La diffusion des technologies de l’information et de la communication, dès l’avènement de la téléphonie mobile à la fin du XXe siècle jusqu’au grand essor des médias numériques actuels – dont les adolescents et les jeunes nés pendant et après cette incroyable révolution techno-culturelle sont devenus les usagers principaux (Caron et Caronia, 2009) – a largement affecté notre langage quotidien (Crystal, 2006). Un ensemble de formes et de pratiques langagières, issues dans une certaine mesure des possibilités et en particulier des contraintes techniques liées à l’emploi de ces médias, que les nouvelles générations se sont approprié en tant qu’instrument de construction socio-identitaire, pour remarquer, de façon le plus souvent à la fois cryptique et ludique, leur appartenance à un groupe par rapport à d’autres groupes et en particulier à celui des adultes (Argod-Dutard, 2016). Il s’agit d’un véritable code linguistique composé essentiellement de néologismes, abréviations, acronymes et anglicismes, que les adolescents utilisent de nos jours notamment sur les médias sociaux comme Twitter, le réseau de micro-blogage aux exigences techniques de brièveté et efficacité avec ses messages textuels (tweets) de 140 (et maintenant 280) caractères. Cette particulière variété du français a été très influencée récemment par la « langue des cités », le parler – à la connotation identitaire, sociale et linguistique très forte – des adolescents et des jeunes issus de l’immigration, dont la diffusion en dehors des milieux périphériques des banlieues françaises a été possible, au cours de la dernière décennie, grâce à Internet et aux médias numériques (Goudaillier, 2012, 2015). Par le biais d’une analyse linguistique et sociolinguistique des formes et des pratiques brachylogiques et tachygraphiques du langage des adolescents français et francophones, cette étude vise à examiner les modalités à travers lesquelles ce sociolecte, et ses évolutions les plus récentes, contribuent au processus de construction/narration de soi des nouvelles générations en France.

Les cadres théoriques et méthodologiques élaborés en Sciences du langage rendent rarement compte des pratiques langagières en ligne. Pourtant, une analyse conversationnelle des Réseaux Sociaux Numériques confèrerait une valeur ajoutée aux acquis en matière d'analyse des corpus issus des nouvelles formes de discursivité et de conversationnalité dans les lieux numériques. Elle permettrait notamment d'explorer des horizons complexes, impliquant une perpétuelle révision des postulats soumis à un dynamisme constant scellé à des technologies mouvantes.

Nous souhaitons ici contribuer à la réflexion sur les conditions de possibilité et les modalités d’une rencontre entre analyse de discours « outillée » et linguistique de corpus, à travers l’exemple de l’étude de la locution « dans DET cadre ». L’analyse de discours, qui vise à rendre compte des déterminations de tous ordres qui pèsent sur la matérialité discursive, s’intéresse tout particulièrement depuis une vingtaine d’années à l’articulation entre les formes ou configurations langagières et les contraintes liées aux genres de discours, ces derniers étant envisagés à la suite de Bakhtine (1984) dans leur relation à une sphère d’activité. Les travaux qui se réclament de la linguistique de corpus quant à eux visent à rendre compte des usages de la langue tels qu’ils peuvent être saisis dans des corpus rendus disponibles par la numérisation des données et leur accessibilité via internet, en accordant une attention particulière à la variation de ces usages. On peut donc considérer que l’on a affaire à des cadres théoriques différents qui définissent des cadres d’analyses distincts avec des incidences en termes de constitution de corpus. Cependant, le recours à une exploration outillée en analyse de discours tout comme l’attention grandissante portée aux conditions de production des données analysées en linguistique de corpus favorise l’interaction entre les deux approches. Quel est l’impact du partage accru de données numériques (corpus en open access, bases de données ou « réservoir de corpus ») sur la conception du corpus en analyse de discours outillée (passage de corpus clos, homogènes à des corpus ouverts, en dialogue / interaction) ? Comment articuler déterminations génériques et prise en compte des usages et de leur variation en utilisant les ressources textuelles (disponibles) ? Telles sont les questions que nous soulèverons en prenant l’exemple d’une étude en cours sur la locution « dans DET cadre ». Dans le corpus de rapports éducatifs sur lesquels nous travaillons depuis un certain temps, la locution « dans DET cadre » est apparue remarquable par sa fréquence et sa saillance, et nous avons pu l’analyser comme une « routine » discursive (Née, Sitri, Veniard 2016). Pour décrire les particularités de son emploi dans le genre « rapport éducatif », nous avons élargi notre enquête à des corpus diversifiés, construits ou « issus du web » (Googlebooks). Dans une première étape de cette recherche, nous avions mis en parallèle les emplois de « dans DET cadre » dans le corpus de rapports éducatifs et ses emplois dans un corpus de dépêches de presse (réuni par Marine Damiani) d’une part et d’articles scientifiques (corpus Scientext, Tutin et Grossmann 2014) d’autre part, en faisant porter nos observations sur le niveau syntaxique (place de la locution, degré d’intégration syntaxique, nature du déterminant) et sur le plan sémantique (nature du « cadre »). Cette première approche nous a permis de faire apparaître que la séquence « dans DET cadre », si elle est relativement figée en langue, donne lieu à des usages diversifiés selon les genres de discours (Née et Sitri, 2014). Ainsi, dans les rapports éducatifs, la locution a rarement une fonction cadrative, et renvoie le plus souvent, sur le plan sémantique, au cadre institutionnel et légal de l’intervention éducative (type de placement, type de mesure) ou aux conditions de l’intervention. Plus largement, on a proposé de mettre en relation l’emploi de la locution dans les rapports éducatifs avec l’importance du « cadre » dans le discours des éducateurs (Cambon 2006) – cadre qu’ils sont censés imposer aux personnes dont ils s’occupent et cadre règlementaire dans lequel s’insère leur action. Poursuivant le travail amorcé, nous nous nous proposons d’affiner nos analyses d’une part en explorant d’autres genres et sphères d’activité mais aussi la variation écrit/oral (corpus ESLO et CFPP2000) voire la variation diachronique (Corpus ESLO 1 et 2, Frantext, Googlebooks via Ngram viewer). Notre objectif est ainsi double. D’une part il s’agit de poursuivre la mise en évidence des spécificités d’emploi de la locution dans le corpus princeps. A ce titre, la référence fréquente au cadre légal de l’intervention nous conduit à explorer un corpus de textes législatifs et règlementaires. D’autre part, dans la lignée de Sitri et Veniard 2016, nous souhaitons corréler ces emplois avec la mise en évidence d’une « montée en puissance » de la locution, particulièrement dans des genres écrits ou dans des genres oraux influencés par l’écrit, ce que devrait permettre à la fois la prise en compte de corpus oraux et la perspective diachronique. Le corpus ESLO permet ainsi de corréler l’emploi de la locution avec le statut du locuteur, le genre de l’interaction, d’établir s’il constitue une reprise, et de se pencher sur d’éventuelles évolutions en termes de fréquence ou d’usage entre ESLO 1 et ESLO2. D’un point de vue interprétatif, et du côté de l’analyse du discours, on interrogera aussi la montée en puissance de la locution et son usage marqué dans certains genres avec la place de la notion de cadre dans les sphères d’où ils émanent. On voit que la mise en œuvre de la rencontre entre analyse du discours et linguistique de corpus rencontre la réflexion en cours depuis un certain temps sur la question de l’hétérogénéité des corpus : ici, la mise en évidence, dans un corpus d’observation largement documenté sur le plan de ses conditions de production, d’une forme saillante que nous considérons comme une « routine », conduit à explorer les usages de cette même forme dans d’autres corpus conçus comme corpus « de comparaison ».

enquête de terrain (observation participante)........le français des jeunes intégré dans un contenus didactique....