Bulletin du centre d’études médiévales
d’Auxerre | BUCEMA
Hors-série n° 6 | 2013
Autour du cloître : les chapelles Notre-Dame et les
accès au chapitre
La chapelle mariale du monastère de Souvigny :
Notre-Dame de l’infirmerie ou des avents – entre
chapitre et infirmerie
Pascale Chevalier, Arlette Maquet et Laurent Fiocchi
Éditeur
Centre d'études médiévales Saint-Germain
d'Auxerre
Édition électronique
URL : http://cem.revues.org/12849
DOI : 10.4000/cem.12849
ISSN : 1954-3093
Référence électronique
Pascale Chevalier, Arlette Maquet et Laurent Fiocchi, « La chapelle mariale du monastère de
Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou des avents – entre chapitre et infirmerie », Bulletin du centre
d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], Hors-série n° 6 | 2013, mis en ligne le 29 mars 2013,
consulté le 30 septembre 2016. URL : http://cem.revues.org/12849 ; DOI : 10.4000/cem.12849
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La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
La chapelle mariale du monastère de
Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie
ou des avents – entre chapitre et
infirmerie
Pascale Chevalier, Arlette Maquet et Laurent Fiocchi
1
Situé à mi-pente d’une colline argilogréseuse qui s’élève au-dessus d’une petite
rivière, la Queune, affluent de la rive
gauche de l’Allier, à 13 km à l’Ouest de
Moulins, le prieuré Saint-Pierre de
Souvigny appartient aux premières
dépendances de Cluny. Il occupe le centre
du bourg monastique qui constitue
aujourd’hui la ville de Souvigny. Ce prieuré
clunisien se trouvait à l’extrémité nord du
diocèse de Clermont, aux limites de ceux de
Bourges au nord-ouest, de Nevers au nordest et d’Autun à l’est, dans une situation de
marge, de frontières, jusqu’à la création de
l’évêché de Moulins au XIXe siècle.
2
Après des découvertes suscitées essentiellement par les travaux de confortement et
consolidation des édifices, suivis de quelques sondages préventifs limités, plusieurs
opérations archéologiques programmées ont été réalisées sur le site de Souvigny à partir
de 2001 : un sondage a d’abord permis la découverte du tombeau des saints abbés Mayeul
et Odilon de Cluny (2001), puis l’élargissement à la travée a mis au jour les aménagements
successifs réalisés autour de celui-ci (2001-2003) 1. Une fouille (2006-2007) a été menée en
aire ouverte dans le cadre d’une restauration portée par les Monuments historiques, dans
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1
La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
les cinq vaisseaux de la nef 2 de la priorale, dont le chantier de construction a fait l’objet
d’un mémoire de Master 2 3. En parallèle, au cours de la période 2003-2005, une série
d’examens a porté sur un autre secteur du site.
Fig. 1 – Vue de la priorale depuis le cloître, vestiges de l’ancienne salle capitulaire et sacristie à
l’emplacement de l’église mariale.
3
Lors d’un sondage programmé, une partie de l’église Notre-Dame-des-Avents 4 a été
découverte sous la sacristie reconstruite à la fin du XVIIIe siècle par l’architecte Joseph
Évezard (1711-1783) 5 (fig. 1). L’approfondissement de la fouille a montré la présence sous
cette église d’une, puis de deux absides correspondant à des édifices antérieurs (chapelle
Sainte-Marie puis Notre-Dame de l’infirmerie) (fig. 2), qui composent au cours du temps
le pôle marial du monastère de Souvigny.
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2
La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
Fig. 2 – Plan des fouilles de 2003-2004 (DAO D. Vuillermoz).
Rappel historique
4
Le 11 mai 994, Mayeul, le quatrième abbé de Cluny, meurt à Souvigny. C’est là qu’en 915
ou 920, Aymar, le premier ancêtre connu de la famille de Bourbon, a établi en faveur de
Cluny une donation, constituée d’une villa avec une église dédiée à saint Pierre et divers
biens fonciers (casales, vignes, champs, prés) 6. Le développement du domaine ne
commence qu’à l’installation effective de la communauté monastique au milieu du Xe
siècle7, ce qui correspond à l’expansion clunisienne en Auvergne 8 et dans d’autres
régions 9.
5
En 994, Mayeul est enterré devant l’autel de la Croix dans l’église Saint-Pierre que les
moines viennent de reconstruire 10. Son culte, celui du premier abbé de Cluny à être
déclaré saint, connaît un essor rapide, ainsi que le rapporte Raoul Glaber, qui place vers
1047-1048 le pèlerinage de Souvigny au même niveau que celui de Saint-Martin de Tours
11.
6
Son successeur, Odilon, qui a institué vers 1030-1033 la Fête des Morts, célébrée le
2 novembre, et élaboré l’idéologie de la mémoire des défunts entretenue par les prières
des moines, est aussi inhumé à Souvigny où il décède le 1er janvier 1049. Désormais,
Souvigny détient un rare privilège, celui de posséder les sépultures de deux abbés de
Cluny : l’église Saint-Pierre devient un véritable reliquaire.
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3
La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
L’église majeure – Saint-Pierre – dans la seconde
moitié du Xe siècle
7
Lors de l’arrivée des frères de Cluny à Souvigny sous l’abbatiat de Mayeul, des bâtiments
de la villa les accueillent tant d’un point de vue cultuel que fonctionnel. Dans ce nouveau
cadre clunisien, les moines entreprennent aussitôt d’agrandir l’église carolingienne de la
donation. L’installation en batterie de plusieurs grands fours à chaux apparaît comme le
signe d’un chantier important. On ignore tout d’un possible transept et du chevet, dont
l’emplacement doit correspondre à la croisée du futur grand transept, mais des éléments
de la nef ont été reconnus. Un bâtiment rectangulaire carolingien appartenant à la villa
conditionne l’orientation du gouttereau sud, son pendant nord remploie celui de
l’ancienne église 12. La grande nef charpentée, légèrement trapézoïdale du fait de ce
remploi, mesure en moyenne dans l’œuvre 13,67 x 29,75 m (longueur restituée) 13, elle est
encore caractéristique de l’architecture carolingienne. La façade occidentale, arasée, offre
un portail central dont les piédroits en pierre de taille de grès brun cantonnent une
ouverture large de 3,22 m. Le seul autre accès connu est, à l’extrémité du gouttereau sud,
une porte associée à un sarcophage de seuil. Le déroulement de la construction se déduit
de la chronologie des fours à chaux et de leur relation avec le mur de façade. Leur
datation par C14 situe le début des travaux au milieu du Xe siècle. La campagne s’achève
par la façade ouest qui vient perturber ces fours. Tout suggère un enchâssement du
premier édifice assurant la pérennité du lieu du culte pendant les travaux, puis sa
démolition à leur achèvement.
L’église mineure de la bienheureuse Vierge Marie (fin
du Xe-début XIe siècle ?)
8
La liturgie clunisienne est de tradition carolingienne, ce qui augure la présence de
plusieurs églises dans le complexe monastique. Deux bâtiments fonctionnent assurément
avec la priorale Saint-Pierre dans la seconde moitié du Xe siècle : la construction
carolingienne déjà évoquée, au sud de l’église, dont on ignore l’emprise et les divisions
éventuelles et un lambeau d’un autre édifice de culte qui peut lui être associé – l’abside de
la chapelle « de la bienheureuse Vierge Marie » 14. Deux textes de la première moitié du XI
e siècle rapportent l’agonie à la fin de décembre 1048, de l’abbé Odilon, qui y est
transporté à plusieurs reprises. En 2004-2005, un sondage a mis au jour deux églises
romanes successives : Notre-Dame de l’Infirmerie et Notre-Dame-des-Avents. Le chevet de
la première semble entourer l’abside – plus petite, également en hémicycle – d’une
chapelle primitive 15 qui, associée à la priorale de Mayeul, rappelle la disposition duelle de
Cluny II. La datation de cette abside (diam. restitué hors œuvre 3,50-3,60 m), assurément
antérieure au troisième tiers du XIe siècle, est hypothétique, mais elle est issue d’une
réflexion régressive touchant l’ordre perceptible dans les campagnes de construction
souvignissoises des XIe et XIIe siècles, qui débutent par la priorale et progressent d’ouest
en est, des bâtiments claustraux jusqu’à l’église de l’infirmerie et des morts 16. Compte
tenu de l’estimation des temps de construction et de ce sens ouest/est des chantiers, la
chapelle doit exister avant la reconstruction du chœur de la priorale par Odilon (fig. 3) ;
par déduction, on intégrera cette abside au projet d’élaboration du prieuré sous Mayeul.
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La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
La porte sud de la nef de Saint-Pierre donnerait alors accès à un espace mal défini (le
cloître ?) et à une petite église mariale édifiée autour de l’an mil. Son rôle de chapelle des
morts est attesté dès le XIe siècle. Sébastien Marcaille 17, qui écrit au début du XVIIe siècle,
présente un épisode miraculeux de la vie d’Odilon qui semble spécifique à Souvigny : la
tentation de l’abbé par la comtesse Ermengarde de Saint-Maurice. Le saint se jette dans
un grand feu pour résister aux avances de la dame. Reconnaissant son erreur, celle-ci
demande à être inhumée au chapitre et à bénéficier d’un anniversaire dans la « chapelle
Notre-Dame », avec les sept psaumes pénitentiels de David 18 (ce service devait avoir lieu
tous les ans le dixième jour de l’Avent) et que sa servante soit inhumée dans le cloître.
La priorale Saint-Pierre du XIe siècle, les travaux
d’Odilon (994-1048) (fig. 3)
Fig. 3 – Proposition de restitution de la priorale, de la première chapelle mariale et du cloître dans
la 1ère moitié du XI e siècle (DAO L. Fiocchi).
9
Le poème de Jotsald 19 évoque la grande priorale d’Odilon. Dès la mort de Mayeul, en 994,
des miracles ont lieu et un pèlerinage se met rapidement en place dans l’église juste
achevée, mais dont le changement de fonction et la nouvelle dimension d’église de
pèlerinage entraînent aussitôt de nouveaux besoins. Ceci ne fait pas de Souvigny un cas
isolé, le développement des églises parallèlement à l’essor d’un pèlerinage s’observe aussi
dans nombre d’édifices bourguignons 20.
10
En 1998, Christian Sapin a remarqué la similitude des plans à nef unique de Paray-leMonial et de Souvigny, le développement du chœur et les absidioles orientées du transept
les apparentant au plan de Cluny II 21. Les vestiges dégagés en 1923 22, complétés par un
nouveau relevé en 2006-2008, permettent de restituer un chevet à triple abside assez
original, dont les parois nord et sud sont rythmées par trois niches semi-circulaires. Ce
chevet aux dimensions comparables à celles de Cluny II 23, est contemporain du transept à
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La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
profondes absidioles. Les comparaisons suggèrent de le dater du premier quart du
siècle.
XIe
11
Odilon amplifie d’abord le chœur architectural et liturgique, témoignant de
l’accroissement rapide de la communauté, avant de rebâtir vers l’ouest, au début du
deuxième quart du XIe siècle. La position du chœur est centrée sur le vaisseau de Mayeul,
alors qu’un décalage de 1,10 m existe avec la nouvelle nef du XIe siècle, longue de 43,70 m
pour 15,10 m de largeur, éclairée par six paires de grandes baies latérales, très haut
percées. Le mur de façade en pierres de taille mesure 3 m d’épaisseur à sa base et un
espace profond de 8,35 m, façade incluse, ne possède aucune baie. Ces derniers éléments
suggèrent la présence d’une tribune charpentée aveugle, antérieure à l’édification des
tours, accessible par un escalier ménagé dans l’épaisseur de la façade. Si le vaisseau
unique est d’esprit carolingien, le plan du chevet à exèdres et la disposition d’un escalier
à l’intérieur du mur sont plutôt issus de la tradition antique romaine 24 – ces emprunts
formels relient encore un peu plus Cluny à Rome, à travers Souvigny.
12
En 1063, le cardinal Pierre Damien procède à la translation du corps du saint abbé Odilon,
de son tombeau primitif dans un nouveau monument au centre du vaisseau, et à la
consécration de l’église. L’agencement triparti de la nef alors projeté impose
pratiquement ce transfert lié aux prémices d’un nouveau chantier. Ainsi se perçoit la
continuité du pèlerinage actif, en pleine expansion. La division de la nef en trois
vaisseaux voûtés est accompagnée par celle du chœur avec un voûtement du sanctuaire,
ainsi que par une tour lanterne à la croisée du transept. Le voûtement des bas-côtés
oblige à réduire les fenêtres originelles et à y insérer des baies plus petites. La tripartition
est rendue lisible à l’extérieur par la reprise de la façade occidentale, où deux tours
d’angle reprennent l’emprise de la tribune de l’état antérieur. On y trouve trois chapelles
hautes, formant un véritable avant-corps occidental de tradition carolingienne et
ottonienne : une chapelle centrale Saint-Michel, flanquée par deux autres plus petites,
dédiées aux archanges.
13
Avec une originalité certaine, l’avant-nef à trois vaisseaux voûtés, ajoutée dans le dernier
quart du XIe siècle, est à la fois dépourvue d’étage et dotée de tours à l’est : ces tours sont
en effet encore en construction lorsque l’on décide d’édifier la galilée et la préexistence
du culte de saint Michel justifie l’absence du second niveau, qui lui est consacré
habituellement.
L’église de Notre-Dame l’infirmerie (troisième quart du
XIe siècle) (fig. 4)
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La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
Fig. 4 – Proposition de restitution de la priorale, de la chapelle Notre-Dame de l’infirmerie et du
cloître dans le 3ème quart du XIe siècle (DAO L. Fiocchi).
14
Les joints beurrés caractérisant la campagne d’édification du XIe siècle à Saint-Pierre,
apparaissent sur une maçonnerie reprise par la salle capitulaire de la fin du XIIe siècle,
vestige de la façade de l’église de l’Infirmerie de la seconde moitié du XIe siècle. La
progression et la durée des travaux qui semblent ne pas cesser amènent à poser la
question de leur ampleur : faut-il envisager une reconstruction touchant les bâtiments
conventuels ou admettre une simple reprise les insérant dans la nouvelle organisation ?
La reconstruction de Notre-Dame de l’Infirmerie, dans le troisième quart du XIe siècle,
plaide en faveur d’un chantier rationnellement organisé, combinant les exigences du
pèlerinage et celles de la vie monastique.
15
Nous avons réalisé en 2003 un premier sondage destiné à estimer le potentiel
archéologique subsistant sous la sacristie du XVIIIe siècle où, on le savait, devaient se
trouver les vestiges de Notre-Dame-des-Avents, église secondaire mariale illustrant la
disposition clunisienne (voir infra). En raison de la déclivité naturelle vers la rivière, le sol
de la priorale est situé environ 3 m plus haut que celui du sol extérieur actuel au sud-est.
La sacristie néoclassique est donc surélevée de 3 m par une pièce voûtée qui servait
jusque-là de dépôt à divers objets. Outre les vestiges de Notre-Dame-des-Avents sont
apparus ceux, plus inattendus, d’un bâtiment antérieur connu par le texte de la Vita
Odilonis rédigée par Jotsald dans le troisième quart du XIe siècle, et démoli pour laisser
place à Notre-Dame-des-Avents.
16
Au Sud de la priorale de la seconde moitié du XIe siècle, s’étend donc une galerie 25 puis un
cloître probablement quadriportique, avec – au sud-est – près de l’infirmerie et de la salle
capitulaire, une chapelle Notre-Dame datable du troisième quart du XIe siècle. Il s’agit un
bâtiment orienté, de plan simple et de moindres dimensions que l’église principale
(fig. 4). Sa nef unique, charpentée, se termine par une abside semi-circulaire saillante,
précédée par une très courte travée de chœur, formant un arc triomphal en berceau
devant le cul-de-four absidal. Deux tiers de l’hémicycle ont été dégagés, immédiatement
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sous la dalle en béton qui formait le sol de la salle soutenant la sacristie en 2003 (diam.
estimé à la corde 3,60 m pour une pf. de 3,40 m ; l. restituée de la travée droite 4 m pour
1,95 m de L.) (fig. 2). L’abside, qui vient entourer celle de l’oratoire antérieur, est
extérieurement épaulée par quatre contreforts rectangulaires en moyen appareil soigné
de blocs de grès taillés, avec joints épais et lissés à la truelle. Entre les harpages latéraux
des contreforts, les bâtisseurs ont utilisé un petit appareil moins ordonné, presque un
remplissage en opus incertum, combinant des moellons de calcaire et de grès rouge brisés
au marteau proche de celui observé pour la construction de l’avant-nef entre 1070 et
1090. Les matériaux mis en œuvre sont de provenance locale. Le nombre pair des
contreforts, dont trois seulement ont été reconnus à l’est et au sud (le troisième au nordest ayant été en partie détruit), impliquent qu’un nombre impair de fenêtres éclairaient
l’abside : soit une baie axiale unique, soit trois.
17
La largeur restituée de la nef est de 7,40 m, mais seuls 2 m de longueur du vaisseau ont été
dégagés par la fouille, autrement dit son angle sud-est. Deux arcades de sa façade
occidentale sont en outre conservées, on l’a vu, prises dans le mur est de la salle
capitulaire gothique, ce qui fixe sa longueur dans l’œuvre à 10,80-11 m. L’arc nord offre
une ouverture plus grande (2 m) et se trouve dans l’alignement du chœur de Notre-Dame.
Une porte ouvre vers le sud, elle est conservée dans l’état suivant d’après le plan Évezard.
Le chœur est pavé de dalles de grès sur lesquels un aménagement tardif a laissé une série
d’empreintes, évoquant une installation liturgique. Le tour de l’hémicycle semble en effet
constitué sur 60 cm de largeur en moyenne d’une maçonnerie différente, qui pourrait
marquer la trace d’une banquette presbytérale maçonnée, faisant le tour de la base de
l’abside. Cet aménagement d’un type assez archaïque recouvre presque exactement la
maçonnerie arasée de l’abside antérieure.
18
Le sol de la nef est quant à lui fait d’une chape de mortier de chaux fortement chargé en
sable gréseux rose saumon, similaire à un des niveaux de sols repérés en 2002 et 2007
autour du premier monuments funéraire des saints abbés dans la priorale (dernier quart
du XIe siècle), mais il peut ne pas s’agir ici du sol primitif.
La priorale Saint-Pierre du XIIe siècle, reflet de Cluny III
19
La nef de Saint-Pierre est élargie par le percement des murs gouttereaux et le bouchage
des baies, puis la construction de collatéraux externes, d’abord au nord, puis au sud. Les
travaux progressent alors d’ouest en est. L’édification du grand transept, venu se greffer
en partie sur le transept antérieur, marque la fin de cette campagne au début du XIIe
siècle.
20
Quelques années précèdent la construction du nouveau chevet, à partir du milieu du XIIe
siècle26. Lorsque le chantier reprend, les travaux débutent à l’est et, comme à Paray-leMonial, on suit leur progression qui enveloppe les murs du chœur du début du XIe siècle.
La présence de Notre-Dame de l’Infirmerie entraîne un désaxement du nouveau chevet
vers le nord-est. Les travaux commencent par la construction de la crypte en couloir
annulaire à chapelles rayonnantes, qui rattrape le dénivelé du terrain, suivie, au milieu
ou au troisième quart du XIIe siècle, par celle du petit transept dont la croisée était
couronnée selon la tradition locale par une tour « fine et aérienne ». L’angle sud-est du
bras méridional de ce transept oriental vient se coller contre l’angle nord-ouest du
vaisseau de la chapelle Notre-Dame. En partie basse de ce bras sud apparaît le seul accès
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vers la crypte. Supposer l’existence d’une porte dans le gouttereau nord de la chapelle
permettrait de restituer les possibles circulations de la liturgie stationnale (voir infra et
fig. 7).
Notre-Dame des Avents (fin XIIe siècle) (fig. 5 et 7)
Fig. 5 – Proposition de restitution de la priorale, de l’église Notre-Dame des Avents et du cloître à la
fin du XIIe siècle (DAO L. Fiocchi).
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Fig. 7. Plan restitué de Notre-Dame des Avents et des circulations à la fin du XIIe siècle (DAO
L. Fiocchi).
21
L’église romane – connue tardivement sous le titre rare de Notre-Dame des Avents –,
enchâssée dans des bâtiments monastiques plus hauts qu’elle et qui laissent sa nef dans la
pénombre, « cette vieille chapelle et son précieux sanctuaire, lieu saint où reposent les pères »,
est démolie en 1772, pour laisser place à la sacristie néoclassique de l’architecte moulinois
Joseph Évezard en 1773-1775. Par chance, Évezard avait pris la peine d’en dessiner plans
et coupes en 1769.
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La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
Fig. 6a – Plan de Notre-Dame des Avents par Joseph Évezard, 1769.
22
D’après ce « plan de la première église des religieux de très ancienne construction », (fig. 6a) 27 et
le texte de dom Hilaire Tripperet (mi-XVIIIe siècle), longue d’environ 20 m pour environ
7 m de largeur, Notre-Dame-des-Avents possède un chevet, sans doute roman 28, à triple
abside ouvrant sur un transept débordant, avec coupole sur trompes à la croisée, et une
nef à trois vaisseaux de cinq travées assez modifiée 29. La porte figurée (l’arc le plus large
– 2 m – préservé de l’état précédent comme du reste la façade) ouvre directement sur la
salle du chapitre à l’ouest ; selon les légendes portées sur le dessin, l’église communique
aussi avec les « anciens dortoirs » situés au-dessus, à l’étage. Une annexe, d’allure gothique,
la flanque au sud ; c’est au XVIIIe siècle un fruitier. Au sud-est, un ensemble d’adjonctions
d’époque moderne relie le chevet à la maison du prieur commendataire, s’étendant au
sud. Si cette dernière subsiste encore, les autres bâtiments mentionnés et Notre-Damedes-Avents ont tous disparus depuis les années 1770. On ne disposait jusqu’en 2003 que
d’une superposition hypothétique par Talobre du plan d’Évezard sur le plan actuel 30,
suggérant notamment que le chevet rasé de l’église doit se situer dans la propriété privée
voisine sous un bosquet de conifères.
23
Évezard assoie partiellement sa sacristie sur les maçonneries de Notre-Dame-des-Avents,
arasées en fondations jusqu’au niveau de l’église de l’infirmerie du XIe siècle. La fouille de
2004 a révélé une partie réduite de la nef méridionale de Notre-Dame-des-Avents et de
l’annexe tardive appelée par lui fruitier : un segment long de 5,15 m du gouttereau sud
(ép. 1,20 m), le montant d’une porte ouvrant sur l’annexe sud dans son dernier état, une
base complète (90 x 90 cm) de la colonnade méridionale de la nef, les fondations de deux
autres et de la base de la demi-colonne engagée correspondant à l’une d’elles dans le mur
sud. Ce dernier réutilise l’épaulement du chevet du XIe siècle, prolongeant simplement
vers l’est le gouttereau sud, où l’on distingue de multiples blocs remployés. Le bas-côté
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méridional ainsi défini mesure 1,27 m de largeur, ce qui est très étroit mais correspond
assez bien au plan d’Évezard. Notons toutefois que nous nous situons au niveau des
fondations des bases et que les fût des supports des colonnades, circulaires sur le relevé et
la coupe de l’architecte et reposant sur lesdites bases pouvaient être plus étroits de
quelques centimètres. Le parement interne du mur était enduit de mortier fin blanchâtre
sur l’assise préservée au-dessus du ressaut de fondation. Il ne reste aucune trace des sols
de Notre-Dame-des-Avents que les travaux d’Évezard ont fait disparaître. Les deux
entrecolonnements attestés en fouille sont effectivement inégaux, comme sur le plan :
1,20 et 1,50 m.
24
Selon la coupe transversale d’Évezard (fig. 6b), les supports sont des colonnes et des demicolonnes engagées à chapiteaux feuillagés, les collatéraux sont voûtés en berceau sur
doubleaux et le vaisseau central en berceau plein cintre continu sans claire-voie ; une
seule toiture en bâtière peu pentue, couverte de tuiles, coiffe l’ensemble et repose sur
l’extrados des voûtes.
Fig. 6b – Coupe transversale de Notre-Dame des Avents dans la travée précédant le transept, par
Joseph Évezard, 1769.
25
Au nord de la salle voûtée soutenant la sacristie, le gouttereau septentrional de l’église
mariale et son bas-côté sont partiellement conservés en élévation sur près de 4 m de
longueur dans une sorte de petit couloir que surmonte à l’ouest l’espace de liaison entre
le déambulatoire du XIIe siècle de la priorale et la sacristie néoclassique. Celle-ci est en
effet presque indépendante de l’église et constitue un pavillon accolé à l’angle sud-est du
chœur. Enduit ou au moins badigeonné de l’ait de chaux blanchâtre, le parement interne
du gouttereau montre les arrachements de deux colonnes engagées qui soutenaient les
doubleaux de la voûte en berceau du collatéral nord. On distingue encore à l’ouest, cette
fois sur le mur est de soutènement de la Chapelle Vieille qui joint à cet endroit la façade
occidentale de Notre-Dame des Avents, la trace cintrée de la même voûte en berceau et le
profil fantôme du même gouttereau. La fouille et l’analyse du bâti confirment tant la
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La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
faible largeur des bas-côtés (1,27-1,30 m ; 1,25 m à la naissance du berceau) que le
voûtement en berceau sur doubleaux (fig. 8) dessiné sur la coupe d’Évezard.
Fig. 8 – Essai de restitution 3D de la nef de Notre-Dame des Avents vue du transept (J. Plantin).
26
L’examen du plan permet également de voir que la maçonnerie conservée au nord est de
la même épaisseur que le gouttereau sud de Notre-Dame de l’infirmerie, repris tel quel
sur la longueur de sa nef unique. L’épaississement du mur ne se produit qu’au niveau de
l’épaulement de l’abside, ce qui correspond, au nord, à une autre maçonnerie (moderne ?)
qui poursuit le couloir vers l’est. Il apparaît donc que les trois premières travées dessinées
par Evezard sont installées dans la nef antérieure, tripartie comme on l’a vu faire pour
Saint-Pierre dans le troisième quart du XIe siècle. Cette tripartition dans une emprise
prédéfinie justifie l’étroitesse des collatéraux et peut-être aussi l’« espèce de dôme dont on
ne prévoit par l’usage » (fig. 6a). Il est en effet possible que la division en trois vaisseaux soit
intervenue dans un état antérieur à la reconstruction connue sous le vocable des Avents 31
. Cette dernière aurait ensuite simplement développé l’édifice à l’est par une travée
voûtée en berceau comme les précédentes selon la coupe transversale d’Evezard (fig. 6b),
puis par le transept débordant et la triple abside d’un chevet assez élégant. L’abside
centrale était éclairée par trois fenêtres et épaulée par quatre contreforts-colonnes. Une
marche marquait l’arc triomphal triple à l’entrée du transept, dont la coupole sur
trompes était contrebutée par deux berceaux transversaux, et un double emmarchement
surélevait encore le sol de chaque abside par rapport à celui du transept.
27
Une annexe est accolée au sud de la nef. On ne dispose que d’une portion de son mur est,
mais le plan d’Évezard montre des contreforts d’angle obliques d’aspect au mieux
gothique. Une partie de la pièce est tardivement pavée de tommettes de 19 x 19 cm dont
le négatif est assez bien préservé sur près de 2 m². Ce dernier aménagement peut
correspondre à la fonction de fruitier attribuée par Évezard à cet espace en 1769. Les
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13
La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
couches plus ou moins compactes de démolition de Notre-Dame des Avents reposent
immédiatement au-dessus de ce sol soigneusement démonté et dont les tommettes ont dû
être remployées ailleurs, comme c’était l’habitude.
Un « plan clunisien » répondant à des exigences
liturgiques particulières
28
Certaines des structures très modifiées 32 visibles sur le plan d’Évezard (« enfilade » de
« coupoles » l’une à la croisée du transept et l’autre surmontant la deuxième travée de la
nef, entrecolonnements inégaux, triple abside alignée) trahissent une certaine errance
dans les choix de plan et de voûtement. Comme le montrent la fouille et l’analyse de bâti,
on a voulu préserver certains éléments et s’adapter à l’édifice antérieur : l’enveloppe de la
nef de Notre-Dame de l’infirmerie paraît bien être conservée à l’ouest et la maigreur des
gouttereaux peut expliquer les désordres de maçonneries et effondrements signalés au
XVIIIe siècle.
29
En 1950, Joseph Talobre estimait qu’il s’agissait de l’église primitive du monastère 33. En
1988, Walter Cahn 34 supposait que l’article de Talobre avait servi de base aux réflexions
de Kenneth J. Conant sur les plans clunisiens 35. Le plan de Notre-Dame des Avents (nef à
trois vaisseaux, transept et triple abside) est comparable à d’autres églises étudiées par
Conant à Cluny, Lewes ou encore Polirone. Effectivement les trois états préromans puis
romans successifs de l’église secondaire du prieuré répondent parfaitement au fameux
« plan clunisien » restitué par Conant, dont on connaît aujourd’hui les limites.
30
Les trois vocables de l’église ont tous une valeur mariale évidente : oratoire ou église de la
bienheureuse Vierge Marie 36, puis chapelle Notre-Dame de l’Infirmerie 37 et enfin NotreDame des Avents 38. Les deux premières titulatures sont identiques à celles rencontrées à
Cluny même dans une topographie très comparable. Le dernier vocable mêle deux thèmes
liturgiques : la Vierge bien sûr, et l’Avent. En effet, si cette période de quatre semaines qui
précède Noël est l’attente de la naissance du Christ mais aussi l’attente eschatologique de
la Parousie, elle est pourtant également liée à la Vierge : la naissance du Christ préserve la
virginité de Marie 39. Le culte de la Vierge était très intense dans le diocèse de Clermont et
l’abbatiat d’Odilon (qui a d’ailleurs composé des sermons pour les fêtes de la Vierge)
correspond à la construction de la crypte de la cathédrale de Clermont dont le chantier
date des années 980-1020 40, probablement entamé par l’évêque Étienne II (dont Odilon
était proche) et destinée à abriter la Majesté de Marie, une statue-reliquaire. L’abbé
Mayeul fait un pèlerinage au Puy, autre pôle marial proche 41. Le vocable de notre église
recoupe donc des éléments privilégiés de la spiritualité clunisienne. Mais la titulature
complète ne nous est parvenue que par des documents tardifs, puisque la première
mention se retrouve dans un texte du 22 décembre 1772 rapportant, lors de la
délibération au chapitre, la décision confirmée des moines de détruire « … la vieille
chapelle de la Sainte Vierge dite des Avents… » en mauvais état en raison de la démolition
d’un pilier 42. Au XVIe siècle, Nicolas de Nicolaÿ pour sa part ne mentionnait pas le vocable
et se contentait d’écrire « …sur le derrière de la grande église est l’ancienne église et vieux
cloistre audit prieuré. Ledit prieuré est de grand estendue, soit en églises, cloistres, dortoirs, maison
prieurale qui est très belle et bien logeable, cours, prés, jardins, celliers ; greniers et pescheries et
autres maisons des réguliers, le tout [déjà] en grande désertion et ruine à faute d’entretenement
des couvertures… » 43. Le texte de 1772 indique que la démolition déjà entamée a donné
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14
La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
l’occasion « de connoitre la caducité de partie du sanctuaire de ladite chapelle, qui est au midy :
caducité qui provenoit premièrement de la destruction ancienne d’un pilier buttant, qui lui était
attenant ; secondement d’un escalier pratiqué après coup et depuis très longtemps dans l’épaisseur
du mur de cette partie du sanctuaire ». L’arc-boutant (gothique ?) peut avoir été supprimé
lors de la réunion de Notre-Dame avec la maison du prieur commendataire 44 – un
bâtiment du XVIIIe siècle dont le niveau inférieur est gothique avec un mur de refend
peut-être roman. Cette liaison a en effet conduit à percer un porte dans l’absidiole sud du
chevet de l’église vers un escalier en vis, ainsi que le montre le plan d’Évezard (fig. 6a).
31
La liturgie de la mort est particulièrement développée dans le milieu clunisien 45. La mort
d’Odilon à Souvigny a été déjà largement évoquée 46 et l’église Sainte-Marie y joue un rôle
de premier plan, car c’est en ce lieu qu’à la fin de l’année 1048, l’abbé Odilon mourant est
conduit depuis l’infirmerie proche. La veille de Noël Odilon se rend au chapitre mais le
25 décembre il est transporté dans « l’oratoire de la bienheureuse Vierge Marie » ;
quelques jours plus tard, la vieille de la fête de saint Sylvestre, à l’heure de Vêpres, « il se
fait transporter devant l’autel de Marie, mère de Dieu », puis il est ramené à l’infirmerie
pour prendre du repos dans un petit lit. Il est ensuite déposé sur un cilice, reprenant en
cela l’exemple de saint Martin, exemple qui sera suivi ensuite par les abbés de Cluny.
Après sa mort, son corps est lavé et parfumé 47, revêtu de ses vêtements, porté dans la
priorale Saint-Pierre sur un brancard et déposé devant l’autel des Saints-Pierre-et-Paul.
Selon Bernard, cette pratique est considérée comme relevant de l’ancienne coutume, à son
époque elle ne devait plus être en usage.
32
Selon le Liber Tramitis, à Cluny, la liturgie du dimanche 48 comporte une procession qui
quitte l’église par la porte du bras sud du transept (l’édifice concerné est celui connu sous
le nom de Cluny II) ; la première station a lieu dans la chapelle Sainte-Marie. À Souvigny,
la procession doit démarrer dans l’édifice connu vers 1048 sous le nom d’oratoire de la
bienheureuse Vierge Marie 49, puis dans la chapelle de l’Infirmerie reconstruite après 1075
et modifiée à la fin du XIIe siècle (sous le vocable de Notre-Dame-des-Avents). Si
l’imitation de Cluny est poussée à son terme, cette procession implique un accès depuis le
bras sud du transept oriental et une porte ouvrant dans le mur nord de chacune des deux
églises romanes secondaires – à moins bien sûr que l’on emprunte un autre trajet, via le
bras sud du transept occidental, la salle du chapitre et que l’on ne rebrousse ensuite
chemin. Les maigres vestiges conservés et la topographie monastique souvignyssoise nous
amènent à préférer la première option, comme d’ailleurs la logique clunisienne (fig. 7).
33
L’église de la Vierge Marie joue par conséquent un rôle important dans la vie du
monastère à Souvigny tout comme à Cluny où elle est non seulement l’édifice marial mais
aussi l’église de l’infirmerie. Elle prend également une fonction funéraire de chapelle des
morts dès le XIe siècle – avec la messe anniversaire de la comtesse Ermengarde, inhumée
au chapitre, voir plus haut. Notons que les sépultures n’apparaissent dans l’édifice que
tardivement pour ce que nous avons pu en voir. En 1278, Hugues prieur de Saint-Martindes-Champs (frère de l’abbé Yves II de Cluny qui avait été prieur de Souvigny) est enterré
dans la chapelle Notre-Dame de l’Infirmerie, en face de l’autel de la Vierge 50. Après lui et
jusqu’à la Révolution, les inhumations d’officiers du monastère (?) sont nombreuses dans
la nef (fig. 2) ; d’autres sépultures en pleine terre attestent la présence d’un cimetière le
long de son flanc sud. D’ailleurs, le procès-verbal du chapitre du 2 décembre 1772, indique
qu’il a été permis aux moines de Souvigny de continuer à démolir le « vieux bâtiment » lors
de la diète tenue à Saint-Martin des Champs à Paris en septembre 1772, à condition « que
l’on préserve 12 à 15 pieds autour pour qu’à perpétuité se trouvent à l’abri de toute profanation les
Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, Hors-série n° 6 | 2013
15
La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
cendres de nos pères qui reposent en ce saint lieu » 51. C’était sans compter les travaux de
drainages des Monuments historiques dans les années 1970 puis les fouilles des années
2000.
NOTES
1. P. CHEVALIER, « Les tombeaux et les monuments funéraires médiévaux des saints abbés Mayeul
et Odilon de Cluny », in Hortus Artium Medievalium 10 (2004), p. 119-132 ; P. CHEVALIER et A. MAQUET,
« La fouille des tombeaux des saints abbés Mayeul et Odilon et les pèlerinages à Souvigny », in
Bulletin Monumental 162-II (2004), p. 87-100.
2. P.
CHEVALIER,
M. ČAUŠEVIĆ-BULLY, M. DUPUIS, L. FIOCCHI, O. LAPIE, « Priorale Saint-Pierre de
Souvigny, Etude archéologique de la nef, 1e tranche », in BUCEMA 11 (2007), p. 71-77 (http://
cem.revues.org/document1087.html) ; P. Chevalier, S. BULLY, M. ČAUŠEVIĆ-BULLY, M. DUPUIS, L.
FIOCCHI,
A. BARADAT, « Saint-Pierre de Souvigny. Étude archéologique de la nef, 2 e tranche », in
BUCEMA 12 (2008), p. 53-59 (http://cem.revues.org/document6382.html).
3. L.
FIOCCHI,
Le chantier de la priorale Saint-Pierre de Souvigny,
Xe-XIIe
s., M2 d’archéologie, UBP
Clermont-Ferrand 2, 2008.
4. P.
CHEVALIER
et A.
MAQUET,
« Notre-Dame-des-Avents, la seconde église du prieuré de
Souvigny », Nos Églises Bourbonnaises 17, Moulins, déc. 2004, p. 51-65.
5. A. REGOND, « L’architecture du prieuré (XVIIe-XVIIIe siècle). Sacristie et maison Saint-Odilon », in
B. PHALIP, P. CHEVALIER et A. MAQUET (dir.), Souvigny (Allier). La prieurale et le prieuré, Coll. Les Cahiers
du Patrimoine 101, Paris, 2012, p. 170-173.
6. A.
BERNARD
& A.
BRUEL,
Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, Paris, 1876-1903, t. 1, n° 217,
p. 206-207 d’après le Cartulaire A, original perdu.
7. Cf. deux chartes de 950 et 954 : ibid., t. 1, n° 783, p. 735-737 d’après le Cartulaire A, original
perdu ; et ibid., t. 1, n° 871, p. 824-826 d’après le Cartulaire A, original perdu.
8. A. MAQUET, « Cluny et l’Auvergne », in Odilon de Mercoeur, l’Auvergne et Cluny, Actes du colloque de
Lavoûte-Chilhac – 10-12/05/2000, Nonette, 2002, p. 291-311 ;
EAD.,
Cluny en Auvergne, Thèse de
doctorat, Université Paris I, 2006.
9. D.
MEHU,
Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny,
Xe-XVe siècle,
Lyon, 2001. D. Riche,
L’ordre de Cluny de la mort de Pierre le Vénérable à Jean III de Bourbon : « le vieux pays clunisien », SaintÉtienne, 2002.
10. L.
FIOCCHI,
« La priorale et le prieuré (Xe-XIIe siècle) », in B. PHALIP, P. CHEVALIER, A. MAQUET
(dir.), Souvigny, la priorale et le prieuré, Cahiers du Patrimoine 101, Paris, 2012, p. 95-98.
11.
RAOUL GLABER ,
Les Cinq livres de ses histoires (900-1044), M. Prou (éd.), Paris, 1886, livre 2-6, 14,
p. 41.
12. Le plan de la nef de la seconde moitié du
Xe siècle
explique les décrochements de
maçonneries des arcades ouvrant sur le bas côté externe sud lors de l’agrandissement à cinq
vaisseaux. Ces désordres des parties hautes reprennent en effet en élévation le plan du mur
gouttereau de la nef de Mayeul.
13. Elle est proche de celle édifiée un peu plus tard à Paray-le-Monial : G.
ROLLIER,
« Premiers
résultats des fouilles archéologiques sur la basilique de Paray-le-Monial : les deux prieurales », in
Paray-le-Monial, Brionnais-Charolais, le renouveau des études romanes, 1998, Paris, 2000, p. 53-77 ; J.-N.
BARNOUD,
N. REVEYRON, G. ROLLIER, Paray-le-Monial, Paris, 2004. La comparaison avec Souvigny est
proposée par C. SAPIN, « Le nouveau plan de Paray-le-Monial et l’architecture du
Bourgogne », in Paray‑le-Monial, Brionnais-Charolais, op. cit., p. 79-90.
Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, Hors-série n° 6 | 2013
XIe siècle
en
16
La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
14. On trouve les deux mentions dans la Vita d’Odilon rédigée par Jotsald de Saint-Claude :
ecclesia
(JOTSALD DE SAINT-CLAUDE ,
Vita Odilonis, J. STAUB (éd .), Hanovre, 1999, p. 179) et oratorium (
ibid., p. 286).
15. Idée formulée lors de visites du site avec, outre les auteurs, Éliane Vergnolle, Christian Sapin
et Sébastien Bully.
16. Cette progression de l’église vers les bâtiments monastiques, avec la mise en place de
l’organisation générale du monastère a été observée par Benjamin Saint-Jean-Vitus pour l’abbaye
Saint-Philibert de Tournus : B. SAINT-JEAN-VITUS, « Les bâtiments claustraux de Saint-Philibert au
Moyen Âge », Saint-Philibert de Tournus, histoire, archéologie, art, Tournus 1994, 1995, p. 231-248.
17. S. MARCAILLE, Antiquitéz du prieuré de Souvigny, Moulins, 1610, p. 225-229.
18. Les psaumes 6, 31, 37, 50, 101, 129 et 142.
19.
JOTSALD DE SAINT-CLAUDE , op. cit., p. 182-184.
20. S.
CASSAGNES-BROUQUET ,
« Culte des saints et pèlerinage, Bourgogne,
XIe
au
XIIIe siècle »,
Les
pèlerinages à travers l’art et la société à l’époque préromane et romane, Les Cahiers de Saint-Michel de
Cuxa 32, 2000, p. 63-77.
21. C. SAPIN, Le nouveau plan de Paray-le-Monial et l’architecture du
XIe
siècle en Bourgogne »,
Le renouveau des études romanes. Actes du colloque de Paray-le-Monial – 1998, La Pierre-qui-Vire, 2000,
p. 79-90.
22. Fouilles menées par René Moreau, publiées par F.
DESHOULIÈRES,
« Les fouilles de l’église de
Souvigny (Allier) », Bulletin Monumental 83, Paris, 1924, p. 160-164.
23. Quinze mètres vingt dans l’œuvre à Souvigny contre 16,50 m à Cluny.
24. É.
VERGNOLLE,
« L’ancienne prieurale Saint-Pierre de Souvigny », Congrès archéologique de
France, Bourbonnais, 1988, Paris, 1991, p. 399-431 ;
expériences dans l’architecture du
XI
e
EAD.,
« Passages muraux et escaliers : premières
siècle », Cahiers de civilisation médiévale,
Xe-XIIe siècles,
32,
Poitiers, 1989, p. 43-60.
25. Une galerie claustrale de 26,40 m – bâtiment allongé situé entre la nef et l’aile nord du cloître
– se développe du bras sud du transept jusqu’au bâtiment carolingien mentionné plus haut et
toujours préservé. Lors de l’élargissement de la nef à cinq vaisseaux le cloître n’est pas
reconstruit, ce qui suppose la conservation jusqu’au XIIIe siècle du cloître du milieu du XIe.
26. Cette période de stagnation peut être liée à la crise que connaît Cluny en 1126 avec le
schisme dit de Pons de Melgueil.
27. Archives départementales de l’Allier, J9 ; Fr. DESHOULIÈRES, Souvigny et Bourbon-l’Archambault,
Paris, 1924, plan p. 73 (peu lisible).
28. W.
CAHN,
« Souvigny: Some Problems of its Architecture and Sculpture », Gesta, XXVII/1-2,
1988, p. 51-62 ; É. VERGNOLLE, « L’ancienne prioriale Saint-Pierre de Souvigny », Congrès
archéologique de France, Bourbonnais – 1988, Paris, 1991, n. 20.
29. On remarque la deuxième coupole (« dont on ne prévoit pas l’usage »), des entrecolonnements
inégaux, une abside nord retravaillée… Un plan au niveau des toitures est également conservé
aux AD de l’Allier (merci à Sophie Liégard pour cette information) : la coupole ouest qui surprend
l’architecte s’élève sur un tambour octogonal, alors que celle de la croisée du transept y arbore
une toiture en pavillon, par conséquent sur une base carrée.
30. J. TALOBRE, « La sépulture de saint Odilon et l’histoire architecturale de Cluny et Souvigny »,
in A Cluny, colloque en l’honneur des saints abbés Odon et Odilon, Dijon, 1950, plan p. 251.
31. Si l’on admet cette hypothèse, l’arc sud de la façade occidentale pourrait être assigné à cette
transformation : il permettrait alors logiquement l’accès au collatéral sud. Suivant la date
attribuée à la tripartition de la nef, autrement dit si elle intervenait avant la construction du
petit transept, un arc symétrique serait possible au nord. ; il aurait été supprimé à l’édification du
bras sud du transept oriental.
Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, Hors-série n° 6 | 2013
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La chapelle mariale du monastère de Souvigny : Notre-Dame de l’infirmerie ou ...
32. É. VERGNOLLE, op. cit., n. 20, p. 404, estime que la nef a peut-être été reprise au
XVIe
ou au XVII
siècle. Voir supra, notre propre hypothèse.
33. J. TALOBRE, op. cit., p. 249.
34. W. CAHN, op. cit., p. 51-62, n. 57.
35. K. J. CONANT, Carolingian and Romanesque Architecture. 800-1200, Yale UP, 1974, p. 196.
36.
JOTSALD DE SAINT-CLAUDE , op. cit., p. 179 et 286.
37. En 1278, cf. dom H. TRIPPERET, Mémoires pour servir à l’histoire du prieuré Saint-Pierre-Saint-Paul
de Souvigny, BnF, N.A.F. 3602, p. 57v ; et M. FAZY, Le livre des anniversaires de Souvigny, Moulins,
1937, p. 24.
38. Nous n’avons trouvé qu’une seule autre appellation comparable : abbé P.
LACROIX,
L’église
Saint-Christophe à Chissey-la-Loue (Jura), Lyon, sd, p. 17, qui évoque une statue placée à la croisée du
transept et appelée jusqu’alors Notre-Dame la blanche qu’il identifie comme étant Notre-Dame
des Avents. Merci à Antoine Paillet et Sébastien Bully qui nous ont permis cette comparaison.
39. D. IOGNA-PRAT, E. PALAZZO et D. RUSSO (éd.), Marie, le culte de la Vierge dans la société médiévale,
Paris, 1996 ; particulièrement M. GOULLET et D. IOGNA-PRAT, « La Vierge en majesté de ClermontFerrand », p. 383-405 ; voir également P.-M. GY, s.v. « Avent », in A. VAUCHEZ (dir.), Dictionnaire
encyclopédique du Moyen Âge, Paris, 1997, t. 1, p. 154-155.
40. P. CHEVALIER, « L’archéologie du bâti appliquée à la révision d’une fouille ancienne, celle de la
crypte de la cathédrale de Clermont », in I. PARRON-KONTIS et N. REVEYRON (éd.), Actes de la tableronde « L’archéologie du bâti : pour une harmonisation des méthodes », Saint-Romain-en-Gal, 2001, Paris,
p. 87-94.
41. D. IOGNA-PRAT, Agni immaculati. Recherches sur les sources hagiographiques relatives à saint Maïeul
de Cluny (954-974), Paris, 1988, p. 229-232.
42. Abbé P.
CHAUDAGNE,
« La sacristie de Souvigny », in Bulletin de la Société d’Emulation du
Bourbonnais, 62, 1984-1985, p. 90-96 ; AD Allier, H 616 bis, p. 78.
43. N.
DE NICOLAŸ,
Générale description du Bourbonnais, Paris, 1569, rééd. Moulins, 1889, p. 73.
Nicolas de Nicolaÿ était le géographe du roi Charles IX, une des quatre versions de son ouvrage
était conservée dans la bibliothèque du prieuré de Souvigny.
44. A. REGOND, op. cit., p. 181-182.
45. Voir par exemple D.
IOGNA-PRAT,
l’an Mil », in J.-Ch. PICARD et D.
« Les morts dans la comptabilité céleste des clunisiens de
IOGNA-PRAT
(éd.), Religion et culture autour de l’an Mil. Royaume
capétien et Lotharingie, Actes du colloque Hugues Capet (987-1987). La France de l’an Mil, Paris, 1990,
p. 55-70. Repris dans Études Clunisiennes, Paris, 2002, p. 125-151.
46. P. HENRIET, « Chroniques de quelques morts annoncées », in Médiévales, 31 (1996), p. 93-108 ;
A. MAQUET, Cluny et la mort : le cas des abbés Mayeul et Odilon à Souvigny, in Hortus Artium Medievalum,
10 (2004), p.109-118.
47. Selon les coutumes de Cluny, le corps du moine doit être lavé par les frères avec de l’eau
chaude. Voir PL, t. 149, col. 773 ; et C. TREFFORT, L’église carolingienne et la mort, Lyon, 1996.
48. K. KRÜGER, « Monastic customs and liturgy in the light of the architectural evidence: a case of
study on processions (eleventh-twelfth centuries) », in S. BOYNTON et I.
COCHELIN ,
From dead of
night: The Medieval Customs of Cluny. Du cœur de la nuit à la fin du jour : les coutumes clunisiennes au
Moyen Âge, Turnhout, 2005, p. 191-220, en part. p. 195 et suivantes.
49. BHL, 6280 ; PL, t. 142, col. 888-891 ; et J. STAUB, Studien zu Iotsalds Vita des Abtes Odilo von Cluny,
Hanovre, 1999 : il a reconstitué la vie de Jotsald, biographe d’Odilon et abbé de Saint-Claude dans
le Jura. J. Staub a corrigé l’erreur de Mabillon, qui identifiait le destinataire de la lettre des
moines de Souvigny comme étant le monastère de Marmoutier alors qu’il s’agit de celui de SaintDenis.
50. Dom H. TRIPPERET, op. cit., p. 57 v ; et M. FAZY, Le livre des Anniversaires du prieuré de Souvigny,
Moulins, 1937, p. 24.
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51. AD Allier, H 616 bis, p. 78.
INDEX
Index géographique : France/Souvigny, France/Cluny
Mots-clés : église mariale, chapelle des morts, chapitre, infirmerie, Odilon (saint)
AUTEURS
PASCALE CHEVALIER
Université Blaise-Pascal Clermont-Ferrand 2 / UMR 6298-ARTeHIS Dijon
ARLETTE MAQUET
chargée d'enseignement Université d’Auvergne Clermont-Ferrand 1 / UMR 6298-ARTeHIS Dijon
LAURENT FIOCCHI
archéologue contractuel
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