawy Przepisy wprowadzające Kodeks postępowania karnego oraz ustawy - Kodeks karny skarbowy [Loi du 20 juillet 2000 de modification du Code de procédure pénale, du règlement d’introduction au Code de procédure pénale, du Code pénal fiscal], Dz. U., 2000, n°62, texte 717, pp. 3798-3801.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 26 października 2000 r. w sprawie zasad i trybu postępowania właściwych organów w wypadku, gdy liczba osadzonych w zakładach karnych lub aresztach śledczych przekroczy w skali kraju ogólną pojemność tych zakładów [Règlement du ministre de la Justice du 26 octobre 2000 sur les principe et procédures à suivre par les autorités compétentes lorsque le nombre de personnes détenues en prison et en centre de détention provisoire excède à l’échelle nationale les capacités de ces établissements], Dz. U., 2000, n°97, texte 1060, pp. 5562-5563.  Ustawa z dnia 27 kwietnia 2001 r. o zmianie ustawy o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi, ustawy o radiofonii i telewizji oraz ustawy o opłacie skarbowej [Loi du 27 avril 2001 portant modification de la loi sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme, de la loi sur la radio et la télévision ainsi que de la loi sur le droit de timbre], Dz. U., n°60, texte 610, pp. 4201-4208.  Ustawa z dnia 21 czerwca 2001 r. o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego [Loi du 21 juin 2001 sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières communales et portant modification du Code civil], Dz. U., 2001, n°71, texte 733, pp. 5318-5326.  Ustawa z dnia 27 lipca 2001 r. Prawo o ustroju sądów powszechnych [Loi du 27 juillet 2001 – Droit et organisation des juridictions de droit commun], Dz. U., 2001, n°98, texte 1070, pp. 7221-7267.  Ustawa z dnia 6 września 2001 r. o zmianie ustawy - Prawo o ruchu drogowym [Loi du 6 septembre 2001 modifiant la loi sur la circulation routière], Dz. U., 2001, n°129, texte 144, pp. 1118-1145.  Ustawa z dnia 25 lipca 2002 r. Prawo o ustroju sądów administracyjnych [Loi du 25 juillet 2002 – Droit et régime des cours administratives], Dz. U., 2002, n°153, texte 1269, pp. 9865-9871.  Ustawa z dnia 26 lipca 2002 r. o zmianie ustawy - Ordynacja wyborcza do rad gmin, rad powiatów i sejmików województw oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 26 juillet 2002 modifiant les règles des élections des conseils municipaux, conseils de district et as709 BIBLIOGRAPHIE semblées régionales], Dz. U., 2002, n°127, texte 1089, pp. 8165-8182.  Ustawa z dnia 30 sierpnia 2002 r. Prawo o postępowaniu przed sądami administracyjnymi [Loi du 30 août 2002 – Droit des procédures devant les cours administratives], Dz. U., 2002, n°153, texte 1270, pp. 9871-9897.  Ustawa z dnia 10 stycznia 2003 r. o zmianie ustawy - kodeks postępowania karnego, ustawy - Przepisy wprowadzające Kodeks postępowania karnego, ustawy o świadku koronnym oraz ustawy o ochronie informacji niejawnych [Loi du 10 janvier 2003 modifiant le Code de procédure pénale, les règles d’introduction du Code de procédure pénale, la loi sur les témoins et la loi sur la protection des informations classées], Dz. U., 2003, n°17, texte 155, pp. 12051232.  Ustawa z dnia 28 lutego 2003 r. Prawo upadłościowe i naprawcze [Loi du 28 février 2003 – Droit des faillites et de la réparation], Dz. U., 2003, n°60, texte 535, pp. 3895-3954.  Ustawa z dnia 27 marca 2003 r. o planowaniu i zagospodarowaniu przestrzennym [Loi du 27 mars 2003 sur la planification et le développement territorial], Dz. U., 2003, n°80, texte 717, pp. 5226-5245.  Ustawa z dnia 13 kwietnia 2003 r. o kształtowaniu ustroju rolnego [Loi du 13 avril 2003 de réforme du système agricole], Dz. U., 2003, n°64, texte 592, pp. 4189-4196.  Ustawa z dnia 13 czerwca 2003 r. o udzielaniu cudzoziemcom ochrony na terytorium Rzeczypospolitej Polskiej [Loi du 13 juin 2003 sur la protection accordée aux étrangers sur le territoire de la République polonaise], Dz. U., 2003, n°128, texte 1176, pp. 8567-8592.  Ustawa z dnia 23 lipca 2003 r. o ochronie zabytków i opiece nad zabytkami [Loi du 23 juillet 2003 sur la protection des monuments et la conservation des monuments], Dz. U., 2003, n°162, texte 1568, pp. 11145-11171.  Ustawa z dnia 24 lipca 2003 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny wykonawczy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 24 juillet 2003 modifiant le Code d’exécution des peines ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2003, n°142, texte 1380, pp. 9553-9585.  Ustawa z dnia 12 grudnia 2003 r. o zaliczaniu na poczet ceny sprzedaży albo opłat z tytułu użytkowania wieczystego nieruchomości Skarbu Państwa wartości nieruchomości pozostawionych poza obecnymi granicami Państwa polskiego [Loi du 12 décembre 2003 sur la compensation de la valeur des biens abandonnés au-delà des frontières actuelles de l’État polonais par le prix d’achat ou le droit d’usage perpétuel des biens de l’État], Dz. U., 2004, n°6, texte 39, pp. 202-205.  Ustawa z dnia 2 kwietnia 2004 r. o zmianie ustawy o ubezpieczeniu społecznym rolników oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 2 avril 2004 modifiant la loi sur l’assurance sociale des agriculteurs ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2004, n°91, texte 873, pp. 5998-6016.  Ustawa z dnia 17 czerwca 2004 o zmianie ustawy – Kodeks cywilny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 17 juin 2004 de modification législative – Code civil et autres lois], Dz. U., 2004, n°162, texte 1692, pp. 11409-11410. 710 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME  Ustawa z dnia 17 czerwca 2004 r. o zmianie ustawy - Kodeks rodzinny i opiekuńczy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 17 juin 2004 modifiant le Code de la famille et de la tutelle ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2004, n°162, texte 1691, pp. 11402-11408.  Ustawa z dnia 17 czerwca 2004 r. o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki [Loi du 17 juin 2004 sur le recours concernant la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable], Dz. U., 2004, n°179, texte 1843, pp. 12492-12494.  Ustawa z dnia 17 grudnia 2004 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego oraz o zmianie niektórych ustaw [Loi du 17 décembre 2004 portant modification de la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières des communes et portant modification du Code civil, ainsi que de certaines lois], Dz. U., 2004, n°281, texte 2783, pp. 2068-2074.  Ustawa z dnia 22 grudnia 2004 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego [Loi du 17 décembre 2004 portant modification de la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières des communes et portant modification du Code civil], Dz. U., 2004, n°281, texte 2786.  Ustawa z dnia 22 grudnia 2004 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania cywilnego oraz ustawy - Prawo o ustroju sądów powszechnych [Loi du 22 décembre 2004 modifiant le Code de procédure civil ainsi que la loi sur le droit et l’organisation des juridictions de droit commun], Dz. U., 2005, n°13, texte 98, pp. 986-995.  Ustawa z dnia 15 kwietnia 2005 o zmianie ustawy o ochronie informacji niejawnych oraz niektórych innych ustaw [Loi du 15 avril 2005 modifiant la loi relative à la protection des informations classifiées ainsi que d’autres lois], Dz. U., 2005, n°85, texte 727, pp. 5592-5664.  Ustawa z dnia 8 lipca 2005 r. o realizacji prawa do rekompensaty z tytułu pozostawienia nieruchomości poza obecnymi granicami Rzeczypospolitej Polskiej [Loi du 8 juillet 2005 sur la réalisation d’un droit à une indemnisation pour les biens abandonnés en dehors des frontières actuelles de la République de Pologne], Dz. U., 2005, n°169, texte 1418, pp. 1028810294.  Ustawa z dnia 18 października 2006 r. o ujawnianiu informacji o dokumentach organów bezpieczeństwa państwa z lat 1944-1990 oraz treści tych dokumentów [Loi du 18 octobre 2006 sur la divulgation d’informations sur les documents des organes de sécurité de l’État des années 1944-1990 ainsi que sur le contenu de ces documents], Dz. U., 2006, n°218, texte 1592, pp. 10809-10837.  Ustawa z dnia 16 listopada 2006 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 16 novembre 2006 modifiant le Code pénal ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2006, n°226, texte 1648, pp. 11229-11233.  Ustawa z dnia 8 grudnia 2006 r. o finansowym wsparciu tworzenia lokali socjalnych, mieszkań chronionych, noclegowni i domów dla bezdomnych [Loi du 8 décembre 2006 sur l’assistance financière à la création de logements sociaux, de logements protégés, de refuges et de maisons pour les sans-abris], Dz. U., 2006, n°251, texte 1844, pp. 12822-12827. 711 BIBLIOGRAPHIE  Ustawa z dnia 14 grudnia 2006 r. o zmianie ustawy o kosztach sądowych w sprawach cywilnych [Loi du 14 décembre 2006 modifiant la loi sur les frais de justice dans les affaires civiles], Dz. U., 2007, n°21, texte 123, pp. 1222-1223.  Ustawa z dnia 15 grudnia 2006 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego [Loi du 17 décembre 2004 portant modification de la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières des communes et portant modification du Code civil], Dz. U., 2006, n°249, texte 1833, pp. 12744-12746.  Ustawa z dnia 12 stycznia 2007 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego [Loi du 12 janvier 2007 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2007, n°20, texte 116, pp. 1153-1154.  Ustawa z dnia 16 marca 2007 r. o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 16 mars 2007 modifiant la loi sur le Conseil national de la magistrature ainsi que d’autres lois], Dz. U., n°73, texte 484, pp. 4421-4424.  Ustawa z dnia 29 marca 2007 r. o zmianie ustawy o prokuraturze, ustawy - Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 29 mars 2007 modifiant la loi sur le Parquet, le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2007, n°64, texte 432, pp. 3937-3944.  Ustawa z dnia 9 maja 2007 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 9 mai 2007 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2007, n°99, texte 664, pp. 5984-5987.  Ustawa z dnia 9 maja 2007 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania cywilnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 9 mai 2007 modifiant le Code de procédure civile ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2007, n°121, texte 831, pp. 8302-8305.  Ustawa z dnia 29 czerwca 2007 r. o zmianie ustawy - Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw [Loi du 29 juin 2007 portant modification de la loi sur le droit et l’organisation des juridictions de droit commun ainsi que certaines autres lois], Dz. U., n°130, texte 905, pp. 9613-9644.  Ustawa z dnia 4 września 2008 r. o zmianie ustawy o izbach morskich [Loi du 4 septembre 2008 modifiant la loi sur les chambres maritimes], Dz. U., 2008, n°192, texte 1178, pp. 10534-10536.  Ustawa z dnia 7 września 2007 r. o wykonywaniu kary pozbawienia wolności poza zakładem karnym w systemie dozoru elektronicznego [Loi du 7 septembre 2007 sur l’exécution des peines d’emprisonnement à l’extérieur sous surveillance électronique], Dz. U., 2007, n°191, texte 1366, pp. 13403-13414.  Ustawa z dnia 24 października 2008 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego [Loi du 24 octobre 2008 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2008, n°225, texte 1485, p. 12534.  Ustawa z dnia 6 listopada 2008 r. o zmianie ustawy - Kodeks rodzinny i opiekuńczy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 6 novembre 2008 modifiant le Code de la famille et de la 712 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME tutelle ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2008, n°220, texte 1431, pp. 12172-12185.  Ustawa z dnia 6 listopada 2008 r. o prawach pacjenta i Rzeczniku Praw Pacjenta [Loi du 6 novembre 2008 sur les droits du patient et le Défenseur des droits du patient], Dz. U., 2008, n°52, texte 417, pp. 4662-4671.  Ustawa z dnia 21 listopada 2008 r. o wspieraniu termomodernizacji i remontów [Loi du 21 novembre 2008 sur la modernisation thermique et la rénovation], Dz. U., 2008, n°223, texte 1459, pp. 12367-12373.  Ustawa z dnia 23 stycznia 2009 r. o Krajowej Szkole Sądownictwa i Prokuratury [Loi du 23 janvier 2009 sur l’École nationale des juges et procureurs], Dz. U., 2009 n°26, texte 157, pp. 2466-2487.  Ustawa z dnia 12 lutego 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania karnego [Loi du 12 février 2009 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2009, n°28, texte 171, p. 2558.  Ustawa z dnia 20 lutego 2009 r. o zmianie ustawy o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki [Loi du 20 février 2009 modifiant la loi sur le recours concernant la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable], Dz. U., 2009, n°61, texte 498, pp. 5110-5111.  Ustawa z dnia 18 czerwca 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny wykonawczy [Loi du 18 juin 2009 modifiant le Code d’exécution des peines], Dz. U., 2009, n°115, texte 963, pp. 8731-8732.  Ustawa z dnia 16 lipca 2009 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego [Loi du 16 juillet 2009 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2009, n°127, texte 1051, p. 9152.  Ustawa z dnia 16 lipca 2009 r. o zmianie ustawy o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi [Loi du 16 juillet 2009 portant modification de la loi sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme], Dz. U., 2009, n°144, texte 1175, p. 11378.  Ustawa z dnia 9 października 2009 r. o zmianie ustawy o prokuraturze oraz niektórych innych ustaw [Loi du 9 octobre 2009 modifiant la loi sur le Parquet ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2009, n°178, texte 1375, pp. 13544-13565.  Ustawa z dnia 9 października 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny wykonawczy [Loi du 9 octobre 2009 modifiant le Code d’exécution des peines], Dz. U., 2009, n°190, texte 1475, pp. 14233-14234.  Ustawa z dnia 5 listopada 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny, ustawy - Kodeks postępowania karnego, ustawy - Kodeks karny wykonawczy, ustawy - Kodeks karny skarbowy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 5 novembre 2009 modifiant le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code d’exécution des peines, le Code pénal fiscal ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2009, n°206, texte 1589, pp. 16141-16157.  Ustawa z dnia 2 grudnia 2009 r. o izbach lekarskich [Loi du 2 décembre 2009 sur les 713 BIBLIOGRAPHIE chambres médicales], Dz. U., 2009, n°219, texte 1708, pp. 17257-17278.  Ustawa z dnia 17 grudnia 2009 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego oraz o zmianie niektórych innych ustaw [Loi du 17 décembre 2009 modifiant la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières des communes et portant modification du Code civil], Dz. U., 2010, n°3, texte 13, pp. 603-605.  Ustawa z dnia 17 grudnia 2009 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania cywilnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 17 décembre 2009 modifiant le Code de procédure civile ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2010, n°7, texte 45, pp. 849-856.  Ustawa z dnia 5 marca 2010 r. o zmianie ustawy o wspieraniu termomodernizacji i remontów [Loi du 5 mars 2010 portant modification de la loi sur la modernisation thermique et la rénovation], Dz. U., 2008, n°76, texte 493, pp. 6481-6482.  Ustawa z dnia 9 kwietnia 2010 r. o Służbie Więziennej [Loi du 9 avril 2010 sur les services pénitentiaires], Dz. U., 2010, n°79, texte 523, pp. 6732-6785.  Ustawa z dnia 5 sierpnia 2010 r. o ochronie informacji niejawnych [Loi du 5 août 2010 sur la protection des informations classifiées], Dz. U., 2010, n°182, texte 1228, pp. 1377813859.  Ustawa z dnia 3 grudnia 2010 r. o wdrożeniu niektórych przepisów Unii Europejskiej w zakresie równego traktowania [Loi du 3 décembre 2010 sur la mise en œuvre de certaines dispositions de l’Union européenne en matière d’égalité de traitement], Dz. U., 2010, n°254, texte 1700, pp. 17574-17581.  Ustawa z dnia 20 stycznia 2011 r. o odpowiedzialności majątkowej funkcjonariuszy publicznych za rażące naruszenie prawa [Loi du 20 janvier 2011 sur la responsabilité des fonctionnaires pour violation grave de la loi], Dz. U., 2011, n°34, texte 173, pp. 2578-2582.  Ustawa z dnia 26 maja 2011 r. o zmianie ustawy - Kodeks postępowania cywilnego [Loi du 26 mai 2011 modifiant le Code de procédure civile], Dz. U., 2011, n°144, texte 854, pp. 8759-8760.  Ustawa z dnia 18 sierpnia 2011 r. o zmianie ustawy — Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw [Loi du 18 août 2011 modifiant la loi sur le droit et l’organisation des juridictions de droit commun ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2011, n°203, texte 1192, pp. 11962-12005.  Ustawa z dnia 31 sierpnia 2011 r. o zmianie ustawy o ochronie praw lokatorów, mieszkaniowym zasobie gminy i o zmianie Kodeksu cywilnego oraz ustawy — Kodeks postępowania cywilnego [Loi du 31 août 2011 modifiant la loi sur la protection des droits des locataires, les ressources immobilières communales et portant modification du Code civil], Dz. U., 2011, n°224, texte 1342, pp. 13232-13234.  Ustawa z dnia 16 września 2011 r. o zmianie ustawy — Kodeks karny wykonawczy oraz niektórych innych ustaw [Loi du 16 septembre 2011 modifiant le Code d’exécution des peines ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2012, n°240, texte 1431, pp. 13937-13955. 714 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME  Ustawa z dnia 14 września 2012 r. o zmianie ustawy – Prawo prasowe [Loi du 14 septembre 2012 modifiant la loi sur le droit de la presse], Dz. U., 2012, texte 1236.  Ustawa z dnia 4 stycznia 2013 r. o zmianie ustawy o wychowaniu w trzeźwości i przeciwdziałaniu alkoholizmowi [Loi du 4 janvier 2013 portant modification de la loi sur l’éducation à la sobriété et la lutte contre l’alcoolisme], Dz. U., 2013, texte 1563, pp. 1-7.  Ustawa z dnia 24 maja 2013 r. o środkach przymusu bezpośredniego i broni palnej [Loi du 24 mai 2013 sur les moyens de coercition et les armes à feu], Dz. U., 2013, texte 628.  Ustawa z dnia 30 sierpnia 2013 r. o zmianie ustawy o postępowaniu w sprawach nieletnich oraz niektórych innych ustaw [Loi du 30 août 2013 modifiant la loi sur la procédure dans les affaires de mineurs], Dz. U., 2013, texte 1165, pp. 1-10.  Ustawa z dnia 27 września 2013 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego oraz niektórych innych ustaw [Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2013, texte 1247.  Ustawa z dnia 27 września 2013 r. o zmianie ustawy – Kodeks postępowania karnego [Loi du 27 septembre 2013 modifiant le Code de procédure pénale], Dz. U., 2013, texte 1282.  Ustawa z dnia 28 listopada 2014 r. Prawo o aktach stanu cywilnego [Loi du 28 novembre 2014 sur les actes d’état civil], Dz. U., 2014, n°0, texte 1741, pp. 1-46.  Ustawa z dnia 20 lutego 2015 r. o zmianie ustawy – Kodeks karny oraz niektórych innych ustaw [Loi du 20 février 2015 modifiant le Code pénal ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2015, texte 396.  Ustawa z dnia 20 lutego 2015 r. o zmianie ustawy o systemie oświaty oraz niektórych innych ustaw [Loi du 20 février 2015 modifiant la loi sur le système d’éducation ainsi que certaines autres lois], Dz. U., 2015, texte 357, pp. 1-77.  Ustawa z dnia 9 kwietnia 2015 r. o zmianie ustawy – Prawo o postępowaniu przed sądami administracyjnymi [Loi du 9 avril 2015 modifiant la loi sur la procédure devant les cours administratives], Dz. U., 2015, n°658.  Ustawa z dnia 24 lipca 2015 r. - Prawo o zgromadzeniach [Loi du 24 juillet 2015 sur les rassemblements], Dz. U., 2015, texte 1485.  Ustawa z dnia 10 września 2015 r. o zmianie ustawy - Kodeks karny wykonawczy [Loi du 10 septembre 2015 modifiant le Code d’exécution des peines], Dz. U., 2015, texte 1573.  Ustawa z dnia 22 grudnia 2015 r. o zmianie ustawy o Trybunale Konstytucyjnym [Loi du 22 décembre 2015 modifiant la loi sur le Tribunal constitutionnel, Dz. U., 2015, texte 2217.  Ustawa z dnia 30 grudnia 2015 r. o zmianie ustawy o radiofonii i telewizji [Loi du 30 décembre 2015 modifiant la loi sur la radiophonie et la télévision], Dz. U., 2016, texte n°25.  Ustawa z dnia 28 stycznia 2016 r. Prawo o prokuraturze [Loi du 28 janvier 2016 – Loi sur le Parquet], Dz. U., 2016, texte 177. 715 BIBLIOGRAPHIE C) ACTES RÈGLEMENTAIRES  Rozporządzenie Prezydenta Rzeczypospolitej z dnia 24 października 1934 r. Prawo upadłościowe [Règlement du Président de la République du 24 octobre 1934 – Droit des faillites], Dz. U., 1934, n°93, texte 834, pp. 1909-1926.  Dekret Polskiego Komitetu Wyzwolenia Narodowego z dnia 6 września 1944 o przeprowadzeniu reformy rolnej [Décret du Comité Polonais de Libération Nationale du 6 septembre 1944 sur la réalisation de la réforme agraire], Dz. U., 1944, n°4, texte 17, pp. 18-21.  Dekret z dnia 26 października 1945 r. o własności i użytkowaniu gruntów na obszarze m. st. Warszawy [Décret du 26 octobre 1945 sur la propriété et l’utilisation des terres sur le territoire de la ville de Varsovie], Dz. U., 1945, n°50, texte 279, pp. 434-435.  Dekret z dnia 21 grudnia 1945 r. o publicznej gospodarce lokalami i kontroli najmu [Décret du 21 décembre 1945 sur la gestion publique de l’habitat et le contrôle des baux], Dz. U., 1946, n°4, texte 27, pp. 45-52.  Dekret z dnia 8 marca 1946 r. o majątkach opuszczonych i poniemieckich [Décret du 8 mars 1946 sur les biens allemands abandonnés], Dz. U., 1946, n°13, texte 87, pp. 165-172.  Dekret z dnia 5 lipca 1946 r. o utworzeniu Głównego Urzędu Kontroli Prasy, Publikacji i Widowisk [Décret du 5 juillet 1946 instituant l’Office central de contrôle de la presse, des publications et des spectacles], Dz. U., 1946, n°34, texte 210, p. 319.  Dekret z dnia 7 kwietnia 1948 r. o wywłaszczeniu majątków zajętych na cele użyteczności publicznej w okresie wojny 1939-1945 r. [Décret du 7 avril 1948 sur l’expropriation des biens utilisés à des fins publiques au cours de la guerre de 1939-1945], Dz. U., 1948, n°20, texte 138, pp. 369-370.  Dekret z dnia 12 grudnia 1981 r. o stanie wojennym [Décret du 12 décembre 1981 sur l’état martial], Dz. U., 1981, n°29, texte 154, pp. 309-317.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 2 maja 1989 r. w sprawie regulaminu wykonywania tymczasowego aresztowania [Règlement du ministre de la Justice du 2 mai 1989 portant règlementation de la détention provisoire], Dz. U., n°31, texte 167, pp. 519-524.  Rozporządzenie Rady Ministrów z dnia 15 maja 1989 r. w sprawie uprawnień do wcześniejszej emerytury pracowników opiekujących się dziećmi wymagającymi stałej opieki [Règlement du Conseil des ministres du 15 mai 1989 sur le droit à la retraite anticipée des employées ayant à charge un enfant nécessitant des soins], Dz. U., 1989, n°28, texte 149, pp. 449-450.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 9 lipca 1990 r. w sprawie rejestru dzienników i czasopism [Règlement du ministre de la Justice du 9 juillet 1990 sur le registre des journaux et des magazines], Dz. U., n°46, texte 275, pp. 651-652.  Rozporządzenie Rady Ministrów z dnia 17 września 1990 r. w sprawie określenia przypadków oraz warunków i sposobów użycia przez policjantów środków przymusu bezpośredniego [Règlement du Conseil des Ministres du 17 septembre 1990 sur les circonstances ainsi que les méthodes et moyens d’emploi des mesures coercitives par les policiers], Dz. U., 716 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 1990, n°70, texte 410, pp. 962-964.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 29 marca 1991 r. w sprawie trybu wykonywania nadzoru nad działalnością administracyjną sądów [Règlement du ministre de la Justice du 29 mars 1991 sur les moyens de contrôle des services de l’administration judiciaire], Dz. U., 1991, n°29, texte 126, pp. 414-415.  Rozporządzenie Ministra Edukacji Narodowej z dnia 14 kwietnia 1992 r. w sprawie warunków i sposobu organizowania nauki religii w szkołach publicznych [Règlement du ministre l’Éducation nationale du 14 avril 1992 sur les conditions et les modaliés de l’enseignement religieux dans les écoles publiques], Dz. U., 1992, n°36, texte 155, pp. 590592.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 17 maja 1993 r. w sprawie określenia wysokości wpisów w sprawach cywilnych [Règlement du ministre de la Justice du 17 mai 1993 sur la fixation des frais dans les affaires civiles], Dz. U., n°46, texte 210, pp. 867-872.  Rozporządzenie Ministra Zdrowia i Opieki Społecznej z dnia 23 sierpnia 1995 r. w sprawie sposobu stosowania przymusu bezpośredniego [Règlement du ministre de la Santé et des Affaires du 23 août 1995 sur les moyens d’utilisation de la coercition directe], Dz. U., 1995, n°103, texte 514, pp. 2465-2468.  Zarządzenie Ministra Transportu i Gospodarki Morskiej z dnia 12 października 1995 r. w sprawie zakresu i sposobu przeprowadzania badań technicznych pojazdów oraz wzorów stosowanych przy tym dokumentów [Arrêté du ministre des Transports et de l’Économie maritime du 12 octobre 1995 sur l’étendue et les modalités du contrôle technique des véhicules ainsi que sur les mentions figurant dans ce document], M. P., 1995, n°63, texte 695, pp. 1075-1106.  Rozporządzenie Ministra Zdrowia i Opieki Społecznej z dnia 23 października 1996 r. w sprawie trybu doprowadzania osób w stanie nietrzeźwości, organizacji izb wytrzeźwień i zakresu opieki zdrowotnej oraz zasad ustalania opłat związanych z doprowadzeniem i pobytem w izbie wytrzeźwień [Règlement du ministre de la Santé et des Affaires sociales du 23 octobre 1996 sur les méthodes d’alimentation des personnes en état d’ivresse, l’organisation des centres de dégrisement, les soins ainsi que les tarifs pratiqués pour les séjours en centre de dégrisement], Dz. U., 1996, n°129, texte 611, pp. 2691-2695.  Rozporządzenie Ministra Zdrowia i Opieki Społecznej z dnia 22 stycznia 1997 r. w sprawie kwalifikacji zawodowych lekarzy, uprawniających do dokonania przerwania ciąży oraz stwierdzania, że ciąża zagraża życiu lub zdrowiu kobiety lub wskazuje na duże prawdopodobieństwo ciężkiego i nieodwracalnego upośledzenia płodu albo nieuleczalnej choroby zagrażającej jego życiu [Règlement du ministre de la Santé et des Affaires sociales du 22 janvier 1997 sur la qualification professionnelle des médecins, donnant droit à effectuer un avortement ou à déclarer la grossesse dangereuse pour la santé ou la vie d’une femme ou présentant une malformation grave et irréversible du fœtus ou une maladie mortelle incurable], Dz. U., 1997, n°9, texte 49, pp. 155-156.  Rozporządzenie Rady Ministrów z dnia 13 stycznia 1998 r. w sprawie sposobu zaliczania wartości nieruchomości pozostawionych za granicą na pokrycie ceny sprzedaży nierucho717 BIBLIOGRAPHIE mości lub opłat za użytkowanie wieczyste oraz sposobu ustalania wartości tych nieruchomości [Règlement du Conseil des ministres du 13 Janvier 1998 sur la méthode de compensation de la valeur des biens abandonnés à l'étranger pour couvrir le prix de vente de biens immobiliers ou l’usufruit perpétuel ainsi que sur la méthode de détermination de la valeur de ces propriétés], Dz. U., 1998, n°9, texte 32, pp. 333-334.  Rozporządzenie Ministra Transportu i Gospodarki Morskiej z dnia 19 czerwca 1999 r. w sprawie rejestracji i oznaczania pojazdów [Règlement du ministre des Transports et de l’Économie maritime du 19 juin 1999], Dz. U., n°59, texte 632, pp. 3205-3229.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 18 czerwca 2003 r. w sprawie sposobu postępowania z protokołami przesłuchań i innymi dokumentami lub przedmiotami, na które rozciąga się obowiązek zachowania tajemnicy państwowej, służbowej albo związanej z wykonywaniem zawodu lub funkcji [Règlement du ministre de la Justice du 18 juin 2003 sur les moyens de procéder avec les protocoles d’interrogatoire et les autres documents ou objets auxquels s’étend le secret d’État, les affaires ou les connexions en lien avec les professions ou les fonctions], Dz. U., 2003, n°108, texte 1023, pp. 7119-7120.  Rozporządzenie Ministra Skarbu Państwa z dnia 1 sierpnia 2003 r. w sprawie szczegółowego trybu sprzedaży nieruchomości Zasobu Własności Rolnej Skarbu Państwa i ich części składowych, warunków rozkładania ceny sprzedaży na raty oraz stawek szacunkowych gruntów [Règlement du ministre du Trésor public du 1er août de 2003 sur la procédure détaillée de vente de biens immobiliers de la propriété agricole du Trésor public et de ses composants, les conditions de propagation du prix de vente en versements et les taux estimés de terres], Dz. U., 2003, n°140, texte 1350, pp. 9486-9492.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 13 sierpnia 2003 r. w sprawie sposobów załatwiania wniosków, skarg i próśb osób osadzonych w zakładach karnych i aresztach śledczych [Règlement du ministre de la Justice du 13 août 2003 sur les méthodes de résolution des motions, plaintes et requêtes des détenus des établissements carcéraux et des centres de détention], Dz. U., 2003, n°151, texte 1467, pp. 10248-10251.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 26 sierpnia 2003 r. w sprawie trybu postępowania właściwych organów w wypadku, gdy liczba osadzonych w zakładach karnych lub aresztach śledczych przekroczy w skali kraju ogólną pojemność tych zakładów [Règlement du ministre de la Justice du 26 août 2003 sur les procédures à suivre par les autorités compétentes lorsque le nombre de personnes détenues en prison et en centre de détention provisoire excède à l’échelle nationale les capacités de ces établissements], Dz. U., 2003, n°152, texte 1497, pp. 10357-10358.  Rozporządzenie Prezydenta Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 18 września 2003 r. w sprawie szczegółowego trybu wykonywania nadzoru nad działalnością administracyjną wojewódzkich sądów administracyjnych [Règlement du Président de la République de Pologne du 18 septembre 2003 sur la procédure détaillée de contrôle des services de l’administration par les cours administratives régionales], Dz. U., 2003, n°169, texte 1645, pp. 11593-11596.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 31 października 2003 r. w sprawie spo718 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME sobów ochrony jednostek organizacyjnych Służby Więziennej [Règlement du ministre de la Justice du 31 octobre 2003 sur les moyens de protéger les unités organisationnelles de l’administration pénientiaire], Dz. U., 2006 n°194, texte 1902, pp. 1309-13141.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 13 stycznia 2004 r. w sprawie czynności administracyjnych związanych z wykonywaniem tymczasowego aresztowania oraz kar i środków przymusu skutkujących pozbawienie wolności oraz dokumentowania tych czynności [Règlement du ministre de la Justice du 13 janvier 2004 sur les formalités administratives liées à l’exécution de la détention provisoire ainsi que des peines et sur les mesures coercitives aboutissant à la privation de la liberté ainsi que les documents de ces formalités], Dz. U., 2004, n°15, texte 142, pp. 687-719.  Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 4 lutego 2004 r. w sprawie trybu doprowadzania, przyjmowania i zwalniania osób w stanie nietrzeźwości oraz organizacji izb wytrzeźwień i placówek utworzonych lub wskazanych przez jednostkę samorządu terytorialnego [Règlement du 4 février 2004 sur les moyens d’alimentation, de prise en charge et de remise en liberté des personnes en état d’ébriété ainsi que sur l’organisation des centres de dégrisement et les unités créées et désignées par une administration locale], Dz. U., 2004, n°20, texte 192, pp. 1189-1195.  Rozporządzenie Ministra Edukacji Narodowej z dnia 13 lipca 2007 r. zmieniające rozporządzenie w sprawie warunków i sposobu oceniania, klasyfikowania i promowania uczniów i słuchaczy oraz przeprowadzania sprawdzianów i egzaminów w szkołach publicznych [Règlement du ministre de l’Éducation nationale du 13 juillet 2007 modifiant le règlement sur les conditions et moyens d’évaluation, de classification et de promotion des élèves et des étudiants, ainsi que sur le déroulement des examens dans les écoles publiques], Dz. U., 2007, n°130, texte 906.  Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 29 sierpnia 2009 r. w sprawie świadczeń gwarantowanych z zakresu leczenia szpitalnego [Règlement du ministre de la santé du 29 août 2009 sur les prestations garanties dans le domaine des traitements médicaux], Dz. U., 2009, n°140, texte 1143, pp. 10446-10991.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 25 listopada 2009 r. w sprawie trybu postępowania właściwych organów w wypadku, gdy liczba osadzonych w zakładach karnych lub aresztach śledczych przekroczy w skali kraju ogólną pojemność tych zakładów [Règlement du ministre de la Justice du 25 novembre 2009 sur les procédures à suivre par les autorités compétentes lorsque le nombre de personnes détenues en prison et en centre de détention provisoire excède à l’échelle nationale les capacités de ces établissements], Dz. U., 2009, n°202, texte 1564, pp. 14948-14949.  Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 10 marca 2010 r. w sprawie Komisji Lekarskiej działającej przy Rzeczniku Praw Pacjenta [Règlement du ministre de la Santé du 10 mars 2010 relative à la Commission médicale agissant auprès du Défenseur des droits du patient], Dz. U., 2010, n°41, texte 244, pp. 3565-3566.  Zarządzenie nr 43/2010 Dyrektora Generalnego Służby Więziennej z dnia 13 sierpnia 2010 r. w sprawie ustalania metod i form diałalności w zakresie ochrony jednostek organizacyj719 BIBLIOGRAPHIE nych Służby Więziennej [Arrêté n°43/2010 du Directeur général des services pénitentiaires du 13 août 2010 sur la fixation des méthodes et des formes d'activités de protection des unités organisationnelles des services pénitentiaires], non publié.  Instrukcja Dyrektora Generalnego Służby Więziennej nr 16/2010 z dnia 13 sierpnia 2010 r. w sprawie zapobiegania samobójstwom osób pozbawionych wolności [Instruction n°16/2010 du Directeur général des services pénitentiaires sur la prévention des suicides des personnes privées de liberté], non publiée.  Zarządzenie Dyrektora Generalnego Służby Więziennej z dnia 21 grudnia 2010 r. w sprawie programów szkolenia wstępnego, zawodowego oraz specjalistycznego w Służbie Więziennej oraz czasu trwania tych szkoleń [Arrêté du Directeur général des services pénitentiaires du 21 décembre 2010 sur les programmes de formation initiale, professionnelle et spécialisée au sein des services pénitentiaires ainsi que sur la durée de cet enseignement], non publié.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 23 grudnia 2010 r. w sprawie udzielania świadczeń zdrowotnych osobom pozbawionym wolności przez zakłady opieki zdrowotnej dla osób pozbawionych wolności [Règlement du 23 décembre 2010 sur la fourniture de soins aux personnes privées de liberté par les établissements sanitaires pour les personnes privées de liberté], Dz. U., n°2011, 1, texte 2, pp. 4-8.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 20 lutego 2012 w sprawie sposobu postępowania z protokołami przesłuchań i innymi dokumentami lub przedmiotami, na które rozciąga się obowiązek zachowania w tajemnicy informacji niejawnych albo zachowania tajemnicy związanej z wykonywaniem zawodu lub funkcji [Règlement du ministre de la Justice du 20 février 2012 relatif aux méthodes de gestion des protocoles des audiences et des autres documents ou objets couverts par l’obligation de confidentialité des informations ou secrets classés en relation avec l’exécution d’une profession ou d’une fonction], Dz. U., 27 février 2012, texte 219.  Rozporządzenie Ministra Spraw Wewnętrznych z dnia 18 kwietnia 2012 r. w sprawie postępowania kwalifikacyjnego w stosunku do kandydatów ubiegających się o przyjęcie do służby w Policji [Règlement du ministre de l’Intérieur du 18 avril 2012 sur la procédure de qualification relative aux candidats à l’admission dans les services de la Police], Dz. U., 2012, texte 437.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości i Ministra Zdrowia z dnia 9 maja 2012 r. w sprawie szczegółowych warunków, zakresu i trybu współdziałania podmiotów leczniczych z podmiotami leczniczymi dla osób pozbawionych wolności w zakładach karnych i aresztach śledczych w zapewnieniu świadczeń zdrowotnych osobom pozbawionym wolności [Règlement du ministre de la Justice et du ministre de la Santé du 9 mai 2012 sur les conditions détaillées, le champ et la procédure de coopération des institutions médicales avec les institutions médicales pour les personnes privées de leur liberté dans les prisons et les centre de détention en vue de leur fournir des prestations de santé], Dz. U., 2012, texte 547.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 14 czerwca 2012 r. w sprawie udzielania świadczeń zdrowotnych przez podmioty lecznicze dla osób pozbawionych wolności [Règlement du ministre de la Justice du 14 juin 2012 sur la fourniture de soins par des entités mé720 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME dicales aux personnes privées de liberté], Dz. U., 2012, texte 738.  Rozporządzenie Ministra Spraw Wewnętrznych z dnia 13 września 2012 r. w sprawie badań lekarskich osób zatrzymanych przez Policję [Règlement du ministre de l’Intérieur du 13 septembre 2012 sur l’examen médical des personnes arrêtées par la Police], Dz. U., 2012, texte 1102.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 2 października 2012 r. w sprawie czynności administracyjnych związanych z wykonywaniem tymczasowego aresztowania oraz kar i środków przymusu skutkujących pozbawienie wolności oraz dokumentowania tych czynności [Règlement du ministre de la Justice du 2 octobre 2012 sur les formalités administratives liées à l’exécution de la détention provisoire ainsi que des peines et sur les mesures coercitives aboutissant à la privation de la liberté ainsi que les documents de ces formalités], Dz. U., 2012, texte 1153.  Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 22 listopada 2013 r. w sprawie świadczeń gwarantowanych z zakresu leczenia szpitalnego [Règlement du ministre de la santé du 22 novembre 2013 sur les prestations garanties dans le domaine des traitements médicaux], Dz. U., 2013, texte 1520.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 28 stycznia 2014 r. w sprawie warunków bytowych osób osadzonych w zakładach karnych i aresztach śledczych [Règlement du ministre de la Justice du 28 janvier 2014 sur sur les conditions de vie des personnes emprisonnées dans les établissements carcéraux et les centres de détention], Dz. U., 2014, texte 200.  Rozporządzenie Ministra Edukacji Narodowej z dnia 25 marca 2014 r. zmieniające rozporządzenie w sprawie warunków i sposobu organizowania nauki religii w publicznych przedszkolach i szkołach [Règlement du 25 mars 2014 du ministre de l’Éducation nationale modifiant le règlement sur les conditions et les modaliés de l’enseignement religieux dans les écoles publiques], Dz. U., 2014, texte 478.  Rozporządzenie Ministra Zdrowia z dnia 8 grudnia 2014 r. w sprawie izb wytrzeźwień i placówek wskazanych lub utworzonych przez jednostkę samorządu terytorialnego [Règlement du ministre de la Santé du 8 décembre 2014 sur les centre de dégrisement et les unités créées et désignées par une administration locale], Dz. U., 2014, texte 1850.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 27 maja 2015 r. w sprawie sposobu zapewnienia o skarżonemu korzystania z pomocy obrońcy z urzędu [Règlement du ministe de la Justice du 27 mai 2015 sur les moyens d’assurer à l’accusé les services d’un avocat], Dz. U., 2015, texte 816.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 23 czerwca 2015 r. w sprawie sposobu zapewnienia oskarżonemu korzystania z pomocy obrońcy w postępowaniu przyspieszonym [Règlement du ministre de la Justice du 23 juin 2015 sur les moyens d’assurer à l’accusé les services d’un avocat dans les procédures accélérées], Dz. U., 2015, texte 920.  Rozporządzenie Ministra Sprawiedliwości z dnia 23 czerwca 2015 r. w sprawie czynności administracyjnych związanych z wykonywaniem tymczasowego aresztowania oraz kar i środków przymusu skutkujących pozbawienie wolności oraz dokumentowania tych czynności 721 BIBLIOGRAPHIE [Règlement du ministre de la Justice du 23 juin 2015 sur les formalités administratives liées à l’exécution de la détention provisoire ainsi que des peines et sur les mesures coercitives aboutissant à la privation de la liberté ainsi que les documents de ces formalités], Dz. U., 2015, texte 927.  Rozporządzenie Rady Ministrów z dnia 29 września 2015 r. w sprawie postępowania przy wykonywaniu niektórych uprawnień policjantów [Règlement du Conseil des ministres du 29 septembre 2015 relatif aux procédures conduites par des officiers de police], Dz. U., 2015, texte 1565. D) RÉSOLUTIONS PARLEMENTAIRES  Uchwała sejmu Rzeczypospolitej Polskiej z 28 maja 1992 r. [Arrêté de la Diète du 28 mai 1992], M.P., 1992, n°16, texte 116.  Uchwała Sejmu Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 3 grudnia 2009 r. w sprawie ochrony wolności wyznania i wartości będących wspólnym dziedzictwem narodów Europy [Résolution de la Diète de la République polonaise du 3 décembre 2009 à propos de la protection de la liberté de religion et des valeurs qui sont le patrimoine commun des peuples d’Europe], M. P., 2009, n°78, texte 962, p. 3563.  Uchwała Senatu Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 4 lutego 2010 r. w sprawie poszanowania Krzyża [Résolution du Sénat de la République de Pologne du 4 février 2010 à propos du respect de la Croix], M. P., 2010, n°7, texte 57, p. 227. E) RAPPORT GOUVERNEMENTAL  Sprawozdanie z realizacji Programu Działań Rządu w sprawie wynywania wyrokywania wyroków Europejskiego Trybunału Praw Człowieka wobec Rzeczypospolitej Polskiej za okres 07.2008 – 07.2012 [Rapport sur la mise en œuvre du Programme du gouvernement pour l’exécution des arrêts de la CEDH concernant la Pologne pour la période juillet 2008juillet 2012], Varsovie, 7 juillet 2012. 2. CONSEIL DE L’EUROPE A) CONVENTIONS  Statut du Conseil de l’Europe, STCE n°001, Londres, 5 mai 1949.  Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, STCE n°005, Rome, 4 novembre 1950.  Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STCE n°009, Paris, 20 mars 1952.  Convention culturelle européenne, STCE n°018, Paris, 19 décembre 1954.  Protocole n°2 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fonda722 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME mentales, attribuant à la Cour européenne des Droits de l'Homme la compétence de donner des avis consultatifs, STCE n°044, Strasbourg, 6 mai 1963.  Protocole no. 3 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, modifiant les articles 29, 30 et 34 de la Convention, STCE n°045, Strasbourg, 6 mai 1963.  Protocole n°4 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention, STCE n°046, Strasbourg, 16 septembre 1963.  Protocole n°5 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, modifiant les articles 22 et 40 de la Convention, STCE n°055, Strasbourg, 20 janvier 1966.  Convention européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions concernant la garde d’enfants, STCE n°105, Luxembourg, 20 mai 1980.  Protocole n°6 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, STCE n°114, Strasbourg, 24 avril 1983.  Protocole n°7 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STCE n°117, Strasbourg, 22 novembre 1984.  Protocole n°8 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STCE n°118, Vienne, 19 mars 1985.  Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, STCE n°136, Strasbourg, 26 novembre 1987.  Protocole n°9 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STCE n°140, Rome, 6 novembre 1990.  Protocole n°10 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STCE n°146, Strasbourg, 25 mars 1992.  Protocle n°11 à la Convention, STCE n°155, Strasbourg, 11 mai 1994.  Protocole n°12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STCE n°177, Rome, 4 novembre 2000.  Protocole n°13 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, STCE n°187, Vilnius, 3 mai 2002.  Protocole n°14 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention, STCE n°194, Strasbourg, 13 mai 2004.  Protocole n°15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, STCE n°213, Strasbourg, 24 juin 2013.  Protocole n° 16 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fon723 BIBLIOGRAPHIE damentales, STCE n°214, Strasbourg, 2 octobre 2013. B) AVIS, RÉSOLUTIONS, RECOMMANDATIONS DE L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE  Avis n°154 relatif à la demande d’adhésion de la Pologne au Conseil de l’Europe, 1er octobre 1990.  Recommandation 1215(1993), Éthique du journalisme, 1er juillet 1993.  Résolution 1096(1996) relative aux mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes totalitaires communistes, 27 juin 1996.  Résolution 1481(2006), Nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires, 25 janvier 2006.  Recommandation 1764(2006), Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, 2 octobre 2006.  Résolution 1577(2007), Vers une dépénalisation de la diffamation, 4 octobre 2007.  Document 12455 (rapport), Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 20 décembre 2010.  Résolution 1823(2011), Les parlements nationaux : garants des droits de l’homme en Europe, 23 juin 2011. C) RÉSOLUTIONS, RECOMMANDATIONS ET DOCUMENTS DU COMITÉ DES MINISTRES  Résolution Res(74)26, Droit de réponse – Situation de l’individu à l’égard de la presse, 2 juillet 1974, 233e réunion.  Résolution 85(6) sur l’identité culturelle européenne, 25 avril 1985, 76e session.  Résolution (90)18, Invitation à la République de Pologne à devenir membre du Conseil de l’Europe, 23 octobre 1990.  Résolution (93)6 relative au statut d’observateur, 14 mai 1993, 484e ter réunion des délégués.  Com. Min., Recommandation n°R(2000)13 relative aux communications en matière d’archives, 13 juillet 2000, 717e réunion.  Recommandation n°R(2000)2 aux États membres sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 19 janvier 2000, 694e réunion des délégués.  Com. Min., Document H/Inf(2001)7, Éliminer l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme – Lignes directrices et textes de référence, 30 mars 2011, 1110e réunion des délégués.  Com. Min., Recommandation Rec(2002)13 du Comité des ministres aux États membres sur la publication et la dissémination dans les États membres du texte de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de 724 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME l’homme, 18 décembre 2002, 822e réunion des délégués.  Document CM/Inf(2003)42, Mémorandum sur la mise en œuvre du droit à un recours effectif en Pologne concernant en particulier les violations de l’exigence du « délai raisonnable » de l’article 6-1 de la Convention, 8 octobre 2003.  Com. Min., Res(2004)3, Résolution sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sousjacent, 114e réunion, 12 mai 2004  Com. des Min., Rec(2004)6, Recommandation sur l’amélioration des recours internes, 114e réunion, 12 mai 2004. D) RÉSOLUTIONS ET DOCUMENTS DU COMITÉ DES MINISTRES RELATIFS À L’EXÉCUTION DES ARRÊTS DE LA COUR CONCERNANT LA POLOGNE  Résolution ResDH(2001)9 (exécution de l’arrêt Belziuk c. Pologne), 26 février 2001, 741e réunion des délégués.  Résolution finale ResDH(2001)10 (exécution du rapport de la Com. EDH Ciepłuch c. Pologne), 26 février 2001, 741e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2001)11 (exécution de l’arrêt Musiał c. Pologne), 26 février 2001, 741e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2001)141 (exécution de l’arrêt Witold Litwa c. Pologne), 4 avril 2000, 764e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2002)124 (exécution de l’arrêt Niedbała c. Pologne), 21 octobre 2002, 810e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2003)39 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) Kliniecki c. Pologne), 24 février 2003, 827e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2003)158 (exécution de l’arrêt Dacewicz c. Pologne), 20 octobre 2003, 854e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2003)159 (exécution de l’arrêt Eryk Kawka c. Pologne), 20 octobre 2003, 854e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2003)169 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) Pałys c. Pologne), 20 octobre 2003, 854e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2004)18 (exécution de l’arrêt Włoch c. Pologne), 22 avril 2004, 879e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2004)95 (exécution du rapport Owczarzak c. Pologne), 24 février 2004, 871e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2005)35 (exécution des arrêts (règlements amiables) dans 21 affaires contre la Pologne), 25 avril 2005, 922e réunion des délégués  Résolution ResDH(2005)36 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) Pawlinkowska c. Pologne), 25 avril 2005, 922e réunion des délégués 725 BIBLIOGRAPHIE  Résolution ResDH(2005)37 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) Szymikowska et Szymikowski c. Pologne), 25 avril 2005, 922e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2005)72 (exécution des arrêt Kawka c. Pologne et Ciszewski c. Pologne), 18 juillet 2005, 933e réunion des délégués.  Résolution ResDH(2005)118 (exécution de l’arrêt (règlement amiable) H. D. contre la Pologne), 14 décembre 2005, 948e réunion des délégués.  Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)75 (exécution des arrêts dans 44 affaires contre la Pologne), 6 juin 2007, 997e reunion des délégués.  Résolution ResDH(2006)46 (exécution de l’arrêt Nowicka c. Pologne), 19 juillet 2006, 970e réunion des délégués.  Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)28 (exécution des arrêts dans 143 affaires contre la Pologne relatives à la durée excessive de procédures pénales et civiles et au droit de recours effectif), 4 avril 2007, 992e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2008)15 (exécution de l’arrêt Shamsa c. Pologne), 27 mars 2008, 1020e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2008)56 (exécution de l’arrêt Berliński c. Pologne), 15 juin 2008, 1028e réunion.  Résolution CM/ResDH(2009)89 (exécution de l’arrêt Broniowski c. Pologne), 30 septembre 2009, 1065e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2009)134 (exécution de l’arrêt Sokołowski c. Pologne), 3 décembre 2009, 1072e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2010)19 (exécution de l’arrêt Bogulak et trois autres affaires contre la Pologne), 4 mars 2010, 1078e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2010)78 (exécution de l’arrêt Sildedzis c. Pologne), 3 juin 2010, 1086e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)16 (exécution de 17 affaires contre la Pologne), 10 mars 2011, 1108e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)40 (exécution des arrêts dans 5 affaires contre la Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)67 (exécution des arrêts dans 12 affaires contre la Pologne), 8 juin 2011, 1115e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)68 (exécution des arrêts Płoski et Czarnowski c. Pologne), 8 juin 2011, 1115e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)138 (exécution de l’arrêt Związek Nauczycielstwa Polskiego c. Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)139 (exécution des arrêts Baranowski c. Pologne et Hulewicz c. Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués. 726 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME  Résolution CM/ResDH(2011)140 (exécution des arrêts dans 5 affaires contre la Pologne), 14 septembre 2011, 1120 réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)141 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués.  Résolution CM/Res(2011)142 (exécution de l’arrêt Chruściński c. Pologne), 14 septembre 2011, 1120e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)238 (exécution de l’arrêt Zawadka c. Pologne), 2 décembre 2011, 1128e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)239 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), 2 décembre 2011, 1128e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)240 (exécution de l’arrêt Rybacki c. Pologne), 2 décembre 2011, 1128e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2011)241 (exécution de l’arrêt Kita c. Pologne), 2 décembre 2011, 1128e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2012)42 (exécution des décisions (règlements amiables) dans 82 affaires contre la Pologne), 8 mars 2012, 1136e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2012)43 (exécution de l’arrêt Bruczyński c. Pologne), 8 mars 2012, 1136e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2012)98 (exécution des décisions (règlements amiables) dans 76 affaires contre la Pologne), 6 juin 2012, 1144e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2012)197 (exécution de l’arrêt Henryk et Ryszard Urban c. Pologne), 6 décembre 2012, 1157e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2012)198 (exécution de l’arrêt Nowiński c. Pologne), 6 décembre 2012, 1157e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2012)199 (exécution de l’arrêt Gajewski c. Pologne), 6 décembre 2012, 1157e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2012)200 (exécution de l’arrêt Frankowicz c. Pologne), 6 décembre 2012, 1157e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)36 (exécution des arrêts dans 13 affaires contre la Pologne), 7 mars 2013, 1164e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)37, (exécution de l’arrêt Jakóbski c. Pologne), 7 mars 2013, 1164e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)38 (exécution de l’arrêt Witek c. Pologne), 7 mars 2013, 1164e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)39 (exécution de l’arrêt Wojtas-Kaleta c. Pologne), 7 mars 2013, 1164e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)65 (exécution de l’arrêt Giszczak c. Pologne), 30 avril 2013, 727 BIBLIOGRAPHIE 1169e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)66 (exécution de l’arrêt Richert c. Pologne), 30 avril 2013, 1169e réunion des délégués.  Résolution CM/Res(2013)67 (exécution des arrêt de l’arrêt Woś c. Pologne et des arrêts dans six autres affaires), 30 avril 2013, 1169e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)81 (exécution de l’arrêt Kozak c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)82 (exécution de l’arrêt Biziuk c. Pologne (n°2)), 7 mai 2013, 1170e réunion de délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)83 (exécution de l’arrêt Miernicki c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)84 (exécution des arrêts Mirosław Garlicki c. Pologne, Stokłosa c. Pologne et Pohoska c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)85 (exécution de l’arrêt Łaszkiewicz c. Pologne), 7 mai 2013, 1170e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)92 (exécution des arrêts Wojciechowski c. Pologne et Kazimierczak c. Pologne), 29 mai 2013, 1171e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)111 (exécution des arrêts Sobolewski (n°2) c. Pologne, Strzałkowski c. Pologne et Seliwiak c. Pologne), 6 juin 2013, 1172e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)112 (exécution de l’arrêt Wieczorek c. Pologne), 6 juin 2013, 1172e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)147 (exécution des arrêts dans 7 affaires contre la Pologne), 10 juillet 2013, 1176e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)163 (exécution des arrêts Garycki c. Pologne et Finster c. Pologne), 11 septembre 2013, 1177e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)190 (exécution des arrêts dans 13 affaires contre la Pologne), 26 septembre 2013, 1179e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)208 (exécution de l’arrêt Byrzykowski c. Pologne), 16 octobre 2013, 1181e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)209 (exécution de 6 affaires contre la Pologne), 16 octobre 2013, 1181e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)215 (exécution de l’arrêt Luczak c. Pologne), 24 octobre 2013, 1182e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)228 (exécution de 58 affaires contre la Pologne), 20 novembre 2013, 1185e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2013)247 (exécution de l’arrêt Rosenzweig et Bonded Warehouses Ltd. c. Pologne), 5 décembre 2013, 1186e réunion des délégués. 728 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME  Résolution CM/ResDH(2013)248 (exécution de l’arrêt Bar-Bau Sp. z o. o. c. Pologne), 5 décembre 2013, 1186e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)27 (exécution de l’arrêt Jasińska c. Pologne), 6 mars 2014, 1193e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)60 (exécution de l’arrêt Joanna Szulc c. Pologne), 30 avril 2014, 1198e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)85 (exécution de l’arrêt Grzelak c. Pologne), 5 juin 2014, 1201e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)119 (exécution de l’arrêt Plechanow c. Pologne), 10 septembre 2014, 1206e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)144 (exécution de l’arrêt Nieruchomości Sp. z o.o. c. Pologne), 17 septembre 2014, 1207e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)145 (exécution des arrêts dans 5 affaires contre la Pologne), 17 septembre 2014, 1207e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)146 (exécution de l’arrêt Toziczka c. Pologne), 17 septembre 2014, 1207e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)147 (exécution de l’arrêt Janusz Białas c. Pologne), 17 septembre 2014, 1207e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)172 (exécution de l’arrêt Matyjek et des arrêts dans onze autres affaires contre la Pologne), 25 septembre 2014, 1208e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)190 (exécution des arrêts rendus dans 2 affaires contre la Pologne), 8 octobre 2014, 1209e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)218 (exécution de l’arrêt Sosinowska c. Pologne), 12 novembre 2014, 1211e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)219 (exécution des arrêts dans 30 affaires contre la Pologne), 12 novembre 2014, 1211e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)235 (exécution de l’arrêt Kaperzyński c. Pologne), 19 novembre 2014, 1212e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)268 (exécution des arrêts dans 173 affaires contre la Pologne), 4 décembre 2014, 1214e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2014)295 (exécution des arrêts dans 5 affaires contre la Pologne), 17 décembre 2014, 1215e bis réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2015)49 (exécution de l’arrêt Długołęcki c. Pologne), 1er avril 2015, 1224e réunion des délégués, annexe (bilan d’action).  Résolution CM/ResDH(2015)92 (exécution de l’arrêt Dzieciak c. Pologne), 11 juin 2015, 1230e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2015)147 (exécution des arrêts Zwierzynski c. Pologne), 24 sep729 BIBLIOGRAPHIE tembre 2015, 1236e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2015)165 (exécution de l’arrêt Waldemar Nowakowski c. Pologne), 14 octobre 2015, 1238e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2015)179 (exécution des arrêts dans trois affaires contre la Pologne), 4 novembre 2015, 1239e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2015)209 (exécution de l’arrêt Różański c. Pologne), 17 novembre 2015, 1240e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2015)210 (exécution de l’arrêt Baran c. Pologne), 17 novembre 2015, 1240e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2015)211 (exécution de l’arrêt Wiktorko c. Pologne), 17 novembre 2015, 1240e réunion des délégués.  Résolution CM/Res(2015)234 (exécution de l’arrêt Bączkowski et autres c. Pologne), 9 décembre 2015, 1243e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2015)235, 9 décembre 2015 (exécution de l’arrêt Płonka c. Pologne), 9 décembre 2015, 1243e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2015)236 (exécution de l’arrêt Mojsiejew c. Pologne), 24 mars 2009, 1243e réunion des délégués.  Résolution finale CM/ResDH(2015)248 (exécution des arrêts dans 205 affaires contre la Pologne), 9 décembre 2015, 1243e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2016)2 (exécution des arrêts dans deux affaires contre la Pologne), 20 janvier 2016, 1245e réunion des délégués.  Résolution CM/Res/DH(2016)4 (exécution de l’arrêt Iwańczuk c. Pologne), 20 janvier 2016, 1245e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2016)32 (exécution des arrêts dans cinq affaires contre la Pologne), 8 mars 2016, 1250e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2016)47 (exécution de l’arrêt Sierpiński c. Pologne), 30 mars 2016, 1252e réunion des délégués.  Résolution CM/ResDH(2016)48 (exécution de l’arrêt Włoch c. Pologne (n°2)), 30 mars 2016, 1252e réunion des délégués.  Document DH-DD(2011)110 (communication d’une ONG concernant l’affaire Beller c. Pologne (groupe d’affaires Fuchs)), 16 février 2011.  Document DH-DD(2011)1073 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Fuchs), 24 novembre 2011.  Document DH-DD(2012)252 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) concernant l’affaire Beller et réponse de la Pologne), 19 mars 2012.  Document DH-DD(2012)631 (communication d’une ONG (la Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) concernant l’affaire Wizerkaniuk et réponse de la Pologne), 26 juin 2012. 730 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME  Document DH-DD(2013)68 (communication de la Pologne concernant l’affaire Wizerkaniuk c. Pologne), 28 janvier 2013.  Document DH-DD(2013)464 (communication de la Pologne concernant l’arrêt HuttenCzapska), 29 avril 2013.  Document DH-DD(2013)550 (communication de la Pologne concernant l’affaire Miażdżyk c. Pologne), 21 mai 2013.  Document DH-DD(2013)787 (communication de la Pologne concernant les groupes d’affaires Kudła et Podbielski), 10 juillet 2013.  Document DH-DD(2013)866 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) concernant l’affaire Wasilewska et Kałucka c. Pologne), 19 août 2013.  Document DH-DD(2013)1211 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) concernant l’affaire Miażdżyk c. Pologne et réponse de la Pologne), 12 novembre 2013.  Document DH-DD(2014)61 (communication de la Pologne concernant l’affaire Czajkowska et autres), 12 mai 2014.  Document DH-DD(2014)103 (communication de la Pologne concernant l’affaire R. R. c. Pologne), 21 janvier 2014.  Document DH-DD(2014)104 (communication de la Pologne concernant l’affaire Tysiąc c. Pologne), 21 janvier 2014.  Document DD-DH(2014)142 (communication d’une ONG (Conseil du barreau polonais) concernant l’affaire Tysiąc et réponse de la Pologne), 30 janvier 2014.  Document DH-DD(2014)146 (communication d’une ONG (Conseil du barreau polonais) sur le groupe d’affaires Kudła c. Pologne et Podbielski c. Pologne), 30 janvier 2014.  Document DH-DD(2014)206 (communication de la Pologne concernant l’affaire Joanna Szulc), 5 février 2014.  Document DH-DD(2014)258 (communication de la Pologne concernant l’affaire P. et S., 19 février 2014.  Document DH-DD(2014)417 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme) concernant l’affaire Potomska et Potomski et réponse des autorités), 27 mars 2014.  Document DH-DD(2014)622 (communication de la Pologne concernant les affaires Frasik et Jaremowicz), 12 mai 2014.  Document DH-DD(2014)807 (communication de la Pologne concernant l’affaire Plechanow), 18 juin 2014.  Document DH-DD(2014)808 (communication de la Pologne concernant l’affaire Rachwalski et Ferenc), 18 juin 2014.  Document DH-DD(2014)605 (communication d’une ONG (Fondation d’Helsinki pour les 731 BIBLIOGRAPHIE droits de l’homme) concernant l’affaire R. R. et réponse de la Pologne, 9 mai 2014.  Document DH-DD(2014)935 (communication de la Pologne concernant l’affaire Mariusz Lewandowski), 8 juillet 2014.  Document DH-DD(2014)950 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Orchowski), 11 août 2014.  Document DH-DD(2014)1057 (communication de la Pologne concernant les affaires Matyjek et autres), 8 septembre 2014.  Document DH-DD(2014)1077 (communication d’une ONG (Amnesty International) concernant l’affaire P. et S. c. Pologne), 10 septembre 2014.  Document DH-DD(2014)1406 (communication de la Pologne concernant les affaires Kurlowicz, Lewandowska-Malec et Jucha et Żak), 19 novembre 2014.  Document DH-DD(2015)56 (communication de la Pologne concernant l’arrêt HuttenCzapska), 15 janvier 2015, 1222e réunion des délégués.  Document DH-DD(2015)59 (communication de la Pologne concernant l’affaire Bugajny et autres c. Pologne), 15 janvier 2015.  Document DH-DD(2015)432 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Dzwonkowski), 17 avril 2005.  Document DH-DD(2015)493 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Fuchs), 7 mai 2015.  Document DH-DD(2015)494 (communication de la Pologne concernant l’affaire Potomska et Potomski), 7 mai 2015.  Document DH-DD(2015)495 (communication de la Pologne concernant l’affaire Tomaszewscy), 7 mai 2015.  Document DH-DD(2015)678 (communication de la Pologne concernant l’affaire Zwierzynski), 24 juin 2015.  Document DH-DD(2015)708 (communication d’une ONG concernant l’affaire HuttenCzapska et réponse de la Pologne), 2 juillet 2015, 1236e réunion des délégués.  Document DH-DD(2015)889 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Kaprykowski), 4 septembre 2015.  Document DH-DD(2015)1363 (communication de la Pologne concernant les affaires Kędzior et K. C.), 16 décembre 2015.  Document DH-DD(2016)189 (communication de la Pologne concernant le groupe d’affaires Horych), 23 février 2016.  Document DH-DD(2016)191 (communication de la Pologne concernant les affaires Al Nashiri et Abu Zubaydah), 23 février 2016.  Document DH-DD(2016)198 (communication de la Pologne concernant l’affaire Sierpiński), 23 février 2016. 732 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME E) RAPPORTS DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME  Rapport annuel 2003, Strasbourg, 2004, 113 pages.  Rapport annuel 2004, Strasbourg, 2005, 123 pages.  Rapport annuel 2005, Strasbourg, 2006, 154 pages.  Rapport annuel 2006, Strasbourg, 2007, 122 pages.  Rapport annuel 2007, Strasbourg, 2008, 149 pages.  Rapport annuel 2008, Strasbourg, 2009, 145 pages.  Rapport annuel 2009, Strasbourg, 2010, 158 pages.  Rapport annuel 2010, Strasbourg, 2011, 140 pages.  Rapport annuel 2011, Strasbourg, 2012, 168 pages.  Rapport annuel 2012, Strasbourg, 2013, 162 pages.  Rapport annuel 2013, Strasbourg, 2014, 208 pages.  Rapport annuel 2014, Strasbourg, 2015, 184 pages.  Rapport annuel 2015 (version provisoire), Strasbourg, 2016, 209 pages. F) TRAVAUX DU COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME  Commiss. DH, CommDH(2003)4, Rapport du Commissaire aux Droits de l’Homme, M. Alvaro Gil-Roblès, sur sa visite en Pologne du 18 au 22 novembre 2002, 19 mars 2003.  Commiss. DH, CommDH(2009)18, Rapport intérimaire du gouvernement polonais pour le Commissaire aux droits de l’homme, 20 avril 2009. G) AUTRES DOCUMENTS  Avis du Comité consultatif sur la Pologne adopté le 27 novembre 2003, relatif à la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, CM(2004)4, 15 janvier 2004.  Commentaire du gouvernement de la Pologne sur l’avis du Comité consultatif sur le rapport relatif à la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales en Pologne, CM(2004)4 Addendum, 19 mai 2004.  Congr. Pv. loc., Évaluation de la régionalisation en Europe centrale, et notamment en Pologne, CPR(7)3, Partie II F, 18 avril 2000.  Congr. Pv. loc., CG/2015(28)12, Démocraties locale et régionale en Pologne, 26 mars 2015.  CPT, Response of the Polish government to the report of the CPT on its visit to Poland, CPT/Inf(2011)21, 12 juillet 2011.  CPT, Rapport CPT/Inf(2014)21 au gouvernement polonais après la visite en Pologne du 733 BIBLIOGRAPHIE Comité du 5 au 17 juin 2013, Strasbourg, 25 juin 2014.  Commission de Venise, CDL-AD(2016)001, Opinion n°833/2015 sur les amendements à la loi du 25 juin 2015 sur le Tribunal constitutionnel de Pologne, 11 mars 2016. 3. AUTRES ORGANISATIONS INTERNTIONALES A) NATIONS UNIES  Assemblée générale des Nations Unies, Résolution n°217 (III), Déclaration Universelle des droits de l’homme, Paris, 10 décembre 1948.  Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 2200 A (XXI), Pacte International relatifs aux Droits Civils et Politiques, New York, 16 décembre 1966.  Assemblée générale des Nations Unies, Compilation établie par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe de la résolution 16/21 du CSDH – Pologne, 4 juin 2012.  Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Groupe de travail sur l’examen périodique universel – Pologne, 9 juillet 2012.  CAT, Observations finales concernant les cinquième et sixième rapports périodiques de la Pologne, soumis en un seul document, CAT/C/POL/CO/5-6, 23 décembre 2013.  HCDH, Rapport national soumis conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du CSDH, A/HRC/WG.6/13/POL/1, 8 mars 2012  Rapport du gouvernement polonais soumis au CDH de l’ONU, CCPR/C/POL/2004/5, 13 janvier 2004. B) UNION EUROPÉENNE  Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, JOUE, C 346/01, 18 décembre 2000.  Règlement (CE) n°44/2001 du Conseil de l’Union européenne du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOUE, L 12, 16 janvier 2001.  Décision-cadre 2008/675/JAI du Conseil de l’Union européenne du 24 juillet 2008 relative à la prise en compte des décisions entre États-membres à l’occasion d’une procédure pénale. C) CONFÉRENCE DE LA HAYE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ  Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, texte n°28, La Haye, 25 octobre 1980. 734 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 4. ORGANISATIONS NON-GOUVERNEMENTALES A) AMNESTY INTERNATIONAL  La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2009 – Pays par pays, Paris, Editions Francophones d’Amnesty international, 2009, 481 pages.  La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2010 – Pays par pays, Paris, Editions Francophones d’Amnesty international, 2010, 363 pages.  La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2011 – Pays par pays, Paris, Editions Francophones d’Amnesty international, 2011, 415 pages.  La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2012 – Pays par pays, Paris, Editions Francophones d’Amnesty international, 2012, 417 pages.  La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2013 – Pays par pays, Paris, Editions Francophones d’Amnesty international, 2013, 493 pages.  La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2014/15 – Pays par pays, Paris, Editions Francophones d’Amnesty international, 2015, 484 pages.  La situation des droits de l’homme dans le monde – Rapport 2015/16 – Pays par pays, Paris, Editions Francophones d’Amnesty international, 2016, 484 pages. COMMISSION SUR LA SÉCURITÉ ET LA COOPÉRATION EN EUROPE  CSCE, Implementation of the Helsinki Accords: Human rights and democratization in Poland, Washington DC (États-Unis), janvier 1994, 16 pages. IV. JURISPRUDENCE INTERNE 1. TRIBUNAL CONSTITUTIONNEL POLONAIS  N°U 6/92, 19 juin 1992, OTK ZU, 1992, texte 13.  N°K 1/92, 20 octobre 1992, OTK ZU, 1992, n°2, texte 23.  N°U 12/92, 20 avril 1993, OTK ZU, 1993, texte 9.  N°W 3/93, 2 mars 1994, OTK ZU, 1994, texte 17.  N°K 13/94, 14 mars 1995, OTK ZU, 1995, n°1, texte 6.  N°K 9/95, 31 janvier 1996, OTK ZU, 1996, n°1, texte 2.  N°K 26/96, 28 mai 1997, OTK ZU, 1997, n°2, texte 19.  N°K 39/97, 10 novembre 1998, OTK ZU, 1998, n°6, texte 99. 735 BIBLIOGRAPHIE  N°P 11/98, 12 janvier 2000, OTK ZU, 2000, n°1, texte 3.  N°SK 10/00, 2 avril 2001, OTK ZU, 2001, n°3, texte 52.  N°SK 18/00, 4 décembre 2001, OTK ZU, 2001, n°8, texte 256.  N°K 26/00, 10 avril 2002, OTK ZU, 2002, n°2A/2002, texte18.  N°SK 32/01, 13 mai 2002, OTK ZU, 2002, n°3A, texte 31.  N°K 48/01, 2 octobre 2002, OTK ZU, 2002, n°5A, texte 62.  N°K 33/02, 19 décembre 2002, OTK ZU, 2002, n°7A, texte 97.  N°K 18/02, 28 avril 2003, OTK ZU, 2003, n°4A, texte 32.  N°K 22/10, 26 février 2004, OTK ZU, 2014, n°2A, texte 15.  N°P 4/04, 7 septembre 2004, OTK ZU, 2004, n°8A, texte 81.  N°K 2/04, 15 décembre 2004, OTK ZU, 2004, n°11A, texte 117.  N°K 4/05, 19 avril 2005, OTK ZU, 2005, n°4A, texte 37.  N°S 1/05, 29 juin 2005, OTK ZU, 2005, n°6A, texte 77.  N°K 21/05, 18 janvier 2006, OTK ZU, 2006, n°1A, texte 4.  N°K 33/05, 17 mai 2006, OTK ZU, 2006, n°5A, texte 57.  N°SK 58/03, 24 juillet 2006, OTK ZU, 2006, n°7A, texte 85.  N°P 14/06, 11 septembre 2006, OTK ZU, 2006, n°8A, texte 102.  N°P 10/06, 30 octobre 2006, OTK ZU, 2006, n°9A, texte 128.  N°S 3/06, 30 octobre 2006, OTK ZU, 2006, n°9A, texte 146.  N° K 2/07, 11 mai 2007, OTK ZU, 2007, n°5A, texte 48.  N°P 15/08, 10 juillet 2007, OTK ZU, 2008, n°6A, 2008, texte 105.  N°SK 7/06, 24 octobre 2007, OTK ZU, 2007, n°9A, texte 108.  N°SK 53/06, 14 novembre 2007, OTK ZU, 2007, n°10A, texte 139.  N°SK 16/07, 23 avril 2008, OTK ZU, 2008, n°3A, texte 45.  N°SK 43/05, 12 mai 2008, OTK ZU, 2008, n°4A, texte 57.  N°SK 25/07, 26 mai 2008, OTK ZU, 2008, n°4A, texte 62.  N° K 42/07, 3 juin 2008, OTK ZU, 2008, n°5A, texte 77.  N°SK 17/07, 10 juin 2008, OTK ZU, 2008, n°5A, texte 78.  N°SK 52/05, 29 septembre 2008, OTK ZU, 2008, n°7A, texte 125.  N°Kpt 2/08, 20 mai 2009, OTK ZU, 2009, n°5A, texte 78.  N°K 1/07, 2 juillet 2009, OTK ZU, 2009, n°7A, texte 104.  N°U 10/07, 2 décembre 2009, OTK ZU, 2009, n°11A, texte 163. 736 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME  N°K 41/07, 1er décembre 2010, OTK ZU, 2010, n°10A, texte 127.  N°P 9/11, 4 octobre 2011, OTK ZU, 2011, n°8A, texte 86.  N°K 5/11, 28 février 2012, OTK ZU, 2012, n°2A, texte 16.  N°SK 3/12, 20 novembre 2012, OTK ZU, 2012, n°10A, texte 123.  N°K 25/11, 10 décembre 2012, OTK ZU, 2012, n°11A, texte 132.  N°K 44/12, 18 septembre 2014, OTK ZU, 2014, n°8A, texte 92.  N°P 31/12, 2 avril 2015, OTK ZU, 2015, n°4A, texte 44.  N°K 12/14, 7 octobre 2015, OTK ZU, 2015, n°9A, texte 143.  N°K 47/15, 9 mars 2016, OTK ZU, 2006, n°A, texte 2. 2. COUR SUPRÊME  N°III CZP 94/75, 30 janvier 1976, OSN, 1976, n°7-8, texte 157.  N°I KZP 35/96, 6 février 1997.  N°II CZ, 9/97, 21 février 1997.  N°I CZ 14/97, 8 avril 1997, OSN, 1997, n°9, texte 120.  N°II CKN 550/97, 7 janvier 1998.  N°III ZP 44/97, 31 mars 1998.  N°V SAB 7/99, 19 février 1999.  N°III CZP 49/00, 17 janvier 2001.  N°III CZP 46/01, 5 octobre 2001.  N°II CZN 1216/00, 18 avril 2002, OSN, 2003, n°4, texte 58.  N°I CK 323/02, 21 novembre 2003.  N°IV CK 491/03, 30 juin 2004.  N°I CK 447/03, 6 octobre 2004.  N°III CZP 64/04, 16 novembre 2004.  N°III SPP 113/04, 18 janvier 2005, OSN, 2005, n°1, texte 27.  N° III CZP 53/04, 18 février 2005, OSN, 2005, n°7−8, texte 114.  N°I PZP 1/05, 26 janvier 2006.  N°III CZP 99/06, 7 décembre 2006.  N°V CSK 431/06, 28 février 2007, ONS, 2008, n°1, texte 13.  N°III CZP 152/06, 27 juin 2007.  N°II KZ 16/08, 6 mai 2008. 737 BIBLIOGRAPHIE  N°IV KZ 82/08, 12 décembre 2008.  N°IV KK 334/08, 2 mars 2009.  N°II KK 30/09, 17 juin 2009.  N°II KZ 54/09, 18 novembre 2009.  N°III KZ 87/09, 22 décembre 2009.  N°III UK 94/09, 21 septembre 2010.  N°I CSK 95/10, 3 décembre 2010.  N°I CSK 334/10, 11 février 2011.  N°III UK 317/10, 24 mars 2011.  N°III UK 93/10, 11 avril 2011.  N°II KZ 42/11, 29 juillet 2011.  N°I CSK, 5 novembre 2011.  N°III UK 223/10, 9 janvier 2012.  N°I CSK 402/11, 13 avril 2012.  N°III CZP 77/11, 24 mai 2012.  N°III CZP 28/12, 21 juin 2012.  N°I CSK 665/11, 4 octobre 2012.  N°I CSK 632/11, 4 octobre 2012.  N°III CZP 65/12, 28 novembre 2012, OSN, 2013, n°5, texte 57.  N°III UZP 5/12, 15 janvier 2013, OSN, 2013, n°23-24, texte 288.  N°IV CSK 270/12, 18 janvier 2013.  N°III SPZP 1/13, 28 mars 2013. 3. COUR ADMINISTRATIVE SUPRÊME  N°II SAB 419/02, 29 mai 2003, OSP, 2004, n°7-8, texte 90.  N°II OSK 1512/11, 14 décembre 2012. 738 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME V. SOURCES ÉLECTRONIQUES L’auteur détient une version imprimée des articles en ligne collectés. 1. SITES OFFICIELS  Base de données du droit polonais : <http://isap.sejm.gov.pl/>  Site de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, Portail de recherche HUDOC : <http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?skin=hudoc-fr.>  Site officiel de la Diète de la République de Pologne : <http://www.sejm.gov.pl/>  Site officiel de la Tribunal Constitutionnel polonais : <http://www.trybunal.gov.pl>  Site officiel du service de <http://www.coe.int/fr/web/execution> l’exécution des arrêts de la CEDH : 2. ARTICLES JURIDIQUES  AFROUKH (M.), « La Cour européenne des droits de l’homme et l’exécution de ses arrêts », RDLF, 2012, chron. n°5 [consulté le 10-11-2015]  DONALD (A.), « Responding to Systemic Human Rights Violations – An analyse of ‘Pilot judgments’ of the European Court of Human Rights and their impact at National Level », Strasbourg, Human Rights and Social Justice Research Institute, 14 juin 2010, <https://metranet.londonmet.ac.uk/fms/MRSite/Research/HRSJ/Publications%20&%20repo rts/Pilot%20Seminar%20Report_php.pdf> [consulté le 05-08-2015].  HERVIEU (N.), « Une Cour européenne des droits de l’homme maîtresse de son destin », La Revue des Droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 12 mai 2014.  MASSIAS (J.-P.), « La Russie et le Conseil de l’Europe : dix ans pour rien ? », Russie.Nei.Visions, n°15, p.12, <http://www.ifri.org/downloads/ifri_CE_massias_francais _janv2007.pdf> [consulté le 30-11-2014]  ROMER (T.), « Pologne : Protéger et garantir concrètement l’indépendance des magistrats », 2007, <http://www.medelnet.eu/images/stories/docs/12%20Romer.pdf pp. 269-270> [consulté le 31-07-2015]  SAFJAN (M.), « Justice transitionnelle : l’exemple polonais, le cas de la lustration », European Journal of Legal Studies, Vol.1 n°2, 2007, <http://cadmus.eui.eu/dspace/ bitstream/1814/7711/3/EJLS_2007_1_2_10_SAF_FR.pdf> [consulté le 30-11-2014] 739 BIBLIOGRAPHIE 3. ARTICLES DE PRESSE  BIELAWSKA (A), « 25 years after the death of 19-years old Grzegorz Przemyk », Polskie Radio, 15 mai 2008, <http://www2.polskieradio.pl/eo/print.aspx?iid=82407> [consulté le 13-07-2015]  BODNAR (A.), «Polemika z Jerzym Stępniem. Mogą nas pozwać o krzyże », Gazeta Wyborcza, 14 novembre 2009, <http://wyborcza.pl/1,76842,7251662,Polemika_z_Jerzym_ Stepniem__Moga_nas_pozwac_o_krzyze.html> [consulté le 30-11-2014]  BODNAR (A.), PIETRYKA (A.), « Wolności konstytucyjne. Co rusz to ogranicznia », Gazeta Wyborcza, 15 mars 2010, <http://wyborcza.pl/1,75515,7663506,Wolnosci_konstytucyjne_ Co_rusz_to_ograniczenia.html> [consulté le 30-11-2014]  DAUKSZEWICZ-CĘCELEWSKI (K.), « Zmarł Leopold Przemyk, ojciec pobitego na śmierć Grzegorza Przemyka », Gazeta.pl, 5 décembre 2013, <http://wiadomosci.gazeta.pl/ wiadomosci/1,114871,15080515,Zmarl_Leopold_Przemyk__ojciec_pobitego_na_smierc_G rzegorza.html> [consulté le 13 juillet 2015]  « EuroPride in Warsaw », Human Rights House, 30 septembre 2010, <http:// humanrightshouse.org/Articles/15174.html> [consulté le 30-11-2014]  « Le droit à l’avortement dans l’UE », touteleurope.eu, 23 septembre 2014, <http://www.touteleurope.eu/actualite/le-droit-a-l-avortement-dans-l-ue.html> [consulté le 29-02-2016]  « Non au PACS ! », Courrier International, 25 janvier 2013, <http://www. courrierinternational.com/breve/2013/01/25/non-au-pacs> [consulté le 30-11-2014]  « Polish Sejm and Senate presents opinion on the crucifix in public domain », Human Rights House, 13 juin 2010, <http://humanrightshouse.org/noop/page.php?p=Articles/14397> [consulté le 30-11-2014]  SOLSKA (J.), « Zwycięzca bierze wszystko », polityka.pl, 27 octobre 2015 <http://www.polityka.pl/tygodnikpolityka/wybory2015/1638305,1,komentarz-zwyciezcabierze-wszystko.read> [consulté le 29-10-2015]  TRUCHLEWSKI (Z.), « L’Affaire Geremek », Nouvelle Europe, http://www.nouvelle-europe.eu/node/188 [consulté le 30-11-2014] 30 avril 2007,  ZALEWSKI (F.), « Pologne, la victoire des perdants de la transition démocratique », lemonde.fr, 13 janvier 2016, <http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/13/pologne-lavictoire-des-perdants-de-la-transition-democratique _4846626_3232.html> [consulté le 13-01-2016] 740 TABLE DES MATIÈRES LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME REMERCIEMENTS....................................................................................................................I LISTE DES ABRÉVIATIONS ................................................................................................... III SOMMAIRE ......................................................................................................................... VII INTRODUCTION GÉNÉRALE ....................................................................... 1 I. Un révélateur de l’état des libertés en Pologne ............................................................................... 14 § 1. Le long chemin vers la liberté : du royaume des diétines à l’autoritarisme de l’entre-deux-guerres ............ 16 § 2. La Pologne, une ancienne république socialiste post-totalitaire ................................................................... 20 II. Une évaluation du rôle d’« école de la démocratie » du Conseil de l’Europe ............................. 35 § 1. L’élargissement du Conseil de l’Europe à l’est de l’Europe......................................................................... 36 § 2. La Pologne et la Convention européenne des droits de l’homme ................................................................. 41 III. Un bilan de la transition démocratique polonaise ....................................................................... 46 § 1. L’effondrement du régime socialiste : l’amorce d’une transition ................................................................. 47 § 2. Les critères de l’achèvement de la transition ................................................................................................ 50 PREMIÈRE PARTIE - L’ÉLIMINATION ACQUISE DES SCORIES DU SYSTÈME SOCIALISTE : LA « RÉCEPTION DE CONFORT » ............... 3 TITRE I – RÉPARER LES PRÉJUDICES CAUSÉS PAR L’ANCIEN DROIT .................................. 64 Chapitre I – Le traitement contrôlé des conflits relatifs au passé.............................................. 66 Section I – La régulation des mécanismes d’indemnisation .............................................................. 67 § 1. La compensation des biens abandonnés sur les anciens territoires polonais ................................................ 68 A. L’existence d’un dysfonctionnement systémique ...................................................................................... 69 1) Les limites à la réparation proposée aux rapatriés des anciens territoires polonais .............................. 69 2) L’évolution de la législation interne amorcée avant l’intervention de la Cour ..................................... 72 3) L’arrêt pilote Broniowski de la grande chambre de la Cour ................................................................. 76 B. L’encadrement des réformes internes par la procédure de l’arrêt pilote .................................................... 80 1) La loi du 17 juin 2004 relative à la responsabilité du Trésor public en cas de carence des pouvoirs publics ...................................................................................................................................................... 81 2) L’évolution de la législation sur la compensation des propriétés abandonnées .................................... 82 3) Le règlement-amiable Broniowski de 2005 : un contrôle par la Cour de l’avancée des réformes ........ 84 C. La résolution complète des « affaires du Boug »....................................................................................... 87 1) La résolution intérimaire du Comité des ministres du 5 juillet 2005 .................................................... 87 2) La clôture des affaires du Boug par la CEDH ...................................................................................... 88 3) La résolution finale du Comité des ministres du 30 septembre 2009 ................................................... 90 § 2. L’indemnisation des victimes du travail forcé en Allemagne nazie ............................................................. 90 A. Les deux voies d’indemnisation devant la Fondation pour la Réconciliation Germano-Polonaise contraires TABLE DES MATIÈRES à l’article 6 de la Convention ......................................................................................................................... 91 1) La première voie d’indemnisation ........................................................................................................ 92 2) La seconde voie d’indemnisation ......................................................................................................... 93 B. L’ouverture au contrôle du juge de droit commun des décisions de la Fondation ..................................... 94 1) La réception de l’arrêt Woś par la Cour suprême et le Tribunal constitutionnel .................................. 94 2) La clôture de l’examen des affaires Woś et autres par le Comité des ministres ................................... 95 Section II – L’encadrement du travail de mémoire nationale .......................................................... 97 § 1. La politique de lustration à l’épreuve de la CEDH ....................................................................................... 97 A. Le choix de la lustration par la Pologne : la loi du 11 avril 1997 .............................................................. 99 B. La politique de lustration neutralisée par la jurisprudence de la CEDH .................................................. 102 1) La Pologne condamnée pour la restriction excessive de l’accès aux documents lors des procédures de lustration ................................................................................................................................................. 102 2) La lustration polonaise désormais conforme aux standards européens ............................................... 107 § 2. La révision des procédures impliquant des opposants politiques ............................................................... 114 A. La durée excessive des procédures de réhabilitation des opposants politiques ....................................... 115 1) L’annulation tardive de la condamnation d’un ancien combattant des Forces Nationales Armées .... 115 2) Le délai excessif de la procédure d’indemnisation d’une condamnation politique ............................. 117 B. L’incapacité des autorités à éclaircir les circonstances de la mort d’un opposant politique .................... 119 1) L’absence de procédure effective concernant les circonstances du décès de Grzegorz Przemyk ....... 119 2) La volonté de rendre justice anéantie par le dysfonctionnement des juridictions ............................... 121 Chapitre II – L’annulation accélérée des décisions d’expropriation ...................................... 125 Section I – La reconnaissance des dépossessions à caractère idéologique ..................................... 127 § 1. Les expropriations causées par la réforme agraire ...................................................................................... 128 A. Le décret du 6 septembre 1944, fondement juridique de la réforme agraire ........................................... 128 B. L’invitation de la Cour européenne à la clôture rapide des procédures internes...................................... 129 C. L’adoption de mesures générales portant sur la durée des procédures administratives ........................... 131 § 2. La réquisition des logements dans la ville de Varsovie .............................................................................. 133 A. Le décret du 26 octobre 1945, fondement juridique des nationalisations immobilières .......................... 134 B. Les procédures engagées par les propriétaires lésés soumises aux règles du procès équitable et du droit au respect des biens .......................................................................................................................................... 135 1) La Pologne le plus souvent condamnée sur le fondement de l’article 6 de la Convention ................. 135 2) La Pologne ponctuellement condamnée sur le fondement de l’article 1er du Protocole n°1 ............... 138 C. Des réponses fragiles et incomplètes au problème des reprivatisations immobilières ............................. 141 1) De nouveaux délais constatés à travers des procédures individuelles................................................. 141 2) Le constat par la Cour et par le Comité de la bonne exécution des arrêts Plechanow et Sierpiński.... 143 § 3. La nationalisation des moyens de production ............................................................................................. 145 A. La procédure d’annulation d’une expropriation fondée sur la loi de transfert à l’État des branches principales de l’économie de 1946 ............................................................................................................... 146 B. La procédure d’annulation d’une expropriation fondée sur un règlement ministériel de 1955 ................ 147 C. La procédure d’annulation d’une expropriation ordonnée sans fondement légal .................................... 148 D. L’issue des affaires relatives à la nationalisation des biens productifs liée à l’amélioration des délais de procédure ..................................................................................................................................................... 150 § 4. La saisie des biens des organisations religieuses ou syndicales ................................................................. 151 A. La restitution des biens de l’Église expropriés par le régime socialiste .................................................. 151 744 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 1) L’impossibilité de contester les décisions de la commission des biens, non-conforme au droit d’accès à un tribunal............................................................................................................................................... 151 2) La disparition des procédures spécifiques de restitution des biens de l’Église ................................... 153 B. La confiscation des biens du syndicat Solidarność sous l’état martial..................................................... 154 1) La durée d’une procédure de restitution de biens saisis non-conforme à l’article 6 § 1 de la Convention ................................................................................................................................................................ 154 2) La réception de l’affaire NSZZ Solidarność de Świdnica associée aux mesures relatives à la lenteur des procédures administratives ..................................................................................................................... 156 Section II – La compensation des expropriations locales d’utilité publique .................................. 156 § 1. L’inconventionnalité des expropriations d’utilité publique accomplies ..................................................... 158 A. L’intervention de la CEDH dans les procédures d’indemnisation ou de restitution des propriétés ......... 158 1) Le droit d’être indemnisé pour l’illégalité d’une expropriation d’utilité publique.............................. 158 2) Le droit d’obtenir une décision sur la demande de restitution ou d’indemnisation d’une propriété dans un délai raisonnable ................................................................................................................................ 160 B. L’exécution difficile des arrêts relatifs à l’expropriation pour cause d’utilité publique .......................... 162 1) L’exécution tardive de l’arrêt Zwierzyński ........................................................................................ 162 2) L’adoption de mesures générales en cours dans le cadre de la réception du groupe d’affaires Tomaszewska ......................................................................................................................................... 164 § 2. L’inconventionnalité d’expropriations inabouties dans l’attente d’un plan de développement local ......... 165 A. La Pologne condamnée pour les expropriations inabouties engagées avant 1989 ................................... 165 B. Les violations causées par la nouvelle législation sur l’aménagement du territoire ................................ 167 C. Des avancées législatives continues, un problème désormais résolu ....................................................... 169 1) L’évolution de la législation sur l’aménagement du territoire saluée par le Comité des ministres ..... 169 2) La fin des incohérences jurisprudentielles portant sur l’autorité à poursuivre dans les procédures d’indemnisation ...................................................................................................................................... 171 § 3 L’expropriation impossible suite au classement d’un bien au patrimoine historique .................................. 172 A. La Pologne condamnée sur le fondement de l’article 1er du Protocole n°1 ............................................. 172 B. Une évolution de la loi sur la protection des monuments en préparation ................................................ 173 TITRE II – RÉVOQUER LES PRINCIPES HÉRITÉS DE L’ANCIEN DROIT ............ 179 CHAPITRE I – LES FONDEMENTS RENOUVELÉS DE LA PROCÉDURE PÉNALE ............................ 182 SECTION I – LE RÉTABLISSEMENT DE L’IMPARTIALITÉ DES PROCÉDURES PÉNALES ........................ 186 § 1. L’ÉVOLUTION DU SYSTÈME DE LA PROCURATURE ......................................................................................... 187 A. La violation de l’article 6 de la Convention dans les affaires Belziuk et Rybacki ............................. 187 B. Les dispositions internes inconventionnelles éliminées par la réforme des procédures ................... 189 1) La réforme générale de la procédure pénale de 1997 et les amendements subséquents ................. 189 2) L’interprétation des règles de procédure précisée par la Cour suprême en 2009 ............................ 191 3) La diffusion des arrêts auprès des juridictions nationales ............................................................... 192 § 2. L’impartialité introduite dans la procédure pénale polonaise spécifique aux mineurs ............................... 193 A. La partialité du juge chargé de l’affaire et le manque d’information du requérant sur ses droits sanctionnés par la Cour ................................................................................................................................................... 193 B. La loi du 26 octobre 1982 mise en conformité avec les principes du procès équitables .......................... 196 § 3. LA PRÉSENTATION À UN JUGE IMPARTIAL DE LA PERSONNE PLACÉE EN DÉTENTION...................................... 197 745 TABLE DES MATIÈRES A. La violation de l’article 5 § 3 de la Convention dans l’affaire Niedbała ........................................... 198 B. L’élimination des dispositions inconventionnelles avec l’adoption du nouveau Code de procédure pénale .......................................................................................................................................................... 200 § 4. LA POSSIBILITÉ DE CONTESTER ÉQUITABLEMENT LE PLACEMENT EN DÉTENTION ......................................... 202 A. Une longue série d’arrêts sanctionnant la difficulté de contester équitablement une mesure de privation de liberté ..................................................................................................................................... 202 1) L’impossibilité pour l’avocat ou l’accusé d’assister à l’audience portant sur la détention............. 203 2) La restriction de l’accès au dossier d’instruction pour préparer un recours contre le placement en détention ................................................................................................................................................. 204 B. Les dispositions procédurales inconventionnelles retirées et remplacées ......................................... 205 1) La présence du défenseur détenu ou son avocat aux audiences imposée par le nouveau Code de procédure pénale.................................................................................................................................... 205 2) Le principe de l’accès au dossier d’instruction pour préparer un recours inscrit dans la loi en 2009 ................................................................................................................................................................ 206 SECTION II – L’AMÉLIORATION DES DROITS INDIVIDUELS DES DÉTENUS ......................................... 208 § 1. LA NÉCESSITÉ D’UNE BASE LÉGALE POUR FONDER LA DÉTENTION ............................................................... 209 A. L’expiration de l’ordonnance de placement en détention dans le cadre de la procédure pénale ... 210 1) La violation de l’article 5 § 1 retenue dans l’affaire Baranowski ................................................... 210 2) L’entrée en vigueur du nouveau Code procédure pénale, première mesure d’exécution de l’arrêt Baranowski ............................................................................................................................................ 212 3) La persistance temporaire d’une pratique procédurale non-conforme à la Convention................. 213 4) La remise en liberté tardive du requérant ......................................................................................... 215 B. Les garanties insuffisantes lors d’une privation de liberté pour des raisons médicales ................. 217 1) La détention aux fins de procéder à un examen médical ................................................................. 218 2) La privation de libertés des personnes dépourvues de capacités juridiques..................................... 224 3) La détention en centre de dégrisement contraire à l’article 5 § 1 .................................................... 226 C. Le placement en détention d’étrangers en situation irrégulière ........................................................ 228 1) Une unique condamnation devant la CEDH .................................................................................... 228 2) La remise en cause de la législation et des pratiques relatives au placement en zone de transit des étrangers ................................................................................................................................................ 230 D. L’impossibilité de contester un placement en établissement pour mineurs ..................................... 232 § 2. LE DROIT D’OBTENIR UNE INDEMNISATION POUR UNE DÉTENTION NON-CONFORME À LA CONVENTION........ 234 1) Des violations résultant des lacunes provisoires de la législation .............................................. 234 2) L’indemnisation des détentions illégales désormais garantie par le droit interne .................... 236 § 3. LE DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE EN DÉTENTION........................................................ 237 A. Les restrictions imposées au droit de visite des détenus ..................................................................... 238 1) La limitation injustifiée du droit de visite du détenu ........................................................................ 239 2) Un nouvel encadrement du droit de visite en prison ........................................................................ 241 B. Le refus d’accorder au détenu une autorisation pour assister aux obsèques d’un proche .............. 243 1) La Pologne trois fois condamnée pour le refus opposé à des détenus de se rendre à des obsèques 244 2) Le droit de « sortie compassionnelle » renforcée par l’amendement du Code d’exécution des peines ................................................................................................................................................................ 245 C. Le contrôle injustifié de la correspondance des détenus .................................................................... 246 1) Des pratiques d’interception du courrier abondamment sanctionnées par la Cour entre 2000 et 2014 ................................................................................................................................................................ 246 746 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 2) La raréfaction des cas de censure de la correspondance des détenus .............................................. 250 CHAPITRE II – LA PROTECTION APPORTÉE AUX DROITS D’ESSENCE LIBÉRALE ....................... 256 SECTION I – LA RECONSIDÉRATION DES DROITS DES PROPRIÉTAIRES IMMOBILIERS ....................... 259 § 1. LES OBSTACLES LÉGAUX À L’EXPULSION DU BAILLEUR DÉFAILLANT ............................................................ 260 A. Les premières modifications du régime des baux ............................................................................... 261 1) Le premier jugement du Tribunal constitutionnel (12 janvier 2000) ............................................... 261 2) La réforme législative de juin 2001 : l’adoption de la loi relative aux locations ............................. 261 3) Le second jugement du Tribunal constitutionnel (2 octobre 2002).................................................. 262 B. La violation du droit de propriété retenue dans l’arrêt Schirmer en 2004 ....................................... 263 C. La loi du 31 août 2011 modifiant la législation sur la protection des locataires ...................................... 265 § 2. LA FIN DU SYSTÈME DE LIMITATION DES PRIX DES LOYERS ........................................................................... 266 A. Les lois de décembre 2004 modifiant la législation sur la protection des droits des locataires ....... 266 B. Le déclenchement de la procédure de l’arrêt pilote dans l’affaire Hutten-Czapska ......................... 267 C. La réévaluation des droits des propriétaires par le dialogue des juges européen et polonais ......... 270 1) La confirmation de l’enclenchement de la procédure de l’arrêt pilote : l’arrêt de grande chambre de 2005 ........................................................................................................................................................ 271 2) Les réformes internes postérieures à l’arrêt pilote Hutten-Czapska.................................................... 274 D. La disparition du régime de contrôle des loyers en Pologne .............................................................. 277 1) Le règlement amiable validé par la CEDH le 28 avril 2008 ............................................................... 277 2) La décision d’irrecevabilité du 8 mars 2011 d’une requête portant sur les droits des propriétaires.... 280 3) L’issue de la procédure suspendue à l’adoption d’une résolution finale par le Comité des ministres 281 SECTION II – L’AMÉNAGEMENT DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ........................................................ 283 § 1. LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION ASSURÉE.................................................................................. 284 1) Une seule condamnation au titre de l’article 11 de la Convention en raison du refus injustifié d’autoriser une manifestation.................................................................................................................. 284 2) L’adoption de la nouvelle loi sur les rassemblements du 24 juillet 2015 ..................................... 288 § 2. LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE ENTRE DROITS PERSONNELS ET LIBERTÉS D’EXPRESSION .......................... 291 A. La protection civile des droits personnels, menace potentielle sur la liberté d’expression ...................... 292 1) Les violations de l’article 10 de la Conv. EDH causées par l’application des dispositions protégeant les droits personnels ..................................................................................................................................... 293 2) La diminution du nombre d’affaires grâce au rappel des standards de la Convention ........................ 299 B. Les sanctions pénales prévues pour l’insulte et la diffamation jugées trop sévères par la CEDH ........... 301 1) La Pologne condamnée pour l’application des dispositions du Code pénal de 1969 sur l’insulte et la diffamation ............................................................................................................................................. 301 2) La conformité à la Convention des articles 212 et 216 du Code pénal de 1997 remise en cause par plusieurs arrêts de la CEDH.................................................................................................................... 303 3) La réduction des peines prévues pour diffamation dans le Code pénal .............................................. 307 C. Des décisions inconventionnelles prises sur le fondement de la législation sur la presse ........................ 310 1) La loi sur la presse de 1984 occasionnellement en cause dans les affaires portant sur la liberté d’expression devant la CEDH................................................................................................................. 310 2) La loi sur la presse de 1984 modifiée à la marge ................................................................................ 314 D. D’autres sources du droit interne à l’origine de violations isolées .......................................................... 317 1) La loi de 1998 relative aux élections locales mise en cause dans deux affaires devant la CEDH....... 317 2) La limitation excessive de la parole des médecins par le Code de l’éthique médical....................... 319 747 TABLE DES MATIÈRES SECONDE PARTIE - L’AMÉLIORATION REQUISE DES NORMES DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE : LA « RÉCEPTION DE CONFLIT » ................. 43 TITRE I – REMÉDIER AUX DÉFAILLANCES LIÉES AU NOUVEAU DROIT ........... 333 CHAPITRE I – LES LENTEURS ATTÉNUÉES DU SYSTÈME JURIDICTIONNEL ............................... 335 SECTION I – LA DURÉE EXCESSIVE DES PROCÉDURES ........................................................................ 339 § 1. UNE DÉFAILLANCE DES PROCÉDURES JURIDICTIONNELLES AUX CAUSES MULTIPLES .................................... 339 A. Les périodes d’inactivité ou de passivité injustifiées .......................................................................... 340 B. L’allongement des procédures en raison des décisions des autorités judiciaires ..................................... 343 1) Les retards accumulés lors des recours à l’expertise ........................................................................ 343 2) Le transfert d’un dossier d’une juridiction vers une autre............................................................... 344 3) Le défaut d’exécution d’une décision de justice ............................................................................... 345 C. L’attitude des parties et des témoins en cause dans la lenteur des procédures......................................... 348 1) Le comportement du requérant, facteur d’allongement des procédures .......................................... 348 2) Les reports d’audience causés par l’indiscipline des témoins .......................................................... 350 E. Les facteurs spécifiques de la durée excessive des procédures administratives ....................................... 352 § 2. UNE SUITE DE MESURES ADOPTÉES POUR RÉDUIRE LES DÉLAIS PROCÉDURAUX ............................................ 353 A. La refonte des procédures pénale et civile........................................................................................... 354 1) Repenser la procédure pénale ........................................................................................................... 354 2) Les mesures introduites dans le Code de procédure civile ............................................................... 357 B. Le recours aux mesures administratives structurelles au sein des juridictions ................................ 358 1) Les moyens humains au service de la justice...................................................................................... 358 2) L’amélioration des conditions de travail dans les tribunaux ............................................................... 360 C. Le développement d’un contrôle de la durée des procédures administratives ......................................... 361 § 3. L’INSTAURATION D’UNE VOIE DE RECOURS CONTRE LES DÉLAIS EXCESSIFS DE PROCÉDURE ......................... 363 A. L’absence d’un recours effectif permettant de contester la longueur d’une procédure judiciaire............ 364 1) Les faits à l’origine de l’affaire .......................................................................................................... 364 2) La violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention retenue par la Cour ......................................... 366 B. L’adoption de la loi du 17 juin 2004 introduisant un recours contre la durée excessive des procédures .................................................................................................................................................. 369 1) L’adoption et les apports de la loi du 17 juin 2004 sur les recours contre les violations du droit à un procès dans un délai raisonnable .......................................................................................................... 370 2) La Pologne à nouveau condamnée malgré l’adoption d’une voie de recours interne contre la longueur des procédures ........................................................................................................................ 374 3) L’amendement à la loi du 17 juin 2004 ............................................................................................ 380 § 4. Un arrêt pilote face à la persistance des procédures trop longues............................................................... 382 SECTION II - LES DÉTENTIONS PROVISOIRES PROLONGÉES ............................................................... 386 § 1. Les détention provisoires trop longues, un mal chronique ......................................................................... 387 A. Quinze années de violations continues de l’article 5 § 3 ..................................................................... 388 B. L’implication renforcée de la Cour et du Comité à la fin des années 2000 ............................................. 390 1) L’inefficacité des mesures initiales pour endiguer les violations de l’article 5 § 3 ............................. 390 2) Une résolution intérimaire du Comité des ministres et un arrêt quasi-pilote de la CEDH après de 748 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME nouvelles violations de l’article 5 § 3 .................................................................................................... 400 3) Une embellie confirmée par les arrêts récents et la résolution du Comité des Ministres pour le groupe d’affaire Trzaska ...................................................................................................................... 403 § 2. La durée excessive du délai de recours contre une décision portant sur la détention ................................. 407 A. La nécessité de garantir un recours rapide contre une décision affectant la liberté du requérant ............ 407 B. La modification récente du Code de procédure pénale précédée de la diffusion des arrêts de la CEDH . 410 CHAPITRE II – LES ATTEINTES RARÉFIÉES À LA PROPRIÉTÉ ET AU PROCÈS ÉQUITABLE ......... 414 SECTION I – LES INSUFFISANCES SPORADIQUES DE LA PROTECTION DES BIENS ............................... 417 § 1. LA SUSPENSION INCONVENTIONNELLE DE PRESTATIONS SOCIALES ............................................................... 418 A. La suspension de pensions de retraite non-conformes au droit au respect des biens ............................... 418 1) Trente affaires relatives aux pensions de retraite de la caisse de sécurité sociale de Rzeszów ........... 418 2) Les caisses de sécurité sociale invitées à revoir leurs pratiques en matière de réexamen du droit au bénéfice d’une pension ........................................................................................................................... 420 B. Le versement d’aides sociales en cause dans deux autres affaires contre la Pologne .............................. 422 1) L’application d’une disposition discriminatoire de la loi sur l’assurance sociale des agriculteurs ..... 422 2) L’atteinte au respect des biens du requérant en raison de l’inexécution d’une décision de la sécurité sociale ..................................................................................................................................................... 424 § 2. Des violations régulières du droit au respect des biens meubles et immeubles .......................................... 425 A. L’opposition de l’administration à l’immatriculation d’un véhicule acquis de bonne foi ....................... 425 1) Des critères trop stricts pour autoriser l’immatriculation d’un véhicule acquis aux enchères ............ 425 2) Les conditions d’immatriculation des véhicules acquis aux enchères modifiées ................................ 426 B. L’entrave illégale de l’administration aux activités commerciales d’une entreprise ............................... 427 1) Les décisions illégales et inconventionnelles des services des douanes concernant le requérant ....... 427 2) Des instructions transmises à l’administration des douanes par le gouvernement .............................. 428 C. L’absence de compensation pour la construction d’une voie routière par une société ............................ 429 1) Le refus d’indemniser une société pour la gestion d’une voie routière, une décision contraire au Protocole n°1 .......................................................................................................................................... 429 2) La situation des requérants non résolue malgré l’arrêt de la Cour ...................................................... 430 D. La confiscation sur décision judiciaire d’une collection historique d’armes à feu .................................. 432 1) Une décision judiciaire de saisie d’un bien non conforme au droit de propriété ................................ 432 2) La restitution de la collection confisquée au requérant à la suite de l’arrêt de la CEDH .................... 432 E. Des obstacles juridiques à l’acquisition d’un terrain malgré une promesse de vente des autorités locales ..................................................................................................................................................................... 433 SECTION II – LES ENTORSES RÉSIDUELLES AU DROIT AU PROCÈS ÉQUITABLE ................................. 434 § 1. Les entraves à l’accès à un tribunal ............................................................................................................ 436 A. Le refus d’accorder aux requérants l’aide juridictionnelle ............................................................... 436 1) Plusieurs dizaines de condamnations devant la CEDH en raison des défaillances du système d’aide juridictionnelle ........................................................................................................................................ 436 2) La CEDH à l’origine de l’évolution de la loi et de la jurisprudence sur la désignation et les décisions des avocats commis d’office ................................................................................................................... 440 B. Le montant trop élevé des frais de justice ............................................................................................... 443 1) Une série de condamnations entre 2001 et 2015 en raison du refus des autorités d’exempter les requérants de frais de procédure ............................................................................................................. 443 2) L’introduction de frais fixes pour les procédures juridictionnelles et de nouvelles règles pour les 749 TABLE DES MATIÈRES demandes d’exemption ........................................................................................................................... 445 C. L’absence non fondée de voie de recours en cassation............................................................................ 446 1) L’accès à la juridiction suprême empêché dans deux affaires ............................................................ 446 2) Les arrêts Bar-Bau et Janusz Białas diffusés et enseignés aux magistrats .......................................... 448 § 2. LES MANQUEMENTS AU PRINCIPE D’IMPARTIALITÉ ...................................................................................... 449 A. La violation de la présomption d’innocence............................................................................................ 449 1) Le maintien en détention justifié par la « cupabilité » de l’accusé ..................................................... 450 2) Le rappel du principe de présomption d’innocence aux juridictions internes ..................................... 452 B. Le défaut d’impartialité dans la composition d’une juridiction ............................................................... 452 1) Six condamnations de la Pologne pour le manque d’indépendance des collèges de juges ................. 453 2) L’État aligné sur les mêmes standards que la CEDH au terme de la réception .................................. 456 C. Des procédures pénales contraires aux règles du contradictoire .............................................................. 459 1) Les conditions d’une procédure pénale contradictoire méconnues dans quatre affaires ..................... 459 2) Les efforts des autorités concentrées sur le droit à être défendu par un avocat dès le premier interrogatoire .......................................................................................................................................... 461 TITRE II – REPENSER LES SPÉCIFICITÉS ISSUES DU NOUVEAU DROIT ........... 468 Chapitre I – La hausse constatée des violences aux personnes ............................................... 471 SECTION I – LES ATTEINTES AUX PERSONNES DANS LES SERVICES MÉDICALISÉS ET LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES ..................................................................................................... 474 § 1. LES ATTEINTES AU DROIT À LA VIE ET À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE EN PRISON.................................................. 475 A. Un cas de figure resté rare : le décès survenu au cours de la détention ............................................ 475 1) La violation du droit à la vie retenue dans les affaires Dzieciak et Jasińska .................................. 475 2) La protection de la vie des détenus renforcée par la sensibilisation de l’administration des prisons .. 479 B. Les failles de la protection contre les traitements inhumains ou dégradants en prison ............................ 481 1) Le comportement contraire à la Convention des fonctionnaires de prison ..................................... 482 2) L’absence de soins appropriés au cours de la détention .................................................................. 485 3) La surpopulation et les mauvaises conditions de détention.............................................................. 492 4) L’application mal encadrée du statut de détenu dangereux ................................................................ 503 § 2. Les atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique survenues dans les services de santé ...................... 507 A. Les atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique en centre de dégrisement ............................ 507 1) Une double violation du droit à la vie dans l’affaire Mojsiejew ................................................... 507 2) La violation de l’interdiction des traitements dégradants dans plusieurs affaires ............................... 511 B. La violation du droit à la vie à l’issue d’une intervention chirurgicale............................................. 515 1) La violation du droit à la vie faute d’enquête effective après un décès à l’hôpital ............................. 515 2) Des efforts concentrés sur les procédures pénales et disciplinaires .............................................. 517 SECTION II – LES DÉRIVES RÉCENTES DE LA POLITIQUE SÉCURITAIRE ............................................ 518 § 1. Les violations des articles 2 et 3 de la Convention par l’action de la police............................................... 519 A. La violation du droit à la vie causée par une opération de police contre de présumés criminels ............. 519 1) La violation de l’article 2 de la Convention en raison de l’usage disproportionné d’armes à feu par des policiers et de l’ineffectivité de l’enquête ultérieure ............................................................................... 520 2) Deux décisions du Parquet à contre-courant de l’arrêt de la CEDH ................................................... 521 B. La violation de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants lors d’interpellations ................ 523 750 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 1) La violation de l’article 3 de la Convention par l’usage disproportionné de la coercition par des policiers et l’ineffectivité de l’enquête ultérieure ................................................................................... 524 2) De nombreuses initatives réalisées ou projetées en matière d’éthique, de formation et de surveillance des policiers ............................................................................................................................................ 527 C. La violation de l’interdiction des traitements dégradants lors d’un contrôle d’identité ........................... 530 1) Le comportement inapproprié d’officiers de police lors d’un contrôle à domicile sanctionné par la CEDH ..................................................................................................................................................... 530 2) Les conditions d’usage de la force par la Police précisées après l’arrêt de la Cour ............................ 532 § 2. L’existence d’une base secrète de la CIA dans le cadre de la lutte antiterroriste........................................ 533 A. La détention de terroristes présumés dans la base secrète de Stare Kiejkuty .......................................... 534 1) L’accord entre la CIA et les autorités polonaises pour la lutte antiterroriste ...................................... 534 2) Les conditions de détention dans la prison de la CIA en Pologne contraires à plusieurs dispositions de la Conv. EDH ......................................................................................................................................... 536 B. De la non-coopération à la non-exécution ? ............................................................................................ 538 CHAPITRE II – UN CLIVAGE AFFIRMÉ SUR LES QUESTIONS SOCIÉTALES ................................. 544 Section I – Des limites ponctuelles à la liberté de conscience .......................................................... 547 § 1. L’ABSENCE DE PROGRAMME DE SUBSTITUTION À L’ENSEIGNEMENT RELIGIEUX DANS LES ÉCOLES PUBLIQUES .......................................................................................................................................................................... 548 A. Mieux protéger la liberté de conscience à l’école : l’affaire Grzelak ...................................................... 549 B. Une nouvelle obligation pour les établissements scolaires d’assurer un cours d’éthique ........................ 552 § 2. LE REFUS OPPOSÉ À UN DÉTENU DE BÉNÉFICIER D’UN RÉGIME ALIMENTAIRE COMPATIBLE AVEC SES CONVICTIONS RELIGIEUSES ................................................................................................................................ 556 A. Le détenu en droit d’obtenir des repas compatibles avec ses croyances : l’affaire Jakóbski .......... 556 B. Les dispostions du Code d’exécution des peines rappelées à l’administration pénitentiaire .......... 557 SECTION II – UNE CONCEPTION TRADITIONNELLE DE LA FAMILLE .................................................. 559 § 1. LA DIFFICULTÉ D’ACCÉDER À L’AVORTEMENT LÉGAL .................................................................................. 560 A. La Pologne confrontée à la question sensible du droit à l’avortement.............................................. 560 B. Trois hypothèses d’interruption légale de grossesse, trois arrêts de la CEDH......................................... 563 1) L’avortement thérapeutique refusé malgré les craintes pour la santé de la mère ........................... 563 2) L’avortement thérapeutique refusé malgré les malformations du fœtus ............................................. 567 3) L’avortement dissuadé malgré le viol à l’origine de la conception .................................................... 568 C. Le défaut d’amélioration concrète de l’accès à l’avortement légal ................................................... 570 1) Des réactions négatives contre les arrêts de la CEDH en matière d’avortement ............................. 570 2) Des réformes législatives timides, une jurisprudence constitutionnelle hostile ............................... 573 § 2. Les droits des homosexuels en progrès ...................................................................................................... 577 A. L’entrave à la liberté de réunion de défenseurs de la cause homosexuelle ....................................... 578 1) La Pologne condamnée pour la violation de l’article 14 dans l’arrêt Bączkowski ............................. 578 2) L’ouverture timide de la société aux droits des homosexuels. ............................................................ 581 B. Le refus de transmettre un bail au conjoint homosexuel du locataire défunt ........................................... 583 1) La discrimination entre couples hétérosexuels et homosexuels dans l’affaire Kozak......................... 583 2) L’égalité entre couple hétérosexuel et couple homosexuel rétabli dans les dispositions relatives à la transmission de bail ................................................................................................................................ 586 § 3. Le refus opposé à un détenu de célébrer un mariage en prison .................................................................. 587 A. Des décisions internes en contradiction avec la loi applicable et avec l’article 12 de la Conv. EDH 751 TABLE DES MATIÈRES ..................................................................................................................................................................... 588 1) Le refus opposé à un détenu d’épouser son ancienne compagne .................................................... 588 2) Le refus opposé à un détenu d’épouser une autre détenue .............................................................. 589 B. Une pratique rare et évitable à l’origine des deux violations de l’article 12 ............................................ 591 § 4. L’incapacité des autorités à garantir aux parents séparés de leur enfant le droit au respect de leur vie familiale ............................................................................................................................................................ 592 A. La rupture des liens entre parents séparés et enfants ........................................................................ 593 1) Séparation et garde d’enfant entre conjoints polonais ........................................................................ 593 2) Séparation et garde d’enfant entre un conjoint polonais et un conjoint étranger........................... 598 B. Les entraves à la reconnaissance de paternité.......................................................................................... 603 1) La violation de l’article 8 causée par la législation sur la reconnaissance de paternité dans l’affaire Różański ................................................................................................................................................. 603 2) Un père présomptif désormais autorisé par la loi à demander ou contester la paternité d’un enfant .. 605 CONCLUSION GÉNÉRALE ........................................................................ 251 ANNEXES ........................................................................................................ 457 Annexe n°1 – L’alternance politique en Pologne à la Présidence de la République et au gouvernement depuis 1989 ........................................................................................................ 627 Annexe n°2 – Système politique et juridictionnel de la Pologne ............................................. 629 Annexe n°3 – Statistiques (I) : Arrêts de la CEDH concernant la Pologne depuis 1997 ....... 639 Annexe n°3 bis – Statistiques (II) : Évolution des principales violations de la Convention par la Pologne .................................................................................................................................. 640 Annexe n°4 – Table détaillée : caractéristiques de la réception polonaise.............................. 643 Annexe n°4 bis – Table synthéthique : caractéristiques de la réception polonaise ................. 649 INDEX GÉNÉRAL (NOMS COMMUNS ET NOMS PROPRES)........... 457 INDEX DES AUTEURS CITÉS .................................................................... 657 INDEX JURISPRUDENTIEL ....................................................................... 665 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................... 685 TABLE DES MATIÈRES .............................................................................. 741 752 LA RÉCEPTION PAR LA POLOGNE DE LA JURISPRUDENCE DE LA CEDH THE POLISH RECEPTION OF THE ECTHR CASE LAW Résumé Cette étude propose de dégager une trame empirique de l’impact des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur le développement des libertés et droits fondamentaux dans un État d’Europe centrale entré en transition démocratique en 1989, à partir d’un régime socialiste post-totalitaire. Elle met dès lors en lumière l’influence du juge européen en appréhendant son apport à la transformation de l’État polonais, de l’entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l’homme sur son territoire jusqu’aux plus récents arrêts prononcés à Strasbourg. La réponse apportée par la République de Pologne aux condamnations de la CEDH varie en fonction de l’origine et de la finalité des normes en cause (droit hérité ou lié à l’ancien régime ; droit édicté par l’État démocratique). L’analyse souligne enfin les difficultés éprouvées par la Pologne du XXIe siècle, confrontée aux préoccupations contemporaines morales, sociales ou sécuritaires de ses citoyens. Summary This study proposes to identify a empirical frame of the impact of judgments of the European Court of Human Rights (ECtHR) on the development of fundamental rights and freedoms in a state of Central Europe, that came into democratic transition in 1989 from a post-totalitarian socialist regime. Light is therefore put on the influence of the European Court apprehending his contribution in the transformation of the Polish state, from the entry into force of the European Convention on Human Rights on its territory to more recent judgments in Strasbourg. The answer given to the convictions of the ECtHR by the Republic of Poland depends on the origin and purpose of the rules in question (inherited law from / linked to the old regime ; law enacted by the democratic state). The analysis finally underlines difficulties experienced by Poland of the XXI century, faced with contempory moral, social or security concerns of its own citizens. Mots-clefs : Pologne – Cour européenne des droits de l’homme – exécution des arrêts – Conseil de l’Europe – transition démocratique – réception de la jurisprudence – justice européenne – pays d’Europe centrale et orientale – post-communisme. Key-words : Poland – European court of human rights – Council of Europe – execution of judgments – democratic transition – reception of case law – European justice – central and eastern European countries – post-communism.